Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 24 - Témoignages du 7 février 2018
OTTAWA, le mercredi 7 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.
La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Avant de commencer, je demanderais à tous les sénateurs de bien vouloir se présenter, à commencer par nos vice-présidentes, qui se trouvent à ma droite.
La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Ataullahjan, de l’Ontario.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Nancy J. Hartling, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Je suis Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre discussion sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.
Nous accueillons Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Il est accompagné d’Erin Courtland, analyste des politiques et de la recherche, ainsi que de Sofia Scichilone, gestionnaire des enquêtes. Toutes deux travaillent au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.
Je vois que la sénatrice Pate s’est jointe à nous.
La sénatrice Pate : Je vous prie de m’excuser. Je suis Kim Pate, de l’Ontario.
La présidente : À vous la parole pour votre déclaration liminaire, avant que nous passions aux questions des sénateurs.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je vous remercie de m’offrir l’occasion de me présenter devant vous aujourd’hui dans le cadre de votre étude concernant les droits des détenus. J’aimerais commencer en donnant au comité un aperçu de notre mandat et des types de plaintes que nous recevons des détenus.
Le commissariat est chargé de veiller à ce que les institutions fédérales respectent les exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous recevons et faisons enquête sur les plaintes liées au refus d’accès aux renseignements personnels ou aux questions relatives à la protection des renseignements personnels, comme les questions de collecte, d’usage, de communication, de conservation ou de retrait inapproprié de renseignements personnels. Le commissariat effectue également des examens et fournit des recommandations au sujet des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, de la communication des renseignements dans l’intérêt public et des déclarations d’atteintes substantielles à la vie privée que soumettent les organisations fédérales.
Bien sûr, la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique aux détenus de la même façon qu’aux autres personnes. Au cours des dix dernières années, Service correctionnel Canada a toujours occupé l’un des cinq premiers rangs en ce qui concerne le nombre de plaintes que nous recevons. Compte tenu du nombre élevé de plaintes déposées au commissariat, il est évident que la protection des renseignements personnels et de la vie privée est importante pour les détenus. Les problèmes soulevés par les détenus sous responsabilité fédérale portent principalement sur le refus d’accès à leurs renseignements personnels, y compris le non-respect des délais prévus dans les dispositions sur l’accès de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Une proportion plus faible concerne la collecte, l’usage, la communication, la conservation ou le retrait inapproprié de leurs renseignements personnels.
La majorité des plaintes liées aux délais à la protection des renseignements personnels est fondée. Mais si l’on met de côté le délai, la majorité des plaintes liées à la protection des renseignements personnels provenant des détenus sont réglées à la satisfaction du détenu ou jugées non-fondées. Environ, le tiers des signalements d’atteinte à la protection des renseignements personnels de la part des détenus dans les institutions fédérales concernait de l’information sur la santé, tels des renseignements sur leur état de santé physique et mentale ou leurs problèmes de toxicomanie. Une grande partie de ce tiers était des cas de communication accidentelle ayant eu comme résultat que l’information a été mal acheminée ou mise dans un endroit accessible à d’autres.
[Traduction]
Nous croyons comprendre que le comité souhaite obtenir nos points de vue à propos des communications de renseignements sur la santé physique ou mentale par Service correctionnel Canada à la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Bien que nous ayons seulement rendu une seule conclusion sur cette question précise, j’aimerais tout de même vous faire part de quelques commentaires généraux sur la façon dont les dispositions sur les communications de la Loi sur la protection des renseignements personnels interviendraient dans ce scénario.
L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit les conditions dans lesquelles des renseignements personnels peuvent être communiqués par une institution. Il y est indiqué, au paragraphe 8(1) de la loi, que les renseignements personnels ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent — et c’est un facteur important dans ce scénario — que conformément à l’une des catégories de communications permises et décrites au paragraphe 8(2) de la loi.
Selon notre compréhension, l’article 25 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition donne à Service correctionnel Canada le pouvoir de communiquer les renseignements pertinents dont il dispose à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, aux gouvernements provinciaux, aux commissions provinciales de libération conditionnelle, à la police et à tout organisme agréé par le service pour superviser les délinquants, lorsque ces renseignements sont pertinents soit pour prendre la décision de mettre en liberté les délinquants, soit pour leur surveillance ou leur supervision.
Compte tenu de ce pouvoir, c’est uniquement si une communication répond aux exigences de l’article 25 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qu’elle correspond aux paramètres des communications permises par l'alinéa 8(2)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il y est indiqué que la communication des renseignements personnels peut être autorisée si cette communication est conforme aux lois fédérales, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en l’occurrence.
Cela dit, c’est seulement au cours du processus d’enquête que nous pouvons examiner les circonstances précises d’une plainte et déterminer si une communication a été faite conformément aux dispositions applicables de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, par conséquent, de l’alinéa 8(2)b) ou d’autres dispositions appropriées de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
L’article 25 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition contient une obligation selon laquelle Service correctionnel Canada est tenu de communiquer les renseignements pertinents dont il dispose sur les délinquants soit pour prendre la décision de les mettre en liberté, soit pour leur surveillance ou leur supervision, ce qui pourrait être un facteur crucial pour évaluer si des renseignements personnels ont été communiqués conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Je vais terminer en disant que dans ce contexte, il faut établir un équilibre entre le droit à la vie privée des détenus sous responsabilité fédérale et l’objectif du gouvernement d’assurer la sécurité publique.
Compte tenu de la nature délicate des renseignements sur la santé physique et mentale, nous soutenons le principe de la communication minimale pour limiter l’échange de renseignements uniquement aux mesures nécessaires et proportionnelles, tout en reconnaissant qu’il est possible que la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou d’autres organismes doivent avoir accès à certains renseignements pertinents sur un délinquant, soit pour prendre la décision de le mettre en liberté, soit pour assurer sa surveillance ou sa supervision.
Je vous remercie de m’avoir invité à exprimer mon point de vue. Mes collègues et moi répondrons volontiers à vos questions.
La présidente : Merci.
Nous laisserons nos deux vice-présidentes ouvrir le bal pour les questions.
La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre témoignage ici ce matin et de votre présence. J’aimerais savoir combien de plaintes vous avez reçues l’an dernier et, après enquête, combien étaient justifiées. Pourriez-vous nous donner une idée des chiffres?
M. Therrien : Je voudrais commencer par dire que le Service correctionnel figure toujours dans la liste des 5 ou 10 institutions faisant le plus fréquemment objet de plaintes à notre bureau.
En 2016-2017, nous avons accepté 397 plaintes ayant trait au Service correctionnel du Canada, dans leur vaste majorité, des plaintes ayant trait à des questions de refus d’accès. En ce qui concerne les plaintes de détenus en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il est important de noter que les plaintes peuvent reposer sur le fait qu’un citoyen — en l’occurrence, un détenu ou une détenue — estime s’être fait refuser un accès auquel il a droit en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Pour le Service correctionnel, la vaste majorité des plaintes que nous recevons tombent dans la catégorie que je viens d’évoquer. Manifestement, les détenus s’intéressent, et c’est parfaitement logique, aux renseignements personnels détenus à leur sujet par le Service correctionnel, parce que cela importe pour différentes décisions prises par le Service correctionnel ou la Commission des libérations conditionnelles.
Durant la période évoquée, il y a eu également 37 plaintes à notre bureau reposant sur d’autres dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, dont celles gouvernant la collecte, l’utilisation et la communication de l’information — des cas où des détenus estimaient que l’information avait été collectée, utilisée ou communiquée de façon inappropriée.
Il y a donc eu près de 400 plaintes en 2016-2017, et toutes, sauf 37 d’entre elles, portaient sur l’accès aux renseignements personnels des détenus.
Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, le problème soulevé par ces plaintes est que le droit d’accès mène souvent à des délais plus longs que ce qui est prévu dans la loi. Pour ce qui est de la teneur de la plainte, que les détenus aient accès ou non aux renseignements auxquels ils ont droit, soit en raison de mesures prises par Service correctionnel Canada ou lorsque nous intervenons au début du processus de résolutions ou lors de discussions avec le Service correctionnel, Service correctionnel Canada finit par donner l’accès, mais avec des délais.
La sénatrice Ataullahjan : Alors, à votre avis, la plupart des plaintes n’étaient pas bien fondées?
M. Therrien : En ce qui concerne les délais.
À savoir si les détenus ont finalement reçu l’accès aux renseignements, dans la plupart des cas, les plaintes sont non fondées ou non résolues. Lorsque les plaintes étaient fondées, nous avons pu résoudre la situation entre le détenu et le Service correctionnel.
La sénatrice Cordy : Merci de votre présence aujourd’hui. Je crois qu’il est important d’étudier cette question.
Pourriez-vous préciser la question du refus d’accès? Pourriez-vous nous donner un exemple hypothétique de la majorité des plaintes que vous avez reçues? Qu’entend-on par refus d’accès? Parle-t-on de l’accès aux renseignements recueillis qui portent sur les détenus?
M. Therrien : Ma collègue, Mme Sofia Scichilone, pourra vous donner plus de détails.
Il existe toutefois un droit d’accès en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui est assujetti à diverses exceptions. Certaines ont trait à la sécurité d’autres personnes que le demandeur. Lorsque l’accès est refusé, ce n’est pas nécessairement que l’accès est refusé pour tous les renseignements. Souvent, la question est de voir si les exceptions au droit d’accès en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont été bien respectées par le Service correctionnel.
Ma collègue peut vous donner plus de détails.
Sofia Scichilone, gestionnaire des enquêtes, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : C’est juste, sénatrice. Les détenus peuvent faire une demande pour un autre fichier de renseignements personnels tenu par Service correctionnel Canada. Par exemple, ils peuvent demander leur dossier médical ou leur dossier de gestion de cas et peuvent tout recevoir ou ne recevoir qu’une partie.
C’est à ce moment qu’ils adressent une plainte à notre bureau. Ils croient qu’il manque des renseignements ou que des renseignements ont été exclus sans autorisation.
La sénatrice Cordy : Vous penchez-vous également sur les renseignements recueillis sur des détenus alors qu’ils n’auraient pas dû être recueillis? Est-ce que ça arriverait lorsqu’un détenu demande des renseignements?
M. Therrien : Il s’agit de la deuxième catégorie de plaintes, à savoir si les renseignements ont été recueillis comme il se doit. Nous ne recevons pas autant de plaintes de ce genre comparativement à celles ayant trait à l’accès, mais Sofia peut vous fournir plus de détails.
Mme Scichilone : Oui, nous recevons une minorité de plaintes touchant la collecte de renseignements personnels. Par exemple, lorsqu’un détenu pense que des renseignements ont été recueillis alors que ce n’était pas nécessaire, ou sans son autorisation. Nous étudions ces plaintes au cas par cas. Il s’agit toutefois d’une très faible proportion des plaintes que nous recevons.
La sénatrice Cordy : Je me demande dans quelles circonstances le système carcéral peut divulguer des renseignements sur un détenu. Vous avez parlé par exemple de la Commission des libérations conditionnelles, la police, le gouvernement provincial, et vous avez parlé de l’équilibre à atteindre entre la protection de la vie privée et la sécurité publique. Qui détermine cet équilibre?
Est-ce écrit quelque part?
M. Therrien : Dans le cas des renseignements médicaux, par exemple, et je crois qu’il s’agit d’une de vos questions, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition contient une disposition qui autorise la divulgation lorsque les renseignements sur la santé sont pertinents à la prise de décisions de la Commission des libérations conditionnelles sur la libération ou la supervision. Voilà comment on établit l’équilibre.
D’abord, le Service correctionnel détermine ce qui est pertinent. Nous conseillons le Service correctionnel — et je dirais de plus que c’est lié étroitement aux critères de la pertinence — sur la question de savoir si l’information est proportionnelle à l’objectif, si la divulgation est le minimum nécessaire pour que la Commission des libérations conditionnelles puisse rendre une décision éclairée au sujet de la libération.
Donc tous ces critères — pertinence, information minimum, nécessité, proportionnalité — sont des concepts juridiques qui contribuent à trouver un équilibre entre le droit du détenu à ce que son information soit protégée, la sécurité publique et le besoin des organismes autorisés à obtenir l’information pertinente dont ils ont besoin pour rendre une décision en matière de libération ou de supervision.
La sénatrice Cordy : Si un gouvernement provincial, un service de police provincial ou un service de police municipal obtient de l’information, il est tenu de s’assurer qu’elle reste confidentielle. Avez-vous encore une responsabilité à cet égard, ou est-ce que cela relève des autorités provinciales?
M. Therrien : La décision que prend le Service correctionnel de divulguer de l’information est régie par la loi fédérale de la protection des renseignements personnels et peut faire l’objet d’une plainte ou d’une supervision par mon bureau. Une fois que l’information est entre les mains d’un organisme provincial ou municipal, elle est protégée par la loi provinciale. Dans plusieurs cas, la loi fédérale va s’appliquer à la divulgation et la loi provinciale à la collecte, l’utilisation et la divulgation subséquente. Les deux lois s’appliquent à la même activité.
La sénatrice Pate : Bienvenue, et merci de votre présence.
Pendant votre exposé, vous avez mentionné qu’un certain nombre de plaintes sont sans fondement ou sont réglées à la satisfaction du détenu. Pouvez-vous nous expliquer comment cela se passe et quelle est la marche à suivre pour arriver à ce résultat? Ensuite, j’aurai une question complémentaire.
M. Therrien : Dans ce scénario, nous ne cherchons pas à comprendre les retards; nous cherchons à savoir si les droits que la Loi sur la protection des renseignements personnels confère au détenu qui a formulé la plainte ont été respectés. Dans certains cas — une minorité, toute proportion gardée —, nous déterminons que ces plaintes sont bien fondées et nous recommandons au Service correctionnel de transmettre les renseignements comme il se doit.
Dans bien des cas, après examen du dossier, nous pouvons estimer que l’on a refusé incorrectement de transmettre les renseignements, car une exception au droit a été incorrectement appliquée. Plutôt que de parvenir à une conclusion, nous allons faciliter un dialogue entre les autorités carcérales, le détenu et notre bureau — cette conversation n’a pas nécessairement lieu en personne — afin de voir si on peut dénouer l’impasse. Dans bien des cas, cette façon de procéder permet de résoudre rapidement les plaintes; c’est une façon de procéder efficace.
La sénatrice Pate : Alors, lorsque vous intervenez et que les gens disent qu’ils sont prêts à fournir la documentation, même si au départ ils ont refusé de fournir l’information jusqu’à ce que vous interveniez, vous jugez que le problème est résolu, non pas qu’il est non fondé?
M. Therrien : C’est exact.
La sénatrice Pate : Dans les exemples où vous avez dû intervenir en raison des retards, en moyenne, combien de temps les prisonniers doivent-ils attendre avant d’obtenir l’information?
M. Therrien : Selon nos informations, l’arriéré actuel de Service correctionnel est assez considérable. On parle d’une attente de deux ans.
La sénatrice Pate : Seriez-vous surpris d’apprendre que la majorité des prisonniers et bon nombre d’organisations non gouvernementales œuvrant au nom des prisonniers abandonnent leurs plaintes après parfois cinq ou six ans?
M. Therrien : Cela ne me surprendrait pas. Sofia, avons-nous été témoins de ce phénomène?
Mme Scichilone : Une fois que nous recevons une plainte au sujet d’une demande d’accès à l’information par un détenu, Service correctionnel Canada accorde généralement la priorité à ce dossier. Dans le cadre de la procédure de plaintes, nous tentons de traiter avec Service correctionnel Canada le plus rapidement possible, nous réclamons un plan d’action et une date.
Pour ce qui est de l’abandon des demandes auprès de Service correctionnel, c’est probablement à eux que vous devriez poser la question.
La sénatrice Pate : J’ai une autre question. Connaissez-vous la recherche effectuée par le Service correctionnel et par l’enquêteur correctionnel au sujet du succès — ou du manque de succès — des procédures de grief et de règlement?
M. Therrien : Je ne connais pas cette procédure en particulier, non. La procédure de grief par rapport à la procédure de plainte pour les demandes d’accès, non, je ne la connais pas.
La sénatrice Pate : On reconnaît, même dans les tribunaux, que la procédure, essentiellement, ne fonctionne pas bien, qu’en fait, des pressions énormes sont exercées pour que les gens abandonnent leurs accusations ou plaintes ou demandes d’accès.
M. Therrien : Comme je l’ai dit, il est tout à fait possible qu’une certaine proportion des détenus ou des gens qui les aident abandonnent leurs demandes. Je suis très catégorique lorsque je dis qu’une attente de deux ans est inacceptable.
Je ne dis pas qu’il y a de la négligence, mais une attente de deux ans est inacceptable. Une telle attente n’est certainement pas conforme aux périodes prévues par la loi. Il y a donc place à amélioration, c’est certain.
La sénatrice Pate : Le délai est-il encore de 30 jours?
M. Therrien : Oui.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre exposé.
Dans la trousse d’information préparée par la Bibliothèque du Parlement, à la page 5, j’ai lu que les renseignements personnels appartiennent à la personne, et non au service. Les demandeurs légitimes peuvent donc y avoir accès, à moins qu’il existe une raison valide, légale de les retenir ou de les soustraire.
La dernière partie m’a intriguée. Si les renseignements appartiennent à la personne, quelles sont ces exceptions? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. Therrien : La Loi sur la protection des renseignements personnels a un principe d’accès et comporte un nombre substantiel d’exceptions, notamment lorsque les renseignements concernent d’autres personnes. Ainsi, dans le dossier du détenu A, on pourrait trouver des renseignements au sujet des détenus B, C et D. Le détenu A n’a pas droit d’accéder aux renseignements personnels des détenus B, C et D. C’est là une des exceptions.
Il peut y avoir des exceptions liées à la sécurité de l’établissement, lorsqu’il y a des enquêtes judiciaires et légales. Toutes ces exceptions — et la liste est assez longue — sont légitimes. Nous ne remettons pas en doute le bien-fondé de ces exceptions. Cependant, lorsque nous examinons les plaintes reçues, nous découvrons parfois que les exceptions ont été mal appliquées.
La sénatrice Martin : Diriez-vous que la Loi sur la protection des renseignements personnels complique beaucoup la vie d’une personne qui désire avoir accès à de l’information à son sujet? Cette personne est-elle visée par une multitude d’exceptions? Est-ce le caractère pointu du processus qui le rend presque impossible? Est-ce pour cela qu’il y a des délais de traitement aussi significatifs? Faudrait-il procéder à un examen attentif de la loi, la modifier ou l’améliorer afin d’équilibrer le besoin de protéger la vie privée, ces exceptions, ainsi que le droit d’une personne à avoir accès à son dossier?
M. Therrien : C’est une bonne question. Il y a environ deux ans, nous avons fait des recommandations au Parlement, principalement au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes, quant à de possibles modifications à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous avons fait quelques recommandations liées aux exceptions. Par contre, somme toute, peu de recommandations concernaient les exceptions.
Je ne dis pas que les exceptions sont parfaites. Elles peuvent être peaufinées et améliorées. Je crois que le problème est plutôt du côté de la Loi sur la protection des renseignements personnels de façon générale. La loi est un concept plutôt lourd, que ce soit dans le milieu carcéral ou dans d’autres secteurs. Elle implique un processus officiel. Un certain niveau de formalité est certes nécessaire lorsque vient le temps de se prévaloir d’un droit, mais je crois qu’il y a encore beaucoup à faire en matière de mécanisme informel utilisé pour divulguer des renseignements aux détenus. Ce genre de concept pourrait aider.
Je sais que cela se fait déjà dans une certaine mesure dans le milieu carcéral. Les criminologues et les psychologues qui ont affaire aux détenus leur divulguent des renseignements. Voilà le type de divulgations informelles de renseignements qui peut s’avérer utile selon moi. Je n’ai pas la solution exacte, mais je crois que le système pourrait être amélioré, du moins en partie, s’il y avait davantage de divulgations informelles.
La sénatrice Martin : Deux ans, cela semble bien long.
M. Therrien : C’est vrai.
La sénatrice Martin : J’ai une question qui rejoint celle de la sénatrice Cordy. En écoutant, je me suis souvenu d’un cas où un étudiant d’un établissement postsecondaire pensait se rendre à une rencontre avec un conseiller simplement pour obtenir des conseils. Or, lors de cette rencontre, des renseignements ont été recueillis, et il y a eu une évaluation psychologique à son sujet par la suite.
Si ce genre de renseignements étaient recueillis à propos d’un détenu, est-ce qu’il ou elle a accès à ces renseignements? Cette question a déjà été posée, mais j’ai l’impression que c’est le type de situation qui peut arriver assez aisément dans le milieu carcéral. J’étais simplement curieuse de savoir si la personne au sujet de laquelle des renseignements ont été recueillis peut savoir ce qui a été recueilli exactement.
M. Therrien : De façon générale, oui. Cela inclut le scénario dont vous venez de parler. C’est un type de collecte de renseignements personnels qui se fait auprès des détenus. De façon générale, le détenu concerné par les renseignements recueillis a le droit d’avoir accès à ceux-ci.
La sénatrice Martin : Avez-vous eu des plaintes de détenus disant que des renseignements ont été recueillis à leur insu?
M. Therrien : Il n’est pas toujours requis d’obtenir le consentement pour recueillir des renseignements. Certaines dispositions permettent la collecte de renseignements sans le consentement. Toutefois, cela doit se faire dans le cadre de programmes gérés par le Service correctionnel.
Dans ce contexte, des renseignements peuvent être recueillis. Cela étant dit, il y a tout de même des règles qui régissent ce type de situation, principalement l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ce genre de situation peut parfois mener à une collecte de renseignements inappropriée. Nous recevons un certain nombre de plaintes. Comme je l’ai dit, cela représente environ 35 à 37 plaintes par année. Il n’y a pas beaucoup de plaintes à ce sujet par rapport aux plaintes liées à l’accès à l’information.
La sénatrice Martin : Et il s’agit là des plaintes vous étant parvenues, mais je me demande à quelle fréquence se produit ce type de collecte de renseignements.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de vos réponses.
La sénatrice Pate : Pour enchaîner sur la remarque de la sénatrice Martin, permettez-moi d’utiliser le cas d’Ashley Smith — avec l’approbation de la famille, vu qu’il a été rendu public. Elle cherchait à obtenir de l’information et y était autorisée en vertu de la loi. Elle a fait des demandes d’information, puis a cherché de l’aide pour faire d’autres demandes, mais elle est morte avant d’obtenir ce qu’elle cherchait, vu le délai de deux ans que vous avez évoqué.
Le Service correctionnel a cherché à se prévaloir de l’exception suivante: vous aviez déjà accepté une plainte au sujet du retard, mais le service disait ne plus pouvoir confirmer qu’elle voulait effectivement que l’information parvienne à quelqu’un, à l’organisation, aux individus. Il a donc fallu faire appel de la décision auprès du commissaire à la protection de la vie privée. Il a, en fait, fallu deux appels, vu qu’il y avait eu deux demandes. Vous n’étiez pas habilité à communiquer — excusez-moi de dire « vous » — le commissariat n’était pas habilité à communiquer l’information, mais pouvait déterminer qu’elle aurait dû l’être. Sauf erreur de ma part, l’une des demandes ou recommandations faites au Parlement était que le commissariat ait ensuite le pouvoir de communiquer l’information, vu qu’elle est généralement en sa possession pour examen. Mais vous n’avez pas ce pouvoir, ce qui a mené à deux décisions de la Cour fédérale.
C’est donc cinq ans après le dépôt de la plainte initiale et après deux décisions de la Cour fédérale que le Service correctionnel a reçu l’ordre de communiquer l’information. En fait, 10 ans après les faits, il n’a pas encore communiqué toute l’information.
Et, à ce que je sache, ce n’est pas vraiment inhabituel qu’il faille avoir recours à de tels moyens. Si telle est la situation quand peuvent intervenir des gens à l’extérieur, des avocats à l’extérieur, quelle est la situation d’un prisonnier enfermé dans une cellule d’isolement sans même avoir accès à de quoi écrire pour effectuer une demande auprès du commissariat?
Est-ce que les responsables de la protection de la vie privée visitent les prisons? Je crois connaître la réponse. Ce n’est pas pour vous critiquer. Comment un prisonnier obtient-il un accès?
M. Therrien : Votre dernière question, sauf erreur, est de savoir si nous visitons les prisons? Non. Nous avons des entretiens réguliers avec le Service correctionnel quant au respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Je suis parfaitement d’accord : vu le volume des plaintes, parfaitement compréhensible étant donné ce qui est en jeu pour les détenus, le système, comme je l’ai dit, est une machine lourde requérant beaucoup de temps. Une bonne part effectivement de la solution reposerait sur une divulgation informelle. Quand vous dites que les agents de libération conditionnelle fournissent de l’information, cela pourrait constituer une bonne part de la réponse au problème. En effet, le mécanisme officiel est très lourd et requiert énormément de ressources.
Une autre solution potentielle au problème des délais serait bien sûr d’équilibrer les ressources existantes au Service correctionnel avec le volume de demandes qu’il reçoit. Ils ont un bon nombre d’employés dans le bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, mais certains ministères sont mieux dotés. Cela pourrait donc constituer un début de solution. Je parlais là du processus officiel, mais j’estime que la divulgation informelle mériterait une certaine attention.
La présidente : La sénatrice Ataullahjan a une question supplémentaire.
La sénatrice Ataullahjan : Je vais peut-être étaler mon ignorance, mais vous avez dit que vous ne visitiez pas les prisonniers. Alors, quand ils ont des plaintes, est-ce que ce sont des agents correctionnels qui viennent vous le dire et qui vous informe de ces plaintes? Comment vérifiez-vous ce qu’on vous dit?
M. Therrien : Nous avons généralement des entretiens téléphoniques au sujet des dossiers individuels, plutôt que des rencontres en personne. Je vous parle là de l’enquête sur un dossier. Il s’agit donc essentiellement d’un examen du dossier, qui dépend de notre compréhension des choses et du fait que l’information demandée constitue ou non une des exceptions. C’est alors que nous faisons enquête sur les plaintes individuelles.
Étant donné que le Service correctionnel est l’une des agences qui suscitent le plus de plaintes, nous les rencontrons, non pas pour discuter de plaintes précises, mais de la situation en général, en personne et plusieurs fois par année. Nous discutons des tendances, et cetera, pour tenter d’améliorer les choses.
La sénatrice Ataullahjan : Vous voulez dire les tendances qui découlent des plaintes?
M. Therrien : Oui. Je vais demander à Sofia d’en dire plus long parce qu’elle participe activement à ces conversations sur les tendances.
Mme Scichilone : Certainement. La plupart des plaintes, comme le commissaire le disait, sont liées aux refus d’accès ou aux retards. Une bonne part du travail se fait sur papier. Nous pouvons réaliser notre travail au moyen de conversations téléphoniques et de rencontres en personne avec le coordonnateur d’accès à l’information et de la vie privée, et ce régulièrement s’il faut régler des problèmes systémiques. J’espère avoir répondu à votre question.
M. Therrien : Nous ne nous rendons pas dans les prisons, mais nous discutons avec les détenus par exemple dans le cas de résolutions hâtives ou de dossiers réglés. Il faut parler aux autorités correctionnelles pour vérifier si les exceptions ont été bien appliquées, et cetera. Ces dossiers sont réglés après que nous avons communiqué avec le détenu, mais pas en personne, et que nous avons obtenu sa confirmation qu’il est satisfait de la situation. Nous n’entendons pas uniquement la version d’une des parties concernées.
La sénatrice Ataullahjan : Alors lorsqu’une plainte est résolue, vous joignez le détenu au téléphone pour savoir si sa plainte a été résolue?
M. Therrien : La plainte n’est pas résolue tant que le ou la détenue n’a pas confirmé qu’il ou elle convient de la résolution.
La sénatrice Pate : J’ai une question supplémentaire sur ce sujet. C’est intéressant. J’ai justement reçu hier une lettre d’un détenu qui a écrit au comité et à moi personnellement. Il explique avoir rencontré des problèmes, mais ne voulait pas causer de problèmes au personnel. Il était inquiet. Le personnel lui dit: « Vous n’allez pas signaler de problème, n’est-ce pas? Autrement, il faudra vous trouver une autre prison .»
Les gens font l’objet de pressions pour indiquer que leur dossier a été résolu. Ces pressions découlent des relations de pouvoir inégal. Si les gens décident de déposer une plainte, ils sont moins susceptibles d’y donner suite, tout dépendant des pressions qui sont exercées sur eux en milieu carcéral.
M. Therrien : C’est possible. De toute évidence, ce genre de pressions n’a pas été porté à notre attention, mais si c’était le cas, nous procéderions à une enquête rigoureuse.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Bonjour et bienvenue à vous tous.
J’aimerais vous poser deux questions. Ma première question a trait au principe selon lequel les détenus sont assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels tout comme les autres citoyens. Y a-t-il des exceptions à ce principe?
M. Therrien : Non, la même loi s’applique aux détenus comme aux autres citoyens.
Le sénateur Brazeau : Sans aucune exception?
M. Therrien : Non, pas sur la base que la personne est une personne détenue.
Le sénateur Brazeau : D’accord. Je poursuis avec ma deuxième question. Service correctionnel Canada a-t-il carrément enfreint, à certaines occasions, la Loi sur la protection des renseignements personnels? Et si tel était le cas, quel serait alors votre rôle ou celui du commissariat dans cette situation?
M. Therrien : Vous parlez d’infractions graves, si je comprends bien. Lorsqu’on étudie une plainte, c’est généralement parce que la demande d’accès n’a pas reçu une réponse dans les délais prévus par la loi. La loi a donc été enfreinte dans ce cas. Nous faisons alors des recommandations pour faire en sorte que la demande soit traitée de façon plus rapide. De la même façon, lorsque des renseignements ne sont pas divulgués parce que Service correctionnel Canada semble d’avis qu’une certaine exception s’applique et que, selon nous, elle ne s’applique pas, il s’agit là d’un manquement à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et la loi est donc enfreinte.
Je ne fais pas de distinction entre des infractions mineures ou des infractions graves. Dans tous les cas où l’on intervient, c’est parce qu’il y a eu violation de la loi. Dans de tels cas, la loi nous permet de recommander à l’institution d’agir conformément à la loi, soit de traiter la demande dans les délais impartis et de divulguer les renseignements si nous pensons qu’ils doivent l’être.
Toutefois, comme nous n’avons pas de pouvoir d’ordonnance, nous ne pouvons pas ordonner au ministère ni à Service correctionnel Canada de se conformer à la loi.
Le sénateur Brazeau : Dans de tels cas et selon votre expérience, une fois que votre recommandation est faite, Service correctionnel Canada répond-il rapidement et favorablement à vos recommandations?
M. Therrien : Généralement, oui.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Je vous remercie d’être avec nous.
Peut-être que vous avez déjà répondu à cette question, mais pour revenir à la base, supposons que je sois un détenu de ressort fédéral. Comment puis-je me renseigner sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et son fonctionnement? Qui me l’expliquerait? Je ne sais pas si Sofia est la personne la mieux placée pour répondre, mais comment le processus fonctionne-t-il et comment puis-je me renseigner sur mes droits?
Mme Scichilone : Lorsque les détenus font une demande en vertu de la loi, au moment de recevoir leur réponse, on les informe de la marche à suivre pour déposer une plainte auprès de notre bureau.
La sénatrice Hartling : Mais comment puis-je me renseigner sur place au départ? Est-ce que cela fait partie des connaissances générales? Savent-ils quels sont leurs droits et ce qu’est la Loi sur la protection des renseignements personnels? Comment le sait-on? Qui fournit ces renseignements?
M. Therrien : Ce sont de bonnes questions. Notre rôle, du moins de façon plus directe, est d’informer les plaignants de la marche à suivre.
Mais jusqu’à maintenant, nous n’avons pas joué ce rôle pour ce qui est de fournir cette information aux détenus à leur arrivée. Nous pouvons certainement nous renseigner auprès de Service correctionnel du Canada pour savoir comment il s’y prend à cet égard et si nous pouvons les aider.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie. Je crois que les gens ont déjà l’impression qu’ils n’ont pas de droits, et lorsque nous avons visité les établissements carcéraux, personne n’a dit: « Nous ne sommes pas ici à notre place .» La plupart de gens ont dit: « Nous savons que nous sommes ici pour une raison. » Pour ce qui est de la question des droits, et de savoir si quelque chose me dérange ou si ma vie privée n’est pas respectée, que suis-je censé faire? Je crois qu’il est important de le savoir.
M. Therrien : Oui. Nous allons communiquer avec le Service correctionnel à cet égard.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie.
La présidente : Nous avons hâte que vous nous donniez plus d’information à ce sujet.
Nous allons commencer le deuxième tour.
La sénatrice Pate : De l’information à ce sujet est censée être fournie dans le guide du détenu. Des organismes comme la Société Elizabeth Fry et les avocats distribuent certainement aussi des guides qui portent sur les droits de la personne. C’est une partie de la réponse.
Pour revenir à certaines de ces questions, on avait par le passé recommandé au Service correctionnel du Canada de régler certaines de ces questions au moyen d’un accès informatique. Cet accès pourrait permettre un accès aux familles et aux renseignements personnels aux dossiers, puisque les informations personnelles sont en fait informatisées, tout comme les occasions en matière d’éducation.
Par le passé, les services correctionnels donnaient la protection de la vie privée comme motif pour ne pas donner accès, puisque cela pouvait contrevenir aux intérêts des détenus en matière de vie privée. Je suis techno-nouille, mais des gens qui comprennent mieux la technologie que moi m’ont expliqué qu’il serait possible de mettre en place un système informatique qui permettrait de composer avec ces questions d’accès en donnant aux gens un accès immédiat aux sections de leurs dossiers auxquels ils ont droit, s’ils avaient accès à un ordinateur. Ils pourraient avoir un code d’accès pour leurs proches, pour donner de l’information à leurs proches au besoin, et en se servant de la technologie pour limiter l’accès.
Par le passé, comme vous l’avez dit, le Service correctionnel invoquait les intérêts de vie privée pour ne pas fournir d’information. Toutefois, si j’ai bien compris, votre bureau, des avocats, des juges et d’autres ont fait valoir qu’en fait il ne s’agissait pas de questions de vie privée, mais plutôt de questions que le Service correctionnel décrivait comme étant des questions de sécurité.
Pensez-vous qu’on pourrait offrir un accès informatique un peu comme les détenus par le passé avaient accès à une boîte où ils pouvaient garder leurs documents sous clé, quand on leur donnait des formulaires à remplir, comme c’est le cas encore parfois. Ils pourraient donc plutôt avoir un accès informatique s’ils avaient leur propre code, un peu comme ça fonctionne pour les systèmes téléphoniques.
M. Therrien : Je veux être certain de comprendre le scénario que vous décrivez.
Si Service correctionnel Canada invoque la vie privée, je présume — et corrigez-moi si j’ai tort — que vous proposez que les détenus aient accès à un ordinateur dans une aire commune, avec les restrictions appropriées en matière d’accès pour composer avec les questions de vie privée. Mais l’idée serait de donner accès à un ordinateur dans une aire commune, plutôt que dans la cellule du détenu?
La sénatrice Pate : En fait, ce sont les gens de Service correctionnel qui ont proposé un accès dans les cellules. C’était avant qu’on se débarrasse des ordinateurs, alors maintenant la plupart des gens ne peuvent pas avoir un ordinateur à eux. Mais s’ils avaient accès à un ordinateur à eux, ils pourraient s’en servir dans leur cellule, autrement, ce serait dans une aire commune, une bibliothèque ou dans une classe de formation. Mais ils auraient leur propre code pour avoir accès à leur information personnelle.
M. Therrien : Je n’ai pas examiné les raisons pour lesquelles, dites-vous, le Service correctionnel ne permet actuellement pas aux détenus d’avoir des ordinateurs dans leur cellule. Cette décision est peut-être justifiée, ou pas; je ne sais pas.
Je dirai simplement que la technologie pourrait bien aider. C’est votre question de base. Il y a de nombreuses modalités qu’il faudrait examiner, mais je ne vois pas pourquoi la technologie ne contribuerait pas à réduire les délais. À tout le moins, c’est un enjeu dont nous serions heureux de discuter avec le Service correctionnel pour déterminer, de façon générale, comment régler la question des retards, qui sont inacceptables. Nous discutons de ces questions, mais nous pouvons le faire de façon plus dynamique. Nous serions certainement prêts à discuter de la façon dont la technologie peut contribuer à réduire les délais.
Le sénateur Brazeau : Existe-t-il des données ou des exemples de plaintes que vous avez reçus de détenus autochtones?
M. Therrien : Nous n’avons pas d’autres statistiques que les statistiques générales concernant les détenus. Nous ne faisons pas la distinction entre les groupes, sauf pour les hommes et les femmes.
Le sénateur Brazeau : Si vous recevez une plainte, sauriez-vous même si elle est formulée par un détenu autochtone, ou pas?
M. Therrien : Pas nécessairement.
La présidente : Pour poursuivre dans la même veine, pensez-vous qu’il serait avantageux d’aborder l’analyse des données concernant vos plaintes selon le point de vue de l’équité, par exemple si les détenus sont autochtones, comme le sénateur Brazeau l’a mentionné? De plus, j’aimerais savoir ce qu’il en est au sujet des sexes, des personnes handicapées, et ainsi de suite.
Qu’est-ce que vous en pensez? Serait-il utile, dans vos rapports concernant les plaintes des détenus, de ventiler les données du point de vue de la justice sociale?
M. Therrien : Cela pourrait être utile.
Pour être franc, je répète que le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une machine très lourde. Nous avons du mal avec les ressources que nous avons simplement à faire fonctionner la machine pour traiter les plaintes, pour assurer la conformité aux dispositions de base de la loi, soit rapidité et respect du droit d’accès et recours non abusif aux exceptions. Pour cette raison sans doute, nous n’avons pas fait le genre d’analyse que vous suggérez.
Il serait certainement intéressant de discuter de ce qui pourrait apporter une valeur ajoutée. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais j’aimerais savoir ce que les autres pensent que ce genre d’analyse apporterait de plus. Nous pourrions ensuite prendre des décisions sur la priorité à accorder à ce genre d’analyse.
La sénatrice Pate : Consignez-vous le niveau de sécurité des détenus qui présentent une demande ou dépose une plainte?
Mme Scichilone : Voulez-vous dire, sénatrice, dans quel genre d’établissement ils sont détenus?
La sénatrice Pate : Cela renvoie aux questions que les sénateurs Brazeau et Bernard viennent de poser.
Prenons l’exemple d’une femme dans un établissement à sécurité maximale, détenue en isolement, qui n’a donc pas accès au papier, à des stylos, et cetera. Je serais curieuse de savoir si vous obtenez plus de plaintes de la part des détenus dans des établissements où la sécurité est moins élevée. Ils auront plus d’accès à l’information et aux outils nécessaires pour faire une demande ou présenter une plainte que ceux qui se trouvent dans un établissement pour femmes, qui sont Autochtones ou Noires, par exemple, et qui sont surreprésentées dans les établissements à sécurité maximale et qui se retrouvent en isolement. Pour les hommes, la situation est peut-être semblable dans les unités spéciales de détention et dans certaines unités à sécurité maximale. Je me demande si vous avez de telles données, car cela pourrait nous être utile.
M. Therrien : On me dit que même si nous ne tenons pas ce genre de statistiques, nous ne pouvons pas faire autrement que de savoir dans quel établissement se trouve le détenu qui dépose une plainte, et un fort pourcentage de ces plaintes proviennent d’établissements à sécurité maximale. Donc, vous voulez savoir si différentes situations — isolement, niveau de sécurité, ou autre — pourraient influencer la capacité qu’ont certaines personnes à faire valoir leurs droits.
C’est intéressant. Je pense que nous savons quels sont les problèmes. Nous savons qu’il y a des retards dans tout le système. Il se peut que les facteurs que vous décrivez aient une certaine influence, mais nous savons que les retards sont un grave problème.
Je pense qu’il faut poursuivre la conversation — et vous faites de bonnes suggestions que nous pourrions soulever auprès du Service correctionnel, la technologie en étant un exemple — pour régler l’ensemble du problème qui se manifeste dans tout le système.
La présidente : Merci infiniment à vous tous d’être venus; merci pour votre témoignage. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir accordé de votre temps.
J’ai simplement une question pour les sénateurs — êtes-vous d’accord que le quorum soit de trois membres du comité lors de notre audience publique à Kitchener, le jeudi 8 février?
Des voix : D’accord.
La présidente : D’accord. Merci.
(La séance se poursuit à huis clos.)