Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 62 - Témoignages du 15 mai 2019
OTTAWA, le jeudi 16 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue ce matin pour la suite de notre étude article par article du projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.
[Traduction]
Chers collègues, je suis heureux de vous accueillir à la séance de ce matin. Nous avons abattu beaucoup de travail hier. Vous vous souviendrez que nous avons demandé au conseiller juridique du Sénat et aux fonctionnaires du ministère de la Justice de mettre en commun leurs connaissances et leur expertise au sujet du nouvel article 196.1. Les documents vous sont distribués en ce moment. Je vais vous laisser le temps de les passer en revue pour que tout le monde ait l’occasion de prendre connaissance des modifications proposées qui ont été apportées au texte, d’après les directives qui ont été données.
J’ai l’intention de lancer plus tard la discussion sur ces modifications, une fois que nous aurons fini d’étudier notre liste d’amendements, afin d’assurer le déroulement séquentiel du travail. À l’issue de notre examen des diverses dispositions, nous reviendrons à l’article 196.1, si cela vous convient, chers collègues.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Est-ce qu’on peut poursuivre le débat sur la proposition d’amendement?
Le président : Oui, bien sûr, nous poursuivons là où nos travaux avaient pris fin hier, soit avec l’article 225. Je reprends ce que j’ai dit plus tôt : nous allons revenir à l’article 196.1 à la fin de la séance pour ne pas ralentir la progression des travaux.
Le sénateur Dalphond : J’ai des commentaires à faire sur les amendements, mais je peux attendre à la fin.
Le président : Je sais que vous êtes un homme patient et que vous avez une excellente mémoire, donc vous n’oublierez pas. Nous en étions donc à l’article 225 et il y avait un amendement, soit le numéro CPC-225.79.
[Traduction]
L’amendement porte le numéro CPC-225.79. Les sénateurs devraient en avoir une copie. Il s’agit, bien entendu, d’un amendement qui a été proposé, je crois, par le sénateur Boisvenu.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Effectivement; je souhaite la bienvenue à tout le monde.
Il est proposé :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à l’article 225, à la page 79, par substitution, aux lignes 26 à 28, de ce qui suit :
« tenaire intime; ».
Le projet de loi C-75 introduit une nouvelle mesure qui était réclamée par nombreux organismes qui viennent en aide aux femmes victimes de violence conjugale. J’ai moi-même travaillé depuis presque deux ans avec un groupe de six ou sept femmes. Toutes ces femmes ont été victimes de tentative de meurtre. Elles ont vécu une période de violence conjugale assez intense et l’un des éléments sur lesquels nous avons travaillé comme groupe à mon bureau, c’était de voir comment on pouvait diminuer le nombre de femmes qui sont assassinées au Canada. Chaque année, en effet, 50 femmes sont assassinées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Au Québec, c’est l’équivalent d’une École Polytechnique par année, soit 15 femmes qui se font assassiner en moyenne. Malheureusement, ces meurtres ont lieu à peu près tous les mois, donc les médias en parlent pendant 24 heures environ. Si ces meurtres avaient lieu la même journée durant l’année, je crois que le gouvernement aurait pris des mesures en vue de mieux protéger ces femmes.
Une des mesures qui me tenait beaucoup à cœur, effectivement, c’est le renversement de la preuve; qu’est-ce que cela veut dire? Lorsqu’un juge a devant lui un ex-conjoint ou un conjoint qui a fait preuve de violence envers sa conjointe ou ex-conjointe, il doit faire la preuve que cet individu ne représente pas un danger pour la victime, plutôt que ce soit à la Couronne de faire la preuve que monsieur représente un danger pour la victime. À titre d’information, environ 50 p. 100 des ex-conjoints remis en liberté avant leur procès vont contrevenir à leurs conditions de remise en liberté. Cinquante pour cent, c’est énorme. De ce pourcentage de contrevenants qui ne respectent pas leurs conditions de remise en liberté, 50 p. 100 vont commettre des actes de violence pouvant aller jusqu’à la mort. Donc, les organismes qui sont venus témoigner devant le comité, comme l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues, qui ne travaillent malheureusement pas avec des femmes vivantes, mais avec des familles dont l’épouse ou l’ex-épouse a été assassinée, nous ont dit ce qui suit, et je partage complètement leur point de vue :
Comme le prévoit le projet de loi C-75, le renversement du fardeau de la preuve s’appliquerait uniquement après une récidive.
On permet donc, en fin de compte, à l’ex-conjoint d’agresser sa femme une première fois. Puis, l’État va faire la preuve qu’il est dangereux, et à la deuxième agression, on renverse le fardeau de la preuve. Pour ces organismes, c’est tout à fait inacceptable. Lorsqu’un conjoint se présente devant un juge et qu’il a posé des gestes d’une grande violence envers sa conjointe, le renversement du fardeau de la preuve devrait s’appliquer immédiatement. Dans le cas d’une récidive, il est souvent trop tard. Je vais défendre ces organismes et ces femmes qui sont victimes de violence conjugale. Je vais défendre les organismes qui protègent ces femmes une fois qu’elles ont été violentées, en vous demandant de modifier cet article et de faire en sorte que le renversement du fardeau de la preuve s’applique immédiatement lorsqu’il y a eu un geste de violence envers une femme, afin que le conjoint ou l’ex-conjoint doive prouver qu’il ne représente pas un danger pour cette femme s’il veut recouvrer sa liberté. Recouvrer sa liberté, c’est un droit et aussi, je crois, un privilège accordé par la cour. Je pense que ce recours en vue d’une remise en liberté doit se faire avec un risque nul pour la conjointe ou ex-conjointe. C’est pour cela que je vous présente cet amendement.
Le président : Nous débattons de l’amendement; y a-t-il d’autres commentaires?
Le sénateur Dalphond : D’abord, je dois dire que je partage l’objectif fort louable qu’exprime le sénateur Boisvenu, selon lequel on doit mettre en place des mesures qui favorisent la prévention plutôt que d’imposer des sanctions à quelqu’un qui a tué ou blessé quelqu’un d’autre. Cela dit, l’objectif est très louable, mais il reste que l’article 11 de la Charte canadienne des droits et des libertés s’applique ici, notamment le droit constitutionnellement garanti d’être présumé innocent tant qu’on n’a pas été reconnu coupable. L’amendement en question, qui est proposé par le ministère — un représentant du ministère pourra me corriger si je me trompe —, ne vise que les récidivistes, car, au sens de la Charte, pour passer le test de l’article 1, soit la dérogation à un droit constitutionnellement protégé qui pourrait se justifier dans une société libre et démocratique, le législateur propose de retenir le critère de la récidive, en s’appuyant sur la preuve sociologique qui démontre qu’il y a un taux élevé de récidive et que le risque est plus grand quand quelqu’un a déjà été impliqué dans des procédures pour avoir commis des gestes de violence familiale.
Cependant, ce qui est proposé ici, c’est que, dans tous les cas, la présomption est inversée, et, pour ma part, je crois que cela ne pourrait pas passer le test de l’article 1. Je suis conforté dans cette position par la discussion que j’ai eue avec la professeure Sheehy, de l’Université d’Ottawa, qui a comparu devant nous la semaine dernière, je crois, et avec laquelle j’ai eu une discussion portant sur cette question après la séance du comité. Je lui ai demandé si on ne devrait pas étendre le renversement du fardeau de la preuve dans le cas de la première accusation, et elle a concédé que cette disposition ne passerait pas le test de l’article 1. Le risque est donc que la disposition pourrait être déclarée invalide, tant à l’égard de la première infraction que de celui ou celle qui est un récidiviste.
Par conséquent, si on veut maintenir l’objectif, qui est d’avoir un renversement de la preuve, je pense qu’il est plus prudent de le faire seulement à l’endroit d’une personne qui a déjà été reconnue coupable d’une infraction.
[Traduction]
La sénatrice Batters : J’aimerais me prononcer en faveur de cet amendement du sénateur Boisvenu. Tout au long de l’étude du projet de loi, nous avons entendu de nombreux témoins préconiser la même idée. Ainsi, ils ont affirmé que, bien souvent, ce genre d’incidents graves de violence conjugale constituent la première accusation criminelle dont fait l’objet une personne. Toutefois, beaucoup de témoins qui ont une vaste expérience de travail dans ce domaine, notamment auprès de refuges pour victimes de violence conjugale et de groupes de victimes, nous ont dit que, malheureusement, ces incidents se sont probablement déjà produits à maintes reprises, mais qu’il s’agit de la première fois que la victime a le courage de s’adresser à la police.
Bien franchement, la violence conjugale est devenue presque une épidémie au Canada, et nous devons commencer à nous y attaquer sérieusement. Je crois que le renversement du fardeau de la preuve est justement ce qui aidera les femmes et les victimes de violence conjugale à cet égard.
En ce qui a trait à la question de la Charte, nous n’avons pas entendu trop de témoins affirmer que cette mesure risque d’aller à l’encontre de la Charte. Je dirais, pour ma part, qu’il faudrait que nous entendions beaucoup plus d’arguments en ce sens avant que j’en sois convaincue. En fait, vu le nombre considérable de cas de violence conjugale au pays et les proportions épidémiques de ce problème à l’heure actuelle, je crois qu’il s’agit d’une très bonne mesure qui serait maintenue aux termes de l’article 1. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais citer Elizabeth Sheehy, dont nous a parlé le sénateur Dalphond :
Les absolutions ne sont pas des sanctions rares pour les hommes coupables de voies de fait...
On sait que les hommes qui sont accusés de violence conjugale, ou du moins une grande partie d’entre eux — je n’en savais rien — reçoivent l’absolution inconditionnelle pour différentes raisons, comme des raisons professionnelles, ou pour voyager aux États-Unis ou en Europe, par exemple.
... sur les partenaires féminins, même dans les cas d’agression très grave. Je crois en conséquence que le renversement de la preuve est considéré de façon trop étroite ici. Il devrait s’appliquer à tous ceux qui sont trouvés coupables d’infraction de violence conjugale.
C’est ce qu’elle a déclaré. Je rappellerai à mon collègue, le sénateur Dalphond, qu’il y a aussi un article dans la Charte des droits et libertés qui parle du droit à la protection, soit l’article 7. Je pense que la Cour suprême devra trancher pour dire ce qui est important pour notre société : protéger la vie de ces femmes, ou protéger la remise en liberté ou la présomption d’innocence pour un homme qui risque de l’assassiner.
Pour moi, ce qui prime, c’est la protection de ces femmes. Comme ma collègue le disait plus tôt, c’est une épidémie. Il y a un journaliste au Québec qui a employé le terme de « chasse aux femmes ». Elle est ouverte, et c’est ce que nous vivons au Canada. Proportionnellement à la population, il y a plus de femmes qui sont assassinées dans notre pays qu’aux États-Unis, par exemple.
On le dit depuis des années : je pense qu’il faut absolument envoyer un message clair aux conjoints ou ex-conjoints, pour dire que leur non-acceptation d’une décision relativement à un divorce ne passe pas par le meurtre de leur conjointe ou ex-conjointe. Il faut lancer un message clair, et je pense que nous avons l’occasion de le faire aujourd’hui.
Le sénateur Dalphond : Puis-je demander au sénateur Boisvenu de relire la phrase du témoignage de la professeure Sheehy? Je pense avoir bien entendu qu’elle faisait référence à des personnes qui avaient été condamnées.
Le président : Voulez-vous relire la phrase, sénateur?
Le sénateur Boisvenu : La voici :
Les absolutions ne sont pas des sanctions rares pour les hommes coupables de voies de fait sur les partenaires féminins, même dans des cas d’agression très grave. Je crois en conséquence que le renversement de la preuve est considéré de façon très étroite ici. Il devrait s’appliquer à tous ceux qui sont trouvés coupables d’une infraction de violence conjugale.
Le sénateur Dalphond : C’est mon point. Merci.
[Traduction]
Le sénateur Gold : Je voudrais poser une question aux fonctionnaires du ministère de la Justice. Pendant qu’ils s’apprêtent à prendre place, je peux peut-être situer le contexte.
Il s’agit d’un terrible dilemme en matière de politique qui donne du fil à retordre aux juristes. J’ai lu l’énoncé concernant la Charte que l’on a préparé au sujet du projet de loi. Je voulais attirer l’attention des membres du comité sur ce document. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les fonctionnaires ici présents. À cet égard, voici ce qu’on peut lire dans l’énoncé concernant la Charte :
Pour être conforme à l’alinéa 11e) de la Charte, le fardeau de la preuve inversée doit correspondre à une « juste cause » de refuser la caution...
Bien entendu, cela s’appliquerait aux autres dispositions qui prévoient un renversement du fardeau de la preuve.
... c’est-à-dire que la mise en liberté sous caution ne doit être refusée que dans des cas bien précis et le refus doit s’imposer pour favoriser le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution et il ne faut pas y recourir à des fins extérieures à ce système.
Voici la suite :
Les considérations suivantes appuient la compatibilité de l’article 227 du projet de loi avec l’alinéa 11e) de la Charte [...]
Une privation de la mise en liberté sous caution ne serait prononcée qu’à l’égard des accusés qui ne peuvent démontrer, selon prépondérance des probabilités, qu’aucun des trois motifs prévus par la loi relativement à la détention préalable au procès ne s’applique à sa situation.
Cela se limiterait donc à certains accusés qui ont déjà été déclarés coupables de l’infraction.
En tant que groupe, ces personnes ont été jugées comme présentant un risque de commettre des actes de violence, ce qui exacerbe le risque de commission d’autres infractions envers leurs partenaires intimes. Ainsi, l’inversion du fardeau de preuve proposée est conçue de façon stricte afin de favoriser le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution, principalement en assurant la sécurité publique.
Est-ce que je comprends bien le raisonnement? Pouvez-vous nous aider à comprendre comment vous avez interprété la Charte?
Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil principale, ministère de la Justice Canada : De l’avis du ministère, il fallait rétrécir le champ d’application pour que ce soit suffisamment ciblé afin d’atteindre l’objectif. Le ministère s’inquiète des taux de violence entre partenaires intimes. C’est la forme la plus courante de violence déclarée contre les femmes au Canada. Il s’agit d’un grave problème, mais en même temps, bon nombre des infractions de violence envers un partenaire intime ont une portée très large. Cela pourrait englober aussi bien des infractions très mineures que des infractions très graves.
Je ne dis pas cela parce que je prends la violence conjugale à la légère, mais j’ai déjà vu des cas où des accusations pouvaient être portées contre une personne qui a lancé un objet qui n’était pas dangereux. Il pourrait s’agir de voies de fait. Si quelqu’un devait lancer, disons, un chou — et je ne veux pas tourner la chose en dérision —, cela pourrait être considéré comme des voies de fait. Imaginez si, devant le tribunal des cautionnements, le renversement du fardeau de la preuve devait s’appliquer dans un tel cas. Voilà les types de cas que nous jugerions trop excessifs, et cela pourrait signifier que la protection n’a pas résisté à une contestation en vertu de la Charte.
L’autre préoccupation soulevée par le ministère concerne la contre-accusation et la double accusation. S’il n’y a aucune condamnation antérieure, cette mesure s’appliquerait tout de même de manière générale à un plus grand nombre de personnes, qui ne devraient pourtant pas être visées par cette restriction.
J’aimerais revenir à la conversation qui vient d’avoir lieu sur les propos de Mme Sheehy au sujet des absolutions inconditionnelles. En tout respect, elle n’a pas dit qu’on ne devrait pas exiger un rétrécissement. Son commentaire portait plutôt sur le libellé choisi à cet égard. Elle parlait des condamnations antérieures, parce que cela n’englobe pas les absolutions. Selon Mme Sheehy, cette disposition devrait être formulée différemment; elle n’a pas dit que le renversement du fardeau de la preuve ne devrait pas s’appliquer.
Toujours en ce qui a trait aux questions que le ministère a essayé de régler, si je peux me le permettre, j’aimerais attirer l’attention du président sur l’alinéa 515(3)a) proposé du Code criminel. En raison de cette préoccupation, à savoir la nécessité de prendre au sérieux tout cas de violence entre partenaires intimes dans le cadre du processus de libération sous caution, même lorsque le renversement du fardeau de la preuve ne s’applique pas, le projet de loi C-75 propose, à la page 78, d’ajouter un autre facteur qui s’applique dans tous les cas, peu importe s’il y a ou non un renversement du fardeau de la preuve :
(3) Dans toute ordonnance rendue au titre du présent article, le juge de paix tient compte de tout facteur pertinent, notamment :
a) le fait que le prévenu est accusé ou non d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime...
Par conséquent, même dans les cas où il n’y a aucune condamnation antérieure, ce facteur doit être pris au sérieux par les tribunaux.
Le président : Merci.
Le sénateur McIntyre : Chers collègues, je fais écho aux observations du sénateur Boisvenu.
Comme la sénatrice Batters l’a mentionné, nous avons entendu beaucoup de témoins parler de la violence conjugale. Je me contenterai de vous donner quelques noms. Je suis sûr que vous vous souvenez de leurs témoignages. Par exemple, Marion Buller, commissaire en chef de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui a témoigné le 8 mai, et Heidi Illingworth, ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, qui a également témoigné le 8 mai. Elle a déclaré : « J’ai certainement dit que le renversement du fardeau de la preuve est une bonne chose. »
[Français]
Nous avons également entendu M. Bruno Serre, président de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues, Annie Saint-Onge, qui a perdu sa sœur, ainsi que Mme Nancy Roy, directrice générale de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues, qui ont comparu devant le comité le 8 mai.
[Traduction]
Nous avons également entendu Karen Wiebe, directrice générale de la Manitoba Organization for Victims Assistance.
Par conséquent, au moment du vote, tâchons de ne pas oublier leurs témoignages.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je voulais poser la question à la représentante du ministère de la Justice. Si j’ai bien compris, dès le départ, un juge de paix doit tenir compte de tout facteur, y compris le fait que le prévenu est accusé ou non d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime. Peu importe s’il a été condamné ou peu importe la situation de la personne, est-ce un facteur obligatoire dont le juge de paix doit tenir compte?
[Traduction]
Mme Davis-Ermuth : Oui. Je ne l’ai pas mentionné, mais dans la même disposition que j’ai citée, soit l’alinéa 515(3)a), qui exige qu’un juge de paix tienne compte du fait que l’infraction en cause a été perpétrée avec usage de violence contre un partenaire intime, il y a un autre amendement proposé à l’alinéa b), qui l’oblige à tenir compte de toutes les condamnations antérieures.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’on parle d’usage, de tentative ou de menace de violence contre son partenaire intime, mais aussi du fait que cette personne accusée a été condamnée ou non pour une infraction criminelle, y compris une autre infraction criminelle de violence à l’endroit de son partenaire intime?
[Traduction]
Mme Davis-Ermuth : Oui. Cela inclurait non seulement les condamnations antérieures de violence envers un partenaire intime, mais aussi toute autre condamnation antérieure.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Sénateur Boisvenu, vous vous rappellerez que nous avons entendu le Service de police de l’agglomération de Longueuil, mais aussi Mme Safadi, qui travaille pour la police de Longueuil avec des victimes de violence et qui a dit quelque chose de très important, à mon avis. Il est important que tous les professionnels soient engagés dans la protection des femmes victimes de violence, dans le soutien et l’accompagnement de ces femmes dès le début du processus, et même avant qu’elles dénoncent leur agresseur, jusqu’à la fin de ce processus. Pour moi, il y a un élément strictement technique dans la condamnation, et on veut changer la loi pour la changer, mais il est essentiel que les dispositions du projet de loi survivent à une contestation judiciaire en fonction de la Charte. Je crois qu’il y a un élément qui m’apparaît encore plus réconfortant, et c’est l’article dont nous venons de parler, qui signifie que le fait que le prévenu soit accusé ou non d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime, devient un facteur déterminant dont le juge de paix doit obligatoirement tenir compte.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Tout d’abord, maître Davis-Ermuth, vous avez dit que vous ne vouliez pas du tout donner l’impression que vous essayez de minimiser la violence conjugale; or, dans votre exemple selon lequel le fait de lancer un chou pourrait être considéré comme un acte de voies de fait, je tenais à souligner que, selon toute vraisemblance, les policiers et les procureurs ne porteraient aucune accusation de voies de fait contre une personne dans pareille situation. Oui, bien sûr, c’est possible, mais seul un très petit nombre de cas auraient une incidence minimale devant les tribunaux criminels.
Au lieu de cela, ce qui arrive plus souvent, malheureusement, c’est l’autre extrême. Comme nous l’avons entendu au comité dans le cadre des témoignages sur cette question, certaines femmes victimes de violence conjugale n’ont pas droit à une seconde chance. Elles finissent par être assassinées la deuxième fois que leur partenaire intime commet un crime contre elles.
Je tenais également à signaler que, dans les incidents de violence conjugale, le nombre de fois que les femmes victimes finissent par ne pas intenter de poursuites criminelles après avoir initialement fait des efforts en ce sens est malheureusement toujours trop élevé, parce qu’elles ont peur. Elles craignent de ce qui leur arrivera si leur mari ou leur partenaire intime est remis en liberté par la police.
Voilà ce dont nous devons tenir compte. C’est pourquoi il est si important de prévoir le renversement du fardeau de la preuve dans les incidents de violence conjugale de toutes sortes, et pas seulement dans le cas des récidivistes. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Tout d’abord, le renversement du fardeau de la preuve n’aggrave pas le geste qui a été commis. Lorsqu’un juge aura écouté la personne accusée, il sera en mesure de trancher et de déterminer si le plaidoyer en sa faveur est raisonnable ou non.
Deuxièmement, le renversement du fardeau de preuve en cas de récidive est nuisible aux femmes. Pourquoi? Parce que le conjoint sait que, la deuxième fois, il y a des chances qu’il reste incarcéré. On lui dira : « La première fois, tu as une chance, parce que c’est à nous de faire la preuve et elle est très difficile à faire. Par contre, la deuxième fois, c’est toi qui seras responsable de faire la preuve. »
Cela aura pour conséquence d’aggraver la situation pour les femmes victimes de violence, parce que ces femmes ne dénoncent pas. Le fardeau de la violence conjugale, c’est la non-dénonciation. En devant établir le fardeau de la preuve immédiatement, nous risquons de voir plus de dénonciations de la part de femmes qui vivent cet enfer.
Enfin, je me fie à la sagesse des tribunaux, qui, face à l’épidémie actuelle de violence conjugale, trancheront entre deux éléments , soit le respect du droit à la présomption d’innocence du prévenu et la protection des femmes. Je suis d’avis que les tribunaux, dans leur grande sagesse, décideront que ce sont les femmes qu’il faut d’abord protéger.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Les exemples concrets qui sont mentionnés pour justifier cette motion ne représentent que les pires cas auxquels les tribunaux feront face.
J’aimerais parler un instant des victimes elles-mêmes, mais d’une façon différente. Ce que le sénateur Boisvenu laisse entendre, c’est-à-dire le nombre de femmes victimes qui sont accusées d’une infraction en raison de circonstances mineures — et la sénatrice Batters invoque le même argument, en disant que le fait de lancer un chou n’entraînera pas d’accusations criminelles —, contredit carrément les politiques en vigueur. En effet, après un certain nombre de cas de meurtres familiaux, la GRC et la plupart des provinces ont élaboré des politiques aux termes desquelles toute personne accusée d’avoir commis un acte de violence doit être inculpée. Une simple allégation suffit pour donner lieu à une inculpation.
Au Manitoba, d’après mon expérience, étant donné que j'ai siégé à la Cour provinciale ainsi qu’à la Cour supérieure, je me suis occupé de dossiers, d’enquêtes sur le cautionnement et de révisions des ordonnances de détention. Mon expérience en la matière montre qu’un nombre important d’hommes qui sont accusés d’infractions contre leur conjointe allèguent, au cours de leurs entrevues avec la police, qu’ils ont eux-mêmes été agressés par leur conjointe, si bien que les femmes seraient également accusées. D’ailleurs, il arrive parfois que la femme et le mari soient inscrits au même dossier.
Si une femme se trouvait dans une situation où elle devait justifier sa mise en liberté, le fardeau de la preuve étant renversé, alors, du point de vue financier, elle n’aurait pas les mêmes moyens que son conjoint. Dans bien des cas, le conjoint est un homme de la classe moyenne qui gagne un salaire raisonnable, alors que la conjointe est une femme au foyer qui n’a pas d’emploi ou qui n’a nulle part où aller. L’homme peut alléguer que sa conjointe est psychotique ou folle, qu’elle fait toutes sortes de choses et qu’elle l’attaque constamment. Comment peut-elle y réagir? Comment peut-elle convaincre le juge que c’est faux? C’est presque une situation de manipulation psychologique.
Je n’ai aucune difficulté à dire que ces femmes auraient plus de mal, dans une situation de contre-accusation, à convaincre un juge qu’elles sont de bons sujets pour la mise en liberté.
L’autre facteur que j’aimerais souligner, c’est que, d’après les études, les femmes qui sont incarcérées — en particulier, les femmes autochtones — dans le système pénitentiaire fédéral et qui ont été accusées et déclarées coupables d’infractions de violence conjugale ont agi de la sorte pour se défendre contre leur agresseur, entraînant parfois la mort de celui-ci ou des blessures graves.
Ce qu’il importe de se rappeler, c’est que ces femmes ont été accusées parce qu’elles avaient elles-mêmes subi des attaques. Le processus judiciaire ne joue pas toujours en leur faveur. Voilà pourquoi je parle au nom des personnes qui seront touchées par ce genre d’amendement et qui ne pourront pas répondre aux critères. Il s’agit des femmes qui se font contre-accuser. Ainsi, un segment important de la population sera soumis à la politique de mise en accusation sans aucune discrétion, politique qui est suivie par les services de police presque partout au pays.
Lorsqu’une personne fait une allégation de violence conjugale, par excès de prudence, la police porte des accusations contre tout le monde. Cela comprend la personne qui est la vraie victime et qui est souvent une femme. Par conséquent, si elle est également accusée, elle aura beaucoup plus de difficulté à être mise en liberté sous caution.
L’amendement proposé ne tient pas compte des circonstances générales que ces infractions criminelles peuvent englober. La sénatrice Batters affirme que le fait de lancer un chou contre quelqu’un n’entraînera pas d’accusation de voies de fait. Sachez que j’ai déjà été saisi d’une affaire, en Cour provinciale, où une femme avait été accusée de voies de fait pour avoir lancé un hamburger d'un restaurant McDonald contre son mari parce qu’il l’avait giflée. Elle a été accusée de voies de fait. De toute évidence, les policiers se font dire qu’ils n’ont pas de pouvoir discrétionnaire; ils sont obligés de porter des accusations.
Nous devons garder à l’esprit que l’important, en l’occurrence, c’est que l’historique des condamnations constitue un facteur qui justifie le renversement du fardeau de la preuve, et cela résistera à toute contestation en vertu de la Charte qui sera soulevée si cet amendement est adopté. En tout cas, je ne suis pas convaincu que cet amendement sera à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte.
La sénatrice Batters : Pour répondre au sénateur Sinclair, j’ai bien dit « selon toute vraisemblance ». En fait, un des premiers cas dont j’ai dû m’occuper, lorsque j’étais une jeune avocate, c’était une accusation de méfait contre un très jeune homme qui avait placé un trognon de pomme sur l’antenne de voiture d’une personne. Oui, évidemment, il peut arriver toutes sortes de choses, mais j’ai dit « selon toute vraisemblance ».
Les arguments invoqués par le sénateur Sinclair concernent un problème de taille, à savoir la double accusation. Or, je ne pense pas que nous devrions nous débarrasser de ce qui constitue un très bon amendement sur la question précise du renversement du fardeau de la preuve dans les cas de violence conjugale à cause du problème de la double accusation.
La sénatrice Lankin a souvent posé des questions sur la double accusation dans le cadre de l’étude du projet de loi. J’ignore si elle a proposé un amendement à ce sujet, mais c’est certainement quelque chose que je serais disposée à appuyer, parce que je conviens que cela peut poser problème. Toutefois, d’après mon expérience devant les tribunaux en Saskatchewan, je n’ai pas vu ce genre de situation aussi fréquemment que ce que le sénateur Sinclair laisse entendre.
Oui, c’est un problème qui doit être abordé, mais à mon sens, nous ne devrions pas nous débarrasser d’un amendement très positif en essayant de tout englober là-dedans.
Le président : Merci, sénatrice. Je crois comprendre que les honorables sénateurs sont maintenant prêts pour le vote par oui ou non.
Keli Hogan, greffière du comité : L’honorable sénateur Joyal?
Le sénateur Joyal : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dyck?
La sénatrice Dyck : Je m’abstiens.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Housakos?
Le sénateur Housakos : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Miville-Dechêne?
La sénatrice Miville-Dechêne : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte?
Le sénateur Pratte : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Non.
Mme Hogan : Pour : 4; contre : 6; abstentions : 2.
Le président : Merci. L’amendement est rejeté.
L’article 225 est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence.
Les articles 226 à 234 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Je crois comprendre que nous sommes saisis d’un amendement pour l’article 235. C’est proposé par le sénateur Sinclair. Vous en trouverez une copie dans votre liasse d’amendements. Le numéro indiqué sur la page est le MS-235.88.
[Français]
Il s’agit de l’amendement identifié par le numéro MS-235.88. Nous en sommes à la page 88 du projet de loi.
[Traduction]
Sénateur Sinclair, veuillez présenter l’amendement.
Le sénateur Sinclair : L’amendement se lit comme suit.
Je propose :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à l’article 235, à la page 88, par adjonction, après la ligne 11, de ce qui suit :
« (7) Au présent article, juge s’entend, dans la province de Québec :
a) dans le cas où l’ordonnance enjoignant la détention sous garde du prévenu a été rendue par un juge de la cour supérieure de juridiction criminelle de la province de Québec, au sens de l’alinéa b) de la définition de ce terme à l’article 493;
b) dans tout autre cas, d’un juge de la cour supérieure de juridiction criminelle de cette province, d’un juge de la Cour du Québec ou de trois juges de la Cour du Québec. ».
Le président : Voulez-vous donner une explication, sénateur?
Le sénateur Sinclair : Le sénateur Dalphond va en parler. Lui et moi avons discuté de la question de compétence propre au Québec qui se pose en raison de l’amendement proposé.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci, sénateur Sinclair. Essentiellement, vous vous souviendrez que, lorsque le ministre a comparu, je lui ai posé la question. Les juges de la Cour du Québec avaient parlé de la difficulté d’avoir trois juges pour remettre quelqu’un en liberté ou faire la révision d’un jugement enjoignant la détention devant la Cour du Québec, sinon en l’envoyant devant la Cour supérieure. Ils avaient demandé qu’on apporte un amendement afin qu’un seul juge puisse faire la modification ou la révision d’une ordonnance liée à la détention.
Par la suite, le ministre nous a indiqué qu’il nous reviendrait rapidement là-dessus, et la réponse du gouvernement est celle que le sénateur Sinclair a lue.
La difficulté, ici, c’est qu’il faut trois juges pour d’autres dispositions que la révision de l’ordonnance relativement à la détention. Donc, la rédaction est particulière, au sens où il faut un seul juge pour faire une révision du jugement en ce qui a trait à la détention, mais, essentiellement, il faut trois juges pour d’autres dispositions du Code criminel.
Dans les cas de déclaration de culpabilité par procédure sommaire, on a recours à un juge de la Cour du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Juste pour être certaine de bien comprendre, sénateur Sinclair, êtes-vous parrain de ce projet de loi? Je ne me rappelle plus.
Le sénateur Sinclair : De l’amendement?
La sénatrice Batters : Le parrain du projet de loi.
Le sénateur Sinclair : Oui, je le suis.
La sénatrice Batters : Ai-je bien compris que le sénateur Dalphond a dit que c’était la réponse du gouvernement, qu’il s’agit d’un amendement du gouvernement?
C’est bien cela?
Le sénateur Sinclair : On en a discuté avec le gouvernement, oui.
La sénatrice Batters : Le gouvernement y est favorable?
Le sénateur Sinclair : Je crois bien, oui.
La sénatrice Batters : L’a-t-il rédigé?
Le sénateur Sinclair : Non, c’est nous qui l’avons fait, avec le légiste.
La sénatrice Batters : Mais les représentants du gouvernement ont signalé que si ce projet de loi est adopté après que cet amendement précis y aura été apporté, ils y seront favorables et l’accepteront?
Le sénateur Sinclair : Le ministre le confirme dans sa lettre. J’essayais simplement de trouver la section dans la lettre. Il y reconnaît les questions uniques qui sont soulevées au Québec... Je suis désolé de ne pas l’avoir sous la main. J’ai la lettre.
[Français]
Le président : Madame Morency, peut-être?
[Traduction]
Ou peut-être que Mme Davis-Ermuth ou tout autre fonctionnaire du ministère de la Justice pourra répondre?
La sénatrice Batters : Ce serait utile que quelqu’un du ministère de la Justice vienne nous parler.
Le sénateur Dalphond : Ce point a été soulevé pendant les questions que je lui ai posées quand il a témoigné.
Le président : Madame Davis-Ermuth, vous avez entendu la question soulevée par la sénatrice Batters?
Mme Davis-Ermuth : Le ministère ne sait pas exactement à quelle lettre on fait allusion à ce moment précis. S’agit-il de la lettre d’engagement du ministre?
Le sénateur Sinclair : Ce n’est pas dans la lettre.
Le président : Bien sûr, je l’ai lue.
La sénatrice Batters : En ce qui concerne cet amendement en particulier...
Le président : Dans sa lettre, le ministre ne le mentionne pas précisément. Peut-être que la sénatrice Batters peut répéter sa question.
La sénatrice Batters : Oui. Si on adopte cet amendement précis que le parrain du projet de loi a proposé, le gouvernement l’acceptera-t-il?
Mme Davis-Ermuth : Le gouvernement est favorable à cet amendement. Il a consulté le gouvernement du Québec ainsi que les juges de la Cour du Québec, qui deviendraient responsables de cette question.
La sénatrice Batters : En tant qu’avocate au ministère de la Justice, êtes-vous satisfaite du libellé de l’amendement?
Mme Davis-Ermuth : Oui.
La sénatrice Batters : Merci.
Le président : Comme je ne vois pas que d’autres sénateurs aimeraient intervenir, je vais mettre l’amendement aux voix.
[Français]
Vous voulez ajouter quelque chose, sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Dans ma question au ministre, ce dernier a répondu ce qui suit :
L’arrêt Myers est assez récent. Comme vous, je suis un juriste québécois. La question a été soulevée par nos homologues au Québec et nous sommes en train d’y réfléchir. Nous sommes au courant des défis et nous évaluons les suggestions en ce moment.
C’est ce qui a donné lieu à l’amendement.
[Traduction]
Le président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer sur l’amendement proposé? Que tous ceux qui sont en faveur de l’amendement proposé par le sénateur Sinclair lèvent la main.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence, merci.
L’article 235 modifié est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Merci.
Les articles 236 à 238 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : À l’article 239, je crois savoir que nous avons un amendement. Il est présenté par le sénateur Dalphond.
[Français]
Donc, nous en sommes à l’amendement qui est identifié par le numéro PJD-239.90. Nous sommes maintenant à la page 90 du projet de loi. Tout le monde s’y retrouve?
Monsieur le sénateur Dalphond, veuillez présenter l’amendement
Le sénateur Dalphond : Je vais faire la lecture de l’amendement.
Il est proposé :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à l’article 239 :
a) à la page 90, par substitution, à la ligne 31, de ce qui suit :
« d’un jury. Si vous choisissez d’être jugé par un juge sans jury ou par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ou si vous êtes réputé avoir choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, une enquête préliminaire ne sera tenue que si vous ou le poursuivant, ou les deux, en faites la demande et que la demande est accueillie par le juge de paix. Comment choisissez-vous d’être jugé? »;
b) à la page 91, par adjonction, après la ligne 6, de ce qui suit :
« (4.01) Lorsqu’un prévenu visé au paragraphe (2.1) choisit d’être jugé par un juge sans jury ou par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ou est réputé, au titre de l’alinéa 565(1)a), avoir choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ou est accusé d’une infraction mentionnée à l’article 469 non passible de l’emprisonnement à perpétuité ou encore ne fait pas de choix, le juge de paix tient une enquête préliminaire sur l’inculpation, sur demande commune présentée par le prévenu et le poursuivant à ce moment ou dans le délai prévu par les règles établies en vertu des articles 482 ou 482.1, ou, en l’absence de règles, dans le délai fixé par lui, si le juge de paix est convaincu que des mesures appropriées ont été prises pour atténuer les répercussions sur les témoins, y compris le plaignant, qui sont susceptibles de témoigner à l’enquête.
(4.02) Lorsqu’un prévenu visé au paragraphe (2.1) choisit d’être jugé par un juge sans jury ou par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ou est réputé, au titre de l’alinéa 565(1)a), avoir choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury ou est accusé d’une infraction mentionnée à l’article 469 non passible de l’emprisonnement à perpétuité ou encore ne fait pas de choix, le juge de paix peut tenir, sous réserve de l’article 577, une enquête préliminaire sur l’inculpation, sur demande présentée par le prévenu ou le poursuivant à ce moment ou dans le délai prévu par les règles établies en vertu des articles 482 ou 482.1, ou, en l’absence de règles, dans le délai fixé par lui, si le juge de paix est convaincu que la tenue de l’enquête servirait au mieux l’administration de la justice et que des mesures appropriées ont été prises pour atténuer les répercussions sur les témoins, y compris le plaignant, qui sont susceptibles de témoigner à l’enquête. ».
Le président : Merci, sénateur. Y a-t-il des explications?
Le sénateur Dalphond : Je m’excuse. C’était moins long que ce qu’a dû lire le sénateur McIntyre hier, mais c’est tout aussi technique jusqu’à un certain point.
[Traduction]
Nous avons entendu de nombreuses personnes qui sont venues témoigner devant le comité pour remettre en question la proposition du gouvernement d’abolir entièrement les enquêtes préliminaires, sauf dans le cas où une personne a été accusée d’une infraction passible de l’emprisonnement à perpétuité. Ce serait le seul cas où il y aurait enquête préliminaire.
Le nombre d’enquêtes préliminaires à la grandeur du Canada a diminué au fil des ans. Nous savons qu’environ 3 p. 100 des affaires font maintenant l’objet d’une enquête préliminaire, et dans 13 .p. 100 de ces cas, il s’agit d’accusations pour des infractions passibles de l’emprisonnement à perpétuité. En conséquence, plus de 80 p. 100 des cas ne portent pas sur des infractions passibles de l’emprisonnement à perpétuité.
Dans ces affaires, nombre d’avocats, d’associations de barreaux et d’autres groupes sont venus témoigner devant nous pour insister sur le besoin de ne pas éliminer complètement la capacité de procéder à une enquête préliminaire. J’ai été particulièrement touché par le mémoire qu’a envoyé l’Alberta Crown Attorney’s Association au comité pour nous demander de garder cette option. Ses membres ont dit qu’elle était utile, et les procureurs de la Couronne ont demandé qu’on la garde, du moins ceux dans le domaine.
Voilà pourquoi j’estime que nous devrions garder l’option de mener des enquêtes préliminaires dans certains cas. Je garde aussi à l’esprit — et je pense que le sénateur Boisvenu a adéquatement soulevé la question auprès de certains témoins — que les victimes sont souvent à nouveau brimées lors d’un procès et qu’il arrive parfois que le système ne les traite pas comme il se doit. Nous menons alors une enquête préliminaire, autre étape pendant laquelle elles peuvent être encore une fois brimées. Nombre de groupes étaient favorables à l’idée d’abolir les enquêtes préliminaires pour prévenir au moins une étape de la revictimisation.
J’arrive maintenant à l’amendement. Il n’influe pas sur la proposition du gouvernement selon laquelle une personne accusée d’une infraction passible de l’emprisonnement à perpétuité a droit à une enquête préliminaire si elle le demande.
L’autre cas est que, si la Couronne et l’accusé s’entendent pour mener une enquête préliminaire, le juge doit alors en ordonner une, mais seulement si la justice est convaincue que des mesures appropriées ont été prises pour atténuer les répercussions sur toute personne susceptible de témoigner dans le cadre de l’enquête, y compris le plaignant. Cela signifie que le procureur de la Couronne et l’avocat de l’accusé devront parler des mesures d’atténuation et que le juge devra vérifier qu’elles ont été prises. Il y a de nombreuses façons de faciliter cette procédure, par exemple, en s’assurant que la victime peut témoigner dans une pièce où elle ne sera pas en présence de l’accusé.
Je dois aussi dire que le projet de loi C-75 confère au juge un pouvoir accru de gérer les dossiers et, par exemple, de limiter le temps consacré au contre-interrogatoire, de se concentrer sur certains types de questions et de s’assurer que le plaignant est traité de façon plus adéquate que dans le système actuel.
La troisième proposition est la même, sauf lorsqu’il n’y a pas de consentement entre la Couronne et l’accusé, auquel cas une des parties pourrait demander au juge de permettre la tenue d’une enquête préliminaire, mais seulement s’il estime que c’est dans l’intérêt de l’administration de la justice d’en tenir une et que des mesures appropriées ont été prises pour atténuer les effets sur tout témoin, y compris le plaignant.
Cela limite l’accès aux enquêtes préliminaires, mais sans les abolir. Je pense que c’est conforme aux propositions que ce comité a faites en 2017 de restreindre l’accès aux enquêtes préliminaires.
[Français]
Le sénateur Pratte : J’appuie l’esprit de cet amendement. Je trouvais la solution d’abolir l’enquête préliminaire un peu radicale, d’autant plus que les représentants de la Couronne et de la défense nous on dit qu’elle pouvait parfois être très utile, soit pour la défense, soit pour la Couronne. Les deux côtés y voient donc un certain avantage. Je veux m’assurer de bien comprendre, parce que le langage est assez peu technique. Lorsque les deux parties s’entendent, le juge n’a pas le choix et il doit tenir une enquête préliminaire?
Le sénateur Dalphond : Il doit l’ordonner. Par ailleurs, il doit s’assurer que les mesures ont été prises pour protéger le plaignant et les témoins.
Le sénateur Pratte : Si l’une ou l’autre des parties le demande, le juge peut ordonner la tenue d’une enquête préliminaire s’il est convaincu que c’est dans l’intérêt de la justice, toujours en tenant compte de l’intérêt des témoins. Je suis favorable à cet amendement.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je prierais les fonctionnaires de Justice Canada de venir à la table pour parler de cette question.
[Français]
Le président : Pouvez-vous vous approcher de la table et vous identifier, s’il vous plaît? Pour les fins du procès-verbal, nous devons donner l’identité des intervenants.
Madame Morency, vous êtes accompagnée également de Mme Paulette Corriveau. Bonjour.
Si vous voulez bien poser votre question, maintenant, sénatrice Batters?
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je me demande si le ministère de la Justice appuie cet amendement particulier du sénateur Dalphond et, le cas contraire, pourquoi pas.
Paulette Corriveau, avocate, ministère de la Justice Canada : Merci d’avoir posé la question. J’aimerais situer mes commentaires dans le contexte du projet de loi C-75. L’objectif du projet de loi était de limiter l’accès aux enquêtes préliminaires aux infractions passibles de l’emprisonnement à perpétuité, soit 70 infractions. La motion, telle qu’elle est proposée, permettrait la tenue d’enquêtes préliminaires dans le cas de toutes les infractions passibles de peines d’emprisonnement allant de deux ans à la réclusion à perpétuité. Nous ajoutons 393 infractions.
L’implication potentielle de pareille mesure, combinée à l’effet de la motion, pourrait accroître les délais. La proposition contenue dans le projet de loi C-75 est le fruit de très nombreuses consultations sur un certain nombre d’années, dont des travaux sur ces types de mesures. Le projet de loi C-75 offre une approche équilibrée entre les divers intérêts qui viennent à l’esprit.
Cet amendement n’est pas conforme aux objectifs du projet de loi C-75.
La sénatrice Batters : Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont-ils été informés de cet amendement en particulier, ou est-ce la première fois que vous le voyez?
Mme Corriveau : Nous l’avons reçu hier.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Si j’ai bien compris, sénateur Dalphond, trois parties jouent un rôle : l’accusé, le poursuivant et, enfin, le juge. C’est le juge qui a le dernier mot. Non seulement il doit accueillir la demande, mais il doit également s’assurer que tout est en ordre.
[Traduction]
Le président : Comme je vois qu’il n’y a plus de sénateurs qui souhaitent intervenir, je vais mettre aux voix l’amendement proposé par le sénateur Dalphond.
Que tous ceux qui sont en faveur de l’amendement...
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence. Merci, honorables sénateurs.
L’article 239 modifié est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence.
Les articles 240 à 277...
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pour l’article 240, il faudrait faire des amendements identiques pour le Nunavut. C’est un amendement conséquentiel.
Le président : Est-ce que vous demandez que je retienne l’article 240? Je dois avoir le texte devant moi.
Le sénateur Dalphond : Il faut retenir l’article 240, car le texte sera identique.
Le président : Je suis désolé, sénateur Dalphond. Nous amendons le Code criminel. La certitude est la première règle d’or.
[Traduction]
Je vais retenir l’article 240 s’il y a des amendements conséquentiels à y apporter, et je vais vous laisser l’occasion de revenir le modifier. Cela nous permettra de nous assurer que nous traitons la question comme il convient de le faire.
[Français]
D’accord? Alors, pouvez-vous entre-temps, sénateur Dalphond, faire le nécessaire pour revenir plus tard avec l’article 240?
Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le président.
Le président : L’article 240 est retenu.
[Traduction]
Les articles 241 à 268 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Sénatrice Batters, je crois savoir que vous avez un point de vue à faire valoir concernant l’article 269?
La sénatrice Batters : En effet.
Le sénateur Sinclair : Avez-vous un document?
La sénatrice Batters : Il ne s’agit pas d’un amendement.
Le président : Il n’y a pas de document. C’est pour supprimer un article, alors un amendement n’est pas nécessaire. Je suis désolé, j’ai annoncé votre point de vue.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Sinclair : À quelle page?
[Français]
Le président : C’est l’article 269, à la page 110.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je souhaite recommander au comité que, compte tenu des témoignages importants et déterminants que nous avons entendus pendant notre étude du projet de loi C-75, nous votions contre l’article 269. Il irait à l’encontre de l’article 633 révisé, qui donne aux juges des pouvoirs supplémentaires de mettre à l’écart des jurés. En rejetant cette partie, on pourrait aussi rétablir la récusation péremptoire des jurés.
J’ai pratiqué le droit en Saskatchewan pendant 25 ans. Cette province compte un pourcentage élevé d’Autochtones. C’est dans ce contexte que j’ai entendu des préoccupations importantes concernant ce changement majeur au processus de sélection des membres du jury prévu dans le projet de loi C-75. Des juges, des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne ont soulevé ces vives préoccupations, tout comme presque chacun des témoins que nous avons entendus dans le cadre de notre étude du projet de loi C-75, qui se sont exprimés avec véhémence sur cette question particulière.
Je fais remarquer que lorsque j’ai posé des questions au ministre de la Justice, M. Lametti, concernant les sérieuses préoccupations que soulève ce point précis, il a déclaré :
Nous avons certainement entendu ces commentaires tout au long du processus. À notre avis, la prépondérance de la preuve va dans l’autre sens.
Honorables sénateurs, ce n’est pas du tout ce que nous avons entendu à ce comité dans le cadre de l’étude du projet de loi C-75. La grande majorité des témoins que nous avons entendus ont fait valoir que les changements apportés à la sélection des membres du jury en ce qui concerne les mises à l’écart et l’élimination des récusations péremptoires ne devraient pas être faits. L’Association du Barreau canadien ainsi que des milliers d’avocats, d’avocats de la défense et de procureurs de la Couronne de partout au Canada s’opposent à ces changements apportés à la sélection des membres du jury dans le projet de loi C-75.
Dans le mémoire qu’ils ont présenté au sujet de la partie concernant la mise à l’écart de candidats jurés en vue de maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice, les représentants de l’Association du Barreau canadien ont déclaré :
Il s’agit d’un pouvoir large et vague... Il n’y a pas non plus de directives sur le processus précis que le juge du procès devrait suivre pour rendre sa décision. Il semble pour l’essentiel que les juges seraient invités à y aller de leurs propres démarches de récusation péremptoire.
Dans son témoignage du 2 mai, Tony Paisana a expliqué pourquoi l’Association du Barreau canadien s’oppose à ces changements à la sélection des membres du jury :
Nos mémoires s’appuient sur les tout premiers principes de base, selon lesquels vous avez droit à un jury composé de vos pairs, et « vos » signifie les pairs de l’accusé. Comme nous l’avons déjà entendu à maintes reprises pendant les séances, les Autochtones et les autres communautés racialisées sont surreprésentés dans le système de justice pénale. La possibilité qu’une personne qui se retrouve devant un jury qui ne ressemble pas à un jury composé de ses pairs et ne puisse pas avoir son mot à dire sur la composition de ce jury nous pose un réel problème.
[...] le processus de récusation péremptoire donne à ces accusés la possibilité d’influencer la composition du jury, de manière à ce qu’il soit plus représentatif de leurs intérêts, de leur communauté, de leur milieu culturel et de leurs expériences, tant dans la vie que dans le système de justice pénale; il leur faut un jury composé de leurs pairs, et non des pairs de tout un chacun.
Pour ce qui est des délais qu’occasionnerait l’abolition de la récusation péremptoire, M. Paisana a dit :
Vous verrez davantage de demandes de récusations motivées. Elles sont chronophages. Elles sont très difficiles à présenter au nom de l’accusé et seront probablement vaines dans de nombreux cas.
De plus, vous remarquerez que selon le projet de loi, il a été proposé que les juges disposent d’une certaine possibilité de récusation péremptoire au nom de l’administration de la justice. Nous nous attendons, malheureusement, à ce que toutes sortes de demandes soient faites par les accusés pour forcer la main à un juge, pour qu’il exerce ce pouvoir en entraînant un voir-dire ou un appel, et, si le juge refuse, cela entraîne davantage de délais et davantage de demandes, alors que nous avons déjà un système dans lequel ces choses surviennent déjà assez rapidement.
Le 2 mai, Annamaria Enenajor est venue exprimer l’opposition de l’Association des criminalistes aux changements proposés par le gouvernement :
Il y a un mécanisme très limité pour les avocats de la défense en droit criminel lorsque leur client est un Autochtone ou une personne appartenant à une minorité raciale. Il n’y a vraiment aucun mécanisme permettant de s’assurer de la représentativité de leur communauté au sein du jury. Les récusations péremptoires sont le seul outil dont nous disposons à cet égard, pour avoir accès à l’unique juré ou aux deux ou aux trois membres du jury qui pourraient être d’origine autochtone ou appartenir à une minorité raciale, de sorte que notre client ait des membres de sa communauté dans le jury.
Le 2 mai également, William Trudell est venu exprimer l’opposition au changement proposé par le gouvernement du Conseil canadien des avocats de la défense :
[...] sur les conséquences de l’élimination de la récusation péremptoire [...] il faudra plus de temps pour choisir des jurés, et je dirais que le projet de loi accordera plus de pouvoir au juge. Ce dernier ne devrait pas disposer d’un pouvoir accru dans le choix des jurés.
Le 9 mai, l’avocat Michael Johnston a fourni un contexte important au sujet du rapport Iacobucci publié en 2013 et que le gouvernement avait cité à l’appui des changements au processus de sélection des jurés. À ce sujet en particulier, M. Johnston a déclaré :
On ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Ne pouvons-nous pas trouver un moyen de préserver les avantages et de limiter les dégâts? C’est exactement la raison pour laquelle je mentionne respectueusement que M. Frank Iacobucci, lorsqu’il a étudié en 2013 la représentation des Premières Nations au sein des jurys ontariens, n’a pas recommandé leur élimination, avec tout le respect que je lui dois.
Il parlait de l’élimination des récusations péremptoires.
M. Johnston a souligné la recommandation de l’ancien juge Iacobucci :
[...] recommander au procureur général du Canada une modification au Code criminel pour prévenir le recours aux récusations péremptoires dans le but de faire preuve de discrimination contre les membres des Premières Nations qui font partie d’un jury. Il mentionne ensuite la pratique américaine qui s’appelle une récusation de Batson.
Ajoutons que cet élément important, la pratique américaine qui s’appelle une récusation de Batson n’est pas incluse dans le projet de loi C-75 du gouvernement.
De plus, ce même avocat, Michael Johnston, a fourni au comité du contexte important au sujet du rapport manitobain de 1991 rédigé par celui qui est maintenant le sénateur Sinclair. À ce sujet, voici ce que M. Johnston a dit :
Je tiens à signaler au comité sénatorial que le rapport doit être compris en tenant compte du contexte. Il a été rédigé en 1991 lorsque la Couronne avait encore le pouvoir de tenir des jurés à l’écart. En 1991, elle avait le pouvoir de mettre 48 jurés à l’écart et avait 4 récusations péremptoires à sa disposition.
De toute évidence, le sénateur peut expliquer ses propres conclusions concernant le rapport de 1991 et il le fait très bien, mais je crois qu’il est utile de connaître le contexte du rapport Sinclair de 1991 et du rapport Iacobucci de 2013.
M. Johnston nous a aussi souligné que le sénateur Sinclair avait recommandé une réforme complète de la procédure de récusation motivée, et il a indiqué que cette réforme serait nécessaire si on éliminait les récusations péremptoires. Le projet de loi C-75 ne prévoit pas de réforme complète de la procédure de récusation motivée.
Puis, honorables sénateurs, un de nos derniers témoins concernant le projet de loi C-75 était un avocat de la défense de la Saskatchewan, Brian Pfefferle. Il a mené de nombreux procès devant jury en Saskatchewan sur une base continue et a notamment représenté un nombre important d’accusés autochtones lors de procès devant jury. Il a eu de nombreuses occasions de voir les effets des récusations péremptoires dans la pratique, quand il représentait des accusés autochtones, et voici ce qu’il nous a dit :
[...] il est extrêmement difficile d’avoir des jurés autochtones dans nos jurys. Cela découle de divers facteurs, mais selon mon expérience, les récusations péremptoires n’en font pas partie. En fait, c’est tout le contraire. J’ai recours aux récusations péremptoires pour accroître le nombre de jurés autochtones dans mes jurys.
[...] le greffier demande au juré de regarder l’accusé et l’accusé doit regarder le juré. Il est presque impossible de décrire cette expérience. Ce n’est pas une question de profilage racial ou de quelque chose de semblable, selon mon expérience. Si le juré ne peut même pas regarder mon client, je n’en veux pas. Puis-je prouver qu’il y a partialité? Non, je ne le peux pas. Il peut être très difficile pour une personne autochtone d’être membre du jury, notamment de se mettre debout devant un groupe intimidant.
En ce qui concerne l’élimination des récusations péremptoires, voici ce que M. Pfefferle a dit :
L’élimination va mener à des retards considérables qui coûteront cher dans le processus de constitution d’un jury, et encore une fois les personnes autochtones seront surreprésentées au banc des accusés, alors qu’elles seront sous-représentées au sein des jurys.
Il a déclaré :
Nous récusons rarement un juré simplement à cause de son apparence, mais il nous arrive de le faire lorsqu’une personne jette un coup d’œil vers nos clients ou lorsqu’elle les dévisage. Nous sommes des avocats, et on parvient, humainement, à détecter ceux qui ne seront pas impartiaux.
Je crois qu’il est aussi important de souligner ce que dit l’Association du Barreau canadien :
Je cite :
Le projet de loi C-75 a été déposé moins de deux mois après le verdict dans l’affaire Stanley. Certaines modifications au processus de sélection du jury, y compris l’abolition des récusations péremptoires, semblent insuffisamment étudiées. Si une réforme législative est nécessaire, elle devrait être fondée sur des données empiriques produites par un examen exhaustif du système de jury. La section de l’ABC recommande au gouvernement d’effectuer des études supplémentaires avant d’apporter d’importantes modifications législatives au processus de sélection du jury.
Mesdames et messieurs les sénateurs, pour toutes ces raisons convaincantes et impérieuses, je propose que l’article 269 du projet de loi C-75 soit rejeté.
Le président : Merci, sénateur.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vais parler après le sénateur Sinclair.
J’ai seulement une question à poser à la sénatrice Batters.
[Traduction]
Si nous adoptons cet amendement, est-ce qu’il faudra amender d’autres dispositions du projet de loi?
La sénatrice Batters : Non. Ce n’est pas un amendement. Je propose la tenue d’un vote; je propose que nous votions contre cela. Que nous rejetions cela.
Le sénateur Dalphond : Est-ce que des dispositions doivent être revues ou supprimées?
La sénatrice Batters : J’ai vérifié auprès du légiste à diverses occasions et on m’a dit que non. Bien entendu, s’ils ont omis quelque chose, nous aurions la possibilité de nettoyer cela plus tard avec les pouvoirs généraux donnés au comité de direction.
Le sénateur Sinclair : J’ai étudié la question des récusations péremptoires pendant des années, et cela remonte à 1990, à l’époque de l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les populations autochtones du Manitoba qui a été menée à ce sujet. Nous avons très clairement recommandé que la récusation péremptoire soit éliminée du Code criminel.
La question des récusations motivées qui reste a été soulevée et faisait partie de la recommandation que nous avons faite à l’époque. Ce point de vue a été reconnu et accepté par le juge Iacobucci dans son rapport sur les peuples autochtones et le système de justice, et sur la sélection des jurés en Ontario. Il a beaucoup cité le rapport de la commission d’enquête dans son propre rapport, il a particulièrement reconnu qu’il fallait s’attaquer à la question des récusations péremptoires et il a appuyé notre recommandation.
Envisageons cela d’une manière rationnelle. Il est important de garder à l’esprit que le recours à la récusation péremptoire est traditionnellement discriminatoire. C’est ce que la recherche a révélé. Comme le juge Iacobucci l’a fait dans son rapport, nous avons documenté divers cas d’individus sélectivement écartés du processus de sélection des jurés par des avocats de la défense parce que ces individus étaient autochtones, aucune autre raison n’étant précisée au dossier, ou parce que la personne ne pouvait justifier d’en parler.
Le critère Batson qui a été mentionné est un critère américain qui dit que si l’avocat exclut sélectivement des personnes d’une manière qui semble discriminatoire, le juge peut exiger qu’il justifie le retrait de certaines personnes du jury. Le critère Batson s’est révélé inefficace comme moyen de régler la question des récusations motivées et des récusations péremptoires.
L’Angleterre et d’autres nations du Commonwealth britannique ont éliminé complètement les récusations péremptoires, et cela remonte à 1988. Rien n’indique que c’est un problème. Ce qui se produit, c’est que vous allez effectivement prendre les personnes qui sortent de la boîte de sélection utilisée dans la plupart des cours, et les noms qui sont tirés sont les noms avec lesquels vous allez travailler. En conséquence de cela, la possibilité d’interroger les jurés et d’obtenir plus d’information à leur sujet s’est accrue, et on fait beaucoup plus attention à la façon de créer les jurys et les bassins de jurés potentiels.
Cela s’est révélé problématique, en particulier dans les provinces des Prairies où l’accès est difficile pour les collectivités éloignées. Par conséquent, quand des gens sont appelés à faire partie d’un jury qui ne siégera que dans de grands centres urbains, ils ont de la difficulté à s’y rendre à temps pour le procès et doivent payer leurs propres dépenses. Il n’existe aucun mécanisme qui leur permet de participer. À cause de cela, ils vont souvent demander d’être relevés, et on leur accorde souvent la permission. Cela donne également un bassin de jurés qui n’est pas représentatif de la collectivité.
Tout cela nous rappelle que la récusation péremptoire est utilisée de façon discriminatoire et que la discrimination n’est pas seulement le fait des actions d’individus, mais qu’elle est aussi attribuable à la façon dont le système fonctionne. Éliminer la récusation péremptoire est une meilleure façon de permettre au système de s’attaquer aux changements qui doivent être apportés, soit la façon dont nous créons les bassins de jurés pour commencer.
J’ai été intrigué d’entendre certains témoins, dont un en particulier qui a dit qu’il utilise le processus de récusation péremptoire pour éliminer des personnes non autochtones du jury afin d’obtenir un jury représentatif. Quand on y pense, cette personne dit, en fait : « Permettez-moi de continuer à faire de la discrimination, mais dans le sens inverse. » Ce n’est pas une justification. En fait, on reconnaît ainsi que le processus de la récusation péremptoire sert à faire de la discrimination. La chose importante à ne pas oublier, c’est que le processus de sélection du jury est censé être juste et donner lieu à un jury représentatif de la collectivité où l’infraction a été commise et d’où l’accusé vient. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le cas depuis des générations au Canada.
Dans le cadre des systèmes de sélection des jurys imposés tout au début dans l’Ouest canadien, à l’époque de la Confédération, il arrivait souvent que le procureur de la Couronne choisisse des individus dans des collectivités de l’Est et les assigne à des jurys dans l’Ouest. L’histoire de l’administration de la justice dans l’Ouest montre qu’on permet depuis relativement peu de temps à des individus résidant dans le secteur de faire partie de jurys. Jamais on n’a permis à ceux qu’on appelait des Indiens de siéger à des jurys. Ce processus de discrimination se poursuit.
J’ai toujours préconisé l’élimination de la récusation péremptoire. Je crois qu’elle perpétue l’injustice, car elle permet aux avocats de faire de la discrimination envers les Autochtones en les excluant. Je ne connais aucune situation où le recours à la récusation péremptoire a donné lieu à un jury équilibré. Les personnes qui disent qu’elles peuvent et veulent continuer de s’en servir pour inclure des Autochtones dans les jurys ne sont pas représentatives de ce qui se passe en réalité. Ce qui se passe, c’est que des avocats utilisent la récusation péremptoire pour faire de la discrimination contre les Autochtones, et nous voyons cela tout le temps. Nous avons précisé un certain nombre de cas que nous avons fouillés dans le cadre de l’enquête menée en 1990, et l’expérience confirme les résultats de cette recherche.
Je suis donc contre cette motion. Je ne crois pas que nous devrions rejeter cette modification. En fait, je pense que la modification devrait être maintenue.
[Français]
Le sénateur Dalphond : La sénatrice Batters a fait référence au critère Batson, qui a été développé par la Cour suprême des États-Unis en 1986. Il est reconnu aux États-Unis que la discrimination au sein de la sélection du jury continue d’être une réalité malgré le critère Batson. À titre d’exemple, une étude réalisée en 2012 par la Michigan State University a révélé que, en Caroline du Nord, durant une période de 20 ans, les procureurs dans les causes de peine de mort demandaient la récusation des jurés noirs à un taux 2,5 fois plus élevé que celui des jurés qui n’étaient pas noirs. La mesure a aussi été associée à des délais de justice additionnels.
En réalité, le critère Batson est un test inefficace et seule l’interdiction des récusations péremptoires est la solution, comme l’Angleterre l’a retenu.
Dans l’arrêt Batson de la Cour suprême des États-Unis, le juge Thurgood Marshall, un juriste américain réputé, a déclaré ce qui suit dans une opinion concordante, et je cite :
[Traduction]
Ce n’est qu’en bannissant la récusation péremptoire qu’on peut mettre fin à cette discrimination.
[Français]
C’est ce que le gouvernement propose aujourd’hui. J’appuie donc cette proposition.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. J’ai quelques observations à faire à ce sujet.
Premièrement, en ce qui concerne le critère Batson, j’ai soulevé cela parce que c’est la condition que l’ancien juge Iacobucci a utilisée dans son rapport de 2013. Quand nous examinons cette question, il est toujours important de se rappeler que le système de sélection des jurys au Canada est nettement différent de celui des États-Unis. Je pense que de nombreux Canadiens sont influencés par la télé et les films américains et pensent que nous avons au Canada un processus long et complexe de sélection des jurés. Ce n’est généralement pas le cas. C’est en fait très rapide et efficace. C’est ainsi que bon nombre des avocats qui l’utilisent le conçoivent. L’élimination de la récusation péremptoire enlèverait cela et il ne resterait plutôt qu’un processus complexe et coûteux de récusation motivée qui retarderait les choses.
Comme je l’ai dit, nous avons entendu des témoignages substantiels et convaincants pendant notre étude, et ce qu’on disait presque exclusivement, c’est que les avocats qui représentent fréquemment des accusés autochtones ou membres de minorités visibles dans le cadre de procès devant jury au Canada voient les récusations péremptoires comme un outil très utile pour leurs clients autochtones ou membres de minorités visibles.
Je vais vous citer encore une fois Brian Pfefferle, avocat de la défense en Saskatchewan qui a représenté de nombreux accusés autochtones de façon constante dans le cadre de procès devant jury :
Selon mon expérience, la récusation péremptoire est un outil précieux pour favoriser la diversité. Après le procès de Gerald Stanley, par exemple, j’ai fini par diriger un procès devant jury dans la région de Battlefords. Je représentais un homme autochtone qui habitait à 600 kilomètres de la communauté où il était jugé. Nous avons utilisé la récusation péremptoire trois fois de suite pour qu’une personne autochtone siège au jury. L’accusé a finalement été acquitté des accusations d’homicide qui pesaient contre lui.
Je dirais que M. Pfefferle et de nombreux autres avocats de la défense qui témoignent devant vous au sujet de cet enjeu particulier ne voient pas cela comme étant une pratique discriminatoire. Je ne pense même pas que le gouvernement estimerait cela. Au lieu de cela, ils ont clairement déclaré qu’ils essaient d’aider les accusés qu’ils représentent à obtenir un jury composé de pairs.
Peu importe tout cela, ce qui ressort très clairement de tout ce que nous avons étudié concernant cette question particulière, c’est qu’il faut pousser plus loin l’étude avant d’apporter un changement aussi extrême à notre processus de sélection des jurys au Canada. De plus, le gouvernement n’a pas mené de consultations suffisantes avant de proposer ce très important changement au Code criminel, et ce, 48 jours seulement après le verdict dans l’affaire Gerald Stanley.
Ce sont les raisons pour lesquelles je demande à mes collègues de penser à cela et à l’effet important que cela pourrait avoir sur la communauté que le gouvernement cherche peut-être en ce moment à aider. Merci.
Le président : Merci. Puisque j’ai épuisé ma liste de sénateurs qui souhaitaient intervenir, je vais mettre l’article 269 aux voix.
La sénatrice Batters : J’aimerais un vote par appel nominal, je vous prie.
Le président : Certainement. Que tous ceux qui sont pour l’article 269 se manifestent.
[Français]
Mme Hogan : L’honorable sénateur Joyal, C.P.?
Le sénateur Joyal : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Contre.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Contre.
Le président : Nous votons pour maintenir l’article 269 tel qu’il est dans le projet de loi.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Pour.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Est-ce que c’est la motion qui est mise aux voix?
Le président : Non. C’est l’article 269 qui est mis aux voix, pour qu’il soit maintenu tel quel dans le projet de loi.
[Français]
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dyck?
La sénatrice Dyck : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Housakos?
Le sénateur Housakos : Contre.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Contre.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Miville-Dechêne?
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte?
Le sénateur Pratte : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Pour.
Mme Hogan : Pour : 8; contre : 4.
[Traduction]
Le président : L’article 269 est adopté.
Les articles 270 à 277 sont-ils adoptés?
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
Le président : Je crois que nous avons un amendement pour l’article 278. L’amendement porte le numéro de code MS-278.113.
[Français]
Il s’agit de l’amendement MS-278.113. Nous sommes à la page 113, à l’article 278.
[Traduction]
D’après ce que je comprends, sénateur Sinclair, vous êtes parrain de cet amendement.
Le sénateur Sinclair : Permettez-moi de trouver la disposition du projet de loi afin de pouvoir en parler. Je vais lire l’amendement dans un petit moment. C’est à la page 113.
Voici l’amendement proposé :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à l’article 278, à la page 113, par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :
« paragraphes 491.1(2), 730(1) ou 737(2.1) ou (3) ou ».
Si vous me le permettez, je vais essayer de voir pourquoi nous faisons cela.
Le président : Je pourrais vous offrir une explication, mais je ne suis pas parrain du projet de loi. J’ai déjà vérifié cet amendement, mais je vous laisserai le faire.
Le sénateur Sinclair : Vous me laisserez me débrouiller. Fort bien. Je vous remercie de votre soutien.
Le sénateur Dalphond : Je pense qu’il y a une erreur à cet endroit.
Le sénateur Sinclair : Je pense qu’il s’agit d’une correction. Nous avons discuté de la question. Je pense que les fonctionnaires pourraient intervenir à ce sujet.
Le président : Monsieur Villetorte, pourriez-vous venir à la table, je vous prie?
Matthias Villetorte, avocat-conseil et chef d’équipe, ministère de la Justice du Canada : Il y a de nombreuses dispositions. Celle-ci apporte une modification corrélative qui doit être lue avec la motion principale visant à modifier la suramende compensatoire, motion qui porte le numéro MS-301.126, selon la nouvelle numérotation proposée.
De toute évidence, c’est la définition de « sentence, peine ou condamnation » qui est modifiée à l’alinéa 673b) du Code criminel qui s’applique quand une suramende compensatoire est imposée lors de la déclaration de culpabilité. La motion MS-314.134 modifie une disposition semblable. La situation est essentiellement la même, car une suramende compensatoire est imposée lors de la déclaration de culpabilité. C’est parce que la motion sur la suramende compensatoire a été renumérotée.
Le président : C’est assez technique.
Le sénateur Sinclair : Je savais que j’avais un motif d’intervenir.
La sénatrice Batters : Je présume, d’après ces échanges, que c’est un amendement du gouvernement.
M. Villetorte : Oui, en effet.
La sénatrice Batters : Merci.
Le président : Étant donné qu’aucun autre sénateur ne semble vouloir intervenir, je mets aux voix la modification proposée par le sénateur Sinclair.
Que tous ceux qui y sont favorables lèvent la main.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence.
L’article 278 modifié est-il adopté?
Des voix : Oui.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Les articles 279 à 291 sont-ils adoptés?
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Je pense que l’article 292 fait l’objet d’un amendement portant le numéro de code LD-292.123. Nous sommes à la page 123 du projet de loi, pour que les sénateurs puissent suivre.
La sénatrice Dyck : Merci. Je propose ce qui suit :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à la page 123, par adjonction, après la ligne 5, de ce qui suit :
« 292.1 La même loi est modifiée, par adjonction, après l’article 718.03, de ce qui suit :
718.04 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime, et en particulier un partenaire vulnérable sur la base du sexe ou un partenaire autochtone, accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l’agissement à l’origine de l’infraction. ».
Le président : Pouvez-vous nous fournir des explications, sénatrice?
La sénatrice Dyck : M’appuyant sur les témoignages reçus, je citerai la commissaire Buller, qui a indiqué ce qui suit :
Ces changements doivent être apportés à l’étape de l’inculpation, mais surtout à l’étape de la détermination de la peine, bien sûr, pour maintenir les principes de dénonciation et de dissuasion tout en préservant la valeur de la vie.
Elle a poursuivi ainsi :
Dans notre nation, nous avons déjà affirmé clairement dans le Code criminel que la dénonciation et la dissuasion sont à prendre en considération avant toute chose lors de la détermination de la peine, lorsqu’il y a des enfants en cause, lorsque les plaignants sont membres de la police ou du système judiciaire et, ajouterais-je, lorsque la victime est un chien d’assistance policière ou militaire. Monsieur le président, sénatrices et sénateurs, je crois qu’il est clair que les femmes, les filles et les personnes 2SLGBTQQIA autochtones méritent au moins la même protection, voire une plus grande protection, que les chiens d’assistance policière ou militaire.
Quant à Katherine Hensel, de l’Association du Barreau autochtone, elle a affirmé ce qui suit :
Je remarque que vous entendrez Jonathan Rudin, des Services juridiques pour les Autochtones. Nous appuyons et faisons nôtres ses observations sur les modifications, ainsi que les propos qu’a tenus la commissaire Buller hier.
En guise d’explication, je dirai que cet amendement s’inscrira sous l’article 718 du Code criminel, qui porte sur les objectifs et les principes du prononcé des peines. Sous cette disposition figurent actuellement les articles 718.01 à 718.03, auxquels la commissaire Buller faisait référence en disant que le Code criminel accorde la priorité à la dénonciation et la dissuasion dans le cas d’infractions commises contre certains groupes de victimes. Le présent amendement ajouterait une quatrième disposition afin d’inclure les infractions perpétrées à l’égard d’un partenaire intime, quand la victime est vulnérable en raison de son sexe ou est d’origine autochtone.
À l’heure actuelle, l’article 718.01 concerne les infractions perpétrées à l’égard des enfants, l’article 718.02, celles commises à l’égard d’un agent de la paix, et l’article 718.03, celles visant certains animaux. L’article 718.04 ajouterait la prise en compte des personnes vulnérables en raison de leur sexe ou des Autochtones.
La sénatrice Batters : Il s’agit peut-être d’un point que vous avez abordé, sénatrice Dyck, mais avez-vous indiqué qu’une des dispositions s’applique aux enfants? Je me demande si votre amendement ne s’appliquerait pas si la victime en question est un enfant non autochtone. Avez-vous dit qu’une autre disposition portait sur les enfants?
La sénatrice Dyck : Pardonnez-moi, mais votre question porte-t-elle essentiellement sur l’âge?
La sénatrice Batters : Les enfants sont-ils considérés comme vulnérables ou non quelque part dans cette partie?
La sénatrice Dyck : Ils sont visés par l’article 718.01. Ils figurent déjà dans cette partie du Code criminel.
La sénatrice Batters : C’est ce que je me demandais. Est-ce que les fonctionnaires du ministère de la Justice pourraient venir donner leur avis au sujet de cet amendement?
Le président : Monsieur Villetorte, avez-vous entendu la question de la sénatrice Batters?
M. Villetorte : Non.
Le président : Pourriez-vous répéter votre question, sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : J’aimerais connaître la position du ministère de la Justice au sujet de cet amendement.
M. Villetorte : Comme la sénatrice l’a indiqué à l’instant, le Code criminel contient actuellement trois articles — 718.01, 718.02 et 718.03 — qui fournissent une orientation semblable aux tribunaux devant déterminer la peine afin qu’ils accordent la priorité à deux des objectifs stipulés à l’article 718, soit la dénonciation et la dissuasion, plutôt qu’aux autres objectifs qui y sont énumérés, comme la réparation des torts causés et la réinsertion.
Pour ce qui est des observations, je peux dire au comité qu’il s’agit essentiellement d’une orientation offerte aux tribunaux devant déterminer la peine afin qu’ils prennent ces deux objectifs plus sérieusement et, évidemment, imposent des peines proportionnelles à la gravité du crime commis. J’ai entendu certains échanges sur la manière dont cela fonctionnerait avec le principe établi dans l’arrêt Gladue figurant à l’alinéa 718.2e). Il s’agit d’un principe de détermination de la peine se trouvant dans la même partie du Code criminel.
Je ne dirai pas s’il y a une contradiction ou un équilibre. Je me demande toutefois comment cette disposition fonctionnera lors de la détermination de la peine, particulièrement au regard de la directive que la Cour suprême du Canada a donnée dans l’affaire R. c. Gladue en 1999 et réaffirmé dans l’affaire Ipeelee en 2012. Cet article est notamment interprété de manière à améliorer le grave problème de la surreprésentation des Autochtones en prison et pour encourager les juges qui prononcent les peines à recourir à des approches de justice réparatrice.
D’un côté, il faut accorder la priorité à la dénonciation et à la dissuasion lors du traitement des infractions commises à l’égard des Autochtones. Par contre, lorsque le contrevenant est également autochtone, on ne sait trop comment cette mesure s’appliquera compte tenu du principe établi dans l’arrêt Gladue...
La sénatrice Batters : C’est pour cette raison que je me demande quelle est la position du ministère de la Justice. En raison de la contradiction potentielle avec le principe établi dans l’arrêt Gladue, est-ce que le ministère et le ministre accepteraient cet amendement ou non s’il est adopté?
M. Villetorte : Je peux affirmer que, au cours du processus de détermination de la peine, cette disposition n’empêcherait pas un juge d’imposer une peine proportionnelle aux circonstances. C’est un des éléments dont le juge devant déterminer la peine devra tenir compte afin d’imposer une juste peine.
La sénatrice Batters : Dites-vous alors que vous êtes incertain ou que c’est quelque chose qui reste à déterminer? Quelle est la position du ministère à ce sujet? Êtes-vous incertain parce que ce n’est qu’aujourd’hui que vous avez pris connaissance de cet amendement?
M. Villetorte : Pour le moment, je ne peux dire si le ministère appuiera ou non la disposition. Tout ce que je dis, c’est que c’est très incertain, et je pense qu’il est peut-être prématuré de se prononcer sur la question. L’article porte sur les affaires de violence à l’endroit d’un partenaire intime vulnérable en raison de son sexe ou d’un partenaire autochtone. Je dis « prématuré » parce que, comme vous l’avez souligné, la commissaire Buller a indiqué que le rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées pourrait fournir davantage d’orientation quant à la portée que pourrait avoir un tel amendement. Voilà qui restreint le champ d’analyse.
Il faudrait également prendre en considération d’autres facteurs.
La sénatrice Batters : Mais le gouvernement ne recevra probablement pas le rapport avant de devoir décider s’il accepte cet amendement ou non.
M. Villetorte : En effet.
La sénatrice Batters : Le rapport doit-il paraître le 3 juin? Le gouvernement attendra-t-il ce moment pour déterminer s’il accepte cet amendement?
M. Villetorte : Je pense que c’est une proposition raisonnable.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Pratte : Outre les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue, l’interaction de l’amendement proposé avec d’autres facteurs dont les tribunaux doivent tenir compte, notamment la présence de preuves montrant que l’infraction était motivée par un préjugé ou un parti pris fondé sur la race, par exemple, et que le contrevenant a maltraité son époux ou son conjoint de fait — ce qui touche un peu au problème auquel la sénatrice Dyck cherche à s’attaquer —, cause-t-elle une redondance, ou est-ce que l’amendement ne fait que renforcer l’importance de ces facteurs?
M. Villetorte : Vous avez raison d’évoquer les facteurs aggravants énumérés à l’article 718.2. Ils s’inscrivent dans la même logique et envoient un signal selon lequel il faut accorder plus de sérieux à ces facteurs. D’une part, c’est l’objectif de la détermination de la peine, mais, de l’autre, quand il est question de facteurs aggravants, l’article 718.2 stipule clairement que si des preuves montrent que ces situations se sont produites, la peine devrait être plus sévère afin de tenir compte des circonstances. Ces dispositions vont donc effectivement dans la même direction.
Pour en revenir à la question de la sénatrice Batters, je veux qu’il soit clair que j’ignore si le gouvernement appuiera l’amendement. Je ne suis pas en mesure de le dire.
La sénatrice Dyck : J’ajouterai quelques observations au sujet de l’interaction avec l’arrêt Gladue en revenant aux commentaires de la commissaire Buller, que j’allais évoquer plus tard, puisque trois amendements portent sur la même question. La commissaire a indiqué ce qui suit :
La modification du paragraphe 718.2 pour ajouter l’origine autochtone à la liste des facteurs aggravants afin de viser la dissuasion et la dénonciation ne l’emporte pas nécessairement sur les principes énoncés dans l’arrêt Gladue et n’exclut pas leur application à l’endroit de l’accusé.
Elle a également indiqué ce qui suit, en ce qui concerne les principes établis dans l’affaire Gladue : « Lorsque j’entends cela ici ou ailleurs [...] », faisant ici référence aux audiences de l’enquête...
[...] j’interprète cela comme le signe d’une mauvaise compréhension de la fonction du juge de la peine, car la détermination de la peine exige un dosage subtil et dans certains cas, selon l’ensemble des circonstances — l’infraction, le délinquant, la plainte, la collectivité —, il est très possible que la balance penche d’un côté dans un cas, mais dans l’autre dans un autre cas.
La commissaire Robinson a indiqué qu’elle considérait que l’ajout d’un facteur aggravant pour les femmes autochtones était important, indiquant ce qui suit :
[...] lors de la rédaction de la peine, tous ces facteurs doivent être sur la table. Ce qui représente un énorme problème également, relativement aux éléments d’appréciation du même type que ceux utilisés dans l’arrêt Gladue, c’est l’infrastructure existant au sein des collectivités pour que la peine soit significative. Cela doit aussi faire partie des considérations.
Je pense que ces témoins tentaient de dire que nous devons prendre en compte les facteurs aggravants pour la victime, pas seulement pour le contrevenant, comme le reconnaît maintenant l’alinéa 718.2e) du Code criminel.
Dans la lettre qu’il nous a fait parvenir, le ministre Lametti a fait référence à un rapport rédigé par Mme Isabel Grant. Dans un rapport publié ultérieurement, en 2018, cette dernière indique très clairement que le sous-alinéa 718.2a)(ii) du Code criminel est, dans les faits, supplanté par l’effet de l’arrêt Gladue. La situation est donc injuste pour toutes les victimes de violence de la part d’un partenaire intime, puisque le principe énoncé dans l’arrêt Gladue rend essentiellement cette disposition caduque dans sa forme actuelle, sans amendement.
Il est donc primordial d’ajouter des mesures supplémentaires pour que la situation ne perdure pas, car cela désavantagerait toute personne victime de violence de la part d’un partenaire intime.
Le sénateur Sinclair : J’ai décidé que c’est un amendement que je suis prêt à appuyer, et j’encourage mes collègues à le soutenir.
La question que cela soulève et qui a été évoquée, particulièrement au sujet de cet amendement et du projet de loi proposé par la sénatrice Dyck que le Sénat a adopté, mais que la Chambre n’a jamais avalisé, c’est le fait que ces mesures vont à l’encontre du principe énoncé dans l’arrêt Gladue.
Je veux traiter de la question un instant, car je veux rassurer tout le monde en affirmant que ce n’est pas vraiment le cas. Les principes énoncés dans l’arrêt Gladue sont ce qu’ils sont. Ils indiquent que, lors du prononcé de la peine d’un accusé autochtone, le tribunal doit tenir compte des circonstances particulières de l’affaire. La présente mesure n’y change rien, car elle n’ordonne pas au tribunal de ne pas tenir compte des circonstances. Elle lui demande de prendre en compte les circonstances uniques de la communauté générique et de l’intéressé. Le tribunal continuera donc d’en tenir compte.
C’est ce que le tribunal a fait, même en présence de la disposition sur les facteurs aggravants, qui existait bien avant que les principes énoncés dans l’arrêt Gladue soient enchâssés dans l’alinéa 718.2e). Quand le tribunal doit se pencher sur une affaire de maltraitance d’enfant, ces principes s’appliquent toujours. Lorsqu’il doit considérer la question de la dissuasion et de la dénonciation, le tribunal doit toujours porter attention aux circonstances particulières des contrevenants autochtones.
Je ne vois pas pourquoi l’ajout d’une disposition comme celle-ci — laquelle rend compte de la situation présente, où la violence familiale est manifestement un problème — nous fait hésiter parce que nous considérons qu’elle est contraire à une autre disposition, puisque ce n’est pas le cas. Elle fait simplement en sorte que, en plus de l’alinéa 718.2e), qui fait référence à ce qui s’appelle les principes de l’arrêt Gladue, le tribunal doit tenir compte du fait que la victime est un partenaire intime, particulièrement dans une situation où le sexe et l’origine autochtone entrent en ligne de compte.
Je ne veux pas que les gens soient dissuadés d’appuyer cet amendement simplement parce qu’ils pensent qu’il entre en contradiction avec les principes énoncés dans l’arrêt Gladue, car ce n’est pas le cas. Les juges composent avec cette disposition depuis l’ajout de l’alinéa 718.2e). Ils le font avec peine, mais la Cour suprême du Canada leur a indiqué comment le faire dans un certain nombre de cas. La présente disposition leur fournira d’autres facteurs qu’ils devront prendre en compte dans leurs critères d’évaluation. C’est un fait qu’il importe de garder à l’esprit.
Je veux également faire remarquer que, si vous lisez cette disposition sans référence à la question du sexe et de l’origine autochtone, l’amendement proposé par la sénatrice Dyck se lit comme suit :
718.04 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime [...] accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l’agissement à l’origine de l’infraction.
La mesure ne se limite donc pas aux victimes de sexe féminin ou aux victimes vulnérables en raison de leur sexe, mais à toutes les victimes de violence intime.
Nous devons garder à l’esprit que cette disposition vise à mettre en lumière le fait que, dans les affaires de violence à l’égard de partenaires intimes, le tribunal devrait porter attention à la dénonciation et à la dissuasion avant tout. Merci.
La sénatrice Batters : J’aimerais savoir si l’avocat du ministère de la Justice a quelque chose à ajouter au sujet de l’interaction avec l’arrêt Gladue, car je ne croyais pas que c’était aussi clair que les sénateurs Sinclair et Dyck viennent de le dire. Les réponses que j’ai reçues tout à l’heure m’ont donné l’impression qu’il y avait beaucoup de fluctuation dans les décisions prises par le ministère de la Justice à cet égard.
Des précisions à ce sujet nous seraient utiles, si vous en avez.
M. Villetorte : L’arrêt Gladue est clair. Il ne donne aucune orientation visant à imposer une peine moins sévère. La détermination de la peine est un processus très individualisé.
À mon avis, comme le sénateur Sinclair l’a si bien dit, une des observations que la Cour suprême a faites dans l’arrêt Gladue et répétées dans l’arrêt Ipeelee, c’est que l’objectif de l’article 718.2 est de reconnaître que le juge doit tenir compte de facteurs différents dans la détermination de la peine d’un délinquant autochtone, étant donné les facteurs historiques et systémiques distinctifs qui peuvent faire partie des raisons pour lesquelles le délinquant se retrouve devant les tribunaux.
La Cour suprême prône le choix, au moment de la détermination de la peine, de sanctions et de procédures particulières qui sont plus appropriées, étant donné l’héritage et les attaches du délinquant autochtone. Comme la Cour suprême l’a souligné en 2012 dans l’arrêt Ipeelee, ne pas tenir compte du principe établi dans l’arrêt Gladue par rapport à l’alinéa 718.2e) contrevient au principe fondamental de détermination de la peine. C’est une autre chose que je peux ajouter à ce que nous avons entendu.
J’ai des commentaires de nature plus technique et administrative à faire sur la motion, quand la présidence sera prête.
La sénatrice Batters : Oui, si cela vous convient.
Le président : Pouvez-vous les présenter maintenant? La sénatrice Batters ne semble pas avoir d’autres questions sur l’amendement principal.
La sénatrice Batters : Non.
M. Villetorte : J’attire d’abord l’attention des membres du comité sur la première ligne de la motion, celle qui précède l’amendement. En anglais, elle se lit comme suit :
That Bill C-75 be amended on page 123 by adding the following after line 5 :
Mon commentaire concerne la version française.
[Français]
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à la page 123, par adjonction, après la ligne 5 [...]
Je pense que, en français, c’est après la ligne 4.
[Traduction]
Le président : Vous avez raison parce que, en anglais, la ligne 5 commence par « ing », alors que, dans la version française, le paragraphe se termine avant. Ce serait donc la ligne 4, comme vous le dites.
M. Villetorte : Mon deuxième commentaire porte sur l’utilisation du terme « Indigenous » dans la version anglaise de l’amendement. Ce terme ne se trouve pas dans le Code criminel, où l’on emploie plutôt « Aboriginal ». En français, la terminologie est la même.
Je tiens simplement à attirer l’attention des membres du comité sur l’uniformité de la terminologie employée dans le Code criminel.
Le président : Un instant. Les sénateurs comprennent-ils les légères modifications proposées par Me Villetorte? Je vois que oui.
La sénatrice Dyck : J’ai juste une observation à propos de votre dernier commentaire concernant les termes « Indigenous » et « Aboriginal ». Le légiste nous a dit que, comme le ministère remplace petit à petit le terme « Aboriginal » par « Indigenous » et comme la disposition est très éloignée de l’alinéa 718.02e), il commencerait à employer « Indigenous ». C’est pour cette raison que nous avons choisi ce terme.
Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, maître Villetorte?
M. Villetorte : J’ai une dernière observation, qui est fondée sur votre discussion au sujet de la disposition. J’aimerais revenir sur un commentaire que j’ai fait tout à l’heure.
Si l’objectif est d’englober l’ensemble des infractions violentes perpétrées contre une personne vulnérable sur la base du sexe ou contre une personne autochtone, je tiens à répéter que la disposition serait uniquement applicable dans les cas de violence à l’égard d’un partenaire intime. L’article 718.01 constitue la disposition équivalente pour les infractions perpétrées contre un enfant.
Le président : Tout à fait. La sénatrice Dyck l’a elle-même souligné.
La disposition est applicable uniquement dans les cas où l’infraction constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime, c’est-à-dire dans des situations où l’infraction est perpétrée sur la base de la situation intime, si je puis le dire ainsi. Je crois que c’est bien compris, mais je vous remercie de l’avoir souligné.
Afin que les deux versions soient justes et qu’elles concordent, dans la version française, acceptez-vous...
[Français]
Que les mots « après la ligne 5 » puissent être modifiés par les mots « après la ligne 4 »; êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le président : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.
[Traduction]
Le président : Concernant le commentaire de Me Villetorte sur l’emploi du terme « Aboriginal » dans la version anglaise de l’alinéa 718.2e), qui se lit comme suit :
e) all available sanctions, other than imprisonment, that are reasonable in the circumstances and consistent with the harm done to victims or to the community should be considered for all offenders, with particular attention to the circumstances of Aboriginal offenders.
J’ai besoin de savoir ce que les membres du comité en pensent, l’uniformité étant l’un des principes du code.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je pense que le fait de voir plus loin que notre horizon n’est pas une mauvaise idée en soi. Toutefois, d’une manière plus particulière, dans ce cas-ci, la référence — pas seulement dans le Code criminel, mais ailleurs dans la législation fédérale — est claire sur l’utilisation du mot « autochtone » en français et du mot « Aboriginal » en anglais, comme cela figure dans la Constitution, notamment à l’article 35. C’est un concept de droit qui a été établi et qui prévoit à la fois des droits particuliers aux individus et des droits collectifs aux communautés. Je pense que tout cela est fait de manière à assurer l’harmonisation avec les lois existantes, y compris le Code criminel. Selon moi, on ne devrait pas introduire un nouveau concept juridique à ce moment-ci, puisqu’un tel concept serait susceptible d’être contesté pour déterminer qui il recoupe et qui il protège.
Je serais donc plutôt d’avis que nous devrions utiliser le terme « Aboriginal » dans la version anglaise.
[Traduction]
Le président : Sénatrice Dyck, vous êtes la marraine du projet de loi.
La sénatrice Dyck : Je ne m’oppose pas à ce que le terme soit remplacé par « Aboriginal ». C’était mon intention originale, mais le légiste nous a convaincus d’employer plutôt « Indigenous ».
Le président : D’après moi, l’argument probant, c’est que le terme « Aboriginal » est employé dans le même article. À mes yeux, c’est une question d’uniformité.
[Français]
Le sénateur Gold : J’appuie la décision. C’est tout à fait simple.
[Traduction]
Le président : Sénatrice Batters, votre intervention porte-t-elle sur le même sujet?
La sénatrice Batters : Oui. Je me demandais simplement si les termes « Indigenous » et « Aboriginal » étaient utilisés ailleurs dans les quelque 300 pages du projet de loi C-75.
Le président : La réponse à votre question devrait peut-être venir de Me Villetorte. Je pourrais vous donner mon avis, mais je ne veux pas. Je ne suis pas ici aujourd’hui pour témoigner.
Pouvez-vous répondre, maître Villetorte?
M. Villetorte : Pas à ma connaissance. Je ne suis pas tout à fait certain, mais je crois que nous...
Le président : Je vous invite à vous rendre à l’article 210 du projet de loi.
M. Villetorte : Je l’ai devant moi. Il s’agit de la directive selon laquelle le juge de paix ou le juge chargé de la décision relative à la libération sous caution doit accorder une attention particulière à la situation des prévenus autochtones. Le terme employé en anglais est « Aboriginal accused ».
La sénatrice Batters : Le même terme devrait être utilisé dans tout le projet de loi.
Le président : C’est l’information que j’allais présenter.
Les sénateurs acceptent-ils de remplacer le terme « Indigenous » par le terme « Aboriginal » dans la version anglaise?
Des voix : Oui.
Le président : D’accord.
Le sénateur Dalphond : Il s’agit de l’article 493.2 du projet de loi.
[Français]
Le président : Oui, absolument.
[Traduction]
Les sénateurs sont-ils prêts à voter? Que tous ceux qui appuient l’amendement proposé par la sénatrice Dyck lèvent la main.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence, d’accord, merci.
Le sénateur Sinclair : Puis-je demander un vote par appel nominal, s’il vous plaît?
[Français]
Le président : Nous tiendrons un vote par appel nominal, s’il vous plaît.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Joyal, C.P.?
Le sénateur Joyal : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dyck?
La sénatrice Dyck : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Housakos?
Le sénateur Housakos : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Miville-Dechêne?
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte?
Le sénateur Pratte : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Pour.
Mme Hogan : Pour : 12; contre : aucun; abstention : aucune.
[Traduction]
Le président : L’amendement est donc adopté.
L’article 292 est-il adopté?
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : L’article est adopté avec dissidence.
Je crois que la sénatrice Dyck a des amendements à proposer pour l’article 293. Pouvez-vous présenter votre amendement, qui porte le numéro LD-293.123a?
[Français]
En français, il s’agit du numéro LD-293.123a.
[Traduction]
La sénatrice Dyck : Je propose :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à l’article 293, à la page 123, par substitution, aux lignes 8 et 9, de ce qui suit :
« constitue un mauvais traitement soit de son partenaire intime soit d’un membre de sa famille, ».
Le président : Avez-vous une explication, madame la sénatrice?
La sénatrice Dyck : Oui. Durant son témoignage, la commissaire Buller a déclaré :
La définition de la violence par un partenaire intime n’inclut pas la violence familiale. Partout au Canada, des témoins nous ont parlé de la violence intergénérationnelle et de la violence entre membres d’une famille vivant sous le même toit. Les racines de cette violence remontent en grande partie aux pensionnats et aux répercussions du colonialisme. La violence familiale dont on parle ici est tout aussi traumatisante pour les victimes et les plaignants que la violence conjugale.
Pour sa part, Me Hensel, de l’Association du Barreau autochtone, a affirmé :
Vu l’expérience des Autochtones, les séquelles des pensionnats et les conditions dans lesquelles vivent beaucoup de nos familles et de nos communautés, la violence familiale est un facteur à considérer à court terme.
Aussi, dans la lettre que le ministre a envoyée au comité il y a quelques semaines, on peut lire, à la page 4 de l’annexe 1, que :
Sur les 933 homicides entre partenaires intimes commis entre 2007 et 2017, près des deux tiers (62 %) étaient précédés d’antécédents de violence familiale.
Je vous explique donc l’amendement. Le projet de loi C-75 précise seulement qui est considéré comme un partenaire intime au paragraphe 3; il ne définit pas la notion de violence par un partenaire intime.
Ainsi, il n’y a pas de définition à élargir dans le projet de loi C-75. Le légiste nous a donc suggéré d’intégrer la violence familiale à l’article 293 du projet de loi, qui modifie le sous-alinéa 718.2a)(ii) actuel. La disposition comprendrait alors les cas dans lesquels un délinquant inflige un mauvais traitement à un membre de sa famille ou à son partenaire intime.
Le sénateur Sinclair : J’ai une petite préoccupation. J’appuie le concept, je vous l’assure, mais j’ai une petite préoccupation liée au fait que, dans la version anglaise, on précise « a member of the offender’s family », c’est-à-dire un membre de la famille du délinquant. Je vous suggère de songer à la possibilité d’ajouter les membres de la famille de la victime, car un partenaire intime ne fait pas nécessairement partie de la famille. Les membres de la famille de la victime ne sont pas pris en compte.
La raison pour laquelle je le mentionne, c’est qu’en vertu du code, on inclut maintenant automatiquement les membres de la famille âgés de plus de 18 ans. Les victimes de moins de 18 ans sont protégées dans la version actuelle du code, mais l’amendement inclurait également les victimes de la famille âgées de plus de 18 ans.
Si l’amendement est adopté tel quel, je m’attends à ce qu’un délinquant maintienne que ce n’est pas une circonstance aggravante parce que la personne n’est pas un membre de sa famille à lui, mais de sa famille à elle. Je voulais simplement vous le faire remarquer. Je ne suis pas convaincu que l’amendement atteigne complètement votre objectif.
Vous pourriez modifier la version anglaise de façon à ce qu’elle dise : « a member of the victim’s or the offender’s family ».
La sénatrice Dyck : C’est vrai.
Le sénateur Sinclair : C’est peut-être une solution.
La sénatrice Dyck : C’est une bonne suggestion. Nous pourrions régler le problème en ajoutant simplement ce que vous venez de proposer.
Le sénateur Sinclair : Sinon, on risque d’omettre des victimes potentielles. Cela dit, je trouve assurément que l’intention est bonne et j’appuierais l’amendement même sous sa forme actuelle.
Le président : Il faudrait modifier aussi la version française. Jetons-y un coup d’œil.
Le sénateur Dalphond : Dans la version française...
Le président : Je vais poursuivre la discussion à ce sujet, sénateur Sinclair.
[Français]
Je m’excuse, sénateur Dalphond, mais je ne peux pas comprendre quand vous avez une conversation avec le sénateur Sinclair. Si votre point est valable, vous pouvez le partager avec vos collègues.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : J’allais dire que dans la version française, c’est écrit —
[Français]
— un mauvais traitement « soit d’un partenaire intime, soit d’un membre de sa famille ». La famille de qui? C’est assez ambigu.
Le président : Exactement. Un membre de la famille de la victime ou de l’accusé. Il faudrait préciser —
[Traduction]
— pour rendre la version française complète, qu’il n’est pas question uniquement de la famille du délinquant, mais aussi de celle de la victime.
[Français]
Est-ce que vous parlez de ce point, soit le concept qu’a soulevé le sénateur Sinclair?
Le sénateur Pratte : Je parle plutôt de l’amendement.
Le président : Je veux régler un point à la fois.
[Traduction]
Sénatrice Dyck, acceptez-vous de modifier la version anglaise de votre amendement pour qu’il se lise comme suit : « offence, abused the offender’s intimate partner or a member of the victim or of the offender’s family »?
[Français]
Le sénateur Gold : Est-ce que le terme « victime » est approprié dans le contexte d’un article?
Le président : On parle du plaignant.
[Traduction]
Je souligne que le terme « victime » est aussi employé dans le projet de loi. Je peux demander à un représentant du ministère de répondre, si vous voulez être certain qu’il n’y a absolument pas d’ambiguïté.
Maître Davis-Ermuth, pouvez-vous venir à la table? Nous voulons être sûrs d’employer le bon terme et, ainsi, d’assurer l’uniformité de la loi. Comprenez-vous la question?
Mme Davis-Ermuth : Vous voulez savoir s’il faut employer le terme « victime » ou « plaignant », c’est bien cela? Puisqu’il s’agit de l’étape du prononcé de la peine et que le délinquant a été déclaré coupable, le Code criminel emploie le terme « victime » dans les principes prévus à l’alinéa 718a), afin de dénoncer le comportement illégal et le tort causé aux victimes ou à la collectivité.
Le président : Vous aviez un doute, sénateur Gold, mais la réponse se trouvait dans le reste du projet de loi. Merci.
Je vais reposer ma question à la sénatrice Dyck. Acceptez-vous de modifier la version anglaise de votre amendement en y ajoutant : « of the victim or of the offender’s family »?
La sénatrice Dyck : Oui.
Le président : D’accord. Je vais poser la même question pour la version française afin d’assurer l’uniformité de la disposition.
[Français]
Que suggérez-vous? Accepteriez-vous que la version française se lise comme suit : « constitue un mauvais traitement, soit de son partenaire intime, soit d’un membre de la famille de la victime ou du délinquant »?
Mme Davis-Ermuth : Oui, c’est la même chose.
Le président : Je comprends que le mot « délinquant » est le terme qui est utilisé également plus loin dans le projet de loi.
[Traduction]
Je vois que Me Morency et Me Villetorte sont d’accord. Évidemment, je sais que vous êtes d’accord, maître Davis-Ermuth.
Mme Davis-Ermuth : Je le suis. Toutefois, j’aimerais profiter de ma présence à la table pour demander à la présidence de me permettre d’exprimer les préoccupations du ministère en ce qui a trait à l’utilisation du terme « famille ».
Le président : Est-ce que c’était votre question?
Mme Davis-Ermuth : Je pourrais laisser tomber.
Le président : Il vous posera la question.
Le sénateur Pratte : Je me demandais si le terme « famille » était défini quelque part.
Mme Davis-Ermuth : Il n’est pas défini dans le code. Ce qui préoccupe le ministère, c’est que dans les différentes lois fédérales qui tentent de rendre le concept de la famille, le terme « famille » est souvent défini de manière à répondre très précisément aux objectifs de la loi en question. Je vous donne l’exemple du parrainage familial dans la législation sur l’immigration.
Dans le Code criminel, il y a l’exemple de l’article 109, qui porte sur l’ordonnance d’interdiction obligatoire de posséder une arme. Pour les situations comportant un acte de violence perpétré contre un partenaire intime ou un acte de violence familiale et l’usage d’une arme, on a ajouté une ordonnance d’interdiction obligatoire :
a.1) d’un acte criminel perpétré avec usage, tentative ou menace de violence contre l’une des personnes suivantes :
(i) son partenaire intime, actuel ou ancien,
(ii) l’enfant, le père ou la mère du contrevenant ou de l’une des personnes mentionnées au sous-alinéa (i),
(iii) toute personne qui réside avec le contrevenant ou l’une des personnes mentionnées aux sous-alinéas (i) ou (ii);
La raison pour laquelle les personnes résidant ensemble ont été incluses dans cet alinéa, c’est qu’il était question de la présence d’une arme à feu à l’intérieur de la maison. Dans certains cas, on pourrait se demander si la personne est vraiment un membre de la famille et si la protection est nécessaire. Ici, la disposition était considérée comme appropriée parce qu’il était question de personnes vivant sous le même toit et de la présence possible d’armes ou d’armes à feu.
L’utilisation d’un mot comme « famille » soulève des questions quant aux personnes visées. Si vous le permettez, j’aimerais mentionner que les dispositions du Code criminel sur les circonstances aggravantes aux fins de la détermination de la peine s’appliquent à certains membres des familles que nous voudrions inclure dans les dispositions sur la violence familiale. Le sous-alinéa 718.2a)(ii.1) s’applique aux mauvais traitements infligés à une personne âgée de moins de 18 ans, y compris un enfant mineur du délinquant. Le sous-alinéa 718.2a)(iii) traite de la notion d’abus de confiance ou d’autorité à l’égard de la victime, ce qui pourrait être lié à cela.
Même si le ministère partage les préoccupations relatives à cette modification, il s’interroge sur la possibilité que ces modifications puissent ne pas être applicables à certains types de violence familiale précis qui ressortent clairement du rapport sur l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La question porte sur la nécessité d’un concept général qui pourrait susciter des préoccupations sur une possible portée excessive. Cela couvre-t-il et doit-il couvrir un cousin au deuxième degré qui habite dans une autre province ou un autre territoire? Cela couvre-t-il des relations quasi familiales, comme des personnes qui vivent sous le même toit, mais qui ne font pas nécessairement partie de la famille? Parle-t-on de parenté par le sang? Que signifie ce concept?
Le président : Merci, madame Davis-Ermuth.
Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse à la sénatrice Dyck. Pourriez-vous nous dire précisément qui sont les personnes visées par cet amendement?
La sénatrice Dyck : Je pense qu’il s’applique à diverses personnes, comme le grand-père, les oncles et les cousins d’une personne. Cela pourrait inclure des membres de la famille qui ont été adoptés et qui ne sont pas parents par le sang. Je pense que cela reflète davantage la notion de famille. Il y a les liens du sang, peut-être la notion de cohabitation sous un même toit — pas nécessairement —, mais de gens qui vivent dans la même communauté et qui ont une relation continue.
Le sénateur Pratte : Donc, dans ce cas précis, ce serait la famille élargie, essentiellement?
La sénatrice Dyck : Possiblement, si vous entendez par là les grands-parents, les oncles...
Le sénateur Pratte : Les oncles, frères et beaux-frères.
Le sénateur Sinclair : Les cousins.
La sénatrice Dyck : Les cousins.
Le sénateur Sinclair : Ce sont les personnes que vous voulez inclure?
La sénatrice Dyck : Oui.
Le sénateur Pratte : C’est plutôt large.
La sénatrice Batters : J’ai manqué une partie de la discussion, mais il semble que le ministère de la Justice est préoccupé par l’interprétation de la portée de la définition. Est-ce exact?
Mme Davis-Ermuth : Il est aussi important de déterminer dans quelle mesure la définition peut être prise au sens large, et si elle peut englober tous les liens mentionnés par la sénatrice Dyck.
La sénatrice Batters : Je pensais justement à quelques exemples de liens par alliance et je me demandais si elles seraient incluses. Il y a des gens qui, pour des raisons culturelles, considèrent certaines personnes de leur entourage comme des cousins, même si, techniquement, ce ne sont pas leurs cousins germains, par exemple. Donc, ils considèrent ces personnes comme des proches de la famille. Dans le Code criminel, l’absence de définitions précises risque de poser problème. C’est ce qui me préoccupe.
Mme Davis-Ermuth : Il y a aussi le paradoxe perpétuel lié à la nature de ces enjeux très importants. On parle de l’utilisation du Code criminel pour cibler la violence intergénérationnelle qui pourrait aussi découler du colonialisme. Il s’agit de savoir si cela contribue à accroître la surreprésentation et l’incarcération abusive.
C’est un enjeu extrêmement complexe et paradoxal. D’une part, on veut offrir aux victimes de crimes toute la protection possible. D’autre part, on veut aussi s’assurer que les mesures imposées par le système de justice pénale n’exacerbent pas les problèmes.
Le sénateur Gold : Comme je l’ai dit plus tôt, cela ne fait que le souligner. C’est un dilemme politique fort laborieux parce que, à certains égards, même la loi rédigée dans les meilleures intentions — et c’est d’ailleurs dans la lettre du ministre — a inévitablement des effets positifs pour certains segments de la collectivité et, nécessairement, des conséquences négatives pour d’autres.
En qualité de législateurs, ces décisions nous incombent. Je suis toutefois mal à l’aise. C’est le point de vue de la sénatrice Batters, essentiellement, mais je tiens à le souligner. On parle du Code criminel. On parle aussi d’une disposition qui aurait des conséquences sur la liberté de la personne touchée par les principes de détermination de la peine. Il me semble qu’avant d’introduire un concept de « famille » qui n’est pas défini dans le code — et je ne suis pas certain que nous devrions définir le degré de séparation au sein de la famille de façon précise — une étude appropriée s’impose, peut-être par l’intermédiaire d’une observation, ou en attendant la publication du rapport, après avoir eu l’occasion d’assimiler tout cela.
Il est vrai que le Parlement ajournera probablement ses travaux trop tôt pour que nous puissions tout faire, mais je pense que nous devrions être prudents avant d’introduire, dans le Code criminel, un terme juridique — « famille » — qui n’est pas adéquatement défini. Ce dilemme me contrarie.
Le président : Y a-t-il d’autres commentaires avant de mettre l’amendement proposé aux voix?
La sénatrice Dyck : Merci d’avoir soulevé ce point, sénateur Gold. Le temps presse. Je suis consciente du fait que le Code criminel devrait comprendre des définitions claires. Je pense aussi que nos juges sont capables de faire preuve de discernement dans leur interprétation de ce qui constitue une famille. En outre, nous avons des contraintes de temps : le rapport d’enquête sera publié le 3 juin. Le sujet y sera peut-être abordé, mais il nous sera impossible d’inclure quoi que ce soit en raison des élections. Nous avons là l’occasion d’amorcer ce processus. Cela n’est peut-être pas parfait, mais est-ce acceptable? Introduire cela dans le Code criminel serait reconnaître l’existence de cet énorme problème. Nous pourrions ensuite y revenir pour apporter des modifications après la publication, en fonction des conclusions du rapport.
Le sénateur Pratte : J’ai encore une question à poser aux fonctionnaires. On me dit que le mot « famille » est utilisé environ 23 fois dans le Code criminel. Je ne suis pas sûr que ce soit exact. Chaque fois qu’on l’utilise, y a-t-il une définition particulière comme celle de l’article 110?
Mme Davis-Ermuth : Je ne peux malheureusement me référer à ces dispositions précises. Dans les circonstances, je ne suis pas certaine de l’interprétation qu’on donne au terme dans ces articles.
Le sénateur Pratte : Sénatrice Dyck, comme point de départ, seriez-vous ouverte à une modification visant à faire directement référence à toute personne qui réside au domicile du délinquant ou de la victime, ce qui serait plus précis que « membre de la famille »? J’essaie juste de trouver un moyen de sortir de l’impasse.
La sénatrice Dyck : Je vous remercie de cette suggestion, mais je dirais que la personne n’habite pas nécessairement dans ce domicile, ce qui éliminerait trop de membres de la famille qui n’y habitent pas. Donc, je ne serais pas favorable à cela.
Le président : Comme le sénateur Pratte l’a mentionné, le code comprend de nombreuses références au mot « famille ». Par exemple, on y traite des conjoints, de la famille et des amis — j’ai cela ici — ou de la « famille immédiate ».
Quand on emploie « famille immédiate » dans le Code criminel, on sait que c’est restreint. L’emploi de « famille et amis » renvoie à un réseau considérablement élargi de « relations », si je peux utiliser ce terme. Nous pourrions aussi utiliser d’autres concepts dans lesquels le mot « famille » est défini. On parle essentiellement d’un contexte où le crime de violence est commis par un partenaire intime.
Il s’agit d’une infraction très précise. Dans ce contexte, le mot « famille » devra être interprété par le juge. Le juge saura comment définir la famille élargie. Un cousin germain, c’est très différent d’un troisième degré par alliance. Ce sera déterminé par le juge pour chaque cas, au moment de la détermination de la peine, car c’est de la détermination de la peine qu’il s’agit. Nous n’accusons personne ici. La personne a déjà été reconnue coupable. Nous essayons de déterminer ce qui constitue une peine appropriée, en tenant compte du fait que la famille du délinquant — la personne ou l’agresseur — ou la famille de la victime peuvent avoir subi de la violence.
C’est un concept ouvert, mais, à mon avis, il se limite à l’infraction liée à la détermination de la peine, c’est-à-dire la violence faite par un partenaire intime, essentiellement. À mon avis, nous ne tenons pas compte des autres éléments du code. Par exemple, dans la section sur le harcèlement criminel, on lit ce qui suit :
d) se comporter d’une manière menaçante à l’égard de cette personne ou d’un membre de sa famille.
Le passage « ou d’un membre de sa famille » peut être interprété de façon très large. Nous ne créons pas un concept qui n’existe pas dans le code.
Le sénateur Pratte : C’est ce que je voulais savoir.
Le président : Encore une fois, je ne suis pas un témoin.
Le sénateur Pratte : Non, mais je pense que son usage très fréquent dans le code...
Le président : C’était un exemple.
Le sénateur Pratte : ... sans définition précise signifie que l’interprétation de ce qui constitue une famille dans ce contexte est laissée à la discrétion de la cour.
Le président : Exactement. Dans l’article que j’ai cité, la cour devra en faire l’interprétation.
La sénatrice Batters : À ce sujet, pourquoi ce cas particulier préoccupe-t-il le ministère de la Justice, alors que d’autres aspects ne soulèvent aucune préoccupation?
Mme Davis-Ermuth : Je comprends votre point de vue, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement criminel. Cela s’explique en partie parce que nous avons reçu ces modifications, mais sans avoir beaucoup de temps pour faire des recherches dans le code. Les préoccupations portent sur l’argumentation possible lors des audiences de détermination de la peine, la nécessité d’en déterminer le sens et la question de savoir si cela pourrait être couvert par d’autres facteurs de détermination de la peine. Toutefois, de bons exemples sur l’utilisation du terme dans le code ont été portés à l’attention du comité.
Le sénateur Pratte : Compte tenu de tout cela, j’appuie l’amendement. De plus, je crois que le tribunal tiendra compte du rapport de l’enquête nationale qui sera publié le 3 juin. Dans ces circonstances, j’appuierai l’amendement.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Très brièvement, on a fait référence à la professeure Sheehy à quelques occasions ce matin. Je rappellerai que, dans son témoignage et dans le document de référence qui l’accompagnait, elle a mentionné ceci :
[Traduction]
La nouvelle définition ne traite pas non plus des cas où l’auteur des crimes cible d’autres personnes, comme le nouvel amoureux, les proches et les amis de la victime.
Je pense donc que la proposition favorise une perspective plus large, ce qui est une bonne chose. Je vais donc l’appuyer.
Le président : Je crois comprendre que vous êtes prêts à mettre la question aux voix.
Je demanderais à ceux qui appuient l’amendement, tel qu’il a été présenté puis modifié avec la participation des membres du comité, de lever la main, s’il vous plaît.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
Le président : Merci. Il y a un autre amendement.
Le sénateur Pratte : Je demande un vote par appel nominal, s’il vous plaît.
[Français]
Le président : Madame la greffière, voulez-vous procéder au vote par appel nominal?
Mme Hogan : L’honorable sénateur Joyal, C.P.?
Le sénateur Joyal : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dyck?
La sénatrice Dyck : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Housakos?
Le sénateur Housakos : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Miville-Dechêne?
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte?
Le sénateur Pratte : Pour.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Pour.
Mme Hogan : Pour : 6; contre : aucun; abstentions : 5.
Le président : L’amendement est adopté.
[Traduction]
Nous passons à l’amendement suivant, à l'alinéa 293b). Il se trouve dans le document. Le numéro est LD-293.123b.
La sénatrice Dyck : Je propose :
Que le projet de loi C-75 soit modifié, à la page 123, par adjonction, après la ligne 9, de ce qui suit :
« 293.1 La même loi est modifiée, par adjonction, après l’article 718.21, de ce qui suit :
718.22 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime prend en considération la vulnérabilité accrue des victimes de sexe féminin, en accordant une attention particulière à la situation des victimes autochtones de sexe féminin. ».
Le président : Avez-vous des explications?
La sénatrice Dyck : Parmi les personnes que nous avons entendues, il y avait la commissaire Buller, que je cite :
Ensuite, lorsqu’un plaignant est une femme, une fille ou une personne 2SLGBTQQIA autochtone, cela doit être considéré comme un facteur aggravant lors de la détermination de la peine. Voilà qui doit être inclus à l’article 718.2 du Code criminel. Il n’en faut pas moins pour protéger les femmes, les filles et les personnes 2SLGBTQQIA autochtones.
En réponse à ma question à ce sujet, elle a rappelé que cela devait être considéré comme un facteur aggravant :
Nous avons entendu beaucoup de personnes partout au Canada, et je suis certaine que ce comité a entendu la même chose, soit le fait qu’une demanderesse autochtone entraîne une peine moindre pour le coupable que si elle était non-Autochtone, autrement dit Blanche. Je crois qu’en tant que nation, nous devons dire très clairement que la sécurité des femmes autochtones, des filles et des membres des communautés 2SLGBTQQIA est tellement importante et tellement précieuse qu’elle est expressément stipulée comme un facteur aggravant dans l’article 718.2.
Sénatrice, on cherche essentiellement à s’occuper de dissuasion et de dénonciation, car les femmes, les filles et les membres des communautés 2SLGBTQQIA disparaissent ou sont assassinés parce que des personnes peuvent agir en toute impunité, d’où le besoin d’une dissuasion plus forte, sur le plan tant individuel que collectif, et d’une dénonciation plus importante.
Plus tard, elle a ajouté :
La modification du paragraphe 718.2 pour ajouter l’origine autochtone à la liste des facteurs aggravants afin de viser la dissuasion et la dénonciation ne l’emporte pas nécessairement sur les principes énoncés dans l’arrêt Gladue et n’exclut pas leur application à l’endroit de l’accusé.
Notre témoin de l’Association du Barreau Autochtone, Me Hensel, a dit ce qui suit :
Absolument. Du fait de l’histoire de la colonisation, des séquelles tragiques des pensionnats, elles subissent dans le système de justice pénale une forme distincte de discrimination. Dans la population de notre pays, aucun autre groupe de femmes ne subit autant de victimisation, de violence, de criminalisation et d’incarcération. Pas dans notre pays, de toute façon.
Mme Heidi Illingworth, l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a dit ce qui suit :
D’une part, nous disons que nous devons reconnaître qu’il y a une surreprésentation des Autochtones parmi les agresseurs, mais, d’autre part, selon ce que nous voyons, nous constatons également une surreprésentation des femmes autochtones en tant que victimes. Comment pouvons-nous régler ce problème?
Je suis ici pour parler des victimes et de leurs expériences. Nous devons nous assurer d’être très sensibles à la violence faite aux femmes, compte tenu de son omniprésence dans toutes les collectivités du Canada, et nous devons déterminer comment agir rapidement et protéger les femmes et les enfants. À mon avis, cet aspect doit être sur un pied d’égalité avec les besoins du délinquant. Oui, nous devons avoir un processus complet et équitable, mais nous devons aussi tenir compte des torts causés aux femmes et aux enfants... des enfants qui sont témoins de cette violence et qui en sont parfois eux-mêmes victimes.
L’équilibre est incroyablement difficile à obtenir, mais nous devons mieux reconnaître les tourments des victimes et mieux réussir à les appuyer et à les protéger.
Ensuite, je lui ai demandé :
Appuieriez-vous un amendement qui attirerait l’attention sur ce dilemme, qui sensibiliserait les juges à la nécessité d’appliquer dans toute sa rigueur l’article visant la violence conjugale plutôt que de l’adoucir?
Mme Illingworth a répondu :
Bien sûr.
J’attire aussi votre attention sur le dépôt, par le ministre de la Justice, devant notre comité, d’une lettre dans laquelle on lit, à la page 3 de son annexe 1 :
Violence envers un partenaire intime : Des données récentes font état de la prévalence de la violence envers un partenaire intime (VPI) au Canada et indiquent que la très grande majorité des victimes sont des femmes.
La majorité, 79 p. 100, des victimes sont des femmes.
Un peu plus loin, on peut lire ce qui suit:
Les femmes autochtones (10 %) étaient environ trois plus susceptibles de déclareravoir été victimes de VPI que les femmes non autochtones [...]
Cela montre très clairement que le ministère était au courant de l’incidence accrue de la victimisation des femmes. De plus, dans l’annexe 4 de la même lettre, on lit :
En 2017, la VPI représentait près du tiers (30 %) de tous les crimes violents signalés à la police au Canada [...]
Puis, on y revoit la même statistique :
De plus, 79 % des victimes de violence entre partenaires intimes étaient des femmes; la violence entre partenaires intimes était le principal type de violence subie par les femmes.
On y lit aussi :
Selon les conclusions de l'Enquête sociale générale sur la victimisation de 2014, les femmes autochtones (10 %) étaient environ trois fois plus susceptibles de se dire victimes de violence conjugale que les femmes non autochtones (3 %).
Il est tout à fait évident que les femmes, notamment autochtones, sont plus vulnérables et plus exposées à la violence conjugale. C’est la motivation de l’amendement.
Le président : Y a-t-il des observations sur l’amendement de la sénatrice Dyck?
La sénatrice Batters : J’en aurai deux ou trois après avoir posé ma question. Je me demande quelle serait la réaction du ministère de la Justice à ceci.
Sénatrice Dyck, je me demande aussi si ce serait un facteur aggravant de la peine infligée pour voies de fait.
La sénatrice Dyck : Cela a trait à l’article 718, mais pas aux alinéas a) à e). L’article 718.21 considère comme aggravants les « facteurs à prendre en compte ».
La sénatrice Batters : À quels types de crime s’appliquerait-il? Seulement les voies de fait? Les meurtres?
La sénatrice Dyck : Il ne s’applique qu’à la violence conjugale.
La sénatrice Batters : D’accord. Peut-être que les avocats du ministère de la Justice pourront nous éclairer. Je me demande à quels types d’infractions cela s’applique.
Le président : Monsieur Villetorte?
M. Villetorte : Merci. L’article à laquelle la sénatrice Dyck fait allusion serait nouveau dans le Code criminel. Ce n’est pas qualifié, comme dans l’article 718.2, de facteur aggravant. On dit clairement, dans l’alinéa 718.2a), que la peine devrait être alourdie ou allégée compte tenu des circonstances, aggravantes ou atténuantes, mais non que ce serait considéré comme circonstance aggravante.
Cela étant dit, le libellé me rappelle celui qu’on trouverait dans l’alinéa 718.2e) dont nous parlions, le facteur énoncé dans l’arrêt Gladue, particulièrement en ce qui concerne les circonstances de la victimisation des femmes autochtones.
Quant aux infractions auxquelles l’amendement s’appliquerait, il n’y en a pas de précise pour la violence contre un conjoint. C’est ce détail qui crée la circonstance. Chaque fois que les éléments de preuve conduisent à la sanction d’un acte de violence conjugale, le tribunal doit en tenir compte.
La sénatrice Batters : En plus des voies de fait, est-ce que cela comprendrait les meurtres?
M. Villetorte : Le projet d’amendement de l’article 718.22 s’appliquerait dans la mesure où la victime est un conjoint.
La sénatrice Batters : D’accord. Est-ce que j’oublie d’autres infractions?
M. Villetorte : Non. En général...
La sénatrice Batters : Les voies de fait et les meurtres?
M. Villetorte : Oui.
La sénatrice Batters : Le harcèlement?
M. Villetorte : Oui, si la victime est un conjoint.
La sénatrice Batters : Cela s’applique à cet article. Très bien.
Madame la sénatrice Dyck, d’après M. Villetorte, votre projet d’amendement n’en fait pas un facteur aggravant, seulement un facteur à prendre en compte. Était-ce votre intention première, ou aviez-vous l’intention d’en faire un facteur aggravant?
La sénatrice Dyck : Nous en avons discuté. Ma première idée était de le subordonner aux alinéas 718.2a) à e). Toutefois, d’après ce témoignage écrit de Mme Grant, il était évident que, dans ce cas, ce ne serait pas considéré comme facteur aggravant, parce que, déjà, le sous-alinéa 718.2a)(ii) n’est pas pris en compte dans la pratique.
Nous avons donc pensé qu’il valait mieux le subordonner à l’article 718.22, parce que, dans ce cas-là, la création d’un article distinct amènerait automatiquement les juges à faire une analyse distincte, compte tenu de la vulnérabilité accrue des victimes, qui feraient bénéficier de circonstances particulières les femmes autochtones victimisées.
Ils doivent le prendre en considération, dans le sens où c’est un facteur aggravant, même si ce n’est pas dit en toutes lettres.
La sénatrice Batters : Non seulement ça, mais l’avocat du ministère de la Justice vient de dire que c’est un facteur à prendre en compte.
Cela ne signifie pas qu’on doive le considérer comme aggravant, n’est-ce pas?
M. Villetorte : Encore une fois, dans la détermination d’une peine appropriée, il en sera tenu compte. J’ai dit que ce n’est pas aussi explicite que l’alinéa 718.2a), qui précise très bien les facteurs aggravants ou atténuants. Cela dit, l’amendement s’insère, dans le Code criminel, à un endroit où, essentiellement, on le considérerait peut-être comme un principe de détermination de la peine.
Essentiellement, il guide le tribunal vers la détermination d’une peine appropriée et proportionnelle au degré de responsabilité du contrevenant et à la gravité de l’infraction.
La sénatrice Batters : Sénatrice Dyck, je crois que c’est peut-être semblable au projet de loi d’initiative parlementaire que vous avez déposé et qui ne définit pas, n’est-ce pas, la notion de « circonstances des femmes autochtones victimes ». Tout comme le projet de loi en question, il n’y a nul besoin de préciser dans cet article un certain pourcentage d’ascendance autochtone. Il suffit simplement d’en avoir une, n’est-ce pas?
La sénatrice Dyck : Le terme « Autochtone » n’est pas défini, mais le mot ne l’est pas non plus dans l’alinéa 718.2e). Il ne l’est que dans la Constitution, selon laquelle les Autochtones englobent les Amérindiens, les Métis et les Inuits.
La sénatrice Batters : D’accord. Peut-être que les avocats du ministère de la Justice peuvent nous guider. Faut-il s’en inquiéter?
M. Villetorte : Non. Je suis d’accord avez la sénatrice Dyck.
La sénatrice Batters : C’est de cette manière que, en général, ce terme est défini. Merci. Étant donné tous les facteurs dont nous venons de discuter, quelle est la position du ministère de la Justice sur l’amendement?
M. Villetorte : Conformément à ce que j’ai dit sur l’autre motion, je ne suis pas certain que le ministère l’appuiera. C’est en raison des motions adoptées jusqu’ici. Une observation, je suppose...
La sénatrice Batters : Que voulez-vous dire? D’autres motions adoptées par notre comité?
M. Villetorte : L’orientation donnée au tribunal d’accorder une attention prioritaire aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’infractions semblables.
La sénatrice Batters : Oui, le dernier amendement que nous avons adopté.
M. Villetorte : Si je peux ajouter un renseignement que j’avais oublié, pour la détermination de la sentence, on tient déjà compte de renseignements semblables sur l’impact subi par la victime, grâce à la déclaration que la victime présente au tribunal. Le tribunal est ainsi mieux informé de l’impact de l’infraction sur la victime.
La sénatrice Batters : Ce renseignement est donc déjà pris en considération dans le cadre de la déclaration de la victime?
M. Villetorte : Non, il la confirme. La déclaration de la victime porte sur les conséquences physiques ou morales qu’elle a subies. Encore une fois, un principe de détermination de la peine serait de s’assurer de la prise en compte du fait que l’infraction a été commise contre un conjoint ou une conjointe, particulièrement, de la plus grande vulnérabilité de la femme victime de son conjoint, plus particulièrement si la victime est une femme autochtone.
La sénatrice Batters : D’accord. Quand nous avons entendu les témoins auxquels la sénatrice Dyck faisait allusion dans ses arguments en faveur de cet amendement, s’ensuit-il, habituellement, que le ministre de la Justice et ses hauts fonctionnaires décident des consignes qu’ils vous donneront pour votre comparution devant notre comité et les réponses à nous donner sur l’acceptabilité de l’amendement? D’habitude, la décision se prend-elle après le fait, après l’examen de l’amendement par notre comité?
M. Villetorte : On ne m’en informe pas personnellement. Je suis censé parler des aspects techniques de la motion, pendant l’examen article par article.
La sénatrice Batters : Quelqu’un d’autre du ministère de la Justice peut-il nous guider davantage sur cette question?
Le président : Madame Morency?
Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, ministère de la Justice Canada : Seulement pour répéter ce que vous savez déjà. Votre comité, après avoir adopté le projet de loi modifié, fait rapport au Sénat. Le gouvernement décide ensuite du sort des amendements. Les appuiera-t-il? Il est sûr que le Sénat fera comme d'habitude et que les amendements qu’il a adoptés devront retourner à la Chambre.
Dans la situation actuelle, nous, les fonctionnaires, avons vu la plus grosse partie des motions hier soir ou pendant la nuit et nous les avons examinées plus soigneusement. Il est sûr que nous comparaissons au nom du ministre et que nous essayons d’aider votre comité en l’informant de notre interprétation des motions dont il est saisi, mais il est évident que nous ne pouvons pas lier le gouvernement. La décision se prendra indépendamment, par le ministre et le gouvernement.
La sénatrice Batters : Est-ce que l’amendement actuel fait partie de ceux que vous avez vus pour la première fois hier soir?
Mme Morency : Je crois que oui, mais, franchement, beaucoup de témoins ont abordé des questions semblables et formulé diverses propositions. D’une certaine manière, on ne s’étonne pas de certaines motions, parce que des témoins en ont parlé.
J’ajouterai seulement à ce que mon collègue a dit que beaucoup d’autres motions que vous avez récemment adoptées portaient sur des questions semblables de violence conjugale contre une femme autochtone ou fondée sur le sexe.
Je suppose qu’on peut se demander quel est l’effet cumulatif réel de toutes ces motions prises ensemble. Normalement, nous le ferions, encore une fois après l’étude en comité, pendant laquelle celui-ci aurait adopté des amendements. En profitant d’un certain recul, nous examinerions la situation générale et nous conseillerions le ministre.
La sénatrice Batters : Oui, et, en ce qui concerne cet amendement, on sent visiblement l’influence de l’arrêt Gladue, qui, plus particulièrement, risque de résulter en un pourcentage important d’accusés également Autochtones, qui sont des conjoints. Pouvez-vous nous guider davantage à ce sujet?
M. Villetorte : Pas vraiment. Disons seulement qu’il ne limite pas la capacité ni le devoir, pour le juge qui inflige la peine, d’en imposer une qui soit proportionnelle dans les circonstances.
Mme Morency : En fin de compte, la détermination de la peine, comme mon collègue l’a dit, est toujours personnalisée. Même pour les circonstances dont la loi ne parle pas, le tribunal, d’ordinaire, les examine toutes, les atténuantes comme les aggravantes, et il sera sensible à la surreprésentation des accusés. Le principe de l’arrêt Gladue est entré en ligne de compte de façon très importante dans plusieurs de ces affaires.
Il y aura toujours beaucoup de conciliation à faire, conformément aux principes de détermination du Code criminel, compte tenu des facteurs aggravants qu’il prévoit, de tous les autres facteurs que vous examinez, et de ceux, nombreux, dont tient compte d’habitude la common law, qu’ils soient codifiés ou non. C’est la démarche de base pour la détermination de la peine.
La sénatrice Batters : Oui. Merci.
Le président : Monsieur Villetorte, dans le code, l’article 718.21 figure sous la rubrique « Organisations ». Un potentiel article 718.22 serait-il considéré comme se rangeant sous la même rubrique, ou devrait-il s’insérer ailleurs? Je tiens à m’assurer que nous restons, comme je le dis toujours, en correspondance avec la rubrique générale.
M. Villetorte : L’article 718.21 se range sous les principes de détermination de la peine, mais qui s’appliquent aux organisations.
Le président : Oui.
M. Villetorte : Il faut l’avouer, c’est un peu étrange que l’article 718.22 suive l’article 718.21. Comme je l’ai dit, on le considérera comme l’énoncé d’un principe de détermination de la peine, qui devrait suivre l’article 718.2, étant donné qu’il est numéroté n’importe où entre 718 et 718.2.
Le président : Devrions-nous renuméroter l’amendement, par exemple en lui attribuant le numéro 718.2.1?
La sénatrice Dyck : On nous a dit que les numéros 718.21 et 718.22 se rangeaient toujours sous le numéro 718.2. C’est une anomalie de la numérotation, mais l’article reste sous la rubrique « Objectif et principes ».
Le président : Voilà la réponse.
M. Villetorte : Encore une fois, c’est parce que les principes de détermination de la peine sont applicables à tous les cas, aux individus, qui sont précis, et il faudrait suivre un cas qui ne s’applique pas aux organisations, de par sa logique interne. Quant à la numérotation, il serait logique qu’elle précède le numéro 718.21.
Le sénateur Sinclair : Peut-être faut-il une rubrique, pour s’en sortir logiquement, une autre rubrique qu’« Organisations ». Cela pourrait aussi se ranger sous la rubrique suivante, « Peines en général ». Cela se place sous cette rubrique. Il suffit de la déplacer. En soi, les rubriques ne servent qu’à aider à la consultation. Elles n’orientent d’aucune façon l’application du code à telle situation, si ce n’est pour aider les juges à se retrouver. Si l’amendement se plaçait sous la rubrique « Peines en général », je pense que ce serait plus logique que sous la rubrique « Organisations ».
C’est une solution simple, mais de typographe. J’ignore s’il y a là un problème dont nous devrions nous soucier, surtout en ce qui concerne l’amendement. Cela ne touche que l’enchaînement des rubriques du Code criminel.
M. Villetorte : Si vous permettez, c’est au comité de décider, mais l’article 718.3 qui suit, sous la rubrique « Peines en général », porte davantage sur les mécanismes de la peine en soi, comme le montrent les sous-rubriques « Degré de la peine » et « Appréciation du tribunal ».
Le président : C’est davantage en tant que principe.
M. Villetorte : Oui.
Le président : Actuellement, vous ne voyez aucune incohérence dans l’adoption de cet amendement à cet endroit précis dans le code?
M. Villetorte : L’amendement proposé?
Le président : Oui.
M. Villetorte : Non. Je ne crois pas que ce soit grave.
Le président : D’accord. Je ne veux pas prendre une initiative qui créerait de l’incertitude relativement à l’objectif de l’amendement et à son éventuel emplacement dans le code. Qu’est-ce que vous répondez à cela?
M. Villetorte : Encore une fois, je suppose que le risque est que les tribunaux consulteront les articles 718 à 718.2 pour les principes. Je ne voudrais pas qu’on oublie le projet d’article 718.22, parce qu’il suivrait les articles concernant les organisations.
Le président : D’accord. Chers collègues, sommes-nous prêts pour la mise aux voix? Que tous ceux qui appuient l’amendement présenté par la sénatrice Dyck veuillent bien lever la main.
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : L’article 293 modifié est-il adopté?
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence. Merci.
L’article 293.1 est-il adopté?
Le sénateur Boisvenu : Avec dissidence.
La sénatrice Batters : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence. Merci.
Chers collègues, voyant l’heure, je vous remercie de votre diligence de ce matin. Bien sûr, nous reprendrons nos travaux, à l’article 2, article 294. Merci.
(La séance est levée.)