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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 41 - Témoignages du 25 avril 2018


OTTAWA, le mercredi 25 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour poursuivre l’étude de la teneur des éléments des parties 1, 2, 8, 9 et 14 de ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue.

[Traduction]

C’est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à la sénatrice McCallum, qui remplace le sénateur Sinclair pour notre réunion de cet après-midi. Bienvenue, sénatrice.

[Français]

J’ai la très agréable responsabilité d’accueillir M. Jean-Marc Fournier, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne et leader parlementaire du gouvernement au sein du gouvernement du Québec.

Dans cette étude que nous menons sur le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, vous connaissez la procédure, puisque vous en êtes le sujet régulièrement. Je vous invite à faire une déclaration d’ouverture à la suite de laquelle mes collègues sénateurs auront l’occasion de vous poser des questions et d’échanger des commentaires avec vous.

L’honorable Jean-Marc Fournier, député, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne et leader parlementaire du gouvernement, gouvernement du Québec : Merci beaucoup. C’est un plaisir pour moi d’être avec vous aujourd’hui.

Le gouvernement du Québec privilégie le dialogue et la collaboration avec le gouvernement fédéral. Traditionnellement, il ne comparaissait que très rarement devant les comités relevant du législateur fédéral, que ce soit devant les comités de la Chambre des communes ou ceux du Sénat.

En vertu de la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, dévoilée le 1er juin dernier, le Québec a indiqué son intention de saisir toutes les occasions de faire entendre sa voix partout au Canada, ce qui inclut les comités du Parlement fédéral, lorsque cela est nécessaire. Or, la ministre fédérale de la Justice a dit vouloir créer, et je cite : « un régime national de légalisation du cannabis », ce que nous croyons être hors de portée des compétences législatives d’un Parlement fédéral agissant seul. Elle envisage aussi d’appuyer les personnes qui voudraient contester la validité constitutionnelle de certaines dispositions de la loi québécoise, à la suite de l’adoption éventuelle du projet de loi no 157.

Dans ce contexte, il me paraissait nécessaire d’accepter votre invitation pour vous présenter le point de vue du gouvernement du Québec. Je vous parlerai d’abord de la production du cannabis essentiellement à domicile, et ensuite de la probité des producteurs et des financiers.

Le gouvernement fédéral a décidé de retirer du Code criminel certains éléments concernant le cannabis; pas tous, mais certains. La décriminalisation de la production de cannabis à domicile, lorsque le nombre de plants est inférieur ou égal à quatre, est une conséquence de l’exercice par le Parlement fédéral de sa compétence législative en matière de droit criminel, prescrivant dorénavant que constitue un crime la production de cinq plants ou plus à domicile. Le nouvel espace légal pour le cannabis laisse des questions à régler, par exemple en ce qui concerne sa production et sa commercialisation. Ces questions relèvent de la compétence des provinces, et ce n’est pas parce qu’Ottawa et Québec légifèrent sur le même sujet qu’il y a automatiquement conflit entre les lois.

Dans le cadre de l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale, une loi provinciale est constitutionnellement inopérante lorsqu’elle entre en conflit avec la loi fédérale. Il existe deux formes de conflit : le conflit d’objectifs et le conflit d’application.

Parlons d’abord des objectifs. Il y a conflit lorsque la loi provinciale est incompatible avec l’objectif de la loi fédérale. On doit alors se demander si la loi provinciale entrave la réalisation des objectifs exprimés dans la loi fédérale. Le gouvernement fédéral dit agir pour protéger la santé et la sécurité publique. L’objectif de la loi fédérale n’est pas d’autoriser la possession ni la culture de cannabis à des fins personnelles, mais plutôt de protéger les jeunes ainsi que la santé et la sécurité publique. En effet, dans le sommaire du projet de loi fédéral, il est indiqué ceci :

La loi a pour objectif de restreindre l’accès des jeunes au cannabis, de protéger la santé et la sécurité publiques par l’établissement d’exigences strictes [...]

De plus, dans un document d’information publié en avril 2017 par le gouvernement du Canada, on évoquait ceci, et je cite :

Les gouvernements provinciaux et territoriaux délivreraient des permis et surveilleraient la distribution et la vente de cannabis, sous réserve du respect des conditions fédérales minimales. Ils pourraient également adapter certaines règles applicables dans leur propre province ou territoire, ou encore dans les municipalités, et en assurer le respect à l’aide d’un éventail d’outils, comme des contraventions. Ces règles pourraient comprendre :

[...]

l’établissement d’exigences réglementaires supplémentaires pour régler des questions d’intérêt local. Par exemple, les provinces et les territoires pourraient hausser l’âge minimal ou restreindre davantage la possession ou la culture personnelle, notamment en réduisant le nombre de plants ou en limitant les endroits où le cannabis peut être cultivé;

Soutenir l’idée que l’interdiction de cultiver plus de quatre plants de cannabis à domicile constitue en fait une autorisation de cultiver du cannabis contreviendrait à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, qui précisait que le pouvoir fédéral de légiférer en droit criminel peut être exercé et interprété uniquement pour interdire des actes et non pour autoriser des actes.

À sa face même, le projet de loi fédéral interpelle la compétence législative fédérale relative au droit criminel. Il vise d’ailleurs à modifier plusieurs articles du Code criminel. Pourtant, l’alinéa 8(1)e) du projet de loi doit être interprété comme une interdiction de cultiver plus de quatre plants et non comme une autorisation d’en cultiver d’un à quatre.

Dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, les juges Binnie et LeBel, au nom de la majorité, ont précisé que les tribunaux doivent être prudents lorsqu’ils analysent un conflit potentiel d’objectifs entre une loi provinciale et une loi fédérale, et je cite :

Le fait que le législateur fédéral ait légiféré sur une matière n’entraîne pas la présomption qu’il a voulu, par là, exclure toute possibilité d’intervention provinciale sur le sujet.

En fait, c’est tout le contraire, même dans ce cas-ci, lorsqu’on regarde l’ensemble des éléments qui sont mis de l’avant dans ce dossier.

Il apparaît clairement que le gouvernement du Canada ne semble pas avoir l’intention d’occuper tout le champ relatif à la possession et à la culture du cannabis à des fins personnelles. Il laisse la liberté aux provinces de restreindre davantage en fonction de leurs priorités et circonstances individuelles. Ainsi, de son côté, le Québec, en tenant compte des amendements apportés au Code criminel et des aspects décriminalisés concernant le cannabis, crée son propre régime d’autorisation en fonction de ses compétences législatives, lesquelles reposent notamment sur sa compétence relative à la propriété et au droit privé.

Le Québec entend donc, lui aussi, légiférer pour protéger la santé et la sécurité de la population, particulièrement celle des jeunes. C’est en raison de la nécessaire protection de la santé et de la sécurité de la population que nous proposons d’autoriser la production de cannabis par des producteurs autorisés ailleurs qu’à domicile :

D’abord, pour limiter l’accessibilité et éviter la banalisation du cannabis pour les mineurs et les jeunes adultes, l’accessibilité étant le plus grand déterminant de l’usage du cannabis.

Aussi, pour pouvoir offrir de l’information pertinente dans les points de vente. À cette occasion, nous serons en mesure d’identifier si certaines personnes ont besoin d’être dirigées vers les services sociaux adaptés à leur état. La production à domicile nous empêche de fournir l’information pertinente et d’avoir des moyens de constater si certaines personnes ont des besoins particuliers découlant de la consommation du cannabis.

Enfin, pour limiter le marché illicite du cannabis et éviter que soit constituée une chaîne de producteurs personnels.

On peut le constater, nos ordres de gouvernement ont des intentions identiques. Il n’y a donc pas de conflit d’application entre eux. On exerce nos compétences respectives pour protéger la santé et la sécurité publiques.

Il n’y a pas non plus de conflit d’application entre nos projets de loi, qui deviendront éventuellement des lois. Un conflit d’application est une situation où un citoyen enfreint une loi en voulant obéir à l’autre.

Ici, le gouvernement fédéral a seulement choisi d’assouplir l’application du Code criminel, mais il continue de prohiber un certain nombre de choses dans ce domaine. Par exemple, il est interdit de produire du cannabis sans avoir obtenu un permis de Santé Canada; produire sans permis demeure un acte criminel. Il ne peut y avoir production de cinq plants ou plus à domicile; produire cinq, six, sept plants ou plus demeure du domaine criminel. C’est la même chose pour la possession de cannabis par les adultes ou par les mineurs.

Le gouvernement fédéral a donc établi un nouvel encadrement du cannabis dans le Code criminel, en exigeant, par exemple, qu’un producteur ait un permis, pour assurer la qualité des installations, du produit et de sa traçabilité, dès sa culture jusqu’à sa transformation et à sa vente, ou pour la recherche à faire sur ces produits.

Aux règles qu’il a établies s’ajouteront celles des provinces qui sont complémentaires. Il ne s’agit donc pas d’exclure nos règles; nous avons le pouvoir d’autoriser et de choisir les critères de l’autorisation. Le Québec a ainsi prévu des règles pour assurer la qualité du produit, la connaissance des producteurs, la pédagogie qui doit être faite à l’égard du consommateur — toutes des mesures visant à éviter de banaliser le produit.

L’action d’Ottawa libère l’espace nécessaire pour que le Québec puisse exercer sa compétence en matière de droit privé. Il exerce en autorisant la production à certains endroits ailleurs qu’à la résidence. Est-ce qu’un citoyen peut obéir aux deux lois en même temps? La réponse est oui. Le citoyen québécois qui ne cultive aucun plant obéira autant à la loi québécoise qu’à la loi fédérale. En fait, le citoyen québécois qui obéira à la loi québécoise obéira forcément à la lettre de la loi fédérale. Il n’y aurait donc, dans ce cas, aucun conflit d’application. Le gouvernement fédéral n’a pas écrit et ne peut pas écrire qu’il autorise un ou deux, trois ou quatre plants à domicile, car l’autorisation relève de la compétence provinciale. Il ne fait qu’interdire cinq plants ou plus à la maison. En effet, le droit criminel est prohibitif. La compétence fédérale ne peut être exercée que pour interdire des actes et non pour autoriser des pratiques.

La ministre fédérale de la Justice a comparu devant votre comité, je crois bien, pour vous dire que le projet de loi fédéral en est un qui vise à créer un régime national de légalisation du cannabis. Cette expression ne me semble pas exacte. La ministre peut décider de revoir les dispositions du Code criminel concernant le cannabis. Elle peut décider de revoir les règles de prohibition concernant le cannabis. Cependant, lorsqu’il s’agit de gérer les effets de la décriminalisation et de la légalisation du cannabis, nos deux ordres de gouvernement sont concernés et doivent travailler ensemble : l’un fixe le seuil de la prohibition et l’autre dispose des autorisations.

Ce constat est conforme encore une fois aux enseignements de la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Rothmans dont je parlais plus tôt, qui précisait que, par la compétence criminelle, le gouvernement fédéral prohibe et les provinces, de leur côté, autorisent en vertu de leurs propres compétences législatives.

On arrive dès lors à la conclusion suivante : il n’y a pas de conflit d’intention ni de conflit d’application entre les lois. Par conséquent, aucun amendement législatif ne serait nécessaire pour arriver aux fins que nous visons à Québec avec notre projet de loi.

Par contre — ce qui explique en partie ma présence aujourd’hui—, les propos de la ministre fédérale qui encouragent d’éventuelles contestations de la loi provinciale deviennent problématiques. Il y a clairement un gouvernement qui dit aux citoyens qu’il se range de leur côté pour contester la loi de la province. À notre avis, cette déclaration est malheureuse, en plus d’être mal fondée en faits et en droit. Elle encourage des contestations. C’est tout le contraire de ce qu’on pourrait appeler le fédéralisme coopératif.

Je suis venu témoigner pour préciser que, à notre avis, nous avons la compétence constitutionnelle qui nous permet, dans notre régime d’autorisation, de décider des endroits où nous autorisons la production du cannabis. Nous avons décidé que ces endroits ne s’étendraient pas à la résidence et seraient limités à la production par des producteurs autorisés. Par ailleurs, puisque la ministre de la Justice est venue prétendre que le gouvernement fédéral pouvait faire un régime national de légalisation, nous croyons que cela est erroné et qu’elle encourageait une contestation citoyenne de notre projet de loi. Il nous semble opportun, pour éviter les recours judiciaires inutiles, que le projet de loi soit plus précis. Vous pourriez lui apporter une précision pour éviter les contestations judiciaires et faire la démonstration que nous acceptons d’avoir des parlements fédéral et provinciaux qui travaillent ensemble plutôt que l’un contre l’autre.

J’ai parlé du dossier sous l’angle juridique jusqu’ici, alors parlons maintenant de l’aspect politique en fonction de la coopération à laquelle je vous convie. Le choix d’amender le Code criminel relève de l’ordre fédéral. Ce dernier a obtenu un mandat pour procéder à la décriminalisation et à la légalisation du cannabis, et nous ne contestons pas cela. Nous composons avec cette décision. Est-ce que c’est facile? Non. Devons-nous faire beaucoup de travail pour nous ajuster à ce nouveau contexte? Oui. Nous le faisons, car nous sommes dans un régime fédéral où nous sommes appelés à coopérer, chacun conformément à nos compétences, au nom du fédéralisme coopératif.

Je me permets de demander à l’ordre fédéral d’agir en respectant lui aussi le principe du fédéralisme coopératif, en l’occurrence de respecter les provinces pour les choix qu’elles ont exercés en toute légalité et en toute légitimité.

Le gouvernement fédéral confond régime fédéral et régime unitaire lorsqu’il prétend créer un régime national de légalisation du cannabis seul. Dans un système fédéral, les ordres de gouvernement sont égaux et se doivent respect et réciprocité. Nous devons respecter la légalité et la légitimité des actions de l’autre. Le Québec met tout en œuvre pour accompagner le choix fédéral. Il fait montre de respect devant la légalité et la légitimité du geste d’Ottawa. Le Québec s’attend à un respect réciproque lorsque, dans l’exercice de ses compétences, il décide du régime d’autorisation qui permet la production ailleurs qu’à domicile.

Un mot sur les aspects financiers, si vous me le permettez rapidement. Le gouvernement du Québec est préoccupé par les intérêts financiers liés à la production et à la commercialisation du cannabis. Nous avons donc ajouté à notre propre projet de loi des éléments qui assurent la probité des intérêts liés au cannabis. En attendant que l’Autorité des marchés publics soit opérationnelle dans quelques mois, l’Autorité des marchés financiers va gérer un régime de certification en utilisant les pouvoirs policiers de l’UPAC et les pouvoirs d’enquête de Revenu Québec, qui a des liens avec Revenu Canada. Nous allons vérifier les producteurs eux-mêmes, ainsi que les dirigeants, et qu’il s’agisse d’une compagnie cotée en bourse ou privée, nous allons vérifier tout actionnaire détenant 10 p. 100 ou plus des actions. Nous allons aussi faire des vérifications des compagnies actionnaires des compagnies productrices. Dans ces cas-là, tous les actionnaires détenant 20 p. 100 ou plus des actions feront l’objet de vérifications.

À titre de comparaison, les vérifications qu’Ottawa entend faire pour délivrer les permis sont les mêmes que celles prévues en ce moment pour le cannabis thérapeutique. Elles traitent seulement des dirigeants et non de l’actionnariat des compagnies cotées en bourse. Pour les compagnies fermées, elles se limitent aux actionnaires possédant un minimum de 25 p. 100 des actions. On voit que l’exercice de probité mené par le Québec est beaucoup plus poussé que celui mené par le gouvernement fédéral. Notre compréhension est que le Québec serait peut-être la seule province à avoir un tel régime, les autres provinces s’en remettant au processus de la règle du cannabis thérapeutique.

Quant au deuxième niveau de sécurité que nous nous sommes donné, nous avons inclus dans notre projet de loi sur le cannabis les pouvoirs d’enquête et de saisie associés à des infractions prévues dans le Code criminel afin de pouvoir utiliser les preuves découlant de ces moyens d’enquête pour sanctionner les infractions pénales prévues à notre loi. Vous pouvez voir que nous avons ajouté des mesures importantes en matière de probité pour éviter que l’on ne fasse par la porte arrière ce que nous ne voulons pas qui soit fait par la porte d’en avant. Nous souhaitons que la loi fédérale soit aussi garante que celle du Québec quant à la probité des producteurs de cannabis.

Voilà les commentaires que je voulais faire d’entrée de jeu. Je suis ouvert à vos questions et vous remercie de votre invitation.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre Fournier, bienvenue au comité. Ma question porte sur l’un des éléments que vous avez fait ressortir. D’ailleurs, vous l’avez déjà indiqué dans votre lettre aux ministres fédéraux. Selon le gouvernement du Québec, et je cite :

[...] les nouvelles dispositions législatives provinciales et fédérales qui seront éventuellement adoptées devront être exemptes de toute ambiguïté pour pouvoir être appliquées efficacement.

Nous avons reçu des informations des fonctionnaires de Justice Canada et de Santé Canada qui ont été confirmées par la ministre de la Justice, qui nous a indiqué l’intention du gouvernement fédéral de défendre la loi fédérale dans l’hypothèse où un citoyen du Québec contesterait l’application de la loi québécoise quant à l’interdiction de cultiver le cannabis à domicile. Quand vous parlez d’ambiguïté, pourriez-vous préciser ce que vous voulez dire? Vous nous avez dit aujourd’hui qu’une précision serait nécessaire pour éviter des contestations judiciaires inutiles. Pouvez-vous nous dire ce que vous considérez comme une précision acceptable pour le gouvernement du Québec?

M. Fournier : N’eût été les déclarations de la ministre fédérale, il n’y aurait pas d’ambiguïté. C’est la raison pour laquelle je me présente devant vous aujourd’hui. En vertu du Code criminel, le gouvernement fédéral peut décider qu’on ne peut avoir cinq plants ou plus à domicile. Il peut prohiber cinq plants ou plus à domicile. Là où il y a une limite à ce qu’il peut faire, c’est dans le cadre des autorisations. À ce moment-là, ça relève plutôt du droit privé. Ces autorisations relèvent de décisions prises par les provinces, notamment le Québec.

Notre décision est fondée sur les raisons que j’ai énumérées. Elle vise à ne pas banaliser le cannabis et à assurer qu’on puisse suivre les producteurs et faire une pédagogie utile auprès des consommateurs et de ceux qui auraient des problèmes. Nous avons choisi que la production se fasse à l’extérieur du domicile pour que l’obtention des produits se fasse dans les points de vente contrôlés. Le choix de dire que la prohibition de cinq plants et plus signifie qu’on peut en avoir d’un à quatre et qu’il est impossible de dire zéro, c’est de compétence provinciale. Il y a donc une erreur constitutionnelle.

Il y a ambiguïté, parce que la ministre a non seulement prétendu le contraire, mais selon mon interprétation, elle a encouragé la contestation de la loi provinciale. Je ne crois pas que cela soit utile. Souhaite-t-on que nos deux parlements produisent deux lois et qu’un des ministres porteurs souhaite que cela entraîne la contestation de l’autre loi? Je vous rappelle que nous adoptons cette loi parce que le gouvernement fédéral avait un engagement à respecter. N’eût été cela, il n’y aurait pas eu ce projet de loi.

La clarification permettrait au projet de loi de convenir de la règle constitutionnelle. Il y aurait deux parlements qui travaillent ensemble au profit des citoyens, qui paient des impôts autant à Québec qu’à Ottawa, au lieu de dire à ces citoyens qu’ils peuvent dépenser des sommes d’argent pour poursuivre l’un des parlements pour contester une de ces lois. Il me semble qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas là-dedans.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Fournier, bienvenue. C’est toujours un plaisir de vous revoir. Je comprends de votre argument que la position de la ministre en matière de santé est tout à fait incompatible avec la production à domicile. Votre argument se centre sur cela, n’est-ce pas?

M. Fournier : De façon plus complexe, ce que je dis quant à la production à domicile, c’est que cette autorisation d’avoir de zéro à quatre plants ne relève pas du gouvernement fédéral, mais bel et bien des provinces. Le gouvernement fédéral, par le droit criminel, peut prohiber, mais il ne gère pas le régime d’autorisation. Cela relève des provinces.

Sur le fond, j’ai compris de la position fédérale que le fait de permettre un plant permettrait d’éviter la consommation auprès du marché illicite. On peut être d’accord ou non. L’argument le plus important pour nous est que la production à domicile est non seulement assez difficile à suivre quand on commence à voir des différences, mais elle favoriser, surtout au début, l’accès au produit, ce qui mène à sa banalisation automatique.

L’objectif de notre loi et de celle du gouvernement fédéral est d’éviter de banaliser le cannabis. L’objectif est de décriminaliser le cannabis en espérant qu’il y ait moins de consommation en même temps. Cependant, nous allons dans un horizon assez différent. Je ne suis plus dans l’ordre constitutionnel, mais dans celui des arguments. Voilà donc l’argument qui nous a amenés à interdire la culture à domicile.

Le sénateur Boisvenu : Mais d’une façon pratique, le Québec interdit la production à domicile, ce qui va à l’encontre de la position de la ministre qu’il y ait une limite à la tolérance zéro. On maintient donc le critère des quatre plants à la maison, et il y a une contestation juridique dans laquelle le Québec ne veut pas embarquer.

L’autre approche pratique serait de retirer cette disposition du projet de loi fédéral. N’est-ce pas la voie la plus simple et la plus pratique pour éviter tout genre de conflit que de retirer du projet de loi fédéral la possibilité d’une production à domicile?

M. Fournier : Je préfère tout de même laisser à chacun des parlements le soin de prendre ses décisions. Je peux toutefois vous dire ce qui suit. Selon notre interprétation, invoquer le Code criminel revient à se donner la possibilité de prohiber des gestes. Que le gouvernement fédéral décide de prohiber le nombre de cinq plants et plus à domicile ne pose pas problème, car cela fait partie de son champ de compétences. Mais ensuite, que fait-on avec le reste, soit quatre plants et moins, y compris zéro?

Au Québec, nous avons examiné cette question, mais toutes les provinces n’ont pas fait la même chose; le Manitoba et le Québec ont fait ce choix, et d’autres ont fait d’autres choix. C’est cela, le fédéralisme. De notre côté, nous avons choisi de faire en sorte de ne pas banaliser toute la question.

Que faut-il faire? Je ne suis pas là pour légiférer à votre place, mais il est certain que, n’eût été la déclaration de la ministre, je ne serais sûrement pas ici. Tout le monde comprendrait que les provinces peuvent décider d’un nombre de plants, soit un, deux, trois, quatre ou zéro. Toutefois, comme il y a eu ces interventions, en plus de l’encouragement à contester, je viens vous dire que s’il y avait un amendement qui précisait que les provinces ont le libre choix, ce serait bien accueilli. J’apporte une nuance, car je ne veux pas ici plaider pour exiger un amendement, parce que je crois que nous avons raison. Le problème, c’est qu’il faudra que les citoyens fassent appel aux tribunaux pour vérifier tout cela. Pouvons-nous éviter de nous retrouver devant les tribunaux? Peut-être avez-vous la possibilité d’aider les citoyens à garder leur argent dans leurs poches.

Le président : Monsieur le ministre, vous dites que le problème ne se poserait pas s’il n’y avait pas eu cette déclaration, mais j’ai constaté dans votre présentation qu’il y a aussi toute la question du crime organisé et de l’identité des entreprises. On aurait aussi souhaité vous entendre à ce sujet.

Le sénateur Carignan : Justement, au sujet des motifs pour exclure la culture à domicile, vous avez parlé de la banalisation, mais vous avez également parlé de limiter le marché illicite à domicile. Vous avez également dit, lors d’une de vos réponses, que cela serait difficile à suivre entre le cannabis légal et le cannabis illégal — c’est ce que j’ai compris qui était sous-entendu. Pouvez-vous nous parler davantage des motifs qui ont amené le gouvernement du Québec à exclure la culture à domicile, à part la banalisation, puisque vous en avez déjà bien traité? Il s’agirait surtout des motifs qui touchent le marché illicite à domicile et la difficulté en ce qui a trait à la traçabilité du produit, qui est un aspect important quant à sa qualité.

M. Fournier : Comment vous répondre? C’est le sens commun. Je vais vous proposer de faire vous-même l’exercice. Y a-t-il beaucoup de domiciles? Il y en a pas mal. Comment pouvons-nous vérifier ce qui se fait avec la production à domicile? Cela implique les autorités, notamment les autorités policières, qui sont en mesure de vérifier ce que l’on fait avec ce produit. Je mets de côté la qualité du produit, car le producteur à domicile n’est pas un producteur autorisé et il ne répond pas à des normes. Il va y avoir des normes, il va y avoir une qualité et il va y avoir un certain nombre de choses qui devront exister aussi. Oubliez cela; vous allez avoir un produit artisanal. S’il est très difficile d’en assurer le suivi, on peut imaginer que des personnes s’organisent entre elles ou seront forcées de s’organiser — on peut émettre les hypothèses que l’on veut — et constituent un réseau de production à domicile.

On met en place en ce moment une législation fédérale qui, notamment, exige un permis fédéral; il y a des certifications qu’on veut mettre en place au Québec, et tout cela pour encadrer le produit le plus possible. Là, on fait une exception qui peut déborder. On me dira que cela peut ne pas déborder. Oui, mais ma question sera la suivante : qui vérifie tout cela puisque la production à domicile, par définition — pensez-y deux minutes —, exigera des forces policières en quantité industrielle pour en assurer le suivi?

Je vous soumets qu’on pourra peut-être y arriver un jour. La loi qu’on étudie en ce moment est en transition, elle nous fait passer d’un État où tout est dans l’ordre criminel, et maintenant, on décide d’en enlever une partie. Très bien. Est-ce qu’on est obligé d’ouvrir très grande la porte au début? Vous ne pourrez pas la refermer par la suite.

Après trois ans, on va regarder l’ensemble des dispositions pour voir où on est rendu; vous y avez pensé vous aussi, et je crois bien que tout le monde y a pensé. Quand on est passé d’un régime de prohibition de l’alcool et qu’on a ouvert les portes, on n’a pas ouvert les portes si grandes que cela au début. Ne serait-ce que pour la production artisanale de la bière ou d’autres produits, il n’y a pas des lustres que quelque chose est en place. Nous sommes suffisamment vieux pour savoir que cela n’existait pas lorsque nous sommes nés. Cela, c’est sans compter que, lorsqu’on allait chercher le produit à la Commission des liqueurs — j’en appelle à ceux qui ont mon âge —, on ne choisissait pas nécessairement le produit qui nous était proposé. Il y avait quand même une guérite. Pourquoi cela s’est-il passé ainsi? Je crois qu’il devait y avoir des inquiétudes au sein de la population et qu’il a fallu un régime transitoire. Nous ne sommes pas obligés de prendre 50 ans, mais on pourrait tout de même faire une transition.

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur le ministre.

Je vais peut-être changer de sujet. Le Québec est un grand territoire et, selon l’information que nous avons, au début il n’y aurait qu’une vingtaine de « magasins », et cela, c’est si on habite près de Montréal ou de Québec. Pouvez-vous nous parler de votre plan en ce qui a trait à l’accès dans les régions éloignées des grandes villes et aux coûts? Le produit sera disponible sur le site web de la société gouvernementale, mais il coûte cher d’envoyer des approvisionnements d’un mois je ne sais où dans les régions éloignées du Québec, comme à la baie James ou même plus loin.

M. Fournier : Avant de répondre à votre question, permettez-moi d’aborder un autre aspect. Le projet de loi sera prêt; on prend tous les moyens pour être prêts, mais il est vrai que tout ne peut pas se créer en un instant. On a aussi un privilège parlementaire. L’État, l’exécutif, l’administration publique ne peut poser aucun geste avant que la loi entre en vigueur. On peut poser un certain nombre de gestes préalables, mais il y a une limite. On ne peut pas commencer à ouvrir les locaux avant l’adoption du projet de loi. Votre question m’amène à dire ceci : oui, nous allons être prêts, mais franchement, si nous avions un délai pour être en mesure de prendre les mesures qui s’imposent afin d’être les plus efficaces possible dans l’atteinte de nos objectifs de santé et de sécurité publique, il serait préférable que la loi entre en vigueur quelques mois après sa sanction.

Encore une fois, je ne veux pas m’immiscer dans vos processus, mais cela nous aiderait. Oui, il y aura un certain nombre de locaux dès le départ; l’objectif est de pouvoir parler aux gens qualifiés dans ces commerces, et on va en ajouter au fur et à mesure. Bien sûr, ces commerces ne seront pas tous en place de façon instantanée. On verra l’effet de la vente sur Internet; le site donnera un certain nombre de renseignements. On pourra suivre un peu l’acheteur, mais pas aussi bien. Cela fait partie du système.

Est-ce que ce sera cher? Il est sûr que c’est cher, mais je vous dirais que l’élément lié à la santé publique peut aussi être lui-même dispendieux. Il faut donc s’assurer de bien suivre la consommation et l’achat, et voir quel sera l’effet au sein de la population quant à l’augmentation de l’usage. Je ne sais pas comment cela se terminera, nous verrons.

Pour répondre à votre question, nous allons essayer d’ouvrir le plus grand nombre de commerces possible, mais dans les limites du raisonnable.

Le sénateur Pratte : Ma préoccupation concerne le message qui est transmis aux citoyens. Si le projet de loi n’est pas amendé pour apporter une précision, je m’interroge sur la compréhension du citoyen. Quel sera le message au citoyen qui souhaite cultiver du cannabis chez lui et qui se retrouvera devant deux gouvernements et deux interprétations différentes de la loi? D’une part, un gouvernement lui dit qu’il n’a pas le droit de cultiver des plants de cannabis à domicile, et de l’autre, un gouvernement lui dit, avec autant d’assurance, qu’il a le droit de cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis chez lui. Quel message donnera le gouvernement du Québec?

M. Fournier : La loi n’a pas encore été adoptée, mais si elle devait l’être dans son état actuel, il est bien évident que nous allons devoir diffuser de l’information sur notre loi. Parmi les dispositions de la loi sur laquelle nous allons donner des renseignements, il y a la prohibition de la production à domicile, parce que nous autorisons la production ailleurs. Conséquemment, le citoyen fera face à deux interprétations, et probablement à deux séries de renseignements.

J’imagine que le gouvernement fédéral fera aussi des campagnes d’information. On se retrouvera avec des citoyens qui se demandent pourquoi les gouvernements n’arrivent pas à s’entendre sur une interprétation — et je ne suis pas en train de dire qu’on n’avait pas prévu le coup. Ça, c’est autre chose. Là, c’est presque délibéré. Pourquoi voudrait-on, d’une façon aussi délibérée, mettre le citoyen devant une telle situation?

Vous pouvez me demander pourquoi le gouvernement du Québec n’accepte pas la position du gouvernement fédéral, ce qui serait beaucoup plus simple. La difficulté, c’est que la compétence, c’est-à-dire l’autorisation, relève du Québec. Pourquoi le gouvernement fédéral ne fait-il pas plutôt respecter le partage des compétences et pourquoi n’accepte-t-il pas que les provinces aient des réponses différentes? Peut-être que les réponses différentes seront riches d’enseignement dans trois ou cinq ans, parce que nous pourrons voir selon les différentes expériences quelles auront été les conséquences. C’est ce qu’on appelle la saine émulation d’un système fédéral.

Nous sommes dans un système fédéral. Profitons-en. Nous avons la capacité en ce moment d’utiliser des approches qui seront différentes. De plus, elles tiennent compte des populations visées. Je vous pose la question de nouveau : pourquoi, dans ce contexte, ne serait-ce pas plutôt la loi fédérale qui apporterait la précision et qui dicterait que les deux gouvernements travaillent ensemble?

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Monsieur le ministre, en février dernier, vous avez écrit une lettre à la ministre fédérale de la Justice. Vous avez non seulement parler de la culture à domicile, mais vous avez aussi demandé de repousser la date d’entrée en vigueur de la loi, et ce, parce que les dispositifs de détection en bordure de la route ne sont pas encore disponibles. Nous avons beaucoup entendu parler de ces dispositifs de la part de diverses associations policières.

La ministre vous a-t-elle répondu? Allez-vous continuer de demander de repousser la date d’entrée en vigueur de la loi?

[Français]

M. Fournier : Vous voulez savoir si j’ai eu des nouvelles à l’issue de la lettre. Je suis heureux de vous dire qu’en sortant de l’avion tantôt, on m’a informé que nous avions reçu la réponse à Québec.

La sénatrice Eaton : J’allais vous poser la question.

M. Fournier : Avec les nouveaux moyens technologiques, j’ai eu la réponse, et nous pourrons vous la faire parvenir si vous le désirez.

En ce qui concerne les appareils de dépistage au volant, à ma connaissance, les policiers ne disposent pas encore d’équipement. Nous sommes dans les préparatifs. Mon collègue responsable de la Sécurité publique au Québec m’a affirmé que les forces policières suivront des formations — sans avoir les outils technologiques — sur les façons de détecter la conduite avec facultés affaiblies par le cannabis. Ensuite, les délinquants seront dirigés vers des spécialistes qui feront les vérifications nécessaires. Nous espérons que tous ces équipements seront bientôt à notre disposition.

En ce qui concerne les délais, il n’y a pas que la question de l’équipement; il y a aussi la certification, la vérification des producteurs et l’aspect financier. Cela ne se fait pas en cinq minutes.

La sénatrice Eaton : Il y a autre chose aussi au Québec qui est particulier...

Le président : Je m’excuse de vous interrompre. Le ministre est avec nous, en principe, jusqu’à 17 heures, et d’autres sénateurs souhaitent lui poser des questions.

Le sénateur McIntyre : Bienvenue au comité, monsieur le ministre. Depuis l’automne dernier, le projet de loi no 157 sur le cannabis a passé plusieurs étapes à l’Assemblée nationale, et plusieurs amendements ont été adoptés. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le cheminement du projet de loi à l’heure actuelle? Où le gouvernement du Québec en est-il et quels sont les sujets et les inquiétudes qui sont le plus souvent soulevés?

M. Fournier : En ce qui concerne le projet de loi à l’étude depuis l’automne, la période la plus importante de notre travail s’est faite avant le dépôt du projet de loi. Ma collègue, Lucie Charlebois, qui est la ministre responsable du dossier, a tenu de nombreuses consultations en juin 2017 avec des spécialistes et avec la population dans le cadre d’une tournée régionale au Québec. Il y a eu un travail pour aller vers la population et, à l’issue de ces consultations, nous avons créé le projet de loi. Ce n’est pas toujours l’approche que nous adoptons. Mais cette approche a été utile, parce que l’enjeu est fort important et soulève un certain nombre d’interrogations légitimes.

Le projet de loi a été déposé même si nous avions déjà mené des consultations. Dans notre processus parlementaire, il y a encore eu une série de consultations. Le principe du projet de loi a été débattu et adopté. Il est actuellement à l’étude article par article, et certains éléments sont examinés. L’un des éléments à l’étude qui est sur le point d’être terminée, je crois, concerne les lieux où le produit pourrait être consommé. Certaines propositions ont été avancées, et il y a la possibilité de proposer une réduction importante de la consommation. Je crois que la population souhaite réellement qu’on fasse preuve de prudence en ce qui concerne les lieux de consommation et de production. Je crois que nous avons franchi l’étape que souhaitait la population.

Encore une fois, nous verrons avec le temps si nous avons été trop sévères. À l’inverse, nous croyons que si nous avions été moins sévères, il serait très difficile de remettre le génie dans la lampe.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, ministre Fournier, d’être ici aujourd’hui. Je veux revenir brièvement sur cette question.

Vous avez écrit à la ministre fédérale de la Justice le 23 février. Cinq semaines plus tard, la ministre fédérale a comparu devant ce comité, et notre président, le sénateur Joyal, l’a interrogée à propos de votre lettre. Étonnamment, elle a dit qu’elle n’avait pas encore lu votre lettre, à ce moment-là.

Un mois s’est écoulé depuis. Je veux m’assurer de vous avoir bien compris, car j’écoutais l’interprétation. Avez-vous dit que la ministre a répondu à votre lettre du 23 février aujourd’hui, le jour même où vous comparaissez devant notre comité? Avez-vous reçu la lettre aujourd’hui?

M. Fournier : Eh bien, nous avons reçu la lettre aujourd’hui. Je ne sais pas quand elle a répondu à ma lettre. Je sais seulement que nous avons reçu sa réponse.

La sénatrice Batters : Seriez-vous disposé à nous fournir une copie de cette lettre?

M. Fournier : Oui, bien entendu, je ne l’ai pas avec moi, mais je vous en ferai parvenir une copie.

La sénatrice Boniface : C’est une excellente discussion. Je suis simplement curieuse, et j’ai une question très brève.

Comment imposerez-vous la limite de quatre plantes? Je présume qu’en vertu de la loi provinciale, la culture de quatre plantes sera considérée non criminelle, et la culture de cinq plantes et plus sera considérée comme étant un acte criminel.

M. Fournier : Oui. Bien entendu, nous ne pouvons pas décider d’établir un acte criminel.

[Français]

Il y aura des infractions pénales. Pour assurer la meilleure application possible de notre loi, nous avons inclus dans notre projet de loi la possibilité d’utiliser des moyens de perquisition, de saisie et des moyens d’enquête qui sont prévus dans le Code criminel pour les infractions criminelles. Nous les importons dans une loi qui traitera des infractions criminelles. Notre loi ne créera pas d’infractions criminelles. Nous les importons afin de disposer du plus grand nombre de moyens possible pour assurer le respect de ces infractions. Nous passons d’un système où tout cela était d’ordre criminel et nous en amenons une partie vers l’ordre pénal. Nous croyons que, dans cette transition, il est nécessaire de se doter d’outils plus costauds.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé. Ma question porte sur les peuples des Premières Nations et sur la façon dont la loi provinciale s’applique aux Premières Nations en ce qui concerne les règlements.

Si des gens décident de cultiver plus de quatre plantes ou vont à l’encontre des règles de la province, quelle est votre relation avec les règlements des Premières Nations, et qui intenterait des poursuites contre les Premières Nations?

M. Fournier : Je ne suis pas certain d’avoir une réponse à votre question. Dans le cas d’un champ de tabac, nous devrons peut-être vérifier s’il y a dans certaines régions une commission spéciale, qui supervise la commercialisation des produits du tabac.

[Français]

Nous allons devoir travailler avec les conseils de bande et les différentes nations. La réponse est différente en milieu urbain et dans les régions nordiques éloignées. Je ne sais pas comment on vérifiera la production à domicile dans certains endroits isolés. Il y a donc lieu de tenir une discussion avec les Premières Nations pour voir comment elles seront en mesure de veiller au respect des lois fédérales et provinciales. On devra travailler conjointement avec elles pour ce faire. Je n’ai pas d’autres réponses pour l’instant.

Il y a un souhait légal. Les lois s’appliquent sur l’ensemble du territoire. Votre question est davantage du domaine de l’application de ces lois, notamment dans les territoires des Premières Nations. Parfois, l’éloignement devient un enjeu important et pose des difficultés. Parfois, des revendications sont faites. Pour l’État, il est important de trouver les bons moyens d’assurer l’application de la loi à l’aide d’un dialogue constructif avec les Premières Nations.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je veux poser une question complémentaire à la question de la sénatrice McCallum, si vous le permettez.

Comme vous le savez sans doute, la Loi sur les Cris et les Naspakis du Québec a été négociée et adoptée. Elle est entrée en vigueur plus tôt cette année. L’article 56 de votre projet de loi porte sur la capacité du gouvernement du Québec de conclure des ententes avec d’autres gouvernements. Il l’a déjà fait.

Pour revenir au point que la sénatrice McCallum a soulevé, si les Cris et les Naskapis décident qu’ils n’approuvent pas les dispositions de votre projet de loi, ces mesures auraient-elles préséance, à votre avis?

Pendant que vous réfléchissez à ma question, je vais vous poser la question que je voulais vous poser.

M. Fournier : C’est une bonne question.

Le président : C’est une bonne entrée en matière.

La sénatrice Pate : Je m’intéresse aux règlements entourant la légalisation que vous êtes en train d’examiner.

Qu’avez-vous fait jusqu’à présent concernant les options de traitement qui seront disponibles? Quel type de collaboration y a-t-il? Qu’est-ce qui est disponible? Quels sont vos plans pour fournir plus de possibilités aux gens de recourir au traitement, de manière à ce qu’une partie de vos objectifs en matière de sécurité publique soient atteints également?

M. Fournier : Je vais répondre à la dernière question en premier.

[Français]

C’est la ministre déléguée à la santé et aux services sociaux qui est responsable. Vous avez compris qu’elle a une préoccupation très grande à l’égard des services sociaux offerts aux personnes qui pourraient éprouver des difficultés à la suite de la surconsommation de cannabis. Par conséquent, elle est déjà engagée dans un processus. Je la laisserais vous en dire davantage si elle était ici, car elle le ferait mieux que moi. Elle se préoccupe déjà de cette question et, avec la santé publique, elle s’assure d’avoir les outils à sa disposition.

Encore une fois, cette démarche a pour but de faire en sorte que la loi nous permette de suivre les personnes qui pourraient avoir des difficultés liées à la consommation du cannabis. La production à domicile fait en sorte que les citoyens qui consomment leur produit n’auront pas à se rendre aux points de vente, qu’ils n’auront pas de site web avec l’information et qu’ils ne seront pas en contact avec quelque autorité gouvernementale que ce soit. Forcément, il sera assez difficile de les aider.

Je vous répondrai donc par l’affirmative. Cela va représenter des sommes considérables. Toutefois, nous serions plus avancés si tout le monde s’aidait.

En ce qui concerne votre première question, je n’oserais répondre à une hypothèse que vous émettez selon laquelle nous ne pourrons trouver de terrain d’entente. Nous avons l’obligation, tant les dirigeants des Premières Nations que ceux du gouvernement du Québec, de trouver des terrains d’entente pour le mieux-être de nos concitoyens, qu’ils soient des Premières Nations ou pas. Notre sens des responsabilités nous entraîne à éviter que l’hypothèse que vous avez avancée se réalise. Enfin, c’est mon souhait.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre comparution cet après-midi. Au nom de tous mes collègues autour de la table, je tiens à vous exprimer notre reconnaissance devant votre candeur à répondre à nos questions, de même que pour la contribution que vous apportez grâce à la présentation de votre mémoire. Nous attendrons la copie de la lettre, comme la sénatrice Batters l’a demandé. Vos réflexions nous aideront à arriver au meilleur projet de loi possible. Merci beaucoup.

M. Fournier : À mon tour de vous remercier, et vous souhaite bonne chance.

Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons notre séance d’aujourd’hui avec deux témoins qu’il m’est agréable de vous présenter. D’abord, nous recevons Mme Marwah Rizqy, professeure adjointe au Département de fiscalité de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. Bienvenue, madame Rizqy. Nous accueillons également M. Miville Bédard, membre retraité de la Sûreté du Québec et spécialisé dans les enquêtes liées au crime organisé.

Vous connaissez, je crois, la procédure; l’un et l’autre, vous avez déjà comparu devant des comités de ce genre. Madame Rizqy, si vous voulez bien nous présenter vos réflexions à l’égard du projet de loi C-45, la parole est à vous.

Marwah Rizqy, professeure adjointe, Département de fiscalité, École de gestion de l’Université de Sherbrooke, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vais tâcher d’être brève, puisque nous disposons de 45 minutes pour entendre deux témoins sur un sujet assez important, soit l’infiltration du crime organisé dans l’économie légale.

Est-ce qu’il est minuit moins une, ou bien sommes-nous déjà après minuit? Je ne veux pas être défaitiste, mais nous sommes déjà après minuit, si on considère le cannabis dit thérapeutique. À ce jour, bien qu’il n’y ait pas encore de poursuites qui soient entamées, je crois qu’il est fort probable que le crime organisé soit déjà présent sur le marché du cannabis thérapeutique. Comment se font les vérifications? Vous savez que Santé Canada délivre le permis et qu’on demande à la GRC de vérifier la cote de sécurité. Mais qui contrôle-t-on, en fait? On fait des vérifications relativement à l’agent, au directeur de la société qui demande le permis, ainsi qu’aux cadres supérieurs. Voilà pour ce qui est de la vérification.

On ne vérifie pas, en fait, qui sont les véritables et ultimes bénéficiaires de ces compagnies. On ne remonte pas jusqu’au bout de toutes les structures. Si nous avons 10 entreprises, la première détient la deuxième, qui détient la troisième, et cetera; il y a donc des étages. Au bout de la chaîne, on peut même retrouver des fiducies. Au fond, on ne vérifie jamais qui sont, en fin de compte, les véritables détenteurs des licences. Si le règlement sur le cannabis dit « récréatif » ressemble à celui qui traite du cannabis thérapeutique, les failles sont immenses.

De plus, on n’a jamais consacré suffisamment d’argent pour lutter contre le crime organisé. On n’a jamais payé suffisamment cher nos procureurs de la Couronne ni les gens qui sont censés enquêter. Par conséquent, le secteur privé peut rapidement aller chercher les premiers de classe. D’ailleurs, si vous regardez dans les facultés de droit, la plupart du temps, les premiers de classe choisissent de travailler dans le secteur privé. Je fais mon mea culpa, car c’est ce que j’ai fait moi-même.

Cela dit, et d’autre part, dans le cas du cannabis thérapeutique, pour lequel on a un règlement qui est déjà en vigueur, on n’a jamais pensé faire des vérifications annuelles. Les vérifications se font tous les cinq ans. En cinq ans, beaucoup de choses peuvent se passer.

De plus, le plus grand danger auquel vous allez faire face, ce sont les avocats. En premier lieu, les avocats jouissent du privilège avocat-client. Être avocat n’est ni un droit ni un privilège, c’est une marque de confiance dans nos institutions. Malheureusement, certains avocats sont des outils impénétrables au service du crime organisé. Autrement dit, le crime organisé utilise un avocat qui sera son prête-nom, qui sera le paravent et qui chapeautera toutes les structures. Souvent, quand les policiers font leur enquête, dès lors qu’ils ont affaire à une conversation avocat-client, ils interrompent l’écoute électronique, alors qu’ils devraient la poursuivre, la mettre sous scellés et remettre le tout à un juge pour qu’il décide si, oui ou non, la conversation est de nature légale et donc protégée par le privilège avocat-client, ou si elle est de nature illégale et, par conséquent, n’est pas couverte par ce privilège.

De plus, nos peines n’ont jamais été très sévères, au Canada. Nous ne sommes pas reconnus à l’échelle internationale pour lutter de façon très efficace contre le crime organisé, contre le blanchiment ou contre le recyclage des produits de la criminalité, ce qu’on appelle le crime en col blanc. Il y a d’ailleurs un excellent article dans le Globe and Mail, paru en mars 2017, qui souligne que, chaque fois qu’on a lancé des poursuites au Canada elles se sont soldées par des échecs ou par des peines de 18 mois pour des fraudes de millions de dollars.

Monsieur le sénateur Pratte parlait tantôt du message qu’on envoie au citoyen. S’il y a un message que l’on devrait envoyer au citoyen, c’est que, même s’il existe des failles, notre système juridique est bon au Canada, et même très bon; mais il faut avoir les ressources nécessaires pour lutter efficacement contre les quelques personnes qui veulent s’infiltrer dans cette nouvelle industrie.

Je vais m’arrêter là et je répondrai à vos questions du mieux que je le pourrai.

Le président : Merci.

Monsieur Miville Bédard, sergent-enquêteur spécialisé à la Sûreté du Québec dans les enquêtes liées au crime organisé, vous avez la parole.

Miville Bédard, membre retraité de la Sûreté du Québec, à titre personnel : Tout d’abord, je dois dire que ce n’est pas moi qui devais me présenter ici ce soir, mais bien l’inspecteur Sylvain Tremblay, qui est responsable d’un grand projet à Montréal; il m’a demandé de le remplacer, car il était en déplacement à l’extérieur. J’ai décidé de prendre sa place pour l’occasion, car j’ai beaucoup d’expérience policière .

Je désire remercier M. le président du comité sénatorial, le sénateur Joyal, de m’avoir invité à venir témoigner de mon expérience policière dans le cadre du projet de loi C-45, et aussi à vous faire part de ma volonté de voir éventuellement la création d’une commission d’enquête indépendante, afin de faire le point sur les tenants et aboutissants de ce projet de loi. Je vous expliquerai pourquoi.

Comme on vous l’a dit, je m’appelle Miville Bédard, j’ai 67 ans et je suis retraité de la Sûreté du Québec depuis 2008. J’ai terminé ma carrière comme sergent-enquêteur dans l’Équipe mixte d’infiltration, et ce, après plus de 35 années d’expérience à la Sûreté du Québec. Je dois préciser que je ne représente pas la Sûreté du Québec. Je suis ici à titre personnel, comme citoyen canadien ordinaire qui a vécu des expériences policières extraordinaires, et comme policier d’expérience, passionné, ayant toujours eu à cœur le respect et l’application des lois, la protection de la vie et la lutte à la criminalité.

Je suis ici aussi en tant que père de famille et grand-père de deux petits-enfants, pour qu’ils puissent être en mesure, comme tous les enfants et citoyens canadiens, comme vos enfants également, de continuer à vivre dans un pays où il fait bon vivre en sécurité, protégés par des lois justes, sans crainte de sombrer dans l’enfer de la drogue.

Je vais vous faire un état de ma carrière, parce que je suis ici pour vous parler de crime organisé. Je vais vous dire ce que j’ai fait dans la vie. J’ai commencé ma carrière en 1973 au poste de Laurier-Station. J’ai occupé toutes les fonctions et j’ai été enquêteur pendant six ans dans cette unité. De 1991 à 1996, j’ai été enquêteur spécialisé dans la nouvelle Escouade du crime organisé de Québec, dans une équipe assignée à la lutte au trafic de stupéfiants au niveau de la rue. J’ai participé à des centaines d’opérations policières, à plusieurs projets d’écoute électronique et à des perquisitions, j’ai procédé à de multiples arrestations et interrogatoires de consommateurs et de trafiquants de stupéfiants de toutes sortes, et j’ai aussi participé au démantèlement de plusieurs plantations de cannabis, hydroponiques et autres.

J’ai développé et contrôlé des dizaines de sources dans le milieu, ce qui m’a permis d’en connaître davantage sur le milieu de la drogue. Ces sources sont unanimes pour dire que, avant de sombrer dans l’univers de la drogue, elles ont commencé à consommer du cannabis, pour ensuite se tourner vers les drogues plus dures. J’ai été à même de constater sur le terrain la détresse sociale des gens de ce milieu face au crime organisé, la pauvreté dans laquelle ils vivent et le niveau élevé de violence auquel ils font face régulièrement.

De 1996 à 2004, j’ai fait partie de l’Escouade Carcajou de Québec à titre de sergent-enquêteur lors de sa création, en 1996, pour tenter de mettre fin à la guerre sanglante que se livraient les bandes de motards criminels — les Hells Angels et les Rock Machine — pour le contrôle de la vente de stupéfiants, guerre qui a causé des dizaines de morts, y compris plusieurs victimes innocentes. J’ai occupé ce poste pendant huit ans et j’ai participé de façon très active à toutes les opérations d’envergure provinciale, tels le projet Roma, le projet Henri et le projet Printemps 2001. Je ne les énumérerai pas tous, mais j’ai participé à la majorité d’entre eux.

J’ai rencontré des délateurs, développé et contrôlé plusieurs agents-sources qui nous ont permis de procéder à l’arrestation de plusieurs membres en règle de ces groupes de motards criminels, de mettre fin à cette guerre sanglante, de démanteler plusieurs réseaux de vente de drogue et de procéder à la saisie et à la destruction de deux des locaux de ces groupes de motards criminels dans la région de Québec. Cela a permis aussi de ramener la paix sociale dans la province.

De 1992 à 2004, j’ai été formé comme d’agent d’infiltration et j’ai suivi plusieurs cours de perfectionnement dans ce domaine. J’ai travaillé dans toute la province dans de multiples sphères d’activités du crime organisé, et ce, à tous les niveaux. J’ai travaillé dans les domaines suivants : trafic de stupéfiants, prostitution et bars de danseuses, bars clandestins, casinos illégaux, vol, extorsion, trafic d’armes et d’explosifs, invasion de domicile et complots de meurtre pour l’assassinat de témoins importants et de leur famille.

De 2004 à 2008, j’ai été agent d’infiltration permanent. En 1998, j’ai été formé par la GRC comme agent d’infiltration en crime majeur pour travailler dans des opérations de type Mr. Big, pour tenter de résoudre des meurtres non résolus. J’ai participé à la première opération qui a été couronnée de succès en 1998.

Par la suite, après les résultats positifs de cette opération, en 2004, une unité mixte d’infiltration a été formée qui comprenait des membres de la GRC, de la Sûreté du Québec et du SPVM. J’ai été le premier agent d’infiltration permanent à la Sûreté du Québec à intégrer cette nouvelle unité. J’ai participé à plusieurs opérations de ce type au Québec et à travers le Canada, qui nous ont permis de résoudre plusieurs meurtres du passé, d’arrêter et de faire condamner les auteurs qui croyaient avoir commis le crime parfait.

Je termine en disant qu’en 1999 j’ai reçu le prix policier du gouvernement du Québec dans le cadre du projet Roma. En 2004, j’ai été assermenté comme constable spécial de la Police provinciale de l’Ontario et nommé agent d’infiltration temporaire à la Gendarmerie royale du Canada.

Le président : Merci. Je vois que vous avez également préparé un document en français. Il sera transmis à la traduction.

La sénatrice Dupuis : J’ai deux questions, dont la première s’adresse à la professeure Rizqy. Vous nous avez parlé d’un certain nombre d’éléments qui ne fonctionnent pas. Vous avez fait référence, à plusieurs reprises, au système d’autorisation — qui existe actuellement, d’ailleurs — de production du cannabis à domicile à des fins médicales. Avez-vous des références à nous donner sur des études que vous avez faites ou des rapports auxquels vous auriez participé sur cette question?

Je vois également que vous parlez de failles immenses dans le système médical; pourriez-vous être plus précise? Vous dites que l’infiltration du crime organisé dans la production de cannabis dit thérapeutique est fort probable. Pouvons-nous avoir des éléments plus précis sur cette question?

Avez-vous des renseignements selon lesquels le crime organisé a infiltré le cannabis dit thérapeutique? Avez-vous des renseignements précis sur les failles immenses dans le système médical?

Mme Rizqy : Sénatrice Dupuis, je n’ai pas parlé du système médical, mais bien du cannabis à des fins thérapeutiques, et je parlais de compagnies, non pas de gens qui faisaient de la production à la maison.

Si j’ai des connaissances, oui, j’en ai, mais à ce moment-ci, je vais devoir invoquer mon privilège avocat-client.

La sénatrice Dupuis : Qui sont vos clients?

Mme Rizqy : Lorsqu’on invoque le privilège avocat-client, cela signifie qu’on ne peut pas vous dire qui sont les clients, ou quoi que ce soit.

La sénatrice Dupuis : Donc, vous n’êtes pas en mesure de nous donner de l’information sur votre affirmation selon laquelle il y a une infiltration du crime organisé dans le domaine du cannabis dit thérapeutique. Vous avez dit que c’est fort probable.

Mme Rizqy : Je répète, j’invoque mon privilège avocat-client.

La sénatrice Dupuis : Vous affirmez qu’il y a des failles immenses dans le système à des fins dites thérapeutiques. Êtes-vous en mesure de nous le préciser ou non?

Mme Rizqy : Le préciser comment?

La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous préciser ce que vous appelez des failles immenses dans le système dit thérapeutique?

Mme Rizqy : Par exemple, lorsque vous prenez le règlement qui autorise la cote de sécurité, il est prévu qu’on délivre la licence après avoir vérifié l’agent, le directeur de la société ainsi que tout cadre supérieur. On vérifie aussi les administrateurs. Cependant, une compagnie est détenue par ses actionnaires, alors pourquoi est-ce qu’on ne vérifie pas l’actionnaire ultime de la société?

La sénatrice Dupuis : C’est l’une des failles; y a-t-il d’autres failles?

Mme Rizqy : C’est la principale.

La sénatrice Dupuis : Parfait. Vous ne l’aviez pas dit de cette façon, je vous remercie de l’information.

J’ai maintenant une question qui s’adresse à M. Bédard. Vous avez beaucoup d’expérience dans la lutte contre le crime organisé. Dans le contexte où c’est criminalisé, êtes-vous capable de nous dire, selon votre expérience, ce qui peut être fait, dans le cadre de la légalisation du cannabis, pour faire en sorte que l’infiltration actuelle par le crime organisé diminue ou cesse? Qu’elle diminue, à tout le moins.

M. Bédard : Je suis entièrement contre la légalisation. Aucune légalisation visant à permettre la culture ou la vente de cannabis n’aura cet effet-là. Je suis entièrement contre, et je ne suis pas le seul dans ce cas.

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos deux témoins.

Madame Rizqy, Radio-Canada, en avril 2007, affirmait que des permis individuels de culture de cannabis avaient été délivrés à des membres des Hells Angels et que d’autres membres avaient demandé des permis de production et de distribution. Nous allons maintenant délivrer des permis pour la production à des fins récréatives. Selon vous, les gens qui sont déjà propriétaires de permis pour la production à des fins médicales ne devraient-ils pas être soumis aux nouveaux règlements liés aux permis de production à des fins récréatives, puisque ces vérifications sont plus poussées?

Je pense au Québec où les vérifications seront plus pointues dans le cas de la production de cannabis à des fins récréatives, alors que le permis de production à des fins médicales, qui relève du ministère de la Santé fédérale, est soumis à des contrôles tout à fait primaires, si je peux m’exprimer ainsi.

Il risque d’y avoir deux régimes : le premier, assez contrôlé au Québec et très rigoureux en matière de cannabis récréatif; le deuxième, à des fins médicales, qui prévoit un minimum de contrôle facilitant l’infiltration par le crime organisé. Ne devrions-nous pas intégrer les deux pour faire en sorte de délivrer des permis de production de marijuana selon des règles très sévères?

Mme Rizqy : Effectivement, dans un scénario idéal, j’irais encore plus loin que le régime du Québec, parce qu’on y vérifie les actionnaires détenant 10 p. 100 des actifs. On pourrait vérifier tous les actionnaires parce que, évidemment, si on met un seuil de 10 p. 100, on peut détourner ce seuil pour avoir plusieurs actionnaires qui agissent de concert. Dans un monde idéal, nous devrions avoir les plus hauts standards de vérification partout au pays et nous rappeler que le fait de posséder une licence n’est pas un droit, mais bien un privilège.

Le sénateur Boisvenu : Je vais prendre votre argument au vol, parce que j’ai ici une compagnie qui a environ 25 sources de financement avec des montants de 25 000, 30 000, 40 000 ou 50 000, et donc, en bas du seuil de 20 p. 100. Donc, effectivement, vous avez tout à fait raison.

Dans ce sens, vous êtes l’une des personnes qui ont révélé publiquement qu’au Québec, 40 p. 100 des investissements avaient été faits avec de l’argent des paradis fiscaux. En vous écoutant dans les médias, j’ai compris que vous exprimiez l’idée de la création d’un registre public des investisseurs. Voudriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Rizqy : Dans un monde où on veut lutter contre l’évasion fiscale, la fraude, la corruption et la traite de personnes, nous devons tenir compte du fait que tout ce qui est crime organisé blanchit son argent dans les paradis fiscaux. Par la suite, encore une fois, par l’intermédiaire des paradis fiscaux, on va recycler les produits de la criminalité vers des industries telles que le cannabis. Ce n’est pas uniquement dans le domaine du cannabis, c’est dans tous les secteurs où on peut recycler à la bourse.

Dans le reportage auquel vous faites référence, on y apprend que c’est par millions de dollars que l’argent arrive des îles Caïmans; en fait, 90 p. 100 des sommes provenaient des îles Caïmans dans le montant qui était avancé, autant dans le Journal de Montréal que dans un autre journal, soit La Presse, si la référence est bonne.

Avec un registre public, la meilleure façon de lutter contre cela, c’est la transparence. Elle permet aux journalistes de faire leur travail d’investigation complètement et sans barrière.

En outre, le registre doit faire état de l’actionnaire ultime et, pour arriver à l’actionnaire ultime, il faut cesser l’incorporation de coquilles vides. Au Québec et au Canada, on peut incorporer à outrance des compagnies qui n’ont aucune substance sauf celle de filtrer l’argent au moyen des paradis fiscaux. Ensuite, il faut aussi que les intérêts de certains élus soient annoncés. S’il y a des liens de parenté, il est important que tout risque de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts soit dénoncé dans ce même registre.

Le sénateur Carignan : En préparant la journée d’aujourd’hui, je comparais les registres aux entreprises de ceux qui ont des permis à l’heure actuelle, et on pouvait voir effectivement qu’il y a des compagnies à numéro qui contrôlent des compagnies à numéro. On voit des enregistrements au Panama et dans plusieurs paradis fiscaux. Cela se retrouve facilement.

Pour combler les failles qui sont larges comme un paquebot, est-ce qu’on ne devrait pas interdire l’actionnariat étranger des compagnies de cannabis? De toute façon, c’est illégal partout dans le monde, donc cela ne pose pas vraiment problème, car c’est seulement au Canada que ce sera permis. Pensez-vous qu’en interdisant l’actionnariat étranger pour les compagnies productrices ou distributrices de cannabis au Canada, tout en exerçant les contrôles de probité dont on a parlé, cela aiderait à contrôler et à colmater ces failles?

Mme Rizqy : Votre question est très bonne et votre affirmation aussi. Je ne pourrais qu’y souscrire dans la mesure où le gouvernement serait enclin à se détacher du discours du libre marché. Il faut comprendre qu’il y a aussi un intérêt du côté américain d’investir dans le marché du cannabis canadien. Je le comprends, mais ce qu’on devrait interdire, ce sont les investissements où il y a une impossibilité ou un doute important quant à leur provenance.

De plus, il faudrait avoir une liste canadienne de paradis fiscaux qui soit efficace. L’Union européenne a encore diffusé récemment une nouvelle liste de paradis fiscaux. Il faut avoir beaucoup de naïveté pour penser que les îles Caïmans aient beaucoup d’entreprises légitimes.

Le sénateur Carignan : De toute façon, on n’a pas le droit de l’exporter; c’est inscrit dans la loi, sauf à des fins de recherche et pour des éléments précis. Comme c’est illégal partout ailleurs, la question du libre-échange ne se pose pas. Donc, en plaçant une interdiction de détention d’actionnariat étranger, en plus des aspects qui touchent les paradis fiscaux, je pense qu’on aurait un encadrement assez rigide à ce moment-là.

Mme Rizqy : Je crois que oui, et si vous allez dans ce sens, vous devez savoir que la bourse aime recevoir des capitaux étrangers. Si, on ne se limite qu’aux capitaux canadiens, on fait le tour de la question assez rapidement. Si vous limitez l’actionnariat étranger, cela pourrait causer des problèmes et vous pourriez faire face à plus d’opposition. Je suggérerais plutôt de refuser les capitaux étrangers de façon ciblée. La liste des paradis fiscaux est connue. Si on se limite à cela, on aurait déjà fait un grand pas.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Bédard, ma question touche les compagnies qui ont une licence de production de cannabis médical par rapport aux compagnies qui obtiendraient une licence de production de cannabis à usage récréatif. Selon vous, les compagnies qui ont une licence de production de cannabis médical devraient-elles faire l’objet d’un examen afin de recevoir une licence liée au cannabis à usage récréatif? La raison pour laquelle je vous pose cette question, c’est que le projet de loi C-45 leur permettrait automatiquement d’obtenir une licence de production de cannabis à usage récréatif.

M. Bédard : Je me pose des questions sur la façon dont les permis sont délivrés, à qui ils le sont et de quelle façon. Pourquoi telle ou telle personne a-t-elle un permis alors qu’une autre n’en a pas? Il y a des demandes qui sont faites qui sont refusées, il y a des gens qui ont reçu des permis et, pour telle raison, ils en ont reçu plus qu’un autre. Ce sont des questions que je me pose.

Le sénateur McIntyre : Madame Rizqy, avez-vous des amendements à proposer au comité?

Mme Rizqy : Oui. J’aurais une liste de solutions. Ceux qui ont déjà obtenu la licence thérapeutique devraient faire l’objet d’un examen jusqu’au dernier actionnaire ultime. Si un avocat s’interpose, vérifions auprès de l’avocat en question. Il devra faire une démarche affirmative pour démontrer que c’est un véritable client et non pas de faux administrateurs.

Pour ce qui est des solutions, vous devez absolument créer un registre public sur les bénéficiaires effectifs de l’entreprise. Si, dans une structure, vous voyez une fiducie, à ce moment-là, refusez la licence. Pourquoi? Je vous l’explique. Récemment, il a été porté à mon attention que certaines fiducies ne respectaient pas la règle des trois certitudes. Cette règle est d’arriver à connaître l’objet, c’est-à-dire qui est bénéficiaire de la fiducie.

On peut avoir un langage assez large qui permette d’identifier le bénéficiaire. Récemment, j’ai remarqué que chez certaines fiducies, dans leurs instruments, le langage était tellement clair qu’il était possible de changer le bénéficiaire, que la fiducie devenait invalide et que, ainsi, les profits retournaient à celui qui avait créé la fiducie. Souvent, celui qui a créé la fiducie, c’est celui qui doit cacher son identité. Alors, si on décèle une fiducie dans la structure, peut-être qu’il serait sage de refuser la licence, puisque vous n’êtes pas en mesure de déterminer sans équivoque que la cote de sécurité est valide.

J’imposerais des règles plus sévères envers les professionnels, car toutes les histoires de blanchiment d’argent et de recyclage sont comptables. Vous savez que les comptables doivent se rapporter au CANAFE lorsqu’ils ont des sommes qui émanent de leurs clients. Les avocats n’ont pas à se rapporter au CANAFE, et c’est un danger. Je crois que la grande majorité de mes confrères sont honnêtes, mais malheureusement, il y a des exceptions. Nous devons légiférer pour ces exceptions. Dans le domaine des valeurs mobilières, je crois que les avocats devraient se rapporter pour leur client au CANAFE, et plus particulièrement en ce qui concerne le cannabis. De plus, cela devrait se faire, s’il n’en tenait qu’à moi, pour toutes les transactions de valeurs mobilières, c’est-à-dire rapporter les sommes qui passent par leurs clients, notamment les transactions de type « inbound transactions ». Les transactions qui viennent de l’extérieur devraient être vérifiées en tout temps. Si vous le faites, vous franchirez déjà un grand pas dans l’industrie.

Il n’y a aucune manière de vérifier sur place, à l’étranger, la valeur de l’information que l’on reçoit. L’Autorité des marchés financiers, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique signent des protocoles d’entente pour vérifier certaines informations sur place. En fait, on ne vérifie que des pratiques dans l’industrie. Il faudrait renforcer les protocoles d’entente pour permettre d’effectuer des vérifications sur place, dans ces pays, afin de veiller à ce que la coquille soit une véritable société qui a de la substance.

On pourrait aussi arrêter de signer certaines ententes. Vous pourriez ajouter une liste complète de paradis fiscaux. Je vous inviterais à ne pas utiliser celle de l’OCDE. Avec tout l’égard que j’ai pour l’OCDE, elle fait face à plusieurs conflits d’intérêts au sein de son organisation. La liste a donc beaucoup été réduite. Je vous conseille celle qui est établie par plusieurs économistes, y compris le lauréat du prix Nobel, M. Stiglitz, et qui contient une quarantaine de pays.

Revenons à l’essentiel. L’objectif est de retirer les produits de la criminalité et aussi de faire de la prévention. Il serait intéressant de créer un fonds à l’aide des recettes qui seront générées par le cannabis, pour réaliser les objectifs du volet consacré à la prévention, mais aussi ceux du volet de l’application de la loi. Si les forces de l’ordre n’ont pas les moyens d’enquêter, le tout sera voué à l’échec.

Le sénateur Gold : Merci à vous deux pour votre présence parmi nous. Vous avez mentionné beaucoup de choses, telles que le manque de ressources des enquêteurs et le problème des paradis fiscaux. On parle de cannabis et du projet de loi C-45. Si j’ai bien saisi votre témoignage, les problèmes de blanchiment d’argent se posent un peu partout dans les industries. Vos recommandations s’appliquent bien sûr à l’industrie du cannabis. Ai-je bien compris que, en fait, vos recommandations sont plus générales et touchent les façons dont on vérifie la source de l’argent, les actionnaires et tout, peu importe l’industrie en cause et qui est le bénéficiaire de l’investissement? Si j’ai bien compris, vos préoccupations sont beaucoup plus larges.

Mme Rizqy : Vous avez tout à fait raison, mes préoccupations sont toujours très larges. Toutefois, l’objectif du projet de loi C-45 est de retirer les profits de la criminalité. Pour ce faire, il faut en avoir les moyens.

Vous avez raison de souligner que je considère que toute cette infiltration se retrouve dans l’ensemble de l’économie et de toute entreprise cotée en bourse. Puisqu’aujourd’hui le cannabis récréatif constitue une nouvelle industrie, il faut saisir l’occasion dès maintenant de relever nos normes afin qu’elles soient vraiment dignes d’un pays du G7.

Le sénateur Gold : Excusez-moi si la question a déjà été posée. Monsieur Bédard, avez-vous des recommandations concrètes à offrir à notre comité? Nous sommes ici pour étudier le projet de loi et essayer de l’améliorer. Vous avez affirmé que vous êtes contre le projet de loi.

M. Bédard : Oui, je l’ai dit.

Le sénateur Gold : C’est votre droit. Cela dit, avez-vous des suggestions pour faire en sorte que le projet de loi soit plus apte à minimiser ou à réduire la présence du crime organisé dans les rues? Avez-vous des recommandations ou des réflexions à partager?

M. Bédard : Cette loi ne changera rien au crime organisé. La légalisation du cannabis ne changera rien à la criminalité dans les rues. Elle va davantage favoriser la consommation du cannabis. On dit que chaque propriété pourra cultiver un maximum de quatre plantes. Imaginez, au Canada, combien on compte de maisons. Savez-vous qu’un plant de cannabis produit un kilo de marijuana? Quatre plants font donc quatre kilos. Avec 100 000 maisons, on obtient 400 000 kilos de marijuana.

À mon avis, le terme « cannabis médical » est davantage utilisé pour cacher la vente de stupéfiants. Vous ne combattrez jamais le crime organisé et, au contraire, vous l’obligerez à s’organiser davantage.

Le sénateur Gold : Vous n’avez pas de recommandation concrète?

M. Bédard : Non. Ma recommandation est de rejeter l’adoption de ce projet de loi. Il serait peut-être viable sous une autre forme, mais pas sous celle-ci.

Mme Rizqy : J’aimerais intervenir sur deux aspects d’ordre fiscal. Il serait pertinent que les enquêteurs de la GRC et des différents corps policiers, lorsqu’ils émettront une cote de sécurité, aient accès au dossier fiscal des individus sur lesquels ils enquêtent. Ils devraient avoir un accès automatique et non sur demande. Un échange de renseignements immédiat doit avoir lieu dès qu’une personne demande une licence.

Pour ce qui est des recettes, j’ai oublié de souligner qu’à l’heure actuelle, en vertu de la loi de l’impôt, on ne peut s’assurer que les futurs gains en capitaux générés par les investissements étrangers seront imposables ici. Il faudrait, dans la définition de « biens canadiens imposables », faire en sorte que les actions liées au cannabis deviennent des biens canadiens imposables et, par conséquent, qu’elles soient assujetties à l’impôt.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Merci à vous de votre présence parmi nous et de vos exposés.

Mon parcours ressemble au vôtre, monsieur Bédard. Nous avons de l’expérience en application de la loi en ce qui a trait à l’établissement de casinos à de nombreux endroits au cours des dernières décennies.

Y a-t-il des leçons que nous pouvons tirer de ce processus pour ce qui est d’effectuer un examen qui serait utile à ce comité?

[Français]

M. Bédard : Sur les casinos, je ne peux pas vous répondre.

Le sénateur Pratte : Madame Rizqy, vous avez suggéré plusieurs changements dans les pratiques. J’aimerais lire ce qui est prévu dans le projet de loi et vous demander si vous pensez que des changements devraient être apportés.

Dans le projet de loi, on dit que pour obtenir une licence ou un permis, on doit fournir les renseignements financiers relatifs à une organisation, qui comprennent notamment les renseignements quant aux actionnaires, aux membres, aux personnes qui la contrôlent de façon directe ou indirecte. Si on refuse de donner quelque renseignement que ce soit, le ou la ministre peut refuser d’octroyer le permis.

Quant aux vérifications de sécurité, au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, on a posé la question au ministère de la Sécurité publique à savoir si on demanderait des renseignements supplémentaires dans le cadre du régime qui existe actuellement pour le cannabis à des fins thérapeutiques. La réponse était la suivante.

[Traduction]

Santé Canada a proposé d’allonger la liste des personnes qui auraient besoin d’une autorisation de sécurité pour inclure les directeurs et les agents de toute société mère en plus de ceux d’une société titulaire d’un permis.

[Français]

Ces informations vous indiquent-elles, dans le texte de la loi — je ne parle pas des pratiques, car je comprends que les pratiques doivent être améliorées — et dans les propositions de réglementation, qu’il y a des outils suffisants pour mettre en vigueur le genre de changements de pratiques que vous souhaitez?

Mme Rizqy : Dans le paragraphe que vous venez de lire, le mot clé est « contrôle », soit la notion de contrôle. Bien sûr, je peux suffisamment diluer l’actionnariat afin de faire en sorte que presque plus personne ne le contrôle ou pour en dévier le contrôle. Vous pourriez à ce moment-là procéder à une enquête d’un champ de la compagnie qui serait correct, mais, pour l’autre champ détenu par exemple à 20 p. 100, il est probable que vous ne puissiez pas procéder à une enquête, parce que ce n’est pas la personne qui le contrôle. Mais cela n’empêche pas que c’est une personne qui a peut-être des intérêts liés au crime organisé.

J’ai aussi eu le bénéfice de lire une des réponses du ministère de la Santé du Canada qui, dans ses propositions, disait qu’il va encore contrôler les directeurs et les cadres de toute société mère, mais les gens du crime organisé ne veulent jamais être directeurs ou agir comme société mère. Comment vont-ils s’organiser? Prenons une société qui demande une licence; elle sera détenue par exemple à 80 p. 100. Vous allez enquêter et, évidemment, c’est là que vous allez regarder. Mais l’autre volet, par exemple, celui qui détient 20 p. 100 des parts, ne fera pas nécessairement l’objet d’une enquête en vertu de la disposition. Ultimement, vous allez faire face à une fiducie. C’est ce qu’on voit.

Le sénateur Pratte : Je comprends votre argument, mais j’ai l’impression que lorsque je lis le projet de loi, on peut remonter aussi loin qu’on veut. C’est une question de pratiques plus que d’amendements au projet de loi.

Mme Rizqy : Est-ce que vous pouvez le relire, s’il vous plaît?

Le sénateur Pratte : Je suis à votre service, madame. La disposition se lit comme suit et je cite :

[...] les renseignements financiers relatifs à une organisation comprennent notamment les renseignements quant à ses actionnaires ou membres et quant aux personnes qui la contrôlent, que ce soit de façon directe ou indirecte.

Mme Rizqy : Oui, mais contrôler fait référence à 50 p. 100 plus un.

Le sénateur Pratte : Vous dites que l’on devrait obtenir les renseignements sur tous les actionnaires.

Mme Rizqy : Sur tous les actionnaires.

Le sénateur Pratte : Mais il peut y avoir des dizaines de milliers d’actionnaires, madame.

Mme Rizqy : Justement.

Le sénateur Pratte : Vous allez faire une enquête de sécurité sur des dizaines de milliers d’actionnaires.

Mme Rizqy : Premièrement, sénateur Pratte, je serais étonnée que, dans une société qui demande une licence, il y ait des milliers d’actionnaires qu’on appelle « de contrôle », c’est-à-dire ceux ayant le droit de vote. Vous pouvez avoir différents types d’actionnaires, tels des actionnaires privilégiés, C, D et ainsi de suite, mais parmi ceux qui ont maintenant des permis, il n’y a pas un paquet d’actionnaires. Il y en a quelques-uns et, évidemment, de la façon dont c’est fait et structuré, celui qui ne contrôle pas est probablement relié au crime organisé.

Le président : Merci de votre contribution, madame Rizqy et monsieur Bédard.

Madame Rizqy, si vous avez une liste de recommandations au sujet de problèmes auxquels vous avez fait face, nous aimerions en recevoir un exemplaire.

Mme Rizqy : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous reprenons notre séance de cet après-midi en compagnie de l’honorable Bill Blair, secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice.

Monsieur Blair, je n’ai pas à vous expliquer la procédure. Vous connaissez notre fonctionnement. La parole est à vous.

Bill Blair, député, secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada et de la ministre de la Santé : Merci de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. J’ai préparé des remarques, que je vais passer rapidement en revue avec vous, car je pense que la période des questions est une meilleure utilisation de notre temps.

Je suis ravi de témoigner devant vous aujourd’hui pour vous aider dans le cadre de votre étude du projet de loi C-45. Je sais que le comité s’intéresse particulièrement aux répercussions du projet de loi C-45 et au crime organisé.

Je comparais aujourd’hui non seulement en ma qualité de secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et de la ministre de la Santé, mais aussi, si je puis dire, en tant que personne qui possède près de quatre décennies d’expérience en application de la loi, y compris une décennie en tant que chef du Service de police de Toronto.

Dans ma carrière précédente, j’avais la responsabilité de lutter contre le crime organisé et de promouvoir la sécurité des Canadiens. J’ai occupé diverses fonctions, y compris celle de chef des détectives à Toronto. J’étais responsable de la formation et de la gestion de la plus grande unité d’enquête sur le crime organisé en Ontario, que je supervisais. J’ai également siégé au Comité exécutif national du Service canadien de renseignements criminels, et j’ai présidé le Comité sur le crime organisé des chefs canadiens.

J’espère vous offrir un témoignage de première main sur la façon dont les éléments criminels de notre société ont profité du régime actuel de production du cannabis.

Le point de départ pour toute discussion concernant la légalisation et la réglementation stricte du cannabis est de reconnaître l’environnement actuel. Selon Statistique Canada, la consommation de cannabis estimée des Canadiens en 2015 totalisait plus de 697 tonnes de cannabis, ce qui représente une valeur marchande estimée de 6,2 milliards de dollars.

On doit se poser la question suivante : qui récolte ces profits? Durant le témoignage que le surintendant Goupil a fait devant le comité le 22 mars, il a signalé qu’environ 40 p. 100 des groupes criminels organisés au Canada sont impliqués dans le marché du cannabis.

Comme je l’ai mentionné, j’ai siégé pendant plus d’une décennie au Comité exécutif national du Service canadien de renseignements criminels. Cet organisme a recensé plus de 900 groupes du crime organisé, dont 78 p. 100 tirent leur source de revenus des drogues illicites. Comme le surintendant l’a souligné, pour environ 40 p. 100 de ces 900 groupes, leur principale source de revenus est la production et la distribution illicites de cannabis. Les nombres associés à cette production illicite sont très troublants et représentent environ 20 millions de dollars par jour à l’échelle nationale.

C’est la raison pour laquelle notre gouvernement fait clairement savoir depuis le début qu’un objectif clé de l’initiative de légalisation et de réglementation du cannabis consiste à retirer ces profits illégaux aux organisations criminelles. C’est clairement énoncé dans les objets de la loi à l’article 7.

Une fois qu’il sera adopté, le cadre juridique du projet de loi C-45 offrira aux Canadiens un choix légitime de qualité contrôlé pour acheter du cannabis : d’une part, le cannabis devra être produit conformément à une réglementation stricte et dans un cadre supervisé et, d’autre part, le cannabis sera testé pour détecter la présence de produits chimiques et de pesticides adultérants et pour connaître la concentration. Une industrie légale concurrentielle est essentielle pour réduire la portée et l’envergure du marché illicite.

Pour les adultes canadiens qui choisissent d’acheter du cannabis légalement, ils pourront le faire en sachant qu’ils n’appuient pas une entreprise criminelle et que les profits de leurs achats seront réinvestis dans des entreprises légitimes qui soutiennent leur communauté. Ces investissements auront une incidence importante sur l’inducteur de la demande qui existe actuellement et qui permet au crime organisé de s’enrichir. Toutes les activités qui auront lieu à l’extérieur du nouveau cadre juridique proposé demeureront interdites.

Un point très important qu’il convient de souligner à nouveau est que les forces de l’ordre conserveront tous les outils qu’elles possèdent à l’heure actuelle pour enquêter sur les groupes criminels organisés impliqués dans la production, la distribution, l’importation et l’exportation illégales de cannabis, et pour intenter des poursuites contre eux. Toutes les autres infractions, toutes les autres peines et tous les autres pouvoirs seront maintenus en vertu de cette mesure législative.

Certains ont souligné le peu de succès qu’ont enregistré d’autres pays pour éradiquer le marché illicite et posent la question suivante : pourquoi la situation serait-elle différente pour nous?

Bon nombre d’entre vous m’ont entendu dire que nous nous engageons dans un processus, pas dans une initiative ponctuelle. Nous serions naïfs de dire que nous pouvons éliminer le marché illicite du jour au lendemain. Les Canadiens savent qu’il sera plus responsable sur le plan social et que nous produirons des résultats plus positifs pour l’ensemble de nos collectivités si nous investissons dans l’application de nos lois rigoureuses existantes qui créent des sanctions pénales pour les activités illégales du crime organisé et si nous offrons une option de rechange aux adultes canadiens qui consomment du cannabis pour qu’ils puissent faire un choix légitime plus sécuritaire dans un cadre réglementé et contrôlé.

Un autre point que j’aimerais aborder se rapporte à la nécessité d’empêcher les criminels et les réseaux du crime organisé, qu’ils soient au pays ou à l’étranger, d’infiltrer le marché du cannabis légal. Cette question est étroitement liée à la possibilité que des entreprises effectuent des investissements dans des paradis fiscaux à l’étranger.

Dans le cadre du régime applicable au cannabis utilisé à des fins médicales, Santé Canada travaille étroitement avec la GRC pour effectuer des vérifications détaillées des dossiers sur l’exécution de la loi dans le cadre desquelles ils font appel aux organismes locaux d’application de la loi au pays pour qu’ils examinent les renseignements recueillis aux fins d’application de la loi.

C’est très important. Ce ne sont pas de simples vérifications du casier judiciaire. C’est un examen approfondi de nos bases de données du renseignement et des bases de données des organismes locaux d’application de la loi pour recueillir le plus de renseignements possibles à la disposition des organismes d’application de la loi, ce qui éclairera la décision pour déterminer si une personne devrait être autorisée ou non à participer à cette nouvelle industrie.

Ces vérifications sont utilisées pour découvrir tout renseignement additionnel qui peut être pris en compte dans la décision d’octroyer une autorisation de sécurité, y compris toutes les associations connues de criminels ou de crime organisé.

Lorsque la GRC fournit ces renseignements à Santé Canada, le ministère examine toutes les sources de données probantes pour déterminer si la personne présente un risque inacceptable à l’intégrité du système de production légal.

Je signale au comité que nous utilisons ce système de vérification de sécurité des antécédents depuis quatre ans et avons acquis une vaste expérience. Depuis la mise en œuvre du Règlement sur la marihuana à des fins médicales en 2013 et l’octroi de licences à des producteurs autorisés de cannabis à des fins médicales au pays, la GRC a mené des milliers de vérifications de sécurité des antécédents et un examen très exhaustif.

La principale plainte que j’entends à l’heure actuelle concerne la durée et la rigueur du processus de vérification de sécurité des antécédents, mais pour être honnête, ce processus démontre l’engagement de Santé Canada et de nos responsables de l’application de la loi à veiller à ce que le crime organisé n’infiltre pas le système.

En vertu du nouveau cadre de réglementation, Santé Canada a proposé d’allonger la liste des personnes qui nécessiteront une autorisation de sécurité pour inclure les directeurs et les agents de sociétés mères. De plus, l’entreprise titulaire d’une licence sera tenue d’élaborer et de tenir à jour un plan de sécurité organisationnelle qui établit les procédures qui seront mises en place pour empêcher que le cannabis soit détourné vers le marché illégal.

Ce plan de sécurité doit être présenté à la ministre de la Santé avec toute demande de licence, de même que l’identité des personnes qui occupent ces postes de cadre. Les dispositions sur la sécurité physique, la tenue de dossiers, la reddition de comptes, la participation à un nouveau système national de suivi du cannabis et des inspections annoncées et non annoncées contribuent à veiller à ce que les producteurs autorisés fassent l’objet d’un examen rigoureux avant qu’on leur remette une licence de production et de vérifications régulières par la suite.

J’ai confiance que les organismes d’application de la loi au Canada continueront de se concentrer sur le crime organisé et les activités connexes pendant la période de transition et par la suite. Pour les aider en ce sens, nous avons tenu des conversations dès le début des discussions sur cette mesure législative et ses exigences en matière d’application. Les organismes d’application de la loi nous ont fait clairement savoir qu’ils se heurtent à des problèmes de capacité pour combattre le crime organisé.

En réponse à cette situation, notre gouvernement s’est engagé à investir 113 millions de dollars dans la GRC pour améliorer, renforcer et, dans bien des cas, rétablir la capacité de la GRC de mener des enquêtes exhaustives et efficaces sur les groupes de crime organisé qui se livrent à des activités criminelles associées à l’industrie du cannabis illégal. Il investira aussi massivement dans l’ASFC pour améliorer les questions d’intégrité des frontières afin de veiller à ce que du cannabis illicite ne soit pas importé au Canada ou exporté du pays.

Voilà qui conclut mes remarques; je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Vous avez utilisé votre temps de parole efficacement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur le secrétaire parlementaire, bienvenue au comité. Ma question porte sur l’expérience qu’on a déjà acquise. Des chefs de police et des policiers sont venus nous rencontrer. Ils sont déjà occupés à lutter contre le crime organisé, parce qu’il y a un problème de marché illicite. Dans le rapport du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis, on a demandé au gouvernement de revoir le système des personnes désignées dans le marché dit « à des fins médicales », parce qu’il y aurait des informations selon lesquelles c’est une voie d’entrée ou de sortie pour le crime organisé. Compte tenu de cette expérience que le gouvernement et les forces de police ont déjà vécue, qu’est-ce qu’il faudra faire pour renforcer la lutte contre le crime qui existe à l’heure actuelle et pour faire en sorte que le nouveau système de légalisation ne soit pas une occasion supplémentaire d’élargir les activités du crime organisé par le biais de la production à domicile.

[Traduction]

M. Blair : Merci beaucoup, sénatrice. Je vais essayer de répondre de façon succincte.

Avec l’introduction de ce qui était à l’époque le RAMFM, le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, en 2002, à la suite d’une décision judiciaire, une disposition a été créée pour les producteurs désignés qui se livrent à la culture du cannabis à des fins personnelles.

Bien franchement, lorsque j’étais policier, c’était l’une des faiblesses que le crime organisé exploitait énormément. Les éléments criminels ont infiltré ce processus de production illégale en utilisant les dispositions visant les producteurs désignés dans cette réglementation.

En 2013, le gouvernement a fait de l’excellent travail, selon moi, et est intervenu en créant un nouveau système de production autorisée assorti d’une surveillance étroite, de règlements très exhaustifs et de dispositions pour les producteurs désignés.

Malheureusement, les dispositions du RMFM ont été contestées en vertu d’une décision de la Cour fédérale dans l’affaire Allard. La cour a ordonné de rétablir certaines des dispositions du RAMFM, qui est la nouvelle réponse législative. Je m’excuse de tous ces acronymes.

C’est toujours une préoccupation. J’ai discuté avec mes collègues qui oeuvrent dans le secteur de l’application de la loi. On s’inquiète toujours de la façon dont on pourrait surveiller plus efficacement les dispositions relatives aux producteurs désignés prévues dans le Règlement sur la marihuana à des fins médicales.

Je désire souligner deux points qui, à mon avis, sont très importants. Il n’y a aucun producteur désigné dans le projet de loi C-45. Dans le règlement que nous avons présenté pour la production autorisée du cannabis, cette production est rigoureusement contrôlée. Cette production est légale seulement si l’on obtient un permis strict, si une surveillance est assurée et si les mécanismes de gouvernance en matière de réglementation prévus dans le projet de loi C-45 et ses règlements connexes sont mis en œuvre.

La production en dehors de ce cadre de production autorisée demeure une infraction criminelle grave. Le trafic de cette drogue produite en dehors de ce système demeure une infraction criminelle grave.

Nous avons tenu compte de la malheureuse expérience que nous avons eue avec le RMFM dans le cadre de l’élaboration de cette mesure législative. On ne permettra tout simplement pas que cette situation se reproduise. Je dois vous dire que j’ai confiance dans les précautions rigoureuses qui ont été prises dans l’élaboration de ce règlement pour régler ce problème.

De plus, nous avons pris l’engagement dans le projet de loi que d’ici trois ans, nous réviserons le système de marijuana à des fins médicales en entier. Je peux également vous assurer que Santé Canada n’attendra pas trois ans. Nous avons l’intention de renforcer l’intégrité des dispositions existantes qui visent les producteurs désignés de marijuana à des fins médicales. Cet examen sera éclairé par les données probantes que nous aurons recueillies et les expériences que nous aurons acquises avec le nouveau système de production autorisé qui sera mis en œuvre conformément au projet de loi C-45.

C’est un aspect qui doit être examiné, mais je veux assurer aux sénateurs que nous avons réglé cet élément dans le projet de loi C-45. Dans le nouveau système pour la production à des fins non médicales, aucun producteur désigné ne sera autorisé à se livrer à cette culture. Des sanctions pénales sévères sont en place pour ceux qui ne respectent pas ces règles.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Blair, à notre comité. J’écoutais plus tôt le ministre Fournier qui nous a dit être très préoccupé par la production de marijuana à domicile. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Québec va l’interdire, parce qu’on craint que ce soit l’occasion de créer un marché irrégulier — je reprends le terme que votre gouvernement aime utiliser, plutôt que le terme « marché illégal ». Il va créer un marché irrégulier, et c’est une production qu’il sera impossible de contrôler. C’est le chef Harel, de Gatineau, qui nous l’a dit, et le ministre Fournier nous l’a répété tantôt : la production à domicile sera impossible à gérer. C’est aussi une production qui fera en sorte que le marché régulier ne sera pas captif pour ces gens-là.

Est-ce que le fait de maintenir la production de quatre plants de marijuana dans le projet de loi ne favorise pas une forme de criminalité, que je qualifierais de nature grise, c’est-à-dire pas le crime organisé, mais une forme de marché parallèle qui risque d’avoir des conséquences sur le marché dit légal?

[Traduction]

M. Blair : Merci beaucoup, sénateur. Je tiens à ce que les choses soient claires. Ces règlements ne permettent pas l’existence des marchés. J’ai collaboré étroitement avec le groupe de travail lorsque la question de la culture à des fins personnelles a été étudiée de façon approfondie par ce comité.

Nous avons parlé à des représentants de nombreuses provinces où l’on croyait que la culture à des fins personnelles permettrait un accès raisonnable, comme l’ont déclaré les tribunaux, aux personnes qui ne peuvent peut-être pas se permettre de participer au marché régulier pour des raisons financières.

Lorsque vous utilisez le mot « marché », j’aimerais préciser que ce marché est absolument interdit. En effet, la vente de toute quantité de cannabis produite à l’extérieur du régime autorisé est une infraction criminelle grave. Ainsi, si une personne cultivait, à des fins personnelles, une quantité de cannabis d’au plus quatre plants, toute tentative de vendre cette production sur le marché représenterait une infraction criminelle grave en vertu de cette loi. La quantité permise de quatre plants a été jugée raisonnable, selon notre expérience dans d’autres pays et dans le cadre du régime médical. C’était une quantité de plants appropriée pour l’utilisation personnelle, et cette production ne peut toujours pas être vendue.

Nous avons indiqué que toute culture dépassant quatre plants représenterait une infraction en vertu du projet de loi C-45, et tout effort ou même l’intention de vendre cette production représenterait…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, vous n’êtes pas d’accord avec le ministre Fournier sur le fait que cela risque de créer un marché parallèle, et que ce marché sera impossible à contrôler par les corps policiers canadiens.

[Traduction]

En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Je peux vous dire que je m’occupe de ce marché criminel depuis des décennies. Ce ne sont pas quatre plants que nous avons trouvés lorsque nous sommes entrés dans des résidences qui étaient devenues des plantations de cannabis. Nous avons trouvés 400 plants et dans certains cas, 4 000 plants. Ces maisons avaient été converties dans le seul but de cultiver du cannabis, et il s’agissait d’exploitations commerciales. Cette activité demeure une infraction criminelle grave.

Je comprends le point que font valoir les organismes d’application de la loi au sujet de la difficulté de faire respecter la limite de quatre plants. Toutefois, j’aimerais faire valoir qu’il est tout aussi difficile de faire respecter une limite d’aucun plant. En effet, il est toujours difficile d’entrer dans une maison sans motifs raisonnables et probables et sans mandat de perquisition.

Dans le projet de loi, il est indiqué très clairement que le seuil de ce qui représente une infraction est plus élevé que la culture de quatre plants. Ce qui représente une infraction criminelle grave, c’est l’intention de faire le trafic ou faire le trafic de cette drogue.

Bien franchement, les organismes d’application de la loi ont tous les outils dont ils ont besoin pour mener une enquête, porter des accusations et intenter des poursuites en justice relativement à ces infractions, car le fait de cultiver le cannabis dans le but de le vendre ou vendre ce produit demeure une infraction criminelle grave en vertu du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je veux parler d’un autre enjeu : la question de l’actionnariat. Je regarde la liste des compagnies qui sont propriétaires de cannabis médical, à l’heure actuelle, et qui détiennent les licences. Je pense par exemple à Aurora Cannabis, où 32,2 millions de dollars proviennent des îles Caïmans; à CannTrust Holding, où 2 millions de dollars proviennent des îles Caïmans; à Supreme Cannabis Compagny, où 10,5 millions de dollars proviennent des îles Caïmans. Je nomme les îles Caïmans, car nous savons tous qu’il s’agit d’un paradis fiscal, mais il y en a d’autres, comme Malte, et cetera.

On ne sait pas qui se cache derrière ce financement. On veut tendre vers l’objectif de limiter le marché noir et de limiter la présence du crime organisé, qui contrôlerait des compagnies de cannabis et qui ferait donc indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement, mais même si on mène toutes les inspections voulues, il s’agit de gens qui sont à l’extérieur du pays, dont il est difficile de contrôler ou de vérifier la probité. Comme je l’ai dit plus tôt, partout ailleurs, de toute façon, c’est illégal, et le Canada n’aura pas le droit d’exporter du cannabis, comme il est indiqué dans le projet de loi.

Donc, monsieur le secrétaire parlementaire, pour pouvoir contrôler facilement et procéder à une meilleure vérification des actionnaires des compagnies productrices, seriez-vous ouvert à ce qu’on limite l’actionnariat des compagnies productrices à des actionnaires canadiens seulement, et qu’on limite le contrôle ou l’actionnariat étranger des compagnies productrices de cannabis?

[Traduction]

M. Blair : Bien honnêtement, sénateur, votre dernière question ne relève pas vraiment de mon champ d’expertise, mais je peux vous parler de ce qui existe actuellement à cet égard. Il existe déjà des règlements relatifs aux investissements étrangers et à la surveillance.

J’aimerais attirer votre attention sur un point. Ce projet de loi exigera que les organismes qui obtiennent et conservent des permis de production et de transformation du cannabis soient assujettis à une plus grande transparence financière. Santé Canada peut obtenir les documents de ces transactions financières et de ces investissements. Ces mesures sont prévues dans le projet de loi.

J’ai travaillé dans le domaine du crime organisé pendant de nombreuses années. Les membres des organisations criminelles n’aiment pas la transparence. Ils n’aiment pas la lumière du jour. Ils n’aiment pas que leurs activités secrètes puissent être mises à jour. Nous avons enchâssé des mesures de protection dans le projet de loi.

Il existe déjà des systèmes qui visent les investissements étrangers effectués dans les entreprises canadiennes. Dans ces règlements, il existe des vérifications des antécédents plus approfondies pour les principaux participants de l’entreprise et ceux qui ont des postes de propriété et qui ont une influence sur l’exploitation de l’entreprise, afin de maintenir son intégrité.

Je sais que les organismes d’application de la loi, comme nous tous, sont préoccupés par les efforts des organisations criminelles pour infiltrer ce nouveau marché. J’aimerais seulement faire valoir que pendant près d’un siècle, ces organisations ont contrôlé la totalité de cette entreprise criminelle. Elles en ont tiré des profits de plusieurs milliards de dollars chaque année. Honnêtement, c’est un marché sans entrave. Ces organisations ne font face à aucune concurrence et elles ne sont visées que par de très faibles mesures de contrôle.

Par la mise en œuvre de ces règlements, par la création d’une industrie concurrentielle et à l’aide des règlements que nous avons pris relativement aux vérifications des antécédents, aux exigences en matière de sécurité et aux plans de sécurité, ainsi qu’en raison de la plus grande transparence financière exigée dans la loi, nous avons créé un environnement qui ne favorise pas les activités des organisations criminelles. Toutefois, nous devons toujours faire preuve de vigilance.

J’aimerais utiliser une phrase que j’ai déjà utilisée à de nombreuses reprises. Je considère réellement qu’il s’agit d’un processus de mise en œuvre et non d’un simple évènement. En effet, on exige que Santé Canada, Sécurité publique Canada, la GRC et les organismes d’application de la loi continuent de surveiller l’intégrité de ces organisations et l’ensemble du système pour maintenir l’intégrité de ce système et la confiance qu’il doit inspirer aux Canadiens relativement au fait qu’il ne sera pas infiltré par les organisations criminelles.

Ces organisations criminelles œuvrent dans ce domaine depuis longtemps. Toutefois, dès l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, il leur sera beaucoup plus difficile de mener leurs activités. Nous voulons nous assurer qu’elles ne tentent pas de contrôler ce milieu par des voies détournées. Nous avons prévu un très grand nombre de mesures de surveillance à cet égard.

La sénatrice Batters : Monsieur Blair, je ne suis pas certaine du rôle que vous jouez aujourd’hui. Vous n’êtes pas ministre. Vous n’êtes pas vraiment un témoin. Vous êtes ici pour faire la promotion du projet de loi de votre gouvernement.

Pendant les cinq années où j’ai été membre de ce Comité des affaires juridiques, nous ne nous sommes pas retrouvés dans une situation où, tout d’abord, nous avons reçu seulement des hauts fonctionnaires à l’exception des sous-ministres, ensuite la ministre de la Justice et maintenant un secrétaire parlementaire. De plus, on a accordé beaucoup de temps à toutes ces personnes pour qu’elles livrent de longs exposés qui font la promotion de ce projet de loi.

Voici donc ma question. Le projet de loi de votre gouvernement permet à chaque foyer du Canada d’avoir quatre plants. Actuellement, si la police voit un plant de marijuana par la fenêtre d’un domicile ou sent l’odeur de la marijuana dans un corridor d’appartement, elle a probablement un motif raisonnable de mener une perquisition, car en ce moment, la marijuana est illégale.

Puisque votre projet de loi indique que la culture de quatre plants à domicile est légale, la police aura énormément de difficulté à obtenir ce motif raisonnable de mener une perquisition pour fermer les immenses plantations dont nous avons entendu parler et qui existent dans des États comme le Colorado, où cette substance est légale. Nous avons vu que des membres d’organisations criminelles vident complètement des maisons pour les transformer en immenses plantations, comme vous l’avez mentionné dans votre exposé.

Pourquoi faites-vous cela?

M. Blair : Permettez-moi d’apporter des précisions sur ce qui se trouve dans le projet de loi C-45. Nous avons créé une infraction qui s’applique à la culture de plus de quatre plants. Nous avons conservé les infractions criminelles relatives à l’intention de faire le trafic de toute quantité cultivée et relatives au trafic de toute quantité de cannabis cultivé par un individu.

Dans le cadre de nos discussions avec les hauts représentants des provinces et des territoires, nous leur avons expressément expliqué qu’ils ont non seulement le droit, mais également la responsabilité, de mettre en œuvre des règlements qui veillent à ce que cela puisse être fait dans leurs collectivités et dans le contexte de leurs collectivités d’une façon qui est responsable, qui permet de protéger les enfants et qui correspond à nos objectifs communs.

Dans mes déplacements d’un bout à l’autre du pays, j’ai constaté qu’il y avait consensus sur le fait que le système actuel ne répond pas aux besoins de nos jeunes. Nous devons faire mieux. Peu importe les règlements pris relativement à ces quatre plants ou peu importe ce qu’on choisit de faire, cela doit correspondre aux objectifs qui visent à empêcher les jeunes d’avoir accès à ce produit et à empêcher l’infiltration des organisations criminelles.

Vous avez fait référence à certains États américains. Bien honnêtement, il y a eu un gros problème dans un certain État, car les organisations criminelles exploitaient la culture à des fins personnelles. Toutefois, dans cet État, on n’avait pas mis en œuvre un système de permis de production comme celui prévu dans le projet de loi C-45. En effet, la plus grande partie de la culture était effectuée en milieu personnel et c’est cette faiblesse qui a été exploitée. Nous avons appris de cette situation. Nous les avons écoutés.

La sénatrice Batters : Pourquoi éliminez-vous les outils dont dispose la police?

M. Blair : En toute déférence, nous n’éliminons aucun outil. En fait, nous conservons tous les outils déjà à la disposition de la police. Nous créons également une grande concurrence dans ce qui est actuellement un marché criminel sans entrave.

La sénatrice Eaton : Je suis certaine qu’il y a une bonne raison, mais pourquoi le projet de loi criminalise-t-il une personne âgée de 18 ans moins un jour si elle est en possession de 5 grammes? Pourquoi n’a-t-on pas plutôt utilisé un régime de contravention?

Nous avons déjà posé ces questions, et j’ai entendu des réponses selon lesquelles le fait de porter des accusations contre une personne de 17 ans en possession de 5 grammes permettra d’avertir ses parents. Je ne sais pas pourquoi on ne pourrait pas donner une contravention à une personne de 17 ans. Un policier, en découvrant l’âge de la personne, pourrait l’informer qu’il doit communiquer avec ses parents pour les mettre au courant de l’infraction ou il pourrait envoyer la contravention aux parents.

Quelle était la raison de criminaliser les jeunes de moins de 18 ans?

M. Blair : Je tiens à être très clair. L’une des choses que nous avons clairement indiquées, c’est que nous tenions à éliminer ou à réduire les dommages sociaux ou liés à la santé relatifs à l’utilisation du cannabis et à la façon dont cette substance est contrôlée.

La sénatrice Eaton : Je comprends cela.

M. Blair : L’un des dommages cernés était la criminalisation de nos enfants. Nous voulions veiller à ce que les enfants ne soient pas exposés au trafic ou impliqués dans le trafic et c’est pourquoi nous indiquons, dans le projet de loi, qu’au-delà d’une certaine quantité, à savoir 5 grammes, cela relève toujours du droit criminel.

J’ai entendu plusieurs interprétations incorrectes. Je suis très heureux d’avoir l’occasion d’apporter des éclaircissements à cet égard. Nous avons parlé aux représentants de toutes les provinces et de tous les territoires. Nous avons collaboré étroitement avec les ministres de la Justice. Je tiens à préciser à tous les sénateurs et sénatrices que dans toutes les provinces et territoires du Canada, et que dans tous les endroits, il existera une interdiction absolue et exécutoire sur l’achat, la possession et la consommation du cannabis par une personne mineure.

Cette interdiction sera exécutoire par l’entremise de règlements provinciaux et territoriaux. Il s’agit d’un régime de contravention qui prévoit une sanction civile, une amende ou d’autres mesures de justice réparatrice, mais qui n’entraîne pas la création d’un casier judiciaire pour la personne mineure.

J’ai entendu qu’on avait laissé entendre que…

La sénatrice Eaton : Pourriez-vous ralentir? Si je suis au Manitoba, où l’âge de la majorité est de 21 ans, et que j’ai moins de 21 ans, vous me donnerez une contravention.

M. Blair : Les règlements provinciaux seront fondés sur l’âge de la majorité au Manitoba. C’est l’âge déterminé par toutes les provinces sauf une ou par la majorité des provinces. Les personnes mineures sont visées par une interdiction absolue et exécutoire sur l’achat, la possession et la consommation de cannabis; ces infractions feront l’objet d’une contravention.

En passant, c’est exactement de cette façon qu’on gère l’alcool dans toutes les provinces et tous les territoires du pays.

La sénatrice Eaton : Si j’ai 17 ans et que je suis au Manitoba, je n’aurai pas de casier judiciaire.

M. Blair : Non, madame. Ce n’est pas seulement au Manitoba. C’est vrai dans chaque province et chaque territoire du pays. L’interdiction est complètement exécutoire par l’entremise de règlements provinciaux et n’entraîne pas la création d’un casier judiciaire. C’est l’un des dommages que nous espérons éliminer.

Le sénateur Pratte : Des témoins qui ont comparu devant nous ont exprimé une préoccupation selon laquelle les vérifications de sécurité et les enquêtes ne seront peut-être pas en mesure de viser des individus liés aux organisations criminelles, par exemple les sociétés à dénomination numérique, les fiducies, et cetera.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la capacité de ces enquêtes de cibler des individus qui tenteront manifestement de diriger les sociétés qui s’efforcent d’obtenir des permis?

M. Blair : Si vous me le permettez, le régime de vérification des antécédents qui sera mis en œuvre pour la production autorisée de cannabis dans le cadre du projet de loi C-45 exige de mener un processus de vérification de la sécurité personnelle rigoureux qui vise tous les employés clés et tous les administrateurs et les dirigeants de la société. Personne n’aura le droit de présenter une société à dénomination numérique qui cache ses participants. Tous les employés clés, y compris tous les administrateurs et les dirigeants de la société, doivent subir une vérification de sécurité approfondie et obtenir une autorisation avant d’obtenir un permis.

De plus, les personnes qui occupent des postes importants au sein des sociétés qui obtiennent un permis doivent également utiliser ce processus d’autorisation de sécurité rigoureux. Cela comprend les gens qui participent à l’expédition et au transport du cannabis, à l’établissement ou à la modification des procédures opérationnelles de la société ou même les gens qui s’occupent des dispositions relatives à la sécurité. Les exigences en matière de sécurité sont très élevées pour ces sociétés détentrices de permis. En effet, elles doivent notamment présenter un plan de sécurité au ministre de la Santé et être assujetties à des inspections constantes, et pas seulement au moment où elles obtiennent un permis. Des inspections, des vérifications et une surveillance sont toujours en cours.

J’ai également mentionné qu’une disposition du projet de loi prévoit une plus grande transparence financière à l’égard des personnes et des fonds liés à ces sociétés, afin que l’information puisse être connue et assujettie à des vérifications des antécédents. C’est un processus très rigoureux.

Actuellement, rien n’a été mis en œuvre. Les organisations criminelles dans ce domaine mènent leurs activités en secret. Ce projet de loi permettra d’exercer un contrôle réglementaire strict sur l’ensemble de l’industrie de la production. Elle sera assujettie à une surveillance, à une gouvernance, à des vérifications, à des rappels et à une reddition de comptes.

Le sénateur McIntyre : Bienvenue au comité, monsieur Blair. Ma question concerne les coûts liés aux soins de santé qui découlent de la légalisation de la marijuana.

Comme nous le savons, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont intenté des poursuites judiciaires contre les sociétés productrices de tabac pour réclamer des milliards de dollars en coûts liés à la santé.

Cela dit, puisque le gouvernement fédéral pourrait, au bout du compte, être tenu responsable de la légalisation de la marijuana, le gouvernement du Canada a-t-il tenté d’obtenir des conseils juridiques ou le ministère de la Justice a-t-il mené une analyse juridique pour déterminer le risque que des recours collectifs soient intentés contre le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux ou les entreprises productrices de marijuana pour la production et la distribution de marijuana?

M. Blair : Je ne suis au courant d’aucun examen de ce type mené par le ministère de la Santé ou le ministère de la Justice, mais j’aimerais simplement souligner que le système de contrôle du cannabis actuel, qui utilise les peines criminelles, a engendré une situation dans laquelle notre pays a les taux les plus élevés d’utilisation du cannabis chez les jeunes à l’échelle mondiale.

Le cannabis qu’ils utilisent n’a pas été soumis à des tests et n’est pas réglementé. Il contient souvent des produits chimiques modifiés ou même des drogues dangereuses ou de nombreux produits impropres à la consommation. Actuellement, nos enfants ont beaucoup trop facilement accès à cette substance.

Nous croyons que, en raison de notre responsabilité à l’égard de la santé et de la sécurité de ces enfants, nous devons restreindre davantage leur accès à ce produit en mettant en œuvre un contrôle réglementaire et une interdiction exécutoire à cet égard. L’interdiction en vigueur n’est manifestement pas efficace pour presque le tiers de nos enfants. Nous tentons de mettre en œuvre un processus plus efficace.

Nous effectuons également des investissements importants dans l’information sur la santé publique. Il s’agit d’un cadre de santé publique pour le contrôle du cannabis. À ce jour, nous avons annoncé des investissements de 108,5 millions de dollars dans la sensibilisation du public, afin de fournir des renseignements aux jeunes, à leurs parents, à leurs enseignants, à leurs fournisseurs de soins de santé et à leurs pairs, en vue de les aider à faire des choix plus sains et plus sûrs.

Le cannabis qui sera offert pour la consommation chez les adultes contiendra, pour la première fois, une étiquette de mise en garde contre les risques pour la santé. Cette étiquette fournira des indications précises sur la concentration, le contenu et la pureté des produits ingérés par les adultes canadiens. Nous croyons que ces mesures améliorent grandement l’utilisation sécuritaire potentielle qui existe actuellement au pays.

Par l’entremise d’une campagne de sensibilisation du public, nous croyons que nous pouvons dissuader les jeunes de commencer à utiliser cette drogue, et que les adultes qui choisissent de l’utiliser pourront faire des choix moins risqués, plus sains, plus sécuritaires et plus socialement responsables.

Le sénateur McIntyre : Je vous suis reconnaissant de votre réponse, monsieur Blair, mais pour revenir à la question de l’avis juridique, pourriez-vous découvrir si le gouvernement du Canada a tenté d’obtenir des conseils juridiques et si le ministère de la Justice a effectué une analyse juridique sur le risque que des recours collectifs soient intentés contre les parties que je viens tout juste de mentionner?

Si c’est le cas, allez-vous fournir au comité une copie de tous les avis juridiques?

M. Blair : Je vais me renseigner à ce sujet, monsieur. Si un tel avis existe, je recommanderais au ministère de le fournir. Je n’ai pas ce pouvoir, mais j’informerai certainement la ministre de votre demande.

Le sénateur Gold : Je vous souhaite la bienvenue à nouveau. Je suis ravi que vous comparaissiez devant nous.

Un peu plus tôt aujourd’hui, on nous a parlé des effets que pourrait avoir le projet de loi sur la lutte visant à réduire l’influence qu’a le crime organisé sur le marché du cannabis.

Compte tenu de votre vaste expérience, je me demande si vous pouvez en dire un peu plus sur les consultations que vous avez menées auprès de la GRC et des forces policières, qu’il s’agisse de services de police provinciaux ou municipaux, au pays.

Selon vous, dans quelle mesure le projet de loi permettra-t-il de réduire la présence du crime organisé dans le marché du cannabis au fil du temps?

M. Blair : Dès le départ, nous avons commencé à rencontrer l’Association canadienne des chefs de police, l’Association canadienne des policiers et des gens qui, en fait, participent à ces enquêtes sur le crime organisé. De plus, nous avons mené de vastes consultations auprès des États de Washington et de l’Oregon, par exemple, qui ont eu un peu la même expérience pour essayer de tirer des leçons sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Il est très important que dans le cadre de ces mesures législatives, nous maintenions les autorités d’application et d’enquêtes qui existent présentement au sein de la police. Dans le cadre de nos discussions, nous avons appris que les ressources nécessaires pour mener ces enquêtes avaient été sérieusement restreintes. Nous nous sommes engagés à réinjecter des fonds dans la GRC pour les enquêtes sur le crime organisé et à aider l’AFSC à protéger l’intégrité des frontières. Nous avons même fait une annonce importante concernant les enquêtes sur les gangs et les armes à feu. Presque 100 millions de dollars seront investis partout au pays.

Je viens de Toronto. Une énorme partie des activités des gangs, et certainement de la violence des gangs dont nous sommes témoins dans la collectivité, est directement liée aux conflits violents qui règnent entre les membres de ces gangs au sujet du territoire sur lequel ils vendent du cannabis. Le trafic de cannabis illégal dans nos collectivités entraîne de nombreuses activités criminelles organisées et de la violence.

D’après mon expérience relative à un autre enjeu lié à la lutte contre la criminalité, lorsque j’étais un jeune policier, dans les années 1970, chaque division de la police à Toronto comptait une unité de lutte contre les jeux illégaux. J’en faisais partie. Chaque soir, nous éliminions des maisons de jeux illégales. Dans les quartiers généraux, nous faisions de l’écoute électronique à deux ou trois reprises chaque année pour trouver des gens qui participaient à des paris hors-piste, à des rackets de jeux de nombres, et cetera.

Cela représentait une très grande partie des opérations de la police à Toronto dans les années 1970. Ensuite, au milieu des années 1970 environ, et cela a commencé en fait avec la loterie olympique à Montréal, qui s’est transformée en autres choses par la suite, le gouvernement a commencé à modifier son approche à l’égard du jeu et a commencé à le réglementer, par des loteries au départ et par des casinos plus tard. Je peux vous dire que de nos jours, aucun service de police au Canada n’a d’unité permanente de lutte contre le jeu.

Nous travaillons étroitement, surtout par l’intermédiaire des services de police provinciaux et de la GRC, avec les commissions de jeu du pays. Je n’irais pas jusqu’à dire que le problème des jeux illégaux contrôlés par le crime organisé a complètement disparu, mais il a été réduit à un problème de sécurité publique peu important dans nos collectivités. C’est parce qu’on a donné aux Canadiens une option d’activités légales, la possibilité d’opter pour une industrie réglementée plus sécuritaire pour eux. Ils n’étaient pas exposés à des criminels et à la violence qui est associée. Ils ont fait ce choix.

Je crois que cette expérience peut nous éclairer quant à ce qui se passera avec le temps pour les adultes canadiens qui décideront de se procurer du cannabis. On leur donnera le choix de l’obtenir d’une source qui leur permet de connaître la puissance, la provenance et la pureté du produit qu’ils achètent; qui leur offre un prix, un accès, une qualité et un choix compétitifs; et qui est légitime. Il n’y a aucun stigmate social associé à son achat.

Ils feront des choix plus responsables sur le plan social. Je pense que cela menace directement la rentabilité scandaleuse des activités du crime organisé. Éliminer les profits les plus faciles que ces criminels n’ont jamais faits rendra nos collectivités plus sûres. Je sais qu’il y aura des effets directs sur le nombre d’actes de violence qui sont commis par les gangs de rue dans nos collectivités. Retirer les profits de ces entreprises criminelles rend nos collectivités plus sûres et fait en sorte que les Canadiens et nos enfants sont mieux protégés.

Le président : La seule observation que j’ajouterais, c’est que malheureusement, contrairement au jeu, le cannabis rivalise avec d’autres compétiteurs, soit toutes les autres drogues qui sont vendues sur le marché. Le crime organisé voudra toujours rester dans le marché pour vendre d’autres drogues que recherchent les consommateurs.

À mon avis, nous ne pouvons pas dissocier la consommation de cannabis du fait que d’autres drogues seront aussi illégales, ce qui permettra au crime organisé de rester actif en vendant les autres drogues.

M. Blair : Je peux vous assurer que la police demeure entièrement déterminée à cet égard. J’ai travaillé au sein de la police pendant quatre décennies. Je sais que les personnes qui y travaillent actuellement sont absolument déterminées à lutter contre le crime organisé et les effets insidieux qu’il a sur toutes nos collectivités.

C’est de l’argent très facilement gagné pour des entreprises criminelles, et nous leur retirons une partie importante de leurs possibilités actuelles.

Le président : Je vous remercie d’avoir participé à la séance cet après-midi, et ce, au-delà de l’heure prévue. Nous vous en remercions.

Voulez-vous dire quelque chose, sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui. Concernant la discussion que nous aurons demain au sujet des recommandations du rapport, je propose que nous la tenions en séance publique.

Lorsque j’ai fait cette proposition la semaine passée, j’ai dit que c’était important pour l’ouverture et la transparence, étant donné que nous avons tenu toutes nos audiences en public. Nous aurons une discussion importante au sujet des recommandations qui pourraient être exigées dans le rapport. Le public pourrait ainsi entendre nos arguments, d’un côté comme de l’autre.

Lorsque nous avons eu cette discussion, le sénateur Sinclair, un membre régulier de ce comité a indiqué ceci : « À ce moment-ci, nous n’avons pas encore discuté du processus par lequel nous discuterons des amendements potentiellement apportés au projet de loi ». Il a dit ensuite ceci : « Je crois que cette partie de notre discussion devrait être publique. »

Le sénateur Gold a aussi formulé des observations. Il semblait indiquer que la partie portant sur le processus devrait se passer à huis clos, mais je pense qu’il nous amenait vers la discussion concernant les recommandations en tant que telles, ce qui devrait être public.

Le président : Sénatrice, je suis sûr que nous aurons l’occasion de discuter de cette question au début de notre séance de demain.

Avez-vous d’autres commentaires, sénateurs? Je vais lever la séance.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pour revenir sur le sujet de la sénatrice Batters, est-ce qu’il est possible que cela soit traité en public?

[Traduction]

Le président : Bien sûr. La première décision, c’est de savoir si c’est à huis clos. C’est habituellement la procédure.

Le sénateur Boisvenu : D’accord. Bien.

[Français]

La sénatrice Dupuis : La semaine dernière, on a décidé que ce serait à huis clos. C’est ce qui avait été décidé.

Le sénateur Boisvenu : C’était pour la séance.

[Traduction]

La sénatrice Batters : La décision concernait le processus.

[Français]

La sénatrice Dupuis : On a parlé la semaine dernière de la décision de discuter du rapport à huis clos. C’est le vote qu’on a tenu. Je ne vois pas pourquoi on remet en question ce qui a déjà été décidé.

[Traduction]

Le président : Je vais examiner le procès-verbal du comité. Sur cette base, je crois que nous pourrons procéder en fonction de la décision qui a été prise la semaine dernière lorsque nous en avons discuté.

Cela dit, si cela convient à tout le monde, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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