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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 32 - Témoignages du 5 novembre 2018


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-21, se réunit aujourd’hui, à 13 h 1, pour étudier le projet de loi et pour étudier, afin d’en faire rapport, les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense, et à huis clos, pour examiner une ébauche de rapport.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Je demanderais à mes collègues de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec. Bonjour, monsieur le ministre.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Monsieur le ministre, bonjour.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, Nouveau-Brunswick.

La présidente : Je suis présidente du comité. Gwen Boniface, du Manitoba.

Nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes. Nous accueillons l’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et la Protection civile, qui est accompagné des représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada : le vice-président, Direction générale des programmes, M. Martin Bolduc, et le directeur par intérim, Programme des voyageurs, M. Andrew Lawrence.

Monsieur le ministre, merci d’être parmi nous aujourd’hui. Je vous cède la parole.

L’honorable Ralph Goodale, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis content d’être encore une fois devant votre comité. Je suis impatient de poursuivre avec vous le travail entrepris sur ce sujet et sur d’autres questions en lien avec la sécurité du Canada.

Le projet de loi C-21 revêt une importance cruciale; il permettra au Canada de surveiller non seulement les personnes qui entrent au pays, mais également celles qui en sortent. Je crois qu’un grand nombre de Canadiens tiennent déjà pour acquis que nous recueillons des données sur les personnes qui entrent au Canada et qui en sortent. Ils ont tort.

Grâce au projet de loi, nous corrigerons cette lacune dans notre cadre de sécurité et d’administration et veillerons ainsi à la circulation efficace et sécuritaire des marchandises commerciales et des voyageurs légitimes.

[Français]

Plusieurs pays recueillent déjà ces renseignements communément appelés les données de sortie, y compris nos alliés dans le Groupe des cinq.

[Traduction]

Avec le projet de loi C-21, le Canada va rattraper son retard sur les autres pays et éliminer une faille importante dans la sécurité du pays. Le projet de loi C-21 permettra aussi au gouvernement du Canada de mieux gérer les voyageurs à haut risque et les crimes transfrontaliers, y compris les enlèvements d’enfants et la traite de personnes. En outre, nous augmenterons notre capacité à empêcher les Canadiens radicalisés de voyager à l’étranger pour intégrer des groupes terroristes.

Une fois le projet de loi C-21 adopté, il sera plus facile pour les agents d’immigration de prendre des décisions éclairées et d’utiliser efficacement les ressources à leur disposition. Ils auront accès à des données fiables sur les sorties et pourront prendre des mesures en fonction d’un portrait plus complet et plus juste des antécédents de voyage d’un demandeur. En outre, dans le cadre des investigations en matière d’immigration, ils pourront accorder la priorité aux personnes qui se trouvent effectivement au Canada et déployer en conséquence les ressources appropriées, sans perdre du temps avec les gens qui ne sont pas au Canada ou qui ont déjà quitté le pays.

Le projet de loi C-21 contribue également à protéger les contribuables en réduisant la fraude et l’utilisation abusive relativement à certains programmes fédéraux assortis d’une obligation de résidence. En recueillant des données sur les sorties du Canada, nous serons mieux à même de déterminer si une personne est admissible ou non à certains programmes ou à certains avantages. Les Canadiens s’attendent à ce que le gouvernement fédéral gère ses programmes de façon responsable; et c’est pourquoi les personnes qui touchent des prestations de façon légitime ne sont pas concernées.

Les composantes principales du projet de loi sont plutôt simples. L’information que l’on veut recueillir se résume simplement aux renseignements de base qui se trouvent à la page 2 de votre passeport, ainsi qu’à la date et à l’endroit de départ du pays. C’est tout. Il n’y a absolument aucune ingérence. Il s’agit des mêmes données d’identification que vous présentez volontairement aux agents étrangers lorsque vous traversez une frontière et que vous leur montrez votre passeport où figurent votre nom, votre date et votre lieu de naissance, votre nationalité, votre sexe et l’autorité de délivrance du titre de voyage.

Les données seront recueillies de façon très simple et directe et les voyageurs n’auront pas à se soumettre à de nouvelles exigences. Pour les voyageurs qui quittent le Canada par la voie aérienne, la compagnie aérienne devra recueillir l’information dans la liste des passagers et transmettre les données à l’Agence des services frontaliers du Canada avant le départ. Pour ce qui est de la voie terrestre, les agents américains recueilleront, comme ils le font déjà, ces renseignements à titre de données sur les entrées. Les données seront envoyées à l’ASFC, qui s’en servira comme données sur les sorties.

Le même principe s’applique dans l’autre sens pour les voyageurs qui entrent au Canada à partir des États-Unis. Il n’y aura aucun changement perceptible pour les voyageurs.

Le projet de loi C-21 réagit également à une préoccupation que le vérificateur général avait soulevée dans son rapport de l’automne 2015, soit que des mesures plus énergiques devaient être prises pour lutter contre l’exportation illégale de marchandises contrôlées ou dangereuses.

Le projet de loi C-21 modifie la Loi sur les douanes de façon à interdire la contrebande de marchandises contrôlées en provenance du Canada. Croyez-le ou non, mais présentement, seule la contrebande à destination du Canada est interdite. Nous voulons donc, encore une fois, éliminer cette faille dans la loi.

Les agents frontaliers disposent déjà de pouvoirs en ce qui concerne les marchandises à destination du Canada; le projet de loi C-21 leur accorde donc des pouvoirs similaires relativement aux marchandises en provenance du Canada.

Un autre aspect important concerne les mesures de protection qui ont été prises à l’égard du projet de loi C-21. Dès le départ, je veux préciser que nous avons abondamment consulté le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada à propos de cette Initiative sur les entrées et les sorties et que nous continuerons de le consulter tout au long du processus.

La Loi sur les douanes régit de façon très claire la communication interministérielle du renseignement; elle prévoit des limites strictes quant à l’utilisation et à la divulgation future des renseignements. La communication de renseignements avec les États-Unis est régie de façon stricte par un protocole d’entente sur les entrées et les sorties, et elle est visée explicitement par une déclaration sur les principes de protection des renseignements personnels.

Ces documents énoncent les normes relatives à la gestion de l’information, les dispositions sur la protection des renseignements personnels et les mécanismes de règlement des problèmes éventuels. Vous pouvez consulter, sur le site web de l’Agence des services frontaliers du Canada, l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée concernant les phases actuelles et précédentes de la mise en œuvre de l’initiative. Une nouvelle évaluation sera réalisée une fois le cadre législatif adopté et mis en œuvre.

Nous devons garder à l’esprit le fait qu’il est absolument essentiel pour la sécurité du Canada que les autorités canadiennes et américaines puissent collaborer et échanger des renseignements dans toutes sortes de contextes, en respectant toujours scrupuleusement les lois et les ententes et sous réserve d’une surveillance.

Par exemple, les autorités canadiennes ont pris des mesures il y a deux ou trois étés pour déjouer une attaque terroriste qui avait été planifiée à Strathroy, en Ontario. Cela a été possible grâce à des échanges de renseignements avec les États-Unis. La collaboration et l’échange de renseignements avec nos partenaires américains protègent de façon importante les intérêts du Canada.

Il convient de poser certaines questions clés à propos de ce projet de loi. Premièrement, quel genre de renseignements seront recueillis comme données sur les sorties? Deuxièmement, quelles mesures de protection seront prises? Troisièmement, à quelle fin l’information sera-t-elle utilisée? Le projet de loi C-21 répond très clairement à ces questions.

Comme je l’ai dit, il s’agit des renseignements qui se trouvent à la page 2 de votre passeport et que vous présentez chaque fois que vous traversez une frontière. Je souligne également que le Canada ne communiquera aux États-Unis ces renseignements que lorsqu’une personne entre au Canada en provenance des États-Unis, et que cette personne aurait de toute façon dû obligatoirement présenter ces renseignements aux autorités américaines à son entrée aux États-Unis.

Nous ne fournissons aucun renseignement que les États-Unis ne posséderaient pas déjà, mis à part sur le fait que la personne a quitté le pays.

Toutes ces mesures de protection seront prises dans le cadre d’une structure de reddition de comptes nationale qui sera la plus robuste que le Canada ait jamais eue. Par exemple, nous avons adopté le projet de loi C-22 pour constituer un Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Ce comité est déjà sur pied, mais je ne vous apprends rien.

En outre, le projet de loi C-59 a été présenté à la Chambre des communes au printemps et est maintenant rendu au Sénat. Dans ce projet de loi, on propose de constituer l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, que certains appellent le super CSARS. C’est une innovation au regard de structure de la sécurité nationale. Nous avons été proactifs et avons diffusé de nouvelles directives ministérielles interdisant expressément la divulgation de renseignements pouvant entraîner un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne.

Je devrais mentionner qu’il y aura très probablement, au cours des prochaines semaines et des prochains mois, un nouveau projet de loi visant à encadrer convenablement la surveillance de l’Agence des services frontaliers du Canada. Je sais que le Sénat s’est particulièrement intéressé à cette question par le passé. Je veux tout bonnement vous dire aujourd’hui qu’il y aura un nouveau projet de loi pour combler cette lacune.

Pour terminer, à quelle fin échangeons-nous de l’information? Le projet de loi C-21 aidera les autorités canadiennes à faire une foule de choses, de la lutte contre la criminalité transfrontalière à l’amélioration de la gestion des programmes de prestations sociales et d’immigration, en passant par la prévention des déplacements à des fins terroristes.

Prenez, par exemple, une alerte AMBER lancée dans le cas d’un enlèvement d’enfant. Si la disparition d’un enfant est signalée, la police pourra consulter les dossiers de sortie pour voir si l’enfant a effectivement quitté le pays, à quel endroit, à quelle heure et avec qui.

Ce nouvel outil sera extrêmement utile et précieux pour les enquêteurs des deux côtés de la frontière qui vont concerter leurs efforts pour retrouver l’enfant et appréhender la personne qui l’a enlevé. Cette raison à elle seule devrait suffire — je l’espère — à convaincre le comité d’adopter ce projet de loi critique dans les plus brefs délais.

Notre gouvernement s’est engagé à assurer la circulation efficiente des marchandises commerciales et des voyageurs, car cela est absolument essentiel à la prospérité du Canada. Nous sommes aussi fermement déterminés à assurer la sécurité de notre frontière. Le projet de loi C-21 constitue une étape importante à cet égard.

Je vous remercie de l’intérêt que vous accordez au projet de loi. Mon équipe et moi serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Commençons le premier tour de questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre. Ma première question concerne le processus du gouvernement quant à ce projet de loi. Les travaux à l’autre endroit sur ce projet ont été retardés de façon inexplicable par votre gouvernement. Vous avez présenté vous-même le projet de loi le 15 juin 2016, il y a de cela plus de deux ans. Je ne comprends pas l’urgence d’adopter ce projet de loi aujourd’hui.

Plusieurs amendements ont été proposés au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes afin de mieux protéger les informations des Canadiens et seuls ceux de votre gouvernement ont été adoptés. Aujourd’hui, votre gouvernement demande au Sénat d’adopter à la hâte ce projet de loi en limitant les travaux de notre comité à un maigre cinq heures pour entendre des témoins. Cela nous prive de la possibilité d’entendre de nombreux témoins et de mieux comprendre les implications du projet de loi, que vous qualifiez vous-même de critique.

Je ne veux pas vous manquer de respect, mais c’est un manque de respect de la part de votre gouvernement à l’égard de nos travaux. C’est comme si nous étions ici pour approuver automatiquement un projet de loi en l’espace de quelques heures. C’est la première fois que je vois cela depuis que je siège au Sénat.

[Traduction]

M. Goodale : Le projet de loi C-21 a été rendu public il y a longtemps déjà afin que l’ensemble des Canadiens, y compris les députés, puissent l’examiner et le comprendre. Très tôt dans le processus, j’ai pu discuter de manière informelle avec un représentant de l’opposition conservatrice à la Chambre, M. Tony Clement, qui était à ce moment-là le porte-parole de l’opposition relativement à ce projet de loi; il a depuis pris d’autres responsabilités. Au début du processus, M. Clement m’a dit que ce projet de loi était tout à fait pertinent et qu’il le soutenait complètement. Il a dit que l’opposition officielle appuierait le projet de loi avec enthousiasme et serait ravie de le voir adopté, étant donné qu’il cible des problèmes de sécurité frontalière très pressants. J’ai tenu pour acquis, à la lumière de ces paroles, qu’il y avait beaucoup de volonté à l’égard de ce projet de loi.

À propos du programme législatif, les questions de sécurité publique et nationale nous ont tenus très occupés. Le projet de loi C-59 nous a — bien sûr — pris énormément de temps et d’effort, tout comme les projets de loi C-23 et C-22. Tout cela, sans parler des mesures législatives prévues dans le projet de loi C-56, le projet de loi C-71 et le projet de loi C-83.

Je suis conscient du fait que nous avons un programme ambitieux, et nous essayons de présenter tous ces projets de loi à la Chambre des communes et au Sénat le plus rapidement possible, car ils concernent d’importantes questions de politique publique et que vous devez avoir tout le temps nécessaire pour les étudier convenablement.

Je suis convaincu que le Sénat, comme toujours, étudiera le projet de loi de manière exhaustive et consciencieuse.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je veux vous parler de la confidentialité des renseignements personnels. Seriez-vous d’accord, si ce projet de loi est accepté, pour qu’un comité révise d’ici cinq ans ce qui va se passer en se basant sur les informations recueillies, qui seraient conservées pendant 15 ans?

[Traduction]

M. Goodale : Je ne suis pas vraiment sûr de comprendre ce que vous voulez dire. Avec quoi suis-je censé être d’accord?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il va y avoir une collecte de renseignements personnels. Si le projet de loi est adopté tel que, seriez-vous d’accord pour qu’un comité soit mis en place afin de réviser d’ici cinq ans ce qui se passe en se basant sur les informations personnelles des gens? Ces informations pourraient être conservées pendant 15 ans, mais un comité pourrait faire une révision tous les cinq ans afin de s’assurer que les renseignements personnels recueillis sont toujours vrais et qu’ils nécessitent toujours d’être conservés?

[Traduction]

M. Goodale : Tout d’abord, permettez-moi simplement de dire que les seuls renseignements qui sont recueillis sont ceux qui figurent sur la deuxième page du passeport. Il n’y a pas d’autre grand dossier ni de collecte secrète de renseignements personnels. Il s’agit simplement de ce que certains appellent les renseignements de base, soit ceux qui figurent à la page 2 du passeport, ainsi que deux autres éléments d’information : le lieu à partir duquel la personne a quitté le pays et la date à laquelle elle l’a quitté.

Ces renseignements, avec ceux qui figurent sur la page 2, sont les seuls renseignements visés par le projet de loi C-21. Aucun autre renseignement n’est concerné.

En ce qui a trait à l’examen quinquennal, nous avons déjà présenté un ensemble de dispositions législatives touchant la sécurité nationale, essentiellement dans les projets de loi C-22 et C-59. Il y a d’autres dispositions législatives connexes comme le projet de loi C-21, mais la série de mesures législatives serait examinée après cinq ans par les comités du Parlement appropriés pour qu’on puisse s’assurer qu’elles ont été correctement utilisées.

Si des modifications doivent être apportées à la législation à ce moment, elles pourront l’être. La disposition visant l’examen quinquennal de l’ensemble des lois en matière de sécurité nationale est déjà mise en place.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Bienvenue encore une fois, monsieur le ministre. Quand vous avez comparu ici pour parler du projet de loi C-23 concernant la Loi sur le précontrôle, nous avons eu une discussion sur l’importance d’énoncer explicitement la protection accordée par la Charte. Heureusement, l’article 11 indique explicitement comment un contrôleur exerce les attributions qui lui sont conférées par la présente loi conformément au droit canadien, notamment à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Déclaration canadienne des droits et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pensez-vous que ce soit une bonne idée pour nous d’avoir une protection similaire dans le projet de loi C-21? Il s’agit certainement d’une chose que nous pourrions envisager de présenter. Ce serait une bonne chose si vous étiez réceptif à ce sujet.

M. Goodale : Certainement, je souscris entièrement au principe qui sous-tend votre question. Quiconque applique le droit canadien, doit le faire conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Déclaration canadienne des droits, et ainsi de suite. Ce sont toutes des lois fondamentales très importantes.

La raison pour laquelle il était nécessaire d’indiquer cela explicitement dans le projet de loi C-23 sur le précontrôle, c’est que, dans le cadre de ce projet de loi, nous nous occupions du comportement des agents de douane américains qui exercent leurs fonctions dans des postes de précontrôle sur le sol canadien. Nous devions préciser très clairement que la structure générale de la Charte canadienne des droits et libertés et des autres lois représenterait le cadre de gouvernance, de sorte que cela soit absolument clair relativement aux Américains qui exercent leurs fonctions sur le sol canadien.

Dans ce cas, ce seront des agents de douane canadiens qui accompliront les fonctions. Ce seront eux qui seront chargés d’appliquer le projet de loi C-21. La Charte s’applique à eux automatiquement, sans réserve, comme elle s’applique à nous tous.

Je ne pense pas que la disposition particulière est nécessaire dans ce projet de loi, car la protection est déjà garantie. Par définition, la Charte s’applique au comportement des fonctionnaires canadiens responsables de l’exécution du projet de loi C-21.

Cela ne veut pas dire que je désapprouve votre point de vue; je l’ai très bien compris. La protection accordée par la Charte doit être appliquée, et elle l’est, car ce sont des fonctionnaires canadiens qui exercent leurs fonctions au Canada.

La sénatrice McPhedran : Permettez-moi de vous poser une autre question. Nous n’avons pas réussi à prévoir une protection claire du secret professionnel de l’avocat, quand nous traitions le projet de loi sur le précontrôle. La protection des renseignements est un élément très important et est essentielle aux droits de la personne des Canadiens. Il n’y a vraiment rien dans ce projet de loi qui traite du secret professionnel de l’avocat. Je me demandais si vous pouviez nous aider à comprendre pourquoi.

M. Goodale : Je pense que la seule raison, c’est que le secret professionnel de l’avocat ne sera jamais touché par les dispositions de ce projet de loi. Encore une fois, nous ne parlons pas des renseignements en général. Les seuls renseignements visés par le projet de loi C-21 sont les renseignements qui sont sur la page 2 de votre passeport. Il ne s’agit pas d’utiliser ce projet de loi pour examiner en profondeur d’autres types de renseignements concernant les citoyens qui passent la frontière. Il s’agit uniquement de ce qui figure déjà sur la page 2 de votre passeport que vous auriez volontairement montré aux agents de douane américains, si vous entriez aux États-Unis. De plus, il y a les deux autres facteurs que j’ai mentionnés plus tôt : le jour et l’heure de votre passage à la frontière ainsi que l’endroit où vous l’avez traversée.

Je ne vois pas dans ces circonstances comment on pourrait soulever la question du secret professionnel de l’avocat, car nous ne parlons pas d’une collecte ou d’un échange de renseignements à grande échelle. Il est précisément question des renseignements recueillis au poste frontalier relativement à la page 2 du passeport, que les gens communiquent déjà aux agents publics étrangers.

La sénatrice McPhedran : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au comité, monsieur le ministre. J’ai quelques questions par rapport aux délais. On sait que les échanges avec les Américains ont commencé sous l’ancien gouvernement. D’ailleurs, c’est le président Obama qui a signé la loi américaine qui autorisait cet échange d’informations.

Tout au long de ces années, les Américains ont-ils démontré une certaine impatience par rapport à la lenteur de votre gouvernement à adopter ce projet de loi?

[Traduction]

M. Goodale : Ce qu’ils m’ont dit, c’est qu’ils appréciaient la vitesse avec laquelle j’ai commencé à examiner une variété de questions que j’ai héritées de ceux qui m’ont précédé dans l’ancien gouvernement.

De fait, nous avons très rapidement présenté le projet de loi C-21 sur les sorties et les entrées, le projet de loi C-22 sur les comités parlementaires et le projet de loi C-23 sur le précontrôle. Ce sont des questions que mes homologues américains ont soulevées lors des premières réunions que j’ai eues avec eux au tout début de l’année 2016. Ils ont accueilli favorablement le fait que je mette ces questions à l’ordre du jour, et que j’aie pris des mesures pour les inclure dans le processus législatif.

Vous avez bien raison. Ils avaient discuté bien longtemps de ces questions avec mes prédécesseurs.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il est difficile de blâmer l’ancien gouvernement. Les Américains ont signé leur loi en 2015...

[Traduction]

M. Goodale : Surtout quand c’est vrai.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : ... et vous êtes arrivé au pouvoir. Donc, le Canada ne pouvait pas adopter un projet de loi avant que les Américains ne le signent.

J’ai une autre question, monsieur le ministre. On sait que ce projet de loi contrôlera la durée du séjour des Canadiens en sol américain et vice versa, puisque vous aurez leur date d’entrée et de sortie. Les Américains sauront quand un citoyen sortira du Canada et quand il sera de retour au Canada.

Cela a des implications par rapport à des programmes provinciaux. Je pense entre autres à l’assurance maladie. Vous ne pouvez pas être à l’extérieur du pays plus de six mois moins un jour. Comptez-vous échanger ces informations avec vos homologues provinciaux pour qu’ils puissent intervenir auprès des irréguliers qui séjourneraient au-delà du temps permis pour être admissible à l’assurance maladie?

[Traduction]

M. Goodale : Simplement pour être très précis, sénateur Boisvenu, ce projet de loi n’impose aucune limite sur la durée des séjours à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Il s’agit simplement de recueillir des renseignements sur le moment auquel une personne quitte le territoire. S’il y a des critères d’admissibilité pour certains programmes sociaux, par exemple, ils seront déterminés dans les conditions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Grâce à cette loi, les autorités américaines et canadiennes pourront-elles déterminer la durée des séjours des touristes canadiens? Je pense aux snowbirds. Avec cet échange d’informations, les Américains pourront-ils savoir combien de jours les snowbirds ont séjourné aux États-Unis?

[Traduction]

M. Goodale : Ce projet de loi permettra de recueillir des données indiquant quand des personnes en particulier quittent le Canada ou quand elles quittent les États-Unis pour rentrer au pays.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, on aura une idée de la longueur du séjour?

[Traduction]

M. Goodale : Les règles sur le temps qu’une personne est autorisée à passer dans un pays ou un autre pour bénéficier d’un certain programme sont établies dans les conditions du programme en question, et pas ce projet de loi. Il traite uniquement de la collecte des renseignements de base.

Quant à votre point de vue sur les soins de santé, ce projet de loi ne s’applique pas aux programmes provinciaux. Il s’applique seulement aux programmes fédéraux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cependant, si je suis le ministre de la Santé du Québec et que je constate que vous avez des données sur les citoyens québécois qui se rendent aux États-Unis et qui peuvent dépasser la limite de temps permise pour leur admissibilité à l’assurance maladie, je vais être tenté de demander au ministre fédéral de la Santé si on peut échanger ces informations afin que je sois en mesure de réclamer des impôts aux citoyens québécois dans l’illégalité face à un programme provincial remboursé à 50 p. 100 par le gouvernement fédéral.

[Traduction]

M. Goodale : Avec le plus grand respect, ma réponse à mon homologue provincial serait non, car le projet de loi ne m’autorise pas à communiquer les renseignements aux provinces; ils doivent rester dans le système fédéral.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que les Américains pourraient se servir de ces données afin de percevoir des impôts des snowbirds, par exemple, qui travaillent aux États-Unis? On sait que plusieurs Canadiens qui travaillent aux États-Unis sont souvent exemptés de payer de l’impôt parce que leur séjour est relativement court, mais ils deviennent admissibles à payer de l’impôt américain si le séjour dépasse une certaine période de temps.

[Traduction]

M. Goodale : Les Américains mettraient en application leurs propres règles et règlements. Ils n’auront aucune autorité sur le Canada, bien sûr, mais ils pourront appliquer leurs propres règles et règlements dans leur système, s’ils le jugent approprié.

Le Canada protégera l’intégrité de ses programmes sociaux. Les Américains protégeront l’intégrité des leurs. Les renseignements qui sont communiqués ne touchent pas à la nécessité pour un pays ou un autre d’assumer ses propres responsabilités nationales.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Prévoyez-vous mettre en place une stratégie de communication avec ces gens afin d’assurer que leur séjour en sol américain respecte les lois américaines pour ne pas, à un moment donné, avoir une mauvaise surprise?

[Traduction]

M. Goodale : Il est très important pour les personnes qui passent la frontière, qui entrent dans un autre territoire, de clairement comprendre qu’elles ne sont plus couvertes par le droit canadien. Elles doivent connaître les règles, les règlements et les lois du territoire dans lequel elles sont entrées.

Nous essayons, en général, de communiquer cette information le plus efficacement possible aux Canadiens qui passent la frontière pour nous assurer qu’ils ont bien compris qu’ils ne sont plus sur le territoire canadien quand ils exercent leurs activités, ou qu’ils vivent ou passent un peu de temps dans un autre pays.

Votre point, monsieur le sénateur, sur l’importance de nous assurer que les Canadiens sont bien au courant des règles est très pertinent. Pour toutes les personnes qui passent la frontière, nous devrions nous assurer chaque fois qu’elles ont bien compris les règles.

J’aimerais apporter une précision, quand même, sur la question d’admissibilité. Comme je l’ai dit, ce projet de loi s’applique seulement à l’administration fédérale. Il ne s’applique pas aux provinces. On m’a demandé, à d’autres occasions, quelles seraient les répercussions sur l’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse. Il est important de préciser qu’une fois qu’une personne a vécu en tant qu’adulte pendant 20 ans au Canada, aux termes du programme de la Sécurité de la vieillesse, elle a le droit de percevoir sa pension, qu’elle ait choisi de vivre au Canada ou ailleurs dans le monde. Après 20 ans de résidence au Canada, en tant qu’adulte, vous avez le droit de percevoir votre Sécurité de la vieillesse sera entièrement transférable partout où vous allez.

Le sénateur McIntyre : Si je comprends bien, les renseignements sur l’entrée et la sortie seront diffusés à l’intérieur du gouvernement du Canada. Certains ministères et organismes y auront accès régulièrement ou occasionnellement. Y a-t-il un ministère ou un organisme au sein du gouvernement qui n’aurait pas accès aux renseignements sur l’entrée et la sortie des Canadiens?

Actuellement, je crois comprendre que les renseignements ne seront pas communiqués aux provinces et aux territoires. Quelles sont les dispositions législatives ou réglementaires qui devraient être changées afin de permettre l’échange de tels renseignements?

M. Goodale : Pourrais-je demander à Martin Bolduc de répondre à cette question, s’il vous plaît?

Le sénateur McIntyre : Oui.

Martin Bolduc, vice-président, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Actuellement, le projet de loi vise à modifier l’article 107 de la Loi sur les douanes, de sorte que nous puissions échanger des renseignements avec Emploi et Développement social Canada sur les programmes sociaux. Nous avons déjà le pouvoir conféré par la loi d’échanger ces renseignements avec l’Agence du revenu du Canada au cas par cas, et avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour les programmes qui nécessitent une confirmation de la résidence.

Les renseignements pourraient également être communiqués au cas par cas, à la Gendarmerie royale du Canada et au Service canadien du renseignement de sécurité. Cela limite en quelque sorte la portée de l’échange de renseignements.

Le sénateur McIntyre : Qu’en est-il de l’échange de renseignements avec le secteur privé et les gouvernements étrangers?

M. Bolduc : Non, cela n’aura pas lieu.

Le sénateur McIntyre : Y a-t-il une possibilité que cela arrive?

M. Bolduc : Actuellement, ce n’est pas permis aux termes de la Loi sur les douanes.

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question concerne le pouvoir réglementaire discrétionnaire aux termes du projet de loi C-21. Certaines préoccupations ont été exprimées au sujet du processus de collecte de renseignements sur les entrées et les sorties, lequel doit être prévu par des règlements.

Pourriez-vous nous expliquer ce qui doit encore être déterminé par règlement, et pourquoi vous estimez nécessaire de procéder de cette façon? Comment les dispositions de certains règlements seront-elles examinées de manière indépendante?

M. Goodale : Évidemment, le droit canadien prévoit un système complexe pour la mise en œuvre de règlements, une fois que la loi est adoptée, et cela inclut l’octroi d’un pouvoir de prendre des règlements.

Il existe un autre processus rigoureux pour la présentation de ces règlements, qui permet de les examiner à l’interne au sein du gouvernement, puis à l’externe pendant des périodes de consultation, avant qu’ils soient achevés et qu’ils entrent en vigueur. C’est ce régime de réglementation qui serait appliqué dans ce cas-ci pour qu’on puisse s’assurer que les règlements ont bien fait l’objet des examens interne et public auxquels ils sont normalement soumis.

Pourtant, le processus est très simple et direct. Pour une personne qui voyage par voie aérienne, qui quitte le pays, les renseignements seraient recueillis à partir de la liste de passagers. Il n’y aura aucune démarche ni procédure supplémentaires pour le public voyageur. Il s’agit des renseignements qu’ils ont déjà présentés à l’achat du billet d’avion et au moment où ils se présentent pour monter à bord de l’appareil.

Pour le mode aérien, la collecte des renseignements se fait à partir de la liste des passagers. Quand il s’agit d’un passage à une frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis, la collecte des renseignements se fait grâce à la coopération entre le service frontalier des États-Unis et l’ASFC. Vous vous présentez au bureau de douane du côté de la frontière américaine et montrez votre passeport. Les agents balaient votre passeport pour leurs propres besoins, comme ils le font normalement, afin de déterminer s’il y a un quelconque problème avec une personne en particulier qui traverse la frontière.

Une fois le passeport balayé, cette information sera retournée à l’ASFC. Du côté américain, il s’agit de l’information sur l’entrée. Du côté canadien, il s’agit de l’information sur la sortie. C’est aussi simple que cela.

La réglementation détaillera les étapes du processus lié au traitement des listes de passagers dans le mode aérien et à l’échange de l’information entre les autorités américaines et canadiennes pour ce qui est des postes frontaliers terrestres. La réglementation en exposera les détails, mais le processus lui-même est très simple.

Andrew Lawrence pourrait peut-être ajouter quelque chose.

Andrew Lawrence, directeur par intérim, Programme des voyageurs, Agence des services frontaliers du Canada : La structure réglementaire sert à préciser à quel moment l’information sur les sorties est recueillie, ainsi de quelle manière, dans quelles circonstances et de quelles sources elle peut l’être. Comme le ministre l’a souligné, à la frontière terrestre, la source sera le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Lors des entrées aux États-Unis, la communication de renseignements se fera en temps quasi réel, grâce à notre mécanisme d’échange réciproque.

Le but est de fournir des précisions concernant la façon dont nous recevons l’information sur les sorties et les personnes qui nous la transmettent, ainsi que d’offrir une certaine souplesse à mesure que nous adoptons d’autres modes ou que nous nous dotons de nouveaux outils novateurs, comme des applications et des téléphones cellulaires. Les gens ont tendance à les utiliser de plus en plus souvent dans le cadre de leurs déplacements.

Le sénateur McIntyre : Nous recueillons déjà les données biométriques à la frontière terrestre. D’après ce que je comprends, nous ajoutons le transport aérien à cette pratique. Il s’agit d’un ajout.

M. Goodale : Il y a deux choses qui sont différentes. En ce qui concerne le transport aérien, nous sommes en train de créer le pouvoir de recueillir les renseignements nécessaires à partir des listes de passagers. En ce qui concerne la frontière terrestre, les renseignements sont échangés d’une manière légèrement différente.

Lorsque les Américains consigneront votre entrée dans leur pays, ces mêmes données seront fournies au Canada afin qu’il sache à ce moment-là que vous avez quitté le pays. Il s’agit des mêmes données, vues de différents bouts de la lorgnette.

La sénatrice Griffin : Ma question porte sur l’exportation de marchandises et les obligations de déclaration en vertu du nouveau paragraphe 95(1) de la loi. Le nouveau paragraphe (1.2) exempte les marchandises expédiées par bateau ou par avion, comme vous l’avez souligné, de l’obligation de déclaration. Toutefois, le paragraphe (1.3) confère le pouvoir discrétionnaire d’exiger que les marchandises exemptées en vertu du paragraphe (1.2) soient déclarées.

Cela soulève un problème pratique, qui touche les Maritimes de façon disproportionnée. Lorsque nous voyageons par voie aérienne des provinces maritimes vers le centre du Canada, nous survolons habituellement le Maine. Nous nous trouvons dans l’espace aérien américain avant d’arriver ici.

Lorsque les gens expédient des marchandises, ils ont besoin de certitude pour eux-mêmes ou, dans ce cas-ci, précisément au sujet des marchandises. Quelles sont les intentions du gouvernement lorsqu’il utilise ce pouvoir? Le gouvernement du Canada envisagerait-il une modification visant à supprimer le pouvoir discrétionnaire accordé à un agent de l’ASFC?

De toute évidence, il s’agit d’une situation délicate lorsque nous survolons l’espace aérien américain. Il se trouve que nous sommes dans une partie du Canada où la frontière n’est pas déterminée par le 49e parallèle. Nous avons une forme irrégulière.

M. Goodale : Je comprends cette situation difficile, parce que chaque fois que j’arrive de Regina par avion, je survole le Michigan pendant quelques minutes.

Je vais demander à Martin Bolduc de nous expliquer les exigences techniques.

M. Bolduc : Les modifications sont présentées afin que l’ASFC ait la capacité d’examiner les marchandises d’exportation en fonction des renseignements que nous recevons.

L’exemple que vous nous donnez en ce moment est celui d’une personne qui prend l’avion entre Halifax et Winnipeg et qui traverse ainsi l’espace aérien américain. Ces marchandises ne seraient pas vérifiées par des agents de l’ASFC parce que vous arriveriez à Winnipeg à titre de voyageur interne. L’ASFC ne serait pas là pour accueillir l’avion et les passagers.

Nous voulions un projet de loi qui nous donnerait la souplesse nécessaire pour pouvoir exercer pleinement nos pouvoirs tant à l’importation qu’à l’exportation, essentiellement pour faire correspondre les pouvoirs que nous avons actuellement en matière d’importation aux mécanismes d’exportation.

La sénatrice Griffin : Quel est le lien avec le paragraphe (1.3), qui confère le pouvoir discrétionnaire d’exiger que les marchandises exemptées en vertu du paragraphe (1.2) soient déclarées? Elles auraient été exemptées parce que, comme vous le soulignez, elles sont destinées au transport intérieur.

À quoi sert le paragraphe (1.3), dans ce cas?

M. Lawrence : Cette disposition confère à l’ASFC le pouvoir discrétionnaire d’examiner des marchandises qui, autrement, n’auraient pas été déclarées. Il s’agit non seulement des paragraphes (1.1) et (1.2), mais également de l’alinéa (2)a).

Il s’agit du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’examiner l’exportation de marchandises, que ce soit pour une filière commerciale de conteneurs et d’expéditions commerciales ou des marchandises transportées dans les bagages à main de passagers sur le point de quitter le pays.

La sénatrice Griffin : Cela semble laisser beaucoup de pouvoir discrétionnaire. Comme je le dis, lorsque les gens des Maritimes expédient des marchandises, ils ont besoin d’un certain degré de certitude. Le ministre a déjà donné l’exemple du fait qu’il lui arrive souvent de traverser brièvement l’espace aérien des États-Unis lorsqu’il se rend chez lui, à Ottawa.

Bien sûr, en Colombie-Britannique, le traversier qui va de Tsawwassen à l’île de Vancouver traverse brièvement l’État de Washington. Avez-vous l’intention d’accorder à un agent le pouvoir discrétionnaire d’exiger arbitrairement la déclaration de marchandises qui ne sont pas destinées à l’exportation dans ce cas également?

M. Lawrence : Étant donné la nature des déplacements et des ressources de l’Agence des services frontaliers du Canada, cette exemption ne vise pas à établir un examen systématique des marchandises. Tout exercice du pouvoir en vertu de ces dispositions serait très ciblé.

La sénatrice Griffin : Je reviens à mon commentaire précédent. Le mot « arbitraire » convient bien. Cela donne à un agent un important pouvoir discrétionnaire qu’il peut utiliser pour prendre des décisions dans des cas comme ceux que je viens de citer.

Quoi qu’il en soit, nous verrons comment cela fonctionne. Je pense que c’est délicat.

M. Goodale : Pendant que le comité poursuit son examen de la question, nous sommes heureux de nous pencher sur les détails relatifs au point que vous soulevez. S’il y a un moyen d’exprimer l’intention d’une manière qui vous convient mieux et qui permet d’atteindre l’objectif, nous serons heureux de l’examiner.

L’intention est de combler une lacune en ce qui concerne la contrebande.

La sénatrice Griffin : D’accord.

M. Goodale : L’ASFC dispose maintenant de certains pouvoirs en ce qui concerne les produits de contrebande qui entrent au pays. Curieusement, elle n’a jamais eu les mêmes pouvoirs en ce qui concerne les produits de contrebande qui sortent du pays.

L’objectif était de reproduire ce qui existe actuellement quant à l’entrée au pays de produits de contrebande dans de nouvelles dispositions concernant les produits de contrebande qui sortent du pays. Je pense que c’est un objectif très valable. Comme je l’ai mentionné, cette question a fait l’objet d’un rapport détaillé produit par le vérificateur général en 2015.

Voilà le problème que nous essayons de régler. S’il y a lieu de peaufiner le libellé, nous serions heureux d’examiner toute proposition que vous voudriez porter à notre attention.

La sénatrice Griffin : Formidable. J’apprécie beaucoup.

Le sénateur Oh : Les aéroports canadiens sont probablement les seuls aéroports au monde qui disposent de salles des arrivées pour les immigrants, mais qui n’ont pas de salles des départs à cet effet.

En plus de prévoir la collecte de renseignements auprès des compagnies aériennes, le projet de loi C-21 prévoit-il l’aménagement de salles des départs pour les immigrants dans les aéroports afin que leur emplacement puisse être estampillé dans leurs passeports lorsqu’ils quittent le pays?

M. Goodale : Je vais demander à Martin Bolduc de répondre à cette question.

M. Bolduc : Le ministre a mentionné que l’information serait transmise au moyen de systèmes de TI. Nous n’introduisons pas un contrôle physique à l’exportation, comme vous le verriez en Europe.

Le sénateur Oh : Dans presque tous les aéroports.

M. Bolduc : C’est exact. Vous rencontrez un agent lorsque vous quittez le pays. Ce ne sera pas le cas au Canada. L’information sera communiquée directement à l’ASFC par les compagnies aériennes.

M. Goodale : Automatiquement.

M. Bolduc : En effet.

Le sénateur Oh : Quand vient le temps de renouveler la carte de résidence permanente sur laquelle figure la feuille d’érable, vous devez alors prouver combien de temps vous êtes resté physiquement au Canada et combien de jours vous serez absent du Canada.

Le nouveau système prévu par le projet de loi C-21 contribue-t-il à améliorer cette situation? À l’heure actuelle, c’est un vrai casse-tête. J’ai reçu beaucoup de plaintes de résidents permanents.

Communiquerez-vous des renseignements à IRCC pour prouver combien de temps ils ont passé ici au Canada?

Cette nouvelle information sera d’une aide considérable à IRCC afin qu’on puisse mettre fin aux débats concernant la durée du séjour. Il y aura maintenant un dossier qui peut être vérifié.

Cela sera utile aux voyageurs. Cela permettra également à IRCC de réduire ses coûts administratifs.

That will be helpful to the travelling public. It will also save money for IRCC in their administration.

Le sénateur Richards : J’aimerais faire suite à la question de la sénatrice Griffin. Ma question porte sur l’exportation de marchandises. L’île Campobello, située dans le Sud du Nouveau-Brunswick, n’a actuellement aucun lien direct avec le reste du Canada.

La seule façon dont les marchandises peuvent être expédiées à l’île de Campobello, c’est par St. Stephen, au Nouveau-Brunswick, en passant par l’État du Maine pendant 77 kilomètres pour entrer de nouveau au Canada à l’île Campobello par un pont international. Aucun service de traversier n’existait l’été dernier. Cela crée un obstacle important au commerce intérieur et constitue une discrimination à l’égard des résidants de l’île Campobello.

Le ministre appuierait-il un amendement au projet de loi C-21 qui donnerait au Cabinet le pouvoir discrétionnaire d’exempter certaines routes terrestres, comme celles de l’île Campobello, de l’obligation de déclarer des marchandises exportées? Les marchandises ne sont pas exportées. Elles vont d’un endroit à l’autre au Canada.

M. Goodale : Si vous me le permettez, je demanderais à Andrew Lawrence de répondre à cette question concernant la façon dont nous ferons face à des circonstances inhabituelles comme celles de l’île Campobello.

M. Lawrence : Certaines exigences du projet de loi C-21 ont trait à l’exportation de marchandises, soit le moment où les marchandises doivent être déclarées et le moment où elles peuvent être examinées.

Dans l’exemple que vous avez donné, l’obligation de déclarer les marchandises importées se trouve dans un article différent de la Loi sur les douanes. Les marchandises qui sont envoyées du Canada à l’île Campobello en passant par les États-Unis sont assujetties à une exigence d’importation.

Les textes habilitants n’ont pas d’incidence sur les obligations de déclaration des marchandises qui entrent au Canada; il y a donc le rapport indiquant que j’ai les marchandises avec moi. Ensuite, il a les exigences administratives relatives à ces marchandises, qu’elles soient assujetties ou non à des droits et à des taxes.

Le sénateur Richards : D’accord, mais les autorités américaines n’ont aucune raison d’obéir à nos lois internationales. Les Américains peuvent s’attacher aux marchandises transportées en voiture d’une partie du Canada vers les États-Unis. Elles ont compétence à cet égard, n’est-ce pas?

M. Lawrence : Les États-Unis ont compétence quant aux marchandises qui peuvent ou non entrer aux États-Unis, tout comme l’ASFC conserve le contrôle des marchandises qui peuvent ou non entrer au Canada en vertu de différentes lois relatives aux programmes.

Nous gérons aujourd’hui les problèmes des personnes qui transitent avec des marchandises. On s’en occupe généralement au bureau d’entrée au cas par cas, selon le scénario, les marchandises en question et la personne.

M. Goodale : Comme je l’ai dit à la sénatrice Griffin, s’il y a un problème particulier, nous serons heureux d’en examiner les détails et de nous assurer que la loi est structurée de façon à mettre fin à la contrebande, et ce, d’une manière qui facilite le commerce légitime et les déplacements des personnes qui respectent la loi.

Nous examinerons votre argument pour voir si des mesures d’adaptation particulières sont requises dans le cadre de la loi pour régler une situation comme celle de l’île Campobello.

La présidente : Alors que nous passons à la deuxième série de questions, je rappelle aux sénateurs que le ministre doit partir à 14 heures pile.

M. Goodale : La période de questions n’attend personne.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question au sujet du thème général de la communication d’information. Allez-vous consulter le public au sujet de la réglementation?

M. Goodale : C’est une étape normale du processus réglementaire. On procède à la publication préalable des règlements, il y a une période de commentaires, puis ils sont publiés définitivement. Oui, le public aura la possibilité de donner son avis.

La sénatrice McPhedran : Avez-vous une idée du délai?

M. Goodale : Aussitôt que le projet de loi entrera en vigueur.

La sénatrice McPhedran : Êtes-vous prêts pour le déploiement?

M. Goodale : Andrew Lawrence peut-il nous donner une idée du temps qu’il faudra pour rédiger les règlements?

M. Lawrence : L’autorisation législative de publier ces règlements se trouve dans le projet de loi C-21. Dès que la sanction royale aura été reçue, nous serons relativement bien placés. Nous sommes prêts à aller de l’avant.

La sénatrice McPhedran : Excellent, je suis contente d’entendre que les données canadiennes sur les sorties ne seront pas communiquées aux parties étrangères. Pouvez-vous nous parler de l’échange de données canadiennes sur les sorties avec le SCRS ou d’autres organismes étrangers et de la conservation de ces données dans leurs systèmes?

M. Goodale : Le projet de loi C-59 aborde la question de manière plus approfondie, car il traite de la communication d’information entre les organismes fédéraux.

Le projet de loi C-59 tente d’améliorer de façon substantielle les normes et les règles pour que les parties communicantes comprennent leurs obligations lorsqu’elles reçoivent de l’information. Cela fera en sorte que la nature de la communication soit consignée chez les deux parties et renforcera les normes quant au caractère opportun ou non de la communication.

Ce régime est énoncé de manière assez exhaustive dans le projet de loi C-59, dont est maintenant saisi le Sénat.

La présidente : Je rappelle aux membres du comité que les fonctionnaires resteront également pour la prochaine heure.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre. J’aimerais revenir sur la confidentialité dans les échanges d’informations. Nous savons que l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec travaillent main dans la main lorsqu’il s’agit d’échanger de l’information. Vous avez mentionné également le Régime de pensions du Canada. Même si, selon vous, très peu d’informations pourraient être échangées, dans quelle mesure celles-ci pourront-elles servir à l’Agence du revenu du Canada et, éventuellement, aux autres provinces? En fin de compte, ces gens se parlent continuellement.

[Traduction]

M. Goodale : Encore une fois, en ce qui concerne les provinces, le projet de loi ne prévoit pas d’autorisation visant la communication d’information au-delà du gouvernement du Canada. Il ne prévoit pas de communication accrue d’information aux provinces.

Au sein de la famille fédérale en soi, la Loi sur les douanes énonce des dispositions détaillées quant à l’information qui peut être communiquée, aux conditions, aux limites de l’utilisation finale et ainsi de suite.

Pendant tout le processus, nous avons mené des consultations approfondies avec le Commissariat à la protection de la vie privée. Il y a déjà des évaluations initiales sur le site web en ce qui a trait aux répercussions sur la vie privée. Une fois que la loi sera adoptée, nous serons tenus par la loi de réaliser une autre évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, qui sera aussi rendue publique conformément aux normes du commissaire à la protection à la vie privée.

La présidente : Au nom du comité, merci beaucoup, monsieur le ministre, de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous sommes toujours reconnaissants de votre présence et de vos réponses.

M. Goodale : Merci, madame la présidente. Je souhaite beaucoup de succès au comité dans l’étude du projet de loi.

La présidente : Je rappelle aux membres du comité que M. Bolduc et M. Lawrence resteront pour répondre aux questions.

Pour notre deuxième groupe de témoins aujourd’hui, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, nous accueillons Mieke Bos, directrice générale, Admissibilité, et Marc-André Daigle, directeur, Initiatives stratégiques et coordination du Système mondial de gestion des cas, Orientation du programme d’immigration.

Madame Bos, je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire à faire.

Mieke Bos, directrice générale, Admissibilité, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous aujourd’hui pour parler de l’Initiative sur les entrées et les sorties dans le cadre de l’étude du projet de loi C-21 de votre comité.

[Français]

Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous aujourd’hui pour parler de l’Initiative sur les entrées et les sorties.

[Traduction]

Je m’appelle Mieke Bos, et je suis directrice générale de la Direction générale de l’admissibilité à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC.

[Français]

Je suis accompagnée aujourd’hui d’un collègue du secteur des opérations : Marc-André Daigle, directeur, Initiatives stratégiques et coordination du Système mondial de gestion des cas.

[Traduction]

À titre de partenaire de l’Initiative sur les entrées et les sorties, IRCC recevra les données sur les entrées et les sorties de la part de l’ASFC afin de soutenir ses objectifs de programme.

[Français]

En prenant appui sur ce que vous avez entendu, j’aimerais mettre l’accent sur l’importance pour Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) de l’Initiative sur les entrées et les sorties.

[Traduction]

Comme vous venez de l’entendre du ministre de la Sécurité publique, l’échange d’information, la vérification et la conformité sont au cœur de l’Initiative sur les entrées et les sorties. Il s’agit de savoir en tout temps qui entre au Canada et qui en sort. Il s’agit de fournir un historique complet des antécédents de voyage de toute personne qui demande la résidence permanente canadienne ou la citoyenneté canadienne. Il s’agit d’un système pour l’échange d’information entre le Canada et les États-Unis afin que les données d’entrée d’un pays deviennent des données de sortie de l’autre.

Je ne saurais trop insister sur le fait que l’accès à ces renseignements améliorera l’intégrité des programmes dans plusieurs secteurs d’activité en fournissant aux agents d’IRCC un outil permettant de confirmer de manière objective la présence au Canada, l’absence du Canada, l’entrée au Canada ou le départ du Canada d’un demandeur.

Grâce au registre des entrées et des sorties, les agents d’IRCC seront en mesure de vérifier l’exactitude des renseignements présentés par les demandeurs, dont le temps passé au Canada et le temps passé à l’étranger. Cette information pourrait avoir une incidence sur la décision consistant à déterminer si une personne est admissible au statut de résident permanent ou à une attribution de la citoyenneté.

[Français]

IRCC a travaillé en étroite collaboration avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) afin de promouvoir cette initiative et d’obtenir les renseignements sur les entrées et les sorties de la part de l’ASFC pour appuyer l’administration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de la Loi sur la citoyenneté et du Décret sur les passeports canadiens.

[Traduction]

L’accès aux renseignements sur les entrées et les sorties de l’ASFC fournira aux décideurs d’IRCC un historique de voyage objectif pour appuyer le traitement d’une demande ou d’une enquête.

J’aimerais vous donner quelques exemples. Des données exactes et objectives sur les entrées et les sorties permettront à IRCC de renforcer l’intégrité des programmes de citoyenneté et d’immigration en permettant de valider les renseignements fournis pas les personnes qui déclarent avoir résidé au Canada et avoir satisfait aux exigences; de mieux repérer les résidents temporaires, comme les visiteurs, les travailleurs et les étudiants, qui ont prolongé leur séjour au Canada au-delà de la période autorisée; de vérifier que les répondants résident au Canada lorsque la loi l’exige; de vérifier les relations et la conformité aux conditions des époux, conjoints de fait et partenaires conjugaux qui présentent une demande ou sont admis au titre de la catégorie du regroupement familial; d’évaluer l’admissibilité continue à un titre de voyage canadien; de soutenir les enquêtes sur de possibles fraudes liées à l’immigration, à la citoyenneté et aux passeports et titres de voyage; de repérer les personnes qui ont prolongé leur séjour au-delà de la période de séjour autorisée de leur visa et de la clôture du mandat d’immigration les visant; et de repérer les personnes qui n’ont peut-être pas respecté l’obligation de résidence rattachée à l’obtention du statut de résident permanent ou de la citoyenneté.

Du point de vue des clients, en ayant accès aux données sur les entrées et les sorties, IRCC pourra ainsi prendre des décisions plus éclairées qui ont des répercussions sur la vie de ces clients. IRCC utilisera les données sur les entrées et les sorties pour améliorer le traitement des demandes légitimes et les enquêtes dans les programmes des résidents temporaires, des résidents permanents, d’octroi de l’asile, de citoyenneté et de passeport.

Par exemple, grâce aux registres des entrées et des sorties, IRCC pourra plus facilement vérifier si les demandeurs respectent l’obligation de résidence aux fins d’admissibilité dans les programmes de citoyenneté et d’immigration.

L’accès aux données sur les entrées et les sorties de l’ASFC permettra d’étayer les renseignements limités sur les antécédents de voyage que fournissent actuellement les timbres dans les passeports, qui ne sont peut-être pas toujours disponibles ou qui rallongent les délais de traitement.

Passons maintenant aux mesures de protection des renseignements personnels. IRCC a un excellent dossier en matière de protection de la vie privée. Comme nous détenons une grande quantité de renseignements personnels, nous connaissons très bien les exigences législatives et politiques qui régissent la collecte, l’utilisation et la protection de ces renseignements. Les cadres existants en matière de protection de la vie privée qu’IRCC a mis en place pour ses divers secteurs d’activité continuent de s’appliquer.

IRCC présentera sa propre évaluation des facteurs relatifs à la vie privée au Commissariat à la protection de la vie privée concernant l’Initiative sur les entrées et les sorties et mettra à jour ses formulaires de demande et son site web, afin que les demandeurs sachent que les renseignements sur leurs antécédents de voyage seront obtenus auprès de l’ASFC à l’appui de leur demande.

Du point de vue de la fonctionnalité, IRCC n’interrogerait la base de données sur les entrées et les sorties de l’ASFC que dans le cadre du traitement d’une demande ou d’une enquête. IRCC accéderait notamment aux données sur les entrées et les sorties pour les besoins du programme, par exemple pour confirmer qu’une personne a bien respecté l’exigence de résidence rattachée à l’obtention de la citoyenneté.

Comme les membres du comité peuvent le déduire de mon allocution, à IRCC, nous nous réjouissons de l’étude du projet de loi C-21 par le comité. Les renseignements auxquels nous aurons accès lorsque le système sur les entrées et les sorties sera pleinement fonctionnel sont d’une grande importance pour les travaux de mon ministère.

Cela met fin à ma déclaration. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici.

[Français]

Nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Aux États-Unis, il y a déjà beaucoup de collectes de données qui se font pour contrôler nos entrées aux États-Unis. Il nous suffit d’ailleurs de consulter un site web pour savoir, avec notre nom et date de naissance, combien de fois nous sommes entrés aux États-Unis.

Comme le mentionnait mon collègue, le sénateur Boisvenu, cela peut parfois être important pour les retraités migrateurs, mais c’est aussi important pour démontrer que nous n’avons pas une résidence permanente aux États-Unis. L’Internal Revenue Service des États-Unis demande à tous les citoyens canadiens qui séjournent plus de 180 jours par année aux États-Unis de remplir un formulaire afin de démontrer clairement que leur résidence principale se trouve au Canada. Il existe donc déjà, du côté de nos voisins américains, bon nombre de systèmes en place pour contrôler les entrées des Canadiens.

Cela dit, j’aimerais plutôt parler des fraudes dans le cadre de l’immigration. Qu’est-ce qui nous permettrait de mieux lutter contre les fraudes dans le cadre de l’immigration avec ce nouvel échange d’informations? Récemment, beaucoup d’entrées au Canada se sont faites de façon plus ou moins légale. Au Québec, il y a le chemin Roxham. Lorsque je traverse les douanes, je n’emprunte jamais le chemin Roxham et je ne sais pas si c’est légal de prendre ce chemin.

Nous devons donc déployer des efforts pour avoir de meilleurs échanges d’informations, surtout en ce qui concerne les réfugiés. Pouvez-vous nous dire ce qui vous permettra, selon cette nouvelle formule, de mieux combattre la fraude en matière d’immigration?

M. Bolduc : Je vais répondre à la première partie de votre question en ce qui a trait aux réfugiés et au chemin Roxham. Je laisserai par la suite ma collègue répondre au sujet des programmes d’immigration dans le cadre desquels la résidence est un élément clé dans le processus de décision.

Le projet de loi C-21 n’aura pas d’impact sur la clientèle que l’on voit sur le chemin Roxham. Ce projet de loi nous permettra essentiellement d’être en mesure de savoir la date précise à laquelle un individu est entré aux États-Unis pour nous donner une idée de la période de séjour aux États-Unis avant que ces gens ne se présentent à la frontière canadienne; ce sera essentiellement la même chose si quelqu’un se présente à un bureau d’entrée à la frontière. Cet élément d’information pourra nous servir dans le cas d’une enquête ou pour documenter nos dossiers devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Ces éléments peuvent nous être utiles.

Je cède maintenant la parole à ma collègue en ce qui a trait à l’intégrité des programmes de l’IRCC.

[Traduction]

Mme Bos : J’aimerais parler de l’utilité de cette information pour préserver l’intégrité de nos programmes. Je vais demander à mon collègue, Marc-André Daigle, de vous donner un peu plus de détails.

Nous ne recueillerons pas de nouveaux renseignements, mais nous aurons essentiellement de meilleurs moyens de faire la collecte d’information dont nous sommes déjà tenus dans le cadre de nos programmes actuels.

Pour vous donner un exemple, il y a des exigences à respecter en matière de résidence pour devenir un résident permanent. Les demandeurs doivent prouver à un agent qu’ils ont satisfait aux critères de résidence. Un sénateur a mentionné plus tôt à quel point cela pourrait être complexe, puisqu’ils doivent conserver leurs cartes d’embarquement pour montrer quand ils sont partis et quand ils sont revenus. Il y a de moins en moins d’organisations qui estampillent les passeports, il est donc plus difficile de recueillir des éléments de preuve.

Un système sur les entrées et les sorties comporterait un registre automatique de demandes à partir duquel il serait possible de vérifier les renseignements du résident permanent. Il en va de même avec la citoyenneté. Il y a des exigences en matière de résidence. Cela nous aidera à établir, de façon très précise, si un demandeur s’est acquitté de ses obligations en matière de résidence pour ces deux secteurs d’activité.

Je vais demander à Marc-André Daigle s’il a des renseignements supplémentaires.

[Français]

M. Daigle : Permettez-moi d’effectuer un bref survol au sujet des grandes lignes des différents programmes.

En ce qui a trait à l’immigration, pour le volet de résidence temporaire, les résidents temporaires doivent respecter des conditions et notamment demeurer au Canada pendant la période qui est autorisée.

Le fait d’avoir dorénavant accès à cette information nous permettra de vérifier si les personnes avaient par le passé rempli les conditions requises.

Le volet de résidence permanente comprend une composante qui a trait à la présence physique sur le territoire canadien pour satisfaire les critères d’admissibilité. Cela nous permettra ainsi d’avoir de l’information objective afin de nous assurer que ces personnes répondent effectivement aux critères d’admissibilité.

Pour les gens qui sont déjà des résidents permanents, une des conditions pour maintenir leur statut de résident permanent est d’avoir été présent sur le territoire canadien pendant une période de deux ans tous les cinq ans.

Le fait d’avoir accès aux informations d’entrée et de sortie dans le cadre d’un partenariat avec nos partenaires de l’Agence des services frontaliers du Canada nous permettra d’avoir accès à cette information objective lorsque les gens veulent renouveler leur statut de résident permanent ou à obtenir une carte de résidence permanente.

Pour le programme de citoyenneté, nous avons aussi une composante similaire, soit celle de maintenir une présence sur le territoire canadien afin d’obtenir la citoyenneté canadienne. En ce qui a trait à quelques situations pour lesquelles certaines populations sont plus à risque et pour lesquelles peut être effectué un certain abus de nos programmes, cette information nous permettra un accès plus objectif à l’information.

[Traduction]

Cela nous permettra d’enquêter davantage sur ces cas particuliers où il y a un risque de vulnérabilité plus important à l’égard de certains programmes.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais revenir sur certaines des questions que j’ai posées au ministre Goodale à propos de l’échange d’information et l’obligation de rendre des comptes.

Dans vos observations, vous nous avez assuré que les cadres existants qu’IRCC a mis en place en matière de protection des renseignements personnels continueront de s’appliquer. Vous avez aussi déclaré qu’IRCC n’interrogerait la base de données sur les entrées et les sorties de l’ASFC que dans le cadre du traitement d’une demande ou d’une enquête.

Y a-t-il une entente officielle entre vos deux organismes à cet égard? Est-ce que c’est en place? Y a-t-il une mise à jour? En quoi cela concerne-t-il le projet de loi?

La deuxième partie de ma question porte sur l’obligation de rendre des comptes et l’échange de renseignements. À l’heure actuelle, de quoi IRCC est-il tenu de faire rapport au Parlement et/ou que doit-il déclarer publiquement en ce qui a trait à la façon d’utiliser les renseignements personnels?

Mme Bos : Je vais essayer de répondre aux deux premières questions.

Oui, des instruments habilitants explicites et des protocoles d’entente sont déjà prévus pour l’échange de renseignements entre l’ASFC et IRCC. Des dispositions ont déjà été prises à cet égard. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, IRCC réalisera aussi sa propre évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. Nous sommes déjà bien avancés dans le processus en prévision de l’adoption du projet de loi et de l’étape de la réglementation, tout comme l’est probablement l’ASFC.

Si le projet de loi est adopté, nous examinerons ce qui changera dans le mécanisme d’obtention de l’information. Dans le cadre sous-jacent, un protocole d’entente a déjà été conclu entre l’ASFC et IRCC relativement à l’échange d’information.

Les instruments habilitants existent déjà, comme l’ont mentionné, je crois, le ministre et M. Bolduc. Le réel changement concerne davantage la façon dont l’information sera maintenant systématiquement recueillie.

Votre deuxième question portait sur l’obligation en matière de renseignements personnels.

La sénatrice McPhedran : L’obligation de rendre des comptes publics et la présentation de rapports au Parlement.

Mme Bos : C’est exact.

La sénatrice McPhedran : Quel est le mécanisme en place, à supposer qu’il y en ait un? À quoi ressemble-t-il et quelle est son incidence sur le projet de loi C-21?

En d’autres mots, pour écourter la question, c’est une bonne chose que les organismes procèdent à une évaluation des facteurs, mais comment pouvons-nous en avoir connaissance? De quelle manière l’information est-elle communiquée de sorte que le public et le Parlement aient une idée des problèmes potentiels?

Mme Bos : De façon générale, l’obligation de rendre des comptes et la responsabilité dans le cadre de l’initiative reposent sur les organismes. Je présume, en ce qui a trait à la production de rapports et à l’obligation de rendre des comptes, que la responsabilité incombera principalement à l’ASFC. Comme nous le faisons pour de nombreuses initiatives, nous travaillons toujours en étroite collaboration et nous appuyons sur les rapports d’autres organismes.

J’insiste sur le fait que tous nos secteurs d’activité ont des exigences quant au traitement des renseignements personnels. IRCC détient le plus grand fonds de renseignements personnels au gouvernement fédéral. Nous avons mis en place de solides cadres pour assurer la gestion des renseignements personnels. Ces règles continueront de s’appliquer même après l’entrée en vigueur des dispositions concernant les entrées et les sorties.

La sénatrice McPhedran : Je veux m’assurer d’avoir été claire au sujet de ma question. Elle porte non pas vraiment sur le processus interne, mais bien sur l’obligation de rendre des comptes au public et de produire des rapports.

Par exemple, comment serons-nous mis au courant des résultats de l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée réalisée?

Mme Bos : Les Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée sont toujours rendues publiques. Vous pouvez les consulter sur le site web d’IRCC. Celle-ci n’a pas été rendue publique, bien sûr, car nous attendons la rédaction de la version finale du projet de loi.

Comme toujours, beaucoup de renseignements figurent sur le site web d’IRCC, et les sommaires d’Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, ou les EFVP, comme nous les appelons, seront publiés également.

M. Bolduc : J’aimerais ajouter que nous avons commencé à mettre en œuvre l’Initiative sur les entrées et les sorties il y a un certain nombre d’années. Vous pouvez vous rendre sur le site web de l’ASFC et consulter les EFVP réalisées jusqu’à ce jour. Elles sont rendues publiques.

En outre, nous avons installé des panneaux à nos points d’entrée pour informer les voyageurs que de l’information serait recueillie. À l’avenir, si le projet de loi obtient la sanction royale, nous travaillerons avec d’autres partenaires et sociétés aériennes pour nous assurer que le public voyageur sait que le projet de loi actuel met en place ce mécanisme et assure la transparence.

La sénatrice McPhedran : Pensez-vous que ce sera dans les règlements? Cela figure-t-il sur la liste des choses à aborder dans les règlements?

M. Bolduc : Non. Il s’agit plutôt d’une approche opérationnelle pour nous assurer que les gens sont au courant. Cela ne sera pas intégré dans la réglementation.

M. Lawrence : Non. L’un des éléments de la protection des renseignements est l’émission d’un avis. Nous sommes tenus d’aviser les voyageurs que l’information les concernant est non seulement recueillie par l’ASFC, mais aussi communiquée à certains organismes. Nous le faisons de différentes manières. En ce qui a trait aux entrées et aux sorties, nous avons installé des panneaux aux postes frontaliers terrestres, puisque c’est à partir de là que nous envoyons aux États-Unis l’information concernant les entrées, afin qu’ils puissent créer un registre sur les sorties.

Nous publions tous nos sommaires d’EFVP sur Internet. Nous publions un rapport annuel sur la protection des renseignements privés en ce qui a trait aux EFVP qui ont été réalisées durant l’année. Nous transmettons toutes nos EFVP au Commissariat à la protection de la vie privée, qui en fait rapport annuellement au Parlement.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci de votre présentation. Monsieur Daigle, en ce qui a trait aux mesures et aux préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels, je comprends qu’IRCC présentera sa propre évaluation. Je comprends également que votre organisme mettra à jour ses formulaires de demande sur son site web. Pouvez-vous expliquer davantage en quoi consistera cette évaluation?

M. Daigle : Merci de votre question. En gros, tout changement nécessite une mise à jour des informations. C’est ainsi que nous procédons.

Pour notre ministère, la vigilance par rapport à la protection des données des particuliers, c’est très important, c’est ancré dans notre culture, dans nos valeurs éthiques et dans nos procédures avec nos agents. Donc, par rapport à cette question, tous nos programmes sont détaillés sur notre site web et sont mis à jour ainsi que tous nos formulaires pour clarifier exactement l’intention de l’utilisation des données. De plus, on suit à la lettre le calendrier des dispositions des données fournies par Bibliothèque et Archives Canada pour s’assurer que la...

[Traduction]

... période de conservation correspond au calendrier établi à cet égard.

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question s’adresse à l’Agence des services frontaliers du Canada. Elle concerne les consultations publiques.

Je crois comprendre que l’ASFC s’est engagée à tenir des consultations publiques en ce qui concerne l’Initiative sur les entrées et les sorties. En d’autres mots, ces consultations sont en cours. Je crois savoir également que des consultations relatives à l’élaboration de la réglementation se dérouleront à l’avenir.

Cela dit, quelles consultations ont déjà été tenues à propos de l’Initiative sur les entrées et les sorties? Quelles ont été les principales conclusions? À quel moment les consultations au sujet de l’élaboration de la réglementation sont-elles susceptibles de se produire? Est-ce que les principales conclusions seront rendues publiques?

M. Lawrence : Les consultations ont commencé dans le cadre de l’initiative du plan d’action Par-delà la frontière. Cela comportait des assemblées publiques dans un certain nombre de collectivités au Canada. Une partie de la rétroaction fournie concernait la qualité de l’information que recevait l’ASFC. La qualité doit être suffisante pour éviter les faux positifs et pour permettre aux initiatives de fonctionner adéquatement.

Nombre de nos consultations visaient particulièrement l’industrie aérienne et les transporteurs aériens. Nous avons un seul intervenant au sein du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis avec qui nous échangeons de l’information aux postes frontaliers terrestres. Plus de 200 transporteurs aériens indépendants doivent prendre part au système de l’ASFC pour que nous puissions recueillir les manifestes de passagers qui quittent le Canada.

Selon l’information obtenue dans le cadre de ces consultations. il faut harmoniser le mieux possible l’Initiative sur les entrées et les sorties avec les programmes semblables américains en ce qui a trait au moment de la collecte et au contenu des messages. Il faut également harmoniser les différents programmes au Canada de manière à solliciter les transporteurs aériens une seule fois plutôt que de leur imposer trois ou quatre différents changements relatifs à la TI .

Il faut en arriver à une seule norme; les transporteurs vont modifier leur processus une seule fois, puis tout sera fait. Ensuite, nous pourrons passer à la mise en œuvre. Ce sont les deux principaux commentaires que nous avons reçus.

Nous coprésidons également le Comité consultatif sur le transport aérien en partenariat avec Transports Canada. Nous nous réunissons deux fois par année. Les entrées et les sorties sont généralement à l’ordre du jour.

La sénatrice Griffin : Ma question concerne la surveillance de l’échange d’information et les mécanismes de redressement. Le ministre a parlé du projet de loi C-59 il y a quelques minutes. Même si ce projet de loi permet de surveiller les questions relatives à la sécurité nationale, je me demande s’il porte sur les questions liées à la Sécurité de la vieillesse et à l’assurance-emploi, particulièrement dans les Maritimes, où une personne peut franchir la frontière par voie terrestre, mais revenir par bateau ou par avion.

Voyez-vous une situation où les données ne sont pas communiquées, qu’elles sont inexactes ou qu’elles sont en fait manquantes? Qui, au sein du gouvernement, est responsable? Si Emploi et Développement social Canada prend une mauvaise décision en matière d’admissibilité à ses programmes, quels sont les recours d’une personne? S’agit-il du problème d’EDSC ou de celui de l’ASFC? Quelles seront alors les mesures administratives? De quelle manière une personne peut-elle voir l’information et avoir la possibilité de la corriger?

Dans les Maritimes, il est possible de voyager par avion ou par bateau, et de revenir par voie terrestre. Je n’ai pas de mal à croire que cette information peut ne pas être recueillie. Quels sont les recours d’une personne?

M. Bolduc : Je vais commencer par la première partie de la réponse, puis je vais céder la parole à mon collègue pour la deuxième partie.

Le projet de loi C-21 accordera à l’ASFC le pouvoir de recueillir des renseignements sur les sorties des Canadiens et de tous les voyageurs qui circulent par voie aérienne. Dans le mode terrestre, elle pourra aussi échanger ces renseignements avec les États-Unis.

La responsabilité individuelle relative à l’administration du programme incombe aux ministères qui présentent une demande à l’ASFC pour obtenir de l’information. Dans votre exemple, si la personne n’est pas satisfaite d’une décision prise par EDSC, elle doit s’adresser à EDSC. Le même processus s’applique avec IRCC. Nous sommes là pour recueillir l’information, la protéger et l’échanger en fonction des mesures législatives et des instruments habilitants touchant l’administration de certains programmes.

Peut-être qu’Andrew Lawrence veut ajouter quelque chose.

M. Lawrence : Je peux poursuivre. Toutes nos ententes d’échange d’information, et particulièrement celle conclue avec les États-Unis, comprennent le droit d’accès et de rectification pour tous les voyageurs. Si vous vous adressez à l’ASFC en disant : « Je n’ai pas quitté le pays ce jour-là; vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre », nous sommes tenus d’enquêter, de prendre une décision, de déterminer ce qui s’est passé et pour quelle raison nous sommes arrivés à un faux positif. Puis, nous devons aviser tous les autres ministères à qui nous avons communiqué cette information.

Toute personne peut accéder à ses antécédents de voyage. Une personne a le droit de faire mettre à jour cette information pour s’assurer de sa véracité, de son exhaustivité et de son exactitude. De notre côté, nous devons aviser les États-Unis et tout organisme avec qui nous avons échangé cette information, y compris EDSC, aux fins de l’assurance-emploi et de la Sécurité de la vieillesse, que le dossier a été mis à jour.

Il importe de souligner que, quand nous divulguons une information à EDSC, cela n’entraîne pas la cessation immédiate des prestations. Il revient au responsable de l’intégrité du programme d’EDSC de s’assurer que la personne est en fait celle qui touche les prestations, d’entreprendre une correspondance épistolaire et de prendre toutes les mesures qu’EDSC prend dans le cadre de ses enquêtes en matière d’intégrité.

Si vous avez d’autres questions qui portent précisément sur les recours, nous avons un collègue d’EDSC avec nous aujourd’hui.

La sénatrice Griffin : Je vois à l’article 94 du projet de loi C-21 que toute personne quittant le Canada est tenue de répondre véridiquement aux questions qu’un agent lui pose. Que se passe-t-il si elle refuse tout simplement de répondre?

M. Lawrence : Elle manquerait à ses obligations en vertu de la Loi sur les douanes. Selon l’article 160 de cette loi, il s’agit d’une infraction de ne pas répondre de manière véridique et complète aux questions posées par un agent de l’ASFC. C’est très semblable à vos obligations en tant que voyageur lorsque vous entrez au pays.

Si vous vous trouvez à un point d’entrée et que vous cherchez à entrer au Canada, il existe un pouvoir résiduel ou conditionnel selon lequel vous n’êtes pas obligé de signaler votre départ, mais vous êtes tenu de répondre honnêtement aux questions que peut vous poser un agent de l’ASFC.

La sénatrice Griffin : Si une personne se fait questionner et qu’elle choisit de ne pas répondre, peut-elle simplement partir?

M. Lawrence : Cela dépend de la raison pour laquelle l’agent de l’ASFC pose des questions. Ce peut-être parce que vous constituez une menace imminente. Nous pourrions avoir de motifs raisonnables de soupçonner que vous êtes en possession de produits de contrebande, de stupéfiants ou d’autres marchandises du genre. Le recours ou l’intervention de l’ASFC sont proportionnels à la menace que pose la personne.

Le sénateur Oh : J’ai posé une question plus tôt au ministre au sujet de la carte de résident permanent dotée de la feuille d’érable. Avez-vous directement accès au nouveau système qui entre en vigueur, ou devez-vous prendre chaque dossier et le remettre à l’ASFC pour qu’elle vérifie depuis combien de temps la personne est ici? Pouvez-vous m’expliquer cela?

Mme Bos : Je vais commencer, mais je vais céder la parole à M. Daigle en ce qui concerne les détails opérationnels.

Je crois comprendre que, dans le cas des deux programmes pour lesquels nous avons énoncé des exigences législatives en matière de résidence permanente et de citoyenneté, les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont satisfait aux exigences en matière de résidence. Nous avons un lien automatique avec l’ASFC qui nous permet de vérifier si les exigences ont été respectées.

Dans d’autres champs d’activité, notamment en ce qui concerne la résidence temporaire, cela se fait au cas par cas. Si nous sommes saisis d’une demande et que nous avons des raisons de croire qu’un résident temporaire a prolongé son séjour au Canada au-delà de la période autorisée, ou dans les rares cas d’enquêtes liées à une fraude de passeport, ce sera au cas par cas.

Il y aura un échange automatisé d’information sur la résidence permanente et la citoyenneté. Je vais céder la parole à M. Daigle pour qu’il vous donne plus de renseignements opérationnels.

M. Daigle : J’apprécie la question puisqu’elle reflète définitivement notre réalité actuelle en ce qui a trait à nos processus et à nos agents ainsi qu’aux défis liés à notre clientèle.

L’un des problèmes ou défis consiste à revenir en arrière pour fournir des données historiques. C’est un lourd fardeau pour les gens qui présentent des demandes au titre d’un programme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté, de même que pour les agents qui prennent la décision.

Comme l’ont dit mes collègues, grâce à cet objectif neutre de recueillir systématiquement de l’information pour toute nouvelle demande, nos systèmes d’information recueilleront automatiquement ces renseignements. Nos agents sont déjà doués pour prendre des décisions, mais avec l’information que les clients continueront de fournir, nous aurons une meilleure idée de leurs antécédents. Nous disposerons maintenant de beaucoup plus de renseignements pour les corroborer.

Le sénateur Oh : Certaines personnes de ma région ont dit que cela pouvait prendre de quatre à six mois, et parfois plus d’un an pour renouveler une carte de résidence. Ce nouveau système permettra-t-il d’accélérer le processus?

M. Daigle : Je me permets de dire que oui, dans une certaine mesure, mais pas complètement. Les exigences pour être admissible aux programmes et tout le reste comportent plusieurs volets.

Dans nos efforts de modernisation de notre système, comme l’adoption de services en ligne, nous envisageons également un examen des programmes de manière à accélérer les services, et ce, pas seulement à l’égard de cette initiative.

Le sénateur Oh : J’aimerais simplement revenir sur la question de la sénatrice Griffin pour ce qui est d’un résident permanent qui revient au pays.

Certains résidents permanents de ma région m’ont dit qu’on avait demandé à des gens qui revenaient au Canada de s’asseoir dans une pièce pendant deux ou trois heures. On ne leur a posé aucune question, leurs bagages ont été fouillés, et il n’y avait rien de mal. Cette situation se produit fréquemment.

Pourriez-vous m’expliquer pourquoi on les laisse dans une pièce pendant deux ou trois heures avant de les renvoyer chez eux?

M. Bolduc : Sans avoir les détails d’un cas en particulier, il est difficile pour moi de faire un commentaire. À l’occasion, des personnes doivent faire l’objet d’un examen secondaire, qui est un examen plus approfondi. Il y a des raisons à cela. La personne pourrait importer des marchandises commerciales ou avoir des marchandises non déclarées. Elle pourrait avoir besoin de documents d’immigration ou d’un permis. Nous ne supposons pas qu’une personne est un véritable visiteur. Elle pourrait transporter une plante, de la nourriture ou un animal qui sont réglementés.

Au cours de ma carrière, je n’ai pas vu beaucoup d’examens secondaires qui ont duré deux ou trois heures. Je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, mais il n’est pas habituel qu’une personne fasse l’objet d’un examen secondaire de deux ou trois heures pour une raison importante.

Le sénateur Oh : Je ne parle pas de touristes. Je parle de résidents du Canada qui reviennent au pays. Cela se produit.

Si vous placez quelqu’un sur une liste noire, combien de temps y demeurera-t-il? Est-ce 1 an, 2 ans ou 10 ans?

M. Bolduc : Nous ne plaçons pas les gens sur une liste noire. Si vous avez commis une infraction auparavant, oui, vos renseignements personnels demeureront dans notre système.

Si quelqu’un vous a raconté une telle histoire, monsieur le sénateur, je lui conseille, la prochaine fois, de se présenter à l’aéroport et de demander à parler à un gestionnaire de l’ASFC. Nous croyons que, parfois, un gestionnaire peut résoudre ces situations plus efficacement en essayant de trouver la raison pour laquelle la personne fait l’objet d’un examen.

Le sénateur Oh : Très bien. Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à l’un ou l’autre de nos deux témoins. On sait que cette information permettra aux Américains de cibler des Canadiens qui sont en situation illégale quant à leur temps de séjour. Vous ne pouvez pas résider aux États-Unis plus d’un certain nombre de jours. Les Américains auront désormais accès à ces informations. Lorsque vous séjournez aux États-Unis pour une période de temps illégale, vous êtes banni à vie.

On sait qu’il y a entre 4 000 et 6 000 Canadiens qui résident l’hiver dans le Sud des États-Unis. Savez-vous combien de ces Canadiens pourraient recevoir cette interdiction de séjour à la suite de cette information qui sera dorénavant accessible aux Américains?

M. Daigle : Je vais rediriger la question de la gestion des allées et venues à mon collègue de l’ASF.

M. Bolduc : Merci de votre question, sénateur. Il y a deux choses que l’on doit clarifier. En ce qui concerne les voyages par avion, les Américains font déjà la collecte des informations à l’entrée et à la sortie. Ils n’ont donc pas nécessairement besoin de recevoir de l’information de l’Agence des services frontaliers, puisqu’ils la possèdent déjà.

Deuxièmement, les individus qui voyagent à l’étranger ont la responsabilité de se renseigner sur les lois et les règlements des pays qu’ils prévoient visiter.

En ce qui concerne les spécificités pour les États-Unis, si vous allez sur le site d’Affaires mondiales Canada et que vous faites une recherche pour « Ambassades des États-Unis », vous allez trouver une série de renseignements qui aident les gens à prendre des décisions.

Comme vous l’avez démontré, la période de 183 jours est du domaine public. Il incombe donc aux gens de se conformer à leur visa de touriste, qui est essentiellement valide pour une période de six mois.

Le sénateur Boisvenu : À l’heure actuelle, on est d’accord que beaucoup de gens voyagent sur la route. On voit d’ailleurs plusieurs caravanes sur les routes, ces jours-ci. Cette information n’était pas disponible auparavant, mais elle le sera maintenant. Ce ne sont pas les gens qui voyagent par avion qui m’inquiètent, mais ceux qui voyagent sur la route où l’information est disponible d’une seule façon.

A-t-on une idée du nombre de voyageurs qui sont en situation illégale et qui risquent de se faire arrêter?

Cela me ramène à la question que j’ai posée plus tôt au ministre à savoir s’il était pour y avoir une campagne de communication. Malheureusement, les campagnes de communication se font souvent trop tard, une fois que la loi a été adoptée. Alors qu’il faudrait qu’elle soit menée avant son adoption.

M. Bolduc : Vous avez raison. Lorsque le projet de loi recevra la sanction royale, ce sera déjà en vigueur. On aura donc la possibilité de partager l’information sur les citoyens canadiens, parce qu’on transmet déjà l’information aux Américains sur les résidents permanents, les étrangers et les citoyens américains. Cette information est déjà partagée, mais le projet de loi nous donnera l’autorité de transmettre l’information qui concerne les Canadiens.

Les Américains peuvent faire des contrôles à l’exportation. Aujourd’hui, s’ils visaient une clientèle, ils pourraient établir des contrôles à la sortie, au retour des caravanes.

Le sénateur Boisvenu : On ne sait donc pas trop combien de Canadiens pourraient faire l’objet de cette recherche.

M. Bolduc : On n’a pas cette information. Je ne peux pas parler au nom du gouvernement américain, mais nos collègues, tout comme nous d’ailleurs, ont comme priorité à la frontière d’assurer la sécurité de leur pays.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que ce même type d’entente se fera aussi avec le Mexique?

M. Bolduc : Pour l’instant, ce projet de loi ne vise que l’échange systématique d’informations avec les Américains.

Le sénateur Boisvenu : Bon nombre de Québécois ou de Canadiens font des voyages en deux étapes. Ils débutent leur séjour aux États-Unis, vont au Mexique pour quelque temps et reviennent. Est-ce que le temps qu’ils séjourneront en sol mexicain sera comptabilisé au complet, en ce qui a trait au respect des lois canadiennes, par exemple?

M. Bolduc : Il n’en demeure pas moins que quand on va échanger l’information avec les Américains, l’entrée aux États-Unis sera enregistrée. On va avoir une sortie du Canada, donc ce sera un itinéraire à trois directions. On est capable de réconcilier notre dossier. Comme le document d’information contient la date et l’endroit, on saura par quel endroit la personne est partie et par où elle est rentrée aux États-Unis.

Le sénateur Boisvenu : Comme on l’a vu dans le dossier de la légalisation de la marijuana, on n’était pas prêt en ce qui concerne l’équipement et la formation. Les policiers ont donc des problèmes avec les contrôles routiers lorsque des personnes conduisent avec les facultés affaiblies.

Pour ce qui est de l’échange d’informations, les systèmes informatiques, la formation du personnel, est-on assuré d’avoir l’équipement nécessaire et que cet équipement est compatible avec celui des Américains? On sait à quel point l’informatique, c’est délicat. Est-ce que tous ces problèmes seront réglés au moment où le projet de loi sera adopté?

M. Bolduc : Pour vous rassurer, sénateur, tous les systèmes sont déjà en place. On échange presque en temps réel avec les Américains, aujourd’hui.

Les compagnies aériennes nous transmettent déjà cette information pour les vols à destination du Canada. Nous sommes déjà en partenariat avec l’IRCC pour leur autorisation de voyages électroniques. Nous pouvons émettre l’autorisation. C’est transmis chez nous. Je vous rassure, sénateur, que toute l’infrastructure technologique est en place et nous travaillons avec les compagnies aériennes afin d’éviter de leur imposer des coûts supplémentaires sans raison valable. Il s’agit vraiment d’un partenariat.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Merci d’être venus. J’aimerais parler un peu de la légalisation de la marijuana en ce qui touche la frontière et de la loi fédérale pour lutter contre la marijuana aux États-Unis, même si certains États l’ont légalisée.

Si vous recueilliez ces données sur un Canadien et les remettiez aux États-Unis, il pourrait être banni à vie des États-Unis parce qu’il vient d’un pays qui permet la consommation de marijuana ou bien il en a vendu ou peu importe ce qu’il a fait.

On dit aux gens que c’est légal au Canada, mais si les données sont transmises de l’autre côté de la frontière, ces gens ne pourront peut-être jamais plus retourner aux États-Unis. Y a-t-il un moyen d’éviter cela? Comment pouvons-nous contourner le problème?

M. Bolduc : J’ai quelques éléments importants. L’importation et l’exportation de cannabis sont encore illégales au Canada. Vous ne pouvez pas traverser la frontière avec du cannabis.

Le sénateur Richards : Oui, je le sais, monsieur.

M. Bolduc : L’échange d’information avec les États-Unis qui est envisagé dans le projet de loi C-21 vise en réalité les renseignements de base. Il ne s’agit pas de transmettre le casier judiciaire d’une personne. Ce n’est pas la communication systématique de son adresse personnelle, de son courriel et ainsi de suite. Comme le ministre l’a mentionné, ce ne sont que les renseignements qui figurent à la page 2 du passeport : la date et l’endroit. C’est tout.

Si vous consommez du cannabis la fin de semaine à la maison, cette information ne sera pas rendue accessible à l’ASFC. Elle ne sera pas non plus communiquée systématiquement aux États-Unis.

Le sénateur Richards : J’ai une question complémentaire. Qu’en est-il du prédédouanement? Si le prédédouanement se fait à Winnipeg ou ailleurs et qu’on pose cette question, que fait une personne qui consomme du cannabis? Elle a peut-être prévu le voyage d’une vie à Los Angeles avec ses enfants.

Cela devient une pierre d’achoppement, et je me pose des questions là-dessus.

M. Bolduc : Je suis d’accord avec vous, mais je porte un uniforme, et le seul conseil que je peux vous donner, c’est de dire la vérité à un agent frontalier. Je ne mentirais sur rien.

Il est encore illégal de traverser la frontière avec du cannabis. Ce produit continue d’être illégal aux yeux du gouvernement fédéral américain. Les gens doivent prendre leurs décisions en fonction de cela et agir en conséquence.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais simplement demander une clarification. J’attire votre attention sur l’article 2 du projet de loi, qui conférerait le droit de recueillir des renseignements en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi sur les douanes. Comme nous le savons, ce pouvoir ne serait pas obligatoire, mais discrétionnaire. Autrement dit, l’ASFC pourrait recueillir ces renseignements si elle le désire, mais elle ne serait pas tenue de le faire.

Quelle est l’utilité de l’Initiative sur les entrées et les sorties si la collecte de renseignements n’est pas obligatoire? Pourquoi le pouvoir proposé est-il discrétionnaire?

M. Lawrence : L’article 92 prévoit que l’agence peut recueillir auprès de toute source visée par règlement les renseignements sur les sorties. L’article 92 s’applique de concert avec l’article 93, qui octroie le pouvoir de contraindre l’exploitant d’un moyen de transport commercial à envoyer des renseignements sur les sorties à l’organisation pour la première raison.

Lorsque c’est possible, nous pouvons choisir de conclure un accord, par exemple, avec le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis pour recueillir de l’information à la frontière terrestre. Nous pouvons le faire s’il s’agit de renseignements de nature biographique; nous revenons donc à la page 2 du passeport. Voilà ce qu’autorise cet article.

L’article 93 sert à obliger les transporteurs aériens commerciaux à présenter des manifestes de vols sortants. Les passages aux postes frontaliers routiers et les vols commerciaux compteront pour plus de 98 p. 100 des déplacements en provenance et à destination du Canada. L’application de l’article 92 ou 93 nous permet de trouver des solutions adaptées au mode maritime, aux embarcations de plaisance et aux vols non commerciaux à l’avenir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On dit que le projet de loi ne contient pas tous les éléments nécessaires au processus de cueillette d’informations. Des éléments pourraient être manquants, mais ils pourraient être définis par règlement. Pourrions-nous avoir une copie des règlements concernant la cueillette d’informations? Cela serait utile dans le cadre de notre étude. J’imagine qu’il est possible d’obtenir une copie de ces règlements.

[Traduction]

M. Lawrence : Les articles 92 et 93 du projet de loi contiennent ces renseignements. Ce qui est régi par la réglementation, c’est le moment, la manière et les circonstances entourant la collecte de l’information ou sa communication à l’agence.

Il n’y a pas d’autres éléments devant être prescrits par voie de règlement en ce qui concerne le projet de loi C-21.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Peut-être que j’ai été mal informé, mais, selon le représentant du syndicat des douanes et de l’immigration, certains éléments ne font pas partie du processus de cueillette d’informations. La présence ou non de ces éléments pourrait être définie par règlement. J’aurais aimé avoir une copie des règlements.

M. Bolduc : Nous les partagerons au moment de la prépublication. L’information qui sera légiférée, c’est-à-dire l’information que l’ASFC obtiendra est celle qui se retrouve à la page 2 avec une date et un lieu. Il n’y a pas d’autres informations.

Pourquoi l’énoncé a-t-il été rédigé ainsi? Comme l’a mentionné mon collègue, cela permet de s’adapter à chacun des modes de transport. Il y a, entre autres, aussi le mode ferroviaire. Vous pouvez prendre un train d’Amtrak, de New York à Montréal. C’est aussi pour avoir une approche sur mesure afin qu’on puisse dire aux compagnies aériennes : une fois que vous capturez l’information, qui doit nous être transmise, vous allez commencer à nous la transmettre, par exemple, 48, 36 ou 24 heures avant le départ du passager.

Les énoncés ont été rédigés de cette façon pour avoir la flexibilité et la capacité de faire notre travail sans causer de délai au moment de départ des vols. Comme vous le savez, ce n’est pas quelque chose d’agréable.

Le sénateur Dagenais : En effet. Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais remercier les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui et d’avoir répondu à nos questions.

Mesdames et messieurs, pour notre troisième groupe de témoins aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir par vidéoconférence Brenda McPhail, directrice, Projet sur la protection de la vie privée, la technologie et la surveillance, de l’Association canadienne des libertés civiles; Wesley Wark, professeur invité, École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, à titre personnel; et, enfin, Tim McSorley, coordonnateur national, au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.

Bienvenue à tous. Madame McPhail, nous allons commencer par vous parce que nous ne savons jamais si nous allons perdre la connexion de la vidéoconférence. Vous avez la parole.

Brenda McPhail, directrice, Projet sur la protection de la vie privée, la technologie et la surveillance, Association canadienne des libertés civiles : Merci beaucoup d’avoir invité l’Association canadienne des libertés civiles pour parler du projet de loi C-21. Ce projet de loi permet la mise en œuvre de la phase finale de l’entente canado-américaine Par-delà la frontière de 2011 en vue de la communication de données biographiques de base sur les entrées et les sorties de citoyens canadiens.

Les discussions sur ce projet de loi sont guidées par la déclaration selon laquelle d’autres pays, y compris nos alliés dans le milieu du renseignement, recueillent déjà cette information, et nous devons rattraper le reste du monde. L’ACLC croit qu’il est important d’observer que, avant le 11 septembre, il était rare que des pays démocratiques recueillent des renseignements sur les sorties de leurs propres citoyens. À notre avis, le fait que le Canada a fait preuve de prudence à cet égard est une force. Nous abordons ce projet de loi en reconnaissant que, même si la politique publique peut le justifier, il permet de nouvelles façons de suivre les déplacements et fait partie d’un changement continu des relations États/citoyens, et ce, dans un monde de mégadonnées.

Le projet de loi se concentre principalement sur la nécessité d’assurer des protections explicites de la vie privée pour l’échange d’information entre le CBP et l’ASFC, et entre l’ASFC et d’autres ministères fédéraux. Je vais parler de deux éléments : l’inquiétude soulevée par le fait que les détails essentiels de la collecte de renseignements sont actuellement laissés aux règlements et la nécessité d’augmenter la reddition de comptes de l’ASFC.

Lorsqu’il s’agit d’échange d’information, on nous dit que l’information biographique recueillie est simplement les renseignements qui se trouvent à la page 2 du passeport. Toutefois, n’oublions pas que, lorsque nous parlons de la protection de la vie privée, cette information est rarement examinée de façon isolée. Elle sera inévitablement évaluée en combinaison avec d’autres renseignements que détiennent déjà divers ministères fédéraux et des organismes de renseignement et d’application de la loi des deux côtés de la frontière.

Autrement dit, les inquiétudes en matière de protection de la vie privée ne se limitent pas à la quantité relativement petite de nouveaux renseignements recueillis et visent l’ampleur de la possibilité que ces renseignements soient combinés à d’autres détails et utilisés de manières imprévues.

Ce qui est également pertinent, c’est le fait que ces renseignements sont explicitement recueillis non seulement à des fins de sécurité nationale, mais également pour vérifier la résidence afin de déterminer l’admissibilité aux prestations des Canadiens.

Nous devons demeurer conscients des conséquences que des erreurs ou une mauvaise utilisation pourraient avoir sur les gens et nous assurer que la communication de ces renseignements contribue plutôt que nuit à l’intégrité de nos programmes de prestations.

Lorsque l’entente Par-delà la frontière a été signée, l’ACLC et des partenaires internationaux ont élaboré une série de principes juridiques de base à des fins d’examen. Je veux en souligner deux aujourd’hui.

Premièrement, les pratiques en matière de collecte, d’échange, d’utilisation, de diffusion et de stockage de renseignements devraient faire l’objet de processus indépendants de surveillance, d’examen et de reddition de comptes.

Deuxièmement, lorsque les lois de deux pays n’offrent pas les mêmes protections, la norme la plus élevée devrait prévaloir.

C’est particulièrement important parce que, depuis la signature de l’entente Par-delà la frontière, il y a eu un changement important du degré de protection de la vie privée auquel les Canadiens peuvent s’attendre relativement aux renseignements personnels que possèdent les États-Unis.

Depuis que le président Trump a signé le décret no 13 768 en janvier 2017, les renseignements personnels des Canadiens ne sont plus protégés comme ils l’étaient par la Privacy Act des États-Unis.

Pour assurer la reddition de comptes nécessaire, nous recommandons que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada effectue une surveillance et un examen indépendants obligatoires de l’échange d’information. Il a recommandé auparavant que son bureau travaille en collaboration avec des ministères au cours de l’élaboration d’ententes sur l’échange d’information afin de s’assurer de la mise en place de bonnes garanties.

Nous irions plus loin et proposerions que la création et l’examen de telles ententes par le CPVP soient prescrits par la loi et qu’une telle entente doive être rendue publique dans la mesure raisonnablement possible.

Les Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée sont un autre mécanisme de reddition de comptes. Nous croyons comprendre qu’il est déjà convenu qu’elles seront menées et examinées par le commissaire à la protection de la vie privée. Nous recommandons en outre que les résumés soient rendus publics avant le début de la collecte des données.

Pour souligner l’importance de la transparence, j’attirerais votre attention sur le sommaire exécutif de la phase II de l’Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée de l’Initiative sur les entrées et les sorties, qui comporte l’échange d’information sur les résidents permanents canadiens et les ressortissants de pays tiers.

Pour le paraphraser, il précise que, en tout temps, la communication des renseignements personnels échangés dans le cadre de cette initiative sera protégée par des lignes directrices sur la protection de la vie privée énoncées dans le plan d’action et régie par les lois des États-Unis.

L’accès public à ce sommaire nous amène à poser une question cruciale. Comme les lignes directrices mentionnées ne sont pas juridiquement contraignantes et que l’état des protections de la vie privée qui nous sont offertes par les lois américaines a changé, la disposition sur la vie privée sera-t-elle adéquate lorsque nous mettrons en œuvre la prochaine phase de l’échange d’information qui est facilitée par ce projet de loi?

Cela se rapporte au deuxième principe dont j’ai parlé. La meilleure protection juridique entre deux pays devrait s’appliquer, ce qui signifie, de l’avis de l’ACLC, que le droit canadien relatif au respect de la vie privée devrait s’appliquer par défaut à l’égard de l’information canadienne dans l’avenir.

Enfin, pour qu’il y ait un processus continu de reddition de comptes et de transparence, nous recommandons que le projet de loi soit amendé afin qu’il exige que l’ASFC fasse rapport publiquement chaque année au Parlement sur ses dispositions et les conséquences de l’échange d’information qui a eu lieu.

Le projet de loi C-21 laisse les sources, les circonstances, les échéanciers et la méthode de la cueillette de renseignements être prescrits par les règlements, ce qui crée un processus qui est moins public et moins transparent et qui diminue l’exigence redditionnelle. Étant donné que nous parlons de droits à la vie privée et à la circulation protégés par la Charte, il est préférable que les détails soient inscrits dans la loi afin d’assurer une plus grande certitude pour les Canadiens.

Enfin, je crois comprendre que le ministre Goodale a dit cet après-midi que les détails d’un plan pour une surveillance indépendante de l’ASFC sont imminents. C’est une bonne chose parce que, en plus des données sur les sorties, le projet de loi C-21 introduit de nouvelles dispositions sur l’échange d’information pour la Loi sur l’assurance-emploi et la Loi sur la sécurité de la vieillesse et prévoit de nouveaux pouvoirs qui permettent à l’ASFC de poser des questions aux personnes qui quittent le Canada.

Nous croyons qu’il est dangereux de continuer d’élargir les pouvoirs sans créer une sorte d’organisme de surveillance indépendant. Nous espérons sincèrement que le comité aura l’occasion d’examiner les détails du nouveau plan avant d’aller de l’avant avec le projet de loi.

Wesley K. Wark, professeur invité, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître et à témoigner devant le comité au sujet du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes.

J’ai témoigné à propos de ce projet de loi à l’autre endroit — j’adore pouvoir utiliser cette phrase — le 24 octobre 2017. C’est toujours un plaisir d’examiner avec soin un projet de loi qui a à peine quatre pages, mais on peut se demander ce qui a pu avoir été laissé de côté.

Le projet de loi C-21 élargit les dispositions relatives à l’acquisition et à l’échange d’information sur les entrées et les sorties afin d’englober les citoyens canadiens. Je ne vais pas aborder le contexte du projet de loi, je dirai seulement qu’il représente l’étape finale d’un processus d’engagement et de planification qui remonte aux promesses faites dans le cadre du Plan d’action Par-delà la frontière convenu en 2011 entre le Canada et les États-Unis.

La dernière étape de l’Initiative sur les entrées et les sorties qui exige force de loi dans le projet de loi C-21 mènerait à l’échange de renseignements biographiques, comme vous l’avez entendu, sur tous les voyageurs, y compris les citoyens canadiens, à la frontière terrestre Canada-États-Unis ainsi qu’à la collecte de données biographiques sur les sorties de tous les voyageurs aériens, y compris, encore une fois, les citoyens canadiens qui quittent le Canada. Il convient de noter qu’on n’envisage pas l’échange d’images ou de données biométriques dans le cadre de cette initiative.

Selon la fiche d’information publiée par le gouvernement lors du dépôt de ce projet de loi en juin 2016, l’Initiative sur les entrées et les sorties répond à un certain nombre d’objectifs établis. Cette initiative n’est pas particulièrement conçue comme une mesure de sécurité nationale, mais elle pourrait, selon moi, contribuer aux enquêtes sur les déplacements d’acteurs malveillants soupçonnés, y compris des terroristes, des agents de renseignements étrangers et des proliférateurs d’armes de destruction massive. Pour ces raisons, j’appuie le projet de loi. Il comble une lacune de longue date en matière de collecte de données.

Je crois qu’il serait utile pour les Canadiens que les objectifs du projet de loi, décrits dans la fiche d’information, soient en réalité inclus dans un énoncé de principes au début du projet de loi afin d’expliquer la justification des nouveaux pouvoirs qu’il contient.

Il convient de rappeler les restrictions que le gouvernement entend placer sur la transmission de certains renseignements faisant partie de la vaste masse de données dont le projet de loi C-21 autorise la collecte. Les données sur les personnes franchissant la frontière avec les États-Unis seront naturellement transmises au gouvernement américain, étant donné que les mêmes renseignements seront d’abord recueillis par l’agence américaine des douanes et de la protection des frontières.

On nous assure que les données sur les départs par avion ne seront communiquées ni aux États-Unis ni à un autre gouvernement étranger. Cette assurance ne fait pas partie du texte législatif, alors elle dépendrait sans doute de la réglementation et des instructions du ministre. La logique ou le maintien probable de cette interdiction d’échanger de l’information sur les sorties dans le mode aérien me semblent discutables.

Le ministre Goodale a déclaré auparavant que les échanges d’information à l’intérieur du Canada et avec les États-Unis seraient assujettis à des ententes officielles qui prévoiraient des balises pour la gestion de l’information, des dispositions pour la protection de la vie privée et des mécanismes de recours en cas de problèmes. Il s’agit là d’engagements importants, mais les Canadiens ne connaîtront peut-être jamais la nature ou la pleine mesure de ces ententes officielles.

Vous avez entendu quelque chose de similaire de la part de Mme McPhail, mais, pour cette raison, je crois qu’il est important que le projet de loi C-21 comporte un engagement en matière de transparence, qui serait conforme à la Charte sur la transparence promise par le gouvernement, idéalement sous la forme d’un rapport annuel présenté au Parlement et rendu public sur l’application des mesures, leur efficacité et les problèmes qui en découlent.

L’absence d’un engagement transparent dans la version actuelle du projet de loi est d’autant plus grave qu’il n’y a pas non plus de mécanisme indépendant de contrôle de l’ASFC, l’organisme principalement chargé d’appliquer les mesures prévues dans le projet de loi C-21. Un tel mécanisme peut être mis en place dans l’avenir par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement nouvellement établi, par exemple, et par la création de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, tel que promis dans le projet de loi C-59. Le contrôle systématique de l’ASFC est une aspiration future, et il existe un écart entre les pouvoirs actuels et nouveaux et le déploiement d’une telle capacité de processus d’examen.

Je soulignerais également que le commissaire à la vie privée a invité le gouvernement canadien, dans une lettre adressée aux ministres datée du 8 mars 2017, à demander au gouvernement américain d’ajouter le Canada sur la liste des pays désignés conformément à la Judicial Redress Act de 2015 des États-Unis afin de renforcer les protections de la vie privée pour les citoyens canadiens dans l’administration américaine.

Dans le contexte du projet de loi proposé, il est également important de connaître l’état des Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée effectuées pendant les phases finales de l’Initiative sur les entrées et les sorties. Le résumé législatif du projet de loi C-21, préparé par la Bibliothèque du Parlement et révisé le 21 octobre 2018, fait référence aux évaluations initiales des facteurs relatifs à la vie privée pour la phase I et la phase II de l’initiative seulement.

J’ajouterais en passant que les lignes directrices du Conseil du Trésor sur les Évaluations des facteurs relatifs à la vie privée indiquent très clairement que ces évaluations doivent être préparées avant l’utilisation des pouvoirs, non pas des mois ou souvent des années après le début de leur utilisation.

Dans mon témoignage à l’autre endroit sur le projet de loi C-21 il y a un an, j’ai fait valoir que le projet de loi devrait comporter une période de conservation des données. L’article 93.1 de la version actuelle du projet de loi prévoit une période de conservation générale de 15 ans. À mon avis, cette période de conservation est trop longue et devrait être qualifiée de façon à ce que la conservation des données au-delà d’une courte période soit restreinte à des catégories de données justifiées par une exigence clairement précisée dans la loi. Il pourrait s’agir de conservation des données jugées nécessaires pour respecter les objectifs précisés dans la loi.

Le projet de loi C-21 ne devrait pas créer un vaste marais de données libres pour des besoins précis et légitimes. Ce n’est ni dans l’intérêt des organismes visés par l’initiative ni conforme aux droits à la vie privée des Canadiens.

Pour résumer, j’exhorterais le comité à examiner les sept petits points suivants.

Premièrement, il devrait y avoir un amendement qui prévoit un énoncé des objectifs du projet de loi à titre de préambule.

Deuxièmement, il faut un amendement pour exiger que le ministre présente un rapport annuel au Parlement relativement à l’application de l’Initiative sur les entrées et les sorties.

Troisièmement, on devrait amender l’article 93.1 pour limiter davantage les périodes de conservation des données, conformément aux objectifs précisés dans le projet de loi.

Quatrièmement, il faut appuyer la recommandation du commissaire à la vie privée selon laquelle le gouvernement canadien doit demander au gouvernement américain d’ajouter le Canada comme pays désigné conformément à la Judicial Redress Act des États-Unis.

Cinquièmement, on doit encourager le comité à demander de l’information sur l’état de l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée pour les phases finales de l’Initiative sur les entrées et les sorties, ce qui pourrait bientôt être inscrit dans la loi.

Sixièmement, il est nécessaire d’inciter le gouvernement à s’assurer que l’ASFC est au centre même de l’attention du nouveau système de contrôle qui est mis en place, peu importe sa nature, particulièrement en ce qui concerne l’ASFC.

Septièmement, il faut exhorter le gouvernement à prendre une décision sur la façon de concevoir un mécanisme de contrôle indépendant pour les plaintes du public visant l’ASFC.

Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Je représente les 45 organisations membres de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. C’est toujours un plaisir de faire part de nos inquiétudes à votre comité.

Même si nous reconnaissons que les trois principales raisons du projet de loi C-21 sont la sécurité nationale, l’application de la loi et les politiques sociales, je vais me concentrer aujourd’hui sur la sécurité nationale, car elle représente le mandat de notre coalition.

Au cours des 15 dernières années, la coalition a critiqué les propositions d’intégrer davantage la sécurité frontalière canadienne à celle des États-Unis, ce qui est un projet presque constant depuis le 11 septembre 2001. En particulier, nous avons accordé de l’attention aux incidences que l’augmentation de la sécurité frontalière peut avoir sur les droits et les libertés des Canadiens, y compris les droits à la vie privée, le droit de circulation et la liberté d’expression.

Nous ne nous opposons pas à la collaboration en matière de sécurité, mais nous croyons qu’une telle harmonisation intensive de la sécurité mine la capacité du Canada d’établir des politiques de sécurité selon les priorités et les préoccupations des Canadiens et de protéger adéquatement les libertés civiles canadiennes prévues par la Charte des droits et libertés.

Ces préoccupations ne sont pas sans fondement, car nous avons vu des ententes en matière de sécurité et de frontière qui suivaient la direction des États-Unis ou qui étaient négociées sans grand apport du public ou sans débat significatif.

Le projet de loi doit également être examiné dans le contexte des régimes canadiens de collecte et d’échange d’information toujours grandissants, au pays et à l’étranger. Le gouvernement du Canada recueille maintenant de plus en plus de données sur ses résidants et participe à des partenariats internationaux d’échange de renseignements sans précédent, comme l’alliance du Groupe des cinq. Un tel élargissement soulève d’importantes préoccupations concernant les protections de la vie privée et, à tout le moins, des inquiétudes relativement à d’autres droits.

Le projet de loi C-21 peut, à première vue, sembler simple, mais les questions en jeu deviennent plus complexes lorsqu’on les examine dans le contexte de l’augmentation de la surveillance, de la conservation et de l’échange des données et de l’utilisation de ces données pour analyser et détecter les menaces à la sécurité. Le gouvernement a déclaré que les données qui doivent être recueillies seront les renseignements figurant à la deuxième page du passeport de même que l’information recueillie lorsqu’une personne quitte le pays : la date et l’endroit de départ du pays.

Les données de ce genre, qui lient une personne à ses déplacements par-delà les frontières, peuvent brosser un tableau très précis et très révélateur, particulièrement lorsqu’elles sont combinées à d’autres renseignements recueillis par des organismes gouvernementaux, notamment des relevés d’emploi, des dossiers médicaux, des prestations gouvernementales, et cetera.

Il ne faut pas être alarmiste, mais il est important de souligner que l’information recueillie est potentiellement importante, ce qui nécessite de solides garanties et des règlements clairs sur sa collecte, son échange ou sa divulgation, sa conservation et son utilisation future.

Il serait important de définir clairement l’utilisation et/ou l’échange des données sur les sorties recueillies pour éviter que la sécurité nationale aille trop loin. Le gouvernement canadien procède régulièrement à l’échange de données entre des ministères, y compris avec des organismes de sécurité nationale. Même si le gouvernement nous assure que des règles claires sont en place, il y a lieu de s’inquiéter de l’échange de renseignements personnels sur des Canadiens à des fins inconnues des voyageurs.

Par exemple, nous craignons que les données de ce type puissent être ajoutées en masse aux ensembles de données du SCRS créés par le projet de loi C-59, ce qui établirait d’énormes archives des déplacements des Canadiens qui ne présentent pas une menace dans le cadre d’enquêtes sur la sécurité nationale.

Cela soulève également des questions touchant la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, dans laquelle on a ajouté une nouvelle définition élargie des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada. Une personne pourrait voir son information transmise par l’ASFC au SCRS, à la GRC ou à d’autres organismes sans avoir commis un crime ou être soupçonnée d’en avoir commis un.

J’aimerais vous donner un excellent exemple. Au cours des dernières années, nous avons observé des cas où le SCRS et la GRC surveillaient des manifestants pacifiques et ont même établi leurs profils. Nombre de ces personnes s’intéressent à des qui vont au-delà des frontières nationales. Ils peuvent même voyager pour participer à des manifestations; je pense à ceux qui se sont joints aux manifestations de Standing Rock ou même à la Marche des femmes à Washington. La collecte massive de renseignements sur les déplacements permettrait facilement d’ajouter un nouveau point de données à ces profils, qui ont été, ne l’oublions pas, critiqués et interrompus après avoir été mis au jour.

Le gouvernement canadien échange également des renseignements avec d’autres administrations. Nous craignons que les informations sur les déplacements des Canadiens soient communiquées à d’autres organismes du renseignement étrangers qui peuvent ensuite les utiliser comme bon leur semble, malgré que l’on ait tenté d’obtenir des assurances. Un tel échange d’information est au cœur de cas comme ceux de MM. Maher Arar, El-Maati, Almalki et Nureddin, qui ont tous souffert de traitements injustes et de torture à l’étranger.

Enfin, nous n’avons pas vu de données probantes ou de statistiques du gouvernement qui montrent clairement que des risques croissants à la sécurité exigeraient une telle augmentation de la collecte massive de données. Nous croyons que la meilleure solution serait de ne pas recueillir en masse les données des voyageurs, puisque des restrictions prévues au projet de loi C-21 pourraient être annulées par des pouvoirs conférés par d’autres lois.

J’aimerais dire que la proposition de M. Wark concernant une limite plus stricte de la conservation de l’information pour éviter cette accumulation massive de données et une restriction de la période de conservation sont des choses qui pourraient contribuer à atténuer ces préoccupations.

À défaut, nous nous opposerions aux dispositions du projet de loi C-21, qui permettraient la collecte par défaut par l’ASFC de l’information de tous les voyageurs, mais nous convenons que des mesures peuvent être prises pour réduire ces risques.

Premièrement, il faudrait adopter un article qui préciserait clairement les circonstances et les objectifs de l’échange de l’information recueillie par l’ASFC avec des organismes de sécurité, au pays et à l’étranger.

Deuxièmement, nous étions heureux de voir que, à l’autre endroit, on a mis en place une limite sur la période de conservation des données des voyageurs. Toutefois, comme il a été mentionné, une période de 15 ans demeure trop longue. Je souhaite également souligner que, à ce moment-là, un responsable du Commissariat à la protection de la vie privée a dit qu’on avait approuvé la limite de 15 ans, mais qu’on ne savait pas vraiment pourquoi c’était nécessaire. À tout le moins, nous aimerions qu’il y ait plus d’information sur la période de conservation et qu’elle soit idéalement restreinte.

Troisièmement, même si on a mentionné plus tôt que les Canadiens peuvent demander à l’ASFC les renseignements sur leurs déplacements, nous croyons qu’un système plus clair devrait être mis en place pour la présentation d’une telle demande et la rectification d’erreurs.

Quatrièmement, comme il a été mentionné et comme le ministre Goodale l’a dit plus tôt, nous croyons qu’il est important d’établir un organisme d’examen distinct et indépendant pour l’ASFC. Nous avons entendu des promesses par le passé. Nous espérons, comme l’a mentionné le ministre Goodale, que ce sera dans les prochaines semaines. Nous avons hâte d’examiner le projet de loi qui sera présenté. D’ici là, nous devons nous assurer de la mise en place de règlements stricts, particulièrement en ce qui concerne la collecte et l’échange d’information.

Nous comprenons que la collecte de données sur les sorties fait l’objet d’un débat à l’échelle internationale et devient la norme dans la communauté internationale. Cependant, nous croyons également que le Canada peut donner l’exemple en protégeant les droits des voyageurs.

Merci, je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Nous allons passer aux questions en commençant par le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma première question s’adresse à Mme McPhail : lorsque le ministre Goodale nous dit que la quantité des informations qui seront collectées est minime et sans conséquence sur les droits à la vie privée, que répondez-vous à cela, et où sont les vrais dangers?

[Traduction]

Mme McPhail : Merci de la question. Il est vrai que la quantité de nouveaux renseignements est relativement petite parce que l’information biographique est en fait celle qui figure à la page 2 du passeport. La nouvelle information est vraiment celle sur les sorties et les entrées.

Toutefois, comme je l’ai dit dans mon exposé, les gens ne vont pas se contenter d’examiner seulement cette information. L’objectif explicite de cette collecte, c’est que la police puisse ajouter cette information à d’autres renseignements qu’elle détient si elle souhaite poursuivre un suspect, que les responsables de la sécurité de la vieillesse, de l’assurance-emploi ou de l’immigration et des réfugiés puissent combiner cette information à d’autres renseignements qu’ils possèdent déjà sur des personnes afin de vérifier ce qu’on leur a dit ou d’obtenir un tableau plus complet.

Lorsqu’on regarde les protections de la vie privée, ce n’est pas seulement qu’il y a un ou deux champs de données supplémentaires auxquels une personne aura accès. La véritable préoccupation est de savoir combien de personnes auront accès à ces champs de données supplémentaires et quelles seront les incidences de l’intégration de ces données aux grandes quantités d’information qui sont déjà recueillies.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, madame McPhail. Ma deuxième question s’adresse à M. Wark.

Monsieur Wark, on sait que la sécurité est un enjeu important depuis quelques années et que les gouvernements échangent des informations pour lutter, entre autres, contre le terrorisme. Pouvez-vous nous dire si, outre le projet de loi C-21, il existe d’autres outils pour obtenir des informations permettant la surveillance des entrées et des sorties au Canada?

[Traduction]

M. Wark : Merci de la question, monsieur le sénateur. Des dispositions parallèles, dans ce qu’on appelle la LSDA, la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, ont été adoptées auparavant avec le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste du gouvernement conservateur. La loi est beaucoup plus axée sur les personnes soupçonnées de prendre part à des activités liées au terrorisme ou à d’autres menaces à la sécurité nationale, mais elle renforce la capacité du gouvernement de suivre et de conserver l’information sur des personnes soupçonnées de telles activités.

Certainement, le gouvernement possède déjà des pouvoirs, et les organismes de renseignement et d’application de la loi peuvent échanger de l’information dans le cadre de leurs mandats légitimes. Certains de ces pouvoirs sont en place.

À mon avis, la compréhension commune de l’Initiative sur les entrées et les sorties est qu’elle comble une lacune dans la collaboration entre le Canada et les États-Unis concernant le suivi des déplacements transfrontaliers des personnes et des marchandises. Elle ajoute une capacité supplémentaire de suivre le déplacement des Canadiens qui sortent du pays dans le mode aérien.

En ce qui me concerne, c’est difficile parce que, comme nous ne pouvions savoir dans quelle mesure ils pourraient être bénéfiques; cependant, il me semble que l’on pourrait au moins avancer l’hypothèse que, en certaines occasions, il serait avantageux de posséder cette information.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. McSorley. Vous avez fait référence au projet de loi C-59 qui accorde déjà des pouvoirs aux agences de sécurité. Diriez-vous que le projet de loi C-21 va trop loin dans la recherche d’informations sur l’accès à la confidentialité des Canadiens?

[Traduction]

M. McSorley : Nous craignons que, une fois ces pouvoirs proposés dans le projet de loi C-59, l’information recueillie en vertu du projet de loi C-21 fasse alors partie de cette collecte de données.

Il y a deux côtés à la médaille. Il faut d’abord se demander si l’information devrait être recueillie au départ. Ensuite, dans le projet de loi C-59, nous croyons qu’il faut aller plus loin pour s’assurer d’avoir des restrictions sur la façon dont l’information pourrait ensuite être recueillie en vertu du projet de loi C-21 si elle se trouve dans une banque de données de l’ASFC ou si elle est recueillie et communiquée à d’autres organismes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez entendu le témoignage du ministre de la Sécurité publique qui affirme qu’il y a très peu d’informations connues sur les Canadiens, sauf peut-être celles contenues dans le passeport. L’affirmation du ministre est-elle crédible ou croyez-vous plutôt que ces informations pourraient se retrouver, par exemple, au Régime de pensions du Canada ou à l’Agence du revenu du Canada?

Bien que l’Agence du revenu du Canada ne communique pas nécessairement avec Revenu Québec, selon vous le projet de loi C-21 vient-il créer une brèche dans l’accès aux informations des Canadiens?

[Traduction]

M. McSorley : Je ne crois pas que le projet de loi C-21 irait jusqu’à ouvrir une nouvelle brèche dans l’accès à l’information. À l’instar de ce que disait Mme McPhail, je dirais que, même s’il s’agit d’une petite quantité de nouvelles informations, elles peuvent être très importantes lorsqu’elles sont combinées à d’autres renseignements qui sont déjà recueillis.

Je ne dirais pas que le projet de loi crée un nouveau problème concernant l’ARC, mais nous devons être très prudents pour ce qui est de la manière dont ces nouvelles informations seront recueillies. Ce qui nous inquiète toujours, c’est lorsque de nouvelles informations sont obtenues en masse et que des décisions sont prises plus tard à leur égard.

Nous préférons nous ranger du côté de la collecte d’information de manière ciblée. Si cela veut dire recueillir beaucoup d’information, alors il doit être très clair que la conservation et la destruction de cette information doivent se faire de façon ciblée. Cela ferait en sorte que l’information ne serait pas conservée seulement parce qu’elle pourrait être utile dans l’avenir ou être utilisée à d’autres fins que celles déterminées à l’origine.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Seriez-vous d’accord pour qu’il y ait une révision de ces cueillettes d’informations tous les cinq ans?

[Traduction]

M. McSorley : Vous avez posé cette question plus tôt au ministre Goodale. Il a parlé d’un examen des organismes de sécurité nationale.

Je crois, particulièrement en ce qui concerne le programme des entrées et des sorties, qu’un examen après cinq ans est une bonne idée. Ce n’est pas inclus précisément dans l’étude du projet de loi C-59 ou du projet de loi C-22 à l’heure actuelle, alors je conviendrais qu’il doit en faire partie.

Si un organisme d’examen est créé pour l’ASFC, il pourrait être chargé d’effectuer cet examen, et nous n’aurions pas besoin d’un comité distinct. Toutefois, comme nous le savons, l’ASFC ne fait pas l’objet d’un examen pour le moment.

La sénatrice McPhedran : Je voudrais souligner que, lorsque le projet de loi C-23 a enfin été adopté, nous nous sommes retrouvés avec une disposition qui prévoit un examen aux cinq ans, laquelle ne se retrouve pas dans le projet de loi C-21.

J’ai trouvé très intéressant chacun de vos trois témoignages. Je vais poser une question à laquelle, je l’espère, vous aurez tous envie de répondre. Je me demande quel est le risque qu’il y ait une atteinte aux droits ici. Je reviens à la question que j’ai posée au ministre plus tôt cet après-midi concernant la consultation sur les règlements, compte tenu de l’éventail des préoccupations dont on nous a fait part.

Merci, monsieur Wark, de la liste précise d’amendements. Je crois qu’elle est très utile. Si vous deviez organiser une consultation sur les règlements, quels seraient, selon vous, les éléments essentiels entourant la participation de personnes et d’organisations comme vous à une consultation sur les règlements dans ce projet de loi?

M. Wark : Permettez-moi d’être un peu de sceptique à l’égard d’une consultation sur les règlements.

Ce n’est pas une façon particulière de mener une consultation, mais, selon mon expérience, les consultations sur la réglementation tendent à se concentrer sur un aspect précis et être de nature technique, que ce soit à l’égard du projet de loi ou de tout autre aspect de la pratique gouvernementale. La consultation ne devrait pas équivaloir à une consultation publique générale sur les principes stratégiques ou les dangers d’un projet de loi. Je garde ces éléments séparés.

Je reviens sur un point en partie pour parler de questions qui ont été posées plus tôt sur l’examen quinquennal. Ces examens sont une bonne chose. Dans la pratique, ils sont souvent réalisés tous les six ou sept ans, comme les membres du comité le savent très bien. C’est la raison pour laquelle je crois qu’il est plus important, bien honnêtement, d’avoir un rapport annuel que les comités du Parlement peuvent examiner plutôt que d’attendre cinq, six ou même sept ans pour apprendre quelque chose qui peut être désagréable à propos d’un projet de loi.

Si le gouvernement devait choisir entre un examen quinquennal ou un rapport annuel, la priorité devrait être accordée au rapport annuel, à mon avis.

Pour revenir à ce que vous avez dit concernant ce qui pourrait porter atteinte aux droits, il est difficile de mettre le doigt sur ce danger dans le projet de loi. Nous parlons peut-être tous de la vaste portée du projet de loi sur la sécurité nationale adopté au Canada depuis la Loi antiterroriste initiale de 2001. Je ne vois rien en particulier qui porterait atteinte aux droits dans ce projet de loi ou qui aurait un effet tangible en ce qui concerne la façon dont cette information peut être ajoutée à d’autres informations accessibles dans la communauté de la sécurité et du renseignement dans son ensemble.

Comme l’a souligné le ministre Goodale, je crois qu’un point important, qui sera probablement pris en compte par le comité lorsque le projet de loi C-59 lui sera soumis avec fracas, puisqu’il s’agit d’un projet de loi très important, c’est qu’il faut examiner précisément la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, comme on l’appelle, qui essaie de préciser la nature de l’information communiquée et d’avoir un droit de regard sur cette information. L’information sensible communiquée est un élément essentiel du tableau d’ensemble.

M. McSorley : Je suis d’accord avec M. Wark à propos de la consultation sur la réglementation. Ce n’est pas un processus ouvert. Je crois qu’il faudrait beaucoup de travail pour convaincre le gouvernement de tenir une série de consultations publiques ouvertes où il pourrait inviter les gens à discuter.

On a dit que ça s’était déjà produit dans le cadre du projet de loi C-21. J’aimerais bien qu’on me dise quel était le résultat de ces consultations. Nous ne savions pas vraiment qu’il y en avait eu. Cela ne veut pas dire que d’autres personnes n’y ont pas participé, mais il pourrait être intéressant pour les membres du comité de savoir en quoi consistaient ces consultations publiques et quels ont été leurs résultats.

Je pense que ce qui sera particulièrement important lorsque ce projet de loi sera adopté, c’est les questions sur les périodes de conservation et l’idée qu’il y ait des délais à cet égard pour différents ministères.

J’aime l’expression « marais de données » qu’a utilisée M. Wark. Je crois qu’elle reflète exactement notre préoccupation. Après l’adoption de règlements, ce serait quelque chose qui pourrait idéalement faire partie du projet de loi. Il serait utile que des règlements établissent davantage de clarté sur ces délais de conservation.

Quant à ce qui pourrait porter atteinte aux droits, et peut-être que Brenda McPhail en a parlé, d’autres intervenants nous ont dit que l’ACLC avait examiné la façon dont la législation sur la sécurité nationale portait atteinte aux droits des militants et des gens disposés à parler ouvertement.

Encore une fois, nous convenons qu’il ne s’agit pas d’un projet de loi novateur. L’information qui est recueillie est limitée, mais nous sommes préoccupés par la façon dont elle s’ajoute à d’autres renseignements obtenus. C’est un autre pas en direction de la collecte massive de données. Cela pourrait amener des gens à réfléchir à l’information que le gouvernement possède sur eux et à l’incidence qu’elle pourrait avoir sur leurs droits de circulation ou leurs droits à la libre expression.

Mme McPhail : Je vais passer directement à la question de ce qui peut porter atteinte aux droits, puisque Tim McSorley m’en a donné l’occasion. Nous nous inquiétons de deux aspects à cet égard.

D’abord, comme il l’a mentionné, nous avons réalisé une recherche qualitative auprès de militants qui ont participé à des manifestations et à des activités politiques; ils se sont dits préoccupés par la surveillance accrue dont ils font l’objet de la part d’organismes de sécurité nationale en particulier.

Je ne suis pas certaine que l’information sur les entrées et les sorties visée par ce projet de loi augmenterait particulièrement cette préoccupation. Il est important de comprendre que plus les gens se sentent en désaccord avec une position du gouvernement, ce qui attirera l’attention des organismes de sécurité et du renseignement, moins ils sont susceptibles de participer au processus de manière soutenue.

Nous entendons des parents dire ceci : « J’aurais fait cela quand j’étais jeune, mais je crains de le faire maintenant parce que je ne veux pas que mes actions nuisent à mes enfants ou à mon conjoint. » Nous devons nous inquiéter en général de ce qui peut porter atteinte aux droits parce que la capacité de débattre de sujets politiques controversés est évidemment essentielle à la démocratie.

Un autre aspect qui m’inquiète concernant l’atteinte aux droits, c’est l’utilisation de l’information sur l’admissibilité aux prestations des Canadiens. À l’heure actuelle, nous avons un régime qui consiste à faire confiance, mais à vérifier pour le compte de nos organisations. Les Canadiens leur communiquent leur information. Ensuite, si des préoccupations sont soulevées, on vérifie la véracité de cette information.

Avec l’ajout de ce type de renseignements, je crains qu’on passe à un système où on se demande si ce qui est dit concorde avec les données. À mesure que nous passons à des systèmes plus automatisés pour ce qui est du processus décisionnel lié aux prestations, j’espère que les données ne deviendront pas la solution ultime et qu’il y aura des recours en cas d’erreurs graves pour les gens qui veulent contester l’exactitude des données.

La sénatrice McPhedran : J’ai deux précisions à apporter. D’abord, est-ce que j’ai bien raison de comprendre que vous, en tant que témoins, seriez satisfaits d’un amendement potentiel au projet de loi C-59 pour inclure le rapport annuel et faire référence précisément aux rapports sur les données visées par le projet de loi C-21, ou est-ce que je vous ai mal compris?

M. Wark : Je vais répondre brièvement à cette question. Un certain nombre de dispositions dans le projet de loi C-59, comme vous le savez ou allez le découvrir, concernent des rapports annuels de différents éléments de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement.

L’ASFC en général pourrait être ajoutée comme élément de cette communauté, et elle le sera peut-être, mais c’est un rapport précis sur les entrées et les sorties qui serait important. Il n’est pas nécessaire que ce soit un gros rapport. Ce pourrait, par exemple, être des aperçus de la façon dont fonctionne le mécanisme, des problèmes et des faits nouveaux.

La sénatrice McPhedran : D’autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?

M. McSorley : À ce sujet, nous avons tous trois parlé de sécurité nationale. L’importance que le rapport porte précisément là-dessus, c’est que tout examen prévu par le projet de loi C-59 ou l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement serait limité à des préoccupations de sécurité nationale.

À mon avis, il serait important de répondre aux préoccupations pouvant exister relativement à d’autres types de prestations sociales dans le projet de loi C-21, non pas dans le projet de loi C-59.

La sénatrice McPhedran : La deuxième précision que je voulais apporter concernait le scénario qu’ont décrit Mme Mcphail et M. McSorley à propos d’un désaccord ou d’une remise en question acceptables et authentiques par des, vous avez utilisé le mot « militants ». Je dirais que nous pourrions également parler de « citoyens canadiens ».

J’aimerais savoir si vous pensiez à une situation dans laquelle des Canadiens disaient la vérité en réponse à des questions qui leur étaient posées lorsqu’ils traversaient la frontière pour aller aux États-Unis. Ils allaient peut-être assister à une réunion, faire ceci ou faire cela.

S’ils finissent par se retrouver à Washington pour participer à une des marches en question, c’est ajouté d’une manière ou d’une autre aux données et c’est perçu comme étant une divergence entre ce qu’ils ont dit à l’agent frontalier au point d’entrée aux États-Unis et ce qu’ils ont peut-être fait d’autre de bonne foi. Ils ne voulaient pas cacher de l’information, mais on s’aperçoit qu’ils n’avaient pas divulgué cela.

S’agit-il d’un scénario trop détaillé pour ce que vous aviez en tête, ou concorde-t-il à certaines de vos préoccupations?

Mme McPhail : Ce serait une préoccupation, bien sûr. L’information qui va être transmise, particulièrement en vertu du projet de loi, à ma connaissance, ne comporterait pas les notes prises par un agent frontalier concernant le but du voyage. Ce n’est peut-être pas prévu par ce projet de loi, mais il serait naïf de penser que ces notes ne sont pas communiquées par d’autres moyens, avec d’autres systèmes, en vertu d’autres autorités.

Voilà un détour pour dire que le scénario que vous avez mentionné n’est pas une préoccupation déraisonnable.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Mark, un amendement a été proposé par le comité de la Chambre à l’article 2 pour que l’information recueillie sur des personnes et des marchandises en vertu de l’article 92 et les renseignements donnés à l’Agence des services frontaliers du Canada en application de l’article 93 soient conservés pendant 15 ans à compter de la date à laquelle ils sont recueillis.

Est-ce que c’est raisonnable, 15 ans?

M. Wark : Je me souviens d’une conversation au cours de laquelle cette question a été soulevée à l’autre endroit pendant les discussions du comité parlementaire sur le projet de loi C-21. J’ai l’impression que les gens ont compris la nécessité d’une période de conservation. Il s’agissait d’un progrès parce qu’il n’y en avait aucune dans la version initiale du projet de loi.

Je suppose, et ce n’est qu’une hypothèse, que la période de 15 ans a été choisie au hasard. À mon avis, c’est illogique. C’est une période beaucoup trop longue. Non seulement c’est trop long, mais cela donne à penser que tous les renseignements recueillis grâce aux mécanismes prévus par le projet de loi C-21 seront conservés pendant 15 ans.

Ma proposition au comité, s’il envisage de proposer un amendement concernant une période de conservation, comporte deux critères. D’abord, l’amendement devrait prévoir une période de conservation plus courte dans l’ensemble. Ensuite, il devrait établir un lien entre cette période de conservation et les objectifs précis du projet de loi : pourquoi ces renseignements doivent être conservés pendant une certaine période?

Si nous prenons la LSDA, la période au cours de laquelle les renseignements visés par cette disposition plus étroite peuvent être conservés est de sept jours en vertu de la loi. Là, nous proposons 15 ans. Je ne comprends pas cela, bien honnêtement.

Le sénateur McIntyre : Dans votre septième recommandation, vous demandez la mise en place d’un mécanisme de contrôle indépendant. Pourriez-vous nous en dire plus là-dessus, s’il vous plaît?

M. Wark : Certainement. Très brièvement, on tient depuis longtemps des discussions sur la nécessité d’avoir un organisme civil indépendant pour arbitrer les plaintes déposées par le public à l’égard de l’ASFC.

À l’heure actuelle, l’ASFC a un processus interne pour recevoir et arbitrer les plaintes, mais elle n’est assujettie à aucun organisme externe de traitement des plaintes, comme ce qui a été établi pour la GRC avec la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, pour le SCRS avec le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et, bien sur, pour le CST.

Ma proposition dépend de ce qu’envisage le gouvernement relativement à la prétendue surveillance de l’ASFC. Cette surveillance peut faire l’objet de politiques. Il est également important d’avoir un mécanisme de traitement des plaintes, particulièrement lorsque le projet de loi C-21 entrera en vigueur, que plus de données seront recueillies et que de nouveaux pouvoirs seront conférés aux agents de l’ASFC pour qu’ils puissent poser des questions aux gens qui quittent le Canada ou qui arrivent au pays.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos invités. Monsieur McSorley, si je vous ai bien compris, vous avez affirmé qu’il semble y avoir une nouvelle définition d’accès à l’information. Est-ce bien votre affirmation?

[Traduction]

M. McSorley : Je ne suis pas certain de ce que j’ai dit, mais ce n’est pas notre préoccupation. Nous ne croyons pas que le projet de loi C-21 comporte une nouvelle définition de l’accès à l’information. Nous sommes préoccupés par la façon dont l’information pourrait être ensuite utilisée si elle était conservée en masse en vertu de la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada.

Nous croyons comprendre que cela ne change pas les règles entourant la Loi sur l’accès à l’information.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai mal compris, excusez-moi.

Madame McPhail, le gouvernement s’est engagé, lorsqu’il dépose des projets de loi, à déposer en même temps des énoncés prouvant que ces projets de loi respectent la Charte canadienne des droits et libertés. Il ne l’a pas fait dans ce cas. Savez-vous pourquoi?

[Traduction]

Mme McPhail : Je suis désolée, je n’ai pas entendu l’interprète, et ma capacité de comprendre votre question fait affreusement défaut. Je m’en excuse sincèrement. Est-ce que je pourrais entendre la traduction de la question, s’il vous plaît?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, je vais reprendre. Le gouvernement s’est engagé, lorsqu’il dépose un projet de loi, à déposer des énoncés concernant la Charte canadienne des droits et libertés qui démontrent que le projet de loi respecte cette charte. Il ne l’a pas fait dans le cadre de ce projet de loi. Est-ce que cela vous surprend? Comment expliquez-vous cela?

[Traduction]

Mme McPhail : Cela me surprend, mais me préoccupe davantage. Si le gouvernement s’est engagé à s’assurer que toutes les dispositions législatives respectent la Charte, et c’est le cas, alors il n’y a absolument aucune raison pour que le projet de loi ne comporte pas d’énoncé concernant la Charte.

En fait, cela touche les droits à la vie privée et la liberté de circulation protégés par la Charte, alors l’absence d’un tel énoncé pose problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Wark, un des dangers de ce projet de loi est l’extension éventuelle d’échange d’informations. Dans le cadre du projet de loi, le ministre s’est donné la possibilité de modifier la portée du projet de loi par règlement plutôt que de passer par le Parlement. Est-ce que cela vous préoccupe, le fait que le ministre ait ce pouvoir sans que les députés ou les sénateurs puissent valider la recevabilité d’une modification à la loi?

[Traduction]

M. Wark : Merci, monsieur le sénateur. Il est dans l’intérêt démocratique des Canadiens que la loi soit aussi claire et aussi complète que possible quant à ses répercussions. Les règlements visent à être une forme de mise en œuvre de ce que contient la loi.

Selon ce que j’ai entendu, le ministre Goodale l’a affirmé au cours de son témoignage, et peut-être également ses collaborateurs, que les règlements seraient techniquement une mise en œuvre. Maintenant que nous avons un régime complet sur les entrées et les sorties, on peut prédire sans se tromper qu’il évoluera au fil du temps.

Ce mécanisme devra un jour intégrer les données biométriques. Je soupçonne que nous allons nous retrouver à échanger de l’information sur les sorties avec d’autres pays, y compris les États-Unis et des alliés. Je ne peux pas concevoir que nous n’allons tout simplement pas faire cela si le mécanisme a une certaine valeur en matière de sécurité publique.

C’est ce qui fait qu’il est d’autant plus important pour les comités parlementaires de pouvoir examiner minutieusement non seulement la loi initiale et la mise en œuvre technique par règlement, mais également la façon dont la loi est réellement appliquée.

Je m’excuse de me répéter, mais je réitère qu’il faut exiger, espérons-le, un rapport annuel dans lequel l’ASFC ou le ministre doit fournir de l’information concrète sur l’application de la loi.

Le sénateur Richards : Ma question s’adresse à M. McSorley. Nous nous sommes brièvement rencontrés aujourd’hui. Cette question est vaste, tout comme l’étaient les questions que je vous ai posées au bureau. Je sais qu’il ne peut y avoir de réponse unique. C’est justement ce qui m’inquiète.

En conséquence, je suis tout à fait en faveur de la protection des renseignements personnels. Mieux nous protégeons les renseignements personnels, mieux c’est, et moins nous causons de tort, moins nous devrions nous préoccuper.

Une grande partie de cette question porte sur nos relations avec les États-Unis. Comment négocier avec les États-Unis une restriction sur les renseignements? Leur capacité de collecte de renseignements est probablement supérieure à la nôtre. S’ils veulent obtenir des renseignements, ils les obtiendront. Je pense que vous le savez probablement.

Je me demande si les règles que nous appliquons à nous-mêmes auront de l’importance à long terme. C’est ce que je me demande lorsque la frontière est traversée par des gens dans le Maine ou dans l’Oregon.

Peu importe à quel point nous nous assurons de nos propres limites, nous avons toujours affaire à un pays puissant au sud de notre frontière. Je me demande si, à long terme, cela aura vraiment de l’importance. C’est important pour nous, mais est-ce que ça le sera à l’échelle internationale?

M. McSorley : C’est une question très importante.

Je conviens que nous avons un contrôle limité sur ce que feront les États-Unis avec les renseignements qu’ils recueillent et sur les renseignements qu’ils recueilleront. Nous ne pouvons pas nécessairement aborder cette question à l’heure actuelle dans le projet de loi C-21, alors que le gouvernement négocie des ententes comme le plan d’action Par-delà la frontière.

Par le passé, la CSILC a comparu devant le comité pour discuter du projet de loi C-23. On a dit que le gouvernement avait les mains liées sur certaines questions concernant ce qui avait déjà été négocié dans l’accord de précontrôle conclu avec les États-Unis.

Fondamentalement, nous avons besoin de plus de précisions, de la participation du public et d’un débat public sur ces accords avant qu’ils ne soient mis en place et qu’on n’annonce que de nouveaux plans d’action et des accords de précontrôle ont déjà été conclus.

C’est un problème que nous avons soulevé au sujet de ce genre d’accords sur les frontières et des accords internationaux en général. Si nous pouvions obtenir plus de précisions, une meilleure participation du public et un meilleur débat public sur ces accords avant qu’on nous dise qu’il s’agit d’un fait accompli, nous aurions plus de pouvoir que ce qui se trouve dans cette mesure législative en ce qui concerne les types d’accords conclus et les décisions prises quant à la façon dont nous communiquons les renseignements aux États-Unis et vice versa.

Le sénateur Richards : Le problème que je constate, c’est qu’il s’agit de leur territoire souverain. Comprenez-vous ce qui me gêne à cet égard? Même si nous négocions, au bout du compte, c’est toujours leur loi fédérale qui l’emporte et non la nôtre. C’est ce à quoi je veux en venir.

M. McSorley : Je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur Richards. C’est plus que, dans le cadre de ces accords, nous pouvons mieux comprendre, mieux donner notre avis et prendre de meilleures décisions sur la façon dont le Canada utilise ces renseignements.

Les États-Unis ont un pouvoir sur ce qu’ils recueillent lorsque les voyageurs entrent dans leur pays, mais notre pouvoir en tant que Canadiens est d’avoir d’accès à des accords qui dictent comment le gouvernement utilisera ces renseignements ici.

Si on nous dit que nous avons convenu de faire la même chose que les États-Unis après la signature d’un accord sans consultation préalable, nous avons donc les mains liées, peu importe ce que font les États-Unis.

La sénatrice Griffin : J’ai une brève question à poser à Mme McPhail. Ce à quoi je veux en venir, c’est à l’obligation de dire la vérité en vertu de l’article 94. Dans le groupe de témoins précédent, j’ai demandé à un fonctionnaire du ministère ce qui se passe si quelqu’un refuse de répondre.

Il a répondu que le refus de répondre constituerait une infraction. J’aimerais que vous me disiez comment cela interagirait avec la Charte.

Mme McPhail : Nous sommes préoccupés par le fait que ce projet de loi accroît la capacité de l’agent de l’ASFC de poser des questions à quelqu’un lorsqu’il sort du pays en plus de celles qu’il pose à son entrée au Canada et qu’il entraîne, comme vous l’avez mentionné, la nouvelle infraction s’il ne répond pas aux questions à sa sortie du pays.

La question de la Charte à la frontière est complexe parce que nous sommes tous d’accord, et j’utilise le pronom « nous » de manière très large, pour dire que la frontière est une zone particulière parce qu’il s’agit d’une zone où les préoccupations en matière de sécurité sont suffisamment élevées. Par conséquent, il y a moins d’attente à l’égard de choses comme la protection des renseignements personnels.

Il serait très utile que le comité examine si la capacité d’un agent d’empêcher quelqu’un de quitter le Canada du fait qu’il ne répond pas à une question est un pouvoir approprié ou si ce pouvoir de poser des questions devrait être moins discrétionnaire et plus limité à ce que l’on pourrait considérer comme un des principaux objectifs pour autoriser la sortie, conjointement avec les nouvelles dispositions visant à empêcher la sortie de marchandises du Canada par contrebande.

Il pourrait être souhaitable de limiter les questions, si c’est possible dans l’esprit du projet de loi. Nous serions certainement en faveur de cette limitation.

La présidente : Merci à tous les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui pour participer aux délibérations sur le projet de loi C-21. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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