Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 25 - Témoignages du 30 mars 2017


OTTAWA, le jeudi 30 mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, témoins et membres du grand public qui suivent les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois.

Pendant la première heure, nous accueillons le représentant de la Gendarmerie royale du Canada, surintendant principal Andris Zarins, directeur général, Centres fédéraux de coordination et Opérations secrètes, Police fédérale. De plus, nous recevons la représentante de l'Agence des services frontaliers du Canada, Lisa Janes, directrice générale des Opérations frontalières, et le représentant de Postes Canada, Chad Schella, directeur général des Affaires gouvernementales.

M. Schella est présent parmi nous pour répondre à toute question qui relève de la compétence de Postes Canada, mais il ne prononcera pas de déclaration liminaire.

Nous allons commencer par entendre la déclaration liminaire de Mme Janes.

Lisa Janes, directrice générale, Opérations frontalières, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour, monsieur le président, bonjour, chers membres du comité. Je m'appelle Lisa Janes, et je suis directrice générale de la Direction des opérations frontalières à l'Agence des services frontaliers du Canada. J'aimerais remercier les membres du comité de m'avoir invitée à venir parler aujourd'hui du projet de loi C-37.

Le fentanyl et ses analogues figurent parmi les substances illicites les plus récentes à être interceptées en quantités croissantes à la frontière. Nous avons observé que la poudre de fentanyl et les substances équivalentes qui sont les plus fréquemment passées en contrebande au Canada proviennent surtout de la Chine. Ces drogues sont très puissantes. Une quantité se mesurant en milligrammes suffit à causer une surdose mortelle. Par conséquent, un colis de 30 grammes pourrait contenir jusqu'à 15 000 doses fatales.

[Français]

De petites, mais mortelles quantités de ces drogues peuvent être passées en contrebande au Canada par courrier international. Les expéditions postales et par messagerie sont souvent accompagnées de fausses déclarations ou sont intentionnellement mal étiquetées dans le but d'éviter la détection.

Tout le courrier entrant au Canada peut faire l'objet d'une inspection, étant donné que la Loi sur les douanes confère aux agents de l'Agence des services frontaliers du Canada le pouvoir d'examiner tout envoi postal entrant au Canada.

[Traduction]

L'ASFC utilise diverses techniques et technologies de détection, dont des appareils de radioscopie, des détecteurs de traces et des chiens détecteurs. Les agents peuvent sélectionner le courrier présentant un risque élevé pour lui faire subir un examen approfondi. Il existe, toutefois, des limites précises qui restreignent l'ouverture d'envois postaux de 30 grammes ou moins.

Un agent de l'ASFC qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un envoi postal de 30 grammes ou moins contient des marchandises illicites peut seulement l'ouvrir ou le faire ouvrir avec le consentement du destinataire, ou si l'expéditeur a rempli une étiquette précise et l'a jointe à l'envoi postal.

[Français]

Lorsque le consentement du destinataire n'est pas obtenu ou lorsque l'étiquette n'est pas remplie ou jointe, l'expédition est retournée à Postes Canada et ne peut entrer dans la filière du courrier national.

[Traduction]

Le projet de loi C-37 propose d'abroger certaines dispositions de la Loi sur les douanes et de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes pour permettre aux agents d'ouvrir les envois postaux de 30 grammes ou moins, afin de retenir ou de saisir les substances illicites, telles que le fentanyl, qui pourraient s'y retrouver.

Les modifications proposées donneraient aux agents de l'ASFC le pouvoir d'ouvrir tout envoi postal, peu importe son poids, provenant de la filière du courrier international, lorsqu'un agent a des motifs raisonnables de soupçonner qu'il contient des marchandises visées par le Tarif des douanes ou des marchandises dont l'importation est interdite, contrôlée ou réglementée en vertu d'une loi du Parlement.

[Français]

Le gouvernement du Canada est résolu à respecter la vie privée des destinataires du courrier. C'est pourquoi les agents doivent avoir des motifs raisonnables de soupçonner avant d'ouvrir les envois postaux.

Le projet de loi C-37 propose également des modifications qui exigeraient l'enregistrement de certains appareils auprès de Santé Canada, notamment les presses à comprimés et les machines à encapsuler.

[Traduction]

Bien que l'ASFC ne réglemente pas ces appareils, le trafic et l'utilisation des presses à comprimés pour produire des drogues illicites constituent une préoccupation grandissante pour les intervenants de la sécurité publique et de la santé publique. La modification proposée exigerait qu'une preuve d'enregistrement de ces marchandises soit présentée à l'importation.

Dans les cas où aucune preuve d'enregistrement ne serait fournie, les agents de l'ASFC retiendraient les marchandises en vue d'une vérification de la conformité, et ils demanderaient à Santé Canada ou à la Gendarmerie royale du Canada de prendre les mesures qui s'imposent concernant l'admissibilité des produits.

[Français]

En conclusion, l'agence appuie pleinement les modifications proposées à la Loi sur les douanes, à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, ainsi que la réglementation et le contrôle des presses à comprimés et des machines à encapsuler.

[Traduction]

Ces changements contribueront à protéger les Canadiens en empêchant que des substances dangereuses se retrouvent dans les rues, et entre les mains de criminels.

Monsieur le président, honorables sénateurs, voilà qui conclut ma déclaration d'ouverture.

[Français]

Je répondrai avec plaisir aux questions des membres du comité. Merci.

Surintendant principal par intérim Andris Zarins, directeur général, Centres fédéraux de coordination et Opérations secrètes, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Monsieur le président et membres du comité, bonjour.

[Traduction]

Merci de m'avoir invité à venir prendre la parole aux côtés de mes collègues pour vous entretenir du projet de loi C-37, qui vise à modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi qu'à modifier d'autres lois connexes.

Comme il s'agit de ma première comparution devant le comité, je me permets tout d'abord de me présenter et de vous parler brièvement de mon rôle à la GRC. Je suis le surintendant principal par intérim Andris Zarins, et j'occupe le poste de directeur général des Centres fédéraux de coordination et des Opérations secrètes à la Direction générale de la GRC. Mon rôle consiste en partie à superviser un secteur appelé le Centre fédéral de coordination — Crimes graves et Crime organisé.

L'équipe des crimes graves et du crime organisé assume plusieurs fonctions et responsabilités de base, dont la création et le maintien de partenariats avec des organes d'application de la loi canadiens et étrangers, d'autres ministères et des intervenants, dans le but de faire avancer les initiatives du programme.

Comme ma collègue l'a mentionné et comme nous le savons tous, le nombre de cas signalés de surdoses mortelles et non mortelles d'opioïdes a connu une hausse importante au Canada. Les modifications proposées dans le projet de loi revêtent beaucoup d'importance pour les corps de police canadiens, parce qu'elles leur procureront des outils supplémentaires pour lutter contre ce fléau.

Le projet de loi C-37 propose plusieurs modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui aideraient les organes d'application de la loi canadiens à contrer la crise des opioïdes.

La GRC s'intéresse particulièrement aux modifications visant à accélérer l'inscription des substances; à rationaliser le processus d'élimination des substances contrôlées et des précurseurs; à créer un registre pour l'importation de dispositifs désignés, tels que les presses à comprimés; à étendre à toutes les substances contrôlées les infractions applicables à des activités non autorisées faisant appel à des précurseurs et d'autres produits utilisés dans la production et le trafic des méthamphétamines; et à habiliter l'ASFC à ouvrir du courrier de moins de 30 grammes.

Permettez-moi de vous décrire brièvement le contexte de la menace, telle qu'elle est perçue par la GRC. Nous savons que les groupes du crime organisé qui exercent leurs activités au Canada participent activement à l'importation, à la production et au trafic de drogues illicites et de produits chimiques précurseurs. En fait, la quasi-totalité des groupes qui ont été identifiés et évalués au Canada sont mêlés à au moins une composante du marché des drogues illicites. Selon le Service canadien de renseignements criminels, cela représentait 89 p. 100 d'entre eux en 2016.

Les groupes hautement perfectionnés et ceux qui facilitent le crime exploitent les efforts de lutte contre les drogues au Canada en produisant et en vendant de nouvelles substances qui ne sont pas encore mentionnées dans nos lois et qui, par le fait même, ne sont pas illégales. Par exemple, pour contourner les lois antidrogue actuelles, certains groupes apportent de légères modifications à la structure chimique d'une substance contrôlée pour être en mesure de la produire et d'en faire le trafic en relative impunité.

Le Programme de services de police fédéraux de la GRC concentre ses efforts de lutte sur les groupes et les réseaux du crime organisé qui engendrent le plus grand risque pour la sécurité des Canadiens, notamment sur ceux qui contribuent au marché des drogues illicites.

La communauté policière est d'avis que les mesures d'application de la loi supplémentaires qui sont proposées dans ce projet de loi renforceront notre capacité de combattre ces groupes et ces réseaux omniprésents. Si la ministre de la Santé est habilitée à inscrire rapidement les nouvelles substances qui apparaissent sur le marché canadien des drogues illicites, la police pourra sévir contre les criminels et les groupes du crime organisé qui se livrent à de telles activités et freiner plus tôt la distribution de nouvelles substances illicites.

De plus, les dispositions du projet de loi C-37 qui permettent l'élimination sécuritaire et rapide des substances dangereuses sont avantageuses, car elles réduiront le nombre de produits dangereux confisqués qui sont conservés par la police ainsi que les coûts et les risques associés à cette mise sous garde. L'établissement d'un registre pour le contrôle de l'importation de presses à comprimés et de dispositifs connexes nous procurera un outil de plus pour réduire la production de comprimés illicites au Canada, une mesure bien accueillie par la communauté policière canadienne.

En outre, si le Canada étend à l'ensemble des substances contrôlées les infractions applicables à des activités non autorisées faisant appel à des précurseurs et à d'autres produits utilisés dans la production de méthamphétamines, la police canadienne sera mieux outillée pour mener des enquêtes sur la fabrication de substances illicites, notamment sur celles qui contiennent des opioïdes de synthèse, tels que les diverses formes de fentanyl.

Les criminels et les groupes du crime organisé dépendent grandement du réseau postal pour la distribution de leurs produits de contrebande, y compris des substances contrôlées. Nous avons observé une hausse du nombre d'envois de petites quantités, en raison de la puissance de certaines substances illicites et de la possibilité de réduire ainsi le risque de détection et d'assurer une livraison réussie. En étant habilitée à ouvrir du courrier de moins de 30 grammes, l'ASFC pourra participer plus activement à la lutte continue contre les opioïdes de synthèse illicites qui transitent par le réseau postal international.

Nous savons que les criminels exploitent aussi le réseau postal national pour le trafic de drogues illicites. La GRC travaille donc en étroite collaboration avec des partenaires et des intervenants canadiens, dont mon collègue de la Société canadienne des postes ici présent, afin de cibler et perturber l'envoi de drogues illicites par la poste canadienne, dans les limites des pouvoirs conférés par les lois canadiennes.

L'approche adoptée par les Services de police fédéraux pour contrer l'importation, la production et la distribution d'opioïdes de synthèse par les groupes du crime organisé dépend largement des relations fructueuses qu'ils ont établies avec leurs partenaires au Canada et à l'étranger. C'est dans cette optique que la GRC travaille étroitement avec l'ASFC, la Société canadienne des postes et ses partenaires canadiens de l'application de la loi pour intensifier l'échange d'information et les mesures d'application de la loi. Nous entretenons également des liens avec des organes d'application de loi à l'étranger, tels que la Drug Enforcement Agency des États-Unis et le ministère de la Sécurité publique de Chine, pour contrer les menaces pour la sécurité publique que nous partageons, y compris celles que posent les opioïdes de synthèse. Le projet de loi C-37 vient donner un élan à notre collaboration avec nos partenaires étrangers, car il leur permet de voir que nous pouvons avoir un effet sur le trafic de drogues illicites.

Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à participer à votre étude du projet de loi C-37. Je me ferai un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir.

Le président : Merci infiniment. Pour amorcer ces questions, nous allons donner la parole à la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Avant de commencer, je tiens à exprimer au surintendant principal et à Mme Janes toute ma reconnaissance pour le travail exceptionnel que vos hommes et vos femmes accomplissent. Je vis à Vancouver, près la rue Hastings Est, et je vois les efforts que les services de police de Vancouver et la GRC déploient dans mon voisinage. Je crois sincèrement que le travail que vous accomplissez, dans des circonstances aussi horribles, fait de vous des héros. De plus, je m'inquiète pour votre sécurité, car vous êtes également exposés à ces dangers. Alors, je tenais à vous transmettre nos remerciements pour le travail que vous faites.

Ma question s'adresse à vous, monsieur Schella. Elle a été évoquée hier aussi, mais comme je savais que vous alliez venir témoigner, j'ai attendu pour vous la poser.

L'autorisation d'ouvrir les enveloppes de moins de 30 grammes soulève des inquiétudes. Je suis sûre que vous saviez que cette mesure législative serait présentée. J'aimerais d'abord savoir quel protocole vous comptez mettre en place pour déterminer quelles lettres seront ouvertes. Le bureau de poste ne préférerait-il pas obtenir un mandat avant d'ouvrir une lettre?

Chad Schella, directeur général, Affaires gouvernementales, Postes Canada : D'abord, merci beaucoup pour la question et merci aussi d'avoir invité Postes Canada à comparaître aujourd'hui.

De notre point de vue, notre rôle se limite à livrer le courrier, comme vous le savez. Nous ne participons aucunement au processus de vérification préalable. Lorsque Postes Canada reçoit des envois postaux en provenance de l'étranger, nous les acheminons vers l'un de nos trois centres de traitement du courrier international. Nous en vérifions la réception, puis nous les transférons à l'ASFC. Une fois les documents dédouanés et inspectés comme il se doit, ils sont remis à Postes Canada, qui s'occupe alors de les livrer conformément à son obligation.

La sénatrice Jaffer : Madame Janes, la protection de la vie privée est un sujet de préoccupation. Nous voulons mettre fin à ce fléau, mais disposez-vous d'un protocole pour déterminer quelles lettres vous allez ouvrir?

Par ailleurs, je trouve intéressant que vous ayez retracé la source d'une bonne partie de ces substances. Pouvez-vous nous expliquer comment vous y êtes parvenus?

Mme Janes : Merci beaucoup pour les questions.

Tout d'abord, je tiens à dire que l'ASFC prend la protection de la vie privée très au sérieux et que nous veillons à ce que la dignité et le respect de toutes les personnes soient préservés. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous utilisons des technologies non intrusives, notamment des appareils de radioscopie, ce qui nous aide à examiner le courrier.

Lorsque les agents de l'ASFC inspectent des envois postaux, ils doivent avoir des motifs raisonnables de soupçonner. Ce n'est pas comme si nous ouvrions automatiquement le courrier; nous devons avoir des motifs raisonnables de soupçonner que l'envoi postal pourrait contenir des marchandises qui sont visées par le Tarif des douanes ou dont l'importation est interdite, contrôlée ou réglementée par une loi fédérale. Nous devons tenir compte de ces facteurs avant même d'ouvrir le courrier.

Nous travaillons également en étroite collaboration avec nos partenaires de l'application de la loi, entre autres la GRC, et nous suivons des procédures d'évaluation du risque. Voilà un autre aspect important sur le plan du protocole. Des centaines de milliers d'articles de courrier arrivent tous les jours, et nous collaborons très étroitement avec Postes Canada pour déterminer lesquels méritent d'être examinés, décision qui repose sur une évaluation du risque.

J'ai fait allusion à la Chine, et ce pays serait justement visé par une telle évaluation du risque. Nous nous fierions à l'échange du renseignement et de l'information avec les partenaires afin de déterminer où concentrer notre attention à cet égard.

Le sénateur White : Merci beaucoup aux témoins de leur présence.

Ma première question s'adresse au surintendant principal. Nous avons visité des sites de consommation supervisée et nous avons vu comment ils fonctionnent actuellement. Le crime organisé est impliqué dans la production de drogues, et ses membres les distribuent aux revendeurs, qui les vendent ensuite aux toxicomanes. Souvent, les toxicomanes participent à des activités criminelles. Ils se rendent dans un centre d'injection supervisée où ils consomment les drogues, dans l'espoir qu'ils ne mourront pas, et, en cas de problème, des médecins sont là pour leur venir en aide.

Ma question porte sur les médecins et les toxicomanes. Strictement du point de vue de la criminalité dans les collectivités, ne serait-il pas préférable d'envisager un modèle comme celui de la Suisse, c'est-à-dire de retirer les organisations criminelles de l'équation et d'amener plutôt les médecins à offrir des solutions pharmaceutiques à ces toxicomanes?

M. Zarins : Merci, monsieur. Me voilà sur la sellette. La GRC appuie les initiatives de réduction des méfaits. Nous croyons qu'elles peuvent encourager la transition vers des programmes de traitement, et c'est pourquoi nous estimons que ces centres ne devraient pas permettre une consommation perpétuelle.

Relativement aux statistiques, il incombe à Statistique Canada de recueillir des données et d'établir le taux de criminalité dans le cadre du Programme de déclaration uniforme de la criminalité, et ses représentants seraient les mieux placés pour répondre aux questions concernant les taux de criminalité. Cela dit, les services de police locaux seraient les mieux placés pour parler des tendances en matière de criminalité au sein de leurs collectivités. Donc, pour ce qui est de mon opinion sur la question de savoir s'il est préférable ou non de distribuer les drogues directement dans les centres ou selon le modèle proposé, je me contenterai de dire, monsieur, que nous appliquerons la loi, peu importe celle qui est en vigueur. Ce n'est pas à nous de donner...

Le sénateur White : Merci beaucoup. Voici une version simplifiée de la question, si vous me le permettez.

Ne convenez-vous pas que notre objectif devrait être, à tout le moins, de retirer l'élément criminel et le crime organisé de la distribution de produits pharmaceutiques destinés aux toxicomanes?

M. Zarins : C'est ce que nous visons, monsieur. La GRC cible les groupes criminels organisés qui distribuent ce poison.

Le sénateur White : Ce poison, en effet; merci. J'ai beaucoup de mal à les qualifier de médicaments, car rien ne prouve que la plupart de ces substances pourraient remplir les critères des essais pharmaceutiques.

La sénatrice Galvez : À l'instar de la sénatrice Jaffer, je tiens à dire que vous faites un travail incroyable et que les Canadiens vous sont reconnaissants des efforts que vous déployez.

Je remplace le sénateur Pratte. Je n'ai pas une formation médicale ou judiciaire, mais je suis bien renseignée au sujet des substances toxiques et dangereuses. Lorsque nous voulons contrôler des substances dangereuses, nous en examinons la source. Je sais que, grâce à cette loi, les choses vont ralentir. Tout porte à croire que le problème se résorbera et que certaines personnes seront protégées. Or, le projet de loi se limite, me semble-t-il, à des mesures d'atténuation. Ce fléau persistera si nous ne prenons pas d'autres mesures visant les intervenants du milieu médical, les médecins et ceux qui nous envoient la drogue.

Vous avez dit très clairement que les groupes criminels réalisent déjà des progrès, comme en témoigne l'arrivée de nouvelles substances qui passent inaperçues grâce à de légères modifications apportées à la composition chimique.

Vous avez également dit que les groupes criminels ont été identifiés. Vous avez ajouté que vous collaborez avec la Chine. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les efforts déployés pour non seulement atténuer, mais aussi enrayer le problème à la source afin d'avoir une solution permanente plutôt qu'une simple mesure d'atténuation?

M. Zarins : Je vous remercie de votre question. Je vais commencer par expliquer comment nous abordons le crime de façon générale, puis je parlerai de la Chine.

Le problème du fentanyl et des opioïdes illicites demeure une préoccupation prioritaire pour la GRC et les organismes canadiens d'application de la loi. Nous restons déterminés à collaborer avec les partenaires nationaux et internationaux en matière d'application de la loi pour lutter contre les réseaux criminels qui alimentent cette épidémie mettant en danger la santé publique et pour sensibiliser davantage la population aux risques associés à la consommation de cette drogue illicite.

Dans le cadre du Programme de la police fédérale, la GRC utilise une approche opérationnelle nationale pour cibler les importateurs, distributeurs, fabricants et trafiquants d'opioïdes synthétiques. L'initiative est dirigée en collaboration avec l'ASFC, Postes Canada et les partenaires nationaux et internationaux en matière d'application de la loi. Notre but est de détecter, perturber, démanteler et poursuivre les réseaux criminels. C'est donc une approche qui comporte plusieurs volets.

Voici les principales activités de l'approche : recueillir de l'information et des données pour cerner les tendances nationales et les possibilités d'application de la loi; sensibiliser les organismes d'application de la loi et la population; collaborer avec le ministère de la Sécurité publique en Chine pour combattre les réseaux de trafic de drogues illicites et empêcher l'entrée de fentanyl au Canada; et coordonner l'information entre tous nos partenaires.

Pour protéger nos membres et la population canadienne, la GRC a également équipé ses agents de première ligne d'un vaporisateur nasal de naloxone, qui permet de renverser temporairement les effets d'une surdose aux opioïdes. Nous continuons donc de travailler avec d'autres organismes d'application de la loi et les organismes gouvernementaux à tous les échelons pour mieux faire connaître les risques associés à la consommation de ces drogues.

En ce qui concerne la Chine, la GRC a récemment renouvelé un protocole d'entente avec le ministère chinois de la Sécurité publique, protocole qui améliore la collaboration entre les deux organismes d'application de la loi. Il renforce la coopération en matière de prévention de la criminalité et dans le cadre d'enquêtes criminelles mettant en cause des drogues illicites, la criminalité trinationale et la contrebande. La Chine s'est engagée à collaborer avec le Canada et d'autres partenaires internationaux pour contrer l'exportation de fentanyl, notamment en inscrivant plusieurs analogues du fentanyl dans la liste des substances réglementées par la législation chinoise et en enquêtant sur les pistes que lui fournissent les forces de l'ordre canadiennes.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.

Dans la décision rendue en 2011 concernant Insite, la Cour suprême du Canada a bien précisé que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'accorder des exemptions. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément à la Charte.

Cela dit, les citoyens ont également droit à la sécurité et à la protection, et le projet de loi permettrait la tenue de consultations d'une durée de moins de 90 jours, mais sans aucun minimum. Monsieur Zarins, êtes-vous d'avis qu'on devrait permettre la tenue de certaines consultations pendant un minimum de plusieurs semaines ou mois? En vertu du projet de loi, une consultation pourrait durer, par exemple, un jour.

M. Zarins : Je ne peux pas faire de commentaires sur la législation. Nous appliquerons toute loi qui est en vigueur, mais je ne pense pas qu'il serait judicieux de ma part de me prononcer là-dessus.

Le sénateur McIntyre : Eh bien, quelles sont les inquiétudes exprimées par les citoyens qui s'opposent aux sites de consommation supervisée? Je suis sûr qu'ils vous en parlent. Estimez-vous que leurs inquiétudes sont légitimes?

M. Zarins : C'est le service de police compétent qui serait consulté, monsieur, et nous tiendrions compte de tout ce qu'il nous dirait. Mais, je le répète, nous ne faisons pas partie du processus de prise de décision concernant ces sites.

Le sénateur McIntyre : La question suivante s'adresse à l'ASFC. Les drogues entrent aussi au pays par d'autres moyens que le courrier. Quelles autres tendances décelez-vous à la frontière en ce qui concerne le trafic de drogues et quelles sont certaines des techniques utilisées pour faire introduire ces drogues?

Mme Janes : Merci beaucoup pour les questions.

Oui, vous avez raison, car, malheureusement, les drogues entrent au Canada par tous les moyens de transport. L'ASFC est chargée de tout ce qui entre au Canada, que ce soit par voie aérienne, terrestre, ferroviaire ou maritime. Les gens tenteront d'exploiter tous ces moyens de transport pour en tirer profit. Ces substances sont introduites au Canada, que ce soit par colis, par dissimulation sur la personne, dans les valises au retour d'un voyage ou dans le cadre d'une importation avec une grande entreprise. Par conséquent, les criminels utiliseront différentes méthodes pour faire introduire les drogues au Canada.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup du travail que vous accomplissez, et merci aussi de votre témoignage devant le comité.

Ma question porte sur l'application de la loi, surtout lorsqu'on voit ce qui se passe avec la crise des opioïdes depuis quelques années et la façon dont la mesure législative est formulée. Du point de vue de l'application de la loi, le projet de loi contient-il assez de dispositions pour réellement permettre d'améliorer la situation? Je suppose que vous avez eu un mot à dire là-dessus.

Deuxièmement, avez-vous prévu quelle sera la prochaine manœuvre inévitable de la part des groupes criminels organisés et d'autres pour contourner la loi d'une autre façon sur le plan de l'importation?

M. Zarins : Nous appuyons sans réserve tout outil qui nous est fourni pour assurer la sécurité publique et pour nous aider dans nos efforts d'application de la loi.

Quant à savoir si c'est suffisant, nous acceptons tout ce qu'on peut nous offrir.

Pour ce qui est des prochaines étapes, le projet de loi règle également cette question en accordant à la ministre de la Santé la marge de manœuvre nécessaire pour prendre des mesures, car ces opioïdes sont modifiés sur le plan de leur structure moléculaire. Cela nous permet donc de nous tenir au courant de ce qui se passe. Si nous disposons des renseignements selon lesquels tel ou tel opioïde fera son apparition au pays, nous aurons au moins désormais les mécanismes nécessaires pour en informer la ministre de la Santé, et ce sera déjà inscrit sur la liste des substances illégales. Cela nous donne, à nous ou à l'ASFC, les outils pour combattre ce problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si vous le permettez, je vais reprendre la question de mon collègue, le sénateur McIntyre, qui a discuté avec vous. Dans beaucoup de régions du Québec, vous êtes un corps de police qui joue le rôle de policiers locaux, donc vous êtes en contact direct avec les citoyens. Vous devez connaître les préoccupations des citoyens; vous travaillez avec eux chaque jour.

On sait que la mise en œuvre de centres — dont vous faites peu de cas dans votre mémoire — suscite des craintes auprès des citoyens. En ce qui a trait à ces craintes des citoyens, comme vous êtes au premier rang en ce qui touche le crime organisé, si, demain matin, par exemple, un centre devait être imposé dans une communauté locale et que l'on prenait une journée pour vous consulter ou consulter les citoyens ou les maires, trouveriez-vous cela normal?

J'aimerais également vous poser une deuxième question. En matière de transparence, le projet de loi vous apporte-t-il toutes les réponses concernant les substances qui seront utilisées, la clientèle visée et la gestion du centre? Est-ce que, dans ce projet de loi, figurent toutes les assurances faisant en sorte que, lorsque vous serez en contact avec les citoyens, vous serez en mesure de leur donner toutes les réponses?

[Traduction]

M. Zarins : Merci pour votre question, monsieur. L'opinion de la collectivité nous tient à cœur. En ce qui concerne les sites d'injection supervisée, il s'agit d'un processus qui est déjà établi. Nous ne le contrôlons pas. Nous respecterons toute loi que le Parlement juge appropriée.

Nous nous employons à protéger la sécurité de nos citoyens, et nous ciblons également les groupes criminels organisés qui font introduire ces substances. C'est notre point de mire, monsieur. Peu importe le système en place pour l'approbation de ces sites d'injection supervisée, c'est un sujet de préoccupation pour nous; toutefois, nous ne contrôlons pas ce processus.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si la mise en œuvre d'un centre avait lieu dans un milieu à risque élevé, votre corps policier réagirait-il en informant les autorités à savoir que tel milieu représente un plus grand risque qu'un autre milieu? Ma perception est telle que vous semblez laisser cela aux politiciens et que vous n'êtes pas préoccupés par la sécurité des milieux. Or, je trouve cette réponse inquiétante.

[Traduction]

M. Zarins : Nous avons à cœur la sécurité, monsieur. Cependant, c'est le service de police compétent qui est au courant des tendances locales en matière de criminalité.

Du point de vue de la police dans son ensemble, nous intervenons toujours et nous fournissons des ressources dans les localités où nous observons des activités criminelles. Si des crimes étaient commis dans une région où se trouvent ces sites, nous accorderions alors les ressources appropriées à cette région.

En tant que membres de la force de police nationale, nous sommes préoccupés par l'entrée de ces substances illégales au pays et les groupes qui les font introduire. Les services de police compétents sont ceux qui s'occuperont de la criminalité locale.

Je ne peux pas vous donner une réponse plus détaillée que cela, mais sachez que nous évaluons constamment les menaces et nous fournissons les ressources appropriées pour les contrer.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. J'aimerais revenir à l'article 52 du projet de loi, qui porte sur les modifications à la Loi sur les douanes et qui propose de supprimer les paragraphes 99(2) et (3). Ce qui m'inquiète, c'est qu'on donne maintenant l'autorisation générale d'ouvrir le courrier de moins de 30 grammes, pour n'importe quelle raison. Le projet de loi ne précise pas la lutte contre les drogues, le crime organisé ou les produits illégaux du crime organisé; ce n'est qu'une autorisation générale. Cela signifie que vous pouvez maintenant ouvrir le courrier pour n'importe quel motif.

J'appuie totalement l'idée de lutter contre les drogues importées par voie postale. Je n'ai pas de problème avec cela. Mais quel type de système avons-nous en place pour équilibrer un pouvoir discrétionnaire qui peut aller trop loin? Nous en avons été témoins dans le domaine postal. Depuis l'affaire Little Sisters en Colombie-Britannique, il existe une longue tradition de censure en matière de service postal. C'était avant que vous soyez née, madame Janes, mais certains d'entre nous se souviennent très bien de la lutte que nous avons menée contre Postes Canada et les agences frontalières. Vous parlez de « motifs raisonnables de croire », mais qui évaluera le caractère raisonnable des motifs invoqués par un agent qui décide d'ouvrir le courrier? Autrement dit, il ne s'agit pas de donner carte blanche à la personne qui est là et qui se dit : « Tiens donc, une enveloppe rose. Je n'aime pas le rose. Ouvrons-la. » Il faut qu'il y ait un contrôle véritable de l'application des motifs raisonnables de croire.

Concrètement, que prévoit votre système pour éviter qu'un agent qui s'imagine avoir le droit d'agir de la sorte puisse surexploiter ce pouvoir?

Mme Janes : Merci beaucoup pour cette question et le compliment sur mon âge. C'est gentil. Il est toujours agréable de recevoir de tels compliments.

J'ai parlé, plus tôt, de l'importance de la protection de la vie privée. Nos agents sont formés et les surintendants, chefs et cadres supérieurs effectuent une surveillance pour s'assurer qu'il y a un doute raisonnable pour justifier qu'un agent puisse ouvrir une enveloppe, un colis ou un autre article de courrier. Les activités sont surveillées et nos agents reçoivent une formation sur l'importance du respect de la vie privée.

Comme je l'ai déjà dit, des centaines de milliers d'articles de courrier nous sont acheminés chaque jour. Nous avons recours à des technologies non intrusives, comme les rayons X, pour faciliter la circulation du courrier. Nous ne voulons pas retarder la livraison; nous souhaitons être en mesure d'examiner ces articles qui, comme je l'ai mentionné, pourraient poser un risque pour la santé et sécurité des Canadiens. C'est notre travail. Nous n'ouvrons pas du courrier simplement pour recueillir des renseignements ou, comme vous le dites, parce que l'enveloppe est rose. Nous devons avoir un doute raisonnable avant de poser ces gestes. C'est pour cette raison que nous avons des mesures de surveillance et que nos agents suivent cette formation.

Le sénateur Joyal : J'en comprends que, dorénavant, le courrier qui me sera livré aura été ouvert et son contenu examiné, mais je ne le saurai jamais.

Mme Janes : Vous le saurez.

Le sénateur Joyal : Comment saurai-je que mon courrier a été ouvert et la raison pour laquelle il l'a été?

Mme Janes : Selon nos procédures en vigueur, lorsque nous ouvrons un colis ou une enveloppe de plus de 30 grammes, nous utilisons un ruban gommé pour sceller à nouveau l'article et il est écrit sur ce ruban gommé que l'article a été ouvert par l'ASFC.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous ouvrez les articles de courrier en vous appuyant sur vos propres critères. Quels sont ces critères?

Mme Janes : Comme je l'ai déjà dit, les agents doivent avoir un doute raisonnable que l'article et ce qu'il contient sont assujettis à un tarif douanier ou interdit, contrôlé ou réglementé par la loi.

Le sénateur Joyal : D'accord, mais...

Le président : Nous devons passer au prochain intervenant, sénateur. Je suis désolé. Je vais ajouter votre nom à la liste d'intervenants pour la prochaine série de questions.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s'adresse à M. Zarins. Si j'ai bien compris, vous dites que vous vous intéressez, à titre de police fédérale, au crime organisé qui représenterait 89 p. 100 des activités d'une partie ou l'autre du marché des drogues illicites. J'aimerais bien comprendre cette statistique. La police s'intéresse au secteur du crime organisé, et non pas à tout autre secteur qui manufacture, produit ou prescrit ce genre de produits; ai-je bien compris votre réponse?

[Traduction]

M. Zarins : Non, madame. Nous nous intéressons à l'ensemble du réseau criminel, du point d'origine du produit à sa livraison au public canadien, en passant par sa fabrication et son importation. Nous nous intéressons à l'ensemble du réseau. Les organisations criminelles participent à toutes les étapes. C'est donc toute l'organisation que nous tentons de démanteler.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Votre travail ne consiste donc pas seulement à surveiller ou à intervenir dans le cadre du crime organisé; il pourrait aussi s'agir d'interventions auprès de médecins qui prescrivent des opioïdes ou qui en surprescrivent.

[Traduction]

M. Zarins : Nous surveillons quiconque joue un rôle dans la chaîne d'approvisionnement. Nous ne ciblons par les prescriptions ou la surprescription, mais si les médecins concernés entretiennent des liens avec des membres du réseau de crime organisé qui importe et distribue ces médicaments et que nous en sommes informés dans le cadre de notre enquête, nous ne fermerons certainement pas les yeux, mais ce n'est pas une chose que nous ciblons.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J'ai une courte question, simplement pour comprendre votre statistique. Les groupes du crime organisé sont donc impliqués à raison d'environ 89 p. 100 dans le marché de drogues illicites. Il reste 11 p. 100 qui proviendraient d'autres sources, comme des manufacturiers ou des importateurs. Par rapport aux 89 p. 100, avez-vous des données - je ne sais pas si cela existe - sur l'implication du crime organisé dans l'importation de produits plutôt que dans la production sur place?

[Traduction]

M. Zarins : Je tiens à préciser que, selon le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, 89 p. 100 des groupes du crime organisé canadiens examinés en 2016 participent d'une façon ou d'une autre au marché de drogues illicites, y compris la production, l'importation, l'exportation et la distribution. Ces groupes cherchent à faire des profits, peu importe l'étape de la chaîne d'approvisionnement.

Donc, 89 p. 100 des groupes du crime organisé au Canada participent d'une façon ou d'une autre au marché des drogues illicites. Cela signifie que 11 p. 100 n'y participent peut-être pas, mais ils demeurent des groupes du crime organisé. Donc, c'est un peu partout dans la chaîne d'approvisionnement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Et on n'a pas les données ventilées, à savoir comment se distribue, dans ces 89 p. 100, la part de l'importation par rapport à la part de la production sur place.

[Traduction]

M. Zarins : Du produit illicite?

La sénatrice Dupuis : Oui.

M. Zarins : Le produit est importé à différentes étapes du processus. Il peut arriver ici en produit terminé ou en tant que précurseur. C'est à cet égard que ce projet de loi nous est extrêmement utile, car le produit peut être fabriqué et produit en comprimés ici même, au Canada. Le produit franchit nos frontières sous toutes formes. Nous souhaitons avoir les outils nécessaires pour cibler toutes ces formes et c'est ce que nous offre cette mesure législative.

Le sénateur Sinclair : J'aimerais vous remercier pour vos exposés. Je tiens à dire que j'appuie entièrement le principe derrière cette mesure législative et ce qu'elle cherche à régler.

Avant de devenir sénateur, j'ai été juge pendant plusieurs années. Les définitions trop vagues dans les lois m'ont toujours posé problème. Je me souviens, dans une affaire, parmi les raisons citées pour justifier sa demande d'un mandat de perquisition, l'agent a indiqué avoir reçu des informations selon lesquelles des instruments pour moudre la marijuana se trouvaient dans le domicile ciblé. Lorsque je lui ai demandé ce qu'était un instrument pour moudre la marijuana, il m'a répondu que c'était un broyeur à café. Je croyais qu'un individu vendait des instruments pour moudre la marijuana, mais semble-t-il que c'était un broyeur à café.

Je me suis donc attardé à la question des instruments désignés et examiné attentivement les dispositions relatives à l'importation des instruments désignés, notamment. La définition d'instruments désignés me semble plutôt vague. J'aimerais savoir si ce manque de précision vous inquiète, car il pourrait avoir des conséquences sur la validité de cette mesure législative.

Les définitions d'instruments pour encapsuler et d'instruments pour produire des comprimés, par exemple, figurent en annexe. Elles font essentiellement référence à tout ce qui peut être utilisé pour produire des comprimés et remplir des capsules. Si ces définitions sont trop vagues, elles nuisent aux dispositions relatives du projet de loi. Ce manque de précision vous inquiète-t-il? Avez-vous été consultés au sujet de ces définitions?

M. Zarins : Pendant que vous posiez votre question, nous nous regardions tous, ici. C'est le ministère de la Santé qui déterminera ce qui constitue un instrument et nous appliquerons la définition fournie. Si ce n'est pas clair, nous demanderons des précisions. C'est plutôt que ces instruments devront être enregistrés auprès de Santé Canada. Donc, il faudrait poser la question à Santé Canada.

Le sénateur Sinclair : Par exemple, sous la définition d'instruments pour encapsuler, on peut lire :

[...] [tout instrument] pouvant être utilisé pour remplir des capsules avec des matériaux sous forme de poudres ou de granules ou des matériaux mi-solides ou liquides.

Cela peut inclure une cuillère. Je voulais savoir si vous aviez été consultés, mais de toute évidence, vous ne l'avez pas été.

Votre organisation a-t-elle été consulté?

Mme Janes : Je dirais la même chose que le surintendant.

Le président : Vous parlez d'un poids de 30 grammes. Pour les gens comme moi, cela équivaut à environ une once. Pour les Canadiens en générale, cela paraît modeste comme quantité. Pourriez-vous nous expliquer les incidences possibles, car, en apparence, à tout le moins, ce n'est pas un problème sérieux. Pourriez-vous nous parler de l'importance de ces 30 grammes?

M. Zarins : Nous répondrons tous les deux à cette question. À mon avis, le point a été abordé en raison de la puissance du produit importé de nos jours; un gramme peut être mortel. Une infime quantité de fentanyl et ses dérivés peuvent causer des préjudices graves, même la mort. Donc, 30 grammes peuvent paraître très petits comme quantité, mais ce produit qui peut causer de sérieuses blessures aux citoyens est importé en très petites quantités. C'est la raison pour laquelle 30 grammes ne sont pas déraisonnables comme mesure.

Mme Janes : Je fais écho à mon collègue.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous savons que 2 milligrammes peuvent être mortels; on parle ici de 30 grammes. En faisant le calcul, on comprend quelles pourraient être les répercussions. L'envoi du produit par le courrier, dans une enveloppe, est très peu dispendieux, facile et anonyme. Il y a toutes sortes d'avantages pour les individus qui utilisent le système légitime de courrier pour importer ces produits.

Le président : Surintendant, si je ne m'abuse, c'est vous qui avez parlé d'accords opérationnels contre le crime conclus avec la Chine. Cela m'intrigue. Comment fonctionnent ces accords par rapport à cette question? Est-ce que cela inclut le partage de renseignements?

M. Zarins : Nous faisons toujours preuve de prudence lorsque nous partageons des renseignements avec d'autres pays, pas seulement avec la Chine. Nous sommes conscients de ce que nous pouvons ou ne pouvons pas partager.

Les choses progressent. Par exemple, le 1er mars 2017, la Chine a ajouté quatre analogues au fentanyl à sa liste de médicaments contrôlés : le carfentanil, le furanylfentanyl, l'acrylfentanyl et le valerylfentanyl. C'est signe qu'ils nous écoutent.

Nous travaillons très fort avec eux afin d'avoir un meilleur contrôle sur les précurseurs. Ils coopèrent avec nous et les choses progressent. Nous verrons. Nous aurons prochainement des rencontres en personne avec les représentants chinois et nous espérons un bon dénouement.

Le président : Vous dites que vous faites preuve de prudence dans le partage de renseignements. Je crois que c'est une sage décision. Vous n'avez pas dit qu'il n'y a pas de partage de renseignements. Donc, je présume qu'il se fait un certain partage.

M. Zarins : Oui, monsieur. Il y a un partage de renseignements dans le cadre des enquêtes policières en cours, mais nous faisons tout de même preuve de prudence. C'est la même chose dans tous les pays. Nous devons savoir où va l'information et que celle-ci est utilisée de façon uniforme.

Donc, nous allons de l'avant et, plus la confiance s'installera, plus il y aura de partage de renseignements. Je le répète, nous procédons au cas par cas et dans un environnement très contrôlé.

Le sénateur White : J'aurais deux questions brèves à vous poser. La première concerne la production de comprimés et de capsules. Pour être bien clair, le projet de loi n'interdit pas la production de comprimés ou de capsules. Il faut simplement détenir un permis pour posséder les instruments nécessaires. Cette mesure législative n'empêchera pas un vétérinaire légitime de produire des comprimés pour les soins animaux. Il devrait simplement enregistrer ses instruments.

Mme Janes : C'est exact. Les instruments pour produire des comprimés ou capsules devront être enregistrés auprès de Santé Canada.

Le sénateur White : Un des problèmes que nous avons avec la liste des précurseurs, c'est que nous devons composer avec un processus de publication de 90 jours dans la Gazette. Ce projet de loi modifie-t-il ce processus ou est-ce que la situation demeure, en ce sens que nous savons aujourd'hui qu'un produit va causer des décès, mais nous devons attendre jusqu'en juin ou juillet avant que la possession du produit en question soit interdite?

M. Zarins : Si j'ai bien compris, la ministre de la Santé pourra maintenant les ajouter à la liste, mais je ne pourrais pas vous répondre quant au délai. Au moins, elle pourra les ajouter à la liste.

Le sénateur White : Mais elle peut déjà le faire. En septembre dernier, tous les précurseurs au fentanyl — il y en a huit — ont été ajoutés à la liste, mais ces ajouts ne sont entrés en vigueur qu'en décembre en raison du processus de publication dans la Gazette. Je n'ai rien vu dans ce projet de loi qui élimine ce processus. Avez-vous des informations à ce sujet?

M. Zarins : Je n'en ai pas. Je ne saurais vous dire.

Le sénateur White : Je devrai poser la question à Santé Canada.

La sénatrice Omidvar : Merci d'avoir accepté notre invitation. Ma question s'adresse à Mme Janes.

Je sais que vous avez déjà le pouvoir d'ouvrir des colis et ce projet de loi vous donnerait le pouvoir d'ouvrir des lettres. Avez-vous déjà ce pouvoir?

Mme Janes : Merci beaucoup pour cette question. Selon le processus en vigueur, en vertu de la Loi sur les douanes, nous pouvons ouvrir tous les articles de courrier qui arrivent au Canada, sauf ceux de moins de 30 grammes. Si l'article pèse moins de 30 grammes, nous devons entreprendre un processus secondaire et demander l'autorisation d'ouvrir l'article en question.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous travaillons en étroite collaboration avec Postes Canada afin de déterminer, selon une évaluation du risque et les informations disponibles, quels articles ou enveloppes nous aimerions que Postes Canada nous remette, car il y a des centaines de milliers d'articles de courrier. Nous travaillons en fonction d'une évaluation du risque en raison de la quantité d'articles de courrier dans le système. Nous voulons être en mesure de mieux cibler les articles à examiner et nous fier aux technologies non intrusives pour nous aider à faire notre travail.

La sénatrice Omidvar : Autrement dit, oui, vous avez ce pouvoir et il existe un protocole?

Mme Janes : En utilisant les outils que nous avons, oui.

La sénatrice Omidvar : Pour le moment, votre pouvoir s'applique à l'inspection de colis. Pourriez-vous nous dire combien de mandats sont décernés au cours d'une période donnée?

Mme Janes : Je ne pourrais pas vous le dire. Je n'ai pas cette information avec moi.

La sénatrice Galvez : Je présume que lorsque vous parlez d'évaluation du risque, cela inclut l'origine de ces lettres. J'imagine que vous vous concentrez sur les articles de courrier à destination des provinces où il y a des problèmes. Je suis du Québec. J'ignore combien de lettres à destination du Québec seront ouvertes comparativement à la Colombie-Britannique.

Selon votre expérience et les conversations que vous avez eues avec d'autres régions aux prises avec ce problème, en termes de pourcentage, quelle proportion du problème ce projet de loi vous permettrait-il de régler et en combien de temps? Qu'espérez-vous? Dans quelle mesure ces dispositions vous permettront-elles d'atténuer le problème?

Mme Janes : Merci beaucoup pour cette question. À mon avis, l'important, c'est que nous tentons de combler une lacune. Nous pouvons déjà ouvrir les articles de plus de 30 grammes, mais pour les articles de courrier de moins de 30 grammes, nous devons suivre un processus. Les individus profitent de cette lacune et il y a de l'abus. Nous tentons d'uniformiser les règles du jeu pour tous les moyens, y compris tous les articles de courrier, afin d'éliminer les abus relatifs à la règle des 30 grammes ou moins.

En faisant cela, comme nous l'avons mentionné plus tôt, étant donné que le produit — qu'il s'agisse du fentanyl ou d'autres opioïdes — est présent en très petite quantité, c'est le défi qui se pose. Ils utilisent ce moyen. Ils profitent du fait que nous ne pouvons pas systématiquement ouvrir le courrier.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je ne voulais pas vous couper la parole, monsieur Zarins, mais vous aurez peut-être l'occasion de répondre à ma question. Pour ce qui est de vos discussions avec la Chine et les États-Unis, je me demandais si vous aviez des données sur le pourcentage d'importation d'opioïdes ou d'autres substances illégales par pays d'origine. Autrement dit, de façon plus précise, quelle est la quantité qui provient de la Chine dans ce qu'on reçoit ici, dans ce que vous interceptez, par rapport à d'autres pays, et est-ce qu'on a des données sur ces pays?

[Traduction]

M. Zarins : Je n'ai pas les pourcentages exacts. Toutefois, nous nous concentrons sur la Chine pour les précurseurs et le produit fini. Cela revient à la réponse qu'on vous a donnée plus tôt. En effet, l'ASFC et la GRC s'efforcent d'avoir d'abord recours aux renseignements. Nous avons des agents de liaison et des analystes à l'étranger. Nous tentons d'obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer d'où viennent les produits, et cela nous aide à cibler des lettres ou des organisations. Nous utilisons nos effectifs à l'étranger pour déterminer d'où viennent les produits, afin d'être prêts à les recevoir lorsqu'ils arrivent ici.

En ce qui concerne le pourcentage, en ce moment, nous nous concentrons sur la Chine, mais je ne dis pas que c'est le seul endroit d'où viennent ces produits.

La sénatrice Jaffer : J'ai une très brève question pour vous, madame Janes. Actuellement, lorsqu'il s'agit de moins de 30 grammes, vous devez obtenir un mandat. Est-ce exact?

Mme Janes : Pour moins de 30 grammes, nous devons obtenir la permission du destinataire ou de l'expéditeur.

La sénatrice Jaffer : Et l'expéditeur doit-il obtenir un mandat? Non? Il peut seulement donner la permission?

Mme Janes : Non, nous devons obtenir une permission écrite du destinataire ou de l'expéditeur pour être en mesure d'ouvrir un article.

La sénatrice Jaffer : Le destinataire ou l'expéditeur. D'accord.

Le président : J'aimerais remercier les témoins. Vous nous avez fourni des renseignements très utiles que nous étudierons pendant nos délibérations sur le projet de loi.

Nous accueillons maintenant notre témoin suivant, M. Daniel Therrien, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Bienvenue, commissaire. Nous vous sommes très reconnaissants de comparaître aujourd'hui et nous avons hâte d'entendre votre témoignage.

Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mes commentaires sur le projet de loi C-37.

Tout d'abord, je tiens à souligner l'importance de lutter contre la toxicomanie en adoptant une approche globale. Le projet de loi C-37 aborde de nombreux aspects, mais je limiterai mes commentaires aux dispositions qui modifient la Loi sur les douanes et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, des dispositions qui touchent le pouvoir d'inspection du courrier par différentes agences gouvernementales.

Sous sa forme actuelle, la loi autorise les agents des services frontaliers à examiner, sur la base de soupçons, le courrier entrant ou sortant qui pèse plus de 30 grammes. Cependant, ils doivent obtenir un consentement lorsque le courrier pèse 30 grammes ou moins. Je crois comprendre que cette restriction de longue date vise à protéger la confidentialité de la correspondance.

Le projet de loi C-37 éliminerait l'obligation d'obtenir un consentement, et j'aimerais souligner quelques points à ce sujet.

Premièrement, les agents des services frontaliers ne pourraient examiner le courrier à moins d'avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu'il contient un bien interdit, contrôlé ou réglementé. Cette façon de faire diffère du contrôle douanier général des marchandises, où les agents n'ont pas besoin de motifs dans la plupart des cas.

Deuxièmement, pour déterminer si les modifications à la Loi sur les douanes et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité sont raisonnables, il faut équilibrer les intérêts en matière de vie privée et de sécurité publique. Or, le gouvernement dit avoir des preuves démontrant que le système postal international est utilisé pour importer en petites quantités des drogues ayant causé la mort d'un grand nombre de Canadiens.

Troisièmement, on m'informe également que les agents des services frontaliers n'ouvrent pas systématiquement tout le courrier. Avant de l'ouvrir ou de l'examiner, ils utilisent diverses techniques d'évaluation du risque à leur disposition pour déterminer si des produits de contrebande sont importés ou exportés.

Eu égard à ces facteurs, j'estime que les modifications à la Loi sur les douanes et à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité sont justifiées, mais, selon moi, il faudrait que ces modifications soient accompagnées d'autres mesures pour protéger la vie privée des Canadiens, plus précisément pour veiller à ce que la correspondance ne soit pas lue lorsqu'on ne décèle aucun produit de contrebande. Ces mesures prendraient idéalement la forme d'ajouts au projet de loi. À défaut, une politique gouvernementale sur la mise en œuvre des modifications pourrait être suffisante. Dans une société libre et démocratique, l'ouverture du courrier par le gouvernement est généralement proscrite et ne doit se faire qu'avec la plus grande modération.

[Traduction]

La décision récente de la Cour suprême du Canada dans R. c. Fearon pourrait nous aider à atteindre un équilibre entre les objectifs du projet de loi C-37 et la protection de la vie privée. En effet, dans cette affaire, des policiers ont procédé sans mandat à la fouille du téléphone cellulaire d'un individu en état d'arrestation. Selon la décision rendue à la majorité, les éléments de preuve justifiaient la fouille sans mandat, la fouille n'avait pas porté atteinte aux droits de l'individu en vertu de la Charte, et les preuves obtenues étaient admissibles.

Même si le contexte était différent de celui du projet de loi C-37, qui vise les fouilles à la frontière — et selon la jurisprudence, il s'agit d'un contexte unique —, R. c. Fearon aborde également le contexte unique des fouilles sans mandat visant des individus en état d'arrestation. Cette affaire pourrait donc être utile dans l'étude de cette question.

Même si le tribunal a jugé la fouille constitutionnelle, la majorité des juges dans l'affaire Fearon a précisé qu'il fallait atteindre un équilibre entre les objectifs légitimes liés au maintien de l'ordre et les intérêts liés à la vie privée. Pour veiller à ce que les fouilles effectuées en cas d'arrestation soient conformes à la Charte, la majorité a souligné quatre conditions qui doivent être respectées.

Tout d'abord, l'arrestation doit être légale. Dans le cas du projet de loi C-37, l'examen du courrier doit reposer sur des soupçons raisonnables, conformément aux dispositions de la Loi sur les douanes ou de la LRPCFAT.

Deuxièmement, la fouille doit être véritablement accessoire à l'arrestation. Dans le cas du projet de loi C-37, cela signifie que l'agent examinateur doit avoir une raison valable d'effectuer la fouille, par exemple la découverte de biens, de devises ou d'instruments monétaires interdits ou contrôlés.

Troisièmement, et selon moi, c'est la condition la plus intéressante, la nature et l'étendue de la fouille doivent être adaptées à son objectif. Dans le cas du projet de loi C-37, toute fouille de correspondance après l'ouverture et l'examen du courrier devrait être adaptée à l'objectif initial de l'examen — soit la découverte de biens, de devises ou d'instruments monétaires interdits ou contrôlés aux fins d'application de la Loi sur les douanes ou de la LRPCFAT. Il s'agit d'une condition souple qui pourrait être appliquée pour tout le courrier dans le but de trouver un équilibre entre le droit à la vie privée et l'examen du courrier aux frontières. Par exemple, il serait interdit de lire une correspondance si le courrier a été ouvert parce que l'on soupçonnait qu'il contenait de la drogue et qu'aucune drogue n'y a été trouvée. En revanche, la lecture de la correspondance serait autorisée si le courrier a été ouvert parce qu'on soupçonnait qu'il contenait une correspondance dont l'importation ou l'exportation est interdite — par exemple, de la propagande terroriste.

Enfin, la quatrième condition établie par la Cour suprême dans l'affaire Fearon, c'est que les policiers doivent prendre des notes détaillées de ce qu'ils examinent dans l'appareil et de la façon dont ils le font. De même, je pense que les agents devraient documenter les mesures qu'ils prennent lorsqu'ils ouvrent et examinent le courrier, les raisons de leurs soupçons et, s'ils lisent la correspondance, les raisons pour lesquelles ils considèrent que la correspondance en soi constitue un produit de contrebande.

J'espère que ces renseignements vous seront utiles. J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur.

La sénatrice Jaffer posera la première question.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie encore une fois. Vous vous libérez toujours pour nous, et nous vous en sommes reconnaissants.

J'aimerais vous poser une question étrange. Après votre exposé, lorsque vous dites — et nous respectons votre opinion — qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, que c'est la bonne façon de procéder et que vous pouvez la justifier, ma seule préoccupation, et la seule façon dont je peux l'exprimer, c'est le « profilage du courrier », c'est-à-dire que l'ASFC nous a dit que les articles envoyés de la Chine suscitaient beaucoup d'inquiétude. Ce qui me préoccupe, c'est que ses agents ne devraient pas examiner tout ce qui vient de la Chine. Mais ils doivent faire leur travail, et je ne les critique pas.

Toutefois, dans le cadre de votre travail, comment vous assurez-vous qu'il faut examiner tout ce qui provient d'un certain pays et tout le courrier? Comment pouvons-nous empêcher ce type de généralisation?

M. Therrien : L'ASFC devrait avoir des motifs raisonnables de soupçonner...

La sénatrice Jaffer : Elle affirme que c'est le cas.

M. Therrien : Selon moi, le pays d'origine en soi ne constituerait probablement pas un motif de soupçons raisonnable. Il faudrait un autre facteur que le pays d'origine, mais le pays d'origine peut représenter un facteur pertinent parmi d'autres pour prouver qu'on a des motifs raisonnables d'avoir des soupçons.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit une autre chose que j'ai trouvé très intéressante dans votre exposé, à savoir que nous devrions peut-être souligner certains éléments qui ne sont pas dans le projet de loi, mais qui pourraient faire partie d'un protocole ou d'un avertissement. C'est très utile, car nous pourrions inclure cette notion dans les recommandations que nous formulons à la ministre. Je vous suis reconnaissante de nous avoir communiqué cette idée.

M. Therrien : Merci.

Le président : Je suis curieux au sujet de la question du pays d'origine et de la Chine. Selon les données probantes et les témoignages que nous avons entendus, c'est une préoccupation principale de la GRC. J'aimerais savoir pourquoi vous ne pensez pas que c'est suffisant pour servir de justification.

M. Therrien : En soi?

Le président : Oui.

M. Therrien : J'ai dit que cela en soi ne représenterait probablement pas un motif raisonnable d'avoir des soupçons. Je n'ai pas de preuve. Je ne connais pas la quantité de courrier qui vient de ce pays. Je soupçonne que c'est une énorme quantité. Je soupçonne également, mais je n'ai aucune preuve, que l'ASFC ne serait pas en mesure d'examiner tout le courrier provenant d'un certain pays et que ses intervenants souhaiteront se fonder sur d'autres facteurs que le pays d'origine.

Pour répondre plus directement à votre question, de nombreuses personnes d'un pays donné, par exemple la Chine, correspondent avec des citoyens canadiens pour des raisons extrêmement légitimes. Encore une fois, je pense donc que le pays d'origine du courrier ne représente généralement pas un motif suffisant en soi, mais il pourrait être un facteur parmi d'autres.

Le président : Dans la situation actuelle, recevez-vous de nombreuses plaintes liées à la capacité d'ouvrir le courrier au cours d'une année? Quelle a été votre expérience à cet égard?

M. Therrien : Au sujet des fouilles du courrier par l'ASFC?

Le président : Oui.

M. Therrien : Non, nous ne recevons pas beaucoup de plaintes à cet égard.

Le président : D'autres sénateurs aimeraient-ils poser des questions?

Le sénateur White : Lorsque nous parlons d'articles qui viennent d'un autre pays — et nous comprenons que nous protégeons les renseignements personnels liés au contenu écrit —, si nous cherchons des drogues, par exemple, nous savons également qu'au cours de leur passage dans le système postal, ces articles seront soumis à un détecteur ou à des rayons X. Devrait-on préciser qu'on cherche une substance et non du contenu écrit? Ou à votre avis, cela couvre-t-il déjà le fait qu'on cherche des drogues, des précurseurs ou des ingrédients? Dans la réalité, les agents ne choisissent pas les enveloppes qu'ils ouvriront au hasard. En fait, ils utilisent un autre processus qui a déjà produit certains motifs légitimes, n'est-ce pas?

M. Therrien : La loi exige que l'agent des douanes ait des motifs raisonnables de soupçonner des scénarios très précis, par exemple que certains articles se trouvent dans un paquet. Qu'il s'agisse de courrier de moins de 30 grammes ou de paquets plus imposants de plus de 30 grammes, ils ont des motifs raisonnables de soupçonner que le paquet contient des biens dont l'importation ou l'exportation est interdite. Il s'agit d'un ensemble de biens précis, et les agents doivent donc soupçonner que des biens de contrebande se trouvent dans le paquet avant de l'ouvrir.

La distinction établie entre les paquets de moins de 30 grammes et ceux de plus de 30 grammes se fonde, je crois, sur des préoccupations liées à la protection de la vie privée, car le courrier de moins de 30 grammes contiendra probablement, le plus souvent, seulement de la correspondance. Et lorsqu'il s'agit de correspondance, même dans ce contexte élargi, on a droit à certaines attentes liées à la protection de la vie privée. Toutefois, je remarque que de nos jours, on considère que le courrier de moins de 30 grammes peut servir à importer des drogues illégales, comme je l'ai entendu ce matin.

Au bout du compte, je crois que nous devons équilibrer la protection de la vie privée et d'autres facteurs. Nous devons reconnaître qu'on importe des drogues qui causent des décès, mais on devrait procéder de façon à protéger la vie privée, et c'est pourquoi je recommande la prise de certaines mesures liées à la protection des renseignements personnels. Tout d'abord, les agents des douanes doivent avoir des motifs raisonnables de soupçonner que le paquet contient des articles illicites.

Le sénateur White : Merci.

Le deuxième élément que j'aimerais aborder, c'est lorsqu'un article arrive d'un autre pays. Peut-on s'attendre au même niveau de protection de la vie privée lorsque, par exemple, il n'y a souvent aucun nom et aucune adresse de retour sur l'enveloppe? Qui peut s'attendre à un certain niveau de protection de la vie privée lorsqu'une enveloppe n'a aucun autre nom que celui de Vern White, par exemple, et qu'elle est envoyée à mon domicile? Puis-je m'attendre à cela?

M. Therrien : En ce qui concerne la destination du...

Le sénateur White : Le futur destinataire?

M. Therrien : Le destinataire pourrait s'attendre à un certain niveau de protection de la vie privée, mais dans ce cas-ci, nous parlons de la frontière, et la jurisprudence exprime clairement qu'à la frontière, les attentes raisonnables liées à la protection de la vie privée sont beaucoup moins élevées que dans d'autres contextes. Toutefois, « beaucoup moins élevées » ne signifie pas « nulles ».

La sénatrice Galvez : Je travaille dans un laboratoire de chimie, et lorsque la GRC affirme qu'elle utilisera des instruments ou des mécanismes non intrusifs en mentionnant les rayons X, je tiens à préciser que ces rayons n'indiquent pas s'il y a un produit chimique à l'intérieur. Dans un tel cas, il faut retirer la substance et l'envoyer au laboratoire, qui confirmera s'il s'agit d'une drogue ou non. Donc, en réalité, la GRC utilisera les renseignements recueillis et l'évaluation du risque. En gros, les agents ne seront pas en mesure de savoir si le paquet contient des drogues, et ils devront donc l'ouvrir. Peuvent-ils porter des accusations dans le cas de drogues ou peuvent-ils lier cela à un autre crime, par exemple à une infraction en matière d'immigration ou à une infraction en matière de drogue autre que le fentanyl?

M. Therrien : Les pouvoirs douaniers ne se limitent pas aux drogues. Ils s'appliquent à tous les biens réglementés ou à tous les biens interdits d'exportation ou d'importation. Le projet de loi vise donc des drogues particulières, mais les pouvoirs douaniers dont nous discutons s'appliquent maintenant à tous les produits dont l'importation ou l'exportation est illicite.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je crois qu'il est important de préciser que ces pouvoirs s'appliquent à ces biens.

Le président : Y a-t-il d'autres questions?

Étant donné qu'il n'y a aucune autre question, je vous remercie, monsieur, d'avoir accepté de comparaître à court préavis devant le comité. Nous vous en sommes tous très reconnaissants.

M. Therrien : Tout le plaisir est pour moi.

Le président : Voilà qui met fin à la réunion d'aujourd'hui. J'aimerais vous rappeler que nous avons deux autres réunions la semaine prochaine pour terminer l'étude de ce projet de loi. Manifestement, nous prévoyons mener l'étude article par article le 12 avril et faire rapport au Sénat à cette date.

(La séance est levée.)

Haut de page