Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 60 - Témoignages du 9 avril 2019 (séance du matin)
CALGARY, le mardi 9 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 8 h 2, pour étudier ce projet de loi.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et je préside le comité. Je demande maintenant aux sénateurs de se présenter, en commençant par le sénateur Mockler.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire du traité no 6, en Alberta.
Le sénateur D. Black : Doug Black, de l’Alberta.
La présidente : Je vous présente nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Jesse Good et Sam Banks, à ma droite. Voici également Maxime Fortin, greffière du comité.
Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
Je tiens à préciser aux témoins que nous sommes ici pour traiter des enjeux qui se rapportent au projet de loi C-69. Nos délibérations ne portent pas sur d’autres projets de loi ni sur d’autres sujets n’ayant aucun lien avec le C-69. Nous voulons que la réunion se déroule de manière aussi efficace que possible.
Nous accueillons notre premier groupe de témoins. Nous recevons deux représentants de Cenovus Energy : M. Al Reid, premier vice-président et avocat général, et Mme Ariane Bourassa, conseillère principale, Affaires gouvernementales. Nous avons deux représentants de l’organisme Canadian Natural Resources Limited : M. Steve Laut, vice-président exécutif du conseil, et M. Nicholas Gafuik, gestionnaire, Affaires publiques. Nous recevons aussi deux représentantes de l’Impériale : Mme Theresa Redburn, vice-présidente principale, Développement commercial et corporatif, et Mme Helga Shield, directrice, Environnement, réglementation et socioéconomique.
Vous disposez de cinq minutes pour faire une déclaration liminaire, puis il y aura une période de questions et réponses.
Nous commençons par la gauche. Allez-y.
Theresa Redburn, vice-présidente principale, Développement commercial et corporatif, Impériale : Bonjour. Je m’appelle Theresa Redburn. Je suis la vice-présidente principale du développement commercial et corporatif de la société Impériale. Je suis accompagnée aujourd’hui de Mme Helga Shield, directrice, Environnement, réglementation et socioéconomique.
Je veux tout d’abord remercier le comité et les honorables sénateurs de nous donner l’occasion de comparaître aujourd’hui.
L’Impériale est une entreprise canadienne fondée il y a 138 ans, dont les actifs sont entièrement canadiens et qui emploie 5 700 personnes. Permettez-moi de vous communiquer une vision pour le Canada. Le Canada a l’occasion de devenir un fournisseur d’énergie responsable pour le monde entier. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale d’énergie augmentera de 25 p. 100 de 2016 à 2040 et, en 2040, le pétrole et le gaz naturel continueront de répondre à plus de 50 p. 100 de la demande.
Aux yeux d’un investisseur, le Canada a toujours eu beaucoup à offrir : des ressources de premier ordre, une stabilité politique relative, des normes environnementales rigoureuses comparativement à celles d’autres pays et un respect des droits des Autochtones. Cependant, à l’heure actuelle, le Canada n’arrive pas à soutenir la concurrence et à attirer de nouveaux investissements de capitaux dans de grands projets pétroliers et gaziers. Ces trois dernières années, les investissements ont presque diminué de moitié au Canada, tandis qu’aux États-Unis, ils se sont accrus de près de 40 p. 100 en seulement un an.
Les écarts de compétitivité entre le Canada et les autres pays causés par notre régime de réglementation sont inquiétants. La semaine dernière, David McKay, chef de la direction de la Banque Royale, a déclaré qu’il entendait souvent des investisseurs exprimer des préoccupations quant au recul du Canada dans le monde. Les gens qui investissent dans l’Impériale ont les mêmes inquiétudes.
Selon l’Indice de la facilité de faire des affaires établi par la Banque mondiale, le Canada se classe au 34e rang parmi les 35 pays de l’OCDE pour ce qui est du temps requis pour obtenir l’approbation de l’organisme de réglementation approprié pour un projet de construction. Or, à l’échelle mondiale, le Canada se classe dans le quintile supérieur en ce qui concerne la performance environnementale et il arrive au quatrième rang parmi les pays de l’OCDE pour ce qui est de la rigueur des politiques environnementales. Par exemple, l’an dernier, le projet de réparation de la canalisation 21 d’Enbridge, une mesure de sécurité proactive visant un tracé existant, a été approuvé. Il a fallu plus d’un an pour obtenir la permission de remplacer moins de 1 p. 100 du pipeline, ou 2 kilomètres. Nous avons été forcés de cesser nos activités à Norman Wells et de déplacer des employés. Les entreprises locales en ont souffert, de même que les redevances.
J’en arrive au projet de loi C-69. L’Impériale souscrit à l’objectif général de cette réforme du régime réglementaire tel que l’a décrit le gouvernement, soit regagner la confiance de la population et favoriser l’acheminement des ressources vers les marchés. Les investisseurs ont besoin d’un processus clair, transparent, efficace et prévisible. Les industries tributaires du commerce comme la nôtre ont besoin que le processus rende le pays concurrentiel.
Le projet de loi C-69 est excessivement compliqué, il propose un processus qui exige beaucoup de temps et qui ne fournit aucune assurance et il est susceptible de faire l’objet d’une contestation judiciaire. Par conséquent, il accroît l’incertitude chez les investisseurs. Dans sa forme actuelle, le projet de loi représente un frein majeur aux investissements, aux emplois et aux retombées connexes. Surtout, la notion de participation significative des peuples autochtones et du public n’est pas définie. C’est un élément trop important qu’on ne peut se permettre de régler plus tard. Les discussions liées aux politiques publiques doivent être évacuées du processus décisionnel relatif aux projets et se tenir là où il se doit. Il faut une liste raisonnable de projets désignés qui ne fait pas double emploi avec ce que gèrent déjà les organismes de réglementation du cycle de vie. Pour éviter le double emploi et l’inefficacité, il faut absolument des ententes de coopération entre les autorités fédérales, provinciales et autochtones.
Voici ce qui nous préoccupe : les échéanciers et l’élimination du critère lié au droit de participation, les retards, la hausse des dépenses en capital, la baisse des taux de rendement, tous des éléments qui nuisent à notre compétitivité. Enfin, il convient de tenir compte des retombées économiques positives pour les collectivités et le Canada dans son ensemble.
Nous appuyons sans réserve la série d’amendements présentés au Sénat par l’Association canadienne des producteurs pétroliers.
Je veux terminer mon intervention en soulignant que l’industrie pétrolière et gazière est reconnue depuis longtemps pour ses innovations et ses réalisations. Nous collaborons comme jamais avec l’Alliance canadienne pour l’innovation dans les sables bitumineux et avec le Réseau d’innovation pour les ressources propres. Les sables bitumineux du Canada illustrent bien l’adage voulant que nécessité soit mère d’invention.
Ainsi, l’Impériale investit depuis plus de 100 ans des sommes considérables dans la R-D au Canada. Nous avons de nouvelles technologies qui vont permettre de réduire l’intensité des gaz à effet de serre de 90 p. 100 environ. Cela change la donne, si on a la possibilité de les mettre en œuvre.
Pour résumer, il faut que le processus d’évaluation du Canada encourage le dialogue sur les moyens de faire en sorte que les projets permettent de construire quelque chose de positif et de souhaitable qui aurait des avantages pour les collectivités locales et le pays tout entier. Un processus d’évaluation prévisible, réalisé en temps opportun et transparent permettra de créer des emplois, de favoriser les activités commerciales mondiales et de faire avancer la réconciliation. Je vous demanderais d’examiner la série d’amendements proposée par l’Association canadienne des producteurs pétroliers et de prévoir un délai suffisant avant l’entrée en vigueur de ce projet de loi. Il est très important de bien faire les choses. Le Canada a la possibilité, la responsabilité et le devoir d’être un fournisseur d’énergie à long terme dans le monde. Le monde ne s’en portera que mieux si une plus grande quantité d’énergie provient du Canada. Nous espérons une collaboration qui mènera à la concrétisation de cette vision.
Je vous remercie et je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci.
Monsieur Laut.
Steve Laut, vice-président exécutif du conseil, Canadian Natural Resources Limited : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir donné cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui à propos du projet de loi C-69 et de l’importance de bien faire les choses relativement à cette mesure législative.
Je m’appelle Steve Laut. Je suis vice-président exécutif du conseil de Canadian Natural Resources, une entreprise qui se place au premier rang parmi les producteurs de pétrole et de gaz au Canada et mène des activités en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. Elle a son siège social au Canada, elle est construite par des Canadiens, elle est gérée par des Canadiens. C’est une réussite toute canadienne. Sa production est passée de 400 barils d’équivalent pétrole par jour en 1989 à 1,1 million aujourd’hui. Elle compte environ 10 000 employés et crée des dizaines de milliers d’emplois indirects et d’emplois induits bien rémunérés. Nous sommes fiers de travailler avec 160 municipalités, 75 communautés autochtones et plus de 35 000 propriétaires fonciers dans le cadre de nos activités.
Canadian Natural, comme l’ensemble du secteur pétrolier et gazier, a livré une performance environnementale révolutionnaire. Misant sur la technologie et l’ingéniosité canadienne, notre entreprise se classe aujourd’hui au troisième rang pour les investissements dans la recherche et développement dans toutes les industries au Canada.
Le secteur pétrolier et gazier du Canada a fait de ce qui était considéré un pétrole à forte intensité en 2009 le pétrole de première qualité sur la scène internationale, et ce, en 10 ans. Nous avons bien l’intention de poursuivre les améliorations.
Canadian Natural a réduit les émissions liées à ses activités d’extraction et de valorisation des sables bitumineux Horizon, a réduit les volumes de méthane évacué dans ses activités de production primaire de pétrole lourd, a piégé le CO2 dans ses installations Quest, un ensemble de mesures qui représente l’équivalent du retrait de la circulation de 2 millions de voitures, soit 5 p. 100 de tous les véhicules au Canada.
L’ensemble de l’industrie a obtenu des résultats tout aussi impressionnants. Nous sommes préparés pour faire encore mieux.
Nous ne sommes plus en 2009. Aujourd’hui, du point de vue des changements climatiques, de même que d’autres mesures environnementales, mesures sociales et mesures de gouvernance, le pétrole et le gaz canadiens sont des produits de qualité supérieure. Tous les Canadiens ont de quoi en être très fiers.
Notre performance est importante, car la demande mondiale en énergie continue de croître et le pétrole brut et le gaz naturel vont demeurer un élément important des choix énergétiques mondiaux dans un avenir prévisible.
Dans ce contexte, le Canada est particulièrement bien placé pour se tailler une place de premier plan en matière de lutte contre les changements climatiques et de se démarquer. Le Canada a la possibilité d’augmenter sa production de pétrole et de gaz naturel pour répondre à la demande mondiale croissante et de remplacer ainsi des sources d’énergie qui produisent davantage d’émissions, réduisant du même coup les émissions qui entraînent des changements climatiques à l’échelle mondiale.
Pour pouvoir profiter de cette occasion, il nous faut un processus réglementaire facile à appliquer et efficace qui nous permet d’accroître notre accès aux marchés et d’acheminer nos produits de qualité supérieure ailleurs dans le monde.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-69 est impossible à appliquer. Cependant, en y apportant des amendements sensés, il serait possible d’en faire une mesure d’application facile et de créer un grand nombre d’emplois bien rémunérés pour les Canadiens, de mettre à profit l’ingéniosité canadienne, d’appuyer l’investissement dans un ensemble de sources d’énergie à faibles émissions de carbone et de faire du Canada un chef de file mondial en matière de lutte contre les changements climatiques.
Pour rendre le projet de loi C-69 facile à appliquer, comme l’industrie, nous sommes en faveur d’amendements permettant d’améliorer l’efficacité réglementaire, l’efficience, et de réduire les délais; d’augmenter la certitude quant aux décisions; d’accroître la clarté du processus d’examen pour l’industrie, les communautés autochtones et les autres intervenants.
Canadian Natural a travaillé en collaboration avec des associations de l’industrie, dont l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association minière du Canada, afin d’élaborer un vaste ensemble d’amendements. Je sais que ces deux associations ont déjà fourni ces recommandations d’amendements au Sénat pour l’industrie. Je tiens à souligner que Canadian Natural appuie tous ces amendements.
Si nous faisons bien les choses, nous pouvons en arriver à un cercle presque vertueux de rendement économique, environnemental et social et renforcer le pays. Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de présenter notre point de vue.
La présidente : Merci.
Monsieur Reid.
Al Reid, premier vice-président et avocat général, Cenovus Energy Inc. : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir donné cette occasion de présenter le point de vue de mon entreprise. Merci à vous tous d’être venus en Alberta pour recueillir les opinions des Albertains à propos de cet important projet de loi.
Je m’appelle Al Reid. Je travaille pour Cenovus Energy, une société pétrolière et gazière dont le siège social se trouve à Calgary. Notre exploitation des sables bitumineux in situ est la plus importante au Canada. Nous employons plus de 3 000 Canadiens. Le développement responsable des ressources est une chose que nous prenons au sérieux. Entre 2009 et 2017, nous avons acheté pour plus de 2,4 milliards de dollars en produits et services auprès d’entreprises autochtones. Depuis 2004, nous avons réduit d’un tiers l’intensité des émissions de gaz à effets de serre de nos projets d’exploitation des sables bitumineux.
Bien que ce ne soit plus directement ma responsabilité, j’ai été avocat dans le domaine réglementaire et j’ai l’expérience des processus d’évaluation environnementale et d’approbation des projets.
Les projets d’exploitation de sables bitumineux in situ de l’Alberta ont toujours été régis par l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta. Le projet de loi C-69 pourrait changer cela. Cette question sera abordée dans un règlement, je me contenterai donc de dire pour le moment que nous estimons que la surveillance fédérale de l’industrie en amont est complètement superflue compte tenu de l’expertise qui existe déjà en Alberta, de la façon dont les projets antérieurs ont été approuvés et de la réglementation dans la province.
En tant qu’entreprise qui pourrait vouloir faire approuver des projets, ce n’est pas que nous ne nous attendons pas à un processus d’évaluation rigoureux ou n’accueillons pas favorablement un tel processus. C’est ce à quoi nous sommes habitués. Par contre, nous pensons qu’il faut bien faire les choses. Nos observations aujourd’hui sont celles d’un promoteur qui souhaite continuer à réaliser des projets au Canada.
Qui plus est, notre industrie dépend presque complètement des pipelines pour acheminer son produit vers les marchés. Malheureusement, le processus réglementaire actuel est exploité par des entités qui veulent entraver et retarder la production de pétrole et de gaz canadiens et finir par y mettre un terme. Dans son libellé actuel, le projet de loi C-69 va empirer les choses en prolongeant les délais et en augmentant le risque de litiges. Nous sommes d’avis qu’il est possible de faire autrement.
Notre but ici a été de proposer des amendements qui respectent les objectifs stratégiques du gouvernement, tout en augmentant la certitude relativement aux délais et en renforçant le cadre juridique dont notre industrie a besoin pour continuer d’investir dans l’économie canadienne. Les amendements que nous proposons figurent dans le mémoire de l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Nous recommandons l’adoption de tous ces amendements.
Compte tenu du facteur temps, je vais me limiter à quelques exemples des changements qui, à notre avis, permettraient de renforcer le projet de loi. Ils touchent un certain nombre de thèmes.
Premièrement, nous pensons qu’il est très important que l’agence ait le mandat nécessaire pour s’acquitter de sa tâche. Un grand nombre des amendements que nous proposons ont pour but de permettre à l’agence et à la Régie canadienne de l’énergie de faire leur travail. Il faut que le cadre juridique approprié soit établi dans la mesure législative si on veut éviter que les décisions soient prises par les tribunaux plutôt que par l’organisme de réglementation.
Deuxièmement, les délais sont importants. À l’heure actuelle, le projet de loi C-69 prévoit un trop grand nombre de possibilités de prolongation de délai. L’amendement que nous proposons vise à maintenir la souplesse dont dispose le gouvernement pendant le processus, tout en offrant une certitude à l’industrie au moyen d’un délai maximal de deux ans entre la réalisation des études menées par le promoteur et la décision finale. Il ne s’agit pas du processus au complet. On parle de deux ans à partir du moment où l’organisme de réglementation indique qu’il a l’information dont il a besoin jusqu’à l’annonce de la décision.
Troisièmement, et c’est un autre point tout aussi important, il y a la participation du public. Les Canadiens touchés par un projet devraient avoir le droit de participer à son évaluation.
Or, le projet de loi actuel offre une grande possibilité d’abus du processus et de retards dans les projets en raison du grand nombre d’intervenants qui peuvent participer aux audiences publiques. L’agence doit avoir le pouvoir de donner la priorité aux intervenants touchés par le projet.
Enfin, l’ajout de facteurs liés aux politiques publiques nous inquiète.
L’article 22 du projet de loi comprend une liste élargie de facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’examen d’un projet, dont bon nombre sont des questions de politiques publiques. Nous estimons que les processus d’évaluation environnementale sont des processus décisionnels et non un mécanisme de débat des politiques publiques. Pour pouvoir s’acquitter efficacement de son rôle, l’agence devrait pouvoir préciser clairement quels sont les facteurs pertinents pour des projets précis. Nous pensons que c’est ce que le gouvernement veut faire, mais ce n’est pas indiqué clairement dans le projet de loi actuel.
Voilà un aperçu général de nos réserves.
Je vous remercie. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup d’avoir respecté le temps de parole qui vous était alloué.
Nous allons à présent passer à une période de questions. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur MacDonald.
Le sénateur MacDonald : Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence ce matin. Je pense que je vais adresser ma première question à Canadian Natural Resources Limited.
Comme vous vous en doutez sûrement, nous avons entendu les témoignages de plusieurs groupes environnementaux au cours des quelques derniers mois et hier aussi, tout comme nous le ferons aujourd’hui. Selon eux, nos lois environnementales sont parmi les moins rigoureuses au monde. Un groupe nous a même dit que le Canada a les lois environnementales les moins rigoureuses des pays industrialisés. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez et comment vous voyez nos lois environnementales par rapport à celles d’autres pays.
Je vous adresse cette question en raison de ce que je sais sur votre entreprise. J’ai été agréablement surpris de la réduction des émissions réalisée par celle-ci dans l’exploitation des sables bitumineux. Pourriez-vous aborder ces deux points?
M. Laut : Je vous remercie de me poser cette question et de me donner l’occasion d’y répondre, car je pense que c’est une chose dont le Canada devrait être très fier. Nos règlements environnementaux sont parmi les meilleurs, sinon les meilleurs, au monde. Ce n’est pas seulement l’industrie qui le dit. Une firme d’ingénierie — je crois que c’était WorleyParsons — a effectué une vérification indépendante de tous les processus réglementaires dans le monde. Le Canada s’est classé parmi les trois premiers. Je pense que seule la Norvège nous devance, avec des règlements environnementaux très rigoureux.
Regardez les règlements qui ont été pris ici en Alberta et au Canada sur le méthane et sur le CO2, ainsi que la législation visant le problème du CO2 en Alberta. Cela a permis d’améliorer la performance. L’industrie — tant ses représentants ici présents que le reste de celle-ci — est résolue à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Notre consommation d’eau a considérablement diminué, ainsi que notre empreinte terrestre. Nous avons accompli cela en mettant à profit l’ingéniosité canadienne et en misant sur la technologie. Nous avons réalisé d’énormes progrès.
Je crois que, en montrant des diapositives aux sénateurs il y a quelque temps, nous avons indiqué que, si tous les autres pays avaient les mêmes normes que le Canada pour le torchage, les émissions de gaz à effet de serre du monde entier diminueraient de 23 p. 100.
Le Canada ne peut pas fournir du pétrole au monde entier, mais si les autres pays adoptaient les règlements que nous avons ici au Canada, cela permettrait de réduire les émissions de 23 p. 100. Cela équivaut à retirer de la circulation trois fois le nombre d’automobiles que nous avons au Canada, seulement en adoptant les règlements canadiens.
Nos règlements sont rigoureux et l’industrie les appuie. Nous tentons d’améliorer la performance. Nous voulons l’améliorer, et nous y arrivons.
J’espère que cela répond à la question.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.
Madame Redburn, vous avez dit dans votre exposé que les discussions liées aux politiques publiques doivent être évacuées du processus décisionnel relatif aux projets pour se dérouler dans un forum approprié. Pouvez-vous nous dire plus précisément ce dont vous voulez parler?
Mme Redburn : Merci, monsieur le sénateur. Selon nous, un des problèmes du processus décisionnel relatif aux projets vient du débat sur l’ampleur et l’effet des changements climatiques, car on se sert de ce débat pour aller plus loin, au-delà des impacts d’un projet. Il est difficile de répondre à cela dans le cadre d’un projet précis.
De plus, le projet de loi prévoit des critères pour des choses comme l’analyse comparative des sexes ou d’autres considérations liées au sexe. Il devient difficile de savoir exactement ce dont on a besoin — quels sont les critères et les besoins? Même si ces aspects sont mieux précisés dans la réglementation, s’ils demeurent vagues dans le projet de loi, il y a là un écart qui ouvre la porte à la contestation judiciaire, à d’autres retards et à de nouveaux débats.
Voilà pourquoi nous demandons d’avoir plus de précisions dans le projet de loi et pourquoi nous avons formulé des recommandations à cet égard.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.
La présidente : J’ai le rôle ingrat de surveiller le temps. Chaque sénateur dispose de trois minutes. Ainsi, tout le monde aura l’occasion de poser des questions.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C’est un grand plaisir pour moi d’être à Calgary.
Je vous remercie de vos exposés. Ils étaient très clairs. Vous avez été très précis dans les changements que vous recommandez. Ce sera très utile pour le comité.
J’aimerais revenir sur la question que plusieurs d’entre vous ont soulevée ce matin, mais que nous avons aussi entendue de la part des témoins à Ottawa et à Vancouver, hier. Cette question concerne les échéanciers.
On a posé cette question au début aux représentants du ministère. J’aimerais obtenir plus de précisions de votre part. Selon eux... Comme nous le savons, le ministre peut prolonger le délai une fois, pour une période de 90 jours, mais le ministère a dit que cela concorde avec la loi de 2012 qui est actuellement en vigueur. La différence, avec ce projet de loi, c’est que maintenant, si la prolongation dure plus longtemps, le ministre ou le gouverneur en conseil doit en informer le promoteur par écrit, en précisant les raisons pour lesquelles il l’a accordée. En fait, le projet de loi va un peu plus loin, en ce sens que le ministre ou le gouverneur en conseil doit justifier sa décision par écrit. Autrement, c’est semblable à ce qui est déjà en place.
Pourriez-vous nous donner des précisions, surtout sur ce que vous aimeriez voir comme échéanciers?
M. Reid : Je peux répondre à cette question. La seule chose que nous avons précisée — c’est dans le mémoire de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, et nous l’avons aussi souligné ce matin — c’est qu’il devrait y avoir une période de deux ans, du moment où le promoteur présente des études à l’agence et que celle-ci confirme qu’elles sont suffisantes pour répondre aux questions qu’elle juge pertinentes. Cette période de deux ans suit la période de 180 jours qui débute au moment où la description du projet est publiée par l’agence et qui dure pendant toutes les consultations publiques auprès des citoyens, ainsi que des agences, des agences fédérales qui doivent donner des approbations pour permettre au projet d’aller de l’avant.
D’après mon expérience, une description de projet n’est pas soumise dès la première ébauche. Cela prend probablement de trois à six mois avant qu’elle soit soumise. Ensuite, il y a une autre période de six mois, les 180 jours, qui permet d’en arriver à un avis du début de l’évaluation d’impact. Ensuite, il y a la durée de l’étude environnementale, qui n’est pas définie, avant de recevoir un avis relatif à l’article 19.4 de la part de l’agence, qui indique qu’elle a reçu toutes les études dont elle a besoin.
Nous avons formulé des suggestions pour rendre plus efficace le processus de planification préliminaire de 180 jours, que nous considérons comme important. Nous croyons que si la planification initiale est effectuée comme il le faut — après la première communication avec l’organisme de réglementation, il s’écoulera probablement une année avant que l’agence fournisse l’avis du début de l’évaluation d’impact —, une fois que l’organisme de réglementation a reçu toutes les études qu’il juge pertinentes, un délai de deux ans serait raisonnable pour compléter l’évaluation.
La sénatrice Cordy : J’allais poser une question sur la planification initiale, mais vous en avez parlé. Merci de votre réponse.
Madame Redburn, vous avez dit qu’il faut prévoir un délai suffisant avant l’entrée en vigueur du projet de loi, s’il est adopté. Je suis certaine que vous espérez voir aussi vos amendements être adoptés. À quel délai songez-vous pour l’entrée en vigueur, et pourquoi est-ce important de donner suffisamment de temps à l’industrie pour qu’elle s’adapte aux changements?
Mme Redburn : Merci, madame la sénatrice. Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour répondre à la question concernant le moment propice pour l’adoption par le Sénat et la Chambre des communes. Je dirais que, étant donné la complexité de cette mesure législative, cela exigera un travail considérable.
Nous avons proposé des amendements détaillés pour faciliter cet exercice, mais nous voulions simplement qu’on prenne en compte la situation dans son ensemble et qu’on adopte une perspective plus vaste.
Un des éléments de cette perspective plus vaste — et Al a parlé des échéanciers —, c’est qu’il n’est pas seulement question de l’échéancier comparativement à l’ancien processus de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, mais aussi de notre position comparativement aux autres pays qui nous font concurrence pour attirer des capitaux dans le domaine de l’énergie. C’est très important de voir au-delà de nos frontières.
En février, l’Institut C.D. Howe a publié un rapport dans lequel on compare le Canada à d’autres pays. On peut y lire que le Canada mène deux fois plus d’évaluations environnementales que l’Australie pour les projets pétroliers et gaziers. Le rapport contient de nombreux exemples.
Je pense que c’est important, quand il est question des délais — celui pour adopter un bon projet de loi ou celui qui s’applique au processus de réglementation en tant que tel —, de regarder l’ensemble du tableau, car on voit alors que le Canada a actuellement de la difficulté à attirer des capitaux. Merci.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente. Ma première question s’adresse à M. Reid.
Lorsque nous avons rencontré le premier ministre Lougheed — ma foi, voilà un acte manqué. Lorsque nous avons rencontré la première ministre Rachel Notley à Ottawa, il y a quelques semaines, elle a soulevé certaines préoccupations du gouvernement de l’Alberta concernant la réglementation in situ. Elle nous a ensuite présenté ses amendements, qui sont différents de ceux de l’Association canadienne des producteurs pétroliers et de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, lesquels prévoient une évaluation particulière in situ. Il y a un certain nombre de choses qu’elle aimerait faire évaluer. J’aimerais avoir votre point de vue.
Selon vous, est-ce nécessaire? Est-ce que votre groupe appuierait cela?
M. Reid : Oui, absolument, nous appuyons cela. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, l’actuel organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta, l’ancien Office de conservation des ressources énergétiques, réglemente depuis longtemps notre industrie dans cette province. Notre société produit plus de 800 000 barils de pétrole par jour grâce à ce processus qui encadre les autorisations et l’exploitation. C’est un processus rigoureux qui implique une planification précoce, des consultations et la participation des collectivités touchées. C’est un processus très rigoureux qui fonctionne.
L’expertise que possèdent l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta et le ministère de l’Environnement de l’Alberta quant au fonctionnement de ces projets et aux considérations à prendre en compte lors de l’évaluation environnementale est un des facteurs qui explique son bon fonctionnement.
Selon nous, il serait redondant d’imposer une évaluation fédérale, alors que la province gère déjà cet aspect convenablement.
La sénatrice Simons : Très bien. J’ai une question qui n’est pas directement liée à cela, mais qui est étroitement liée au groupe d’amendements que l’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’Association minière du Canada nous ont présenté. La question porte sur la disposition privative. Je vous la soumets en raison de votre expérience dans le domaine juridique.
Je sais que la disposition privative est un élément clé de ce groupe d’amendements. Des personnes nous ont également dit que, selon elles, la disposition ne résistera pas à une contestation judiciaire ou qu’elle aura comme conséquence que des affaires se rendront jusqu’en Cour suprême. J’aimerais connaître votre opinion quant à l’importance d’ajouter cette disposition privative. Croyez-vous qu’elle sera efficace, ou s’agit-il plutôt d’une sorte de façade politique?
M. Reid : Il n’y a rien dans la série d’amendements qui ne fait que jeter de la poudre aux yeux. En tant qu’industrie, nous avons essayé d’adopter une approche très pragmatique quant à la détermination des dispositions devant être modifiées pour que nous puissions considérer le projet de loi acceptable et informer nos conseils d’administration de la marche à suivre et du temps requis pour faire approuver un projet, le réaliser et commencer à voir des rentrées de fonds, car c’est ce que fait notre industrie. Nous avons adopté une approche très pragmatique.
Je crois que la disposition privative est nécessaire pour éviter des problèmes lorsqu’un organisme de réglementation a pris des décisions. Le libellé de nos amendements indique clairement qu’il incombe à l’organisme de réglementation de prendre ces décisions parce qu’il est l’expert.
C’est pour cette raison que la disposition privative est mise en place et que nous estimons qu’elle est très importante. Elle est comprise dans l’ancienne Loi sur l’Office national de l’énergie ainsi que dans la loi qui régit l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta. Elle stipule qu’un organisme de réglementation est instauré parce qu’il peut prendre des décisions liées aux répercussions environnementales, à la production et à d’autres domaines semblables et nous pensons que ce pouvoir décisionnel lui revient.
Si vous ne lui donnez pas le pouvoir de faire son travail et de prendre de telles décisions et n’indiquez pas clairement que ces décisions ne relèvent pas des tribunaux, il est possible qu’elles soient prises par un groupe de juges. Ce sont des gens très instruits, mais ils ne sont pas des experts qui ont été mis en place par la loi.
La sénatrice Simons : Les décisions vont toutefois continuer de leur revenir, n’est-ce pas? Elles reviendront simplement à la Cour d’appel fédérale plutôt qu’à...
La présidente : Je suis désolée. C’est...
La sénatrice Simons : Nous en parlerons plus tard.
La présidente : Le sénateur Black a la parole.
Le sénateur D. Black : Je remercie les témoins de leur présence ici et de leur travail assidu sur ce projet de loi important. Je n’ai pas le privilège de siéger au comité. Je suis donc reconnaissant à la présidente de me permettre de participer aujourd’hui et de vous poser des questions.
Je suis un optimiste. J’ai bon espoir que la série d’amendements dont nous parlons et sur laquelle nous travaillons très fort sera acceptée par le comité et, au bout du compte, par le Sénat et la Chambre des communes.
Supposons toutefois qu’elle est rejetée. Supposons que les amendements adoptés ne conviennent pas à l’industrie et au gouvernement.
Quels conseils donneriez-vous au comité concernant le projet de loi C-69?
La présidente : Qui veut répondre à la question?
La sénatrice Simons : Personne.
La sénatrice Cordy : Personne.
La présidente : Personne. D’accord, passons à la prochaine question.
M. Laut : Personne ne veut répondre à cette question.
La présidente : Merci.
M. Laut : Je suis également un optimiste. Je ne veux donc pas penser à la possibilité d’un échec. Cependant, les amendements appuyés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’Association minière du Canada, toutes les associations industrielles et presque toutes les provinces sont des amendements sensés. Ils renforcent le projet de loi; ils ne le diluent pas. Ils le rendent plus fort.
Ils fournissent une plus grande certitude et de plus grands délais non seulement pour l’industrie, mais aussi pour les groupes autochtones et tous les autres intervenants.
Idéalement, vous voulez un projet de loi qui donne aux Autochtones, aux autres intervenants et à l’industrie l’assurance qu’ils peuvent exprimer leurs points de vue et faire entendre leurs préoccupations et que les deux seront pris en compte afin de réaliser des projets sensés et écologiques qui créent des centaines et des milliers d’emplois pour les Canadiens, qui acheminent des produits de qualité supérieure aux marchés mondiaux et qui réduisent les émissions responsables des changements climatiques. Voilà ce que nous voulons.
Je pense que nos objectifs concordent avec ceux de tous les participants du processus. Nous avons besoin d’un projet de loi clair et sensé qui fournit de la certitude sur le plan des délais et nous devons avoir confiance dans le système. À l’heure actuelle, ce n’est pas ce que nous avons, mais j’ai bon espoir que nous l’obtiendrons.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
La présidente : Je remercie tous les témoins d’être ici. J’ai deux questions rapides.
Madame Redburn, dans votre présentation, vous avez indiqué que le changement permettrait de regagner la confiance de la population. Selon mon expérience personnelle avec l’Office national de l’énergie, que j’ai acquise lorsque je faisais partie du gouvernement de la Colombie-Britannique et après que j’ai quitté la politique provinciale, je n’ai jamais reçu de lettre m’informant que quelqu’un ne faisait pas confiance à l’office. En réalité, je pense que c’est exactement le contraire. Le gouvernement a toutefois dit que nous devons regagner la confiance du public et que ce projet de loi le ferait.
Vous avez tous indiqué qu’il serait désastreux pour les emplois actuels et futurs et les investissements de ne pas modifier le projet de loi. Vous dressez un tableau très décourageant.
Pensez-vous que le gouvernement regagnerait vraiment la confiance du public, de tous les gens qui tomberaient au chômage ou des personnes qui n’ont pas d’avenir s’il forçait l’adoption du projet de loi et le mettait en œuvre? Je viens du nord-est de la Colombie-Britannique, tout se rapporte au gaz et au pétrole. Je ne pense pas que les Canadiens auront confiance dans le projet de loi C-69. Ils estimeront qu’il a fait disparaître leur emploi et leur occasion de mener une bonne vie.
Mme Redburn : Merci, madame la sénatrice. Je veux préciser mes propos.
Nous avons appuyé l’objectif de regagner la confiance du public. Cependant, vous avez raison, nous estimons que le projet de loi ne l’atteindrait pas. D’ailleurs, nous ne réaliserions pas de projets à la suite du projet de loi. Comme vous l’avez dit, la difficulté qui se pose alors est que des emplois seraient perdus, les liens étroits entre de nombreux intervenants de l’industrie et les programmes et les avantages communautaires autochtones seraient perdus et la croissance économique canadienne serait gravement touchée.
Nous appuyons les objectifs du projet de loi, mais nous nous soucions du moyen par lequel nous y parviendrons.
C’est pour cette raison que nous avons présenté une série d’amendements si exhaustive pour essayer de cerner le moyen.
Le sénateur Neufeld : Monsieur Laut, je vous remercie d’être ici. Vous dites que le projet de loi est impossible à appliquer dans sa forme actuelle. Je ne suis pas en désaccord avec vous pour l’instant. Nous devons étudier sérieusement beaucoup d’amendements. Le gouvernement actuel aurait pu réduire l’angoisse de l’industrie en présentant au moins une liste de projets pouvant faire l’objet d’un examen et ainsi de suite.
L’un d’entre vous a-t-il vu — possiblement sur le dos d’une enveloppe — ce qui pourrait être considéré comme la liste des projets? Selon un groupe du Manitoba, c’est exactement ce que c’était.
La sénatrice Simons : C’est vrai. Je suis sérieuse, oui.
Le sénateur Neufeld : Ces gens ont affirmé avoir vu une liste de projets, tout comme certains de leurs sous-ministres et ainsi de suite, mais ils ont juré de garder le secret.
L’un d’entre vous a-t-il vu ce type de liste de projets?
Mme Redburn : Je n’en ai pas vu.
Nicholas Gafuik, gestionnaire, Affaires publiques, Canadian Natural Resources Limited : Non. J’ajouterais simplement que, en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, il y a une liste de projets...
Le sénateur Neufeld : C’est exact.
M. Gafuik : Cependant, à cette exception près, je n’en ai pas vu.
M. Reid : Monsieur le sénateur, nous n’avons pas vu de liste de projets et cela nous préoccupe vivement.
Le sénateur Neufeld : Exactement. Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur une idée de projet de corridor énergétique. Le projet de loi n’inclut pas la possibilité d’un corridor énergétique pour faciliter la venue. Que pensez-vous de l’idée de mettre en place un corridor énergétique? La loi devrait-elle être modernisée de façon à prévoir des consultations ou des aspects spécifiques pour la création de ce type de corridor?
[Traduction]
M. Laut : Je serai le premier à essayer de donner une réponse. Je vous remercie de votre question.
Si je comprends bien votre question, je pense que nous demandons des amendements au projet de loi C-69 qui feraient d’un corridor énergétique une possibilité réaliste. Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne permettrait pas à un corridor énergétique de voir le jour. En raison de son libellé, vous ne verrez même pas de tels projets entamer le processus, car il n’y a aucune certitude. La seule certitude concernant le processus est qu’il sera incertain et que le projet sera retardé.
Le corridor énergétique représente probablement une très bonne idée. Cependant, nous devons intégrer ces amendements dans le projet de loi C-69 afin que de bons projets de ce genre puissent être approuvés.
La présidente : Quelqu’un d’autre veut-il commenter?
M. Reid : Je suis d’accord avec M. Laut. Le projet de loi ne contient aucune disposition qui faciliterait la réalisation d’un corridor énergétique. Nous croyons que ce serait une bonne idée d’en inclure un. L’industrie a besoin d’un processus réglementaire qui prévoit davantage de certitude dans le processus et les résultats, y compris les délais, et nous ne le trouvons pas dans le projet de loi. Voilà ce que nous reprochons au projet de loi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Dans les critères d’approbation, croyez-vous qu’on devrait tenir compte de la réduction des gaz à effet de serre d’un point de vue mondial? On regarde la production et les effets ici au Canada, mais si vous développez des projets de gaz naturel qui sera exporté en Chine et qui réduira leur consommation de charbon, le résultat net d’un point de vue mondial sera une réduction des gaz à effet de serre. À votre avis, devrait-on tenir compte de ce type de réduction à l’échelle mondiale, et non pas regarder seulement la cible canadienne?
[Traduction]
M. Laut : Je vais répondre en premier. Comme je l’ai indiqué dans mes observations préliminaires, je pense que le Canada devrait être très fier de ce qu’il a accompli sur le plan de la réduction de l’intensité des émissions provenant de toutes ses activités de production de pétrole et de gaz naturel.
Vos observations sont vraies. Le projet de gaz naturel liquéfié du Canada qui est actuellement en chantier aura un effet équivalant à la fermeture de 40 centrales au charbon. Il permettra de réduire les émissions du Canada de 5 p. 100. Pour l’instant, les émissions augmenteront en raison de la construction d’une centrale, mais, dans l’ensemble, elles diminueront de 5 p. 100 à l’échelle mondiale. Si vous examinez les ressources du Canada, vous pourriez facilement construire cinq usines de gaz naturel liquéfié. Cela équivaudrait à réduire les émissions de gaz à effet de serre du Canada de 50 p. 100. C’est une énorme réduction. Je veux dire que 50 p. 100 est un gros pourcentage.
Comme vous l’avez souligné plus tôt, le Canada possède les réglementations les plus strictes. Toute la production canadienne et les ressources requises pour l’acheminer à l’usine de gaz naturel liquéfié et ensuite réduire les émissions à l’échelle mondiale sont extrêmement importantes. Dans toutes les discussions, je pense que nous avons perdu de vue le fait que, si nous produisons du pétrole et du gaz canadiens, nous réduirons les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Ce n’était pas le cas en 2009 pour le pétrole, mais c’est le cas aujourd’hui. Je pense que nous devrions reconnaître ce fait et l’examiner.
Mme Redburn : J’appuie ces propos. D’ailleurs, comme je l’ai dit dans mes commentaires, étant donné que le Canada se distingue à l’échelle mondiale sur le plan des normes environnementales, des droits de la personne et des moyens technologiques utilisés pour réduire l’intensité des gaz à effet de serre de ses activités, il peut surpasser les produits pétroliers et gaziers des autres pays. Les normes d’un bon nombre de ces pays, si ce n’est pas la majorité d’entre eux, sont loin d’être aussi strictes que les nôtres. Le monde serait un meilleur endroit s’il y avait plus d’énergie canadienne.
Le sénateur Patterson : Je remercie les témoins. Il est très troublant pour moi de voir les capitaux être acheminés du Canada aux États-Unis et ailleurs, ce qui place cette province et d’autres dans une situation économique périlleuse.
J’aimerais de nouveau parler de la liste de projets insaisissables. Monsieur Reid, en tant que plus grand exploitant des sables bitumineux in situ, je me demande si vous pourriez nous expliquer ce que sont les projets in situ et leur importance pour la production de votre entreprise?
M. Reid : Les projets in situ constituent l’ensemble de la production. Nous n’avons aucun projet minier. Canadian Natural Resources Limited et l’Imperiale en ont, et ils sont certainement à la fine pointe de la technologie à cet égard.
La production in situ des sables bitumineux consiste à forer dans un gisement qui ne peut faire l’objet d’une extraction minière en raison de sa profondeur. Aujourd’hui, elle représente environ 60 p. 100 de la production des sables bitumineux. Je crois que la plupart des gens vous diraient que c’est probablement l’avenir des sables bitumineux. On procède par ce qu’on appelle le drainage par gravité au moyen de vapeur, qui est la technologie généralement employée. Il s’agit de forer deux puits horizontaux, un étant situé à cinq mètres au-dessus de l’autre. On injecte de la vapeur par le puits du dessus afin que le bitume puisse être pompé par le puits du dessous et acheminé à une usine de traitement centrale.
À l’usine de traitement centrale, on fait de la vapeur à partir d’eau saumâtre se trouvant à une grande profondeur. Cette eau ne peut être utilisée pour la consommation humaine ni pour l’agriculture. La vapeur est acheminée vers diverses plateformes d’exploitation, puis on procède à l’extraction de l’émulsion, car ce qu’on a à ce moment-là est un mélange de pétrole et d’eau. On enlève l’eau, le pétrole est mis sur le marché, et l’eau est nettoyée afin d’être réutilisée dans la production de vapeur.
Cela nous permet d’accéder à un réservoir à partir d’une plateforme d’exploitation, alors que la perturbation serait équivalente à environ la moitié d’un terrain de football.
Le sénateur Patterson : Cela représente une grande part de la production des sables bitumineux, comme vous l’avez dit, et aussi l’avenir, si l’on se fie à la façon dont les choses se présentent. Pourtant, le projet de loi C-69 menace le processus de réglementation qui est en place et qui fonctionne bien, selon ce que je comprends. À quel point est-ce important pour nous de voir cette liste avant que ne soit adopté ce projet de loi? À quel point est-ce important pour vous?
M. Reid : Je pense que c’est très important que nous puissions voir l’ensemble, tout ce qu’entraînera ce nouveau projet de loi. Depuis le début, nous disons qu’on ne peut ni annuler ni améliorer dans un règlement ce qu’on a fait dans la loi. Le projet de loi est essentiel.
Même lorsqu’il s’agit d’un bon projet de loi, il faut se demander à quoi il s’appliquera. Aujourd’hui, nous l’ignorons. Comme je l’ai dit au début, nous sommes d’avis que les choses qui fonctionnent bien à l’échelle provinciale devraient continuer d’être gérées à l’échelle provinciale. Nous ne souhaitons certainement pas avoir deux processus d’approbation. Pour nous, c’est une source de grande incertitude.
Un certain nombre de règlements et une orientation stratégique doivent être adoptés pour donner du tonus au projet de loi. Comme nous le disons dans notre mémoire, nous pensons que des évaluations stratégiques et régionales peuvent jouer un grand rôle et qu’elles donneraient aussi du tonus au projet de loi.
La présidente : Merci beaucoup.
La dernière question va au sénateur Mockler.
Le sénateur Mockler : Merci de vos exposés.
Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et du Canada atlantique. Lorsque je regarde ce qui est arrivé par le passé, je constate que, durant la période où le projet Keystone a été approuvé, pour ensuite être bloqué et finalement être rejeté, huit projets équivalents ont été réalisés aux États-Unis. Je vis dans une ville frontalière. Je peux donc vous dire combien la population du Nouveau-Brunswick paie pour un litre d’essence; c’est bien différent de ce que les gens paient au Maine ou ailleurs au Canada. Si je compare les prix que j’ai observés hier à Vancouver, on parle d’une différence de 33 à presque 55 cents le litre. Il y a un problème. Je me réjouis que vous meniez des consultations, car d’où je viens, les Premières Nations souhaitent s’impliquer. C’est assez louable de leur part de vouloir participer à l’exploitation des ressources. Nous devrions les y encourager et les inviter à la table.
Par ailleurs, le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique — les quatre premiers ministres du Canada atlantique —, entre autres, a beaucoup de préoccupations. Dans l’ensemble du Canada, il y a actuellement neuf provinces qui sont préoccupées par le projet de loi C-69.
J’aimerais que chaque témoin me donne son point de vue au sujet des préoccupations. Voici ce que disent les quatre premiers ministres du Canada atlantique :
Selon notre évaluation du projet de loi C-69 dans sa forme actuelle, les importants changements proposés à la portée des évaluations environnementales au Canada ne permettront pas d’atteindre le double objectif de la protection de l’environnement et de la croissance économique.
Cette lettre a été envoyée au premier ministre du Canada le 27 février 2019. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Le conseil dit également que, dans sa forme actuelle, le projet de loi confère un pouvoir décisionnel au ministre ou au gouverneur en conseil et donne la possibilité de rejeter les résultats d’évaluations scientifiques exhaustives ou d’examens des éléments de preuve.
Je suis conscient que le projet de loi C-69, s’il est adopté sans amendements majeurs, aura des conséquences sur les investissements et sur la compétitivité du Canada.
Avez-vous des commentaires à faire au sujet des questions soulevées par les quatre premiers ministres du Canada atlantique?
Mme Redburn : Je pourrais peut-être commencer. Merci, monsieur le sénateur.
Oui, la question de l’investissement au Canada suscite de graves préoccupations. Vous avez mentionné la double préoccupation de la protection de l’environnement et de la croissance économique. Voilà l’équilibre qui nous inquiète en ce moment, en particulier sur le plan de la croissance économique. Chaque fois que nous les rencontrons, nos investisseurs se disent surpris des mesures prises par le Canada. Ils sont déconcertés et inquiets de voir que, soudainement, une approbation n’en est plus une. Devant un tel retournement, ils se demandent effectivement ce qui ne va pas au Canada.
J’ai rencontré un membre de la haute direction d’une des plus grandes sociétés de capital privé du monde. Un de leurs investisseurs dans le secteur de l’énergie souhaitait injecter des centaines de millions de dollars dans ce secteur au Canada. Il a finalement décidé d’investir en Russie.
Ce ne sont là que quelques exemples des impressions que nous laissent nos investisseurs. On craint que ceux-ci éprouvent des réticences pour s’engager à investir au Canada en raison de l’incertitude entourant la réalisation de projets.
Voilà où nous en sommes. Nous avons déjà perdu des investissements. Si nous n’agissons pas, la situation ne fera que s’aggraver.
La présidente : Cela met fin à ce groupe de témoins. Merci beaucoup de vos témoignages et de votre participation à cette conversation importante.
Nous accueillons maintenant le deuxième groupe de témoins. Nous avons parmi nous Roy Fox, chef de la tribu des Blood, en Alberta; Clayton Blood, directeur général de Kainaiwa Resources, et Heather Exner-Pirot, experte technique. Nous accueillons également Ginny Flood, vice-présidente, Relations gouvernementales, et Janice Linehan, gestionnaire. Elles sont toutes deux de Suncor Énergie.
Nous allons passer à vos déclarations. Vous disposez de cinq minutes chacun, après quoi nous passerons aux questions et aux réponses.
Monsieur Fox, c’est à vous.
Roy (Makiinima) Fox, chef, Alberta, tribu des Blood :
[Note de l’éditeur : M. Fox s’exprime dans sa langue autochtone.]
Mesdames et messieurs les sénateurs, mon nom traditionnel est Makiinima. Je vous souhaite la bienvenue sur une partie de notre territoire ancestral et traditionnel, Calgary. Je suis chef élu de la tribu des Blood. Depuis la fin des années 1700, des dirigeants politiques, des hommes d’affaires et des chefs de guerre de notre nation sont issus de ma famille et de mon clan.
Mon grand-père à la septième génération s’appelait Stumicksoosuk, et il a été le dernier chef de guerre de la Confédération des Pieds-Noirs. Stumicksoosuk et son fils Penaquim croyaient au principe de la souveraineté financière, qui mène ultimement à une véritable autonomie, et chacun de leurs successeurs s’est vu inculquer ce principe.
Ils mettaient souvent des groupes comme la Compagnie de la Baie d’Hudson et l’American Fur Company en concurrence afin que les membres de notre nation puissent obtenir le meilleur prix possible pour leurs ressources naturelles, comme la peau de bison.
Merci sénateurs, merci madame la présidente de nous avoir invités à témoigner sur le projet de loi C-69. Je représente 13 000 Bloods, 45 000 membres de la Confédération des Pieds-Noirs, et plus de 130 Premières Nations au Canada qui participent aux activités d’exploration et de production pétrolière et gazière, et qui sont membres du Conseil des ressources indiennes.
Nous participons au secteur pétrolier et gazier depuis sept décennies. Au cours de cette période, nous sommes passés du statut de bénéficiaires passifs de redevances à celui d’employés, d’entrepreneurs, de partenaires commerciaux et de propriétaires. Ces investissements et partenariats ont profité financièrement à la tribu des Blood et ont contribué à financer des programmes liés au logement, à la culture, aux loisirs, aux aînés et à l’éducation, de même que d’autres services pendant des décennies. Aujourd’hui, le projet de loi C-69 et d’autres politiques gouvernementales qui s’opposent à l’exploitation pétrolière et gazière nuisent à ma nation. Je ne peux plus rester les bras croisés et laisser les gouvernements provinciaux et fédéral bloquer les possibilités économiques et commerciales de ma nation. Je me fais entendre dans ce dossier et je dénonce les projets de loi et les politiques qui nous privent de notre droit à l’autodétermination économique et, par conséquent, à la souveraineté financière.
Je sais que vous avez entendu de nombreux groupes autochtones, certains s’opposant au projet de loi C-69, d’autres l’appuyant. Je ne parle pas en leur nom, et ils ne parlent pas en mon nom. Je ne sais pas s’il y en a parmi eux qui ont autant d’expérience et de capacité que nous en ce qui concerne l’étape en amont du secteur pétrolier et gazier.
Nous avons commencé l’exploration et la production sur nos terres de réserve dans les années 1950. Je suis fier de dire que depuis, les activités pétrolières et gazières dans nos réserves n’ont causé aucun dommage à l’environnement et n’ont eu aucune conséquence sur la santé des gens.
Nous avons de nombreux puits et pipelines de pétrole et de gaz, y compris plusieurs stations de compression et installations pétrolières qui se trouvent sur nos terres de réserve; il n’est jamais rien arrivé à notre peuple, aux animaux et aux oiseaux, à nos terres, à l’eau et à l’air. Toutefois, le projet de loi C-69 menace maintenant les progrès économiques et les autres avancements que nous avons réalisés au cours des dernières décennies.
D’ailleurs, il y a tout juste deux semaines, l’Assemblée des chefs des Premières Nations de l’Alberta signataires d’un traité a annulé une résolution qui avait été adoptée en novembre dernier à l’appui du projet de loi C-69. Nous l’avons annulée à l’unanimité parce que les chefs comprennent de mieux en mieux les répercussions du projet de loi sur nos droits économiques et notre croissance. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et permettre l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle. Les chefs souhaitent bien comprendre ce projet de loi avant de prendre une décision favorable ou défavorable.
Je comprends que le processus d’approbation réglementaire tel qu’il existe au Canada n’est pas efficace, mais le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, ne fait qu’empirer le processus. Il compromet et sabote l’exploitation future des ressources en ouvrant la porte à des contestations judiciaires inévitables visant les projets. Il est mal formulé et vague et, par conséquent, l’industrie pétrolière et gazière est déjà en train de retirer ses investissements du pays pour en faire profiter d’autres. Les peuples autochtones ne peuvent pas transporter leurs territoires ailleurs.
Le projet de loi C-69 n’a pas reçu la sanction royale, mais nous en subissons déjà les contrecoups. La capacité insuffisante des pipelines et le manque d’investissement ont entraîné d’énormes écarts dans le prix du pétrole que nous produisons. Sur les terres de la réserve, dans un seul champ, nos redevances sont passées de 610 000 $ en août dernier à 120 000 $ en janvier. Pourtant, notre production a doublé. Aujourd’hui, le transfert des investissements se poursuit en raison de la réduction imposée par le gouvernement de l’Alberta. Une entreprise qui a des activités sur les terres de la réserve a décidé de réduire le nombre de forages prévus. Au lieu de six puits, elle n’en forera qu’un seul et elle réduit ses dépenses en capital de 24 millions de dollars à 4 millions de dollars. Nous estimons que nous perdrons 1,84 milliard de dollars uniquement en redevances. Pétrole et gaz des Indiens du Canada, un organisme fédéral, a évalué les pertes pour les Premières Nations productrices. Collectivement, il s’agit d’un montant de plus de 200 millions en redevances chaque année.
Les effets des politiques du gouvernement ne sont pas hypothétiques pour nous. Nous en ressentons déjà les répercussions. Peu m’importe que des avocats et des politiciens nous disent que le projet de loi est bon pour les Premières Nations. Il ne l’est pas dans la vraie vie, surtout pas pour la tribu des Blood.
J’ai des objections précises à formuler contre le projet de loi C-69. Les critères de participation, l’ampleur de l’ingérence politique, les déficiences de la participation préalable et le peu de considération accordé aux retombées économiques pour les Autochtones sont autant de problèmes selon moi. Nous proposons des amendements et des formulations particulières et nous les déposons séparément pour que vous en preniez connaissance. Ces recommandations se rapprochent beaucoup de celles de l’industrie. Nous sommes fiers de dire que nous avons travaillé ensemble pour que nos préoccupations se rejoignent. Pour moi, l’industrie s’efforce d’assumer ses responsabilités en matière de réconciliation — je songe à l’appel à l’action 92 pour les entreprises — en nous consultant au sujet des amendements qui auront une incidence sur nous. Le plus important pour nous est d’avoir un secteur énergétique dynamique et florissant.
Nous diversifions nos activités. Nous investissons dans des énergies de remplacement et nous continuons de faire de réels progrès sur le plan commercial dans le secteur agricole. Nous nous soucions de l’environnement. Nous avons pris soin de nos terres pendant des milliers d’années. Toutefois, nous ne pouvons remplacer les bénéfices de l’exploitation gazière et pétrolière. Nous avons besoin de profits et d’autres revenus qui nous sont propres. Nous avons besoin d’emplois productifs et d’un réel développement économique. Il ne peut y avoir une vraie autodétermination politique s’il n’y a pas de véritable indépendance commerciale et économique.
Ma tribu vient d’entreprendre une poursuite de plusieurs millions de dollars contre le gouvernement fédéral pour son ingérence et sa mauvaise gestion de nos terres agricoles et de nos actifs, il y a une centaine d’années. Je ne crois pas qu’il faudra aussi longtemps aux Premières Nations pour faire des revendications à l’encontre du gouvernement fédéral pour son ingérence dans le secteur énergétique et le droit au développement économique des Autochtones avec un projet de loi comme le projet de loi C-69. J’essaie de sortir mon peuple de la pauvreté et de l’amener à l’autodétermination. Nous sommes résolus à atteindre cet objectif. Je ne vous demande pas vraiment de m’aider de ce côté. Toutefois, je demande aux politiciens fédéraux et aux fonctionnaires de cesser d’ériger des barrières qui ralentissent notre progression.
Honorables sénateurs, nous vous demandons de corriger les lacunes du mauvais projet de loi C-69. Au nom des gens que je représente, merci beaucoup.
La présidente : Je vous remercie, chef Fox.
Madame Flood, c’est à vous.
Ginny Flood, vice-présidente, Relations gouvernementales, Suncor Énergie : Je vous remercie, madame la présidente. Bonjour à vous, honorables sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue à Calgary. Nous remercions le comité d’avoir invité des représentants de Suncor à venir témoigner dans le cadre de son étude du projet de loi C-69, et plus précisément de la Loi sur l’évaluation d’impact qui est proposée.
Je m’appelle Ginny Flood. Je suis vice-présidente des relations gouvernementales chez Suncor. Avant de travailler pour Suncor, j’ai travaillé pour Rio Tinto, une grosse société minière multinationale qui est en activité au Canada, ainsi que pour le gouvernement fédéral, où je me suis occupée de la réglementation à Pêches et Océans Canada ainsi qu’à Ressources naturelles Canada avant l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 et après celle-ci.
Suncor est la plus grosse société énergétique intégrée du Canada. Elle produit du pétrole brut qui provient de projets d’exploitation des sables bitumineux et des hydrocarbures extracôtiers. Suncor exploite aussi des raffineries et des parcs éoliens. Elle possède la plus grande usine de biocarburant au Canada et elle est l’un des principaux pourvoyeurs de projets de raffinage.
Suncor est un chef de file en matière de développement durable dans l’exploitation des ressources naturelles. Nous contribuons de manière importante à la prospérité économique et sociale du Canada grâce à notre travail avec les Autochtones et avec d’autres intervenants, ainsi que par les impôts et les redevances que nous versons à des gouvernements. Nous employons plus de 12 000 personnes et investissons environ 300 millions de dollars chaque année dans l’innovation et la technologie. Nous sommes d’ailleurs membre fondateur de la Canada’s Oil Sands Innovation Alliance, du Réseau d’innovation pour les ressources propres et d’Evok, le tout en partenariat avec d’autres membres de l’industrie.
En ce sens, le projet de loi C-69 est crucial, car le résultat aura une incidence significative sur les décisions que nous prendrons à l’égard de futurs projets d’investissements et d’exploitation au Canada. Suncor a participé activement au projet de loi C-69 et elle se réjouit du temps et des efforts consacrés aux consultations. Nous avons beaucoup travaillé avec d’autres associations de l’industrie pour faire en sorte que nos amendements concordent. Nous appuyons un système de réglementation qui permet un développement responsable de l’industrie extractive au Canada et qui instaure la confiance auprès du public et des investisseurs.
Aujourd’hui, je vais parler de quatre aspects importants où des amendements sont, à notre avis, nécessaires afin de renforcer le projet de loi C-69 et le rendre applicable.
Premièrement, le projet de loi C-69 doit rendre le processus de l’évaluation d’impact clair et efficace. Le Canada dispose d’une grande expérience dans la réalisation d’évaluations environnementales. Il est impératif de tirer parti de l’expertise et des connaissances existantes.
Pour que les délais et les résultats soient prévisibles, une solide évaluation d’impact devrait comprendre les éléments suivants : elle devrait se limiter uniquement aux questions pertinentes, qui sont de compétence fédérale; elle devrait établir un processus transparent, clair et rapide; elle devrait restreindre la capacité de faire des contestations judiciaires opportunistes et elle devrait prévoir des règlements et des orientations stratégiques claires, qui sont bien formulés et qui reposent sur les mesures législatives.
Deuxièmement, la loi doit définir un mécanisme qui permet à l’organisme ou à la commission de déterminer l’étendue de la participation publique, y compris un processus précis pour veiller à ce que les consultations soient adéquates. Le dialogue avec les populations autochtones et les intervenants directement touchés devrait avoir la priorité, ce qui n’empêche pas de permettre aux membres du public qui ont une expertise ou une expérience pertinente de contribuer dans les délais prévus par la loi.
Troisièmement, la loi doit restreindre la possibilité de tenir de vastes débats sur des questions politiques lors des évaluations portant sur un projet précis. La loi devrait indiquer clairement quels sont les facteurs pertinents à considérer. Par exemple, la loi devrait préciser l’objectif des évaluations stratégiques et régionales et la façon de les utiliser dans une évaluation d’impact.
Enfin, la loi doit entériner la promesse du gouvernement d’une seule évaluation par projet. Pour ce faire, il faut établir des mécanismes dans la loi qui appuient et reconnaissent les organismes de réglementation du cycle de vie et les processus existants dans d’autres administrations, afin de permettre des exemptions ou une substitution. Pour éviter le dédoublement et les chevauchements de compétences, le gouvernement fédéral doit faire appel à l’expérience et aux processus de l’organisme de réglementation le mieux placé.
Prenons, par exemple, la prospection sous-marine dans le projet de loi C-69 qui sera évaluée par une commission, peu importe l’étendue des activités. Une évaluation de la commission est déraisonnable, étant donné la petite échelle et le caractère routinier d’un sondage d’exploration. Le processus de l’évaluation d’impact doit faire en sorte que l’évaluation, si elle est requise, soit proportionnelle à celle des impacts potentiels.
Pour terminer, j’aimerais souligner l’importance de rendre au Canada sa compétitivité, surtout dans les secteurs de l’énergie et de l’exploitation des ressources. Comme le Canada a hérité de vastes ressources, nous avons la possibilité de créer de la richesse pour les générations futures. Pour profiter de cet héritage, il est crucial que le gouvernement établisse un système de réglementation crédible, qui engendre la confiance et permet de construire rapidement de bons projets tout en attirant des investissements au Canada.
Nous remercions le comité de nous avoir invités ici aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie de votre témoignage. Nous passons maintenant à la période des questions.
Le vice-président MacDonald a la parole.
Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma première question s’adresse au chef Fox.
Votre présentation était très convaincante, chef Fox. Voulez-vous nous accompagner partout au pays? Je crois que vous seriez un gros atout.
Vous avez parlé de redevances qui sont importantes pour votre communauté. Vous et moi sommes des adultes maintenant, mais nous avons déjà été des petits garçons. Vous avez vu beaucoup de changement au cours des 40 à 50 dernières années dans votre communauté. Pourriez-vous nous expliquer ce qui s’est passé et nous parler de l’effet qu’a eu l’industrie pétrolière et gazière dans votre communauté??
M. Fox : Je vous remercie, sénateur. Pardon, je n’ai pas bien entendu votre question. Comme vous l’avez dit, nous avons déjà été jeunes, mais nous le sommes moins aujourd’hui. Dans mon cas, je perds la vue, l’ouïe ainsi qu’autre chose dont je ne me souviens pas. Je plaisante.
Comme je l’ai dit, l’activité commerciale dans le secteur pétrolier et gazier, le secteur en amont, a commencé dans les années 1950 sur les terres de la réserve. Elle s’est accrue au cours des sept dernières décennies, mais nous n’avions pas un mot à dire sur la façon dont se faisaient les forages et la production.
Si je me souviens bien, lorsque j’ai commencé à m’impliquer dans la politique tribale, la gestion des ressources, du gaz et du pétrole, était sans contredit une source de préoccupation. Le chef et le conseil ne pouvaient alors prendre qu’une seule décision. Il pouvait dire oui au plus offrant. Nous ne pouvions même pas dire non. Depuis, vous savez, nous avons acquis des compétences et même une certaine expertise dans ce secteur.
À l’heure actuelle, nous négocions les baux et les permis directement avec l’industrie. Nous négocions les accords de partenariat avec l’industrie, les ententes de participation directe et les ententes pour le rapport gaz-pétrole. Nous négocions d’autres points avant d’apposer notre signature et d’autoriser les baux et les permis.
Nous négocions pour nous. Nous nous adressons à Pétrole et gaz des Indiens du Canada, les gestionnaires de nos ressources, pour obtenir leur approbation, si vous voulez. Cet organisme possède des moyens et une expertise, et il a d’excellentes personnes à son emploi.
Nous sommes parvenus à grandement perfectionner la gestion de nos ressources en pétrole et en gaz naturel. Nous avons réussi à négocier des primes généreuses dans le cadre de ces baux et de ces permis. Nous avons réussi à négocier la reprise de certains actifs. Nous en avons récupéré certains, des puits de pétrole ainsi que d’autres actifs, de l’industrie pétrolière. Nous faisons partie de l’industrie pétrolière et gazière dans l’Ouest du Canada.
Oui, nous recevons des redevances, mais nous sentions que nous devions nous intéresser à l’aspect commercial. C’est là que l’on peut vraiment faire de l’argent. Je pense aux profits et aux autres ententes que l’on peut prendre.
Je suis accompagné de Clayton Blood, directeur général de Kainaiwa Resources Inc. Bien entendu, il y a d’autres représentants. Le président du Conseil des ressources indiennes et la haute direction sont également ici aujourd’hui. C’est l’une des choses à laquelle nous œuvrons, nous cherchons à racheter ces actifs de l’industrie, pour participer à l’aspect commercial du secteur pétrolier et gazier, du moins en amont. Nous cherchons à œuvrer dans le secteur intermédiaire également.
Le changement a été bon pour nous. Toutefois, il y a parfois des obstacles qui nuisent aux progrès que nous avons accomplis. Bien entendu, il y a l’accès à des capitaux, il faut pouvoir obtenir des capitaux pour devenir propriétaire des ressources pétrolières et gazières dans nos réserves. Il y a aussi les moyens et l’expertise. Nous faisons des progrès. Nous travaillons avec nos alliés dans l’industrie. Je crois que nous créons de bons partenariats. J’espère avoir répondu en partie à votre question.
La présidente : Merci beaucoup, chef Fox.
Le sénateur MacDonald : Puis-je poser une question?
La présidente : Il y a déjà cinq minutes qui sont écoulées, je vais donc inscrire votre nom pour la deuxième ronde de questions.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de vos présentations ce matin. Elles nous sont toujours utiles, surtout lorsque vous formulez des suggestions pour que nous améliorions le projet de loi.
Madame Flood, j’ai une question pour vous. J’ai beaucoup aimé votre façon de présenter vos quatre... Je vais employer le mot « réserves ». Revenons sur le quatrième point que vous avez relevé. Vous avez parlé d’exclure les projets d’exploration extracôtière de la liste des projets. Je viens de la Nouvelle-Écosse. J’ai rencontré les membres de l’Office Canada — Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers. Comme certains projets extracôtiers sont de très petite envergure, eux aussi redoutent qu’il faille consacrer plus de temps à obtenir une approbation qu’à exploiter le puits de pétrole. Vous avez dit que les projets sont d’ordinaire de petite envergure, mais, pour éclairer ma lanterne de Néo-Écossaise, pourriez-vous en dire davantage à ce sujet?
Mme Flood : Nos réticences visent notamment le fait que, actuellement, pour chaque projet, ne serait-ce qu’un forage d’exploration, quelque chose de très courant, les processus sont bien connus et les techniques aussi. Or, si tout le monde doit soumettre chaque projet à l’évaluation complexe d’une commission, les délais s’allongeront énormément. Le processus prendra beaucoup plus de temps, ce qui anéantira notre capacité concurrentielle dans d’autres bassins. Nous sommes aussi dans la mer du Nord. Si je ne me trompe pas, il faudra deux fois plus de temps.
Je pense en particulier aux projets qui auraient des effets sur l’environnement. Il s’agirait de les étudier indépendamment des compétences et de l’expertise de l’office des hydrocarbures. Ce me semble tout simplement déraisonnable et excessif lorsqu’il est question d’activités d’exploration extracôtière très habituelles et très bien comprises.
J’ignore si Janice veut ajouter quelque chose. Quoi qu’il en soit, nous avons vraiment des réticences sur ce point.
Suncor participe à tous les projets au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce problème nous préoccupe vraiment beaucoup, car nous envisageons de faire des investissements dans ce bassin.
La sénatrice Cordy : Vous avez également évoqué la nécessité de conclure un accord de coopération avec les instances provinciales. Hier, j’ai entre autres interrogé les témoins sur des questions de compétences par rapport à un territoire donné, ce qu’il est parfois un peu plus facile de définir. Le gouvernement fédéral et les provinces coopèrent-ils en matière d’exploration extracôtière? Est-ce qu’une instance a le dernier mot, ou s’agit-il réellement d’un partenariat d’égal à égal?
Mme Flood : Je pense que je vais renvoyer la question à Janice dans un instant, mais les modalités sont définies dans l’Accord atlantique.
La sénatrice Cordy : Oui.
Mme Flood : En ce qui a trait au développement des ressources extracôtières, il y a beaucoup de coopération avec les provinces, aussi bien Terre-Neuve... Je ne peux pas me prononcer sur la Nouvelle-Écosse, car nous n’exerçons aucune activité là-bas, mais la collaboration est très bonne entre le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de l’office des hydrocarbures extracôtiers, et Terre-Neuve.
Janice Linehan, gestionnaire, Suncor Énergie : J’ajouterai simplement que vous en apprendrez sans doute davantage lorsque vous irez sur la côte Est et à Terre-Neuve. Je pense qu’on redoute, pour l’essentiel, que le projet de loi C-69 ne fasse pas toute la place requise au mécanisme des offices des hydrocarbures extracôtiers et à l’expertise connexe. C’est principalement ce point qui suscite des réserves.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie.
La présidente : À vous, sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente. Ma première question s’adresse au chef Fox.
Hier, à Vancouver, nous avons rencontré des membres du Conseil des leaders des Premières Nations. Ils ont fait valoir l’idée que les Premières Nations puissent réaliser leurs propres évaluations d’impact et que la loi permette de substituer ces évaluations au processus fédéral. Je me demande ce que votre équipe et vous pensez de cette proposition.
C’est quelque chose qui m’a vraiment fait comprendre à quel point les choses sont différentes en Colombie-Britannique, où, contrairement à ici, en Alberta, très peu de nations ont conclu des traités ou vivent dans des réserves.
M. Fox : Je ne connais pas vraiment le groupe dont vous parlez, mais j’estime néanmoins que les Premières Nations et les peuples autochtones en général devraient intervenir davantage à toutes les étapes des activités du secteur de l’énergie. Ils devraient intervenir dans les études qui sont menées. Ils devraient intervenir dans les enquêtes qui sont réalisées. Nous avons tenté de faire tout cela nous-mêmes, mais avec des ressources limitées.
Nous veillons à ce que toutes les activités liées aux hydrocarbures sur nos terres de réserve respectent la réglementation en vigueur, tant fédérale que provinciale.
En plus, nous avons nos propres processus pour garantir que les ressources sont développées adéquatement. De concert avec d’autres gouvernements, nous veillons à ce que le développement de nos territoires ancestraux se fasse comme il se doit.
Nos territoires ancestraux — et je sais que certaines tribus ne sont pas du même avis — s’étendent au-delà d’Edmonton, vers la frontière avec le Manitoba et dans les Dakota, et ils recouvrent tout le Montana, de part et d’autre dans une certaine mesure. Simplement, chaque fois que l’industrie de l’énergie mène des activités, qu’il s’agisse d’exploration, de production ou de transport, sur nos terres du Sud de l’Alberta, nous nous efforçons d’y jouer un rôle. Nous réalisons des études sur la plupart des projets de développement sur nos territoires.
En effet, nous ne devrions pas jouer un rôle uniquement sur le plan des activités commerciales; il faut aussi intervenir dans ce qui permet de garantir qu’aucune activité ne sera dommageable pour les territoires.
Je ne suis pas certain d’avoir répondu à la question.
La sénatrice Simons : Très bien.
Selon vous, si davantage de Premières Nations de l’Alberta acquéraient une participation dans des projets de pipeline, par exemple, et que ceux-ci devaient passer par les territoires traditionnels d’autres nations, en Colombie-Britannique, ces projets seraient-ils mieux accueillis, sur le plan de l’acceptabilité sociale, ou cela n’aurait-il pour effet que de dresser les nations les unes contre les autres?
Je pense que beaucoup de gens ont l’impression que si les Premières Nations participaient bien davantage au capital de projets linéaires de ce genre, il serait plus facile de les faire approuver, mais j’ignore si cette impression est conforme à la réalité.
M. Fox : Oui, c’est ce que nous pensons, de même que le Conseil des ressources indiennes du Canada et d’autres organismes qui cherchent à unir les forces des Autochtones dans une optique de collaboration pour faire des affaires fructueuses en jouant un rôle dans les activités de transport des hydrocarbures de l’Ouest canadien.
Nous ne sommes pas toujours d’accord avec les autres nations autochtones, c’est vrai. Cependant, durant des siècles, les peuples autochtones des Amériques, de l’Amérique du Nord, ont réussi à s’allier même après avoir été des ennemis.
Nous avons un processus. Notre peuple a un processus. La Confédération des Pieds-Noirs a un processus et d’autres Premières Nations ont des processus semblables; c’est ce que nous appelons [le témoin s’exprime en langue autochtone], ce qui constitue le type d’entente le plus élevé. C’est une alliance sacrée entre deux personnes, deux familles, deux clans, deux nations, qui conviennent de ne plus se nuire, mais plutôt de s’entraider.
La plupart de nos peuples comprennent toujours ces processus. Nous n’avons qu’à les utiliser, et nous recommençons à le faire, pour que nous unissions nos forces de façon concertée afin d’atteindre nos objectifs semblables.
Il m’apparaît essentiel que notre peuple, quoiqu’il y ait maintenant plusieurs groupes, ait la possibilité de s’investir pleinement dans les activités de transport de nos produits jusqu’à leur destination.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Ma première question s’adresse au chef Fox.
Avez-vous eu l’occasion de faire une autre présentation comme celle d’aujourd’hui? Vous avez été très clair. Je comprends votre point de vue. Je comprends ce que vous dites. Avez-vous eu l’occasion de faire la même présentation au premier ministre du Canada, au nom de tous les gens que vous représentez? Selon vos notes, ils sont des milliers.
M. Fox : Merci, sénateur. Oui, dans une certaine mesure, j’ai pu le faire. Lorsque le premier ministre a assisté à une activité de la chambre de commerce ici, à Mohkínstsis — c’est à Calgary —, en novembre dernier, j’ai posé quelques questions simples, et nous avons assuré un suivi par écrit. Nous avons ensuite fait publier des lettres à la rédaction dans certains des principaux journaux de l’Est du Canada. Nous avons aussi écrit à divers ministres, y compris à la ministre des Affaires autochtones, à plusieurs reprises. Nous avons fait des présentations semblables à d’autres personnes à diverses occasions. J’ai une petite trousse qui résume les lettres que nous avons envoyées et ainsi de suite.
J’ai parlé quelques secondes au premier ministre lorsqu’il est venu ici, en novembre. Je lui ai demandé si les tribus parties au traité no 7 n’étaient pas favorables... Je lui ai dit que nous ne sommes pas favorables au projet de loi C-69 et je lui ai demandé comment lui, le premier ministre, pouvait nous garantir que le projet de loi C-69 ne nuirait pas à nos profits et qu’il n’aurait aucune incidence sur les redevances que nous touchons sur nos ressources. Il a répondu très rapidement qu’il n’avait pas l’impression que le projet de loi C-69 réduirait le taux de redevance. Or, entre les redevances et le taux de redevance, il y a toute une différence.
Nous n’avons toujours pas reçu de réponse à plusieurs lettres que nous avons adressées au premier ministre et aux ministres. Nous n’avons reçu aucune réponse.
Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup. Cela n’a rien pour m’étonner.
J’ai aussi une question pour les représentantes de Suncor. De toute évidence, l’industrie a collaboré pendant — elle nous l’a fait savoir — quelque trois ans avec le gouvernement à la préparation d’un projet de loi, selon ce que j’ai compris. J’imagine que vous avez été très surprises, lorsque le projet de loi C-69 a été rendu public, de découvrir ce qu’il implique et ce qui pourrait arriver à l’industrie s’il s’appliquait, vous savez, à vous. Il abolit l’Office national de l’énergie, qui existe depuis des dizaines d’années. Il abolit la Commission canadienne de sûreté nucléaire, qui réglemente l’industrie nucléaire de main de maître. Il abolit les offices des hydrocarbures extracôtiers. Vous en avez parlé.
Pendant la rédaction du projet de loi, avez-vous discuté de toutes ces choses et de leurs conséquences? Le gouvernement s’est-il contenté de dire : « Au fond, nous nous en fichons. Nous y mettrons ce que veut, j’imagine, M. Butts, et ce sera à vous de vivre avec »? J’aimerais le savoir. Avez-vous été très déçues? Que s’est-il passé?
Mme Flood : J’ai fait une présentation au comité de la Chambre des communes. Nous nous sommes intéressés très activement au projet de loi C-69 dès le début. Nous avons fait des mises en garde relativement à certains de ses éléments, car nous redoutions l’idée de faire disparaître, essentiellement, une partie de la jurisprudence, car il faudrait repartir de zéro.
Notre but principal a toujours été d’appuyer l’objet du projet de loi C-69, qui part selon nous de bonnes intentions. Nos réserves portent sur l’exécution et sur le fait que la mesure législative crée divers éléments qui sont susceptibles de faire l’objet de contestations juridiques, car le libellé est flou.
Nous avons collaboré avec les gouvernements. Par l’intermédiaire de diverses associations de l’industrie que j’ai mentionnées, nous avons cherché à faire en sorte que, essentiellement, la loi laisse les bons projets aller de l’avant. Il faut prendre conscience de l’expérience considérable qui existe en matière d’évaluation environnementale. Il faut voir à ce que le processus ne s’embourbe pas dans les poursuites, en faisant en sorte qu’une décision ne soit pas définitive. Je pense que c’est notre objectif depuis le début.
Le problème, ce n’est pas l’objet du projet de loi, mais la perspective qu’une partie de la jurisprudence soit mise de côté et qu’il faille repartir de zéro. De toute évidence, nous avons beaucoup de réserves sur ce point.
Le sénateur Neufeld : Je sais que vous avez témoigné au comité de la Chambre des communes. Je constate sur la liste que vous étiez l’un des rares organismes de l’industrie pétrolière et gazière, l’industrie directement touchée, à avoir été en mesure de le faire.
Je parle des trois années précédentes, lorsque, selon ce qu’affirme le gouvernement, il a mené des consultations auprès de l’industrie et parlé avec des gens d’un bout à l’autre du pays. Je parle de ce temps-là, et non seulement du témoignage au comité de la Chambre des communes, car ce comité s’est concentré sur les amendements proposés par le gouvernement plus que sur toute autre proposition d’amendement.
Avant, durant la préparation du projet de loi, pendant les trois années, est-ce que Suncor a joué un rôle? Avez-vous eu votre mot à dire? Le résultat vous a-t-il surpris?
Mme Flood : Oui. Suncor y a participé. Nous y avons participé à une bonne partie du travail que nous faisons par l’entremise de l’Association minière du Canada, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers et d’autres organisations. Avons-nous été directement consultés? Nous avons eu quelques conservations. Nous avons essentiellement participé à l’élaboration de ces amendements par l’intermédiaire de nos associations.
Janice, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Mme Linehan : Oui. Nous y avons certainement participé. Je me suis personnellement impliquée dans ce dossier. Au cours des trois ans qui ont précédé la présentation du projet de loi, nous avons participé à de nombreuses réunions, notamment à des réunions de multiples intervenants.
Je suppose que si vous me demandiez si le projet de loi C-69, lorsqu’il a finalement été présenté, tenait bien compte de toutes nos préoccupations, je serais obligée de dire non. Je le répète, nous poursuivons notre collaboration avec le gouvernement et d’autres organisations. C’est pour cette raison que nous proposons les amendements en question et que nous mettons beaucoup l’accent sur la réglementation et sur la nécessité de la réglementation. Cela permettra de lever bon nombre d’incertitudes.
Nous sommes favorables à la prise de règlements et nous aurons peut-être besoin de temps pour consulter adéquatement ces règlements avant que le projet de loi entre en vigueur, car nous ne les avons pas encore vus.
La présidente : Merci beaucoup.
Sénateur Patterson, vous avez la parole.
Le sénateur Patterson : D’abord, si je ne me trompe pas, Suncor est membre de l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Voici la situation dans laquelle nous nous trouvons : nous faisons l’objet d’énormes pressions pour faire adopter ce projet de loi au cours de la présente législature. Je sais que l’Association canadienne des producteurs pétroliers a présenté une série d’amendements qui, d’après ce que nous avons entendu, sont largement appuyés par l’industrie.
Est-ce que les amendements que vous avez présentés et les conseils que vous nous avez donnés aujourd’hui sont complémentaires aux recommandations formulées par l’Association canadienne des producteurs pétroliers? Je sais qu’ils s’ajoutent aux recommandations de l’association, mais sont-ils complémentaires?
Pouvez-vous m’aider à comprendre?
Mme Flood : Les modifications proposées par Suncor sont les quatre éléments que j’ai soulevés plus tôt et qui figurent dans notre mémoire, et elles cadrent toutes avec celles que propose l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Nous voulons nous assurer, grâce à ces modifications, que les choses seront claires lorsque nous irons de l’avant avec les projets que nous avons l’intention de réaliser. Ainsi, nous saurons à quoi nous en tenir lorsque nous prendrons nos décisions en matière d’investissement. Nous sommes tout à fait d’accord au sujet des recommandations de l’association, et les modifications que nous proposons cadrent parfaitement avec les siennes.
Le sénateur Patterson : Merci.
Monsieur Fox, je vous remercie du témoignage clair et inspirant que vous nous avez livré au sujet du combat que vous avez mené pour parvenir à la souveraineté financière. Je l’appuie complètement.
Vous avez soulevé des préoccupations au sujet du projet de loi C-69, notamment sur les critères liés au droit de participation.
M. Fox : Oui.
Le sénateur Patterson : Si nous avons bien compris, le projet de loi C-69 ouvre toute grande la porte.
M. Fox : Oui.
Le sénateur Patterson : Lorsque le gouvernement examinera des projets qui auront des répercussions sur votre peuple, craignez-vous que ces critères, à moins qu’ils ne soient changés, ne nuisent à vos chances de vous faire entendre?
M. Fox : Merci, monsieur le sénateur. Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question, mais je peux vous donner la réponse suivante.
Nous avons toujours tenté de participer en ce qui concerne les projets de développement qui ont lieu sur notre territoire — pas uniquement sur nos terres de réserve, mais aussi sur nos terres ancestrales —, avec d’autres instances, comme le gouvernement provincial de l’Alberta. Nous prenons part aux processus.
Nous n’avons pas vraiment eu la possibilité de participer aux discussions actuelles sur ce projet de loi ni au Sénat, ni à la Chambre des communes, ni avec d’autres Premières Nations. Les dirigeants de l’Assemblée des Premières Nations ne nous ont pas inclus dans leurs discussions au sujet du projet de loi C-69. Ils nous ont tenus à l’écart et ne nous ont pas permis de participer.
C’est vraiment malheureux que les choses se soient passées ainsi. Nous avons dû exercer des pressions pour participer à quelques-unes de leurs séances. Seuls les groupes qui étaient en faveur du projet de loi C-69 ont été invités. Je n’ai pas été invité, et aucun membre du Conseil des ressources indiennes ou des tribus productrices de pétrole et de gaz n’a été invité. C’était important pour nous d’exprimer nos préoccupations. J’ai du mal à accepter la façon dont certains de nos prétendus dirigeants autochtones ont permis à des organisations non gouvernementales de participer. Comme je l’ai dit, je suis le chef élu de la tribu des Blood. J’assume un rôle de leadership au sein de la tribu et de l’organisation nationale depuis 45 ans.
Je suis également le chef héréditaire de la nation des Blood; ma lignée remonte à aussi loin que la fin des années 1700. C’est ce que m’ont dit mes aînés et mes mentors.
Toutefois, on dirait que, malheureusement, des personnes tentent de s’approprier le pouvoir dans des tribus d’autres régions. Je pense qu’elles se font contrôler par d’autres instances. C’est ce qui nous inquiète. Nous avons peur que ces instances essaient de nuire à l’industrie pétrolière et gazière de l’Ouest du Canada au profit d’autres régions, même en Amérique du Nord.
Voilà une des choses qui nous préoccupent. Ils ne nous ont jamais demandé de participer à cette discussion avant que nous les obligions à nous faire une place à la table des délibérations en novembre dernier. Nous avons réclamé notre place. Le Conseil des ressources indiennes a participé à l’élaboration d’autres mesures législatives fédérales avec le gouvernement du Canada. Cela ne s’est pas trop mal passé. Nous avons notamment collaboré à la modification de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes en 2009. Nous nous penchons actuellement sur les modifications aux règlements. Vous savez, l’une de nos craintes, c’est que des personnes qui cherchent à nuire à notre industrie se voient accorder un droit de participation.
J’espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Patterson : Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse surtout aux représentants de l’industrie. On a entendu beaucoup de témoins sur la question de l’intérêt, de la discrétion du ministre, de l’incertitude, du délai, de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Il me semble qu’à cet égard, l’Australie est un modèle. L’Australie est un pays qui ressemble beaucoup au Canada. C’est un grand pays. Il y a des provinces, un gouvernement central, un système de droit de common law, des préceptes de justice naturelle et d’équité procédurale. Il y a aussi les Premières Nations, une faune et une flore des plus exceptionnelles au monde, uniques aussi, en raison d’une biodiversité qui doit être protégée de façon très spéciale. Il y a des espèces que l’on ne voit pas ailleurs dans le monde. L’Australie a réussi à avoir un processus d’évaluation environnementale efficace. Dans vos présentations au gouvernement du Canada, aux fonctionnaires, avez-vous donné des exemples de cas où on peut adopter un processus plus simple? Parce que j’ai l’impression qu’on essaie de compliquer les choses alors que cela devrait se faire de manière simple et adaptée au modèle de chacun. Le gouvernement du Canada ne devrait pas juste aller chercher de vieux jets en Australie. Il devrait s’inspirer aussi des bonnes pratiques en matière de processus d’évaluation environnementale. Pouvez-vous nous donner des exemples de droit comparé?
[Traduction]
Mme Flood : Je ne peux pas vous dire précisément si ces exemples ont été fournis. Ce que je peux dire, c’est que, avant de travailler chez Suncor, j’ai travaillé pour Rio Tinto, qui possède des actifs importants au Canada et en Australie. Je répondrais que, effectivement, le processus d’évaluation environnementale de l’Australie est beaucoup plus simple que le nôtre. Je pense que nos évaluations environnementales sont aussi complexes parce que nous tenons à renforcer la confiance du public et à nous assurer d’avoir en place les processus nécessaires pour mener de vastes consultations publiques.
Je pense que la grande différence, c’est que, en Australie, on met l’accent sur... Tout comme le Canada, l’Australie possède beaucoup de ressources et elle cherche avant tout à favoriser sa croissance économique au moyen de l’exploitation de ses ressources. C’est un élément clé de l’approche adoptée par l’Australie. C’est ainsi en raison d’un objectif différent et d’une perspective différente. Cela ne veut pas dire que le cadre réglementaire a des répercussions négatives sur les résultats environnementaux. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas, d’après mon expérience avec Rio Tinto.
J’aurais cru que le rapport de WorleyParsons aurait mis quelques-uns des défis en évidence. Je pense que c’est important, parce que l’Australie est l’un de nos concurrents sur le plan de l’acheminement de nos ressources vers certains des principaux marchés que nous tentons de percer. C’est pour cette raison que l’accès à ces marchés est aussi crucial.
Madame la présidente, puis-je ajouter un dernier point? J’aimerais donner deux exemples de mesures qui ont été prises en collaboration avec les communautés autochtones et qui viennent appuyer les propos du chef Fox. Je pense qu’il s’agit de deux mesures. La première, c’est que les dépenses de Suncor auprès d’entreprises autochtones s’élèvent approximativement à plus de 650 millions de dollars par année. Je pense que c’est très important.
À titre de comparaison, selon le Conseil canadien pour le commerce autochtone, cette somme est 10 fois plus élevée que toutes les dépenses réunies du gouvernement fédéral à cet effet. Suncor n’est qu’une entreprise parmi tant d’autres. Je crois que cela illustre très bien ce que le chef Fox disait plus tôt au sujet du rôle que jouent les industries pétrolière et gazière pour appuyer les communautés et les entreprises autochtones.
La deuxième mesure dont j’aimerais parler, c’est la conclusion d’un partenariat de financement avec la Première Nation de Fort McKay et la Première Nation crie Mikisew dans notre projet du Parc de stockage Est. Ce partenariat de financement s’élève à 500 millions de dollars. Il s’agit d’une entente entre entreprises, puisque les Premières Nations se sont tournées vers les marchés pour obtenir le capital nécessaire afin de réaliser cet investissement.
Ce sont là deux exemples d’une seule entreprise de notre secteur qui appuie les entreprises autochtones.
Je pense que l’une des choses qui posent le plus problème, c’est que la loi tend à tenir compte de ce qui est arrivé par le passé et non à se concentrer sur l’avenir et sur la façon dont l’industrie a évolué. À mesure que nous allons de l’avant, je crois qu’il est très important de veiller à ne pas nuire à la collaboration avec les Premières Nations afin que nous puissions continuer à conclure des partenariats avec elles pour exploiter nos ressources.
La présidente : Madame Flood, est-ce que cette information figurait dans le document que vous nous avez fourni?
Mme Flood : Non, mais nous pouvons certainement vous la fournir.
La présidente : Pouvez-vous l’envoyer à la greffière, s’il vous plaît? Merci beaucoup.
La dernière question appartient au sénateur Mockler.
Le sénateur Mockler : J’aimerais parler de Suncor. Vous savez que les premiers ministres des quatre provinces de l’Atlantique sont très inquiets au sujet de cette loi. Suncor est une entreprise spécialisée dans les projets pétroliers extracôtiers au Canada atlantique. Le projet de loi C-69 exigera que tous les projets désignés réalisés au large des côtes de l’Atlantique soient évalués par une commission, un processus qui prendra plusieurs années. Il nous faut des précisions. De plus, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador est extrêmement nerveux à l’idée d’ajouter le forage exploratoire extracôtier à la liste des projets désignés.
Compte tenu de votre expérience dans le Canada atlantique, pouvez-vous nous dire quelles seront les répercussions sur l’investissement dans cette région si tous les projets désignés sont évalués par une commission?
Deuxièmement, pouvez-vous décrire les conséquences de l’ajout du forage exploratoire extracôtier à la liste des projets désignés? Les quatre premiers ministres de l’Atlantique sont très préoccupés par cette question.
Mme Flood : Absolument. D’ailleurs, je pense que c’est l’une des recommandations que nous avons formulées dans notre mémoire. Nous partageons l’avis des premiers ministres provinciaux. En exigeant que tous les projets de forage exploratoire soient renvoyés à une commission, le projet de loi C-69 rendra le processus d’évaluation plus difficile, du fait qu’il sera beaucoup plus long et qu’il ne sera pas proportionnel à l’ampleur des impacts potentiels. Par conséquent, lorsqu’on se penche sur les décisions d’investissement, ce sont des éléments importants qui doivent être pris en considération dans les coûts associés à l’examen par une commission.
Il sera difficile de faire ce genre d’investissements et vous les comparerez à d’autres cours d’eau, comme la mer du Nord, qui seraient beaucoup plus concurrentiels.
Janice, j’ignore si vous aviez autre chose à ajouter.
Le sénateur Mockler : Monsieur Fox, comme je viens moi-même du Canada atlantique, je tiens à vous féliciter du leadership remarquable dont vous avez fait preuve à l’échelle nationale ainsi que pour votre taux de réussite.
Ma question serait la suivante : étant donné que les populations des Premières Nations souhaitent vivement participer à l’exploitation de nos ressources, quels conseils donneriez-vous aux Premières Nations du Canada atlantique? Quelles sont les choses à faire et à ne pas faire?
M. Fox : Merci, sénateur. Nous avons eu le privilège de rencontrer des dirigeants autochtones dans les provinces maritimes il y a plusieurs années par l’entremise du Conseil des ressources indiennes du Canada. Nous avons la chance d’avoir des ressources pétrolières et gazières sur nos terres ancestrales et de réserve dans l’Ouest.
Lorsque nous envisagions sérieusement de nous lancer dans le secteur pétrolier et gazier, je dirais que nous voulions deux choses fondamentales. D’une part, nous souhaitions acquérir une plus grande capacité et miser sur l’expertise au sein des Premières Nations, mais d’autre part, nous devions tirer parti de l’expertise de l’industrie. Je ne parle pas seulement de l’industrie pétrolière et gazière, mais aussi du secteur financier.
Ensuite, il fallait trouver les moyens d’accéder au capital, le capital nécessaire pour devenir propriétaire. Sachez que nous sommes une très petite entreprise, qui ne se compare certainement pas à Suncor. Cependant, nous parvenons à convaincre les investisseurs privés de conclure des partenariats. Nous leur proposons une occasion d’investir, et ils injectent l’argent dont nous avons besoin. Il faut toutefois que ce soit un bon projet, un projet qui rapportera de l’argent. C’est la raison d’être des entreprises : générer des profits et satisfaire leurs actionnaires.
C’est dans cette optique que nous devons aborder la question. Nous devons l’aborder en partant du principe que l’objectif, l’objectif de l’entreprise, doit être de faire de l’argent. Évidemment, si vous pouvez donner de l’emploi à beaucoup de personnes dans l’atteinte de cet objectif, c’est encore mieux. N’empêche qu’il est très important de bien comprendre le concept.
Parfois, il faut plus de temps pour obtenir ce type de résultats. Ce sont deux des choses que nous considérons comme très importantes, car nous nous sommes heurtés à des obstacles : le manque de capacité et le manque d’expertise.
L’impossibilité d’obtenir du financement s’est également avérée un obstacle.
Chose certaine, nous conservons un certain montant dans nos comptes chez nous et à Ottawa dans le cadre du processus de gestion des fonds des Indiens. Nous voulons économiser l’argent que nous avons gagné pour l’avenir, pour nos futurs employés. Il est parfois difficile de faire un choix entre utiliser notre argent pour conclure ces ententes commerciales ou protéger notre argent. Un bon moyen de concilier les deux est de conclure un partenariat avec une société de capital-investissement. C’est la société qui prend les risques. On ne risque pas nos fonds. Jusqu’à maintenant, nous avons obtenu de bons résultats, non seulement dans le secteur pétrolier et gazier, mais aussi dans d’autres secteurs, comme l’agriculture et les énergies de remplacement.
Je suppose que c’est ce que je dirais aux peuples autochtones des Maritimes.
La présidente : Merci.
M. Fox : J’espère que cela répond à votre question.
La présidente : Je remercie tous nos témoins de leurs témoignages.
M. Fox : Merci, madame la présidente, et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous suis reconnaissant d’avoir pu m’exprimer aujourd’hui.
La présidente : Nous allons maintenant accueillir notre troisième groupe de témoins de ce matin. M. Martin Olszynski, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université de Calgary, ainsi que M. Aerin Jacob, scientifique en conservation, témoigneront devant nous à titre personnel.
Vous disposez chacun de cinq minutes. Nous enchaînerons ensuite avec une période de questions.
Martin Olszynski, professeur agrégé, faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler du projet de loi C-69 et, en particulier, de la Loi sur l’évaluation d’impact.
Vous devriez tous avoir reçu une copie du diaporama que j’ai préparé. Je devrais dire d’entrée de jeu que je n’ai pas l’intention d’aborder en cinq minutes tout ce qui se trouve dans mon document — et c’est peut-être évident lorsque vous en voyez l’épaisseur —, mais j’espère pouvoir m’y reporter pendant la période des questions et réponses.
J’aimerais d’abord dire quelques mots à propos de mon parcours. À l’heure actuelle, je suis professeur agrégé de droit à la faculté de droit de l’Université de Calgary. Je suis également chargé de recherche à la School of Public Policy et à l’Institut canadien du droit des ressources. Avant d’intégrer la faculté de droit en 2013, j’étais conseiller juridique au ministère fédéral de la Justice, où j’ai pratiqué le droit environnemental et le droit des ressources naturelles pour l’unité des services juridiques de Pêches et Océans Canada.
Je possède des baccalauréats en sciences et en droit de l’Université de la Saskatchewan, ainsi qu’une maîtrise en droit de l’Université de Californie à Berkeley. Ce qui est peut-être le plus important, c’est que je participe à ce processus de réforme législative depuis le tout début, en 2016.
On en a beaucoup dit et écrit sur le projet de loi C-69. Mes propres interventions visaient moins à défendre le projet de loi qu’à tout simplement rétablir les faits. C’est d’ailleurs l’esprit qui anime mes observations d’aujourd’hui.
Premièrement, et je renvoie le comité à la troisième diapositive de mon document, il est primordial que le comité ne perde jamais de vue la nature fondamentale du régime d’évaluation environnementale — présent, passé ou futur — du Canada. L’évaluation d’impact traite de la forme, et non du fond. On pourrait trouver des exigences de fond dans la législation connexe, mais les lois sur les évaluations environnementales proprement dites n’en imposent aucune. Cela vaut également pour le renvoi à la durabilité et aux changements climatiques dans la Loi sur l’évaluation d’impact. En effet, cette loi n’exige que le recensement et la prise en considération de tels effets, sous réserve d’une obligation politique ou démocratique de rendre des comptes.
Deuxièmement, il est important que le comité situe la Loi sur l’évaluation d’impact dans son contexte historique. Je vous renvoie maintenant aux deux diapositives suivantes. C’est un point particulièrement important, selon moi, à la lumière des affirmations relativement alarmistes au sujet de l’incidence possible du projet de loi sur le secteur des ressources naturelles en général. Entre 1995 et 2012, le gouvernement fédéral effectuait plusieurs milliers d’évaluations environnementales chaque année, sans aucun effet préjudiciable apparent sur la croissance économique. Aujourd’hui, il en mène environ 70, soit une réduction de 98 p. 100. Les diapositives suivantes portent sur divers aspects connexes, et je serai heureux d’y revenir pendant la période des questions et réponses.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le régime en vigueur pour les grands projets, aux termes de la loi de 2012, ne s’applique qu’à une fraction des activités d’exploitation de ressources menées au Canada : deux projets en Saskatchewan, quatre au Manitoba, sept en Alberta. Même si certains d’entre eux sont évidemment des projets importants, comme les pipelines en Alberta, c’était aussi le cas de nombreux autres projets sous le régime précédent, et il en va de même pour de nombreux projets qui sont actuellement menés sous les régimes provinciaux. Nous n’avons pas une liste de projets pour la Loi sur l’évaluation d’impact qui est proposée, mais comme il s’agit très clairement, là encore, d’un régime destiné aux grands projets, il n’est pas déraisonnable de nous attendre plus ou moins au même champ d’application.
Le dernier point que je voudrais aborder dans mon exposé, c’est la proposition d’inclure une soi-disant disposition privative, qui permettrait de mettre les évaluations à l’abri d’un examen judiciaire, sauf en ce qui concerne les questions de droit. Je vous renvoie maintenant aux dernières diapositives, à partir de la page 21.
Je vais vous expliquer pourquoi cette idée est non seulement mauvaise, mais aussi malavisée. Comme vous allez vous en rendre compte après l’exposé de mon collègue, M. Jacob, nous devons accroître les possibilités d’examen judiciaire, et non les réduire.
Comme point de départ, il est utile de rappeler pourquoi les pouvoirs sont séparés : pour assurer un certain niveau de contrôle sur le gouvernement et pour se protéger contre l’exercice de pouvoir arbitraire et autrement déraisonnable. C’est ce qui est prévu dans la Loi sur les Cours fédérales, qui établit les bases du contrôle judiciaire. J’ai souligné l’article 18.1 dans la diapositive 21, qui porte sur les erreurs de droit, mais il y a aussi des décisions qui sont fondées sur une conclusion de fait erronée ou qui ne tiennent pas compte des éléments portés à la connaissance du décideur.
Une disposition privative réorganise la séparation conventionnelle des pouvoirs en limitant la portée de la surveillance judiciaire. La disposition privative qui est proposée vise à limiter les recours aux questions de droit, mettant ainsi les conclusions de fait à l’abri d’un examen judiciaire indépendant. Voici trois raisons pour lesquelles il faut rejeter une telle disposition.
Premièrement, c’est inutile. Les tribunaux canadiens sont déjà tenus de s’en remettre aux conclusions de fait des organismes gouvernementaux. Par conséquent, tant que ces conclusions sont jugées raisonnables, ce qui correspond à une norme peu stricte selon la jurisprudence, elles ne seront pas remises en question.
Deuxièmement, une telle disposition est souvent inefficace. Des avocats astucieux seront toujours en mesure de décrire leurs problèmes comme des questions de droit, plutôt que des faits. Il convient également de souligner qu’à l’heure actuelle, seuls les projets évalués par l’Office national de l’énergie aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 sont assujettis à une disposition privative, et cela n’a pas empêché les litiges. C’est le cas des projets de pipeline Northern Gateway, Trans Mountain et Bigstone.
Enfin, troisièmement, c’est malavisé. Comme le montre ma dernière diapositive — c’est à la page 23 —, rien ne prouve qu’il y a un nombre excessif de litiges liés à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour justifier l’inclusion d’une disposition privative. Moins de 7 p. 100 des projets inscrits dans le registre de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale — et il y en a 213 en tout — sont contestés devant les tribunaux. Je le sais parce que j’ai consulté hier le registre et j’ai fait une recherche sur chacun de ces projets dans la base de données publique des litiges. Ainsi, environ 14 des 213 projets font actuellement l’objet d’un litige.
Ce qui est clair, c’est que ce sont généralement les projets les plus controversés — et je les mentionne ici — qui sont portés devant les tribunaux. Voilà une réalité qu’une disposition privative ne changera pas.
Par contre, le fait de mettre les évaluations des promoteurs et des fonctionnaires à l’abri de tout examen indépendant ne peut que perpétuer, voire empirer l’absence de rigueur scientifique actuelle dans le processus d’évaluation environnementale du Canada.
Voilà les observations que j’avais préparées. Je serai ravi de répondre à vos questions.
La présidente : Merci.
Monsieur Jacob, la parole est à vous.
Aerin Jacob, scientifique en conservation, à titre personnel : Merci, madame la sénatrice. C’est un honneur d’être ici aujourd’hui. Je travaille comme scientifique pour une organisation environnementale canado-américaine sans but lucratif, appelée Yellowstone to Yukon Conservation Initiative. Je témoigne en ma qualité de scientifique, et non pour le compte de mon organisation. Mes observations porteront principalement sur la Loi sur l’évaluation d’impact qui est proposée.
L’évaluation d’impact est l’un des outils les plus importants, car elle nous permet de réfléchir avant de sauter. Les données scientifiques et les autres formes de preuves sont fondamentales pour prendre des décisions éclairées et pour vraiment agir dans l’intérêt public. Il y a toutefois un gros problème. Les données scientifiques utilisées dans les évaluations d’impact manquent souvent de rigueur, et c’est pourquoi les scientifiques s’expriment de plus en plus à ce sujet.
J’ai commencé à travailler dans le domaine des évaluations d’impact en 2006, après quoi j’ai effectué des recherches doctorales et postdoctorales en écologie et en aménagement de l’espace. En 2016, j’ai lancé la soi-disant lettre ouverte des jeunes scientifiques; ainsi, près de 2 000 scientifiques de tout le Canada ont écrit au premier ministre et à six ministres du Cabinet pour leur faire part de leurs préoccupations et de leurs recommandations en vue de renforcer les données scientifiques et les évaluations d’impact.
Depuis lors, j’appuie ou je dirige des initiatives qui rassemblent des experts de l’industrie, des universités, des organismes sans but lucratif et du gouvernement afin de raffermir le rôle des sciences, ainsi que celui des lois, des politiques et de la pratique en matière d’évaluation d’impact. Les scientifiques du Canada sont inquiets, et nous voulons apporter notre aide.
Aujourd’hui, j’aimerais m’attarder sur trois points. Mon premier argument principal, c’est que les preuves scientifiques révèlent clairement que le monde est en train de changer, et c’est largement attribuable à l’être humain. Je me contenterai de vous donner deux exemples parmi des centaines.
Le premier concerne l’édition de 2018 du Rapport Planète vivante du Canada, qui se penche sur les tendances démographiques de plus de 900 espèces partout au pays. Cela comprend oiseaux, poissons, mammifères, amphibiens et reptiles. Cette étude révèle que les populations de la moitié de ces espèces sont à la baisse et, en moyenne, il s’agit d’un déclin de 83 p. 100. C’est à cause de la perte d’habitat due aux activités humaines, notamment la foresterie, l’agriculture, l’urbanisation et le développement industriel.
Mon deuxième exemple, c’est le Rapport sur le climat changeant du Canada, publié la semaine dernière seulement. On y apprend que le Canada se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale, alors que le Nord canadien se réchauffe trois fois plus rapidement. Ces données scientifiques montrent clairement que les changements climatiques sont causés, en grande partie, par les activités humaines, et à moins que nous réduisions les émissions — chose qui est toujours possible —, la température moyenne mondiale augmentera de 6 degrés d’ici 2100. Petit à petit, nous effritons les systèmes de survie de la planète, et même la nature a ses limites.
Le deuxième point important que j’aimerais faire valoir, c’est que les scientifiques ont recommandé à maintes reprises de renforcer le processus d’évaluation d’impact au Canada, et leurs recommandations sont appuyées par la société. Le projet de loi C-69 a fait l’objet de beaucoup de consultations. Le groupe d’experts chargé de l’évaluation environnementale a reçu, à lui seul, plus de 3 000 réponses en ligne, plus de 500 mémoires et plus de 600 témoignages en personne. Des scientifiques canadiens, moi y compris, ont contribué aux nombreuses étapes de ces consultations. Nous avons insisté sans cesse sur cinq principaux moyens de renforcer le processus d’évaluation d’impact. Ils sont exposés en détail à l’annexe 1 de mon document. Certains d’entre eux se retrouvent dans la Loi sur l’évaluation d’impact qui est proposée, et les autres sont liés aux politiques subséquentes et à la mise en œuvre.
Voici, très brièvement, les cinq éléments. Premièrement, il faut favoriser l’information ouverte, ce qui signifie essentiellement que les scientifiques doivent montrer leurs travaux. Au fond, c’est la raison pour laquelle les résultats scientifiques sont solides. C’est parce que nous pouvons les reproduire et les mettre à l’essai.
Deuxièmement, il faut tenir compte des effets cumulatifs. Cela signifie que nous devons voir grand et loin. Rien dans la vie ne survient de façon isolée.
Troisièmement, il faut une rigueur scientifique. Toutes les données ne sont pas produites selon les mêmes normes. Les décideurs doivent avoir les meilleures preuves disponibles.
Quatrièmement, il faut assurer une indépendance. En somme, n’oublions pas que le renard surveille le poulailler. Cela vaut surtout pour le domaine scientifique.
Cinquièmement, il faut une prise de décision transparente pour montrer clairement comment les décisions sont prises, au lieu de s’en remettre au hasard.
Selon les résultats de recherches et de sondages, la plupart des Canadiens sont en faveur de données scientifiques plus solides dans le cadre des évaluations d’impact. L’annexe 2 de mon document ne présente qu’un exemple. Je peux vous en donner d’autres.
J’en viens à mon troisième et dernier point, le but étant de vous demander de bien vouloir adopter le projet de loi C-69. La Loi sur l’évaluation d’impact qui est proposée constitue une amélioration par rapport à la situation actuelle, mais bon nombre des modifications proposées auraient pour effet de l’affaiblir. C’est un peu comme si on perçait plein de trous dans un seau d’eau.
En revanche, les sénateurs ont l’occasion de renforcer des aspects essentiels, notamment ceux liés aux sciences. Voici quelques exemples : élargir la portée de la disposition sur l’intégrité scientifique afin d’inclure tous les intéressés, au lieu de se limiter aux scientifiques du gouvernement; exiger des preuves qui montrent que les mesures d’atténuation proposées fonctionnent vraiment; utiliser les activités de suivi et de surveillance comme une possibilité d’apprentissage.
Pour conclure, je tiens à répéter qu’un processus scientifique et décisionnel peu rigoureux met les Canadiens en danger. Songeons à quelques exemples récents, comme la catastrophe minière de Mount Polley et les inondations de 2013 à Calgary. Même si le projet de loi C-69 représente déjà un grand compromis, je vous exhorte à l’adopter et à ne pas l’affaiblir davantage. Merci.
La présidente : Merci beaucoup de vos témoignages.
Le sénateur Carignan a cédé son tour au sénateur Patterson.
Le sénateur Patterson : Monsieur Olszynski, d’après ce que vous nous avez décrit, la participation du gouvernement fédéral au processus d’évaluation environnementale est minimale, tout comme l’est le risque de litige, et je crois que vous laissez entendre que tout va bien dans le régime actuel.
J’aimerais demander votre avis sur un point. Comme vous le savez sans aucun doute, cette province connaît des difficultés sur le plan environnemental. Du point de vue économique, plus d’une centaine de milliers de personnes ont perdu leur emploi. Selon le témoignage de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, les dépenses en capital aux États-Unis ont augmenté de 38 p. 100 dans le secteur de l’énergie par rapport à 2016, alors qu’elles ont baissé de 19 p. 100 au Canada. Des projets valant une centaine de milliards de dollars ont été annulés au Canada dans le domaine énergétique au cours des dernières années. Pourtant, vous nous dites que tout va pour le mieux.
Nous avons été impressionnés de voir que l’industrie énergétique, sous la direction de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, a recommandé un ensemble d’amendements qui ont été largement approuvés par les industries qui souffrent du contexte actuel, mais vous avez dit que l’une de leurs recommandations, à savoir la disposition privative, est malavisée et mal fondée. Est-ce bien ainsi que vous qualifiez le travail effectué par cette coalition de personnes qui participent activement au secteur énergétique et qui sont appuyées par de grands cabinets d’avocats de l’Alberta?
M. Olszynski : Il y a beaucoup d’éléments à décortiquer dans votre question.
Tout d’abord, je n’insinue pas que tout marche comme sur des roulettes, surtout pas en Alberta. Je voulais porter à votre attention quelques faits et chiffres concrets. Il est très facile d’affirmer que le ciel est en train de nous tomber sur la tête, mais, en réalité, quand nous examinons les chiffres, ce n’est pas le cas. Ainsi, lorsque je vous dis que moins de 7 p. 100 des projets dans le registre de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale font l’objet de litiges — et nous parlons là de 213 projets —, je ne fais que vous fournir cette information. Vous pouvez en conclure ce que vous voulez.
C’est pourquoi, à mon sens, rien ne porte à croire qu’il y aura une avalanche de litiges. Seule une poignée de projets parmi une douzaine ont été fortement contestés devant les tribunaux. Là où je veux en venir — et je crois que d’autres vous ont dit la même chose —, c’est qu’il en sera ainsi, peu importe ce que vous ferez. Notez que, dans le cadre de l’évaluation des projets NGP, TMX et Bigstone, chacun d’entre eux était protégé par une disposition privative et, pourtant, nous nous sommes quand même retrouvés devant les tribunaux.
Par-dessus tout, je crois que j’essaie de vous aider à trouver de vraies solutions et à maintenir le cap.
Je comprends tout à fait que l’industrie énergétique de l’Alberta est mal en point. Beaucoup de membres de ma famille, surtout du côté de ma femme, ont perdu leur emploi durant le ralentissement économique. Je connais donc très bien la situation.
Parallèlement, il s’agit d’un régime d’évaluation environnementale fédéral qui s’appliquera à tous les grands projets d’exploitation des ressources naturelles au Canada. Je suis prudent, et je vous conseille vivement de l’être aussi avant de modifier le régime pour répondre aux problèmes d’un secteur en particulier. Voilà mon premier argument.
Ensuite, je pense que nombre de ces éléments mineront fondamentalement l’objectif que vous visez.
Sur ce point, je pense qu’on a l’impression qu’on peut percevoir le processus d’évaluation comme deux extrémités opposées, deux versions. La première cherche à hâter ces approbations et, en quelque sorte, à entériner ces décisions aussi rapidement que possible en vue de faciliter l’investissement d’une manière ou d’une autre.
La seconde fait valoir que certaines questions stratégiques litigieuses doivent être réglées, et ce, dans un contexte, un espace, qui permette à toutes les parties d’estimer qu’on les a entendues et qui confère une légitimité au résultat.
En fait, j’estime que les séances du Sénat sont un microcosme de l’évaluation environnementale. Je pense que le fait que vous ayez choisi de voyager partout au Canada démontre que vous comprenez l’importance de donner aux gens la chance de présenter leurs arguments, de se faire entendre. C’est exactement ce qui se passe ici. Cette démarche rehaussera la crédibilité et la légitimité de la décision que vous prendrez, quelle qu’elle soit.
Je pense que certains amendements que proposent des intervenants de l’industrie vont miner fondamentalement l’objectif de faire en sorte que le public fasse confiance au processus et qu’il estime que les décisions sont légitimes.
Le sénateur Patterson : On nous dit de ne pas être alarmistes, mais pourriez-vous expliquer le nuage de poussière que soulèvent les centaines de millions de dollars de capitaux d’investissements qui quittent précipitamment le Canada et l’Alberta? Si tout va bien et s’il n’y a pas lieu de s’alarmer, pourquoi cela se produit-il?
M. Olszynski : D’accord. Il est clair que vous avez intérêt à trouver la bonne réponse, n’est-ce pas? Vous voulez connaître la réponse pour pouvoir trouver des solutions. Selon moi, si les investissements fuient, ce n’est probablement pas à cause d’une mesure législative qui n’a pas été adoptée.
Je l’ai suggéré dans d’autres contextes. Peu importe le processus d’évaluation, nous avons des problèmes fondamentaux — par exemple, vous nous avez comparés aux États-Unis. Oui, le Texas, qui a accès à la côte et qui possède une tonne de ressources pétrolières et gazières, semble avoir plus de facilité que nous à envoyer ses produits vers le marché. Ce n’est pas étonnant.
Nous savons que notre réalité géopolitique est unique, et je ne pense pas que c’est en nous tordant les mains et en souhaitant être à la place du Texas que nous réglerons le problème. Je ne pense pas que le fait de trouver des boucs émissaires faciles et des pistes de solution qui ne règlent pas les problèmes à la source nous soient non plus d’une grande utilité.
Sur ce point, je renvoie le comité à la dernière diapositive de mon document, qui est un argument que je vous encourage simplement à prendre en compte à l’avenir lorsque vous étudierez cette question, soit qu’il n’y a pas de réponses simples. Je crois comprendre qu’une réponse simple est exactement ce que vous aimeriez avoir. J’estime qu’il n’y en a pas. Il s’agit de questions complexes, et nous essayons de mettre en équilibre avec nombre de choses différentes, comme la croissance économique, les emplois, les revenus tirés des ressources, mais aussi les changements climatiques, les espèces en péril et les risques de déversements d’hydrocarbures. Ces questions ne sont pas simples. Elles méritent qu’on les étudie avec soin et qu’on s’attarde réellement à trouver la source des problèmes avant de dégager ensuite les solutions qui s’imposent.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous deux d’être venus et d’avoir soulevé des points de discussion. Le comité cherche à tenir compte des préoccupations de l’industrie et des questions environnementales et, bien sûr, à mener des consultations significatives auprès des nations autochtones. Nous sommes toujours reconnaissants aux personnes qui viennent témoigner devant nous.
Madame Jacob, merci pour les arguments que vous avez soulevés et les propositions que vous avez faites. Je crois qu’il est primordial que le processus décisionnel soit tout à fait ouvert et transparent. Voilà pourquoi tout délai éventuel de ce projet de loi dans le contexte de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 n’était qu’un simple délai. En effet, en vertu du nouveau projet de loi C-69, en cas de délai, le ministre ou le gouverneur en conseil doit en justifier publiquement les raisons, ce qui est une étape positive.
Ma question se rapporte aux effets cumulatifs dont vous avez parlé. Nous en avons discuté hier avec certains de nos témoins. Ils nous ont dit qu’il était très difficile de déterminer ces effets, ce qui se passera dans 10 ans. Si on prend par exemple le secteur de l’énergie, avec les fluctuations que nous avons observées au fil des ans, il est très difficile de déterminer les effets potentiels. On a suggéré que nous pourrions peut-être modifier le libellé pour parler des choses qui pourraient se produire et non celles qui se produiront dans un avenir prévisible.
Je sais que vous nous en avez fait part dans vos suggestions de questions auxquelles il faut réfléchir. Pourriez-vous nous parler davantage de la façon d’examiner efficacement les effets cumulatifs?
Mme Jacob : Merci d’avoir posé la question. Les effets cumulatifs sont, selon moi, des éléments extraordinairement importants à prendre en compte. Vous avez mentionné la transparence. Je pense que cet aspect est aussi primordial en ce qui concerne les effets cumulatifs.
Le point principal sur lequel je veux insister est que, bien que les effets cumulatifs soient difficiles à évaluer, les gens le font depuis des décennies. Il y a des dizaines d’années que les scientifiques se penchent sur cette question. On détient de vastes quantités de renseignements concernant les effets cumulatifs du développement sur la nature et les gens. Même si on utilise des méthodes complexes, les statistiques sont ahurissantes. Je les trouve époustouflantes. Des gens les étudient, des experts en la matière, qui se trouvent au Canada.
Je vais vous donner quelques exemples qui expliquent l’importance d’évaluer les effets cumulatifs et qui montrent aussi que nous savons comment le faire. Le premier est en Alberta et l’autre, en Colombie-Britannique. Il s’agit, dans les deux cas, de documents de recherche évalués par les pairs. C’est important puisque cela montre que les données scientifiques ont été évaluées par la communauté scientifique, qui a déterminé qu’elles étaient solides.
Le premier document est un article rédigé par Fisher et Burton et publié en 2018. Il montre que les effets cumulatifs ont modifié la population des mammifères dans la région des sables bitumineux. Les animaux ne vivent plus aux mêmes endroits. En fait, la quantité de changements causés par les humains dépassait nettement ce qu’on observait dans la nature. On pense notamment à des espèces comme le cerf de Virginie, que les gens chassent, et l’orignal, ainsi qu’à des animaux comme les loups et les coyotes, des prédateurs très importants pour réguler les systèmes naturels.
Le second article sur les effets cumulatifs nous vient de la Colombie-Britannique. Publié par Shackleford et ses collègues en 2017, il montre que les effets cumulatifs ont déjà touché un tiers de la masse territoriale de la Colombie-Britannique. La gamme de toutes les espèces évaluées était réduite, ainsi que leur habitat. Nous savons que ces choses se passent déjà et qu’il est primordial d’en tenir compte.
Je pense qu’un des plus grands avantages de donner à la science un rôle plus marqué dans l’évaluation d’impact est celui de la transparence. Nous pouvons évaluer la façon dont on s’est servi de différents types d’éléments de preuve pour montrer ces changements globaux, ce qui donne de la crédibilité au processus et inspire la confiance du public. Cela nous aide aussi à prendre des décisions que nous ne regretterons pas demain, dans 20 ans ou dans un siècle.
La présidente : Madame Jacob, il est vrai que de nombreux témoins nous ont indiqué qu’ils ne connaissent pas les effets cumulatifs. Je conviens tout à fait avec vous que les scientifiques mesurent ces effets depuis des décennies.
Vous serait-il possible de faire parvenir certains de ces exemples à la greffière, notamment la définition et la méthode?
Mme Jacob : Je le ferai volontiers. Je soulignerais que de nombreux scientifiques souhaitent fournir ce genre de renseignements. Je me ferai un plaisir de traiter des détails de l’affaire. La lecture des documents scientifiques est complexe, car ils ne sont pas rédigés pour en faciliter la compréhension. J’encourage donc les sénateurs à faire appel à nous s’ils ont des questions. Nous voulons fournir de l’aide.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à nos deux témoins.
Monsieur Olszynski, je veux commencer par vous. Je comprends ce que vous dites à propos d’une disposition privative. Que diriez-vous si nous apportions plutôt un amendement indiquant que tout appel relatif à une décision d’organisme de réglementation devrait être porté devant la Cour d’appel, et non devant la Cour fédérale?
M. Olszynski : Oui. Je veux dire que si vous souhaitez accélérer un peu le processus, je pense que c’est une bonne idée.
Pour vous donner d’autres exemples, dans le cadre actuel, vous disposez toujours de ce recours s’il semble qu’un plaignant soit quérulent ou autre chose.
Bien entendu, il est également possible d’imposer des frais aux parties advenant qu’elles perdent leur cause.
Ce sont les règles traditionnelles que nous avons utilisées par le passé. Chose certaine, les appels de l’Office national de l’énergie vont directement à la Cour d’appel fédérale, et il en va de même pour ceux du CRTC, il me semble. Il existe un précédent à ce sujet. Je voulais simplement être clair sur ce qui se passe ici.
À l’heure actuelle, quand on examine l’évaluation d’un comité d’examen mixte ou d’un organisme, on trouve souvent des choses qui font sourciller du point de vue de la rigueur scientifique. L’élimination complète du potentiel de contestation à cet égard affaiblira la rigueur scientifique et le processus, selon moi. Je suis toutefois tout à fait en faveur de solutions ciblées et judicieuses qui permettront d’accélérer le processus.
La sénatrice Simons : Merci. Cette réponse est vraiment utile.
Madame Jacob, chaque fois que je pense avoir tout compris de cette mesure législative, j’apprends quelque chose de nouveau. J’ignorais qu’elle comprenait une disposition sur l’intégrité scientifique. Voilà qui semble bénéfique pour tous. Le projet de loi prévoit également des mesures de protection particulières pour le savoir autochtone traditionnel, précisant notamment qu’il peut être tenu secret. Cela semble aller à l’encontre de certaines des excellentes observations que vous avez faites dans votre exposé.
Y a-t-il un moyen d’ajouter au projet de loi une exigence stipulant que quiconque présente des informations doit faire preuve d’intégrité scientifique, notamment en raison de la manière dont le projet de loi accorde une attention spéciale au savoir autochtone traditionnel?
Mme Jacob : Merci. C’est une excellente remarque.
Sachez que je suis scientifique et non détentrice du savoir autochtone. Je ne peux et ne devrais donc pas dire avec une autorité quelconque comment ce savoir fort valide est recueilli et transmis ou quelles normes les gens appliquent, sauf pour indiquer que je sais qu’il existe une autre forme valable de preuve et que nous devrions nous fier aux experts pour comprendre ce qu’il en est. J’examinerai la question en qualité de scientifique, car c’est mon domaine d’expertise.
Quant à la disposition sur l’intégrité scientifique, elle s’applique exclusivement aux scientifiques du gouvernement. C’est un gros problème. J’ai travaillé pour l’industrie à titre de consultante. Je peux vous dire que depuis que je parle de cette question, des dizaines et des dizaines de consultants se sont adressés à moi quand je prends la parole en public ou devant l’industrie; ils m’envoient des courriels ou m’abordent dans les toilettes pour me dire qu’il se passe des choses qui les préoccupent fortement. Quand j’ai comparu devant le comité de la Chambre des communes, j’ai proposé que la disposition sur l’intégrité scientifique s’applique à tous les scientifiques. Je peux vous donner de nombreux exemples pendant encore une semaine afin de vous expliquer certains des problèmes que je vois.
En ce qui concerne la transparence relative aux divers genres de renseignements, les jeunes scientifiques, dans leur lettre ouverte, et les scientifiques, dans le cadre des nombreuses activités qu’ils ont entreprises depuis, ont expliqué qu’il existe des limites qui devraient être éliminées. Nous sommes toutefois promoteurs de ce qui s’appelle les sciences ouvertes, c’est-à-dire essentiellement une partie moderne des pratiques scientifiques qui consiste à montrer son travail. Nous ne sommes pas dans les années 1980; on n’envoie plus de disquettes souples de 5 pouces par la poste. L’information s’échange en ligne. Nous écrivons des codes reproductibles. C’est ainsi qu’on agit dans le domaine des sciences. C’est la pratique que j’ai inculquée aux étudiants quand j’étais à l’université et qu’ont appris les diplômés d’aujourd’hui. C’est la pratique qu’ils connaissent.
En dépit de cette culture de sciences ouvertes et de transparence dans les pratiques scientifiques modernes, ce ne sont pas tous les renseignements qui devraient être communiqués. Par exemple, il ne conviendrait pas de transmettre l’emplacement d’espèces menacées. Si on communique cette information au Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, par exemple, il faudrait le faire avec soin afin d’éviter d’exposer ces espèces à un risque, mais de manière à nous aider à les protéger.
Le savoir autochtone de nature délicate et que la communauté a désigné comme tel devrait être protégé. Je pense que la décision devrait revenir aux détenteurs du savoir, à ceux qui savent comment il devrait être appliqué et qui connaissent les contraintes.
Je tiens à souligner que la gestion des renseignements de nature délicate s’inscrit indéniablement dans un cadre de sciences ouvertes. Il existe des manières de gérer ces renseignements.
La sénatrice Simons : Vous voudriez exiger l’intégrité scientifique de la part des promoteurs et des opposants?
Mme Jacob : Oui.
La sénatrice Simons : D’accord. Merci beaucoup. Cette réponse est vraiment utile.
La présidente : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci. Ma question s’adresse à Me Olszynski. Vous avez parlé du nombre d’évaluations, du nombre de cas qui sont allés devant les tribunaux. Vous semblez dire que c’est peu, que c’est seulement moins de 7 p. 100, et cetera. Toutefois, avez-vous évalué aussi en pourcentages la valeur économique des projets? Si oui, à quoi cela correspond-il?
M. Olszynski : Merci beaucoup de la question. Je m’excuse. Mon document n’est pas encore traduit en français. J’ai travaillé fort hier soir pour le terminer. Pour répondre à votre question, on a commencé ce travail. On a examiné les projets dans chaque province et on essaie de déterminer leur valeur économique afin d’établir des comparaisons avec les sommes provinciales en ce qui a trait au PIB, et cetera. C’est un travail qu’on a commencé, mais qui n’est pas encore terminé. Je vais poursuivre en anglais maintenant.
[Traduction]
Nous avons organisé des marathons de recherche dans plusieurs universités canadiennes, pour encourager nos étudiants à accéder au registre afin d’examiner les aspects économiques, les emplois, les revenus et ce genre de choses.
Deux points s’avèrent fort intéressants. D’abord, l’entreprise s’est révélée très complexe. Il nous a été incroyablement difficile de réunir des renseignements normalisés cohérents au sujet des revenus prévus et les fondements de leur calcul.
À ce sujet, je sais, sénateur Black, que vous aimez exprimer des préoccupations quant au fait que la Loi sur l’évaluation d’impact n’accorde pas suffisamment d’importance aux aspects économiques. Je dirais que dans ce contexte, la loi actuelle est terriblement mal servie. Nous peinons à comparer des pommes avec des pommes.
La réponse courte, c’est que je m’efforce de préparer ce travail. Quand je présenterai mon mémoire officiel au comité, je me ferai un plaisir de fournir une partie de ces renseignements, car nous nous penchons certainement sur la question afin de pouvoir comparer les activités d’exploitation des ressources qui sont assujetties au projet de loi, ou dont nous présumons qu’elles le seront, au reste des activités qui se déroulent à l’échelle provinciale.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma deuxième question est en lien avec certains textes que vous avez publiés. Vous avez abordé la question des effets préjudiciables entre les États-Unis et l’Australie. Lorsqu’on demande aux promoteurs de contrôler les effets préjudiciables pour réduire les risques — lorsque le risque est incertain, lorsqu’on a approuvé le projet —, vous avez noté qu’il y avait un peu d’abus de la part de promoteurs par rapport aux États-Unis en Australie. Avez-vous également comparer les autres éléments du processus d’évaluation environnementale qui concernent le temps, la certitude, la discrétion du ministre, le nombre de recours? Ma question est très large, mais peu de témoins nous ont parlé d’expériences spécifiques dans d’autres pays et cela m’intéresse particulièrement.
M. Olszynski : C’est toujours encourageant d’entendre des gens dire des choses assez ésotériques au sujet de l’ « adapted management », entre autres. Encore une fois, je vais poursuivre en anglais pour que ce soit plus clair.
[Traduction]
J’ai réalisé quelques travaux comparatifs. J’étudie continuellement le régime des États-Unis. Il y a certaines choses que nous pouvons affirmer avec certitude, et cela peut être un peu étonnant. Tout d’abord, la National Environmental Policy Act — adoptée par les États-Unis au début des années 1970, il me semble — demeure la loi sur l’évaluation environnementale applicable dans ce pays. Elle s’apparente à notre Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), car elle s’applique à chaque décision gouvernementale qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur l’environnement. Elle ressemble à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Les États-Unis ne disposent pas de régime comme celui que nous avons actuellement pour les grands projets.
En règle générale, ce régime et la supervision judiciaire qu’il prévoit sont considérés comme étant plus rigoureux. C’est en partie en raison du fait que la culture est un peu plus litigieuse aux États-Unis, à mon avis. Les règles de droit administratif américaines sont toutefois différentes, car elles encouragent vraiment les juges à poser un œil sévère sur les analyses fournies par les organismes gouvernementaux dans le cadre du processus d’évaluation d’impact. Quand cet examen sévère met au jour des lacunes, les juges rejettent les évaluations et exigent qu’elles soient étayées.
Au Canada, c’est le contraire. Les tribunaux semblent fort réticents à se pencher sur les aspects scientifiques de l’évaluation environnementale, même dans le contexte actuel. Ils ont parfois indiqué qu’ils ne sont pas membres d’académies des sciences, comme ils l’ont fait dans les années 1990 dans une affaire célèbre.
Par le passé, c’est au chapitre du suivi et de la surveillance que nous avons été considérés comme plus rigoureux. La National Environmental Policy Act est plutôt muette à ce sujet. À certains égards, vous savez, il s’agissait d’une évaluation précoce du potentiel. Or, je ne pense pas que nous ayons nécessairement concrétisé ce potentiel.
[Français]
Le sénateur Carignan : Et en Australie?
M. Olszynski : Je connais moins.
Le sénateur Carignan : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux de témoigner et de nous fournir de l’information.
Ma première question d’adresse à Mme Jacob. Il me semble que vous avez indiqué avoir contribué à fournir de nombreux renseignements au cours des trois années qui ont précédé le dépôt du projet de loi. Je pense que vous avez affirmé que des milliers de lettres ont été envoyées par diverses organisations.
Au bout du compte, quand le projet de loi C-69 a finalement été déposé, correspondait-il à vos souhaits? Je ne vois aucun amendement proposé par le milieu scientifique indiquant que des modifications majeures devraient être apportées, car le projet de loi ne convient pas. Ces amendements m’ont peut-être échappé, donc corrigez-moi si je fais erreur.
L’industrie nous a fait part de graves préoccupations, mais je ne suis pas certain d’en avoir entendu de la part des gens que vous représentez. Voilà qui m’indiquerait que vous avez probablement obtenu ce que vous vouliez.
Mme Jacob : Eh bien, je suis heureuse que vous me posiez la question. J’espère que vous ne le regretterez pas quand vous verrez tous les amendements que nous proposons affluer dans votre boîte de réception. Quand le projet de loi a été...
Le sénateur Neufeld : J’ai deux adresses : l’une qui va par-ci et l’autre qui va par-là.
Mme Jacob : D’accord. Eh bien, j’essaierai de faire mes recherches et de trouver les deux. Quand le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes, j’ai proposé des amendements, et ils étaient nombreux.
Le projet de loi respectait-il nos conseils? À certains égards, il y a de l’amélioration.
Il contient toutefois bien des lacunes.
Je tiens à souligner que certains des aspects relatifs aux sciences qui doivent être renforcés concernent les politiques et la mise en œuvre. Il s’agit parfois de détails techniques qui touchent ce qui se passe sur le terrain et dans les politiques, mais pas dans le projet de loi. Cependant, si ce dernier n’est pas adopté, nous n’obtiendrons pas les mesures qu’il comprend.
Certaines mesures sont des améliorations. C’est à ce sujet que de nombreux scientifiques ont jugé qu’ils ont pu apporter le plus d’aide en prodiguant des conseils. Nous observons des aspects favorables au chapitre des politiques.
En ce qui concerne les facettes scientifiques du projet de loi, l’engagement en matière de durabilité constitue un point fort. Le concept de durabilité existe depuis longtemps. Certaines des mesures que nous appuyons concernent ce concept. Pour ce qui est des amendements que nous voulons faire apporter, certains figurent dans la version préliminaire du mémoire que je vais vous faire parvenir.
Le sénateur Neufeld : Ma question concerne la période précédant le dépôt du projet de loi. Vous ai-je entendue dire que vous aviez l’oreille de bien des gens au sein du gouvernement et que vous leur avez présenté des exposés avant même que le projet de loi ne soit rédigé, au cours des trois ans qui ont précédé son dépôt? C’est là l’objet de ma question. Je sais que vous êtes allée à la Chambre des communes. Je peux consulter la liste très aisément, mais...
Mme Jacob : Merci de cette précision. Votre question porte sur la période avant février 2018, n’est-ce pas?
Le sénateur Neufeld : Oui.
Mme Jacob : J’ai participé au processus par l’entremise du groupe d’experts et d’un témoignage écrit, et ce que j’ai soumis était cosigné par près de 2 000 scientifiques de diverses régions du Canada. Je pense que, quand les scientifiques s’expriment à ce sujet, il importe que l’on pèse leurs propos et que les gens fassent des exposés en personne. C’est ce qu’ont fait un certain nombre d’autres scientifiques.
Par la suite, je suis intervenue en rencontrant des membres de la haute direction de l’agence, des fonctionnaires et des politiciens à quelques reprises.
Le sénateur Neufeld : D’accord. Merci beaucoup.
J’ai une question pour Me Olszynski. Pendant littéralement des années, le site C, en Colombie-Britannique — que vous connaissez bien, j’en suis certain — a fait l’objet d’une évaluation environnementale et de consultations auprès des Premières Nations, tout le long de la rivière de la Paix, du nord du site C jusqu’au delta de l’Athabasca. Plus de 23 00 pages de renseignements ont été remises dans le cadre du processus fédéral d’évaluation environnementale. Or, le projet a quand même fait l’objet de neuf contrôles judiciaires depuis le début de la construction.
Les mesures dont vous avez parlé plus tôt sont-elles réalistes? Ce que je veux dire, c’est que je comprends qu’il y a des mécontents et des gens satisfaits, mais après avoir tenu des audiences rigoureuses, accordé énormément de temps au dossier et effectué des études sur tout ce qu’on peut imaginer, il y a eu neuf contrôles judiciaires. C’est une bonne chose que ce soit la Couronne qui réalise le projet, car elle a les moyens de continuer.
Transposez cette situation à l’industrie pétrolière et gazière qui construirait une usine ou autre chose. Je pense que cela explique en partie pourquoi les gens hésitent à investir. Il s’agit de fonds privés, alors que, en Colombie-Britannique, ce sont des fonds publics. Le gouvernement fait constamment appel à un bataillon d’avocats pour pouvoir mener ses projets à bien.
Voilà certaines craintes que soulève la situation.
M. Olszynski : Oui. Je pense que c’est juste.
Je pense que vous auriez pu évoquer le projet de Muskrat Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador, qui est...
Le sénateur Neufeld : Je suis originaire de la Colombie-Britannique. Muskrat Falls peut gérer ses affaires.
M. Olszynski : En effet, mais il y a probablement aussi 10 contrôles judiciaires.
J’aimerais formuler quelques observations qui, je l’espère, vous seront utiles. Sachez d’abord que tous les litiges ne sont pas égaux. Bien entendu, les litiges vraiment importants qui tendent à bloquer des projets concernent les droits des Autochtones et l’obligation de consulter, et l’Institut C.D. Howe a effectué des travaux à ce sujet. Un grand nombre de litiges relatifs au site C concernent les diverses Premières Nations de la région qui se préoccupent de l’impact du projet sur les droits que leur confèrent les traités.
À cet égard, il s’agit d’un impératif constitutionnel. La seule manière dont nous pourrons nous en sortir, c’est en montrant l’exemple à l’échelle fédérale et provinciale et en comprenant finalement comment on peut lancer des projets tout en respectant l’esprit de réconciliation. C’est ce que nous ferons en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale actuelle et des futures lois d’évaluation d’impact. On ne peut rien faire d’autre que d’accomplir vraiment du bon travail.
Pour ce qui est des évaluations et de leur remise en question, il est évidemment intéressant de constater que les projets du site C et de Muskrat Falls ont, jusqu’à maintenant, été essentiellement considérés comme des éléphants blancs économiques. Je pense que, dans le cas du site C, le projet a vu le jour seulement parce que le premier ministre a décidé d’aller de l’avant en raison des sommes qui avaient déjà été investies.
Ce qui est intéressant, c’est que, dans les deux cas, les projets ont évité une évaluation rigoureuse de rechange. Dans le cas du site C, je pense que BC Hydro ou la commission des services publics n’ont pu effectuer leur propre évaluation sur le besoin. De même, les choses se sont passées plus ou moins bien dans le cas du projet de Muskrat Falls.
Ces exemples font simplement ressortir le fait qu’il importe d’effectuer des évaluations rigoureuses afin d’assurer la mise en œuvre de bons projets.
Le sénateur Mockler : Le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique a fait parvenir au premier ministre du Canada une lettre dans laquelle on peut lire ce qui suit :
Selon notre examen du projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, les modifications importantes proposées à la portée et à l’échelle des évaluations environnementales fédérales au Canada ne permettront pas d’atteindre le double objectif de la protection de l’environnement et de la croissance économique.
Ce sont les quatre premiers ministres du Canada atlantique. Ils ont, en outre, affirmé que le projet de loi n’est pas conforme aux principes de cogestion de la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique.
Je viens du Canada atlantique; nous avons la Centrale nucléaire de Point Lepreau. D’autres intervenants ont attiré notre attention sur une importante préoccupation : la responsabilité de l’évaluation des projets nucléaires pourrait passer de la Commission canadienne de sûreté nucléaire à l’Agence d’évaluation des impacts. À cela s’ajoutent les exigences selon lesquelles les projets d’expansion d’une installation nucléaire autorisée doivent faire l’objet d’une évaluation en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact plutôt qu’une évaluation par la CCSN, un organisme de réglementation hautement qualifié pour toute la durée du cycle de vie.
Ma question s’adresse à vous deux. Convenez-vous que réduire le rôle de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, souvent décrite comme un chef de file mondial, diminue l’importance de l’expertise scientifique dans l’évaluation de projets canadiens?
Mme Jacob : Je vous remercie de la question. Je ne suis pas spécialiste du nucléaire. Je serai donc prudente dans ma réponse et me contenterai de commentaires généraux sur le rôle de la science et d’une indépendance que je juge nécessaire.
Lorsque nous évaluons les impacts possibles — les impacts positifs ou négatifs, qui sont liés à des facteurs économiques, sociaux et environnementaux —, cela se fait de nombreuses façons et en fonction de divers critères. Des évaluations faites de façon très ouverte, rigoureuse, transparente et indépendante peuvent donner aux décideurs de meilleurs renseignements sur lesquels fonder leur décision. J’ai tendance à être sceptique lorsque les évaluations sont faites ou payées par les promoteurs et ceux qui pourraient en tirer un avantage, car ils ont une incidence sur le résultat, à bien des égards. Les expériences qui m’ont été racontées comprennent beaucoup d’exemples du genre.
Ma prudence est essentiellement liée à la question de l’indépendance.
Si l’agence avait la capacité requise, si les scientifiques du gouvernement ou d’autres experts avaient les connaissances et la capacité de faire des recommandations impartiales et véritablement fondées sur la science et d’évaluer les preuves qui leur sont présentées, ce serait une amélioration. Je ne peux toutefois parler précisément du nucléaire.
M. Olszynski : Je pense qu’il est important de clarifier quelques points. Le premier est, évidemment, que la Loi sur l’évaluation d’impact ne diminue en rien le rôle de la CCSN. Toutefois, elle force l’organisme à participer à une évaluation conjointe avec l’Agence d’évaluation d’impact ou avec les membres de la commission nommés à partir d’une liste.
Premièrement, il ne s’agit pas d’enlever une responsabilité, mais d’obliger le partage.
Ce n’est peut-être pas la préférence ou le souhait de la CCSN ou de l’ONE, mais en toute franchise, il s’agit de retour à la situation d’avant 2012, alors que beaucoup de projets étaient évalués par des commissions mixtes d’examen. C’est d’ailleurs le cas du projet Northern Gateway, qui a été examiné conjointement par l’agence et l’ONE.
Il n’est pas juste de dire qu’on retire une responsabilité; c’est plutôt un partage de responsabilité.
Deuxièmement, une mesure législative ne se fait pas en vase clos, malheureusement. Ce n’est pas élaboré de façon isolée. Je regarderais du côté du rapport du groupe d’experts, qui a fortement recommandé que les évaluations ne relèvent plus uniquement de ces deux organismes précis. Je pense qu’ils ont fourni des explications plutôt claires à cet égard.
Le dernier point, qui nous ramène à votre introduction et à la question concernant les quatre provinces maritimes et leurs dirigeants, c’est la question de savoir si tout le monde s’entend pour dire que le projet de loi et le régime ne comprennent aucune contrainte ou limite importantes quant aux types de projets qui peuvent être approuvés. Tout le monde s’entend là-dessus?
Lorsque la ministre a affirmé, à la télévision, que le projet TMX pourrait être approuvé en vertu de cette mesure législative, elle avait tout à fait raison, sur le plan juridique. La seule contrainte est-elle vraiment l’évaluation de la ministre et du cabinet quant à la sagesse politique de cette décision? Parce que, une fois que nous aurons accepté cela — et je dirais que c’est la réalité —, il n’existe dans ce projet de loi aucune restriction importante concernant les types de projets qui peuvent être approuvés. Si c’est le cas, j’ai beaucoup de mal à comprendre les motifs de ces prises de position très fortes. Parce qu’il s’agit essentiellement d’un processus qui n’exige qu’un rapport, un examen des effets et, en fin de compte, une décision démocratiquement responsable.
Le sénateur Mockler : Il y a neuf provinces canadiennes qui sont préoccupées. Ce sont les dirigeants de nos communautés, et c’est la démocratie.
Prenons le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique. On dit vouloir l’opinion des gens sur divers aspects. Le conseil considère que le projet de loi, tel qu’il est rédigé, accorde le pouvoir décisionnel à la ministre ou au gouverneur en conseil et permet le veto des résultats d’une évaluation scientifique et de l’examen des preuves. C’est ce que disent les premiers ministres de nos provinces. Ce que vous me dites est plutôt étrange.
M. Olszynski : Eh bien, je dis simplement qu’il n’y a aucune différence entre la loi actuelle, l’ancienne loi et la loi future.
Mme Jacob : Puis-je ajouter un commentaire, sénatrice?
La présidente : D’accord.
Mme Jacob : Sénateur, vous avez parlé de démocratie. Je pense que l’une des choses très importantes qu’il faut se rappeler, c’est qu’il y a eu énormément de consultations à ce sujet. Les gens ont indiqué ce qu’ils veulent.
Voici quelques exemples. L’aspect le plus important qui ressort des 3 000 mémoires présentés en ligne au sujet de l’examen d’un groupe d’experts en évaluation environnementale, c’est que les décisions soient fondées sur des données scientifiques, des faits et des preuves. Cela devançait même la participation du public. On constate également un énorme appui en faveur d’une prise en compte plus forte des effets cumulatifs.
Il est certes très important de réfléchir à ce que les gens veulent, mais nous devons aussi considérer ce qui est dans notre intérêt supérieur à long terme et appuyer nos décisions en nous fondant sur des preuves vraiment claires.
Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à Mme Jacob. Vous vous décrivez comme une scientifique de la conservation. Je me considère comme un défenseur de l’environnement. Mon objectif est d’assurer le maintien de l’habitat et des milieux humides, de contenir l’étalement urbain, et cetera. Bien sûr, « conserver » est la racine du terme « conservateur ».
Si nous regardons le monde dans lequel nous vivons, il a fallu 200 000 ans à l’humanité pour atteindre une population d’un milliard de personnes. Il lui a fallu 200 ans pour dépasser le cap des 7,5 milliards. Le Canada compte 37 millions d’habitants sur une population mondiale totale de 7,5 milliards.
Je crois en la science. Je ne la rejette pas. Pas plus tard que la semaine dernière, le Rapport sur les changements climatiques au Canada a montré que le Canada se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale, et que le réchauffement est trois fois plus rapide dans le Nord. La science est claire. Le changement climatique est en grande partie causé par les activités humaines, à moins que nous réduisions les émissions, ce qui est encore possible. Je suppose qu’avec l’emploi de « nous », vous parlez du monde et pas seulement du Canada, n’est-ce pas?
Mme Jacob : Je parle des deux.
Le sénateur MacDonald : Les deux; très bien. Quel impact pouvons-nous avoir sur le monde? Nous voulons évidemment faire preuve de leadership. On entend beaucoup parler du plastique. Le plastique est un problème, en particulier dans les océans. Or, 95 p. 100 du plastique des océans provient de neuf systèmes fluviaux, qui sont tous situés en Asie du Sud-Est, dans le sous-continent indien et en Afrique. On ne peut rien y faire ici.
Que pouvons-nous faire pour atténuer ces problèmes dans tous les domaines qui ne relèvent pas de la compétence et de l’influence du Canada?
Mme Jacob : J’adore la question : que pouvons-nous faire? Je pense que beaucoup de gens se demandent ce qu’ils peuvent faire. Que puis-je faire, personnellement? Que pouvons-nous faire en groupe, dans les nombreux groupes différents dont nous faisons partie? La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons faire énormément de choses. Les choix individuels jouent un rôle, mais pour apporter les changements voulus dans les délais impartis, il faut que les institutions jouent un rôle et que les gouvernements jouent un rôle très important.
Vous avez parlé des plastiques. Bien que nous entendions beaucoup parler des plastiques — qui sont effectivement un problème —, ce n’est pas le problème le plus pressant pour les océans. Ce sont plutôt le réchauffement des températures et l’acidification des océans. Bien que le plastique soit un problème et que nous devrions faire notre possible, en tant que Canadiens et collectivement, ce n’est pas le principal problème.
Vous avez demandé quel était le rôle du Canada et celui des autres pays à l’égard des changements climatiques. Essentiellement, nous devons tous faire quelque chose. Nous partageons tous la planète. Nous avons tous une responsabilité.
Le Canada est un pays extrêmement riche. Nous avons des données scientifiques phénoménales dans ce pays. J’ai fait mes études au Canada, aux frais des contribuables. Nous avons la responsabilité d’utiliser cette information, cette formation et cette expérience, non seulement pour améliorer la vie des Canadiens et la façon dont nous protégeons le Canada, mais aussi pour améliorer les autres pays et les aider à atteindre leurs objectifs en matière de biodiversité et de changements climatiques. Je pense que nous avons la responsabilité morale de le faire.
Dire que le Canada est un petit pays par sa population, c’est vrai. Nous sommes un très grand pays par sa masse terrestre. Nous avons un immense littoral. Nous avons la responsabilité envers le monde de faire quelque chose, de le protéger.
Le sénateur MacDonald : Vous avez mentionné que le Canada est un pays riche. Il serait évidemment un peu moins riche si nous n’avions pas d’emplois. Ce serait alors plus difficile.
Vous avez parlé de l’importance du savoir autochtone. Vous avez dit que vous ne pouvez parler au nom des dirigeants autochtones pour les questions liées au savoir autochtone. Vous m’avez demandé d’accepter la science. Vous avez fait la même demande aux gens en général. Comment réagissez-vous lorsque le savoir autochtone contredit la science?
Mme Jacob : J’aborde ces occasions avec curiosité. C’est une occasion d’en apprendre davantage. L’idée n’est pas de mettre fin au dialogue, puisque c’est un travail à long terme. Nous voulons tous les deux comprendre le monde naturel, et nous avons des informations contradictoires. Je pense que cela représente une occasion d’en discuter. Cela ne signifie pas nécessairement que l’un est meilleur que l’autre, mais je pense que cela montre qu’il faut être prudents. C’est là qu’entre en jeu le principe de prudence, car l’un des deux pourrait anticiper une chose, et l’autre, une chose différente. Si quelqu’un vous dit que le pont va tomber et que l’autre vous dit qu’il tiendra, je pense qu’il faut faire preuve d’une grande prudence avant de décider de le traverser.
Cela ne signifie pas que le dialogue est interrompu. Cela veut dire que nous communiquons avec ceux qui ont cette information — les experts dans ces domaines — et que nous leur demandons de la comprendre.
Le sénateur MacDonald : C’est vous l’experte scientifique.
Mme Jacob : Oui.
Le sénateur MacDonald : Je pensais que nous devions nous fier à la science. C’est ce que vous nous dites.
Mme Jacob : Je parle en tant que scientifique. Lorsque nous — nous au sens large, ou le comité — devons examiner de multiples formes de preuves, cela ne veut pas dire qu’il faut privilégier une forme plutôt qu’une autre. Je peux expliquer mes recherches scientifiques et celles d’autres personnes, puisque je les comprends, mais je ne peux parler du savoir autochtone avec une quelconque autorité. Je n’ai pas la formation nécessaire. Je pense que nous devrions écouter très attentivement ceux qui sont des experts dans ce domaine. Ce n’est pas à moi de déterminer comment les décideurs tiennent compte de cet aspect.
La présidente : Merci beaucoup.
Cela met fin à cette partie. Merci beaucoup de vos témoignages.
Nous accueillons maintenant le quatrième groupe de témoins de la matinée. Représentant Suits and Boots, nous accueillons M. Rick Peterson, son fondateur et président, ainsi que M. Brad Schell, son président honoraire. Nous accueillons aussi Mme Katie Smith, directrice générale de Young Women in Energy. Enfin, représentant la Pembina Pipeline Corporation, nous avons M. Michael Dilger, président et chef de la direction, et Mme Tanis Fiss, Relations gouvernementales.
Je tiens à rappeler aux témoins que nous étudions les enjeux liés au projet de loi C-69. Je demande aux témoins d’éviter de parler d’autres projets de loi ou d’enjeux qui ne sont pas liés au projet de loi C-69, question d’efficacité.
Nous commençons avec M. Peterson.
[Français]
Rick Peterson, fondateur et président, Suits and Boots : Madame la présidente, honorables membres du comité et tous les francophones et francophiles du Québec et du Nouveau-Brunswick, merci d’être venus à Calgary pour aborder des questions d’importance capitale pour les Canadiens et les Canadiennes.
[Traduction]
Je m’appelle Rick Peterson. Je suis le président de Peterson Capital, une société de conseil. Aujourd’hui, je témoigne du point de vue de l’industrie des placements, mais aussi en tant que fondateur et président d’un organisme sans but lucratif appelé Suits and Boots. J’ai passé 31 ans dans l’industrie de l’investissement. J’ai travaillé pour diverses grandes entreprises, notamment Merrill Lynch Canada, Valeurs mobilières HSBC, Midland Walwyn et CIBC Wood Gundy. Depuis 2003, Peterson Capital aide à financer des entreprises partout au Canada. Nous comptons sept employés à Vancouver, Calgary, Toronto, Montréal, Halifax et Genève.
Suits and Boots est un organisme sans but lucratif qui regroupe 3 700 personnes. Nous avons commencé il y a un an, en avril. Je crois que certains de nos partisans sont dans les première et dernière rangées. Nous sommes un véritable organisme communautaire sans but lucratif. Nous ne recevons aucun soutien financier d’entreprises ni aucun soutien financier du secteur des ressources naturelles.
M. Brad Schell est le président. Il parlera au nom des gens qui sont sur le terrain. Nous sommes présents dans chaque province et territoire dans plus de 300 collectivités du Canada. Je pense que vous allez trouver son témoignage intéressant.
En tant que banquier d’affaires et spécialiste des marchés financiers, je suis ici aujourd’hui pour refléter les propos de mes collègues des marchés financiers et ce qu’ils entendent. Depuis l’adoption rapide du projet de loi à la Chambre jusqu’au moment où vous en avez été saisis, aucun spécialiste des services de banque d’investissement au Canada ne s’est manifesté pour dire que c’était un bon projet de loi. Aucun administrateur de fonds au Canada n’a dit que c’était un bon projet de loi. Pas un seul conseiller en placement qui aide à gérer des portefeuilles, des CELI et des REER n’a levé la main et dit que c’était bon pour le secteur des ressources et pour le Canada.
Vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole. Vous n’avez qu’à croire ceux dont le travail quotidien consiste à réunir des capitaux pour le secteur des ressources.
Quel exposé intéressant que celui du témoin précédent, la scientifique dont j’ignore le nom et ce pourquoi je lui présente mes excuses. Notre opinion des marchés financiers est que la loi de 2012 comporte une faille fondamentale que vous avez la possibilité de boucher. Cette faille dépouillait l’Office national de l’énergie de sa capacité de prendre une décision définitive et la confiait au Cabinet. Quelqu’un l’a dit, c’était laisser entrer le renard dans le poulailler. C’était tellement vrai. Le projet de loi C-69 en laisse entrer dix de plus. L’opinion unanime des acteurs des marchés financiers est qu’il aggrave les risques. Quotidiennement, il se prend des décisions d’investissement dans tout le Canada et le monde.
[Français]
Le facteur le plus important, c’est le risque. Quel est le risque lié au capital que je vais investir au Canada?
[Traduction]
Quelle est la probabilité de rentrer dans son argent et de faire un profit? Eh bien, les marchés financiers ont répondu très haut et très fort. Ils sont partis.
Mesdames et messieurs, en vous promenant ce soir dans Calgary, vous verrez le théâtre même de la douleur, de la fuite des capitaux, les résultats d’une politique improvisée pour les entreprises et le secteur pétroliers et gaziers. Pendant ce moment de détente, ne vous méprenez pas sur les lumières brillant au sommet des tours. Elles éclairent des lieux qui sont déserts. Dans le centre-ville, le taux officiel d’inoccupation est de 25 p. 100. En réalité, il peut être de 60 p. 100. On peut y louer des étages entiers, des locaux commerciaux, pour pas plus que les coûts d’exploitation.
Il importe de savoir que nous tous, dans les marchés financiers, nous tenons à la clarté et que nous respectons le besoin de consulter les Autochtones et de se soucier de l’environnement. C’est ce que nous voulons. Nous voulons cette clarté. Nous la voulons pour attirer des capitaux que nécessitent notre secteur des ressources et les jeunes qui y travaillent.
Jeudi dernier, les trois banques canadiennes ont publié leurs résultats du dernier trimestre. C’était intéressant. Chacune, la Banque Royale, la Banque Toronto Dominion et la Banque Canadienne Impériale de Commerce, a engagé de l’argent dans les énergies de remplacement, dans les technologies vertes. Toutefois, chacune d’elles a doublé son appui au secteur des ressources, au secteur du pétrole et du gaz. Aucune ne s’est prononcée pour le projet de loi C-69.
Jeudi dernier, le chef de la direction Victor Dodig a dit, d’après le Globe and Mail : il y a « [...] fuite des recettes fiscales subvenant aux soins de santé et à l’éducation qui font l’attrait de notre pays ».
Mesdames et messieurs, vous pouvez réparer un projet de loi défectueux et rendre notre pays plus accueillant pour les investissements. En guise de conclusion, avant de céder la parole à M. Schell, je vous demande de faire trois faveurs à Suits and Boots et à tout le Canada.
Focalisez votre attention. En examinant les amendements du projet de loi, n’essayez pas de résoudre les problèmes de la planète. Évaluez ceux du pipeline et non ceux de la planète.
Ensuite, soyez honnêtes. Si, d’après vous, notre place n’est pas dans l’extraction des ressources, rédigez un projet de loi qui conserve le pétrole dans le sol et non qui en préconise l’exploitation en prenant tous les moyens pour le laisser dans le sol.
Enfin, soyez forts. Certains amendements très énergiques dont j’ai entendu jusqu’ici parler, qui font beaucoup pour concilier les intérêts divers, m’encouragent beaucoup. Si vous les communiquez à la Chambre et que vous êtes tous d’accord avec eux, si le Sénat les adopte à l'étape de la troisième lecture, vous devez, à leur retour, faire preuve de force et vous porter à la défense de vos amendements.
Ce n’est pas ce qui s’est produit avec le projet de loi C-49 : le Sénat a envoyé 18 amendements à la Chambre, 2 sont revenus et le Sénat a cédé. Ne cédez pas sur le projet de loi C-69.
Soyez forts, soyez réalistes, parce que c’est le tissu du Canada, celui de notre fédération qui est menacé.
Brad Schell, président honoraire, Suits and Boots : Mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens seulement à vous dire que je suis extrêmement honoré d’être ici et je vous remercie de venir à Calgary, la capitale pétrolière du monde. Je vais dire quelques mots sur mes antécédents.
Quand j’ai commencé, à 17 ans, j’étais camionneur. J’ai gravi les échelons. J’ai fondé une entreprise familiale de transport lourd. Mon épouse s’occupait de comptabilité et payait les factures. Mon fils est venu travailler avec moi sur le terrain, puis ma fille, pendant ses études universitaires, est venue travailler dans notre bureau à temps partiel.
Dans notre période la plus faste, nos 40 employés, hommes et femmes, étaient les meilleurs de leur profession. Nous les rémunérions bien et nous les traitions aux petits oignons. Nos quelques employés à long terme ont été la clé de notre succès.
Il y a une douzaine d’années, j’ai vendu l’entreprise, une décision vraiment difficile. Je la destinais à mon fils et à mes petits-enfants.
Aujourd’hui, je remercie le sort de ma décision, parce que, sinon, je serais complètement fauché et je pousserais un panier d’épicerie, ici et là dans le centre-ville de Calgary, où je ramasserais des bouteilles.
Quand je vais à une vente de Ritchie Bros., j’y vois quatre ou cinq camions qui attendent, alignés, tous peints de la même façon, à la fière allure, et j’entends les commentaires dans l’assistance : « La banque lui a demandé de rembourser le prêt; il est fauché; il n’a pas de travail. » L’histoire se répète partout en Alberta. Dans chaque petite ville où l’industrie pétrolière est présente, ces petites entreprises indispensables sont en déroute. Privée de débouchés pour son pétrole, dévastée, de ce fait, la province va à vau-l’eau.
Les choses en sont venues au point où, dans notre pays, nous avons presque honte de dire que nous travaillons dans le pétrole ou le gaz. Eh bien, aujourd’hui, je viens parler au nom des Canadiens et de cette industrie, ainsi que de tous les Canadiens qui partagent les mêmes sentiments que moi. Nous devrions être fiers de notre pétrole et de notre gaz. Des experts sont contre cette industrie et contre les pipelines. Sans ces ressources, nous sommes fichus. Regardez autour de vous. Comment êtes-vous venus ici? Comment vos articles d’épicerie sont-ils arrivés ici? Pour tout ça, il faut du carburant diesel et de l’essence.
Merci.
La présidente : Merci.
Madame Smith, à vous la parole.
Katie Smith, directrice générale, Young Women in Energy : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie de votre invitation à venir témoigner. C’est un honneur incroyable. J’apprécie sincèrement l’occasion d’exprimer mon point de vue sur le projet de loi C-69. Je m’appelle Katie Smith. Je travaille dans le secteur énergétique, où j’ai débuté quand j’avais 19 ans, en essayant de concilier mes études à temps plein et ma vie de jeune professionnelle. J’ai maintenant 30 ans. Ces 10 dernières années, j’ai travaillé à divers aspects de l’industrie énergétique, de la consultation écologique à mon rôle actuel chez Spartan Controls, une entreprise qui se spécialise dans l’automatisation des processus industriels.
En plus de mon travail qui m’occupe le jour, je suis directrice générale de Young Women in Energy. Ces cinq dernières années, notre mandat a été d’augmenter et d’assurer la présence, la direction, l’opinion et le perfectionnement des femmes dans le secteur énergétique.
Young Women in Energy compte plus de 4 000 membres, de jeunes femmes qui travaillent dans diverses disciplines du secteur : génie, géologie, finances, récupération, ressources humaines, services-conseils, droit, stratégie, et plus encore.
Jeune professionnelle active dans l’industrie et forte de l’expérience acquise chez Young Women in Energy, j’ai la passion de faire progresser le secteur énergétique en encourageant l’investissement dans le potentiel de tous. Je viens donc faire connaître mon point de vue de représentante de l’avenir de l’industrie. Je considère le projet de loi comme une loi capitale, qui pourrait définir le rôle du secteur énergétique dans notre identité nationale. D’après PetroLMI, près de deux tiers des effectifs de l’industrie énergétique canadienne ont moins de 45 ans. Nous ne sommes pas seulement préoccupés par les défis immédiats qu’affronte notre industrie, mais, également, par l’influence que ces enjeux exerceront sur le déroulement de nos carrières dans les 20 à 30 prochaines années. Notre intérêt dans l’avenir du secteur énergétique est considérable et ne peut pas être ignoré.
Comprenez-moi bien : les jeunes professionnels comme moi appuient absolument les intentions exprimées par le gouvernement dans ce projet de loi. Nous voulons travailler, en y contribuant, pour un secteur énergétique doté d’un système réglementaire moderne qui protège l’environnement ainsi que les droits et la dignité des peuples autochtones, crée des emplois, offre des possibilités économiques aux Canadiens et profite non seulement à la société canadienne, mais, également, au reste du monde.
Cependant, dans sa forme actuelle, le projet de loi ne répond pas à ces intentions. En me préparant pour mon intervention d’aujourd’hui, j’ai consulté des intéressés de mon industrie, des administrations publiques, des universités et de mon groupe démographique. Parmi les nombreux facteurs abordés aujourd’hui par d’autres témoins, les jeunes professionnels sont particulièrement déçus de l’absence de clarté, de certitude et de la politisation croissante qu’on propose pour gouverner l’avenir de notre énergie. Faute de clarté, l’examen des projets continuera d’être long et complexe, en aboutissant à des décisions politisées, incertaines, vraisemblablement destinées à être renversées ou à faire l’objet d’appels. Le Canada et le reste du monde rateraient ensuite les retombées socioéconomiques des projets et seraient privés de l’ascendant de l’industrie énergétique canadienne dans le domaine de l’environnement.
Je crois que le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, mettra en péril les investissements au Canada et, de ce fait, la capacité de nombreux jeunes professionnels canadiens de poursuivre des carrières épanouissantes. Les enjeux, dans les circonstances, sont élevés. Le secteur énergétique est indispensable à l’économie et au développement du Canada. Il vient au sixième rang parmi les producteurs mondiaux; 200 milliards de dollars du PIB nominal de notre pays lui sont attribuables, et il contribue, directement et indirectement, à près de 900 000 emplois au Canada. Ce sont autant de contribuables, de parents et de contributeurs au haut niveau de vie des Canadiens.
De plus, ce ne sont pas uniquement des emplois. Ce sont des carrières bien respectées pour les femmes et les hommes, des emplois découlant des technologies, orientés vers l’avenir, visant à changer l’industrie pour le mieux. Ils nous stimulent et influent positivement, non seulement sur la société, mais sur le reste du monde.
Si nous nous y prenons de la mauvaise manière, des capitaux iront ailleurs qu’au Canada.
Des ressources énergétiques seront mises en valeur, pas seulement au Canada, et, vraisemblablement, pas de manière aussi responsable. Le plus important, encore, nous perdrons un capital humain précieux. Des jeunes ne choisiront pas le Canada. Ils emporteront ailleurs leurs talents, leurs idées et leur enthousiasme. Nous risquons de perdre notre élan de leaders d’opinion dans l’industrie énergétique.
Nous devons nous y prendre de la bonne manière. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ce capital humain. Il est essentiel de disposer des meilleurs esprits et des meilleures mains possible pour travailler à la résolution des problèmes les plus cruciaux et les plus urgents de l’industrie énergétique. Nous savons que la compétitivité actuelle et l’avenir de l’industrie n’exigent pas moins. Les membres de Young Women in Energy sont particulièrement douées et passionnées par l’industrie énergétique canadienne. C’est une occasion qui ne se présente qu’une fois dans l’espace d’une vie pour préparer notre pays à la réussite alors que nous mettons l’énergie en valeur de manière responsable pour les femmes et les hommes qui travaillent dans cette industrie.
Le monde a besoin de plus d’énergie canadienne. Pas de moins. Le Canada est l’exemple de la mise en valeur des ressources de manière responsable. Il continuera de s’améliorer et de montrer la voie à suivre dans l’avenir.
Nous appuyons les amendements que l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie ont proposés à votre comité. Nous croyons qu’elles ont entrepris une évaluation complète et approfondie du projet de loi et proposé des amendements féconds, qui rendront le projet de loi efficace et qui répondront à nos soucis de clarté, de certitude et de dépolitisation.
Au nom de tous les jeunes professionnels qui constituent l’avenir de notre secteur énergétique, de concert avec les nombreux Canadiens que cette industrie fait vivre, je vous incite vivement à voter pour la modification du projet de loi C-69. Ensemble, collaborons à la création du système réglementaire moderne et écologique dont nous avons besoin pour faire entrer le secteur énergétique canadien dans l’avenir. Nous croyons que ces amendements proposés permettront aux jeunes et aux investisseurs de continuer à choisir le Canada.
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Michael (Mick) Dilger, président et chef de la direction, Pembina Pipeline Corporation : Bonjour à tous. Je m’appelle Mick Dilger. Je suis président et chef de la direction de Pembina Pipeline Corporation, société basée ici même, à Calgary, d’une valeur de 35 milliards de dollars. C’est peut-être la première fois que vous entendez parler de nous. En effet, nous avons tendance à nous tenir à l’écart de manifestations comme celle d’aujourd’hui et à nous faire invisibles. Nous nous sentons obligés de nous manifester aujourd’hui, à cause de l’importance de ce projet de loi.
Je vous remercie de votre invitation et d’avoir organisé ces audiences importantes, un service que vous rendez à notre pays.
Pembina rassemble environ la moitié du pétrole et du gaz albertains dans le centre où ils sont destinés à l’exportation, environ la moitié des liquides du gaz naturel. Nous sommes, en importance, la première tierce partie qui transforme le gaz, le premier propriétaire de volumes de stockage et le premier fractionneur de liquides de gaz naturel du pays. Nous nous diversifions aussi dans la pétrochimie, pour valoriser ces hydrocarbures. Nous avons aussi le regard tourné vers le secteur du gaz naturel liquéfié.
Aujourd’hui, je consacrerai surtout mon intervention au secteur des pipelines. Un peu de contexte, pour commencer. Le secteur énergétique canadien a souffert énormément. Depuis 2014, sa valeur a diminué d’environ 50 p. 100. C’est plus que la valeur de la Banque Royale du Canada, plus que tout le secteur canadien des télécommunications, 30 fois la taille de SNC et de Bombardier pris ensemble. Elle est perdue, évaporée; ce sont 30 milliards de dollars de travaux non réalisés dans les infrastructures.
Cela a conduit à une hémorragie des revenus du secteur pétrolier et gazier. Faute d’issue, les prix chutent et le cycle se poursuit. L’Alberta a perdu plus de 100 000 emplois. On lit que, dans la fabrication, le génie, les pertes d’emplois se comptent en milliers. Celles dont je parle se comptent en dizaines de milliers.
En revanche, les États-Unis sont prospères. Leurs exportations se sont multipliées par dix, et on prévoit qu’elles se multiplieront encore par trois. Ils pratiquent les prix mondiaux pour cette matière première et non les prix faits au Canada.
D’après l’enquête sur le secteur mondial du pétrole, 9 des 10 meilleurs endroits dans le monde se trouvent actuellement aux États-Unis. L’Alberta occupe le 43e rang; la Colombie-Britannique figure au 58e rang. En 2014, elles occupaient respectivement le troisième et le dix-septième rang.
L’Institut Fraser dit que, de 2014 à 2017, le montant des investissements des entreprises étrangères au Canada a diminué de 50 p. 100, tandis que celui des investissements de Canadiens à l’étranger a augmenté de 75 p. 100. Cela s’appelle une fuite des capitaux. L’argent sort de notre pays à une vitesse alarmante.
Pourquoi personne ne veut investir ici même si notre pays possède l’une des géologies les plus favorables dans le monde? Qu’il détient peut-être la plus importante ressource gazière de la planète, très économique aussi, appelée Montney? Que nos entreprises sont dirigées par des équipes parmi les meilleures du monde? Que nos normes environnementales et éthiques sont les plus avancées du monde? De quelle autre cause pourrait-il s’agir? C’est la politique que nous avons adoptée et qui effraie et qui fait fuir tout le monde. Les capitaux détestent le risque et nous avons créé le risque. Si on n’investit pas dans des projets risqués, pourquoi les autres le feraient-ils?
Le projet de loi C-69 : la politisation et la crainte du projet de loi C-69 continuent de broyer artificiellement notre secteur. Il s’agit du risque dont j’ai parlé. Nous devons sortir la politique du processus qui vise à reconnaître les projets d’intérêt national pour la même raison que nous devons tenir la politique à l’extérieur du judiciaire.
Si nous espérons que les intérêts politiques fédéraux, provinciaux, municipaux et autochtones s’harmoniseront tous à un moment où la création et la construction nécessitent de quatre à huit années, nous rêvons. Nous avons besoin d’un seul organisme réglementaire qui possède vraiment les pouvoirs, qui se fonde sur la science pour transcender le bruit de la politique et pour parler de l’intérêt à long terme. Nous devons conserver la capacité de bâtir la nation dans notre pays.
Il n’y a pas de place pour le contexte politique du jour quand il s’agit de projets qui exigent d’investir d’avance d’énormes capitaux et qui prennent au moins 10 ans pour être approuvés, à moins que le gouvernement fédéral s’occupe de construire tous les futurs oléoducs d’exportation et qu’il en soit le propriétaire. C’est là que nous nous en allons.
Nous allons rapidement observer les effets que les contribuables ressentiront parce que le gouvernement fédéral est propriétaire du projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain, et nous verrons bien ce qu’il en ressort. Nous verrons bien quel sera le rendement du capital investi. Le bon côté cependant, c’est qu’au moins le gouvernement fédéral saura ce que c’est qu’être propriétaire de pipeline pendant un certain temps. Cela ne sera pas une partie de plaisir pour eux.
Les sociétés peuvent risquer des milliards de dollars dans un jeu de devinette à savoir qui formera le gouvernement au moment des approbations.
Nous n’avons pas besoin non plus d’un processus parallèle de consultation des groupes autochtones, dans le projet de loi C-69, alors que cette obligation incombe déjà comme il se doit aux gouvernements fédéral et provinciaux. Imaginez qu’il soit nécessaire à l’avenir de déterminer qui, des gouvernements ou de l’industrie, sera le mieux placé pour mener des consultations et déterminer comment le faire. Les tribunaux sont déjà en train de déterminer tout cela parallèlement au projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain.
Il n’est pas nécessaire non plus que tout le monde au Canada puisse se prononcer sur des projets pipeliniers qui ne les touchent pas. C’est tout simplement ridicule. Si vous construisez un garage en Nouvelle-Écosse, pourquoi un Albertain devrait-il intervenir? Cela n’a aucun sens.
Pourquoi n’y aura-t-il plus de construction de nouveaux pipelines? Commençons par la base, les activités liées aux pipelines. Les pipelines réglementés par le fédéral donnent des rendements après impôts qui sont inférieurs à 10 p. 100. Si vous investissez dans un portefeuille diversifié au Canada, vous pouvez obtenir des rendements après impôts assez élevés, quand même sous la barre des 10 p. 100. C’est à peu près ce que les pipelines donnent dans le cas d’un projet. Commençons par cela.
Prenez des millions ou des milliards de dollars en investissement initial pour l’acheminement, pour l’estimation des coûts d’immobilisations, ce qui est nécessaire parce que sans cela, vous ne saurez pas quoi exiger de vos clients. Vous devez fixer les droits. Vous devez consacrer des millions ou des milliards de dollars à faire le travail initial en vue de fixer les droits. Vous avez de très longues négociations avec les clients. Vous essayez de partager le risque avec eux. Vous avez 10 années de consultations sans aucune certitude quant au résultat. Puis, vous avez divers ordres de gouvernement qui se battent pour déterminer qui a la compétence. Nous avons tous vu comment cela se passe.
Vous avez aussi les tribunaux qui remettent en question les gouvernements et l’organisme national de réglementation. Tout le monde veut un droit de veto pour chaque projet.
Avec toutes ces embûches, sans parler du stress exercé sur les sociétés, leurs employés et les parties prenantes, les bilans et les rendements ajustés en fonction du risque ne fonctionnent pas. Assumer de tels risques n’a aucun sens pour les sociétés de pipeline qui obtiennent un rendement après impôts inférieurs à 10 p. 100.
Est-ce que vous le feriez? Si vous pouviez placer votre argent n’importe où dans le monde, dans un portefeuille diversifié, et obtenir des rendements assez élevés sous la barre des 10 p. 100, est-ce que vous investiriez votre argent dans ce secteur, compte tenu de tous les risques que j’ai décrits? Devinez quoi? Nous non plus.
Si vous regardez Enbridge, Pembina, TransCanada, nous avons tout doucement investi jusqu’à une centaine de milliards de dollars aux États-Unis et ailleurs dans les dernières années. Nous investissons plus d’argent à l’extérieur du Canada qu’au Canada.
Nous ne le ferions pas, et nous ne le faisons pas.
Je termine en vous disant que le projet de loi C-69 va continuer de faire fuir les investissements de capital, qu’il va exercer une pression à la baisse sur les prix des hydrocarbures canadiens, qu’il va faire disparaître des dizaines de milliers d’emplois pour la classe moyenne, qu’il va causer la perte de revenus en taxes et en redevances, qu’il va priver les collectivités autochtones d’innombrables occasions, et qu’il va éliminer tous les bienfaits environnementaux et sociaux qui viennent avec un développement responsable de l’énergie. Cependant, il y a pire encore. Ce projet de loi va favoriser le pétrole étranger au détriment du pétrole canadien, alors que le pétrole étranger n’est pas soumis à toutes les normes qui sont proposées dans le projet de loi C-69. Aucune question n’est posée. Importons tout simplement du pétrole de pays que notre gouvernement condamne ouvertement.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Nous allons passer aux questions. Je vais demander aux sénateurs de limiter leurs préambules.
Le sénateur MacDonald : Merci à vous tous de votre présence.
Je vais adresser mes questions aux gens de Pembina. Votre entreprise compte parmi les grandes sociétés de pipelines prospères au pays. Bien franchement, votre témoignage donne beaucoup à réfléchir.
Il y a quelques années, les exigences relatives aux émissions en amont et en aval ont tué le projet d’oléoduc Énergie Est. C’est le résultat qu’on a obtenu au bout du compte.
En quoi est-ce que l’imposition d’exigences relatives aux émissions en amont et en aval représente un avantage pour les sociétés étrangères, les sociétés de pipelines étrangères, par opposition aux sociétés canadiennes? Je pense qu’il faut que les Canadiens entendent cela.
M. Dilger : Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que ces restrictions ne sont aucunement imposées au pétrole étranger. De nombreux pays étrangers n’ont pas les normes éthiques ou environnementales que nous imposons déjà, et encore moins les normes que le projet de loi C-69 envisage. Ces produits nous viennent de l’autre bout du monde, ce qui cause encore plus d’émissions de gaz à effet de serre. Ils nous arrivent par la Voie maritime du Saint-Laurent, alors qu’on pourrait faire correspondre l’offre canadienne à la demande canadienne. Cela défie toute logique. C’est absolument illogique.
Le sénateur MacDonald : Votre société est manifestement une importante société qui possède une formidable expertise. Vous n’allez pas quitter l’industrie des pipelines. Est-ce que vous allez inévitablement ou plus probablement faire tous vos investissements dans des pipelines à l’étranger?
M. Dilger : Nous faisons ce que nous pouvons avec les hydrocarbures qui existent.
Nous essayons de diversifier nos activités en nous tournant vers les produits pétrochimiques afin d’ajouter de la valeur aux hydrocarbures que nous avons, mais le système est bloqué. Au bout du compte, l’incidence, c’est que le producteur ne peut plus faire d’argent maintenant. Le milieu de la production ne peut plus obtenir du financement, car les prix sont si bas qu’ils ont de la difficulté à faire des profits. Cela cause des pertes d’emplois massives.
L’effet d’entraînement sera incroyable pour le Canada, car comme vous le savez, nous avons un secteur bancaire très prospère qui, en passant, investit également davantage à l’extérieur du Canada qu’au Canada parce qu’il n’a plus personne à qui prêter de l’argent.
M. Peterson a parlé des marchés de capitaux. La perte des investissements dans les hydrocarbures, là où il se faisait de loin le plus d’investissements de capital de risque au pays, aura un effet d’entraînement traumatique. Les bilans subissent les effets de la pression et s’affaiblissent, et les gens s’accrochent en ce moment. Ils ne font que s’accrocher. Encore quelques années de cela, et ce sera le chaos absolu. Nous allons être témoins d’une véritable tragédie quand un secteur qui faisait l’envie du monde entier va s’effondrer.
Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C’est une discussion très intéressante et informative. Cela me permet de constater que notre décision de venir dans l’Ouest, particulièrement en Alberta, est très positive, car elle permet aux membres du comité d’en apprendre davantage sur les réactions et sur ce qui arrive à votre industrie pétrolière.
Je suis de la Nouvelle-Écosse, alors cela ne me surprend pas vraiment, car de nombreux Néo-Écossais sont venus en Alberta pour travailler. Beaucoup d’entre eux sont retournés en Nouvelle-Écosse, mais il en est resté beaucoup aussi. Cependant, ils ne travaillent plus dans le secteur pétrolier et gazier; ils sont en chômage ou ont trouvé d’autres emplois. Je vous remercie beaucoup de ce que vous nous avez dit aujourd’hui.
Je veux poser une question à Mme Smith. Vous avez dit être d’accord avec les modifications que l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) a soumises. Vous avez parlé du manque de clarté du projet de loi C-69, du manque de certitude, et vous avez dit que sans cette clarté et cette certitude, le processus d’approbation sera long. Nous pourrions probablement ajouter à cela que les difficultés relatives au financement dont MM. Dilger et Peterson ont parlé entreraient également en jeu.
J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur cela en particulier. Pourriez-vous mettre en évidence des modifications particulières permettant d’améliorer la certitude et la clarté parmi les propositions ou les modifications soumises par l’Association canadienne des producteurs pétroliers ou proposer vous-même des modifications?
Mme Smith : Je ne suis absolument pas une experte en politique, mais j’ai passé en revue les modifications proposées par l’ACPP au meilleur de mes connaissances. Je crois que ce qui est vraiment important, du point de vue de la clarté, c’est le libellé et ce qui est attendu de chaque processus.
Il faut souligner entre autres que dans les modifications initiales proposées par l’ACPP, on soulève l’idée de l’avis du début de l’évaluation d’impact. Quand ils parlent de l’avis du début de l’évaluation d’impact, toutes les modifications portent sur ce qui devrait être inclus dans cet avis.
Quand je parle de manque de clarté, si vous parlez de l’avis du début, pour quelqu’un qui ne sait rien des politiques, il est impossible de savoir ce que cela signifie. Je crois que ce qu’ils espèrent, c’est un peu plus de clarté sur ce que chaque partie du projet de loi comporte en réalité. En tant que membres de l’industrie, nous sommes ravis de donner notre appui à un processus rigoureux, mais nous devons savoir quel sera ce processus. Je crois que c’est ce que je voulais dire par la clarté et la certitude.
En ce qui concerne les échéanciers, je sais que vous avez posé quelques questions, et encore là, je ne suis pas une experte en politique, mais ils mettent en place des maximums. Il faut des minimums et des maximums. C’est encore une fois pour avoir une plus grande certitude quant aux échéanciers que nous envisageons. Je vais laisser… L’ACPP peut vous fournir plus d’information à jour. Je trouve vraiment utiles les limites qui sont du moins soumises à l’examen du comité.
La sénatrice Cordy : Monsieur Dilger, vous avez brossé un tableau que je dirais assez sombre de l’industrie des pipelines. Est-ce qu’il est possible de sauver le projet de loi? Est-ce que vous auriez des modifications à suggérer?
M. Dilger : Je crois que l’ACPE, l’Association canadienne de pipelines d’énergie, a présenté un excellent ensemble de modifications raisonnables. J’ai parlé de certitude dans le processus de réglementation et de certitude pour les marchés des capitaux. Nous avions un processus de réglementation de classe mondiale qui attirait des capitaux de partout dans le monde, non seulement pour l’infrastructure, mais également pour le secteur en amont. Personnellement, je préférerais exécuter de petits travaux de rénovation à ma maison, sachant que ma maison sera réparée, plutôt que de bâtir une toute nouvelle maison pour ensuite constater que je dois faire de nombreuses rénovations en plus. Je crois que nous avions quelque chose de parfaitement fonctionnel qui avait besoin de petits ajustements.
Si le projet de loi est adopté — bien que je ne le trouve pas nécessaire —, j’estime qu’il serait très sensé d’apporter l’ensemble des modifications soumises par l’ACPE, et pas seulement certaines d’entre elles.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente. Je sais que nous sommes censés limiter nos préambules, mais je tiens à dire que c’était un privilège d’entendre les exposés de M. Schell et de Mme Smith, venus représenter — je ne veux pas dire le passé — l’héritage et l’avenir de l’industrie. Vous avez tous les deux parlé avec énormément de cœur, d’intelligence et d’amour pour votre domaine. Je crois qu’il était vraiment important que mes collègues qui ne sont pas de l’Alberta entendent cela. Je tiens à vous remercier tous les deux d’avoir parlé avec tant d’éloquence.
Je vais poser ma question à M. Peterson. Je comprends ce que vous et M. Dilger dites concernant la fuite des capitaux en réponse au projet de loi C-69. D’après ce que vous avez dit, les capitaux fuyaient déjà avant que le projet de loi C-69 retienne l’attention du public. Manifestement, ce n’est pas encore la loi. Quels sont certains des autres facteurs qui contribuent à cette fuite des capitaux? De plus, si nous pouvons adopter un projet de loi C-69 modifié, comment pouvons-nous rétablir la confiance des investisseurs étrangers, afin qu’ils viennent faire des affaires ici et qu’ils puissent voir un projet se réaliser?
M. Peterson : Les marchés de capitaux sont un indicateur précurseur. Les marchés de capitaux sont tournés vers l’avenir. Comme M. Dilger l’a souligné avec éloquence, les embûches que Pembina et d’autres sociétés rencontrent ne sont pas nouvelles pour les marchés de capitaux.
Si un gestionnaire de fonds voit à l’horizon la possibilité ou la probabilité de mesures réglementaires qui pourraient ajouter un risque à son portefeuille d’investissement, c’est déjà intégré. La fuite des capitaux que nous constatons et les perspectives négatives concernant notre marché sont intégrées parce qu’on s’attend à ce que le projet de loi C-69 soit adopté essentiellement dans sa forme actuelle.
Je ne suis pas un expert juridique. Je crois que nous avons entendu un excellent témoignage de la part d’Andrew Roman, avocat plaideur de Toronto. Je crois que l’ACPP a fait du bon travail.
Pour nous qui sommes dans les marchés de capitaux, nous voulons simplement de la clarté. Nous voulons savoir ce qui va se passer. Nous aimerions qu’il y ait moins de déclencheurs potentiels de litiges. Selon ce que je comprends, il y a en ce moment 22 considérations obligatoires pour l’évaluation, au lieu de 12 comme avant.
Ce que les marchés de capitaux souhaitent, c’est la clarté et la concision qui permettent de comprendre les capitaux requis par les gens sur le terrain, et ce que le Sénat peut faire, c’est de revenir avec un ensemble très clair de lignes directrices et d’amendements. Je crois que c’est possible. J’ai vu ces comités présenter des amendements très fermes et d’excellentes idées à ce jour.
Avez-vous invité un gestionnaire de fonds à venir témoigner devant vous?
La sénatrice Simons : Je ne crois pas que nous ayons quelqu’un qui va venir ici, mais je sais que…
M. Peterson : Avez-vous un gestionnaire de fonds?
La sénatrice Simons : Notre collègue, Howard Wetston, regardait...
M. Peterson : Je sers d’intermédiaire entre Pembina et les gestionnaires de fonds, mais je vous recommanderais fortement, sénatrice, de poser la question aux hommes et aux femmes qui ont le doigt sur la détente quant aux investissements au Canada. Cela vous donnera la clarté que vous souhaitez.
La sénatrice Simons : Merci. Je sais que nous cherchons quelqu’un.
La présidente : Oui.
M. Peterson : Vous cherchez quelqu’un, ou vous avez quelqu’un?
La présidente : Non. Nous avons un groupe de témoins du domaine des finances.
M. Peterson : Vous avez un gestionnaire de fonds? Vous avez, au niveau institution...
La présidente : Nous avons un groupe de témoins du domaine des finances.
M. Peterson : D’accord. C’est une excellente nouvelle. Veuillez poser cette question à cette personne.
La sénatrice Simons : Je le ferai. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux représentants de Pembina. Pouvez-vous nous donner un exemple de votre entreprise au niveau des investissements qui est différent ou que vous avez changé en allant à l’étranger? Je prends l’exemple de votre projet Jordan, en Oregon. Comptez-vous investir aux États-Unis pour exporter le gaz naturel que vous auriez pu ou dû faire normalement au Canada, puisque c’est un genre d’investissement que vous devez faire à l’extérieur?
[Traduction]
M. Dilger : À cette fin, nous regardons plus vigoureusement du côté des États-Unis, car c’est là que se produit la croissance dans le secteur pétrolier et gazier. C’est dans les bassins de Marcellus et de Permian, entre autres, qu’il y a de la croissance.
Vous savez, nous allons demeurer au Canada avec fierté et servir nos clients existants, mais les marchés de capitaux s’attendent à ce qu’une société comme la nôtre prenne de l’expansion. Quand il n’y a pas de croissance dans le secteur pétrolier et gazier, la croissance au Canada n’est pas possible. Pour construire de nouvelles usines de transformation, de nouvelles usines pétrochimiques, de nouveaux pipelines, vous devez aller là où il y a de la croissance.
S’il n’y a pas de porte de sortie, il est inutile de faire du traitement, de faire de l’extraction et d’offrir des services. Nous allons devoir croître à l’extérieur du pays, et nous sommes bloqués. Les pipelines sont pleins et ils demeurent pleins. Aucune croissance n’est possible.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai posé la question à quelques témoins, mais je vais vous la poser parce que vous êtes dans l’industrie du gaz. Vous avez déjà eu des déclarations quant à l’importance d’exporter le gaz comme énergie de transition. Croyez-vous que l’on devrait ajouter comme critère l’effet de réduction des gaz à effet de serre d’un point de vue mondial? Le gaz naturel que vous exploitez ici — que vous exportez par exemple au Japon ou en Asie — enlèvera des centrales au charbon. Cela contribuera à réduire les gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Est-ce le genre de critère qui devrait se retrouver dans un projet de loi comme le projet de loi C-69?
[Traduction]
M. Dilger : Quand nous exportons du gaz naturel, nous remplaçons le charbon. Par exemple, en ce qui concerne les clients de notre projet Jordan Cove, en Oregon, les 7,5 millions de tonnes de gaz naturel que nous exporterons vont remplacer toutes les émissions de gaz à effet de serre de l’État de l’Oregon.
Je crois personnellement — même si je suis loin d’être climatologue — que la seule façon d’atteindre les divers objectifs, dont celui de Paris, est de remplacer le charbon par le gaz naturel. C’est la seule façon. Avec les ressources renouvelables, vous n’y arriverez pas. Il n’y a pas assez d’argent dans le monde. La technologie n’est pas tout à fait prête. Nous avons besoin de combustibles de transition, et c’est la seule façon d’atteindre cet objectif.
Je crois fermement que, avec une ressource gazière comme le bassin de Montney, que certaines personnes estiment être le plus important champ de gaz naturel dans le monde, l’Alberta et la Colombie-Britannique peuvent faire partie de la solution bien plus que du problème. Nous devrions être fiers de cela. Nous devrions exporter et être fiers d’exporter l’énergie propre et éthique du Canada vers le reste du monde, qui est prêt à l’acheter. Au lieu de cela, nous transformons en défaite une victoire annoncée. C’est ce que nous faisons.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être ici. On l’a déjà demandé. Quel amendement serait utile? Pour moi, ce projet de loi est toute une catastrophe — faute d’un meilleur terme. Je ne sais pas quel amendement serait utile pour ce qui est de la consultation, de la surveillance ou du veto. Quel amendement au projet de loi serait utile pour diminuer le nombre de litiges?
Je ne sais pas. Chaque fois que je le lis, il devient plus compliqué. Si l’un de vous connaît un amendement qui serait vraiment utile, qui serait adopté par le Sénat et la Chambre des communes, je vous prie de me le dire, car je ne sais pas.
M. Peterson : Je ne suis pas expert en la matière, mais Andrew Roman a écrit un billet très intéressant. Vous pouvez le voir sur son blogue. Il parle de l’utilisation du mot « doit » par rapport au mot « peut ».
Le sénateur Richards : Oui, je suis au courant.
M. Peterson : Du point de vue d’un profane, des marchés financiers, il me semble évident qu’il y aura toujours d’éventuels plaignants en désaccord avec quelque chose qui doit être fait, mais qui n’est peut-être pas fait autant qu’ils le souhaitent.
Comme M. Dilger l’a souligné, le fait qu’il n’y a plus de critère de participation et que des milliers de personnes peuvent présenter une demande se traduit par un mélange hautement explosif pouvant compromettre un projet.
Le travail obligatoire a-t-il été fait, et a-t-on entendu suffisamment de personnes? Le manque de critères liés au droit de participation et le recours à une définition étroite de ce qui doit être fait semblent probablement trop beaux pour être vrais pour beaucoup de plaideurs au Canada. Nous devons mettre un terme à cela.
Le sénateur Richards : Vous avez dit que nous obtenons notre pétrole ailleurs, et je sais que cet amendement ne sera jamais adopté, mais il semble éliminer le tour de passe-passe du gouvernement. Nous pourrions avoir un amendement qui dit que pour chaque baril que nous refusons d’extraire du sol en Alberta, nous refusons l’accès à un bateau dans le Saint-Laurent. Cela pourrait raviser un peu les gens.
Merci beaucoup.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous de votre présence et de l’information que vous nous avez donnée. Je vis dans le nord-est de la Colombie-Britannique et j’ai passé ma vie dans le secteur pétrolier avant de me lancer en politique. Tout comme M. Schell, la question me tient à cœur.
Les gens se demandent pourquoi le Canada perd de l’argent. On a abandonné le projet d’oléoduc Northern Gateway. Et depuis quand parle-t-on du projet TMX? On a aussi saboté le projet Énergie Est. On se rend rapidement compte que cela ne va pas. Je ne dis pas que cela fonctionnait parfaitement avant. Je pense que l’industrie l’a clairement énoncé et qu’elle est disposée à envisager quelque chose de mieux. Nous espérons qu’il y aura quelque chose de mieux. De toute évidence, nous ne l’avons pas obtenu.
Pendant les élections, le premier ministre a mentionné que les gens ne faisaient plus confiance à l’Office national de l’énergie. Personnellement, je n’ai jamais reçu une lettre de quelqu’un ou de représentants d’un secteur qui disaient ne plus faire confiance à l’office. Cela ne veut pas dire que l’office était parfait. Il a un sacré bon bilan partout dans le monde.
Le sénateur MacDonald : Bravo!
Le sénateur Neufeld : J’ai toujours trouvé énervant que nous disions au pays que notre produit est mauvais et qu’il est bon ailleurs. Je pense qu’il est temps de donner un coup de pouce au Canada, et c’est exactement ce que vous avez tous dit. Je suis heureux que la nouvelle génération soit ici, car je vais partir bientôt.
Dans ses déplacements, le premier ministre disait que les gens n’avaient plus confiance et que le nouveau projet de loi allait la restaurer. Nous avons perdu des centaines de milliers d’emplois en Alberta. Si nous revenons en arrière, d’après tout ce que nous avons entendu, nous pourrions en perdre encore des centaines de milliers. Pensez-vous que la confiance dans le processus serait ainsi restaurée, ou les gens diront-ils qu’ils se méfient de tout ce que le gouvernement fait? J’aimerais tout simplement connaître votre point de vue, vous qui avez fait un exposé. Qu’en pensez-vous? Si nous essayons de restaurer la confiance, comment est-ce possible en détruisant ce que nous tentons d’améliorer?
La présidente : Auriez-vous l’obligeance de répondre brièvement, car nous n’avons toujours pas entendu la question du sénateur Black? Nous voulons y venir.
M. Dilger : Pour être honnête avec vous, je crois que cela n’aura plus d’importance.
La question de la sénatrice Simons, étant donné que le projet de loi C-69 fait son entrée en scène, portait sur cette fuite de capitaux qui a déjà eu lieu en grande partie avant. Je pense qu’on compromettait l’Office national de l’énergie — en raison d’un manque de personnel et de ressources, et en le submergeant pendant la forte expansion du secteur énergétique — bien avant que le projet de loi C-69 soit déposé. Le baril de pétrole, qui valait 50 $, était passé à 100 $ en 2014, et l’office manquait de ressources. Cela s’est produit il y a longtemps.
Si nous amendons et adoptons ce projet de loi, en quoi aidera-t-il à restaurer la confiance des investisseurs? Il sera trop tard.
Mme Smith : Je crois qu’une chose à mentionner à propos de l’office, c’est que peu de personnes le connaissent. J’ai travaillé 10 ans dans l’industrie, et il m’a fallu les 6 derniers mois pour mieux comprendre à quoi ressemble vraiment le processus. Je pense que c’est un aspect du problème.
Encore une fois, je pense que cela renvoie à l’objet du projet de loi, à ce qu’il dit dans sa forme actuelle. Je crois qu’il n’offre toujours pas cette certitude. Je ne pense pas que nous préserverons partiellement la confiance en le modifiant sans remédier à certains des problèmes.
M. Peterson : Pour exposer le point de vue de Suits and Boots, nous avons envoyé, je crois, beaucoup trop de lettres : 37 pages de lettres. Je m’excuse auprès de Maxime Fortin.
J’exhorte les sénateurs à lire ces lettres. Nous parlons aujourd’hui de politiques, mais si vous lisez ces lettres, vous verrez qu’il ne s’agit pas de courriels préfabriqués d’un groupe de pression. Il s’en dégage de la sincérité, de l’attachement, du chagrin et de la frustration, ce qui reflète selon moi la destruction du tissu social au Canada. Nous détruisons le tissu social du Canada. Des gens de la Nouvelle-Écosse, du Québec, de Terre-Neuve et du Nunavut nous écrivent pour nous demander ce qui arrive au Canada qu’ils connaissent.
Nous avons besoin d’entreprises comme celle de M. Dilger. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de jeunes dans le secteur. Il nous faut plus de personnes comme Brad, qui peuvent dire à leurs petits-enfants que leur avenir est assuré.
Tout ira bien si vous lisez ces lettres et que vous en tenez compte dans vos amendements.
Merci.
La présidente : Sénateur Black, sénateur Mockler, je vous prie d’être très brefs dans vos questions.
Le sénateur D. Black : Merci beaucoup, madame la présidente.
Je n’ai pas de question. Je veux tout simplement remercier M. Schell et M. Peterson, Mme Smith et M. Dilger de leurs remarquables témoignages. Dans la salle, je ne vois que le visage de personnes qui aiment le Canada, qui s’en préoccupent vivement et qui savent que nous commettons une erreur. Vos témoignages d’aujourd’hui nous ont aidés à nous rallier autour de ce point de vue. Je vous en suis profondément reconnaissant.
Le sénateur Mockler : Vous l’avez très bien dit. J’ai deux petites questions.
Je suis insatisfait du dénouement du projet Énergie Est, et je vis au Canada atlantique, au Nouveau-Brunswick. Quand on pose la bonne question ou que vous en posez une, on jette le blâme sur les autres, sur l’industrie. Pendant ce temps, nous avons eu Obama de l’autre côté qui a torpillé le pipeline Keystone, mais, au même moment, après ce qui s’est produit, il a construit l’équivalent de huit pipelines Keystone aux États-Unis. Au Canada, l’oisiveté règne.
Monsieur Dilger, comment aurions-nous pu sauver le projet Énergie Est? Aurions-nous pu le sauver en tant que projet d’édification nationale d’un bout à l’autre du pays au moyen d’un corridor énergétique?
M. Dilger : Le projet Énergie Est n’était pas sorcier. Il était question de faire concorder l’offre avec la demande à l’aide d’un pipeline qui existait déjà en majeure partie. Un gazoduc aurait été converti en oléoduc. Nous avons laissé une seule province avoir un droit de veto sur un projet d’édification nationale.
Vous savez, jusqu’où va le droit de veto? Doit-on l’accorder aux provinces, aux municipalités, aux collectivités? Peut-on laisser un seul propriétaire foncier opposer un veto? Si tout le monde a un droit de veto, les projets de biens linéaires et d’édification nationale vont échouer. Ce n’est pas sorcier.
La présidente : Mesdames et messieurs les témoins, merci beaucoup de votre comparution.
Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de vos questions et de votre contribution à cette discussion très importante et intéressante.
(La séance est levée.)