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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 27 - Témoignages du 28 mai 2018


OTTAWA, le lundi 28 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui, à 13 h 2, en séance publique et à huis clos, afin de poursuivre son étude sur les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense et son étude de la teneur des éléments de la partie 4 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, avant de procéder à la présentation de nos témoins, je demanderai à mes collègues sénateurs de bien vouloir se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Richards : David Adam Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

Le vice-président : Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, et j’agirai à titre de président du comité pour remplacer la sénatrice Boniface.

Honorables sénateurs et honorables invités, merci d’avoir accepté notre invitation. Nous recevons aujourd’hui le contre-amiral Jennifer Bennett, directrice générale, Équipe d’intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle, Sanela Dursun, directrice, Soutien au personnel et aux familles, ministère de la Défense nationale et Forces armées canadiennes, ainsi que le colonel David Antonyshyn, juge-avocat général adjoint, Justice militaire, au même ministère.

Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Sans plus tarder, nous allons écouter vos présentations, qui seront suivies d’une période des questions avec les sénateurs. Encore une fois, je vous remercie.

[Traduction]

Contre-amiral Jennifer Bennett, directrice générale, Équipe d’intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui devant le comité pour vous informer de la réponse des Forces armées canadiennes au problème des comportements sexuels inappropriés.

Je dirige l’Équipe d’intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle depuis septembre 2015, après avoir pris cette responsabilité de la lieutenante-générale Whitecross. Comme vous l’avez entendu, je suis accompagnée aujourd’hui du colonel David Antonyshyn, juge-avocat général adjoint, justice militaire, du ministère de la Défense nationale et Forces armées canadiennes et Mme Sanela Dursun, directrice, Soutien au personnel et aux familles (Recherche) du ministère de la Défense nationale et Forces armées canadiennes.

Toute forme d’inconduite sexuelle est une menace pour le moral et l’état de préparation opérationnelle des Forces armées canadiennes. Cela nuit au bon ordre et à la discipline, et c’est inacceptable. Pour cette raison, l’opération HONOUR est une priorité institutionnelle de premier plan et le restera indéfiniment. L’élimination de l’inconduite sexuelle exige l’engagement et l’effort soutenu des membres à tous les niveaux des Forces armées canadiennes, et nous avons adopté une approche opérationnelle qui utilise un langage et des outils qui sont familiers à nos membres et qui sont liés à notre raison d’être fondamentale, soit l’efficacité opérationnelle, ainsi que les principes du travail d’équipe, de la confiance, du respect et du devoir avec honneur.

Notre mission et notre objectif sont clairs, et c’est d’éliminer les comportements sexuels dommageables et inappropriés afin de s’assurer que les femmes et les hommes dévoués des Forces armées canadiennes sont traités avec respect et dignité, sans exception, dans un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination.

[Français]

L’information, les outils, le soutien et l’intervention, la recherche et la collecte de données, la vigilance et la diligence en matière de conduite sont intégrés à tous les niveaux de notre institution. Des discussions initiales au centre de recrutement pour ceux qui envisagent de s’enrôler passent par la formation professionnelle et le leadership, l’instruction préalable au déploiement pour les opérations, les politiques et les programmes, les directives à l’intention des dirigeants, les programmes de soutien, la résolution des conflits et des plaintes, la recherche, les rapports et l’analyse, la police militaire et la justice militaire et la politique de défense intitulée Protection, Sécurité, Engagement.

[Traduction]

Au cours des trois dernières années, dans le cadre de l’opération HONOUR, les Forces armées canadiennes ont pris des mesures sans précédent et ont fait des progrès considérables pour mettre en œuvre les 10 recommandations du rapport Deschamps et améliorer le soutien aux victimes, accroître la sensibilisation à la question ainsi que la compréhension et les répercussions sur nos militaires, mettre à jour les politiques, améliorer l’expertise en la matière des conseillers et de ceux qui fournissent du soutien et de l’aide aux victimes et aux survivants, intégrer les concepts de l’opération HONOUR dans notre éducation et notre instruction, demander aux dirigeants de rendre des comptes concernant leur intervention et leurs actes, prendre des mesures décisives pour dissuader les auteurs d’actes répréhensibles et engager et habiliter tous les membres des Forces armées canadiennes de façon à aborder et à éliminer l’inconduite sexuelle.

Le travail de l’opération HONOUR est étroitement lié à d’autres initiatives clés liées au recrutement et au maintien en poste, à l’augmentation du nombre de femmes dans nos rangs, à la santé et au bien-être global et à la transition, et nous continuons de travailler en collaboration avec d’autres ministères dans le cadre d’initiatives liées à la diversité et à l’inclusion, à l’analyse comparative entre les sexes plus, à la santé mentale et au bien-être, à la violence fondée sur le genre et à la violence et au harcèlement sexuel en milieu de travail.

[Français]

La mesure des progrès et du rendement est un défi pour toutes les institutions qui s’attaquent aux problèmes de harcèlement sexuel et de violence en milieu de travail. À cet effet, nous utilisons la plus vaste gamme possible de mesures, d’outils, de types de preuves, de données et d’engagement pour mesurer la prévalence et la portée des problèmes ainsi que les résultats et l’incidence de nos efforts.

[Traduction]

Au printemps 2016, Statistique Canada a mené une enquête volontaire auprès des membres des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle pendant la période initiale de l’opération HONOUR. Cette enquête a été conçue pour recueillir des renseignements sur la prévalence du problème et comprendre la connaissance des politiques, des programmes et des mécanismes de soutien connexes, ainsi que les tendances en matière de rapport afin d’établir un point de référence pour mesurer l’incidence et l’effet de l’opération HONOUR. La participation à l’enquête a été excellente, et les résultats ont fourni des renseignements essentiels qui ont été utilisés pour cibler nos efforts. L’enquête sera répétée par Statistique Canada de septembre à novembre cette année afin de déterminer les changements qui se sont produits, l’incidence des initiatives à ce jour et les défis ou les lacunes qui subsistent.

[Français]

À l’interne, nous sommes passés de la collecte de données brutes pour les rapports mensuels d’incidents de chaque unité des Forces armées canadiennes à un système électronique entièrement normalisé muni d’une capacité d’analyse commerciale de notre système de suivi et d’analyse des cas de l’opération HONOUR.

[Traduction]

Le Bureau du vérificateur général procède actuellement à une vérification de la réponse des Forces armées canadiennes à l’inconduite sexuelle et publiera son rapport en novembre. Cela nous fournira une évaluation externe de notre travail à ce jour et une occasion de rajuster notre approche en fonction des conclusions et des recommandations.

En septembre 2016, le Grand Prévost des Forces canadiennes a créé des équipes d’intervention en cas d’infractions sexuelles composées d’enquêteurs spécialement formés situées dans tous les coins du Canada. Chaque signalement d’une infraction sexuelle, nouvelle ou passée, fait l’objet d’une enquête par ces équipes spéciales au sein du Service national des enquêtes des Forces canadiennes.

Avant l’opération HONOUR, le nombre de plaintes pour agression sexuelle était en moyenne de 88 signalements par année. Depuis l’opération HONOUR, ce chiffre a augmenté régulièrement et a atteint 277 signalements cette année. En plus des tendances liées au nombre de signalements, nous avons des preuves provenant de la recherche qui indiquent clairement une augmentation de la confiance envers les FAC pour ce qui est de réagir avec fermeté dans de tels cas.

[Français]

Nous sommes déterminés à faire en sorte que les victimes reçoivent le soutien dont elles ont besoin lorsque des incidents se produisent. Les Forces armées canadiennes continuent d’améliorer les ressources et les programmes afin d’assurer le continuum de soins et l’accès à des experts en la matière et du soutien initial à la production de rapports, et ce, tout au long des enquêtes et des processus juridiques, ainsi que des soins de transition et des soins continus. Au cours des derniers mois, nous avons mené une étude auprès des membres survivants, anciens et en service, des Forces armées canadiennes et des gens qui les appuient. Leurs expériences et leurs commentaires nous fournissent des renseignements précieux et éclairent nos efforts.

[Traduction]

Le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle continue d’évoluer. Il s’agit d’une ressource précieuse pour les personnes qui subissent les répercussions de l’inconduite sexuelle, mais aussi pour la chaîne de commandement, qui demande des conseils, de l’aide et de l’information, la validation des mesures prises ou du soutien pour les cas au sein des unités. En juillet dernier, le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle a étendu ses heures d’ouverture pour offrir des services tous les jours, 24 heures sur 24, de façon à maximiser la disponibilité et l’accessibilité. En octobre dernier, la charte de projet du centre a été signée pour remplacer la lettre de mandat intérimaire initiale et pour définir les rôles et les responsabilités de l’organisation.

Indépendamment de l’opération HONOUR, les processus judiciaires militaires sont également en cours d’examen et d’évaluation. Le soutien aux victimes est également au cœur de ce travail. Le 10 mai, le ministre de la Défense nationale a présenté une déclaration des droits des victimes en déposant une loi visant à modifier la Loi sur la défense nationale et à apporter des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Ce projet de loi renforce les droits des victimes au sein du système de justice militaire, tout comme la Charte canadienne des droits des victimes a renforcé ces droits au sein du système civil de justice pénale.

La proposition de Déclaration des droits des victimes du Code de discipline militaire tient compte de l’impact néfaste que les infractions militaires ont sur les victimes, les Forces armées canadiennes et la société. Elle garantit aux victimes d’infractions d’ordre militaire des droits accrus à l’information, à la protection, à la participation et à la restitution, ainsi que le droit de déposer une plainte, si elles estiment que l’un de leurs droits en vertu de cette déclaration a été violé ou nié.

Reconnaissant la nature unique du système de justice militaire, certains aspects de la législation proposée vont au-delà de ce qui est convenu dans la Charte canadienne des droits des victimes. Par exemple, cette loi accorde aux victimes le droit à un agent de liaison avec les victimes, nommé pour les aider à comprendre de quelle façon les infractions d’ordre militaire sont déposées, poursuivies et jugées en vertu du Code de discipline militaire. À compter du 1er septembre 2018, les victimes auront le droit de présenter une déclaration devant la cour martiale, et les cours martiales auront le pouvoir d’ordonner le dédommagement des victimes.

Chaque allégation d’inconduite sexuelle fait l’objet d’un suivi, et les membres des Forces armées canadiennes se sont vu fournir des cours de formation et des ressources, comme notre application mobile Respect dans les FAC, dans le but de les aider à reconnaître les comportements sexuels dommageables et inappropriés, à intervenir en conséquence et à offrir un soutien à ceux et celles qui ont été touchés.

Des progrès considérables ont été réalisés en ce qui a trait à la modernisation, à l’élaboration et à l’adoption de l’instruction et de l’éducation liées à l’opération HONOUR, et ce, à tous les niveaux de l’institution. En outre, depuis le lancement de la formation intitulée Intervention des témoins, en 2017, à l’échelle des Forces armées canadiennes, environ 40 p. 100 des incidents sont maintenant signalés par des tiers.

[Français]

Les progrès réalisés jusqu’à présent sont certainement encourageants, mais nous savons bien qu’il reste encore du pain sur la planche et que des incidents de comportements sexuels dommageables et des infractions sexuelles ont toujours lieu. Voilà pourquoi l’opération HONOUR demeure une priorité de premier ordre pour les Forces armées canadiennes. Notre institution ne sera pas jugée en fonction des promesses qu’elle fait ou des plans qu’elle dresse, mais plutôt en fonction de sa capacité à apporter les changements visés par l’opération HONOUR.

[Traduction]

En outre, nous avons la preuve que ces changements ont lieu, et des exemples démontrent que les choses s’améliorent. Des recherches internes et externes montrent que le niveau de confiance est en hausse. Selon les récents sondages, 85 p. 100 de nos militaires pensent que leurs dirigeantes et dirigeants prennent l’inconduite sexuelle au sérieux, comparativement à 71 p. 100 précédemment. De plus, la vaste majorité des militaires sont d’avis que la culture de la dignité et du respect est imposée au sein de leur unité. Les faits démontrent que les gens sont moins embarrassés de signaler les incidents à la police militaire et à la chaîne de commandement. Dans l’ensemble, le nombre d’inconduites sexuelles signalées a presque doublé, et les membres signalent également des infractions moins graves qui n’auraient pas été déclarées dans le passé.

Pour terminer, je vais citer un sergent qui compte de longs états de service et qui a participé tout récemment à l’un de nos nouveaux programmes de formation intitulé Respect dans les CAF. Il a dit s’être enrôlé en tant que fantassin dans les forces en 1977, lorsqu’elles étaient selon lui plus costaudes et plus redoutables, et, au début de l’opération HONOUR, il a remis en question ce que nous faisions. Il se demandait à qui le programme s’adressait et qui était à blâmer. Cependant, après avoir participé au programme, il a rédigé un article pour le journal de la base dans lequel il a présenté son point de vue, qui reflète la vision du chef d’état-major de la Défense quant à ce que nous essayons de réaliser dans le cadre de l’opération HONOUR.

Je cite le sergent :

Le vieux soldat que je suis a appris quelque chose. Nous avons besoin d’hommes et de femmes dont la personnalité est de type alpha pour qu’ils mènent, mais leur culture doit changer pour qu’ils soient capables de se mettre dans la peau d’une victime, de lui offrir le soutien dont elle a besoin et de reconnaître que quand on prend des mesures, il ne s’agit pas de moucharder les camarades, mais plutôt d’éliminer les comportements destructifs. Il en résulte une unité, une organisation et des FAC plus efficaces, plus diversifiées et plus conciliantes.

Cet atelier offert aux FAC à l’échelle nationale vise à modifier les attitudes et les comportements ainsi qu’à établir un climat et une culture où règne le respect. À mon avis, il a atteint son objectif et le fait très bien d’ailleurs. J’étais préoccupé par la direction que prenaient ces forces armées qui me tiennent à cœur. Grâce à ce cours, je sais qu’elles apportent des améliorations dont tous vont profiter. Je recommande vivement la participation à cet atelier. Il s’agit simplement d’une question de respect mutuel dans les Forces armées canadiennes.

Merci.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Bennett, de votre présentation.

Sans plus tarder, nous allons passer à la période des questions. J’inviterais la sénatrice Jaffer à poser la première question.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présence aujourd’hui. Je tiens à vous remercier du travail que vous faites. Vous avez de toute évidence fait des progrès, cela ne fait aucun doute. Je vous remercie de nous avoir fourni vos notes, parce que nous avons ainsi pu vous suivre plus facilement.

J’ai beaucoup de questions à ce sujet, et le président m’interrompra le moment venu.

Je veux commencer par certaines choses que vous avez dites. Vous avez parlé de la capacité d’assurer la prestation du programme et avez dit que la façon dont vous le ferez est très importante. Dans le paragraphe où vous avez parlé de « réagir avec fermeté dans de tels cas », l’une des choses que j’ai entendues des hommes et des femmes avec lesquels vous travaillez, c’est qu’il faut aussi le faire vite, et pas seulement parce que la carrière des gens est en jeu.

À la fin, vous avez parlé de la culture. En fait, j’étais membre du groupe le mois dernier en compagnie de la lieutenante-générale Whitecross. Elle et moi n’étions pas d’accord. Nous n’étions pas d’accord parce qu’elle a dit que c’était une question de culture, et qu’il faut du temps pour changer la culture. Je ne veux pas que vous commentiez ce qu’elle a dit, parce que ce ne serait pas équitable pour elle vu que vous n’étiez pas là pour entendre ce qu’elle a dit, mais j’étais très en colère parce qu’elle croyait qu’il s’agissait d’une culture et qu’il faudrait du temps pour que les choses changent.

Je suis heureuse d’avoir entendu ce que vous aviez à dire, mais j’aimerais vous entendre sur — je l’ai entendue dire qu’il s’agit d’une culture et qu’il faudra du temps pour qu’elle change… Comment puis-je dire à une jeune fille — et il y en a beaucoup dans ma province qui veulent faire le même excellent travail que vous faites — qui veut se joindre à l’armée : « Oui, il faudra quelques années pour que la culture change, et tu vas peut-être te faire faire du mal. C’est juste un processus »? Je n’aimerais pas avoir à lui dire ça. Je veux que la culture change maintenant. J’aimerais savoir, puisque vous êtes la personne responsable, maintenant, quel est votre avis.

Cam Bennett : Merci de la question. Permettez-moi d’aborder un certain nombre d’enjeux en réaction à votre préoccupation sur la culture. Tout dépend de la façon dont les gens définissent les changements qui doivent se produire. Bien sûr, c’est beaucoup plus facile de changer un comportement — c’est plus immédiat —, mais ce n’est pas nécessairement durable. On peut donc s’attaquer à la question et se concentrer uniquement sur la dissuasion, ce que nous faisons, mais il faut aussi s’intéresser aux causes sous-jacentes, et se demander pourquoi de telles choses se produisent et comment il se fait qu’on n’a pas réagi.

Nous avons eu besoin d’un certain temps pour étudier cela. Notre première enquête de Statistique Canada nous a fourni un bon point de référence. Notre deuxième nous aidera à comprendre. Nous avons continué d’effectuer des recherches; ma collègue peut en parler. Toutefois, nous avions besoin de prise de conscience et de compréhension.

En même temps, certaines personnes font valoir que les Forces armées canadiennes ont été bâties sur une solide fondation de principes et un éthos. Devons-nous changer la culture complètement ou bien plutôt réaffirmer ces valeurs en fonction desquelles nous servons? Les principes comme le respect de la dignité de tous, l’idéal de servir… Tous ces aspects.

Même s’il faut du temps pour changer la culture et changer une organisation, nous n’attendons pas pour changer la culture d’un seul coup. Nous prenons des mesures, des mesures de dissuasion, et nous réagissons au comportement et à la conduite.

Il est aussi très difficile d’examiner ce type de comportement ou de conduite de façon distincte, sans tenir compte de toutes les formes de harcèlement et de discrimination.

Donc, je pense que nous bâtissons sur une très solide fondation. Nous ne retardons assurément pas le changement de culture ni ne le considérons comme un obstacle. Nous réagissons aux comportements et aux causes sous-jacentes.

Ce qu’il vous faudra du temps pour étudier, c’est ce qu’est le modèle culturel et comment nous l’expliquons à d’autres. Comme je l’ai dit, les Forces armées canadiennes reposent sur des valeurs qui respectent et reflètent la société canadienne.

Je pense donc que cela dépend de la façon dont vous mesurez les choses et de ce que vous faites. Je tiens à vous assurer que nous n’attendons pas avant d’agir et que nous n’utilisons pas cela comme excuse. Le changement de culture évolue à mesure que nous abordons cette question.

La sénatrice Jaffer : De mon point de vue, je veux que de nombreuses jeunes femmes réussissent là où vous avez réussi — ce qui est incroyable dans l’ère actuelle; elles sont fières de ce que vous avez fait — et c’est de pouvoir rêver.

Durant leurs deux premières années de service, si elles font face à des difficultés en matière de harcèlement, ce que les jeunes femmes me disent — parce que je m’associe beaucoup à elles et je suis également des formations, puisqu’il y a une formation parlementaire —, c’est qu’elles en payent le prix si elles se plaignent. Ce sont elles qui doivent quitter le service. Comment mettons-nous un frein à cela?

Cam Bennett : Ce n’est pas seulement une question qui touche les femmes. C’est une question qui touche l’ensemble des forces. Cela va des minorités visibles jusqu’aux femmes, en passant par les personnes qui n’ont pas toujours la meilleure représentation ou les mêmes nombres.

Cela tient à un certain nombre d’aspects. L’un d’eux, c’est qu’elles ont besoin de pouvoir se voir et de voir leur réussite dans le service, et pour ce faire, elles doivent être en mesure de voir les possibilités. C’est pourquoi nous changeons notre approche en matière de recrutement et d’attraction, pas seulement pour les femmes, mais pour les Autochtones et les minorités visibles, de sorte que les gens puissent voir à quoi ressemble la réussite pour les personnes qui leur ressemblent ou les groupes auxquels ils appartiennent.

Pour nous, lorsqu’on traite précisément de harcèlement sexuel et de comportement sexuel dommageable et inapproprié, la conversation commence au centre de recrutement, avant même qu’une personne se joigne aux rangs. Nous discutons de ce qu’il faut pour être membre des Forces armées canadiennes, de la conduite qui est attendue. Cela suppose des choses simples comme se lever tôt le matin, cirer ses chaussures et prendre soin de sa personne, mais aussi les conversations au sujet de nos membres et de l’appartenance à la profession des armes.

Les membres signent aussi maintenant des renonciations pour qu’on s’assure qu’ils comprennent l’engagement et la façon dont ils en seront tenus responsables. Cela se poursuit aussi durant l’instruction des recrues et la formation de base, que vous suiviez une formation de base des officiers ou l’instruction des recrues à Saint-Jean, où ces principes sont renforcés. De toute évidence, lorsqu’une personne est nouvelle, les possibilités ou les explications sont peut-être plus nombreuses à cet égard. Les personnes sont tenues responsables.

Pour revenir à votre question précédente, nous prenons des mesures rapides. Cela commence lorsqu’une personne vient nous voir et a le courage de venir dénoncer. Donc nous encourageons et habilitons les personnes et nous leur fournissons les outils pour qu’elles reconnaissent les faits et soient en mesure de dénoncer une personne, puis prenons les mesures rapides qui s’imposent.

Je suis d’accord pour dire que nous devons faire en sorte d’être un employeur de choix, et ce, pour l’ensemble des aspects, peu importe que ce soient les soins de santé et la façon dont on s’occupera d’eux à la suite d’une blessure ou d’un problème de santé mentale. Qu’arriverait-il dans un cas de harcèlement ou d’autres incidents du même type? Nous nous assurerions qu’ils comprennent nos valeurs et nos principes, quels sont les comportements attendus et quelles seront nos réactions et notre suivi.

La sénatrice Jaffer : J’étais présente au comité lorsque le chef d’état-major de la Défense a parlé de l’opération HONOUR, et je le respecte vraiment pour son leadership à cet égard, et pour le vôtre, mais ma difficulté, en tant que membre du Comité de la défense, c’est que je ne sais pas comment voir les progrès que vous avez réalisés. Je sais que cela fait seulement un an, mais nos plus récentes données quantitatives proviennent de rapports de Statistique Canada de la fin 2016, et on n’a pas vraiment effectué de recherche indépendante fondée sur des données probantes sur l’efficacité des programmes de l’opération HONOUR, comme le recommandait le rapport de Marie Deschamps.

Cela me pose vraiment des difficultés. J’espère que vous pouvez me dire comment je peux y arriver. Comment faisons-nous une évaluation? J’ai compris. Le chef d’état-major de la Défense et vous avez l’engagement, j’ai compris, mais je parle aussi aux gens qui travaillent dans les Forces armées canadiennes. Ils ne voient pas les choses comme vous. Je me retrouve donc entre deux chaises pour savoir comment faire une évaluation. Où puis-je obtenir l’information dans le cadre du Comité de la défense, et quand les Canadiens peuvent-ils attendre le prochain bilan?

Désolée, ce sont beaucoup de questions.

Cam Bennett : Je peux y répondre. Nous continuons d’employer une approche transparente et nous produisons des rapports mensuels de statistiques et d’incidents qui apparaissent sur le site web de l’opération HONOUR. Notre prochain rapport d’étape sera publié cet été. Des rapports annuels sont également publiés par le grand prévôt et le juge-avocat-général, qui a des renseignements liés à l’opération HONOUR. Nous avons mené à l’interne des recherches dont Mme Dursun peut parler.

Pour ce qui est de fournir des renseignements et de permettre aux gens de les évaluer, nous avons continué de le faire et avons l’impression que c’est un des principes clés en ce qui concerne la fourniture de ces renseignements.

Encore une fois, le fait de mener les examens constamment perturbe dans une certaine mesure les progrès. En ce moment, comme je l’ai dit, le BVG procède à son examen. Il l’a entrepris l’automne dernier. Il l’a commencé il y a un an et a eu l’impression que c’était trop tôt pour évaluer les choses, donc le rapport du BVG sera disponible le 20 novembre. En le répétant tous les deux ans, Statistique Canada va nous donner du temps pour mettre en œuvre des changements ou des politiques et des programmes.

Si vous souhaitez obtenir plus de renseignements sur la recherche interne qui est accessible et est en cours de publication, nous consultons des experts en la matière dans d’autres domaines, comme le milieu universitaire.

Un signe dont je peux vous faire part, c’est que la Nouvelle-Zélande n’a pas lancé de programme; elle a pris l’opération HONOUR dans son intégralité et l’a rebaptisée « opération RESPECT », et elle la met en œuvre parce qu’elle juge que c’est un bon modèle.

Il est aussi parfois difficile de comprendre ce que nous faisons, parce que nous employons une approche opérationnelle qui est logique pour nos membres à cet égard. Donc, lorsque vous lisez « opération HONOUR » dans des ordres fragmentaires, ceux-ci ne sont pas nécessairement logiques. Mais nous continuons de préparer des rapports réguliers, en rendant également des comptes au Parlement, en fournissant une mise à jour des renseignements à notre ministre et en recherchant des occasions de fournir des renseignements, comme celle-ci.

La sénatrice Jaffer : Merci. C’est très utile.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. D’abord, je tiens à souligner le travail acharné des Forces armées canadiennes pour résoudre un problème endémique. On a vu au Québec certains procès de femmes militaires qui ont dû se battre contre des jurys strictement constitués d’hommes militaires, ce qui m’apparaît tout à fait inacceptable.

On parlait tantôt de changement de culture, et tout changement de culture passe par la transparence. Lorsque je dis aux citoyens et citoyennes que les Forces armées canadiennes font des efforts louables pour traiter les cas d’agression sexuelle, surtout envers les femmes, ils ne comprennent pas pourquoi ces cas sont encore traités par des tribunaux militaires. Plusieurs pays traitent maintenant ces cas dans des tribunaux civils. Je pense à la France, entre autres.

Ne croyez-vous pas que, si vous voulez vraiment faire preuve de transparence, les cas d’agression sexuelle contre les femmes dans les Forces armées canadiennes devraient être traités par les tribunaux civils plutôt qu’à l’intérieur des forces armées qui, souvent, manquent de transparence?

Colonel David Antonyshyn, juge-avocat général adjoint, Justice militaire, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Je vous remercie, sénateur Boisvenu. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. C’est ma première comparution devant un comité sénatorial. Je prends cela très au sérieux. Je vous remercie du service que vous rendez au Canada.

Il y a plusieurs éléments dans cette question. J’ai donc plusieurs éléments de réponse, que je vais essayer de garder les plus brefs possible. Tout d’abord, c’est en vertu de la Loi sur la défense nationale que les tribunaux militaires ont juridiction en ce qui concerne les questions d’agression sexuelle et autres crimes de nature sexuelle. C’est une décision parlementaire qui a donné ce pouvoir aux Forces armées canadiennes en 1998 en ce qui a trait aux infractions qui ont lieu au Canada; ce pouvoir existait déjà pour tout crime commis à l’extérieur du Canada.

Les débats parlementaires à l’époque sont relativement courts quant au raisonnement de cette décision, mais, grosso modo, on peut voir qu’à cette époque les Forces armées canadiennes exerçaient déjà ce pouvoir à l’extérieur du pays, par exemple, en Allemagne, où elles avaient des troupes. Elles se sont dit qu’il était tout simplement logique que cette autorité existe également au Canada. La raison d’être du système de justice militaire, comme la Cour suprême l’a reconnu, est le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes, et ce, par rapport à toute conduite, qu’elle ait lieu ou non sur une base militaire.

Voilà donc la logique derrière la loi et la volonté parlementaire de veiller à ce que les Forces canadiennes aient à leur disposition un système judiciaire qui permette de renforcer la discipline et le moral. Les infractions de nature sexuelle affectent directement le moral. Elles affectent le lien de cohésion entre les troupes et aussi la discipline. Il y a un lien logique derrière cet exercice de juridiction, non seulement pour des cas d’insubordination, mais aussi lorsqu’il y a manque flagrant de respect envers les membres des Forces canadiennes.

La juridiction civile par rapport à la juridiction militaire est une question qu’on entend souvent. Je pratique le droit militaire, en uniforme, depuis 20 ans. Les victimes et survivants d’agressions sexuelles et d’autres crimes sexuels ont le choix de l’endroit où ils veulent déposer leur plainte. Il n’y a aucune obligation de s’adresser aux forces policières civiles ou militaires. Le choix appartient à la victime. L’enquête sera souvent déterminée par l’entité qui a été saisie de la question. Certains cas d’agression sexuelle font l’objet d’une enquête par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes et sont transmis aux autorités civiles où ils font l’objet de procès civils.

Le sénateur Boisvenu : Ce choix est-il récent ou historique?

Col Antonyshyn : Le choix est historique.

Le sénateur Boisvenu : Prenons le cas de cette jeune femme de Québec qui a dû se battre pour faire reconnaître ses droits. L’officier en cause a été déclaré innocent et elle a dû revenir. Cette expérience a été pénible pour elle.

J’ai parlé à des victimes, et elles m’ont dit qu’elles n’avaient pas droit de parole dans les forces armées. C’est la Charte des droits des victimes qui va bientôt leur donner du soutien et un droit de parole. Les victimes étaient carrément écartées du processus judiciaire. Tout l’accent était mis sur le tribunal militaire. Les victimes n’avaient pratiquement pas droit de parole, si ce n’est que pour venir témoigner lors des procédures — et on ne peut s’y opposer.

Quand vous laissez le choix aux victimes qui, souvent, ne font plus partie des forces armées lorsqu’elles portent plainte, et lorsque ces personnes sont très mal informées, ce ne devrait pas être un choix. Lorsqu’un militaire sera victime d’agression sexuelle, le tribunal civil apportera une équité entre les hommes et les femmes qui seront membres du jury. Pour les prochaines accusations qui seront portées dans les forces armées, assurerez-vous aux victimes féminines une parité homme-femme dans le choix des jurés?

Col Antonyshyn : Votre question comporte plusieurs éléments.

Le sénateur Boisvenu : Parlons de la parité homme-femme au sein d’un jury militaire. Les victimes féminines seront-elles assurées de cette parité?

Col Antonyshyn : En ce moment, le système de détermination de ce que constitue un comité, soit l’équivalent d’un jury, se fait par l’administratrice de la cour martiale. Le processus est géré par une personne nommée en vertu de la Loi sur la défense nationale, qui relève du juge militaire en chef. Cette personne est indépendante de l’exécutif des forces armées canadiennes. Le processus est aléatoire et se base sur les membres des Forces canadiennes. Il n’existe aucune règle, à l’heure actuelle, qui indique que tel type de victime ou telle personne qui vient de telle communauté doit avoir une représentation en particulier. Tout se fait de manière aléatoire. Ce sont les règles qui existent à l’heure actuelle.

Le sénateur Boisvenu : Vous comprenez que, pour une femme qui a été agressée, le fait de se trouver devant un jury composé strictement d’hommes est intimidant.

Col Antonyshyn : Effectivement. Toutefois, le processus ne prévoit pas de ratio, il est plutôt aléatoire.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce réglementaire ou légal? L’armée pourrait-elle, d’elle-même, changer le règlement et faire en sorte que, dorénavant, lorsqu’il s’agira d’un crime de nature sexuelle, le tribunal sera composé de 30 ou 40 p. 100 de personnel militaire féminin?

Col Antonyshyn : Ce n’est pas à l’autorité du chef d’état-major de décréter un tel processus. Il faudrait consulter l’administratrice de la cour martiale et le juge militaire en chef, et suivre un processus réglementaire pour aller de l’avant en ce sens.

Vous avez mentionné quelque chose concernant le droit des victimes et les victimes qui étaient ignorées. L’évolution dans la société, en général, est relativement récente. La Charte canadienne des droits des victimes date de 2015 et non de 1955. Les droits des accusés par rapport aux intérêts de l’État sont les deux principes fondamentaux dans notre système de justice canadien. L’apport et la considération des droits des victimes...

Le sénateur Boisvenu : Il est là, le déséquilibre : entre les droits des victimes et les droits des criminels. Les victimes ne sont pas représentées lors d’un procès. C’est l’État qui est représenté.

Col Antonyshyn : Tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : Le criminel est représenté par son avocat.

Col Antonyshyn : Oui.

Le sénateur Boisvenu : C’est ce qui cause le déséquilibre pour les victimes dans le processus judiciaire au Canada.

Col Antonyshyn : C’est aussi vrai dans le système civil que dans le système militaire.

Le sénateur Boisvenu : Vous y croyez tellement que vous allez offrir un soutien aux victimes.

Col Antonyshyn : Oui.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais aussi qu’il existe au civil.

Col Antonyshyn : Tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : Vous comprenez?

Col Antonyshyn : Exactement. Le système évolue. On travaille également à trouver d’autres options. Le directeur des poursuites militaires, déjà en 2016, et le grand prévôt, donc le chef de la police militaire, ont mis en place des mesures concrètes, avant même la législation, pour donner l’instruction à leur personnel de tenir compte du point de vue des victimes. On tient compte aussi de l’endroit où la victime a porté plainte. Une fois la plainte déposée, le procureur des poursuites militaires a l’obligation de s’assurer que la cour martiale est le meilleur forum, en considérant entre autres le point de vue de la victime. Cette pratique a lieu en ce moment. Le processus est-il parfait? Non, car tout est perfectible. Toutefois, des efforts concrets ont été faits.

Le nombre de plaintes vers le système de cour martiale augmente. Je n’ai pas de statistique sur ce que j’avance, mais, de façon anecdotique, des gens qui avaient le choix ont préféré le système de cour martiale. Je peux comprendre que d’autres préfèrent le système civil. Il est important de noter que leur point de vue est examiné. Nous ne sommes plus en 1955 ou en 1965. Les choses ont évolué et suivent leur cours en ce sens.

Le sénateur Boisvenu : Colonel Antonyshyn, vous êtes un très bon témoin.

Le vice-président : Ma question est complémentaire à celle du sénateur Boisvenu. Certains ont dit au comité qu’il y avait une certaine résistance à l’interne concernant l’opération HONOUR. Avez-vous des exemples de gens qui ont résisté à cette opération? Dans l’affirmative, est-ce que des mesures ont été prises à l’endroit de ces personnes qui s’y opposaient, à votre connaissance?

Col Antonyshyn : Je peux répondre de façon partielle. Depuis 2016, on a vu des cas de gens qui ont été accusés d’infractions de nature sexuelle. On parle d’agressions sexuelles, mais également de commentaires inappropriés, chose qui ne serait pas considérée une infraction en droit civil. Ces gens se sont-ils opposés à l’opération HONOUR? Peut-être. Toutefois, ce sont des gens qui ne se sont pas conformés aux attentes et qui ont dû en subir les conséquences. Je n’ai pas fait d’études statistiques ou démographiques concernant la perception. La contre-amirale Bennett est certainement en meilleure position pour répondre à cette question, mais ma perception au jour le jour est qu’il y a définitivement un soutien pour l’opération HONOUR. La contre-amirale Bennett en a les statistiques concrètes.

Le vice-président : Si vous ne les avez pas avec vous, pourriez-vous nous les faire parvenir? À moins que vous les ayez avec vous en ce moment.

[Traduction]

Cam Bennett : J’ai quelques exemples. Je sais que vous êtes très au courant, en raison des témoignages précédents, des commentaires qui ont été formulés, même au sujet du nom « opération HONOUR », au Collège militaire royal. Nous nous en sommes immédiatement occupés. Ces types de commentaires et des gens qui disent « grimpe sur elle » et d’autres choses… Le CEMD vous dira, comme tous les autres chefs, que c’est exactement la raison pour laquelle nous devons nous montrer persistants dans nos efforts. C’était un moment d’enseignement. Nous continuons de le faire.

Nous prenons des mesures immédiates, que ce soit lorsqu’il y a un incident ou un soupçon lié à une conduite ou lorsqu’une personne n’appuie pas l’opération HONOUR, ne croit pas en celle-ci ou la dénigre. Nous avons démis des gens à des postes de commande, de leadership, de supervision et d’instruction, parfois de façon temporaire pendant la conduite d’une enquête, mais aussi de façon permanente.

Nous avons pris des mesures relativement à la carrière de membres des Forces canadiennes et nous n’employons pas seulement les mesures disciplinaires prévues par notre système judiciaire; nous appliquons aussi des mesures administratives et correctives.

Pour revenir à la question posée précédemment, une des raisons pour lesquelles les membres militaires vont choisir les tribunaux militaires pour intenter des poursuites, c’est parce que nous allons prendre des mesures relatives à la carrière. S’il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour condamner une personne pour des accusations d’infraction disciplinaire, nous pouvons toujours prendre des mesures administratives, et nous l’avons fait. Qu’il s’agisse de personnes qui manquent de respect et dénoncent des gens, d’une conduite ou d’un comportement inapproprié, d’incidents comme ceux dont nous avons entendu parler au sujet du nom de l’opération HONOUR ou du fait de ne pas croire en notre travail ou de le miner, des mesures sont prises par la chaîne de commandement, et des gens ont été tenus responsables, et cela va jusqu’à la libération des Forces armées canadiennes.

[Français]

Le vice-président : J’aimerais poser une question complémentaire à celle du sénateur Boisvenu.

Il y a quelques semaines, l’ex-colonel Michel Drapeau a comparu devant notre comité. Ce dernier appuyait l’idée que les agressions sexuelles ne fassent pas nécessairement l’objet d’une enquête par un tribunal militaire, mais qu’elles fassent plutôt l’objet d’une enquête par un tribunal civil.

Pour ceux qui opposent le plus de résistance à l’opération HONOUR, une agression sexuelle est-elle considérée comme une affaire disciplinaire ou bien comme une affaire criminelle?

Col Antonyshyn : Merci de votre question. Cette question revient constamment en ce qui a trait à notre terminologie et à la terminologie civile.

Ce que nous appelons le « Code de discipline militaire », que l’on retrouve dans la Loi sur la défense nationale, est de nature criminelle et pénale. Le Code de discipline militaire inclut, par renvoi, toute infraction à toute loi fédérale, comme le Code criminel et d’autres lois de même nature.

Un procès devant une cour martiale est un procès de nature criminelle, même si on l’appelle un procès disciplinaire. Lorsqu’un employeur parle de discipline, on parle d’un processus interne et administratif. Ce n’est pas de ce dont il s’agit lorsqu’on parle du Code de discipline militaire; on parle bien d’un procès avec des conséquences pénales.

Les mesures administratives que les Forces armées canadiennes peuvent imposer à titre d’employeur et qui peuvent inclure des sanctions comme un avertissement ou la libération des Forces canadiennes font partie d’un processus parallèle, de la même façon que lorsqu’un employé est soupçonné d’avoir volé et que l’employeur peut décider d’intenter un procès à cette personne.

Au sein des Forces canadiennes, les deux institutions coexistent : l’institution judiciaire et l’institution à titre d’employeur. Lorsque quelqu’un fait face à un crime d’agression sexuelle, c’est un crime. Et lorsque la personne est trouvée coupable, son information est ajoutée au Registre national des délinquants sexuels et son ADN est ajouté à la Banque nationale de données génétiques.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais poser une question complémentaire.

Les données criminogènes des Forces armées canadiennes sont-elles acheminées à Juristat relativement à l’ensemble des statistiques sur la criminalité au Canada?

Col Antonyshyn : Toute information de nature criminelle, y compris les empreintes digitales, est acheminée au Centre d’information de la police canadienne.

Le sénateur Boisvenu : Lorsque Statistique Canada fait état des données statistiques sur la criminalité, les données sur les crimes commis au sein des Forces armées canadiennes sont-elles incluses dans ces statistiques canadiennes?

Col Antonyshyn : Je ne le sais pas; il faudrait le demander à Statistique Canada.

Le sénateur Boisvenu : Ces statistiques proviennent des services de police de chacune des provinces pour tous les crimes déclarés et sont envoyées à Juristat. Les Forces armées canadiennes envoient-elles chaque année la liste des crimes qui ont été commis et les condamnations qui y sont reliées afin que cela puisse faire partie des statistiques canadiennes sur la criminalité?

Col Antonyshyn : Je ne veux pas vous induire en erreur; nous allons prendre note de la question.

Je peux toutefois vous dire que, de manière claire, l’information est compilée et partagée avec tous les autres services de police. Quant à savoir si ces données sont acheminées à Statistique Canada, c’est une autre chose.

Je terminerai en précisant un point, à savoir que l’ordre de grandeur est assez réduit, puisqu’on parle de quelques centaines de cas, comparativement à des dizaines de milliers de cas pour l’ensemble du Canada; il faut aussi tenir compte de cela.

[Traduction]

Cam Bennett : Nous publions les résultats des procès sommaires et des cours martiales. Ils sont rendus publics et sont accessibles en ligne et dans les rapports annuels. Ils figurent aussi dans les rapports que j’ai mentionnés plus tôt à la sénatrice Jaffer où, chaque mois, tout cela était au départ déclaré. Chaque trimestre, nous disposons maintenant des renseignements au sujet des accusations, des conclusions, des peines concernant les procès sommaires et de nos cours martiales.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Les statistiques concernent-elles seulement les accusations retenues ou toutes les plaintes qui sont déposées?

[Traduction]

Cam Bennett : Les statistiques que je coordonne ont trait aux infractions à caractère sexuel ou aux incidents de nature sexuelle, mais les rapports sur notre système de justice militaire — ainsi que ceux du grand prévôt — comprennent tous les types de plaintes et d’incidents.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Merci beaucoup du service que vous rendez à notre pays.

On a peut-être déjà répondu à cette question, mais je m’interroge au sujet du degré de gravité des plaintes. Vous avez dit qu’il y a eu l’an dernier 277 plaintes, et je me demande quel en est le degré de gravité. Elles sont toutes graves, bien sûr, mais quel est le degré de gravité, sur une échelle qui va de l’intimidation et du langage sexuel inapproprié à des agressions physiques?

C’est peut-être un peu difficile pour moi de le dire, parce que toute agression sexuelle est horrible, mais vous dites que 40 p. 100 des plaintes proviennent maintenant d’un tiers, c’est-à-dire qu’un tiers dépose la plainte. Il est possible que cela prenne des allures orwelliennes. Il est possible que vous appréhendiez le mauvais homme ou la mauvaise femme. Je me demande comment vous pouvez vous assurer que cela ne se produit pas dans ces cas, c’est tout. Je pense que c’est une question honnête, mais je vous laisse le soin d’y répondre.

Col Antonyshyn : Nous pouvons travailler en équipe.

Cam Bennett : Nous avons des statistiques et nous faisons le suivi. Il y a une différence entre les incidents et les infractions. Nous faisons le suivi des rapports d’incident. Quelqu’un peut se présenter à sa chaîne de commandement et signaler une blague ou un type de harcèlement, mais nous faisons aussi le suivi des infractions criminelles. Je peux vous donner quelques exemples. Nous publierons, dans notre rapport d’étape à paraître, le dernier rapport de l’exercice, mais ces incidents font aussi l’objet de suivi par la police militaire et figurent dans le dernier rapport annuel du grand prévôt.

Nous faisons le suivi de ce que nous appelons les comportements sexuels inappropriés, les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel, les outrages à la pudeur, la pornographie infantile, le voyeurisme, l’abus de pouvoir, les contacts sexuels et l’exploitation sexuelle. La catégorie des agressions sexuelles comporte les sous-catégories suivantes : agression sexuelle grave, agression sexuelle armée causant des lésions corporelles et crimes sexuels. Nous avons d’autres types de crimes sexuels, notamment l’incitation à des contacts sexuels. Comme je l’ai dit, nous faisons le suivi par crime particulier.

Pour répondre à votre deuxième question, nous avons amélioré les compétences de nos enquêteurs — comme l’ont fait les policiers civils — en partie dans le but de nous assurer que les enquêtes sont très approfondies et effectuées par des experts en la matière. Il s’agit non pas uniquement de l’enquête portant sur l’auteur, mais aussi des soins aux victimes, alors des soins axés sur la victime et tenant compte des traumatismes sont fournis.

Nos enquêtes sont très approfondies. L’un de nos problèmes — comme l’a mentionné la sénatrice Jaffer — tient au temps qu’il faut pour mener une enquête vraiment exhaustive; c’est la même chose dans le système civil.

Dans les cas de plaintes formulées par un tiers, on lance tout de même une enquête, mais on a besoin de la collaboration et des déclarations de la victime. Toutefois, ce qui arrive maintenant, c’est que, dans certains cas, cela pourrait encourager la victime à prendre cette mesure ou à se manifester. Même sans déclaration de la victime, nous enquêtons sur le type de conduite ou sur ce qui a pu se produire dans le milieu de travail à cet égard.

Je peux vous assurer que les enquêtes sont très approfondies.

Nous faisons des recherches sur les fausses plaintes, et effectuons un suivi à cet égard, quand de telles plaintes sont présentées, et les pourcentages de ces types de plaintes sont peu élevés chez nous, chez nos alliés et dans la société.

Le sénateur Richards : Je suis certain qu’ils sont faibles, mais je me disais simplement que c’était une question que je devrais poser.

Cam Bennett : Elle est très valide.

Le sénateur Richards : Il y a un certain temps, un avocat est venu présenter un témoignage. Je lui ai posé la question suivante : si une jeune dame se faisait agresser sexuellement à la BFC Gagetown, par exemple, et qu’elle sortait de la base pour se rendre aux services de police ou à la GRC d’Oromocto et formulait la plainte, l’enquête et le procès pourraient-ils avoir lieu dans le système civil? Il a répondu par la négative, qu’on la ramènerait à la base.

Pouvez-vous clarifier cette réponse pour moi?

Col Antonyshyn : Oui. Le colonel Drapeau et moi avons un grand respect l’un pour l’autre, mais, concernant cette question, je crois que c’est inexact. La compétence est commune. Ni le système militaire, ni le système civil n’a préséance. Les deux forces policières ont compétence pour enquêter sur tout crime commis au Canada sous le régime du Code criminel. Les tribunaux civils et militaires ont compétence pour instruire une affaire d’agression sexuelle. C’est vraiment une question de la première autorité d’enquête saisie de l’affaire, puis ce pourrait également être une question que les procureurs des côtés civil et militaire doivent trancher, éclairés par le point de vue de la victime. Toutefois, des affaires de nature sexuelle font couramment l’objet d’enquêtes par la police militaire et d’accusations portées en ville. Voilà l’interprétation de la loi.

Le sénateur Richards : D’accord. Merci.

Cam Bennett : Le contraire se produit également dans le cas de la compétence, et il s’agit du facteur qui complique la situation pour les témoins. Si un événement est survenu à Gagetown ou à Wainwright, à un endroit où on tient des exercices militaires dont les participants viennent de partout au Canada, parfois, la police civile transfère l’affaire à la police militaire parce qu’elle paiera pour faire venir des témoins par avion afin de prendre leur déposition.

Certaines affaires vont et viennent entre les deux systèmes.

Pour en revenir à votre première question, je voudrais vous assurer que le grand prévôt travaille avec beaucoup de diligence sur des affaires non fondées et en examine. À l’époque qui a précédé le rapport Deschamps — entre 2010 et 2015 —, 28,89 p. 100 des affaires liées à des infractions d’ordre sexuel n’étaient pas fondées. Une fois que nous avons mis beaucoup plus de rigueur dans l’examen — entre 2015 et 2017 —, cette proportion est passée à 14,57 p. 100, et elle continue de diminuer. Je suis sur le point de recevoir du grand prévôt les chiffres pour 2018.

Il envisage également l’établissement d’un modèle appelé le modèle de Philadelphie, qui suppose non seulement un examen interne des affaires, mais aussi une approche communautaire, où d’autres membres examinent les affaires non fondées. Il s’agit d’une autre solution de dépannage dont nous disposons dans le cadre des examens.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

[Français]

Le vice-président : Je vais donner la parole à la sénatrice McPhedran, suivie du sénateur Oh, mais je tiens à vous faire remarquer qu’il nous reste environ sept à huit minutes.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : J’ai un certain nombre de questions à poser, mais le président n’a pas prévu deux séries de questions, alors je devrai être brève. Le temps dont je dispose est extrêmement limité, tout comme celui du sénateur Oh. Alors, je vais concentrer mes questions en les posant à vous tous, en commençant par vous, madame le contre-amiral Bennett. Quelle est la différence entre ce que vous avez décrit aujourd’hui, qui — à ce que je crois savoir — est en grande partie lié au Canada, et ce qui arrive dans le cadre de déploiements? Où sont les différences? Les améliorations dont vous parlez aujourd’hui sont-elles transposées dans la même mesure et de la même manière dans le cadre de déploiements?

Cam Bennett : Oui. L’amélioration commence dès notre formation préalable au déploiement, grâce à l’accès à l’information et aux ressources. Nous avons cerné certaines lacunes, qui variaient selon que les Canadiens étaient déployés individuellement ou avec des militaires d’autres pays. Les trousses d’examen consécutif à une agression sexuelle sont un exemple; aucune norme ne s’appliquait au prélèvement des éléments de preuve ou à la protection de leur intégrité. Nous avons réglé ce problème pour les membres des Forces armées canadiennes déployés à l’étranger.

En outre, la formation que nous offrons avant les déploiements est bien plus complète pour ce qui est d’informer et de mobiliser les membres et de leur fournir ces renseignements à l’avance.

Notre application Respect dans les FAC comporte un géolocalisateur qui montre les ressources civiles et militaires situées à tous les endroits où des membres des Forces armées canadiennes sont employés et déployés. Cela comprend les lieux à l’étranger.

Nous déployons également des policiers militaires, si possible, dans le cadre du contingent, et ils ont une trousse d’examen consécutif à une agression sexuelle et une trousse d’intervention à disposition.

On peut toujours avoir recours à l’appui extérieur offert au Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle afin d’obtenir des ressources canadiennes et des conseils. Il y a également nos membres qui sont stationnés dans nos zones de liaison avec la défense, en Europe et partout dans le monde.

La sénatrice McPhedran : En ce qui concerne la collecte de renseignements que vous effectuez dans le but de tenter d’évaluer la mise en œuvre de l’opération HONOUR, observez-vous des différences entre les renseignements que vous recevez dans des situations de déploiement et ceux que vous recevez dans des situations qui ont lieu au Canada?

Sanela Dursun, directrice, Soutien au personnel et aux familles, Recherche et développement pour la défense Canada, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Il y a quelques années, une étude a été menée, où il avait été souligné que le fait d’être en déploiement est un facteur de risque d’agression sexuelle pour les femmes. Selon cette étude, environ 25 p. 100 des agressions sexuelles avaient lieu durant des déploiements. Du point de vue de la recherche, l’une des mesures que nous avons prises a été de mettre sur pied un groupe de l’OTAN chargé d’étudier la situation chez nos partenaires de cette organisation, sachant que la violence sexuelle est un problème pour de nombreuses forces militaires, afin d’adopter une approche commune permettant de comprendre les défis, les divers textes de loi et les enjeux. L’étude vise également à fournir un jour un outil qui permettra à chaque pays de l’OTAN de recueillir et de communiquer les renseignements, car nous servons ensemble dans le cadre des déploiements. Du point de vue de la recherche, il s’agit là d’une stratégie que nous avons mise en œuvre.

La sénatrice McPhedran : Merci. Toutefois, ma question était en fait orientée vers les cas canadiens et la différence entre la situation en déploiement et au Canada.

Cam Bennett : Si je puis prendre note de cette question, nous étudierons les données et les recherches dont nous disposons. Je n’ai pas de renseignements répartis en fonction du lieu précis où s’est produit l’incident, mais nous pouvons faire cela dans notre système de suivi et d’analyse.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

Le sénateur Oh : Vous avez mentionné les minorités visibles. Pouvez-vous nous en dire un peu à ce sujet? Le Canada est maintenant très diversifié. Je remarque que nos forces armées le sont pas mal, maintenant. Beaucoup de gens s’y sont enrôlés.

Les personnes appartenant à une minorité visible se manifestent-elles et formulent-elles des plaintes au sujet de l’inconduite sexuelle et des agressions sexuelles? Tenez-vous des statistiques? Quel est le pourcentage?

Cam Bennett : Il est facultatif pour les gens de s’identifier à un groupe ethnique dans les FAC. À ma connaissance, nous ne faisons actuellement pas de suivi en fonction de l’origine ethnique. Nous avons une répartition en fonction du sexe, mais je ne pense pas que nous fassions de suivi fondé sur certaines des autres catégories de diversité. Nous pourrions certainement envisager de le faire.

Je dirai toutefois que, oui, les gens se manifestent en plus grand nombre, mais le CIIS n’effectue pas de suivi de cette manière, et je ne suis pas certaine qu’on le fasse dans le cadre de la recherche. Nous pouvons nous pencher sur cette question et vous fournir davantage de renseignements.

Le sénateur Oh : Il serait bien de voir la comparaison, de connaître les conditions et de savoir si ces personnes sont traitées équitablement, comme tout le monde.

Cam Bennett : Je peux vous assurer qu’elles le sont, grâce à notre travail au chapitre de l’équité en matière d’emploi, de la diversité et de l’inclusion, mais nous ne saisissons actuellement pas les données de cette manière parce que les membres des Forces armées canadiennes ne sont pas obligés de s’identifier à un groupe ethnique.

Mme Dursun : Le sondage de Statistique Canada répartissait les cas de harcèlement sexuel par groupe de minorité visible. Je suis en train de regarder le rapport, et on n’a trouvé aucune différence. Toutefois, dans d’autres études, il n’est pas inhabituel de conclure que les minorités visibles sont plus à risque, un peu comme les membres du groupe LGBTQ2 et ceux d’autres groupes désignés.

Le sénateur Oh : Merci.

[Français]

Le vice-président : Il nous reste cinq minutes. Sénatrice Jaffer, si vous avez une courte question, nous pourrons accorder une autre question à la sénatrice McPhedran.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : C’est la question de la responsabilisation. Selon le rapport Deschamps, il devrait y avoir un centre indépendant de responsabilisation. Vous disposez du centre que vous avez établi, mais qu’en est-il d’un organisme indépendant? Pouvez-vous aborder cette question?

Je connais le centre qui effectue les études, mais il fonctionne à l’intérieur du ministère. Je me demandais si vous alliez examiner la troisième recommandation du rapport Deschamps, qui porte sur la création d’un organisme indépendant de responsabilisation.

Cam Bennett : Nous avons plusieurs occasions d’examiner cette recommandation. Laissez-moi vous assurer que le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle est indépendant des Forces armées canadiennes et de la chaîne de commandement, alors il rend des comptes au sous-ministre. Ce modèle visait en partie à nous permettre de faciliter l’ouverture et de fournir ces services.

Nous avons ouvert le centre six mois avant la date prévue dans le plan initial, et notre structure comporte déjà des agents et des acteurs indépendants. Alors, le JAG est indépendant, même s’il porte un uniforme et qu’il fait partie du grand prévôt.

Nous respectons cette indépendance et la confidentialité de l’information. En outre, nous ne dirigeons pas les activités. Le CIIS et la directrice exécutive relèvent du sous-ministre.

De nombreuses personnes étudient cette question, et le rapport du BVG pourrait contenir quelque chose qui constitue une recommandation, mais le CIIS continue également à évoluer. Nous n’avons pas complètement mis en œuvre l’ensemble du rapport Deschamps. Les trois recommandations qui restent sont liées au CIIS, à ses responsabilités et aux liens hiérarchiques. Toutefois, à ce moment-là, nous estimions qu’il était essentiel d’établir des services de soutien pour les victimes à l’extérieur de la chaîne de commandement afin de faciliter les signalements et de mettre les gens à l’aise, puis, une fois que le centre serait opérationnel, de voir quels sont les effets et les conséquences.

Nous disposons maintenant de beaucoup plus de données et de recherches qu’à l’époque où Mme Deschamps menait son étude. Certains problèmes qui se posaient ne se posent plus. Les gens se présentent directement à la police militaire, et un grand nombre d’appels sont effectués au CIIS dans le but d’obtenir de l’information, mais les gens sont disposés à utiliser notre système de signalement.

Encore une fois, il ne s’agit pas de quelque chose que nous envisageons immédiatement à mesure que nous faisons évoluer les services de soutien aux victimes, mais il y a des possibilités, au moment où le CIIS sera pleinement fonctionnel, que nous puissions regarder et examiner cet aspect et les occasions de mener d’autres examens externes.

La sénatrice McPhedran : Ma question porte sur la collecte des données et des renseignements aux fins de vos évaluations au sujet de l’efficacité de la mise en œuvre. Le premier volet est le suivant : dans quelle mesure tentez-vous de donner suite aux sondages à plus d’une occasion auprès des personnes qui ont été parties à des plaintes, afin d’acquérir une compréhension de leur expérience lorsque l’affaire est terminée? Cette pratique est-elle intégrée dans votre méthode? Le faites-vous maintenant? Prévoyez-vous le faire?

Ensuite, j’inviterais le contre-amiral Bennett à prendre la parole. Toute mise en œuvre suppose un changement de priorités. Comme vous venez de le dire, si les choses sont bien faites, les priorités établies au départ seront remplacées par d’autres, au fil de la mise en œuvre.

Je vous inviterais donc à nous parler des secteurs prioritaires de la prochaine étape de la mise en œuvre.

Cam Bennett : Si vous me le permettez, je vais répondre à la deuxième partie de votre question en premier. Nous continuons à nous orienter en fonction de nos données de recherche. L’enquête de Statistique Canada nous a été très utile, puisque c’était la première fois que nos membres s’exprimaient à ce sujet en particulier. Avant, il n’y avait que quelques questions dans le sondage général sur le harcèlement ou dans les sondages sur la santé mentale ou le bien-être, mais, cette fois-ci, c’était le sujet principal. Nous avons continué de mener d’autres sondages internes du même genre entre les sondages de Statistique Canada. Nous avons le sondage « À vous la parole », un sondage sur le moral et un autre sur le climat de l’unité. Nous continuons d’administrer ces sondages.

Mais nous nous sommes aussi penchés, entre autres, sur la nature des incidents. Au début, nous mettions surtout l’accent sur les cas d’inconduite sexuelle graves, mais nous nous sommes rendu compte qu’il y avait davantage de comportements inappropriés dans les rangs inférieurs. En étudiant le harcèlement et la nature du harcèlement, nous avons été en mesure, encore une fois, de morceler le problème afin de savoir sur quoi axer nos efforts.

L’étude des groupes en fonction du grade, de l’âge ou du lieu nous a aidés à diriger nos efforts et nous a permis de réaliser que nous devons utiliser une approche différente avec les recrues. Nous avons besoin d’une autre approche dans le cadre de l’instruction professionnelle. Nous continuons d’étudier la question et d’adapter ces approches.

Notre priorité est toujours de soutenir la victime, et cela ne changera pas. C’est quelque chose de primordial. Nous continuons de renforcer le soutien offert.

Nous savons aussi que nous devons profiter de l’élan donné par l’opération HONOUR et intégrer ses leçons; nous devons aller au-delà de la réaction initiale. Nous sommes sur le point d’exécuter un plan stratégique de portée globale visant une gamme plus large de comportements ainsi que d’autres aspects comme la diversité, l’inclusion et la discrimination sous toutes ses formes. Présentement, notre approche relativement à ces problèmes est compartimentée. Nous comptons désormais promouvoir une approche globale relativement au milieu de travail, au bien-être, aux soins et aux soutiens, tout en continuant de cibler les secteurs prioritaires. En réalité, vous ne pouvez tout simplement pas lutter contre la discrimination sexuelle ou le harcèlement sexuel sans envisager de manière holistique les aspects généraux du harcèlement et de la violence au travail.

À nouveau, je veux souligner que nous continuons de soutenir les victimes.

[Français]

Le vice-président : Je m’excuse de vous interrompre. Nous avons un autre témoin qui est placé en attente et nous avons déjà dépassé la limite de temps permise. Nous avons des règles à suivre pour les comités sénatoriaux. Je remercie Mme Bennett, Mme Dursun et M. Antonyshyn pour leurs témoignages qui seront très utiles à la rédaction de notre rapport. Merci d’avoir participé à l’étude de notre comité. Encore une fois, nous avons également des règles strictes à suivre.

Cam Bennett : Pour nous aussi.

Le vice-président : Je désire souhaiter maintenant la bienvenue à l’honorable Marie Deschamps, ancienne juge de la Cour suprême du Canada, qui comparaît à titre personnel. Bienvenue à notre comité et merci de vous joindre à nous par vidéoconférence. J’imagine que vous avez une présentation à nous faire. Ensuite, c’est avec plaisir que nous vous poserons quelques questions. Je vous cède la parole.

L’honorable Marie Deschamps, C.C., à titre personnel : Merci. Il y a trois ans presque jour pour jour, votre comité m’a invitée à répondre à vos questions, et j’ai le plaisir d’accepter à nouveau votre invitation. J’ai une remarque préliminaire et deux questions de fond à signaler.

Ma remarque préliminaire est que les forces armées ne m’ont pas demandé de faire de suivi. Par conséquent, ce que j’ai comme information provient de victimes qui ont réussi à communiquer directement avec moi et de gens à l’intérieur de l’organisation qui sont principalement impliqués dans le processus lié au harcèlement et aux agressions sexuelles. Voilà ma remarque préliminaire. Donc, je n’ai pas d’information privilégiée ni de familiarité particulière avec ce qui s’est passé depuis trois ans, à part ces deux sources d’information et, évidemment, ce que j’ai pu lire dans les rapports publics.

Ma première remarque sur le fond est liée aux politiques des Forces armées canadiennes, et ma deuxième remarque traite des responsabilités du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, le CIIS, connu sous l’acronyme pas très joli de SMRC en anglais.

Pour ce qui est de mon premier point, c’est-à-dire les politiques sur le harcèlement et les inconduites sexuelles, j’avais noté dans mon rapport des déficiences dans la rédaction des politiques des Forces armées canadiennes. Certaines politiques sont plus difficiles à changer, mais d’autres me paraissent tout de même assez faciles à changer. Par exemple, la politique sur le harcèlement, qui vous est sans doute assez familière maintenant, DAOD 5012-0, est rédigée en des termes très étroits et ne couvre pas certaines situations qui devraient l’être.

Par exemple, une situation d’environnement hostile créé par des remarques sexistes n’est pas couverte par cette politique. Une des raisons pour lesquelles on conclut qu’elle n’est pas couverte est liée aux critères utilisés, car il faut que les remarques soient dirigées à une personne en particulier. Alors, lorsque ce n’est pas une personne en particulier qui est visée, la politique des Forces armées canadiennes ne s’applique pas.

Dans mon rapport, j’avais donné comme exemple une situation où des femmes militaires entrent dans des salles de réunion et trouvent sur les tableaux des remarques très offensantes, des mots inacceptables qui, de toute évidence, visaient les femmes. Ces militaires ne peuvent pas porter de plaintes pour ce type de situation, parce que ce n’est pas une personne en particulier qui est visée. Beaucoup d’autres forces armées couvrent ce type de situation d’environnement hostile, et il ne faudrait pas grand-chose pour l’inclure.

Il y a d’autres situations ou exemples qui sont couverts dans mon rapport. Comme vous pouvez le lire dans les politiques publiques, les changements qu’on y a apportés sont tellement mineurs qu’ils sont presque superficiels. En trois ans, on aurait pu en faire bien davantage. Il y a des changements qui n’auraient pas été très difficiles à faire. Ces changements auraient pu être faits pour les forces armées seulement et non pas pour l’ensemble de la fonction publique fédérale. Cela n’a pas été fait. Quand les supérieurs n’ont même pas les outils nécessaires pour corriger une situation, il est difficile de voir comment on peut changer la culture. On ne peut même pas sanctionner des situations qui me paraissaient assez faciles à corriger il y a trois ans. Voilà mon premier point.

Mon deuxième point a trait aux responsabilités du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle. Le centre qui a été créé ne représente même pas l’ombre du centre dont j’avais dressé les grandes lignes dans mon rapport. Si vous allez à ma recommandation 3, celle à la base de la création du centre, vous allez voir qu’il y a toute une série de fonctions qui sont décrites. Ces fonctions sont énoncées à partir du dépôt du signalement jusqu’à la collecte de données, en passant par le suivi des sanctions qui sont imposées, évidemment, et en prévoyant les soins à donner aux victimes. Il était question également de la participation à la rédaction des politiques et de la participation au conseil aux fins de prévention et de formation.

Le centre qui a été créé me semble s’être doté d’un personnel tout de même indépendant. Une directrice générale a été engagée, une professionnelle, la Dre Preston, qui me semble une personne très compétente. Ce que je constate, cependant, c’est qu’on a plutôt choisi de laisser la majorité des responsabilités à une autre organisation qui est d’ailleurs chapeautée par la contre-amirale Bennett, que vous venez tout juste d’entendre. Cette équipe stratégique, au début, selon ce que j’avais compris, avait été mise en place simplement le temps de démarrer le centre. J’avais compris qu’on donnerait de plus en plus de responsabilités au centre. Je ne sais pas si un jour cela se fera.

Ce que je constate en ce moment, c’est que le centre sert de centre de soutien aux victimes. Je ne voudrais pas qu’on réduise les responsabilités du centre en termes de soutien; cependant, à mon avis, si le centre avait un champ de compétences beaucoup plus large, cela favoriserait le soutien apporté aux victimes et les signalements. Pour l’instant, les signalements se font encore à l’intérieur de l’armée, les poursuites se font encore à l’intérieur de l’armée, les politiques et la formation, tout se fait encore au sein de l’armée, donc le centre semble être une petite organisation avec très peu de responsabilités.

Ce sont les deux points que je voulais faire valoir : les politiques qui, à mon avis, auraient pu être modifiées pour favoriser d’une part les sanctions et, d’autre part, un changement de culture, et un centre qui est probablement indépendant dans ce qu’il fait. Cependant, on lui a confié tellement peu de responsabilités que cette mesure ne va pas aussi loin que je l’aurais souhaité, pour ma part.

Cela dit, je suis disposée à répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci de votre présentation, madame la juge.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Madame Deschamps, je tiens à vous remercier sincèrement de ce que vous avez fait pour nous, de votre temps et des efforts — énormes, j’en suis sûre — que vous avez déployés pour produire ce que vous avez produit.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos des situations où l’environnement est hostile ou toxique. Je trouve toujours intéressant de voir que l’on ne semble pas vraiment comprendre les effets de ce genre d’environnement hostile sur la chaîne de commandement. Les gens qui doivent travailler dans ce genre d’environnement se forment une opinion sur la chaîne de commandement; il est difficile de faire confiance à un supérieur qui permet à ce genre de situations de perdurer.

Je crois que vous avez dit que le centre qui a été créé n’est même pas l’ombre de ce que vous aviez recommandé. Ma question principale porte sur le fait que l’Équipe d’intervention stratégique de ce centre est censée offrir une gamme de services beaucoup plus complète. Il semble que le centre ne mène présentement aucune étude indépendante et que toutes les études actuelles sont menées par l’organe de recherche déjà établi qui se penche sur un grand nombre d’autres sujets, même si je suis sûre que ce sont également des sujets très importants.

Afin que votre vision se concrétise le plus rapidement possible, quel serait, selon vous et en fonction de votre vision et de vos recommandations, le sujet d’étude le plus important? Que devons-nous faire dès maintenant?

Mme Deschamps : Selon moi, il y a un lien très fort entre les études et la collecte de données. D’après ce que je vois actuellement, les données ne sont pas centralisées, tout comme elles ne l’étaient pas lorsque j’ai commencé à en parler, il y a un an. Je ne sais pas comment se présentent les choses aujourd’hui, en date du 28 mai 2018, mais à mon avis, il est impossible de mener des études sans données.

Je veux que le centre soit un centre intégré. Afin de recueillir des données, il faut que les allégations soient rassemblées en un seul endroit. Je commencerais par habiliter le centre à recevoir les plaintes des membres. J’ai dressé une liste des entités à qui les membres peuvent adresser leurs plaintes relativement à une agression, à un cas d’inconduite ou à un comportement qui les aurait mis mal à l’aise. Sans ces renseignements de base, il est impossible pour le centre d’avoir une vue d’ensemble de ce qui se passe dans les Forces canadiennes.

Cela ne veut pas dire que les victimes ne peuvent pas passer par la chaîne de commandement, mais l’information va au moins être envoyée au centre. Les victimes doivent pouvoir déposer une plainte au centre, mais, si elles décident de s’adresser à une autre entité, les autres intervenants doivent transmettre l’information au centre.

Ma première recommandation est donc de commencer par habiliter le centre à recevoir toutes les plaintes des membres. C’est la première étape si nous voulons recueillir des données.

Il sera aussi plus facile pour le centre de faire toutes sortes d’autres choses s’il a une vue d’ensemble de la situation. En outre, c’est aussi la première mesure à prendre pour qu’il y ait une reddition de comptes et un suivi de ce que font les Forces armées canadiennes en réaction aux plaintes.

La sénatrice McPhedran : Ou de ce qu’elles ne font pas.

Mme Deschamps : Même si vous recueillez des données, tout commence avec les plaintes. Le centre doit savoir de qui vient la plainte, et il doit aussi avoir l’autorité de la recevoir. Il faut qu’il y ait une entité centrale pour les plaintes. Voilà ma première recommandation.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

[Français]

Le vice-président : Je vous dirais, madame la juge, à la suite de votre intervention et de celle de la sénatrice McPhedran, que j’ai l’impression que les Forces armées canadiennes ont mis en place un mécanisme, mais qu’ils veulent garder un contrôle complet sur le processus au moment d’une dénonciation. Avez-vous la même impression que moi?

Mme Deschamps : Je cherchais, dans les politiques, qui avait l’autorité de recevoir les allégations, et le centre n’apparaît pas. Le centre n’est pas celui qu’il était au début. Au début, les gens s’en moquaient et le qualifiaient de centre d’appel. Maintenant, je crois qu’il fait du travail positif, mais l’équipe stratégique qui a été mise en place six mois avant le dépôt du rapport de Mme Whitecross s’est vu confier les principales responsabilités, finalement. Ce n’est pas le centre.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Avant tout, je tiens à vous dire, madame la juge, que ce que vous avez fait est révolutionnaire. C’est tout un héritage. Votre travail profitera aux femmes, et surtout aux jeunes femmes, qui sont victimes de harcèlement et de harcèlement sexuel en particulier. Merci de ce que vous avez accompli. Vous avez vraiment fait un travail formidable.

Je suis déçue d’apprendre — et peut-être allons-nous formuler une recommandation en ce sens —, que le ministère de la Défense nationale ne semble pas avoir l’intention de travailler de nouveau avec vous.

Dans votre rapport, vous dites que les définitions constituent des éléments essentiels de toute politique relative à la lutte contre les inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes. Si je ne me trompe, la recommandation numéro 5, dans votre rapport, vise d’ailleurs à élaborer une définition pour toute une liste de termes.

D’après ce que j’ai vu, la politique en vigueur dans les Forces armées canadiennes ne correspond pas du tout à ce que vous avez demandé. Par exemple, on n’y trouve aucune définition précise de ce qu’est une « agression sexuelle ». Ce qui me trouble en particulier, c’est que le harcèlement sexuel n’est pas défini séparément du harcèlement en général, ce qui veut dire que cette définition est plus restreinte encore que celle de la Cour suprême. La définition des Forces armées canadiennes ne tient pas compte de la notion de consentement, et la définition d’une « relation personnelle préjudiciable » ne comprend aucune précision concernant les relations entre des membres d’un grade différent.

Madame la juge, pouvez-vous nous expliquer comment l’élaboration de définitions claires pour ces termes pourrait aider les Forces armées canadiennes à adopter une approche unifiée relativement à l’inconduite sexuelle?

Je sais que je vous ai un peu posé une question à laquelle vous ne vous attendiez pas, et peut-être voulez-vous prendre un temps de réflexion. Si vous voulez y réfléchir davantage afin de formuler une réponse détaillée, vous pourrez l’envoyer au greffier. Vous pouvez aussi répondre maintenant et nous faire parvenir d’autres détails plus tard. Nous devons formuler une recommandation à propos des définitions dont il est question dans votre rapport.

Mme Deschamps : Je préférerais ne rien ajouter à mon rapport ni ajouter une explication qui risquerait d’alimenter le débat et de nuire à la rédaction de votre rapport.

Comme tous les membres d’une assemblée législative le savent, les définitions sont un élément essentiel à la compréhension de toute politique. Les gens raillent la Loi de l’impôt sur le revenu parce qu’elle refuse d’appeler un chat un chat, mais, lorsqu’il s’agit d’inconduite et d’agression sexuelle, il est extrêmement important que tous les membres — les 100 000 membres des Forces armées canadiennes — comprennent les définitions qui s’y trouvent. Ils doivent savoir quels comportements sont autorisés et lesquels ne le sont pas. Si c’est clair et qu’ils comprennent, rien n’empêcherait la chaîne de commandement d’intervenir et de sanctionner un membre dont le comportement ou la conduite va à l’encontre de la politique.

Les membres ont besoin, fondamentalement, de définitions pour comprendre, et les définitions sont aussi ce qui permet, essentiellement, à la chaîne de commandement d’intervenir et de sanctionner un membre en cas d’infraction.

Vous vous doutez bien que, s’il n’y a aucune sanction, la culture des Forces armées ne changera jamais, contrairement à ce que l’on souhaite.

La sénatrice Jaffer : J’ai énormément de respect pour ce que vous dites, et je suis aussi d’accord avec vous. Vous continuez de défendre tout ce que vous avez dit dans le rapport, y compris l’importance des définitions claires, qui sont essentielles si nous voulons faire avancer le dossier.

Mme Deschamps : Oui, tout à fait.

La sénatrice Jaffer : J’ai une autre question pour vous. C’est à propos des cas d’inconduite sexuelle. Il semble que les gens craignent les représailles de la chaîne de commandement. La question a déjà été posée par la sénatrice McPhedran, mais j’aimerais que vous approfondissiez un peu plus.

Disons qu’un agresseur ou l’auteur d’une agression subisse un procès par voie sommaire, et que cela se fait dans l’unité de la victime. Si l’auteur est traduit devant le tribunal militaire, la victime sera tout de même au courant de l’affaire. Peu importe ce qui arrive, la vie privée de la victime n’est pas protégée, et elle s’expose à des représailles. J’ai entendu des gens dire qu’ils ne veulent pas porter plainte parce qu’ils craignent la chaîne de commandement. Parfois, l’agresseur est un supérieur.

Dans la partie 5 de votre rapport, vous évoquez même la possibilité de renvoyer les affaires au système de justice civile, comme cela se fait en France. Pouvez-vous nous fournir plus de détails par rapport à cette recommandation?

Je comptais également vous poser une question sur le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, mais vous en avez déjà parlé en long et en large. Merci.

Mme Deschamps : Je crois comprendre que vous voulez savoir s’il est possible pour les victimes que leur affaire soit renvoyée au système de justice civile, dans les cas d’inconduite sexuelle. Est-ce bien votre question?

La sénatrice Jaffer : Oui, comme c’est le cas en France. C’est bien ce que je veux savoir.

Mme Deschamps : Ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas que les victimes sont entendues par un tribunal civil; en France, il y a une catégorie spéciale de tribunaux civils qui s’occupent de toutes les affaires militaires. C’est un système différent en France. Ma proposition, dans le rapport, était que les victimes aient la possibilité de s’adresser à un tribunal civil.

Encore une fois, je veux mettre en relief le fait que mon mandat n’était pas d’examiner la structure du système de justice militaire. J’ai voulu mettre l’accent sur les victimes, non pas sur une réforme du système de justice militaire. Quand j’ai rédigé mon rapport, je me suis dit que si les victimes avaient la possibilité de porter leur affaire devant le tribunal de leur choix, elles seraient plus disposées à porter plainte. Elles seraient aussi plus susceptibles d’obtenir du soutien et de l’aide.

Tout d’abord, il faut qu’il y ait une approche axée sur la victime. Quand une victime se présente pour signaler quelque chose, il faut lui demander : « Pour commencer, voulez-vous porter plainte? Sinon, nous pouvons aussi vous offrir du soutien confidentiel. » Il faut commencer par cela. Vous dites que les victimes craignent les représailles, et c’est justement parce qu’elles sont dans cet état d’esprit qu’elles refusent de porter plainte. Il faut leur offrir la possibilité de se rendre à un centre où elles pourront déposer une plainte confidentielle; ensuite, le centre peut leur demander : « Que voulez-vous faire maintenant? » Peut-être qu’elles ne veulent rien faire et qu’elles ont seulement besoin de soutien. Si une victime décide de porter plainte, elle doit avoir le choix de s’adresser à un tribunal civil ou à un tribunal militaire.

Je ne sais pas vraiment si le tribunal civil est une panacée. Les tribunaux civils ont leurs propres problèmes. Parfois, une victime peut décider de demeurer dans un tribunal militaire. Ma recommandation était de donner le choix à la victime.

Maintenant, je sais qu’un certain nombre de cas sont jugés devant des tribunaux civils, mais si vous examinez attentivement le nombre, vous constaterez que ce sont principalement des cas de violence familiale. Pour ces cas, les tribunaux civils sont souvent très bien organisés parce qu’il s’agit d’un sujet pour lequel on déploie beaucoup d’efforts.

Si vous regardez les statistiques relatives au nombre de victimes qui s’adressent aux tribunaux civils, il ne faut pas perdre de vue que ce n’est pas nécessairement le type de situation que j’ai examiné. Seul un très petit nombre de ces victimes que j’ai rencontrées se serait adressé à un tribunal civil. Ce que j’ai affirmé, c’est que vous devriez offrir l’option aux victimes de harcèlement sexuel au sein de l’armée.

La sénatrice Jaffer : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame la juge, bienvenue à ce comité et merci beaucoup de votre implication dans ce dossier plus qu’important. Vous avez sans doute entendu les représentants du ministère de la Défense nationale dire plus tôt que les victimes d’agression sexuelle ont le choix de s’adresser à un tribunal civil ou militaire. Dans ces cas, selon vous, les victimes ont-elles entièrement le choix de le faire, ou y a-t-il une espèce de directive qui leur est imposée pour qu’elles s’adressent au tribunal militaire, de par leurs fonctions?

Mme Deschamps : C’est un sujet pour lequel j’ai trouvé extrêmement difficile d’aller au fond des choses. Je n’ai peut-être pas entendu toutes les questions, mais j’en ai entendu une, vers la fin de son témoignage, à laquelle la contre-amirale Bennett répondait que beaucoup de victimes allaient effectivement devant les tribunaux civils. Il ne ressortait pas de mon enquête que les victimes avaient le choix. C’est la raison pour laquelle j’en ai fait une recommandation.

On me dit que, maintenant, elles ont le choix. On dit aussi que de nombreuses victimes, avant même mon rapport, s’adressaient aux tribunaux civils. On m’a donné des statistiques qui, une fois décortiquées, m’indiquaient plutôt que les dossiers qui se rendaient devant les tribunaux civils traitaient de cas de violence familiale. Dans un autre groupe de dossiers, les victimes étaient des civiles. Lorsque les militaires se rendaient dans des villes situées près de leur base et commettaient des inconduites sexuelles, il arrivait qu’ils puissent être poursuivis devant les tribunaux civils.

Lorsque j’ai rencontré des victimes militaires, je n’ai pas senti qu’elles pouvaient librement choisir d’aller devant les tribunaux civils. Je n’ai pas senti que c’était leur choix.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends.

Mme Deschamps : Au contraire, un protocole est débattu entre les poursuivants civils et la police militaire.

Le sénateur Boisvenu : On a parlé peu de la Charte canadienne des droits des victimes, qu’on veut mettre en œuvre au sein des forces armées. Quelle est votre perception de cette charte? Est-ce que, effectivement, la Charte canadienne des droits des victimes donnera plus d’indépendance aux victimes dans les choix qu’elles pourront faire, à savoir si elles feront appel à un tribunal civil ou à un tribunal militaire? Cette charte va-t-elle favoriser plus de transparence dans le traitement des victimes d’agression sexuelle?

Mme Deschamps : J’ai pris connaissance de cette charte dans le cadre d’un autre dossier, il y a plus d’un an. Je n’ai donc pas la familiarité voulue pour vous répondre adéquatement. Vous pourriez peut-être me signaler quelques dispositions qui vous viennent à l’esprit.

Le sénateur Boisvenu : C’est surtout en ce qui a trait à l’accompagnement. Il s’agirait de reconnaître aux victimes des droits comme ceux qu’on accorde aux criminels civils, comme celui d’être jugé devant un juge seulement ou devant un jury, car ce sont des droits fondamentaux. Si on a, dans les forces armées, une charte des droits des victimes, on devra leur reconnaître des droits fondamentaux.

Lorsqu’un gouvernement adopte une charte des victimes, je déplore le fait que ces droits fondamentaux soient davantage des vœux que des droits. Il n’y a pas de lieu où les victimes peuvent s’adresser à un tribunal pour faire reconnaître ces droits, comme c’est le cas avec la Charte canadienne des droits et libertés, grâce à laquelle les criminels peuvent s’adresser à la cour pour faire respecter leurs droits et demander à ce que les procédures judiciaires soient suspendues. Dans ces cas, c’est un juge qui écoutera les doléances. Il y a au Canada une Charte des droits des victimes, et il y en aura une éventuellement dans les forces armées. Il reste que nous avons de la difficulté à trouver un lieu pour valider devant les tribunaux les droits énoncés dans cette charte. Cette validation va se faire à l’intérieur des forces armées.

Mme Deschamps : Tout dépend de la façon dont elle est rédigée pour les forces armées.

Le sénateur Boisvenu : Je vous en enverrai une copie.

Mme Deschamps : Je n’ai pas vu le projet spécifique pour les forces armées. Les tribunaux civils prennent de plus en plus en considération la voix des victimes. Les déclarations des victimes font maintenant partie intégrale du processus de détermination de la peine. Elles font partie intégrale du processus qui mène au verdict. Que les droits des victimes soient consignés dans une charte ne peut que leur donner un fondement plus solide. Qu’on les appelle « fondamentaux » ou non, ce qui est important, c’est la façon dont ils seront interprétés par les tribunaux et à quel point les victimes y auront recours. Les droits fondamentaux sont ceux qui ont leur fondement dans la Charte canadienne des droits et libertés. Il faut tout de même faire des nuances. Les victimes peuvent certes être mieux protégées, mais il faut se rappeler qu’on a fait beaucoup de chemin depuis l’époque où je pratiquais le droit criminel, dans les années 1970.

Le vice-président : J’aurais une question complémentaire à celle du sénateur Boisvenu. Comme vous l’avez dit, madame la juge, les victimes qui proviennent du milieu militaire, bien souvent, vont porter plainte contre un supérieur militaire. C’est peut-être ce qui les incite à aller devant le tribunal militaire, parce que, tôt ou tard, elles retourneront dans les rangs de l’armée. J’ai l’impression que si elles s’adressent au civil et qu’elles retournent dans les rangs de l’armée, ce ne sera pas facile pour ces victimes.

Mme Deschamps : Je ne suis pas certaine que ce soit facile d’un côté ou de l’autre. L’important, dans ce processus, est aussi que la victime sente que justice a été rendue. Malheureusement, j’ai senti qu’il y avait un grand manque de confiance à l’égard du processus.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Madame la juge, merci de votre excellent exposé. J’ai une question pour vous. Le rapport Examen externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes a révélé que les femmes et les LGBTQ sont davantage victimes d’agressions et de harcèlement sexuels que les autres membres de l’armée.

Je suis curieux de savoir si les groupes minoritaires sont également touchés, particulièrement vu les efforts déployés pour encourager les minorités visibles et d’autres à se joindre à l’armée.

Dans le cadre de votre enquête, à votre connaissance et selon vous, s’agit-il également d’un problème?

Mme Deschamps : L’intégration des minorités dans les forces est certainement un problème. Toutefois, au cours des réunions auxquelles j’ai assisté, je n’ai pas eu l’occasion de faire la distinction entre deux femmes, la première appartenant à un groupe minoritaire et l’autre appartenant au groupe des Blancs d’origine occidentale traditionnelle. Je ne peux pas dire qu’il y avait une distinction évidente entre les deux, par exemple, dans les effectifs. Je n’ai pas constaté de distinction dans l’armée entre des groupes minoritaires et d’autres groupes.

Le sénateur Oh : Merci.

[Français]

Le vice-président : Madame la juge, avant de conclure, j’aimerais porter votre attention sur le fait qu’il y a deux semaines, nous avons reçu le colonel à la retraite Michel Drapeau, qui affirmait que les enquêtes sur les agressions sexuelles seraient mieux conduites par des policiers d’expérience que par la police militaire, dont l’expertise est davantage en matière de discipline. Adhérez-vous à cette opinion?

Mme Deschamps : On a exclu de mon enquête tout ce qui avait trait à la justice militaire, c’est-à-dire les cours martiales. Ce n’était pas traité dans mon enquête. J’ai tout de même rencontré des gens de l’unité spéciale qui a été créée pour les forces armées, et je sais qu’il y a des gens qui sont spécialement affectés aux enquêtes en matière d’inconduites sexuelles. Comme vous le savez, l’armée a plus de possibilités de voyager d’une base à l’autre quand les militaires sont mutés d’une province à l’autre et d’une base à l’autre. Il y a aussi une question d’efficacité et de rapidité.

Concernant le fait que les enquêtes puissent être mieux conduites par les enquêteurs de la province où l’inconduite se serait produite, je dirais oui, dans certains cas, et dans d’autres cas, pas nécessairement, car la carrière d’un militaire prend de nouveaux virages aux deux ans. C’est le rythme des mutations qui était celui observé en 2015.

Selon moi, les enquêteurs civils ne seraient pas toujours mieux placés pour mener ces enquêtes. La base de ma recommandation est toujours de donner le choix aux victimes.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Votre honneur, je sais que vous n’avez pas recommandé cela, mais nous savons également que, dans le cadre de poursuites civiles, c’est très souvent un recours collectif qui modifie en profondeur une culture ancrée.

Alors pour parler de préoccupations très légitimes relatives à un environnement de travail hostile, j’ai défendu ce type d’affaires dans le secteur des entreprises, et, bien sûr, c’est très utile lorsque vous avez plusieurs demandeurs.

Je me demande si vous verriez un problème à cet égard si nous envisagions de faire une recommandation qui permettrait à plusieurs demandeurs de se regrouper afin de déposer une plainte relativement à un environnement de travail hostile ou toxique.

Mme Deschamps : Je ne veux pas commencer à présenter des arguments, mais je suis certainement d’accord avec vous sur le fait qu’un recours collectif est un outil très puissant lorsque vient le temps de modifier des approches et des attitudes. Les recours collectifs sont jugés par des tribunaux civils.

Je n’ai pas de recommandation à formuler ni de suggestion à faire, mais le recours collectif est certainement quelque chose que votre comité pourrait examiner.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame la juge, merci beaucoup. Votre rapport date de maintenant trois ans. On a appris que les forces armées avaient mis en place 6 des 10 recommandations qu’elles ont retenues de votre rapport. Quel était votre rôle dans la mise en œuvre de votre rapport?

Mme Deschamps : Aucun, pour vous donner une réponse courte. Je n’ai eu aucun rôle à jouer, et lorsque les forces armées disent avoir mis en place six recommandations, cela dépend de la lecture qu’on fait des recommandations. Je vous ai dit que le centre ne correspond pas à ce qui est décrit dans mes recommandations. Le centre et ses responsabilités sont décrites aux recommandations nos 3, 4, 5, 6, 8, 9 et 10. Alors, je ne sais pas comment on peut conclure que six des recommandations ont été mises en application lorsque les responsabilités du centre ne sont pas celles qui sont décrites.

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous poser une dernière question, et sentez-vous libre d’y répondre. Considérez-vous que les forces armées ont manqué de rigueur ou de volonté dans la mise en place de votre rapport?

Mme Deschamps : Je ne veux pas passer de jugement de valeur. Ce que je constate, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de progrès qui a été fait.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

Le vice-président : Merci, madame la juge, pour votre témoignage. Nous en tiendrons certainement compte dans la rédaction de notre rapport. Merci également d’avoir participé à l’étude de notre comité.

Mme Deschamps : Avec plaisir.

Le vice-président : Nous accueillons maintenant Marie-Claude Gagnon, fondatrice du groupe It’s Just 700. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation, madame Gagnon. Nous allons entendre vos remarques, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Marie-Claude Gagnon, fondatrice, It’s Just 700 : Je préfère vous aviser que je souffre d’une laryngite. Je vais donc faire mon possible.

[Traduction]

Je suis honorée de témoigner ici aujourd’hui et j’aimerais remercier le comité de m’offrir l’occasion d’exposer mon point de vue et mes observations sur un sujet aussi complexe et délicat.

Je m’appelle Marie-Claude Gagnon. Je suis une ancienne membre de la réserve navale. J’ai survécu à un traumatisme sexuel en milieu militaire et j’ai fondé le groupe It’st Just 700, un groupe qui permet aux hommes et aux femmes qui souffrent d’un traumatisme sexuel en milieu militaire de nouer des liens avec leurs pairs, de recevoir du soutien et d’obtenir de l’information sur les services qui leur sont offerts par les Forces armées canadiennes, Anciens Combattants Canada ou d’autres organismes concernés.

Je vais vous présenter aujourd’hui des recommandations qui peuvent se regrouper sous trois termes génériques : meilleure surveillance, meilleure reddition de comptes et meilleurs soins. Chaque recommandation sera illustrée par des exemples concrets provenant de plusieurs membres des Forces armées canadiennes ayant subi des violences sexuelles après la mise en œuvre de l’opération Honour, une initiative visant à aider les victimes d’inconduite sexuelle au sein de l’armée canadienne.

Je vous encourage à inviter des membres de mon groupe à vous parler si vous voulez obtenir davantage de points de vue sur des questions précises que vous jugez pertinentes si cela peut vous être bénéfique dans le cadre de votre étude pour en apprendre davantage sur les défis uniques auxquels font face les survivants d’un traumatisme sexuel dans l’armée.

Premièrement, il n’y a pas assez de surveillance et de reddition de comptes. En 1996, à la suite d’une série d’articles parus dans le magazine Maclean’s au sujet des viols dans l’armée, il y a eu un appel au changement. Ces articles ont entraîné la prise de plusieurs initiatives au sein de l’armée à ce moment-là visant à améliorer la formation, à établir une ligne téléphonique, à entreprendre une recherche fondée sur des sondages et à prendre l’engagement de fournir des rapports d’étape. Lentement, au fil du temps, on a perdu cet élan. On a mis fin à la ligne téléphonique. On a cessé de réaliser des sondages et de produire des rapports d’étape, et les médias se sont faits de plus en plus discrets quant aux initiatives concrètes prises par l’armée.

Si nous examinons la situation actuelle, 20 ans plus tard, on nous dit que, cette fois, les choses seront différentes. Mais les signes que je vois me donnent à penser que l’histoire se répète, malheureusement.

Les rapports d’étape des Forces armées canadiennes ont dressé une liste impressionnante d’engagements, mais la situation par rapport à ces engagements est difficile à déterminer étant donné que le dernier rapport a été produit il y a plus d’un an, et ce, malgré la promesse de produire des rapports trimestriels.

Le rapport sur l’examen de la cour martiale, qui devait être terminé pour juillet 2017, n’a été publié qu’en 2018, seulement à la suite d’une surveillance étroite de la part de journalistes qui ont présenté plusieurs demandes d’accès à l’information et malgré le fait que l’armée niait l’existence d’un tel examen. Ce manque de suivi et ce déni de la part de l’armée sont inquiétants, surtout compte tenu de la population vulnérable de victimes dont nous parlons aujourd’hui.

Par ailleurs, dans un même ordre d’idées, les recommandations visant à améliorer les mesures de prévention en matière d’agression sexuelle et de traitement des victimes d’agression sexuelle subie en milieu militaire figurant dans le rapport Soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés de 2014 du Comité permanent de la défense nationale n’ont pas été mises en œuvre.

Le budget fédéral de 2018 a prévu 5,5 millions de dollars sur quatre ans pour des centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle situés près de bases militaires, mais nous ne savons pas quels types de services seront offerts ni comment cet argent sera dépensé. Ces fonds s’ajoutent aux 5,5 millions de dollars que Condition féminine Canada a versés pour lutter contre la violence fondée sur le genre et étaient, selon les Forces armées canadiennes, entièrement destinés à l’équipe d’intervention en cas de crise familiale. Vu le manque de transparence et de reddition de comptes des FAC à l’égard de ces initiatives inefficaces, je recommande une surveillance étroite, indépendante et continue assortie d’examens obligatoires, réguliers et approfondis à la suite desquels on produira des rapports clairs selon des échéanciers précis qui tiendront compte de l’apport et de la rétroaction des victimes afin d’assurer l’efficacité d’un tel investissement.

Deuxièmement, les traumatismes sexuels en milieu militaire doivent être pris au sérieux.

Le message de la formation sur les témoins des Forces armées canadiennes, c’est que les hommes et les femmes sont responsables d’assurer un lieu de travail sécuritaire. Toutefois, nous avons constaté une très faible représentation d’un leadership masculin dynamique dans l’équipe d’intervention en agression sexuelle. En fait, cette équipe est menée principalement par des femmes, ce qui donne l’impression qu’il s’agit principalement d’une question qui concerne les femmes.

En plus de son manque de crédibilité, l’équipe d’intervention en agression sexuelle n’a pas reçu les ressources adéquates. On a certainement remarqué qu’elle n’a pas respecté ses engagements, ce qui envoie un autre message troublant, qu’il soit volontaire ou non : l’équipe d’intervention en agression sexuelle et les traumatismes sexuels dans l’armée n’ont pas d’importance.

Par exemple, en décembre 2017, le personnel navigant a reçu de nouveaux sifflets. Un membre des Forces armées canadiennes a décidé d’en prendre un et de le fixer sur le tableau blanc de la salle du personnel navigant, dans un environnement très public, et d’y apposer une note indiquant « Sifflet de l’opération HONOUR de Jake ». Cela signifie que, compte tenu du manque d’efficacité de l’équipe d’intervention en agression sexuelle, nombre de personnes croient qu’il est acceptable de se moquer de ce sujet très sérieux et de le ridiculiser. Vous trouverez une photographie dans votre document.

On a besoin de modèles et de champions masculins convaincants et crédibles pour donner une image forte qui montre qu’il ne s’agit pas d’une question qui touche seulement les femmes. Par exemple, un dirigeant dans les armes de combat chevronné plutôt qu’un officier d’état-major, peu importe son rang dans la hiérarchie, ayant peu d’expérience opérationnelle envoie un message fort au personnel subalterne quant à l’importance de cette question. On devrait encourager des incitatifs pour attirer des candidats qualifiés et motivés à jouer ces rôles.

On recommande également une journée officielle qui souligne les traumatismes sexuels au sein des Forces armées canadiennes et une analyse des risques pour tous les types d’environnements.

Troisièmement, les représailles ne sont pas gérées adéquatement. Malheureusement, nombre de victimes me fournissent des exemples très troublants de représailles qui entraînent peu d’interventions de la part des dirigeants des FAC. Permettez-moi de m’expliquer. À l’heure actuelle, en 2018, les victimes qui subissent des représailles n’ont nulle part où se tourner sans que cela entraîne davantage de représailles à leur égard; elles n’ont aucun recours. Par exemple, cet avertissement a été remis à une victime qui tentait d’obtenir des soins :

J’ai assisté à une longue réunion à ton sujet […] Assure-toi de ne pas avoir eu de problèmes de santé mentale avant d’entrer dans l’armée […] S’ils trouvent ces dossiers, ta libération sera seulement une libération […] Je crois qu’ils ont tes dossiers civils, par contre. Toutes les personnes que tu as accusées écrivent maintenant contre toi.

Lorsque la membre a signalé le texte à sa chaîne de commandement, on lui a recommandé de simplement ne pas en tenir compte. On dit que si on tolère l’imperfection, on crée une nouvelle norme. Dire à une victime qu’elle devrait faire fi des représailles ne favorise guère la validation de son expérience et empêche souvent une véritable guérison.

Dans le contexte de la Force de réserve, où les emplois ne sont pas aussi stables, on empêche pendant des années les victimes placées dans une catégorie médicale de suivre de la formation ou d’obtenir une commission, ou on ne renouvelle tout simplement pas leur contrat de travail.

À la suite du dépôt d’une plainte par une victime, une lettre a été envoyée au commandant d’unité de la victime indiquant qu’on devrait refuser son transfert de catégorie de service de la Force de réserve à la Force régulière. La lettre proposait une évaluation de son état de santé mentale dans le seul but de la libérer pour raisons médicales, comme on l’a découvert plus tard dans le cadre d’une demande d’accès à l’information. La victime, avec dégoût, a volontairement choisi la libération.

Une autre victime a reçu une lettre officielle indiquant qu’elle n’avait pas eu le courage de se plaindre plus tôt. Le fait qu’elle ait porté plainte a fait en sorte que le comportement du défendeur a empiré. On lui a recommandé de suivre une consultation psychologique en raison de son comportement contraire à l’éthique.

Ce comportement scandaleux de la part des Forces armées canadiennes est simplement inconcevable de nos jours. Si les Forces armées canadiennes ne peuvent pas soutenir les victimes avec dignité et sensibilité, comment pouvons-nous nous attendre à ce que les victimes déposent une plainte?

Une autre victime a vu son agresseur, un officier supérieur, bénéficier d’une libération volontaire, sachant qu’il allait être réembauché par sa chaîne de commandement en tant que surveillant-chef civil au gouvernement. Il n’existe aucun mécanisme pour empêcher de telles tactiques de la part des agresseurs qui quittent les Forces armées canadiennes pour passer dans la fonction publique au MDN, où ils sont libres de terroriser leurs victimes à nouveau, mais dans un cadre disciplinaire différent. Encore une fois, c’est inacceptable.

Nous recommandons la prise de mesures provisoires urgentes jusqu’à la mise en place de processus adéquats pour gérer les représailles contre les membres qui signalent des comportements sexuels préjudiciables et inappropriés.

Quatrièmement, il faut faire un suivi adéquat des données. Le Sondage sur les inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes mené en 2016 n’a pas été réalisé auprès de membres des Forces armées canadiennes qui étaient en congé administratif, en arrêt de travail pour cause de maladie, en congé parental ou en déploiement, ou qui suivaient des cours ou une formation, y compris les jeunes membres au Collège militaire royal du Canada et de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes. Nous savons tous que ces groupes sont le plus à risque de subir de la violence sexuelle.

Le directeur général — Recherche et analyse (Personnel militaire) prend des mesures concrètes afin d’améliorer ses méthodes dans ce domaine, et on s’attend à ce que ces changements prennent des années. La crainte est que les décisions fondées sur des données incomplètes, et, par conséquent, inexactes, sont prises au détriment des Forces armées canadiennes. Il faut des données complètes et représentatives pour appuyer la prise de décisions éclairées au sein des Forces armées canadiennes.

Nous n’avons pas non plus de données à propos de ce qui est arrivé aux victimes des 267 incidents signalés dont il est question dans les rapports d’étape des Forces armées canadiennes.

Nous recommandons des entrevues de départ pour les militaires victimes d’un traumatisme sexuel et plus de données, y compris des statistiques, du berceau à la tombe, quant à ce qu’ont vécu ceux qui ont déposé les plaintes. En fait, il faudrait réaliser des entrevues de départ avec tous les membres qui quittent les Forces armées canadiennes, et ces entrevues devraient inclure des questions sur le traumatisme sexuel en milieu militaire pour assurer une meilleure collecte de données.

Cinquièmement, le soutien est inadéquat. Le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle offre une ligne téléphonique qui aiguille les victimes vers des services. Ce n’est pas ce qu’on appelle un centre, et ce n’est pas du soutien. C’est inacceptable. Selon le rapport d’étape de 2016, un réseau de soutien par les pairs devait être pleinement mis en œuvre au cours des six mois suivants. Cela ne s’est jamais fait. Dans le meilleur des cas, les victimes de traumatisme sexuel en milieu militaire seront acceptées dans un programme qui n’est pas conçu pour elles, se feront traiter aux États-Unis ou seront aiguillées vers des groupes locaux de soutien ou des services aux conjoints de militaires. Aucune de ces situations n’est idéale, et souvent, ces programmes ne répondent pas aux besoins uniques des victimes de traumatisme sexuel en milieu militaire.

Nous recommandons la prise de mesures provisoires immédiates pour éviter que des hommes, des femmes, des membres de la communauté LGBTQ2+ et leur famille ne subissent d’autres préjudices. La semaine dernière seulement, mon groupe a dû intervenir auprès de trois personnes qui présentaient un risque élevé de suicide. Il est nécessaire de former des groupes de soutien pour les victimes de traumatisme sexuel en milieu militaire pour briser l’isolement des membres qui ont subi de la violence sexuelle dans un contexte militaire, pour faire connaître les services mis à leur disposition par Anciens Combattants et au sein des Forces armées canadiennes, pour former des experts en la matière connaissant bien les besoins des victimes de traumatisme sexuel en milieu militaire et pour constituer un bassin de personnes ayant subi de la violence sexuelle qui peuvent être consultées à des fins de recherche et d’analyse de données.

Enfin, les Services de santé des Forces canadiennes manquent à la discussion. En raison de la nature unique du travail militaire, les Forces armées canadiennes possèdent leur propre système de soins de santé, mais les soins sont souvent externalisés, même dans le cadre d’un déploiement. Cela inclut les soins immédiats.

Les trousses de prélèvement en cas de viol ne sont pas normalisées d’une province à l’autre et peuvent ne pas être admissibles en preuve devant un tribunal civil ou tout autre tribunal, le cas échéant. Pour être claire, si une personne est victime de viol et que la trousse de prélèvement en cas de viol est utilisée par un professionnel de la santé militaire, les résultats qui en découleront pourraient ne pas être admissibles en cour. Pensez-y un instant.

Quand les membres des Forces armées canadiennes servent dans des zones de conflit à l’étranger, la question de la normalisation des trousses de prélèvement en cas de viol peut devenir encore plus complexe, au détriment de la victime. Soit dit en passant, cela touche également les membres de la société civile qui se font soigner par le même personnel militaire.

L’intervention des Services de santé des Forces canadiennes a aussi été incohérente en ce qui a trait à leur obligation de faire rapport. Une victime a vu sa demande de soins reportée, et l’affaire a par la suite dû faire l’objet d’une enquête. Une autre victime a été pressée par son médecin militaire de demander une libération pour raisons médicales lors du premier rendez-vous suivant son viol. Une autre s’est fait dire par son médecin militaire qu’on n’envoyait pas les victimes de viol consulter un psychologue, que le service était réservé aux soldats ayant vécu un traumatisme lié au combat.

Nous recommandons que les Forces armées canadiennes aient leurs propres psychologues et psychiatres pour fournir de la formation fondée sur les connaissances aux fournisseurs de soins externes, en ce qui concerne le traumatisme sexuel en milieu militaire, et aux décideurs, en matière de prévention, de signalement, de documentation et d’examen des cas, particulièrement ceux qui sont propres aux Forces armées canadiennes, et insister sur la diminution des conséquences négatives pour les victimes et la reprise de leur service.

Les Forces armées canadiennes ont aussi besoin d’orienter leurs leaders quant à la façon d’intervenir dans de tels cas afin de réduire au minimum les répercussions, pas seulement pour les victimes, mais aussi pour leur unité respective.

En dernier lieu, la discrimination systémique est très répandue au sein des Forces armées canadiennes, et il n’y a aucun processus en place pour examiner la question ou régler le problème. Les anciennes façons de faire doivent être remises en question par les experts en ACS+ et prises au sérieux.

Pour résumer, je crois qu’une amélioration de la surveillance, de la responsabilisation et des soins est essentielle pour que l’approche des Forces armées canadiennes soit plus axée sur les victimes.

Encore une fois, merci de m’avoir permis de m’exprimer en toute franchise et d’avoir pris le temps d’écouter mes préoccupations quant au manque de progrès au sein des Forces armées canadiennes au chapitre des traumatismes sexuels en milieu militaire.

[Français]

Le vice-président : Merci de votre excellente présentation. Avant de céder la parole à mes collègues, je vais me permettre de vous poser une question.

Est-ce qu’on a utilisé, dans certaines situations, le système de mutation pour pallier le problème? Autrement dit, disons qu’un officier a un problème avec un soldat. À la suite d’une plainte, il y a un transfert qui se fait. On l’a vu dans certaines organisations où l’on règle la situation en transférant quelqu’un de Gagetown à Kingston. Est-ce que le système de mutation aurait pu être utilisé pour tenter de régler des problèmes au sein des forces armées?

Mme Gagnon : Auparavant, je pense que oui. Maintenant, lorsqu’une personne porte plainte, il y a un processus. Si les deux personnes travaillent ensemble, il est possible qu’il y ait une mutation pour faire en sorte que ces gens ne travaillent plus ensemble.

Cependant, il faut penser aux gestionnaires de carrière, qui décident où l’on sera affecté après une telle plainte. Savent-ils si, quelques années après une nouvelle affectation, on risque de travailler de nouveau avec cette même personne? Il n’existe pas de mécanisme à l’heure actuelle qui permette d’assurer qu’une victime n’aura pas à retravailler avec un superviseur qui l’aurait agressée par le passé.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Avant tout, merci d’être venue alors que vous êtes malade et merci de l’analyse mûrement réfléchie dont vous nous avez fait part aujourd’hui.

J’aimerais aborder la question générale des organismes qui existent pour les survivants, les victimes et les plaignants; il y a tout un éventail de mots que l’on pourrait utiliser.

Corrigez-moi si j’ai tort, mais d’après les témoins précédents et l’exposé que vous nous avez présenté aujourd’hui également, il me semble qu’il y a peu de financement disponible, voire aucun, pour assurer un soutien direct auprès des sources d’expertise et d’expérience au sein des Forces armées canadiennes. Votre organisme, si je comprends bien, est en grande partie bénévole.

Vous nous avez présenté un excellent exposé aujourd’hui dans lequel vous avez formulé des recommandations très précises et fourni beaucoup de renseignements, manifestement dans le contexte qui a donné lieu à ces recommandations.

Que croyez-vous qu’une organisation comme la vôtre pourrait faire de plus si vous disposiez d’un financement fiable pour soutenir votre mission?

Mme Gagnon : Pour être honnête, le groupe que j’ai fondé n’est absolument pas financé. Nous ne touchons aucun financement et nous ne cherchons pas à en obtenir. C’est un groupe que nous avons formé après la publication du rapport Deschamps. La raison pour laquelle nous avons appelé le groupe It’s Just 700, c’est parce que 700 personnes ont déclaré des inconduites, et que beaucoup de militaires disaient qu’il ne s’agissait que de 700 personnes. Ce soir-là, j’ai eu l’idée de nommer le groupe ainsi.

Essentiellement, un groupe comme le nôtre n’était qu’un groupe de soutien mutuel. Nous n’avions pas d’intention quelconque. Mais lorsque nous avons constaté que des problèmes communs avaient été soulevés, nous nous sommes dit que, au lieu de garder cela pour nous et de pleurer ensemble, nous pourrions essayer d’apporter un changement et de faire entendre notre voix pour faire bouger les choses.

Un groupe comme le mien permet d’assurer une surveillance indépendante complète, je dirais, et on communique avec nous à de nombreuses occasions pour permettre à des chercheurs de rencontrer des membres qui ont été blessés. Comme le CIIS ne fait pas de suivis, il n’a aucun moyen de permettre le contact avec des membres, nous sommes donc les seuls à le faire. Si des gens ont des questions dans le cadre d’une enquête et qu’ils ont besoin du point de vue des victimes, ils viennent vers nous, car nous sommes le seul organisme vers lequel se tournent les victimes.

Il y a des gens qui veulent créer des projets pilotes et faire de la recherche en essayant de nouvelles choses à l’heure actuelle. Ce qui les arrêtait par le passé, c’est qu’ils ne savaient pas à qui soumettre leurs projets afin d’avoir accès à un bassin de personnes dont ils pourraient tirer parti. Mais en ayant notre groupe, nous leur permettons d’être informés, nos membres peuvent donc y prendre part.

Nous informons aussi les gens de tous leurs services, comme ceux qu’offre Anciens Combattants. Même si vous êtes encore en service, vous avez tout de même droit à certains avantages auprès d’Anciens Combattants, comme le Régime d’assurance-revenu militaire et une panoplie de choses différentes. Cela est vraiment propre au domaine militaire. Nous expliquons donc aux gens ce qu’ils peuvent obtenir et de quelle façon ils doivent remplir les formulaires.

Et nous comparons les notes. Beaucoup de gens s’en servent, car encore une fois, les victimes ne connaissent pas leurs droits. Quelqu’un va dire : « On m’a dit telle chose. Et toi? », ou « Mon médecin m’a dit qu’il avait le devoir d’en faire rapport. Est-ce que c’était la même chose pour toi? »

Cela permet donc de faire des comparaisons, et les gens peuvent obtenir une réponse plus juste. Cela nous aide à trouver le problème et à le soulever.

La sénatrice McPhedran : J’ai besoin de quelques précisions à ce sujet. Donc, tous les exposés que nous avons entendus aujourd’hui avant vous de membres des Forces armées canadiennes avaient été présentés par des gens qui occupaient un emploi très stable. Ils étaient ici, avec cette sécurité, en train de faire leur travail et de bien le faire.

Mme Gagnon : Oui.

La sénatrice McPhedran : Votre organisme est animé par la passion et l’engagement. Tout comme de nombreux organismes bénévoles, cela dépend énormément des personnes qui s’investissent corps et âme.

Êtes-vous inquiète de la durabilité à cet égard?

Mme Gagnon : Oui. On nous demande beaucoup, dans le cadre d’enquêtes, de prendre part à des consultations et d’offrir du soutien. Comme je l’ai dit, il y a deux jours, à 3 heures le matin, il y a eu un cas d’une personne qui présentait un risque élevé de suicide. Toutes ces choses arrivent. Pour l’instant, nous sommes 230 personnes au sein du groupe, et nous sommes toutes des victimes également, donc, manifestement, nous pouvons nous entraider dans la mesure où nous pouvons le faire sans nous blesser davantage.

Lorsque le CIIS a été mis sur pied, j’espérais que ce soit ce genre d’endroit et qu’il aurait pu assurer une surveillance indépendante complète pour être en mesure de venir ici et de parler de la même façon que moi au sujet des déclarations des victimes et recueillir le point de vue des victimes, au même titre que le Programme de soutien social aux blessés de stress opérationnel. Ce sont eux les experts en la matière; ce sont eux qui subviennent aux besoins des gens qui reviennent blessés et qui informent les membres de tous les services de soutien à leur disposition. Nous n’avons pas cela. Nous ne participons pas à cela. On ne nous a pas sollicités à cet égard. Tout ce qu’on nous a dit, c’est que nous pouvons toujours consulter le site web et trouver les services nous-mêmes.

C’est très différent. Je ne pense pas que ce soit juste qu’il n’y ait aucun soin pour nous, simplement parce que nos blessures, même si elles sont liées au travail, ne sont pas attribuables au combat.

La sénatrice McPhedran : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, madame Gagnon, de votre exposé. Nous avons réellement beaucoup de matière à réflexion.

Avant que je vous pose mes questions, j’aimerais dire à mes collègues que Mme Gagnon nous a beaucoup poussés à réaliser cette étude et nous a aidés à la préparer, donc nous lui devons beaucoup. Merci beaucoup du leadership dont vous faites preuve dans ce dossier, nous sommes heureux que vous ayez confiance que nous réaliserons une étude objective. Merci beaucoup, madame Gagnon.

D’après ce que vous avez dit… Bien sûr, nous savons que vous comprenez que les victimes font face à de vraies horreurs en ce qui a trait aux inconduites sexuelles. Malheureusement, la seule chose que j’ai entendue au sujet du CIIS, c’est que, comme vous l’avez déjà dit, il ne donne pas aux victimes ce dont elles ont besoin. D’après ce que j’ai entendu, il n’y a pas de soutien spécialisé pour les hommes, les membres de la communauté LGBTQ2, les minorités ethniques ou les membres d’autres minorités et que le centre de soutien n’offre aucune forme de congé médical aux victimes malgré le fait qu’elles ont vécu un grave traumatisme médical.

Plus important encore, on n’offre pas aux victimes un accès aux services juridiques, ce qui veut dire qu’elles doivent par elles-mêmes demander des comptes pour l’horrible inconduite dont elles ont été victimes.

Pouvez-vous nous décrire de quelle façon les problèmes touchent les victimes que vous représentez et cerner les points à améliorer en ce qui concerne le centre? Vous dites que vous lui en avez déjà fait part. S’il n’y en a pas d’autres, je respecte cela. Mais d’après ce que vous entendez, que devrait réellement faire le centre?

Mme Gagnon : Je suis totalement en accord avec ce qu’a dit la juge Deschamps. Sa vision concernant la surveillance complète et la responsabilisation aurait dû être celle en place. Je crois que nous partageons le même avis à cet égard.

La sénatrice Jaffer : J’en arrive à ma deuxième question. Dans une entrevue avec CBC News, vous avez dit être préoccupée par le fait que, à l’heure actuelle, il n’existe aucun groupe de soutien ou de recherche permettant de s’assurer que les gens sont satisfaits des services qui leur sont offerts après avoir été victimes d’une inconduite sexuelle.

Je suis d’accord. Nous craignons qu’ils ne le soient pas, et il n’y a aucun moyen de savoir si les gens sont satisfaits s’il n’y a pas de suivi. Si des victimes voient que d’autres victimes sont abandonnées sans soutien adéquat, il est possible qu’elles n’osent pas faire de signalement.

Vous savez que les difficultés qui se posent aux forces armées sont très différentes. Elles ont un commandement, une structure, et si des victimes dénoncent des actes, elles sont vues... Particulièrement si c’est leur superviseur qui les a agressées; elles n’ont nulle part où aller. Vous qui êtes passé par le système, pouvez-vous énumérer — ce sera peut-être difficile de le faire maintenant — trois éléments qui, lorsque vous souffriez, auraient pu vous aider à vous rétablir plus rapidement s’ils avaient été en place?

Mme Gagnon : L’un d’eux serait probablement un processus écrit et des politiques. La raison, c’est que l’ombudsman s’assurera qu’ils sont respectés, mais qu’en est-il si le processus n’est pas écrit? Cela est considéré comme une action sociale pour eux. Alors, nous n’avons personne vers qui nous tourner. Nous souffrons donc de ce que j’appellerais un effet cascade en raison de ce qui s’est produit, comme une libération pour raisons médicales liée à un traumatisme sexuel, puisque vous ne répondez plus à l’universalité du service.

Si vous voulez contester ce type de processus, ce n’est pas une question de genre, vous ne pouvez pas invoquer les droits de la personne. Vous ne pouvez pas non plus vous adresser à l’ombudsman, car ce n’est pas le processus. Ce problème doit être réglé, mais comment? À l’heure actuelle, le seul moyen est de nous adresser aux médias.

Ce serait l’un des éléments; comment nous pencher sur la discrimination systémique ou les processus à l’heure actuelle et nous assurer qu’ils sont adéquats pour tout le monde, comme l’ACS+. Ce genre de choses aurait pu aider, car, à tout le moins dans mon cas, je pouvais voir qu’il y avait beaucoup d’iniquités procédurales qui n’étaient pas nécessairement liées à la discrimination en soi, mais cela n’avait probablement simplement pas été réfléchi au départ, ou, du moins, pas dans cette optique. Voilà un aspect.

Le deuxième élément serait les représailles. Lorsqu’une personne signale un incident, il faut que les représailles soient prises en charge. Si ce n’est pas le cas, il est fort probable que la situation empire. En ce moment, c’est un peu injuste quand une victime signale des incidents avant qu’ils n’empirent, la situation s’aggrave et vous vous retrouvez avec le fardeau en plus de devoir signaler l’incident, régler le problème et passer par tout le système juridique, même si vous avez fait ce que vous aviez à faire, vous avez fait votre devoir de signaler la situation. Ce serait donc un autre aspect.

Le troisième point, c’est qu’il faut avoir accès à du soutien, peu importe si vous choisissez de signaler l’incident ou non. Je crois que c’est essentiel, car je me suis rendu compte, au sein de mon groupe, que beaucoup de gens n’étaient pas prêts à signaler l’incident ou à faire quoi que ce soit, pas même à consulter AAC. Après environ une semaine ou deux à voir d’autres gens et à constater à quel point cela les aidait, les victimes sont motivées à le faire pour elles. Il faut donc offrir les soins nécessaires dès le début pour renforcer la résilience de ces personnes et leur permettre de passer à l’étape suivante, quelle qu’elle soit.

De notre côté, nous ne mettons pas de pression. Nous ne jugeons pas. Nous laissons simplement les gens faire ce qu’ils ont besoin et leur procurer les soins nécessaires.

La sénatrice Jaffer : Madame Gagnon, je vais m’arrêter ici, car mes autres collègues ont des questions. J’aimerais seulement vous dire que, lorsque la lieutenante-générale Whitecross faisait partie du même groupe que moi, elle a dit qu’il fallait beaucoup de temps pour changer la culture; lorsque je vous regarde, je constate que les Canadiens ont perdu une personne formidable qui aurait pu servir sa patrie admirablement, et je vous remercie de votre service pour le Canada.

Mme Gagnon : Merci.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Vous avez dit que votre groupe avait empêché trois personnes présentant un risque élevé de suicide de passer à l’action la semaine dernière, et vous avez indiqué qu’elles n’avaient pas communiqué avec Anciens Combattants. Je m’interroge. Elles ne faisaient pas confiance à Anciens Combattants. Est-ce que les personnes présentant un risque élevé de suicide en raison de ce genre de traumatisme font confiance à Anciens Combattants? Avez-vous remplacé Anciens Combattants à cet égard?

Mme Gagnon : Nous avons eu beaucoup de difficultés à aborder ces questions avec Anciens Combattants. Nous exerçons des pressions pour faire partie de ces groupes consultatifs ministériels. On nous a dit que, à l’origine… on m’a dit que j’allais faire partie d’un groupe. Le groupe était déjà formé. Je l’ai appris par d’autres personnes. Je suis donc revenue à la charge. Puis, on m’a accepté au sein du groupe des services au client, même si je visais plutôt quelque chose relatif à la santé mentale ou aux politiques. On m’a dit que, comme le groupe était déjà formé, la seule façon d’y accéder, c’était que quelqu’un se retire.

Ce que cela veut dire, c’est que, sur les 77 personnes au sein de ces groupes consultatifs, j’étais la seule à représenter les traumatismes sexuels, et il n’y avait que 3,5 p. 100 de femmes qui avaient servi ou qui faisaient leur service militaire au sein d’Anciens Combattants.

C’est très difficile pour nous de soulever des enjeux qui sont propres à nos besoins, car on nous demande de choisir trois grandes priorités et de voter pour les trois principales pour tout le monde. Manifestement, nos trois priorités ne sont pas les mêmes que celles d’un vétéran blessé au combat. J’ai donc demandé de nombreuses fois d’envisager la possibilité de tenir un autre type de consultation à laquelle participeraient plus de gens comme moi afin que nous puissions nous exprimer et faire plus que simplement être présents. Cela ne s’est jamais produit. Personne n’a communiqué avec moi.

Ce que je vous dirais, c’est que pour nous, le plus grand enjeu consiste à avoir accès aux avantages, puisque les processus ont été conçus pour les blessures liées au combat.

J’ai parlé à des gens de façon informelle d’adopter davantage le modèle américain, qui est plus logique pour nous, et apparemment, certains changements ont été apportés. J’ai appris cela d’une personne lors d’une audience de la Chambre des Communes, mais je ne connais pas la nature des changements.

Tout ce que je sais, c’est que lorsque j’ai moi-même eu une question, je n’ai pas pu m’adresser à l’ombudsman, car, encore une fois, ce n’est pas une question d’équité procédurale. C’est une simple procédure. Seulement, la procédure est fautive. Nous avons dû rassembler d’autres cas, les envoyer à Charlottetown, les 19 cas, afin qu’on les examine, qu’on nous assigne un enquêteur afin qu’il se penche sur nos besoins.

Je ne vois pas comment une seule personne peut faire cela. Cela m’a pris plus de deux ans pour y parvenir.

Le sénateur Richards : Dans la même veine — elle n’est pas ici, et je la respecte et je respecte sa contribution aujourd’hui —, que pensez-vous des commentaires du contre-amiral Bennett à cet égard?

Mme Gagnon : Quelle partie?

Le sénateur Richards : La partie où elle disait que des initiatives étaient prises et que les choses se réglaient, que le processus fonctionnait et qu’on travaillait à éliminer ce genre de comportement au sein des forces armées. De façon générale, croyez-vous que c’est vrai?

Mme Gagnon : En ce qui me concerne, je n’en fais plus partie. J’ai quitté l’armée. Tout ce que je sais, c’est que, peu importe ce qui a été prévu, la façon dont les choses se répercutent n’est pas toujours celle que l’on croit, et je comprends. C’est une grande institution. Je ne crois pas qu’il y avait de mauvaises intentions derrière cela. J’ai bien aimé examiner le nouveau FRAG O 004. L’annexe A est très intéressante. Je me demande comment les choses vont se dérouler. C’est la même chose avec la charte des droits. C’est une bonne nouvelle. Mais encore une fois, ce sont des plans.

De nombreux plans ne se sont jamais concrétisés en 2016 et en 2015. Donc, pour moi, tant que je ne vois pas de différence, c’est difficile à croire. C’est un peu comme en 2016, quand les rapports d’étapes présentaient des recommandations qui semblaient incroyables… j’ai de l’espoir. Mais d’un autre côté, nous devons voir les choses se concrétiser.

Le sénateur Richards : Merci.

[Français]

Le vice-président : Madame Gagnon, pour faire suite à la question du sénateur Richards, vous dites qu’il est difficile d’avoir des subventions ou de l’aide pour votre organisme. Quelles sont vos relations avec le ministère des Anciens Combattants et le ministère de la Défense nationale? Ils devraient normalement être à l’écoute des groupes comme le vôtre, parce que vous les aidez en leur suggérant des pistes de solution. Quelles sont vos relations avec ces deux ministères?

Mme Gagnon : Premièrement, on n’a jamais demandé de subvention, car on n’est pas un organisme, donc on n’a pas essayé. Je sais que d’autres organismes ont essayé. Le fait que notre travail ne rejoigne pas tous les anciens combattants est souvent un obstacle. Si notre travail s’adresse seulement aux femmes ou à certains types de blessures, c’est considéré comme un critère d’inadmissibilité pour obtenir des fonds, dans le cas de ceux qui ont essayé, je crois.

En ce qui a trait aux relations avec la Défense nationale, on a été consulté à quelques reprises, peut-être cinq ou six fois jusqu’à aujourd’hui.

C’est vraiment plus difficile avec le ministère des Anciens Combattants. J’ai été à la rencontre du Sommet des intervenants. J’ai fait partie initialement du groupe-conseil du service à la clientèle. J’ai décidé de me faire remplacer, non pas parce que je ne trouve pas cela important, mais en raison du temps investi. Je suis une seule personne, je travaille à temps plein, donc, pour moi, ce n’était pas nécessairement l’endroit qui pouvait favoriser des changements pour nous. Je voulais qu’il y ait tout de même une représentation, mais pas nécessairement investir plus de temps dans un dossier qui, pour moi, n’était pas destiné à trouver une solution pour nos besoins.

Le vice-président : Quand vous avez eu des rencontres avec le ministère de la Défense nationale, avez-vous eu l’impression qu’on ne faisait que vous écouter ou que les rencontres portaient leurs fruits? On peut avoir des rencontres, écouter les gens et, après, ça tombe dans l’oubli. Avez-vous l’impression qu’on est à votre écoute? Ce que vous nous dites et ce qu’on étudie aujourd’hui, c’est important pour les Forces armées canadiennes et pour les victimes.

Mme Gagnon : J’ai plus d’écoute de la part des Forces armées canadiennes que d’Anciens Combattants Canada pour le moment. J’ai eu une conversation avec le chef de la défense, qui a été productive. On a été à l’écoute lorsque cela a été discuté.

Pour ce qui est d’Anciens Combattants Canada, je ne voulais pas trop mettre l’accent là-dessus, car je sais qu’il y a un autre comité que se penche sur cette question. Ce qui est problématique, c’est que, malgré nos demandes de rencontrer des représentants du ministère, nous n’avons jamais été invités. Je n’ai pas été en mesure de parler de nos problèmes.

Au Sommet des intervenants, pas le dernier, mais le précédent, j’avais parlé au général Walt Natynczyk — je pense que les vidéos sont encore disponibles —, et une chose que j’avais demandée à ce moment-là, c’était qu’il commence à faire un suivi des données sur le nombre de cas d’événements traumatiques liés aux agressions sexuelles pour connaître ceux qui étaient acceptés ou refusés. On m’a dit que le ministère allait se pencher sur cette question, parce qu’il était important de comprendre qui recevait les services. Un événement traumatique à caractère sexuel n’est pas considéré comme une blessure. Les blessures, c’est comme le syndrome de stress post-traumatique. Il y en a d’autres, comme l’anxiété généralisée ou les dépressions majeures.

Vu que c’est une source de blessures, le ministère ne fait pas d’étude de la source; uniquement de la blessure. Pour moi, il est important de connaître les différents problèmes et le nombre de personnes blessées, et de savoir si elles ont été en mesure d’obtenir les services dont elles avaient besoin, contrairement à d’autres types de blessures. Ce serait important pour tous les types de blessures.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Gagnon.

Le sénateur Boisvenu : Madame Gagnon, bienvenue au comité. Nous souffrons du même problème de gorge.

Vous vivez ces événements depuis le début des années 2000. C’est une longue période. Je regardais les statistiques : 27 p. 100 des femmes des Forces armées canadiennes disaient avoir été agressées, contre 4 p. 100 des hommes. En 2015 seulement, 5 p. 100 des femmes disaient avoir été agressées, et 50 p. 100 d’entre elles par leur supérieur. C’est donc très difficile pour elles de dénoncer, parce que leur carrière peut être mise en péril. Je suis certain que beaucoup de femmes ne dénoncent pas pour protéger leur famille et leur carrière. Merci de l’avoir fait pour celles qui ne l’ont pas fait. Vous êtes un modèle pour ces femmes.

Où en est le recours collectif que vous avez entrepris contre les Forces armées canadiennes? Je sais qu’en 2017, le recours a été déposé, mais on n’a pas reçu de nouvelles à ce sujet. Avez-vous de l’information de votre côté?

Mme Gagnon : Non. Je ne suis pas une représentante, donc je n’ai pas été informée des discussions en cours.

Le sénateur Boisvenu : Vous avez entendu plus tôt la juge Deschamps, car vous étiez assise dans la salle. Elle se dit très sceptique et sévère envers les Forces armées canadiennes en ce qui a trait au rapport qu’elle a déposé. Quelle est votre opinion aujourd’hui en ce qui concerne la période que vous avez vécue dans les années 2000, lorsque vous avez été agressée? Est-ce que vous êtes aussi sceptique que la juge Deschamps quant au sérieux avec lequel les Forces armées canadiennes traitent du problème?

Mme Gagnon : Je crois que les forces armées vont prendre toutes les petites choses au sérieux et qu’elles vont en faire des exemples. Au départ, en 1996, il y a eu le même phénomène où on a pris certains cas pour en faire des exemples. Ce n’est pas nécessairement bien, parce que ça fâche les gens plus qu’autre chose. Honnêtement, ce n’est pas ce dont les gens ont nécessairement besoin. Ils ont besoin d’attention lorsqu’ils rapportent des événements majeurs. Je ne dis pas que ce n’est pas important de parler des inconduites sexuelles, mais les gens de mon groupe, par exemple, voient ce qui arrive aux gens qui rapportent les cas. Dans mon groupe, j’ai fait une enquête assez informelle, à laquelle seulement 70 personnes ont répondu. Sans autres types de données, c’est ce qu’il y a de mieux. Sur les 77 personnes qui avaient rapporté un cas, seulement 7 p. 100 ont été capables de rester dans les Forces armées canadiennes par la suite, pour plusieurs raisons. Elles n’ont pas l’impression qu’elles peuvent rapporter un cas en toute sécurité et que cela ne risque pas de nuire à leur carrière.

Le sénateur Boisvenu : Selon votre sondage scientifique, une grande proportion des plaignantes, 93 p. 100, quittent les forces armées quelques années plus tard pour diverses raisons.

Est-ce que l’agresseur quitte les forces armées ou est-il protégé lorsqu’il occupe un poste haut gradé?

Mme Gagnon : Récemment, le chef de la défense a décidé de faire une révision administrative de toutes les personnes qui se rendent en cour martiale. Selon ce que j’ai constaté dans mon groupe, cela n’a pas été le cas. Certaines personnes ont été en procédure, et la révision n’a pas été faite et ne sera pas réalisée.

Le rapport fait état de 267 cas. Parmi ces 267 cas, peut-être une vingtaine de personnes sont sorties. C’est très minime quand on regarde le nombre de cas qui ont été rapportés. Je ne sais pas à quel point les gens sont en mesure de rester ou non. Cela dépendra de la gravité des cas et des preuves qui sont réunies.

D’après ce que j’ai compris, à l’extérieur des Forces armées canadiennes, on dispose d’un processus interne pour assurer la sécurité des travailleurs, peu importe ce qui se passe du côté de la cour criminelle. Des mesures intérimaires sont prises. On décide de ce qui sera fait pour protéger l’environnement de travail. Étant donné que les Forces armées canadiennes ont un processus de cour interne, c’est comme si les deux étaient réunis. Si les gens vont en cour martiale, on doit attendre à la fin pour décider si on fera une révision administrative. Le processus dure une éternité, soit environ quatre ans. La plupart du temps, à cette étape-là, les victimes ne restent pas.

Le sénateur Boisvenu : Dans votre cas, avez-vous porté plainte?

Mme Gagnon : J’ai communiqué avec ma chaîne de commandement. À l’époque, c’était différent. Je n’ai pas déposé de plainte officielle.

Le sénateur Boisvenu : Il n’y a pas eu de procès à l’interne ni à l’externe.

Mme Gagnon : Non.

Le sénateur Boisvenu : Les victimes que vous connaissez, est-ce qu’elles se sentent libres de choisir entre un procès au civil ou un procès au tribunal militaire?

Mme Gagnon : J’ai été très surprise d’apprendre que les victimes ont le choix aujourd’hui. Par exemple, tout récemment, une personne a été victime d’un incident à l’extérieur de ses fonctions militaires. Ça a été très long avant de savoir si ce cas allait être traité à l’interne ou à l’externe.

Le sénateur Boisvenu : Il y a un problème de décisions. Parlez-vous de la victime ou des forces armées?

Mme Gagnon : Les forces armées ont décidé. Récemment, une femme de 17 ans a été accusée d’avoir bu de l’alcool alors qu’elle était mineure. Elle a rapporté qu’elle s’était fait agresser par deux hommes alors qu’elle était sous l’effet de l’alcool. Donc, on a décidé que cette agression devait être jugée à la cour civile. On a engagé des poursuites contre elle, puisqu’elle avait bu de l’alcool alors qu’elle était mineure. Cela n’était pas un choix. Je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un avait le choix entre l’un ou l’autre.

Le vice-président : Merci, madame Gagnon, de votre témoignage judicieux et de votre courage. Soyez assurée que nous tiendrons compte de votre témoignage dans la rédaction de notre rapport. Nous espérons que cela vous permettra de trouver des solutions pour aider les victimes d’agression sexuelle au sein de l’armée.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : J’invoque le Règlement. J’aimerais avoir des conseils à cet égard. D’après ce que j’entends, une grande partie des témoignages que nous entendons aujourd’hui se ressemblent beaucoup et pourraient servir à la rédaction de notre rapport sur le projet de loi C-74 en raison de la référence précise à Anciens Combattants et des renseignements précis au sujet des mêmes pratiques d’exclusion. J’aimerais donc demander s’il est possible que nous ne tenions pas compte du témoignage seulement aux fins du rapport dont il est question aujourd’hui. Pouvons-nous en tenir compte également dans le cadre du rapport sur le projet de loi C-74? Je voulais poser la question tandis que le témoin est encore ici.

[Français]

Le vice-président : Il faudrait peut-être transmettre la question au greffier. Si vous le souhaitez, je peux libérer le témoin. Comme nous nous réunirons pour traiter de nos rapports, nous pourrions en discuter entre nous.

Encore une fois, je vous remercie, madame Gagnon. Votre témoignage nous a été très utile.

Nous allons poursuivre la séance en examinant une ébauche de rapport.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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