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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 42 - Témoignages du 2 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour examiner le projet de loi

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de vous accueillir cet après-midi pour reprendre notre étude du projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Nous avons le privilège d’accueillir cet après-midi M. Brian Leck, chef des services juridiques et avocat général de la Toronto Transit Commission. Bienvenue, maître Leck. Il est accompagné par Mme Megan MacRae, directrice générale, Ressources humaines. Bonjour, madame MacRae.

[Français]

Nous accueillons également, par vidéoconférence, Mme Nathalie Léveillé, coordonnatrice, Conformité et affaires juridiques, Association du camionnage du Québec.

[Traduction]

Si Me Leck et Mme MacRae sont d’accord, nous allons commencer par entendre Mme Léveillé, puisque nous sommes en vidéoconférence. Nous ne disposons pas de beaucoup de temps et la technologie peut avoir des pannes, comme nous l’avons appris quelques fois.

[Français]

Madame Léveillé, nous allons donc débuter avec vous.

Nathalie Léveillé, coordonnatrice, Conformité et affaires juridiques, Association du camionnage du Québec : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous et d’avoir accepté d’entendre la position de l’Association du camionnage du Québec au sujet du projet de loi C-46.

J’occupe le poste de coordonnatrice de la Conformité et des affaires juridiques au sein de l’ACQ depuis bientôt sept ans. Mon rôle principal consiste à fournir des conseils juridiques de première ligne à nos membres.

L’ACQ représente plus de 500 entreprises, réparties entre des transporteurs de marchandise publics et privés et des fournisseurs de produits et de services. Nos membres font du transport partout en Amérique du Nord et ils effectuent près de 80 p. 100 des opérations de transport contre rémunération au Québec.

Notre industrie est très préoccupée par la légalisation du cannabis et croit que cela aura des impacts sur la société, de manière générale, mais en particulier dans les milieux de travail, ainsi que sur la sécurité routière. Les transporteurs ont travaillé en amont au cours des dernières années afin de veiller à ce que les conducteurs de véhicules lourds qui prennent la route soient aptes au travail et n’aient pas les facultés affaiblies, soit par la drogue ou par l’alcool. Il ne faut pas oublier que lorsqu’un conducteur quitte son terminal, il devient difficile pour le transporteur d’exercer une quelconque supervision ou un suivi sur son employé, parce que son lieu de travail est son camion et qu’il est en constant déplacement.

Il est toutefois bien connu dans l’industrie que la majorité des entreprises de transport ont adopté depuis longtemps des politiques internes de tolérance zéro en matière de drogue et d’alcool. D’ailleurs, les efforts semblent avoir porté leurs fruits, puisqu’à l’échelle du pays, les camions sont parmi les véhicules les plus sécuritaires que l’on retrouve sur la route, en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies. L’industrie du camionnage souhaite, évidemment, que cela se poursuive.

Compte tenu des risques pour la sécurité associés à la consommation de l’alcool et des drogues, y compris du cannabis, notre association appuie l’approche de tolérance zéro que préconise le gouvernement en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies. Nous sommes cependant préoccupés par le fait qu’il ne semble pas encore y avoir d’appareil de détection approuvé qui soit disponible, et nous nous questionnons à savoir si les ressources policières seront prêtes à temps et en nombre suffisant.

Par ailleurs, nous sommes d’avis que le gouvernement a également la responsabilité de fournir aux employeurs des directives claires sur les attentes en milieu de travail en ce qui concerne la consommation d’alcool et de drogue. Si la responsabilité de gérer le risque est transférée aux employeurs, nous croyons qu’il est impératif que les employeurs soient autorisés à mettre en place et à appliquer des mesures qui visent à atténuer les risques, non seulement pour les employés des transporteurs, mais également pour le public.

À notre avis, cela devrait également inclure la possibilité de mettre en œuvre des politiques exhaustives en matière de tests en milieu de travail, comme celles qui sont exigées par l’administration fédérale américaine responsable de la sécurité des transporteurs routiers, la Federal Motor Carrier Safety Administration (FMCSA). En effet, depuis 1995, les transporteurs canadiens et les conducteurs de véhicules lourds qui circulent en sol américain sont soumis à une réglementation très stricte en matière de tests de dépistage de l’alcool et des drogues. Cela inclut notamment des tests aléatoires, des tests post-accident, et des tests de suivi lors d’un retour au travail. Or, depuis la mise en œuvre de ce système de tests, on peut affirmer que les préoccupations de l’industrie en ce qui a trait aux drogues et à l’alcool ont été pratiquement éliminées.

En terminant, l’Association du camionnage du Québec croit qu’il est essentiel que le Canada aille de l’avant et fasse la même chose en ajoutant une disposition soit dans le projet de loi C-46, le projet de loi C-45 ou, encore, en modifiant le Code du travail. L’élaboration d’un programme complet de tests en milieu de travail pour les conducteurs professionnels, y compris des tests aléatoires, nous apparaît raisonnable et nécessaire lorsqu’il est question de postes comme ceux des conducteurs où la sécurité est essentielle.

Je vous remercie de m’avoir écoutée. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions du mieux que je le pourrai.

Le président : Merci beaucoup, madame Léveillé.

[Traduction]

Maître Leck, c’est un plaisir de vous accueillir. Je crois savoir que vous allez faire un exposé. Je pense qu’il a été distribué. Les honorables sénateurs ont votre texte sous les yeux. Maître Leck, vous avez la parole.

Brian Leck, chef des services juridiques et avocat général, Toronto Transit Commission : Monsieur le président, honorables membres du comité, c’est un plaisir d’être ici. Nous pensons qu’il s’agit là d’un sujet extrêmement important et nous espérons pouvoir contribuer utilement à vos délibérations.

Tout comme divers autres employeurs, y compris les représentants que vous venez d’entendre et ceux qui vont suivre, la TTC recommande que le projet de loi C-46 soit modifié ou que le Code canadien du travail le soit pour prévoir un processus réglementaire de dépistage des drogues et de l’alcool permettant de vérifier l’aptitude des employés à exercer leurs fonctions dans les industries où la sécurité est essentielle, en particulier dans le secteur des transports. Cela comprendrait les tests préalables à l’emploi et au retour au travail, les tests de suivi d’un incident ou fondés sur un motif raisonnable et, surtout, les tests aléatoires. Il faudrait ensuite que les provinces prennent des mesures appropriées et poursuivent ce qu’a commencé le gouvernement fédéral.

J’en viens à l’essentiel et je dirais peut-être que le sujet le plus controversé avec ce genre de cadre législatif est celui des tests aléatoires de dépistage des drogues, en particulier lorsqu’il s’agit de consommation de marijuana et d’utiliser la salive. Je vous invite à examiner trois questions qui sont souvent mal comprises. Pourquoi la technologie basée sur la salive est-elle préférable à l’analyse d’urine et aux autres techniques? Pourquoi est-ce que les tests prévus par la loi devraient viser également les lieux de travail comme le souhaite le gouvernement fédéral, compte tenu de la situation actuelle? Et troisièmement, pourquoi le respect de la vie privée garanti par la Charte et par les lois relatives aux droits de la personne n’interdit pas ces mesures?

Je vais commencer par la technologie. Megan MacRae vous en dira davantage sur ce sujet, mais il me paraît important de comprendre les principes essentiels. Je crois qu’ils circulent beaucoup de faussetés au sujet des tests de salive. Je vais faire référence à la décision qu’a rendue le juge Marrocco. La TTC a lancé, comme vous le savez peut-être, en mai 2017, un programme de tests aléatoires de dépistage de l’alcool et des drogues. Nous utilisions les tests de salive dans le cadre de notre politique générale depuis environ huit ans et nous avons connu une longue et difficile période d’arbitrage. Ce n’est pas tant les tests de salive, mais les tests aléatoires que nous avions introduits, qui ont débouché sur une demande d’injonction présentée par le syndicat, pour essayer de mettre un terme à ces tests. L’honorable juge Marrocco, le juge en chef adjoint de l’Ontario, a autorisé la TTC à poursuivre son programme en utilisant les méthodes d’analyse prévues par sa politique.

Je peux vous dire que les technologies utilisées sont fiables et appropriées pour les tests effectués en milieu de travail. Le juge Marrocco déclare à la page 52 de la décision :

[…] les procédures et les méthodes que la [TTC] a retenues pour effectuer ces tests aléatoires de dépistage des drogues sont… supérieures aux autres techniques de dépistage des drogues qui existent sur le marché.

Autrement dit, le programme de dépistage de la TTC fait appel à la technologie la plus moderne et la plus fiable.

Pour bien comprendre la façon dont cette technologie est utilisée, il faut savoir que l’analyse de la salive permet de dépister la consommation récente de drogue. C’est un aspect fondamental qu’il est important de connaître pour comprendre ce qu’est l’analyse de la salive. Elle permet de dépister une consommation récente et si le seuil est fixé au-delà d’une certaine quantité, alors cette combinaison constitue une preuve forte qu’il y a un affaiblissement probable des capacités. La probabilité de l’affaiblissement des capacités est constatée au moment de l’analyse.

Cela est très différent de l’analyse d’urine, qui permet de dépister le THC dans le système, mais cette analyse ne permet pas de savoir si les capacités de la personne en question sont affaiblies au moment où elle travaille. Si le Canada et le gouvernement fédéral légalisent la marijuana, il est possible de penser que certains citoyens en feront une consommation à des fins récréatives et que cette consommation laissera quelques composantes résiduelles. Si quelqu’un fume un vendredi soir, il pourrait y avoir des effets résiduels qu’il serait possible de dépister avec un test d’urine. Ce n’est pas ce qui se passe avec la salive. L’analyse de la salive permet de savoir immédiatement si les capacités d’une personne au travail sont affaiblies. C’est important sur le plan, notamment, du respect de la vie privée.

Le juge reconnaît que la TTC a adopté des seuils élevés qui créent de courtes plages pour le dépistage. Par exemple, pour la marijuana, le seuil qui permet de conclure à un résultat positif est de 10 nanogrammes par millilitre de THC, et ce seuil est sensiblement plus élevé que ceux qui sont utilisés ailleurs. Cela limite en fait la plage de dépistage à environ quatre heures avant le test, ce qui permet de savoir si une personne a fumé ou consommé quelque chose peu de temps avant de se rendre à son travail ou d’arriver sur son lieu de travail.

Ensuite, il est important de noter que le juge Marrocco se fonde sur le témoignage d’experts, y compris sur des données scientifiques et cliniques, pour faire le commentaire suivant :

Je suis convaincu… [que] les périodes prévues pour déterminer si des échantillons de salive donnent un résultat positif pour les drogues…

Autrement dit, un résultat supérieur à ces 10 nanogrammes par millilitre pour la marijuana.

… chevauchent les périodes au cours desquelles ces drogues peuvent affaiblir les capacités cognitives et psychomotrices de la personne visée par l’analyse. Par conséquent, il est probable que la personne pour laquelle les résultats sont positifs avait les capacités affaiblies au moment du test.

Entre autres, les employés qui ont tendance à consommer des drogues seront dissuadés de le faire. Ils vont se faire connaître et demander d’eux-mêmes de l’aide ou ils seront carrément dissuadés de le faire, car sinon ils risqueraient d’être finalement repérés.

Je vais dire quelques mots sur la notion de lieu de travail. Encore une fois, je vais citer les commentaires du juge Marrocco, qui déclare :

Dans ce cas-ci, le lieu de travail comprend le métro, les autobus et les tramways qui sillonnent la ville. Le lieu de travail est en fait la ville de Toronto.

Il faut protéger les travailleurs et il existe toutes sortes de dispositions sur la santé au travail et dans le Code criminel, mais il faut également savoir que de nombreux lieux de travail sont souvent complètement imbriqués dans nos collectivités, dans la vie quotidienne de tous les citoyens, y compris celle de nos enfants. Il s’agit d’assurer la sécurité de tous, et non pas seulement celle des travailleurs au sens d’employés.

Pour ce qui est de la vie privée, le juge Marrocco a déclaré dans sa décision qu’il estimait que les tests effectués par la TTC étaient peu intrusifs. Il s’agit d’une analyse de la salive qui consiste à placer un gros coton-tige dans la bouche pour l’y laisser pendant environ cinq minutes. C’est une méthode peu intrusive et indolore. Elle permet de connaître les capacités actuelles. Il n’y a pas de stigmate, puisque chaque année 20 p. 100 de nos employés qui occupent des postes à risque font l’objet de tests aléatoires et les dossiers des employés qui obtiennent des résultats négatifs sont détruits dans les deux semaines suivantes. Il n’y a pas de dossier permanent.

J’aimerais faire deux dernières remarques et ensuite, passer le relais. Cela fait huit ou neuf ans que nous faisons face à un contentieux extrêmement coûteux et interminable.

Madame la juge McLachlin a déclaré, dans l’arrêt Irving rendu par la Cour suprême du Canada : « Ne devrait-on pas adopter une loi pour régler cette question? » Je souscris entièrement à ces commentaires.

La dernière remarque que j’aimerais faire est que, dans tous les autres lieux dont vous avez entendu parler — les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Europe, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Nouvelle-Galles du Sud, la ville de New York —, c’est toujours une horrible catastrophe qui a fait de nombreuses victimes qui a amené ces gouvernements à effectuer des tests aléatoires de dépistage des drogues et de l’alcool; c’est une approche réactive. Au Canada, il faut que nous ayons la sagesse et la prévoyance d’être proactifs. À mon avis, comme Victor Hugo l’a dit, l’heure est venue d’adopter un programme de ce genre.

Le président : Merci.

Megan MacRae, directrice générale, Ressources humaines, Toronto Transit Commission : Je m’appelle Megan MacRae. Je suis directrice générale des ressources humaines pour la TTC. Je m’occupe de notre programme d’aptitude au travail depuis 2011, et je connais donc très bien son évolution, notamment la mise en place des tests aléatoires.

Mon collègue a clairement précisé, tout comme les collègues avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration et que vous allez entendre par la suite, ce que nous demandions. Tout comme l’ont fait de nombreux invités qui nous ont précédés, nous demandons au gouvernement fédéral de faire preuve d’initiative en modifiant le projet de loi C-46 pour rendre obligatoire le dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail, y compris au moyen de contrôles aléatoires.

Voici les points essentiels que j’aimerais souligner aujourd’hui ainsi que les idées fausses qui préoccupent gravement la TTC : l’idée fausse selon laquelle il n’y a pas de technologie fiable qui permette de détecter l’affaiblissement des capacités par le cannabis ou il est impossible d’établir des seuils appropriés; les préoccupations soulevées par les seuils de dépistage initiaux proposés pour les appareils utilisés sur place et l’importance de la dissuasion. Nous vous avons remis plusieurs documents, que nous n’allons pas vous présenter, mais n’hésitez pas à y faire référence pendant la période des questions.

Pour ce qui est de la technologie, dans toute cette discussion, on a beaucoup insisté, ce qui est compréhensible, sur les appareils utilisables sur place à des fins pénales. Les fins pénales et le milieu de travail ne sont pas la même chose. Les seuils sont extrêmement différents. Il nous incombe à nous, les employeurs, d’assurer la sécurité en milieu de travail. Comme mon collègue l’a mentionné, il existe une technologie fiable qui permet de vérifier l’affaiblissement des capacités, notamment par la marijuana.

L’élément essentiel est, d’adopter des seuils appropriés, et cela est confirmé par les experts de ce domaine, comme ceux que nous utilisons pour justifier notre programme. Lorsque les seuils sont fixés à un niveau approprié, combinés à des mécanismes efficaces, il est pratiquement possible d’éliminer complètement les faux positifs. Nous n’avons pas mentionné cela dans notre discussion, parce que nous nous sommes principalement attachés à parler des dispositifs routiers, plutôt qu’utilisés en milieu de travail et de la façon dont nous pouvons travailler ensemble pour améliorer la sécurité dans notre société. Comme mon collègue l’a mentionné, dans notre cas, le lieu de travail est la ville de Toronto, qui est la plus grande ville de notre pays.

Bien entendu, la technologie que nous utilisons comporte des désavantages et il est possible qu’elle puisse être utilisée en bord de route. Par contre, encore une fois, il faut avoir une discussion sur la façon dont les normes pénales et celles qui sont applicables en milieu de travail peuvent se combiner pour renforcer la sécurité de la société.

Pour ce qui est de la technologie des dispositifs routiers, nous admettons tous qu’elle n’est pas aussi fiable que nous le souhaiterions. Il ne faut pas nous leurrer. Nous savons qu’elle n’est pas parfaite. Il nous semble tout à fait inapproprié de parler d’un seuil de dépistage de 25 nanogrammes comme équivalant à la tolérance zéro. D’après l’avis de nos experts, la TTC a adopté un seuil de 10 nanogrammes pour savoir s’il y a un risque d’affaiblissement des capacités. Nous ne sommes pas les seuls à utiliser cette technologie en milieu de travail et nous avons fixé ce seuil à ce niveau pour être certains de pouvoir justifier notre programme malgré les contestations juridiques et les examens en cours.

Bien évidemment, un seuil de 25 nanogrammes est deux fois et demie supérieur au nôtre. Nous pensons qu’il y a une confusion entre une intoxication grave et un affaiblissement des facultés susceptible de compromettre la sécurité en milieu de travail. Sans parler des difficultés que des résultats juridiques contradictoires peuvent signifier pour les travailleurs et la société, nous craignons qu’un tel seuil donne un faux sentiment de sécurité à la population.

Enfin, je dirais que les affirmations selon lesquelles la dissuasion ne justifie pas l’introduction des tests aléatoires de dépistage des drogues et de l’alcool nous inquiètent beaucoup. Les données qui sont présentées dans notre résumé et dont certains de nos collègues vont parler le démontrent clairement, à notre avis. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup. Je suis certain que mes collègues sont très intéressés par les exposés fournis par les deux groupes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Mme Léveillé. Vous nous avez dit que les gens qui travaillent dans le domaine du transport aux États-Unis sont assujettis depuis 1995 à des règles qui sont très strictes. Parmi vos membres, est-ce que les 500 entreprises ont des données ou votre association a-t-elle des données sur les infractions qui ont été commises aux États-Unis et qui n’ont pas encore été reconnues comme des infractions au Canada? Avez-vous des données, sur un certain nombre d’années, sur des éléments qui ne sont pas encore reconnus comme des infractions au Canada, mais qui sont réglementés de façon très stricte aux États-Unis?

Mme Léveillé : Malheureusement, je n’ai pas ce type de données. Au sein de l’association, et même dans l’industrie, on a beaucoup de difficulté à obtenir de telles statistiques. Peut-être qu’aux États-Unis, il est plus facile de recueillir des données par l’intermédiaire des entreprises qui gèrent les consortiums et qui recueillent des statistiques. Mais ici, malheureusement, j’essaie de penser à l’autorité qui aurait ce type d’information. Ce serait très difficile à obtenir, selon moi.

La sénatrice Dupuis : Merci.

J’ai une autre question pour les gens de la Toronto Transit Commission. Auriez-vous des recommandations particulières sur ce qui devrait être modifié dans le projet de loi C-46 pour répondre à ce que vous jugez être les normes qui devraient s’appliquer en matière de sécurité routière?

[Traduction]

Mme MacRae : Je dois vous dire que nous ne vous avons pas proposé de formulation particulière. Nous aimerions que soient proposés des amendements qui rendent obligatoire la mise en place de programmes de sécurité en milieu de travail, associés à un dépistage de drogues et d’alcool très complet : test post-incident, test avec motif raisonnable, test aléatoire et test postérieur à un traitement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce que vous demandez de modifier soit le Code du travail, soit le projet de loi C-45 sur la légalisation du cannabis? Aujourd’hui, on parle de la sécurité routière, donc du projet de loi C-46. Est-ce que c’est bien ce que vous aviez suggéré?

[Traduction]

Mme MacRae : Nous sommes ici pour parler du projet de loi C-46. Il est vrai que le projet de loi C-46 traite d’un aspect pénal, mais nous estimons que, sous une forme ou une autre, en modifiant le projet de loi, ou en tenant compte du fait que c’est un projet qui accompagne le projet de loi C-45, ou par le biais du Code canadien du travail, c’est bien la façon appropriée de le faire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos témoins. Monsieur Leck, madame MacRae et madame Léveillé, vos propos sont très intéressants. J’ai deux questions à vous poser. La première s’adresse à M. Leck. Est-ce j’ai bien compris que, depuis huit ans, vous utilisez un appareil homologué pour faire des tests de salive?

[Traduction]

M. Leck : C’est exact, c’est ce que nous faisons. Pour les tests de suivi d’un incident ou fondés sur un motif raisonnable, la TTC utilise la technologie d’analyse de la salive. En 2008, un de nos employés qui travaillait dans le métro a été victime d’un accident et c’est ce qui a entraîné l’adoption de cette politique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que cet appareil est utilisé à différentes températures? L’hiver, est-ce que vous l’utilisez à des températures plus basses qui ne sont pas nécessairement idéales?

[Traduction]

M. Leck : Oui, nous le faisons. Vous avez abordé deux points, la distinction entre les contrôles routiers à l’aide d’appareils utilisant la salive, pour lesquels le seuil est de 25 nanogrammes par millilitre, et les appareils qu’utilise la TTC. Il faut prendre soin de ne pas mélanger le contexte pénal, qui est celui des contrôles routiers où les droits garantis par la Charte, le droit au respect de la vie privée sont protégés, et où le contrôle est immédiat, avec le milieu de travail, où la sécurité est un élément fondamental et où l’environnement est différent.

Avec nos tests de salive, il s’écoule à l’heure actuelle deux jours entre le moment où le test est effectué et celui où nous obtenons les résultats; nous utilisons d’ailleurs un test de la salive qui est différent de celui que vous avez devant vous, je pense, pour ce qui est de cet appareil de contrôle rapide, de sa fiabilité et de ses caractéristiques.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que c’est un outil qui ne pourra pas être utilisé par les policiers.

Madame Léveillé, j’ai des questions concernant la position de l’Association des camionneurs. Tout d’abord, est-ce que l’ensemble de vos entreprises relève du Code du travail fédéral ou provincial?

Mme Léveillé : Pour apporter une précision, nous sommes l’Association du camionnage, donc nous ne représentons pas les camionneurs comme tels.

Je n’ai pas de données, mais, effectivement, la majorité des entreprises relèvent de la compétence fédérale, puisqu’elles se déplacent entre les provinces.

Le sénateur Boisvenu : Donc, je comprends de votre témoignage que l’ensemble de cette industrie serait d’accord pour modifier le projet de loi C-46 de sorte que les tests aléatoires soient aussi autorisés pour la drogue, et non pas seulement pour l’alcool, et pour modifier le Code du travail afin de donner aux entreprises le même pouvoir qu’ont les entreprises américaines de faire des tests aléatoires en milieu de travail. Est-ce que j’ai bien compris?

Mme Léveillé : Vous avez bien compris. En fait, cela crée une situation un peu étrange puisque, dans une même entreprise, on peut avoir une division de chauffeurs qui font des trajets entre le Canada et les États-Unis, et des chauffeurs qui ne font du transport qu’au Canada. À ce moment-là, nous recommandons aux transporteurs de ne pas inscrire tous leurs conducteurs à des consortiums, puisque, pour les chauffeurs qui ne conduisent qu’au Canada, il n’y a techniquement pas de réglementation qui permette les tests. Donc, on se retrouve avec des transporteurs qui ont des conducteurs qui effectuent le même type de travail, des conducteurs de véhicules lourds qui transportent des marchandises tout aussi dangereuses, qui occupent le même poste à risque, mais seulement une partie de ces chauffeurs sont susceptibles de subir des tests aléatoires. C’est un problème qui se pose à l’intérieur d’une même entreprise. Vous avez bien compris notre demande.

Le sénateur Boisvenu : Pour être un peu méchant, on pourrait dire que vous affectez vos travailleurs à risque au Canada et ceux qui le sont moins aux États-Unis.

Le sénateur Gold : Merci, madame, de votre présence.

[Traduction]

J’ai trouvé cet exposé fascinant.

Premièrement, une question d’information : j’ai lu rapidement l’opinion que le juge a rendue dans l’affaire de l’injonction. Le dossier a-t-il déjà été réellement soumis à l’arbitrage? Avons-nous les résultats de l’arbitrage?

Mme MacRae : Sept ans plus tard, nous sommes toujours en train d’entendre les témoins du syndicat, de sorte que la réponse est non. Nous espérons que, d’ici 5 ou 10 ans, avec un peu de chance, nous aurons peut-être une décision au sujet de cet arbitrage.

Le sénateur Gold : Je pose la question parce qu’il s’agit là de preuves importantes qui figurant au dossier par le biais du jugement, mais celui-ci examinait uniquement la norme en matière d’octroi d’une injonction. Je voulais préciser cet aspect pour pouvoir mieux apprécier les preuves. Cela m’amène à mon autre question.

Ce que j’ai vraiment trouvé très intéressant, en particulier dans le cadre de notre étude du projet de loi C-46, c’est votre argument selon lequel la présence de cannabis, disons, dans des liquides corporels reflète le caractère récent de la consommation et qu’une consommation récente au-dessus d’un certain seuil fournit une preuve scientifique du risque d’affaiblissement des capacités. Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus? Si vous possédez des preuves scientifiques qui confirment tout cela, pourriez-vous les faire parvenir au comité par l’intermédiaire de la greffière? Cela serait utile.

Mme MacRae : Bien sûr. Je vais revenir à la décision relative à l’injonction et vous renvoyez au paragraphe 114. C’était une décision procédurale préliminaire, mais il est très clair que le juge de la Cour supérieure a fait des constatations factuelles. Il est également important de faire remarquer qu’effectivement, en un jour et demi, nous avons entendu tout ce qui s’est dit pendant sept ans, y compris ce que disaient nos témoins experts. Il est important de noter que le syndicat n’a contre-interrogé aucun de nos témoins experts sur cet aspect.

Dans les documents que nous vous avons remis, il y a des résumés qui contiennent les qualifications des experts que nous avons convoqués et pour l’essentiel, pour ce qui est de la probabilité de l’affaiblissement des facultés, on peut dire qu’en général, la recherche démontre l’importance des fenêtres de consommation pour ce qui est de diverses drogues, y compris le cannabis. Nous savons bien que selon la taille, le poids et l’expérience de la personne, celle-ci métabolise les drogues différemment, mais il existe des fenêtres. Lorsque vous combinez une fenêtre avec un seuil très clair, vous pouvez déterminer le caractère récent de la consommation au point où l’affaiblissement des facultés est probable.

Nous possédons, là encore, des témoignages non contestés qui ont été présentés dans le cadre de la demande d’injonction pour appuyer cette idée. Nous nous ferons bien sûr un plaisir de vous fournir les témoignages de nos experts. Nous possédons de nombreux témoignages d’experts que nous avons accumulés progressivement. Par contre, au paragraphe 114 de la décision, le juge affirme très clairement qu’il a accepté nos données scientifiques.

Le sénateur Gold : J’ai également écouté avec intérêt votre affirmation selon laquelle il ne faut pas dire qu’un seuil de 25 nanogrammes est équivalent à la tolérance zéro. Pourriez-vous néanmoins admettre, en particulier dans un contexte pénal, qu’il faut soigneusement éviter de faire courir des risques aux autres, et que, de toute façon, les infractions en soi que crée le projet de loi C-46 envoient un fort message dissuasif selon lequel le fait de consommer du cannabis avant de prendre le volant est de toute façon dangereux?

Mme MacRae : Permettez-moi de vous dire que nous ne pensons pas qu’un seuil de 25 nanogrammes enverrait ce genre de message.

Le sénateur Gold : Je suis désolé. Je n’ai pas bien posé ma question. Reconnaissez-vous que les infractions en soi que contient le code envoient un fort message selon lequel le fait de conduire après avoir consommé du cannabis est dangereux même si le seuil retenu est assez élevé, parce que cela concerne un contexte criminel et qu’il faut veiller à protéger les droits relatifs à la vie privée?

Mme MacRae : Non.

Le sénateur Gold : Vous dites non à quelle partie de ma question qui en comprend trois? Je vais m’améliorer.

Mme MacRae : À tous les commentaires qui associent un seuil initial élevé et un message de tolérance zéro, nous répondons que, d’après nos experts, ces deux aspects ne vont pas ensemble. Du point de vue du milieu de travail, cela pourrait entraîner une avalanche de résultats contradictoires. Vous lirez la lettre que la TTC a envoyée au ministère des Transports de l’Ontario, qui envisage de suivre l’exemple du projet de loi C-46. Cela soulève, d’après nous, de graves préoccupations, mais non, permettez-moi de vous dire que nous ne pensons pas qu’un seuil aussi élevé envoie un message qui a un caractère dissuasif suffisant.

[Français]

Le sénateur Carignan : Votre témoignage aurait pu aussi bien servir pour le projet de loi C-45, mais on ne voulait pas vous faire déplacer deux fois.

De ce que je comprends, à la suite de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Pâtes et Papier Irving, notamment, vous sentez que vous n’avez pas le cadre juridique nécessaire pour mettre en place un test de dépistage aléatoire de drogue et d’alcool, test qui éviterait les contestations. Un peu comme la juge McLachlin l’a dit, c’est le législateur qui doit mettre en place un système et donner le pouvoir aux employeurs d’effectuer des tests de dépistage aléatoires de drogues et d’alcool, particulièrement dans le cas d’emplois critiques, comme les postes de mécanicien de train, de pilote d’avion ou de conducteur de camion.

Parallèlement, il y a le projet de loi C-46, qui touche l’aspect criminel. Or, celui-ci ne fait pas mention, en ce moment, de tests de dépistage aléatoires de l’alcool pour les mécaniciens de train, les pilotes d’avion et les conducteurs de camion; ils sont exclus de cette partie.

Vous demandez donc d’amender le projet de loi C-46 afin de permettre les tests de dépistage aléatoires de l’alcool et des drogues pour les mécaniciens de train, les pilotes d’avion et les conducteurs de camion. Vous demandez également l’élaboration, par le truchement du projet de loi C-45, que ce soit par voie de modification du Code du travail ou autre, un cadre législatif nécessaire permettant la tenue de tels tests de dépistage aléatoires en milieu du travail, afin que vous n’ayez pas toujours à vous battre avec des injonctions et des procédures. Est-ce que je résume assez bien la situation?

[Traduction]

Mme MacRae : Nous pensons pouvoir respecter le critère de l’arrêt Irving dans notre milieu de travail, mais nous savons, après les discussions que nous avons eues avec diverses agences, que de nombreux intéressés attendent de voir les résultats. Nous estimons que cette période d’attente est bien trop longue; nous avons besoin de directives claires. Nous sommes constamment en train de nous battre. Pour le reste, effectivement, c’est ce que nous demandons, à l’exception des aspects que nous avons soulevés au sujet du projet de loi C-46 et des seuils réels choisis et par le fait que nous craignons qu’un seuil initial de 25 nanogrammes fasse croire au public que les résultats inférieurs à ce seuil n’entraînent pas un affaiblissement des facultés. Bien sûr, cela aurait des conséquences vraiment terribles en milieu de travail.

M. Leck : Pour répondre à votre question, je dirais qu’il existe une différence fondamentale avec les modifications proposées au Code criminel, ce que nous ne faisons pas, et c’est la raison pour laquelle nous ne proposons pas d’amender le projet de loi C-46. C’est une approche complètement différente associée à des normes différentes.

Nous souhaitons obtenir un régime de réglementation qui traite des questions de relations de travail, de milieu de travail, qui sont des aspects non pénaux, mais qui peuvent néanmoins avoir des conséquences graves pour les travailleurs dans le but de les dissuader de faire des choses qui pourraient nuire à la population. Que ce soit donc aux termes du Code du travail ou du projet de loi C-45, j’estime que nous ne possédons pas encore la technologie sur laquelle nous pourrions prendre des décisions dans un contexte pénal. Je ne suis pas un criminaliste, mais c’est mon avis.

L’autre problème vient du nombre ridicule de litiges et de décisions contradictoires qui ont été rendues. Selon un critère, il faut démontrer, essentiellement, qu’il existe un problème dans le milieu de travail concerné. Il faut attendre qu’il y ait suffisamment de personnes qui sont manifestement en état d’ébriété ou ayant consommé des drogues. En agissant ainsi, le milieu de travail demeure non sécuritaire parce qu’il faut apporter des preuves en vue d’une poursuite judiciaire et qu’il faudra alors attendre 10 ans pour arriver devant la Cour suprême du Canada. Ce n’est pas la bonne façon de s’attaquer à ce problème.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux pour vos excellents exposés.

Je vais commencer par faire une remarque. Il est incontestable qu’au Canada, les règles concernant les tests de dépistage de l’alcool et de drogue pour les employés qui occupent des emplois critiques ne sont pas claires. Il me paraît impératif que le gouvernement fédéral dissipe toutes ces incertitudes et présente un projet de loi qui corrigerait la situation le plus rapidement possible.

Madame MacRae, je vais vous poser une brève question au sujet du seuil limite en soi. Selon les témoignages des représentants du ministère de la Justice, la limite en soi de 5 nanogrammes de THC est fondée sur des considérations reliées à l’affaiblissement des capacités alors que la limite en soi de 2 nanogrammes de THC est fondée sur des considérations de sécurité publique. J’aimerais avoir votre avis sur ce point. J’ajouterais : devrait-on appliquer une politique de tolérance zéro à ceux qui conduisent de l’équipement lourd et des moyens de transport?

Mme MacRae : De notre point de vue, nous reconnaissons que le seuil initial est fixé à un niveau plus élevé et que les tests postérieurs relatifs à l’affaiblissement de la capacité utilisent un seuil moins élevé, fondé sur des tests sanguins. Nous n’avons pas de problème avec la dernière partie de cette affirmation. Ce qui nous préoccupe, c’est le test routier initial utilisant la salive et l’affirmation selon laquelle, d’après ce que nous comprenons, un seuil de 25 nanogrammes représente la tolérance zéro.

Notre notion de tolérance zéro tient compte de notre milieu de travail et reflète la jurisprudence. Le seuil est fixé à 10 nanogrammes, ce qui est élevé, à cause des contestations et de la facilité de les présenter. Je n’ai pas de réponse à vous fournir, en l’absence d’un mécanisme de règlement des litiges, sur ce que serait le seuil approprié. Je pense qu’il devrait être inférieur à 10 nanogrammes. Cela dépend de la technique utilisée. Nous pensons que le seuil devrait être fondé sur des données scientifiques, et non pas sur les limites des appareils utilisés pour les tests routiers.

Le sénateur McIntyre : Évidemment, il y a différents seuils exprimés en nanogrammes, et plus j’entends de témoignages et plus je lis dans ce domaine, plus je trouve difficile d’établir une corrélation directe entre la concentration de THC et l’affaiblissement des facultés.

Mme MacRae : Je vous invite à étudier la décision du juge Marrocco qui, après avoir entendu les témoins et examiné les rapports détaillés d’experts, a conclu que le test de salive pouvait remplacer un test sanguin et qu’il était très possible de fixer un seuil approprié pour le THC. J’ajouterais même que, pour ce qui est des différentes drogues, la seule qui soit contestée est le THC. Nous espérons que vous serez heureux d’apprendre, lorsque vous examinerez nos témoignages, que nous sommes également en mesure de fixer des seuils pour cette substance.

Le sénateur McIntyre : Le test de la salive est donc celui qu’il convient d’utiliser.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois pour vos exposés. Ils ont été très utiles. Bien sûr, tout cela est votre quotidien. Pour moi, c’est tout nouveau, et je vais donc peut-être vous poser des questions naïves.

D’après ce qu’a dit le sénateur McIntyre, il n’y a pas de certitude. Parce que la Cour suprême — et je sais ce que sont les droits de la personne — n’est pas favorable aux tests obligatoires. Elle affirme que cela porte atteinte aux droits des employés. Est-ce bien exact?

Mme MacRae : Nous estimons que cela dépend vraiment de la situation. La jurisprudence semble dire que, s’il est possible de démontrer qu’il y a un problème dans un milieu de travail donné, il est tout à fait loisible de faire des tests aléatoires. Nous pensons que c’est ce que dit la décision initiale relative à l’injonction et qu’elle reflète cette impression.

Pour ce qui est des droits de la personne, encore une fois, cela dépend de la situation. D’après nous, les divers tribunaux ne disent pas que cela est interdit. Ils disent en fait qu’il faut tenir compte de la situation de la personne concernée pour veiller à prendre en compte, sur une base individuelle, les droits de la personne et les concilier avec les droits collectifs.

La sénatrice Jaffer : Lorsque l’on parle de droits individuels, et je suis sûre que vous l’avez prévu, il faut tenir compte de la situation parce que les individus varient. Il y a des gens qui prennent des médicaments sur ordonnance qui n’ont rien à voir avec le cannabis, et qui peuvent affecter les résultats des tests. Avez-vous un processus qui permet de tenir compte des médicaments sur ordonnance? Quelles sont ces protections?

Mme MacRae : Bien sûr. Je vais me faire l’écho des commentaires qu’a faits notre collègue qui a parlé plus tôt des États-Unis et du programme qui existe dans ce pays depuis 1995. Le règlement du ministère des Transports prévoit des processus rigoureux qui accordent des protections dans ce genre de situation.

Cela fonctionne de la façon suivante : lorsque les résultats du test initial sont transmis par le laboratoire, ils sont remis à un tiers que l’on appelle le médecin examinateur. Lorsque le médecin examinateur reçoit des résultats positifs d’un laboratoire, il contacte l’employé et lui demande s’il peut expliquer la présence d’oxycodone dans son corps. L’employé a la possibilité de s’expliquer et de lui fournir un certificat médical pour justifier la consommation de ce produit. Si, par exemple, l’employé a été opéré au genou ou s’il y a subi une intervention faite par un chirurgien-dentiste, et que le médecin examinateur est satisfait de ses explications, il déclare à l’employeur que les résultats sont négatifs.

C’est la raison pour laquelle je peux dire que nous garantissons qu’il n’y a pas de faux positifs, non seulement à cause de la rigueur du mécanisme utilisé pour les tests, mais aussi grâce au processus mis en place. Bien entendu, lorsqu’il s’agit de marijuana médicale, par exemple, dans un cas de ce genre, l’employé est, aux termes de notre politique, obligé de signaler cette situation. S’il consommait ce produit et conduisait une machine dangereuse, par exemple, on utiliserait le même processus. Le médecin examinateur communiquerait avec l’employé. S’il y a une autorisation justifiée, le cas sera déclaré à l’employeur comme étant négatif avec une étiquette signalant qu’il y a un risque pour la sécurité. Cela nous fait savoir qu’il se passe quelque chose et nous veillons à ce que l’employé fasse l’objet d’un suivi médical pour savoir à quel moment il peut reprendre le travail sans compromettre la sécurité. Cet aspect n’est pas retenu contre lui sur le plan disciplinaire.

La sénatrice Jaffer : Vous avez parlé des normes américaines et je voulais faire un commentaire. Certaines personnes souffrent d’une invalidité et le test doit peut-être être différent parce que ces personnes prennent des médicaments sur ordonnance. Mme MacRae a donné une réponse très détaillée, mais je voulais simplement être sûre que vous n’aviez pas autre chose à ajouter.

[Français]

Mme Léveillé : Du côté américain, ce sont eux qui décident à partir de quel moment le test est positif. Il y a une série de procédures qui doivent être suivies, et on n’a pas vraiment un mot à dire si on veut circuler en sol américain. Alors, dans le cas d’éléments interdits, lorsqu’un test est positif, il faut suivre les procédures et voir un spécialiste. Ensuite, ce sont eux qui déterminent si un retour au travail est possible en fonction de la réglementation. Puisqu’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée aux yeux de la commission, les transporteurs n’ont pas leur mot à dire à ce sujet, et la réglementation est assez stricte à ce niveau.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Maître Leck, vous avez mentionné que c’est un terrible accident qui s’est produit, je crois, dans le métro qui est à l’origine de ce programme. En quelle année cet accident s’est-il produit?

M. Leck : Je pense que c’était en 2007 et qu’il s’agissait d’une personne qui, d’après le rapport du coroner, avait consommé de la marijuana peu de temps avant l’accident.

Le sénateur Pratte : Merci. Le programme a été introduit en 2010. Vous avez ensuite introduit les tests aléatoires l’année suivante. Est-ce bien exact?

M. Leck : Non. Nous avons introduit un programme très complet, mais qui ne comprenait pas les tests aléatoires. Cette catégorie de tests soulevait des questions pour les syndicats et d’autres. Nous avons adopté une approche conservatrice. Nous avions les tests préalables à l’embauche. Nous avions les tests pour le retour au travail qui étaient basés sur une analyse d’urine. Lorsqu’il y avait un motif raisonnable ou un cas de post-incident, on utilisait la salive. Cela a été mis en oeuvre. Le syndicat a déposé un grief concernant cette politique et cela fait sept ou huit ans que cette question est en arbitrage, et la fin est encore loin. Cela est en cours. Il y a environ un an, nous avons introduit les tests aléatoires et le syndicat s’y est opposé.

Le sénateur Pratte : Qu’est-ce qui vous a amené à penser que la politique actuelle n’était pas suffisante et qu’il fallait introduire les tests aléatoires?

M. Leck : Nous avons constaté que le nombre des résultats positifs augmentait et il y avait d’autres éléments indiquant que nous avions un problème qui risquait d’entraîner une autre tragédie. Megan pourra vous fournir plus de détails.

Le sénateur Pratte : Merci.

Mme MacRae : En 2011, il s’est produit une autre tragédie dans notre domaine et un passager est décédé à bord d’un autobus. C’était l’année qui a suivi nos tests post-incident. Le conducteur a subi un test de dépistage de l’alcool post-incident, il a refusé le test de dépistage de drogue et nous avons constaté qu’il avait sur lui de la marijuana. Cela nous a inquiétés parce que manifestement, il ne tenait aucun compte de notre politique.

À l’époque, nous avons demandé au conseil d’approuver l’introduction des tests aléatoires. Cela a été retardé, pour diverses raisons, notamment par certains aspects touchant les relations de travail, et nous nous attendions à avoir aujourd’hui obtenu une réponse. Entre 2014 et 2015, nos chiffres globaux, qui figurent dans votre trousse, ont pratiquement doublé. Nous avons décidé que, malgré l’issue de l’arrêt Irving, nous étions en mesure à cette époque de respecter ce critère. Nous n’avions pas le choix et nous avons dû faire quelque chose.

Le sénateur Pratte : Donc, les tests aléatoires sont pratiqués depuis 2016?

Mme MacRae : Depuis un an, le 8 mai 2017. C’est une mesure complexe et il nous a fallu un peu de temps pour la mettre en œuvre.

Le sénateur Pratte : Et vous estimez que vous respectez le critère de l’arrêt Irving parce que vous êtes en mesure de démontrer qu’il existe réellement un problème?

Mme MacRae : Je ne sais pas si nous respectons le pourcentage mentionné dans Irving, mais nous pensons que nous possédons suffisamment de preuves pour démontrer qu’il y a un problème. Dans vos documents, vous pouvez voir le nombre des passagers que nous transportons. Malgré la décision de la Cour suprême dans Irving, nous pensons que les transports publics constituent un cas particulier. Notre milieu de travail est la ville de Toronto. Cela a des répercussions considérables. Que ce pourcentage soit respecté ou non, nous nous intéressons principalement au nombre des incidents. En 11 mois, nous avons eu 43 cas de tests aléatoires.

Le président : S’agissait-il d’alcool ou de drogue?

Mme MacRae : Un mélange, mais surtout des drogues. Ce qui ne figure pas dans vos documents c’est que la totalité des incidents examinés d’un point de vue post-incident concerne les drogues. Cela nous indique qu’il y a un problème grave. Nous pouvons plus facilement dépister l’alcool, mais les drogues sont très difficiles à dépister.

Le sénateur Pratte : Excusez-moi, mais qu’est-ce qu’un incident dans les statistiques?

Mme MacRae : Un incident est un cas aléatoire où quelqu’un doit subir un test aléatoire et dont les résultats sont supérieurs au niveau d’alcool permis ou concernent une drogue. Vous trouverez dans les statistiques deux ou trois cas de refus, mais la plupart du temps, il s’agit de résultats positifs. Ces résultats sont ventilés pour vous.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie.

Mme MacRae : Bienvenue.

Le sénateur Sinclair : Je déduis de la question du sénateur Carignan que vous nous invitez en réalité à régler un problème de relations de travail. Je ne pense pas que vous nous demandiez de criminaliser le comportement des employeurs qui n’ont pas mis sur pied un système de tests aléatoires pour les drogues? J’aimerais que cela soit clair.

M. Leck : C’est exact. J’ai suivi d’assez près cette question et je ne suis pas criminaliste, mais je crois comprendre que la technologie pose un problème lorsqu’il s’agit d’apporter une preuve au-delà de tout doute raisonnable. Je ne pense pas que nous soyons aujourd’hui en mesure de le faire. Je pense qu’il est tout aussi efficace de disposer de mesures législatives non pénales pour réglementer les tests de dépistage de l’alcool et des drogues en milieu de travail.

Le sénateur Sinclair : Je suis heureux de voir que nous sommes d’accord parce que je ne voyais pas comment votre suggestion pourrait s’adapter au contexte du Code criminel. Je constate cependant qu’il y a effectivement un problème de relations de travail et je voulais donc vous poser quelques questions pour préciser quel était votre objectif.

Il est très clair que le comité est invité à examiner deux mesures législatives pénales et vous nous demandez d’examiner la question également du point de vue des relations de travail. Je ne suis pas sûr que nous soyons bien placés pour le faire. Je pense que tous les autres ne seront pas d’accord avec moi, mais je voudrais savoir si vous avez, pour nous aider, une définition juridique ou une définition de ce qu’est un milieu de travail où il y a un risque pour la sécurité. Bien évidemment, conduire de gros camions, piloter des avions et conduire des trains sont des cas évidents, mais quelles sont les autres activités qui sont également visées par cela?

M. Leck : Je vais laisser Megan vous fournir les détails, mais essentiellement, il ne s’agit pas tant de l’industrie concernée que du poste occupé par l’employé. Ce sont les postes à risque pour la sécurité et Megan peut vous en dire davantage sur la façon dont nous définissons cela.

Le sénateur Sinclair : Je pose la question parce que cela pourrait comprendre également les médecins, les infirmières et d’autres personnes qui travaillent dans d’autres domaines et d’autres professions. J’aimerais savoir ce que vous entendez par-là.

Mme MacRae : Dans notre milieu de travail, il y a diverses catégories, mais je vais répondre à cette question de façon plus large pour ce qui est des groups avec lesquels nous travaillons en vue de les sensibiliser aux préoccupations que soulèvent les lieux de travail depuis ces dernières années. Cela va de l’exploitation pétrolière, aux usines de pâte et papier, au transport, un domaine axé sur la sécurité, et au camionnage. Nous avons concentré nos efforts sur ces secteurs et vous allez en entendre davantage de la part des témoins suivants, qui vous fourniront notamment une liste des diverses associations et employeurs avec lesquels la TTC a collaboré.

Le sénateur Sinclair : Madame Léveillé, vouliez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

Mme Léveillé : De notre côté, j’ai beaucoup parlé des conducteurs de véhicules lourds, mais il ne faut pas oublier d’autres postes sensibles en matière de sécurité, comme les mécaniciens qui réparent ces véhicules, les caristes qui sont les conducteurs de chariots élévateurs qui transportent parfois de gros rouleaux de papier qui pèsent plusieurs tonnes.

Cela dit, la distinction, c’est que le conducteur de véhicule lourd est constamment en déplacement. Il est donc difficile de le surveiller et d’en faire un suivi. Dans le cas des deux autres types de travailleurs, évidemment, ils sont sur des lieux où il peut y avoir plusieurs personnes pour constater leurs comportements. Je pense qu’il y a peut-être une catégorie ou une distinction à faire entre ces postes. Même si, à nos yeux, ils comportent des risques, c’est plutôt l’aspect de suivi et de contrôle qui échappe aux employeurs de notre côté.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Merci. Pensez-vous qu’une telle approche en milieu de travail sera de plus en plus nécessaire parce que vous prévoyez que la légalisation de la marijuana va augmenter le nombre des situations problématiques?

Mme MacRae : Nous estimons que les défis que pose en milieu de travail la consommation de drogue sont bien sûr antérieurs à la légalisation du cannabis. Nous pensons que les lieux de travail sont mal équipés pour contrôler ce phénomène. C’est un problème qui existe et qui va certainement s’aggraver. De sorte que oui, nous pensons que le problème va s’aggraver, mais je ne voudrais pas que vous pensiez que nous ne savons pas que ce défi existait avant la présentation de ce projet de loi. Nous devons toutefois être sensibles au fait que ces dangers s’aggravent.

Le sénateur Sinclair : Madame Léveillé?

[Français]

Le président : Madame Léveillé, avez-vous entendu la question du sénateur Sinclair? Quel pourrait être l’impact de la légalisation du cannabis et de son usage sur la sécurité au sein de votre industrie?

Mme Léveillé : En fait, on ne s’attend pas nécessairement à ce qu’il y ait une hausse de la consommation de la part des conducteurs, surtout pas dans le cas de ceux qui font du transport aux États-Unis. Pour eux, il n’y a rien qui change, car il sont déjà assujettis à des contrôles. Par contre, ce sont des spéculations.

Je m’éloigne un peu des tests aléatoires, mais, en ce qui a trait à la hausse de la consommation, il ne faut pas oublier que, sur la route, il n’y a pas que des conducteurs de véhicules lourds. Il y a aussi tous les autres conducteurs parmi lesquels il risque peut-être d’y avoir une hausse de la consommation. Il pourrait donc y avoir plus de personnes sur le réseau routier qui auront consommé, d’où les préoccupations liées au nombre de policiers qui seront présents.

Pour nous et les chauffeurs, cela représente un autre défi, puisqu’ils doivent partager la route avec ces gens qui, eux, ne sont pas des conducteurs professionnels. Cela peut devenir un problème dans le sens où la majorité des accidents ne sont pas causés nécessairement par des conducteurs de véhicules lourds, mais plutôt par les autres usagers. Nous avons des statistiques à l’appui. C’est une grande préoccupation pour nous quant au travail qui devrait être fait par les policiers et les contrôleurs en ce qui a trait à la population en général qui circule avec nos conducteurs professionnels.

Le président : Merci.

La sénatrice Dupuis : Ma question sera très brève et porte sur l’établissement du niveau à 10 nanogrammes. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à établir cette limite à 10? Quelles données scientifiques aviez-vous?

[Traduction]

Mme MacRae : Nous avons suivi l’avis de notre expert. Nous avons un toxicologue médico-légal, un psychologue médico-légal et des experts en toxicomanie. Il y a un résumé de leurs qualifications dans votre trousse. Nous avons simplement suivi l’avis de nos experts et des rapports détaillés qui les accompagnent — et cela est très important — en tenant compte du fait que l’industrie dans laquelle nous travaillons est fortement syndicalisée.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Excusez-moi. Est-ce qu’il y a des données qui sont publiques dans vos documents? Je ne veux pas vous obliger à révéler quoi que ce soit.

[Traduction]

Mme MacRae : Tous ces documents sont publics et nous nous ferons un plaisir de vous les envoyer. Ils ont tous été présentés avec notre affidavit relatif à l’injonction.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si vous avez fourni les nombres précis, mais dans votre témoignage à la Chambre des communes, il est indiqué que, à partir du moment où vous avez mis en place des dépistages aléatoires le 8 mai, en moins de cinq mois, vous aviez déjà obtenu 16 résultats positifs, dont plus de 50 p. 100 étaient du cannabis. Ai-je bien compris les données? À combien sont les nombres maintenant si l’on peut les mettre à jour?

[Traduction]

Mme MacRae : Cela se trouve dans une trousse distincte qui a été distribuée ce matin. Il y a 43 résultats, dont deux ou trois, je crois, étaient des refus, mais la tendance se maintient dans la mesure où près de 50 p. 100 de ces résultats positifs concernent la marijuana. Là encore, cela en fait 43 en 11 mois.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sur combien d’employés?

[Traduction]

Mme MacRae : Cela représente un peu moins de 2 p. 100 des employés, de sorte que, pendant les 11 mois qui ont suivi l’introduction du programme, les résultats positifs sont passés de 3,8 à 1,8 p. 100.

Le président : Je vous remercie pour ces chiffres. Je pense qu’ils sont très utiles.

Le sénateur McIntyre : Je vais plutôt faire un commentaire. L’arrêt Irving est souvent cité, c’est une décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 2013, mais il ne faut pas oublier que c’était une décision majoritaire de la Cour suprême et qu’il y avait une forte dissidence de trois juges, dont faisait partie la juge en chef, de sorte qu’il faudra sans doute revoir cette décision dans quelque temps.

Mme MacRae : Oui, nous le pensons également.

Le président : Je vous remercie d’avoir participé à nos débats. Nous l’avons tous beaucoup apprécié.

[Français]

Merci beaucoup, madame Léveillé.

[Traduction]

Je vais vous demander de quitter la salle pour que notre prochain groupe de témoins puisse prendre place, étant donné que nous ne disposons de cette salle que pour un temps limité. Merci.

J’ai le privilège de présenter notre deuxième groupe de l’après-midi : il y a Gérald Gauthier, président intérimaire de l’Association des chemins de fer du Canada. Bienvenue, monsieur Gauthier. Il est accompagné de M. Simon-Pierre Paquette, conseiller juridique, Chemins de fer nationaux du Canada. Bienvenue, monsieur Paquette. Nous allons également entendre M. Derrick Hynes, directeur général de l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale. Bonjour, monsieur. Nous avons également avec nous, M. Serge Buy, chef de la direction de l’Association canadienne des traversiers.

Bienvenue à tous. J’invite M. Gauthier à présenter son exposé; ils seront tous de cinq minutes environ, parce que, comme vous allez le constater, les membres du comité souhaitent vous poser des questions.

Gérald Gauthier, président intérimaire, Association des chemins de fer du Canada : Je suis président intérimaire de l’Association des chemins de fer du Canada, qui représente plus de 50 exploitants de lignes de chemin de fer, qui comprennent six lignes de chemin de fer de transport de marchandises catégorie 1, 40 sociétés de chemin de fer locales et régionales ainsi que de nombreux exploitants de lignes de chemin de fer de transport de passagers.

[Français]

C’est avec plaisir que Simon-Pierre et moi répondrons à vos questions à la toute fin dans la langue de votre choix. Je vous ai laissé un document auquel j’aurai peut-être l’occasion de me référer durant la période des questions. Mon exposé cet après-midi ressemblera beaucoup à ce que vous venez d’entendre, mais vous aurez l’aspect ferroviaire de la question.

[Traduction]

Au Canada, les chemins de fer fonctionnent tous les jours, toute l’année, et rejoignent tous les grands centres économiques, démographiques; ils traversent plus de 30 000 passages à niveau. Notre secteur emploie environ 30 000 personnes, dont la plupart occupent des postes à risque. Cela comprend les employés qui conduisent nos trains ou qui travaillent dans le domaine du contrôle de la circulation ferroviaire. Nos trains de marchandises transportent tous les produits dont ont besoin notre économie et les Canadiens, y compris de nombreux produits dangereux.

Nous voulons que notre réseau ferroviaire soit le plus sûr au monde. Un élément essentiel de tout cela consiste à veiller à ce que les employés des chemins de fer soient aptes à travailler. Notre industrie est inquiète parce que la légalisation de la marijuana va contribuer à banaliser son emploi et risque d’augmenter les comportements à risque en milieu de travail.

Dans son rapport final de novembre 2016, le Groupe de travail sur la réglementation et la légalisation du cannabis a insisté sur la gravité des répercussions sur la sécurité en milieu de travail de la consommation de la marijuana et de l’affaiblissement des facultés qui y est associé dans les secteurs à risque, comme le transport. Cependant, l’affaiblissement des facultés en milieu de travail n’est pas un aspect dont traitent les deux projets de loi touchant la marijuana.

L’absence d’une structure réglementaire ayant pour but de dépister activement l’affaiblissement des facultés des employés risque, si elle se poursuit, de compromettre la sécurité au Canada. En présentant le projet de loi C-46, le gouvernement visait principalement à éviter que les personnes qui consomment de la marijuana et de l’alcool conduisent des véhicules. Cet objectif reflétait la crainte qu’avait le gouvernement que la légalisation augmente les comportements à risque et qu’il convenait donc que le législateur intervienne. Cependant, l’absence de toute mesure proactive en vue de garantir la sécurité des lieux de travail à risque contre l’augmentation des comportements à risque est une omission grave.

L’incapacité de dépister au départ si les facultés du conducteur d’un train sont affaiblies, notamment grâce à des tests aléatoires, risque de compromettre la sécurité du transport ferroviaire. Cela est particulièrement vrai dans un contexte où la marijuana, une substance qui réduit la vigilance, la perception de la profondeur de champ et les temps de réaction, sera librement disponible pour la consommation récréative par qui que ce soit au Canada.

L’adoption de mesures permettant de savoir si les travailleurs qui occupent des postes à risque ont leurs facultés affaiblies serait un élément qui améliorerait grandement la sécurité du transport ferroviaire. Pour y parvenir, il convient d’adopter un régime commun établi par le législateur, un seuil associé clairement à l’affaiblissement des facultés combiné à des normes établies par le gouvernement concernant les dispositifs utilisés pour dépister l’affaiblissement des capacités. L’introduction de telles mesures, combinée à une formation supplémentaire des employés dans ce domaine et à de la recherche sur l’affaiblissement des facultés, aurait pour effet de créer un régime de sécurité plus solide qui renforcerait la sécurité en milieu de travail.

La législation des États-Unis concernant les chemins de fer autorise non seulement les tests aléatoires, mais elle exige que quiconque conduit un train aux États-Unis, y compris les employés chargés de l’entretien des voies, en subisse un. Les employés des chemins de fer canadiens qui travaillent aux États-Unis sont également assujettis à ces règlements, y compris aux tests aléatoires. C’est une norme de sécurité bien acceptée et nous ne voyons pas pourquoi la réglementation canadienne et celle des États-Unis dans un domaine aussi essentiel devraient continuer à être différentes.

[Français]

Je vous épargnerai la lecture de certains paragraphes. Je vais passer rapidement à la conclusion.

[Traduction]

Nous devons protéger notre réseau de transport, assumer la sécurité du public et celle des employés, étant donné que la sécurité de notre société et celle de l’environnement en dépendent. C’est la raison par laquelle nous sommes venus ici demander que soient prises des mesures visant à sécuriser l’infrastructure canadienne du transport pour accompagner la législation relative à la marijuana en raison de l’aggravation du risque de l’affaiblissement des capacités. Nous sommes fermement convaincus que ces mesures sont nécessaires si nous voulons vraiment assurer le mieux possible la sécurité du transport ferroviaire.

Le président : Merci.

Derrick Hynes, directeur général, Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale : Je remercie le président et les membres du comité de nous offrir la possibilité de présenter un exposé au sujet du projet de loi C-46.

Je représente l’ETCOF, une association des employeurs des transports et communications de régie fédérale. Notre association a vu le jour il y a plus de 30 ans. Nos membres emploient quelque 500 000 travailleurs, soit près des deux tiers des employés du secteur privé sous réglementation fédérale. Les membres de l’ETCOF sont des organisations bien connues. Vous trouverez une liste de nos membres dans l’annexe du mémoire que nous vous remettrons aujourd’hui.

Il importe que nous précisions la nature des activités menées par nos membres afin que vous cerniez bien le risque pour la sécurité qui nous préoccupe. Les organisations membres de l’ETCOF emploient des contrôleurs de la circulation aérienne, des grutiers, des conducteurs d’équipement lourd, des chefs et des mécaniciens de train, des pilotes et des conducteurs de camion, pour ne nommer que ces exemples.

Il est important également de souligner que depuis deux ans, l’ETCOF étudie, en collaboration avec un large éventail d’employeurs et d’associations patronales du secteur sous réglementation fédérale et provinciale, la question dont est saisi le comité. Nos organisations membres ont comme point commun qu’elles exercent toutes leurs activités dans un domaine critique pour la sécurité, c’est-à-dire où la sécurité au travail et la sécurité publique sont primordiales.

Notre message clé est le suivant : dans le projet de loi C-46 et son pendant, le projet de loi C-45, le gouvernement du Canada omet de tenir compte de l’incidence qu’aura sur le milieu de travail la consommation de marijuana à des fins récréatives. Ce regrettable oubli pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur les travailleurs, les employeurs et le public en général. La politique de sécurité du Canada comporte déjà une faille en ce qui a trait à la présence d’alcool et de drogue en milieu de travail. La légalisation du cannabis ne peut qu’aggraver ce problème.

Les données provenant des États américains qui ont légalisé l’usage du cannabis, comme le Colorado, laissent entrevoir des tendances inquiétantes. Selon ces données, la consommation de cannabis est vouée à augmenter après avoir été légalisée. Cette tendance a de quoi inquiéter les employeurs. En effet, nous savons qu’elle finira par gagner les milieux de travail critiques pour la sécurité.

C’est pourquoi nous demandons que le comité amende le projet de loi C-46 de manière à mettre en place un cadre de dépistage d’alcool et de drogue d’application obligatoire dans les milieux de travail sous réglementation fédérale qui sont critiques pour la sécurité. Ce cadre devrait prévoir un éventail complet de tests : dépistage préalable à l’embauche, dépistage en raison d’un motif raisonnable, dépistage à la suite d’un accident, dépistage préalable au retour au travail et dépistage aléatoire.

Un tel cadre contribuera à la réalisation de plusieurs objectifs. Premièrement, il dissuadera les employés de travailler sous l’effet de l’alcool ou de drogue. En bref, le dépistage aléatoire est une mesure préventive efficace qui modifie les comportements et améliore la sécurité.

Deuxièmement, un tel cadre permettra au Canada de se mettre au diapason d’autres administrations à l’égard de cet important enjeu de sécurité publique et professionnelle. En effet, l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Inde et les États-Unis, pour ne nommer que ces pays, se sont déjà dotés d’un régime de dépistage. Aux États-Unis, le dépistage d’alcool et de drogue est obligatoire dans le secteur des transports depuis 1995 et les entreprises canadiennes qui souhaitent exercer leurs activités de l’autre côté de la frontière, comme les sociétés ferroviaires et les sociétés de camionnage, doivent se plier à cette obligation.

Troisièmement, l’instauration d’un nouveau cadre législatif au Canada rassurera toutes les parties, soit les employés, les syndicats et les employeurs, car les mêmes règles s’appliqueront à tous les milieux de travail. Le gouvernement établira des politiques conformes aux autres règles de sécurité au travail en vigueur dans les secteurs sous réglementation fédérale et de longues procédures judicieuses coûteuses et déroutantes pourront être ainsi évitées.

Même si la sécurité en milieu de travail dans le secteur fédéral constitue une obligation en vertu de la partie II du Code canadien du travail et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail qui en découlent, ces textes sont en grande partie muets sur la question des facultés affaiblies au travail. Ce silence a pour résultat regrettable que les règles sont fixées par les juges et les arbitres qui parviennent à autant de conclusions différentes. Les employeurs ne savent plus comment, quand et où ils peuvent procéder à des tests de dépistage d’alcool et de drogue. Le gouvernement doit établir une ligne de conduite claire à cet égard.

Voici quelques extraits représentatifs de la divergence d’opinions qui est apparue dans l’une des causes faisant jurisprudence, soit celle de Pâtes & papier Irving que la Cour suprême du Canada a rendue :

Dans l’exercice de son pouvoir législatif, le législateur du Nouveau-Brunswick a le pouvoir de soustraire les tests de dépistage de drogue et d’alcool au processus de négociation collective… certains experts ont indiqué qu’il est évident dans notre pays qu’une « directive et une définition législative ajouteraient de la cohérence, de l’uniformité et de la prévisibilité pour tous les intervenants du milieu de travail ». Cette décision revient toutefois au législateur du Nouveau-Brunswick et non à la Cour…

En outre, les mesures de sensibilisation relatives aux facultés affaiblies au travail font en sorte que les perceptions changent au Canada. En novembre 2017, la Commission canadienne de sûreté nucléaire a adopté un règlement sur l’aptitude au travail qui prévoit notamment le dépistage d’alcool et de drogue, y compris les tests aléatoires. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada appuyait fortement, en novembre 2017, à la suite de l’écrasement d’un aéronef de Carson Air, le recours au dépistage d’alcool et de drogue, y compris aux tests aléatoires, pour le secteur de l’aviation. Il existe au Canada un vide juridique évident qu’il faudra combler.

Pour terminer, je vous dirais quelques mots sur la question de la vie privée. Certains groupes prétendront que le dépistage d’alcool et de drogue constitue une atteinte à la vie privée. Or le projet de loi C-46 autorisera les contrôles routiers aléatoires de dépistage d’alcool. Or, le gouvernement estime que ce projet de loi respecte les principes de la Charte. Si la sécurité l’emporte sur le droit à la vie privée d’un conducteur automobile voyageant seul, il faut appliquer le même raisonnement à un pilote d’avion transportant 200 passagers, à un chef de train remorquant 50 wagons de produits chimiques, à un conducteur d’autobus transportant 60 passagers, à un conducteur de camion circulant sur une grande autoroute ou à n’importe quel travailleur dont les actions pourraient bouleverser la vie d’un collègue de travail ou d’un membre du public.

Nous estimons qu’il convient d’adopter une solution législative. Nous vous invitons à amender le projet de loi C-46 pour tenir compte de ces graves préoccupations.

Le président : Merci, monsieur Hynes.

Nous allons maintenant entendre, au nom de l’Association canadienne des traversiers, M. Serge Buy.

Serge Buy, chef de la direction, Association canadienne des traversiers : L’Association canadienne des traversiers est le porte-parole national du secteur des traversiers au Canada. Nos membres comprennent des exploitants et propriétaires de traversiers, y compris des sociétés d’État, des gouvernements provinciaux, des collectivités autochtones, des entreprises privées, des municipalités, par exemple. Les grandes sociétés du secteur du transport maritime comptent parmi nos membres.

Avec près de 55 millions de passagers, 21 millions de véhicules et des milliards de dollars de marchandises transportées annuellement, le secteur du transport traversier est un élément essentiel de l’infrastructure des transports canadiens. Nous rejoignons des collectivités qui ne peuvent pas être atteintes autrement, et c’est un service qui est important pour ces collectivités.

Nos membres ont le souci de respecter les meilleures normes de sécurité possible. Cela comprend assurer la sécurité de nos passagers et de nos équipages et d’employer tous les moyens possibles pour le faire.

Dans l’ensemble du Canada, tous les jours, les traversiers transportent des gens d’un endroit à un autre — ils les amènent au travail, à l’hôpital et à l’école.

Les traversiers fonctionnent — et c’est un aspect qu’il convient de signaler — dans un des environnements les plus extrêmes au Canada, un environnement qui exige une vigilance constante et où la moindre erreur peut entraîner un nombre catastrophique de victimes. En fait, si un accident survenait à bord d’un traversier dans un secteur isolé, comme le Haida Gwaii et le détroit de Cabot, les secours d’urgence ne pourraient arriver immédiatement et le moindre retard pourrait faire la différence entre la vie et la mort.

Étant donné que le gouvernement a pris des mesures visant à légaliser le cannabis, il nous paraît tout simplement prudent que le gouvernement prévoie également des outils qui assurent la sécurité de notre système de transport. Cela comprend les tests aléatoires visant les employés qui occupent des postes à risque.

Vous nous avez demandé, sénateur Sinclair, ce que nous entendons par « postes critiques pour la sécurité ». Dans notre domaine d’activité, cette expression s’applique à toutes les personnes à bord d’un traversier, car, lorsqu’il faut évacuer un navire, tous doivent disposer de tous leurs moyens pour participer de leur mieux aux manœuvres nécessaires.

Avant la présentation des projets de loi C-45 et C-46, le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis du gouvernement fédéral avait relevé précisément les dangers potentiels posés par des travailleurs occupants des postes critiques pour la sécurité dont les facultés seraient affaiblies, en particulier dans le secteur du transport.

Comme d’autres témoins qui ont comparu devant vous, nous avons été surpris de constater que le problème de la sécurité en milieu de travail n’est abordé dans aucun des projets de loi déposés. Ce n’est pourtant pas un nouveau problème. L’industrie demande depuis plusieurs années, et par divers moyens, le droit de procéder au dépistage aléatoire des drogues, et même de l’alcool, en milieu de travail.

On sait depuis longtemps que la consommation de cannabis peut nuire aux capacités cognitives d’une personne. Celles qui occupent des postes critiques pour la sécurité, comme les membres d’équipage sur un navire à passagers, pourraient être à l’origine de risques graves pour la sécurité. Lorsqu’on combine ce type de risques aux dangers du milieu maritime, le risque de perte de vies augmente de façon exponentielle. Si la plupart de nos membres ont des politiques de tolérance zéro en la matière, et qui exigent aussi la pleine aptitude au travail, elles ne peuvent procéder à des dépistages qu’à la suite d’un incident, alors qu’il est en réalité trop tard.

Les traversiers sont, à l’occasion, tenus de participer à des opérations de secours. Leurs membres d’équipage peuvent alors devoir procéder à des opérations de recherche et de sauvetage, dispenser des premiers soins, faire de la réanimation cardiorespiratoire, mettre à l’eau des canaux de sauvetage et s’adonner à d’autres activités de ce type. Il est alors essentiel que ceux qui participent à ces activités soient en pleine possession de leurs moyens.

Par comparaison, la politique du département américain des Transports sur le dépistage aléatoire des drogues de l’alcool s’étend aux postes critiques pour la sécurité dans tous les secteurs d’activité, y compris dans le secteur maritime. Cela fait plus de 20 ans que la législation américaine impose ces dépistages. Comme les itinéraires de certains de nos traversiers les amènent dans les eaux américaines, cela impose un régime de deux poids deux mesures dans l’industrie, puisque certains équipages peuvent subir des dépistages aléatoires de drogue alors que d’autres n’y sont pas soumis. Comme les autres témoins autour de cette table vous le diront, des incohérences de cette nature dans le secteur des transports se traduisent par l’imposition de deux normes pour des situations identiques.

Nos membres sont convaincus que permettre le dépistage aléatoire de drogue et d’alcool aurait un effet dissuasif et s’intégrerait à une stratégie plus large d’atténuation des risques pour l’ensemble du secteur des transports. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour les traversiers de l’État de Washington. Je me suis entretenu avec la représentante des ressources humaines des Washington State Ferries en me préparant à comparaître devant vous. Elle n’en croyait pas ses oreilles quand je lui ai expliqué que le Canada n’applique pas actuellement de politique de dépistage aléatoire de drogue et d’alcool. Si certains groupes ont dit craindre qu’un tel dépistage empiète sur les droits à la protection de la vie privée des employés, l’Association des traversiers canadiens estime que la sécurité des centaines de passagers qui se trouvent parfois à bord de nos navires doit l’emporter sur cette préoccupation. Le dépistage aléatoire constitue une solution équilibrée entre la protection des renseignements personnels et la sécurité.

Il y a aussi que les employeurs sont tenus d’assurer un milieu de travail sécuritaire à leurs employés. Dans un contexte déjà dangereux, alors que des conditions de navigation difficiles ne facilitent pas la vie à bord d’un navire de passagers, un membre d’équipage aux facultés affaiblies pourrait avoir des effets désastreux. Le dépistage aléatoire est une autre façon de s’assurer que le milieu de travail est aussi sécuritaire que possible.

Le fait de légaliser dorénavant le cannabis, en adoptant les projets de loi C-45 et C-46, sans autoriser les employeurs, dans notre cas les exploitants de traversiers, à s’assurer que les facultés de leurs membres d’équipage ne sont pas altérées relèverait d’un comportement à courte vue. Nous ferions alors face à des contentieux sans fin, comme dans les cas observés au sein de la Toronto Transit Commission dont vous avez entendu parler il y a quelques minutes. Les politiques seraient alors définies par les tribunaux et non plus par les législateurs.

Nous avons collectivement le devoir de nous assurer que notre système de transport est sécuritaire et permettre le dépistage aléatoire de drogue pour les postes critiques pour la sécurité est une autre façon de le garantir. Il faut aujourd’hui que le gouvernement fédéral exerce son leadership en la matière.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la semaine dernière, le 28 avril, c’était le Jour de deuil national qui rend hommage aux personnes qui sont mortes ou qui ont été blessées, ou qui sont devenues malades en milieu de travail ou par suite d’une tragédie en milieu de travail. Nous ne voulons pas avoir à revenir devant vous ici dans quelques années pour vous parler des incidents imputables à une législation à laquelle nous n’aurions pas suffisamment réfléchi.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci d’être parmi nous aujourd’hui.

J’aurais une question à poser au représentant de l’Association des employeurs des transports et communications de régie fédérale et à l’Association des chemins de fer du Canada. Dans votre mémoire, vous recommandez que le projet de loi C-45 soit amendé. J’ai compris que vous parliez plutôt d’un amendement au projet de loi C-46 pour y inclure le milieu de travail.

Avez-vous des données? Je vois dans votre liste d’employeurs qui sont membres de la coalition l’Association des chemins de fer du Canada et aussi la Toronto Transit Commission, qui nous a affirmé tout à l’heure ne pas recommander d’amendement au projet de loi C-46. Je voudrais clarifier cette question et vous demander aussi si vos membres ont des données sur les infractions de leurs employés aux États-Unis, puisque les règles y sont plus sévères, par rapport à ce que vous avez comme données sur leur conduite quand ils sont ici, au Canada.

[Traduction]

M. Hynes : Lors de la première question sur le projet de loi C-45, vous m’avez surpris en train de faire ce que plusieurs d’entre nous font, c’est-à-dire du couper-coller. Nous avons donné cet exposé à de nombreux endroits, et certaines des diapositives ont été reproduites ailleurs. Nous avons déjà comparu devant ce comité pour vous entretenir du projet de loi C-45 et, aujourd’hui, je vais donc vous parler exclusivement du projet de loi C-46. C’est la raison de notre présence.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je voulais vous poser la question pour vous rassurer sur le fait que nous lisons le matériel que vous nous envoyez.

[Traduction]

M. Hynes : Ce qu’il y a de bien à ce sujet, c’est que cela se trouve tout à fait à la fin, et je constate que vous avez lu notre document jusqu’au bout. Je ne m’y suis pas rendu jusque-là dans mon exposé. Je vous en remercie.

Au sujet de la seconde question, je ne dispose pas de données précises, mais mon collègue de droite pourra probablement vous dire comment les choses se passent aux États-Unis parce qu’il représente un organisme qui travaille des deux côtés de la frontière.

[Français]

La sénatrice Dupuis : C’est pour cela que je posais la question aussi à M. Gauthier.

M. Gauthier : Nos membres qui travaillent des deux côtés de la frontière, comme le CN, dont l’un des représentants m’accompagne aujourd’hui, possèdent cette information. Toutefois, elle est confidentielle, mais je peux m’engager à leur demander de vous la transmettre, sous réserve d’en protéger la confidentialité.

La sénatrice Dupuis : Merci.

M. Gauthier : À moins que M. Paquette ne soit prêt à divulguer volontairement cette information. C’est à sa discrétion.

Le président : Voulez-vous faire un commentaire, monsieur Paquette?

Simon-Pierre Paquette, conseiller juridique, Chemins de fer nationaux du Canada, Association des chemins de fer du Canada : Je n’ai pas ces données avec moi, mais je serai heureux de communiquer avec vous à ce sujet.

Cela dit, madame la sénatrice, vous avez parlé de l’expérience aux États-Unis. Je voudrais vous citer un extrait d’un rapport qui a été élaboré en 2004 par la FRA, l’autorité réglementaire pour les chemins de fer aux États-Unis, qui procédait à une analyse comparative de l’état du droit aux États-Unis et au Canada.

[Traduction]

La Federal Railroad Administration, la FRA, estime que les mesures qui ont été mises en œuvre au Canada jusqu’à ce jour ne se comparent pas aux exigences du titre 49…

— de la partie 219 de la réglementation américaine…

[Français]

Celle-ci contient les exigences sur le dépistage...

[Traduction]

… ni suffisantes pour protéger les activités ferroviaires des États-Unis lorsque des cheminots canadiens participent à d’importantes manœuvres ferroviaires aux États-Unis.

[Français]

Et la FRA poursuit ainsi :

[Traduction]

La règle G du Canada…

[Français]

— qui est la règle qui requiert que les équipages de train se présentent au travail sans être sous l’influence de drogue ou d’alcool —

[Traduction]

… se distingue par plusieurs points importants de la partie 219 de la réglementation américaine. Tout d’abord, elle ne prévoit pas le dépistage d’alcool et de drogue chez les cheminots pour détecter les contraventions à la réglementation et pour dissuader les contrevenants. L’expérience que les États-Unis ont eue avec la règle G leur a bien montré que la seule application d’une telle règle, sans les dépistages aléatoires et les autres analyses imposées par la partie 219, n’est pas efficace pour détecter les abus d’alcool et de drogue ni pour dissuader les employés occupant des postes critiques pour la sécurité d’en consommer.

[Français]

Pour terminer, voici un dernier extrait :

[Traduction]

Les compagnies de chemin de fer n’ont pu détecter qu’un nombre relativement faible de contraventions à la règle G. On pense que cela s’explique par l’habitude de se fier aux observations des superviseurs et des collègues…

La TTC a traité de ce point plus tôt.

… pour appliquer cette règle G. La FRA a estimé que les cheminots pratiquaient la « conspiration du silence » au sujet de la consommation d’alcool et de drogue.

[Français]

C’est dans ce contexte que la règle 219 contient, dans ses dispositions, une référence expresse pour indiquer que l’objectif qui est poursuivi est précisément la dissuasion, ou « deterrence »; c’est dans la législation, à l’article 219.601, je crois.

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos invités. Il est évident que vos témoignages vont nous aider à améliorer le projet de loi C-46.

Est-ce que j’ai bien compris que, contrairement aux transports en commun de Toronto, aucune de vos entreprises ne fait des tests aléatoires?

M. Gauthier : Les tests aléatoires ne sont pas une mesure que nous pratiquons, puisqu’il n’y a pas d’encadrement juridique qui le permette. Nous faisons des tests à l’embauche dans le cas des postes sensibles en matière de sécurité. Nous faisons des tests lorsqu’il y a une promotion à un poste sensible. Nous faisons aussi un test après un accident ou avant un retour au travail, mais nous ne faisons pas de tests aléatoires, pas au Canada, bien sûr.

M. Buy : Pas au Canada. Quand les traversiers passent des deux côtés, il y a des tests.

Le sénateur Boisvenu : Donc, vous ne faites des tests que si vous avez un soupçon raisonnable de croire que la personne est en état d’ébriété, c’est cela?

[Traduction]

Le président : Pourriez-vous dire « oui », pour que votre réponse figure au procès-verbal de notre comité?

M. Hynes : J’ai répondu qu’il y a effectivement des organismes qui pratiquent le dépistage pour des motifs raisonnables, comme avant l’embauche, après un incident, lors du retour au travail ou pour d’autres motifs de ce genre. Ce dépistage ne se pratique cependant pas de façon aléatoire ni à grande échelle. Oui, nos membres qui travaillent des deux côtés de la frontière font du dépistage aléatoire du côté américain.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : À l’heure actuelle, est-ce qu’il existe des données comparatives entre le Canada et les États-Unis qui, eux, pratiquent une approche préventive? Est-ce qu’il existe des données comparatives quant aux incidents qui impliqueraient une consommation de drogue ou de boisson, entre les deux pays, qui démontraient qu’un système de dépistage à l’américaine offre une certaine efficacité pour réduire le nombre d’incidents?

[Traduction]

M. Hynes : J’aimerais maintenant revenir à la question que la sénatrice Dupuis a posée il y a quelques minutes, et à laquelle je n’ai pas répondu complètement. L’annexe sur le matériel que je vous ai remise donne quelques exemples survenus aux États-Unis, dans le métro de Londres, et en Nouvelle-Galles du Sud. Lorsque des protocoles de dépistages aléatoires ont été mis en place, le nombre de résultats positifs diminue, ce qui nous semble montrer qu’une telle mesure dissuasive est efficace. C’est ce genre de mesures que nous aimerions voir appliquer dans le contexte canadien pour qu’elle ait un effet préventif. Il ne s’agit pas d’imposer des punitions, mais de prendre des mesures préventives afin de modifier les comportements en milieu de travail.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si je prends l’exemple du camionnage ou de l’industrie maritime, est-ce qu’on peut comparer les deux pays en termes d’incidents, pour avoir la démonstration, noir sur blanc, que les tests aléatoires réduisent les risques et ont donc un impact quant au nombre de vies sauvées ou à l’ampleur des dégâts matériels? Est-ce qu’il y a des données comparatives entre le Canada et les États-Unis? En Angleterre, il y a ces tests, je crois; en France aussi.

M. Buy : Nous n’avons pas de données en ce moment, sénateur, mais nous tenterons d’en trouver rapidement.

Le sénateur Boisvenu : Parfait, merci.

Le sénateur Carignan : Je vais parler spécifiquement du projet de loi C-46, parce qu’une bonne partie de votre témoignage peut valoir aussi pour le projet de loi C-45. Dans le cas du projet de loi C-46, en particulier, il y a une infraction prévue à l’article 253 concernant la conduite d’un aéronef, de matériel ferroviaire ou d’un véhicule à moteur avec présence de drogue dans le sang. C’est une infraction qui est prévue. Ce qui est « bizarre », c’est qu’il y ait seulement un test aléatoire d’alcool pour les conducteurs de petits véhicules et de voitures, mais pas pour les pilotes d’avion et les chefs de train. Il n’y a pas non plus de dépistage aléatoire de drogue pour l’ensemble.

Est-ce que vous avez posé des questions à ce sujet? Vous avez des lobbyistes, et certains sont inscrits au registre; avez-vous posé des questions au cabinet du ministre pour lui demander pourquoi des tests aléatoires sont prévus uniquement pour la dame qui conduit son véhicule et pas pour celui qui conduit 40 citernes de produits chimiques qui peuvent exploser au milieu d’un village? Avez-vous posé la question? Que vous a-t-on répondu?

[Traduction]

M. Hynes : Oui, nous avons posé cette question à de nombreuses occasions et à un grand nombre de personnes. Les réponses ne sont pas toujours aussi satisfaisantes que nous l’aimerions. Nous avons donné exactement le même argument que vous à toute personne prête à entendre. Nous trouvons quand même curieux que ce projet de loi permette de dépister de façon aléatoire la consommation d’alcool d’un conducteur de Prius, mais pas d’un pilote d’avion, d’un conducteur de camions de transport ni d’une des personnes évoquées dans les exemples que nous vous avons donnés précédemment. Nous n’obtenons pas de réponse satisfaisante à cette question. Nous aimerions pourtant bien en avoir une.

En ce qui concerne la drogue, je ne peux que faire l’hypothèse que ce projet de loi ne fait pas mention d’un dépistage aléatoire de la drogue parce que la technologie de dépistage sur le terrain n’est pas suffisamment aboutie pour permettre d’obtenir une réponse immédiate, et nous avons parlé plus tôt, avec le groupe de témoins précédents, de la nécessité d’obtenir une réponse immédiate qui entraîne une conséquence. Ce n’est là qu’une hypothèse de ma part.

Cela dit, nous n’obtenons pas de réponse satisfaisante à cette question, et c’est la raison pour laquelle nous répétons à l’envi qu’il faut résoudre ce problème au moyen d’une solution législative. Celle-ci nous permettrait de discuter ouvertement d’une telle disposition pour nous doter d’un cadre efficace afin de dissuader les employés de consommer des stupéfiants sur le milieu de travail.

[Français]

M. Gauthier : Il nous intéresse moins de punir que de prévenir. On veut empêcher qu’un accident se produise, et donc avoir la possibilité de le détecter avant que l’employé monte à bord de la locomotive et entreprenne son parcours. C’est aussi une question pratique. Il n’est pas pratique pour un policier de s’installer à un passage à niveau et de faire signe à une locomotive de s’arrêter pour tester le conducteur. On ne s’est pas vraiment arrêté à cet aspect. Ce qui nous importe, c’est que dans le cadre du travail, nous, les employeurs, puissions faire ces tests.

Le sénateur Carignan : Par contre, l’un n’empêche pas l’autre, selon ce que je comprends.

M. Gauthier : Tout à fait.

M. Buy : J’aimerais ajouter une chose. Le projet de loi C-46 s’occupe du Code criminel, mais nos inquiétudes portent plutôt sur le Code du travail et sa législation. Dans nos questions et dans les réponses que nous avons eues, il était souvent indiqué que les cours de justice s’occuperaient de cet aspect. Nous préférons prévenir plutôt que réparer. Je pense qu’il serait important d’avoir une bonne législation qui prévienne ce genre de problème, au lieu d’attendre qu’un accident se produise et qu’une cour décide pour tout le monde.

Le sénateur Carignan : Convenez-vous que c’est un acte criminel qui devrait être détecté?

Le président : Oui, c’est la distinction fondamentale entre les deux. D’ailleurs, nos témoins l’ont bien souligné antérieurement.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Je serai bref, car j’ai déjà obtenu des réponses à nombre de mes questions. Dans le prolongement du dernier sujet abordé par M. Buy, puis-je vous inviter à nous dire, de façon assez indépendante de votre recommandation sur le projet de loi C-46, si vous seriez prêts à recommander ou seriez satisfaits par l’adoption d’un cadre de travail défini dans le contexte du Code canadien du travail et de la législation provinciale concernée? Cela répondrait-il à vos préoccupations pour la sécurité que, d’ailleurs, nous partageons tous, pour assurer la sécurité aussi bien des travailleurs que des gens qu’ils servent?

M. Hynes : Ce que nous disons à ce sujet et que, en règle générale, nous ne voyons pas très bien où cela va nous mener. Nous cherchons une solution. La légalisation sur la marijuana a provoqué un débat très important auquel nous devons participer. Donc, si amender ce projet de loi pour modifier le Code du travail du Canada s’avère possible d’un point de vue législatif, cela nous conviendrait. Si vous pouvez nous recommander une autre solution qui donnerait de meilleurs résultats, puisque c’est bien évidemment votre spécialité et pas la nôtre de savoir où cela peut s’intégrer et comment l’harmoniser, nous y serions également favorables.

[Français]

Le sénateur Gold : Monsieur Gauthier, êtes-vous d’accord avec ce point de vue?

M. Gauthier : Oui, tout à fait, nous voulons que le problème découlant de la légalisation de la marijuana soit corrigé, et c’est vous, les législateurs, qui saurez sûrement où faire la correction.

M. Buy : J’aimerais m’assurer d’une chose, c’est qu’on ne nous dise pas de ne pas nous inquiéter, et qu’on s’occupera de nos inquiétudes plus tard. Nous avons une législation qui va légaliser la marijuana, mais il faudrait faire les deux choses en même temps. Nous serions inquiets si une législation était adoptée et qu’on nous disait : « Ne vous inquiétez pas, d’ici quelques années, nous allons nous occuper du reste. »

Le président : Si je comprends bien, vous ne voulez pas de promesse électorale.

M. Buy : Je vous laisse le dire.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Vous recommandez tous le recours au dépistage aléatoire et vous nous avez donné des indications de résultats obtenus dans d’autres administrations. La Cour d’appel de l’Ontario a estimé dans l’affaire Imperial Oil, et je conviens que c’était il y a quelques années, que les programmes de dépistage de drogue n’avaient pas encore prouvé leur efficacité pour réduire la consommation de drogue, les accidents du travail ou les problèmes de performance au travail. Pourriez-vous nous dire ce que vos propres recherches vous ont appris concernant les avantages de ce dépistage aléatoire?

M. Hynes : J’y ai fait allusion plutôt. L’annexe du document que nous vous avons remise mentionne certaines études précises et donne quelques exemples dans le secteur ferroviaire aux États-Unis, dans le métro de Londres et en Nouvelle-Galles du Sud, où l’application du dépistage aléatoire a permis de réduire le nombre de résultats positifs. Nous pouvons donc faire l’hypothèse qu’il y a une modification des comportements et une réduction de la consommation sur les lieux de travail. En vérité, je ne fais que répéter ce que M. Gauthier a dit précédemment, c’est-à-dire que nous voulons pouvoir appliquer une approche préventive.

La conversation est toujours centrée sur le caractère aléatoire du dépistage alors que, comme je vous l’ai dit dans mon exposé, nous voulons appliquer un ensemble complet de mesures de dépistage, aussi bien préalables à l’embauche, qu’à la suite d’un incident, pour d’autres motifs raisonnables, lors du retour au travail et de façon aléatoire. Nous disposerons ainsi, avec les programmes de formation en milieu de travail, d’un ensemble complet de moyens d’intervention pour agir de façon plus large sur les comportements et être plus efficaces en prévention.

[Français]

Le sénateur Pratte : Dans la question de l’équilibre entre la protection du droit à la vie privée et la sécurité, on a parlé du dépistage obligatoire sur la route et du fait que le gouvernement, par le projet de loi C-46, va imposer le dépistage obligatoire aux usagers de la route, mais pas aux gens que vous représentez.

L’argument du gouvernement à cela, c’est que dans le cas de la sécurité routière, on sait qu’il y a chaque année des centaines de personnes qui perdent la vie dans des accidents de la route causés par des gens dont les facultés sont affaiblies par la drogue et l’alcool. Quel serait, pour vos membres, l’argument massue de ce genre-là?

Est-ce qu’il y a des problèmes qui répondraient aussi au jugement Pâtes et Papier Irving, selon lequel s’il n’y a pas, dans le milieu de travail, de problème grave, on ne peut justifier la tenue de tests aléatoires, qui représentent une invasion assez importante de la vie privée?

Quel problème majeur de sécurité causé par l’alcool et la drogue dans vos milieux de travail justifierait des tests aléatoires, qui constituent une atteinte assez importante à la vie privée?

[Traduction]

M. Hynes : Ce disant, nous essayons vraiment d’inciter les travailleurs, les syndicats et les employeurs à tous prendre la sécurité très au sérieux. Nous ne prétendons pas faire face à une situation de crise incontrôlable, mais nous sommes effectivement préoccupés par la consommation d’alcool et de drogue sur les lieux de travail, et la légalisation de la marijuana va exacerber ces préoccupations. Nous pensons que nous allons assister à une augmentation de sa consommation, et nous faisons l’hypothèse qu’elle va trouver son chemin vers le milieu de travail. Nous voudrions parvenir à une solution permettant un certain équilibre entre le droit à la protection des renseignements personnels, qui est bien structurée, et les préoccupations en matière de sécurité sur le lieu de travail, qui nous paraissent essentielles. C’est la solution que nous cherchons. Il faut parvenir à une certaine forme d’équilibre entre ces deux préoccupations.

[Français]

M. Buy : Vous avez parlé d’équilibrer le droit à la vie privée et la sécurité. Pour nous, la réponse sera toujours la même, c’est le droit à la vie, point. C’est ce qui est le plus important, c’est-à-dire le droit à la vie de nos équipages, le droit à la vie des passagers, de sorte que ces gens puissent regagner leur maison le soir sans avoir d’incidents qui pourraient mettre leur vie en danger. Il y a eu des incidents d’une côte à l’autre, par exemple, un incident où un bateau est monté sur la côte, et c’était probablement lié à la marijuana. D’autre part, il y a un bateau qui a coulé et où il semble que l’alcool ait eu un impact et qui a entraîné la mort de deux personnes. Ce sont des incidents qui ont lieu, mais nous voulons les éviter.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de vos exposés.

Personne ne doute de l’importance de la sécurité. Elle est le principal objectif, aussi bien dans le milieu de travail qu’en ce qui concerne le public. Notre comité étudie actuellement deux projets de loi importants, C-45 et C-46. Le projet de loi C-45 traite de la marijuana et le C-46 des infractions relatives aux moyens de transport. Tout en gardant les questions de sécurité à l’esprit, seriez-vous d’avis que le gouvernement fédéral devrait adopter une législation rendant obligatoire le dépistage d’alcool et de drogue pour les postes critiques pour la sécurité réglementés par le gouvernement fédéral avant d’adopter la légalisation de la marijuana avec le projet de loi C-45?

M. Hynes : Oui. Pour revenir sur le point soulevé précédemment par mon collègue, ce dont nous ne voulons pas est une solution dans laquelle on nous dirait qu’on réglera cela plus tard. Nous pensons qu’il est maintenant temps d’avoir cette discussion et de modifier un ou deux de ces projets de loi pour choisir une solution nous permettant de pratiquer le dépistage afin d’améliorer la sécurité à bord de nos moyens de transport.

Le sénateur McIntyre : Vous nous dîtes donc, en d’autres termes, qu’avant de légaliser la marijuana, nous devrions régler le problème dans le milieu de travail. Est-ce bien cela?

M. Hynes : Oui, ou au moins en même temps.

Le sénateur McIntyre : Quels sont les risques dans le domaine de la sécurité routière auxquels vous vous attendez avec l’entrée en vigueur de la légalisation de la marijuana? Je me permets d’attirer votre attention sur la page 7, si je ne me trompe, de la brochure que vous nous avez remise. Elle traite des effets de cette mesure sur la sécurité au Colorado.

M. Hynes : Ce que nous voulons vous montrer avec ce document, en utilisant certaines données provenant du Colorado, est qu’après la légalisation de la consommation récréative de marijuana dans cet état, en 2013, on y a observé un changement de comportement. À la page 7 de notre exposé, vous constaterez que le Colorado est passé d’une fourchette allant de la 8e à la 14e place des États ayant la plus forte consommation aux États-Unis à une fourchette allant de la première à la deuxème place, et ce pour tous les groupes d’âge. Il nous semble donc logique de nous attendre à ce que la marijuana s’infiltre dans le milieu de travail. Si vous passez à la page suivante, vous y verrez des données montrant comment le nombre de décès dans des accidents de la circulation, de visites dans les services d’urgence et d’hospitalisation a augmenté après l’autorisation de la consommation de la marijuana à des fins récréatives.

La sénatrice Pate : J’aimerais que chacun de vous me dise quels efforts vos organismes font pour s’assurer que les employeurs informent suffisamment leurs employés des risques de la consommation de drogues, du cannabis dans ce cas-ci, au travail.

Ensuite, lorsque le dépistage donne un résultat positif chez un employé, quels sont les traitements proposés à celui-ci par les employeurs membres de vos organismes, que ce soit à titre d’employeur ou de membres de votre organisation? L’accès à ces traitements s’accompagne-t-il de conditions?

M. Hynes : Mon témoin est allumé. Est-ce à dire que je réponds en premier?

Le président : Vous semblez être le favori.

M. Hynes : Je vous en remercie. Je ne sais pas si je dois m’en féliciter ou non.

Je vous dirai que, parmi les employeurs les plus importants, la plupart d’entre eux disposent de politiques pour réagir à la consommation d’alcool et de drogue en milieu de travail et pour s’y attaquer. Je ne connais pas les détails de toutes ces politiques. Cependant, je ne crois pas que la mise en œuvre de ce type de politique soit généralisée dans l’industrie ni dans toute l’économie, et c’est là l’un des points importants de notre exposé. Je crois qu’il y a de nombreuses lacunes en la matière au sein des organismes qui ne se sont pas dotés de politiques et je suis porté à croire que les problèmes pourraient être encore plus graves au sein des organismes les plus petits qui n’ont pas les moyens d’élaborer et d’adopter de telles politiques.

L’un des points que nous avons soulevés est que les employeurs n’ont pas une bonne connaissance de la réglementation en la matière. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu attirer votre attention sur le cas Irving, sur nombre des autres arbitrages dans ce domaine, et sur ce qui se passe au sein de certains organismes. Comme les gens n’ont qu’une connaissance approximative de la réglementation, la problématique leur paraît floue, et les politiques utiles en la matière ne sont pas nécessairement mises en place.

Quand il y en a, je crois qu’elles comportent des engagements en matière de formation qui sont certainement des éléments essentiels de ces politiques.

J’en viens maintenant au second volet de votre question. Je crois qu’en réalité nous parlons ici de deux familles de pensée quand il s’agit de la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail. Il y a un volet d’accommodements. Ainsi, si un employé donné souffre d’une forme d’incapacité, les employeurs connaissent bien leurs obligations en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, quand il s’agit de consommation d’alcool ou de drogue. Il existe des dispositions pour accommoder ces employés et leur permettre de faire face à ces handicaps quand ils surviennent. Ce qui nous inquiète vraiment est la consommation à des fins récréatives et l’infiltration de cette consommation dans le milieu de travail à laquelle on risque d’assister. C’est la principale raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.

La sénatrice Pate : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il prendre la parole?

M. Paquette : Sénateur, je vous renvoie au paragraphe 4 de la règle G du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, qui se lit comme suit :

Il appartient aux employés de connaître et de comprendre les effets néfastes que peuvent avoir les médicaments ou les psychotropes, prescrits ou non par un médecin, sur leur aptitude à remplir sans danger leurs fonctions.

Il importe de préciser ici que, dans ce contexte, le régime réglementaire impute aux employés qui choisissent de faire carrière dans les chemins de fer de s’informer eux-mêmes des répercussions possibles de toute substance qu’ils absorbent, qu’elle soit prescrite par un médecin ou non, ou autorisée ou non par la loi.

La sénatrice Pate : Votre réponse n’est donc pas l’éducation. La responsabilité incombe-t-elle aux employés? Si un employé est handicapé ou victime d’une dépendance, à quel traitement peut-il avoir accès?

M. Paquette : pour répondre à la seconde partie de votre question, je ne peux bien évidemment vous dire comment les choses se passent qu’au CN. Nous allons mener des campagnes ponctuelles de formation. Comme vous l’a dit Derrick, nous avons mis en place depuis près de 20 ans l’une des politiques les plus progressistes sur le dépistage de la drogue et de l’alcool en milieu de travail. Nous donnons une formation approfondie à nos gestionnaires sur la mise en œuvre de cette politique et sur les points qu’ils doivent surveiller.

Comme Gérald vous l’a dit précédemment, ce qui importe le plus en la matière est la prévention. Une compagnie de chemin de fer a tout intérêt à s’assurer que ses employés sont, avant tout, parfaitement conscients de leurs obligations, et qu’ils savent que leur employeur est tenu de leur offrir un milieu de travail sécuritaire. Leur employeur doit aussi s’assurer qu’ils comprennent bien le contexte et que celui-ci leur est rappelé régulièrement.

Quant à la seconde partie de votre question sur les possibilités de traitement, une fois encore, je ne veux pas répéter ce que Derrick vous a déjà dit, mais je vais vous donner un exemple pour bien vous montrer combien il est important pour le CN d’être proactif. L’un des éléments de nature proactive de notre politique est que si un employé perd son permis de conduire, même à un moment pendant lequel il ne travaille pas, il est tenu de nous en informer de façon confidentielle, ce qui signifie qu’il ne lui sera imposé aucune punition ni aucune mesure disciplinaire, mais que nous pourrons veiller à faire évaluer sa condition par un médecin compétent. Si cet employé souffre d’un problème sous-jacent, et peu importe la raison pour laquelle son permis de conduire aura été suspendu pour avoir prie le volant avec des facultés affaiblies, on pourra s’attaquer au problème et lui apporter de l’aide afin d’éviter la récurrence du dit comportement sur le lieu de travail.

M. Buy : Je peux vous répondre, sénateur. Notre association regroupe des entreprises allant de B.C. Ferries, qui compte environ 3 000 employés et transporte plus de 20 millions de passagers, à Marine Atlantique sur la côte Atlantique, qui est une société d’État fédérale.

[Français]

La STQ, la Société des traversiers du Québec, est un organisme provincial.

[Traduction]

Ces organismes se sont sans aucun doute dotés de politiques et assurent la formation de leurs employés, et leur viennent en aide.

Nous comptons aussi parmi nos membres de petites entreprises qui, par exemple, franchissent la rivière des Outaouais avec quatre ou cinq employés, mais qui transportent néanmoins des centaines sinon des milliers de passagers par jour. Pour elles, la sécurité est tout aussi importante, mais les moyens dont elles disposent pour former leurs employés sont passablement limités. Nous avons également des employés occasionnels qui, par exemple, ne travaillent pour nos membres que l’été. C’est un autre problème. Nous comptons également parmi nous des exploitants de traversiers dans les communautés nordiques et autochtones, et nous devons là aussi nous assurer qu’ils ont les moyens de dispenser la formation nécessaire.

Il faut que vous réalisiez, sénateur, que ce problème est créé par cette législation, et que celle-ci devrait nous fournir le moyen d’intervenir. Il ne suffit pas d’imputer la responsabilité à l’employeur en disant : « Veuillez assurer la formation du personnel et lui offrir des possibilités de traitement. » Il est évident que nous allons le faire, mais cela ne suffit pas. Je vous remercie.

La sénatrice Pate : Comment les choses se passent-elles actuellement si l’un de vos employés est alcoolique ou toxicomane?

M. Buy : Cela dépend de l’entreprise.

La sénatrice Pate : Si vous pouvez nous faire parvenir des exemples de politiques progressistes sur les possibilités de traitement, permettant aussi de se conformer aux règles de la Commission canadienne des droits de la personne, je vous en serai reconnaissante. Merci.

Le sénateur Tkachuk : Je ne sais plus quelle compagnie aérienne avait mis sur pied, il n’y a pas longtemps, un projet pilote pour l’alcoolisme. Bien évidemment, il est possible de détecter la consommation d’alcool à l’odeur, tout comme c’est le cas pour la fumée de marijuana. Il est matériellement plus difficile, par exemple, d’inhaler de la fumée de marijuana pendant les heures de travail. Il faut toutefois se faire à l’idée que la marijuana peut prendre la forme de produits comestibles, qu’on peut mettre dans une boîte à lunch et consommer tout en travaillant dans une situation dangereuse. Il me semble que c’est un domaine dans lequel il faudra… Je vais vous laisser réagir parce que je suis convaincu que c’est un sujet qui a déjà retenu votre attention.

M. Hynes : Vous mettez le doigt en plein sur le problème. Vous touchez là l’une de nos préoccupations fondamentales. La détection de la consommation d’alcool pour un motif raisonnable n’est pas facile en soi, mais elle est quand même plus facile que celle de la consommation de marijuana. La personne qui a bu pourra avoir les yeux injectés de sang, avoir une haleine reconnaissable et des difficultés d’élocution. La consommation d’autres substances ne se traduit pas par les mêmes symptômes. Elle ne laisse pas nécessairement d’odeurs détectables, comme dans le cas de produits comestibles, que vous venez d’évoquer. C’est pourquoi le dépistage est si important. Pour revenir sur ce que mon collègue vient de vous dire, cette législation va en vérité faire apparaître ce nouveau risque. Il est certain que cela nous préoccupe.

M. Paquette : Si vous me permettez de revenir sur ce point et sur l’exemple que vous avez mentionné, la compagnie aérienne en question était Sunwing. Pour résumer, le pilote a réussi à se rendre à l’aéroport au milieu de ses collègues, et à aller jusqu’au cockpit de l’avion avant de perdre connaissance et d’être alors signalé. Ce cas illustre parfaitement le problème sur lequel le gouvernement doit exercer son leadership.

Pour faire rapidement le lien entre votre question et une posée auparavant par le sénateur Pratte, ce qui a motivé au départ la mise en œuvre de dépistage aléatoire aux États-Unis a été un accident d’Amtrak en 1987, au Maryland. Un chef de train qui a lui-même admis avoir consommé de la marijuana, comme cela a été confirmé par les analyses, a causé la mort de 16 personnes.

Quand vous voyez des exemples comme celui du pilote d’avion que vous venez de rappeler, comme industrie, et je suis sûr que je m’exprime ici au nom de toutes les personnes présentes, nous ne voulons pas voir se produire au Canada un accident comme celui du Maryland avant de nous décider à adopter une législation proactive qui nécessitera de se doter d’un cadre cohérent et uniforme pour le dépistage de drogue et d’alcool dans tout le pays.

Le sénateur Sinclair : J’en conclus, toujours au sujet de ma question posée au groupe de témoins précédents, que vous accordez la priorité à cette suggestion pour être en mesure d’avoir les moyens d’utiliser le dépistage aléatoire. Nous parlons ici uniquement du dépistage de drogue. Le dépistage aléatoire d’alcool est un problème différent. Nous allons le laisser de côté. Avec le recours au dépistage aléatoire de drogue, vous cherchez à disposer d’un moyen légal d’arrêter les gens occupant des postes critiques pour la sécurité d’en consommer. Ai-je raison?

M. Hynes : Oui.

Le sénateur Sinclair : Comme employeur, vous voulez pouvoir dire à un employé : « Nous pensons que vos facultés sont affaiblies et vous allez devoir subir un dépistage aléatoire de drogue. Si le résultat est positif, vous n’aurez pas le droit de prendre les commandes de cet avion, de conduire ce train ou ce camion. »

M. Hynes : Cela, nous pouvons déjà le dire et le faire. Si c’est ce que nous croyons, nous pouvons procéder au dépistage. Ce que nous voulons obtenir est le droit de soumettre à un dépistage aléatoire de drogue une partie de notre main-d’œuvre, selon un calendrier donné. La procédure utilisée devra permettre d’obtenir des résultats informatisés. C’est, à nos yeux, une mesure préventive.

Le sénateur Sinclair : Tous vos employés seront donc soumis au dépistage aléatoire, qu’ils occupent ou non des postes critiques pour la sécurité à ce moment précis.

M. Hynes : Non. S’ils font partie des employés considérés comme occupant des postes critiques pour la sécurité, ils seront englobés dans l’échantillon soumis au dépistage aléatoire.

Le sénateur Sinclair : Cela ne répond pas à ma question.

M. Hynes : Vous m’avez demandé si tous les employés feront partie de l’échantillon, qu’ils occupent ou non des postes critiques pour la sécurité. Je réponds non. Ce ne sera pas le cas.

Le sénateur Sinclair : Ce n’est pas ce que je vous ai demandé.

M. Hynes : Désolé.

Le sénateur Sinclair : Je voulais savoir si toutes les personnes qui vont être soumises au dépistage seront appelées pour faire partie d’un échantillon sélectionné de façon aléatoire, qu’elles occupent ou non un poste critique pour la sécurité? C’est bien le pouvoir dont vous voulez disposer, n’est-ce pas?

M. Hynes : Oui. Elles feront partie du groupe d’employés qui pourrait occuper des fonctions critiques pour la sécurité.

Le président : Si elles appartiennent à une catégorie d’employés qui peuvent présenter un risque s’ils ne sont pas en pleine possession de leurs moyens?

M. Hynes : Oui. C’est bien cela.

Le sénateur Sinclair : Donc, un conducteur de camion ou de train, ou un employé de traversier qui se trouve chez lui pourrait faire l’objet d’un dépistage aléatoire de drogue, même s’il ne travaille pas à ce moment donné. Est-ce le pouvoir que vous voulez obtenir?

M. Hynes : Il vaut probablement mieux que ce soit vous qui répondiez puisque c’est un exemple de situation qui se présente aux États-Unis où vous procédez à ces dépistages.

Le sénateur Sinclair : Je cherche juste à savoir dans quelle mesure ce caractère aléatoire s’appliquerait ici.

M. Paquette : Si je comprends bien votre question, les employés des compagnies de chemin de fer sont soumis à l’application de la règle G quand ils sont en service ou qu’ils peuvent être appelés à prendre leur service.

Le sénateur Sinclair : Lorsqu’ils peuvent être appelés à prendre leur service. Oui, j’ai vu cela.

M. Paquette : C’est donc dans ce contexte que la réglementation s’appliquerait. Par contre, si un employé ne risque pas d’être appelé à prendre son service, comme on l’a mentionné précédemment, il n’y a aucun intérêt pour nous à vouloir savoir ce qu’il fait pendant son temps libre.

Le sénateur Sinclair : Quelqu’un d’autre veut-il répondre?

En 2009, la Commission canadienne des droits de la personne a publié un document dans lequel elle traitait des problèmes soulevés par le dépistage aléatoire de drogue et d’alcool, tout en faisant la distinction entre les deux. Elle a rappelé que ces formes de dépistage soulèvent des questions concernant les droits de la personne puisqu’elles imposent à la personne de subir une forme d’examen médical, qu’on peut assimiler à une invasion de la vie privée. La commission expliquait alors le dépistage aléatoire de drogue ne permettant pas de mesurer la diminution des facultés de la personne au moment de l’examen et ne pouvant que confirmer que cette personne a, à un moment donné, par le passé, été exposée à des drogues, et ce parfois plusieurs semaines auparavant, un résultat positif de dépistage ne permet pas d’affirmer qu’une personne n’avait pas toutes ses facultés au travail. Voulez-vous répondre à cet argument?

M. Hynes : Oui. Ce document remonte à 2009 et ce que nous tenons à vous rappeler, qui a été confirmé plus tôt par le témoignage de la représentante de la Toronto Transit Commission, est que les techniques de dépistage ont nettement progressé depuis cette époque et peuvent signaler une consommation récente dans un délai suffisamment court pour expliquer la diminution des capacités d’une personne.

Le sénateur Sinclair : Dans les quatre heures qui précèdent, si je me souviens bien de ce que nous a dit le groupe de témoins précédents.

M. Hynes : Oui. C’est exact.

Le sénateur Sinclair : Donc, la consommation de drogue dans les quatre heures précédant le dépistage pourrait être détectée, mais sans signifier nécessairement que les capacités de la personne sont affaiblies?

M. Hynes : Eh bien, je ne suis pas compétent pour discuter des avis de spécialistes présentés dans le mémoire de la Toronto Transit Commission, mais je suis convaincu que ces spécialistes vous diraient, avec un certain degré de certitude, que si une personne a consommé de la drogue dans ce délai, on peut s’attendre à une diminution de ses capacités sur le lieu de travail.

Le sénateur Sinclair : Je vous remercie.

Le président : Nous passons maintenant à une seconde série de questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je suis aussi allé aux États-Unis et j’ai rencontré des gens à Washington. Peut-être que vous en avez entendu parler. Ils ont été très surpris d’apprendre qu’il n’y avait pas de tests de dépistage aléatoires de drogue pour les pilotes d’avion et les mécaniciens de train. Dans le milieu de l’emploi, eux-mêmes, des employés fédéraux, sont soumis à cette règle.

Seriez-vous d’accord pour dire que, dans votre milieu de travail, particulièrement dans le domaine du transport, les États-Unis sont mieux préparés à légaliser le cannabis dans tous les États que le Canada l’est actuellement dans les provinces et les territoires, compte tenu du fait que les Américains font déjà ces tests aléatoires depuis 1995?

[Traduction]

M. Hynes : Je dirais que oui. Ils procèdent à ce dépistage depuis 1995. Comme mes amis vous l’ont dit, ils disposent d’un cadre de travail dans le secteur du transport. Ils se sont dotés d’un protocole de dépistage. Ils ont acquis de l’expérience dans ce domaine et je suppose qu’on peut faire l’hypothèse qu’au moment de la légalisation du cannabis dans ces états, où ces industries sont implantées, ils seront probablement en meilleure posture pour y faire face.

Le sénateur McIntyre : Vous avez traité la question des risques. J’aimerais simplement faire un commentaire sur la gestion des risques dans un milieu de travail. Il me semble que ces risques devraient être assumés également par l’employeur et par l’employé. Il semble toutefois qu’actuellement ce soit à l’employeur qu’il incombe de gérer ces risques, alors que les deux parties, l’employeur et l’employé, devraient se partager également les responsabilités. Qu’en pensez-vous?

M. Hynes : Je ne saurais vous dire quelles sont les dispositions précises qui s’appliquent en la matière, mais je crois savoir que le Code canadien du travail attribue la responsabilité ultime de la sécurité à l’employeur. D’un point de vue philosophique, nous sommes d’accord avec ce que vous venez de dire. C’est une responsabilité partagée. Nous travaillons dans un secteur réglementé par le gouvernement fédéral dans lequel les relations sont très étroites et saines entre le gouvernement, le mouvement syndical et la collectivité des employeurs. Je pense donc, d’un point de vue philosophique, que cela implique une responsabilité partagée en la matière.

Le président : Monsieur Hynes, participez-vous à la consultation menée par le ministère des Transports pour tenter d’arriver à une solution entre les trois parties, le syndicat, les employeurs et le gouvernement, afin de mettre en place un cadre de travail permettant d’améliorer la sécurité en pratiquant le dépistage aléatoire et en mettant en œuvre toutes les autres mesures qui pourraient être prises pour accroître la sécurité dans votre industrie?

M. Hynes : L’initiative à laquelle je participe n’est pas animée par le ministère des Transports, mais par le ministère du Travail. Le Comité consultatif sur la santé et la sécurité au travail, dont les membres sont nommés par le ministre du Travail, est un organisme tripartite qui se réunit quelques fois par année pour discuter, de façon collaborative, des dispositions en matière de santé et de sécurité au travail imposées par le Code canadien du travail et par la réglementation connexe. Il y a environ 12 à 18 mois, nous avons mis sur pied un sous-comité chargé de se pencher précisément sur la diminution des facultés en milieu de travail. Depuis cette époque, nous nous sommes réunis quatre ou cinq fois pour discuter de ce problème.

Le président : Ces réunions vous ont-elles permis de produire un rapport ou des résultats préliminaires? Si vous en avez un calendrier, sous quel délai devez-vous parvenir à une conclusion? Suis-je trop optimiste?

M. Hynes : Vous êtes peut-être un peu trop optimiste. Tous les participants conviennent que la sécurité en milieu de travail est de la toute première importance et toutes les parties prennent cette question très au sérieux. Quand on en vient à discuter d’un problème particulier, les parties présentes, en particulier le mouvement syndical et la collectivité des employeurs, n’ont certainement pas les mêmes points de vue. Je ne crois pas pour autant que cela nous conduise à une impasse, mais l’état de nos discussions, jusqu’à maintenant, ne me permet pas de vous dire que, de notre point de vue, nous avons atteint les objectifs.

Le président : Vous n’avez donc pas publié de documents que nous pourrions consulter.

M. Hynes : Pas à ma connaissance, non. Tous les procès-verbaux de ces réunions sont des documents publics. Ils sont affichés sur un site web. Je ne crois pas que nous soyons encore parvenus à des conclusions ou à des ententes. Nous avons ce que j’appellerai des discussions préliminaires sur certains aspects de la sécurité, sur la diminution des facultés et sur la consommation de drogues et d’alcool au travail.

Le président : Il me reste à vous remercier sincèrement, MM. Gauthier et Paquette, porte-paroles de l’Association des chemins de fer du Canada, M. Hynes, de l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale, et M. Buy, de l’Association canadienne des traversiers. Vous avez été très efficaces pour nous aider à bien saisir les répercussions du projet de loi C-46. Je vous en remercie.

(La séance est levée.)

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