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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 24 - Témoignages du 31 janvier 2018


OTTAWA, le mercredi 31 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 29, pour son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel, puis à huis clos pour son étude sur les questions ayant trait aux droits de la personne et son examen, entre autres choses, des mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (étude d’ébauches de rapports — sujets : Loi sur les licences d’exportation et d’importation; analyse comparative entre les sexes).

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Avant de commencer, je demanderais à toutes les sénatrices de se présenter, à commencer par nos vice-présidentes, qui se trouvent à ma droite.

La sénatrice Ataullahjan : La sénatrice Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre discussion sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Nous recevons deux représentantes de la Commission de la santé mentale du Canada : Louise Bradley, présidente et directrice générale, et Anne-Marie Hourigan, juge à la retraite de la Cour de justice de l’Ontario et directrice du conseil d’administration.

Vous pouvez maintenant faire vos déclarations préliminaires. Les sénatrices vous poseront ensuite des questions.

Louise Bradley, présidente et directrice générale, Commission de la santé mentale du Canada : Merci, Madame la présidente. Je suis très heureuse de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour parler des soins offerts aux détenus, surtout ceux qui ont des problèmes de santé mentale. C’est un sujet qui me tient très à cœur. Je tiens à vous féliciter, vous et votre comité, d’attirer l’attention du public sur la question des droits de la personne des prisonniers.

J’aimerais d’abord donner un aperçu de la Commission de la santé mentale pour ceux d’entre vous qui ne nous connaissent pas. La commission est une organisation indépendante sans but lucratif qui fournit du leadership, une capacité accrue et des conseils aux décideurs en ce qui concerne les questions de santé mentale et de bien-être auxquelles la population canadienne est confrontée. Elle aide notamment les gouvernements à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale, les secteurs public et privé, et un vaste réseau de groupes d’intervenants.

Son mandat actuel met l’accent, entre autres, sur l’usage de substances et les dépendances, la prévention du suicide, les populations prioritaires et l’engagement. La commission est, pour bon nombre de décideurs, un conseiller et un partenaire de confiance.

Je préconise depuis très longtemps un changement de mentalité relativement à la santé mentale des détenus. Cela remonte au temps où je travaillais en première ligne en tant qu’infirmière autorisée et, plus tard, dans le domaine médicolégal et des services correctionnels en Nouvelle-Écosse. En fait, j’ai travaillé dans l’un des premiers établissements qui ont appliqué une approche axée sur le rétablissement dans un cadre correctionnel. Cet établissement avait notamment transféré à une autorité de santé les soins de santé qui relevaient du personnel correctionnel et de l’administration. Nous avons ainsi embauché un psychiatre à temps partiel et une infirmière à temps plein pour faire des évaluations et fournir des services, et créé une unité pour les délinquants atteints de maladie mentale. Je serai heureuse de vous en parler plus longuement dans le cadre de notre discussion si vous le souhaitez.

Le rétablissement est un processus selon lequel les gens vivant avec des troubles mentaux ou une maladie mentale participent activement à leur cheminement vers le bien-être. Les principes du rétablissement reconnaissent que nous vivons dans des sociétés complexes où de nombreux facteurs se recoupent. Les approches axées sur le rétablissement appuient donc les personnes, dans toute leur diversité, dans les communautés où elles vivent, que ce soit en banlieue ou dans un milieu correctionnel.

Madame la présidente, je crois fermement que tout le monde mérite de connaître l’espoir, la dignité et l’inclusion qui sont à la base du rétablissement. Et cela vaut pour les détenus. L’Organisation mondiale de la Santé souligne d’ailleurs qu’ils méritent les mêmes soins que nous tous.

Il y a 25 ans, ce point de vue n’était pas courant dans l’établissement médicolégal et correctionnel où je travaillais à Halifax. Je me souviens de l’unité des prisonniers ayant des problèmes de santé mentale. Il n’y avait rien de thérapeutique à cet endroit. J’avais proposé que l’on considère ces personnes comme des patients qui étaient aussi des délinquants, mais le service correctionnel voyait les choses tout autrement. Sa vision était appuyée par diverses mesures législatives.

J’en parlerai un peu plus en détail plus tard, mais je crois qu’un choc des cultures appuyé par la loi est l’une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans le cadre de la prestation de services en santé mentale aux délinquants.

À mon avis, une approche axée sur le rétablissement était logique dans ce contexte. En enfermant les gens et en les soumettant à d’autres traumatismes sans traitement ni appui adéquat, on risque d’entraîner une catastrophe. Si ces gens réintègrent la collectivité sans avoir reçu un traitement approprié et sans suivi, ils représentent un risque pour eux-mêmes et pour les autres.

J’ai pu en être témoin lorsque je travaillais pour l’organisme Agrément Canada à titre de visiteuse. J’ai passé plusieurs jours à recenser les services de soins de santé à l’ancien pénitencier de Kingston.

Au Canada, plus de 30 p. 100 des délinquants ont besoin de services psychologiques ou psychiatriques, et plus de la moitié des délinquantes ont des besoins en santé mentale. Voici une autre statistique troublante : pas moins de 80 p. 100 des délinquants condamnés à une peine à purger dans un pénitencier fédéral ont un problème de toxicomanie. Les liens entre la santé mentale et la toxicomanie sont aussi courants que complexes. Un problème de santé mentale peut rendre une personne plus susceptible de consommer des drogues, et des problèmes de consommation de drogues peuvent déclencher une maladie mentale. Dans les deux cas, il s’agit de problèmes fréquents chez les détenus dans les prisons canadiennes. Selon les recherches, 38 p. 100 des délinquants de sexe masculin nouvellement admis satisfont aux critères associés à la fois à un diagnostic actuel de troubles mentaux et de toxicomanie.

La Commission de la santé mentale a été chargée de cerner les populations vulnérables et les recherches révèlent que ces populations sont surreprésentées dans le système correctionnel et dans le recours à l’isolement et à la contrainte.

Comme vous le savez peut-être, les détenus autochtones représentent 18,5 p. 100 de la population carcérale sous responsabilité fédérale, une proportion démesurée comparativement au pourcentage d’Autochtones dans la population du Canada.

Ce qui est encore plus choquant, c’est que les femmes autochtones constituent environ 32 p. 100 des femmes détenues sous responsabilité fédérale. Il s’agit d’une augmentation de 87,5 p. 100 en 10 ans. Par ailleurs, les femmes autochtones représentent 70 p. 100 des cas d’automutilation chez les femmes incarcérées sous responsabilité fédérale.

Les femmes ont clairement besoin davantage de services de santé mentale. Une des principales recommandations découlant de l’enquête sur le décès d’Ashley Smith voulait que les détenues présentant de graves troubles de santé mentale ou des comportements d’automutilation purgent leur peine d’emprisonnement sous responsabilité fédérale dans un centre de traitement fédéral et non dans un milieu carcéral axé sur la sécurité.

Madame la présidente, les Canadiens devraient se préoccuper du fait que les problèmes de santé mentale sont présents dans plus de 37 p. 100 des interventions ayant recours à la force dans les prisons.

Comme les membres du comité le savent probablement, les Règles Nelson Mandela interdisent l’isolement cellulaire pour les prisonniers souffrant d’une incapacité mentale ou physique lorsqu’il pourrait aggraver leur état. Pourtant, les politiques et les lois de notre pays permettent toujours l’isolement pour une durée indéterminée ou prolongée.

Récemment, la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour supérieure de l’Ontario ont statué que le recours à l’isolement préventif pour une période indéterminée était inconstitutionnel. Le juge Leask a déclaré que l’isolement préventif était :

[…] une forme d’isolement qui expose les détenus canadiens qui y sont soumis à un risque important de sévices psychologiques, y compris des souffrances mentales, et à un risque accru d’automutilation et de suicide.

Les tribunaux doivent tenir compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue dans le cadre de la détermination de la peine, mais les recherches montrent que les délinquants autochtones sont plus susceptibles de purger une peine maximale, d’être soumis à des mesures de contrainte et à l’isolement et d’avoir des comportements d’automutilation.

Je pourrais énumérer d’autres statistiques, mais je crois m’être fait comprendre.

Il y a eu peu d’amélioration, voire aucune, dans le domaine de la justice et des services correctionnels en vue de la mise en place d’une approche axée sur le rétablissement pour les détenus atteints de maladie mentale. De plus, nos prisons comptent un nombre croissant de personnes qui sont aux prises avec ces problèmes. Voilà pourquoi ma collègue Anne-Marie Hourigan, qui fait partie du conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du Canada, et moi sommes ici aujourd’hui pour recommander des mesures urgentes dans plusieurs secteurs prioritaires.

Nous recommandons d’abord la mise en œuvre de soins axés sur le rétablissement des détenus de manière à leur permettre de réintégrer la société. La commission encourage l’élaboration et la mise en œuvre de mesures axées sur le rétablissement et qui tiennent compte des traumatismes pour remplacer le recours à l’isolement et à la contrainte. Nous voulons que le recours à ces pratiques diminue de manière à ce qu’elles ne soient plus nécessaires à l’avenir. Pour y arriver, il faudra un engagement significatif avec des gens qui ont une expérience concrète, y compris les familles et les aidants naturels, ainsi que de la formation, de l’éducation et du travail d’évaluation. Il faut pour cela un changement de culture qui ne se fera pas du jour au lendemain, mais si nous n’entreprenons pas ce changement, les choses ne bougeront pas.

Deuxièmement, nous recommandons vivement l’élimination du recours à l’isolement et à la contrainte, étant donné les répercussions négatives sur la dignité et le respect des détenus.

Je tiens à dire qu’il y a une distinction à faire entre le besoin de solitude et le recours à l’isolement. Malheureusement, à l’heure actuelle, les infrastructures physiques de la plupart des pénitenciers ne permettent pas aux détenus d’avoir des moments de solitude alors qu’ils évoluent dans un milieu très bruyant.

Parmi les nombreuses améliorations requises, nous voulons que les personnes ayant des troubles mentaux et des maladies mentales sortent des établissements correctionnels et reçoivent des soins de santé mentale dans la communauté. Il faut investir davantage dans des stratégies concrètes fondées sur des données probantes qui préviennent les comportements d’automutilation dans les prisons. Il faut aussi offrir aux détenus autochtones plus d’occasions de participer à des activités culturelles et spirituelles, y compris des pavillons de ressourcement. Nous devons faire en sorte que tous disposent d’un plan de continuité des soins en santé mentale lorsqu’ils sont libérés.

Troisièmement, nous recommandons de protéger et de promouvoir la santé et la sécurité psychologiques des employés qui travaillent dans les établissements correctionnels.

Je parlerai brièvement sous peu de quelques-unes des initiatives en santé mentale qui ciblent ce groupe, mais je vais maintenant céder la parole à Anne-Marie Hourigan, qui connaît très bien ces questions grâce à sa vaste expérience en tant que juge de la Cour de justice de l’Ontario. Avant de prendre sa retraite, elle a présidé exclusivement des procès criminels pendant 12 ans. Avant sa nomination à la cour, elle a pratiqué le droit criminel à Toronto, et a été à la fois avocate de la défense et procureure pour le procureur général du Canada. Au cours de ses 30 années dans le système canadien de justice pénale, Anne-Marie a rencontré des milliers de personnes touchées par la maladie mentale. Elle a constaté la corrélation directe et constante entre les lacunes dans leurs soins de santé mentale et leur comparution devant les tribunaux.

Elle a pris sa retraite prématurément de la magistrature pour sensibiliser les gens à cette question. Mme Hourigan a donné de multiples conférences sur la corrélation entre la santé mentale et le comportement criminel. Elle a aussi parlé de la nécessité d’intégrer la littéracie en santé mentale dans le système d’éducation pour accroître la sensibilisation, réduire la stigmatisation et faire la promotion de l’intervention précoce et des traitements. Je l’invite donc à nous faire part de ses connaissances à ce sujet.

Anne-Marie Hourigan, juge à la retraite de la Cour de justice de l’Ontario et directrice, conseil d’administration, Commission de la santé mentale du Canada : Je vous remercie, Louise, de votre aimable présentation. Je vous remercie également, madame la présidente et mesdames les membres du comité, de me permettre de vous parler aujourd’hui de mon expérience auprès des personnes incarcérées qui vivent avec des troubles mentaux ou une maladie mentale. Mon expérience auprès de ces personnes m’a bouleversée si profondément que j’ai quitté la magistrature il y a quatre ans pour créer la Fondation Hourigan, qui apporte son soutien à des organisations canadiennes qui œuvrent à promouvoir l’autonomie des jeunes atteints de problèmes de santé mentale ou de difficultés d’apprentissage.

Mon expérience au sein de la magistrature m’a convaincue que beaucoup des personnes qui comparaissent devant le tribunal n’ont pas besoin d’aboutir là. Une foule d’adolescents comparaissant régulièrement devant moi avaient simplement été victimes des défaillances du système de soutien en santé mentale, du système d’enseignement ou du système d’aide sociale. Je constatais qu’ils auraient pu éviter le système de justice pénale s’ils avaient eu accès à des services et à des mesures d’aide convenables en santé mentale à des moments clés de leur vie, avant d’avoir de sérieux démêlés avec la justice.

Je pourrais vous en donner d’innombrables exemples. Vers la fin de ma carrière de juge, j’ai eu à me prononcer sur une demande de déclaration de délinquant dangereux concernant un accusé qui avait plaidé coupable relativement à des accusations de tentative de meurtre. Ce genre de demande est extrêmement rare dans le système canadien de justice pénale, parce qu’un accusé peut être incarcéré pour une période indéterminée si certains critères très stricts sont remplis. L’affaire a duré presque trois ans et les témoignages ont nécessité beaucoup de temps. Le psychiatre produit par la poursuite a à lui seul témoigné pendant deux semaines.

L’accusé avait sombré dans la délinquance dès l’école primaire. Il avait alors tenté avec quelques copains de mettre le feu à la salle de musique de l’école. Il avait souffert d’intimidation à cause de son origine ethnique et avait à son tour commencé à intimider les autres. À 15 ans, il était dans un gang. Une fois adulte, il a continué de commettre des crimes graves. Il a purgé des peines en maison de correction et dans le système pénitentiaire fédéral.

Les témoignages dans cette affaire ont révélé que dès son enfance, l’accusé avait présenté des facteurs de risque pour des problèmes de santé mentale : difficultés d’apprentissage, trouble des conduites, TDAH, problèmes de gestion de la colère et toxicomanie, autant de problèmes qui n’avaient jamais été détectés — ou à tout le moins diagnostiqués — et qui étaient donc restés sans traitement. En fin de compte, le témoignage du psychiatre a démontré que l’accusé avait entre autres un trouble de personnalité antisociale et narcissique ainsi qu’une dépendance à plusieurs substances.

Selon le psychiatre, il y avait un risque considérable que l’accusé commette à nouveau des actes de violence physique pouvant mettre en danger la vie d’autres personnes. À la fin des procédures, je l’ai déclaré délinquant dangereux. Il purge maintenant une peine d’emprisonnement de durée indéterminée.

Je ne peux pas jurer qu’il en aurait été autrement si cet homme avait reçu l’aide dont il avait besoin dès l’enfance ou l’adolescence, dès ses premiers contacts avec le système de justice pénale et le système correctionnel. Mais je ne pense pas me tromper en affirmant que lui et ses victimes n’en seraient probablement pas là aujourd’hui.

Madame la présidente, cette histoire tient lieu de mise en garde, certes, mais elle n’est pas unique. J’ai vu énormément de cas impliquant des adolescents ou de jeunes adultes dont les problèmes d’apprentissage et les troubles psychologiques et sociaux n’ont pas été traités lorsqu’ils étaient encore à l’école. Ils se sont presque tous comportés de telle sorte qu’ils ont abouti devant les tribunaux pénaux.

Je ne prétends pas connaître toutes les réponses, mais je sais d’expérience qu’à défaut de fournir une aide adéquate en santé mentale lorsqu’elle est nécessaire à un jeune âge, des histoires comme celle que je vous ai racontée se répéteront. Et ce ne sont pas seulement les personnes directement touchées qui en paieront le prix, mais toute la société canadienne.

Je pense également qu’il n’est pas trop tard pour commencer à offrir le type de soins dont les détenus ont besoin durant leur incarcération, en employant l’approche axée sur la guérison dont Louise a parlé. D’ailleurs, je pense tout comme elle que nous devons réfléchir à l’utilisation de la contrainte et de la coercition. Des études ont confirmé que la violence tend à augmenter en l’absence d’activités stimulantes et lorsque sont réduits la capacité à prendre des décisions pour soi-même et l’espace personnel, et j’entends par là notamment l’administration de médicaments psychiatriques dans les aires communes.

Des études indiquent par ailleurs que dans certains milieux correctionnels, les comportements d’automutilation sont traités comme un manquement aux règles plutôt que comme la manifestation d’une détresse psychologique.

En revanche, aucune étude n’a jamais démontré que l’isolement et la contrainte avaient une influence positive sur le traitement thérapeutique des personnes vivant avec des troubles mentaux ou une maladie mentale.

Madame la présidente, il est important de reconnaître que la volonté et la capacité des organisations d’investir dans des lieux de travail stables — et dans des effectifs suffisants — sont le fondement même des initiatives visant à réduire l’isolement et la contrainte. Que les fournisseurs puissent imposer ces types de mesures montre bien le déséquilibre de pouvoir qui caractérise leur relation avec les personnes vivant avec des troubles mentaux ou une maladie mentale.

L’un des principes des politiques et des lois axées sur le rétablissement en santé mentale est qu’elles doivent toujours employer les interventions les moins intrusives et les moins restrictives possible. Des études effectuées par la Commission de la Santé mentale révèlent que dans certains cas, l’isolement et la contrainte ont été pratiquement éliminés par la mise en œuvre de solutions de rechange basées sur des principes de guérison et qui prennent en compte les traumatismes passés des personnes.

L’une des nombreuses leçons précieuses pouvant être tirées des écrits publiés par la commission est que nous devons faire un meilleur suivi systématique des incidents d’isolement et de contrainte au Canada et améliorer la collecte de renseignements. Nous devons aussi favoriser la mise en place de services de psychothérapie dans les établissements correctionnels. Il faut voir non seulement aux besoins en santé physique des détenus durant leur incarcération, mais également à leurs besoins en santé mentale.

En outre, à mon avis, les transitions nécessaires à mesure que les délinquants progressent — d’abord dans les systèmes judiciaires et correctionnels puis vers leur libération dans la société — doivent s’effectuer sans heurts. Surtout, une approche uniforme pour atteindre l’objectif partagé qui est celui d’une réinsertion sociale saine et réussie. D’ailleurs, je pense qu’il faut commencer dès le début de la peine d’emprisonnement à prendre des mesures pour la guérison et à établir un plan complet en matière de santé mentale.

Les peines d’emprisonnement fédérales reflètent par leur durée les importants principes de détermination de la peine que sont la dénonciation et la dissuasion, mais il ne faut cependant pas oublier le principe tout aussi important qu’est la réinsertion. Les soins de santé mentale ne doivent pas cesser dès que le seuil de la prison est franchi.

En tant que juriste, je crois aussi fermement que les tribunaux doivent adhérer aux principes de l’arrêt Gladue lorsqu’ils déterminent la peine à imposer. Les juges ne doivent recourir à l’incarcération qu’en dernier recours dans le cas des délinquants ayant des problèmes de santé mentale graves, en particulier lorsqu’il s’agit d’Autochtones.

Tant que des mesures concrètes ne seront pas prises dans ce domaine, les nouvelles continueront de nous alerter de la commission de crimes qui auraient pu être évités et de l’incarcération en dernier recours de détenus ayant des problèmes de santé mentale, le tout avec de lourdes conséquences pour les finances publiques et pour la société dans l’ensemble. La prévention est toujours plus rentable que l’incarcération. Mais l’enjeu n’est pas seulement financier. Au-delà des considérations d’argent, nous devons, au nom du bon sens et de la dignité humaine, aider les personnes malades à guérir. Pas seulement pour leur éviter la prison, mais pour leur permettre d’avoir une vie plus enrichissante, plus satisfaisante et plus productive.

Merci, madame la présidente; merci aux membres du comité. Je cède maintenant la parole à Louise.

Mme Bradley : J’ai quelques observations à présenter avant que nous répondions aux questions.

Je veux vous parler d’un cours en ligne sur la santé mentale à l’intention des prisonniers, qui s’appelle Breaking Free Online. Il s’agit d’une ressource numérique conçue au Royaume-Uni et qui est complémentaire aux programmes de rétablissement offerts aux détenus dans ce pays. De nombreux autres pays l’ont maintenant adopté. Breaking Free Online est une excellente initiative qui pourrait également servir ici, au Canada. Il s’agit du seul programme d’intervention en ligne accrédité par le Correctional Services Accreditation and Advice Panel.

Le professeur John Weekes, de l’Université Carleton, et Mme Samantha Weston, de l’Université Keele, au Royaume-Uni, ont corédigé un rapport de recherche sur l’impact du programme sur les détenus de plusieurs prisons du nord-ouest de l’Angleterre. Leurs conclusions ont été publiées dans Advancing Corrections, le prestigieux journal de l’Association internationale des affaires correctionnelles et pénitentiaires. L’étude montre une réduction considérable dans la consommation de substances et la dépendance sous-jacente chez les délinquants qui ont utilisé Breaking Free Online. D’importantes améliorations ont aussi été constatées dans différents aspects de leur cheminement vers leur rétablissement.

Le dernier sujet que j’aimerais aborder est la santé mentale des employés des établissements correctionnels. Les employés des services correctionnels sont souvent considérés comme des intervenants de première ligne, mais ils travaillent dans des environnements uniques avec des populations à risque élevé, qui comptent de nombreux cas de troubles mentaux ou de maladies mentales. Cette situation expose le personnel des prisons à des expériences souvent traumatisantes. En mars 2016, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a entendu des témoins qui ont affirmé que les employés des services correctionnels ont des taux de traumatismes liés au stress opérationnel qui sont plus élevés que presque tous les autres groupes de premiers intervenants.

Il est clair que ces travailleurs ne peuvent aider les détenus ni faire leur travail efficacement s’ils ont eux-mêmes des problèmes de santé mentale. La Commission recommande donc d’élaborer des stratégies intégrées en matière de santé mentale qui englobent la santé et la sécurité psychologiques des employés et des détenus. Ces stratégies doivent tenir compte des systèmes de santé et sécurité au travail, de la formation, de l’éducation, de la prévention, de la promotion, de l’intervention précoce et de la réintégration.

La CSMC a développé de nombreuses ressources dans le cadre de la Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada, et plusieurs initiatives sont particulièrement pertinentes. Permettez-moi d’en mentionner quelques-unes.

La Norme nationale sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail est une série de lignes directrices, d’outils et de ressources pour aider les organisations à promouvoir la santé mentale et prévenir les blessures psychologiques au travail.

La deuxième, appelée En route vers la préparation mentale, est en fait une adaptation d’un programme initialement créé par le ministère de la Défense nationale. Il s’agit d’un programme de formation conçu pour réduire la stigmatisation qui entoure souvent les troubles mentaux et la maladie mentale, et pour accroître la résilience des travailleurs.

Enfin, Premiers soins en santé mentale est un programme qui montre aux gens comment venir en aide à une personne qui éprouve un problème de santé mentale, dont la condition s’aggrave ou qui traverse une crise de santé mentale. À l’instar des premiers soins physiques qui sont prodigués avant un traitement médical, les premiers soins en santé mentale sont dispensés jusqu’à ce qu’un soutien approprié soit trouvé ou jusqu’à ce que la crise soit réglée.

Mme Hourigan et moi nous ferons un plaisir de vous parler de tout aspect mentionné dans cet exposé, et nous sommes prêtes à répondre à vos questions. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup toutes les deux de vos exposés de ce matin. Nous passons maintenant aux questions, en commençant par les deux vice-présidentes.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de vos exposés. La composition de la population carcérale a changé; les détenus sont maintenant issus de milieux très diversifiés. Sommes-nous prêts à répondre aux besoins en matière de santé mentale de diverses populations de détenus? Il y a les nouveaux immigrants et divers groupes ethnoculturels ou racialisés. Étions-nous préparés? Avez-vous observé des pratiques exemplaires au Canada? A-t-on trouvé de bonnes solutions quelque part? Y a-t-il des leçons à tirer de l’expérience d’autres pays?

Mme Bradley : Je ne sais pas exactement ce qu’il en est en milieu correctionnel. Toutefois, considérant ce que nous offrons aux immigrants, aux réfugiés et aux groupes ethnoculturels en général, je dirais non, absolument pas. La Commission a d’ailleurs commencé à étudier la question de la prestation de services en santé mentale aux populations IRER. L’étude ne fait que commencer. En général, au Canada, l’accès au service en santé mentale n’est pas adéquat, ce qui rend d’autant plus complexe et plus difficile l’accès aux services pour les populations diversifiées. Toutefois, nous devons porter une très grande attention à cet aspect, étant donné le nombre élevé de personnes qui immigrent au Canada, mais très peu de choses ont été faites jusqu’à maintenant.

La sénatrice Ataullahjan : Votre message de sensibilisation passe-t-il? Est-il percutant? Ceux qui devraient entendre ce message y réagissent-ils?

Mme Bradley : Notre travail, qui a mené à la publication de deux ou trois documents rédigés par des gens de la communauté des IRER et fondés sur leurs observations, a été très bien reçu. Le problème, dans un pays qui vient probablement au dernier rang des pays développés pour la part du budget de la santé consacrée à la santé mentale, c’est que cela nécessitera un effort concerté. Cela dit, le travail que nous avons fait a certainement été très bien reçu et nous poursuivons nos efforts, mais je dirais qu’il y a beaucoup à faire.

La sénatrice Cordy : Nous avons invité la Commission de la santé mentale à comparaître sur recommandation du Comité des affaires sociales. Je tiens à vous remercier, madame Bradley, du travail soutenu que vous faites, vous et votre personnel, pour promouvoir la santé mentale pour tous les Canadiens et pour trouver les solutions. Madame Hourigan, je vous félicite de votre passion. Votre conviction quant à la possibilité d’améliorer la situation des personnes atteintes de maladies mentales était telle que vous avez quitté la magistrature pour vous consacrer à cette cause, et je vous en suis reconnaissante. Je vous remercie toutes les deux de votre travail dans ce domaine.

Madame Bradley, vous avez parlé d’une approche axée sur le rétablissement et vous en avez souligné l’importance. Dans votre exposé, vous avez indiqué que le système correctionnel devrait abandonner l’approche punitive et être plutôt axé sur la prestation de services de santé. Pourriez-vous nous en parler davantage? Quels ont été les résultats? Vous n’avez pas donné le nom de l’établissement, mais dans quelle mesure a-t-il été difficile de convaincre les autorités de la nécessité de le faire?

Mme Bradley : Je pourrais en parler longtemps.

Je dirai d’abord que c’était la première province à le faire, puis j’ai participé à un deuxième projet dans une province de l’Ouest. Toutefois, c’est à ce moment-là que j’ai réellement pris conscience qu’un changement de mentalité s’était produit, et ce, à deux niveaux. Le premier était la création d’une unité distincte : l’unité pour les délinquants atteints de maladies mentales. Il s’agissait de philosophies complètement opposées, au point où la structure physique elle-même était totalement différente.

À titre d’exemple, pendant la construction des installations, je suis allée sur place un jour pour observer les travaux. J’ai cherché à savoir ce qu’étaient les dalles de béton qu’on trouvait dans les chambres. On m’a dit : « Eh bien, ce sont des lits. » J’ai alors rétorqué : « Des lits? Comment est-ce possible? Ce sont des dalles de béton! » Habituellement, les constructeurs et les entrepreneurs recevaient les directives des services correctionnels au début des projets. J’ai alors indiqué qu’il s’agissait d’un hôpital et que dans un hôpital, les dalles de béton ne font pas office de lits. C’est ainsi que la discussion a débuté.

Il y avait aussi la philosophie générale utilisée à l’unité médico-légale, où nous avions du personnel correctionnel, car aux termes de l’échange, partant du principe que nous sommes des spécialistes de nos domaines respectifs, nous devions assurer la prestation des services de soins de santé à la super-prison d’Halifax, tandis que les services correctionnels devaient fournir du personnel de sécurité à l’hôpital médico-légal. Nous en sommes venus à être à couteaux tirés, en particulier sur la question du recours aux méthodes d’isolement et de contention. J’étais contre toute utilisation de contention à l’hôpital. À cela s’ajoutait la question du port de l’uniforme par le personnel de sécurité à l’hôpital. On parle ici d’un contexte thérapeutique. Je pourrais continuer longtemps, mais nous avions manifestement d’importantes divergences de points de vue.

Ensuite, pour compliquer les choses, les mesures législatives, comme la loi provinciale sur les services correctionnels, la loi provinciale sur la santé mentale et le Code criminel, précisent que la direction des activités relève de l’administrateur de l’hôpital, mais la Loi sur les services correctionnels était directement...

La sénatrice Cordy : Parlez-vous des installations de Burnside?

Mme Bradley : Oui.

La sénatrice Cordy : Madame Hourigan, vous avez parlé d’un jeune qui s’est retrouvé dans le système et qui ne recevait aucune aide, tandis qu’une aide aurait dû lui être offerte très tôt, dans les réseaux d’éducation et de la santé. J’ai été enseignante, et je me souviens d’avoir fait des appels pour demander de l’aide pour des élèves. On me répondait : « Ce sera dans six mois; nous allons les mettre sur la liste attente. » Six mois, cela représente 10 p. 100 de la vie d’un enfant de six ou sept ans. C’est beaucoup. Pourriez-vous parler de cet aspect?

Vous avez, en outre, indiqué qu’aucune étude n’a démontré que l’isolement et la contrainte avaient une influence positive sur le traitement thérapeutique des patients. Je pense, en fait, qu’il existe des études qui démontrent que cela leur est nuisible.

Pourriez-vous parler de ces deux enjeux?

Mme Hourigan : Le délinquant dangereux avait 36 ans au moment où il a comparu devant moi, mais nous avons étudié son parcours de vie à partir de l’âge de six ans, je crois. C’est exactement ce qu’il a vécu.

Il y avait deux choses. Premièrement, beaucoup de ces problèmes n’ont même pas été reconnus. Je suis heureuse d’apprendre qu’à titre d’enseignante, vous étiez à l’écoute des problèmes que vivaient vos élèves. Beaucoup de ses problèmes n’avaient pas été détectés par les intervenants du réseau scolaire. Ils ont été dépistés un peu plus tard, alors qu’il avait 12 ou 13 ans, mais il s’est retrouvé encore une fois sur une liste d’attente et il a attendu 18 mois pour une évaluation psychologique, et encore plus longtemps pour une évaluation psychiatrique. Entre-temps, il était dans la collectivité et il commettait toutes sortes de crimes, de plus en plus graves, jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable de tentative de meurtre.

Ce qui était frustrant tandis qu’on disséquait sa vie de délinquant dangereux dans les moindres détails — c’était une triste histoire, et j’avais l’avantage d’avoir du recul —, c’était de voir toutes les failles, par exemple un problème qui n’avait pas été cerné, ou encore un problème qui avait été dépisté, mais non traité pendant un certain temps. Donc, il ne recevait ni aide ni services. Ses problèmes de santé mentale et de toxicomanie ont été exacerbés, et il a récidivé.

En tant que juge, c’était un exercice frustrant, car je savais qu’il était passé par plusieurs systèmes et pas seulement pas le système d’éducation. Il était aussi passé par le système correctionnel, puisqu’il a fait de la prison, et par le système d’aide sociale. Il était à Toronto, ce qui lui permettait d’avoir accès à ce système, mais ses besoins n’ont pas été pris en compte. C’était donc une situation très frustrante.

En ce qui concerne votre deuxième question, je suis d’accord avec vous. Les études démontrent en effet que le recours à l’isolement et à la contrainte n’a aucune influence positive sur le traitement thérapeutique des délinquants. En tant que juge, mon point de vue ne se limite pas aux délinquants dangereux; je pense aussi à tous les délinquants que j’ai condamnés à la prison. Si nous parvenons à cerner les besoins en matière de santé mentale au moment de la détermination de la peine... J’ai toujours veillé à demander des évaluations psychiatriques et psychologiques pour les délinquants qui ont comparu devant moi. J’étais au courant de leurs problèmes. Lorsque je les condamnais à une peine d’emprisonnement, j’incluais tous les documents pertinents à leur dossier afin qu’un suivi puisse être fait pendant qu’ils étaient en prison. Mon espoir, c’était qu’ils obtiennent l’aide thérapeutique dont ils avaient besoin dès leur sortie du tribunal et leur prise en charge dans le milieu correctionnel ou carcéral afin qu’ils puissent réussir à réintégrer la société. Ils se retrouvaient sans cesse devant moi, mais n’avaient reçu aucune aide pendant leur incarcération.

Quand je parle d’une transition sans heurts, ce que j’espère, c’est que, dans le système judiciaire, le juge cerne les préoccupations, l’établissement fasse un suivi, et un plan de mise en liberté avec soutien communautaire soit élaboré afin de permettre la réintégration. Il y a de nombreuses failles dans le système. Espérons que le travail de la commission aidera non seulement les détenus, mais aussi les travailleurs et les employés des établissements à être davantage à l’écoute des besoins en santé mentale des détenus afin qu’une telle situation ne se reproduise plus.

La sénatrice Andreychuk : Merci à vous deux des renseignements que vous nous fournissez.

J’ai l’impression d’entendre un écho; j’ai déjà entendu à maintes reprises quels sont les besoins. En vous écoutant, j’ai eu le sentiment d’être de retour au tribunal. Les problèmes sont les mêmes. Nous voulions que les enfants aient accès aux ressources tôt. Vous avez dit à l’école; pour ma part, j’aurais parlé du niveau préscolaire. Si nous avions fait notre travail à ce niveau, l’ampleur du problème serait peut-être moindre.

Il y a ensuite la question de la mise en liberté. Vous dites que les détenus devraient avoir un plan dès leur arrivée, et l’emploi devrait en faire partie.

Vous avez parlé des nombreuses failles dans le système. Ce n’est pas nouveau; c’est ce que disent continuellement les gens qui en font partie. Je suis optimiste, mais je suis aussi pessimiste. Je suis optimiste quand je vois des gens comme vous qui travaillent, qui trouvent cela important et qui font de leur mieux, mais vous dites qu’il y a des failles.

Existe-t-il une solution miracle qui règlerait tout? Ou à votre avis, devrions-nous préconiser une augmentation des ressources au point de départ et veiller à ce qu’elles soient véritablement affectées là, ainsi que nous concentrer sur la stratégie de sortie? Ainsi, on se préoccupera de tout ce qu’il y a entre les deux puisque l’information sera connue.

Nous faisons sans cesse des évaluations, qui prennent du temps et drainent les ressources. Nous faisons ensuite une autre évaluation dans un autre contexte. Les écoles font des évaluations, et cetera. Il y a donc des décalages, et quand on arrive au dossier, la personne est passée à la phase suivante de sa vie. Je ne cesse de penser que si cet enfant avait bénéficié de ressources, la situation aurait été différente, mais on voyait continuellement des constantes se dégager, et la présence continue de ces constantes me préoccupe.

Comment pouvons-nous changer les choses? De nombreuses personnes, des législateurs se sont fait entendre; des comités ont publié des rapports. Que pouvons-nous faire différemment pour attirer l’attention du gouvernement ou de la population canadienne? Les rapports de qualité nous ouvrent les yeux, nos paroles expriment nos soucis, mais les actions n’aboutissent pas. Voilà, j’ai dit ce que j’avais sur le cœur.

Mme Bradley : J’ai bien peur qu’il n’y ait pas de solution miracle. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les services doivent être offerts dès le début. Les déterminants sociaux de la santé doivent être considérés à un jeune âge.

Pour ce qui touche la santé mentale des délinquants incarcérés, je peux faire une suggestion précise qui pourrait aider. Ailleurs dans la société, les services de santé mentale sont fournis par des personnes ayant reçu de la formation, ce qui ne veut pas nécessairement dire que tout le monde doit consulter un psychiatre ou un psychologue; il y a aussi des travailleurs de soutien par les pairs et d’autres spécialistes. Or, dans le milieu correctionnel, j’ai vu des gens atteints de maladies mentales très graves dépérir ou même souffrir horriblement, seuls dans leur cellule. Si la personne reçoit une évaluation, elle doit parfois attendre une semaine ou deux avant que le psychiatre se présente, et qu’arrive-t-il ensuite? Les services ne sont pas fournis par des personnes ayant de la formation ou de l’expérience, ce qui pose aussi problème pour tous.

Personnellement, j’ai constaté un changement. Le processus est dur, mais il y a une amélioration lorsque les personnes incarcérées reçoivent des services de la part de gens qui savent ce qu’ils font, dans un milieu thérapeutique. L’état des personnes atteintes d’une maladie mentale qui quittent le milieu correctionnel sans recevoir de soins est bien pire à leur mise en liberté qu’à leur incarcération. Si l’on pouvait apporter un seul changement, c’est celui que je recommanderais.

Mme Hourigan : Pour répondre à votre question concernant les jeunes et le début de leur parcours, et pour ajouter à ce que Louise a dit, selon moi, il faut se pencher sur l’accessibilité des services et les services offerts. Comme vous l’avez dit, il faut commencer dès l’âge préscolaire, dès qu’on décèle une préoccupation chez un enfant de trois ou quatre ans. Il faut qu’il y ait des services.

Il doit aussi y avoir des services à l’autre extrémité, dans le pénitencier. D’après moi, rien n’empêche un pénitencier, une maison de correction ou tout autre établissement d’être thérapeutique. Ces établissements sont intrinsèquement punitifs. Comme juge, je condamne une personne à l’emprisonnement; l’effet dissuasif, c’est qu’elle est retirée de la société et qu’elle perd sa liberté. L’incarcération sert donc de punition, mais il reste les problèmes cernés et non résolus. Pourquoi ne pouvons-nous pas répondre aux besoins thérapeutiques des détenus pendant que nous en avons la garde et la responsabilité?

J’aimerais que le nombre de services offerts augmente et que l’accessibilité aux services soit améliorée pour l’ensemble de la population, des enfants de trois ans aux personnes âgées. Cependant, concernant les détenus, il n’y a absolument aucune raison pour laquelle ils ne devraient pas avoir accès à l’ensemble des services thérapeutiques.

La sénatrice Andreychuk : La nouvelle Loi sur les jeunes contrevenants a été vantée comme faisant primer les services de prévention. De fait, l’accusation ne devrait pas être déposée s’il existe une autre solution. Cette approche a-t-elle changé quelque chose? Je crois comprendre qu’il n’y a pas de services à ce stade, ce qui fait que les solutions de rechange sont plutôt limitées; on revient donc au juge et au processus ordinaire.

Mme Hourigan : Certainement, sous sa forme actuelle, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents encourage les juges qui doivent condamner des adolescents à essayer de trouver des solutions de rechange à l’incarcération, à chercher du soutien et des ressources communautaires, ainsi qu’à tenter de les détourner du système de justice pénale. Lorsque j’étais juge du tribunal pour adolescents, c’est toujours ce que je faisais, et mes collègues aussi. Le défi était de trouver des ressources communautaires pouvant leur fournir l’aide dont ils avaient besoin. De telles ressources existent, mais cela nous ramène encore une fois à la question des services offerts et de l’accessibilité des services. Il en faut plus.

La sénatrice Hartling : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui et d’avoir le courage de continuer à travailler au dossier de diverses façons. Merci à vous, madame Hourigan, de déployer différents efforts pour trouver des solutions aux problèmes, et à vous, Louise, pour votre engagement continu.

Je viens du secteur communautaire et j’ai travaillé dans le domaine de la santé mentale. C’était décourageant de visiter les prisons et de voir le nombre de détenus ayant des problèmes de santé mentale. Cette situation est tragique, car avec la fermeture d’autres types d’établissements — et je ne veux pas dire qu’on devrait tous les rouvrir —, cela semble être l’endroit où les gens aboutissent. Les Noirs, les Autochtones et d’autres en particulier ne semblent pas recevoir les services dont ils ont besoin.

Selon vous, quels services communautaires de rechange pourrions-nous instaurer? Je sais que nous devons absolument travailler avec les jeunes et faire des interventions précoces. Quels autres programmes que les prisons pourrions-nous mettre sur pied et promouvoir au sein de la société pour travailler avec les personnes ayant non seulement des problèmes de santé mentale, mais aussi des difficultés avec le système de justice pénale, de façon à protéger la société et à aider les personnes dans le besoin?

Mme Bradley : D’abord, d’après moi, les programmes de déjudiciarisation contribuent certainement à détourner les gens du système.

Je peux vous parler de ma propre expérience par rapport aux programmes du milieu de la psychiatrie légale, de cas dans lesquels des personnes déclarées criminellement non responsables pour cause de troubles mentaux se seraient retrouvées, autrement, dans un pénitencier fédéral en raison de leurs crimes. Nous avons mis sur pied un programme de traitement communautaire nous permettant de fournir des soins spécialisés adéquats tout au long du programme, d’accompagner les gens et de les aider. C’est semblable à une équipe de traitement communautaire dynamique, ou ETCD, qu’on trouve dans le système général. Ce sont des gens qui comprennent les exigences du Code criminel, la signification réelle de la mise en liberté sous condition et la réintégration progressive au sein de la collectivité. Simplement ouvrir la porte et laisser partir une personne qui a été incarcérée ne serait-ce qu’un an — je n’ose même pas penser à celles qui sont incarcérées pendant plus de 10 ans —, et s’attendre à ce qu’elle réintègre la collectivité. Nous nous demandons pourquoi le taux de récidive est si élevé. Nous avons offert le programme aux personnes nécessitant des services de psychiatrie légale, et les taux de retour étaient très faibles. À mon avis, il serait possible d’offrir d’autres programmes communautaires de ce genre qui permettraient de protéger la collectivité, tout en fournissant des soins et des traitements aux personnes en ayant besoin.

Je ne sais pas si certains d’entre vous ont vu le documentaire de John Kastner. Il montre très bien ce que le soutien communautaire peut faire pour une personne ayant commis un meurtre et il continue à avoir du succès. Selon moi, une philosophie et une approche semblables pourraient également fonctionner en milieu correctionnel.

Mme Hourigan : En Ontario, nous avons des tribunaux de la santé mentale. Je recommanderais qu’ils siègent plus souvent et qu’ils soient mieux répartis dans la province. J’ai été juge pendant 12 ans, et durant ce temps, j’ai siégé à mon tour à un tribunal de la santé mentale. C’était une expérience gratifiante, car les délinquants étaient détournés du système de justice pénale parce que leur problème de santé mentale était reconnu, et ils recevaient l’aide dont ils avaient besoin au sein de la collectivité. Encore une fois, la faille dans le système est qu’ils étaient détournés du système de justice pénale, qu’ils avaient le droit de rester dans la collectivité et d’obtenir l’aide dont ils avaient besoin, mais souvent, les ressources manquaient.

Toutefois, je peux vous parler personnellement d’infatigables travailleurs de soutien en santé mentale et travailleurs auprès des jeunes qui œuvrent, en Ontario, au sein du système de justice pénale pour appuyer les personnes ayant à la fois un problème de santé mentale et un comportement criminel. Il y a de l’espoir et des précédents, mais je répète qu’il faut étayer les programmes et les services communautaires afin de renforcer la déjudiciarisation.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup. J’ai l’impression que les gens doivent faire preuve de volonté et d’ouverture pour comprendre. Que pensez-vous des attitudes par rapport à ces dossiers?

Mme Hourigan : Chez la population générale?

La sénatrice Hartling : Oui.

Mme Hourigan : Je pense que c’est aussi un des facteurs. Je reviens aux enfants d’âge préscolaire, dont la sénatrice parlait. L’éducation et la sensibilisation doivent commencer à la base — non seulement auprès des enseignants, mais aussi des parents et de la population dans son ensemble. Les gens doivent savoir à quoi ressemble un problème de santé mentale, comment il évolue et quelles ressources sont offertes dans la collectivité. Je suis convaincue qu’il faut de l’éducation. C’est tout à fait vrai que les gens doivent non seulement reconnaître les défis de santé mentale que certaines personnes affrontent, mais aussi savoir vers où les diriger pour qu’elles accèdent aux services offerts.

Mme Bradley : Le travail accompli par la commission au cours des 10 dernières années dans le but de réduire la stigmatisation pourrait aussi être très utile dans la situation qui nous occupe. J’ai déjà été la destinataire des propos de membres de la collectivité préoccupés par la mise en liberté d’un patient ayant nécessité des services de psychiatrie légale; je sais donc parfaitement que le syndrome « pas dans ma cour » se porte très bien. Nous tentons de profiter de telles occasions pour faire de la sensibilisation, mais la stigmatisation demande plus que des connaissances sur la santé mentale. Ce n’est pas un domaine que nous avons ciblé, pour des raisons diverses, mais à mon avis, les recherches et les apprentissages que nous avons faits au cours des 10 dernières années pourraient être utiles dans ce dossier.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux pour tout votre travail, votre dévouement et vos contributions. Nous vous en sommes très reconnaissants, et je suis ravie que vous soyez des nôtres.

J’aimerais me concentrer sur des dispositions législatives qui pourraient être utilisées, car l’une des questions que le comité étudie, c’est la façon dont les lois actuelles pourraient servir à accomplir certaines choses dont vous parlez.

J’ai été ravie de vous entendre parler du travail que vous avez fait avec l’East Coast Forensic Hospital, Louise, parce que c’est une des unités dont on nous a déjà parlé. Certaines personnes qui nous écoutent doivent penser que nous parlons d’étayer le système et de fournir davantage de ressources, car nous savons qu’en réalité, même les tribunaux de la santé mentale ont augmenté le nombre de prestataires, alors qu’il pourrait être plus avantageux d’investir ces ressources dans la collectivité.

L’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition autorise le système correctionnel fédéral à passer des contrats avec les services de santé des provinces et des territoires. De fait, comme vous le savez très bien, un tel contrat devait être conclu avec l’East Coast Forensic Hospital il y a au-delà de 10 ans, mais ce n’est jamais arrivé. À la place, le Service correctionnel a investi de plus en plus de ressources dans les prisons. Par exemple, les prisons pour femmes ont d’excellentes unités de santé mentale, mais la plupart des femmes qui ont des problèmes de santé mentale n’y sont jamais admises; elles finissent en isolement ou dans une unité à sécurité maximale.

L’enquête sur le décès d’Ashley Smith parlait de l’importance de fournir ces services au sein de la collectivité — de sortir les détenus de l’isolement et de la prison en ayant recours à l’article 29. Il me semble que les gouvernements successifs n’ont pas prêté une grande attention à la question.

Vous avez mentionné le besoin d’un changement de culture. Je sais que dans votre document de 2012 intitulé Changer les orientations, changer des vies, à la recommandation 2.4 — vous alliez probablement le mentionner —, vous avez parlé du besoin d’accroître le rôle des systèmes communautaires de santé mentale pour fournir des services et du soutien aux personnes qui se retrouvent dans le système de justice pénale. Était-ce ce que vous aviez en tête, les dispositions de l’article 29, qui permettent de transférer des personnes du système correctionnel fédéral aux systèmes provinciaux, en vertu d’accords existants d’échange de services?

Secondairement, l’article 87 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition oblige le Service correctionnel à tenir compte des problèmes de santé mentale des détenus avant de les mettre en liberté. C’est là un autre endroit : les équipes communautaires dont vous parliez pourraient être engagées pour accomplir cette tâche au lieu qu’elle soit confiée aux agents de libération conditionnelle, dont beaucoup n’ont pas la formation nécessaire. Comme des enquêtes successives l’ont montré, le Service correctionnel est incapable de ne pas permettre à la sécurité de l’emporter sur les intérêts thérapeutiques. Cela a été prouvé à maintes reprises, même dans des situations où il y avait des espaces dûment désignés, parce qu’ils n’ont pas été conçus de la manière dont vous avez conçu l’East Coast Forensic Hospital.

Pensez-vous qu’à l’avenir, on pourrait invoquer l’article 29 pour sortir les gens du milieu carcéral? De plus, vaudrait-il mieux investir au sein de la collectivité et dans les mesures de déjudiciarisation — plutôt que dans les tribunaux de santé mentale? Est-ce que cela constituerait un meilleur investissement à long terme?

Mme Bradley : Chose certaine, ce n’est pas la panacée, mais cela pourrait fonctionner. L’idée, comme je l’ai dit plus tôt, était de veiller à ce que des services de santé mentale soient fournis adéquatement par des gens ayant une expertise dans le domaine.

Étant donné que ça fait déjà un bon moment que j’ai quitté ce poste, je ne suis pas au courant des derniers éléments d’actualité. Cependant, je me souviens que lorsqu’il y avait un échange de services entre le personnel correctionnel qui assurait la sécurité à l’hôpital médico-légal et nous, qui fournissions des services de santé à l’établissement correctionnel, on m’avait en quelque sorte accusée d’offrir un service de première classe, étant donné que le montant dépensé en soins de santé par les établissements correctionnels de la province correspondait au quart de nos dépenses. Ce n’était qu’en offrant un niveau de service — comme je l’ai dit, l’Organisation mondiale de la Santé a indiqué que les détenus avaient le droit au même niveau de service. Toutefois, pour y arriver, nous avons fini par dépenser beaucoup plus que prévu.

J’ignore si cela a été pris en considération, parce que les coûts seraient beaucoup plus élevés; n’empêche que cela pourrait donner de bons résultats. Il est extrêmement difficile de concilier la sécurité et la thérapie. La collaboration est la seule solution.

La sénatrice Pate : Lorsque vous parlez des coûts, je connais des gens qui entrent et sortent de cette unité — dont une personne en particulier — qui ont d’abord passé 10 ans en isolement dans un pénitencier fédéral, et dont les coûts estimés par le directeur parlementaire du budget s’élevaient à plus de 500 000 $ par année. Par conséquent, le coût quotidien était plus élevé, mais j’ai cru comprendre qu’il y avait une réduction des coûts à long terme selon si la personne était en isolement ou en prison plutôt qu’à l’unité de santé mentale. Est-ce exact?

Mme Bradley : Je ne crois pas que ce soit faux, mais je ne suis pas sûre qu’on ait évalué les coûts de cette façon. Cela fait partie de la culture. Comme je l’ai dit, j’ignore si c’était un facteur. Toutefois, je sais que le coût des soins de santé offerts par un organisme de santé est beaucoup plus élevé qu’au sein d’un établissement correctionnel.

Je ne sais pas si on s’est véritablement penché sur le coût du placement en isolement et du recours à d’autres mesures de contrainte, lorsqu’on pense aux dépenses que cela implique et au personnel nécessaire. Je sais que le travail qui a été fait à la commission sur l’isolement et la contrainte était limité aux établissements de soins de santé. Chose certaine, il faudrait se pencher sur le milieu carcéral, mais jusqu’à maintenant, nous nous sommes seulement concentrés sur les établissements de soins de santé.

La sénatrice Pate : Est-ce en raison d’une insuffisance de fonds?

Mme Bradley : On ne nous en avait pas confié le mandat, et avec le mandat, évidemment, vient le financement. On parle ici de populations vulnérables et, malgré ce que prévoit la stratégie nationale, pour diverses raisons, nous n’y avons pas accordé beaucoup d’attention. Grosso modo, ce n’était pas un domaine que nous devions cibler dans le cadre de notre mandat et de la formule de financement connexe.

Je m’empresse d’ajouter que nous serions ravis d’élargir notre mandat, parce que nous considérons que cela fait partie intégrante de la réalité canadienne au chapitre de la santé mentale, d’autant plus que nous avons l’expertise et la capacité de réunir tous les éléments.

Mme Hourigan : Pour répondre à votre question au sujet des ressources au sein de la collectivité par opposition aux tribunaux de la santé mentale, je vous dirais que les ressources au sein de la collectivité ratissent certainement plus large lorsqu’il s’agit d’offrir des soins aux gens ayant des besoins en santé mentale. Je maintiens ma position : une personne ne devrait pas avoir à commettre un crime pour obtenir l’aide en santé mentale dont elle a besoin, et pourtant, c’est ce que je vois constamment au tribunal. Par conséquent, en appuyant et en augmentant ces ressources et en investissant dans ce domaine, on agirait dans le plus grand intérêt de tous les Canadiens.

La présidente : Nous avons légèrement dépassé le temps alloué, mais nous avons un peu de souplesse. Je cède la parole à la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Quand j’examine les statistiques et que je constate que 30 p. 100 des délinquants ont des besoins en santé mentale, que 50 p. 100 des délinquantes souffrent de troubles mentaux et que pas moins de 80 p. 100 des délinquants purgeant une peine dans un établissement fédéral ont un problème de toxicomanie, je songe aussi au fait que les personnes atteintes de maladie mentale vont parfois tenter de s’automédicamenter. C’est peut-être une substance illégale, mais elle est sans doute plus facile à obtenir qu’un médicament d’ordonnance. Comment peut-on utiliser ces statistiques pour apporter des changements? Ces chiffres sont troublants, mais ce sont des situations que nous voyons à répétition. À la lumière de ces statistiques, la décision d’investir davantage dans le soutien en santé mentale au sein du système carcéral est une décision qui va de soi.

Mme Bradley : Voyons les choses sous un autre angle. La commission a également publié un rapport qui s’intitule La nécessité d’investir dans la santé mentale au Canada, selon lequel il faut accroître dès maintenant le financement des services en santé mentale, sans quoi, dans 30 ans, le pays devra faire face à une croissance exponentielle de ses coûts. Les preuves sont là, et on assiste à ce qu’on appelle une stigmatisation structurelle. Ce n’est pas quelque chose qui se passe au quotidien, mais j’ai participé à des discussions budgétaires au cours desquelles j’ai fait valoir la nécessité de mettre sur pied un programme de santé mentale dans la collectivité, alors que mon collègue réclamait un robot da Vinci. Selon vous, qui a obtenu le financement?

Nous devons surmonter la stigmatisation structurelle. Il y a 10 ans, la commission a manqué de prévoyance à l’égard de ce groupe particulier. Nous avons ciblé quatre différentes populations et, avec le recul, nous aurions dû cibler les décideurs, les politiciens et les autres personnes influentes, parce que vous avez tout à fait raison : ces statistiques sont absolument scandaleuses. Comment cela se fait-il qu’on ne fasse rien? Parce qu’il est littéralement plus facile d’enfermer les gens et de jeter la clé par la suite. C’est un prolongement de ce que nous voyons du côté de la santé mentale, et tant que nous ne mettrons pas de côté l’idée que ces gens ne valent pas la peine qu’on déploie autant d’efforts, je ne crois pas que nous pourrons régler le problème.

Cependant, vous avez raison; les statistiques sont là, tout comme les statistiques pour la population en général qui souffre de problèmes de santé mentale. Je pense que les gens qui sont incarcérés et qui sont atteints de maladie mentale sont doublement, voire triplement, stigmatisés.

La sénatrice Cordy : Lorsque nous avons mené notre étude sur la santé mentale et les maladies mentales, nous avons abordé la question de la répartition du financement des soins de santé versé au Service correctionnel. Prenons par exemple les cancers, les maladies cardiovasculaires et les maladies mentales. Puisque les deux premières maladies sont des maladies mortelles, la santé mentale est tout de suite reléguée au second plan. Le problème, c’est qu’on la met de côté année après année.

Mme Bradley : Je dis souvent que la maladie mentale est une maladie mortelle. Au cours des 10 dernières années, les maladies mentales ont emporté plus de 4 000 Canadiens par an. Je suis consciente que la crise des opioïdes est une tragédie, mais on parle de 2 500 personnes qui meurent chaque année, alors qu’ici, pour chacune des 10 dernières années, on a enregistré 4 000 décès liés à la santé mentale, sans compter ceux qui n’ont pas été enregistrés. Alors qu’est-ce que c’est si ce n’est pas une crise?

La sénatrice Pate : C’est grâce aux efforts des sénateurs qui étaient ici avant nous que la Commission de la santé mentale a vu le jour, alors je remercie ces collègues également.

Vous avez notamment parlé de l’initiative Breaking Free Online, et je tiens à souligner qu’au Canada aucun détenu n’a accès à Internet, que ce soit pour s’instruire ou communiquer avec ses enfants ou sa famille. Je présume donc que cela pourrait être un obstacle au programme.

Mme Bradley : En fait, j’en ai parlé brièvement, mais je n’ai pas examiné ce programme en profondeur. Un de mes collègues, qui est un expert dans le domaine en Nouvelle-Zélande, m’a vanté ce programme. Il a dit qu’il y avait moyen que les détenus puissent utiliser un ordinateur et n’avoir accès qu’à ce programme en particulier.

La sénatrice Pate : D’accord. Je comprends. Je ne connais rien à l’informatique, mais je sais qu’il y a toute sorte de choses utiles qu’on peut faire, mais on ne leur fournit pas d’ordinateurs. Il n’y a aucun programme de formation professionnelle ou d’études secondaires qui est offert en ce moment. Je sais qu’il y a des cours que les gens peuvent suivre, mais en raison de notre approche dépassée, ils n’y ont pas accès. Je voulais simplement vérifier auprès de vous si c’était un programme offert en ligne, mais quoi qu’il en soit, il faudrait apporter des changements politiques.

Mme Bradley : Absolument.

La présidente : Merci à vous tous d’avoir accepté de comparaître ce matin, et merci à tous les sénateurs pour leurs questions pertinentes. Vous nous avez aidés à mieux comprendre ces enjeux. Je suis ravie que vous ayez approfondi la question de la stigmatisation structurelle et souligné le fait qu’un changement de culture s’impose. Je vous remercie d’avoir porté tout cela à notre attention.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant poursuivre nos travaux à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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