Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 41 - Témoignages du 10 avril 2019
OTTAWA, le mercredi 10 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier et surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : stérilisation forcée de personnes au Canada).
[Traduction]
Barbara Reynolds, greffière du comité : Mesdames et monsieur les sénateurs, en tant que greffière du comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence forcée de la présidente et des vice-présidentes, et de présider à l’élection d’un président suppléant. Je suis prête à recevoir une motion à cet effet.
La sénatrice Boyer : Je propose la sénatrice Pate à titre de présidente.
Mme Reynolds : Merci. Y a-t-il d’autres nominations?
Il est proposé par la sénatrice Boyer que la sénatrice Pate soit élue présidente du comité. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Mme Reynolds : Je déclare la motion adoptée. J’invite la sénatrice Pate à prendre place au fauteuil.
La sénatrice Kim Pate (vice-présidente) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Bonjour et bienvenue. J’aimerais commencer, dans un esprit de réconciliation, par souligner que nous nous réunissons sur le territoire ancestral non cédé et les terres traditionnelles des peuples algonquins anishinaabeg. Nous les remercions de nous accueillir sur leur territoire.
Je m’appelle Kim Pate et je viens de l’Ontario. J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.
La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire albertain visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Moncion : Sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La présidente suppléante : Aujourd’hui, conformément à l’ordre de renvoi général du comité, nous étudions la stérilisation forcée de personnes au Canada, notamment de femmes autochtones. Compte tenu du temps limité avant la fin de la 42e législature, notre comité entreprend une enquête préliminaire pour mettre au jour la portée du problème et pour identifier les autres personnes qui pourraient avoir été touchées. Nous nous attendons à publier un court rapport avec des recommandations pour une étude ultérieure.
J’invite maintenant Francyne Joe, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, à prendre la parole.
Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Wey-tk et bonjour, madame la présidente, mesdames et monsieur les sénateurs et chers collègues. Je m’appelle Francyne Joe. Je suis membre de la Première Nation de Shackan, qui se trouve tout juste au sud de Merritt, en Colombie-Britannique. Je suis aussi présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada. Je souligne également que nous sommes rassemblés sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabeg. J’utilise le pronom « elle ».
Depuis 1974, l’Association des femmes autochtones du Canada représente les voix collectives des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre qui font partie des Premières Nations ou qui sont métisses ou inuites, qu’elles vivent à l’intérieur ou à l’extérieur des réserves, qu’elles soient inscrites, non inscrites ou laissées pour compte. Par le truchement de la recherche, des politiques, des programmes et de la pratique, nous travaillons activement à sensibiliser les gens, tant à l’échelle nationale qu’internationale, aux problèmes qui touchent particulièrement les femmes autochtones.
Avant d’aller de l’avant avec ce témoignage, je tiens à préciser que l’Association des femmes autochtones du Canada ne tolérera pas que l’on fasse de cet enjeu un objet de partisanerie. Le fait est que nous sommes ici, en 2019, pour discuter d’une violation grave des droits de la personne commise à l’encontre des femmes et des filles autochtones, et ce problème nous concerne tous.
La stérilisation forcée de femmes et de filles autochtones constitue non seulement une atteinte extrêmement grave aux droits de la personne et à l’éthique médicale, mais aussi une atteinte à la sécurité des femmes et des filles autochtones. Il s’agit également d’une violation directe des droits liés à la procréation.
Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, les droits liés à la procréation sont une composante importante des droits de la personne. La Charte canadienne des droits et libertés interdit toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race et l’origine ethnique, et garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Les conventions et les pactes internationaux dont le Canada est signataire exigent que le Canada, dans le cadre de la prestation de services de santé publics, n’exerce pas de discrimination contre les femmes autochtones et ne les soumette pas à un traitement cruel ou dégradant ou à de la maltraitance.
En 2018, le Comité contre la torture des Nations Unies a clairement indiqué que la stérilisation forcée est un acte de torture. Pourtant, cette pratique se poursuit au sein d’un pays qui se targue d’être un champion des droits de la personne.
D’un point de vue historique, la stérilisation forcée a été couramment infligée aux femmes autochtones du Canada : c’était même permis par la loi. Cet enjeu a été soulevé à la Chambre des communes en 1976, bien après l’abrogation de la plupart des lois provinciales à caractère eugénique. À l’époque, le nombre de procédures de stérilisation pratiquées sur les femmes autochtones dans les « hôpitaux indiens » était encore élevé, et l’on enregistrait encore des taux élevés de stérilisation chez les femmes inuites dans le Nord. Étonnamment, le Canada a choisi de ne pas intervenir à ce moment-là. Or, le Canada n’a aucune excuse pour ne pas agir maintenant.
Quiconque connaît un tant soit peu la Convention de Genève comprendra qu’il s’agit d’une pratique génocidaire. Les femmes et les filles autochtones doivent avoir l’assurance que cette pratique raciste ne se poursuivra pas à l’avenir et qu’elles pourront mettre les pieds dans les hôpitaux canadiens sans craindre que leurs droits liés à la procréation ne soient complètement ignorés.
Nous recommandons l’élaboration, le financement et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs mécanismes de reddition de comptes au sein des hôpitaux, pour faire en sorte que les praticiens soient tenus responsables d’obtenir le consentement de la patiente dans le cadre de ces procédures souvent injustifiées du point de vue médical. L’AFAC recommande que les organismes provinciaux et fédéraux de réglementation médicale collaborent avec les gouvernements pour établir et améliorer : les politiques et les procédures entourant les chirurgies de stérilisation; les modalités relatives à l’obtention d’un consentement préalable, libre et éclairé; et la formation contre le racisme destinée aux professionnels de la santé. De plus, l’AFAC recommande que les organismes de réglementation médicale produisent des rapports annuels afin de recenser le nombre de femmes autochtones stérilisées, et ce, dans le but de surveiller les tendances et de faire la lumière sur les pratiques régionales et nationales.
Ce qui s’est passé au Canada n’est rien de moins qu’un crime. Le Canada doit maintenant faire tout ce qui est en son pouvoir pour y mettre fin. Pour cette raison, l’AFAC demande au gouvernement du Canada et à ses forces de l’ordre d’entreprendre des enquêtes criminelles sur la pratique très répandue de la stérilisation forcée des femmes et des filles autochtones, comme le recommandent la Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Comité contre la torture des Nations Unies, puis de traduire en justice les auteurs de ces crimes.
Si les dispositions du Code criminel ne suffisent pas à elles seules à interdire ces crimes odieux, le Canada devra suivre les recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et du Comité contre la torture des Nations Unies et modifier le Code criminel pour criminaliser explicitement la stérilisation forcée.
La voie à suivre, à notre avis, est relativement évidente. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour éviter qu’une autre femme ne soit stérilisée de force ou sous la contrainte au Canada. Merci de m’avoir accordé votre temps et de tenir compte de nos préoccupations.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Je donne maintenant la parole à Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak.
Melanie Omeniho, présidente, Les Femmes Michif Otipemisiwak : Je veux d’abord remercier le comité de son invitation à comparaître pour participer à ce processus. Le nom de notre organisme, Les Femmes Michif Otipemisiwak, signifie : « les femmes métisses maîtres d’elles-mêmes ». Aujourd’hui, nous sommes ici pour discuter de violations des droits de la personne et de la façon de les rectifier pour toutes les femmes autochtones, y compris les femmes métisses.
Le Comité contre la torture des Nations Unies a condamné la stérilisation forcée de femmes et de filles autochtones. Il a recommandé que le Canada prenne des mesures immédiates pour mettre fin à cette pratique. Depuis que les médias ont commencé à rendre compte de ce problème en novembre, on a écouté plus de 100 femmes raconter leur expérience par rapport à la stérilisation forcée. Nous devons déployer des efforts pour rendre justice à ces femmes et à d’autres qui ne savent même pas qu’elles ont été victimes.
Nous devons travailler avec nos collectivités pour déterminer la portée de cette politique et l’incidence sur nos communautés et nos jeunes. Le Canada a des antécédents coloniaux de violence contre les femmes métisses. La discrimination envers les femmes métisses est créée et renforcée par les politiques et les pratiques gouvernementales. En effet, je considère que certaines violations des droits des femmes métisses s’expliquent même par le fait qu’un grand nombre d’organismes, d’organisations et de politiques du gouvernement les empêchent de se représenter elles-mêmes. En effet, ils ne leur permettent pas de se défendre ou de laisser le soin à d’autres groupes de le faire.
Ces politiques et ces pratiques de racisme institutionnalisé contre les femmes et les filles métisses ainsi que les personnes de diverses identités de genre ne datent pas d’hier. Même si le gouvernement actuel travaille à la réconciliation, de nombreuses politiques et pratiques discriminatoires existent encore aujourd’hui. Les circonstances entourant la stérilisation forcée de femmes métisses sont discriminatoires. C’est un acte génocidaire contre nos communautés métisses, et nous croyons qu’il est urgent d’agir.
À la suite d’une ligature des trompes, les femmes ne peuvent plus accoucher naturellement. Dans bien des cas, c’est réversible, contrairement à ce qu’on a laissé les gens croire. Cette pratique a des conséquences profondes pour les femmes métisses, leur bien-être mental et physique, ainsi que pour le bien-être de leur famille et de leur communauté. Dans certains cas où les femmes métisses ont raconté ce qu’elles ont vécu, on les a stérilisées même si elles ont expressément refusé d’accorder leur consentement, alors que d’autres femmes ont subi des pressions indues de la part d’organismes de services aux enfants et aux familles, qui les ont menacées de retirer leurs droits parentaux. Dans d’autres cas, on ne leur a tout simplement pas posé la question.
La ligature des trompes est inutile dans la plupart des cas et entraîne d’autres problèmes de santé, y compris des saignements provenant de l’incision cutanée ou dans l’abdomen, des infections ou des dommages à d’autres organes dans l’abdomen. Il y a aussi les effets secondaires de l’anesthésie, des grossesses ectopiques et la fermeture incomplète des trompes de Fallope. De plus, les femmes ayant subi une chirurgie pelvienne ou abdominale — à cause de problèmes d’obésité ou de diabète — sont plus à risque. Or, comme les populations métisses sont sujettes à l’obésité et au diabète, les femmes métisses sont plus susceptibles de souffrir de complications après une ligature des trompes.
La stérilisation involontaire est souvent fondée sur des présomptions, des stéréotypes ou des renseignements erronés au sujet des femmes métisses. Cela a une incidence disproportionnée sur les femmes métisses en général, mais aussi sur les femmes métisses les plus vulnérables, y compris celles qui vivent dans la pauvreté avec le VIH, les femmes handicapées et les femmes de diverses identités de genre comme les transgenres, les bispirituelles et les personnes intersexuées. Des médecins ont procédé à ces stérilisations pendant que les femmes étaient en train d’accoucher, ou immédiatement après l’accouchement, lorsque les femmes étaient épuisées physiquement et mentalement, encore sous l’influence des anesthésiques et des médicaments qu’on leur avait administrés, et ne pouvaient pas vraiment donner un consentement éclairé dans ces conditions.
Il y a stérilisation forcée si elle est pratiquée sans le consentement libre, préalable, complet et éclairé des femmes. Le droit international en matière des droits de la personne a clairement établi que la stérilisation forcée contrevient à de nombreux droits de la personne et constitue un acte de violence fondé sur le sexe. Les Nations Unies et les États membres ont demandé au Canada de veiller à ce que toutes les allégations de stérilisation contrainte ou forcée fassent l’objet d’une enquête impartiale, que les personnes responsables répondent de leurs actes et que des recours adéquats soient offerts aux victimes.
De plus, le Canada a été appelé à adopter des mesures législatives et stratégiques pour prévenir et criminaliser la stérilisation contrainte ou forcée des femmes, plus particulièrement en définissant clairement les exigences relatives au consentement libre, préalable et informé concernant la stérilisation et en sensibilisant davantage les femmes autochtones et le personnel médical au sujet de ces exigences.
Le Canada a commencé à prendre des mesures pour enquêter sur les signalements de stérilisation contrainte et forcée, mais nous attendons toujours que les responsables de ces procédures soient tenus responsables de leurs actes. Peu de recours, sinon aucun, n’ont été offerts aux victimes. Le Canada a également pris des mesures importantes pour commencer à sensibiliser les gens à la stérilisation et à l’exigence relative au consentement libre, préalable et informé, mais il a ouvertement fait savoir qu’il n’entend pas criminaliser ces pratiques.
L’organisme Les Femmes Michif Otipemisiwak reconnaît les droits des femmes métisses de faire des choix informés à propos de leur corps en fonction de leurs valeurs. Les femmes métisses ont le droit d’envisager toutes les options et doivent se voir accorder le temps de prendre une décision éclairée. Les femmes métisses ont le droit qu’on leur explique tous les risques et les bienfaits associés à des procédures médicales de manière à ce qu’elles les comprennent. Les femmes métisses ont le droit de refuser une ligature des trompes, et leur décision doit être respectée sans condition. Les femmes métisses ont le droit de montrer la voie dans les efforts pour se remettre d’une stérilisation forcée et pour trouver des solutions afin de mettre fin à la violation des droits de la personne. Je tiens à vous signaler qu’avant que ce sujet devienne médiatisé en novembre, dans les années passées, il y avait des recours collectifs où des femmes métisses, en raison de leur état de santé mentale, d’après elles, ont subi une stérilisation forcée. Ces procédures doivent cesser.
L’organisme Les Femmes Michif Otipemisiwak aimerait qu’il y ait plus de recherches et de données sur les procédures de stérilisation contrainte ou forcée au Canada et que l’on mette l’accent sur la collecte et la diffusion de données ventilées. Il faut mener plus de recherches sur les répercussions sur les soins de santé, les services à l’enfance et à la famille et les systèmes de justice, en présentant une loi pour protéger les droits des femmes métisses à donner un consentement éclairé en ce qui concerne les soins de santé. Si les recherches démontrent que la criminalisation est la réponse appropriée à ces violations des droits de la personne, l’organisme LFMO recommandera que le Canada entreprenne des démarches pour adopter des mesures afin de criminaliser la pratique des stérilisations contraintes ou forcées.
J’aimerais formuler une dernière recommandation. Nous avons tenu une séance sur les politiques il y a quelques semaines, à laquelle ont assisté des jeunes qui sont habituellement touchés par ces enjeux. Même si un grand nombre des jeunes femmes se sentaient très mal à propos de leurs expériences, de ce qui leur est arrivé et des conséquences de ces choix, elles n’avaient aucune idée que leurs droits de la personne avaient été violés. Nous devons nous assurer que les jeunes connaissent leurs droits et sont capables de se défendre et de dire : « Non, je ne vais pas tolérer cela ».
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre la déclaration d’Anne Curley, vice-présidente de Pauktuutit Inuit Women of Canada.
Anne Curley, vice-présidente, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Bonjour, membres du Sénat, madame la présidente, invités et membres du personnel. Je suis Anne Curley, désignée auparavant comme E5-2184. Je suis ravie d’être des vôtres aujourd’hui au nom de la présidente Rebecca Kudloo.
Pauktuutit a été constitué en société en 1984. C’est l’organisme national qui représente les femmes inuites. L’amélioration de la santé et du bien-être général des femmes inuites et de leur famille est une priorité absolue pour Pauktuutit. Nous faisons notamment la promotion de l’accès des femmes inuites aux services de santé reproductive, ce qui comprend l’éducation, le dépistage, les tests, les traitements, de même que les soins administrés par des sages-femmes, et les soins prénataux et postnataux.
Les questions de stérilisation forcée et de consentement éclairé ne sont pas une priorité pour les femmes inuites au même titre que les réalités quotidiennes de survie comme s’assurer de pouvoir nourrir leurs enfants. En tant que peuple, nous sommes encore aux prises avec les répercussions des pensionnats indiens, des réinstallations forcées et des épidémies de maladies comme la tuberculose. Au quotidien, nous devons essayer de composer avec des logements surpeuplés et inadéquats et les taux de violence et de suicide les plus élevés au pays. Les effets à long terme du colonialisme se reflètent dans la triste réalité que notre espérance de vie est la plus faible parmi les peuples autochtones au Canada. Jusqu’à ce que les systèmes changent et que les circonstances s’améliorent, nous n’aurons pas de liberté de choix.
Notre position initiale sur cet enjeu est différente. Nos expériences et nos besoins sont uniques et différents de ceux des femmes métisses et des Premières Nations. Ce sont des conversations très difficiles et délicates. Nous avons des données datant du début des années 1970 au sujet des stérilisations forcées à l’époque, mais il ne faut pas oublier que la majorité de ces femmes sont maintenant décédées et ne peuvent pas nous dire ce qui s’est passé. Je peux seulement vous dire ce que je sais. Si nous tenons une conversation nationale sur ces enjeux, nous devons être présentes pour parler en notre nom. Nous ne savons pas quelle est la situation à l’heure actuelle, et nous devons être celles qui commencent à tenir ces conversations de la meilleure façon possible.
Nous sommes ici aujourd’hui pour discuter des droits de la personne. Nous devons nous rappeler qu’avant les années 1940, nous vivions sur les terres. Les pratiques d’accouchement traditionnelles étaient au cœur de notre mode de vie et importantes pour souder nos collectivités. Nous avons été exploités par des gens de l’extérieur, y compris des explorateurs, des baleiniers et des commerçants de fourrures tels que la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le clergé est arrivé par la suite. Nous avons été réinstallés dans des villages dans les années 1950 alors qu’on nous promettait des services d’éducation, des soins de santé et des logements. Nous avons été ensuite gouvernés par des autorités externes comme la GRC, le clergé, des enseignants et des infirmières.
En tant qu’Inuites, nous ne cherchons pas la confrontation et nous avions peur de ces autorités. Nous faisions ce qu’on nous demandait de faire. Cette attitude perdure encore à certains égards. Les citoyens du Canada connaissent mal leurs droits. Nous ne faisons que commencer à prendre connaissance que nous avons des droits fondamentaux en tant que patients, notamment le droit de demander une deuxième opinion.
Nous avons une population d’environ 65 000 personnes. Nous vivons principalement dans 51 collectivités éloignées, de petite taille et accessibles uniquement par avion réparties dans l’Inuit Nunangat. La majorité de nos communautés ont seulement des centres de santé composés de personnel infirmier qui se déplacent d’une collectivité à une autre. La majorité d’entre nous n’ont pas de médecin de famille. Nous ne sommes pas en mesure de bâtir des relations de confiance avec nos professionnels de la santé. Nous répétons sans cesse nos antécédents médicaux chaque fois que nous rencontrons un nouveau professionnel de la santé.
Notre manque d’accès à des services de santé inclut un manque d’accès à un examen et à un diagnostic précoces. Trop souvent, nous sommes diagnostiqués à un stade avancé de la maladie, lorsqu’il est trop tard pour recevoir un traitement pouvant nous sauver la vie. Si nous nous heurtons à une mauvaise attitude lorsque nous posons des questions, nous nous refermons souvent sur nous-mêmes, et c’est souvent la fin de la communication. Un résultat de ce problème peut être l’absence d’un consentement éclairé de la part des patients.
Les Inuits ont le taux de natalité le plus élevé au pays. Notre population est jeune et continue de croître. Dans le passé, toute la famille était là pour accueillir la naissance d’un enfant. L’imposition du modèle médical occidental a miné et supplanté notre culture traditionnelle de services de sages-femmes et d’accouchement. Par exemple, dans ma communauté de Hall Beach, toutes ses femmes sont dirigées vers des hôpitaux éloignés pour accoucher et y restent pour une longue période. C’est comme si donner naissance à son enfant à la maison contreviendrait à la loi. Cette politique a eu des conséquences sociales et culturelles graves. Nous voulons concilier nos meilleures méthodes culturelles traditionnelles et la médecine occidentale. Pauktuutit exerce activement des pressions pour que les femmes inuites accouchent dans leur communauté. Il a également des pratiques traditionnelles documentées de la profession de sage-femme pour contribuer à préserver les connaissances des aînés avant qu’elles disparaissent.
Nous ignorons encore beaucoup de choses. Nous avons entendu des histoires et des renseignements anecdotiques sur la stérilisation forcée des femmes inuites. Outre ces histoires et la nécessité de comprendre leur incidence sur nos femmes, nous réclamons depuis longtemps que le gouvernement se penche sur le non-respect des droits des femmes inuites de même que le manque d’accès de base à des soins adaptés à la réalité culturelle. Ce sont deux enjeux qui ne doivent pas être traités isolément.
Étant donné que nous sommes au début de nos discussions sur cette question très délicate, ces travaux doivent être menés par les femmes inuites pour les femmes inuites. Nous devons mieux comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe maintenant pour que nous puissions garantir un avenir à nos filles et à nos petites-filles où elles comprennent leurs droits en tant que patientes et leurs droits à un consentement libre, préalable et éclairé. Des facteurs comme le manque d’infrastructure, le racisme, la stigmatisation, la discrimination, l’accès et le savoir-faire culturel doivent être traités conjointement avec l’éducation des femmes inuites sur leurs droits à des soins de santé reproductive. Pour améliorer les droits des femmes à des soins de santé reproductive, il faut reconnaître qu’il incombe à tous les fournisseurs de soins de santé d’obtenir le consentement libre, préalable et informé des femmes inuites et d’offrir l’accès à des soins sécuritaires et culturellement adaptés. Il faut notamment des interprètes médicaux adéquatement formés.
Pour terminer, comme je l’ai mentionné, notre position initiale est différente à l’égard de ce que nous savons sur la stérilisation forcée des femmes inuites. Nous savons que les lacunes au chapitre de l’accès à des services de soins de santé et l’état de santé des femmes inuites sont réelles, communes et persistantes. Si nous devions choisir une priorité, nous opterions pour des services de sages-femmes dans nos collectivités. Nous voulons offrir un meilleur avenir pour nos jeunes femmes et nos filles. Pour ce faire, nous devons élaborer une stratégie coordonnée en partenariat avec le gouvernement du Canada et d’autres intervenants pour que les femmes inuites puissent jouir de la même qualité de vie que les autres femmes au Canada.
Qujannamiik. Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Je vais céder la parole aux membres pour qu’ils posent leurs questions.
La sénatrice Boyer : Je vous remercie tous d’être des nôtres et de nous faire part de vos connaissances. Je remercie également les femmes qui vous accompagnent pour vous soutenir et les femmes qui suivent nos délibérations et qui sont avec nous en pensée aujourd’hui.
Ma question qui comporte trois ou quatre volets s’adresse à vous, vice-présidente Curley. Premièrement, vous vous êtes présentée en vous désignant comme étant E5-2184. J’aimerais que vous nous expliquiez ce que cela signifie, s’il vous plaît. Comment cela a-t-il une incidence sur l’intersectionnalité de l’importance des soins de santé, de la stérilisation des femmes inuites, du logement et de tous les enjeux auxquels vous êtes confrontés dans le Nord?
Mme Curley : Avant 1984, on nous attribuait un chiffre. Jusqu’en 1974, nous n’avions pas de nom. Le gouvernement nous identifiait par un chiffre. Cela démontre à quel point les Inuits semblent être contrôlés par d’autres. J’ai mentionné que nous acceptons toujours ce qu’on nous dit de faire, même si nous ne comprenons pas vraiment ce que la personne dit. Notre première langue est l’inuktitut. Notre deuxième langue est l’anglais dans certains cas. Autrement, nous sommes unilingues. Nous avons des interprètes, mais en raison d’un manque de formation, il y a des interprétations erronées. Cela a une grande incidence sur la façon dont les femmes ont été traitées par le passé.
Il y a beaucoup de logements surpeuplés dans nos collectivités. Une famille de trois vivrait dans une maison de deux chambres, mais une famille dans ce foyer peut vivre dans la salle de lavage. Cela cause beaucoup de stress et a une grande incidence sur la violence et les suicides, notamment. Il y a un manque flagrant de logements. De nombreux jeunes cherchent des logements et pensent que s’ils ont plus d’enfants, ils auront plus de chances d’obtenir une maison. La population de jeunes continue de croître. Avec le crédit d’impôt pour enfants, ils recevront des prestations plus élevées s’ils ont plus d’enfants, sans comprendre les conséquences que cela peut avoir en raison du coût élevé de la vie dans le Nord et sans penser qu’ils doivent subvenir aux besoins de leur famille.
La sénatrice Boyer : Vous avez mentionné la langue et le système sans disque comme étant des exemples de la façon dont les Inuits acceptent ces situations. Je sais que les statistiques révèlent que dans les années 1970, 26 p. 100 de toutes les femmes à Igloolik avaient été stérilisées. Je m’interroge à propos des femmes qui vont donner naissance à leur enfant dans le Sud. Est-ce pour des accouchements par césarienne? Reviennent-elles stérilisées? Avez-vous entendu parler de cela?
Mme Curley : Oui, c’est courant. Lorsque les mères en devenir quittent la collectivité, elles sont maintenant escortées par leur époux. Elles doivent partir pour au moins un mois. S’il y a des complications, elles sont envoyées vers le Sud. Lorsqu’elles ont un enfant, elles doivent les laisser là pendant au moins trois mois.
À qui laissent-elles leurs enfants? C’est habituellement les grands-parents qui doivent en prendre soin. Autrement, en raison du manque de logements, des jeunes gardent la maison. Ces femmes doivent parfois laisser leurs enfants entre les mains d’une personne qu’elles ne connaissent pas et mettre leurs enfants dans une situation vulnérable.
Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais je vais vous raconter l’histoire d’une femme. J’ai été témoin d’une situation où deux infirmières ont dit à une mère enceinte qu’elles ne prendraient pas soin d’elle si elle donnait naissance à son enfant. Elles ne la laisseraient pas retourner à la maison pendant l’accouchement parce qu’elle risquait de perdre trop de sang et de mourir. Elles ne voulaient pas être tenues responsables. Par conséquent, cette femme a dû faire appel à une personne dans sa collectivité qui avait une certaine expérience pour l’aider avec son accouchement. Il n’y a eu aucune complication. L’accouchement s’est bien déroulé, mais elle a été forcée de subir une hystérectomie peu de temps après avoir donné naissance à son enfant.
La sénatrice Boyer : J’ai une question complémentaire à poser rapidement. Nous avons entendu dire que le gouvernement est en train de mettre sur pied un groupe de travail sur ce sujet. J’ai fait savoir qu’il est important d’entendre les points de vue des femmes qui ont été stérilisées.
Vous avez dit précisément dans votre déclaration qu’il est très important que les femmes inuites aient voix au chapitre, qu’elles s’expriment elles-mêmes et que personne ne parle en leur nom. Recommandriez-vous qu’une femme, une femme métisse ou d’une Première Nation, siège à ce comité?
Mme Curley : Oui, je ferais cette recommandation. Nous avons des expériences semblables, mais nous avons nos différences, la langue étant un exemple. Nous essayons de préserver notre langue, mais dans certaines régions, nous sommes en train de la perdre. Cela fait partie de notre culture. Nous devons préserver notre culture et nous avons besoin de nos enseignants, de nos aînés. C’est pourquoi j’estime qu’il est très important d’avoir des services de sages-femmes dans chaque collectivité.
La sénatrice Boyer : Les deux autres témoins aimeraient-ils se prononcer sur la participation au comité?
Mme Omeniho : Si vous voulez aborder les questions des droits de la personne, il est impératif que les Métis parlent au nom des Métis, que les Inuits parlent au nom des Inuits et que les Premières Nations parlent au nom des Premières Nations. Je m’en voudrais de venir ici et d’essayer de vous convaincre que j’ai les connaissances, la compréhension et l’expérience pour pouvoir représenter les peuples inuits et des Premières Nations. Nous devons nous représenter.
Je serais favorable à l’idée d’avoir des représentants des peuples inuits, métis et des Premières Nations au comité.
Mme Joe : Je suis d’accord. Il faut que nous invitions des survivantes à participer pour se soutenir mutuellement. Nous devons leur fournir l’appui nécessaire, notamment en leur offrant une indemnisation financière et en les soutenant culturellement et émotionnellement, car elles sont traumatisées à nouveau. Certes, il faut rassembler des femmes pour discuter de la façon dont nous allons régler les choses, mais il faut également respecter leur vécu.
La sénatrice Boyer : Il faut que cela se fasse de façon adaptée à la culture. Merci beaucoup.
Le sénateur Wells : Je remercie les intervenants d’être des nôtres. J’aimerais également que des gens, qui ont exécuté ces procédures sur des femmes sans leur permission, fassent partie de la conversation. Je crois que cela serait utile.
Je vous remercie de vos interventions et des efforts que vous déployez dans ce dossier. Je suis complètement d’accord pour ce qui est de la question du consentement éclairé. J’aimerais insister là-dessus pendant quelques minutes et poser quelques questions à ce sujet. Je les pose à tous les intervenants.
Selon vous, quelles conditions devons-nous établir pour assurer un consentement éclairé? Tout d’abord, je suis outré que cela se fasse. Je suis choqué qu’il y ait des cas où des femmes ne savent même pas entièrement ce qui se passe. Je comprends qu’il y ait parfois des gens qui le demandent. J’imagine que dans certains cas, on pourrait croire que c’est le cours normal des choses. Selon vous, quelles conditions devons-nous établir pour assurer un consentement éclairé? Serait-ce de fixer un délai après la naissance ou de veiller à ce qu’un tiers soit présent? Quel genre de choses aimeriez-vous voir mises en œuvre?
Mme Joe : L’Association des femmes autochtones du Canada demande trois choses importantes. D’abord, il faut que les femmes puissent donner leur consentement. Ensuite, il faut que les risques et les avantages de l’opération, y compris son caractère permanent, leur soient pleinement expliqués. Puis, il faut que chaque femme ait le temps d’absorber l’information.
Plutôt qu’un consentement éclairé, qui protège en réalité les médecins, il faut qu’elles puissent faire un choix éclairé. C’est une façon de donner aux femmes la possibilité de prendre une décision tout en ayant eu une conversation exhaustive sans urgence et sans se faire dire quoi faire. Elles sauront exactement en quoi consiste la décision qu’elles doivent prendre sans pression. C’est leur choix.
Le sénateur Wells : Y a-t-il d’autres intervenants qui souhaitent prendre la parole?
Mme Omeniho : J’aimerais dire que pour nous le consentement éclairé, c’est de veiller à ce que chaque personne comprenne pleinement les répercussions positives et négatives des décisions qu’elle prend. Nous aimerions veiller à ce que le consentement éclairé fasse en sorte que la décision d’aller de l’avant avec ce genre de procédure ne soit pas influencée par les questions de protection à l’enfance ou de pauvreté.
Beaucoup de ces choses ne représentent ni une question de vie ou de mort ni une situation urgente. Nous savons que certaines procédures sont parfois nécessaires du point de vue médical, mais ce n’est souvent pas le cas dans les exemples dont il a été question. Dans la société et le monde non autochtone, on déconseille souvent aux femmes à un jeune âge d’aller de l’avant avec des procédures qui peuvent avoir un effet permanent sur leur santé génésique. Dans nos communautés, c’est le contraire. Il faut que les femmes de nos communautés aient les mêmes possibilités pour qu’elles comprennent les effets à long terme des décisions qu’elles prennent. Nous avons été témoins de cas où elles n’ont pas eu le droit de prendre la décision ou de donner leur consentement. Les travailleurs sociaux, les médecins, les infirmières et d’autres professionnels de la santé prennent ces décisions à leur place. Elles sont tenues de vivre avec les conséquences.
Cela fait partie de ce dont nous avons parlé. Il faut sensibiliser les femmes au sein des hôpitaux pour qu’elles puissent comprendre ce qui passe, les choix qui sont faits, les décisions qu’elles prennent. Cela pourrait vouloir dire créer des dépliants ou des documents d’information destinés aux personnes qui doivent faire ce genre de choix. Elles ne devraient pas avoir à prendre de décisions de la sorte dans des conditions terribles où elles ont une impression d’urgence, sauf s’il y a un réel problème médical.
Mme Curley : L’un des problèmes, même maintenant, c’est qu’il manque d’interprètes qualifiés. Les jeunes ne savent pas parler anglais. Certains comprennent l’anglais, mais ont de la difficulté à parler la langue. Certains en comprennent des bouts, mais ont trop honte de demander l’aide d’un interprète, donc ils tentent de communiquer avec des gens qui ne parlent pas la langue inuktitute. C’est pourquoi c’est très important. Certaines jeunes femmes se voient obligées d’avoir un avortement parce que le médecin leur dit qu’il pourrait y avoir des complications pour le bébé.
J’ai parlé à une femme qui a dit qu’on tentait de l’obliger d’avoir un avortement. Dans notre culture, on ne croit pas à l’avortement. Dans notre religion, avoir un avortement, c’est assassiner une personne, un être humain. Ainsi, elle a refusé l’avortement et a donné naissance à un enfant en santé. Il est toujours en vie et en santé.
Le sénateur Wells : C’est perturbant d’entendre ce genre d’histoires. Nous en avons entendu la semaine dernière aussi. Vous avez parlé de l’écart entre les langues. J’imagine que c’est pareil pour la culture. Je vivais, à une certaine époque, dans une communauté inuite et métisse de moins de 300 personnes. J’ai été témoin d’un écart culturel dû au fait que je suis une personne blanche du Sud du Canada.
Quelles mesures de soutien les administrations provinciales, le gouvernement fédéral, et même les conseils d’administration d’hôpitaux pourraient-ils prendre pour combler certains des écarts linguistiques et culturels? Il est déjà difficile de comprendre une procédure médicale, mais c’est encore plus difficile pour une personne qui ne parle ni ne comprend la langue. Quelles autres mesures de soutien peuvent être offertes dans le cadre des activités de sensibilisation?
La présidente suppléante : Sénateur Wells, cela vous dérange-t-il si j’ajoute quelque chose à votre question?
Le sénateur Wells : Pas du tout. Si cela peut améliorer les questions que je pose, je suis tout ouïe.
La présidente suppléante : Peut-être, pourriez-vous parler également des différences en ce qui concerne les déséquilibres de pouvoir avec les professionnels. Il y a des obstacles linguistiques et culturels, mais qu’arrive-t-il si une personne est en prison, dans un établissement de santé mentale ou pauvre? Pourriez-vous nous parler de cela?
Par ailleurs, quelles recommandations avez-vous pour améliorer l’accessibilité afin de veiller à ce qu’une personne soit capable de donner un consentement éclairé?
Le sénateur Wells : Vous avez modifié ma question.
La présidente suppléante : Je m’excuse. Ce n’était pas mon intention.
Le sénateur Wells : Je rigole.
Mme Joe : Je vais répondre à la question du sénateur Wells en premier. Cela fait depuis que la Commission de vérité et de réconciliation a publié ses appels à l’action en 2015. L’appel à l’action 19 dit précisément :
Nous demandons au gouvernement fédéral, en consultation avec les peuples autochtones, d’établir des objectifs quantifiables pour cerner et combler les écarts dans les résultats en matière de santé entre les collectivités autochtones et les collectivités non autochtones [...]
L’appel à l’action 20 se lit comme suit :
Afin de régler les conflits liés à la compétence en ce qui a trait aux Autochtones vivant à l’extérieur des réserves, nous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître les besoins distincts en matière de santé des Métis, des Inuits et des Autochtones hors réserve, de respecter ces besoins et d’y répondre.
Puis, il y a les appels à l’action 21, 22 et 23, mais c’est le vingt-quatrième dont je veux parler plus particulièrement :
Nous demandons aux écoles de médecine et aux écoles de sciences infirmières du Canada d’exiger que tous leurs étudiants suivent un cours portant sur les questions liées à la santé qui touchent les Autochtones, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones de même qu’aux enseignements et aux pratiques autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme.
Le moment le plus opportun pour instaurer le changement, c’est à l’école. Les diplômés de centres médicaux de régions urbaines qui ne sont pas souvent en interaction avec des Autochtones ne savent pas forcément comment interagir avec les femmes et les familles de nos communautés lorsqu’ils viennent les voir. Nous devons veiller à ce qu’ils comprennent qu’ils sont aussi responsables envers nous que nous envers eux. Il faut les tenir responsables.
J’ai grandement confiance en mon médecin quand je vais le voir. Si mon médecin dit que je dois me faire faire quelque chose, je vais rarement chercher un deuxième avis. J’aurais tendance à croire à peu près tout ce qu’on me dit si j’étais en train de donner naissance à un bébé. Si on me disait après que la procédure n’était pas nécessaire, mon deuil serait lourd. Qui blâme-t-on à ce moment-là? Les peuples autochtones ne font pas confiance aux institutions, aux corps policiers et à l’appareil judiciaire. Nous devons surmonter cela. Si on met en œuvre les appels à l’action, la vraie réconciliation peut commencer.
Pour ce qui est du déséquilibre des pouvoirs, nous n’avons pas de données sur le nombre de femmes incarcérées qui ont été victimes de cela, n’est-ce pas? C’est une question sur laquelle nous devons nous pencher. J’espère que cela répond également à la question du sénateur Wells.
Mme Omeniho : J’aimerais ajouter qu’il y a déjà eu — pas forcément en ce qui concerne la stérilisation forcée — entre diverses communautés autochtones et divers professionnels de la santé, des intervenants ou des alliés qui ont été recrutés dans des institutions médicales pour faire de la sensibilisation et aider les gens à comprendre leurs droits. Peut-être que nous devons prendre exemple sur cela quant à la façon de travailler avec les communautés autochtones. Il est très vrai que chacune de nos cultures a ses particularités.
Il arrive souvent que des problèmes surviennent dans un contexte médical qui nous oblige à choisir entre des traitements médicaux et nos croyances. Si des gens étaient présents pour nous aider à mieux naviguer à travers certaines situations dans diverses institutions et divers établissements de soins actifs, nous saurions mieux prendre des décisions éclairées concernant notre bien-être et nos intérêts personnels. Cela fait partie de la solution.
Les obstacles, comme l’incarcération, la pauvreté et d’autres choses du genre, font partie de la raison pour laquelle nous voulons que de la recherche et du travail soient faits. Il n’y a pas assez de données et d’information sur cette question. C’est de la même nature que ce qui s’est passé dans la rafle des années 1960, où des femmes ont été obligées de donner leurs enfants, ou quelques-uns de leurs enfants, parce qu’elles étaient pauvres, ou bien on les menaçait de leur prendre tous leurs enfants. C’est le même genre de phénomène. Il y a beaucoup de travail à faire. Selon notre expérience et celle des femmes avec qui nous avons parlé, le système d’aide à l’enfance met souvent de la pression sur nos communautés pour prendre ce genre de décisions. Ce n’est pas toujours le système de soins de santé qui est en cause.
J’aimerais également parler de quelque chose dont nous n’avons pas beaucoup parlé. Beaucoup de nos jeunes vivent avec des troubles de santé mentale qui leur font prendre des décisions illusoires. S’ils souffrent de bipolarité ou de problèmes de dépendance, comment peuvent-ils faire des choix sains? Ils ne sont pas dans une position où ils peuvent prendre ce genre de décision de façon saine. Nous devons les aider et trouver des façons de les aider à faire des choix qui les aideront à aller mieux et à maintenir un équilibre pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.
Mme Curley : Il est bien que les femmes qui prennent un congé de maternité soient accompagnées de leur conjoint, mais cela exige beaucoup de ressources financières du gouvernement. Dans la région d’Iqaluit, le manque de places est important. Depuis que les hommes accompagnent leur conjointe enceinte, certains lits sont inutilisés; il y a deux lits par chambre, mais il ne peut y avoir deux patientes, pour éviter que des étrangers se retrouvent dans la même chambre.
Financièrement, il serait avisé d’avoir des sages-femmes dans chaque communauté de façon à accroître les capacités plutôt que d’utiliser ces fonds pour envoyer les patientes à l’extérieur de la communauté, ce qui pourrait nuire aux enfants laissés derrière. Il serait de loin préférable d’investir dans des services de sages-femmes dans toutes les communautés.
Ce n’est pas tant une question de méconnaissance de l’anglais ou d’incapacité de s’exprimer dans cette langue. Le racisme persiste dans le système de santé. Il y a un cas documenté, celui d’une femme qui devait se déplacer à Montréal tous les trois mois. Dans son dossier, on indique qu’elle s’y est rendue en janvier, ce qui n’est pas le cas. Ces choses se produisent et nous devons régler les problèmes des inégalités et du racisme dans le système de soins de santé.
La sénatrice LaBoucane-Benson : J’ai deux questions. L’une est de moi, et l’autre vient de la sénatrice Bernard.
Ma question porte sur la prévalence. J’ai remarqué que vos principaux dirigeants ont tous indiqué que souvent, les femmes de vos communautés, notamment les jeunes femmes, ne comprennent même pas qu’elles ont été forcées de subir une intervention de stérilisation ou que leurs droits fondamentaux ont été violés.
Les recherches à ce sujet risquent de traumatiser les femmes à nouveau, comme la présidente Joe l’a indiqué. Selon vous, quel est le taux de stérilisation parmi vos membres? Si vous aviez à donner un ordre de grandeur, combien de femmes ont subi cela, selon vous?
Mme Omeniho : Vous avez raison. Nous n’avons pas beaucoup de données sur lesquelles nous appuyer, et nous n’en aurons jamais. Nous avons discuté de cet enjeu il y a quelques semaines. Nous étions dans une salle avec quelque 70 femmes métisses, et je peux vous dire que près du tiers d’entre elles ont vécu de tels problèmes ou ont été touchées. Ce n’est que lorsque nous avons commencé à donner des explications sur cet enjeu et sur nos activités qu’elles ont compris.
Beaucoup de femmes que nous avons invitées à parler de leur expérience ont refusé parce qu’elles ont honte, elles ont honte d’être « changées », car dans notre culture, cela fait partie de notre identité. Les liens de parenté sont très importants. Elles ne veulent donc pas se définir comme des personnes dont les droits fondamentaux ont été violés. Elles n’étaient pas toutes habitées de ce sentiment, mais je dirais que c’était la majorité.
Nous ne sommes pas vraiment en mesure d’évaluer la prévalence. Je ne suis pas certaine que les victimes voudront se manifester. Donc, le nombre est difficile à évaluer.
Mme Joe : Nous savons qu’il y en a au moins une centaine. Comme ma collègue l’a indiqué, il arrive que les gens ne comprennent pas leurs droits, et dans ce cas-là, c’est aussi une violation. Ce n’est pas leur faute; le système judiciaire est difficile à comprendre.
Les peuples autochtones ont une histoire marquée de traumatismes. Ils se résignent malheureusement à voir cette situation perdurer, car le gouvernement n’a rien fait pour assurer le respect des peuples et de leurs droits. C’est ce que nous avons vu dans le cas des pensionnats indiens. Tous y sont allés, je pense, sauf ma plus jeune tante atteinte du syndrome de Down, qui a été placée en institution.
Nos aînés s’attendent à ce qu’on ne les écoute pas, ce qui est très malheureux. Comme Melanie Omeniho l’a indiqué, ces personnes ont l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Elles ont été couvertes de honte et ne veulent pas se tourner vers les services policiers, car on ne les croit pas toujours. Maintenant que cette discussion est lancée, les femmes autochtones commencent lentement à se manifester en disant : « Hé! Ce n’est pas correct. Je pense qu’il m’est arrivé quelque chose ». J’espère qu’elles se manifesteront de plus en plus au fil du temps.
Mme Curley : Je veux seulement dire que la majorité de la population inuite vous demanderait en quoi consistent les droits de la personne, car très peu de gens savent de quoi il en retourne. Comme je l’ai dit plus tôt, la compréhension mutuelle fait défaut, mais il y a aussi une méconnaissance des droits.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je comprendrais si vous ne vouliez pas répondre à la question. Dans mes recherches sur le traumatisme historique et la violence subie par les femmes, il m’a semblé que les discussions sur la stérilisation forcée pourraient être liées à la violence sexuelle et que cela pourrait faire resurgir le souvenir de la violence sexuelle chez les femmes qui en ont été victimes. Je me demande si l’une d’entre vous souhaite aborder cet aspect. Vous pourriez nous suggérer des pistes à explorer dans le cadre d’une étude sur la stérilisation forcée, car je pense que ces deux aspects se recouperont souvent.
Mme Joe : Vous avez raison. Je vais demander à ma conseillère juridique, Virginia Lomax, de répondre, parce que c’est un sujet plutôt troublant pour moi. Ce l’est également pour elle, mais elle a des connaissances juridiques.
Mme Omeniho : Je conviens que cela fait partie des enjeux que nous avons examinés par rapport à la violence sexuelle à l’égard des femmes autochtones et métisses.
Tout est lié à la façon dont nous composons avec ces situations dans nos communautés, même aujourd’hui. Personne ne parle de violence sexuelle. Nous ne faisons toujours pas partie du mouvement « moi aussi ». Nous ne parlons pas de ces choses. En toute franchise, les femmes de nos communautés ne dénoncent même pas les agressions commises par des professionnels de la santé. Si elles sont victimes d’une agression sexuelle pendant un rendez-vous avec le médecin ou dans d’autres circonstances, elles ne les dénoncent pas.
Elles n’en parlent pas. Comme c’est le cas pour l’enjeu dont nous discutons, elles ont un sentiment de honte et elles estiment, d’une certaine façon, qu’elles ont fait quelque chose de mal et que c’est leur faute. Elles en prennent la responsabilité. Vaut mieux ne pas parler et ne rien dire à personne, car lorsqu’elles le font, elles ont l’impression d’être diminuées, qu’elles auraient dû être plus intelligentes et qu’elles auraient pu faire mieux.
Je ne sais pas ce qu’il en est à l’extérieur de la communauté métisse, mais dans ma communauté, les femmes se blâment elles-mêmes lorsque les choses tournent mal. Elles se disent que ce ne serait pas arrivé si elles avaient fait les choses autrement ou si elles avaient agi différemment. Voilà ce qu’elles disent, la plupart du temps.
Je pense que les deux vont de pair. Si cela faisait l’objet d’une étude un jour, on constaterait que beaucoup de personnes ont subi de telles agressions.
Virginia Lomax, conseillère juridique, L’Association des femmes autochtones du Canada : Je vous remercie de la question, sénatrice LaBoucane-Benson, car il est important que nos institutions reconnaissent l’impact de ces traumatismes sur les survivants et sur les personnes qui seraient appelées à témoigner de leur vécu.
Vous avez demandé des idées sur la voie à suivre; je vais parler du point de vue du système judiciaire. Il faut insister davantage sur la mise en place, dans le système judiciaire, de processus qui tiennent compte des traumatismes. Je ne parle pas seulement d’une perspective axée sur les droits des victimes, mais aussi d’une prise en compte des effets négatifs d’un nouveau traumatisme causé aux victimes sur la présentation de la preuve.
On ne peut nécessairement parler des agressions sexuelles subies par certaines victimes, puisque nous n’en savons rien pour le moment. Quant à la suite des choses, il faut veiller à la prise en compte significative et réelle, si possible, des traumatismes et des droits des victimes appelées à témoigner, notamment dans le cadre d’études sur le plan législatif et au Sénat.
Mme Curley : Je ne peux pas me prononcer sur le sujet.
La sénatrice Moncion : Pour moi, cela change complètement la donne. Je savais que cela existait, mais pas à ce point.
Quels types de programmes offrez-vous actuellement aux filles et aux garçons pour les informer dès le plus jeune âge sur leurs comportements et leurs droits? Par quoi faut-il commencer? Y a-t-il des programmes en ce moment? Que pouvons-nous faire pour empêcher que cela se perpétue?
Il n’y a aucun programme, à ma connaissance vous avez parlé de certaines solutions, comme la présence de sages-femmes dans les communautés pour aider les femmes à l’accouchement. Quels types de programmes éducatifs offrons-nous? Comment cela fonctionne-t-il? Y a-t-il quelque chose?
Mme Omeniho : Je dois dire, selon mon expérience du système d’éducation, qu’il y a un manque flagrant d’information sur les droits de la personne. Je crois que les efforts en ce sens ont été faits par le passé, mais c’était plutôt limité et parcellaire. Il faudrait peut-être un effort plus concerté pour diffuser l’information dans les communautés — la mienne ou d’autres — afin que les plus jeunes connaissent leurs droits fondamentaux et sachent ensuite reconnaître les situations où leurs droits sont violés. Il n’est pas nécessaire de chercher très loin pour trouver des exemples; il suffit de regarder du côté des systèmes de justice pénale, de la santé et des services à l’enfance. Le nombre de cas de violation des droits fondamentaux dans nos communautés est exponentiellement plus élevé que n’importe où ailleurs dans le monde.
Personne ne veut aborder les sujets comme le racisme et la discrimination systémiques qu’on observe dans tous les processus institutionnalisés, mais il faut faire quelque chose. Je suis absolument favorable à toute mesure adaptée à notre culture et à notre communauté visant à nous aider à connaître nos droits. Si je retourne dans ma communauté et que je commence à parler des droits prévus à l’article 35, tout le monde semblera savoir de quoi il s’agit, mais les gens ne connaissent pas leurs droits individuels. On consacre très peu d’efforts à la transmission de connaissances ou d’informations sur les recours dont disposent les gens, personnellement, pour se protéger dans les systèmes existants.
Mme Curley : Essentiellement, il n’y a aucun programme d’information dans les petites communautés. Je ne sais pas ce qu’il en est pour les plus grandes collectivités. Je peux seulement parler de l’expérience que j’en ai, de mes observations. Il n’y a pas vraiment d’information à ce sujet. Il y a des dépliants, et on peut aussi faire une recherche sur Google ou consulter la page web des Pauktuutit.
Il y a des lacunes quant à l’éducation en matière de santé sexuelle et d’établissement de relations saines. Lorsqu’on vit dans une petite communauté, on peut faire des recherches sur Google, mais il y a toujours des problèmes de connexion Internet. Dans certains cas, la connexion est si mauvaise qu’il faut une semaine pour télécharger quelque chose, lorsque c’est possible. Il y a des renseignements, mais ils sont difficiles d’accès.
Il y a des dépliants, mais ils sont en anglais. Où sont les versions en inuktitut? Certains sont offerts en inuktitut, mais dans un autre dialecte, que nous ne comprenons pas toujours. On le comprend parfois, mais pas tout le temps.
Mme Joe : Je n’ai pas souvenir d’un tel programme, à première vue, mais lorsque je pense à mon propre parcours, j’ai entendu parler des droits de la personne pour la première fois lorsque j’étudiais en gestion des ressources humaines.
C’est quelque chose qu’il faut mettre en place dans nos communautés. Lorsque j’étais enfant, j’apprenais mieux lorsque je discutais avec mes proches, mes enseignants et mes amis. Mes enfants connaissent leurs droits sur le marché du travail, puisque j’ai étudié en gestion des ressources humaines, mais ils ne connaissent pas leurs droits en tant que Canadiens.
J’ai été impressionnée lorsque je suis allée à l’ONU; j’ai vu un livre sur la DNUDPA destiné aux enfants. Je n’ai pu m’empêcher d’en prendre un exemplaire pour ma nièce et mon neveu. Pourquoi n’est-ce pas uniformisé dans notre système d’éducation? J’ai entendu parler de divers programmes, mais ils ne sont pas uniformes à l’échelle du pays, des provinces ou des territoires.
J’ai entendu parler du Programme navigateur mis en place dans les hôpitaux. Je suis favorable à la création de services de défense des droits dans les hôpitaux afin que les familles autochtones et les femmes autochtones ne se sentent pas seules lorsqu’elles ont à prendre de telles décisions. Je pense que c’est un aspect qu’il faut étudier. Ces personnes — des membres de la communauté, des Autochtones — doivent comprendre ce que vivent ces femmes. Ils doivent être conscients des enjeux culturels et ils doivent comprendre le traumatisme qu’elles vivent.
La sénatrice Boyer : Le groupe de témoins précédent a évoqué le cas d’une jeune femme qui, en décembre 2018, avait signalé avoir été stérilisée contre son gré dans un hôpital de la Saskatchewan. Je trouve choquant de voir que cela continue, malgré tout ce qui a été publié dans les journaux, malgré l’appel des Nations Unies et malgré le recours collectif. Certains invitent à la criminalisation. Certains considèrent que la solution passe par la criminalisation et l’ajout de dispositions dans le Code criminel.
Selon vous, cela permettrait-il de régler ce problème systémique, particulièrement en raison de la méfiance des Autochtones à l’égard du système de justice? Avez-vous d’autres recommandations de nature législative pour régler ce problème?
La dernière partie de la question est la suivante : il y a une semaine, environ, la GRC a déclaré qu’elle n’avait reçu aucune plainte de ce genre. La GRC n’en a aucune trace. La semaine dernière, un de nos témoins a indiqué qu’une cliente avait porté plainte.
Si vous pouviez faire des commentaires à ce sujet, je vous en serais reconnaissante.
Mme Omeniho : Au sujet de la GRC, nous leur signalons les femmes autochtones disparues et assassinées, et nous pouvons voir où cela nous a menés. On nous répond qu’ils n’ont reçu aucune plainte. C’est difficile de croire alors que les plaintes sont prises au sérieux. Si une femme allait se plaindre à la GRC qu’elle pensait avoir été forcée de subir une intervention médicale, la GRC lui répondrait sans aucun doute que cela ne fait pas partie de son mandat et qu’elle doit signaler la chose ailleurs.
Le gouvernement fédéral a mis sur pied un comité en novembre auquel nous siégeons en compagnie de professionnels de la santé. J’ai été consternée d’apprendre que personne n’était au courant. Nous l’étions, nous. Personne ne nous a consultés, mais nous étions au courant depuis longtemps. Nous savions qu’au sein de nos familles, de nos communautés, des femmes étaient forcées de subir une ligature des trompes ou une hystérectomie précoce.
Comme je l’ai mentionné, je ne sais pas qui accepterait d’en parler, mais je sais que nous avons au sein de nos communautés des jeunes femmes qui, à l’âge de 22 et 23 ans, ont subi des hystérectomies complètes qui n’étaient pas médicalement nécessaires. On ne leur a pas proposé d’autres solutions pour remédier à leurs problèmes de santé. C’est le premier constat. Nous savons que des jeunes femmes qui se sont rendues à l’hôpital pour subir une intervention en sont ressorties stérilisées. À notre grande surprise, personne ne semblait au courant jusqu’à ce que l’ONU en parle. Voilà ce que j’ai à vous dire.
Est-ce que, d’après moi, la criminalisation réglera le problème? Je ne crois pas, non. Je ne suis pas en train de dire que les personnes qui ont forcé délibérément des femmes à subir des interventions comme la stérilisation ne devraient pas avoir à rendre des comptes, mais est-ce que je pense vraiment qu’au sein de notre système de justice, on va commencer à mettre des médecins, du personnel infirmier et des travailleurs sociaux en prison? Je ne pense pas, non.
Ce qu’il faudrait commencer par faire, c’est mettre en place des lois et des politiques qui vont aider les établissements de soins de santé à prendre ces questions plus au sérieux et à changer leurs pratiques. C’est ce que je ferai, plutôt que de chercher un moyen, dans le système de justice, d’envoyer les médecins en prison.
Mme Joe : Je suis d’accord. C’est une relation que les Autochtones n’ont pas avec la GRC. Dans un pays aussi vaste que le Canada, on ne s’adresse pas toujours à la GRC. On pourrait s’adresser aux services de police provinciaux ou aux services de police municipaux. Les forces de l’ordre n’ont pas une base de données commune, et elles ne considèrent pas toujours qu’il s’agit là d’un crime. Je doute que les patientes ou les personnes comprennent qu’il s’agit d’un crime. S’agit-il d’une agression sexuelle? S’agit-il d’une agression grave? Il nous faut plus d’information sur le sujet.
Pour ce qui est de la criminalisation et de la loi, je vais céder la parole à Virginia Lomax.
Mme Lomax : Ce sont les organisations internationales de protection des droits de la personne qui ont recommandé de faire de la stérilisation forcée une infraction criminelle. Elles ont fait cette recommandation à d’autres pays où le même problème s’est produit.
Au Canada, il se pourrait qu’une analyse de la loi montre que la stérilisation forcée tombe sous le coup d’une autre disposition du code, mais ce ne sera pas nécessairement une évidence pour le simple citoyen. Une personne ne se dira pas qu’elle a subi une intervention chirurgicale pour laquelle elle n’a pas donné son plein consentement librement et en connaissance de cause et qu’il doit s’agir d’une agression grave. Une personne ne pensera pas nécessairement que le système de justice fonctionne ainsi. Un des avantages de la criminalisation est de faire en sorte que chacun sache que le fait de stériliser une personne sans qu’elle ait donné son plein consentement librement et en connaissance de cause est, dans les faits, un acte criminel. Cela pourrait aider grandement, mais il faut que la loi soit appliquée jalousement par la suite.
Le simple fait d’inscrire une infraction dans le Code criminel n’aura pas un effet dissuasif, à moins que ce soit accompagné de sanctions. Si cela fait partie du Code criminel, les services de police devront prendre la chose au sérieux. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il se peut que la GRC n’ait pas de rapport, mais il existe une foule de raisons à cela. Il se peut que les témoignages entendus dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous en indiquent quelques-unes. On ne parle pas des services de police municipaux et provinciaux où des rapports peuvent avoir été faits.
À savoir si cela permettrait de régler le problème, le meurtre est un crime et cela n’a pas réglé le problème des femmes autochtones disparues et assassinées au pays. Il est clair, à mes yeux, qu’il s’agit d’un problème systémique de très grande envergure. La criminalisation ne sera qu’une petite pièce du casse-tête. Tous les acteurs du système qui donnent libre cours à ces injustices doivent être informés de façon à ce qu’on agisse en amont et non pas seulement en aval.
Pour ce qui est des autres initiatives législatives, on peut parler du projet de loi S-215. Si on devait faire de la stérilisation forcée un crime, il serait utile de prendre en considération les faits historiques entourant la violence coloniale et le génocide infligés aux peuples autochtones au pays. Le fait que ce crime soit perpétré à l’égard d’une femme autochtone serait un facteur aggravant de la peine qui permettrait à tout le moins de s’attaquer plus adéquatement au problème beaucoup plus vaste et historique de la violence coloniale et du génocide.
Mme Curley : J’abonde dans le même sens que mes collègues. La GRC n’a pas de rapport, naturellement, à ce sujet. On comprend maintenant en quoi consistent les droits de la personne et on en prend conscience. Certains viennent tout juste d’entendre parler du problème. Qui la GRC croira-t-elle? Est-ce que ce sera le médecin ou la patiente? Il est fort probable que ce sera les intervenants du réseau de la santé. Ils ont des preuves au dossier. Une patiente croit ce que le médecin ou le personnel infirmier lui dit, et elle est d’accord avec ce qu’on lui dit qu’elle doit faire.
La barrière de la langue est un grave problème. Les mots « pouvoir » et « devoir » sont très différents. Si une infirmière vous dit que vous pouvez, si vous le voulez, ou que vous devriez, il se peut que dans les deux cas vous interprétiez mal ce que cela veut dire. Vous pourriez signer un formulaire de consentement sans l’avoir lu. Si vous arrivez à le lire, vous allez peut-être le faire, mais il est fort probable que vous ne puissiez pas le lire. Si le formulaire contient des termes médicaux, même une personne de race blanche n’arriverait pas à comprendre la terminologie. Je ne la comprendrais pas. Je ne sais pas quelle est la solution.
La sénatrice Boyer : Je vous remercie de vos réponses éclairées à la question.
La présidente suppléante : J’ai une question qui me vient à la suite de celle posée par la sénatrice Boyer. Nous avons beaucoup de preuves en droit criminel que la dissuasion et la dénonciation sont moins efficaces que la promotion d’un élément positif. Si on encourage les gens à adopter une attitude différente, ils vont sans doute le faire.
Est-ce que vos organismes trouveraient utile qu’on demande aux médecins, au personnel infirmier et aux travailleurs sociaux ayant un permis de pratiquer de démontrer qu’ils ont une bonne connaissance de ces problèmes, ou qu’avant d’obtenir leur permis, on leur parle de problèmes comme la stérilisation des femmes autochtones, de la violence à leur égard et de leurs effets disproportionnés sur elles? Est-ce que l’idée serait intéressante? Si c’est le cas, quelles seraient vos recommandations à ce sujet?
Mme Joe : C’est l’ensemble du corps médical au sein des établissements fédéraux et provinciaux qui doit être formé. Cela ne peut pas se limiter à une fois en carrière. Il faut continuellement parler de ce qui se passe, car notre histoire évolue et, je l’espère, dans la bonne direction.
Ce qui s’est produit en décembre dernier est abominable. Maintenant, nous en parlons, et nous devons agir. Je crois que d’exiger une licence, puisque le professionnel doit la renouveler, est une bonne idée pour favoriser la sensibilisation sur ces questions.
Mme Lomax : J’aimerais préciser ma pensée quand je parle de la criminalisation comme l’un des aspects de la question. La participation des ordres de médecins en tant qu’organes de réglementation de la profession est un autre aspect.
Car le médecin est en position d’autorité quand il dit à la femme que c’est ce qu’elle doit faire. Peut-être qu’elle voit le formulaire de consentement comme une façon de se protéger, tandis que c’est, en réalité, le médecin qui est protégé. Dans ce genre de circonstances, la dynamique du pouvoir n’entraîne pas nécessairement des résultats positifs, même si la criminalisation est appliquée.
Il est crucial de réagir de façon proactive et non réactive, car ce qui compte, c’est de veiller à ce qu’aucune autre femme ne vive cela et non pas de mettre un médecin en prison quand cela se produit.
Mme Omeniho : Je suis d’accord qu’il faut changer le curriculum pour la majeure partie du corps médical de sorte à favoriser une meilleure compréhension de certains aspects de la diversité culturelle au Canada. Je ne crois pas que, en tant que femmes métisses ou disons autochtones, nous soyons les seules touchées. La diversité culturelle du pays est assez grande pour que les professionnels de la santé aient l’obligation de comprendre le fonctionnement et les pratiques des différents milieux qu’ils vont intégrer. Je suis d’accord pour dire que le système réglementaire qui régit la plupart de ces professionnels est un élément clé des discussions qui mèneront à l’établissement d’une législation qui empêchera tout faux-fuyant.
Au lieu de criminaliser les médecins, il serait beaucoup plus éloquent de leur faire perdre leur droit d’exercer s’ils contreviennent aux droits de la personne. J’appuie également ce qu’a dit Francyne Joe. Il est impossible de tout comprendre et de tout savoir sur le sujet en suivant seulement un cours de quatre heures durant sa carrière. Ce doit être un renforcement perpétuel en milieu de travail qui aide les médecins à saisir notre histoire, la nature du génocide culturel, les effets du traumatisme historique sur notre population, et les raisons pour lesquelles nous en sommes là. Cela les aidera énormément à cerner de quelle façon travailler avec nous.
Mme Curley : Le fait qu’il y ait maintenant des Inuits qui pratiquent la médecine ou les soins infirmiers est une bonne chose, mais ils sont très rares. Il est très important que toutes les personnes qui vont exercer dans le Nord aient des connaissances et une formation sur notre culture et notre attitude, qu’elles les comprennent. Chez nous, nous acceptons tout ce que nous dit la personne en position d’autorité.
L’incompréhension est profonde de part et d’autre. Il serait important d’accorder une licence et de veiller à la compréhension de notre culture et de nos besoins.
La présidente suppléante : Je suis désolée de vous interrompre. Bon nombre de vos histoires me rappellent une situation que j’ai vécue plus tôt dans ma carrière. Un jeune Inuit unilingue s’est présenté à une évaluation psychologique. Nous avons dû conclure qu’il était impossible qu’on l’ait adéquatement évalué, car il ne parlait pas la langue, même s’il avait opiné pendant toute l’évaluation. Merci d’avoir soulevé ce point.
La sénatrice Boyer : Si le comité décide d’approfondir la question, quels sont les aspects qu’il doit absolument aborder? Avez-vous des recommandations à nous faire? Est-ce qu’il y a des lacunes dans la documentation actuelle sur lesquelles nous devons nous pencher? À quel point est-ce important d’entendre le témoignage des femmes concernées et de leur famille?
Mme Omeniho : Je vous dirais qu’il y a des lacunes, c’est évident. Je ne sais pas quel projet de recherche permettrait d’y remédier. Qu’y a-t-il comme documentation à l’heure actuelle? Dans le travail que nous avons fait jusqu’à maintenant, même au sein du comité sur les professions de la santé, il n’y a en fait que très peu de documentation, voire aucune.
Si une enquête plus approfondie est menée, il est primordial de comprendre l’histoire des personnes touchées. Il est également crucial que leur histoire nous amène à œuvrer au changement de tout ce qui nous a mis dans cette situation dès le départ.
J’aimerais que l’on dédommage les personnes touchées. Il n’y a pas de véritable indemnisation possible, mais on devrait au moins reconnaître le traumatisme qu’elles ont vécu en raison de leur stérilisation forcée. Je ne parle pas nécessairement d’une somme d’argent, mais plutôt d’un éventuel engagement, d’une reconnaissance, par rapport à ce que ces femmes ont subi et à la façon dont cela a changé leur vie.
Mme Joe : Je suis d’accord avec ma collègue. Comme on l’a dit, il doit y avoir un fonds d’indemnisation des victimes ou des survivantes et de leur famille. Je préfère les appeler des « survivantes ». Pour ce qui est de mener des recherches plus poussées, j’aimerais réunir ces survivantes pour qu’elles participent à l’élaboration de tout programme, service ou loi futurs.
Nous devons aussi parler des ordres de médecins et étudier les processus qui permettent à ce genre de choses de se produire. Il va sans dire que nous devons inclure cette formation sur la culture.
Un nombre croissant d’Autochtones font des études en santé. Je crois qu’ils constituent une ressource que nous devons utiliser. J’ai eu beaucoup de bonnes conversations avec le Dr Evan Adams, en Colombie-Britannique, et il entretient d’excellentes relations avec les communautés. Avoir accès à une telle ressource pour établir comment aller de l’avant serait très pratique.
Enfin, je veux connaître l’avis des témoins qui ont vu ce qui s’est passé. C’est très difficile, comme nous l’avons dit, de verbaliser ses doutes sur quelque chose qui, dans notre for intérieur, nous paraît mal. Vous êtes de nouveau confrontée à une lutte de pouvoir si un médecin ou quelqu’un d’autre en position d’autorité vous dit que c’est ce qu’il va faire. J’en suis la preuve. J’ai vu quelque chose qui n’allait pas, et je n’ai pas parlé pour changer les choses. Nous devons offrir un environnement sûr aux personnes qui soumettent leurs idées afin d’éviter que cela se reproduise.
Mme Curley : Je suis d’accord avec mes collègues. Il doit y avoir de la sensibilisation de part et d’autre. Tout cela est très nouveau pour nous. Nous devons être sensibilisés aux droits de la personne. Si on ne comprend pas ce que sont les droits de la personne, on peut s’imaginer que tout ce que le médecin fait est juste, qu’il n’y a pas de problème.
Il devrait y avoir une enquête plus poussée pour établir si la personne qui signe le formulaire de consentement en comprend bien le sens.
La sénatrice Boyer : Diriez-vous que l’on doit s’entendre sur ce que signifie le consentement? Est-ce que ce serait utile à cette discussion?
Mme Curley : Je crois que oui. Habituellement, un formulaire de consentement est rédigé en anglais. Je pense que c’est toujours le cas, en fait. Certains Inuits ne peuvent pas lire l’anglais. Ils peuvent seulement lire l’écriture syllabique. Même s’ils peuvent parler en anglais, ils ne sont peut-être pas capables de lire le formulaire de consentement. Peu importe ce que dit l’infirmière ou le médecin, vous le croyez et signez le formulaire de consentement. Peut-être que le médecin ou l’infirmière n’ont que résumé le contenu du formulaire, ce qui fait que vous n’avez peut-être pas saisi une partie des renseignements au bas desquels vous signez.
La sénatrice Boyer : Il y a des éléments essentiels à étudier, donc.
Mme Curley : Je crois que oui.
La sénatrice Boyer : Merci beaucoup.
La sénatrice LaBoucane-Benson : J’ai une autre question. Je n’étais pas certaine si je devais m’attarder davantage à la question très intéressante et importante d’une enquête tenant compte des traumatismes. Dans mon ancienne vie, j’ai fait beaucoup de formation juridique tenant compte des traumatismes auprès des communautés autochtones, comme Melanie Omeniho le sait.
Par exemple, il y a une loi en Alberta qui stipule que chaque femme a le droit d’être en sécurité. Tout Albertain a le droit d’être en sécurité, mais nous savons que les femmes autochtones sont souvent en danger et qu’elles sont plus nombreuses que les autres à vivre de la violence conjugale. Dans le cadre de notre travail sur les documents de sensibilisation à la loi, nous avons constaté que le traumatisme historique n’entraîne pas seulement des sentiments de désespoir, de détresse et d’impuissance, mais aussi un manque d’estime de soi. Souvent, les femmes ne se prévalent pas de la protection que leur offrent les lois canadiennes parce qu’elles estiment ne pas en valoir la peine.
Je me demande si quelqu’un voudrait parler de ce qu’on entend par enquête tenant compte des traumatismes. Je remercie la sénatrice Boyer d’avoir porté la question à l’attention du comité. C’est probablement ce que la sénatrice Boyer avait en tête. Avez-vous des recommandations à nous faire quant à la forme que devrait prendre une enquête tenant compte des traumatismes?
Mme Lomax : Si je peux me permettre, la première étape d’une enquête tenant compte des traumatismes serait de veiller à ce que le processus d’enquête publique soit vraiment ce que souhaitent les victimes. S’il s’agit d’une approche descendante où le gouvernement ou une autre entité publique affirme qu’il tiendra une enquête sur la question, il doit être absolument certain que c’est ce que souhaitent les victimes et qu’elles sont prêtes à y participer.
Mme Curley : Tout le monde doit aussi comprendre que nous avons une grande aptitude au pardon. Nous ne voulons pas revenir sur le passé. Même si vous avez vécu un traumatisme ou qu’on vous a traité d’une façon que vous ne vouliez pas, vous voulez simplement l’oublier et passer à autre chose.
Ainsi, je recommande fermement que l’on sensibilise les Autochtones afin qu’ils comprennent bien ce qui existe, ce qu’on leur propose et ce qu’ils peuvent en espérer.
Mme Omeniho : En ce qui concerne une possible enquête tenant compte des traumatismes, Les Femmes Michif Otipemisiwak travaillent à la création d’une trousse sur ce concept à l’intention des Métis. Nous sommes conscients des difficultés. Notre expérience avec l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées était fondée sur les traumatismes plutôt que de simplement en tenir compte. Nous savons tout le travail que nous avons à faire pour aider nos communautés à surmonter ces expériences.
S’il doit y avoir une enquête tenant compte des traumatismes, je recommande sincèrement que les commissaires ou les autres personnes concernées obtiennent de la formation et une mise en contexte. Ils ne devraient pas être nommés à ce poste ni l’occuper sans vraiment comprendre la notion d’enquête tenant compte des traumatismes.
Comme on l’a laissé entendre dans le premier processus, exposer ces personnes, qui sont déjà des victimes, à un nouveau traumatisme sans d’abord obtenir leur consentement ni veiller à leur pleine compréhension, ne peut qu’aggraver leur état. Cela ne les aide pas à guérir ou à aller mieux, mais sert notre insatiable désir de réentendre leur histoire, encore et encore.
J’appuie et favorise la tenue de ces travaux, mais ils doivent vraiment tenir compte des traumatismes afin de ne pas victimiser de nouveau qui que ce soit. C’est ce que je conseille pour l’instant.
Mme Joe : Quand nous parlons d’une possible enquête, n’oublions pas nos sœurs incarcérées, en institution et sans abri. Il y a une raison derrière les cas évidents, et nous devons aussi leur fournir un soutien continu après.
La présidente suppléante : Sur ce point, les témoins du 3 avril ont recommandé la tenue d’une enquête nationale. Je sais que vous avez exprimé des réserves à cet égard. Au nom de tout le comité, je vous remercie pour vos commentaires.
Si vous êtes en faveur d’une enquête nationale, quelle devrait en être la portée selon vous? De quelle façon aimeriez-vous la voir évoluer? De quelle façon devrait-on inclure les femmes de vos diverses communautés dans ce processus? De quelle façon mèneriez-vous l’enquête? Présumeriez-vous nécessaire de commencer les travaux à huis clos? Des questions du genre me viennent à l’esprit.
Dans un même ordre d’idées, vous avez mentionné la réticence des gens à s’adresser à la police. Je crois que vous avez parlé, dans différents contextes, de la réticence que les gens ont parfois à retourner consulter un professionnel de la santé ou que vous y avez fait allusion. Incluriez-vous aussi la façon dont vous feriez interagir tous les intervenants?
De quelle façon feriez-vous participer les médecins? Comment veilleriez-vous à ce que les personnes qui ont déjà subi une stérilisation se sentent en sécurité? J’ai parlé plus tôt de la portée de l’enquête et de la participation d’autres parties, c’est-à-dire des personnes incarcérées, qui vivent dans la rue, ce genre de situations.
Mme Omeniho : D’abord, si vous devez mener une enquête nationale, vous devez vous informer sur les ratés de l’enquête en cours. Une enquête nationale nécessiterait la participation de tous les gouvernements provinciaux et territoriaux en plus du gouvernement fédéral, ce qui n’est pas simple. Encore aujourd’hui, cet aspect n’est pas tout à fait résolu.
De quelle façon veillerez-vous à inclure les communautés? Il suffit de les inviter et de leur offrir du soutien selon les besoins. Elles ont besoin de services à l’intention des personnes qui participent au processus tenant compte des traumatismes afin de soutenir les survivantes de cette problématique. Nous devons veiller à ce que ces services soient en place et accessibles sur-le-champ pour les femmes qui se manifestent.
Un des aspects complexes d’une enquête, c’est que chacun a son propre bagage, son vécu bien à lui. Il est primordial de comprendre l’expérience des professionnels de la santé et les raisons pour lesquelles nous sommes si radicalement opposés. Il serait important qu’ils prennent part à une telle enquête. La seule façon de trouver des solutions est d’y travailler ensemble.
C’est facile pour nous de remplir une salle de femmes qui ont vécu un traumatisme et de leur dire : « D’accord, voici ce dont nous avons besoin. » Si on ne comprend pas les difficultés inhérentes à leur situation, si on ne tient pas compte des obstacles que représentent la langue et la technologie médicale pour nous, nous ne pouvons pas prendre de bonnes décisions.
Une enquête devrait être inclusive, mais je recommande et propose qu’elle tienne compte des traumatismes, qu’elle tienne vraiment compte des traumatismes cette fois-ci, afin de ne pas victimiser les personnes de nouveau.
Nous devons éviter la formation de deux groupes, du genre « eux contre nous ». Il n’est pas question d’attaquer les professionnels de la santé ou les médecins. L’enquête vise à trouver des solutions efficaces pour aller de l’avant.
Mme Curley : Comme Melanie Omeniho l’a dit, il suffit de nous inviter. Nous sommes très ouverts. Cependant, nous manquons parfois de ressources. Je tenais à le préciser.
Mme Lomax : Pour établir la portée d’une enquête, il faut la centrer sur la voix des victimes. Je ne veux pas me faire leur porte-parole ici. Si c’est quelque chose que les victimes souhaitent, et si elles participent à l’établissement de sa portée, beaucoup de travail devra être abattu pour veiller à l’établissement d’attributions solides. Elles préciseraient clairement la portée de l’enquête, les droits des victimes durant le processus et le soutien auquel elles auraient accès.
En outre, nous devons nous assurer que suffisamment de temps est alloué à cette enquête. Ne nous racontons pas d’histoires : on ne peut pas remédier à 200 ans de violence coloniale et de génocide entre deux élections.
Mme Joe : Établir le fait que ces femmes ne sont pas dans l’erreur est un bon point de départ. Elles ont vécu quelque chose, et elles ont des droits que nous devons respecter. Nous devons veiller à ce que le milieu de la santé comprenne la nécessité de changer. Il doit offrir une formation adaptée à la culture pendant les études ainsi que pour l’obtention ou le renouvellement d’une licence. Le gouvernement doit également comprendre que, s’il s’engage à mener quelque chose du genre, nous pourrons à nouveau lui faire confiance.
Ne me dites pas que ces médecins n’avaient pas l’intention de faire quelque chose. Des gestes ont été faits. Vous avez bafoué les droits de reproduction de quelqu’un et la perte que cette personne a subie n’est pas réversible. Peut-être qu’elle l’est sur le plan physique, mais pas sur le plan affectif.
Convoquez de nouveau les intervenants, placez les femmes au cœur du processus et respectez-les. Comme l’a souligné Virginia Lomax, vous devez y consacrer le temps. Nous avons beaucoup appris de l’enquête nationale. Nous avons beaucoup appris de la Commission de vérité et réconciliation. Maintenant, allons de l’avant afin d’établir le climat de confiance et les liens dont nos sœurs et les générations futures ont besoin.
La sénatrice Boyer : Comme une femme de la Saskatchewan a été stérilisée en décembre 2018 après toutes ces démarches, je crois que nous échouons lamentablement à l’heure actuelle. Cela se poursuit, malgré tout ce que nous faisons et tout ce qui est diffusé dans les médias. Les hôpitaux sont révoltés, mais cela se poursuit. Que devons-nous faire? Avez-vous des idées?
Mme Omeniho : Nous avons encore beaucoup à faire pour sensibiliser la population. Au fil du travail assez limité que nous avons fait sur le sujet depuis décembre, les professionnels de la santé ont adopté une approche défensive très agressive. Il y a beaucoup à faire pour amener les professionnels de la santé à comprendre les problèmes que vit notre communauté. Nous devons y arriver. C’est ce dont nous avons discuté.
Nous devons trouver une façon d’aviser les jeunes femmes de nos communautés qu’elles ont le droit de refuser cette situation. Peu importe leur décision, personne ne peut la contourner et les menacer de leur retirer leurs enfants. Personne ne peut les menacer de les exclure de l’aide sociale parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers de prendre soin d’elles. Personne ne peut les menacer d’entamer tout autre processus qui va les rendre vulnérables. Ce n’est plus acceptable.
Nous devons continuer à sensibiliser nos jeunes. Je ne crois pas que cela se fera du jour au lendemain. Je suis heureuse que les discussions soient plus ouvertes. Ce n’est pas vraiment abordé dans les médias. Monsieur et Madame Tout-le-Monde n’ont aucune idée de ce dont nous discutons. J’aurais tendance à dire que les médias se sont très peu intéressés à ce dossier. C’est probablement pour cela que j’ai été surprise d’apprendre que tout le monde a été choqué que cela se produise. Nous savions ce qui se passait. Nous avons tenu pour acquis que le reste de la population était elle aussi au courant que les gens étaient poussés à prendre des décisions sur leur mieux-être sexuel sans le bénéfice d’un processus adéquat.
Ce n’est pas seulement cette question. Comme l’a fait remarquer Anne Curley, il y a des formulaires de consentement à signer pour toutes sortes de soins. Il faut être avocat ou professionnel de la santé pour interpréter des concepts comme le droit à la vie et le droit à la réanimation. Ce sont des notions complexes qui sont plaquées sous votre nez tandis que vous êtes en pleine crise médicale. Comment pouvez-vous prendre une décision?
Selon ma propre expérience, je sais que ces décisions sont prises. Puis vous vous remettez en question. Est-ce que vous avez mal agi? Quelle aurait été la bonne chose à faire? Vous n’avez personne avec vous pour vous guider et vous expliquer la meilleure décision à prendre. Vous signez parce qu’on vous dit de signer, pas parce que vous êtes informé de ce qui se passe.
Cela doit changer. Je ne sais pas si cela est propre aux communautés autochtones, mais c’est notre expérience. Les formulaires de consentement sont des documents juridiques, et nous ne comprenons même pas le contexte de leur utilisation. C’est ce que j’en pense. Les choses vont changer, je l’espère, mais je ne sais pas à quelle vitesse.
Je suis heureuse, au moins, que nous en discutions. Ce n’était pas le cas avant.
Mme Joe : Ce que nous devons faire, c’est aborder la question avec tout le sérieux qu’elle mérite. J’ai horreur de dire cela, mais quand un fonds souligne que le Canada a mal agi et que les survivantes sont dédommagées, il y a de la tension dans l’air. Nous devons commencer à enquêter sur ces allégations dès maintenant. N’attendons pas. Cette sensibilisation doit se faire, mais les survivantes doivent comprendre que, si elles soulèvent la question, elle sera réglée rapidement.
Nous devons créer des bureaux de défense des droits des Autochtones dans les hôpitaux. Nous devons permettre aux femmes d’opter pour les services d’une sage-femme ou d’une doula dans leur communauté. Nous devons adopter le projet de loi C-262. Une fois que l’on comprendra que ce sont des droits inhérents aux Autochtones... Voilà ce que nous pouvons faire dès maintenant pour commencer, afin de traiter de la question avec tout le sérieux qu’elle mérite.
La présidente suppléante : Merci beaucoup, et merci à tous les témoins qui se sont présentés aujourd’hui.
(La séance est levée.)