LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 8 heures pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice indépendante du Québec, et je préside ce comité. Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Woo : Monsieur le premier ministre, bienvenue. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Cordy : Bienvenue, monsieur le premier ministre, et félicitations pour votre élection. Je m’appelle Jane Cordy et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le premier ministre, bienvenue et félicitations pour votre élection. Madame la ministre, je vous souhaite également la bienvenue. Je m’appelle Grant Mitchell et je représente l’Alberta et le territoire du Traité no 6.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bonjour, monsieur le premier ministre. Bienvenue. Pierre Dalphond, sénateur indépendant du Québec.
Le sénateur Massicotte : Bienvenue. Paul Massicotte, de la Belle Province.
[Traduction]
La sénatrice Frum : Bonjour, monsieur le premier ministre Kenney. Je m’appelle Linda Frum, de l’Ontario.
La sénatrice Simons : J’ai eu le plaisir de vous rencontrer deux fois cette semaine. Paula Simons, toujours de l’Alberta et toujours du territoire du Traité no 6.
La sénatrice McCoy : Elaine McCoy. C’est un plaisir de vous recevoir tous les deux ici. Félicitations. Évidemment, nous venons de la plus belle province.
Le sénateur D. Black : Monsieur le premier ministre, madame la ministre, je m’appelle Doug Black, de l’Alberta.
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, le paradis terrestre, en Alberta. Bonjour.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Ontario. Je suis heureuse de vous revoir.
La sénatrice Seidman : Je suis heureuse de vous rencontrer, madame la ministre et monsieur le premier ministre. Félicitations pour votre élection. Je m’appelle Judith Seidman, et je viens de Montréal, au Québec.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour, monsieur le premier ministre. Claude Carignan, du Québec.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Je suis heureux de vous rencontrer. Dennis Patterson, Territoire du Nunavut.
La présidente : Merci beaucoup.
Je profite de l’occasion pour remercier les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good, ainsi que la greffière du comité, Maxime Fortin.
[Français]
Chers collègues, ce matin, nous continuons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd’hui, du gouvernement de l’Alberta, l’honorable Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta, et l’honorable Sonya Savage, ministre de l’Énergie. Merci de vous joindre à nous et félicitations pour vos nominations. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons à la période de questions. Merci beaucoup.
[Français]
L’honorable Jason Kenney, C.P., premier ministre de l’Alberta, gouvernement de l’Alberta : Merci beaucoup, madame la présidente et honorables sénateurs.
Je suis heureux d’être ici pour livrer un témoignage très important au nom de la population de l’Alberta. Je suis accompagné de ma collègue, la ministre Savage.
[Traduction]
Il se trouve que la ministre Savage, notre ministre de l’Énergie, est une experte des questions dont vous discutez dans le cadre du projet de loi C-69, et je suis heureux qu’elle participe à ce témoignage.
Madame la présidente, ce projet de loi, s’il est adopté dans sa forme actuelle, sera, selon le gouvernement de l’Alberta, un désastre pour l’économie canadienne et entraînera une rupture grave de l’unité nationale.
Si le projet de loi C-69 est adopté dans sa forme actuelle, le gouvernement de l’Alberta le contestera immédiatement parce qu’il constitue une violation flagrante de notre compétence constitutionnelle exclusive en matière de réglementation de la production de nos ressources naturelles, un pouvoir que le premier ministre Peter Lougheed a acquis en 1981 dans le cadre de la convention constitutionnelle qui s’est tenue ici même, sans lequel l’Alberta n’aurait jamais signé son consentement au rapatriement de la Constitution en 1982. Le consentement de l’Alberta à l’égard de la Loi constitutionnelle était fondé sur l’obtention de sa compétence constitutionnelle exclusive en vertu de l’alinéa 92a) pour la réglementation de la production des ressources naturelles, et plus particulièrement celle du pétrole et du gaz. Le projet de loi dont vous êtes saisis propose de façon flagrante de violer ce pouvoir exclusif, qui était une condition préalable au consentement de l’Alberta à la Loi constitutionnelle.
Madame la présidente, des sondages récents indiquent que jusqu’à 50 p. 100 des Albertains appuient le concept de sécession de la fédération canadienne. Le gouvernement que je dirige et moi-même sommes voués à l’unité nationale. Je suis ici pour vous dire, à vous et à vos collègues sénateurs, qu’il existe une crise croissante au chapitre de l’unité nationale en Alberta, crise qui serait exacerbée par l’adoption de ce projet de loi et d’autres politiques, comme l’interdiction des pétroliers proposée dans le projet de loi C-48.
En Alberta, nous l’appelons la « loi finis les pipelines », et elle survient précisément au moment où nous traversons une période prolongée de déclin économique et de stagnation dans notre province, qui est attribuable en grande partie à notre incapacité à acheminer les ressources naturelles de l’Alberta et du Canada vers les marchés mondiaux. Cela a causé d’énormes difficultés économiques en Alberta chez les quelque 200 000 chômeurs et les dizaines de milliers de personnes qui ont quitté le marché du travail et qui ont abandonné la recherche d’un emploi, ainsi que chez les dizaines de milliers de personnes qui sont parties de notre province, dont de nombreuses qui étaient venues des provinces de l’Est et du Centre du Canada pour participer à notre industrie des ressources, mais qui n’ont plus d’emploi. Les revenus ont diminué de plus de 6 p. 100 en Alberta au cours des 4 dernières années, et de nombreuses familles ont du mal à joindre les deux bouts.
Tout cela est dû en partie au fait que de nombreux dirigeants canadiens ont apparemment décidé de céder les marchés énergétiques mondiaux en pleine croissance à certains des pires régimes du monde, comme les dictatures de l’OPEP, de même qu’à la Russie et aux États-Unis, qui ont doublé leur production d’énergie au cours de la dernière décennie, alors que des fondations américaines ont financé une campagne pour enclaver l’énergie canadienne, une campagne qui a permis de verser de l’argent à des organisations qui ont demandé et appuyé ce projet de loi, précisément parce qu’elles considèrent qu’il s’agit d’un autre outil de confinement de l’énergie canadienne.
Je remarque, madame la présidente, que ces mêmes organisations qui ont appuyé ce projet de loi et qui se sont opposées à l’oléoduc Northern Gateway, qui se sont opposées à l’oléoduc Énergie Est, qui se sont opposées à l’oléoduc Keystone XL, qui se sont opposées à l’oléoduc Trans Mountain, et qui veulent s’assurer que ce projet de loi empêche toute autre proposition de grand projet de pipeline, n’ont rien fait pour empêcher le doublement de la production de pétrole aux États-Unis, l’expansion massive du réseau d’oléoducs dans ce pays ou l’augmentation de 10 p. 100 de la production de pétrole dans le monde au cours de la dernière décennie seulement. Dans le cadre du projet de loi C-48 et de leur campagne d’obstruction, ils se sont consacrés exclusivement à faire obstacle au secteur canadien de l’énergie.
Je pense qu’il vous incombe, en tant que membres de la chambre haute du parlement du Canada, de vous demander pourquoi ces organisations sont si déterminées à miner les intérêts économiques vitaux de notre pays, tout en ne faisant rien pour réduire la demande et la production croissantes de pétrole à l’échelle mondiale. Je pense que la réponse est simple. C’est parce que nous, Canadiens, et nos dirigeants politiques, avons permis que cette campagne d’obstruction agressive ait lieu, par faiblesse, parce que nous avons des dirigeants politiques prêts à présenter un projet de loi comme celui-ci.
C’est pourquoi notre gouvernement, qui a été assermenté il y a deux jours, lance une stratégie pour défendre l’Alberta. Les Albertains n’accepteront plus silencieusement de telles politiques, qui constituent une attaque directe contre nos intérêts économiques vitaux. Nous, les Albertains, sommes fiers de ce que nous faisons. Nous sommes fiers d’avoir les troisièmes réserves de pétrole récupérable en importance dans le monde et les quatrièmes réserves en importance de gaz naturel. Nous sommes fiers de produire ces ressources selon les normes les plus élevées au monde en matière d’environnement, de droits de la personne et de travail. Nous sommes fiers des innovations remarquables et des investissements massifs faits par nos entreprises du secteur de l’énergie pour réduire constamment l’empreinte environnementale de l’énergie de l’Alberta et l’intensité des émissions de carbone. Nous sommes de fiers protecteurs de l’environnement.
[Français]
Comme l’a dit la sénatrice, c’est la plus belle province. Nous sommes fiers de notre environnement naturel et nous voulons le protéger. Les Albertains de tous les partis politiques veulent le faire. Ce projet de loi, pour nous, en ce qui concerne l’industrie de l’énergie, n’est pas une question de protection de l’environnement, mais représente un manque total d’équilibre essentiel entre la protection de l’environnement et la croissance économique.
[Traduction]
Madame la présidente, ce projet de loi passe complètement à côté de l’équilibre que nous savons tous nécessaire entre la protection de l’environnement et le développement économique. C’est pourquoi ce projet de loi suscite l’opposition de tous les partis politiques en Alberta et, de plus en plus, je crois, partout au Canada.
Vous avez entendu récemment ma distinguée prédécesseure, l’ancienne première ministre Notley, qui a parlé avec éloquence de l’opposition de l’Alberta à ce projet de loi. J’appuie les propos qu’elle a tenus devant ce comité. Toutefois, je tiens à être très clair. Nous ne sommes pas ici simplement pour dire que ce projet de loi a besoin d’être amendé. À notre avis, si ce projet de loi demeure dans sa forme actuelle, il est inacceptable.
Le gouvernement de l’Alberta a présenté une série d’amendements, que notre gouvernement appuie, des amendements qui sont essentiels à la protection des compétences provinciales, en partie dans le respect de l’alinéa 92a) de la Loi constitutionnelle. Nous appuyons également les amendements proposés par l’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’Association canadienne des producteurs pétroliers. À notre avis, ces amendements doivent constituer un tout pour empêcher que ce projet de loi soit adopté tel quel, afin d’éviter d’entamer encore davantage la confiance des investisseurs.
Madame la présidente, l’une des raisons de la crise économique prolongée qui sévit dans ma province est la fuite de dizaines de milliards de dollars de capitaux, principalement de notre secteur pétrolier et gazier, des capitaux que nous avons perdus et qui ont emporté avec eux les emplois et l’équipement de l’industrie pétrolière et gazière canadienne, qui sont allés profiter à l’industrie pétrolière et gazière américaine, principalement. Cet argent continue de servir à la production d’énergie. Il ne contribue tout simplement plus à employer des Canadiens, ce qui fait encore une fois ressortir l’hypocrisie futile de ceux qui cherchent à emprisonner le secteur canadien de l’énergie.
Alors que, dans ma province, le taux de chômage est de 7 p. 100, ce qui, à mon avis, masque les chiffres réels, il se situe à 2 ou 3 p. 100 dans les États producteurs d’énergie au sud de la frontière — le Texas, l’Oklahoma, le Colorado et le Dakota du Nord. Même s’il y a eu une baisse massive des investissements dans le pétrole et le gaz au Canada, il y a eu une augmentation concomitante considérable de plus de 5 p. 100 des investissements aux États-Unis au cours des 4 dernières années.
Il ne s’agit pas des prix mondiaux. Il s’agit plutôt de l’environnement politique que vient aggraver l’incertitude créée par le projet de loi C-69.
Madame la présidente, en 2018, l’Institut C.D. Howe a estimé que 36 projets d’une valeur de 77 milliards de dollars seulement ont été abandonnés au Canada. L’année 2018 a été la pire année pour le financement du secteur pétrolier et gazier au Canada depuis 20 ans. Au cours de la dernière décennie, le rendement annuel des actions canadiennes dans le secteur du pétrole et du gaz a diminué de 0,5 p. 100 par rapport à une croissance positive antérieure de 5,5 p. 100. Il faut savoir que ces actions ont représenté la plus grande part de celles transigées à la Bourse de Toronto.
Madame la présidente, je demande à quiconque pense qu’il y a un avantage à étouffer davantage l’industrie, qui a été un élément clé de la prospérité canadienne, de constater que cela a uniquement eu pour résultat d’expédier les capitaux, les emplois et la production d’énergie vers un autre pays — un pays qui n’a pas de taxes sur le carbone, qui a une réglementation environnementale moins stricte, qui a beaucoup plus de facilité à construire des pipelines et qui est passé d’un important importateur d’énergie canadienne à un exportateur net de sa propre énergie.
En 1980, le premier ministre Peter Lougheed a décrit le programme énergétique national comme suit : « Le gouvernement d’Ottawa, sans négociation et sans entente, est simplement entré dans nos foyers et s’est installé dans nos salons. » C’est exactement ainsi que je décrirais le projet de loi C-69.
[Français]
Dans sa forme actuelle, le projet de loi dépasse les compétences fédérales en donnant à une nouvelle agence le pouvoir de régir des projets provinciaux, tels que des projets de gestion en institut des sables bitumineux et des raffineries pétrochimiques qui se trouvent à l’intérieur des limites d’une province et qui sont déjà soumis à la réglementation provinciale.
[Traduction]
Je tiens à souligner au comité et au gouvernement fédéral que la menace que pose le projet de loi C-69 ne peut être considérée comme concernant uniquement l’Alberta. Oui, je suis ici pour représenter ma province, mais je crois que je défends aussi les intérêts de l’économie nationale du Canada. Lorsque le secteur de l’énergie de l’Alberta souffre, cela se répercute sur l’ensemble de l’économie, des statistiques récentes ayant démontré encore une fois une croissance anémique de l’économie canadienne, précisément à cause de ce qui se passe dans notre secteur de l’énergie. Selon une étude récente de la School of Public Policy de l’Université de Calgary, les contraintes liées à la capacité des pipelines coûtent aux Canadiens quelque 14 milliards de dollars par année en recettes perdues, soit environ 7,2 milliards de dollars en redevances et autres taxes provinciales, 5 milliards de dollars pour l’industrie et le reste pour le gouvernement fédéral.
Vous n’avez pas à me croire sur parole lorsque je dis à quel point le projet de loi C-69 serait dévastateur pour le Canada. Prêtez plutôt l’oreille à ceux qui décident tous les jours d’investir ou non dans notre pays et de créer des emplois ici.
[Français]
La société Total, une pétrolière française, a affirmé ce qui suit au sujet du projet de loi C-69, et je cite :
[... il] risque de rendre moins probable que nous prenions une décision favorable d’investir dans des projets énergétiques ou de prendre des engagements liés à la capacité des pipelines au Canada.
[Traduction]
D’autres grandes entreprises mondiales et canadiennes du secteur de l’énergie abondent dans le même sens et menacent de partir. Toutes les associations de l’industrie de l’énergie se sont succédé devant ce comité pour démontrer comment l’élargissement de la portée des évaluations, les interventions illimitées et les possibilités infinies de prolonger les délais vont alimenter encore davantage l’incertitude chez les investisseurs, alors que leur confiance est déjà extrêmement ébranlée.
Il est tout aussi important de s’inquiéter de ceux dont on n’entend pas parler. Il est impossible de calculer la valeur des projets que les investisseurs ne se donnent même pas la peine de proposer. Les investisseurs étrangers disent qu’ils ne peuvent pas perdre de temps à comprendre un pays qui a de la difficulté à résoudre ses différends internes. Ils ne sont pas intéressés à gaspiller de l’argent pour se livrer à des exercices de réglementation inutiles et interminables, que ce projet de loi ne ferait que prolonger.
Madame la présidente, il est tout simplement déconcertant pour les Albertains, ainsi que pour la plupart des Canadiens qui saisissent bien la situation, que notre pays s’inflige un tel châtiment. L’industrie canadienne du pétrole et du gaz a le régime de gestion des ressources le plus réglementé, le plus propre, le plus équitable et le plus inclusif de la planète. Le projet de loi prévoit une analyse comparative entre les sexes dans le cadre des projets. Aucune industrie du secteur de l’énergie au monde n’emploie plus de femmes que l’industrie canadienne. Aucune province n’a un niveau d’emploi et de revenu plus élevé pour les Autochtones que l’Alberta. Pourquoi? C’est surtout à cause de cette industrie. Cette industrie a été un outil de progrès social, madame la présidente. Des dizaines de milliers de Canadiens découragés par la situation de dépendance et de chômage qu’ils vivaient sont venus s’installer en Alberta, attirés par l’industrie que ce projet de loi attaque.
Si vous vous intéressez au progrès social, alors pourquoi créer encore plus d’incertitude et de dommages pour une industrie qui en a été l’un des plus grands moteurs? Pourquoi ce projet de loi nuirait-il davantage à une industrie qui contribue à la croissance de la classe moyenne et qui permet à des gens d’y accéder, une industrie qui a été le plus grand moteur de la croissance de la classe moyenne dans l’économie canadienne moderne? C’est inexplicable pour nous.
Ce projet de loi va tout à fait à l’encontre de ce que le Parti libéral avait promis dans sa plateforme de 2015, c’est-à-dire que de « mettre un terme à l’ingérence des ministres fédéraux dans le processus d’évaluation environnementale ». Dans sa forme actuelle, le projet de loi fait exactement le contraire. Il y aura plus d’ingérence politique que jamais sous l’égide de cette loi. En dépit de l’aspect prometteur des délais d’approbation, le projet de loi C-69 a plus que mérité son nom de « loi finis les pipelines ». En effet, il donne au ministre des occasions répétées d’intervenir et d’interrompre le processus. Il crée un régime qui limite l’information prise en compte dans le processus de décision et soulève de sérieuses questions au sujet de la justice naturelle et de l’équité procédurale.
Comme je l’ai dit, l’Alberta n’est pas la seule à soulever ces préoccupations.
Je sais que mon temps de parole est limité, alors permettez-moi de me concentrer sur ce qui est vraiment la question essentielle pour nous. Comme je l’ai indiqué dans la lettre que j’ai adressée au comité, le 9 avril, un examen aussi vaste du processus décisionnel qui est inclus dans ce projet de loi va clairement à l’encontre de l’article 92.10 de la Loi constitutionnelle, qui porte sur les projets ou les activités qui constituent des travaux ou des entreprises d’une nature locale. Il s’agit de projets d’exploration de ressources naturelles, ainsi que de sites et d’installations de production d’électricité dans la province, qui relèvent tous de la compétence exclusive des provinces en vertu de la Constitution. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, donnerait au gouvernement fédéral le dernier mot sur la construction et l’exploitation de ce genre de projets provinciaux, en se fondant sur des facteurs qui n’ont rien à voir avec une compétence fédérale légitime.
Cela va directement à l’encontre de la décision rendue en 1992 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Friends of the Oldman River Society. La Cour suprême a statué que l’évaluation des incidences environnementales
... doit véritablement viser une institution ou une activité qui relève de la compétence législative [fédérale] »...
Le projet de loi C-69, qui ne prévoit aucune limite quant à la portée des évaluations et des approbations fédérales, ne tient pas compte de l’important et délicat équilibre constitutionnel entre les pouvoirs fédéraux et provinciaux. C’est particulièrement irritant, car cela viole l’alinéa 92a) de la Constitution, que j’ai déjà mentionné. C’était une condition préalable à la signature de la Loi constitutionnelle par l’Alberta.
Le gouvernement fédéral a rendu publics hier les critères qu’il propose pour les projets en vertu de ce projet de loi. Il vise, entre autres, à réglementer l’exploitation in situ des sites pétrolifères en Alberta. Ces sites se trouvent exclusivement sur le territoire de l’Alberta. Ils servent à la production de ressources naturelles. Aucune personne rationnelle ne peut concevoir, compte tenu de l’alinéa 92 a), qu’il existe un intérêt fédéral à réglementer cela. Ce serait une violation flagrante de la Constitution. Le gouvernement fédéral vous demande de violer la Constitution du Canada en adoptant ce projet de loi. C’est pourquoi, si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, nous traduirons le gouvernement fédéral devant les tribunaux et nous sommes persuadés de l’emporter.
Si ce comité décide d’aller de l’avant avec le projet de loi, je demande qu’il soit substantiellement réécrit, afin de respecter notre compétence exclusive provinciale. Cela signifie que les amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’Association canadienne des pipelines d’énergie et le précédent gouvernement de l’Alberta, comme je l’ai mentionné, doivent être adoptés dans leur intégralité, sans exception. Ce projet de loi n’a pas besoin de changements cosmétiques; il doit être entièrement revu ou carrément abandonné.
Madame la présidente, je vous remercie de votre temps. La ministre Savage et moi serons heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la sénatrice Cordy, qui est membre du Sous-comité du programme et de la procédure.
La sénatrice Cordy : Compte tenu du peu de temps qui reste — il ne nous reste qu’environ une demi-heure — et du nombre d’Albertains autour de la table, je vais leur céder mon temps de parole pour qu’ils aient plus de temps pour poser leurs questions.
La présidente : Je vous en remercie. Nous allons poursuivre avec les sénateurs de l’Alberta, si vous êtes d’accord.
Le sénateur Pratte : D’accord.
La sénatrice Simons : Monsieur le premier ministre, comme vous, j’ai reçu hier une copie de la liste des projets. J’ai été intriguée de voir que cela couvre la production in situ, ce qui, comme vous l’avez mentionné, dérangeait beaucoup la première ministre Notley, qui vous a précédé. Il y a toutefois une disposition qui stipule que la production in situ serait exemptée si un plafond ferme prévu par la loi était imposé sur les émissions de gaz à effet de serre. Je me demande ce que vous en pensez.
M. Kenney : Je pense que cette disposition n’atténue en rien la violation flagrante de l’alinéa 92(a) de la Constitution. Il est plus que présomptueux de la part du gouvernement fédéral de fixer des conditions pour le cas où il violerait la Constitution.
J’insiste sur le fait qu’il y a une limite prévue par la loi de 100 mégatonnes d’émissions de CO2 pour les sables bitumineux de l’Alberta, qui a été adoptée par la dernière assemblée législative de l’Alberta. Mon gouvernement n’a pas l’intention de changer cela.
Soyons clairs, nous croyons qu’il n’est pas logique que seul le Canada, parmi les principaux producteurs d’énergie, limite sa production et son potentiel de prospérité. Nous ne voyons pas les États-Unis, la Russie, le Venezuela, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Qatar ou tout autre pays faire la même chose. Nous pensons que c’est franchement inutile en ce qui concerne les émissions mondiales de gaz à effet de serre et que cela nuit aux intérêts à long terme du Canada. Mais nous ne sommes pas près d’atteindre ce plafond à l’heure actuelle. Bien franchement, le gouvernement a bien d’autres chats à fouetter, y compris ce projet de loi, le projet de loi C-48, le pipeline Trans Mountain et bien d’autres choses. Pour nous, à l’heure actuelle, ce problème ne se pose pas.
La sénatrice Simons : Le gouvernement fédéral a depuis longtemps compétence sur des choses comme les pipelines interprovinciaux, les lignes interprovinciales de transport d’électricité et les choses qui touchent les oiseaux migrateurs ou les voies navigables. Y a-t-il d’autres choses que l’exploitation in situ qui, selon vous, viennent en contradiction avec le paragraphe 92(a)?
L’honorable Sonya Savage, ministre de l’Énergie, gouvernement de l’Alberta : Il est important ici de bien distinguer ce qui est de compétence fédérale de ce qui est de compétence provinciale. La liste des projets publiée hier, le document de travail, brouille vraiment les cartes. Elle élargit la liste des projets qui était comprise dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012.
Notre position est que si c’est de compétence provinciale, nous n’avons pas besoin de parler de seuils et de facteurs qui feraient en sorte qu’une évaluation fédérale serait nécessaire. Si c’est de compétence provinciale, le gouvernement fédéral devrait tout simplement se retirer et laisser l’Alberta réglementer. L’Alberta est la mieux placée pour évaluer et réglementer ces projets.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur le premier ministre Kenney, vous avez très bien répondu aux questions que je me pose sur les compétences, mais j’ai une question pour la ministre Savage.
Je sais que vous avez probablement étudié ce projet de loi, et que vous l’avez probablement fait d’un point de vue juridique. Vous avez beaucoup d’expérience dans ce domaine. En ce qui concerne les pipelines, je sais que vous avez travaillé pour Enbridge. Quels sont les deux principaux amendements que vous préconisez? Si vous deviez donner des instructions au comité, qu’aimeriez-vous voir changer?
Mme Savage : Pour commencer, nous devons faire la distinction entre les amendements que les promoteurs de projets et les associations d’industries ont proposés et ceux que la province a proposés. Nos amendements portent en grande partie sur les questions de compétences — s’assurer que le gouvernement fédéral n’empiète pas sur les compétences provinciales. Les associations d’industries et le secteur ont proposé des règlements qui rendent l’examen des projets réalisable. Pour nous, évidemment, en tant que province, nos amendements les plus importants visent à faire clairement la distinction entre les compétences fédérales et provinciales et à empêcher l’évaluation fédérale de nos projets.
Mais d’un autre point de vue, lorsqu’il est question de l’examen de la loi dans son ensemble, d’un point de vue technique concernant les raisons pour lesquelles cela ne fonctionne pas, tout le monde a commencé à chercher un processus d’examen qui serait indépendant du gouvernement et qui serait mené par un tribunal, un organisme ou une entité de réglementation, à partir de données scientifiques, de faits et de preuves indépendantes du gouvernement. Le projet de loi C-69 prévoit un examen politique des projets, du début à la fin, avec des possibilités et des points d’ingérence politique de la part du ministre dès le départ, que ce soit au sujet des échéanciers, de la portée ou des facteurs, jusqu’à la décision politique finale. On ne peut tout simplement pas assimiler cette vision et ce processus à un processus indépendant.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Il est certain qu’il est question du pouvoir discrétionnaire du ministre dans ce projet de loi.
Que pensez-vous des évaluations régionales prévues dans le projet de loi, de la capacité d’effectuer des évaluations régionales des effets cumulatifs?
Mme Savage : Les évaluations régionales sont importantes, mais l’une des préoccupations a trait, d’abord et avant tout, au fait que les projets seront retardés pendant que ces évaluations sont réalisées. Ces évaluations prennent beaucoup de temps, et nous ne pouvons pas retarder les projets pendant qu’elles sont en cours.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur le premier ministre, j’étais heureux d’entendre votre témoignage, parce qu’il traitait du premier sujet des questions que je veux vous poser, soit la compétence constitutionnelle. La position que vous avez exprimée est exactement la même que celle du gouvernement du Québec, et vous avez cité le même jugement de la Cour suprême quant aux champs de compétence des provinces.
Lorsque j’ai vu la liste des projets désignés, que nous avons reçue hier assez tard — je l’ai lue cette nuit —, j’ai constaté que vous avez parfaitement raison, c’est réellement une intrusion dans le champ de compétence des provinces. On inclut même dans le projet de loi les carrières et les sablières. Il m’apparaît donc assez évident que c’est une violation constitutionnelle.
Je vais donc aborder un autre sujet, soit celui d’un corridor énergétique. J’ai soulevé la question à plusieurs endroits — vous savez que le comité s’est déplacé partout au Canada —, et il me semble que le projet de loi devrait prévoir un mécanisme pour créer un corridor énergétique permettant de cibler un endroit au Canada, d’est en ouest, où on pourrait faire une évaluation complète, par exemple une bande de 500 mètres de largeur est-ouest. Il s’agirait d’aménager dans cette zone des moyens de transport pour les sources d’énergie, qu’il s’agisse de gaz, de pétrole ou de lignes hydroélectriques, pour créer ce lien. On a prévu un lien semblable pour la Transcanadienne et pour les vélos, mais pas pour l’énergie. Il me semble que ce serait logique. Qu’est-ce que vous en pensez?
M. Kenney : Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que ce serait logique, notamment pour développer les compétences énergétiques et les ressources, particulièrement dans le Nord du Canada. C’est la raison pour laquelle mon parti a inclus cette idée dans sa plateforme électorale.
Le sénateur Carignan : Je n’ai pas vu votre plateforme.
M. Kenney : Notre plateforme a reçu l’approbation de 50 p. 100 des électeurs albertains il y a deux semaines.
En outre, j’ai déjà abordé cette question avec certains homologues provinciaux, et j’ai hâte d’avoir l’occasion de mettre le dossier à l’ordre du jour du Conseil de la fédération en juillet. Il y a énormément d’intérêt à l’égard de ce projet, notamment de la part de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick, et, je l’espère, de la part du Québec également.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : En vertu du projet de loi C-69, monsieur le premier ministre, les critères liés au droit de participation ont été supprimés, afin que les gens puissent se voir accorder le droit de participer à une audience réglementaire même s’ils ne sont pas directement touchés par le projet. Il y a des années, j’ai fait une interpellation au Sénat, et je me souviens que le sénateur Mitchell a parlé de groupes environnementaux financés par des fondations et des entités étrangères. Avez-vous une stratégie à cet égard? Parce que l’argent continue d’affluer dans notre pays. La dernière fois que j’ai siégé à ce comité, nous avons entendu un témoin de Mining Watch, qui est financé par la Fondation Ford, ce qui est assez intéressant.
M. Kenney : Merci, madame la sénatrice. J’y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire. Le programme électoral sur lequel nous avons été élus récemment, avec 55 p. 100 du vote populaire, comportait, comme élément clé, une stratégie pour lutter contre l’influence maligne d’intérêts spéciaux financés à l’étranger dans la campagne très efficace pour enclaver l’énergie canadienne.
Comme vous le savez probablement, en 2008, le Rockefeller Brothers Fund a organisé une conférence avec un consortium de groupes d’intérêts qui ont élaboré une stratégie à long terme pour empêcher la construction de pipelines, en vue essentiellement de confiner les intérêts canadiens dans le secteur de l’énergie, et plus particulièrement dans les sables bitumineux.
Je trouve intéressant qu’un certain nombre de membres éminents du gouvernement actuel, y compris le chef de cabinet de la ministre de l’Environnement, qui a travaillé pendant plusieurs années à l’Institut Pembina — un organisme qui, sous sa direction, a reçu un financement important de donateurs...
La sénatrice Eaton : De Remco.
M. Kenney : ... qui sont membres et partenaires de ce que l’on appelle la campagne Tar Sands, comme l’a été l’ancien secrétaire principal du premier ministre, un ardent défenseur de ce projet de loi, qui a travaillé au Fonds mondial pour la nature, lequel a reçu des fonds des mêmes fondations américaines qui participent à la campagne Tar Sands, comme d’autres membres éminents du gouvernement.
Ce sont les mêmes personnes qui ont fait campagne contre Northern Gateway et qui ont obtenu un veto immédiat, à l’encontre de l’approbation par l’Office national de l’énergie sous le gouvernement précédent, immédiatement après les dernières élections.
C’est le même gouvernement, informé par les mêmes personnes et les mêmes groupes d’intérêts, qui a cédé, sans protester, au veto du président Obama concernant le pipeline Keystone XL, trois jours après l’arrivée au pouvoir du gouvernement canadien actuel.
C’est ce même gouvernement qui a mis un terme à Énergie Est après que Trans-Canada ait investi plus de 1 milliard de dollars en six ans, grâce à l’imposition de mandats de réglementation, mandats que le gouvernement fédéral cherche maintenant à enchâsser dans cette loi.
Il s’agit de la même campagne d’obstruction qui a réussi à chasser Kinder Morgan du pays et qui nous a obligés à payer la note en tant que contribuables.
Oui, nous avons une stratégie. Nous allons lancer une enquête publique sur les sources de financement étrangères de la campagne contre l’énergie canadienne. Nous remettrons en question, lorsque nous croyons qu’il y a lieu de le faire, le statut d’organisme de bienfaisance de certaines de ces organisations qui canalisent des fonds étrangers pour influencer nos politiques. Nous adopterons un projet de loi interdisant l’injection de fonds étrangers dans la politique albertaine, et nous appuyons le projet de loi que la sénatrice Frum a soumis au Sénat à cet égard. Nous allons retirer tout financement du gouvernement de l’Alberta aux organismes qui ont participé à cette campagne, et nous allons prendre un certain nombre d’autres mesures.
Ces organismes ont le droit de dire ce qu’ils pensent, mais ils auront des comptes à rendre s’ils mentent et dénigrent notre secteur de l’énergie. Nous les dénoncerons vertement.
La sénatrice Frum : Je vous remercie d’avoir salué le projet de loi d’initiative parlementaire que j’ai soumis et qui fait malheureusement partie de ceux qui ont été bloqués au Sénat.
Au comité, nous avons entendu un grand nombre de témoins, dont vous qui êtes sûrement le plus éloquent, qui nous ont mis en garde contre les graves conséquences du projet de loi C-69, mais jusqu’à maintenant, ces arguments ne semblent pas avoir influé sur la réflexion du gouvernement fédéral. Pourquoi pensez-vous que c’est le cas, et pouvez-vous nous en dire davantage sur ce que serait, selon vous, la menace pour l’unité nationale si ce projet de loi était adopté?
M. Kenney : Merci.
En ce qui concerne la première question, madame la sénatrice, j’ai vraiment de la difficulté à comprendre la raison d’être de ce projet de loi, compte tenu de la gravité des préoccupations qui ont été exprimées. Vous savez tous, en tant que sénateurs, que la crise de confiance des investisseurs internationaux suscite de plus en plus d’anxiété au Canada. C’est l’une des raisons de la croissance économique relativement anémique. Ce projet de loi ne ferait qu’empirer les choses, non seulement pour le secteur du pétrole et du gaz, mais aussi pour d’autres, précisément à cause de l’incertitude qu’il engendre.
Pour ce qui est de la deuxième question, faisons un exercice mental. Retournons à la période de notre histoire où il y avait un appui de l’ordre de 50 p. 100 dans les sondages d’opinion publique pour le départ du Québec de la fédération. Pouvez-vous imaginer, dans de telles circonstances, que le gouvernement fédéral présente un projet de loi qui constitue une intrusion directe et évidente dans une compétence provinciale exclusive et qui aurait pour effet évident de nuire à la plus grande industrie et au plus grand employeur du Québec? À mon avis, cela est impensable et aucun gouvernement fédéral responsable ne procéderait ainsi. C’est le message que j’ai passé au premier ministre Trudeau au cours d’une conversation téléphonique il y a deux semaines.
J’ai fait partie du Cabinet fédéral, et je peux vous dire que les cabinets fédéraux sont constamment préoccupés, à juste titre, par la préservation de l’unité nationale, et que chaque geste susceptible d’être perçu comme un affront par le gouvernement du Québec est pondéré, mesuré et soigneusement étudié. Le cas qui vous préoccupe ne représente pas seulement un affront aux Albertains; il s’agit du point culminant d’une attaque de plein fouet contre notre prospérité économique. C’est pourquoi, étonnamment, jusqu’à la moitié de la population de l’Alberta a déclaré récemment, dans un sondage Angus Reid — on ne parle pas des derniers venus — qu’elle appuyait la sécession. Je soupçonne qu’un grand nombre des citoyens n’en peuvent plus et ont trouvé cette façon d’exprimer leur frustration.
Mais votre rôle de sénateurs est de représenter les régions au Parlement du Canada. Dieu merci, je sais que vous êtes tous des fédéralistes passionnés. Les Albertains sont de fiers Canadiens, qui s’enorgueillissent de leur contribution de plus de 600 milliards de dollars au reste de la fédération depuis 1957, selon le professeur Robert Mansell, grâce aux mesures fiscales. Ils ne reprochent pas à leurs voisins de la fédération le soutien dont ils les font profiter grâce à l’exploitation de leurs ressources, mais ils demandent le droit et la capacité d’exploiter ces ressources. Si ce projet de loi va de l’avant, avec le projet de loi C-48, cela dira aux Albertains que le gouvernement fédéral ne se soucie pas de la conjoncture économique déplorable que traverse notre province et qu’il a tellement peu d’égards pour eux qu’il est prêt à violer une compétence exclusive des provinces. Je vous implore, en tant que fédéralistes, de comprendre les conséquences de cette situation sur l’unité nationale.
C’est pourquoi j’ai dit, pour être clair, que si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, et si nous ne pouvons pas obtenir au moins un pipeline côtier, nous invoquerons à titre extraordinaire le renvoi à la Cour suprême sur la sécession du Québec, en 1998, pour réclamer la tenue d’un référendum constitutionnel sur l’article 36 de la Constitution, qui porte sur la péréquation. Nous ne nous opposons pas à la péréquation, mais nous nous y opposons si nous ne pouvons exploiter les ressources qui la financent.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le premier ministre, d’être parmi nous ce matin.
Tout d’abord, permettez-moi de vous assurer — et je pense que je parle au nom de presque tous les gens présents ici — que nous vous entendons clairement. Nous avons reçu de nombreux témoins qui se sont exprimés haut et fort à ce sujet. Nos efforts visent à trouver un équilibre, ce qui est absolument essentiel. Cela ne vous satisfait peut-être pas entièrement, mais notre objectif est de faire ce qui est bon pour le Canada, y compris la province de l’Alberta.
Vous avez parlé des investisseurs qui fuient notre pays et l’Alberta, mais de nos jours, les investisseurs sont en très grande majorité très sensibles à l’endroit où ils investissent, et ils veulent investir dans des situations jugées acceptables pour la société et se comporter de façon cohérente avec les intérêts à long terme sur les plans économique, environnemental et social. Lorsque vous avez parlé du plafond pour l’exploitation in situ — et j’ai lu dans les journaux que vous avez dit qu’il était tellement élevé qu’il n’aurait pas de répercussions pour vous —, j’ai supposé que vous n’aviez aucun problème à le maintenir. Mais cela peut donner l’impression à certains investisseurs, y compris des investisseurs étrangers, que les sables bitumineux seront exploités de façon irresponsable, qu’un plafond si élevé n’a pas d’utilité et que, par conséquent, la province de l’Alberta et les producteurs agiront sans se soucier de la quantité de CO2 ou de gaz à effet de serre. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Il y a plusieurs années, je pense que la province est devenue très sensible à cette image dans le monde. Il est contre-productif de laisser les gens penser le contraire. Pouvez-vous nous assurer que, peu importe que le plafond soit insignifiant ou non, tout cela se fera de façon responsable?
M. Kenney : Merci, monsieur le sénateur. J’apprécie vos commentaires.
Premièrement, je ne dirais pas que c’est insignifiant ou non pertinent. À moyen terme, cela pourrait devenir pertinent. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle, alors nous nous concentrons sur des questions plus opportunes.
En ce qui concerne le rapport avec les investissements, aucun autre grand producteur de pétrole et de gaz au monde n’a proposé de plafonner sa production, et cela n’a pas empêché que des investissements se fassent dans ces autres pays.
Je vais vous donner un exemple très actuel. La HSBC, qui est peut-être la plus grande banque au monde pour ce qui est de la capitalisation boursière, a annoncé qu’elle ne financera plus les projets de sables bitumineux de l’Alberta. Entretemps, elle vient de tenir une importante conférence sur l’investissement à Riyad, en Arabie saoudite, un pays où elle investit beaucoup dans des projets énergétiques. Il n’y a pas de plafond d’émissions en Arabie saoudite. Je crois savoir que la HSBC est l’un des plus grands agents financiers de l’industrie du pétrole lourd dans le secteur énergétique russe corrompu et autocratique de Vladimir Poutine. Il n’y a pas de plafond en Russie.
Ce que vous avez ici, je crois, n’est rien d’autre qu’une manifestation de vertu vide de sens.
Je terminerai en disant que nous tenons compte de cette préoccupation. Le gouvernement veut montrer que les Albertains sont sensibles à l’environnement et qu’ils se soucient des changements climatiques et des émissions. C’est pourquoi nous instaurerons une redevance sur les grandes émissions industrielles, y compris celles du secteur pétrolier et gazier, en vue de favoriser une réduction constante de l’intensité des émissions de carbone. Nous la fixerons au départ à un prix de 20 $ la tonne pour les grandes émissions industrielles. Nous prévoyons qu’en Alberta, cela réduira la production de 47 mégatonnes par rapport à l’année de référence initiale. Comme je l’ai dit au premier ministre, nous sommes ouverts à une plus grande rigueur à cet égard.
Le sénateur Woo : Merci, monsieur le premier ministre. Si vous maintenez le plafond, et il y a beaucoup de jeu compte tenu du niveau actuel des émissions, en pratique, les projets in situ ne devraient pas tomber dans la liste de désignation de projets. Est-ce exact? Je vous pose la question sur le plan pratique, en laissant de côté vos préoccupations légitimes au sujet des compétences provinciales.
M. Kenney : Sur le plan pratique, je ne pense pas qu’il y aura un jour une réglementation environnementale fédérale des projets in situ parce que les tribunaux ne toléreront pas une violation prima facie de la Constitution.
Le sénateur Woo : Mais compte tenu du niveau d’émissions actuel et du plafond que vous êtes prêt à maintenir, est-il exact de dire que, dans un avenir prévisible, les projets in situ ne seront pas désignés parce qu’ils respecteront ce plafond?
M. Kenney : Il faudrait poser la question au gouvernement fédéral, qui a établi ces paramètres. Tout ce que je peux dire, c’est que nous croyons que le plafonnement des émissions n’a pas de sens parce qu’aucun autre pays ne le fait. Nous n’avons pas prévu de changements immédiats. Cette question sera finalement contestée si le projet de loi est adopté, et elle sera également soumise au jugement de la population lors des prochaines élections fédérales.
Le sénateur Woo : Vous avez toutefois confirmé que le niveau actuel des émissions est nettement inférieur au plafond en place.
M. Kenney : C’est le cas actuellement.
Le sénateur Woo : Merci.
Reconnaissez-vous la compétence fédérale sur les émissions de GES et d’autres polluants provenant du pétrole et du gaz et d’autres industries?
Mme Savage : En réponse à certains des critères de la liste des projets, selon lesquels l’exploitation in situ serait exemptée s’il y avait un plafond d’émissions, pour commencer, vous ne pouvez pas exempter quelque chose que vous n’avez pas le droit de réglementer au départ. C’est absurde et cela ne devrait pas figurer dans le projet de loi. C’est une violation flagrante de la Constitution. C’est pourquoi nous trouvons si inacceptable que le gouvernement fédéral dise qu’il va exempter quelque chose qu’il n’a pas le droit de réglementer.
Le sénateur Woo : Cela m’amène à ma deuxième question : reconnaissez-vous la compétence fédérale en matière d’émissions de GES?
Mme Savage : La décision de l’organisme Friends of the Oldman River Society établit certains paramètres selon lesquels l’environnement n’est pas un domaine de compétence défini dans la Constitution, de sorte que le droit constitutionnel déterminant qui a le droit de réglementer l’environnement est complexe.
M. Kenney : J’ajouterais simplement au passage que les cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario sont saisies de la question de la taxe sur le carbone.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie de nous avoir fait part de votre position à ce sujet, monsieur le premier ministre. Vous avez mentionné, tout comme la ministre Savage — et nous avons entendu des témoins de nombreux secteurs —, que ce projet de loi est porteur d’incertitude, qu’il manque de transparence et qu’il n’est pas fondé sur des données scientifiques. Il fait intervenir des considérations politiques dans le processus d’évaluation des projets, et il politise le processus d’examen en permettant au ministre de prendre des décisions, même à la fin d’un processus d’examen long et coûteux. Que pensez-vous de cet aspect du projet de loi, surtout en tant qu’ancien membre du Cabinet fédéral et maintenant de représentant d’un point de vue provincial?
M. Kenney : De quel aspect du projet de loi parlez-vous? Désolé, sénatrice.
La sénatrice Seidman : Je veux parler du fait que le processus d’examen des répercussions obéit à une politique, mais que le ministre peut n’importe quand, jusqu’à la toute fin, rendre une décision contraire.
M. Kenney : C’est l’une de nos principales objections au projet de loi. Comme je l’ai dit, lors de la dernière campagne électorale, le parti fédéral actuellement au pouvoir, voulait éviter que les ministres ne s’ingèrent dans les évaluations environnementales, mais ce projet de loi se trouve à leur permettre de le faire plus que jamais. Au motif qu’il cherche ouvertement à dépolitiser les évaluations environnementales, il se trouve à politiser le processus à outrance.
Sénatrice, vous m’avez posé une question au sujet de mon expérience au Cabinet. Je me souviens très bien de l’époque où le projet Northern Gateway était étudié par l’Office national de l’énergie, où il en était aux dernières étapes de l’examen et avant sa présentation au Cabinet fédéral pour ratification. J’espère ne pas enfreindre la confidentialité du Cabinet en vous répondant, mais je pense que les choses sautent aux yeux. Nous avons reçu un avis très clair du ministère de la Justice, qui a été souligné par le premier ministre de l’époque, à savoir qu’en tant que ministres fédéraux, nous ne devrions pas faire ou dire quoi que ce soit qui aurait pu nous être préjudiciable ou être perçu comme une démarche préjudiciable. Nous devions conserver une vision objective des faits en tant que Cabinet fédéral et ne pas politiser ce projet. En fait, on m’a reproché de ne pas avoir fait plus de tapage à propos de Northern Gateway à l’époque. C’est tout simplement parce que nous ne voulions pas afficher une position qui aurait pu se retourner contre nous. Nous étions bien sûr en faveur des pipelines en général et en principe, mais nous savions que l’organisme de réglementation devait agir en toute indépendance, et je suis d’avis que ce texte mine cette indépendance.
La présidente : Merci beaucoup. Compte tenu du temps qu’il reste, nous entendrons trois dernières questions.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci de votre présence, monsieur le premier ministre.
[Traduction]
Dans vos propos liminaires, vous avez à plusieurs reprises parlé de l’équilibre approprié entre le développement économique et la protection de l’environnement, de la nécessité de disposer d’un cadre réglementaire concurrentiel et de la nécessité de préserver les compétences provinciales. Je pense être d’accord avec vous sur toute la ligne, et c’est d’ailleurs ce que mes collègues cherchent à faire pour améliorer le projet de loi et pour tenir compte de ce genre de préoccupations.
Cependant, je ne vous ai pas entendu parler des autres droits constitutionnels, comme ceux des premières nations qui sont aussi protégés par la Constitution. Que proposez-vous? De nombreuses Premières Nations ont comparu devant votre comité et d’autres pour dire qu’elles apprécient que le projet de loi C-69 tienne compte du fait qu’elles seront entendues et que leurs intérêts seront pris en compte. Vous avez parlé des retards dans la réalisation des projets en grande partie dus à des décisions judiciaires qui empêchent la réalisation des projets parce que les intérêts des Premières Nations n’ont pas été pris en compte comme il se doit.
M. Kenney : Merci d’avoir posé cette importante question, sénatrice. Premièrement, je dirais que toute obligation légale de consulter les Premières Nations au sujet des projets environnementaux est, dans un sens, redondante, parce que c’est maintenant une obligation constitutionnelle définie dans la jurisprudence. Comme la Couronne a le devoir non négociable de mener des consultations sérieuses auprès des Premières Nations, et que son honneur est engagé à ce titre, je pense que c’est implicite. Le projet de loi n’ajoute rien à cela; il ne fait que refléter ce qui est une obligation constitutionnelle de la Couronne fédérale.
Le sénateur Dalphond : Et des procureurs de la Couronne provinciaux aussi.
M. Kenney : Oui, effectivement. Je tiens à souligner que, même si certains groupes de Premières Nations vous ont dit qu’ils sont en faveur du projet de loi, vous avez également entendu un certain nombre de personnes qui s’y opposent. Je sais que, lors de vos audiences à Calgary il y a trois semaines, vous avez entendu un certain nombre d’intervenants. J’ai l’impression que la très nette majorité des collectivités des Premières Nations en Alberta sont au mieux préoccupées par le projet de loi et au pire qu’elles y sont fortement opposées.
Comme je l’ai déjà dit, pour les sénateurs qui ne connaissent pas l’Alberta, beaucoup de communautés de Premières Nations se sont, disons-le franchement, enrichies — comme celles de Maskwacis, de Fort McKay et bien d’autres — en nouant des partenariats avec l’industrie pétrolière et gazière. En fait, notre gouvernement a l’intention de créer une nouvelle société d’État qui s’appellera « Alberta Opportunities Corporation » et qui aura pour vocation d’apporter un soutien financier destiné à faciliter la prise de participation des Premières Nations dans les grands projets énergétiques. Nous estimons que la possibilité de faire passer les Canadiens autochtones de la pauvreté à la prospérité, en leur permettant de participer à des projets d’exploitation des ressources dans les territoires qu’ils habitent depuis toujours, est une cause hautement morale.
Oui, nous respectons tout à fait l’obligation de la Couronne de consulter, mais nous respectons aussi les droits économiques des Premières Nations de participer à notre économie. C’est pourquoi nous mettrons également sur pied un fonds du contentieux pour appuyer les Premières Nations favorables au développement qui estiment que leurs droits économiques ont été violés quand le gouvernement fédéral a mis son veto au projet Northern Gateway et au trafic de pétroliers, avec le projet de loi C-48.
Le sénateur Patterson : Merci, monsieur le premier ministre, de nous avoir parlé de l’influence pernicieuse des opposants à l’exploitation pétrolière et gazière au Canada qui sont financés par des intérêts étrangers. C’est une question que j’allais poser.
J’aimerais maintenant passer à l’Office national de l’énergie. Vous avez parlé de la politisation du processus réglementaire par le biais du projet de loi C-69. Vous avez dit qu’il s’agissait d’un projet de loi politique. L’une des justifications du projet de loi C-69 était de rétablir la confiance du public dans le processus réglementaire. Le raisonnement était que l’ONE avait été discrédité, et le projet de loi C-69 diminue son rôle. L’Office était-il un processus de réglementation inefficace et discrédité?
M. Kenney : Je ne crois pas qu’il était parfait, mais je ne crois pas non plus qu’il ait été discrédité. L’Office, dont le siège social se trouve à Calgary, a toujours été considéré comme un organisme de réglementation modèle par d’autres administrations. Quand j’étais ministre fédéral et que je me rendais dans des régions du monde où l’on développait l’industrie du gaz de schiste, on m’a demandé si l’ONE pouvait donner de la formation et du mentorat sur la façon d’élaborer un cadre de réglementation. D’après mon expérience, l’Office a été considéré un peu comme un modèle dans le monde, bien qu’imparfait, je l’admets.
Mme Savage : Au cours de l’examen qui a mené au projet de loi C-69, un comité de modernisation de l’ONE a sillonné le pays et reçu des mémoires. Il y avait beaucoup de très bons documents à ce sujet. Je pense que vous pouvez revenir sur ce qui s’est passé au cours de la dernière décennie du côté de l’Office national de l’énergie à l’époque où ces grands projets de pipeline linéaires ont été soumis au processus. L’Office national de l’énergie a été obligé de prendre beaucoup de décisions plus générales en matière de politiques publiques, comme la politique sur les changements climatiques, la politique énergétique, ou celle concernant le mix d’énergie, ainsi que les droits des Autochtones et la réconciliation. L’Office n’a jamais été préparé ou équipé pour traiter de ces questions, mais comme il n’y avait pas d’autre endroit pour traiter de ces questions de politiques, l’ONE a dû s’en charger. Par conséquent, à la fin de ces processus, les gens qui s’opposaient aux pipelines n’étaient pas satisfaits et ils ont imputé la faute au processus de réglementation.
Je pense donc qu’il est un peu injuste de dire que le processus de l’ONE a été discrédité. Je pense qu’il n’était tout simplement pas équipé pour s’occuper des questions de politiques. Soit dit en passant, le projet de loi C-69 fait double emploi et aggrave la situation en forçant le gouvernement à régler ces questions-là. Nous aggravons encore une fois la situation.
[Français]
Le sénateur Mockler : J’aimerais également me joindre à mes collègues pour féliciter le premier ministre Kenney de son élection et de son leadership sans précédent. Vous disposez d’une grande expérience, tant sur le plan national qu’international.
[Traduction]
Monsieur le premier ministre, je pense que l’occasion nous est donnée de veiller à ce que les Canadiens de l’Atlantique disposent d’un cadre pouvant assurer la durabilité environnementale et les progrès économiques, et le premier ministre Higgs nous en a fait part cette semaine, ici, à Ottawa. Le Canada atlantique veut avoir des chances égales. J’ai l’impression que partout au Canada, il y a beaucoup de colère et de division. Nous avons tous un rôle à jouer. J’aime votre approche quand vous dites que c’est une question d’unité nationale.
Nous avons perdu la bataille du « tout est possible » dans toutes les régions du Canada. Au Canada atlantique, nous avons la plus grande raffinerie au pays. Quelque chose marche vraiment de travers. Nous n’avons pas accès aux ressources naturelles canadiennes en provenance de l’Ouest. La raffinerie Irving, par exemple, reçoit du pétrole de pays étrangers, pour ne pas dire de dictatures, et voici venu l’occasion pour nous de réussir, je l’espère, à rétablir l’approche gagnante.
Compte tenu de votre expérience monumentale, antérieure, actuelle et future avec ce que j’ai entendu ce matin, pouvez-vous me dire, pour les Canadiens de l’Atlantique, comment nous pouvons construire un pipeline?
M. Kenney : Merci, sénateur. J’ai discuté de la question avec le premier ministre Higgs à plusieurs reprises et je lui ai fait part de tout l’espoir que nous entretenons de relancer un projet comme Énergie Est afin que le pétrole du centre du pays puisse remplacer celui qui vient de l’étranger, de plus en plus des États-Unis, qu’il puisse se substituer aux importations de pétrole et que les Canadiens de l’Atlantique puissent ajouter de la valeur et exporter ces produits dans le reste du monde, à un prix équitable. Il est regrettable, je crois, que le premier ministre Trudeau, en réponse au premier ministre Higgs, ait donné au Québec ce qui revient à un droit de veto sur un éventuel pipeline interprovincial qui relèverait de la compétence réglementaire fédérale.
Sénateur, si ce projet de loi est adopté, nous verrons s’envoler du même coup le dernier espoir de jamais voir un pipeline sur la côte Est dans l’avenir. Soyons clairs, aucun conseil d’administration ne prendra la décision finale de risquer des milliards de dollars des actionnaires pour se retrouver dans un gouffre financier à la faveur d’un processus qui ne représente que de l’incertitude, des interventions sans fin et la possibilité d’ingérences politiques à n’en plus finir. Le rêve dont vous parlez, c’est-à-dire la possibilité de créer plus de richesse dans une province en difficulté et dans une région qui a connu des difficultés économiques, s’éteindra avec l’adoption du projet de loi C-69 dans sa forme actuelle.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le premier ministre, pour cette conversation intéressante.
Nous accueillons maintenant l’honorable Catherine McKenna, c.p., députée, ministre de l’Environnement et du Changement climatique; l’honorable Amarjeet Sohi, c.p., député, ministre des Ressources naturelles, et l’honorable Marc Garneau, c.p., député, ministre des Transports. Ils sont accompagnés de Ron Hallman, président de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, de Stephen Lucas, sous-ministre à Environnement et Changement climatique, de Christyne Tremblay, sous-ministre à Ressources naturelles Canada et de Thao Pham, sous-ministre délégué à Transports Canada.
Madame et messieurs les ministres, chers représentants de la fonction publique, merci d’être des nôtres. Nous vous invitons à faire vos déclarations, qui seront suivies d’une période de questions et réponses.
L’hon. Catherine McKenna, c.p., députée, ministre de l’environnement et du changement climatique : Merci beaucoup. Je suis ravie de me retrouver devant vous.
[Français]
Merci, madame la présidente. Tout d’abord, j’aimerais souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel des peuples algonquins et anishinaabe. C’est un plaisir de comparaître devant le comité et d’avoir l’occasion de contribuer à votre étude du projet de loi C-69.
J’apprécie les efforts déployés par un grand nombre de témoins depuis le mois de février. C’est un projet de loi extrêmement important, et je suis heureuse de votre engagement.
[Traduction]
Il est prévu que des centaines de grands projets de ressources, d’une valeur estimée à 500 milliards de dollars, seront lancés un peu partout au Canada au cours des 10 prochaines années.
Ce comité a entendu de nombreux témoignages sur la contribution positive des ressources naturelles du Canada, sur les activités respectueuses de l’environnement menées par nos secteurs des ressources et sur les débouchés économiques que de bons projets peuvent offrir aux communautés partout au Canada, y compris aux communautés autochtones. Sur ce point, notre gouvernement est entièrement d’accord.
Je crois comprendre que certains témoins ont laissé entendre que le projet de loi C-69 empêcherait la construction de bons projets, allant même jusqu’à suggérer que ce projet de loi le rendrait impossible. Mais, à notre avis, cela ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
Le système actuel est un système en panne qui a laissé planer l’incertitude sur de bons projets. Le projet de loi C-69 vise à réparer ce système de manière à accroître la certitude et à encourager les investissements dans le secteur des ressources naturelles du Canada.
Le projet de loi C-69 propose de nouvelles règles qui garantissent la réalisation de bons projets susceptibles de renforcer la compétitivité de notre secteur de l’énergie et de nos industries d’extraction des ressources naturelles. De meilleures règles amélioreront la confiance des investisseurs, renforceront notre économie et créeront des opportunités pour la classe moyenne et pourceux qui travaillent pour l’intégrer. Ces nouvelles règles, qui reposent sur des bases scientifiques et des prises de décisions factuelles, permettent de rétablir la confiance du public et de protéger notre environnement. Les nouvelles règles permettent aussi de nouer un véritable partenariat avec les peuples autochtones. Le projet de loi C-69 donnera aux Canadiens la possibilité de faire entendre leur voix et de faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones.
[Français]
Lorsque nous nous réunirons pour adopter le projet de loi C-69, nous donnerons au Canada un moyen responsable et durable de développer nos ressources naturelles, avec une transparence et une rigueur qui instaureront la confiance dans les résultats, une confiance qui faisait défaut.
Le projet de loi C-69 a bénéficié de l’apport de milliers de Canadiens au cours de trois ans de consultation et de mobilisation. Nous avons tenu des centaines de réunions, reçu des centaines de soumissions écrites et examiné des milliers de commentaires. En fait, le processus a commencé en janvier 2016.
Depuis trois ans, des gens de partout au pays y ont contribué, y compris des représentants de l’industrie, du milieu universitaire et nos partenaires autochtones, provinciaux et territoriaux.
[Traduction]
Deux groupes d’experts et deux comités parlementaires ont tenu leurs propres réunions, mené des études, entendu des témoins et examiné les commentaires du public. Cette contribution a bénéficié au projet de loi et l’a renforcé.
Le comité a entendu bon nombre des mêmes personnes que lors de nos consultations. Plusieurs témoins ont présenté une gamme de points de vue. Certains pour et d’autres farouchement contre, mais je crois que, malgré les dés accords sur le genre de politiques à adopter, il existe un réel consensus parmi les Canadiens qui souhaitent disposer d’un système environnemental et réglementaire moderne protégeant l’environnement, favorisant la réconciliation avec les peuples autochtones, attirant les investissements et permettant la réalisation des projets dans des délais raisonnables. Je sais que tous les Canadiens peuvent convenir que les bons projets doivent être réalisés rapidement, de manière à créer de bons emplois et des débouchés économiques.
J’aimerais passer quelques minutes à parler des principaux aspects du projet de loi qui ont été évoqués au cours de votre étude.
Comme vous l’avez entendu dire, il y a beaucoup d’appui pour la phase de planification initiale, une composante essentielle du nouveau système d’évaluation d’impact qui reflète ce que nous savons être la meilleure pratique pour l’industrie. La planification initiale prévoit un processus structuré, dirigé par l’Agence d’évaluation d’impact, permettant de dialoguer avec les parties prenantes, les peuples et les communautés autochtones éventuellement concernés, les régulateurs et les administrations adhérant à la démarche. Cela garantit que les problèmes clés seront soulevés tôt dans le processus, ce qui permettra une meilleure conception du projet et permettra aux promoteurs de projets de savoir ce qu’on attend d’eux dès le départ. De plus, les investissements initiaux dans la planification précoce permettent des examens et des décisions plus rapides. Il s’agit d’un élément clé de notre approche « un projet, une évaluation », qui permet de répondre aux besoins de tous les partenaires, qu’il s’agisse d’autres administrations ou d’organismes de réglementation fédéraux du cycle de vie, au cours d’un seul processus.
[Français]
Dans le cadre du projet de loi C-69, les évaluations d’impact examineront la manière dont les projets proposés pourraient affecter non seulement notre environnement, comme dans le système actuel, mais également les conséquences à long terme sur la société, la santé et l’économie. Cela répond aux commentaires des Canadiens, qui s’attendent à ce que les décisions relatives aux projets soient prises en tenant compte des incidences sur les communautés, notamment des contributions économiques positives.
[Traduction]
En mettant l’accent sur la durabilité, nous pouvons nous assurer qu’il y aura des avantages durables pour le Canada. Plus question de gains à court terme causant une douleur à long terme pour les communautés.
Des préoccupations ont été exprimées au sujet de l’élargissement de la portée des facteurs qui seraient pris en considération. En fait, ce que nous avons bâti au fil des pages du projet de loi C-69, c’est une plus grande transparence. Le Cabinet a tenu compte, à juste titre, de nombreux facteurs économiques et sociaux, comme les Canadiens s’y attendent, lorsqu’il a à prendre des décisions sur des projets d’envergure. Le projet de loi C-69 assure la transparence de l’information dont le Cabinet tient compte dans ses décisions et impose la transparence quant aux motifs des décisions prises.
Les Canadiens nous ont demandé plus de clarté sur la manière dont des facteurs, tels que les changements climatiques et l’analyse comparative entre les sexes plus, l’ACS +, seront pris en compte lors des évaluations d’impact. Nous avons écouté et nous sommes en train de mener des consultations sur une évaluation stratégique des changements climatiques, qui fournira des indications claires et transparentes sur la manière dont les changements climatiques seront pris en compte dans le cadre des évaluations de projets individuels. De même, l’Agence élabore des documents d’orientation pour le public, notamment un document sur l’ACS +, publié hier, et d’autres qui suivront au cours des prochaines semaines. Ces documents permettront aux praticiens de l’évaluation des avoir comment procéder.
Certains témoins ont dit craindre que les considérations économiques ne soient pas prises en compte dans les analyses d’impact. Cependant, comme cela a été précisé précédemment, le passage aux évaluations d’impact implique qu’il faut mettre l’accent sur la durabilité. Sa définition même comprend les effets économiques. La loi sur l’évaluation d’impact mentionne directement et indirectement l’économie 179 fois. La prise en compte des avantages économiques d’un projet, comme sa capacité à répondre à la demande croissante en énergie à mesure que notre économie se développe, sera un facteur important dans les décisions relatives aux projets. Il convient de noter que cela représente un changement par rapport au régime actuel qui ne prend en compte que les impacts environnementaux négatifs. La législation actuelle ne fait aucune référence aux considérations économiques.
Je sais que vous avez entendu des préoccupations au sujet des pouvoirs discrétionnaires que détiendraient la ou le ministre de l’Environnementet du Changement climatique et le Cabinet en vertu de la loi sur l’analyse d’impact proposée. Nous avons tenu des consultations approfondies auprès des Canadiens et la majorité d’entre eux a estimé que les décisions finales doivent rester du ressort des ministres élus et responsables. Le niveau de discrétion proposé dans le projet de loi C-69 est conforme au régime fédéral actuel d’évaluation environnementale et aux régimes provinciaux.
[Français]
De plus, je soutiens que le projet de loi C-69 apportera beaucoup plus de responsabilité et de transparence au processus. Cela permettra une ligne de visée directe beaucoup plus claire, du début de l’évaluation à la décision finale. Les décisions seront fondées sur des critères clairs et fourniront un rapport d’évaluation d’impact accessible au public. Lorsqu’une décision sera prise sur un projet, les raisons seront affichées publiquement, à la vue de tous.
[Traduction]
Notre gouvernement juge important que les Canadiens puissent participer aux examens de grands projets. Je sais que vous avez entendu des préoccupations selon lesquelles l’élimination du « test permanent » dans le système actuel entraînerait des retards et la « noyade » des voix. Je sais que plusieurs témoins ont également montré à quel point la participation ouverte et inclusive aux processus est essentielle pour obtenir un large soutien aux projets et réduire les risques de litiges. Le projet de loi C-69 offre une plus grande opportunité au public, y compris de la part des personnes les plus touchées.
Le régime actuel sous l’ACEE 2012 n’inclut pas de « test permanent » et la participation a été très bien gérée par les responsables de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale qui ont fait preuve de diligence. La nouvelle agence continuera à utiliser cette expertise en organisant des consultations publiques sur des projets majeurs au moyen de divers mécanismes, que ce soit en personne, en ligne ou par écrit.
J’aimerais prendre un moment pour parler de l’approche du projet de loi C-69 en matière de participation autochtone. Avec le projet de loi C-69, nous allons au-delà de « l’obligation de consulter » pour prendre des engagements fondés sur les droits. Comme le propose cette nouvelle législation, nous travaillerons en partenariat avec les autochtones pour assurer leur participation à l’étude des impacts du projet dès le début. En reconnaissant les droits et les connaissances des peuples autochtones dans les évaluations de projets, nous pouvons faire progresser la réconciliation et prendre de meilleures décisions pour les projets.
[Français]
Il est impératif de noter ici que la consultation et la participation des peuples autochtones sont distinctes, et également distinctes de la participation plus large du public aux analyses d’impact. Les voix autochtones ne seront pas noyées dans ce processus. Le projet de loi C-69 garantit le respect des droits des peuples autochtones, y compris la prise en compte obligatoire des répercussions sur leurs droits.
[Traduction]
Enfin, les types de projets qui feront l’objet du processus d’analyse d’impact ont suscité beaucoup d’intérêt. Nous venons de publier un deuxième document de consultation sur le règlement relatif à la liste de projets, ainsi qu’un autre sur le règlement relatif aux exigences en matière d’information et à la gestion du temps. Une séance d’information technique a été offerte aux sénateurs et j’espère que vous avez pu y participer.
Nous avons clairement indiqué que la loi sur l’analyse d’impact se concentrera sur les projets qui présentent des risques importants pour l’environnement dans les domaines de compétence fédérale. Je crois que l’approche clairement exprimée dans le document publié hier répond justement à cela.
Ces propositions de réglementation sont le résultat de mois de consultations rigoureuses avec l’industrie, les communautés autochtones, les provinces et les territoires, ainsi que le public sur les types d’activités qui devraient être soumises aux évaluations d’impact fédérales.
[Français]
Merci au comité pour le temps et l’attention consacrés à l’étude du projet de loi C-69. J’attends vos suggestions judicieuses sur la manière dont le projet de loi pourrait être renforcé et amélioré, tout en respectant ses objectifs sous-jacents.
Je vous remercie.
[Traduction]
L’hon. Amarjeet Sohi, c.p., député, ministre des Ressources naturelles : Madame la présidente, moi aussi, je veux souligner que nous sommes réunis sur un territoire algonquin et anishinabe. Cette reconnaissance n’est pas seulement importante d’un point de vue cérémoniel, parce que, pour moi, elle constitue un engagement envers la réconciliation. J’ai eu l’occasion de m’établir dans ce pays et d’y bâtir ma vie, et j’estime personnellement qu’il est de notre responsabilité — où que nous soyons — de prendre acte du partenariat solide que nous avons noué avec les communautés autochtones dans l’avancement du travail du gouvernement.
Honorables sénateurs, je suis heureux d’être ici avec mes collègues pour parler du projet de loi C-69, qui pourrait être l’une des mesures législatives les plus importantes sur lesquelles nous travaillons ensemble. Le projet de loi C-69 nous permet de nous assurer que nous obtenons des projets d’exploitation des ressources judicieux, et ce, de manière opportune, responsable et transparente. Il introduit de meilleures règles qui protègent la confiance des investisseurs et qui favorisent la confiance du public. Il met de l’avant la réconciliation autochtone et améliore la protection environnementale.
Notre gouvernement partage votre détermination pour réussir et nous restons ouverts aux modifications constructives qui renforceront le projet de loi.
Par contre, les conséquences si nous ne corrigeons pas le système actuel sont simplement trop grandes. Je dis cela en tant que fier Albertain. En tant que personne ayant des amis, une famille et des voisins qui vivent de l’industrie pétrolière et gazière. Et je dis cela en tant que ministre qui surveille actuellement la reconsidération de notre gouvernement sur le projet d’agrandissement proposé du réseau pipelinier de Trans Mountain. Le projet de loi C-69 traite de nombreux problèmes soulignés dans la décision de la Cour d’appel fédérale sur le projet. Mais surtout, il requiert une mobilisation plus précoce et régulière, y compris avec les peuples autochtones.
Le projet TMX a tout d’abord été déposé devant l’Office national de l’énergie en 2013. Nous sommes maintenant en 2019 et le processus d’examen est encore en cours. Soyons clairs : nous restons fermes dans notre engagement pour suivre le processus de manière adéquate selon l’orientation de la cour, mais n’aurions jamais dû en arriver là. Nous assistons à la remise en question d’un système à cause duquel de grands projets de ressources ont été exposés aux défis juridiques parce qu’on ne s’est pas assuré que les voix autochtones soient entendues et que les préoccupations environnementales soient prises au sérieux. C’est un appel à l’action pour toutes les personnes qui veulent que nos secteurs des ressources naturelles, en particulier notre secteur de l’énergie, soient compétitifs et créent de bons emplois pour la classe moyenne. Et c’est un appel auquel le gouvernement répond présent.
Derrière chaque projet se trouve une équipe d’ouvriers, d’ingénieurs, de gens de métier et d’architectes avec un emploi bien rémunéré. Et derrière tous ces travailleurs sont les familles et les collectivités qui bénéficient aussi des 1,8 million d’emplois créés — directement ou indirectement — par le secteur des ressources.
Le Canada a une nouvelle vague de projets qui arrive. En fait, notre dernier inventaire indique qu’il y a plus de 400 projets de ressources qui ont déjà commencé ou qui devraient être lancés au cours de la prochaine décennie. Ils ont une valeur combinée qui s’approche de 585 milliards de dollars. Le moment est venu. Si nous voulons continuer à profiter de ces occasions — afin de créer un Canada qui fonctionne pour tous —, nous devons développer nos ressources de la bonne façon. Nous devons nous assurer que les projets de ressource judicieux qui feront croître notre économie puissent être créés. Il faut des projets importants comme les pipelines, les barrages hydroélectriques et l’énergie éolienne en mer, synonymes d’emplois pour les travailleurs canadiens.
C’est l’objectif du projet de loi C-69 et la raison pour laquelle on a créé un nouvel organisme canadien de réglementation de l’énergie pour remplacer l’Office national de l’énergie, l’ONE. Les Canadiens méritent un organisme de réglementation fédéral qui reflète les besoins énergétiques changeants du Canada et du monde. C’est important et, franchement, cela aurait dû être fait il y a longtemps. La structure, le rôle et le mandat de l’ONE ont à peine changé depuis sa création en 1959. Nous avons besoin d’un organisme de réglementation moderne pour combiner les objectifs du Canada en matière d’énergie, d’économie, d’environnement et de climat, tout en renouvelant la relation du Canada avec les peuples autochtones.
La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie fait tout cela de cinq façons clés.
Premièrement, cette loi propose un modèle de gouvernance et de gestion moderne. Nous voulons séparer les fonctions de prise de décisions de la régie sur les projets importants de ses opérations quotidiennes afin qu’elle ait l’indépendance nécessaire et la reddition de comptes adéquate. Aussi, la nouvelle régie que nous proposons comprend une plus grande diversité et une plus grande expertise régionale, y compris dans des domaines comme le savoir autochtone, la planification et l’ingénierie municipale. Au Canada, en 2019, cette diversité et cette expertise sont essentielles pour des examens de projet réussis. Nous proposons aussi qu’il y ait au moins un membre du conseil d’administration et qu’un commissaire à temps plein soit membre d’une Première Nation, métis ou inuit.
Deuxièmement, nous voulons améliorer la certitude des investisseurs en réduisant la paperasse, le dédoublement et les retards inutiles dans le processus de prise de décisions. Nous y arriverons en nous assurant que plus de décisions relèvent des commissaires de la régie ou du ministre des Ressources naturelles. Pour rendre le processus plus efficace, nous proposons de donner à la régie plus de pouvoirs afin de prendre les décisions finales sur des problèmes comme la suspension de certificats et de licences. Le projet de loi propose également de confier au ministre des Ressources le pouvoir de rendre des décisions finales en matière de licences d’exportation, ce qui incombait auparavant au Cabinet. Nous voulons aussi fournir aux entreprises une compréhension plus claire des facteurs qui seraient pris en compte dans tout examen de l’incidence d’un projet.
Troisièmement, la nouvelle Régie canadienne de l’énergie augmenterait la confiance du public pour le processus d’examen en le rendant plus inclusif, transparent et utile. C’est pourquoi la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie propose : d’abolir le critère du test de représentativité de l’ONE, lequel a seulement été ajouté à la législation en 2012 et a porté atteinte à la confiance du public en polarisant les Canadiens sur les grands projets; de clarifier les facteurs dont elle doit tenir compte pour déterminer l’intérêt du public; et d’améliorer ses programmes de participation du public en nous assurant que les examens intègrent les points de vue des Canadiens, cela pour parvenir à de meilleures décisions. Tandis que ce comité a choisi de parcourir le pays pour entendre les Canadiens, nous croyons que la nouvelle régie doit respecter le droit des Canadiens d’être entendus.
Quatrièmement, la nouvelle Régie canadienne de l’énergie appuierait la participation autochtone. Elle assurerait un engagement plus significatif tout au long du processus d’examen en reconnaissant les droits des Autochtones dès le départ, en améliorant l’examen et la protection des connaissances autochtones, et en établissant un comité consultatif autochtone.
Enfin, cinquièmement, nous voulons nous assurer que la nouvelle régie fédérale sur l’énergie a les outils dont elle a besoin pour protéger le public et l’environnement. Par l’entremise de toutes ces mesures, nous pouvons mieux appuyer le secteur de l’énergie du Canada, un secteur qui soit compétitif à l’échelle mondiale, qui attire des investissements et qui veille à ce que nous puissions protéger l’environnement pour les générations futures.
Madame la présidente, je cède maintenant la parole à mon collègue, le ministre Garneau.
[Français]
L’honorable Marc Garneau, C.P, député, ministre des Transports : Merci, madame la présidente. J’aimerais reconnaître moi aussi que nous sommes sur les terres traditionnelles des Algonquins et des Anishinaabe.
Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui de la nouvelle Loi sur les eaux navigables canadiennes, qui sera constituée conformément au projet de loi C-69. Avec cette loi, notre gouvernement respecte sa promesse de restaurer les protections et de mettre en place des mesures de protection modernes. Cette promesse protégera le droit public à la navigation sur toutes les eaux navigables au Canada.
Les eaux navigables ont défini notre pays. Les peuples autochtones du Canada utilisent depuis très longtemps ces eaux pour se déplacer, chasser et pêcher ainsi que pour se rendre à des cérémonies, à des rencontres et à des échanges avec d’autres groupes autochtones.
Aujourd’hui, nous n’avons qu’à regarder le nombre de collectivités qui vivent à proximité des endroits où nos rivières coulent et se rejoignent, là où elles rétrécissent et où elles rencontrent nos océans pour nous rendre compte que nos eaux navigables ont façonné le Canada. Par exemple, tout juste derrière les fenêtres du Parlement, ici à Ottawa, nous avons la confluence de la rivière des Outaouais, de la rivière Rideau et de la rivière Gatineau.
Ces cours d’eau particuliers ont été importants dans l’histoire de la région de la capitale nationale pour la communauté forestière et, si l’on remonte beaucoup plus loin dans le temps, lorsque les déplacements par les rivières facilitaient le commerce entre les Premières Nations.
Ce n’est qu’un des nombreux exemples de ce que l’on voit partout au Canada. De nos grandes villes cosmopolites à nos innombrables villages et hameaux, une grande partie de notre histoire et de notre culture a été écrite à l’encre de nos eaux navigables. La nouvelle Loi sur les eaux navigables canadiennes vise à reconnaître et à protéger l’utilisation de ces voies navigables.
[Traduction]
Grâce à la Loi sur les eaux navigables canadiennes, nous rétablissons des protections qui n’existaient plus afin que les peuples autochtones et les plaisanciers puissent continuer d’emprunter le vaste réseau de cours d’eau, de lacs et de canaux du Canada pendant de nombreuses années encore. La mesure législative envisagée rétablirait et protégerait mieux le droit de circuler sur toutes les eaux navigables du Canada. Elle appuierait un nouveau système environnemental et réglementaire de calibre mondial dans le cadre duquel des projets importants pourraient être réalisés de façon durable, suivant un cadre permettant des décisions prévisibles et opportunes.
La nouvelle Loi sur les eaux navigables canadiennes est le résultat de vastes consultations, des consultations qui se retrouvent au cœur même de la nouvelle loi. Notre gouvernement a lancé un examen de la Loi sur la protection de la navigation en juin 2016. Il y a eu des consultations publiques pendant plus d’un an. Nous avons entendu des plaisanciers. Nous avons entendu d’autres ordres de gouvernement. Nous avons entendu les communautés autochtones. Nous avons entendu des représentants des industries. Nous avons entendu des organisations environnementales. L’étude menée par le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes a également été extrêmement utile.
La nouvelle loi favoriserait la réconciliation avec les peuples autochtones, protégerait leurs droits et leur donnerait l’occasion de s’associer au gouvernement pour gérer les voies navigables qui sont importantes pour eux.
[Français]
Elle donnera aux collectivités et aux plaisanciers davantage d’occasions d’avoir leur mot à dire en ce qui concerne les projets portant sur l’infrastructure et les ressources qui pourraient avoir une incidence sur leur droit à la navigation. En plus de protéger le droit public à la navigation sur toutes les eaux navigables du Canada, la nouvelle Loi sur les eaux navigables canadiennes prévoit une annexe au sujet des eaux. Cette annexe est un outil utile pour recenser les voies navigables qui sont les plus importantes pour les Canadiens et les peuples autochtones et les plus vulnérables au développement.
Grâce à cette nouvelle loi, quiconque pourra demander plus facilement des ajouts à l’annexe, et le gouvernement pourra également en apporter plus rapidement. Elle fera aussi en sorte que le gouvernement se penchera sur un plus grand nombre de facteurs au moment de décider si une eau navigable doit être inscrite à l’annexe.
Avec la nouvelle loi, le public sera mieux informé du nouveau processus d’ajout des eaux navigables à l’annexe, ainsi que des critères utilisés pour la prise de décisions. Cette loi comprend également une définition exhaustive des eaux navigables, qui étend la surveillance aux voies navigables qui ne sont pas actuellement considérées comme navigables.
La nouvelle définition englobe mieux les voies navigables utilisées pour la navigation de plaisance ou comme moyen de déplacement pour les peuples autochtones dans l’exercice de leurs droits. Les nouvelles protections prévues dans la loi exigeront également la prise en compte de l’impact cumulatif sur la navigation des multiples projets sur une voie navigable.
[Traduction]
Il y aurait également un nouveau processus de notification et de résolution, qui rendrait disponible l’information sur les travaux réalisés sur des eaux navigables non répertoriées, cela afin que les préoccupations relatives à la navigation puissent être prises en compte avant le début de toute construction.
La nouvelle Loi sur les eaux navigables canadiennes jouerait également un rôle important dans le nouveau système d’évaluation d’impact proposé dans le projet de loi C-69. En vertu de la nouvelle loi, l’Agence canadienne d’évaluation d’impact dirigerait tous les examens fédéraux sur les grands projets et, pour ces grands projets, le régime d’octroi des permis relatifs aux eaux navigables serait modulé en fonction des résultats du processus d’évaluation d’impact.
Je suis convaincu qu’en vertu du nouveau système prévu dans le projet de loi C-69, les projets seraient réalisés de manière à protéger l’environnement tout en créant des emplois et en stimulant l’économie. Les gens de mon ministère ont rencontré et vont continuer de rencontrer les intervenants pour répondre à leurs préoccupations et fournir des éclaircissements sur la partie 3 du projet de loi, et nous demeurons ouverts aux amendements que le comité pourrait proposer en raison des préoccupations exprimées.
Notre intention, dans ce projet de loi, est de rétablir les protections perdues qui sont importantes pour les Canadiens et, surtout, d’améliorer la transparence de l’ensemble du processus. Il ne s’agit pas d’imposer des tracasseries administratives inutiles qui entraveront les projets et la croissance économique.
Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci, madame la présidente.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup pour ces témoignages. Nous allons procéder à la période des questions.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup aux trois ministres d’avoir fait preuve de souplesse et d’avoir modifié leur horaire à la dernière minute.
Je vais commencer par la ministre McKenna. Je suis d’accord avec vous, madame, pour dire que le système actuel a laissé planer l’incertitude sur des projets pendant de longues périodes . Certains attribueraient cela au projet de loi C-69, qui est assez récent, mais nous savons, comme l’a dit le ministre Sohi, que le projet TMX a été soumis à l’Office national de l’énergie en 2013 et qu’il y a traîné pendant un certain temps.
Ma question porte en fait sur l’Accord atlantique, qui est très important pour les gens du Canada atlantique et particulièrement pour ceux ma province, la Nouvelle-Écosse, de même que pour les gens de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons découvert l’importance de l’Accord atlantique lors de l’annonce de sons altération dans le budget de 2007, les Canadiens de l’Atlantique — les gens de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve-et-Labrador — s’étant fait dire qu’ils ne pourraient pas conserver la totalité des recettes provenant de l’exploitation extracôtière s’ils s’en tenaient à l’ancienne formule de péréquation moins générale.
Madame la ministre, vous comprendrez mon inquiétude en entendant le ministre Siobhan Coady, de Terre-Neuve, et M. Locke parler de la nécessité de respecter l’Accord atlantique. C’est un signal d’alarme pour tous les Néo-Écossais à la lumière de ce qui s’est passé en 2007, puisqu’on nous avait promis quelque chose, mais que le budget n’a pas tenu cette promesse. Pourriez-vous répondre aux préoccupations soulevées par le ministre Coady et M. Locke que nous devons respecter? Ils n’ont pas soulevé de préoccupations particulières au sujet du projet de loi, mais ils ont fait remarquer qu’il fallait respecter l’Accord atlantique. Pouvez-vous dissiper certaines de mes préoccupations et celles des habitants de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador?
Mme McKenna : Merci beaucoup, sénatrice. Je m’en voudrais de ne pas vous présenter deux personnes très importantes qui ont travaillé très fort dans ce dossier — mon sous-ministre, Stephen Lucas, et le président de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, Ron Hallman.
Il est extrêmement important que nous respections les compétences provinciales de même que l’Accord atlantique, en ce qui concerne la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes bien sûr déterminés à assurer une gestion conjointe des ressources extracôtières et à respecter les principes de l’Accord atlantique. J’ai travaillé en étroite collaboration avec mes collègues de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi qu’avec les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse.
L’une des préoccupations concernait les projets pétroliers et gaziers extracôtiers désignés. Ces projets seront évalués par une commission d’examen composée de deux des cinq membres de l’Office des hydrocarbures extracôtiers. Ce modèle donne la garantie que nous continuerons de nous fier aux connaissances et aux compétences des offices.
Il est très important de noter qu’en vertu de la loi actuelle... il y a eu une certaine confusion. Comme les dispositions du projet de loi C-69 ne sont pas encore en vigueur, nul ne peut empêcher le lancement de quelque projet que ce soit parce que nous sommes encore régis par le système conçu sous le gouvernement conservateur précédent. En vertu du système actuel, qui remonte donc à l’époque des conservateurs, les offices des hydrocarbures extracôtiers n’ont aucun rôle officiel ou juridique dans les évaluations environnementales. Il n’existe donc pas de rôle officiel ou de rôle juridique en vertu de la LCEE de 2012.
À la façon dont nous avons conçu le nouveau système en vertu du projet de loi C-69, le fait de devoir continuer de se fier aux connaissances et aux compétences des offices serait garanti, de même que la reconnaissance des offices eux-mêmes. Nous sommes déterminés à assurer une gestion conjointe et nous faisons pleinement confiance aux offices extracôtiers. Comme je l’ai dit, ce projet de loi accorde aux offices extracôtiers un plus grand rôle dans l’examen des projets.
Nous sommes évidemment d’accord avec vous pour dire que les provinces de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador sont des partenaires à part entière dans la gestion conjointe des ressources extracôtières du Canada. Cela revient à dire, plus généralement, que nous croyons en la nécessité de travailler avec les provinces et dans l’importance d’inscrire de mener à bien de bons projets durables. C’est pourquoi nous nous concentrons carrément sur les projets ayant une incidence environnementale positive dans les domaines de compétence fédérale.
La présidente : Merci. On vient de m’informer que les trois ministres doivent partir à 10 h 15 parce qu’il y a un vote, mais la ministre McKenna va revenir. Il serait peut-être préférable de poser vos prochaines questions aux ministres Garneau et Sohi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur le partage des compétences constitutionnelles. On a entendu de la part du gouvernement du Québec que ce projet de loi entrait dans les champs de compétence des provinces prévus dans la Constitution. On l’a entendu clairement plus tôt de la part du premier ministre de l’Alberta, M. Kenney. J’ai tendance à être d’accord avec eux, surtout quand je vois des projets de nature locale qui sont identifiés dans la liste des projets désignés. On a l’impression que le gouvernement fédéral utilise, par la porte de derrière, des règlements ou sa loi sur les oiseaux migrateurs, par exemple, ou sur la pêche, pour entrer dans le champ de compétence des provinces, comme dans le cas de dossiers sur les mines, les carrières et les sablières.
Je vous donne un exemple. Dans le document que nous avons reçu hier — la liste des projets désignés —, on dit que, lorsqu’il y a une augmentation de la production, dans le cas des terres rares, de 2 500 tonnes par jour ou plus, ce sera un projet désigné. Dans le cas d’une carrière de gravier ou de sable, une production qui pourrait atteindre 3,5 millions de tonnes d’agrandissement serait un projet désigné pour une étude environnementale.
À Saint-Eustache, j’ai probablement la deuxième plus grosse carrière au Québec, et j’ai de la difficulté à voir quel est le lien avec la pêche et les oiseaux migrateurs.
Pouvez-vous expliquer le fondement constitutionnel de votre approche et nous assurer que vous n’utilisez pas la Loi sur la protection des espèces menacées ou la loi concernant les oiseaux migrateurs pour entrer dans un champ de compétence des provinces?
Mme McKenna : Merci, sénateur. Je veux être vraiment claire. Qu’est-ce qu’on fait ici? On examine la possibilité qu’il y ait des effets préjudiciables dans les champs de compétence fédérale. Je veux être très claire à ce sujet. Vous avez parlé des oiseaux migrateurs, et il est clair que c’est une compétence fédérale. L’environnement est une compétence conjointe entre le gouvernement fédéral et les provinces. Comme je l’ai dit, on n’examinera pas seulement les projets majeurs qui peuvent causer des effets préjudiciables dans les champs de compétence fédérale.
Il est important d’insister sur le fait que c’est l’état du droit maintenant au Canada. Les décisions de la Cour suprême ont reconnu que l’environnement est un champ de compétence conjoint entre les provinces et le gouvernement fédéral, comme dans les affaires Crown Zellerbach, Churchill Falls c. Hydro-Québec, Interprovincial Co-operatives, Northwest Falling et Westcoast Energy . J’ai été très claire avec le premier ministre du Québec lorsque j’ai eu la chance de m’entretenir avec lui. Je l’ai rassuré en lui confirmant que nous examinons les impacts dans les champs de compétence fédérale. Je pense que c’est vraiment important.
Je vais demander à mon sous-ministre. Il pourra vous éclairer quant à votre préoccupation spécifique.
Le sénateur Carignan : Je ne veux pas vous interrompre. Déjà, dans votre liste de projets désignés, vous identifiez les carrières et les sablières, sans nécessairement faire le lien avec les oiseaux migrateurs. Vous les insérez automatiquement dans la liste. Si au moins c’était optionnel, et que vous disiez : « Si je vois qu’une outarde ira s’installer dans la carrière, je vais examiner ce cas », mais vous n’attendez même pas cette étape-là. Vous les incluez déjà spécifiquement dans les projets désignés. C’est ce que je ne comprends pas.
Mme McKenna : Merci beaucoup de votre question. Je pense qu’il est important de comprendre ceci. Nous avons tenu des consultations avec l’industrie, et maintenant, à cause du système qui a été mis sur pied par l’ancien gouvernement conservateur, les projets dont vous parlez sont déjà sur la liste. Ce que nous faisons n’est donc rien de nouveau. Comme je l’ai dit, nous examinons les projets qui ont des impacts du point de vue des compétences fédérales, et l’ancien gouvernement conservateur a déjà reconnu cela.
Le sénateur Carignan : Cela ne justifie pas une intrusion dans les champs de compétence des provinces.
La présidente : Je suis désolée, mais nous devons continuer.
[Traduction]
La sénatrice Simons : J’ai des questions découlant du témoignage du premier ministre Kenney que vous avez sûrement entendu plus tôt aujourd’hui. Ces questions s’adressent aux ministres Sohi et McKenna.
L’ébauche de document de travail sur la liste des projets a été publiée hier. On y a ajouté les installations in situ, qui n’ont jamais figuré sur la liste des projets auparavant, y compris l’agrandissement des installations in situ. On y trouve également — sous l’appellation de « modifications techniques », mais je ne suis pas tout à fait certaine de la différence — les grandes centrales au gaz, y compris l’expansion de la production d’électricité au gaz.
Je pense que le premier ministre a formulé des remarques très valables quant à savoir ce qui relève ou pas de la compétence fédérale. Je suis curieuse de savoir sur quelle base vous estimez — et j’aimerais entendre chacun de vous — que l’exploitation in situ et l’expansion d’une exploitation in situ existante relèvent de la compétence fédérale. Même chose pour la construction de grandes centrales au gaz naturel.
Mme McKenna : Merci, sénatrice. Votre question est importante. Je tiens à être précise, et il est extrêmement important que les sénateurs comprennent que les gaz à effet de serre sont incontestablement un domaine de compétence et de responsabilité partagées entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
Pour ce qui est de l’exploitation in situ, tout d’abord, il faut commencer par s’entendre sur ce dont il est question. Il s’agit de plafonner les émissions, la pollution et non la production. Il est aussi extrêmement important de comprendre cela.
La démarche que nous proposons pour les projets d’exploitation in situ des sables bitumineux respecte notre engagement voulant que toutes les installations proposées en Alberta, assujetties à la Oil Sands Emissions Limit Act de cette province — loi adoptée conformément à l’engagement pris par l’Alberta en vertu du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques — soient admissibles à l’exemption proposée qui ne nécessiterait pas d’examen fédéral complet. Si nous remontons à l’époque où cela a été annoncé en Alberta, ce sont l’industrie, les peuples autochtones et les environnementalistes qui ont appuyé le plafonnement de 100 mégatonnes des émissions provenant des sables bitumineux, ce qui est conforme au plan climatique national du Canada.
Permettez-moi d’expliquer le raisonnement. J’ai parlé avec les représentants de grandes entreprises du secteur de l’énergie qui se sont déclarés favorables au plafonnement des émissions parce qu’ils y voient un message envoyé aux investisseurs internationaux pour leur dire que le secteur est sérieux dans sa volonté de réduire l’intensité des émissions provenant de ses activités. C’est très important. Nous voulons acheminer nos ressources vers les marchés, nous voulons le faire de façon durable. De nos jours, à l’étape de l’analyse, les futurs investisseurs cherchent à savoir si les pays qui les intéressent veulent vraiment s’attaquer aux changements climatiques. C’est un signal très important pour les marchés. Je veux que nous écoulions nos ressources sur les marchés.
Je crois que nous faisons ce qu’il faut pour passer à une économie plus propre, et je pense que cela en témoigne. Le secteur reconnaît que nous sommes tous dans le même bateau. En faisant preuve d’un solide leadership à cet égard, le secteur contribuera à faire en sorte que les produits d’exploitation des ressources soient acheminés jusqu’aux marchés. Il s’améliorera, créera plus d’emplois et sera la preuve du leadership du Canada. Je serai au G7 plus tard cette semaine, où je serai très heureuse de faire valoir mon point de vue auprès des médias internationaux.
M. Sohi : Oui. Nous nous devons d’insister sur ce que la ministre McKenna a dit plus tôt, à savoir que l’accord que le gouvernement provincial précédent a mis en place en vue de plafonner les émissions provenant des sables bitumineux fait partie intégrante du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Il est également très important pour nous de continuer à souligner qu’il ne s’agit pas de limiter le développement. Il ne s’agit pas de plafonner la production. Il s’agit seulement de plafonner les émissions. À mesure que nous investirons davantage dans les nouvelles technologies et réduirons l’intensité, par habitant, des émissions provenant des sables bitumineux, le secteur continuera de croître. Il y a beaucoup de place pour la croissance du secteur. Il est très important de faire cette distinction. D’aucuns veulent faire des amalgames en disant que le plafond sonnera le glas de la production dans le secteur de l’énergie. Ce n’est pas le cas. Il y a beaucoup de place pour la croissance.
La présidente : Madame la ministre McKenna, monsieur le ministre Sohi, la partie 5 de la Loi sur la régie canadienne de l’énergie établit le cadre de réglementation des projets d’exploitation d’énergie renouvelable extracôtière et des lignes de transport d’électricité extracôtières. Pouvez-vous m’expliquer comment cela va faire naître une nouvelle industrie? Vous attendez-vous à susciter ou à attirer de nouveaux investissements?
M. Sohi : Je demanderai à ma sous-ministre d’en dire davantage sur les aspects techniques de cette question, mais, comme la ministre McKenna l’a mentionné plus tôt, les offices des hydrocarbures extracôtiers ont en fait, sous le régime de la loi actuelle, très peu d’influence sur la façon dont les projets sont évalués et examinés. Nous accroissons le pouvoir des offices des hydrocarbures extracôtiers en faisant participer deux de leurs membres au processus d’examen. De plus, en ce qui concerne les évaluations régionales, il s’agit de faire en sorte que chaque projet — je parle de petits projets — qui est proposé ne soit pas soumis à une évaluation individuelle lorsqu’il y a déjà eu une évaluation régionale. Je vais demander à la sous-ministre de vous donner des explications plus détaillées.
[Français]
Christyne Tremblay, sous-ministre, Ressources naturelles Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. En fait, je crois que votre question touchait les projets de ressources renouvelables en milieu extracôtier. Donc, le projet de loi vient combler un vide réglementaire. Actuellement, il n’y a pas de cadre qui réglemente ces projets. Donc, le projet de loi C-69 vient donner cette autorité au nouveau régulateur en matière d’énergie, mais cela n’empêchera pas de déléguer cette autorité à l’avenir aux offices extracôtiers, qui pourraient prendre en charge cette partie réglementaire s’ils le souhaitent, en vertu des accords qui ont été conclus dans les secteurs du pétrole et du gaz.
La présidente : Merci.
[Traduction]
La sénatrice LaBoucane-Benson : Tout le monde ici présent souhaite accroître la certitude et réduire l’éventualité de litiges au cours du processus. L’une des meilleures façons d’y parvenir est de s’assurer que le gouvernement fédéral s’acquitte entièrement de son obligation de consulter les Premières Nations, car c’est là la principale source des litiges.
Un témoin de la Fédération canadienne des municipalités nous a proposé une modification très convaincante, qu’elle appelle un filet de sécurité. Elle est d’avis que ce projet de loi offre une belle occasion d’instaurer la planification préalable, qui est, je crois, la codification d’une approche qui a déjà cours parmi les adeptes des pratiques exemplaires. Dans cette planification préalable, le plan de consultation est mis en place, et tout ce que le promoteur doit accomplir est établi et convenu à l’avance. L’idée qui sous-tend cette approche, c’est de s’assurer que, si le promoteur accomplit par le menu à ce qu’il est censé faire et veille à ne rien négliger, mais que le gouvernement fédéral ne remplit pas pleinement son devoir de consultation et qu’il en résulte des litiges, le gouvernement fédéral aura alors à rembourser les frais engagés par les Premières Nations dans ce processus ainsi que ceux du promoteur. Ainsi, le promoteur bénéficierait d’un niveau de certitude plus élevé parce que, ayant accompli tout ce qu’il était censé faire et les Premières Nations ayant participé de bonne foi au processus, il leur serait avantageux d’avoir l’assurance que tout leur travail ne sera pas rendu vain du fait d’une négligence du gouvernement fédéral.
Monsieur le ministre Sohi, madame la ministre McKenna, pourriez-vous commenter cette idée?
M. Sohi : Les problèmes qui m’occupent actuellement en rapport avec le projet TMX sont justement ceux que vous soulevez, madame la sénatrice. On aurait pu facilement les éviter. Les litiges auraient pu être évités. Le projet d’extension du réseau de Trans Mountain a donné lieu à 17 contestations judiciaires. Elles résultent principalement d’un engagement hâtif qui a mené à vouloir rogner sur les coûts de la consultation auprès des communautés autochtones ou à tenter de faire avancer le projet le plus rapidement possible sans avoir en place un processus approprié ou sans égard à un tel processus. Pour moi, en tant qu’Albertain et que ministre fédéral, l’engagement hâtif est d’une importance tout à fait fondamentale pour la mise en chantier de bons projets. Quant à l’autre question, celle portant sur le filet de sécurité, l’indemnisation et tout le reste, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Mais je pense que le projet de loi C-69 et l’engagement hâtif donnent plus de certitude aux gens. Lorsque la portée d’un projet peut être définie très tôt, les investisseurs connaissent les risques existants et ceux qu’ils auront à éviter. Cela leur procure le degré de certitude nécessaire pour entreprendre des projets.
Mme McKenna : J’ajouterai à ce que mon collègue vient de dire que nous sommes heureux d’examiner les changements qui nous sont proposés. Nous avons été très clairs à ce sujet.
Je suis d’accord avec vous en ce sens que, lorsque je parle aux peuples et aux communautés autochtones, je constate qu’ils veulent participer au processus. L’idée qu’ils sont tous contre l’exploitation des ressources naturelles est tout simplement fausse. Ils veulent participer au processus. Ils veulent que leurs droits soient respectés, que le savoir autochtone soit pris en compte. Ils veulent participer dès le début, et je pense que c’est vraiment l’occasion pour nous de bien faire les choses.
Je suis très fière de leur appui, de la résolution adoptée par l’Assemblée des Premières Nations à l’appui du projet de loi C-69 et du fait qu’elle estime qu’il s’agit d’une bien meilleure approche, non de nous contenter du strict minimum auquel nous sommes tenus, mais aussi de trouver une façon d’aller de l’avant. Comme mon collègue le ministre Sohi vient de le dire, il y a malheureusement, sous le régime de la loi actuelle, une polarisation. Nous nous retrouvons devant les tribunaux, et les projets intéressants ne peuvent pas aller de l’avant.
Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous. C’est très agréable de vous voir ici. J’ai deux questions pour commencer. L’une est quelque peu générale, mais elle concerne un faux-fuyant dont j’aimerais vraiment régler le sort. Nous l’entendons sans cesse. Nous l’avons entendu ce matin même de la bouche du premier ministre provincial.
Il semble que, d’une façon ou d’une autre — ça me frappe toujours —, l’industrie de l’énergie, l’une des industries les plus riches et les plus puissantes du monde occidental et, j’ajouterai, dans l’histoire du monde, est en quelque sorte supplantée dans ses communications par les groupes environnementaux, qui ne bénéficient aucunement d’un large financement. Le seul exemple que le premier ministre a pu invoquer ou qu’il a invoqué pour défendre sa position à ce sujet ce matin remonte à 2008, il y a 11 ans, et je sais que le montant en question était de 1,4 million de dollars.
Ne serait-il donc pas possible que le message ou l’élan des groupes environnementaux soit alimenté par la force de leurs arguments, qui a une résonance chez les gens et qui, en fait, pose la question de la confiance du public qui sous-tend ce projet de loi? Ne serait-il pas possible qu’il n’y ait aux États-Unis que des intérêts concurrentiels qui cherchent à empêcher la commercialisation du pétrole canadien par les États-Unis et ailleurs? C’est, je veux bien, une question hypothétique, mais je pense qu’il faut l’aborder, ne serait-ce que parce qu’elle semble, dans une certaine mesure, imprégner le débat.
Mme McKenna : Eh bien, c’est une bonne question. Je vais peut-être devoir parler du processus, sujet sans doute un peu ennuyant, mais je pense que c’est vraiment important.
Nous avons commencé en janvier 2016. Nous avons annoncé des principes provisoires. Pourquoi avons-nous procédé ainsi? Malheureusement, le système que nous avons actuellement et qui a été mis en place par le gouvernement précédent n’inspirait pas confiance au public. Il était plus difficile, plutôt que plus facile, d’aller de l’avant avec de bons projets, et c’est pourquoi nous nous retrouvions devant les tribunaux. Il y avait polarisation. Nous avons donc pris le temps nécessaire pour écouter les Canadiens.
Cet effort d’écoute n’a pas été fait par le gouvernement précédent. Le gouvernement précédent a fait adopter la LCEE de 2012, sans consultation, par le biais d’un projet de loi omnibus sur le budget. Nous avons consulté tout le monde parce que les Canadiens nous ont dit qu’ils se soucient de l’environnement et de l’économie. Ils veulent de bons projets durables. Ils comprennent l’importance de données scientifiques et probantes dans la prise de décisions et l’importance de la transparence. Ils veulent que nous respections nos obligations envers les peuples autochtones, mais aussi que nous fassions progresser la réconciliation.
Depuis janvier 2016, il y a donc eu l’annonce des principes provisoires par moi-même et le ministre des Ressources naturelles de l’époque, deux groupes de spécialistes et deux comités parlementaires. Nous avons reçu des conseils directement des peuples autochtones et de l’industrie. Les voix de l’industrie ont certainement été bien entendues. Je sais que vous les avez tous très bien entendues. Ses représentants ont passé beaucoup de temps à discuter avec vous, ainsi qu’avec les groupes environnementaux, les provinces et les territoires, les universitaires et le grand public. En 14 mois, le gouvernement a tenu des centaines de réunions, reçu des centaines de mémoires et des milliers de commentaires de la part des Canadiens. Ils ont également entendu des groupes de spécialistes et des comités parlementaires, tenu des réunions et reçu des exposés et des observations du public.
Bien qu’on semble croire qu’il existe une grande divergence dans ce que les gens veulent, permettez-moi de vous dire ce que j’ai entendu. Je pense que nous devons unir nos efforts en tant que pays. À mon sens, plutôt que de nous polariser, plutôt que de nous diviser, chacun dans son coin, qu’il s’agisse de secteurs ou de provinces, nous devons revenir à ce qui nous rassemble.
Quel est le fil conducteur? Les gens veulent une planification hâtive. La planification hâtive est importante. Elle l’est pour les peuples autochtones, qui veulent faire entendre leurs voix, mais l’industrie aussi a dit qu’elle voulait une planification hâtive. Pourquoi? Parce qu’elle voulait un seul examen par projet. Elle voulait s’assurer que nous puissions nous concerter et travailler avec les provinces. Elle voulait des lignes directrices précisant ce qui serait exigé d’elle. En principe, si elle pouvait obtenir cela, elle nous communiquerait les renseignements nécessaires et, de notre côté, nous lui apporterions un plan de délivrance de permis. Les gens de l’industrie, lorsqu’ils demandent à leur conseil d’administration de prendre des décisions d’investissement, doivent être en mesure de montrer des progrès. C’est de la plus haute importance pour eux. Il leur est extrêmement important que le processus soit transparent et que les décisions soient fondées sur des données scientifiques et factuelles et sur les connaissances autochtones. Cela aussi, nous l’avons entendu. Que le processus se déroule en temps opportun, que les délais soient bien gérés et que les projets valables puissent être mis en chantier en temps utile : voilà ce que veut l’industrie et voilà ce que permettra le projet de loi.
Je m’inquiète de certains discours qui, malheureusement, suscitent au sein de notre pays une polarisation, qui présente un défi encore plus grand. Mais je veux que ces bons projets aillent de l’avant. Nous avons des perspectives d’investissement de 500 milliards de dollars ou plus au cours de la prochaine décennie. C’est incroyable. Nous avons la bonne fortune de vivre dans un pays riche en ressources naturelles. Nous devons nous organiser. C’est le but du projet de loi C-69.
Nous avons écouté les gens. Comme je l’ai dit, il y a plus d’éléments qui nous unissent que de points qui nous divisent, et je pense que nous avons prêté attention aux observations et propositions formulées par les sénateurs pour améliorer le projet de loi, car les règles, si elles sont meilleures, le sont pour tout le monde. Elles sont meilleures pour l’environnement tout comme pour l’économie.
M. Sohi : La seule chose que j’ajouterais, mesdames et messieurs, c’est que, en tant qu’Albertain, je tiens à faire appel à vous tous. Il y a beaucoup d’anxiété chez les travailleurs et les familles de l’Alberta qui ont beaucoup souffert, ces quatre dernières années, du ralentissement dans le secteur de l’énergie. Des milliers de travailleurs ont été mis à pied et sont en chômage. Nous n’avons pu construire qu’un seul oléoduc jusqu’à la mer au cours des dernières décennies, et cela empêche vraiment la province de progresser.
Pour aider le secteur de l’énergie en Alberta, nous devons nous assurer d’élargir notre accès au marché mondial et d’acheminer nos ressources vers des pays autres que les États-Unis. Mais pour construire un pipeline, nous ne pouvons pas y aller à toute vitesse. Il faut que le processus s’applique. Ce processus doit tenir compte de l’environnement et prévoir une participation valable des peuples autochtones. Nous devons corriger le processus actuel, sinon nous n’arriverons pas à nous sortir de la situation qui prévaut depuis des décennies. Le projet Northern Gateway a échoué parce que le processus a échoué. Nous sommes pris avec TMX parce que le processus a échoué. Nous devons trouver une solution et corriger le processus.
Je vous exhorte à accepter sans arrière-pensées que nous devons travailler tous ensemble. Étudiez le projet de loi. Nous sommes ouverts à toute modification utile, comme l’a déjà dit la ministre McKenna. Nous voulons travailler avec vous pour corriger le processus afin de pouvoir vraiment réaliser de bons projets pour le compte des Canadiens et, pour ce qui me concerne en particulier, pour le compte de l’Alberta.
La sénatrice Frum : Madame la ministre, le 6 février dernier, la sénatrice McCoy a demandé à M. Lucas s’il était disposé à nous dire que vous n’alliez pas — non pas que vous en aviez l’intention de les exclure — inclure les émissions en aval d’un projet énergétique dans l’évaluation environnementale. Il a répondu que le gouvernement avait exprimé clairement son point de vue dans son document de travail publié l’été dernier, à savoir qu’il n’avait pas l’intention d’examiner les émissions en aval. Puisque vous êtes ici, je vous invite à nous dire clairement si des critères d’émissions en aval s’appliqueront aux projets de pipeline en vertu du projet de loi C-69.
Mme McKenna : Non, ce ne sera pas le cas. Nous avons notre évaluation stratégique du changement climatique. Ce ne sera pas le cas.
Mais soyons clairs. De façon générale, nous avons un plan de lutte contre le changement climatique. Il ne s’agit pas d’un quelconque plan du gouvernement du Canada, mais bien du plan de lutte contre le changement climatique de tous les Canadiens, puisque nous l’avons négocié avec les provinces et les territoires, avec les peuples autochtones et les Canadiens. Il s’attaque au changement climatique. Mais je veux qu’on me comprenne clairement. Il y a eu une certaine confusion qui vient de l’Office national de l’énergie, pas de nous, mais les émissions en aval ne seront pas prises en compte.
La sénatrice Frum : Était-ce une erreur que ce critère ait été appliqué au projet Oléoduc Énergie Est sous votre gouvernement?
Mme McKenna : C’est l’Office national de l’énergie qui a pris les décisions à cet égard. Nous avons dit clairement, et je le répète clairement aujourd’hui, que nous ne tiendrons pas compte des émissions en aval.
Le sénateur Massicotte : Ma question s’adresse au ministre Sohi. Comme vous le savez, dans son préambule, le projet de loi fait mention de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Vous avez déclaré plus tôt au Sénat que les projets ne seront pas soumis à un droit de veto des peuples autochtones. Vous avez été très clair. Mais comment conciliez-vous cela avec la disposition de l’article 32, je crois, qui prévoit très clairement qu’aucun projet, aucune décision touchant des droits, des propriétés ou des intérêts autochtones ne sera approuvé — le mot « approuvé » est clair — sans le consentement préalable et éclairé des peuples autochtones. Tout le monde interprète cette disposition différemment. J’ai entendu beaucoup d’histoires. J’ai rencontré beaucoup de gens. J’ai lu beaucoup de documents. Cependant, l’approbation, c’est très clair. C’est bien un mot français, qu’on trouve dans le Larousse. Le consentement équivaut à l’approbation. L’approbation, c’est la possibilité de dire oui ou non. Il me semble qu’un non signifie un veto. Comment conciliez-vous les assurances que tout le monde tente de nous donner, alors que ce n’est pas ce qui est dit dans le texte, ce n’est pas ce que disent les journaux et ce n’est probablement pas ce que diront les juges qui auront un jour à interpréter le texte de loi?
M. Sohi : Encore une fois, monsieur le sénateur, pour revenir à l’engagement que nous avons pris à l’égard des communautés autochtones dans le cadre du projet d’extension du réseau de Trans Mountain, c’est tout un exercice d’apprentissage que de comprendre les vrais problèmes auxquels sont confrontées ces communautés. Ce qui est exigé du gouvernement, c’est de respecter son obligation constitutionnelle d’engager un dialogue sérieux, bilatéral et valable avec les communautés autochtones touchées, ce qui signifie que nous devons les écouter sincèrement, que nous devons entendre leurs préoccupations et que nous devons faire de sérieux efforts pour y répondre. D’accord? Et dans les cas où nous ne sommes pas en mesure d’y répondre, il nous faut être très transparents et ouverts avec les communautés autochtones en leur expliquant pourquoi on ne peut pas y donner suite. C’est le critère que la Cour d’appel fédérale nous prescrivait d’appliquer à l’avenir. Donc, d’après ce que je comprends de la DNUDPA, en tant que gouvernement, agent de la Couronne, nous devons faire de sérieux efforts pour tenter d’obtenir le consentement. D’accord? Voilà le critère.
Le sénateur Massicotte : Ce que vous venez de dire est exactement ce que la Cour suprême a statué dans plusieurs de ses arrêts clés, et ce que venez de vous décrire, c’est ce qu’elle nous a dit être notre responsabilité. Mais dans mon esprit, cela va plus loin. C’est ce qui me préoccupe. Je ne suis pas du tout contre les Autochtones — je crois que je leur suis favorable —, mais je n’aime pas la confusion que ce texte crée, car la Cour suprême a souvent utilisé les expressions « consultation valable » et « accommodement ». Nous avons maintenant le mot « consentement », et consentir, eh bien, c’est consentir, c’est-à-dire approuver, donc la possibilité de dire oui ou non. Un non, à mon sens, c’est un veto. Des gens le nient, disent qu’il n’y a pas de droit de veto.
M. Sohi : Ce n’est pas ce que nous comprenons de la DNUDPA. Nous croyons comprendre que la Couronne doit faire de sérieuses tentatives pour obtenir le consentement.
Le sénateur Massicotte : Vous pourriez peut-être m’envoyer un exemplaire de votre dictionnaire.
La sénatrice Eaton : Madame la ministre, dans votre déclaration, vous avez parlé du pouvoir discrétionnaire du ministre... Devez-vous aller voter?
Mme McKenna : Je pense que oui, parce qu’il est 10 h 16. Je crois qu’on avait prévu un vote à 10 h 15. J’aimerais beaucoup que mes collègues restent ici.
La sénatrice Eaton : J’ai hâte de vous interroger à votre retour.
Mme McKenna : Nous serons de retour.
La présidente : Nous allons poursuivre avec les fonctionnaires.
La sénatrice Eaton : Pourrais-je questionner la ministre à son retour?
La présidente : D’accord. Le sénateur Woo était notre prochain intervenant.
Le sénateur Woo : Pourrons-nous reprendre la période de questions? Ma question s’adressait vraiment à la ministre.
La présidente : Pouvons-nous repartir avec de nouveaux intervenants? Qui veut ouvrir le bal? La sénatrice Simons, peut-être?
Le sénateur Patterson : Commençons par ceux qui n’ont pas eu l’occasion de poser des questions.
La présidente : Sénateur Patterson, voulez-vous prendre la parole?
Le sénateur Patterson : Oui, si c’est possible. J’avais l’intention de poser la question aux ministres, mais je suis sûr que les fonctionnaires pourront y répondre. J’ai été étonné d’entendre les deux ministres parler de tous les projets d’exploitation des ressources prévus au cours de la prochaine décennie. Le ministre Sohi a parlé de 400 projets, d’une valeur de 585 milliards de dollars. Or, nous avons entendu tout le contraire. Nous avons entendu dire que des projets énergétiques d’une valeur de 100 milliards de dollars ont été mis sur la tablette. Al Monaco, président et chef de la direction d’Enbridge, par exemple, nous a dit que toute entreprise qui évalue prudemment le risque n’investira pas de capitaux dans ce cadre réglementaire. Voici une question très précise : le ministre Sohi a parlé d’une liste de plus de 400 projets d’exploitation des ressources. Pouvons-nous voir cette liste? Comme nous en sommes aux dernières étapes de l’étude du projet de loi, serait-il possible de la voir le plus tôt possible?
[Français]
Mme Tremblay : Merci beaucoup. Chaque année, les ministres responsables du secteur de l’énergie et des mines compilent l’ensemble des projets d’investissement à l’intérieur du Canada. Cet inventaire est disponible et pourrait être partagé avec l’ensemble des sénateurs à cette table. Il montrerait le potentiel des projets dans les deux secteurs sur une période de 10 ans. Les données viennent de cet inventaire.
[Traduction]
La présidente : Pourriez-vous les faire parvenir à la greffière?
Mme Tremblay : Oui.
Le sénateur Patterson : J’avais espéré poser cette question au ministre Sohi. En ce qui concerne la participation des Autochtones au processus de réglementation, si j’ai bien compris, il y a trois organismes consultatifs dont la représentation des Autochtones est garantie, comme l’a dit le ministre Sohi. Il y a le Conseil consultatif du ministre. Je cite l’article 117 du projet de loi. Il s’agit d’un conseil consultatif auprès du ministre. L’article 158 prévoit la création d’un comité consultatif chargé de conseiller l’agence. Il y a encore un troisième comité, à l’article 57, Comité consultatif de la Régie canadienne de l’énergie. Ce sont tous des organismes consultatifs qui n’ont aucun pouvoir. Pourquoi le ministre a-t-il décrit ces postes consultatifs symboliques comme un conseil d’administration, laissant ainsi entendre qu’ils exercent un pouvoir? Je cite un passage de son mémoire, à la page 7. Pourquoi décrirait-il ces organismes consultatifs comme un conseil d’administration alors qu’il est précisé en toutes lettres à trois endroits différents dans le projet de loi qu’il s’agit de comités consultatifs?
[Français]
Mme Tremblay : Le ministre a dit que nous allions moderniser la gouvernance de l’Office national de l’énergie. Nous allons moderniser cette gouvernance en séparant, d’une part, le rôle de la direction en créant un conseil d’administration, mais aussi en donnant au président-directeur général une fonction spécifique en ce qui a trait aux opérations. À partir de maintenant, le conseil d’administration doit compter une représentation autochtone. Donc, c’est réellement un pouvoir direct d’influence, et il s’observe également en ce qui a trait aux commissaires. Il y aura un groupe composé de sept commissaires qui seront nommés et qui seront responsables de mener les évaluations. Il y aura aussi une obligation d’avoir un représentant autochtone. De plus, il y a un comité consultatif autochtone qui devra donner des conseils à l’organisme de manière générale.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Lorsque vous avez comparu devant notre comité en janvier, j’ai posé une question au sujet de la liste des projets. On m’a dit qu’il y aurait un document de travail. Ensuite, on m’a dit qu’il y aurait un projet de règlement. Or hier, quelques mois plus tard, on nous dit qu’un document de consultation qui propose une ébauche de lignes directrices sera disponible pendant 30 jours. Je me demande simplement pourquoi il a fallu tant de temps au ministère pour nous confirmer la teneur de cette liste. Nous ne le saurons pas avant au moins la fin de la période de consultation de 30 jours. Nous avons insisté là-dessus en janvier. Pourquoi sommes-nous encore dans l’ignorance au sujet de la liste des projets et des consultations à cette étape tardive, à la veille de l’achèvement du projet de loi? Je dirais la même chose au sujet des lignes directrices sur l’ACS+ et des autres annonces qui ont été faites hier.
Stephen Lucas, sous-ministre, Environnement et Changement climatique Canada : Merci, sénateur. Comme la ministre l’a indiqué, la liste des projets a été élaborée par suite du document de travail initial publié en février 2018, dans la foulée de vastes consultations qui se sont poursuivies jusqu’à tout récemment et en tenant compte des critères énoncés dans le document qui a fait l’objet de la première consultation, à savoir que la liste des projets est fondée sur les projets les plus susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants dans les domaines de compétence fédérale.
Ce document énumère toutes les inscriptions dans la liste des projets proposés, et il inclut dans son annexe une comparaison de ces inscriptions dans la liste des projets actuels en vertu de la LCEE de 2012 avec celles proposées pour le nouveau régime. Dans ce contexte, il assure une transparence totale à la fois en ce qui a trait aux critères énoncés au terme de vastes consultations pour former la base des inscriptions qui seraient effectivement sur la liste et de celles qui seraient proposées. Il permet également aux parties prenantes du public ainsi qu’au comité d’examiner le projet de loi afin de s’acquitter de ses responsabilités au cours du prochain mois.
Ron Hallman, président, Agence canadienne d’évaluation environnementale : La question du sénateur porte sur une question précise que nous ont posée un certain nombre d’intervenants, y compris des représentants de l’industrie. À titre d’information, les sénateurs savent, j’en suis sûr, que nous ne pouvons pas normalement commencer l’étude des règlements tant que la loi n’a pas reçu la sanction royale. En fait, c’est ainsi que les choses se sont passées avec la LCEE de 2012, où la liste de projets mise à jour pour donner vie à la LCEE de 2012 n’est entrée en vigueur que bien après la loi.
Ayant vécu l’expérience de la mise en œuvre de la LCEE de 2012 et du retard dans l’établissement d’une liste de projets, la ministre a demandé et obtenu le pouvoir de commencer ce travail de réglementation et les consultations connexes en même temps que l’élaboration du projet de loi, et c’est ce qui s’est produit.
Le premier document de travail qui a été publié en juin dernier portait sur les critères d’élaboration de la liste des projets, avec l’engagement de revenir avec une liste des projets proposés. C’est ce qui est fait avec le document d’hier. L’annexe 2 fournit cette liste provisoire des projets, sous réserve de la consultation publique. Ensuite, le gouvernement devra prendre une décision au sujet de cette liste de projets après la sanction royale, en supposant que le projet de loi C-69 recevra la sanction royale à un moment donné.
La sénatrice McCoy : Je voulais parler de l’obligation de la Couronne de consulter les communautés autochtones. En guise de préambule, au sujet du projet TMX, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’une des deux lacunes du processus concernait le fait que le gouvernement fédéral n’avait pas mené de consultations suffisantes, et elle a précisé ce qu’il fallait faire. La cour était d’avis que ces consultations pouvaient être menées et conclues en quatre mois. C’était en octobre de l’année dernière. Nous sommes maintenant en mai. On a annoncé récemment que le gouvernement fédéral ne prévoyait pas terminer ce processus avant juin.
L’autre fait remarquable, c’est que la seule lacune en fin de compte pour Northern Gateway, c’est que la Couronne fédérale n’avait pas consulté comme il se doit les Premières Nations. Le 27 novembre 2016, le gouvernement fédéral a tout simplement abandonné le projet, encore une fois, sans consulter les partenaires financiers autochtones — 31 communautés qui avaient une participation d’un tiers. Cela représentait 2 milliards de dollars par année pour ces communautés.
Ma question s’adresse probablement à M. Hallman, parce que je pense que vous êtes le mandataire de la Couronne responsable de cet aspect, du moins dans le cadre des évaluations menées par l’agence. Quelles garanties d’amélioration du processus pouvez-vous nous donner, étant donné que la loi C-69 n’a rien changé à votre obligation antérieure? Votre obligation ne dépend pas d’une loi sur l’évaluation environnementale.
M. Hallman : Le projet de loi C-69 établit un processus qui appuie la réconciliation et le principe visant à obtenir le consentement tout au long du processus, tout en reconnaissant que les ministres et le Cabinet prennent une décision à la fin du processus. Il permet de veiller à ce que le gouvernement mobilise les promoteurs, les provinces et les groupes autochtones susceptibles d’être touchés dès le début afin de s’assurer que la description du projet est bien comprise et que toutes les questions préoccupantes, y compris celles qui concernent les groupes autochtones, sont cernées dès le début et que le promoteur a l’occasion de préciser comment il prévoit apaiser ces préoccupations lorsqu’il élabore son dossier d’impact sur l’environnement; et que nous ayons la capacité de déterminer comment nous allons travailler avec la province dans le cadre d’un accord de collaboration, et comment les groupes autochtones veulent participer et le rôle qu’ils joueront, y compris au sein des groupes de travail, et le public, de sorte que lorsque le promoteur traite de ces préoccupations dans son dossier d’impact sur l’environnement. À leur retour, nous travaillerons de nouveau avec eux et avec les groupes autochtones pour déterminer si les préoccupations ont été prises en compte. Sinon, pourquoi ne l’ont-elles pas été? Nous cherchons ensuite à les apaiser.
Une fois cela fait, l’agence fait son rapport à la ministre, en tenant compte de tout, et en précisant comment elle comprend les impacts, comment les groupes autochtones les ont compris et ce qu’ils nous ont dit. Elle dit ensuite comment elle les atténue, et comment elle propose d’imposer des conditions au promoteur ou comment le gouvernement va mettre en place des mesures complémentaires pour s’assurer que nous nous acquittons de nos responsabilités envers les Autochtones.
Ensuite, nous franchissons une autre étape, et nous revenons devant les groupes autochtones à l’étape suivant l’évaluation, et nous leur présentons le dossier complet en leur demandant si nous avons bien compris ou si nous avons manqué quelque chose. Nous leur expliquons ensuite ce que nous faisons en matière d’accommodement, et précisons pourquoi ou pourquoi pas. Soit dit en passant, tout cela relèvera des décideurs. Ils vont en tenir compte dans leur décision, puis ils vont rendre compte publiquement des motifs de leur décision. Ainsi, les groupes autochtones et d’autres, qu’ils aiment ou non la décision finale que prennent les décideurs en vertu de la loi, verront leurs points de vue reflétés, comprendront comment ils ont été pris en compte et sauront qu’ils ont été entendus.
La sénatrice McCoy : Je vous remercie de votre réponse, mais...
La présidente : Sénatrice McCoy, la parole est maintenant à la sénatrice Simons.
La sénatrice McCoy : ... dans le processus actuel. Sénatrice Simons, je suis désolée de vous interrompre...
La sénatrice Simons : Si vous voulez répondre à la question de la sénatrice McCoy, je ne m’y oppose pas.
[Français]
Mme Tremblay : Merci, madame la sénatrice. Je vais vous donner une réponse.
Je pense qu’il est difficile d’aller chercher un consensus ou de consulter les Autochtones à la fin du processus et de leur demander d’être à l’aise avec un projet. Il faut absolument qu’ils soient partie prenante dès le départ et qu’on puisse les impliquer à toutes les étapes. Comme mon collègue, M. Hallman, l’a mentionné, dans l’ensemble du processus, il importe qu’ils soient partie prenante au régulateur et au conseil d’administration afin qu’ils puissent suivre et surveiller les activités jusqu’à la fin.
C’est donc un processus où l’on transforme notre façon de travailler avec eux. Actuellement, cela ne fonctionne pas, parce qu’on vient les consulter une fois que l’évaluation environnementale est terminée et qu’ils sont à la toute fin du processus. Cela ne fonctionne pas.
[Traduction]
La sénatrice Simons : J’ai des questions à poser à la personne du ministère des Transports. Depuis la dernière fois que vous avez comparu devant le comité, nous avons entendu des témoignages de tous les intervenants, des câblodistributeurs aux maires de municipalités, qui s’inquiètent des distinctions entre les ouvrages majeurs et mineurs visés dans la troisième partie du projet de loi. Les exploitants de traversiers par câbles sont très préoccupés par le fait qu’ils relèvent de la catégorie des ouvrages majeurs, et ils nous disent que chaque fois qu’ils changent un câble, cela sera encore une fois considéré comme un ouvrage majeur. Les maires de municipalités nous ont dit qu’ils craignent beaucoup que tout ce qu’ils font pour atténuer les inondations puisse être considéré comme un ouvrage majeur. Un témoin nous a même laissé entendre qu’il fallait une troisième catégorie d’ouvrages intermédiaires entre les ouvrages majeurs et mineurs. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
À l’inverse, lorsque nous étions dans le Canada atlantique la semaine dernière, nous avons entendu beaucoup de témoignages passionnés de la part de gens préoccupés par les répercussions environnementales des levés sismiques en haute mer et par les répercussions environnementales de l’aquaculture. Ni l’un ni l’autre ne semble s’être retrouvé sur la liste des projets. Pourquoi les a-t-on exclus?
Thao Pham, sous-ministre déléguée, Transports Canada : En ce qui concerne la Loi sur les eaux navigables canadiennes, l’objectif est vraiment de rétablir des lois de protection; toutefois, l’intention n’est pas d’alourdir le fardeau administratif des promoteurs privés ou des municipalités. Au cours du dernier mois, nous avons été très actifs, et nous avons entendu des témoignages, mais nous avons aussi tenu compte des réunions que nous avons eues avec eux. Nous sommes certes disposés à examiner des façons de clarifier les préoccupations.
Par exemple, du point de vue des exploitants de traversiers par câbles, nous devons préciser ce qui est considéré comme un ouvrage majeur et un ouvrage mineur. Ce ne sont pas tous les exploitants de traversiers par câbles qui seront nécessairement assujettis à l’exigence de permis si les ouvrages ne nuisent pas à la navigation. C’est vraiment l’élément clé de ce projet de loi, dans le cadre de la Loi sur les eaux navigables canadiennes, et la question de savoir si cela nuit ou non à la navigation. Si vous pensez qu’il y a des façons de préciser ces définitions, nous sommes ouverts à les examiner, comme l’a indiqué le ministre Garneau.
La sénatrice Simons : Vous pouvez certainement imaginer une situation où ils pourraient gêner la navigation pendant quelques heures pour effectuer une réparation, mais si c’est urgent, il serait terriblement onéreux d’avoir à passer par tout un processus de délivrance de permis.
Mme Pham : En ce qui concerne la disposition d’urgence, elle ne vise certainement pas à mettre fin aux travaux si des réparations d’urgence sont nécessaires, que ce soit pour des activités commerciales ou pour des raisons sociales ou de sécurité, évidemment. C’est la raison d’être de la disposition d’urgence actuelle.
La sénatrice Simons : Et ensuite, pour ce qui est des autres éléments de la liste des projets?
M. Lucas : En ce qui concerne l’aquaculture, elle est bien réglementée par d’autres règlements fédéraux en vertu de la Loi sur les pêches. L’une des inscriptions sur la liste des projets concerne les ouvrages potentiels dans les réserves fauniques nationales, par exemple, et elle est signalée comme un ouvrage potentiel qui donnerait lieu à une évaluation d’impact si elle était proposée dans une réserve faunique nationale.
La sénatrice Simons : Ce serait dans un parc national, une zone de protection marine?
M. Lucas : L’inscription dont je parle vise une réserve faunique nationale qui relève de la Loi sur les espèces sauvages du Canada. De plus, si elle n’est pas conforme au plan d’une zone de protection marine ou à un parc national, il faudrait l’évaluer dans ce contexte.
La sénatrice Simons : Et les risques sismiques?
Mme Tremblay : Les risques sismiques sont déjà couverts. Ils sont évalués par l’Office des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador et par l’Office national de l’énergie pour d’autres secteurs.
Le sénateur Mitchell : L’ACS a reçu beaucoup d’attention. Un document a été publié hier, et je pense qu’il est utile. Pourriez-vous nous dire comment cela sera clarifié, appliqué — cela l’a déjà été — afin que nous puissions donner des éclaircissements aux membres du comité et à d’autres au sujet de tout cela et de son importance?
M. Hallman : Madame la présidente, en vertu du projet de loi C-69, nous passons de l’évaluation environnementale à l’évaluation d’impact, en mettant l’accent sur l’environnement, l’économie, les facteurs sociaux et la santé. Il y a aussi un volet d’analyse comparative entre les sexes, qui nous permet essentiellement de déterminer si certains des impacts ou effets potentiels d’un projet peuvent toucher de façon disproportionnée certains groupes, comme à l’égard du logement. Si un grand projet arrive dans une petite ville et que tous les logements abordables sont occupés, comme certains groupes seront touchés de façon disproportionnée, que ferons-nous à ce sujet?
Pour les personnes au chômage ou en situation de sous-emploi, il pourrait y avoir des répercussions qui les toucheraient de façon disproportionnée. Il peut y avoir des activités que la province ou le promoteur pourrait entreprendre ou des activités que le gouvernement fédéral pourrait entreprendre à titre de mesures complémentaires.
L’analyse comparative entre les sexes nous permet d’examiner les effets de certains autres facteurs pour voir si certains groupes peuvent être touchés de façon disproportionnée et, par conséquent, s’il nous est possible de les atténuer afin que tout le monde puisse profiter des avantages d’un projet.
Le sénateur Mitchell : Il semble que personne ne conteste le fait que nous devrions examiner les répercussions sociales de ces projets, et l’ACS serait un sous-ensemble des répercussions sociales, de toute façon, n’est-ce pas?
M. Hallman : Possiblement. Encore une fois, c’est une optique qui nous permet d’examiner en particulier les effets disproportionnés. En fait, de nombreuses provinces et de nombreux promoteurs examinent déjà ces éléments, et le Canada les examine depuis longtemps en ce qui concerne les politiques et les projets, y compris en vertu de la LCEE de 2012. La différence ici, c’est que le projet de loi C-69 le présente de façon transparente par rapport aux considérations dont les ministres peuvent discuter dans le cadre confidentiel du Cabinet.
Mme Tremblay : Je pourrais peut-être vous donner un exemple concret de la façon dont nous avons appliqué l’ACS+ au projet TMX. Bien sûr, le comité s’inquiète de l’impact du projet sur les femmes et les enfants. Le fait est que nous avons fait cette analyse et que l’ONE a présenté des conditions très précises aux promoteurs pour atténuer cet impact. La Couronne s’est engagée davantage à former des femmes autochtones, par exemple, pour s’assurer qu’elles puissent avoir accès aux avantages économiques de ce type de projet. Pour ce qui est des fonds qui ont été octroyés au comité autochtone, au comité de surveillance et au comité consultatif, on a formé un sous-comité qui s’occupe en particulier des camps de travail. Il y aura cinq camps de travail, et toutes les communautés qui participent à ces camps de travail collaborent avec les promoteurs bien à l’avance, en veillant à atténuer tous les impacts et à faire en sorte que nous puissions profiter de l’arrivée massive de travailleurs en même temps dans les petites collectivités, sans en subir les désagréments. C’est un exemple de cette analyse et de ce qui peut être fait.
M. Lucas : Je tiens à souligner que c’était une considération lors des travaux menés par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et le gouvernement du Canada pour évaluer et enfin approuver le projet de la baie Voisey’s dans les années 1990. Ils ont entendu les voix des femmes autochtones et en ont tenu compte dans les décisions pertinentes relevant de la compétence fédérale et provinciale. Cette façon de faire est en place dans le cadre de l’approche d’évaluation à Terre-Neuve-et-Labrador depuis plus d’une décennie, les antécédents remontant au projet de la baie Voisey’s, et les principales grandes sociétés l’intègrent dans leurs pratiques, par exemple Rio Tinto.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’avoir accepté de prendre la parole. En Nouvelle-Écosse, j’ai rencontré des représentants des offices des hydrocarbures extracôtiers. Je me demande si votre ministère a consulté les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve au moment d’élaborer des règlements sur l’exploration extracôtière. Je ne demande pas le règlement, mais simplement si vous avez tenu des consultations ou non, parce qu’en discutant avec eux, j’ai entendu dire que dans le système actuel, l’évaluation de l’exploration extracôtière prend jusqu’à deux ans, ce qui est beaucoup plus long qu’en Norvège. Je crois avoir entendu dire qu’en Norvège, cela prend trois mois.
Comment pouvons-nous concilier l’exploration et les préoccupations environnementales, et comment pouvons-nous mener l’évaluation rapidement? Je ne propose pas que nous sautions des étapes, mais y a-t-il moyen de mener l’évaluation plus rapidement tout en veillant à ce que les intérêts de l’environnement et de l’industrie soient pris en compte? Avez-vous eu des discussions avec la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve au sujet de l’exploitation extracôtière, ou avez-vous consulté ces provinces?
[Français]
Mme Tremblay : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. On a consulté à maintes reprises les offices extracôtiers, mais également les provinces impliquées. Comme il s’agit d’une responsabilité conjointe, le gouvernement fédéral, les offices extracôtiers et les provinces ont cette obligation légale de travailler ensemble et d’en arriver à des recommandations conjointes pour accélérer le processus.
L’agence travaille actuellement sur une évaluation d’impact régionale avec l’accord de la province et des promoteurs pour un projet dans la Baie du Nord. On évaluera donc la première activité et les autres seront exemptées de l’évaluation d’impact. C’est une façon d’accélérer le processus afin de progresser plus rapidement pour permettre de réaliser des investissements.
[Traduction]
M. Hallman : Comme ma collègue l’a indiqué, nous travaillons actuellement avec Terre-Neuve et RNCan à une évaluation régionale de la zone extracôtière de Terre-Neuve. Nous voulons faire la même chose avec la Nouvelle-Écosse. Le document de travail sur la liste des projets qui a été publié hier, comme le laissait entendre le document de travail de l’année dernière, propose que les projets d’exploration extracôtiers pour lesquels il existe une évaluation régionale et qui répondent aux conditions de l’évaluation régionale soient exclus de l’exigence d’évaluation en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact.
Le sénateur Woo : Merci, mesdames et messieurs les fonctionnaires. Nous savons que vous avez travaillé fort dans ce dossier et nous vous remercions de votre diligence.
Depuis votre dernière comparution devant le comité, il y a eu beaucoup de témoignages parfois contradictoires sur la nature de la diligence. M. Hallman pourrait-il nous parler encore une fois des différences entre le régime actuel et celui qui est proposé dans le projet de loi C-69?
M. Hallman : En vertu de la LCEE 2012, le délai prescrit par la loi que les fonctionnaires doivent respecter pour faire leur travail, indépendamment du temps dont un promoteur peut avoir besoin pour faire le sien, un délai de 365 jours pour nous, est suspendu lorsque nous recevons une demande d’information du promoteur, et le décompte reprend lorsqu’il fournit cette information. Dans le cadre du nouveau régime, nous proposons d’abolir cela. Nous limiterions la capacité de suspendre le délai légal à trois cas, tous à l’initiative des promoteurs, et non des fonctionnaires.
Le sénateur Woo : D’accord.
M. Hallman : Le premier cas où un délai pourrait être suspendu, c’est si le promoteur le demande, pour quelque raison que ce soit. Par exemple, si les prix du marché ont changé, et si le promoteur décide de ne pas continuer pour l’instant.
Deuxièmement, si le promoteur apporte un changement majeur à la conception de son projet à mi-parcours et qu’il doit se préparer, et nous devons nous préparer et mobiliser les gens pour savoir ce que cela signifie et s’il y a des problèmes à envisager.
Le troisième, c’est si un promoteur n’a pas payé ses dettes recouvrables à la Couronne.
Ce sont les trois seuls critères que nous avons l’intention de mettre en place et qui nous autorisent, en vertu de nos politiques et règlements, à suspendre le délai.
Le sénateur Woo : Pouvez-vous me dire, dans la mesure où le promoteur ne demande pas ces prolongations, toutes à son initiative, comme vous l’avez précisé, pensez-vous que le délai prévu dans le projet de loi serait plus court ou plus long que sous le régime actuel?
M. Hallman : Il y a deux volets à cela, sénateur. Premièrement, le délai prévu par la loi sera plus court, et il passera de 365 jours à 300 jours pour une évaluation environnementale menée par l’Agence. Les délais de la commission d’examen seront également raccourcis. Mais je crois que vous parlez probablement du nombre total de jours civils, et c’est ce que les promoteurs demandent souvent aussi. Très bien. Nous nous attendons à ce que ce soit plus court, et voici pourquoi.
Tout d’abord, si nous faisons une bonne planification précoce et donnons suite à ce que les promoteurs nous ont dit au cours des dernières années, tout se passera bien, comme nous l’avons dit aux promoteurs. Ceux-ci viendront à la table avec nous et avec les groupes autochtones pour que nous puissions tous travailler ensemble. Le Canada doit s’harmoniser avec les provinces pour qu’il n’y ait pas de multiples processus. Il faut établir un plan de délivrance de permis afin qu’une fois que le guichet unique de l’EE sera fermé, toutes les fenêtres réglementaires ne s’ouvrent pas et que nous soyons de retour à la case départ. C’est ce que vise la planification précoce. Si nous la faisons bien — et nous croyons qu’il est dans l’intérêt des promoteurs de bien travailler avec nous —, nous nous attendons à ce qu’il y ait beaucoup moins de demandes de renseignements et que celles-ci seront moins complexes à l’étape de l’évaluation, et à ce que le délai global soit réduit.
Le sénateur Woo : J’ai une question pour M. Lucas. S’il n’y a pas assez de temps, nous pourrons faire un deuxième tour. J’aimerais comprendre l’application de l’article 17 et comment vous l’envisagez. C’est là où un ministre exerce son droit de dire qu’un projet ne fera pas l’objet d’un examen. Certains promoteurs aiment en fait cette disposition parce qu’elle leur permet de retirer quelque chose de la table au début, mais seulement si c’est fait au début. Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont cela pourrait s’appliquer?
M. Lucas : Certainement. Je vais d’abord commenter la question à laquelle le président Hallman a répondu. L’un des aspects cruciaux de la nouvelle loi proposée, c’est qu’en plus de l’Agence, des autorités fédérales ou, dans le cas d’un projet qui touche un organisme de réglementation du cycle de vie comme la Régie canadienne de l’énergie, tous participent au processus. Ces fonctionnaires devront participer, travailler en étroite collaboration avec l’Agence pour s’assurer que leurs considérations, tant dans la mesure où elles touchent l’examen et, par la suite, que la délivrance des permis voit le jour et qu’elle est prise en compte dans le travail de planification précoce, se traduisent par des lignes directrices adaptées et d’autres produits de planification précoce dont Ron a parlé.
À cet égard, l’article 17 indique que les autorités fédérales, comme mon ministère, Environnement et Changement climatique Canada, ont l’obligation d’informer le ministre s’ils ne sont pas en mesure de délivrer un permis ou s’ils ont une autre raison fondamentale qui, au bout du compte, empêcherait un projet, par exemple, de traverser un habitat essentiel protégé. Cette étape supplémentaire permet de préciser dès le départ qu’il n’y a pas de problèmes fondamentaux qui empêcheraient qu’un projet aille de l’avant, et ainsi éviter qu’il puisse, dans un cas, obtenir un résultat positif dans une décision d’évaluation environnementale et qu’il soit ensuite bloqué par une décision de permis.
À la Chambre, le projet de loi a été modifié pour retirer au ministre le pouvoir de stopper un projet. Donc, l’article 17 exige simplement que le ministre informe par écrit le promoteur s’il y a des raisons pour lesquelles le projet ne pourrait pas aller de l’avant pour des raisons de compétence fédérale.
Le sénateur Woo : Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : J’aimerais revenir à l’analyse comparative entre les sexes, si vous me le permettez. J’attends ce document depuis longtemps. J’ai passé un peu de temps en janvier à rencontrer des promoteurs, surtout des groupes comme Cenovus et d’autres organisations de ce genre, et nous avons parlé de l’ACS. La plupart du temps, j’ai entendu dire qu’ils la font déjà et que cela fait déjà partie de leurs pratiques. Nous parlions plus tôt de camps de travail. Je viens de l’Alberta. Des membres de ma famille ont vécu dans des camps de travail et j’ai des nièces et des neveux, ou leurs conjoints, qui y ont travaillé. Il peut être intéressant de parler de camps de travail, mais nous savons qu’il y en a de vraiment très bons. Il y a des pratiques exemplaires dont nous sommes au courant, et il y a des camps de travail qui ne sont pas si bons que cela et des choses qui se passent dans les camps de travail qui mettent les gens en danger. L’idée de l’ACS, surtout lorsqu’il est question des populations vulnérables, est donc importante. Les gens la font déjà.
L’une des choses qui me préoccupent, c’est que nous pourrions vivre les mêmes problèmes qu’avec l’obligation de consulter, c’est-à-dire que s’il n’y a pas de bon plan de consultation avec les Premières Nations à l’étape de la planification préalable, c’est laissé au hasard et personne ne sait vraiment si l’on aura accompli à la fin ce qui était prévu au départ. J’adore l’étape de planification préalable. Elle est tout à fait logique. Allez-vous obtenir ces renseignements détaillés avec l’ACS? On nous a demandé s’il y aurait une liste de contrôle pour savoir si nous avons fait notre analyse du mieux que nous le pouvions et si nous avons été à la hauteur des attentes de la Couronne, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une situation où, au tout dernier moment, quelqu’un risque de se faire couper l’herbe sous le pied. Les gens veulent vraiment savoir de quoi il s’agit. Ce document est utile, mais je ne suis pas certain qu’il s’agisse de la liste de contrôle qu’ils recherchent. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Hallman : Merci. Madame la présidente, tout d’abord, oui, nous voulons aborder ces questions le plus tôt possible. Nous voulons qu’elles soient sur la table lors de la planification précoce, comme l’ont déterminé les communautés concernées, afin que nous puissions avoir une évaluation plus complète et rigoureuse de ces effets potentiels et créer les bonnes occasions, dès le début, pour une participation efficace, soit avec les groupes autochtones, soit avec la communauté locale, dans le cadre de la consultation publique. L’avantage de procéder ainsi dès le début, c’est que, que ce soit le promoteur, la province, le Canada ou quiconque a un rôle pertinent à jouer dans un dossier particulier, il peut déterminer ces mesures d’atténuation et nous pouvons fournir des preuves pertinentes pour appuyer la prise de décisions concernant l’intérêt public.
Même si, par exemple, certains des événements potentiels auxquels la sénatrice a fait allusion n’ont rien à voir avec la compétence fédérale, il est intéressant pour les décideurs fédéraux de savoir que la province et le corps policier de la province ont des plans de sensibilisation et des mesures d’urgence en place qui sont intégrés au certificat provincial de délivrance de permis. Il est bon que tous les décideurs le sachent au moment où ils se font une idée de l’intérêt public.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Ces listes de contrôle seront-elles mesurables? Voilà où je veux en venir. Seront-elles claires et mesurables de façon qu’au bout du compte, nous sachions si les mesures ont été adoptées, plutôt qu’un plan abstrait?
M. Hallman : Il est difficile de répondre très directement à cette question sans un cas particulier, mais je dirais que l’on s’attend à ce qu’il y ait des directives détaillées pour les promoteurs dans leurs lignes directrices personnalisées, adaptées pour refléter ce que les communautés ou les groupes susceptibles d’être touchés ont dit au cours de cette première étape de planification. Il y aura des directives détaillées à l’intention des promoteurs pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Et, soit dit en passant, il se peut qu’une partie de l’argent ne vienne pas des promoteurs. Une partie de l’argent pourrait venir de nous.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Oh, je sais.
M. Hallman : Il nous faudra peut-être trouver d’autres administrations ou ministères fédéraux experts. Cela figurera dans les lignes directrices adaptées pour que tout le monde sache ce qui est prévu, et ces lignes directrices seront consultées.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur les situations d’urgence. J’essaie de voir quelle est la méthode pour éviter qu’un projet soit retardé dans une situation d’urgence. Les articles 84 et 91 en parlent de manière assez claire. On dit que les articles 82 et 83 ne s’appliquent pas à une autorité à l’égard d’un projet dans certains cas, et on parle notamment de sécurité nationale. À l’alinéa c), on dit que le projet est réalisé en réaction à une situation d’urgence et il importe, soit pour la protection des biens ou de l’environnement, soit pour la santé ou la sécurité publiques, de le réaliser sans délai.
Cette situation d’urgence ne couvre que les cas mentionnés dans les articles 82 et 83. J’ai trouvé aussi un autre endroit, à l’article 115, où l’on parle d’un décret lorsqu’il y a une situation d’urgence. Or, il n’est pas toujours pratique d’attendre un décret pour une situation d’urgence. On peut prendre l’exemple des inondations qui ont lieu en ce moment et celui de la digue à Sainte-Marthe-sur-le-Lac qui a cédé. C’est bel et bien une situation d’urgence. Existe-t-il un mécanisme pour éviter de devoir obtenir les approbations habituelles dans le cas de mesures d’urgence pour les projets réalisés ailleurs que sur les terres fédérales? L’article 91 couvre seulement les terres fédérales ou les aéroports. Il ne couvre pas nécessairement les situations comme le bris de la digue à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, par exemple.
[Traduction]
Christine Loth-Bown, vice-présidente, Relations extérieures et Politiques stratégiques, Agence canadienne d’évaluation environnementale : En ce qui concerne la capacité d’exempter des projets pour des raisons de sécurité nationale, cela existe déjà en vertu de la LCEE 2012. Par exemple, mentionnons que le ministère de la Défense nationale et certains secteurs de projet qui, pour des raisons de sécurité du site, doivent être protégés, ne pourraient pas être soumis publiquement à un processus d’évaluation.
Il faut également prévoir des exemptions pour les catastrophes naturelles et les situations où des mesures doivent être prises rapidement et où l’évaluation de l’impact environnemental nuirait à la capacité d’agir rapidement afin de pouvoir construire certaines choses en réaction à cette catastrophe naturelle.
C’est la raison d’être de cette exemption. Elle est rarement invoquée. Elle l’a été quelques fois avant l’entrée en vigueur de la LCEE 2012, mais à l’époque, nous couvrions beaucoup plus de projets. Elle a été utilisée à Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, pendant des inondations.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ce n’est pas inclus dans ce projet de loi.
Mme Loth-Bown : C’est inclus dans la loi existante, oui.
Le sénateur Carignan : Dans ce projet de loi, qu’est-ce que nous avons?
Mme Loth-Bown : Nous avons l’article 115.
Le sénateur Carignan : C’est à l’article 115?
Mme Loth-Bown : Oui.
Le sénateur Carignan : On dit que le ministre peut, par arrêté, soustraire tout projet désigné à l’application de la présente loi . N’est-ce pas un peu lourd comme processus?
Mme Loth-Bown : Je n’ai pas bien compris la question.
Le sénateur Carignan : N’est-ce pas lourd comme processus que d’avoir un arrêté en conseil, ou est-ce que cela se fait assez rapidement, en l’espace de quelques heures?
[Traduction]
La présidente : J’ai cru comprendre qu’elle existe déjà et ce, depuis 2012.
Le sénateur Carignan : Je sais. Je veux simplement m’assurer que le processus pour obtenir cette autorisation est rapide et qu’il n’est pas compliqué par une exigence de publication et le type de procédure qui prend du temps. Je veux m’assurer que c’est un processus très rapide.
M. Hallman : Un décret peut être pris assez rapidement. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus fastidieux.
[Français]
Mme Pham : Au sujet de la partie 3, c’est-à-dire la Loi sur la protection des eaux navigables canadiennes, nous avons également une clause concernant les urgences. Dans ce cas, le ministre des Transports peut ordonner un arrêté verbalement. Bien sûr, toute la paperasse doit se faire de manière ordonnée, mais un arrêté verbal est acceptable pour cette partie du projet de loi.
Le sénateur Carignan : Merci.
La sénatrice Saint-Germain : J’aimerais intervenir au sujet du décret, car c’est un enjeu important. Pouvez-vous nous expliquer un peu la convocation? Il y a le décret ministériel, qui est de l’autorité du ministre et qui peut se faire rapidement. Quand il s’agit du conseil des ministres, pouvez-vous nous rappeler les délais pour les réunions d’urgence du conseil des ministres avec le quorum minimal? Combien de ministres peuvent prendre un décret du gouvernement dans une situation d’urgence et quel est le délai? Est-ce moins de 24 heures ou plus de 24 heures?
M. Lucas : Je crois qu’il faut deux ministres pour signer le décret. On peut le faire presque immédiatement. Cela ne nécessite pas nécessairement une réunion. Dans les situations d’urgence, le gouvernement agit rapidement pour la sécurité et la santé publiques.
La sénatrice Saint-Germain : Cela peut se faire par téléphone, au moyen d’un conseil formé de cinq ministres, si ma mémoire est bonne, et ce, en moins de 24 heures. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Lors de nos audiences à Winnipeg, nous avons entendu le témoignage de la Canada West Foundation, qui a beaucoup travaillé à ce projet de loi et qui a soulevé une préoccupation qui était relativement nouvelle à ce moment. Les gens de la fondation ont publié un rapport à ce sujet aujourd’hui. Il s’agit du paragraphe 65(2), et je vais maintenant, pour ainsi dire, paraphraser le rapport.
Les gens de cette fondation disent que le paragraphe 65(2) introduit une nouvelle faille en précisant non seulement que la décision doit être fondée sur le rapport de l’Agence, mais que le gouverneur en conseil doit aussi considérer et démontrer par écrit qu’il a tenu compte des cinq facteurs d’intérêt public énumérés à l’article 63. La Canada West Foundation soutient que c’est nouveau, différent et problématique parce que cela oblige le gouverneur en conseil à remettre en question la décision de l’organisme de réglementation. Ses représentants disent que le gouverneur en conseil ne peut plus se fier uniquement au rapport et à la recommandation de l’organisme de réglementation. Ils craignent que, ce faisant, la loi mine la jurisprudence antérieure. Ils citent les décisions de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Northern Gateway et Trans Mountain, qui ont déterminé qu’une décision du gouverneur en conseil n’était pas contestable parce que le gouverneur en conseil s’appuyait sur le rapport de l’organisme de réglementation. Leur argument, c’est que si vous demandez dorénavant au gouverneur en conseil de préparer son propre rapport en réponse aux facteurs d’intérêt public, il ne pourra plus dire qu’il a pris sa décision en fonction de ce que dit la RCE. Maintenant, il doit faire sa propre analyse, qui serait plus contestable dans le cadre d’un litige. Que pensez-vous de l’argument de la Canada West Foundation au sujet du paragraphe 65(2).
Mme Tremblay : Sur la question de la jurisprudence, nous croyons que tous les principes de droit administratif établis par la Cour continueront de s’appliquer aux institutions pertinentes, y compris la Régie canadienne de l’énergie, et...
La sénatrice Simons : Il s’agit toutefois d’un argument différent.
Mme Tremblay : Nous croyons qu’il existe une jurisprudence, et tout ce qui a été établi dans le cadre de l’ONE et les différents types d’affaires continueront de s’appliquer à la nouvelle Régie de l’énergie.
La sénatrice Simons : C’est un autre débat. Martha Hall Findlay s’est dite préoccupée par le fait que si l’ONE devient la RCE, la jurisprudence de l’ONE ne s’appliquera plus. C’est un détail subtil, mais tout à fait différent. Il s’agit de la décision du gouverneur en conseil à la fin d’un processus. L’on soutient que, sous le régime précédent, le Cabinet pouvait se fier à l’évaluation de l’organisme de réglementation et dire qu’une décision avait été prise en fonction de l’évaluation de l’organisme. L’on soutient maintenant que le paragraphe 65(2) introduit un critère entièrement nouveau, à savoir que le gouverneur en conseil doit préparer son propre rapport écrit pour déterminer si le projet répond ou non aux critères d’intérêt public énoncés à l’article 63. Je ne suis pas avocate, mais j’aimerais bien comprendre si ces préoccupations au sujet de cette disposition sont fondées.
M. Lucas : Je signale que l’article 63, ainsi que l’article 60, si je ne m’abuse, indiquent expressément que la décision du gouverneur en conseil — ou du ministre, dans l’article précédent — sera fondée sur le rapport.
La sénatrice Simons : D’accord.
M. Lucas : Sans équivoque. Au paragraphe 65(2), on précise encore une fois que la décision doit être fondée sur le rapport. Cet article vise à assurer la transparence quant à la prise en compte du rapport. Il ne s’agit pas de produire un nouveau rapport. Il s’agit simplement de fournir les motifs d’une décision, ce qui revient actuellement à établir une preuve de l’examen du rapport par le gouvernement. Cela permet d’assurer la transparence, mais la décision est clairement fondée sur le rapport remis au ministre ou par l’entremise du ministre et fourni au gouverneur en conseil comme fondement essentiel de la décision.
Le sénateur Mitchell : Je vais faire une brève déclaration pour donner suite à la réponse de M. Hallman au sénateur Woo. Il est intéressant que vous ayez parlé des trois raisons pour lesquelles un projet pourrait être retardé ou suspendu, tout cela à l’initiative du promoteur. Dans le premier document, il y en avait quatre. C’est en réaction directe aux pressions exercées et aux préoccupations exprimées que ces motifs ont été ramenés à trois.
M. Hallman : C’est exact. Je vous remercie de le préciser, sénateur. Dans le document de travail initial qui a été publié il y a un an, on laissait entendre qu’il y aurait un quatrième critère, s’il manque des renseignements essentiels, ce que nous faisons actuellement, mais les promoteurs ont demandé ce que cela signifiait. Beaucoup de gens ont demandé ce que cela signifiait. Si ces renseignements sont si essentiels, pourquoi ne pas les avoir obtenus au début de la planification? Nous avons estimé que c’était une bonne question. Si nous voulons imposer aux ministères fédéraux experts, aux organismes de réglementation du cycle de vie, aux promoteurs, aux peuples autochtones et aux collectivités la responsabilité de participer et de travailler intensément pendant cette période de 180 jours au départ, il faut s’attendre à ce que toutes les exigences en matière de renseignements essentiels aient été cernées tôt, et oui, nous demanderons des comptes aux promoteurs pour qu’ils fournissent ces renseignements, et ce sera dans leur intérêt de le faire, mais nous ne pensons pas qu’il faille interrompre le processus pour cela.
Le sénateur Mitchell : Il y a donc des preuves de réaction, de simplification et de clarification. Merci.
Ma prochaine question s’adresse à Mme Pham, du ministère des Transports. J’aimerais poser une question précise au sujet des eaux navigables. Je m’aventure littéralement en eau profonde, un peu à l’instar de certaines de ces eaux navigables. Ma question concerne la modification des dispositions d’urgence qui a préoccupé certaines autorités, en particulier les autorités municipales, qui sont passées d’une vaste portée à l’inclusion des problèmes sociaux qui pourraient survenir en raison d’une urgence à des questions de sécurité nationale, qui sont importantes, bien sûr, mais qui sont plus précises et qui pourraient exclure d’autres aspects qui devraient être considérés comme urgents, ce qui favoriserait une intervention plus rapide.
Mme Pham : Merci beaucoup, sénateur. La raison pour laquelle, dans le cadre de la LENC, nous avons modifié le libellé concernant les situations d’urgence, c’était par souci d’harmonisation avec la définition d’une urgence en vertu des lois et des projets de loi sur la sécurité nationale. Cela ne vise certes pas à exclure certaines situations entourant la nécessité, par exemple, de transporter certains biens essentiels vers les marchés, ou pour des raisons sociales ou de sécurité publique. Nous allons donc préciser cela, mais la LENC ne vise assurément pas à exclure et à restreindre ce qui est considéré comme une urgence. C’est simplement que la définition d’urgence peut aussi être harmonisée avec celle qui figure dans les projets de loi sur la sécurité nationale.
Le sénateur Mitchell : Merci.
La sénatrice McCoy : Est-ce que je remplace maintenant la sénatrice LaBoucane-Benson?
La présidente : Non. Elle reviendra.
La sénatrice McCoy : D’accord. J’ai cru qu’elle m’avait demandé de la remplacer au cas où elle ne reviendrait pas, madame la présidente, alors si elle ne revient pas, j’aimerais la remplacer.
La présidente : Sénatrice McCoy, posez votre question.
La sénatrice McCoy : On me dit que je remplace la sénatrice McCallum. Je suis donc membre du comité aujourd’hui.
La présidente : Pourriez-vous poser votre question?
La sénatrice McCoy : Oui, mais j’espérais vous inviter à me reconnaître comme membre du comité.
La présidente : Bon. À titre de précision, la sénatrice LaBoucane-Benson est de retour, et la sénatrice Saint-Germain remplace la sénatrice McCallum.
La sénatrice McCoy : Je suis désolée, j’ai été mal informée, ou du moins, mon personnel a mal compris.
La sénatrice Seidman : C’est de ma faute.
La présidente : Sénatrice McCoy, je vous en prie.
La sénatrice McCoy : Tout cela est très compliqué. Il me reste une question à poser, mais j’en ai deux. La première, j’aurais voulu la poser tout de suite après l’intervention du sénateur Woo au sujet de la suspension des délais. Je voudrais savoir si suspension veut dire la même chose que prolongation pour vous. Est-ce simplement un synonyme?
M. Hallman : Non, il y a une distinction entre les deux. C’est une bonne question. La suspension désigne un temps où « l’horloge s’arrête » selon l’expression de certains, un temps d’arrêt dans le délai prescrit par la loi, qui est actuellement de 365 jours pour les projets dirigés par l’agence. Une prolongation signifie qu’un ministre ou le Cabinet peut prolonger le délai au-delà de 365 jours.
La sénatrice McCoy : Je suis désolée. Je me suis couchée un peu avant minuit hier soir et je n’ai donc pas pu lire votre nouveau document de travail sur les délais, alors pardonnez-moi. Y a-t-il des lignes directrices que le Cabinet ou le ministre doivent respecter à l’heure d’exercer ce pouvoir discrétionnaire?
M. Hallman : Toute prolongation accordée par le ministre ou le Cabinet doit s’afficher dans le registre public de l’agence, avec des précisions sur la raison et la durée de la prolongation.
La sénatrice McCoy : Mais n’y a-t-il pas des critères limitant l’exercice de ce pouvoir?
M. Hallman : Si on s’en tient aux précédents, madame la présidente, en règle générale, cela se produit quand nous cherchons à harmoniser les approches en matière d’atténuation de concert avec une province, par exemple. C’est le genre de raison.
La sénatrice McCoy : J’ai une deuxième question pour clarifier les choses. On a tendance à l’oublier, mais dire qu’on va se limiter aux questions de compétence fédérale est une phrase toute faite, et on a tendance à croire que l’on sait ce que cela signifie. Aux fins du compte rendu, vous pourriez peut-être énumérer toutes les raisons pour lesquelles il y a compétence fédérale? Il y a les oiseaux migrateurs, bien entendu, il y a les pêches, mais la liste ne s’arrête pas là. Pourriez-vous nous donner toute la liste?
M. Hallman : Les domaines de compétence fédérale comprendraient le poisson et l’habitat du poisson, les espèces aquatiques en péril, les oiseaux migrateurs, les changements à l’environnement sur le territoire domanial, y compris les terres de réserve des Premières Nations, les effets transfrontaliers comme les gaz à effet de serre et la qualité de l’air, et les effets environnementaux attribuables à divers types de projets sous réglementation fédérale, dont ceux qui portent sur le nucléaire, le réseau ferroviaire, les ports, les aéroports, les pipelines interprovinciaux et l’énergie extracôtière.
La sénatrice McCoy : La pollution atmosphérique serait également réglementée par le gouvernement fédéral? Et les matières dangereuses le seraient-elles aussi? Y a-t-il d’autres catégories? C’est assez vaste.
M. Lucas : J’allais justement souligner que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement s’applique à des domaines comme les substances toxiques, la pollution atmosphérique et les gaz à effet de serre, par exemple. Comme la ministre l’a fait remarquer, les décisions de la Cour suprême ont confirmé le rôle fédéral, qui est souvent partagé avec les provinces.
La sénatrice McCoy : Oui, alors la compétence fédérale et maintenue et exercée dans une sphère assez vaste, disons. Elle n’est pas étroitement définie.
M. Lucas : Mais les domaines sont clairement énumérés et définis par les lois et il appartient aux tribunaux de les interpréter et clarifier.
La sénatrice McCoy : Merci.
La présidente : Nous allons poursuivre avec la liste des sénateurs qui souhaitent poser des questions à la ministre.
La sénatrice Eaton : Bienvenue de nouveau, madame la ministre. Dans le mémoire que vous nous avez présenté aujourd’hui, vous parlez du pouvoir discrétionnaire du ministre et de la ligne de visée beaucoup plus claire que la loi permettra. Êtes-vous la seule ministre à intervenir, ou est-ce un peu comme pour l’approvisionnement militaire, où cinq ministres participent de près aux grands achats militaires?
Mme McKenna : Merci beaucoup de votre question.
Je m’excuse. Malheureusement, l’opposition a déclenché un autre vote inattendu, et c’est pourquoi je suis en retard.
J’ai fait remarquer dans ma déclaration préliminaire que le pouvoir discrétionnaire du ministre suscite des préoccupations. Je m’explique. Tout d’abord, nous n’apportons pas de changements importants au système tel qu’il a été adopté par le gouvernement conservateur précédent en ce qui concerne la prise de décisions et les pouvoirs discrétionnaires. Ce que nous avons entendu dire, c’est que les décisions finales devraient rester du ressort des ministres élus et responsables.
À l’heure actuelle, la grande distinction en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire, et je crois qu’il est extrêmement important de le comprendre, c’est que, en vertu du projet de loi C-69, lorsque le ministre ou le Cabinet exerce un pouvoir, la décision doit être rendue publique et affichée en ligne avec les justifications nécessaires. C’est absolument essentiel si l’on ne veut pas avoir à expliquer, comme il m’est arrivé de devoir le faire, pourquoi on s’est contenté de publier un communiqué de presse pour annoncer telle ou telle décision prise sous le régime actuel par le gouvernement précédent. Ce n’est pas transparent, et ce n’est pas du tout évident.
La sénatrice Eaton : Vous avez mis en place ce merveilleux mécanisme grâce à des consultations très importantes auprès des peuples autochtones, qui seront impliqués et qui en ressentiront les effets. En même temps, vous l’avez politisé, car peu importe ce qui ressortira de ces consultations, ce sera vous — et non pas un office — qui aurez le pouvoir d’agréer ou de rejeter un projet, ou encore d’opter pour une prolongation des délais.
Mme McKenna : Le pouvoir discrétionnaire est beaucoup plus vaste sous le régime actuel et, dans la mesure où je crois qu’il a été politisé par le gouvernement précédent, il n’y avait pas de transparence dans le processus décisionnel et on se contentait d’annoncer les décisions.
La sénatrice Eaton : Qu’est-ce que cela a à voir avec ce projet de loi?
Mme McKenna : Dans ce projet de loi, nous avons répondu à cette préoccupation. En définitive, après avoir entendu les Canadiens, nous estimons que la décision finale devrait être prise par des ministres élus et responsables, et il se trouve que nous avons été élus. Les provinces ont abordé les évaluations environnementales en suivant le même raisonnement. Les décisions devront désormais reposer sur les facteurs et le rapport d’évaluation d’impact, et elles doivent être prises de façon transparente afin que le public puisse vraiment comprendre leur raison d’être.
La sénatrice Eaton : Merci.
Le sénateur Woo : Madame la présidente, je veux céder mon temps à mes collègues de l’opposition. Comme le temps de comparution de la ministre est limité, j’aimerais que d’autres en profitent.
Le sénateur Patterson : Merci, madame la ministre. Mick Dilger, président et chef de la direction de Pembina Pipelines, a dit au comité, lors d’une récente audience, que si le projet de loi C-69 est adopté, aucun nouveau pipeline majeur ne sera construit au Canada et que nous serions la risée du monde entier. Al Monaco, président et chef de la direction d’Enbridge, a dit quant à lui que pour peu qu’elle évalue les risques avec prudence, aucune entreprise ne voudra investir de capitaux dans ce cadre. Ce sont les dirigeants de deux des plus grandes sociétés pipelinières du Canada. Nous avons entendu des commentaires analogues de la part d’ATCO et de TransCanada.
Malgré vos prétentions au sujet des investissements, voilà ce que disent les investisseurs. Ce sont eux qui ont l’argent. J’aimerais vous demander si vous êtes préoccupée par ces commentaires et d’autres encore qui augurent qu’aucun nouveau pipeline majeur ne verra le jour si le projet de loi C-69 est adopté dans son libellé actuel.
Mme McKenna : Je vous remercie de votre question. La situation actuelle me préoccupe. Nous n’avons pas pu construire de pipelines parce que le processus actuel ne fonctionne pas. Il ne nous permet pas de consulter le public et les intervenants comme il se doit, et il ne fait rien pour mobiliser les gens au départ.
Regardez où nous en sommes avec l’expansion de Trans Mountain. Soyons clairs : le projet d’expansion de ce réseau n’est pas visé par le projet de loi C-69, même si certains s’obstinent à faire un rapprochement entre les deux. Le projet et les défis à relever dans ce contexte — que le projet de loi aurait réglés, j’en suis persuadée, et la situation serait tout autre — relevaient de la loi précédente et du gouvernement précédent.
Mais je vois ce que vous voulez dire. Pendant trois ans, nous avons écouté des gens de partout au pays, des Canadiens, des Autochtones, des représentants de l’industrie, de l’association minière, toutes sortes de gens. Qu’est-ce qu’ils voulaient? Eh bien, de la certitude. Je comprends.
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais j’ai travaillé en Indonésie, dans un cabinet d’avocats spécialisé en droit pétrolier et gazier, ainsi qu’auprès des Nations Unies à des projets pétroliers et gaziers au Timor-Oriental. Je sais que nous sommes en concurrence avec le reste du monde pour les investissements. Je comprends aussi la nécessité de la certitude et à quel point il est malheureux de nous retrouver invariablement devant les tribunaux et que nous soyons dans l’impossibilité d’acheminer nos ressources vers les marchés.
Comme je l’ai dit, nous ne demandons qu’à entendre des suggestions pour des amendements qui nous permettront de bâtir un meilleur système. Je suis tout à fait d’accord. Quant à notre gouvernement, nous avons besoin d’un meilleur système. Cela dit, nous croyons avoir répondu à toutes les préoccupations que nous avons entendues, et pas seulement à celles de l’association des pipelines et autres. Nous devons rassurer tout le monde.
Voyez un peu ce que nous avons fait. La mobilisation précoce améliorera grandement les choses. Nous aurons des lignes directrices personnalisées pour l’énoncé des incidences, ce qui donnera plus de certitude à l’égard de ce qui est requis. Nous aurons un plan de consultation des Autochtones. J’ai entendu des représentants de l’industrie. Ils ont dit qu’ils doivent comprendre ce que nous allons faire à ce sujet. Du côté de la coopération avec les provinces, nous ne sommes parfois pas en mesure de respecter notre devise « un projet, une évaluation », ce qui n’a aucun sens. Nous devons travailler avec les provinces. Il faut un plan de délivrance de permis pour que vous puissiez montrer à vos investisseurs que nous savons ce que nous devons faire. S’il y a des signaux d’alarme, il s’agira de les prévoir dès le départ pour trouver des moyens de mieux faire. Un plan de participation du public.
Ce sont toutes de bonnes choses qui nous permettront d’améliorer la situation et que de bons projets soient menés à bien et de façon durable, que les Canadiens puissent avoir confiance en notre système, que les investisseurs étrangers qui songent au Canada et y voient un excellent pays où investir, n’y renoncent pas sous prétexte que nous avons besoin d’un système. C’est pourquoi je pense qu’il importe de bien faire les choses, mais nous devons aussi faire adopter ce projet de loi pour donner aux entreprises la certitude qu’elles veulent. C’est ce qu’elles veulent. Elles veulent un processus fiable, bien défini. Elles veulent des délais prévisibles. Elles veulent savoir que nous jouons un rôle fédérateur, qu’elles ne se retrouveront pas invariablement devant les tribunaux sans pouvoir faire avancer de bons projets.
Le sénateur Patterson : Madame la ministre, mis à part les porte-parole de l’industrie, nous avons entendu Jason Kenney aujourd’hui, et l’Assemblée législative de la Saskatchewan a voté à l’unanimité pour demander à votre gouvernement de retirer le projet de loi. Le premier ministre du Nouveau-Brunswick a dit qu’il s’agissait d’un projet de loi interdisant les pipelines. Les gouvernements du Manitoba, de l’Ontario, du Québec et de Terre-Neuve demandent des amendements de fond. Ne reconnaissez-vous pas que les gouvernements provinciaux, tous partis confondus, s’entendent pour dire que le projet de loi C-69 pose de graves problèmes?
Vous savez, nous avons très peu de temps pour travailler les amendements au cours des prochaines semaines. Êtes-vous d’accord pour dire que le Sénat devrait apporter des amendements majeurs au projet de loi C-69 pour répondre aux graves préoccupations de nos provinces?
Mme McKenna : Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, nous ne demandons qu’à envisager des amendements qui établissent de meilleures règles et font en sorte que de bons projets puissent être réalisés en temps opportun tout en protégeant l’environnement. C’est ce que nous espérons. Nous espérons travailler avec le Sénat. Nous croyons en ce processus. Je pense qu’il est très important que le Sénat comprenne que le monde nous regarde et que nous devons avoir une certaine certitude à cet égard. Nous avons besoin d’une nouvelle loi qui soit meilleure et qui nous permette de mener à bien de bons projets.
Je suis pleine d’espoir, mais n’oublions pas que trois ans se sont écoulés depuis que nous avons présenté des principes provisoires en 2016. Il s’agissait d’un engagement clé de notre gouvernement à mettre en place de meilleures règles pour tous les Canadiens afin que nous puissions attirer des investissements, protéger notre environnement, prendre des décisions fondées sur des données scientifiques probantes et que de bons projets puissent être réalisés en temps opportun. J’apprécie certainement les efforts du Sénat, j’ai écouté de nombreuses personnes et pris connaissance d’autres opinions, et j’espère que nous pourrons aller de l’avant ensemble. Nous ne demandons pas mieux que d’envisager des amendements susceptibles d’améliorer le projet de loi C-69.
[Français]
Le sénateur Mockler : Madame la ministre, j’ai deux petites questions et j’espère que vous n’utiliserez pas la rhétorique sur « le gouvernement conservateur précédent » et que vous regarderez vos objectifs en tenant compte de —
[Traduction]
Vous dites que le monde a les yeux tournés sur nous. Or, ayant traversé le Canada d’un océan à l’autre, et croyez-moi, avec mes 36 années d’expérience en politique, je peux vous dire que les Canadiens nous regardent aussi. J’aimerais attirer votre attention sur le fait que j’étais à un syndicat — ma question s’en vient, si vous me le permettez, et elle n’a rien de réjouissant. Le modérateur était l’ambassadeur Frank McKenna — je suppose que nous le connaissons tous, il est très crédible — et il a dit que dans ses voyages dans le monde il a souvent entendu les gens lui dire, et je cite, que le Canada s’abstient d’investir à cause de l’incertitude et du projet de loi C-69. M. Sohi était présent, et il a reconnu que nous manquons de pipelines au Canada.
Cela dit, la question que je vous pose, porte sur le projet Trans Mountain — et j’espère qu’il réussira comme projet d’importance nationale. La question que je veux vous poser, madame la ministre, est la suivante. Les ministres nous ont dit que le gouvernement a mené — et vous y avez fait allusion — de vastes consultations et déployé d’innombrables efforts dans ce dossier. Est-ce que le processus actuellement en cours avec Trans Mountain deviendra la nouvelle norme pour tous les futurs projets au Canada?
Mme McKenna : Je vous remercie de votre question. Pour ce qui est du projet d’expansion du réseau Trans Mountain, nous suivons exactement les exigences de la cour en matière de mesures d’adaptation et d’atténuation. C’est la loi. Nous suivons les lois du pays.
Quant aux investissements, je vais répéter ce que j’ai dit. J’ai beaucoup de respect pour Frank McKenna, et il porte un très bon nom de famille, surtout. Nous devons attirer des investissements, mais le défi à l’heure actuelle — et je l’ai déjà dit —, c’est que le projet de loi qui a été présenté auparavant, et non pas par notre gouvernement, dans le cadre duquel nous travaillons actuellement, n’a souvent pas ce qu’il faut pour faire avancer de bons projets, et ce, en raison de divers facteurs, dont le manque de participation précoce des peuples autochtones. Cela crée un endroit binaire où les gens sont confrontés. Ce n’est pas une bonne recette pour réussir, pour avoir de la certitude ou pour attirer des investissements. Nous nous efforçons résolument d’avoir un système qui fonctionne et qui fasse ce qu’il est censé faire. Bien sûr, il faut tenir compte des répercussions sur l’environnement et de ce que la loi exige en matière de consultation et d’adaptation aux besoins des peuples autochtones, mais il faut aller plus loin, parce que nous voulons que ces peuples participent à de bons projets, qu’ils en tirent profit et qu’ils réussissent. C’est bon pour notre pays.
C’est pourquoi nous croyons que le processus que nous avons nous permet d’atteindre cet objectif, dans la mesure où il y a des façons pour nous tous de travailler ensemble pour faire un meilleur travail, tout en respectant nos exigences constitutionnelles et notre objectif de favoriser la réconciliation et d’améliorer la situation. Nous sommes certainement prêts à envisager cela.
Le sénateur Mockler : Madame la ministre, nous avons entendu dire qu’il existe un répertoire de plus de 400 projets d’exploitation des ressources déjà en cours ou prévus pour la prochaine décennie au Canada, dont la valeur combinée s’élève à 585 milliards de dollars — le sénateur Patterson y a d’ailleurs fait allusion, tout comme les ministres. Pourriez-vous ventiler ces chiffres et nous dire ce qui correspond au Canada atlantique?
Mme McKenna : Ce sont des projets qui ne sont pas dans le système. Ils sont simplement proposés, et ils se fondent sur des estimations. J’aimerais bien qu’il y en ait davantage. Il est toujours bon d’avoir des opportunités, je pense.
Le sénateur Mockler : Je vous demande des précisions.
Mme McKenna : Je vais peut-être demander à la sous-ministre de RNCan de vous répondre. Elle saura sans doute mieux vous renseigner à ce sujet.
La présidente : Vous avez déjà promis de nous faire parvenir cette liste, alors je pense que nous pouvons passer à autre chose pour gagner du temps.
Le sénateur D. Black : Madame la ministre, merci d’être ici. Permettez-moi de dire tout d’abord que je ne remets certainement pas en question les bonnes intentions de ce projet de loi, pas plus que les vôtres ou celles de vos fonctionnaires. Ce que je remets en question catégoriquement, c’est son application.
J’aimerais remonter un peu dans le temps. J’étais membre du Comité des finances lorsque votre collègue, le ministre Morneau, a proposé des changements fiscaux radicaux pour les petites entreprises, et nous savons ce que cela a donné. Ce qui ne laisse pas d’être curieux, c’est que je me retrouve à devoir vous poser la même question que je lui ai posée il y a deux ans, et qui disait plus ou moins ceci : « Monsieur le ministre, comment se fait-il qu’après trois ans de consultations par milliers, nous nous retrouvions dans une situation où huit gouvernements et trois territoires, des entreprises du secteur des ressources naturelles et autres — songez par exemple à Dave McKay, président et chef de la direction de la Banque Royale —, des syndicats, de nombreuses Premières Nations et pratiquement tous les groupes de réflexion s’opposent radicalement à ce projet de loi dans sa forme actuelle? » Tout cela après les consultations.
J’ai eu le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Le gouverneur Poloz a comparu devant nous hier. Je vais vous dire ce qu’il a dit. Il n’est pas satisfait de la performance économique du pays en ce moment. Au cours des deux ou trois dernières semaines, il a revu à la baisse ses prévisions à l’égard de la performance économique du pays. Il a dit que cela est en grande partie lié au déclin de l’industrie des ressources naturelles, où il n’y a pas de certitude.
Alors, comment cette consultation, qui nous a menés ici aujourd’hui — les commentaires du gouverneur Poloz et l’éviscération de l’industrie des ressources naturelles, particulièrement de l’industrie pétrolière et gazière — peut-elle être bonne pour les Autochtones qui essaient de briser le cycle de la pauvreté dont nous avons entendu parler? Comment cela peut-il être bon pour le Canada? Et comment cela peut-il être bon pour les citoyens de la classe moyenne? Ce sont eux, justement, qui perdent leur emploi. C’est ce qui me préoccupe et c’est ce que nous tenons à réussir.
Mme McKenna : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Je sais que je me répète, mais dans le cas du prolongement du pipeline de Trans Mountain, c’est le processus antérieur qui a été suivi. J’espère que nous pouvons tous convenir que ce fut un échec dans ce contexte.
En Alberta, le secteur de l’énergie a d’énormes défis à relever. Je considère que je suis la ministre de l’Environnement de tous les Canadiens, y compris les travailleurs du secteur de l’énergie, et c’est pourquoi nous avons travaillé si fort sur ce projet de loi. Je sais qu’il y a des inquiétudes, et permettez-moi de vous dire que nous essayons de trouver le bon équilibre, parce qu’il faut aussi protéger l’environnement pour les prochaines générations. C’est extrêmement important. Nous avons rencontré beaucoup de gens qui nous ont fait part de leurs préoccupations. Je crois qu’il y a peut-être des solutions. Je sais qu’ils ont proposé des amendements.
Soyons clairs sur ce que nous avons fait, car c’est vraiment important, selon moi. Les changements apportés à l’ACEE de 2012 ont été apportés dans le cadre d’un projet de loi omnibus d’exécution du budget pour lequel il n’y a eu aucune consultation. Nous avons consulté et écouté. Nous avons écouté tout le monde, pas seulement les groupes de l’industrie. Les peuples autochtones, l’APN, ont adopté une motion lors de leur assemblée en appui à ce projet de loi. Nous avons reçu des commentaires positifs de la part de différents intervenants et même des provinces, qui nous ont intimé de respecter les compétences provinciales, et nous avons dit très clairement que nous n’allions examiner que les projets qui relèvent de la compétence fédérale. Et la certitude viendra lorsque nous nous réunirons, que nous apporterons des améliorations et que nous adopterons ce projet de loi afin que tout le monde comprenne les règles.
Je sais que vous en avez entendu parler, car je suis informée tous les jours. C’est l’une de mes trois grandes priorités. Depuis notre arrivée, j’ai trois priorités. Premièrement, il faut s’assurer d’avoir un plan climatique canadien qui implique tout le monde, ce que nous avons. Nous travaillons fort sur ce plan. Malheureusement, certaines provinces font marche arrière, mais nous allons de l’avant parce que c’est ce à quoi les Canadiens s’attendent. Deuxièmement, il faut agrandir les parcs et les aires protégées. Troisièmement, il faut rétablir la confiance dans les évaluations environnementales afin que les bons projets puissent être réalisés en temps opportun tout en respectant l’environnement.
Les partisans de ce projet de loi comprennent de nombreuses entreprises, les Premières Nations, de nombreuses provinces et collectivités. Des amendements constructifs ont aussi été apportés. Nous sommes extrêmement heureux de trouver des façons d’améliorer les règles. Nous devons établir de meilleures règles parce que le système actuel ne fonctionne pas.
Le sénateur Wetston : Je serai bref. Je n’étais pas ici plus tôt, alors je n’ai pas entendu tous vos témoignages, mais, madame la ministre, l’un des domaines auxquels j’ai réfléchi un peu et pour lequel vous pourriez peut-être nous aider, c’est que les tribunaux indépendants de réglementation ont toujours assuré la stabilité pendant de longues périodes de changement, surtout dans les situations où les gouvernements et les orientations stratégiques changent. L’une des raisons pour lesquelles ces tribunaux indépendants existent, c’est qu’ils assurent cette stabilité malgré les modifications législatives. Comme vous le savez, au Canada, il y a eu beaucoup de stabilité au cours des 50 dernières années dans la construction de pipelines, par exemple, y compris les installations hydroélectriques dans les provinces.
Je m’explique. J’ai entendu quelque chose que j’ai un peu de difficulté à comprendre, étant donné l’importance des questions que vous avez soulevées aujourd’hui. Comment les industriels promoteurs de projets réagiront-ils au risque et à l’incertitude liés aux changements de politique gouvernementale qui devraient être perceptibles sous peu? Je pense que c’est un facteur de risque très important auquel l’industrie et les promoteurs font face, bien entendu, mais aussi les groupes autochtones et les environnementalistes. Qu’en pensez-vous?
Mme McKenna : Merci beaucoup, monsieur Wetston. Je sais que vous avez joué un rôle très important au Canada en tant qu’organisme de réglementation.
L’ACEE de 2012 a été un changement. C’était différent. Comme je l’ai dit, il a été présenté dans le cadre d’un projet de loi omnibus, ce qui a été un grand changement. Et maintenant, nous regardons ce qui se passe, et je pense que nous pourrions tous être d’accord — et l’industrie est d’accord avec nous aussi. L’industrie souhaite que les processus soient plus rapides et aimerait avoir plus de certitude au sujet des attentes, de toutes ces questions dès le départ. C’est l’objectif de ce projet de loi, selon nous.
Mais je suis d’accord avec vous. Les organismes de réglementation jouent un rôle extrêmement important. C’est pourquoi le régime que nous avons vise à tirer parti de l’expertise et des connaissances des organismes fédéraux de réglementation du cycle de vie. Nous avons déjà eu une discussion, car je sais qu’un certain nombre de sénateurs des provinces de l’Atlantique veulent s’assurer que les offices des hydrocarbures extracôtiers aient un rôle à jouer. Ils n’avaient pas de rôle officiel reconnu dans le cadre de l’ACEE de 2012, ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi C-69.
Les organismes de réglementation du cycle de vie ont un rôle à jouer dans la réglementation de toutes les étapes d’un projet, soit de l’étape préalable à la demande et l’étape de la demande, et de la construction, à l’exploitation puis la désaffectation, jusqu’à la fin de la vie utile de l’établissement. L’agence continuera de travailler en étroite collaboration avec l’organisme de réglementation du cycle de vie dès le départ pour s’assurer que nous avons un processus intégré qui répond aux exigences de la Loi sur l’évaluation d’impact et au processus réglementaire applicable. Donc, ils participeront. Ils feront partie de la planification préliminaire et des comités d’examen intégrés qui évaluent le processus.
La présidente : Merci beaucoup, madame la ministre.
(La séance est levée.)