Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 36 - Témoignages du 18 février 2019


OTTAWA, le lundi 18 février 2019

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu, se réunit aujourd’hui, à 16 heures, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Avant de commencer, je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs, employés et membres du public dans ce nouvel édifice spectaculaire où nous nous rencontrerons pour au moins les 10 prochaines années. Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé sans relâche afin que tout soit prêt pour notre déménagement.

Je demande maintenant aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La présidente : Nous commençons cet après-midi notre étude du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. Pour ce qui est de notre premier groupe de témoins, aujourd’hui, nous accueillons Irvin Waller, professeur émérite de l’Université d’Ottawa; Adam Ellis, titulaire d’une bourse Vanier du Centre de criminologie et d’études sociojuridiques de l’Université de Toronto; et, enfin, Louis March, fondateur du Zero Gun Violence Movement.

Messieurs, la parole est à vous.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, j’invoque le Règlement. Je suis un peu préoccupé par la façon dont nous commençons ces audiences.

L’article 12-12(6) du Règlement est très clair. La pratique usuelle veut que le comité de direction se réunisse et mette au point un plan de travail. En tant que tel, le comité de direction n’a aucun pouvoir à part celui conféré par le comité principal. Il est censé présenter le plan de travail en question au comité principal, qui peut ensuite choisir de l’accepter, de le rejeter ou de le modifier. Cela n’a pas été fait. Nous nous rencontrons aujourd’hui avec, à l’horaire, six groupes sur plus de six heures, et aucun plan de travail ne nous a été remis, à part celui que nous avons reçu par courriel.

La situation me pose problème pour quelques raisons. Premièrement, nous traitons à la hâte un texte législatif qui doit faire l’objet d’une analyse minutieuse, et ce, de façon ouverte et démocratique. Nous accaparons des plages qui revenaient au Sous-comité des anciens combattants. En tant que comité, nous avons le droit de prendre ces plages horaires, mais à la lumière des événements récents et vu l’indication claire quant à la façon dont le gouvernement voit l’enjeu des anciens combattants, j’estime qu’il est problématique que nous ayons retiré les plages horaires en question à ce sous-comité.

En outre, je sais que la visite du ministre est prévue la semaine prochaine, et nous devons en tenir compte. Nous avons un certain nombre de témoins supplémentaires. Je sais que la sénatrice Griffin a dit qu’elle aimerait entendre certains témoins de l’Île-du-Prince-Édouard, mais la fin de l’étude est déjà prévue et elle a été établie par le comité de direction, qui a déterminé que nous devions passer à l’étude article par article après quatre réunions.

Madame la présidente, je crois que le plan de travail — ou, devrais-je dire, le prétendu plan de travail ou le plan qui brille par son absence — doit faire l’objet de discussions au sein du comité, qui devra l’accepter, le modifier ou le rejeter.

Je suis désolé pour les témoins, ici. De toute évidence, nous voulons les entendre. Si je ne m’abuse, le groupe suivant est composé de représentants de l’Ontario, de Statistique Canada, et nous pourrions le retirer de l’ordre du jour si nous devons débattre longtemps à cet égard, de façon à ne pas pénaliser nos témoins.

Néanmoins, madame la présidente, il s’agit selon moi de quelque chose dont nous devons discuter avant de poursuivre le processus. Sauf si vous prévoyez discuter de tout ça plus tard durant la réunion d’aujourd’hui, j’estime qu’il faut en discuter maintenant.

La présidente : Merci de vos commentaires. Je serais heureuse d’en discuter à la fin de la journée, afin que l’on puisse entendre les témoins sans interruption.

Le sénateur Plett : En disant « à la fin de la journée  », voulez-vous dire après 22 heures? Après que nous aurons siégé ici pendant six heures sans pause de dîner, sans pause-santé? Après tout ça, après 22 heures, vous voulez en discuter? Il s’agit d’un plan de travail dont il faut discuter avant le début des travaux, pas à la fin de votre prétendu plan de travail ou lorsqu’on l’aura presque réalisé à moitié. Ce n’est pas acceptable. C’est quelque chose qu’il faut faire au début des réunions, pas à la fin.

La présidente : Sénateur Plett, voulez-vous présenter votre proposition sous forme d’une motion?

Le sénateur Plett : Oui, j’aimerais assurément la soumettre sous forme d’une motion. Si vous me permettez un peu d’audace, je vais, dans le préambule, ou avant de présenter ma motion, suggérer que nous déplacions les représentants de Statistique Canada vers une plage horaire différente afin de ne pas causer de désagréments à ces gens très compétents.

Je propose qu’on discute du plan de travail maintenant et qu’on prenne une décision sur l’ensemble du plan de travail avant de procéder.

La présidente : Passons au débat.

Le sénateur Pratte : Si nous avons besoin de temps pour discuter du plan, je ne suis pas en désaccord, mais je n’accepterais pas qu’on retarde la comparution de témoins ou qu’on en élimine certains. On leur a dit depuis longtemps qu’ils devaient être ici aujourd’hui. Nous savons que beaucoup de personnes veulent comparaître devant nous pour discuter du projet de loi. Monsieur le sénateur Plett, il y a probablement d’autres témoins que vous aimeriez entendre. J’ai une liste de témoins que j’aimerais moi aussi entendre. Je ne crois tout simplement pas que ce soit une bonne idée de retarder tout le processus étant donné que des témoins sont là. Ils sont prêts à témoigner et nous sommes prêts à les entendre. Nous pouvons discuter du plan de travail mercredi prochain, et tout ça ne changerait rien. Les témoins sont là.

Je suis sûr que vous reconnaîtrez que les témoins qui sont devant nous aujourd’hui sont des témoins que nous devrions entendre de toute façon, et ils sont là, aujourd’hui, maintenant. Je m’opposerais donc à la motion dans sa forme actuelle. Je ne suis pas contre l’idée de discuter du plan de travail. Je ne crois tout simplement pas que maintenant est le bon moment de le faire.

Le sénateur Plett : Monsieur le sénateur Pratte, je ne vois pas d’inconvénient à ce que nous le fassions mercredi, mais nous n’avons pas le temps de le faire mercredi, parce que nous rencontrons un ministre, sauf si nous voulons annuler cette comparution, ce à quoi je ne vois pas d’inconvénient. La raison pour laquelle j’ai mentionné les représentants de Statistique Canada, c’est qu’ils n’ont pas à se déplacer. Ils sont du coin.

Cependant, je suis tout à fait d’accord avec vous. Si nous pouvons discuter du plan de travail mercredi, je serai heureux de le faire. Je ne veux tout simplement pas discuter du plan de travail après une réunion de six heures, après 22 heures.

Je serais heureux, monsieur le sénateur Pratte, que vous modifiiez ma motion.

Le sénateur Pratte : C’est ce que je ferai, afin que cette discussion ait lieu mercredi.

Le sénateur Plett : Plutôt que de rencontrer le ministre?

Le sénateur Pratte : Plutôt que de rencontrer le ministre.

Le sénateur Plett : Je ne m’opposerais pas à un tel amendement.

La sénatrice McPhedran : Je tiens à dire pour le compte rendu que, d’après mon expérience en tant que membre du comité et d’autres comités, lorsque nous demandons à notre comité de direction, à trois membres, de mettre au point ce qui est, essentiellement, un plan de travail, et qu’on nous donne un préavis raisonnable, comme ça a été le cas, ici, alors c’est ainsi que nous devons procéder. Je ne comprends pas la motion du sénateur Plett, et j’aimerais m’y opposer.

La sénatrice Griffin : Je tiens à soulever deux ou trois points. Premièrement, nous avons des témoins, ici et maintenant, et je n’aimerais vraiment pas leur occasionner des inconvénients. Des représentants de Statistique Canada doivent être là à 18 heures, et, de toute façon, ils viennent d’ici, à Ottawa. Une personne autour de la table a laissé entendre que nous pourrions peut-être modifier la motion afin de discuter du plan de travail à 18 heures plutôt que de le faire immédiatement. Nous aurions seulement entendu deux groupes de témoins avant de discuter du plan de travail.

Mon deuxième point, c’est que je détesterais avoir à déplacer la comparution du ministre. Je suis sûre qu’il est difficile pour lui d’inclure le comité dans son emploi du temps, et j’aimerais vraiment entendre ce qu’il a à dire. Cependant, mercredi prochain, j’aurais vraiment aimé, plutôt que d’entendre des témoins parler du sujet qui nous occupe actuellement, que nous puissions nous occuper du Sous-comité des anciens combattants. Comme vous le savez, je viens de l’Île-du-Prince-Édouard. L’administration centrale du ministère des Anciens Combattants est située à l’Île-du-Prince-Édouard. Chaque année au cours des trois, quatre ou cinq dernières années... Il y a eu trois, quatre ou cinq ministres. Le nombre de ministres dépend de la personne à qui on parle, mais quatre ministres sur une période de quatre ans, c’est préoccupant, surtout pour les travailleurs dans ma ville natale.

Cela dit, je crois que j’aimerais proposer un sous-amendement à l’amendement du sénateur Pratte. Il était prêt à faire en sorte qu’on discute du plan de travail mercredi, et je préférerais qu’on le fasse plus vite, ce soir, à 18 heures.

La présidente : Il y a eu une motion, un amendement, et il y a maintenant un autre amendement.

Le sénateur Plett : J’aimerais revenir rapidement sur le commentaire de la sénatrice selon lequel le document nous a été envoyé longtemps d’avance. Je suis en partie d’accord avec cette affirmation, à part le fait que, bien sûr, la sénatrice n’est pas nécessairement au courant de tous les échanges de courriels qui ont eu lieu à ce sujet et de toutes les préoccupations soulevées au sujet de ce que nous faisons. Ce n’est pas comme si le plan nous a été envoyé et que nous décidions tout simplement, aujourd’hui, d’en changer le contenu.

Je préférerais l’amendement du sénateur Pratte, parce que je crois vraiment que, au cours des prochaines semaines, nous pourrons réinviter le ministre, assurément un mercredi. Nous pourrions ainsi avoir un peu plus de temps et poursuivre avec les témoins.

Nous avons perdu 10 minutes. Bien sûr, nous pouvons compenser le temps perdu à la fin de la journée, mais je préférerais assurément qu’on réserve mercredi pour s’en occuper.

La sénatrice Griffin a parlé du mercredi suivant. Si nous décidons ce mercredi que le mercredi suivant serait réattribué à la question des anciens combattants, c’est une proposition à laquelle je serais favorable. C’est quelque chose qui, bien sûr, n’est pas lié à la motion ou à l’amendement. Selon moi, l’amendement du sénateur Pratte est logique.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à soutenir ce que le sénateur Plett a dit, soit que nous devrions avoir une très bonne séance, mercredi. Je soutiens le sénateur Pratte et le sénateur Plett, et je demande la mise aux voix.

La présidente : Avons-nous une motion selon laquelle nous discuterons du plan de travail — si j’ai bien compris — mercredi? Il y a un amendement, et un autre amendement.

La sénatrice Griffin : L’amendement le plus récent était le mien, et j’ai suggéré qu’on discute du plan de travail, ce soir, à 18 heures. C’est cette proposition que nous devrions soumettre aux voix en premier afin de l’accepter ou de la rejeter.

La présidente : Pouvez-vous reformuler votre motion pour moi?

La sénatrice Griffin : Mon amendement, c’est que nous discutions du plan de travail pendant une heure, ce soir, à 18 heures.

La présidente : La motion est-elle adoptée?

Tous ceux qui sont en faveur de la motion?

La motion est rejetée. Nous passons à l’autre motion, celle du sénateur Pratte, qui prévoit une discussion sur le plan de travail mercredi durant notre plage horaire de réunions régulières, et il faudrait, pour ce faire, reporter la comparution du ministre. C’est exact? C’est la teneur de la motion?

La motion est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Adoptée.

Nous allons maintenant passer aux témoins.

Le sénateur Plett : Il reste quelques points d’ordre administratif. Vous devez demander si nous adoptons la motion modifiée.

La présidente : Merci. Adoptons-nous la motion modifiée?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aussi à mes collègues.

La présidente : Nous allons maintenant, et nous nous excusons aurpès de nos témoins, passer à M. Waller.

Irvin Waller, professeur émérite, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci de l’invitation à témoigner. Je suis professeur émérite à l’Université d’Ottawa. Depuis 50 ans, je m’efforce de réduire la violence au Canada et dans d’autres pays, ce que je fais en tentant d’essayer d’aider les décideurs à avoir accès aux données probantes et à les utiliser. J’ai aussi écrit un certain nombre de livres qui ont été traduits en espagnol, en chinois et dans d’autres langues, des livres sur un contrôle plus intelligent de la criminalité à l’intention des décideurs.

Ma conclusion, c’est que le projet de loi C-71 est un petit pas dans la bonne direction, mais il reste beaucoup de choses à faire si nous voulons réduire de façon importante le nombre d’homicides, pas seulement les homicides par arme à feu, mais tous les homicides au Canada.

Franchement, je suis choqué par mes propres statistiques. Si on regarde les pays du G7 et qu’on n’inclut pas les États-Unis, le Canada arrive bon premier avec 1,8 homicide par tranche de 100 000 habitants. C’est quasiment le double de ce qu’on voit en Allemagne, près du double des statistiques de la France et près de 50 p. 100 au-dessus de ce qu’on constate en Angleterre et au pays de Galles. Selon moi, c’est honteux, et c’est un dossier sur lequel il faut se pencher et qui exige de prendre des mesures.

En 2018, le taux d’homicides de la ville de Toronto, troisième ville en importance en Amérique du Nord, s’élevait à 3,4 homicides pour 100 000 habitants. C’est un peu plus élevé que le taux de la ville de New York et près du double des taux constatés dans la ville de Londres, en Angleterre, et la ville de Montréal, au Québec. Il y a de très bonnes raisons pour lesquelles ces deux villes affichent des taux beaucoup plus faibles. Soit dit en passant, la ville de Londres compte sur un maire qui prend vraiment cet enjeu au sérieux et qui misera sur les données probantes et tentera de voir de quelle façon on peut les utiliser pour adopter de meilleures politiques.

Nous vivons aussi dans un pays où le taux d’homicides des hommes autochtones — j’utilise le terme de Statistique Canada — est six fois plus élevé que le taux des non-Autochtones. C’est aussi une situation honteuse.

Le sénateur Pratte et le ministre Goodale ont mentionné que les taux d’homicides au Canada ont beaucoup diminué au cours des 40 dernières années. Essentiellement, c’est depuis que le gouvernement Trudeau a apporté des modifications importantes en matière de contrôle des armes à feu, en 1977. Vous devez savoir que j’étais directeur général des recherches et des statistiques du solliciteur général à ce moment-là, et c’est l’un des dossiers dont je me suis occupé.

Ce que vous ne savez peut-être pas — et, si des représentants de Statistique Canada comparaissent, vous en saurez peut-être un peu plus à ce sujet —, c’est que l’enjeu des armes de poing ne date pas de quelques années à peine. C’est, en fait, un problème qui grossit depuis 10 ans. On a constaté un changement important au Canada au cours de ces 40 dernières années, et on voit que les criminels utilisent moins d’armes longues. En outre, au cours des 10 dernières années, on a constaté une augmentation rapide de l’utilisation d’armes de poing par les criminels. Le projet de loi C-71 n’aborde aucunement de manière importante l’enjeu des armes de poing.

Évidemment, je suis favorable aux vérifications des antécédents. Pour moi, c’est une mesure qui va de soi. Le fait de jeter un coup d’œil aux cinq dernières années ou de remonter encore beaucoup plus loin constitue, selon moi, une ingérence minimale dans les droits des gens, tout en offrant une protection minimale aux victimes potentielles.

La vérification du permis de possession et d’acquisition, le PPA, est, encore une fois, une évidence. Selon moi, c’est surprenant qu’il ait fallu l’inclure en tant que telle dans le projet de loi C-71. La tenue d’un registre attestant qu’un détaillant a vraiment vérifié le PPA va aussi de soi.

Ce sont trois choses toutes simples et évidentes qui, tout en constituant une ingérence minimale, fournissent un niveau de protection supplémentaire minimale.

Je n’ai aucun commentaire à formuler sur la reclassification des deux armes, si ce n’est que la GRC a tout à fait raison de dire qu’il faut modifier ces catégories. C’est de toute évidence une bonne idée d’essayer de fournir une protection lorsque des armes à autorisation restreinte sont transportées. Je vis dans une ère où le Canada s’est engagé à l’égard des objectifs de développement durable. Vous n’êtes peut-être pas les seuls à ne pas très bien connaître ces objectifs, mais je suis de ceux qui les connaissent très bien, parce que l’ODD no 16 concerne d’importantes réductions des homicides, et le Canada, en acceptant les ODD, a accepté cet objectif lui aussi. Par conséquent, nous devrions adopter des lois et mettre en place des programmes permettant de faire des progrès relativement à l’atteinte de cet objectif. L’objectif compte aussi une section sur l’amélioration de la déclaration des crimes par les victimes. L’ODD no 5 est très important en ce qui concerne la violence contre les femmes et les filles. Nous devrions examiner le projet de loi et les programmes du gouvernement à la lumière de ces objectifs.

Nous vivons dans une nouvelle ère où 50 années de recherche scientifique nous ont montré exactement ce que nous devrions faire pour mettre fin aux crimes violents, y compris le mésusage des armes de poing. Certains de ces thèmes ont été abordés durant le sommet sur les gangs et les armes à feu, mais, selon moi, pas assez. En fait, vous pouvez consulter le site web du département de la Justice des États-Unis pour le voir. Vous ne me croirez peut-être pas, mais c’est vrai. Vous pouvez vous tourner vers le British College of Policing. Vous pouvez consulter un certain nombre de sites web pour voir ce qui fonctionne vraiment, là où l’efficacité de telles mesures a été prouvée, pour réduire la violence dans la plupart des cas, et on parle de réductions de 50 p. 100. C’est essentiellement l’information contenue dans mon livre à l’intention des décideurs.

Quels sont les genres de choses qui fonctionnent vraiment? Certaines concernent des activités policières proactives. Ce n’est pas ce que les services de police de Toronto font et ce n’est pas ce que font la plupart des services de police au Canada. Il faut s’attaquer aux raisons pour lesquelles les jeunes hommes dans des zones défavorisées de nos villes se tournent vers les armes à feu et, dans de nombreux cas, il y a un lien avec le trafic de drogues.

Des lignes directrices ont été élaborées et approuvées par le gouvernement canadien aux Nations Unies. Ces lignes directrices parlent de ce qu’il faudrait faire. Les parlementaires britanniques ont créé la Youth Violence Commission, qui produit actuellement un rapport, et il est question du modèle de Glasgow. La Ville de Londres a adopté ce modèle.

Je vous demande d’aller de l’avant avec le projet de loi C-71 et de créer un sous-comité sénatorial qui se penchera sur les données probantes, les communiquera au public et formulera des recommandations permettant de réduire le nombre d’homicides autochtones, de refaire de Toronto une ville paisible et de mettre fin à l’utilisation des armes qui menacent les femmes et les enfants dans notre pays.

La présidente : Merci.

Monsieur Ellis.

Adam Ellis, titulaire d’une bourse Vanier, Centre de criminologie et d’études sociojuridiques de l’Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m’avoir invité. Je m’appelle Adam Ellis. Je suis étudiant au doctorat et titulaire d’une bourse Vanier au Centre de criminologie et d’études sociojuridiques à l’Université de Toronto.

Avant de parler directement du projet de loi C-71, j’aimerais vous raconter une brève histoire au sujet d’un jeune homme que je connais. Ce jeune homme a grandi dans ce que les criminologues ont appelé une sous-culture de violence. À 6 ans, ce garçon a été victime pour la première fois d’intimidation et il a été exposé à la guerre de rue. À 15 ans, il s’est fait voler sous la menace d’une arme à feu. À 16 ans, il s’est procuré sa première arme à feu et a fait la transition à la vie dans la rue pour assurer sa protection. À 17 ans, il a été témoin de la tentative de meurtre d’un de ses amis. À 18 ans, les deux tiers de ses amis étaient détenus ou emprisonnés. À 19 ans, il a fait ses adieux à de nombreux de ses frères victimes d’homicide, de suicide et d’incarcération. Durant la même année, sa mère est décédée, et, pour sa part, il allait vers l’itinérance et le désespoir.

L’histoire que je viens de vous raconter, ce n’est pas l’histoire d’un étranger, c’est la mienne.

Aujourd’hui, j’ai miraculeusement survécu à ma collectivité, au système de justice qui a tenté de réduire au silence ma douleur et à la société en général qui ne voyait en moi qu’un échec. Je vous raconte cette histoire parce que je veux humaniser l’expérience des personnes qui se tournent vers la prétendue vie de gang, dont plusieurs se tournent vers la violence, non par choix, mais pour survivre.

Même si une bonne partie du discours sur la violence liée aux armes à feu blâme les jeunes hommes membres de minorités visibles pour les bains de sang dans la rue, je tiens à souligner qu’une bonne partie de cette violence ne découle pas de pathologies quelconques qu’afficheraient ces jeunes hommes. En effet, les ingrédients qui mènent à la violence de gang sont contenus dans les systèmes sociaux globaux perpétuant leurs propres formes de violence structurelle qui poussent ces jeunes hommes à utiliser des armes à feu au départ.

Ici, il faut se demander pourquoi les jeunes hommes estiment avoir besoin d’une arme à feu au sein de la société. Je ne saurais répondre à cette question complexe dans le temps qui m’est accordé ici. Cependant, ce que nous savons va totalement à l’encontre de la façon dont les médias, les organisations d’application de la loi et certains politiciens conservateurs ont choisi de décrire les actes et les comportements de jeunes hommes membres de minorités visibles au fil du temps et un peu partout.

En tant qu’ancienne victime qui est devenue criminologue, je peux vous dire sans hésitation que les armes à feu sont un outil utilisé par ces jeunes hommes pour survivre. Les jeunes hommes sans autre option se tournent vers les armes à feu pour se protéger non seulement contre les menaces insidieuses au sein de leurs collectivités, y compris le marché de la drogue, qu’il soit organisé ou non, mais en plus, ils utilisent aussi des armes à feu pour combler leur besoin en matière de sécurité là où les contrôles sociaux conventionnels ont échoué. En outre, les armes à feu fournissent aux jeunes hommes une forme de statut et de pouvoir qu’on leur a retirés en raison des injustices sociales qui découlent de la violence structurelle.

Comme mon collègue, Scot Wortley, l’a laissé entendre, les armes à feu donnent un sentiment de pouvoir et de contrôle à ceux qui se sentent impuissants et oubliés par la société en général. Cependant, il y a de graves conséquences liées à la vie dans la rue. Par exemple, ma recherche sur les traumatismes, le TSPT et la violence de gangs révèle que les jeunes membres de gangs vivent des formes de violence similaire à celles rencontrées dans le cadre de conflits mondiaux. Fait plus important encore, ces expériences mènent à de graves problèmes de santé mentale pouvant accentuer les comportements violents futurs, y compris la violence liée aux armes à feu.

Cela dit, et pour répondre à la question de savoir si les restrictions touchant l’acquisition légale d’armes à feu permettraient de réduire la violence à laquelle mes amis et moi avons été exposés tout au long de notre vie, je répondrais que c’est absolument le cas. Cependant, ce ne peut pas être l’unique mesure. Nous savons aussi que la majeure partie des armes à feu utilisées pour perpétrer des actes de violence dans la rue sont introduites en fraude à la frontière canadienne. Il faut aussi se pencher sur la question du marché noir et trouver des façons de perturber les voies d’approvisionnement illicite actuelles qui contribuent à la violence dans nos rues.

L’une des façons d’aborder ces enjeux, c’est au moyen de recherche internationale comparative. Je travaille actuellement avec d’anciens chefs de gangs qui ont obtenu des doctorats aux États-Unis et au Canada, et nous réalisons une recherche exploratoire approfondie sur les gangs et la violence liée aux armes à feu. Notre coalition, Thug Criminology, se penche sur des enjeux comme les crimes commis à l’aide d’armes à feu, y compris la façon dont les armes passent la frontière, qui est impliqué dans leur transport et pourquoi de telles activités ont lieu.

En conclusion, même si le projet de loi C-71 est important, j’espère que vous ne perdrez pas de vue ce qui se passe vraiment dans la vie de ces jeunes. Nous ne pouvons pas seulement leur faire porter la responsabilité du problème. Nous devons aussi nous regarder nous-mêmes et comprendre de quelle façon nous tous, en tant que société, avons contribué aux douleurs et à la souffrance qui crée la violence dans nos collectivités les plus vulnérables. Plus précisément, nous devons essayer de comprendre en quoi les contextes sociaux globaux, comme le racisme systémique, la marginalisation et le patriarcat, ont pu susciter la violence liée aux armes à feu qui sévit dans nos collectivités. À cet égard, je serais heureux de répondre à vos questions durant la période prévue à cet effet.

La présidente : Merci, monsieur Ellis.

M. March a demandé que deux ou trois collègues prennent la parole durant la période prévue de cinq minutes. Les sénateurs sont-ils d’accord?

Des voix : D’accord.

Louis March, fondateur, Zero Gun Violence Movement : Merci beaucoup de m’accorder cette souplesse.

Je m’appelle Louis March. Je suis fondateur du Zero Gun Violence Movement, à Toronto; il s’agit d’un effort collaboratif réunissant plus de 40 organisations, organismes et programmes différents qui travaillent pour atteindre l’objectif ambitieux d’éliminer totalement la violence liée aux armes à feu.

C’est le cœur lourd que je m’adresse à vous aujourd’hui parce que, au cours des six dernières années durant lesquelles nous avons travaillé à Toronto, nous avons vu de bonnes choses, de mauvaises et d’autres vraiment affreuses. Nous avons constaté une importante augmentation du nombre d’homicides par arme à feu dans la ville : 51 en 2018, 22 en 2013 et, si vous pouvez me croire, 8 en 1990. Quelque chose a changé. Quelque chose change, et, ces jours-ci, nous cherchons constamment les problèmes. Ce n’est pas ce que nous voulons voir.

Combien de ces 51 vies aurait-on pu sauver si nous misions sur une politique plus robuste et intelligente en matière d’administration des armes à feu? Les jeunes nous disent régulièrement qu’il est plus facile pour eux de trouver une arme à feu qu’un emploi. Imaginez un jeune de 14 ans qui vous dit que c’est plus facile pour lui de trouver une arme à feu qu’un emploi. Quelque chose ne tourne pas rond. Les organisations avec lesquelles nous travaillons sont celles qui ont été touchées par la violence liée aux armes à feu, les mères qui ont perdu leur enfant, les frères et sœurs. Nous travaillons auprès de ce groupe.

Nous travaillons aussi avec le groupe qui est responsable de la violence dans la ville, les gens qui ont commis des crimes, qui se sont retrouvés en prison et qui veulent changer les choses. Par conséquent, nous misons sur les points de vue liés à la violence associée aux armes à feu de deux groupes de personnes qu’on entend rarement. C’est la raison pour laquelle, avec votre permission, j’aimerais inviter Evelyn Fox, une mère qui a perdu un fils en raison de la violence liée aux armes à feu. J’invite aussi M. Marcell Wilson, un ancien chef de gang, qui s’est retrouvé en prison et qui change maintenant les choses.

Avec votre permission, je vais demander à Evelyn Fox de venir au micro. Merci beaucoup.

Evelyn Fox, fondatrice, Communities for ZERO Violence : Mon fils, Kiesingar, a été tué par une balle perdue le 11 septembre 2016. Depuis, je me suis jointe à une autre mère pour créer Communities for ZERO Violence, parce que nous constations une escalade de la violence liée aux armes à feu dans nos collectivités. Nous tentons de découvrir d’où viennent les armes à feu et d’éliminer les effets dévastateurs qu’une seule balle peut causer aux familles.

Je soutiens le projet de loi C-71 parce que je sais, à la lumière des statistiques et des renseignements communautaires, que certaines armes à feu viennent d’achats par personne interposée tandis que d’autres sont volées pour ensuite venir inonder nos quartiers et nos collectivités.

Depuis 2014, 12 acheteurs interposés ont été condamnés, dont 2 détaillants d’armes à feu qui vendaient des armes à un peu tout le monde, peu importe les PPA. Le dossier de quatre d’entre eux est actuellement traité par le système judiciaire. Il s’agit seulement des cas que j’ai réussi à trouver.

Selon le rapport du contrôleur des armes à feu, 1 546 ordonnances d’interdiction ont été émises par les tribunaux. Puisqu’ils ont accès à tous les renseignements, et selon l’information sur la violence familiale, on sait que 125 infractions sont liées aux drogues. On peut passer en revue la liste, mais la seule chose qui n’est pas là, c’est l’achat et la vente par personne interposée. Par conséquent, les interdictions ordonnées par les tribunaux, les 1 546 ordonnances — et il s’agit des données de 2017 —, eh bien, d’après ce que j’en déduis, la seule conclusion que l’on peut tirer, c’est qu’il s’agit d’acheteurs interposés.

Il y a donc une préoccupation, surtout en ce qui concerne les détaillants victimes de vol. Il est écrit très clairement que les détaillants d’armes à feu avaient verrouillé leurs armes à feu conformément à la loi et qu’ils avaient tout fait selon les règles. Cependant, si des personnes réussissent tout de même à entrer dans ces magasins, puis en ressortir en quelques minutes avec des centaines d’armes à feu qui vont se retrouver dans nos collectivités, alors il faut adopter des mesures plus solides pour régler ce problème.

Un acte de violence lié aux armes à feu n’a pas seulement une incidence sur une personne, sur moi, en tant que mère. Mon fils avait quatre enfants. J’ai quatre enfants. Plus de 500 personnes de notre collectivité ont assisté aux funérailles de mon fils. Il n’y avait plus de places assises, et l’extérieur du salon funéraire était tout aussi bondé.

Un acte de violence, une balle qui a pris la vie d’une personne, a une incidence sur des centaines de personnes. Des collectivités blessées vivent ce genre de choses régulièrement et meurent de l’intérieur. Des jeunes souffrent de TSPT et n’arrivent pas à contrôler leur impulsivité; le résultat, c’est que le cercle vicieux se poursuit.

En ce qui concerne le projet de loi, comme M. Waller l’a dit, c’est un petit pas en avant. Je crois qu’il permettra de combler certaines failles.

La présidente : Merci, madame Fox. Permettez-moi, au nom de tous les sénateurs, de vous offrir nos condoléances pour la perte de votre fils.

Monsieur Wilson, vous avez deux ou trois minutes.

Marcell Wilson, cofondateur et codirecteur général, One By One : Bonjour, mesdames et messieurs. Je m’appelle Marcell Wilson. Je suis cofondateur et codirecteur général du mouvement One By One. Je suis aussi le coordonnateur régional pour Toronto de Against Violent Extremism. Je viens d’une collectivité de Toronto touchée par la violence liée aux armes à feu et je travaille directement dans de telles collectivités.

À l’origine, je venais ici pour faire valoir que, en tant qu’ex-chef de gang et personne possédant une expérience directe, je ne soutenais pas le fait d’imposer plus de restrictions aux propriétaires honnêtes d’armes à feu en raison des lacunes fondamentales bien connues dans les données présentées pour justifier l’ajout de restrictions. Cependant, nous, les gens possédant des antécédents et une expérience personnelle semblables ainsi que les membres de mon organisation, savons qu’une petite majorité des armes à feu qui affligent les collectivités au sein desquelles nous travaillons ne sont pas des armes à feu appartenant à des propriétaires honnêtes ou ayant été obtenues auprès d’eux, sauf si elles ont été volées. Cependant, j’ai appris que 1 546 personnes à l’échelle du Canada ont vu leur permis révoqué en raison de ce qui, apparemment, ressemble à des achats par personne interposée. Même si une seule de ces armes à feu se retrouve dans ma collectivité, nous serons tous touchés. Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aimerais remercier nos témoins. Ma première question s’adresse au professeur Waller. Monsieur Waller, vous savez sûrement que les armes à feu utilisées par les organisations criminelles ne sont pas enregistrées, que ce soit chez la mafia, les motards ou les gangs de rue. Le projet de loi C-71 n’a aucun impact, et je doute que vos idées d’approche dissuasive puissent en avoir. Or, pour les criminels qui se font prendre avec une arme de poing chargée, la Cour suprême a invalidé les dispositions qui prévoyaient une peine minimale de trois ans et le gouvernement actuel n’a rien prévu au projet de loi C-71 pour les criminels organisés, responsables du carnage de la dernière année à Toronto.

Selon vous, est-ce que le projet de loi C-71 comporte des lacunes à ce sujet? Le cas échéant, qu’avez-vous à suggérer?

[Traduction]

M. Waller : Je vais vous répondre en anglais, si vous me le permettez.

Il est extrêmement important de constater que la législation qui date du milieu des années 1970 a entraîné une importante réduction du nombre d’armes d’épaule utilisées dans les cas d’homicides. Je ne crois pas qu’on parle ici uniquement des gangs de rue ou du crime organisé. Je crois qu’on peut raisonnablement apporter des améliorations mineures dans le projet de loi C-71. Je ne crois pas qu’il soit déraisonnable de vérifier si une personne possède un PPA avant de lui vendre une arme à feu. Comme vous le savez sans doute, de nombreuses personnes se sont vu retirer leur permis d’armes.

Si on regarde les statistiques sur les homicides de 2016-2017, on constate une nette augmentation du nombre d’homicides en région rurale. Il est important de prévoir des mesures de contrôle raisonnables relativement aux armes à feu pouvant être utilisées dans le cadre de bagarres ou dans un contexte de violence familiale. Je crois que le projet de loi C-71 constitue une amélioration raisonnable.

Je suis tout à fait d’accord avec vous : il faut en faire beaucoup plus. Si on regarde Toronto — la troisième ville d’Amérique du Nord en importance —, c’est une honte pour le Canada d’admettre que la ville affiche un taux d’homicides qui est à peine légèrement supérieur à celui de New York. Bien sûr, New York a fait beaucoup de choses pour réduire le nombre d’homicides liés aux armes à feu. Malgré tout, c’est une situation qui, selon moi, est honteuse, et d’autres mesures s’imposent.

Il est aussi selon moi très clair que nous savons ce qu’il faut faire. L’information est accessible sur les sites web du département de la Justice des États-Unis et du British College of Policing. Nous savons exactement quels sont les genres de choses que nous devrions faire à Toronto en ce qui a trait à l’intervention auprès des jeunes, au fait d’aider les gens à réfléchir à deux fois et à créer des emplois pour les personnes dont la situation dérape. Nous savons aussi ce qu’il faut faire du point de vue du travail de police préventif... De plus, je n’ai pas dit « plus d’activités policières ». Ce genre de choses a fonctionné.

Glasgow est un exemple classique. Le problème tenait non pas aux armes à feu, mais aux couteaux. Cependant, la situation est exactement la même. Le maire de Londres a adopté ce modèle. Chaque ville du pays devrait examiner le modèle de Glasgow et l’adopter, ce qui entraînerait d’importantes réductions des genres de violence dont mes deux collègues ont parlé.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Cela m’apparaît assez inconséquent, puisque le gouvernement actuel veut nous faire adopter à la hâte le projet de loi C-71, mais nous promet dans le même souffle d’autres changements quant aux armes de poing. Pourquoi ne pas tout mettre dans le projet de loi C-71? Si l’interdiction générale de possession d’armes de poing qu’envisage le gouvernement actuel pouvait limiter le nombre de victimes dans cette guerre du crime organisé torontois, pensez-vous sincèrement que ces meurtres n’auraient pas eu lieu?

[Traduction]

M. Waller : On peut facilement regarder l’Angleterre et voir que, après l’incident de Dunblane, en Écosse, quand les responsables ont essentiellement interdit les armes de poing, il y a eu une réduction d’environ 70 homicides par année — ce qui est un peu au-dessus du nombre de personnes tuées l’année dernière à Toronto par arme à feu — à environ 20. On peut donc faire des progrès sur une île en interdisant les armes de poing. On peut aussi le faire au Japon.

Malheureusement, nous n’avons pas cette possibilité. Nous vivons juste à côté de la frontière américaine, et il est très facile de faire passer des armes de poing à la frontière. Des chiens détecteurs et plus de capteurs à la frontière n’y changeront rien. Il faut absolument mettre l’accent sur les façons de réduire la demande pour des armes à feu.

Je dirige le Centre international pour la prévention de la criminalité à Montréal. C’est intéressant de voir que le taux d’homicides à Montréal est la moitié de celui de Toronto : il est inférieur de 50 p. 100, notamment parce que les Montréalais ont investi dans des centres d’extension auprès des jeunes dans les quartiers où sévit la violence de rue. La même législation sur les armes à feu s’applique à l’échelle du pays.

J’aimerais qu’on en fasse plus pour limiter le nombre d’armes de poing achetées, puis revendues. Je suis d’accord avec ce qui a été dit au sujet des achats par personne interposée, mais il faut aussi prendre d’autres mesures. Il faudrait examiner de plus près la façon d’y arriver, parce qu’il faut faciliter une transformation comme celle qui est exigée par les objectifs de développement durable afin d’y arriver. Nous pouvons ramener nos taux d’homicides par arme à feu et d’homicides à des niveaux similaires à ceux de l’Allemagne ou de la France, et ce, avec relativement peu d’investissement. Il faut tout simplement utiliser les connaissances, mais il devra y avoir un débat public pour y arriver.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à remercier les trois témoins.

Pour commencer, monsieur Ellis, merci de votre intervention. La réunion du comité est retransmise à l’échelle du pays, et vous êtes très courageux d’être là. Je sais que je parle au nom de tous les membres du comité lorsque je vous remercie. Je tiens aussi à dire merci à M. Wilson. Vous avez tous les deux mis un visage sur ce problème. Nous ne voyons pas les visages. Vous nous faites réfléchir très sérieusement.

Je tiens à remercier Mme Fox d’avoir raconté son histoire. Il faut beaucoup de courage. L’une des leçons que nous tirerons de ce que vous nous avez dit, c’est qu’une balle peut détruire toute une collectivité.

Merci à vous tous.

Ma question concerne la façon dont la violence liée aux armes à feu affecte les femmes vulnérables. J’aimerais que vous nous parliez tous les trois du problème lié à la façon dont les femmes sont touchées par la violence liée aux armes à feu. J’aimerais commencer par M. Wilson.

M. March : Quelle est l’incidence de la violence liée aux armes à feu sur les femmes?

La sénatrice Jaffer : À part les mères; ça, nous l’avons compris. Il y a des femmes touchées dans la rue, et nous aimerions vous entendre à ce sujet.

M. March : Je vais demander à M. Wilson de répondre.

M. Wilson : Pour ce qui est du projet de loi C-71, il concerne davantage la question des femmes et la violence familiale.

Il y a un segment de notre société qui, selon nous, n’est pas vraiment visible : les épouses, les petites amies, les mères des enfants touchés directement ou indirectement par la violence liée aux armes à feu. Si vous venez dans nos collectivités, vous constaterez qu’il y a beaucoup de personnes prêtes à parler de la façon dont elles ont été touchées. Vous constaterez que ces expériences ont provoqué des problèmes de trouble de stress post-traumatique, des traumatismes et de la violence.

Honnêtement, je crois que la plupart des modifications prévues dans le projet de loi C-71 concernent davantage les femmes dans nos collectivités que nous-mêmes.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup.

Monsieur Ellis, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Ellis : Pour poursuivre sur cette lancée, dans le cadre de mon étude et de mes activités de recherche sur les traumatismes et le TSPT, je me suis intéressé précisément aux membres de gang de sexe masculin. Cependant, leurs récits nous donnent aussi une idée des répercussions liées au fait d’être un agresseur et une victime de crime. On peut voir la vie de gang un peu comme un jeu. Il y a des marchés de la drogue et d’autres marchés illicites, comme la traite de personnes, dans la ville de Toronto. Nous avons des problèmes avec ce genre de choses. De quelle façon tout ça interagit-il avec le contrôle de ces marchés, et quel est le rôle des armes à feu dans tout ça?

J’ai entendu des membres de gang dire que, s’ils commettent un acte de violence, cela a une incidence directe sur leur famille. Leur mère doit les visiter en prison et vivre avec la culpabilité et la honte. Si une personne tente de contrôler le marché de la traite de personnes, les armes à feu entrent en ligne de compte. Quelles sont donc les répercussions sur le contrôle des femmes dans ces marchés? Il y a des traumatismes vicariants et directs, et il est évident que ce genre de chose peut avoir un impact majeur sur toute la collectivité.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Waller, nous connaissons vos travaux. Vous avez écrit de nombreux livres. Vous écrivez beaucoup sur ce sujet. Est-ce que le modèle de Glasgow traite d’une manière ou d’une autre de la violence familiale? Je crois savoir que le niveau de violence familiale et le niveau d’autres types de violence ont été réduits au Royaume-Uni et en Australie. Je voulais savoir ce que vous en pensiez.

M. Waller : J’aimerais commenter les deux questions.

Nous sommes tout près de Wilno, où trois femmes ont été tuées par arme à feu. Il ne fait aucun doute que la violence armée est un problème grave pour les femmes, mais je ne crois pas nécessairement qu’il soit à la hausse. Or, cela ne veut pas dire que vous ne devriez pas l’examiner très attentivement.

Si on regarde les femmes autochtones, le taux d’homicides par personne est d’environ quatre fois supérieur à celui des femmes non autochtones, et il y a donc là un problème grave dont on doit tenir compte.

Désolé, vous devrez répéter votre question.

La sénatrice Jaffer : Le modèle de Glasgow.

M. Waller : Le modèle de Glasgow est très important pour nous ici. Un agent de police judiciaire expérimenté en a eu assez de recevoir des appels pour de nouveaux meurtres. La plupart de ces meurtres touchaient des hommes appartenant à des gangs de rue. Il a donc fait venir un analyste, et à la suite de leur travail, ils ont élaboré de concert le modèle de Glasgow.

Le modèle de Glasgow a permis d’atteindre une réduction de 50 p. 100 du nombre d’homicides dans les trois ans qui ont suivi sa mise en œuvre. C’est ce qui a inspiré le maire de Londres, en Angleterre, à adopter un modèle semblable; c’est donc un modèle très important pour nous ici.

Il renferme un élément qui porte sur ce que je préférerais appeler la violence conjugale, qu’on appelle parfois violence familiale, et, de toute évidence, nous devons faire beaucoup plus de choses à ce sujet au pays. C’est un domaine dans lequel nous savons beaucoup de choses par rapport à ce qui doit être fait.

Lorsque vous rencontrerez les représentants de Statistique Canada, vous voudrez peut-être leur demander pourquoi ils n’incluent plus les statistiques sur le meurtre suivi d’un suicide. Lorsque je travaillais au gouvernement, c’était une des choses les plus frappantes. Certains des crimes violents contre les femmes qui débouchent sur des décès sont commis par des hommes qui tuent l’enfant et la mère, puis se suicident. On ne s’est pas suffisamment attaqué à la question. C’est un problème important.

La présidente : Avant de passer au sénateur Gold, je rappelle à tous les sénateurs de garder leurs questions courtes et, pour les témoins, de bien vouloir fournir une réponse courte afin que l’on puisse répondre à toutes les questions.

Le sénateur Gold : Merci, madame la présidente. Je tiens compte de vos bons conseils.

D’abord, merci à vous tous d’être ici. Nous savons qu’il s’agit d’un problème complexe dont les causes sont multiples, mais j’aimerais me concentrer, autant que possible, sur le projet de loi C-71.

Monsieur Waller, vous avez énuméré un certain nombre de choses dans le projet de loi C-71 qui étaient une évidence, comme vous l’avez dit, par exemple les vérifications des antécédents et d’autres choses. Néanmoins, elles ont essuyé beaucoup de critiques de la part des opposants au projet de loi C-71. Je me demande si vous pourriez donner plus de détails sur certains de ces points et expliquer pourquoi vous croyez qu’ils représentent un pas dans la bonne direction, comme vous l’avez décrit.

M. Waller : La prolongation de la vérification des antécédents, pour la faire passer de cinq ans à une période beaucoup plus longue, n’apparaîtrait pas en tête de liste pour moi, car je crois que vous allez repérer la plupart des problèmes dans une période de cinq ans. Toutefois, si vous êtes sur le point de procéder à une modification de la loi, vous pourriez aussi bien l’étendre sur une plus longue période.

Par rapport à la vérification d’un permis de possession et d’acquisition, un PPA, et à l’obligation des détaillants de tenir des registres, je ne suis pas sûr de ce que vous voulez m’entendre dire. Il me semble juste évident que, avant de vendre une arme à feu à quelqu’un, vous allez vérifier qu’il a un permis pour l’acheter et que vous devez tenir des registres pendant une longue période.

En tant que fonctionnaire, j’ai joué un rôle dans la législation de 1978, et je crois qu’il est très clair que celle-ci a contribué à une réduction importante du nombre d’homicides au pays. Pour moi, le projet de loi C-71 rafistole la législation. Je suis en faveur d’un rafistolage, mais nous avons besoin de beaucoup plus.

Le sénateur Pratte : Monsieur Waller, vous venez de dire que la législation de 1978 avait entraîné une réduction du nombre d’homicides au pays, et vous avez dit que c’est très clair. Pourtant, d’autres chercheurs semblent dire que ce n’est pas le cas, que la législation sur le contrôle des armes à feu n’a pas fonctionné. Pourriez-vous expliquer pourquoi vous croyez que les données scientifiques sur cette question sont claires?

M. Waller : Je crois que toute législation qui prétend réduire la criminalité devrait être évaluée, pour que l’on voie si elle atteint bel et bien cet objectif. La législation à laquelle vous faites allusion, en 1978, avait été assortie d’une évaluation. Par conséquent, une partie des réductions du nombre d’homicides liés aux armes à feu était attribuable à une tendance générale que vous observez également dans certains autres pays. L’évaluation a cependant montré que, en plus de cette tendance, elle avait permis d’atteindre une réduction globale.

Je crois que ce qui figure dans le projet de loi C-71 serait bien si on y ajoutait une évaluation. Il est assez évident que la législation entraînera quelques répercussions, mais celles-ci ne seront pas nécessairement importantes. Si nous voulons nous occuper des homicides par arme à feu à Toronto ou des homicides contre les femmes, des féminicides, un élément fondamental de ce travail est l’évaluation afin que l’on puisse savoir si la législation fonctionne vraiment.

Je crois que, si vous examinez les objectifs de développement durable, un des éléments clés, c’est que nous évaluons les résultats. Beaucoup des débats politiques à propos de ces choses seraient enrichis si nous décidions en réalité d’intégrer ce qui suit dans toute notre législation : avons-nous des données probantes selon lesquelles moins de gens ont été tués ou blessés, que moins de gens se sont suicidés ou qu’il y a eu moins de vols qualifiés en raison de la législation?

Le sénateur Pratte : Merci.

Monsieur Ellis, nous n’avons pas beaucoup de temps, mais j’aimerais vous poser une question. Vous semblez dire que même si une bonne partie des armes à feu utilisées au sein des gangs sont importées en contrebande des États-Unis, il y avait un lien ou une relation entre ce qui s’est produit sur le marché légal et sur le marché illégal. Auriez-vous l’amabilité de nous expliquer cela davantage?

M. Ellis : Depuis toujours, les armes à feu représentent une forme de pouvoir. Dans le marché illicite, où de jeunes hommes essaient d’acquérir ce qui leur a été retiré par l’État, je dirais qu’ils utilisent les armes pour survivre dans ces marchés illicites. La violence se veut un moyen pour les jeunes hommes de gagner le pouvoir et le respect, et l’arme à feu devient un prolongement, un outil pour se réapproprier le pouvoir qu’ils n’ont pas dans leur vie.

C’est aussi une façon d’avoir la mainmise sur ces marchés. S’agit-il seulement des marchés illicites et clandestins? Non, mais cela survient bien souvent dans ces marchés de la drogue, absolument.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Plett : Monsieur March, vous avez dit qu’il est plus facile pour un jeune d’obtenir une arme à feu qu’un emploi.

M. March : Exact.

Le sénateur Plett : Parlez-vous d’armes de poing?

M. March : Oui.

Le sénateur Plett : Les armes de poing sont déjà visées par des règles strictes en matière de contrôle et d’enregistrement. Cela n’indique-t-il pas que le fait d’imposer plus de lois à des citoyens respectueux des lois n’a pas fonctionné? Ils sont déjà visés par des contrôles très serrés, et où cela est-il abordé?

M. March : Avec tout le respect que je vous dois, une arme à feu est une arme à feu. Point final. Les armes à feu légales deviennent illégales dans certaines circonstances, oui. Il est beaucoup plus facile d’obtenir l’accès à une arme de poing. Toutefois, il y a des modifications. Il existe maintenant des armes à feu fabriquées. Elles sont en demande, et ce sont les fournisseurs qui font de bonnes affaires dans la vente d’armes à feu qui répondent à cette demande, en achetant une arme à feu pour 200 $ aux États-Unis...

Le sénateur Plett : En vendant des armes à feu illégales?

M. March : Oui, mais des armes à feu légales peuvent devenir illégales, et toute politique vigoureuse, de gestion ou de surveillance, aide à éliminer la possibilité que cette arme à feu légale devienne illégale.

Le sénateur Plett : J’ignore si c’est vous ou peut-être la dame qui a parlé des achats par personne interposée. Il me semble que, puisque les armes de poing sont déjà enregistrées, les changements apportés par le projet de loi C-71 à la Loi sur les armes à feu n’auront aucune incidence sur la détection des achats par personne interposée d’armes de poing. Pourriez-vous expliquer comment le projet de loi C-71 fera en sorte qu’il sera plus facile de détecter les achats par personne interposée d’armes de poing lorsqu’il existe déjà un registre clair des acheteurs d’armes à feu enregistrées et de leur lieu de résidence?

M. March : Oui, les achats par personne interposée existent, et ils sont réglementés et gérés. Nous devons faire preuve de plus de vigueur à cet égard. Nous pouvons faire mieux, car nous savons — et la police l’apprend par les scènes de crime — où ils se manifestent. Nous n’en faisons pas assez. Nous pouvons faire mieux.

Nous pouvons profiter du projet de loi C-71 pour mettre à jour et rendre plus vigoureuses les politiques touchant l’administration, la vérification et le rapprochement des livres. C’est pourquoi nous appuyons le projet de loi C-71, non pas comme la solution miracle pour régler le problème, mais comme un morceau du casse-tête auquel nous sommes confrontés et sur lequel on ne s’est pas penché aux échelons national, provincial ou municipal, dans la mesure où nous savons qu’il est possible de le faire.

Le sénateur Plett : J’ai une question rapide pour M. Ellis. En novembre dernier, Statistique Canada a publié son rapport de 2017 sur les homicides, dans lequel on signalait que le taux d’homicides national était le plus élevé en 10 ans, en raison de la hausse du nombre de décès causés par des armes à feu et la violence de gangs. Dans le rapport, on accusait les gangs de l’augmentation du nombre de tueries liées aux armes à feu, qui comptaient pour 40 p. 100 des homicides en 2017.

À votre avis, le projet de loi C-71 s’attaque-t-il — et, s’il le fait, comment le fait-il — à ce problème fondamental qui a fait monter en flèche les taux de violence par arme à feu au cours des quelques dernières années?

M. Ellis : Je suis tout à fait du même avis que M. March. Tout ce que nous pouvons faire ou mettre en place qui est complet et vigoureux nous donne un plan d’action qui permettrait de réduire le nombre de ces situations. Le projet de loi C-71 ne s’attaque pas directement à la racine du problème. Nous devons voir des initiatives qui s’attaquent à la base pour aider les jeunes à se sortir de ces situations. Cependant, même de façon symbolique, le projet de loi C-71 réunit nos collectivités et notre pays derrière quelque chose qui nous interpelle et qui nous dit que cela ne se produira plus dans nos collectivités, et cela se passe à Toronto.

J’ai l’impression que le projet de loi C-71 et les morceaux qui sont en place pourraient avoir une incidence, et ce n’est qu’un seul morceau d’un énorme casse-tête, comme M. March l’a dit. Je l’appuie à 100 p. 100.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés.

Monsieur Waller, je vous remercie d’avoir attiré notre attention sur le modèle de Glasgow. J’ai trouvé intéressant de vous entendre parler des mesures scientifiques robustes sur la prévention de la violence qui ont bien fonctionné dans des villes comme Glasgow. Merci beaucoup d’avoir porté cela à notre attention.

Monsieur Ellis, vous avez récemment écrit dans le Toronto Star que les jeunes membres de gangs sont peu susceptibles d’être touchés par d’anciens membres de gangs qui essaient d’intervenir auprès d’eux. Vous avez plutôt fait valoir qu’une stratégie à long terme est nécessaire — y compris pour influer sur la pauvreté et le cycle de la violence — afin de faire face à cette situation. Pourriez-vous nous expliquer cela plus en détail, s’il vous plaît?

M. Ellis : L’article ne ciblait pas précisément les intervenants auprès des jeunes ni quoi que ce soit de la sorte. Son objectif était de tenir une conversation au sujet d’un modèle précis, le modèle des interrupteurs, qui est apparu aux États-Unis. On l’a présenté à la ville. J’ai eu l’impression qu’on n’en parlait pas assez à l’époque, alors des personnes précises que je connaissais et qui pourraient enrichir ce modèle ou la conversation ont été invitées à s’asseoir à ces tables. J’ai créé le débat avec M. Glover et le Toronto Star afin de tenir une véritable conversation sur le fait de savoir si ce modèle faisant appel à des interrupteurs de la violence était transférable à Toronto. Nous savons, dans le domaine de la criminologie, que bon nombre de ces programmes, de ces modèles et de ces interventions qui sont conçus à partir d’un point de vue américain ne sont pas transférables, et ne peuvent souvent même pas s’appliquer dans une perspective canadienne.

En ce qui a trait à une allusion particulière à d’anciens membres de gangs qui aident d’autres membres de gangs à en sortir, c’était un article d’opinion, et cela n’aurait pas nécessairement fonctionné pour moi à l’époque. Je me sentais menacé par des gens et mis au pied du mur. Je ne suis pas sûr que cela m’aurait sauvé à l’époque, mais cela aurait assurément pu planter une graine.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que tout cela revient à une stratégie à long terme? Quelle est la durée du long terme, à votre avis?

M. Ellis : J’ai souvent ce type de conversations avec mes collègues, y compris M. Scot Wortley, au sujet de la conception de modèles exhaustifs. Même la structure de financement actuelle, la Stratégie nationale pour la prévention du crime, ne donne aux organisations, comme ce que mon collègue, Marcell Wilson, essaie de faire, qu’une période de cinq ans pour avoir des répercussions sur les collectivités. Malheureusement, il faut autant d’années pour nouer des relations, établir la confiance et voir, en réalité, les choses entrer en vigueur.

De mon point de vue, absolument, ces organisations auraient besoin d’une stratégie d’au moins 10 ans afin de produire des répercussions réelles, et il devrait y avoir des fonds.

Dans le cadre de mon travail sur les traumatismes et le TSPT, les gens croient que vous pouvez régler les traumatismes en six mois ou que vous pouvez réparer les expériences d’un jeune exposé à la violence par arme à feu en une année ou deux. Ce n’est juste pas comme cela que les choses fonctionnent. Nous devons accompagner ces jeunes à long terme et financer ces programmes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je voudrais offrir, à vous, monsieur March, et aux gens qui vous accompagnent mes condoléances pour les drames que vous avez vécus, puisque j’ai moi-même perdu une fille aux mains d’un criminel récidiviste. Je comprends très bien votre combat et votre peine.

Par contre, il faut être très prudent lorsqu’on fait la promotion d’un projet de loi qui peut laisser de faux espoirs. J’ai lu de fond en comble ce projet de loi et je suis le premier qui défendra des mesures où l’on va vraiment s’attaquer à la source du problème, soit le crime organisé. À Toronto, les crimes ont augmenté entre 2010 et 2013 particulièrement, alors que, au cours des 30 ou 40 dernières années, la criminalité par arme à feu était en constante réduction au Canada. Ce que l’on constate à Toronto en particulier, c’est que la majorité des crimes commis avec des armes à feu sont commis avec des armes illégales ou par des gens qui viennent des gangs de rue.

Ce projet de loi met beaucoup l’accent sur la bureaucratie et l’administration. On met beaucoup de ressources sur les permis. Le maire de Toronto a demandé au gouvernement fédéral, il y a quelques mois, de s’attaquer aux vrais problèmes : le commerce illégal, la contrebande d’armes à feu qui viennent des États-Unis, les membres de gang de rue qui ont des conditions minimales, ainsi que les gens qui bénéficient d’une remise en liberté et qui récidivent. En quoi ce projet de loi très bureaucratique réduira-t-il la criminalité à Toronto? Va-t-il s’attaquer au vrai problème, qui est le commerce d’armes illégales et le crime organisé? En quoi ce projet de loi aura-t-il un impact sur les problèmes que vous vivez à Toronto? J’essaie de comprendre.

[Traduction]

M. March : Merci de poser la question. Nous débattons au quotidien de la racine du problème.

Je vais vous dire quelque chose : nous ne parlons même plus de la racine du problème; nous parlons des graines. Où cela commence-t-il vraiment? Parfois, en effet, ce n’est pas suffisant de s’attaquer à la racine.

Pour ce qui est de faux espoirs, nous n’avons pas de solution miracle pour régler le problème. C’est un problème complexe qui comporte des éléments différents. Il y a une fuite dans le système actuel, car nous savons que les armes à feu légales se retrouvent dans la rue à servir à des activités illégales. Tout ce que nous pouvons faire pour bloquer et endiguer cette fuite nous aidera à sauver des vies, à atteindre l’objectif de violence zéro liée aux armes à feu.

Il y a une fuite qui a été évidente au fil des ans. Oui, nous sommes préoccupés au sujet des armes à feu illégales qui traversent la frontière et nous avons besoin d’un moyen administratif et bureaucratique robuste, si je peux dire, pour nous assurer que nous faisons de notre mieux. Il nous faut aussi un système robuste et, si nécessaire, bureaucratique pour gérer, documenter et suivre les armes à feu légales. Si nous pouvons être efficaces dans ce domaine, vu le coût de la bureaucratie, cela vaut la peine.

Nous travaillons avec des gens qui ont perdu des vies en raison de la violence armée. Nous connaissons les coûts financiers, humains, émotionnels et physiques.

Vous avez entendu les statistiques de M. Wortley. Si nous comparons notre position à celles du monde entier, faisons-nous tout notre possible? De toute évidence, la réponse est non. Faisons-nous tout ce qui est en notre pouvoir à l’échelon des détaillants? Certainement pas. Nous pouvons faire mieux. Si c’est une question de bureaucratie, laquelle est normalisée dans la vie de la plupart des gens ces temps-ci, je ne vois pas pourquoi nous devrions voir cela comme un inconvénient lorsqu’il s’agit de sauver la vie des gens. Merci beaucoup.

La sénatrice McPhedran : Aviez-vous autre chose à ajouter? Je vous en prie, je vais vous donner mon temps de parole.

M. March : Je vais parler un peu des gangs de rue, parce que le sénateur a laissé entendre que les crimes sont commis par des gangs de rue. Juste à des fins de clarté, ce n’est pas vrai. Il y a un groupe de personnes dans une collectivité qui n’ont aucune structure, n’ont formé aucun gang en soi, et qui utilisent maintenant des armes à feu d’une manière éhontée, ce que ne permettrait même pas un gang structuré.

Nous voyons changer la culture de la violence armée. Nous voyons le mot « gang » utilisé comme mot fourre-tout pour inclure tout ce qui bouge, alors qu’un très grand nombre de changements ont eu lieu.

Nous avons observé une augmentation draconienne de la violence armée à Toronto depuis 2013, qui est passée de 22 victimes à 51 l’an dernier. Si vous regardez qui utilise les armes de poing — des adolescents, des fusillades. Nous voyons cela. S’agit-il d’un gang en soi ou bien juste de gens qui utilisent des armes à feu pour obtenir le pouvoir dont M. Ellis a parlé? Si nous n’avons pas de portrait clair, nous n’allons rien régler.

La sénatrice McPhedran : Merci. Vos propos sont vraiment utiles par rapport à la question que je vais poser.

M. March : Je suis désolé.

La sénatrice McPhedran : Non, ne le soyez pas. Je vous en suis très reconnaissante. J’aimerais à mon tour remercier tous ceux qui ont pris la parole aujourd’hui.

Ma question s’adressait au départ à M. Waller, mais j’aimerais inviter tous les intervenants à y répondre. Je veux voir si nous pouvons comprendre ce qui ressemble à un écart entre les régions rurales et urbaines et la façon dont on doit en tenir compte dans le projet de loi C-71.

Permettez-moi de formuler ma question. Je crois qu’il est pertinent de dire que j’ai grandi dans une famille de chasseurs dans les Prairies, au Manitoba. À l’adolescence, j’ai été membre de mon club de tir local, donc mes questions ne sont pas issues d’un point de vue « anti-armes à feu ».

Cependant, ce que nous savons, c’est que, de 2014 à 2017, pour ce qui est des homicides commis à l’aide de carabines et de fusils de chasse, nous avons constaté une augmentation de 82 p. 100, et plus des deux tiers de ces homicides ont été commis dans des régions rurales. Si nous observons plutôt les armes de poing, en 2014, il y a eu 113 homicides, et en 2017, ce nombre a bondi à 145. Il s’agit donc là d’une augmentation importante du pourcentage.

Le projet de loi C-71 ne s’intéresse pas aux armes de poing, donc j’aimerais vraiment entendre M. Waller et tout le monde dans le groupe de témoins : est-ce quelque chose qui doit changer?

M. Waller : La réponse courte est que c’est très clair que la réponse est oui.

Je crois qu’il est utile d’établir la distinction entre la violence commise par les gangs de rue ou la violence de rue avec des armes à feu dans des villes comme Toronto, Surrey, Regina ou Winnipeg et la violence armée en région rurale. À mon avis, je suis plus optimiste que mon collègue de gauche quant aux possibilités de réduire de façon significative la violence à Toronto. C’est assez radical de faire une comparaison avec Montréal, par exemple, ou avec Londres ou Glasgow, en Angleterre. Il est très clair que nous pouvons la réduire dans une période relativement courte de trois à cinq ans.

En ce qui concerne la question de savoir quoi faire au sujet de la violence en région rurale, particulièrement celle qui touche les Autochtones, je ne suis pas aussi optimiste au sujet des solutions à court terme, mais je crois que de nombreuses choses peuvent être faites. On a parlé du modèle de Glasgow. Pour arriver à ses solutions, Glasgow a analysé le problème. C’est ce qu’a fait la Youth Violence Commission en Angleterre.

Nous n’avons pas eu de commission au pays, essentiellement depuis M. Horner, en 1993 — il y en a eu une deux ans plus tard — qui a vraiment examiné la violence dans le pays et les solutions, mais on devrait vraiment étudier différemment ce qui influe sur les statistiques des homicides en milieu urbain par rapport aux statistiques des homicides en milieu rural.

Je crois qu’on doit aussi examiner tout cela dans le contexte d’une recherche accumulée sur 50 ans, d’une expérience dans des pays différents et de l’échec de nombreux modèles américains. Chicago est l’exemple classique. Les villes de Chicago et de Toronto présentent à peu près les mêmes caractéristiques, mais Toronto compte 3,5 homicides pour 100 000 personnes, tandis qu’à Chicago, on en dénombre 20. Nous ne devrions donc clairement pas tirer de leçons de Chicago.

Je crois que nous devrions apprendre de Glasgow et de Londres, et ce, en investissant davantage pas seulement dans des projets, soit ce que fait le Centre national de prévention du crime, mais aussi dans des programmes — des choses qui touchent toute la ville, comme Toronto.

M. Ellis : J’ai lu quelques rapports de recherche différents. Peut-être que notre problème, c’est que nous ignorons le nombre d’armes à feu sur le plan statistique. En ce qui a trait au projet de loi C-71 et au fait qu’il ne s’intéresse pas au marché illicite, je ne sais pas pourquoi ce n’est pas une composante. Certains des rapports que j’ai examinés donnent à penser qu’il y a maintenant 50 p. 100 d’armes illicites et 50 p. 100 d’armes provenant du pays. Je me trompe peut-être, mais je suis sûr que j’ai lu cela. Le fait de ne pas bien connaître le nombre existant fait en sorte qu’il est très difficile pour nous de simplifier les avenues et les programmes pour y arriver.

La sénatrice McPhedran : Par ailleurs, nous connaissons nos statistiques sur les homicides et nous savons s’il s’agissait de fusils de chasse, de carabines ou d’armes de poing. Nous savons de part et d’autre que, qu’il s’agisse de régions rurales ou urbaines, nous avons un gros problème, parce que tous ces chiffres ont augmenté.

M. Ellis : Tout à fait. Encore une fois, pour appuyer le projet de loi, en ce qui concerne le marché illicite — et je vais juste poursuivre dans la même veine que Louis —, si vous avez une arme à feu qui sort du marché légitime, qui tombe dans le marché illicite et qu’une vie est perdue, il devrait être possible de contrôler ce genre de choses. C’est mon point de vue, jusqu’à ce que nous puissions mener plus de recherches pour savoir combien il y en a.

M. March : Je vais demander à mon collègue, Marcell, de répondre à cette question.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais juste m’assurer que vous comprenez que, si vous n’étiez pas en faveur du projet de loi au départ, vous dites maintenant qu’il devrait être adopté.

M. Wilson : C’est exact. Il contient certains éléments auxquels je crois et que j’appuie. Mon point de vue, c’est que les armes à feu sont importantes. Une vie perdue en est une de trop.

Comme l’a affirmé le sénateur précédent, nous nous intéressons davantage à la racine du problème. J’ai effectué quelques consultations pour l’Institute for Strategic Dialogue au Royaume-Uni, et nous avons examiné le modèle de Glasgow. Une chose qui n’a pas été mentionnée, c’est que nous pouvons éliminer l’outil de travail, mais Glasgow a maintenant un problème avec les coups de couteau. Désormais, des crimes tout aussi graves que ceux qui sont liés aux armes à feu sont commis à l’aide de couteaux. Nous pouvons éliminer les outils, mais nous ne nous attaquons pas à la racine du problème. Si nous retirons les couteaux, nous allons nous entretuer avec des pierres.

Comme l’a dit mon collègue, Adam, la solution, c’est du financement à long terme au moyen de programmes socioéconomiques, qui traitent de la santé mentale et choses liées à l'échelon communautaire. Nous le faisons chaque jour. Je vais à ces funérailles. Nous travaillons auprès de ces enfants. Essentiellement, nous faisons office de mégaphone. Ce ne sont pas vraiment mes opinions; ce sont celles des collectivités que je représente.

Nous savons qu’il y a un problème d’armes. Nous savons que c’est l’outil de travail en ce moment. Avons-nous besoin de lois pour nous assurer que cela n’arrive plus? Oui, il nous en faut, mais je ne crois pas que l’on devrait insister là-dessus ni que nous devrions consacrer autant de temps et d’argent à ces questions qu’aux questions socioéconomiques.

La sénatrice McPhedran : La prévention.

M. Wilson : La prévention.

La présidente : Permettez-moi d’exprimer, au nom de tous les sénateurs, mes remerciements à nos témoins. Nous vous remercions de vos efforts et de la candeur dont vous faites preuve à la table. Merci.

Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons le chef Ghislain Picard, de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. La commissaire Audette est en route et se joindra à nous sous peu. Je crois qu’elle est prise dans la circulation.

Commençons par le chef Picard. Merci.

[M. Picard s’exprime dans une langue autochtone.]

Ghislain Picard, chef, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador : Merci beaucoup, madame la présidente, et mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis assurément ravi d’avoir aujourd’hui l’occasion de me prononcer au sujet du projet de loi C-71.

[Français]

Je me présente. Je suis Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et je suis un des dix chefs régionaux à travers le pays. Il me fait extrêmement plaisir de vous parler du sujet qui fait l’objet de vos travaux, le projet de loi C-71. Je suis accompagné aujourd’hui de M. Stuart Wuttke, qui est conseiller juridique à l’Assemblée des Premières Nations. Je vais y aller avec des notes que nous avons préparées pour présenter le dossier et je vais commencer tout de suite pour ne pas perdre de temps.

J’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense d’avoir invité l’Assemblée des Premières Nations à se prononcer sur le projet de loi C-71. Nous sommes reconnaissants de l’occasion qui nous est donnée de présenter notre point de vue sur les modifications proposées à la Loi sur les armes à feu. Je voudrais commencer par souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine. Le projet de loi C-71 suscite beaucoup de réactions et de controverse partout au Canada. Les Premières Nations utilisent depuis très longtemps des armes à feu dans ce pays dans le cadre de leurs activités culturelles et traditionnelles.

Dans toute matière législative qui pourrait avoir des impacts sur les droits ancestraux et issus de traités des présentations, l’APN continue de défendre les intérêts des Autochtones et de collaborer avec le gouvernement afin d’intégrer notre vision dans les lois du Canada.

Les principales questions à l’étude dans ce projet de loi C-71 sont les suivantes : le pouvoir du Canada de surveiller les activités des propriétaires d’armes à feu, en exigeant notamment un contrôle plus approfondi de leurs antécédents; l’imposition de restrictions sur le transport d’armes à feu à autorisation restreinte ou prohibée; de nouvelles exigences en matière de tenue de registre pour les commerces de détail qui vendent des armes à feu; davantage de pouvoirs conférés à la GRC pour la classification d’armes à feu sans surveillance ministérielle; l’imposition faite aux simples citoyens de confirmer la validité du permis d’arme à feu du receveur lorsqu’une arme à feu est vendue ou donnée dans le but de réduire la violence armée et la violence des gangs. Sur ces questions, les Premières Nations peuvent offrir leur expertise et leur solide expérience à ce comité, au gouvernement et aux Canadiens en général.

De nombreuses Premières Nations conviendraient que les armes de poing, les armes à feu à autorisation restreinte et d’autres armes utilisées par les gangs devraient être retirées de la circulation. Au centre de cette discussion se trouve la recherche d’un équilibre entre les lois et les autorités fédérales, d’une part, et le point de vue des Premières Nations et la défense de leurs droits ancestraux et issus de traités, confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, d’autre part.

Les membres des Premières Nations, en tant qu’individus ou par l’intermédiaire de leurs nations, affirment leurs droits culturels fondamentaux de chasser, de pêcher et de piéger. Les Premières Nations ont le droit de transmettre leur culture aux générations futures sans ingérence extérieure. Le gouvernement du Canada a promis de renforcer la relation de nation à nation qui le lie aux Premières Nations, et des occasions comme celle-ci, qui nous permettent de présenter nos préoccupations, sont vitales, non seulement pour le cadre juridique canadien, mais pour le Canada dans son ensemble.

Le Sénat doit tenir compte des répercussions de la législation proposée sur les Premières Nations dès les premières étapes du processus. Le projet de loi C-71 comporte des dispositions qui pourraient avoir une incidence négative sur les droits des Premières Nations, et ce comité devrait modifier ces dispositions avant la mise en œuvre de la loi. Les modifications proposées à la Loi sur les armes à feu soulèvent, pour les Premières Nations, de graves préoccupations de nature constitutionnelle.

Notre première préoccupation est que ce projet de loi ne prend pas en compte et ne protège pas nos droits ancestraux et issus de traités. Il pourrait donc porter atteinte à certains de ces droits, comme notre droit de chasser. Il n’est mentionné nulle part dans cette ébauche de législation de quelle façon les dispositions du projet de loi seront appliquées aux Premières Nations ou à leurs terres. Il devrait être clairement indiqué que le droit des Premières Nations de chasser sera respecté et que nous n’aurons pas à obtenir une autorisation de transport pour des fusils de chasse, même pour ceux qui sont classés comme étant à autorisation restreinte.

Nos droits ancestraux et nos droits issus de traités sont fondamentaux et sont confirmés dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils prévalent sur les lois qui s’appliquent de manière générale à tous les Canadiens. Nous demandons au Canada de protéger notre droit de transporter sans restriction des armes à feu à l’intérieur de nos territoires dans l’exercice de notre droit de chasser.

Notre deuxième préoccupation concerne les nouvelles exigences en matière de transport et de transfert des armes à feu à autorisation restreinte, sans restriction et prohibées. Aucune ligne directrice n’indique comment ces nouvelles modifications seront appliquées aux Premières Nations. Par exemple, les modifications apportées aux articles 23 et 23.1 de la Loi sur les armes à feu, qui concernent le transfert d’une arme à feu sans restriction, exigent que le vendeur ou le cédant d’une arme à feu sans restriction confirme le permis d’arme à feu de l’acheteur ou du cessionnaire.

Cette modification ne présente aucune disposition quant à son application aux Premières Nations et à la durée de traitement des demandes de confirmation. Cela affectera probablement la transmission de notre culture d’une génération à la suivante par le transfert d’une arme à feu. De plus, les futurs changements au système de classification pourraient transformer en armes à feu à autorisation restreinte des armes qui sont actuellement sans restriction. La GRC peut, à sa discrétion, désigner toute arme à feu comme une arme à autorisation restreinte, prohibée ou sans restriction.

Sur quelles données la GRC fondera-t-elle ses décisions? Qui supervisera cette classification pour veiller à ce que les armes de chasse demeurent sans restriction?

[Traduction]

En vertu des nouvelles règles, la vie entière d’une personne qui présente une demande de permis de port d’arme sera examinée, plutôt que les seules cinq années précédentes.

Les membres des Premières Nations sont plus susceptibles d’avoir des casiers judiciaires en raison de la discrimination systémique et d’autres raisons dans lesquelles je n’entrerai pas. Est-il juste qu’une personne puisse se voir refuser un permis en raison d’une infraction criminelle commise il y a 20 ou 30 ans? Cela permet-il vraiment de prédire la possibilité qu’elle utilise mal une arme à feu aujourd’hui?

Certes, nous devons garder les armes à feu hors des mains des criminels dangereux et des gens atteints de maladies mentales graves, mais pourquoi punir une personne qui a fait une erreur il y a des dizaines d’années?

À notre humble avis, le fait qu’une personne possède ou non un casier judiciaire ne devrait en aucune façon interférer avec l’exercice du droit ancestral ou du droit issu de traités de chasser.

Le Canada dit que le projet de loi C-71 va réduire la violence des gangs, mais de nombreux membres de gangs obtiennent illégalement des armes à feu sur le marché noir. Les nouvelles règles touchent les citoyens respectueux des lois et ne font rien pour lutter contre la violence des gangs.

Le taux d’homicides au Canada chez les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis était de 0,6 pour 100 000, soit le tiers du taux national. Plutôt que d’imposer des restrictions inutiles sur les droits des propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis, le Canada devrait en faire davantage pour s’attaquer directement à la violence des gangs. Cela signifie de s’assurer que les Premières Nations disposent des fonds nécessaires pour exploiter leurs propres forces policières et que celles-ci sont correctement formées et équipées.

Le projet de loi C-71 propose de nouvelles exigences concernant le transport des armes à feu, qui seront une responsabilité supplémentaire pour les services de police des Premières Nations. Le Canada continue de désigner nos services de police comme non essentiels, en plus de sous-financer le Programme des services de police des Premières Nations.

Les services de police des Premières Nations doivent fournir un service équivalent à celui des services de police non autochtones. Ce projet de loi va imposer des exigences supplémentaires à nos forces de police, et nous avons besoin d’un plus grand investissement pour respecter les obligations en matière d’application de la loi du projet de loi. Les forces de police des Premières Nations sont aussi équipées d’armes inférieures à celles utilisées par les gangs. On doit mettre à la disposition des services de police de Premières Nations un plus grand nombre de formations sur la certification des armes à feu utilisées par d’autres forces de police. En ce moment, le projet de loi ne contient aucune disposition sur l’augmentation du financement des forces de police des Premières Nations.

Le projet de loi propose des obligations supplémentaires pour les entreprises, qui devront tenir des registres pour la vente de toutes les armes à feu et les achats. Nous avons des préoccupations au sujet des dispositions sur la protection de la vie privée, qui ne figurent pas dans le projet de loi. Advenant une atteinte à la sécurité de ces registres, comment le projet de loi assurera-t-il la sécurité des renseignements confidentiels?

Les registres doivent être conservés pendant 20 ans et ils sont censés aider les autorités à faire le suivi des ventes et de la distribution d’armes à feu. Qu’en est-il des droits des personnes qui achètent ces armes? Les registres devraient être conservés dans un coffre-fort verrouillé, à l’épreuve du feu et de l’eau, auquel seul le propriétaire ou le gestionnaire d’une entreprise peut accéder.

En conclusion, il s’agit de nos recommandations concernant le projet de loi. Nous continuerons de faire respecter les droits des Premières Nations et maintiendrons nos vieilles traditions de chasse, de trappage et de cueillette sur les territoires dont nous nous sommes occupés pendant d’innombrables générations. Malheureusement, le processus d’élaboration de cette législation n’a pas respecté l’obligation du gouvernement fédéral de consulter et d’accommoder.

Nous sommes solidaires des nombreux autres Canadiens qui ne sont pas prêts à abandonner leurs libertés et leurs droits fondamentaux, qui demandent que le présent gouvernement participe à une rédaction plus attentive de cet important texte de loi. Le Canada doit faire mieux et davantage pour s’acquitter de ses responsabilités constitutionnelles et de ses responsabilités découlant de traités envers les Premières Nations.

J’aimerais remercier le comité de ses efforts pour écouter les Premières Nations. Nous aimerions poursuivre le travail auprès du gouvernement canadien sur cette question très importante et nous sommes ouverts à l’idée de fournir de nouvelles perspectives concernant la législation sur les armes à feu.

Notre mémoire propose un certain nombre de recommandations en vue de votre examen, et je vous encourage à en prendre connaissance. Merci beaucoup.

La présidente : J’aimerais accueillir à la table la commissaire Audette. Merci beaucoup d’être ici. Je sais que vous avez dû vous dépêcher. Êtes-vous prête à formuler quelques commentaires?

Michèle Audette, commissaire, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, à titre personnel : Oui, et je dois m’excuser, même si c’était à cause de l’avion, mais c’est vrai.

[Français]

Merci beaucoup. Je suis contente d’être ici. Je suis venue ici comme femme, mère et grand-mère, et c’est important pour moi de vous présenter ma position, parfois avec des sentiments et parfois avec des rêves. J’ai grandi entre Schefferville, Maliotenam et Montréal. Mon père est le plus beau Québécois, ma mère est une grande dame innue, et je côtoie ces deux belles cultures depuis ma naissance.

Ce que je viens vous dire aujourd’hui n’est pas facile pour plusieurs raisons. Je vais débuter avec des statistiques, étant donné le temps que nous avons. On ne peut pas ignorer que, au niveau de la santé publique, il y a une crise qui fait rage au sein de nos communautés autochtones. Selon une étude réalisée en 2012, le taux de suicide chez les membres des Premières Nations serait le double de celui de la population canadienne en général. Lorsqu’on regarde le peuple inuit, le taux de suicide est considéré par Santé Canada comme l’un des plus élevés au monde et serait jusqu’à 10 fois supérieur au taux prévalant dans la population canadienne en général. En ce qui concerne mes frères et sœurs du peuple métis, malheureusement, on ne trouve pas de données, étant donné le peu d’études qui s’y consacrent.

Dans les communautés, on le sait, la violence, le désespoir, l’isolement, la pauvreté, le sentiment de mépris et d’abandon, les agressions sexuelles et la toxicomanie mènent trop souvent mes frères et sœurs à passer à l’acte. Quand vivre devient un trauma et que l’on est laissé à soi-même sans ressources, sans aide, enveloppé d’un tissu social tout aussi endommagé que nous, il nous arrive, à certains d’entre nous, d’avoir le réflexe de sortir d’une façon dramatique et tragique pour nous enfuir à tout jamais.

Le Centre de prévention du suicide a étudié ce phénomène chez les adolescents en 2003, et le rapport concluait à l’époque que les adolescents autochtones ont malheureusement eu plus souvent recours à des moyens très radicaux pour se tuer, soit par les armes à feu ou la pendaison. Ces résultats s’étendent aussi à la population adulte. Après la pendaison, l’arme à feu est le deuxième moyen le plus utilisé pour s’enlever la vie dans les communautés. Les armes à feu dans nos communautés sont accessibles, disponibles, on peut les retrouver partout. La disponibilité des armes à feu est un facteur important qui nuit à la santé de la population autochtone.

En 2013, j’étais, moi aussi, toute prête à partir. J’avais pris une montagne de pilules et j’avais bu. Il s’est produit alors une chose qui ne s’était pas produite les fois où j’avais fait mes premières tentatives. Je suis allée chercher un fusil qui se trouvait où j’habitais et j’ai essayé de l’utiliser. Ce qui m’a sauvé la vie ce matin-là, c’est le cocktail de substances que j’avais pris, qui m’a fait sombrer dans le coma et qui m’a empêchée de prendre l’arme pour la retourner contre moi.

Aujourd’hui, mes jumelles de 11 ans et mes garçons de 25, 22 et 10 ans ont une maman, une maman solide, une maman fière d’être restée en vie.

Madame la sénatrice, je vous dirais qu’il est important d’agir et qu’il faut agir. Selon moi, on ne peut plus attendre. Les armes à feu sont facilement disponibles dans nos communautés, leur usage est évidemment répandu et cela a trois effets. Le premier, et je le comprends très bien, est que cela permet de respecter nos droits ancestraux au niveau de la chasse, certes, mais cela contribue au suicide, comme je l’ai mentionné il y a quelques instants.

La présence des armes à feu permet de commettre des actes d’une violence inouïe dans nos communautés. Chaque mois, on apprend le décès d’une maman avec ses enfants ou d’une femme, et c’est souvent lié à une arme à feu. Selon Statistique Canada, chez les Autochtones de sexe féminin, le taux d’homicides en 2016 était six fois plus élevé que celui des non-Autochtones de sexe féminin et, malheureusement, il était en hausse de 32 p. 100 par rapport à l’année précédente. Sans surprise, la hausse du nombre d’homicides observée à l’échelle nationale s’explique principalement par l’augmentation du nombre d’homicides commis à l’aide d’une arme à feu.

Cependant, même si nous sommes aussi directement touchés par les armes à feu, le Comité consultatif canadien sur les armes à feu, le CCCAF, dont la mission est de veiller à ce que l’on tienne compte des points de vue des Canadiens et des Canadiennes, au moment de mettre en œuvre le programme des armes à feu, ne comptait aucun membre des Premières Nations, aucun Métis ou Inuit. Il faut s’en remettre à des occasions comme aujourd’hui pour pouvoir être entendu — et là-dessus, je vous dis un gros merci, madame la présidente et membres du comité.

Vous avez consulté certaines personnes, dont mon confrère de l’APNQL — et je m’excuse d’avoir manqué le début de votre intervention —, qui croit que le projet de loi est une atteinte à leurs droits autochtones. C’est une position que je comprends. Je vois le projet de loi C-71 différemment. Je vais appuyer ce projet de loi pour les raisons de sécurité dont nous avons besoin dans les communautés pour les femmes autochtones, les hommes, les enfants et les aînés, et aussi pour des raisons de santé publique. Par exemple, j’accueille volontiers l’amendement que vous avez apporté au paragraphe 5(2) de la loi pour retirer la limite de cinq ans au niveau de la vérification des antécédents. Quand on vit avec la violence ou qu’on a réussi à la dénoncer ou qu’on n’ose pas la dénoncer, malheureusement, elle ne s’efface pas seulement en cinq ans. Alors, je salue cette partie du projet de loi qui reconnaît que la violence contre soi-même ou contre les autres est un facteur pertinent à prendre en considération dans l’accès que l’on donne aux armes à feu sans avoir de limite de temps.

Pour moi, le projet de loi ne va pas assez loin au niveau des vérifications qui sont faites. Dans nos communautés, plusieurs familles peuvent vivre sous le même toit à cause du manque de logements. Si une personne fait une demande de certificat et habite avec une autre personne qui souffre de maux visés par la législation et qui a un accès facile à des armes à feu possédées par les membres de la famille, cela me préoccupe. Ainsi, pour éviter des usages non autorisés pour les armes à feu, surtout dans le cas où un membre de la famille a déjà fait preuve de violence envers lui-même ou autrui, il faudrait qu’il existe un régime de conservation des armes à feu entre les périodes de chasse. Je ne sais pas s’il faut impliquer le contrôleur des armes à feu là-dedans. Pour moi, la solution peut se trouver au sein même des communautés, avec des mesures pragmatiques qui permettent de réduire l’accès à des armes à feu afin qu’elles ne soient pas utilisées à d’autres fins que la chasse et qu’elles ne servent pas à perpétuer la violence contre la vie humaine, à éteindre sa propre vie ou celle des autres.

Il y a beaucoup d’initiatives intéressantes à ce sujet. À Kuujjuaq, des verrous sont distribués pour favoriser la sécurité des armes. Oui, notre autonomie gouvernementale est importante, mais on doit mettre en place des mesures de protection dans l’immédiat.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités.

Monsieur Picard, vous savez que les armes sont à l’origine de crimes violents qui sont malheureusement attribués à des problèmes de santé mentale. Les communautés autochtones ne sont pas épargnées par ce genre de crimes. Avec le projet de loi C-71, il y aura un examen minutieux des antécédents de vie d’une personne qui demande un permis d’arme à feu, et cet examen ne sera pas limité aux cinq dernières années.

Selon vous, est-ce que cette disposition contrevient aux droits ancestraux des Premières Nations, et croyez-vous que vos communautés doivent se soumettre à ce processus ou en être exclues?

M. Picard : À mon avis, sans remettre en question le fondement même du projet de loi et ses intentions, il est possible d’harmoniser la loi avec les réalités qui nous sont propres, notamment sur une base qui reconnaît que les communautés peuvent également exercer une compétence dans ce domaine.

Cela dit, je me permets une parenthèse qui va sans doute répondre en partie à votre question et au commentaire de Mme Audette. Certaines communautés disposent de moyens pour faire la promotion de la prévention. Lac-Simon a vécu une tragédie qui a causé une onde de choc au sein de la communauté en 2016, avec la mort d’un agent de police et une autre personne de la communauté qui avait des problèmes de santé mentale. Malgré le peu de moyens dont dispose la communauté, tant au niveau des autorités que du service policier à Lac-Simon, il n’en demeure pas moins qu’elle a apporté des mesures qui visent à prévenir ce genre de situation.

Évidemment, cela exige la collaboration de la population — ce qui semble être un acquis — et des autorités en présence. Depuis cet événement tragique, la communauté s’est dotée d’une mesure qui permet à des armes d’être entreposées au service de police. Une évaluation est faite auprès des familles concernées, tant sur le plan social que sur le plan de la santé mentale. L’autorité finale revient aux élus de la communauté, mais sur recommandation des services appropriés au sein même de la communauté.

Cette mesure semble être à la hauteur d’une situation qui s’est malheureusement produite dans la communauté de Lac-Simon, ce qui n’est pas souhaitable ailleurs, de toute évidence. Cela dit, si la communauté dispose des moyens nécessaires, elle est capable d’adopter des mesures de prévention pour éviter ce genre de situation.

Le sénateur Dagenais : Madame Audette, appuyez-vous sans restrictions le processus de vérification des antécédents de toute personne qui demande un permis d’arme à feu, que le projet de loi C-71 veut mettre en place?

Comment interprétez-vous l’opposition actuelle des membres des Premières Nations à l’enregistrement des armes de chasse, qui est devenu une loi au Québec? Le Québec veut mettre en place un registre des armes à feu, mais les Premières Nations s’y opposent.

Mme Audette : Certains individus vont s’y opposer pour des raisons que je peux comprendre, parce qu’on parle ici de droits ancestraux autochtones, mais les problèmes sont contemporains. Toute la toxicomanie, le mal de vivre, les problèmes de santé mentale qu’on n’avait pas avant sont présents aujourd’hui. Dans ce discours, je ne vois pas d’ouverture pour dire au gouvernement, lorsqu’on présente un projet de loi, qu’il doit venir aussi avec des mesures pour faire en sorte qu’on puisse l’intégrer jusqu’à ce qu’on ait nos propres gouvernements autonomes plutôt que de dire carrément non.

Cela veut également dire qu’il faut soutenir nos communautés, comme l’a dit M. Picard au niveau de la police, qui ne reçoit pas le même financement ni la même formation en milieu autochtone. Ce n’est pas une égalité pleine et entière que l’on constate. Tout cela a un impact direct sur la manière d’intervenir en matière de violence conjugale, notamment.

On doit dire aux communautés que tout le monde doit y passer au niveau de la santé et des antécédents en santé mentale. Si nos leaders disent non, qu’est-ce qu’on doit faire quand, durant la période des Fêtes, un jeune papa décide de mettre fin à ses jours avec une arme à feu ou lorsqu’un jeune homme qui est aux prises avec des problèmes de santé mentale tue ses deux enfants et sa conjointe, ici au Québec?

Je pourrais vous donner des exemples partout dans nos communautés à l’échelle du pays. Il ne s’agit pas de dire que nos leaders ne le voient pas, mais, de façon transitoire, jusqu’à ce qu’on obtienne notre autonomie gouvernementale signée avec du financement, des ressources, des infrastructures. En ce moment, j’aurais de la difficulté à soutenir que c’est un ou l’autre.

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de la formation en ce qui concerne les policiers autochtones. L’École nationale de police du Québec à Nicolet offrait une formation spéciale pour la police autochtone. Je présume que cette formation est encore offerte?

Mme Audette : Oui, et je vous invite à lire le rapport — à la section sur le Québec — qui sera déposé le 30 avril prochain. Vous verrez la différence dans le nombre d’heures entre un policier autochtone et un policier québécois. Cela a un impact direct dans l’immédiat, à moyen et à long terme, sur la façon de procéder sur le terrain.

Le sénateur Dagenais : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présentation, monsieur Picard. Madame Audette, merci de votre travail avec l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. J’ai une question pour vous, madame Audette.

[Traduction]

Je ne sais pas si vous étiez ici lorsque M. Picard a parlé des vérifications des antécédents. Il se préoccupait du fait que si quelqu’un avait commis une erreur il y a de nombreuses années, il ne devrait pas être puni maintenant. Vous adoptez un point de vue différent. Il y a des vérifications des antécédents. Quelles choses supplémentaires devrions-nous examiner sur les réserves pour éviter la violence qui existe, particulièrement celle contre les femmes? Il y a toutes sortes de chiffres. Je ne veux pas les donner maintenant, car notre temps est très limité.

Mme Audette : Merci, madame la sénatrice. Je crois que la prévention est une absolue nécessité dans nos collectivités. En ce moment, nous faisons face à une crise partout au Canada en raison de l’absence de services ou de — je ne sais pas comment le dire dans votre langue — qui soient adaptés culturellement.

[Français]

Oui, des services adaptés culturellement.

[Traduction]

C’est une question qui comporte de nombreuses facettes. Ce n’est pas seulement cette législation ou ce projet de loi qui va nous sauver. On ajoutera quelque chose pour s’assurer que les femmes et les filles autochtones et nous tous sommes un peu plus en sécurité.

Il y a un très grand nombre d’éléments à examiner, comme le financement pour mettre en œuvre cette nouvelle législation dans nos collectivités — que ce soit les forces policières ou les services sociaux — ou la santé mentale. On doit le faire de façon respectueuse — la collectivité connaît le problème tout autant que les solutions —, et il doit donc y avoir une collaboration pour garantir qu’il ne s’agit pas d’une approche pancanadienne.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Picard, vous parliez des vérifications des antécédents. Si je vous ai bien compris, vous disiez qu’une personne ne devrait pas être punie pour quelque chose qu’elle a fait il y a longtemps. Disiez-vous cela en raison des droits ancestraux ou des droits de chasse que détiennent les Autochtones? Cherchiez-vous à obtenir une exemption pour les Autochtones en raison des droits de chasse? Pourriez-vous préciser votre pensée, s’il vous plaît?

M. Picard : D’abord, ce n’est pas la première fois que nous parlons d’une législation qui pourrait violer les droits accordés en vertu de l’article 35. Cela fait 15 ans, voire plus, que cette question est soulevée devant des tribunaux de différentes instances dans le pays. Nous avons fait valoir nos arguments. Je crois que le projet de loi C-71 devrait tenir compte de cette réalité et de ce fait juridique, car c’est bien ce dont il retourne.

Cela dit, il y a toujours moyen d’harmoniser l’intention du projet de loi C-71, dans ce cas-ci, avec les pratiques de nos nations et de nos collectivités. C’est la difficulté qui se pose à nous.

Nous avons comparu devant le comité sur ce projet de loi l’an dernier, et vous l’avez maintenant en main, en tant que sénateurs. Toutefois, vous n’avez toujours pas tenu de consultations très concrètes et véritables. Autrement, nous le verrions dans le libellé du projet de loi aujourd’hui.

Je crois que cela soulève un certain nombre de questions. Il est toujours possible d’adapter le projet de loi en fonction de son libellé, mais à moins que nous nous mettions au travail, examinions la jurisprudence et ce qu’elle dit lorsqu’il est question des droits accordés en vertu de l’article 35, nous n’y arriverons pas.

Le sénateur Plett : J’ai quelques questions pour chacun d’entre vous. Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui.

Dans mon ancienne carrière, j’ai passé la majeure partie de mon temps à travailler dans les collectivités autochtones. J’ai vu bon nombre des enjeux que vous avez exprimés ici aujourd’hui, et je vous félicite de faire de votre mieux pour améliorer les conditions.

Monsieur Picard, vous avez entendu les préoccupations de Mme Audette aujourd’hui et par le passé au sujet de la violence armée contre les femmes et, en effet, contre les Autochtones. Toutefois, vous avez déjà demandé que les Premières Nations au Québec soient exclues du registre provincial. J’ai deux questions. Comment répondriez-vous aux préoccupations de Mme Audette? Et croyez-vous qu’un registre d’armes à feu pourrait réduire la violence commise contre les femmes?

M. Picard : D’abord, permettez-moi de vous corriger, car nous ne nous sommes pas opposés au registre. En 2016, ce que nous avons dit, c’est que nous voulions être en mesure, en tant que Premières Nations, de nous doter de notre propre registre. C’est une déclaration...

Le sénateur Plett : Vous voulez être exclus de celui-ci?

M. Picard : Oui. C’est une déclaration que nous avons faite en 2016.

Le sénateur Plett : D’accord. Exclus de ce registre.

M. Picard : Nous avons comparu devant une commission parlementaire au Québec, et nous avons défendu cette position.

Essentiellement, comme aujourd’hui — et c’est l’argument que j’ai présenté il y a juste quelques secondes —, si vous ne faites pas participer les Premières Nations, vous les mettez dans une position de réaction. C’est essentiellement le point que l’on doit faire valoir.

Au Québec, nous avons dit que nous voulons participer d’une façon qui permettrait de confirmer notre compétence et nos responsabilités. Cela voudrait dire d’avoir notre propre registre, à condition de disposer des ressources pour le faire. C’est un autre problème, et nous — Mme Audette et moi — disons que les services de police ne sont pas dotés des ressources appropriées.

C’est la position que nous avons défendue au Québec, et nous continuons de la faire valoir auprès du gouvernement provincial actuel. En fait, j’ai rencontré il y a juste deux semaines la ministre de la Sécurité publique, j’ai déposé le document sur son bureau et je lui ai dit : « Quelle est votre réponse? » Je n’ai rien pu obtenir, en ce sens qu’il n’y a pas eu de commentaires ni de réaction.

Donc, que pouvons-nous faire d’autre — encore une fois, malgré le fait qu’il y a toujours le recours ultime — sinon réagir?

Le sénateur Plett : Croyez-vous qu’un registre d’armes à feu permettrait de réduire la violence commise contre les femmes?

M. Picard : Permettez-moi de citer un agent de police de nos propres services de police au Québec, qui a dit ceci : « Je ne crois pas qu’un registre soit utile. » Ce sont les propos d’un agent de police. Il a dit ceci : « Lorsque nous devons intervenir dans toute situation ou toute collectivité, nous tenons pour acquis qu’il y a des armes. C’est ainsi que nous nous préparons. ».

Donc, pour moi, c’est une affaire de gestion du registre. Si les collectivités ne reçoivent pas les ressources appropriées pour le faire, alors le but n’est pas atteint. Toutefois, si les collectivités recevaient les ressources appropriées pour administrer et gérer un registre d’armes à feu, alors je dirais oui, cela pourrait répondre aux fins ou aux objectifs.

Le sénateur Plett : Dans son rapport intitulé L’homicide au Canada, 2017, Statistique Canada a signalé que le taux d’Autochtones accusés d’homicides est 12 fois supérieur à celui des non-Autochtones. C’est alarmant, et cela reflète sans aucun doute les difficultés sous-jacentes auxquelles vous faites face.

Croyez-vous que les mesures présentées dans le projet de loi C-71 permettront de réduire ce taux d’homicides?

Puis, j’aurai une brève question de plus pour Mme Audette.

M. Picard : Pour moi, la situation que vous soulevez comprend de nombreux déterminants. À moins que nous ayons une approche et un plan plus larges pour tenir compte également des autres questions liées aux réalités sociales au sein de nos collectivités, je crois qu’à lui seul le projet de loi C-71 ne sera pas suffisant. Il doit s’agir d’une approche élargie qui tient également compte des autres questions. Mme Audette y a fait allusion : il y a le surpeuplement des logements et, même si ce n’est pas votre responsabilité en tant que comité, l’absence de ressources adéquates dans les services de police. On doit également tenir compte de nombreux autres déterminants.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, monsieur, d’avoir fourni ces réponses.

Madame Audette, vous avez dit être vous-même presque passée à l’acte pour vous suicider. Bon nombre d’entre nous — c’est mon cas — ont connu des gens proches qui se sont suicidés à l’aide d’une arme à feu ainsi que par d’autres méthodes.

En 1998, une étude du ministère de la Justice Canada a signalé que, au Canada, les comparaisons provinciales entre les taux de possession d’armes à feu et les taux globaux de suicide révélaient que les taux de possession d’armes à feu n’avaient aucun lien avec les taux de suicide dans les régions. Qui plus est, le taux de suicide à l’aide d’armes à feu au Canada a baissé sans qu’on ait constaté une réduction semblable dans le taux de possession d’armes à feu.

La majorité des gens qui commettraient cet acte horrible par désespoir... Il y a de forts risques que ce soit à l’aide d’armes à feu enregistrées. D’abord, les statistiques montrent qu’il n’y a aucune corrélation, mais comment le projet de loi C-71 empêche-t-il une personne de prendre une arme à feu et de se tuer?

[Français]

Mme Audette : Je reviens au paragraphe 5(2), qui élimine la limite de cinq ans au niveau de la vérification des antécédents. Imaginez si nos communautés autochtones appliquaient ce qui existe en ce moment, jusqu’à ce qu’elles aient leur propre loi, ce qui ferait en sorte qu’on doit ranger nos armes dans des endroits sécuritaires et barrés à clé, ce qui n’est pas le cas. Qui s’assure alors que les choses se font pour la sécurité de tous dans nos communautés? Ensuite, le fait qu’il y ait des vérifications de nos antécédents fait en sorte qu’on oblige nos communautés à faire un exercice moral, politique et social, pour s’assurer que, dans l’immédiat — elle est là, la crise sociale —, il faut protéger les femmes, les enfants, les hommes et nos aînés, pour qu’ils ne puissent pas se faire du mal ou faire du mal à quelqu’un d’autre.

Le projet de loi C-71 n’est pas parfait, mais il fait partie d’une stratégie en vue de contrer la violence ou de la diminuer. Je reviens encore sur la sécurité publique et la santé publique. Je trouve que ce qu’on nous propose ici ne va pas assez loin. On devrait faire en sorte que, si j’habite avec plusieurs personnes, je dois aussi dire qui habite avec moi, pour que ces personnes puissent aussi passer par la vérification des antécédents.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Tout d’abord, j’aimerais mentionner que le projet de loi ne prévoit pas de registre, donc je ne sais pas pourquoi nous parlons d’un registre.

Le sénateur Plett : Vous le ferez l’an prochain.

Le sénateur Pratte : Les libéraux vont remporter la prochaine élection?

Le sénateur Plett : Cela pourrait être difficile sans Gerald Butts.

[Français]

Le sénateur Pratte : Monsieur Picard, vous êtes inquiet de l’impact du projet de loi sur les droits fondamentaux des Autochtones, en particulier sur le droit de chasse, mais vous savez que le projet de loi C-71 modifie la Loi sur les armes à feu et, dans la Loi sur les armes à feu, il y a déjà une clause qui dit clairement que la loi ne peut pas diminuer les droits garantis par l’article 35. Cette protection qui s’appliquera à tous les amendements qu’apporte le projet de loi C-71 ne protège-t-elle pas suffisamment les droits fondamentaux, notamment, le droit de chasse tel qu’il est mentionné dans l’article 35?

M. Picard : Écoutez, je ne suis ni législateur ni avocat, mais c’est quelque chose qui mérite certainement réflexion. Je comprends que cela amène une certaine protection ou une couverture, si je peux m’exprimer ainsi, par rapport à l’entièreté de la loi. Je me référerai plutôt à un de vos collègues sur un certain nombre de cas qui ont été traités par différents tribunaux à travers le pays, notamment sur l’atteinte aux droits issus de traités en ce qui concerne le contrôle des armes à feu, et en général à toutes les lois évoquées à l’article 35 de la Constitution canadienne.

Il y a déjà une jurisprudence en la matière. Ce que vous présentez et avancez viendrait sans doute offrir une certaine protection, une garantie, à tout le moins, qu’il n’y aurait pas d’atteinte aux droits, si je comprends bien. Par contre, il faudra peut-être, de toute évidence, dans le courant de vos travaux, se pencher de façon plus détaillée là-dessus.

Le sénateur Pratte : En tant que parrain du projet de loi, je ne demande pas mieux que de travailler avec vous et le gouvernement pour faire en sorte qu’on puisse faire l’harmonisation dont vous parlez. Sur certains aspects, vous semblez comprendre le projet de loi de façon différemment de moi. Par exemple, sur la vérification des antécédents de plus de cinq ans, pour une durée plus longue que cinq ans, vous semblez craindre que, à cause du passé, parce que les Autochtones ont plus souvent un dossier criminel pour des raisons que l’on comprend bien, qu’on leur enlève arbitrairement le droit d’avoir un permis. Je soulignerais deux choses, et je veux voir si vous êtes au courant de cela.

D’abord dans les règlements d’adaptation sur la loi sur les armes à feu sur les communautés autochtones, c’est déjà prévu que si une personne est menacée de ne pas obtenir de permis pour une raison comme celle-là, il peut être commandité par un aîné ou un leader de la communauté, pour garantir que la personne, oui, peut-être qu’elle a commis un acte criminel il y a 35 ans, mais qu’elle est aujourd’hui un bon citoyen qui a besoin de cette arme pour ses droits le chasse. Il y a aussi la possibilité de faire appel à un juge de la cour provinciale.

Sur l’autorisation de transport, vous semblez craindre qu’on empêche les Autochtones de transporter leurs armes pour la chasse, mais les autorisations de transport ne s’appliquent qu’aux armes prohibées et restreintes, et non pas aux armes de chasse. Je ne sais pas si vous voyez des choses dans la loi que je n’ai pas perçues. J’aimerais vous amener à commenter là-dessus.

M. Picard : S’il y a une position vers laquelle toutes les Premières Nations convergent à l’échelle du pays, c’est qu’ultimement, on puisse avoir les ressources nécessaires et la reconnaissance nécessaire pour exercer notre propre juridiction, y compris en ce qui concerne les armes à feu. Cela me ramène à l’exemple que je donnais plus tôt par rapport au Lac-Simon, où les communautés, dans la mesure où elles disposent des moyens nécessaires, peuvent également se doter de mesures qui leur sont propres, qui sont sans doute plus appropriées dans certaines situations.

Un exemple comme celui-là, selon moi, est facilement exportable ailleurs. En ce qui concerne la question que vous posez, je pense que, sans doute encore une fois, elle devrait être discutée dans le cadre de vos travaux, c’est-à-dire qu’on peut peut-être trouver une façon de mieux expliquer les intentions du projet de loi C-71 par rapport aux antécédents des propriétaires d’arme à feu, y compris ceux qui sont membres de Premières Nations. Donc, je pense que tout est dans la finalité, et que cela passe par une participation plus étroite à vos travaux.

Le sénateur Pratte : Je nous invite mutuellement à travailler ensemble pour arriver à cette harmonisation.

Le sénateur McIntyre : Commissaire Audette, chef Picard, merci de vos présentations orales et écrites ainsi que de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Chef Picard, dans votre mémoire, vous soulevez l’importance de solliciter l’opinion des Premières Nations avant de mettre en œuvre tout changement important au chapitre du projet de loi C-71. Ma question est la suivante : quelles discussions ont été tenues avec les Premières Nations avant la présentation du projet de loi C-71? Si des discussions ont eu lieu, quelles ont été les préoccupations soulevées par les Premières Nations et comment en a-t-on tenu compte?

M. Picard : Je n’ai pas tous les détails, et je pourrais peut-être en référer à notre conseiller juridique, M. Wuttke, mais je sais que la chef Heather Bear, de la Saskatchewan, a comparu devant le comité l’année dernière; je crois que c’était en mai 2018.

Le sénateur McIntyre : Oui, elle avait des préoccupations.

M. Picard : Elle avait exprimé des préoccupations à ce moment-là, que je reprends en partie aujourd’hui devant vous et à la lumière de ce qu’on avait vu ou de ce qu’on n’avait pas vu depuis mai 2018. Je pense que l’important, ici, c’est que la mouture, à l’étape où elle en est, de toute évidence, n’a pas pris en compte les arguments qui ont été avancés. Je pense que, en me référant aux commentaires du sénateur Pratte, on a peut-être un peu plus de matière aujourd’hui qu’on en avait à ce moment-là.

Le sénateur McIntyre : Madame la commissaire Audette, voulez-vous ajouter un commentaire?

Mme Audette : Oui, je pense qu’il est extrêmement important pour tout projet de loi de prendre en compte les Premières Nations, car, quand on parle de Premières Nations, on parle de citoyens et de citoyennes, ce sont des mouvements et des organisations politiques qui travaillent à défendre des intérêts bien précis. Dans ce cadre, je pense, sur les 14 maisons d’hébergement et sur les 50 communautés environ qu’il y a au Québec, il faudrait tenir une bonne discussion avec les gens qui travaillent en première ligne dans les situations de violence conjugale ainsi qu’avec les travailleurs sociaux de nos communautés. Les gens qui travaillent sur le terrain ont une science, une connaissance et une passion ainsi que des solutions. Alors, quand on parle de consultation, j’encourage nos organisations politiques et les groupes d’intérêt, mais aussi les experts sur le terrain, car je crois que leurs voix ne sont pas entendues.

Le sénateur Gold : En fait, la grande majorité de mes questions ont déjà été posées par mes collègues. Je veux revenir brièvement sur la question de l’impact de la violence avec arme à feu, et sur l’impact potentiel du projet de loi C-71 sur les femmes et les filles dans les communautés autochtones. Chef Picard, lors de vos consultations avec vos collègues, est-ce que l’assemblée a fait une analyse de l’impact potentiel du projet de loi C-71 sur les femmes et les filles dans vos communautés, soit au Québec ou ailleurs au Canada?

M. Picard : Sûrement pas à la hauteur qui aurait eu pour effet de nous donner un portrait le plus précis possible. La position est davantage fondée sur une position politique qui fait qu’il n’y a pas eu suffisamment de consultations. C’est la position que défend l’Assemblée des Premières Nations. Une résolution a été adoptée par l’ensemble des chefs au pays voulant que le gouvernement fédéral doive, d’abord et avant tout, respecter son obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations. C’est déjà largement documenté sur les plans légal et politique. Donc, c’est davantage là-dessus que nous basons notre position à ce stade-ci.

Le sénateur Gold : Je comprends très bien. Je ne veux pas du tout minimiser l’importance juridique, morale et politique de cet aspect des consultations pour notre avenir ensemble comme pays, comme nation. Cela dit, s’il y a la « preuve » qui montre que le projet de loi C-71 peut avoir un impact, ce n’est pas une solution miracle, comme on dit, mais quand même, c’est un pas en avant qui peut minimiser ou faire en sorte que l’on sauve quelques vies dans vos communautés, compte tenu de l’incidence de la violence contre les familles, les femmes et les filles qui sont souvent des cibles. Pouvez-vous commenter là-dessus?

M. Picard : Il ne s’agit pas de nier ce que vous avancez comme étant une réalité extrêmement troublante et préoccupante. Vous étudiez un projet de loi en ce moment, et tout ce que nous voulons, c’est nous assurer que la loi que vous étudiez respecte une certaine jurisprudence par rapport à la réalité représentée par les droits issus de l’article 35 de la Constitution canadienne, qui inclut les droits ancestraux et issus de traités. En même temps, je crois qu’on ne peut pas regarder cela de manière isolée sans faire également l’examen de la nécessité, pour les communautés, de disposer des moyens nécessaires pour pouvoir adapter la loi à leur propre réalité.

Le sénateur Gold : Merci de votre réponse.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup à chacun des témoins actuels. J’aimerais remercier tout particulièrement la commissaire Audette d’avoir eu le courage et l’honnêteté de nous faire part des répercussions dans sa propre vie.

J’ai une question qui s’adresse principalement à vous, monsieur Picard, mais j’aimerais inviter la commissaire Audette à y répondre si elle le souhaite. Elle comporte deux parties. La première est très courte.

Selon ce que je comprends des mémoires qui ont été envoyés à la Chambre des communes, puis, pour autant que je sache, pratiquement le même mémoire nous est arrivé ici au comité, y a-t-il des femmes qui ont participé à la rédaction du mémoire, qui ont réellement contribué de façon importante au mémoire de l’APN?

M. Picard : Outre le fait de savoir que la chef Heather Bear est celle qui a présenté un exposé au comité — c’était en mai 2018... Je pourrais peut-être renvoyer la question à mon collègue, Stuart Wuttke, qui pourrait vous donner plus de détails.

La sénatrice McPhedran : Pendant que vous changez de siège, je soulignerai que la Canadian Domestic Homicide Prevention Initiative, l’initiative canadienne de prévention de l’homicide au sein de la famille, a publié une étude quinquennale en décembre 2018. Dans cette étude, on disait que le taux d’homicides au sein de la famille est huit fois plus élevé chez les femmes autochtones que non autochtones. Je pourrais élargir la question en demandant également : si vous êtes préoccupé par le taux d’homicides au sein de la famille, et que vous ne pensez pas que des vérifications plus approfondies des antécédents sont appropriées, quelles mesures envisagez-vous pour lutter contre la violence familiale et le taux élevé d’homicides chez les femmes autochtones?

Stuart Wuttke, conseiller juridique, Assemblée des Premières Nations : Merci. Pour répondre à la première question, à savoir si des femmes autochtones ont participé à la rédaction du mémoire, l’APN, bien sûr, s’en remet à nos résolutions de l’assemblée des chefs. L’assemblée des chefs a adopté un certain nombre de résolutions, et je crois que nous comptons actuellement le plus grand nombre de femmes occupant le poste de chef dans les collectivités des Premières Nations du Canada par rapport à toute autre période.

Bien entendu, notre bureau compte un certain nombre de femmes des Premières Nations au sein de l’organisation. Une femme occupe le poste de directrice générale, et tous les documents sont approuvés par la DG de l’APN.

En ce qui concerne votre deuxième question sur la violence à l’égard des femmes autochtones, bien sûr, il s’agit d’une préoccupation importante pour de nombreuses collectivités des Premières Nations. Comme le chef Picard l’a mentionné, le projet de loi C-71 ne réglera pas tous les problèmes. Tout l’héritage de la colonisation — les pensionnats indiens, les répercussions que cela a eues sur les collectivités autochtones, la rafle des années 1960 et maintenant la protection de l’enfance, où des populations entières d’enfants des Premières Nations sont séparées des collectivités et de leur famille, exclues des modes de vie traditionnels et essentiellement placées en établissement à un très jeune âge — a un impact énorme sur les personnes, pas uniquement les membres des Premières Nations : ce sont plutôt tous les enfants qui sont confiés à la protection de l’enfance. Je crois que la commissaire Audette peut en parler, mais l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a montré ce qu’il était advenu des enfants et les répercussions que cela a eues sur leur vie. C’est le placement en établissement des enfants des Premières Nations à un très jeune âge, que ce soit dans le cadre d’une politique gouvernementale ou en raison de pratiques antérieures, qui a un effet préjudiciable sur les Premières Nations et qui se répercute sur leur vie.

Des psychologues du monde entier ont mené des études sur les enfants roumains dans des orphelinats. Essentiellement, lorsque des enfants sont traumatisés à un jeune âge et placés dans un établissement, cela touche leur développement et l’entrave dans une certaine mesure en plus de les exposer davantage à un risque de violence supplémentaire à l’âge adulte.

Comme l’a dit le chef Picard, je pense que le projet de loi C-71 est une solution potentielle isolée. À moins que vous n’analysiez tous les effets et l’ensemble des répercussions coloniales sur les enfants et les membres des Premières Nations, le projet de loi aura peu d’incidence. Il faut donc s’attaquer à tout l’héritage de la colonisation et réparer ces dommages.

La sénatrice McPhedran : Je pense qu’il s’agit là d’éléments percutants et importants. Cependant, nous avons un travail à faire, qui consiste à nous concentrer sur le projet de loi C-71.

Je suis perplexe. Permettez-moi de ramener cela à une question spécifique. Compte tenu des précisions apportées par le sénateur Pratte sur les possibilités d’obtenir effectivement un permis avec le soutien de la collectivité, des vérifications plus approfondies des antécédents axées sur les menaces de préjudice à autrui et des ordonnances de non-communication ne constitueraient-elles pas, à tout le moins, un pas en avant au moment de s’attaquer à ce taux horriblement élevé et disproportionné d’homicides de femmes autochtones?

M. Wuttke : Les vérifications d’antécédents ont leur raison d’être. Par exemple, les délinquants des Premières Nations sont très différents des autres délinquants au Canada. Il existe des préjugés historiques et même actuels à l’endroit des membres des Premières Nations. Dans bien des cas, on a recours à la négociation de plaidoyers. Dans de nombreux engagements pris en vue de la mise en liberté ou de la libération conditionnelle, l’engagement consiste à ne pas avoir d’arme à feu en sa possession ou à ne pas en posséder et à s’abstenir de parler à certaines personnes. Ce ne sont que des engagements types imposés par un juge. Les membres des Premières Nations n’ont pas leur mot à dire sur les engagements qui leur sont imposés. À maintes reprises, nous soutiendrions que la police, les procureurs du système judiciaire ont des préjugés — un membre des Premières Nations peut être arrêté pour vol, mais il sera soumis aux mêmes conditions d’engagement dans bien des cas. Est-ce pertinent? Nous serions tentés de dire non. Évidemment, si la violence est en cause ou...

La sénatrice McPhedran : Une menace.

M. Wuttke : ... à la vie d’une personne, il peut s’agir d’une évaluation juste de la part d’un juge. Toutefois, lorsque des engagements généraux sont fournis comme condition de mise en liberté qui n’a aucun lien avec l’infraction elle-même, il devient un peu plus difficile de dire que des vérifications d’antécédents seraient utiles.

Évidemment, comme le chef Picard l’a dit, si les Premières Nations participaient à cette vérification ou à cette évaluation et exerçaient un contrôle à cet égard, je pense que les membres des Premières Nations auraient davantage confiance dans le processus. Si cela est effectué par un tiers, le gouvernement ou un autre agent, beaucoup de personnes peuvent faire preuve de la même partialité institutionnelle, et cette façon de faire n’est peut-être pas aussi efficace ou solide que nous le voudrions.

[Français]

Mme Audette : À l’heure actuelle, nos communautés, pour différentes raisons — qu’elles soient économiques ou politiques ou par manque de formation, d’effectifs ou de ressources — n’instaurent pas de mesures de sécurité pour les femmes, les enfants, les hommes et notre sagesse.

J’aimerais revenir à la question de la vérification des antécédents. Le bureau du coroner, depuis les 20 dernières années, a émis une quinzaine de recommandations dans le but de retirer les armes à feu des mains de personnes dépressives ou suicidaires. Même l’Organisation mondiale de la Santé va dans cette direction. Il s’agit d’une réalité dans la plupart de nos communautés, où le mal de vivre est trop présent.

Dans l’immédiat, il serait important qu’on puisse mettre ces mesures en place. Encore une fois, de manière transitoire, jusqu’à ce que nos gouvernements autonomes soient en place, j’espère que ces mesures de protection seront mises en œuvre.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Ma première question s’adresse au chef Picard. Dans votre mémoire, vous avez parlé des registres que les commerces qui vendent des armes à feu doivent conserver, et ce, pendant 20 ans. Pensez-vous que cette période est trop longue? Par exemple, l’ARC exige que nous conservions nos registres d’entreprise pendant une période beaucoup plus courte. Est-ce que 20 ans, c’est trop long?

M. Picard : Je dirais que la protection des données est probablement plus importante que la durée de conservation : il faut s’assurer, comme nous l’avons indiqué dans notre mémoire, que les registres sont conservés à l’épreuve du feu et de l’eau, par exemple. Bien entendu, toute la question de la sécurité des renseignements confidentiels est un autre élément qui, à mon avis, doit être pris en considération. La durée elle-même est probablement secondaire à tous ces autres aspects.

La sénatrice Griffin : D’accord. Je vous remercie.

Commissaire Audette, vous avez déclaré appuyer le projet de loi C-71. Je pense que vous avez dit que celui-ci ne va pas assez loin. Dans votre exposé, vous avez déclaré qu’il faudrait prendre des mesures plus pragmatiques, pour utiliser votre expression. Avez-vous des recommandations particulières à cet égard à l’intention du comité?

[Français]

Mme Audette : Merci beaucoup de votre question. En ce qui a trait aux mesures pragmatiques, à titre d’exemple, à Kuujjuaq, le service de police fournit des cadenas afin que les fusils soient gardés sous clé dans le but de protéger les familles. Dans d’autres communautés, le service de police garde les armes entre les périodes de chasse. Différentes communautés ont instauré elles-mêmes des mesures de protection. Les nations de la Colombie-Britannique, celles du Québec ou du Labrador ont peut-être des solutions différentes. Pour moi, c’est important.

Les projets de loi règlent en silo un enjeu qui est en crise de tous les côtés, donc il est important de fournir du financement pour soutenir les communautés en ce qui a trait à la prévention et à la sécurité. Avant que la loi autochtone ne soit en vigueur, avant que nos gouvernements autochtones ne s’installent, il faudrait faire en sorte que les gens comprennent les mesures exigées dans la Loi sur les armes à feu et le projet de loi C-71.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Merci.

La présidente : Merci au chef Picard et à la commissaire Audette. Nous apprécions votre présence ici.

Nous souhaitons la bienvenue à Yvan Clermont, directeur, Statistique Canada; à Kathy AuCoin, directrice adjointe, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada; et, enfin, à Adam Cotter, analyste, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada.

Mesdames et messieurs, les représentants de Statistique Canada ont indiqué qu’ils prendront environ 20 minutes pour présenter un exposé. Je leur demanderai de rester aussi brefs que possible afin de respecter le temps de parole alloué. Merci.

[Français]

Yvan Clermont, directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Laissez-moi d’abord remercier les membres du comité de cette invitation à vous présenter les plus récentes statistiques concernant les crimes liés aux armes à feu au Canada.

D’entrée de jeu, il importe ici de parler des principales sources de données utilisées pour cette présentation. La plupart des données proviennent des bases de données administratives, dont le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, qui couvre actuellement 99 p. 100 de tous les corps policiers au pays. Elles proviennent également de l’Enquête sur les homicides, qui représente une couverture complète de tous les homicides au Canada. Certaines autres données proviennent des bases de données sur l’état civil, notamment les données sur les suicides. Il est aussi important de mentionner que le succès de l’entreprise de collecte de données est assuré en permanence par une gouvernance et un partenariat très étroit entre le Centre canadien de la statistique juridique et l’ensemble des corps policiers au pays. Ces enquêtes policières existent depuis plus de 50 ans et, bien qu’elles comportent certaines lacunes, comme nous allons le souligner à la fin de la présentation, ces programmes statistiques se comparent très avantageusement aux initiatives similaires dans d’autres pays qui peinent souvent à assurer une couverture complète et de qualité de l’ensemble de leurs enquêtes en matière de criminalité ou d’homicides.

De plus, il faut comprendre que ces sources de données sont une représentation statistique de ce qui est rapporté aux autorités policières et ne constituent pas un portrait du niveau de l’activité criminelle non détectée ou non rapportée à la police. Notre rôle aujourd’hui consistera donc, à partir de ces ensembles de données, à vous présenter les plus récentes tendances en matière de criminalité liée aux armes à feu afin de vous aider dans l’examen du projet de loi C-71.

Je vais commencer à la deuxième diapositive en résumant les principales constatations des présentations qui suivent. Tout d’abord, le nombre de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu ne représente qu’environ 3 p. 100 de l’ensemble des crimes violents. Cela représente toutefois plus de 7 700 victimes avérées. Au cours des quatre dernières années, on a observé une hausse importante du nombre de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu, et cette augmentation a été enregistrée dans 16 de nos plus grandes villes.

Dans l’ensemble, selon les données déclarées par la police, les crimes commis à l’aide d’une arme à feu représentent un problème à la fois urbain et rural. Depuis 2013, les homicides attribuables à des gangs dans nos plus grandes villes ont presque doublé et des augmentations de vols d’arme à feu ont aussi été observées depuis 2013. Bien que nous disposions de beaucoup de renseignements au sujet des crimes qui sont commis à l’aide d’une arme à feu, il reste encore d’importantes lacunes à combler, plus particulièrement pour ce qui est de l’origine de ces armes et de la présence d’un lien avec le crime organisé.

Passons à la troisième diapositive. Avant d’examiner de près les crimes commis avec une arme à feu, il est nécessaire de clarifier la définition de crimes violents liés aux armes à feu que nous utilisons à Statistique Canada. Il s’agit des infractions violentes répertoriées au Code criminel et pour lesquelles une arme à feu a été utilisée ou utilisée pour menacer et/ou lorsqu’une arme à feu était présente et n’a pas été utilisée, mais que sa présence était pertinente pour l’incident, selon ce qui est rapporté par la police.

Il est important de noter que cette définition a été élaborée en collaboration avec l’Association canadienne des chefs de police. En gardant cette définition à l’esprit, je voudrais souligner sur cette diapositive que, en général, les crimes liés aux armes à feu constituent un événement relativement rare. Plus précisément, les crimes violents commis avec une arme à feu déclarés par la police représentent moins de la moitié de 1 p. 100 de l’ensemble des crimes déclarés par la police au Canada. Les crimes violents représentent environ un cinquième de tous les crimes signalés à la police; on peut le voir sur la section rouge du camembert qui est situé à gauche au diagramme. Parmi ces crimes violents, 3 p. 100 impliquent une arme à feu; vous le verrez à la section rouge du camembert situé à droite du diagramme.

À la prochaine diapositive, je voudrais attirer votre attention sur les tendances des taux de crimes violents, lesquels sont illustrés en bleu sur le diagramme, et sur le taux de crimes violents liés aux armes à feu, lesquels sont illustrés en vert sur le diagramme. Alors que le taux de crimes violents est resté relativement stable au cours des quatre dernières années, le taux de criminalité lié aux armes à feu, lui, a augmenté de 42 p. 100, ce qui représente deux tendances très différentes.

Avant 2013, le nombre de crimes commis avec une arme à feu était en baisse, une baisse de 33 p. 100 de 2009 à 2013. Vous verrez que nous sommes en mesure de fournir plus de détails qu’à partir de 2009, en raison de l’élargissement de la couverture du Programme de déclaration uniforme de la criminalité, qui s’est avérée plus complète à partir de cette année-là.

[Traduction]

À la diapositive no 5, lorsque vous examinez les données des services de police, vous pouvez constater qu’un certain nombre d’histoires différentes se dégagent, notamment en ce qui concerne les types d’armes à feu utilisés. Dans l’ensemble, les taux de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu sont plus élevés dans les Prairies et les territoires et ils sont sensiblement les mêmes entre les milieux urbains et ruraux.

En milieu urbain, plus des deux tiers des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu impliquent des armes de poing. En milieu urbain pour l’Ontario seulement, ces crimes comptaient pour plus des trois quarts.

Soit dit en passant, le nombre de crimes commis à l’aide d’une arme à feu à Toronto a doublé depuis 2013. Ce nombre a également augmenté à Ottawa, Hamilton et Windsor depuis cette année-là.

Si nous examinons maintenant les Prairies, nous constatons que les taux de crimes commis à l’aide d’une arme à feu en Saskatchewan étaient les plus élevés en 2017 et impliquaient surtout une carabine ou un fusil de chasse, comme c’est le cas dans la plupart des milieux ruraux au pays.

Sur la diapositive no 6, une carte montre les différences observées dans les crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu au pays. Le bleu foncé indique les zones où les taux sont les plus élevés. Les provinces affichant les taux les plus élevés sont la Saskatchewan et le Manitoba. Ce sont également les provinces qui enregistrent les taux de criminalité les plus élevés en général.

Prêtons davantage attention aux tendances, qui ne figurent pas sur ce graphique. Les régions qui connaissent une hausse des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu comprennent la Saskatchewan, avec une augmentation de 137 p. 100 depuis 2013, ou 500 victimes de plus, l’Ontario, où l’augmentation atteint 60 p. 100, soit 1 300 victimes de plus, ainsi que le Nouveau-Brunswick et le Manitoba. Il convient de souligner que l’on a observé des augmentations dans l’ensemble des provinces et territoires qui déclarent de tels cas entre 2013 et 2017, à l’exception de la Colombie-Britannique, qui a enregistré une diminution de 9 p. 100.

Malheureusement, ce graphique exclut les données pour la province de Québec, car la qualité et la couverture des données relatives à la présence ou à l’utilisation d’une arme à feu dans la perpétration d’un crime violent sont trop faibles.

Passons maintenant à la diapositive no 7, où ce graphique présente ces taux selon les grandes régions métropolitaines de recensement au pays, là encore à l’exclusion du Québec. Les taux illustrés ici reflètent la situation provinciale par rapport à la diapositive précédente, avec les taux les plus élevés de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu parmi les RMR de Winnipeg, Saskatoon, Regina, Hamilton et Toronto.

Au Canada, dans l’ensemble, trois crimes violents sur dix commis à l’aide d’une arme à feu se produisent à l’extérieur d’une grande ville. Rien qu’à Toronto, il y a eu plus de 2 000 victimes de tels crimes en 2017, soit 36 victimes pour 100 000 habitants.

Selon les données déclarées par les services de police, les taux globaux de criminalité sont plus élevés à l’extérieur des plus grandes villes du Canada. Cependant, ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de crimes commis à l’aide d’une arme à feu, où les taux sont plus similaires entre les milieux urbains et ruraux.

Sur la diapositive no 8, j’aimerais illustrer les types d’armes à feu utilisés lors de la perpétration de crimes violents à l’aide d’une arme à feu. En 2017, au Canada, 59 p. 100 de ces crimes ont été perpétrés à l’aide d’une arme de poing, et 18 p. 100, à l’aide d’une carabine ou d’un fusil de chasse; 6 p. 100 impliquaient une arme à feu automatique, une carabine à canon scié ou un fusil de chasse, et 17 p. 100, une arme similaire à une arme à feu ou un type inconnu d’arme à feu.

Ces proportions sont restées relativement constantes depuis 2009, où les armes de poing ont été utilisées dans 83 p. 100 des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu à Toronto, contre 52 p. 100 dans le reste du Canada, ce qui montre que le problème à Toronto est principalement lié aux armes de poing. Cela montre qu’il existe de grandes différences régionales dans ces chiffres.

En ce qui concerne la diapositive no 9, pendant que nous examinons à quel endroit ont eu lieu des infractions violentes commises à l’aide d’une arme à feu, je voudrais attirer votre attention sur les victimes touchées par ces infractions. En 2017, pour près de 6 victimes sur 10 de crimes commis à l’aide d’une arme à feu, l’auteur du crime était un étranger. Cela est très différent de la plupart des autres types de crimes, où l’accusé est généralement connu de la victime.

Depuis 2010, environ 60 p. 100 des victimes de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu impliquaient un étranger. En 2009, cette proportion était de 65 p. 100. La proportion de crimes violents liés aux armes à feu impliquant un étranger était la plus élevée en Ontario et au Manitoba.

En 2017, dans certaines provinces et certains territoires, nous avons constaté que, le plus souvent, l’accusé et la victime n’étaient pas des étrangers. À Terre-Neuve-et-Labrador, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, le crime était commis par une connaissance.

Au Nunavut, il s’agissait d’un membre de la famille autre que le conjoint. On a dénombré 582 victimes de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu où les personnes accusées étaient l’époux de la victime, le conjoint de fait, le petit ami ou la petite amie, soit 8 p. 100 de l’ensemble des victimes en 2017.

Voici maintenant la diapositive no 10. J’aimerais passer aux données sur les homicides commis par des gangs. Dans l’ensemble, l’augmentation récente des homicides est liée à un plus grand nombre d’homicides commis avec des armes à feu et d’homicides commis par des gangs. Depuis 2013, le nombre d’homicides liés aux gangs et impliquant tous les types d’armes dans nos grandes villes a presque doublé, passant de 65 à 131. Au cours de cette même période, la proportion des homicides commis à l’aide d’une arme à feu dans les grandes villes a presque doublé, allant jusqu’à 80 p. 100, principalement pour Toronto, Edmonton et Calgary. Au Canada, dans la vaste majorité des homicides liés à des gangs, 87 p. 100 impliquaient une arme à feu, généralement une arme de poing.

Sur la diapositive no 11, j’aimerais attirer votre attention sur les armes à feu déclarées volées. Un élément d’information contextuel est intéressant : depuis 2010, le nombre d’introductions par effraction dans le pays a diminué de 25 p. 100. Au cours de la même période, les introductions par effraction pour voler une arme à feu ont augmenté de 94 p. 100, et les introductions par effraction dans un véhicule moteur pour voler une arme à feu, de 25 p. 100.

En 2017, on a recensé 3 600 incidents où la police a signalé qu’une arme à feu faisait partie des biens volés. Bien que ce taux ait augmenté de 7,5 p. 100 depuis 2013, il est revenu au niveau enregistré en 2009.

Un incident sur dix où une arme à feu avait été volée impliquait une arme à autorisation restreinte, soit une arme à feu devant être enregistrée conformément à la loi, définie comme une arme à autorisation restreinte ou une arme à feu destinée, de par sa construction ou ses modifications, à permettre de tirer à l’aide d’une seule main; ces armes incluent les armes de poing. On peut certainement en conclure qu’il est très improbable que les propriétaires d’armes à feu illégales signalent le vol à la police. La plupart des incidents de vol d’une arme à feu concernaient des carabines, dans 60 p. 100 des cas, suivies par des fusils de chasse et d’autres armes à feu non mentionnées ci-dessus, comme des armes à air comprimé.

[Français]

Maintenant, à la diapositive no 12, en plus des données sur les armes à feu volées, nous avons des informations sur le nombre et le taux d’introductions par effraction pour voler une arme à feu. Nous avons déjà présenté les tendances dans la diapositive précédente. Dans ce tableau, vous noterez une augmentation significative du nombre d’introductions par effraction, au cours des dernières années, pour obtenir une arme à feu. Toutefois, au cours de la même période, nous avons assisté à une diminution du nombre d’infractions liées à un entreposage non sécurisé des armes à feu.

Passons maintenant à la diapositive no 13 pour conclure cette présentation. Il y a encore beaucoup d’éléments inconnus au sujet des crimes commis à l’aide d’une arme à feu. Avant de conclure, j’aimerais porter à votre attention des éléments importants qui font figure de lacunes statistiques au Canada en matière de crimes liés aux armes à feu. Il est à propos de souligner que des efforts continuent d’être déployés, de concert avec les services policiers, les ministères de la Sécurité publique provinciaux et des comités de la statistique auxquels siègent nos nombreux partenaires, afin d’apporter des améliorations aux programmes statistiques existants, notamment au Programme de déclaration uniforme de la criminalité, et pour explorer d’autres pistes de données qui pourraient s’avérer pertinentes. Nous ignorons toujours l’origine des armes utilisées dans les crimes commis à l’aide d’une arme à feu au Canada. Est-ce qu’elles viennent du Canada ou des États-Unis? Ont-elles été volées de quelqu’un qui les possédait légalement ou illégalement? Ont-elles été importées ou achetées légalement? Nous ignorons ces faits. Nous ignorons aussi l’existence d’un lien entre les crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu et le crime organisé. En fait, nous ignorons aussi l’implication du crime organisé dans les autres types de crime, et pas seulement les crimes violents liés aux armes à feu. C’est une question que nous avons explorée en profondeur à partir d’une enquête menée auprès de certains corps policiers. Nous avons rédigé un ensemble de recommandations, qui ont été endossées par l’Association canadienne des chefs de police. Ces recommandations nécessitent une quantité non négligeable de ressources, et nous travaillons présentement à les mettre en œuvre.

En ce qui concerne l’origine et les caractéristiques des armes à feu et des fusillades, Statistique Canada collabore actuellement avec Sécurité publique Canada à un projet visant à évaluer la possibilité de recueillir des informations supplémentaires sur les armes à feu. Les consultations avec les universitaires, les services frontaliers, les services de police et d’autres intervenants sont complètes. Nous analysons présentement les possibilités et les limites des données existantes sur les armes à feu. Nous formulerons, dans un avenir rapproché, des recommandations sur les actions à prendre pour poursuivre la collecte de données sur les armes à feu dans le cadre de ce projet.

Sur ce, je conclus ma présentation. Nous pouvons maintenant passer à la période des questions.

Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Merci. Je rappelle aux sénateurs de bien vouloir se limiter à une question et à une question complémentaire afin que tout le monde puisse intervenir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’avais trois questions. Je vais choisir celles qui m’intéressent le plus. Comment faites-vous pour en venir à la conclusion qu’une introduction par effraction a été commise pour voler une arme à feu? Il se produit beaucoup d’introductions par effraction. Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’une introduction par effraction en particulier a été commise spécifiquement pour voler une arme à feu?

M. Clermont : Il existe une façon, dans le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, d’obtenir des informations pour savoir si une arme à feu a été volée lors d’une introduction par infraction et aurait pu être utilisée, par exemple, pour voler des bijoux ou de l’argent. S’il y a eu vol d’arme à feu, on collige l’information spécifique à cet incident.

Le sénateur Dagenais : Je suis un ancien policier et j’ai souvent couvert des vols par effraction. Les gens volaient des appareils technologiques, des télévisions et des bijoux. S’ils trouvaient une arme, ils la prenaient. On ne peut pas dire qu’ils volaient spécifiquement dans le but de voler une arme à feu. Comme vous l’avez mentionné, ce pouvait être pour voler bien d’autres choses. Est-ce que cela ne vient pas fausser les statistiques?

M. Clermont : Les statistiques disent qu’une arme à feu a été volée lors d’une introduction par effraction, et non que l’intention initiale était de voler une arme à feu.

Le sénateur Dagenais : Merci. Je me limite donc à ma question.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je serai bref également et je poserai une question complémentaire.

Ma question a trait à une chose que le sénateur Pratte a dite lorsqu’il a présenté le projet de loi. Le sénateur Pratte a déclaré à maintes reprises que, selon les données fournies par Statistique Canada au cours des 10 dernières années, pas moins de 169 homicides par arme à feu ont été commis par des propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis. Ils n’ont pas été accusés, mais ils ont été emprisonnés. Pourriez-vous vérifier si ce nombre est exact?

M. Clermont : Nous le ferons. Je ne peux pas confirmer pour l’instant si ce chiffre est exact, mais nous pouvons chercher pendant que nous essayons de répondre à d’autres parties de cette question.

Le sénateur Plett : En faisant la promotion de ce projet de loi, le gouvernement et le sénateur Pratte, qui représente le gouvernement, ont utilisé 2013 comme année de base pour examiner les statistiques relatives aux crimes commis à l’aide d’une arme à feu.

J’estime que ce choix est très suspect, car nous savons que, en 2013, la criminologue de l’Université d’Ottawa Holly Johnson, qui se spécialise dans la méthodologie des mesures du crime et qui a supervisé des sondages sur la violence et le crime pour Statistique Canada et les Nations Unies, a dit :

Je ne comprends pas le motif ou le raisonnement derrière ce choix méthodologique. Il est toutefois certain que le fait de choisir le plus bas taux en plusieurs décennies porterait à croire qu’il existe une raison derrière ce geste, qu’on essaie de faire passer un message [...] quelques années ne font pas une tendance.

Êtes-vous d’accord avec la déclaration de Mme Johnson?

M. Clermont : Permettez-moi de situer cette information en contexte.

Le sénateur Plett : C’est moi le politicien, pas vous.

M. Clermont : Je conviens que quelques chiffres ne suffisent pas pour décrire une tendance. C’est pourquoi nous attendons un certain nombre d’années avant de tirer des conclusions. Lorsque cette première déclaration a été faite, nous n’avions que trois années de données pour lesquelles il y avait eu trois années d’augmentation.

Nous en sommes maintenant à quatre années. La semaine dernière, je me trouvais au Service de police de Toronto, et nous n’avons pas encore ces statistiques, car nous devons attendre de compiler toutes les statistiques de tous les services de police au pays avant de pouvoir dresser tous les tableaux pour le pays. Toutefois, nous savons que la région de Toronto a connu une hausse du nombre de fusillades en 2018. Aujourd’hui, ce nombre est encore plus élevé.

Le sénateur Plett : Des armes enregistrées conformément à la loi.

M. Clermont : Je ne saurais le dire, car nous n’avons pas encore les chiffres exacts pour faire cette distinction.

Notre travail consiste à présenter les statistiques relatives aux tendances à court et à long termes. En tant que nation, nous analysons nos statistiques sur la criminalité chaque année, en juillet, et nous examinons les tendances qui se dessinent dans nos statistiques sur les homicides chaque année, en novembre. Nous accordons plus d’attention à leur analyse, comme nous le faisons pour les données sur le PIB ou le chômage, où les mouvements à court terme des données sont importants pour décrire les phénomènes conjoncturels tandis que, à long terme, nous examinons un changement structurel dans la société ou des choses du genre. Nous devons examiner les deux. C’est ce que nous fournissons aux utilisateurs de statistiques, qui peuvent ensuite tirer leurs propres conclusions.

Le sénateur Pratte : Je devrais d’abord préciser que je n’ai pas répété cela. Je l’ai dit une fois. Ce que j’aurais dû dire, c’est que ces personnes étaient des accusés ou des suspects.

Le sénateur Plett : C’est très important.

Le sénateur Pratte : Le nombre a maintenant atteint 193. Les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis ne sont pas tous des criminels, bien sûr que non. Ils sont, en grande majorité, de bons citoyens respectueux des lois, mais il existe des exceptions, et celles-ci sont tragiques.

[Français]

Monsieur Clermont, vous avez souligné, dans votre rapport sur les homicides et la violence, l’importance des actions des gangs criminels. Cependant, nous savons que le nombre d’homicides qui ne sont pas liés à des gangs de rue a également augmenté depuis 2013, et même depuis 2010; ils ont augmenté de 60 p. 100. Nous savons aussi que le taux d’homicides dans les régions rurales où les gangs sont moins présents est plus élevé que dans les villes et qu’il a également augmenté de manière importante.

Qu’avez-vous comme information sur ces nombreux homicides qui ne sont pas liés à des gangs ou qui sont commis en région rurale, où les gangs sont beaucoup moins présents que dans nos grandes villes?

M. Clermont : Tout d’abord, sur le portrait statistique de l’implication des armes à feu pour commettre un homicide, on retrouve différentes histoires selon la région du pays.

Par exemple, en Saskatchewan, la plupart des armes utilisées pour commettre un homicide sont des carabines ou des fusils de chasse, tandis que, dans les centres urbains comme Toronto, il y a eu une augmentation assez radicale du nombre d’homicides liés aux armes à feu au cours de la période plus récente. Cette augmentation est essentiellement attribuable à l’utilisation des armes de poing.

Il y a certaines différences régionales quant aux statistiques sur les armes à feu qui ont trait aux homicides. On est en mesure de déterminer que les homicides sont à la fois liés au crime organisé et à l’utilisation d’une arme pour ce qui est des homicides qui sont commis avec une arme à feu et que tout cela est lié à l’augmentation de la criminalité qu’on retrouve un peu partout au pays. Il y a donc aussi une augmentation liée au crime organisé, surtout dans la région de Toronto, par exemple. Ce n’est donc pas sorcier d’associer les augmentations récentes des homicides commis par arme à feu qui ont été observées dans la région de Toronto avec l’augmentation qui est liée au crime organisé.

Le sénateur Pratte : Certains chercheurs ont établi une statistique selon laquelle le taux d’homicides chez les détenteurs de permis d’arme à feu est moins élevé que celui des Canadiens en général. Nous avons des chiffres, qui sont de 0,60 pour les propriétaires de permis par rapport à 1,80 pour les Canadiens en général. Est-ce une comparaison valable? Avons-nous les statistiques nécessaires pour faire cette comparaison?

M. Clermont : Ce n’est habituellement pas notre rôle de commenter les méthodes d’autres chercheurs qui utilisent nos données pour dresser un portrait statistique. Cependant, si on nous demandait d’établir de telles comparaisons, il faudrait d’abord avoir des statistiques fiables sur les armes enregistrées et non enregistrées. On pourrait comparer les homicides commis par des détenteurs d’armes à feu enregistrées par rapport au nombre total de personnes qui possèdent des armes à feu enregistrées.

Un des problèmes que nous avons au niveau de la statistique, c’est que, pour environ 43 p. 100 des homicides, on n’est pas en mesure de trouver un suspect ou d’établir l’origine de l’arme à feu. Lorsqu’on a les armes à feu, il existe un pourcentage important de cas où l’on n’est pas en mesure d’établir le statut légal de l’arme, c’est-à-dire si elle est enregistrée ou pas. Donc, établir des pourcentages à partir de données où le numérateur est inconnu dans un bon nombre de cas peut mener à des estimations biaisées. Nous ne sommes pas en mesure de le faire.

Le sénateur Pratte : Je comprends qu’on n’a pas les statistiques requises pour le faire.

[Traduction]

La présidente : Je vous demande de garder vos questions et réponses concises.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Clermont, de votre présentation. Ma question touche la définition de crimes liés aux armes à feu.

Quelle est la définition des crimes commis à l’aide d’une arme à feu que retient Statistique Canada? Par exemple, une arme à feu doit-elle être utilisée dans la perpétration d’un crime pour que l’affaire soit considérée comme un crime commis à l’aide d’une arme à feu, ou sa présence sur les lieux du crime suffit-elle pour que l’affaire soit considérée comme un crime commis à l’aide d’une arme à feu? La définition des crimes commis à l’aide d’une arme à feu de Statistique Canada est-elle retenue universellement par les forces policières au Canada?

M. Clermont : C’est certainement une définition qui est reconnue ici au pays et qui est approuvée par l’Association canadienne des chefs de police. Nous l’avons conçue en partenariat avec eux. J’aimerais ajouter que, d’entrée de jeu, lorsque nous avons présenté la diapositive no 3, on a justement donné la définition d’un crime de violence lié aux armes à feu, et on a dit qu’il s’agissait des infractions répertoriées au Code criminel pour lesquelles une arme à feu a été utilisée ou utilisée pour menacer. Lorsque cette arme à feu était présente, mais n’avait pas été utilisée, on disait qu’il fallait que sa présence soit pertinente à la commission de l’incident ou jugée comme ayant un effet menaçant. Ce sont les policiers qui jugent s’ils peuvent vraiment déterminer si le crime était lié à l’utilisation d’une arme à feu, une utilisation explique ou implicite. Ce que je pourrais dire, c’est que si, dans un ménage, il y avait présence d’une arme à feu qui était en entreposage ou qui n’avait pas du tout été utilisée ou visible lors de la perpétration de l’incident, ce dernier ne pourrait pas être répertorié comme étant lié aux armes à feu.

Le sénateur McIntyre : Merci.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Clermont, ainsi qu’à vos collaborateurs. Dans la diapositive no 9, où on parle de victimes dans le contexte de la violence conjugale, on parle ici de meurtres ou de victimes de tous les horizons?

M. Clermont : On parle de victimes de tous les horizons, de crimes de violence.

Le sénateur Boisvenu : Vous ne faites pas de distinction entre les meurtres et les blessures mineures subies avec une arme à feu?

M. Clermont : Pas sur cette diapositive-ci, mais on pourrait vous trouver ce chiffre.

Le sénateur Boisvenu : Je l’apprécierais. Également, est-ce que ce chiffre de 8 p. 100 est stable depuis 2010, ou y a-t-il une croissance ou une décroissance?

M. Clermont : C’est à confirmer aussi, mais je pourrai le faire plus tard.

Le sénateur Boisvenu : Je l’apprécierais. Je regardais ce qui se passe dans certaines grandes villes du Canada, et j’observe pour Calgary une chute remarquable et remarquée du nombre de crimes commis avec une arme à feu entre 2014, 2015 et 2017. Est-ce que vous avez fait une analyse sur les causes de ceci ou sur les moyens que ces villes ont pris pour voir une décroissance si marquée? À Calgary, c’est remarquable, ou plutôt à Edmonton.

M. Clermont : Oui, parce que Calgary, les chiffres sont à la hausse. En fait, lorsqu’on observe des variations importantes au niveau de la criminalité, que ce soit pour d’autres crimes ou des homicides, on interroge toujours les corps policiers pour savoir ce qui est survenu, on essaie de valider les données et de comprendre. Dans le cas précis d’Edmonton, je ne pourrais pas vous dire exactement ce qui est arrivé. Encore une fois, j’aimerais pouvoir retourner au bureau, mais on peut certainement contacter nos partenaires à la police d’Edmonton et demander si des démarches ont été entreprises ou si des choses ont été mises en place qui ont permis de faire diminuer le taux parce que, effectivement, il y a une diminution importante.

Le sénateur Boisvenu : Ce serait intéressant de le savoir pour Edmonton et pour Vancouver, où il y a une chute assez marquée pour la même époque. Vos données ont été puisées dans Juristat, n’est-ce pas?

M. Clermont : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Pourquoi le Québec n’inscrit-il pas ses données en matière de crimes commis avec des armes à feu dans le système national?

M. Clermont : Ils le font, mais la compilation des données pour le Québec est centralisée au ministère de la Sécurité publique, et les données sont colligées dans le module d’information policière de la Sûreté du Québec. Ce sont eux qui centralisent la collecte. C’est une entente qu’on a avec le gouvernement du Québec pour la transmission des données, alors que, dans le reste du pays, il y a une interaction d’un à un avec les corps policiers. Au Québec, une centralisation s’effectue. Pour ce qui est de la question des données qui nous permettent de définir si un crime est lié à une arme à feu ou non, il y a trop souvent des données manquantes, ce qui peut faire douter de leur qualité. On travaille actuellement avec le ministère de la Sécurité publique et la Sûreté du Québec afin de pallier le problème et, aux dernières nouvelles, ils travaillent sur les données de 2018 pour la prochaine mouture, qui sera diffusée en juillet 2019.

Le sénateur Boisvenu : Est-il vrai de dire qu’encore à ce jour certains corps policiers n’inscrivent pas leurs données en matière de criminalité dans le système?

M. Clermont : La couverture est excellente. Je ne pourrais pas, par contre, vous donner le chiffre exact. C’est une question sur la présence d’une arme à feu lors de la commission d’un crime avec violence, c’est une question de qualité pour cet élément en particulier. Cependant, en général, les données sont de qualité raisonnable ou d’excellente qualité et on a une extrêmement bonne couverture. À l’échelle du pays, la couverture est de 99 p. 100. Donc, je ne vois pas comment elle pourrait être plus faible au Québec.

Le sénateur Boisvenu : Le fait qu’il manque le Québec signifie qu’il y a un gros morceau qui manque.

M. Clermont : Oui.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Permettez-moi de remercier tous les membres de Statistique Canada de leur présence ici aujourd’hui et de leur travail continu, qui nous aide à prendre des décisions fondées sur des données probantes. Nous l’apprécions énormément.

Il semble que nous en sachions beaucoup sur ce qui se passe dans nos villes, mais le taux d’homicides est de 16 p. 100 plus élevé dans le Canada rural que dans le Canada urbain, et il a augmenté d’environ 60 p. 100 en 2017.

Ma question consiste à essayer de mieux comprendre ce que nous savons des homicides et des suicides en dehors des villes, dans des régions rurales ou isolées. Dans les régions rurales du Canada, les taux d’homicides liés aux armes à feu en milieu rural les plus élevés en 2017 ont été enregistrés en Alberta, au Manitoba, ma propre province, et en Nouvelle-Écosse. S’agit-il d’une nouveauté ou les taux sont-ils toujours plus élevés en région rurale?

Lorsque nous examinons les homicides liés aux gangs en milieu urbain, il s’agit évidemment d’une donnée très troublante et très importante pour nous, mais qu’en est-il du nombre d’homicides non liés à un gang qui impliquent une arme à feu? Nous constatons une augmentation de plus de 60 p. 100 à cet égard.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les homicides commis à l’aide d’une arme à feu qui ne sont pas attribuables à des gangs? Ai-je raison lorsque je crois comprendre que la violence attribuable à des gangs impliquant des armes à feu se produit presque entièrement dans nos centres urbains?

La dernière partie de ma question porte sur l’analyse comparative entre les sexes de tout ce que vous nous communiquez, avec un intérêt particulier pour les régions rurales et isolées de notre pays.

M. Clermont : Vous avez posé quelques questions, madame la sénatrice.

La sénatrice McPhedran : Qui ont un thème commun.

M. Clermont : Je demanderai l’aide de mes collègues. Malheureusement, nous n’avons pas de données selon les régions urbaines ou rurales. Nous en avons seulement pour l’ensemble du pays, et les chiffres sont plutôt stables. Cela ne bouge pas vraiment. Ce que nous savons au sujet des suicides, c’est que les armes à feu ne sont pas utilisées autant que d’autres moyens pour se suicider. C’est ce que nous avons constaté.

Il est vrai qu’une grande partie de l’augmentation des homicides commis à l’aide d’une arme à feu a été constatée principalement à Toronto et dans les grandes villes. Toronto est responsable de l’augmentation du nombre de ces homicides au pays dans une proportion de 42 p. 100.

Oui, les gangs jouent un rôle important, mais vous avez également demandé si le Manitoba, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse ont toujours été dans cette situation ou si la tendance a été stable au fil du temps. Je peux vous dire que, généralement, les taux de criminalité fluctuent ou augmentent d’est en ouest. Lorsque nous allons dans les Prairies, en particulier au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, nous retrouvons des taux de criminalité plus élevés et, par conséquent, des taux plus élevés de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu. Il n’y a rien de nouveau à cet égard. Ce qui est nouveau, c’est la tendance récente que nous observons non seulement à Toronto, mais également dans des régions du Manitoba et de la Saskatchewan.

Kathy AuCoin, directrice adjointe, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : En ce qui concerne l’analyse comparative entre les sexes en milieu rural, j’ajouterai que nous pouvons envoyer une publication sur la violence conjugale, selon les hommes et les femmes, et la répartition urbaine et rurale selon la province.

Je pense que cela répondrait à certaines de vos questions. Nous n’avons tout simplement pas les données avec nous aujourd’hui.

La sénatrice McPhedran : Toute analyse que vous pourriez offrir concernant ces données serait également très appréciée.

Le sénateur C. Deacon : Je suis heureux de pouvoir poser une question. La diapositive no 8 m’intéresse. Selon la plupart des services policiers, les crimes violents impliquent des armes de poing. Je veux approfondir un peu la question, car ce qui me frappe, c’est que 59 p. 100 impliquent des armes de poing, et 6 p. 100, des armes à feu automatiques ou des fusils de chasse à canon scié.

Environ les deux tiers des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu concernent des armes qui exigeront une autorisation de transport en tant qu’arme enregistrée, avec un propriétaire qui décide d’obtenir un permis pour cette arme et de l’enregistrer.

En ce qui concerne le nombre de propriétaires, je suis intéressé par le nombre d’armes dans le pays. Évidemment, vous ne devriez jamais faire de supposition quand il s’agit de ces choses, mais il me semble qu’il y a probablement bien plus d’armes de poing qui sont utilisées dans des crimes violents au pays que de carabines ou de fusils de chasse.

Ces chiffres seraient très intéressants pour nous, car c’est l’une des choses que je remarque dans les préoccupations énoncées au sujet de ce projet de loi et de ses restrictions. En tant que personne qui ne possède ni arme de poing ni arme automatique, je pense que c’est raisonnable. Il s’agit d’un élément de données intéressant qui permet de savoir à quoi ressemblent ces chiffres par rapport au nombre d’armes enregistrées connues au pays.

Pourriez-vous nous fournir ces données au fil du temps pour que nous puissions voir si une tendance s’en dégage ou non? Le sénateur Plett était préoccupé par le choix de 2013 comme point de comparaison, mais il me semble que la tendance s’est inversée cette année-là. Ces tendances revêtent une importance à mes yeux, pour diverses raisons.

Sommes-nous en train de choisir un point de référence ou assistons-nous à un renversement de tendance? J’aimerais en savoir davantage sur ces données, car je pense qu’elles sont fondamentales pour qui veut comprendre l’importance des éléments clés de cette législation. Avez-vous une partie de ces données avec vous ou devrez-vous nous les communiquer par la suite?

M. Clermont : Je pourrais peut-être commencer par votre dernière déclaration au sujet de 2013. J’ai déjà entendu dire que 2013 représentait une valeur aberrante. Ce n’est pas une valeur aberrante. C’est un point d’inflexion, ce qui est très différent sur le plan statistique.

Il y a un renversement de tendance. Nous disposons de suffisamment de données pour établir et confirmer qu’il y avait eu un renversement de tendance à court terme. Avions-nous atteint les niveaux que nous avions enregistrés pendant la période de pointe? Pas encore, mais il y a un renversement de tendance. Nous sommes des statisticiens. Nous fournissons des renseignements. C’est à vous de déterminer s’il s’agit d’un niveau élevé, faible ou de quelque chose qui devrait vous inquiéter.

Pour ce qui est de la possession et de la disponibilité d’armes de poing ou de carabines au sein de la population et de l’utilisation de carabines pour commettre un crime, ce que vous décrivez semble être une façon raisonnable de voir les choses. Malheureusement, le seul dénominateur dont nous disposons est le nombre d’armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte qui sont enregistrées par l’entremise de la GRC. Nous ne connaissons pas le nombre d’armes à feu qui ne sont pas enregistrées, car il n’existe pas de registre pour les carabines. C’est impossible à reproduire. M. Cotter veut peut-être ajouter quelque chose.

Le sénateur C. Deacon : Vous pourriez éventuellement examiner l’évolution des choses. Ce serait très intéressant.

Adam Cotter, analyste, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : J’ai ces chiffres sous les yeux. Comme M. Clermont l’a mentionné, cette tendance est constante depuis 2009. La proportion de crimes commis à l’aide d’armes de poing était à son niveau le plus bas en 2010, à 56 p. 100. Un sommet a été atteint en 2009, à 63 p. 100. Cela correspond à 6 crimes sur 10 pour chacune des années que nous sommes en mesure de couvrir.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Monsieur Clermont, je comprends que Statistique Canada ne recueille pas des données sur les armes illicites, c’est-à-dire l’origine de ces armes et le statut légal ou illégal d’une arme utilisée dans un crime commis à l’aide d’une arme à feu. Selon vous, comment ces données sont-elles recueillies?

M. Clermont : C’est exactement ce que nous tentons d’établir avec l’étude de faisabilité que nous menons actuellement avec le ministère de la Sécurité publique. On a mené bon nombre de consultations avec les universitaires et les corps policiers. Le Comité sur l’information et les statistiques policières est rattaché à l’Association canadienne des chefs de police. On l’appelle le comité POLIS et on travaille actuellement avec tous ces acteurs afin de déterminer comment on pourrait obtenir des informations relatives à l’origine des armes à feu et la possibilité de recueillir ces informations. Selon les conclusions de l’étude de faisabilité, nous allons probablement réviser les éléments de données du Programme de déclaration uniforme de la criminalité afin d’augmenter les informations relatives à l’origine des armes à feu, à savoir si elles sont enregistrées, notamment. Nous savons, par contre, que plus le crime est grave, plus il y a des éléments d’enquête qui nous permettent de déterminer, par exemple, l’origine des armes à feu. Étant donné l’importance de cette donnée et le fait que la plupart des crimes graves sont commis à l’aide d’une arme à feu, il est possible qu’on arrive à des conclusions favorables en augmentant la couverture de l’enquête en termes de contenu. C’est à suivre, car on ne le sait pas en ce moment.

[Traduction]

La présidente : Je remercie infiniment nos témoins. C’était très utile. Nous regrettons d’avoir un peu tardé à vous inviter, mais nous vous sommes reconnaissants de votre présence ici.

Nous allons maintenant écouter un exposé de Wendy Cukier, présidente, Coalition pour le contrôle des armes à feu, Najma Ahmed, des Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu, et Alison Irons, à titre personnel.

Bienvenue à vous toutes.

Wendy Cukier, présidente, Coalition pour le contrôle des armes à feu : Merci de nous accorder du temps pour discuter du projet de loi C-71. J’ai distribué un mémoire, mais, à la lumière des conversations, il y a peut-être d’autres renseignements supplémentaires que j’aimerais fournir après ce court exposé.

De notre point de vue, le projet de loi C-71 est un important pas en avant. Il renverse certaines mesures prises qui ont affaibli le régime de contrôle des armes à feu au Canada. Nous appuyons le projet de loi tel qu’il est rédigé. Nous aimerions proposer deux ou trois amendements, qui portent précisément sur les autorisations de transport de même que les contrôles sur la vente d’armes à feu sans restriction.

Après avoir écouté la conversation plus tôt, je constate que beaucoup d’éléments que nous espérions présenter ont déjà été abordés par les représentants de Statistique Canada. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais je vais seulement insister sur le fait que la Coalition pour le contrôle des armes à feu aborde le problème de la violence liée aux armes à feu du point de vue de la santé publique. Nous sommes préoccupés par la violence des gangs dans les centres urbains, mais également par les problèmes concernant la violence faite aux femmes, le suicide, les blessures non intentionnelles, particulièrement celles qui touchent les enfants, et la violence politique croissante. Comme nous l’avons vu, les armes à feu entre les mains de personnes haineuses peuvent avoir de terribles conséquences.

L’approche que nous utilisons pour gérer le problème du contrôle des armes à feu consiste à regarder les multiples facettes du problème. De la même façon, pour reprendre certains des commentaires que vous avez entendus plus tôt aujourd’hui, il n’existe pas de panacée. Il n’y a pas de solutions simples aux problèmes complexes. D’après l’approche de santé publique, il faut s’attaquer aux causes fondamentales de la violence. Qu’il soit question de quartiers à faible revenu dans les centres urbains ou de collectivités autochtones ou rurales où il y a des problèmes, nous devons régler le problème à la source. Nous devons nous pencher sur l’application de la loi et le traitement. Nous savons que le cycle de victimisation se perpétue si nous n’intervenons pas de manière appropriée.

Parallèlement, les données probantes sont pour le moins convaincantes à l’échelle mondiale. Nous devons nous pencher sur les instruments de violence. L’Organisation mondiale de la Santé a été très claire dans sa politique de prévention de la violence quant au fait qu’il faut s’assurer que les stratégies exhaustives contiennent des mesures touchant l’accessibilité des armes à feu, et ce, qu’il soit question de violence faite aux femmes, de prévention du suicide, de violence urbaine ou de violence politique.

Je ne vais pas répéter les commentaires qui ont été formulés plus tôt. Je pense que les Canadiens éprouvent un faux sentiment de sécurité en faisant preuve de complaisance, convaincus que le Canada est plus sécuritaire que les États-Unis. Le Canada l’est, c’est certain, mais lorsqu’on examine la situation à l’échelle planétaire, on ne fait plus aussi bonne figure. En fait, parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, nous nous classons au quatrième rang pour ce qui est du taux de mortalité liée aux armes à feu.

Nous avons rapidement compilé les données du tableau 1 pour montrer l’une des plus grandes différences expliquant les taux d’homicides. Si on compare le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie et le Canada, les niveaux de violence ne sont pas différents de manière générale. Ce qui varie, c’est l’accessibilité des armes à feu. Si on regarde la violence sans arme à feu et qu’on compare ces pays, on constate que les taux sont comparables. Puis, si on ajoute les armes à feu dans l’équation, on remarque d’immenses différences. Le Royaume-Uni, qui compte 60 millions d’habitants, a recensé 27 meurtres par arme à feu l’année dernière.

Dans le même ordre d’idées, malgré certains des commentaires qui ont été formulés, de nombreuses études ont démontré que, au Canada, il y a une très forte corrélation entre l’accessibilité des armes à feu et les décès et les blessures liés aux armes à feu. On peut en débattre selon le type d’analyse utilisée, mais encore une fois, j’ai présenté des données de Statistique Canada.

De notre point de vue, le contrôle de l’accessibilité des armes à feu est une partie importante d’une stratégie exhaustive. On discute beaucoup de la provenance des armes à feu qui ont été utilisées dans des cas d’homicides, de suicides, de violence conjugale et ainsi de suite. La réponse est différente. La majorité des policiers au pays tués par une arme à feu sont tués par des carabines ou des fusils de chasse dûment enregistrés dans les collectivités rurales. La majorité des femmes tuées par une arme à feu au Canada sont tuées par des carabines ou des fusils de chasse appartenant à des propriétaires légitimes. La majorité des suicides au Canada sont commis à l’aide de carabines ou de fusils de chasse détenus légalement.

En revanche, les données sont très convaincantes lorsqu’on se penche sur le mauvais usage des armes de poing. J’espère qu’en répondant à vos questions, j’aurai la possibilité d’expliquer ce point. Si on regarde les récents décès survenus à Toronto, nous savons que la moitié des armes à feu retracées qui ont été utilisées pour commettre ces crimes provenaient du Canada. C’est une augmentation par rapport aux années précédentes. Un certain nombre d’études ont été publiées, y compris celle que j’ai publiée dans le Journal of Criminology and Criminal Justice.

Comme je l’ai dit, nous recommandons deux amendements. Nous appuyons le projet de loi. Le premier amendement vise à restaurer les autorisations strictes de transport. Les armes à feu à autorisation restreinte et les armes à feu prohibées sont censées être à autorisation restreinte et prohibées. Selon nous, elles ne le sont plus. Le fait que le nombre d’armes à feu à autorisation restreinte et prohibées soit passé de quelque 350 000 en 2004 à plus de un million indique clairement que nous avons un problème, particulièrement lorsqu’on regarde certains des incidents impliquant des armes à feu légales et qu’on tient compte du détournement des armes vendues sur les marchés licites vers les marchés illicites.

Nous demandons l’élimination de la disposition prévoyant que les autorisations de transport s’appliquent à l’ensemble de la province où réside le propriétaire. Parallèlement, nous demandons que les dispositions de 1977, ou d’il y a 40 ans, concernant le registre et l’inventaire des carabines et des fusils de chasse soient rétablies. Les policiers pourraient ainsi accéder facilement à ces registres à des fins de traçabilité.

Nous voulons également appuyer certains des commentaires qui ont été formulés plus tôt au sujet des clauses de non-dérogation qui devaient être respectées dans ce projet de loi et de la reconnaissance des droits ancestraux et issus de traités. Cela est vraiment important, particulièrement en ce qui concerne la réglementation des carabines et des fusils de chasse et la gestion de la délivrance des permis. Les armes de poing et les armes d’assaut ne sont pas utilisées pour la chasse. Par conséquent, nous sommes d’avis que les droits ancestraux et issus de traités ont moins de pertinence à l’égard de ces enjeux.

Nous sommes ravis de parler davantage d’un certain nombre d’autres mesures. L’une d’elles concerne la nécessité d’une meilleure tenue des registres. En plus des dispositions législatives qui se détériorent, nous avons observé une très grande érosion au chapitre de l’application de la loi et de la gestion du programme des armes à feu. Nombre des initiatives qui ont été mises en place pour répondre à nos obligations en vertu du droit international de combattre le commerce illicite des armes à feu ont été éliminées. Les programmes soutenant le traçage et les inspections, entre autres, se sont détériorés.

Je vais m’arrêter ici.

Dre Najma Ahmed, Les Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu : Je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter de l’importante question des préjudices, des blessures et des décès évitables liés aux armes à feu.

Permettez-moi de dire que je souscris tout à fait aux commentaires que ma collègue, Wendy Cukier, a formulés ce soir. Je suis ici avec mes collègues, les Drs Berger, Maggi, Drummond et Wilson.

Certains de vous me connaissent comme la médecin qui était de garde le soir de la fusillade de l’avenue Danforth, où 16 personnes ont été touchées par balle, dont trois ont succombé à leurs blessures. Toutefois, j’aimerais vous parler d’une histoire beaucoup plus commune, une histoire qui se déroule dans les hôpitaux à l’échelle du pays, jour après jour, nuit après nuit.

Mercredi dernier, j’ai annoncé à une femme que sa fille âgée de 25 ans était décédée. Elle avait été abattue par son partenaire. C’est la balle qui a traversé son cerveau par derrière qui a causé la blessure fatale. Une fillette âgée de neuf mois était assise sur les genoux de la grand-mère. C’était une tragédie évitable.

Le rapport canadien sur les fémicides indique que, en 2018, 148 femmes ont été tuées au Canada. La majorité des fémicides ont été commis à l’aide d’une arme à feu. Nous voyons de tout : des fémicides, des suicides, des homicides, des blessures et des coups de feu accidentels, nous voyons tous ces cas. Nous sommes les Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu. Nous estimons que c’est un privilège et une responsabilité de vous faire part de notre connaissance de la littérature médicale et de notre riche expérience.

De nombreux organismes professionnels canadiens du domaine médical affirment que la prévention des blessures causées par des armes à feu est une crise de santé publique urgente à régler et qu’une réglementation accrue sauvera des vies. Les données médicales et scientifiques appuient fermement les conclusions suivantes. Un plus grand accès à des armes à feu entraîne un plus grand nombre de blessures et de décès causés par des armes à feu. Le Canada peut faire mieux et plus pour éviter ces préjudices et ces tragédies.

C’est pourquoi nous appuyons le projet de loi C-71, qui est un petit pas dans cette direction. La documentation récente montre sans équivoque que les blessures, les homicides et les suicides par arme à feu sont plus fréquents dans les administrations et les pays où il y a plus d’armes à feu. Voici une petite partie des travaux de recherche que nous avons examinés pour en arriver à cette importante conclusion. Nombre d’entre vous connaissent les sources que je cite. Ce sont des ouvrages faisant autorité dans la communauté médicale: le Canadian Medical Association Journal, The New England Journal of Medicine, The Lancet et le British Medical Journal, pour n’en nommer que quelques-uns.

Une étude publiée en 2018 a comparé le taux de mortalité liée aux armes à feu dans 195 pays sur une période de 15 ans. En 2016, notre taux de mortalité liée aux armes à feu était environ de cinq à six fois inférieur à celui des États-Unis. Ce n’est pas tout. Par rapport au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Japon et à l’Australie, notre taux de mortalité liée aux armes à feu est huit fois supérieur à celui de ces pays comparables. Même si les lois sur les armes à feu du Canada sont plus rigoureuses que celles des États-Unis, il convient de noter que les mesures législatives relatives à la sécurité en matière d’armes à feu de ces pays comparables sont plus rigoureuses que les nôtres.

Depuis longtemps, les médecins orientent les politiques en matière de santé publique. Nous savons que la prévention primaire est la façon la plus efficace d’améliorer la santé des populations. Cela est vrai en ce qui concerne l’amiante, la nicotine et les vaccins. Il est aussi vrai que la diminution de la prolifération des armes à feu et de leur accès réduira les préjudices, les blessures et les décès causés par des armes a feu.

Notre position correspond à celle de la Société canadienne de pédiatrie. Elle a aussi fait valoir que les armes à feu ne devraient pas être conservées dans des maisons ou des environnements où vivent ou jouent des enfants. Nous savons que la présence d’une arme à feu dans une maison constitue un facteur de risque indépendant de blessures non intentionnelles et de suicide. Une étude de 2017 du Hospital for Sick Children a démontré que, sur une récente période de cinq ans, plus ou moins un enfant était blessé chaque jour en Ontario. Les suicides comptent pour 75 à 80 p. 100 des décès par arme à feu au Canada, et les centres ruraux sont surreprésentés.

Une étude de 2018 a montré que les pays où les lois sur les armes à feu sont plus rigoureuses et plus nombreuses affichent des taux plus bas de suicides causés par une arme à feu. Dans la vaste majorité des cas, les tentatives de suicide à l’aide d’une arme à feu entraînent la mort, alors que les taux de décès sont beaucoup plus faibles lorsque des méthodes moins violentes sont utilisées. Il convient aussi de noter que la majorité des gens qui survivent à une tentative de suicide ne mourront pas par suicide.

Un ensemble de données médicales internationales maintenant abondant montre que la réduction de l’accès à des armes à feu à l’aide d’une réglementation sauve des vies et diminue le nombre de blessures. D’autres pays ont agi. En Australie, comme vous le savez, il y a 20 ans, le gouvernement fédéral a réagi à la suite d’une fusillade et a mis en place une loi interdisant les carabines semi-automatiques. Depuis ce temps, il n’y a pas eu de fusillade sur le continent.

Au Canada, les politiques ont pris la direction opposée, et il n’y a pas eu de surprise quant aux résultats. Depuis 2013, seulement un an après l’érosion des dispositions législatives prévues par le projet de loi C-68, Statistique Canada a observé une augmentation marquée de la violence liée aux armes à feu.

Nous devons utiliser des approches de santé publique éprouvées pour diminuer le nombre de blessures et de décès causés par des armes à feu, et le projet de loi C-71 constitue un pas dans cette direction.

Les armes à feu sont le vecteur de cette crise de santé publique évitable. Elles sont la principale cause de cette épidémie. En tant que médecins, nous sommes témoins des pertes humaines causées par les armes à feu chez nos patients, leurs familles et leurs collectivités.

Dans ce dossier, notre seul intérêt est de préserver la vie et la longévité de nos citoyens. Notre témoignage est fondé sur l’expérience directe d’innombrables médecins et sur les meilleures données médicales disponibles. Nous vous demandons respectueusement de tenir compte de ces expériences et de ces données dans le cadre de vos délibérations.

Alison Irons, à titre personnel : Je suis la mère de Lindsay Margaret Wilson, qui, à l’âge de 26 ans, a été traquée et tuée à coup de fusil par son ex-ami de cœur le 5 avril 2013, à Bracebridge, en Ontario, deux semaines avant qu’elle termine son dernier semestre d’études à l’Université Nipissing. Son assassin s’est ensuite enlevé la vie avec la même arme.

D’après le pathologiste, ma délicate fille souffrait de lésions importantes au cœur et aux poumons. Son assassin savait ce qu’il faisait. En ma qualité d’ancienne agente de la GRC, je peux vous dire qu’il a visé le centre du corps, là où ses balles étaient le plus susceptibles de causer la mort. L’épaule droite de ma fille était fracturée, et cinq de ses côtes étaient réduites en miettes. Son avant-bras gauche était complètement fracturé et ne tenait qu’à un fil. Le pathologiste a parlé d’une avulsion de la plus grande partie de son avant-bras gauche, sans doute une blessure de défense. Elle avait des blessures par balle mineures à l’arrière de la tête, probablement parce que le premier coup l’a fait se retourner, et des marques de blessures sur la partie inférieure de son magnifique visage.

Je suis reconnaissante envers le personnel du bureau du pathologiste, qui a masqué ces blessures faciales avec du maquillage afin que je puisse donner un dernier baiser à ma fille.

Je n’ai pas d’excuses à vous présenter quant à tous ces détails explicites sur les blessures de ma fille. C’est ce qui arrive lorsqu’on laisse des armes à feu entre les mains des mauvaises personnes.

Ma fille a rencontré son assassin vers 2009 ou 2010. Il était charmant, éloquent, d’apparence soignée, et il chassait pour le plaisir. Il avait des explications plausibles quant à la raison pour laquelle un adulte comme lui vivait avec ses parents dans une magnifique maison et il ne semblait avoir aucune véritable perspective d’emploi ni source de revenu tangible.

Leur relation était exempte de toute violence, bien qu’il pouvait être contrôlant et manipulateur. Elle l’a laissé pour une première fois en 2011 lorsqu’elle l’a surpris à vendre de la drogue. Il a réussi à l’amadouer par la suite en lui promettant de changer, mais, un an plus tard, elle l’a encore surpris à vendre la drogue et elle l’a alors quitté pour de bon. Plus tard, elle a repris contact avec lui lorsqu’il a failli mourir de la méningite. En tant que spécialiste en soutien aux personnes handicapées, elle a tenté de l’aider à se rétablir, mais, avant Noël, les mêmes comportements contrôlants sont réapparus, puis elle a coupé tout contact avec lui. Il l’a traquée et assassinée trois mois plus tard.

Puisque j’ai été enquêteuse tout au long de ma carrière, j’ai voulu connaître le passé de cet homme. Il avait caché à ma fille qu’il avait été arrêté par la police en 2000 pour trafic de stupéfiants. Sept jours plus tard, il a enlevé, avec l’aide d’un complice, un homme à la suite d’une transaction de drogue qui a mal tourné, selon la police de Kingston. Ils ont amené l’homme dans une voiture et roulé sur une route secondaire pendant que l’un d’eux le tabassait. La victime a pu s’échapper en ouvrant une portière pour se jeter sur la route, où un passant l’a secouru et conduit à la police. S’il ne s’était pas ainsi échappé, qui sait s’il n’aurait pas été assassiné.

Les deux hommes ont été accusés de séquestration, d’agression, de menace et d’autres chefs reliés à la drogue. Il semblerait que des négociations de plaidoyer lui ont permis de plaider coupable en 2002 aux chefs d’accusation de séquestration et d’agression seulement. Les accusations précédentes pour trafic de stupéfiants ont été abandonnées. La seule peine qui lui a été imposée a été une période de probation de deux ans.

Immédiatement après avoir terminé sa période de probation en 2004, il a fait une demande de permis de possession et d’acquisition, qu’il a obtenu. Il avait été longuement interrogé à propos de sa demande par suite de sa déclaration volontaire. Son dossier avait donc attiré l’attention dans le Système canadien d’information relativement aux armes à feu, le SCIRAF, mais on a fermé arbitrairement les yeux pour lui accorder le permis d’armes à feu.

Il s’est ensuite acheté plusieurs armes à feu, dont celle avec laquelle il allait assassiner ma fille en 2013.

En ma qualité de mère de Lindsay, je vous demande comment quelqu’un qui a été reconnu coupable à l’âge adulte de séquestration et d’agression liée au trafic de drogues a pu obtenir un permis de possession d’armes au Canada. Comment notre système de permis parvient-il à ne pas tenir compte des circonstances réelles, des déclarations de culpabilité d’un contrevenant et d’autres mentions du CIPC ou du SCIRAF avant d’accorder un permis de possession d’arme? Le système a visiblement fait défaut dans le cas de ma fille.

Au cours des dernières semaines, le ministre de la Sécurité publique s’est dit préoccupé par la montée de l’extrême droite au Canada. Nous avons également vu des gens manifester dans certaines régions du pays, après quoi certains participants ont fait l’objet d’une enquête de la GRC pour avoir menacé la vie du premier ministre et de sa famille.

Combien de ces gens possèdent actuellement un PPA qui n’aurait jamais dû être accordé si la vérification des antécédents à vie prévue dans le projet de loi C-71 avait été en place? Ces gens posent un risque pour la sécurité publique et pour notre sécurité nationale, et c’est le mandat du comité.

En résumé, certains m’ont dit : « L’assassin de votre fille aurait pu se procurer une arme illégale partout ailleurs. » Je réponds toujours : « Oui, mais ce n’était pas le cas. Il a légalement obtenu le permis et l’arme. Notre système de délivrance de permis et notre système de vérification des antécédents n’auraient pas dû lui faciliter la tâche. »

Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Avant de m’adresser aux sénateurs, madame Irons, je tiens à vous adresser mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre fille.

La sénatrice Jaffer : J’aimerais également vous dire, madame Irons, qu’il faut beaucoup de courage pour faire ce que vous avez fait. Merci de partager votre peine avec nous. Lorsque nous délibérerons, nous nous rappellerons certainement vos mots.

Mme Irons : Merci.

La sénatrice Jaffer : J’ai deux questions à poser, une à Mme Cukier et une à la Dre Ahmed. Tout d’abord, lorsque je suis devenue sénatrice il y a 19 ans, j’ai travaillé avec vous sur ce dossier. J’admire votre persévérance et votre dynamisme. Je vous remercie du travail que vous faites.

Mme Cukier : Je vieillis, tout simplement.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour vous, madame Cukier. Ceux qui s’opposent au projet de loi prétendent que les statistiques concernant la source d’armes à feu récupérées après un crime ont été mal utilisées.

Pourriez-vous nous expliquer votre affirmation selon laquelle la moitié des armes à feu récupérées après un crime à Toronto et qui ont été retracées proviennent du Canada, et qu’il s’agit d’une tendance inquiétante?

Plusieurs témoins ont affirmé que le projet de loi est un registre créé de façon détournée, car il rétablit des dispositions qui ont été introduites en 1977, il y a une quarantaine d’années. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous êtes aussi préoccupée? Je ne peux m’empêcher de poser une question au sujet des armes de poing. Pourquoi les armes de poing vous préoccupent-elles autant?

Mme Cukier : Comme l’a mentionné la sénatrice Jaffer, je travaille sur la question depuis de nombreuses années. En fait, l’une des premières études réalisées sur la source des armes à feu liées à des actes criminels a été parrainée par l’Association canadienne des chefs de police en 1995. Elle montrait la répartition des armes d’épaule, des armes de poing et de leur source dans les centres majeurs. Ces données ne sont pas disponibles à l’échelon national, ce qui constitue une partie du problème et un autre point de discussion.

Il existe des données dans certaines administrations, comme la Ville de Toronto, où on retrace l’origine des armes à feu lorsque c’est possible de le faire. Je dirais qu’il y a quelques idées fausses au sujet des méthodes de recherche fondamentales.

Il existe un concept qu’on appelle l’échantillonnage. Lorsqu’on réalise un sondage auprès de 2 000 Canadiens et que 1 600 d’entre eux disent soutenir un contrôle plus sévère des armes à feu, on peut conclure de manière générale, sous réserve de nombreuses restrictions, que cela porte à croire que 80 p. 100 des Canadiens appuient un contrôle plus sévère des armes à feu. Nous n’allons pas diviser 1 600 en fonction de la population au Canada.

Lorsqu’on examine la source des armes à feu récupérées après un crime, les données provenant de la police de Toronto permettent de savoir, parmi toutes les armes à feu saisies, lesquelles ont été utilisées pour commettre des crimes, puisque certaines armes sont saisies dans d’autres circonstances. Les armes à feu liées à des actes criminels, dont la source a pu être identifiée, sont des armes qu’il a été possible de retracer, soit à l’aide du registre des armes à autorisation restreinte au Canada, soit par l’entremise du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives aux États-Unis.

Cela devient l’échantillon, car aucune information n’est accessible concernant les armes qu’il n’a pas été possible de retracer. D’après cet échantillon, les données montrent que la moitié des armes à feu proviennent maintenant du Canada, et il s’agit d’un changement depuis la dernière fois. J’ai examiné les données publiées dans une revue évaluée par des pairs en 2006, et il va sans dire que les choses ont changé depuis 1995.

Pourquoi est-ce un problème, selon moi? La notion selon laquelle nous avons atteint un point d’inflexion était très intéressante. En 2004, il y avait environ 350 000 armes à autorisation restreinte et prohibées au Canada. Je me rappelle que le premier ministre Stephen Harper a dit, quelques années plus tard, que les armes de poing au Canada étaient pratiquement interdites. À ce moment-là, elles se chiffraient à environ 300 000; il ne s’agissait donc pas d’une interdiction quasi totale, mais elles ne se chiffraient pas non plus à un million.

Aujourd’hui, il y a un million d’armes à feu à autorisation restreinte et prohibées au Canada. Elles ne sont plus à autorisation restreinte ni prohibées. Des gens dans des collectivités rurales font l’acquisition d’armes de poing pour abattre des coyotes, et ils peuvent ainsi tuer quelqu’un par accident, comme dans le cas de Gerald Stanley.

Selon moi, la prolifération des armes à feu à autorisation restreinte est une menace en raison de la mauvaise utilisation de ces armes et du fait que des armes légales sont détournées vers les marchés illicites.

Comme l’a dit la Dre Ahmed, les données sont uniformes dans les pays industrialisés. La preuve est claire : plus il y a d’armes, plus il y a de décès, parfois en raison d’une augmentation du mauvais usage et parfois parce que des armes légales sont détournées vers des marchés illicites.

Votre deuxième question concernait la loi de 1977 et le fait qu’il s’agit d’un registre créé de façon détournée. Ce n’est pas parce que les gens le disent que c’est le cas.

L’enregistrement des armes à feu, qui a été adopté en 1995, exige qu’une personne en possession d’une arme détienne un document attestant qu’il en est le propriétaire. C’est un système complètement différent de celui qui exige que les marchands d’armes à feu assurent un suivi des armes, tiennent à jour un registre des armes qu’ils vendent et mettent les données à la disposition de la police.

Pour en revenir à la complaisance des Canadiens, ce que bien des gens ne comprennent pas, c’est qu’à l’heure actuelle, les États-Unis assurent un meilleur contrôle de la vente de carabines et de fusils de chasse que nous au Canada, parce que, dans la plupart des États, les dispositions législatives exigent ce retraçage et parce que le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives a accès à ces données de manière à pouvoir retracer les armes sans devoir obtenir un mandat pour le faire.

Nous demandons le rétablissement des dispositions qui étaient en place il y a 40 ans. Je ne pense pas que ce soit beaucoup demandé, et je ne vois pas en quoi il s’agit d’un inconvénient ou d’une obligation terrible pour les propriétaires d’armes respectueux de la loi.

La sénatrice Jaffer : Docteure Ahmed, nous nous souvenons tous de vous avoir vue à la télévision lors de l’horrible fusillade sur l’avenue Danforth. Lorsqu’il y a un coup de feu ou une blessure par balle, le signalez-vous d’une quelconque manière de façon à ce que les données soient conservées, et en faites-vous de même s’il s’agit d’un incident lié à un couteau?

Dre Ahmed : Si un patient se présente à notre hôpital ou à tout hôpital avec une blessure par balle, nous avons l’obligation de le déclarer et d’en faire rapport. Nous ne sommes pas obligés de signaler l’incident s’il est question d’un coup de couteau, à moins que ce ne soit une agression ou un suicide. S’il s’agit d’une blessure accidentelle causée par un couteau, et que nous pensons que c’est effectivement le cas, ce qui serait très inhabituel, nous n’en faisons pas rapport; toutefois, nous avons l’obligation de signaler toute blessure causée par une arme à feu.

La sénatrice Jaffer : J’ai reçu de nombreuses lettres, et on allègue que plus de gens décèdent de blessures au couteau que de blessures par balle. Manifestement, vous ne pouvez pas parler pour l’ensemble du pays, mais quelle est votre expérience et que voyez-vous dans les salles d’urgence?

Dre Ahmed : En fait, les données sont assez claires. Les blessures au couteau sont beaucoup plus fréquentes que les blessures par balle — elles sont probablement deux fois plus courantes au Canada —, mais il est important de souligner que la létalité des blessures infligées par des armes à feu est beaucoup plus importante. J’ai déjà vu une personne mourir des suites d’un coup de couteau. Bien sûr, cela peut arriver, mais pas aussi fréquemment qu’avec les blessures par balle.

Les blessures par balle sont, et de loin, beaucoup plus mortelles. Elles causent d’énormes dommages aux organes et aux tissus et coûtent la vie des gens, alors que les blessures au couteau n’ont pas le même degré de gravité. Il y a aussi le fait qu’une blessure par balle peut tuer, blesser et mutiler de multiples victimes en quelques secondes à peine. Ce n’est pas du tout le cas avec les couteaux et les armes blanches pour poignarder, que l’on voit assez souvent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Madame Cukier, vous avez mentionné à plusieurs reprises que, chez nos voisins américains, le contrôle est mieux organisé, de même que la vente et l’enregistrement. Doit-on comprendre que les mesures de contrôle au Canada, avec le projet de loi C-71, ne sont peut-être pas suffisantes?

Vous avez mentionné que, pour la première fois depuis 30 ans, une grande partie des armes qui ont servi à commettre des crimes à Toronto étaient d’origine canadienne et ne venaient pas nécessairement de la contrebande. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la source de vos informations? Que savez-vous des armes qui ont été utilisées par les gangs de rue à Toronto?

[Traduction]

Mme Cukier : Sénateur Dagenais, je vous remercie infiniment de cette question. Je faisais allusion à des données publiées par le service de police de Toronto sur la source des armes à feu récupérées relativement à des actes criminels. Ces données rendent compte du nombre total d’armes à feu utilisées pour commettre un crime qui sont saisies, de la source de ces armes à feu, du pourcentage d’entre elles qui proviennent des États-Unis et du pourcentage qui proviennent de l’intérieur du pays. Voilà à quoi je fais allusion.

En 2006, dans le cas de 33 p. 100 des armes à feu utilisées pour commettre un crime, on a pu remonter à un propriétaire canadien, ce qui signifie qu’à un certain moment, ces armes appartenaient légalement à quelqu’un. Cela ne veut pas dire que les propriétaires légitimes s’en sont servis pour commettre un méfait. C’est simplement qu’à un certain moment, elles ont appartenu légalement à quelqu’un et ont été enregistrées au Canada. Nous avons constaté que ce taux s’est élevé à plus de 50 p. 100 au cours des trois dernières années.

Ces données correspondent aux résultats d’une étude qui a été menée en Colombie-Britannique et publiée en décembre 2018, selon laquelle, par le passé, la plupart des armes à feu utilisées pour commettre un acte criminel avaient été passées en contrebande au Canada depuis les États-Unis. Au cours des dernières années, en Colombie-Britannique, toutefois, environ 60 p. 100 des armes provenaient du Canada. Ce phénomène n’est pas limité à Toronto.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à Mme Irons. Vous savez que la Cour suprême du Canada a annulé la peine minimale de trois ans qui existait dans la loi, qui était prévue pour ceux qui étaient arrêtés avec une arme de poing chargée.

Mme Irons : Excusez-moi, monsieur le sénateur, mais la traduction ne fonctionne pas. Un instant, s’il vous plaît.

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter la question. La Cour suprême du Canada a annulé la peine minimale de trois ans prévue dans la loi pour ceux qui étaient arrêtés avec une arme de poing chargée. L’actuel gouvernement n’a pas cru bon de pallier la situation avec le projet de loi C-71. Que pensez-vous de la décision du gouvernement actuel? À votre avis, ne devrait-il pas y avoir une peine minimale?

[Traduction]

Mme Irons : C’est très intéressant, parce que je dis toujours que le projet de loi C-71 n’est que le début, comme certaines personnes l’ont affirmé aujourd’hui. Il s’agit d’un projet de loi qui sert à commencer à régler certains de nos problèmes liés à la violence armée, mais, croyez-moi, on nous traite maintenant de groupe de pression enragé contre les armes à feu, ce qui est tout à fait faux.

Nous sommes nombreux à vouloir nous pencher sur la question des sanctions. Nous n’en sommes pas encore là dans nos délibérations, mais il est certain que les sanctions, sans compter l’exemple de négociation de plaidoyer que je vous ai mentionné aujourd’hui, sont un enjeu qui nous préoccupe, et nous espérons vous en redonner des nouvelles dans l’avenir.

Je veux ajouter que vous disposez également de mon mémoire écrit. J’ai mentionné que je suis une ancienne agente de la GRC ayant servi pendant une période considérable. J’ai également été enquêteuse pour le gouvernement de l’Ontario, gestionnaire des enquêtes dans le domaine correctionnel et enquêteuse dans le domaine des ressources humaines. Je veux m’assurer que vous comprenez le cas de ma fille présenté dans mon mémoire écrit. Cet homme a eu recours au PPA et il a utilisé l’arme à feu pour la tuer, en étant un propriétaire d’armes à feu légitime, et cela n’est pas un cas isolé. Mon mémoire contient des détails considérables pour vous expliquer un grand nombre des lacunes et des failles qui existent actuellement dans notre système d’octroi de permis et de vérification des antécédents.

Je veux également ajouter — si je le puis — que les gens me disent souvent : « Le tueur de votre fille est tout simplement passé entre les mailles du filet. » En fait, vous vous rappelez peut-être que Justin Bourque a tué trois agents de la GRC et qu’il en a blessé deux autres à Moncton au moyen d’armes à feu achetées légalement. Alexandre Bissonnette a tué six personnes et en a blessé six autres dans une mosquée de Québec à l’aide d’armes à feu achetées légalement. Matthew Raymond a tué quatre personnes, y compris deux agents de police de Fredericton, au moyen d’armes à feu achetées légalement.

La vérification des antécédents des cinq dernières années n’est pas adéquate, et surtout dans le cas de ma fille, où la personne faisait manifestement du trafic de stupéfiants. En ce qui me concerne, dès la fin de sa probation, il n’a pas demandé le PPA dans le but d’aller à la chasse. Il l’a demandé pour protéger son commerce de stupéfiants.

Dans le cas de la violence familiale, on peut être accusé de cet acte criminel, être déclaré coupable et purger sa peine. En raison de ce qui est arrivé à la personne, elle ne noue pas d’autres relations pendant plusieurs années. Ensuite, devinez quoi? Elle trouve un partenaire, et c’est merveilleux pendant deux ou trois ans, puis le cycle de la violence familiale recommence.

Je voudrais que le projet de loi prévoie des vérifications des antécédents de toute la vie adulte et que les lacunes qui se rattachent aux vérifications dans le système et le processus soient comblées. Je pense que c’est essentiel.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous n’avez pas répondu à ma question. On dit que le projet de loi C-71 est un pas en avant. Toutefois, en n’imposant pas de peine minimale, je crois qu’il représente plutôt un recul. Quand on dépose un projet de loi, c’est pour améliorer une situation. Or, la Cour suprême a annulé la peine minimale. On dit que le projet de loi C-71 est un pas en avant, alors qu’il ne prévoit pas de peine minimale. Je crois donc qu’il ne s’agit pas d’un pas en avant et que, en fait, le projet de loi représente un recul. On devrait au moins être passible d’une peine minimale lorsqu’on est arrêté avec une arme de poing chargée.

[Traduction]

Mme Irons : Je vous remercie de poser la question, mais, honnêtement, j’estime que, pour l’instant, l’adoption du projet de loi a été retardée pendant assez longtemps. Nous avons besoin qu’il soit promulgué. Il faudra peut-être présenter d’autres mesures. Je sais que le ministre Blair annoncera sous peu ses conclusions sur les armes de poing et les armes de style fusil d’assaut. Il est à espérer que cette annonce puisse mener à la prise d’autres mesures.

Je pense que ces enjeux pourraient être abordés en parallèle avec la question des sanctions que vous soulevez dans un projet de loi ultérieur. Actuellement, je suis d’avis que nous devons faire adopter le projet de loi.

Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse principalement à Mme Cukier et à la Dre Ahmed, qui ont toutes deux affirmé que les données scientifiques sont accablantes ou vraiment convaincantes et ainsi de suite.

Les opposants au projet de loi mentionnent souvent des travaux contraires qui montrent que le contrôle des armes à feu ou diverses formes de contrôle ne fonctionnent pas. Ils citent souvent l’œuvre de MM. Mauser et Langmann, qui auraient effectué certains travaux aux résultats contraires.

Voudriez-vous formuler un commentaire sur la mesure dans laquelle les données probantes semblent être écrasantes en ce qui concerne l’efficacité du contrôle des armes à feu?

Dre Ahmed : Nous avons récemment examiné toute la documentation à ce sujet à l’échelle internationale, et les données probantes récentes sont très claires.

Pour ce qui est de ces deux scientifiques, je connais bien leurs travaux, en particulier ceux de M. Langmann que vous mentionnez. J’ai très bien examiné son article. Il est maintenant peut-être un peu désuet. Il n’est pas souvent mentionné dans la littérature médicale. Il a été cité environ 15 fois depuis sa première publication. Il fait l’objet de beaucoup de gazouillis, et pas tant par des scientifiques.

La méthodologie est peut-être un peu faible. Il s’agit d’une étude écologique qui n’incluait pas les suicides et ne tenait pas compte des blessures infligées dans le cadre de tentatives d’homicide. Elle est très étroite, du fait qu’elle n’inclut que les homicides réussis, lesquels, comme nous le savons, constituent une petite proportion des cas. Cette étude comporte ses limites.

En ce qui concerne l’autre rapport, de M. Mauser, si je me souviens bien, il ne fait pas partie de la littérature médicale publiée. C’est un rapport, mais il n’a jamais été cité comme source de données probantes médicales. Dans le milieu de la médecine, cela signifie qu’il n’est pas souvent évoqué par les scientifiques et les médecins qui étudient le fléau que représentent les blessures par balle.

Mme Cukier : Je peux ajouter un commentaire au sujet de l’œuvre de M. Mauser. L’une des études qu’il a effectuées portait sur le fait de s’armer pour se protéger. L’étude initiale a été financée par la National Firearms Association et est bien connue.

Son étude comprenait un sondage — encore une fois, mené auprès d’un échantillon de Canadiens — qui posait la question suivante : est-ce qu’un membre de votre ménage ou vous-même avez utilisé une arme à feu au cours des cinq dernières années dans le but de vous protéger? Le cas échéant, était-ce contre une personne ou un animal?

Il a pris le pourcentage de personnes qui avaient répondu par l’affirmative et a extrapolé en fonction de la population du Canada pour conclure qu’un très grand nombre de Canadiens avaient utilisé une arme à feu pour se protéger.

David Hemenway, de la Harvard School of Public Health, a répondu à cette étude en la comparant à une autre qui avait été effectuée, et dont les résultats étaient très semblables, dans le cadre de laquelle on avait demandé à des Américains s’ils avaient déjà vu un OVNI et s’ils avaient été enlevés par un extraterrestre. Vous pouvez regarder les données; je serais ravie de les envoyer au Sénat. Il a fait valoir que M. Mauser utilisait exactement la même méthodologie et que, si on l’appliquait à l’étude concernant les apparitions d’OVNI, on conclurait qu’une proportion très importante d’Américains ont été enlevés par des extraterrestres. À mon avis, certaines des recherches qu’il a effectuées comportent des lacunes réelles.

En tant qu’universitaires, nous avons toujours des gens qui sont d’un côté et de l’autre. Quand l’Organisation mondiale de la Santé et certaines des organisations de recherche en santé les plus établies au monde se rangent du côté de la thèse de l’accessibilité et de l’importance d’une forte réglementation des armes à feu, je pense que c’est assez convaincant.

Le sénateur Pratte : Très brièvement, que dites-vous de l’idée selon laquelle 2013 a été une année exceptionnelle où le taux d’homicides a été peu élevé et, par conséquent, qu’il ne s’agit pas d’un point de comparaison valable ou que l’augmentation qui a eu lieu depuis 2013 n’est pas significative?

Mme Cukier : Je pense que c’est une question très intéressante. Je n’avais entendu personne aborder cette notion d’un point d’inflexion ou d’un renversement radical des tendances. Si nous regardons l’historique des morts et des blessures causées par des armes à feu au Canada, nous voyons qu’en général, grâce au renforcement progressif des mesures de contrôle des armes à feu, le taux de suicide, d’actes de violence familiale associée aux armes à feu, et ainsi de suite, a diminué.

Tout le monde parle du succès de l’Australie. Le Canada a connu lui aussi un succès très semblable. Au cours des dernières années, nous avons observé une inversion de cette tendance.

Il est encore tôt pour dire s’il s’agit d’un phénomène qui se poursuivra au cours de la prochaine décennie, mais j’affirmerai simplement qu’aujourd’hui, nous avons un million d’armes à feu à autorisation restreinte et prohibée. Dans 10 ans de plus, nous en aurons deux millions, et il sera impossible d’inverser la tendance.

Nous avons constaté les conséquences négatives importantes du relâchement des mesures de contrôle des armes à feu au pays et l’absence d’avantages qui s’y rattachent. Je poserais la question suivante aux sénateurs : pourquoi ne voudriez-vous pas améliorer la sécurité publique au lieu de la mettre davantage en péril?

Le sénateur Gold : J’ai une question qui s’adresse à quiconque choisira d’y répondre, car vous précédez les représentants de la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu. S’ils avaient témoigné en premier, vous auriez eu la possibilité de commenter leurs déclarations. Nous suivrons l’ordre dans lequel les témoins comparaîtront.

Docteure Ahmed, vos collègues et vous avez fait l’objet de critiques. Je fais allusion aux arguments que de nombreuses personnes ont formulés, mais aussi à ceux qu’a publiés Tracey Wilson, de la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu, sur le site web de l’organisation, qui vous dit essentiellement de rester en dehors de ce débat et de cesser d’apporter un point de vue politique erroné dans les salles d’urgence ou les salles d’opération, ce qui est complètement contraire à l’éthique. Elle a poursuivi en affirmant qu’il était également contraire à l’éthique que les médecins formant ce groupe de pression utilisent leurs titres de compétence pour tenter d’influer sur les lois, même si aucune donnée probante ne montre que ces mesures auront les incidences promises. Elle a également demandé pourquoi ce petit groupe de pression imposait aussi radicalement son programme visant à mettre fin à un sport olympique.

Voudriez-vous formuler un commentaire sur les raisons pour lesquelles vos collègues et vous apportez une contribution? Comment répondriez-vous à ce genre de critique concernant la légitimité de votre intervention?

Dre Ahmed : Tout d’abord, nous ne sommes pas un petit groupe. Notre énoncé de principe a été adopté tout récemment par un certain nombre d’associations médicales nationales : la Société canadienne des soins intensifs, l’Association médicale de l’Ontario, la Société canadienne de pédiatrie et l’Association canadienne de traumatologie. Plusieurs organisations d’envergure nationale comptant des centaines de membres et, dans certains cas, des milliers de membres sont contraintes de prendre la parole parce que, tous les jours, nous sommes témoins des terribles tragédies qui ont été décrites de façon aussi éloquente que pénible par Mme Irons.

Tous les jours ou toutes les semaines, une personne qui a subi de telles blessures arrive dans notre service des urgences. C’est tout à fait dans notre champ de compétences, car nous connaissons les données probantes médicales et nous parlons au nom des patients et des familles qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes. Nous nous devons de prendre la parole parce que les médecins ont toujours agi pour le bien du public : l’amiante, le tabac, les lois concernant le port de la ceinture de sécurité, l’alcool au volant. C’est notre domaine de compétence.

Nous avons l’obligation morale et professionnelle d’informer les sénateurs de ce que nous constatons et de ce que nous savons afin qu’ils puissent mieux faire leur travail et assurer la sécurité du public.

Il s’agit d’une tradition de longue date chez les médecins qui remonte à l’épidémie de choléra survenue à Londres à la fin des années 1850. Affirmer que c’est immoral... Ce serait immoral si je n’étais pas là aujourd’hui pour vous faire part de ce que je sais et de ce que nous ressentons.

Ce n’est pas seulement quelque chose qui a lieu au Canada. Cela se produit également aux États-Unis. Les médecins en ont assez que la conversation soit détournée par des gens qui sont motivés par leur propre intérêt. Nous ne sommes motivés que par l’intérêt du public. Je n’ai aucun autre désir ni d’autres motivations à comparaître. C’est ma seule motivation, afin que nous cessions de voir ces blessures tragiques et évitables, nuit après nuit, fin de semaine après fin de semaine. Voilà la seule raison de ma présence ici.

Le sénateur McIntyre : Madame Irons, je partage votre deuil et votre douleur. Veuillez accepter mes plus sincères condoléances, à votre famille et à vous, pour la perte de votre fille.

Nous nous entendons tous sur le fait que le gouvernement fédéral devrait travailler avec les provinces et les territoires afin d’exiger le signalement obligatoire par les professionnels de la santé des personnes qui ne devraient pas avoir accès à une arme à feu.

Cela dit, je remarque que les lois provinciales régissant la santé mentale ne sont pas reliées au projet de loi C-71. Souscrivez-vous à l’opinion selon laquelle ces deux éléments devraient être liés?

Dre Ahmed : La Dre Maggi, mon estimée collègue, se trouve dans la salle. Peut-être voudrait-elle dire quelques mots au sujet des lois sur la santé mentale.

Le sénateur McIntyre : Avant qu’elle ne réponde, madame Cukier, voudriez-vous formuler un commentaire?

Mme Cukier : Je n’en sais pas assez au sujet des lois provinciales régissant la santé mentale pour être en mesure de formuler un commentaire. En plus d’établir le projet de loi et de réfléchir à des dispositions semblables à ce que nous voyons dans de nombreuses provinces en ce qui a trait au signalement obligatoire des situations où des personnes ne devraient plus conduire de véhicules motorisés, il est d’une importance cruciale de constater que des dispositions semblables ont été recommandées par certains groupes de médecins. L’autre élément qui est d’une importance cruciale, c’est la sensibilisation du public à l’égard des risques associés à la présence d’armes à feu dans le domicile si on a un enfant qui est déprimé ou qu’on vit avec une autre personne qui a des problèmes de santé mentale.

Nous avons perdu la sensibilisation aux risques associés aux armes à feu en partie à cause du discours concernant les méchants, les gentils, et ainsi de suite. Vous êtes peut-être nombreux à savoir que le risque que votre enfant soit tué par balle est plus élevé dans l’Alberta rurale qu’au centre-ville de Toronto. Pourquoi? C’est parce que le suicide est un véritable fléau et que le suicide par balle constitue un problème majeur.

Dre Ahmed : La Dre Maggi est dans la salle pour répondre à cette question — peut-être — avec votre permission.

La présidente : Brièvement.

Dre Julie Maggi, Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu : Pourriez-vous me répéter la question?

Le sénateur McIntyre : Je crains que les lois provinciales sur la santé mentale et le projet de loi C-71 ne soient pas reliés, et je pense qu’ils devraient l’être. Je voudrais connaître vos réflexions à ce sujet, s’il vous plaît.

Dre Maggi : Je pense qu’il s’agit d’une question complexe à poser, pour ce qui est de savoir si le projet de loi et ces autres lois devraient être reliés. Je voudrais bien pouvoir donner une réponse plus éclairée.

Les lois sur la santé mentale présentent également des problèmes touchant la protection des renseignements personnels. À mon avis, je ne peux pas donner de réponse courte à une question qui est probablement bien plus complexe et qui dépasse actuellement mon expertise.

Le sénateur McIntyre : La santé mentale est complexe. Les gens qui ont des problèmes de santé mentale sont traités dans des établissements, ou bien ceux qui en ont et qui commettent un acte criminel sont jugés aptes ou non à subir un procès ou non criminellement responsables pour cause de trouble mental.

Il est très important que les lois provinciales sur la santé mentale soient liées au projet de loi. Je vous remercie de votre réponse.

La sénatrice McPhedran : Chaque témoin nous aide à l’égard de ce qui fait notre fierté au Sénat : notre processus décisionnel et nos examens fondés sur des données probantes. Vous nous avez donné beaucoup de données probantes valables sur le plan méthodologique et reconnues à l’échelle internationale avec lesquelles travailler, et je vous en remercie.

Ma question s’adresse à vous, madame Cukier; elle est liée à la violence familiale et faite aux femmes et au fémicide. En guise d’introduction à la question, pourriez-vous nous résumer les sources financières de la Coalition canadienne pour le contrôle des armes à feu, en précisant notamment si vous acceptez les commandites?

Mme Cukier : Nous n’acceptons pas les commandites. La coalition est appuyée par les membres. La dernière fois que nous avons reçu du financement du gouvernement, il s’agissait d’une subvention par voie de concours du Conseil national de prévention du crime, en 2002.

La sénatrice McPhedran : Statistique Canada a souligné que le nombre total de femmes victimes qui ont signalé à la police des actes de violence liée aux armes à feu perpétrés par un partenaire intime a augmenté de plus de 50 p. 100 de 2009 à 2017, soit une période de huit ans. Il s’agissait de femmes victimes d’actes de violence perpétrés par un partenaire intime qui avaient été signalés à la police. Nous travaillons de façon très précise, car nous nous dévouons à un processus décisionnel fondé sur des données probantes.

Statistique Canada a également indiqué que les armes à feu les plus fréquemment utilisées dans les cas de violence conjugale sont les carabines et les fusils et que leur taux d’utilisation atteint 88 p. 100 dans les Territoires du Nord-Ouest.

Nous avons entendu des opposants au projet de loi C-71, y compris certains de mes collègues qui ont promis d’éviscérer le projet de loi, dire — et je pense que nous continuerons de les entendre le dire — que cet enjeu n’est pas lié à la violence faite aux femmes et aux filles au Canada. Pourrais-je vous demander de répondre à cette affirmation?

Mme Cukier : Ma réponse comporte deux ou trois volets. Tout d’abord, la plupart des grandes organisations pour les femmes qui s’occupent de la violence familiale partout au pays, y compris les groupes nationaux comme le YWCA, la Fondation canadienne des femmes, l’Ontario Association of Interval and Transition House, et cetera, appuient le projet de loi et la Coalition pour le contrôle des armes à feu, et ce, depuis sa fondation. La clinique Schlifer a déposé une contestation fondée sur la Charte afin de défendre le projet de loi.

Sur le terrain, les organisations qui s’attaquent sans relâche à la violence faite aux femmes sont favorables à un contrôle plus rigoureux des armes à feu parce qu’elles voient les conséquences.

Il existe un vilain secret qui n’est pas bien compris par les membres du public. Les gens considèrent qu’il s’agit d’un enjeu opposant les milieux rural et urbain et parlent beaucoup de l’opposition, dans les collectivités rurales, au renforcement des lois relatives aux armes à feu. On parle habituellement d’hommes des régions rurales qui possèdent des armes à feu, plutôt que de femmes, car ces femmes sont bien plus à risque d’être blessées ou tuées par balle que celles qui vivent dans les grandes villes.

Dans mon mémoire, je mentionne l’étude effectuée au Nouveau-Brunswick, où les taux de violence et de menaces liées aux armes à feu sont un peu plus élevés. Cette étude nous procure une compréhension viscérale du rôle que jouent les armes à feu dans la violence familiale, à part le fait que des femmes sont tuées. Le fémicide est la pointe de l’iceberg. Des femmes, des enfants, des animaux domestiques se font menacer, voire tuer, et il s’agit de modèles de comportement que nous observons à l’échelle planétaire. Voilà pourquoi la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’homme et les armes légères a été aussi catégorique dans sa déclaration selon laquelle les États qui ne réussissent pas à protéger adéquatement les citoyens, en particulier les femmes et les enfants, contre la violence liée aux armes à feu par une réglementation efficace manquent à leurs obligations au titre du droit international en matière de droits de la personne.

Les propriétaires d’armes à feu n’ont aucun droit au pays. La Cour suprême du Canada l’a souvent répété en dépit de ce que vous entendrez peut-être dire plus tard ce soir. Toutefois, il existe un droit à l’absence de crainte. Des droits sont prévus au titre de la Déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes. Des mesures de contrôle des armes à feu efficaces sont un élément absolument essentiel à tout effort de lutte contre la violence sexospécifique.

La sénatrice McPhedran : Je pourrais ajouter que la Charte canadienne des droits et libertés prévoit également le droit à la vie et à la liberté.

Le sénateur Dean : J’ai une question à poser à la Dre Ahmed.

Aujourd’hui, vous avez commencé par parler de la protection contre les préjudices évitables, ce qui touche au cœur de l’objectif de la réglementation, et nous sommes là à parler de la réglementation des armes à feu. Dans votre article d’opinion récemment publié dans le Globe and Mail — et vous y avez fait allusion dans votre déclaration —, vous avez affirmé que le Canada a un problème d’armes à feu. Vous avez également mentionné le fait que d’autres personnes adoptent un point de vue différent et diraient que le Canada a un problème de gangs urbains sur lequel nous devrions nous concentrer. Ces personnes affirment cela, malgré ce que nous avons entendu de la bouche des représentants de Statistique Canada aujourd’hui concernant un taux presque équivalent de violence liée aux armes à feu dans le Canada rural et des taux plutôt inquiétants de violence familiale et conjugale. La sénatrice McPhedran vient tout juste d’évoquer les suicides par balle et les coups de feu accidentels tirés par des propriétaires d’armes à feu légitimes qui entraînent des blessures et des décès. Je pense que ce débat se poursuivra.

Pourriez-vous nous dire comment vous réagissez à ces affirmations opposées à votre point de vue sur cette question? Peut-être que Mme Irons a un point de vue à communiquer là-dessus également.

Dre Ahmed : Ce ne sont pas mes affirmations. Il s’agit d’un résumé et d’une étude des meilleures données probantes médicales accessibles que nous vous présentons. Ce n’est pas mon affirmation. Il s’agit du vécu d’innombrables médecins de partout au Canada et de nombreux autres pays.

Vous soulevez une question très importante. Si nous devons aborder le rapport sur les fémicides, auquel Mme Cukier a fait allusion, je crois, il indique que les femmes les plus à risque au pays sont les Autochtones, les femmes des centres ruraux et celles qui sont âgées de 25 à 35 ans. Nous savons que les femmes assez jeunes, dont la situation économique n’est pas très viable et qui vivent dans le Canada rural courent un risque bien plus élevé de mourir à cause d’une arme à feu.

Ce sont des renseignements et des données qui ont été obtenus de façon uniforme dans plusieurs administrations, comtés, provinces et pays. Il existe maintenant une quantité abondante de données, de renseignements et d’études irréfutables provenant de partout dans le monde. Il s’agit de l’affirmation de scientifiques et de médecins qui étudient ce problème.

Nous ne sommes là que pour vous éclairer dans le cadre de votre étude afin que vous puissiez prendre de meilleures décisions, lesquelles contribueront à assurer la santé et la longévité de nos enfants, de nos sœurs et de nos frères. Voilà la raison de notre présence ici. Je devrai être en salle d’opération demain matin à 7 h 45. Croyez-moi, il y a bien d’autres choses que je préférerais être en train de faire, mais j’ai l’obligation de vous faire part de ces renseignements.

Le sénateur Dean : Quel est votre point de vue sur l’avis contraire des personnes qui affirmeraient qu’il s’agit surtout d’un problème lié aux armes à feu et aux gangs des centres urbains?

Dre Ahmed : C’est une situation un peu difficile, et il n’y a pas de panacée, mais l’arme à feu est le vecteur. Toutes les études montrent qu’une réglementation accrue, des examens plus minutieux et des lois plus rigoureuses réduiront le nombre de blessures.

Mme Cukier a décrit très soigneusement une partie du problème. Vous pouvez débattre de son importance, et peut-être que nous ne le saurons jamais exactement. La vérité, c’est qu’une proportion d’armes à feu appartenant légalement à des gens sont utilisées pour causer du tort, pour blesser et pour tuer, peu importe qu’elles aient été volées, vendues, données ou qu’elles appartiennent à leur propriétaire légitime. Des propriétaires d’armes à feu légales utilisent ces armes pour commettre de terribles actes. Ce n’est pas comme si ce n’était jamais arrivé. C’est de notoriété publique.

Ce ne sont pas mes affirmations. Ce sont des affaires de notoriété publique, et il s’agit du résumé des données probantes médicales.

Le sénateur Dean : Nous les acceptons en tant que telles.

Dre Ahmed : De rien.

Le sénateur C. Deacon : Docteure Ahmed, vous avez mentionné une étude menée en Ontario, à laquelle ont participé un certain nombre d’enfants qui avaient été touchés par des accidents ou des actes de violence liés aux armes à feu. Pouvez-vous répéter cette information rapidement?

Dre Ahmed : Bien sûr.

Le sénateur C. Deacon : Chacun de vos exposés contenait tellement d’information que j’ai de la difficulté à suivre. Cet élément m’a vraiment sauté aux yeux, et je voulais m’assurer de bien comprendre.

Dre Ahmed : Nous allons vous soumettre toute cette information afin que vous puissiez mieux l’étudier. Je l’ai ici quelque part. Il s’agit d’une étude provenant d’un article intitulé « Risk of firearm injuries among children and youth of immigrant families », et l’auteure principale est la Dre Natasha Saunders. Il a été rédigé par un groupe du Hospital for Sick Children et documente le fait qu’au cours d’une période de cinq ans s’étendant de 2008 à 2012, un enfant par jour a été blessé par balle en Ontario.

Le sénateur C. Deacon : C’est bien ce que je pensais que vous aviez dit. Je voulais seulement m’assurer que j’avais bien entendu.

Dre Ahmed : C’est exact. Ce sont les données probantes déclarées. Les enfants des centres ruraux courent un risque plus élevé de subir des blessures non intentionnelles. Ceux des centres urbains risquent davantage d’être victimes d’une agression, mais tous les enfants sont à risque lorsque des armes à feu sont présentes dans la collectivité ou à la maison.

La présidente : Docteure Ahmed, si vous aviez la gentillesse de communiquer ce rapport au greffier, nous le ferons distribuer.

Dre Ahmed : Je serais ravie de vous laisser tous ces documents.

La sénatrice Busson : Je ressens le besoin de vous dire à quel point nous sommes reconnaissants que vous nous fassiez part de votre point de vue et de votre réalité indéniable concernant la situation à laquelle nous faisons face au Canada de nos jours.

Madame Irons, et vous tous, nous devons absolument porter notre attention sur les expériences tragiques que vous avez vécues, et vous sollicitez notre attention à l’égard de ces sujets.

Madame Cukier et docteure Ahmed, en ce qui concerne les expériences que vous avez vécues et les situations que vous avez constatées dans les salles d’urgence, et ainsi de suite, pouvez-vous nous parler des types de blessures que vous voyez, qu’elles soient causées par des armes à feu légales ou illicites?

J’ai souvent entendu des gens faire allusion à des blessures qui ne sont pas mortelles ou qui ne menacent pas la vie. D’après ce que j’en sais, ces blessures sont davantage de nature à changer une vie qu’une blessure causée par une arme à feu ou un couteau.

Pouvez-vous nous donner des commentaires à ce sujet s’il vous plaît?

Dre Ahmed : Bien sûr. À mon avis, il s’agit d’un point très important. Bien souvent, les statistiques, les données et les études portent sur les morts et la mortalité, mais on ne parle pas souvent des patients qui survivent à leurs blessures.

Il s’agit de projectiles à grande vitesse, de pièces de métal qui déchirent les tissus, les organes et les vaisseaux sanguins de ces patients. Ils se présentent chez nous in extremis, c’est-à-dire grièvement blessés. Nous les amenons en toute hâte à la salle d’opération et ouvrons leurs blessures. Tout leur sang se répand sur le plancher en 25 secondes. Ensuite, de multiples équipes de chirurgiens et d’anesthésistes se lancent dans une course contre la montre pour soigner leurs blessures et les sauver d’une mort certaine. Ces personnes passent des semaines et des mois à l’hôpital, subissent chirurgie après chirurgie et se font transfuser des centaines d’unités de sang. Elles passent des jours et des semaines dans l’unité des soins intensifs. Voilà ce qui se passe pour les patients. Imaginez ce que vivent les membres de leur famille. Imaginez les mères, les pères, les sœurs et les frères de ces patients qui, jour après jour, attendent à l’extérieur de l’unité des soins intensifs pour me parler et m’entendre leur dire que leur fils va vivre une semaine ou un jour de plus.

Ces patients reçoivent ensuite leur congé. Ils sont dirigés vers des centres de réadaptation où ils réapprennent à marcher, à parler et à manger parce qu’ils ont subi un important déconditionnement et qu’ils souffrent d’incapacité physique. Il s’agit de jeunes, qui ont entre 15 et 35 ans. Ce ne sont pas des personnes âgées. Ce sont des jeunes.

C’est la part des atteintes physiques. Ensuite, il y a les atteintes sur le plan émotionnel et mental du fait d’être une victime et d’avoir perdu sa jeunesse. Certains ont 17 ou 21 ans. Ils reçoivent une balle dans la colonne vertébrale et ils ne remarchent plus. Ils se font tirer dans la tête, et leur cerveau ne fonctionne plus jamais de la même façon. Il y a un aspect important lié à la mortalité dont nous ne parlons pas suffisamment, parce que nous sommes tellement reconnaissants qu’ils aient survécu, mais cette survie représente un coût important pour le système de santé, leur famille et eux-mêmes. Nous sommes reconnaissants pour leur survie, et leurs familles sont reconnaissantes, mais il demeure que la situation aurait pu être évitée au départ.

Voilà ce que nous essayons toutes trois d’expliquer.

Mme Irons : Pour ma part, j’aimerais souligner un autre effet. J’avais une carrière brillante. J’occupais un poste de direction au sein du gouvernement. Depuis le jour où ma fille a été assassinée, je suis incapable de travailler. J’ai reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique, et mes médecins et psychologues sont d’avis que j’en serai atteinte pour le reste de ma vie. Je souffre de ce qu’on appelle habituellement au Canada le trouble dépressif majeur. Aux États-Unis, c’est maintenant appelé le deuil compliqué. Ce sont habituellement des personnes qui ont soit perdu un enfant, soit un proche en raison d’actes de violence. Dans mon cas, c’était les deux à la fois.

Je n’ai pas pu retourner au travail et j’ai depuis pris ma retraite. J’ai aussi une maladie auto-immune qui est apparue, et mes médecins, bien qu’ils ne peuvent le prouver, croient qu’elle est causée par le stress et le traumatisme liés au décès de ma fille. En raison de cette maladie auto-immune, je suis maintenant suivie par six spécialistes, un psychothérapeute et un médecin généraliste. Je dois prendre six médicaments. Certains jours, je n’arrive pas à me lever du lit. C’est ce que j’appelle des dommages collatéraux.

Certains des amis de ma fille ont perdu leur emploi parce qu’ils n’arrivaient pas à surmonter le traumatisme que leur a causé sa mort. Les responsables de l’université ont dû offrir du transport aux étudiants et retarder les examens, étant donné que cette communauté était très ébranlée. Je connais au moins deux agents de la Police provinciale de l’Ontario et deux ambulanciers à Bracebridge qui, à ce jour, sont toujours atteints du trouble de stress post-traumatique après avoir essayé de sauver ma fille. Les dommages ne cessent de se perpétuer.

Quand on parle des effets, comme la Dre Ahmed l’a dit, la mort de ma fille ne concerne pas qu’une personne. Elle a touché des centaines et des centaines de personnes qui ont travaillé avec elle. Une amie m’a dit aujourd’hui que 400 personnes avaient assisté aux funérailles de son fils. Nous avons dû tenir deux funérailles, parce que 700 personnes voulaient y assister.

Ma fille travaillait dans le domaine des services aux personnes ayant un handicap de développement et s’occupait d’enfants ayant un handicap intellectuel et de développement. J’ai dû téléphoner aux responsables de l’organisation pour laquelle elle travaillait le samedi matin, soit le lendemain de son assassinat, pour informer le gestionnaire des ressources humaines que ma fille avait été tuée. Tous les membres de la direction ont dû se réunir au cours de la fin de semaine pour établir les mesures à adopter en raison du traumatisme vécu par le personnel et les membres de la direction alors qu’ils devaient continuer de s’occuper de personnes vulnérables et de membres de leur famille qui étaient aussi anéantis par la mort de ma fille. En toute franchise, les répercussions sur les personnes vulnérables desquelles elle s’occupait me mettent en colère.

Pardonnez-moi de m’emporter, mais il faut me comprendre. J’entends toujours le message du lobby des armes à feu : « Nous sommes 2,2 millions, alors que vous n’êtes que 500. » Ce n’est pas vrai. Nous sommes des milliers dans ce pays qui sont actuellement touchés par la violence liée aux armes à feu. Nous devons imposer des limites et commencer quelque part.

Encore une fois, comme je l’ai dit précédemment, adoptons ce fichu projet de loi.

La sénatrice Busson : Je veux simplement ajouter que n’importe qui d’entre nous pourrait être à votre place.

Dre Ahmed : Je crois que c’est un commentaire très pertinent. Un des aspects tragiques concernant la violence liée aux armes à feu, c’est qu’elle frappe vraiment au hasard. Des recherches épidémiologiques ont été menées à ce sujet, mais il reste que cela peut arriver à n’importe qui, n’importe où.

Mme Cukier : Santé Canada consacre plus de temps et d’énergie à examiner le cas des brosses métalliques pour le barbecue que la situation liée aux armes à feu et leurs conséquences sur la santé des collectivités. Nous devons dévier le débat portant sur les gangs et les armes à feu et reconnaître les répercussions.

La présidente : Je souhaite vous remercier sincèrement, en particulier vous, madame Irons. Je sais que c’est difficile. Nous sommes reconnaissants que vous ayez pris le temps de venir. Je vous remercie beaucoup, madame Cukier et docteure Ahmed.

Dre Ahmed : Je suis heureuse d’être venue. Merci.

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons continuer avec notre cinquième panel. Nous recevons maintenant M. Solomon Friedman, avocat de la défense en droit criminel chez Edelson & Friedman LLP, M. Rod Giltaca, chef de la direction et directeur exécutif de la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu, et, par vidéoconférence, M. Dennis Young. Vous avez la parole, monsieur Young.

[Traduction]

Dennis R. Young, à titre personnel : Je souhaite remercier le comité du Sénat de m’avoir invité à comparaître ce soir.

Je suis un membre de la GRC à la retraite. Je n’ai jamais commis de crime. Toutefois, en 1998, quand le projet de loi C-68 du gouvernement libéral est devenu loi, et en raison de la menace de me faire accuser d’avoir commis une infraction criminelle, j’ai été forcé d’acheter un bout de papier pour simplement prouver que j’étais le propriétaire d’un bien que je possédais et que j’utilisais de façon sécuritaire depuis 35 ans. Depuis, force est de constater que j’ai été moins bien traité que les 443 000 criminels reconnus à qui les tribunaux ont interdit de posséder une arme à feu.

Je souhaite soulever deux points principaux ce soir. Premièrement, même si le vérificateur général a demandé en 1993 au ministère de la Justice d’évaluer le programme de contrôle des armes à feu, à ce jour, aucun gouvernement ne l’a fait. Il est temps que le Sénat mène une évaluation rigoureuse du programme de contrôle des armes à feu.

Deuxièmement, le Parlement et le public ont été tenus dans l’ignorance en ce qui concerne les véritables coûts liés au Programme canadien des armes à feu. Le moment est venu pour le Sénat de faire le travail que la Chambre des communes n’a pas fait.

Le 10 mars 1994, le député Garry Breitkreuz, du Parti réformiste, a tenu une promesse faite à ses électeurs en se levant en Chambre et en posant à Allan Rock, alors ministre de la Justice, une question qui touchait le cœur des mesures législatives visant le contrôle des armes à feu, présentes et antérieures :

Il y a au Canada deux types de propriétaires d’armes à feu : les citoyens respectueux de la loi et les criminels. Selon le Centre canadien de la statistique juridique, moins de un dixième de un pour cent des propriétaires enregistrés d’armes de poing se servent de leurs armes pour commettre un crime. Le ministre peut-il nous dire en quoi un contrôle plus strict des propriétaires responsables d’armes à feu protège davantage les bons citoyens?

Le ministre Rock a répondu en déclarant que le gouvernement appuyait les lois actuelles visant le contrôle des armes à feu et a décrit ces mesures législatives comme des contrôles raisonnables.

Maintenant, 25 ans plus tard, un autre gouvernement libéral fait adopter de force par le Parlement un autre projet de loi visant le contrôle des armes à feu sans d’abord répondre à la question posée par Garry Breitkreuz et reprend la description faite par Allan Rock des modifications proposées par le projet de loi C-71, c’est-à-dire qu’il s’agit de contrôles raisonnables.

On attribue à Albert Einstein d’avoir défini la folie comme le fait de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Il n’y a aucune preuve qu’Einstein a véritablement prononcé cette phrase, tout comme il n’y a aucune preuve ni donnée montrant que le tas de mesures législatives visant le contrôle des armes à feu qui ont été adoptées par les différents gouvernements au cours des quatre dernières décennies ont réduit le nombre d’homicides, de suicides ou de crimes violents, qu’elles ont amélioré la sécurité du public ou des policiers ou qu’elles ont permis de faire en sorte que les armes à feu ne tombent pas entre les mains de criminels.

On peut lire l’affirmation suivante sur le site web du Parti libéral du Canada :

Un gouvernement doit élaborer des politiques fondées sur les faits, et non inventer des faits à partir d’une politique. Sans faits probants, un gouvernement prend des décisions arbitraires qui peuvent avoir des répercussions négatives sur la vie quotidienne des Canadiennes et des Canadiens.

Le projet de loi C-71 ne respecte pas cette promesse.

Dans son rapport de 1993 à la Chambre des communes, le vérificateur général Denis Desautels a écrit ce qui suit à propos du programme de contrôle des armes à feu :

Notre examen révèle que certaines données importantes, nécessaires pour l’évaluation des avantages éventuels et de l’efficacité future des règlements, n’étaient pas disponibles au moment où les règlements ont été rédigés.

Le vérificateur général faisait référence aux règlements sur le contrôle des armes à feu de Kim Campbell, alors ministre de la Justice, inclus dans le projet de loi C-17. Le ministère de la Justice a défendu les lacunes en matière de données de la façon suivante :

De toute manière, les dispositions législatives et les règlements étaient clairement guidés par des considérations d’intérêt public auxquelles il fallait donner suite en dépit du manque de données précises.

Le vérificateur général a ensuite formulé la recommandation suivante :

Le ministère de la Justice devrait entreprendre une évaluation rigoureuse du programme de contrôle des armes à feu.

À ce jour, aucun gouvernement ne l’a fait. C’est le moment pour le Sénat d’obtenir des données précises. Le programme fonctionne-t-il?

Le 31 mai 2006, le député Garry Breitkreuz a posé cinq questions importantes à la vérificatrice générale après sa comparution devant le Comité permanent de la sécurité publique. La vérificatrice générale Sheila Fraser a répondu à la lettre de M. Breitkreuz en affirmant qu’il appartenait au gouvernement ou au Parlement de répondre à ses cinq questions. Nous voici, 12 ans plus tard, et le Parlement n’a toujours pas de réponses à fournir.

En plus de cette négligence, en 2006, la GRC a cessé de faire rapport au Parlement des dépenses liées au Programme canadien des armes à feu et du nombre d’employés qui y sont affectés. En utilisant des données du gouvernement, j’ai réussi à constituer un tableau qui montre que les dépenses totales s’établissent entre 1,79 milliard de dollars et 1,6 milliard de dollars pour le programme de contrôle des armes à feu de 1995 à 2017. Pour les années 2016 et 2017, le Programme canadien des armes à feu a coûté aux contribuables 53,7 millions de dollars, et l’équivalent de 451 employés à temps plein étaient affectés à ce programme.

La vérificatrice générale et les responsables de la Bibliothèque du Parlement ont cerné des coûts s’élevant à des centaines de millions de dollars qui n’avaient jamais été signalés au Parlement. Dans son rapport de 2002 à la Chambre des communes, la vérificatrice générale a déclaré ce qui suit au paragraphe 10.29 concernant le programme des armes à feu :

[…] le ministère de la Justice n’a pas fourni au Parlement une estimation de tous les grands postes de dépenses additionnels prévus […] Les coûts assumés par les organismes provinciaux et territoriaux pour appliquer la loi ne seront pas déclarés non plus. Il en va de même pour les frais qu’ont dû supporter les propriétaires, les clubs, les fabricants, les vendeurs, ainsi que les importateurs et exportateurs d’armes à feu, pour se conformer à la loi.

Un document d’information de Sécurité publique Canada fait mention de ce qui suit :

Deux études de la Bibliothèque du Parlement révèlent que les coûts d’application et d’observation représentent des centaines de millions de dollars.

Au cours des dernières années, j’ai effectué un suivi des données et j’ai créé un document que je mets à jour chaque mois. Il s’intitule « Where is the evidence Canada’s gun control programs are working? »

Chaque député et sénateur devrait se demander pourquoi ces lacunes statistiques n’ont pas été signalées dans le rapport de 2017 que le commissaire aux armes à feu de la GRC vient de déposer au Parlement, en décembre.

Dans la version papier de mon exposé, j’ai fourni une liste de 19 mesures de contrôle imposées aux propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis; la liste a été élaborée par Nicolas Johnston, de TheGunBlog.

Question no 1 : pourquoi les 443 000 criminels reconnus qui ne sont pas autorisés à posséder une arme à feu ne sont soumis à aucune des mesures de contrôle auxquelles sont soumis les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis légal?

La réponse, c’est que cela serait considéré comme une peine cruelle et inhabituelle qui ne résisterait pas à une contestation fondée sur la Charte.

Question no 2 : a-t-il une façon d’appliquer l’une quelconque des mesures de contrôle des armes à feu visant exclusivement les propriétaires légitimes d’armes à feu aux 443 000 criminels reconnus qui ne sont pas autorisés à posséder une arme à feu?

Oui, en présentant un projet de loi qui obligerait les juges à intégrer des conditions précises de contrôle des armes à feu à la peine qu’ils imposent à ces criminels. La première étape qui semblerait logique serait de leur demander de déclarer leur adresse actuelle à la police.

Depuis 1976, tous les projets de loi sur le contrôle des armes à feu ont été adoptés pour tenter de justifier une prise de position idéologique ou politique, mais sans fournir tous les éléments de preuve nécessaires et sans même avoir une compréhension exhaustive des avantages de la possession d’une arme à feu. Il est temps de mettre le holà avant de gaspiller davantage l’argent des contribuables et en visant le mauvais objectif avec nos lois sur le contrôle des armes à feu.

Solomon Friedman, avocat de la défense en droit criminel, Edelson & Friedman LLP, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m’avoir invité à vous parler du projet de loi C-71. Contrairement aux autres distingués intervenants qui sont ici ce soir, je ne suis pas venu pour plaider en faveur ou contre des mesures particulières de contrôle des armes à feu sur la base de principes.

Au lieu de cela, en tant qu’avocat spécialisé en droit criminel fort d’une expérience considérable des lois sur les armes à feu, je n’ai qu’un seul point de vue fondamental sur toutes les lois pénales. La réforme du code pénal devrait être modeste, fondamentalement rationnelle et fondée sur des données objectives. Selon moi, le projet de loi C-71 ne répond à aucun de ces critères.

Tout d’abord, le comité doit garder à l’esprit qu’en dehors du droit pénal, il n’existe au Canada aucun système indépendant de réglementation des armes à feu. Par conséquent, toute violence, qu’elle soit mineure ou de nature technique, engage le processus du droit pénal. Comme tous les intervenants du système de justice le savent très bien, le droit pénal est un outil grossier. Il ressemble davantage à une massue qu’à un scalpel et, surtout, il est mal adapté à la mise en œuvre des politiques publiques. Ce projet de loi crée de nouvelles infractions dont aucune n’était nécessaire. Cela n’est rien de plus qu’un autre piège pour les consommateurs imprudents, un piège doublé de conséquences pénales. Pour quelles raisons? Ce n’est pas pour la sécurité publique, mais pour l’apparence de la sécurité publique.

C’est plus qu’une simple théorie. Prenons, par exemple, l’affaire R. c. MacDonald, tranchée par la Cour suprême du Canada en 2014. Dans cette affaire, la cour a soutenu que la croyance sincère, mais erronée, d’un propriétaire d’armes à feu titulaire d’un permis à l’égard des conditions précises de son permis ne constituait pas une défense juridique. Un propriétaire d’armes à feu serait coupable d’une infraction criminelle même s’il croit honnêtement et sincèrement que son comportement est autorisé par la loi.

Il y a plus de 2 millions de propriétaires d’armes à feu honnêtes et respectueux de la loi qui espèrent que le Sénat sera à la hauteur de sa réputation de Chambre indépendante effectuant un second examen objectif. Le comité doit scrupuleusement examiner le projet de loi proposé et protéger les personnes innocentes de la force brute du pouvoir.

Ensuite, les réformes proposées dans le projet de loi C-71 ne sont pas appuyées par les éléments de preuve. En fait, en présentant la raison d’être de ce projet de loi, le gouvernement a faussé les statistiques objectives afin de créer l’apparence d’un problème qui n’existe tout simplement pas.

La société dans son ensemble est pénalisée lorsque le gouvernement justifie une législation pénale en s’appuyant sur un quiproquo ou, pire, sur une manipulation volontaire de ce qu’il prétend être des données empiriques. Le 8 mai 2018, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a fait la déclaration suivante devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes :

[...] de 2013 et 2016, le nombre d’incidents criminels dans lesquels une arme à feu était en cause a augmenté de 30 p. 100. Durant cette période, le nombre d’homicides par arme à feu a augmenté des deux tiers.

Ces chiffres sont alarmants. Ils donnent la nette impression que les crimes et les homicides commis avec des armes à feu sont particulièrement répandus et participent à l’augmentation des problèmes dans notre société. Avec le plus grand respect que je dois au ministre, ce n’est simplement pas le cas. L’année 2013, point de référence de cette prétendue tendance, n’a pas été choisie au hasard. Comme nous le savons maintenant, 2013 est une aberration statistique sur le plan des crimes violents et des homicides au Canada. Le taux d’homicides criminels n’avait jamais été aussi bas en 50 ans. Pour mettre les choses en perspective, depuis 1966, chaque année a été pire que l’année 2013, et il n’est pas surprenant que les trois années suivant 2013 ont été pires également.

La réalité, c’est que les homicides par arme à feu sont en baisse constante au Canada depuis la moitié des années 1970 et, si on observe un échantillon de taille appropriée, la tendance alarmante que le ministre a relevée est perçue pour ce qu’elle est : une manipulation sélective des données statistiques. Le taux d’homicides par arme à feu, sur une période de 10 ans, est demeuré relativement stable. En fait, il était légèrement plus faible en 2016 qu’il ne l’était 10 ans plus tôt, en 2006.

Cette même absence de données empiriques s’applique à l’affirmation du ministre Goodale, selon laquelle on assiste à un changement radical dans la provenance des armes à feu utilisées pour commettre des actes criminels. Ces affirmations sont purement anecdotiques et ne sont aucunement confirmées par les recherches de Statistique Canada dans ce domaine. Dans tout débat sur la politique publique, nous avons tous le droit à notre propre opinion. Cependant, nous n’avons pas droit à nos propres faits.

Posez-vous une question : si le recours au droit pénal pour l’élaboration de ces modifications était vraiment justifié, pourquoi aurait-il fallu déformer, obscurcir et manipuler les données? Selon moi, cette question vous dit tout ce que vous devez savoir sur le projet de loi C-71. Il ne s’agit pas d’une politique fondée sur des données probantes. Par conséquent, je vous exhorte à faire preuve de prudence.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Sheldon Clare, président, National Firearms Association : Je suis président élu bénévole et directeur général de la National Firearms Association du Canada. Le jour, j’enseigne l’histoire au College of New Caledonia à Prince George, en Colombie-Britannique.

La NFA est le plus important et le plus efficace organisme de défense des intérêts des propriétaires et des utilisateurs d’armes à feu du pays; elle compte des membres dans chaque province canadienne. La NFA est un organisme non gouvernemental des Nations Unies qui dispose d’un statut dans le cadre du Conseil économique et social. La NFA offre de la formation, commandite et encadre des athlètes des sports de tir, y compris les athlètes olympiques, demande de meilleures lois au Parlement et conteste les mauvaises lois devant les tribunaux et sur la scène internationale.

Nous menons actuellement au Québec une lutte contre le registre des armes d’épaule, que nous estimons inconstitutionnel. Nous traduisons ce gouvernement devant la Cour d’appel du Québec. Par le passé, nous nous sommes présentés devant la Cour suprême du Canada pour aider les propriétaires d’armes à feu et nous avons eu gain de cause.

Cela dit, je vais être franc. Le projet de loi C-71 est un mauvais projet de loi, détesté par les propriétaires d’armes à feu. Il est détesté par ces citoyens canadiens respectueux de la loi, car il les traite comme s’ils ne l’étaient pas. Le plus important, pour vos délibérations, c’est que l’objectif visé par ce projet de loi est d’améliorer la sécurité publique, et pourtant il ne le fait pas. Ce projet de loi vise à élargir la vérification des antécédents même si les recherches examinées par des pairs montrent que les vérifications des antécédents n’ont aucune incidence sur la criminalité.

Ce projet de loi vise à imposer de nouvelles règles afin de faire le suivi des ventes d’armes à feu au moyen des registres des ventes des marchands, tout en instaurant la vérification des permis à chaque vente. Les registres des ventes, autre expression désignant un registre privatisé des armes, seront exposés à des atteintes à la vie privée, étant donné qu’il n’y aura aucun contrôle sur la protection des données. Ces registres pourraient en fait créer des situations dangereuses, puisque les criminels pourraient mettre la main sur des listes de personnes possédant des armes à feu. De la même manière que l’octroi des permis n’a pas été associé aux actes de violence et aux homicides commis avec une arme à feu, la vérification des permis n’est pas associée à une telle baisse.

Ce projet de loi est tout simplement un fardeau supplémentaire pour les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi, et il n’améliorera pas la sécurité publique, malgré les arguments émotionnels de ceux qui prétendent le contraire. Ce projet de loi propose également de rendre plus difficile pour les propriétaires d’armes à feu le transport de leurs armes à feu vers des endroits où ils peuvent légalement entreposer, réparer ou vendre leur propriété. Cette partie du projet de loi est redondante au regard de la législation en vigueur. Ces personnes ont déjà fait l’objet d’un contrôle et possèdent un permis. Pourquoi auraient-elles besoin de remplir des documents supplémentaires simplement pour transporter leur arme à feu pour la faire réparer? La réalité, c’est qu’il n’y a aucune preuve empirique de l’efficacité du système d’autorisation de transport. Son renforcement n’améliorera pas la sécurité publique.

Ce projet de loi prévoit également des règles de classification plus strictes des armes à feu et en transfère la responsabilité à la GRC, permettant à ses agents d’interdire davantage d’armes à feu simplement parce qu’ils n’aiment pas leur apparence, même si, une fois encore, les recherches ont montré que le mécanisme des armes à feu et leur apparence n’ont aucun effet sur la criminalité.

Les défenseurs de ce projet de loi affirment qu’il améliorera la sécurité publique, alors qu’aucune des mesures qui y figurent n’aura ce résultat. Ce projet de loi est fondé sur des motifs politiques et des perceptions émotionnelles, et non pas sur une bonne politique publique.

Si le gouvernement prenait au sérieux la sécurité publique et la réduction de la violence, il offrirait des programmes destinés aux jeunes délinquants et aux gangs afin de prévenir la récidive. Nous obtiendrons de bien meilleurs résultats en offrant ces programmes, ainsi que des ressources diagnostiques supplémentaires en santé mentale plutôt qu’en ciblant les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi. Les faits et les preuves brutes montrent que ce projet de loi n’améliorera tout simplement pas la sécurité publique, ce qui est l’objectif, et par conséquent il devrait être rejeté.

Les sénateurs ont la possibilité de faire une réelle différence en bloquant ce projet de loi rétrograde qui ne ferait qu’alourdir le fardeau imposé aux propriétaires d’armes à feu sans gêner les vrais criminels. Il est important de comprendre qu’il n’y a absolument rien qui prouve que la hausse des restrictions touchant la possession et l’acquisition d’armes à feu — ce qui exige un contrôle accru ou l’octroi d’un permis — aurait des effets, positifs ou négatifs, sur les taux d’homicides, de suicide ou de criminalité au Canada, qui sont en baisse constante depuis des décennies.

Le Sénat a été établi au Canada en tant que Chambre de second examen objectif. Les propriétaires et les utilisateurs d’armes à feu respectueux de la loi sont vraiment reconnaissants qu’il en soit ainsi, car vous pouvez empêcher que cette mesure législative terriblement imparfaite ne devienne une loi. C’est pourquoi je ne vous demande pas de modifier ce projet de loi; je vous demande de le rejeter d’emblée.

Le projet de loi C-71 est fondamentalement imparfait. Il imposerait simplement des fardeaux supplémentaires et inutiles aux propriétaires et aux utilisateurs d’armes à feu respectueux de la loi. Il ne fait rien pour régler le problème de la criminalité ou de la sécurité. Il s’agit d’un projet de loi imparfait qui mériterait un véritable second examen objectif.

Les millions de propriétaires et d’utilisateurs d’armes à feu du Canada et moi demandons respectueusement au Sénat de rejeter ce projet de loi. Merci.

Rod Giltaca, chef de la direction et directeur exécutif, Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu : J’aimerais entrer tout de suite dans le vif du sujet en examinant le projet de loi C-71 sous deux angles. Le premier concerne nos objections à certaines dispositions du projet de loi et le second concerne les préoccupations formulées par notre collectivité. Comme M. Clare l’a dit, nous formons une collectivité de 2,1 millions de propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis. Ce n’est pas peu.

J’aimerais parler du registre. C’est une mesure que le gouvernement libéral qualifie de simple vérification des permis avant une cession, mais elle figure déjà dans la loi en vigueur actuellement, à l’alinéa 23a) de la Loi sur les armes à feu. Je vais vous le résumer : vous ne pouvez pas céder une arme à feu à une personne qui n’est pas titulaire d’un permis pour ce type d’arme. C’est écrit noir sur blanc dans la loi.

Sans tenir compte de cela, le projet de loi prévoit la création d’un registre nécessitant la même infrastructure que l’ancien registre des armes d’épaule. Pour résumer ce point, notre groupe voudrait qu’au lieu de gaspiller un autre milliard de dollars, le gouvernement se concentre sur la réduction des comportements violents en s’attaquant directement à leurs causes profondes. Cela réduirait les actes de violence avec ou sans aucune arme, apporterait de plus grands avantages nets sur le plan de la sécurité publique et n’aurait aucun effet négatif sur les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi. Si le gouvernement n’aime pas le libellé de la loi, il peut apporter une modification et économiser des sommes incroyables allant à des dizaines de millions de dollars, ce qui nous semble être une bonne solution.

Nous contestons également le système de classification des armes à feu de la GRC. Même si la GRC détermine présentement la classification des armes à feu, ce projet de loi l’habilite à le faire sans aucune supervision ministérielle et la protège de tout recours. Cela va à l’encontre de tout notre système.

De plus, la réglementation et les pratiques en vigueur donnent à la GRC une marge de manœuvre excessive qui permet aux agents d’interdire les armes à feu à leur discrétion. Nous pourrons en reparler en détail plus tard.

Les modifications concernant les autorisations de transport d’armes à feu à autorisation restreinte et d’armes à feu prohibées sont complètement absurdes. Je pourrais en parler longtemps. Je ne me suis pas présenté, alors, à titre indicatif, je veux vous dire que je suis un instructeur en bonne et due forme pour le Programme canadien des armes à feu de la GRC. J’ai formé 4 000 étudiants dans le cadre de ce programme. J’ai été conseiller pour la direction de la justice pénale de Vancouver et j’ai aussi organisé, pour cette direction, des séminaires sur les répercussions concrètes de la Loi sur les armes à feu et de son règlement. Je sais comment le règlement s’applique sur le terrain. À dire vrai, j’ai eu maille à partir avec les médecins à ce sujet, parce que je sais comment ce règlement s’applique sur le terrain.

Il est faux de dire que le projet de loi C-71 est nécessaire pour renforcer la sécurité publique. Nous savons que le gouvernement a menti et a manipulé les statistiques pour appuyer ce projet de loi inutile. Si ce projet de loi était utile et réellement justifié, nous en aurions des preuves claires et nous ne serions pas obligés de tromper les gens pour qu’ils l’appuient. Ce n’est pas du tout ce qui se passe.

En conclusion, nous croyons que ce projet de loi est totalement inefficace. Aucune disposition ne cible les causes profondes de la violence dans notre société. Il n’y a rien dans ce projet de loi qui résout l’incapacité de notre système à se mettre en position de force afin de poursuivre les gangs et de réduire leurs activités.

À bien y réfléchir, je doute aussi qu’il y ait dans ce projet de loi une seule disposition qui aurait pu empêcher la fusillade de Danforth. Pas une seule. En outre, une foule d’exemples montrent que le système en vigueur est incapable de remplir son mandat de façon fiable. Je crois que l’un des témoins précédents pourrait vous en parler. C’est une tragédie. Pourtant, nous sommes en train d’envisager plus d’infrastructures, plus de coûts, plus de règles et plus de contraintes encore pour les propriétaires d’armes à feu titulaires de permis qui respectent les lois. Il a été démontré que ces personnes ne représentent pas un risque disproportionné pour la sécurité publique. Nous croyons que ce projet de loi n’avantagera personne et qu’il a été présenté exclusivement à des fins politiques.

Il y a un dernier point que j’aimerais aborder dans le temps qu’il me reste. On ne cesse de répéter qu’un plus grand accès aux armes à feu causera plus de morts. On nous dit que les données sont claires, alors que c’est loin d’être le cas. En réalité, on peut facilement démentir cette affirmation. Il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis. Au cours des 22 dernières années, le nombre d’armes à feu en circulation aux États-Unis a doublé. Cela n’a rien à voir avec le doublement du nombre d’armes à feu au Canada; aux États-Unis, on parle de 150 millions d’armes à feu de plus. Pourtant, au cours de la même période, le nombre de crimes avec violence a diminué de 50 p. 100. Comment serait-ce possible si l’autre hypothèse était exacte? J’ai de multiples exemples de ce genre d’anomalie.

Depuis toujours, notre groupe réclame un débat honnête, avec des faits et des données à l’appui. C’est quelque chose qui manque au débat sur le contrôle des armes à feu qui a commencé au début des années 1990. Merci du temps que vous m’avez consacré.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins de leur présence. J’ai deux questions à poser à M. Young et à M. Clare. Monsieur Young, vous avez parlé de l’ancien registre des armes à feu, qui, selon vous, a été coûteux, inefficace et a instauré un faux sentiment de sécurité chez les policiers. Des témoins sont venus comparaître devant notre comité et nous ont dit que ce n’était plus la contrebande qui fournissait les armes à feu au crime organisé pour commettre des crimes. Les armes sont maintenant d’origine canadienne. On attribue ce changement au fait qu’il y a de plus en plus d’armes en circulation au Canada. Vous êtes un ancien policier. Comment expliquez-vous le fait que, désormais, les armes à feu sont d’origine locale et qu’il y a davantage d’armes à feu d’origine canadienne qui circulent?

[Traduction]

M. Young : Excusez-moi. Je n’ai pas bien entendu la question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter la question. De nombreux témoins sont venus nous dire que ce n’était plus la contrebande qui fournissait les armes utilisées par le crime organisé. Désormais, les armes utilisées au Canada sont d’origine canadienne. Autrement dit, il y a beaucoup moins d’armes de contrebande, parce qu’il y a de plus en plus d’armes qui circulent au Canada, qui viennent du Canada. Comment expliquez-vous cette situation-là?

[Traduction]

M. Young : L’explication est que la GRC ne possède aucune statistique sur le sujet. Elle ne fait pas un suivi approprié de ces armes. Ni Statistique Canada ni la GRC n’ont ces statistiques; les statistiques de la police de Toronto sont tout bonnement ridicules. Le maire de Toronto et son chef de police disent que 50 p. 100 des armes à feu à Toronto sont d’origine canadienne, ce qui est tout simplement faux.

J’ai présenté une demande d’information à la police de Toronto; c’est une vraie blague. Comme mes autres collègues l’ont dit, nous voulons débattre de faits véridiques. Comment peut-on élaborer de bons projets de loi si la GRC ne fait pas un suivi approprié des armes à feu et qu’elle ne produit pas des statistiques utilisables?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Clare. J’ai écouté votre témoignage, et il semble assez clair que vous n’appuyez pas le projet de loi C-71. Comme M. Giltaca, vous dites que c’est un projet de loi politique. Pourquoi dites-vous que c’est un projet de loi politique?

[Traduction]

M. Clare : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Une chose qui me paraît évidente, et c’est que les politiques sur les armes à feu occupent la société canadienne depuis plus de 100 ans. Les lois à cet égard remontent à la fin des années 1800 et ont clairement été conçues de manière à cibler des personnes précises dans la société, des personnes qui, selon le jugement du gouvernement de l’époque, ne pouvaient pas posséder d’armes à feu. Je parle de personnes appartenant à une race ou à une culture réputées agressives. On ciblait les Autochtones, les Chinois et des personnes de toutes sortes d’autres origines.

Honnêtement, je trouve inadmissible que ce genre de politisation se soit maintenue jusqu’à aujourd’hui. La politisation n’a jamais cessé de croître. Elle cible toujours des groupes de personnes qu’on croit vulnérables. Elle cherche toujours une cible facile. Ce que je vous dis, mesdames et messieurs les sénateurs — et je vous remercie de vos questions —, c’est que les propriétaires d’armes à feu ont toujours été une cible facile.

Ils étaient une cible facile dans les années 1970, lorsqu’il y a eu le projet de loi C-51. Ils étaient une cible facile lorsqu’il y a eu le projet de loi C-17 de Kim Campbell. Ils étaient une cible facile lorsqu’il y a eu le projet de loi C-68. Ils ont toujours été une cible facile des lois sur les armes à feu précédentes et suivantes.

Le sénateur Dagenais : Avez-vous un commentaire à faire, monsieur Giltaca?

M. Giltaca : Oui. Je vais vous donner un bon exemple de l’aspect politique de ce projet de loi, qui n’a rien à voir avec la sécurité publique. Le meilleur exemple que je pourrais donner est probablement celui du transport des armes à feu à autorisation restreinte ou prohibées.

Sous le régime actuel, vous avez automatiquement une autorisation de transport lorsque vous avez une arme à feu. Cela veut dire que vous pouvez transporter votre arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée entre votre domicile et un champ de tir approuvé de votre province, une exposition d’armes à feu, un armurier, un agent de la paix — qui pourra la contrôler ou la détruire — ou un poste frontalier pour participer à une compétition.

Si le projet de loi est adopté, vous ne pourrez plus apporter votre arme à feu à une armurerie et, je crois, à une exposition d’armes à feu. À toutes fins utiles, vous devez faire confiance aux gens qui possèdent une arme à feu. Vous ne leur enlevez pas leur permis. Vous ne prenez aucune autre mesure, mais vous dites qu’il est trop risqué de permettre le transport vers une armurerie, au cas où l’arme à feu doit être réparée, pour des raisons de sécurité publique. J’aimerais bien qu’on m’explique, qu’on me donne n’importe quelle raison, pourquoi les propriétaires d’armes à feu, sous ce nouveau régime, devront demander une permission pour aller à l’armurerie. Ensuite, le centre des armes à feu produit un document et vous l’envoie par la poste, et vous devez apporter ce document avec vous pour aller à l’armurerie et pour en revenir.

Je doute que quelqu’un puisse m’expliquer comment cela est censé empêcher les fusillades en pleine rue. Je ne crois pas que quelqu’un puisse le faire. Selon moi, c’est un excellent exemple.

Le sénateur Plett : Messieurs, je veux vous remercier de votre patience à notre égard. Je sais qu’il se fait tard et que la soirée a été longue. Je félicite la présidente, qui fait de son mieux pour que les choses avancent.

J’avais cinq questions à poser, mais vous y avez très bien répondu dans votre exposé, alors je serai bref.

Selon Statistique Canada, la hausse du nombre de crimes liés aux armes à feu tient pour moitié aux crimes commis à Toronto. La majorité de ces crimes sont liés aux armes de poing. Selon votre expertise, quelle proportion d’armes à feu légales au Canada se trouve à Toronto?

Si je me fie aux statistiques mentionnées plus tôt, il y aurait une grande proportion d’armes à feu légales à Toronto, n’est-ce pas? Pourriez-vous nous donner un pourcentage?

M. Clare : Je ne connais pas le pourcentage, mais le nombre de propriétaires d’armes à feu, dans la région du Grand Toronto, est considérable, si on croit les statistiques sur les propriétaires d’armes à feu au Canada. Il y a vraiment beaucoup de gens qui possèdent des armes à feu légalement dans la région du Grand Toronto.

Je ne pourrais pas donner de chiffres, mais je me ferai un plaisir de les vérifier et de vous faire parvenir la réponse.

Le sénateur Plett : Vous pouvez nous faire parvenir l’information par l’intermédiaire du greffier. Je vous en serais reconnaissant.

Pourquoi n’avez-vous pas confiance en la GRC pour la classification des armes à feu? Peut-être pourrions-nous avoir une ou deux réponses? J’aimerais également entendre la réponse de M. Young.

M. Friedman : Laissez-moi vous expliquer mon raisonnement. J’ai défendu plus d’une personne accusée d’infractions liées aux décisions de classification de la GRC. En conséquence, j’ai pu examiner les données et les pratiques de laboratoire relatives aux décisions de classification.

Donc, comment la GRC détermine-t-elle qu’une nouvelle arme à feu qui entre dans le marché canadien est une arme à feu sans restriction ou une arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée? C’est une décision plutôt importante. Une personne a peut-être légitimement le droit de posséder une arme à feu donnée. Si cette arme à feu est prohibée, la personne est passible d’une lourde peine d’emprisonnement. C’est tout un enjeu.

Selon moi, aucun facteur lié à la sécurité publique ne joue dans la décision. Disons que vous avez deux armes à feu, qui utilisent le même genre de munitions de même calibre et tirent à la même cadence; pourtant, l’une est une arme sans restriction et l’autre est une arme prohibée. Je crois sincèrement que nous avons besoin d’un cadre logique pour déterminer la classification des armes à feu.

La GRC s’appuie sur des facteurs comme la couleur de la monture, le matériel — par exemple, l’arme est-elle faite en plastique? — ou son apparence effrayante. Voilà pourquoi le Parlement doit exercer une supervision. Avant le projet de loi C-71, le gouverneur en conseil pouvait annuler ce genre de décisions et désigner n’importe quelle arme à feu comme étant une arme à feu sans restriction, et cela doit continuer avec le projet de loi C-71. C’est un contrepoids important au processus bureaucratique de la GRC.

Le sénateur Plett : Monsieur Young, aimeriez-vous faire un commentaire?

M. Young : Oui. Je suis tout à fait d’accord avec ce que M. Solomon Friedman a dit. Le Parlement doit exercer une supervision, cela ne fait aucun doute. La GRC ne doit pas faire la loi à elle seule.

Depuis 1984, j’ai présenté plus de 800 demandes d’accès à l’information. Une bonne partie visait la GRC; je voulais voir les preuves qu’elle possédait selon lesquelles il était possible de convertir facilement des armes à feu en armes à feu automatiques. La GRC n’a pas été en mesure de fournir quelque information que ce soit à propos du genre de machines, de l’expertise, de l’équipement ou des pièces qu’il faudrait avoir pour convertir ainsi une arme à feu.

Elle refuse de me fournir l’information. Peut-être sera-t-elle plus conciliante avec le Sénat.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie d’être parmi nous malgré l’heure tardive. J’ai deux questions. Je vais m’adresser d’abord à M. Clare et à M. Giltaca, puisque vous nous avez tous les deux fait part de vos doutes quant à l’efficacité du projet de loi et des programmes de contrôle des armes à feu en général. Monsieur Giltaca, vous avez dit, devant le comité de la Chambre des communes, que l’on devrait tout éliminer sauf les permis. Monsieur Clare, vous avez mentionné plus tôt qu’il n’y a absolument rien qui prouve que le contrôle des armes à feu est efficace.

Selon vous, quels sont les éléments inutiles du régime de contrôle des armes à feu? Lesquels élimineriez-vous?

M. Clare : Je préférerais m’en tenir au projet de loi C-71 pour l’instant. Il faut qu’il y ait un examen exhaustif de la Loi sur les armes à feu et de son règlement existant pour distinguer ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas.

Plus tôt, Mme Irons a démontré de façon concluante que les lois sur le contrôle des armes à feu ne fonctionnent pas, même si elle a semblé dire le contraire dans son exposé. Il m’apparaît évident que rien ne prouve l’efficacité des lois sur le contrôle des armes à feu quant à la prévention de la criminalité.

Pour résumer, ce n’est pas en contrôlant un objet de métal, de bois ou de plastique que vous réussirez à empêcher les méchants de faire des choses méchantes.

Vous et moi avons tous deux reçu un grand nombre de courriels de gens bouleversés qui sont inquiets à propos de ce projet de loi. J’étais inscrit en copie conforme sur bon nombre des courriels qui vous étaient adressés. Je vous remercie également de m’avoir envoyé copie de vos réponses de temps en temps.

Je crois que nous sommes tous deux conscients du fait que ce projet de loi n’est pas une solution miracle, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire. Ce projet de loi est extrêmement problématique. Il est inutile et, s’il est adopté, il sera inefficace. Un tel projet de loi doit s’inscrire dans un vaste examen du problème du contrôle des armes à feu au Canada. Depuis le début, le contrôle des armes à feu a eu un objectif politique; il n’a jamais été question de sécurité publique.

M. Giltaca : Je suis d’accord avec M. Clare pour dire que nous devrions nous concentrer sur le projet de loi C-71, mais je répondrai à votre question le plus brièvement possible.

Notre organisation croit que vous devez avoir des preuves tangibles qui montrent que les lois ou règlements relatifs aux armes à feu présentent des avantages pour la sécurité publique. Si vous n’êtes pas en mesure de le démontrer, le règlement n’a pas lieu d’exister.

Le sénateur Pratte : Nous avons entendu des scientifiques et des responsables de Statistique Canada plus tôt aujourd’hui. Ils nous ont fourni des preuves de la hausse des actes de violence ou des crimes liés aux armes à feu observée ces dernières années.

Ne prenons pas pour exemple l’année 2013. Je n’utiliserai ni cette année ni aucune autre année comme exemple. Si l’on compare les statistiques de n’importe quelle année à celles de 2016 et 2017, on constate que le nombre d’homicides et le nombre de suicides commis avec une arme à feu ont augmenté.

Les chercheurs qui ont comparu avant vous nous ont dit qu’une quantité incroyable de preuves démontrent que les programmes de contrôle des armes à feu, mis en œuvre au Canada et ailleurs, fonctionnent. Peut-être que ces gens ont tort. C’est le cas? D’accord.

M. Friedman : Je vais vous présenter deux points de vue sur le sujet. C’est important, car c’est une question que nous essayons tous de résoudre. Que nous indiquent réellement les preuves? Je vais faire deux observations.

La première concerne la hausse des homicides par arme à feu, en dépit du nombre croissant de restrictions s’appliquant aux armes à feu à autorisation restreinte, sans restriction et prohibées au Canada. C’est une chose de venir ici pour donner une opinion ou interpréter des données statistiques, mais on a déjà débattu de cette question devant des tribunaux de l’Ontario.

Un groupe de témoins nous a déjà parlé de la contestation constitutionnelle de la Barbara Schlifer Commemorative Clinic, qui touche l’abolition du registre des armes d’épaule. Cette contestation a été entendue, et le tribunal l’a rejetée. Le motif de ce rejet repose sur la décision du juge au procès, qui a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le registre des armes d’épaule, la mesure législative particulière qui a été abolie et les droits des personnes, comme le prévoit l’article 7 de la Charte, à la vie et à la liberté.

Nous avons tous une opinion à cet égard, mais les tribunaux ont déjà tranché la question, et ils ont établi qu’il n’y a aucun lien manifeste.

Le sénateur Pratte : Je suis désolé. J’ai lu, dans certains arrêts de la Cour suprême, que la possession d’une arme à feu est un privilège qui est assujetti à de nombreux règlements. Ils ont tous convenu de cela.

M. Friedman : Absolument, il n’y a aucun doute. Vous avez posé une question précise. Existe-t-il un lien entre des dispositions particulières relatives au contrôle des armes à feu et le renforcement de la sécurité publique? Les tribunaux ont tranché la question de façon claire. Ils ont rejeté la contestation fondée sur la Charte concernant le registre des armes d’épaule.

Le sénateur Pratte : Il semble que la décision rendue sur cette question est fondée sur des données scientifiques, lesquelles ont permis de conclure à l’efficacité des mesures de contrôle des armes à feu.

J’ai une dernière question à poser. Croyez-vous que Statistique Canada manipule les statistiques? Ses fonctionnaires nous ont fourni des statistiques indiquant qu’il y a une hausse, que l’année 2013 a été un tournant, que la tendance s’est inversée, et ainsi de suite.

Laissons le gouvernement de côté un instant. Croyez-vous que Statistique Canada participe à la manipulation de données statistiques?

M. Clare : Je crois pouvoir répondre à cette question. Le fait est que nous dépendons grandement des données de Statistique Canada pour nos propres recherches fondées sur des données probantes, dont nous vous présentons les conclusions. Prenons par exemple les recherches réalisées par le Dr Caillin Langmann, mentionnées par le groupe de témoins précédent. Il se sert d’une approche multivariée pour effectuer trois types différents d’analyses statistiques. Ce qu’il présente, ce n’est pas une opinion ni une interprétation. Ce sont des faits vérifiables et prouvables.

Nous utilisons les données fournies par Statistique Canada. Je peux vous assurer que les documents de référence concernant les suicides et les homicides, dont le Dr Caillin Langmann se sert dans le cadre de son travail, sont totalement vérifiables; il s’agit des renseignements du Centre canadien de la statistique juridique et des données de Statistique Canada.

M. Giltaca : De plus, ses recherches ont été évaluées par les pairs.

M. Clare : Les témoins précédents — et je souhaite rectifier cela, monsieur — ne sont pas tous des scientifiques.

Le sénateur Pratte : Ce sont des médecins.

M. Clare : Un médecin n’est pas un scientifique et une personne qui détient un doctorat dans le domaine de la recherche n’est pas un scientifique.

Le sénateur Pratte : Ils ont cité des revues scientifiques réputées.

M. Clare : Et je fais la même chose, monsieur.

Le sénateur Pratte : Vous avez présenté un seul travail de recherche.

M. Clare : En fait, monsieur, je me fonde sur un peu plus de travaux que cela, notamment l’étude réalisée par McPhedran et Baker en Australie. Je peux vous fournir une liste de quelque 25 documents sur des recherches évaluées par les pairs qui soutiennent ce que je vous dis, et pas ce qu’eux vous disent.

Le sénateur Gold : Vous avez soulevé tellement de questions et je dispose de si peu de temps que je ne suis pas sûr de savoir par où commencer.

Ma première question s’adresse à M. Clare. Lorsque vous avez présenté un mémoire au comité de l’autre endroit, vous avez parlé de la vérification des antécédents et avez dit que le refus de délivrer ou de renouveler un permis d’armes à feu peut reposer sur des événements anciens, comme un épisode de dépression qui s’est produit il y a longtemps, même si les antécédents récents montrent peut-être que la personne concernée ne représente pas une menace pour elle-même ni pour les autres.

Monsieur Clare, je vous invite à nuancer vos propos, car la loi actuelle — et le projet de loi C-71 n’y changera rien — ne parle pas de n’importe quel ancien problème mental. Les seules maladies mentales dont tient compte la loi sont liées à la violence, à la menace ou à la tentative de violence, et pas à n’importe quelle maladie mentale, comme la dépression.

M. Clare : Je peux vous donner un exemple. Un bon ami à moi qui a servi dans les Forces canadiennes en Afghanistan a participé aux activités en Bosnie-Herzégovine. Il était à Srebrenica, où il aidait à désarmer des gens. Cette participation au désarmement des habitants musulmans de Srebrenica a déclenché chez lui un trouble de stress post-traumatique.

Toutes les personnes qu’il a désarmées ont été immédiatement abattues par les Serbes bosniaques qui sont arrivés après le départ des Forces canadiennes. Ils les ont emportées par autobus entiers avec l’aide des troupes néerlandaises de maintien de la paix des Nations Unies, qui les ont aidés et même encouragés à enlever ces personnes.

À mon avis, ça, c’est de la violence, monsieur. De toute évidence, le trouble de stress post-traumatique de mon ami est associé à la violence. Par conséquent, s’il ressent le besoin de recevoir de l’aide en raison de ce trouble associé aux actes de violence auxquels il a participé, il devra contourner beaucoup d’obstacles au moment de renouveler son permis d’arme à feu s’il veut participer à des activités qu’il aime pratiquer, comme le tir sportif et la chasse récréative. Il prend très au sérieux ces activités qui le soulagent énormément de son stress. En raison de cette disposition particulière, il risquerait de rencontrer des difficultés.

J’espère que cela répond à votre question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Gold : Je ne suis pas certain, monsieur Clare, qu’il s’agisse d’une interprétation exacte de la manière dont cela s’appliquerait dans ce cas particulier, si dramatique soit-il.

Peut-être que je pourrais poser ma deuxième question à M. Friedman. C’est un plaisir de vous revoir.

M. Friedman : C’est toujours un plaisir de vous voir.

Le sénateur Gold : Il y a quelques années, vous avez été invité à l’émission d’Ezra Levant.

M. Friedman : Personne n’est parfait, monsieur le sénateur.

Le sénateur Gold : Nous pouvons nous raconter quelques histoires à micro fermé. En 2014, vous avez déclaré que le vrai problème était lié aux armes à feu qui n’avaient jamais été légales au Canada, mais avaient été introduites clandestinement à partir d’autres pays.

Selon les témoignages que nous avons entendus par la suite, c’est moins souvent le cas aujourd’hui, même si cela a pu l’être à un moment donné. Je cite, entre autres choses, le rapport présenté en 2017 seulement par l’escouade contre les armes à feu illégales de la Colombie-Britannique. Si l’escouade fait remarquer que cela a déjà été vrai, elle reconnaît que 60 p. 100 des armes à feu proviennent à l’heure actuelle du Canada. Selon les témoignages que nous avons entendus, près de la moitié de ces armes proviennent de Toronto. Vous l’avez également entendu, et je sais que M. Young conteste ces données.

Pourriez-vous vous prononcer sur le fait que ce qui a déjà été vrai n’est malheureusement plus d’actualité et sur la possibilité que certains des mécanismes prévus dans le projet de loi C-71 aideraient la police à reconnaître plus facilement les armes qui auraient pu être obtenues de sources canadiennes?

M. Friedman : Il y a deux volets à cette excellente question, sénateur Gold. Je vais répondre à la deuxième partie de votre question.

Tout d’abord, aucune disposition du projet de loi C-71 n’aiderait les policiers à reconnaître ou à retracer les armes à feu interdites ou à autorisation restreinte. Les armes de poing et les autres armes à feu prohibées sont déjà enregistrées et visées par des exigences en matière de signalement de sécurité.

C’est une excellente question car elle concerne la provenance des armes à feu liées à des actes criminels commis au pays. On peut utiliser des termes différents. Vous remarquerez que Statistique Canada ne se prononce pas sur la provenance des armes à feu liées à des actes criminels. J’ai grande foi en Statistique Canada et aux rapports qu’elle présente.

Toutefois, nous avons parlé des armes à feu liées aux crimes. Première question : qu’est-ce qu’une arme à feu liée à un acte criminel? Deuxième question : quelles armes à feu sont associées à ce paramètre? Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que Mme Cukier a parlé de l’étude menée par la police de Toronto au sujet des armes à feu qu’il est possible de retracer.

Prenons un instant pour scinder la question. Nous parlons déjà uniquement des armes à feu qui peuvent être retracées. Si les armes à feu ne peuvent être retracées, elles sont entièrement exclues de cette mesure. Selon mon expérience d’avocat en droit criminel qui s’occupe de ce genre d’infractions, les armes à feu retracées proviennent soit des États-Unis, soit du Canada. Si on ne peut pas les retracer, c’est qu’elles n’ont jamais été consignées dans le système au Canada comme le prévoit la loi. Autrement dit, elles n’ont jamais été enregistrées alors que l’enregistrement des armes de poing ou des armes d’épaule était obligatoire; elles n’ont tout simplement pas été comptabilisées. Si on ne peut pas les retracer aux États-Unis ou dans un autre pays, elles ne sont même pas comptées.

Si vous voulez connaître la provenance des armes à feu liées à des actes criminels, vous sélectionnez vous-même les armes à feu pouvant être retracées. Je ne suis pas statisticien, mais, à mon avis, cela aboutit à des résultats particulièrement faussés.

Le sénateur Gold : Monsieur Friedman, la même méthodologie aurait été appliquée à une autre époque lorsqu’un pourcentage beaucoup plus important d’armes à feu semblait provenir des États-Unis. Pour comparer des choses comparables, il semble que la provenance des armes à feu utilisées à des fins criminelles n’est plus la même et qu’un plus grand nombre proviennent du Canada. N’êtes-vous pas d’accord?

M. Friedman : Je ne suis pas d’accord, car, à mon avis, la méthodologie précédente n’était pas meilleure. Elle était tout aussi empirique. Elle s’appuyait sur des policiers ou des avocats comme moi qui devaient défendre un bon nombre d’individus accusés de possession illégale d’armes à feu à autorisation restreinte et faisaient valoir qu’en général, ces armes à feu n’étaient jamais enregistrées dans le système comme le prévoit la loi.

Maintenant, tout ce que nous voyons, ce sont des agents de police comme, par exemple, à Toronto. Ce n’est pas une étude de Statistique Canada. Ce sont des agents de la police de Toronto ou de l’escouade contre les armes à feu illégales de la Colombie-Britannique qui disent que, lorsqu’ils retracent des armes à feu ou demandent à ce que des armes à feu soient retracées, ils constatent qu’une plus grande proportion provient du pays.

L’autre question est la suivante : qu’est-ce qu’une arme à feu utilisée à des fins criminelles? Si une personne est accusée parce qu’on découvre chez elle un pistolet allemand Luger ayant appartenu à son arrière-grand-père, qui l’avait rapporté du théâtre de la guerre en Europe, après la Seconde Guerre mondiale, on prétend qu’il s’agit d’une arme liée à des activités criminelles. Pourtant, elle n’a pas été utilisée pour commettre une infraction violente et n’a pas été retrouvée sur une scène de crime.

À mon humble avis, ce n’est pas une définition acceptable sur le plan statistique. J’aimerais beaucoup que Statistique Canada se penche sur la question. C’est exactement ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin que des recherches soient menées pour nous aider à déterminer la provenance des armes à feu et la manière dont nous pouvons empêcher qu’elles se retrouvent entre de mauvaises mains.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse au chef de la direction de la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu, Rod Giltaca, ainsi qu’au président de la National Firearms Association, Sheldon Clare.

Je constate avec intérêt que, dans votre témoignage, vous mentionnez à quelques reprises les 2,2 millions de propriétaires légitimes d’armes à feu, je crois. Combien de membres font partie de chacune de vos organisations?

M. Giltaca : Nous ne divulguons pas le nombre de membres que nous avons pour deux ou trois raisons.

La sénatrice McPhedran : Quels genres de raisons?

M. Giltaca : Premièrement, nous ne voulons pas que les propriétaires d’armes à feu pensent que nous n’avons pas besoin d’aide. Deuxièmement, il s’agit essentiellement de renseignements concurrentiels.

M. Clare : La National Firearms Association compte présentement entre 72 000 et 75 000 membres, toutes catégories confondues, ce qui inclut les membres du club, les membres à vie, les membres associés et les membres ordinaires. Notre financement provient entièrement de nos membres. Il ne provient d’aucune autre source externe.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que l’une des organisations a des commandites en plus de la cotisation des membres?

M. Clare : Non, nous n’en avons pas.

M. Giltaca : Nous sommes une organisation communautaire. Nous sommes financés par des particuliers qui nous donnent 40 $ par année.

La sénatrice McPhedran : C’est très intéressant, car il me semble avoir vu sur votre site web une liste de commanditaires, et ces commanditaires sont des entreprises.

Pourriez-vous nous aider à mieux comprendre ce qu’est une commandite pour vous?

M. Giltaca : Il s’agit de membres dans la catégorie « affaires ». Ils paient 100 $ par année.

La sénatrice McPhedran : En ce qui concerne les renseignements que vous nous avez donnés, pourrions-nous avoir toutes les données empiriques auxquelles vous avez fait référence, monsieur Clare?

M. Clare : Bien sûr. Il me semble les avoir déjà transmises au Sénat, mais si ce n’est pas le cas, je vais m’assurer que ce soit fait.

La sénatrice McPhedran : Peut-être pourriez-vous vous en assurer. Je vois que vous en aviez plus ce soir que nous en avons reçu. J’ai encore beaucoup d’autres questions, mais je vais m’arrêter ici.

Le sénateur McIntyre : Ma question s’adresse à M. Friedman. En réponse à une question soulevée par le sénateur Plett, vous avez dit qu’il était important qu’il y ait un bon cadre régissant les armes à feu.

Si on examine le cadre, il y a la Loi sur les armes à feu et le Programme de contrôle des armes à feu, lequel a été créé pour superviser l’application de la Loi sur les armes à feu et de ses règlements.

Comme nous le savons tous, l’administration du programme relève entièrement de la GRC. Si je comprends bien, le programme prévoit également du soutien opérationnel par l’entremise de sa base de données, le Système canadien d’information relativement aux armes à feu, lequel renferme les noms des titulaires de permis d’armes à feu et de certificats d’enregistrement. Est-ce exact?

M. Friedman : C’est exact.

Le sénateur McIntyre : Si le projet de loi C-71 est adopté, la GRC, et non le gouverneur en conseil, aura le pouvoir exclusif de classifier ou de reclassifier les armes à feu. Est-ce exact?

M. Friedman : C’est exact. Je dirai simplement une chose en raison d’une question qui a été posée. Quel type de système de réglementation entourant les armes à feu devrait être mis en place, selon vous? Quelles règles aimez-vous?

À mon avis, la source de tous les problèmes, et qui cause le plus de réactions chez les propriétaires d’armes à feu qui respectent la loi, c’est qu’il n’y a pas de système de réglementation qui ne fait pas appel au droit pénal, et ce, même en cas de non-conformité par inadvertance à la Loi sur les armes à feu. Il s’agit d’un problème fondamental. Ce n’est pas le cas pour tout autre objet, dangereux ou non.

Il faut faire la distinction entre la conduite imprudente, qui est régie par une loi provinciale sur la sécurité routière, et la conduite dangereuse ou le mauvais usage intentionnel d’un véhicule. Si les propriétaires d’armes à feu oublient de renouveler leur permis, s’ils n’ont pas les bons documents, s’ils peuvent détenir une arme à feu à leur chalet, mais pas à leur domicile, ils auront directement des démêlés avec le système de droit pénal. Il y a d’abord une arrestation, la détention, un possible casier judiciaire et tous les préjugés qui en découlent.

La sénatrice Griffin : Ma question s’adresse à Rod Giltaca. Que recommanderiez-vous au lieu de la création d’une nouvelle base de données et d’un nouveau numéro de référence auxquels les entreprises auront accès?

Est-ce que, par exemple, vous recommanderiez des sanctions plus rigoureuses pour la cession illégale ou pour le défaut par une entreprise de vérifier le permis de possession et d’acquisition?

M. Giltaca : C’est là une source de grande confusion concernant la règle. Le Parti libéral et le ministre Goodale nous disent qu’il n’est pas nécessaire de vérifier un permis. Il faut le vérifier. C’est inscrit dans la loi actuelle. Les transactions sont réalisées par des gens qui font l’objet de ce qui équivaut à une vérification électronique du casier judiciaire toutes les 24 heures, nous estimons donc que le système est adéquat actuellement.

La sénatrice Griffin : Pour tous ceux qui ne respectent pas la loi actuelle ou même le projet de loi, seriez-vous en faveur de sanctions plus sévères?

M. Giltaca : Ce n’est pas à moi de faire ces recommandations.

Le sénateur Dean : Cette question s’adresse à tout le monde. Croyez-vous qu’il peut y avoir des torts évitables liés à la possession et à l’utilisation d’armes à feu?

Lorsque je parle de « torts évitables », cela va au-delà de l’entraînement, de l’accréditation et de la possession d’un permis de possession et d’acquisition. Êtes-vous d’accord pour dire qu’il y a des torts évitables associés à la possession et à l’utilisation d’armes à feu? Je n’entrerai pas dans les détails, mais cela inclut les homicides, qui surviennent de façon à peu près égale dans les régions rurales et urbaines du Canada, et la violence familiale et conjugale. Nous sommes probablement d’accord sur ces points. Nous connaissons les chiffres sur les suicides et ceux sur les décharges accidentelles, qui causent la mort dans certains cas et des mutilations dans d’autres.

Convenez-vous qu’il s’agit de torts évitables, malgré la détention d’un permis de possession et d’acquisition?

M. Clare : Je suis également entraîneur et officiel au biathlon. En fait, je suis ici avec vous pendant les World Para Nordic Skiing Championships, à Prince George, où j’agis à titre d’officiel.

J’ai deux filles qui ont toutes deux fait de la compétition en biathlon. J’ai commencé à leur montrer à tirer lorsqu’elles avaient six ans. Elles s’asseyaient sur mes genoux, tiraient avec le calibre .22 et faisaient éclater des ballons. À mesure qu’elles vieillissaient et que leurs habiletés motrices s’amélioraient, elles ont acquis plus d’aptitudes et ont reçu un entraînement plus poussé. Je vous assure que, si je laissais ma collection entière d’armes à feu traîner autour de la maison, mes filles me disaient : « Papa, pourrais-tu ranger ce fouillis, s’il te plaît? » Elles ne s’intéresseraient pas du tout aux armes à feu, puisque, à leur apogée, elles tiraient de 5 000 à 7 000 coups par année à l’entraînement.

Y a-t-il des torts évitables? Bien sûr qu’il y en a. L’éducation est un élément clé dans la prévention des torts. Cependant, les infractions au Code criminel pour des violations mineures qui ne font aucune victime ne devraient pas relever du Code criminel. Ce n’est pas ce qui réussit à prévenir la violence. Ce n’est pas ce qui empêche des gens malveillants de faire des choses répréhensibles. Les gens malveillants trouveront toujours un moyen, une façon ou une raison pour faire quelque chose de mal intentionné. Ce sera toujours le cas.

Allons-nous tenter de rendre les choses plus difficiles pour eux? Je ne pense pas que quiconque dans la salle veuille que ce soit plus facile pour les gens malveillants de faire des choses répréhensibles. Ce n’est pas pour cela que nous sommes ici. Nous sommes ici pour essayer d’empêcher le gouvernement du Canada de perdre son temps et son argent à donner des coups d’épée dans l’eau avec un projet de loi qui n’empêchera pas les personnes malveillantes de faire des choses répréhensibles et qui n’aidera pas à prévenir les torts.

La présidente : Je remercie les trois messieurs de leur présence ici avec nous, ainsi que M. Young d’être avec nous à distance.

Pour notre dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous avons le plaisir de recevoir, de la Canadian Shooting Sports Association, Tony Bernardo, directeur général, et Steve Torino, président; de la Fédération de tir du Canada, Sandra Honour, présidente, qui sera avec nous par vidéoconférence; et, enfin, de l’International Practical Shooting Confederation of Canada, James Smith, président du National Range Officers Institute.

Tout d’abord, messieurs, je vous remercie d’avoir patienté. C’est une soirée chargée, et nous vous sommes reconnaissants de votre patience.

Monsieur Torino, vous avez la parole.

Steve Torino, président, Canadian Shooting Sports Association : De 1996 à 2014, j’ai présidé et coprésidé le Comité consultatif canadien sur les armes à feu au ministère de la Justice et au ministère de la Sécurité publique, sous les gouvernements libéral et conservateur. J’ai également été conseiller pour la délégation canadienne aux Nations Unies pour le Traité sur le commerce des armes et dans le dossier de la criminalité transnationale organisée de 2006 à 2014.

Je vous présente d’abord un passage du document de politique du Parti libéral :

Un gouvernement doit élaborer des politiques fondées sur des faits, et non inventer des faits à partir d’une politique. Sans faits probants, un gouvernement prend des décisions arbitraires qui peuvent avoir des répercussions négatives sur la vie quotidienne des Canadiennes et des Canadiens.

Cela fait malheureusement défaut dans le projet de loi C-71.

En ce qui concerne la vérification des antécédents à vie, nous estimons que, pour déterminer si un demandeur est apte à posséder un permis, il n’est pas nécessaire et il est contre-productif d’exiger des vérifications qui remontent à son passé lointain, et qui couvrent des emplois, des relations, des problèmes de santé et même des problèmes scolaires révolus depuis longtemps.

Un peu plus de 401 000 permis ont été délivrés en 2017. Environ 817 demandes ont été refusées, ce qui représente le nombre infiniment petit de 0,020 p. 100. La plupart de ces refus découlaient d’ordonnances d’un tribunal, et non de l’examen de la demande de permis.

Nous effectuons également, comme l’ont mentionné les témoins précédents, des vérifications des antécédents aux 24 heures, chaque jour, pour les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis. Nous avons certaines inquiétudes en ce qui concerne les vérifications des antécédents à vie, les critères relatifs aux renseignements vérifiés ainsi que la formation de ceux qui effectuent la vérification.

La vérification porte-t-elle uniquement sur les problèmes de violence? Qui évalue les renseignements? Quelle formation ces personnes ont-elles reçue pour juger si une personne est apte à posséder une arme à feu?

Aucun mécanisme d’appel n’est prévu. Quiconque éprouve un problème doit se présenter devant un tribunal. C’est une démarche longue et coûteuse.

Ces enquêtes nécessiteront énormément de temps et les coûts seront exorbitants. Selon nous, ces ressources seraient bien mieux utilisées dans d’autres secteurs où le besoin est plus grand, comme le financement de la poursuite des vrais criminels.

En ce qui concerne la vérification des permis, le projet de loi C-71 ne fait qu’exiger la codification d’une pratique existante. Les exigences concernant le numéro de référence causeront d’importants problèmes de conformité. Actuellement, nous n’avons connaissance d’aucune transaction qui s’effectue sans que l’acheteur et le vendeur ne s’échangent des renseignements. Habituellement, le vendeur demande tous les renseignements nécessaires et il s’assure qu’il existe un permis valide et que la photographie correspond. Les marchands enregistrent chaque transaction, qu’ils soient obligés de le faire ou non.

Chaque transaction est enregistrée. Je comprends que cela relève de l’autre article, mais je tiens à préciser qu’elles sont toutes enregistrées. Il y a des renseignements sur les armes à feu à autorisation restreinte et prohibée. Tout se trouve dans le Centre canadien des armes à feu et la base de données de la GRC. Les armes à feu sans restriction, quant à elles, apparaissent aux dossiers des vendeurs.

En ce qui concerne les registres des entreprises, si on les ajoute aux renseignements requis pour la vérification du permis d’une personne, on se rapproche nettement du registre des armes d’épaule qui a été aboli. Le fardeau de recueillir et de tenir à jour les renseignements, qui coûtait des milliards de dollars au gouvernement, a maintenant été transféré aux entreprises. Il semble que le projet de loi C-71 soit, en fait, un retour à l’immatriculation. C’est notre opinion.

Je cède maintenant la parole à mon collègue, Tony Bernardo. Merci.

Tony Bernardo, directeur général, Canadian Shooting Sports Association : Je tiens à remercier les sénateurs de nous écouter à une heure si tardive. Je suis content que vous le fassiez, car nous avons des préoccupations importantes.

J’aimerais tout d’abord parler du retrait de la capacité du gouverneur en conseil de désigner une arme à feu sans restriction. Il s’agit du pouvoir d’effacer les erreurs de la GRC, c’est-à-dire l’article de la Loi sur les armes à feu qui autorise le ministre et les personnes que nous avons élues pour faire nos lois à annuler une décision arbitraire prise par des membres de la GRC, parce que ces derniers n’ont pas toujours raison.

Il y a une multitude d’exemples, mais tenons-nous-en à ceux dont il est question ici. Le paragraphe 12(11) du projet de loi traite de du modèle d’arme à feu CZ858, qui a été reclassifié à trois reprises. La GRC, à la lumière de son expertise, a classifié cette arme comme étant sans restriction. Elle en a classifié une autre comme étant à autorisation restreinte. Puis une troisième est arrivée, et la GRC a déclaré que seules quelques-unes d’entre elles étaient interdites. Pourtant, on ne pouvait pas les distinguer en les regardant. C’était tout simplement impossible de le faire.

La GRC a souvent commis des erreurs, énormément d’erreurs. Vous pouvez aller en ligne et trouver des erreurs partout dans Internet. Cet article conférait le pouvoir d’effacer les erreurs. Il permettait à un représentant élu de dire qu’il s’agissait d’une erreur et de rectifier le tir.

En ce qui concerne les autorisations de transport, nous avons ici toutes les raisons pour lesquelles on pourrait obtenir une autorisation de transport, je ne m’attarderai donc pas là-dessus.

Saviez-vous que certaines des autorisations pour lesquelles il faudra des papiers en ont déjà? Par exemple, si vous vous présentez à la frontière américaine sans avoir tous vos papiers américains, qui constituent une grosse pile, vous allez passer les deux pires journées de votre vie, parce que les Américains prennent la contrebande d’armes dans leur pays aussi au sérieux que nous. Vous devez avoir tous les papiers.

Si vous allez chez un armurier ou dans un magasin d’armes à feu, le commerçant consigne l’arme à feu dans son répertoire. Bon nombre des commerces d’armes à feu disposent de répertoires électroniques auxquels le bureau du contrôleur des armes à feu peut avoir accès en tout temps. À ce sujet, l’article 102 de la Loi sur les armes à feu permet au contrôleur des armes à feu d’inspecter n’importe quel dossier sur n’importe quel ordinateur en tout temps, n’importe quoi. Il peut entrer et dire : « Donnez-moi les dossiers. » C’est aussi simple que cela. Vous pouvez vérifier.

De plus, rien ne prouve que les permis électroniques ont été enfreints ou utilisés de façon abusive. Il n’y a tout simplement aucune preuve. Nous allons abattre une forêt entière pour délivrer des permis qui sont tout à fait équivalents aux permis électroniques que nous avons, puisque nous sommes en 2019. Rien ne justifie cela. C’est tout simplement un processus administratif.

Il y a des problèmes très graves dans les nouvelles catégories de classification. Le ministre Goodale nous a répété à maintes reprises qu’une partie de ce projet de loi éliminera l’ingérence politique dans la classification. Je vous dirai tout de suite qu’il s’agit d’ingérence politique parce que les responsables de la GRC ont déjà parlé à trois occasions du CZ858, soit dit en passant, et ont fourni trois réponses différentes. Si vous continuez de les questionner, vous finirez par obtenir deux fois la même chose, et c’est cette réponse-là qu’il nous faudra garder. Ils ont également parlé des armes à feu Swiss Arms.

Nous avons le CZ858, et les responsables de la GRC prétendent à présent qu’il s’agit d’armes à feu visées au paragraphe 12(3). Ensuite, ils créent le paragraphe 12(11). Demandez-vous pourquoi ils font cela, s’ils ont déjà statué que ce type d’arme à feu était visé au paragraphe 12(3). Le problème, c’est que le paragraphe 12(3) décrit une caractéristique mécanique et que le paragraphe 12(11) est totalement et complètement arbitraire.

Les deux paragraphes reviennent-ils au même? C’est apparemment le cas. Est-ce que cela veut dire que tous ceux qui sont visés par le paragraphe 12(3) le sont aussi par le paragraphe 12(11)? Cela signifie-t-il qu’ils bénéficient maintenant de droits acquis et qu’ils peuvent transporter les armes à feu jusqu’à un champ de tir? J’espère que vous comprenez la confusion. N’oubliez pas que non seulement nous devons la comprendre, mais nous devons nous conformer à la lettre de la loi, sinon on nous arrête. Ce n’est pas une situation agréable.

Enfin, je vous demanderais d’examiner les nouvelles catégories de classification. L’article 12 de la Loi sur les armes à feu traite des interdictions. Chaque paragraphe de l’article 12 comporte une justification. Il y a une raison pour laquelle l’arme à feu est interdite, mais les paragraphes 12(11) et 12(14) n’en fournissent pas.

Je demande aux bons sénateurs qui ont le pouvoir d’examiner les mauvaises mesures législatives et de les améliorer de se pencher sur la question. Des Canadiens respectueux de la loi et en règle, titulaires d’un permis et qui n’ont jamais commis de crime ont obtenu et utilisé de manière légale ces armes à feu. À présent, le gouvernement va les leur retirer sans même avoir la décence de leur dire pourquoi. C’est tout à fait inacceptable. Les Canadiens doivent savoir pourquoi le gouvernement leur retire leur bien.

Dre Sandra Honour, présidente bénévole, Fédération de tir du Canada : Je suis la Dre Honour, épidémiologiste vétérinaire et présidente bénévole de la Fédération de tir du Canada ainsi qu’ancienne membre de l’équipe nationale aux championnats du monde des Jeux panaméricains pour les équipes canadiennes de natation et de tir.

Ce soir, je représente les membres de la Fédération de tir du Canada. Contrairement à de nombreux groupes ici ce soir, il ne s’agit pas d’un groupe de pression. Nous n’avons aucune affiliation politique. Tout comme les organismes provinciaux directeurs de sport, nous sommes simplement l’organisme national directeur de sport qui soutient l’infrastructure et les occasions pour les athlètes de tir à la cible de représenter le Canada lors de compétitions importantes et de coupes du monde partout dans le monde.

Les membres de la Fédération de tir du Canada comprennent les clubs de tir récréatifs au fusil, à la carabine et au pistolet et leurs membres ainsi que les athlètes canadiens de haut niveau et ceux qui aspirent à devenir dans les disciplines du fusil, de la carabine et du pistolet.

Je mentionnerai également que je ne peux pas séparer mes responsabilités envers la Fédération du tir du Canada de mes responsabilités personnelles. Je suis légalement propriétaire d’armes à feu, et je pratique la chasse et le tir récréatif.

Il y a d’autres choses dont j’aimerais vous parler. Je sais que vous êtes ici depuis longtemps, mais j’aimerais faire quelques observations.

Tout d’abord, si on regarde le nom et le titre de ce projet de loi, il s’agit de la Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. En tant que propriétaire canadienne d’armes à feu publiques au Canada, c’est épuisant d’essayer de comprendre ce que fait cette loi ainsi que toutes ses répercussions. Je ne pense pas que nous devrions avoir à demander aux avocats si nous sommes des citoyens respectueux des lois ou des criminels. Les mesures législatives sur les armes à feu deviennent de plus en plus compliquées, et vous devriez peut-être les revoir et simplifier un peu les choses pour les Canadiens.

Je suis fonctionnaire depuis 24 ans et je crois que j’ai assez d’expérience en matière de politiques pour dire qu’il s’agit vraiment d’une mauvaise mesure législative, qui est formulée de façon trop complexe et qui n’atteint pas ce qui, à mon avis, semble être les nobles objectifs des représentants élus. Si mon interprétation des discours prononcés à la Chambre des communes est bonne, le projet de loi C-71 vise à réduire la capacité des criminels de commettre des infractions liées aux armes à feu et à fournir aux organismes d’application de la loi les outils dont ils ont besoin pour prévenir les actes criminels liés aux armes à feu.

Si vous lisez le projet de loi et que vous examinez ce qu’il fait, vous constaterez que ce n’est rien de plus qu’un tout petit pas vers la réalisation de ces objectifs et que, par conséquent, il laisse pour compte le public et les organismes d’application de la loi. Je ne vais pas parler du commerce des armes à feu parce que je pense que le sujet a été largement abordé.

Pour ce qui est de la vérification des antécédents, je comprends parfaitement que le fait de posséder une arme à feu au Canada est un privilège, et non un droit. Je crois, et je pense que la plupart de nos membres seraient d’accord avec moi, qu’un comportement criminel violent devrait vous faire perdre le droit de posséder une arme à feu pour le reste de vos jours, peu importe votre patrimoine culturel ou votre situation socioéconomique. Toutefois, l’octroi de ce privilège ne peut être décidé par un individu ou par quiconque autre que l’ensemble de notre société.

Dans une démocratie, c’est le rôle de nos élus et des fonctionnaires qui travaillent pour eux de veiller à ce que les organismes d’application de la loi adhèrent aux principes et aux valeurs de notre société. L’histoire nous a appris qu’il est dangereux de donner trop de pouvoir aux personnes ou aux forces de l’ordre.

Le projet de loi permet à une personne de refuser le droit qu’a un citoyen de posséder ou d’acquérir une arme à feu en fonction du comportement qu’il a adopté tout au long de sa vie. Si un tel pouvoir existe, il faut mettre en place un processus d’appel simple, équitable et peu coûteux pour que l’on puisse s’assurer que les principes et les valeurs de société sont respectés. Ce n’est pas que les riches et ceux qui peuvent se payer des avocats qui peuvent interjeter appel de toute décision prise quant à savoir si quelqu’un peut posséder ou non une arme à feu.

La partie du projet de loi qui traite de la classification a également été assez bien couverte par d’autres personnes ce soir. Je passe outre, car je sais que vous avez besoin de dormir.

Selon moi, l’autre partie du projet de loi qui touche vraiment ceux d’entre nous qui sont des athlètes au Canada est l’autorisation de transport. Encore une fois, j’ai de la difficulté à établir un lien entre les principes et la noble intention de ce projet de loi et les modifications proposées à l’autorisation de transport actuelle.

Les exemples que je vais vous donner sont réels. Nos tireurs au pistolet peuvent, lors d’une compétition, se retrouver avec leur arme à feu brisée un jeudi alors qu’ils doivent compétitionner le vendredi. Le fait d’avoir à présenter une demande dans un système bureaucratique nécessitant l’envoi par la poste d’un permis afin de pouvoir transporter l’arme chez un armurier les empêcherait de participer aux Jeux olympiques, de faire partie d’équipes nationales ou d’équipes des Jeux panaméricains.

Il est nécessaire d’adopter une approche réaliste à cet égard. Cette situation n’est pas acceptable pour l’ensemble de nos athlètes. La disposition législative actuelle qui prévoit que, avec notre permis de possession d’arme à feu à autorisation restreinte, nous pouvons transporter cette arme dans six lieux différents nous convient tout à fait. Nous pensons que vous devriez laisser les choses telles quelles. Nous pouvons nous débrouiller assez bien dans ce système.

Enfin, s’il y a une chose que je voudrais vous faire comprendre, c’est la valeur des propriétaires d’armes à feu dans ce pays. Je ne parle pas de la valeur économique. Je parle de la valeur culturelle et du fait de perpétuer un patrimoine. J’entends beaucoup parler de la valorisation du patrimoine culturel de certaines collectivités du Canada, mais mon grand-père, qui était colon, chassait. Mon père et ma mère ont tous deux pratiqué le tir à la cible et m’ont initiée aux sports de tir. Mon sport fait partie de mon patrimoine et de ma culture en tant que Canadienne.

Le projet de loi C-71 aura des répercussions sur de nombreuses familles qui manqueront les occasions que j’ai eues de participer à un sport unique, simplement parce que les politiciens et la bureaucratie essaient de rendre difficile la capacité de posséder des armes à feu et de les transporter là où nous avons besoin de les utiliser.

Certains athlètes qui pratiquent le tir à la cible ne sont pas en mesure de pratiquer d’autres sports. Les personnes blessées aux genoux, aux pieds ou aux chevilles sont très précieuses pour nous. Les gens qui ne peuvent plus participer à ce que vous appelleriez un sport plus traditionnel se tournent vers le tir et peuvent encore devenir des athlètes olympiques pour le Canada et représenter leur pays en participant à nos sports.

Cela permet à nos jeunes de passer du temps avec des adultes. Ils peuvent rivaliser sur un pied d’égalité avec des gens plus âgés qu’eux. Cela leur donne confiance, améliore leur concentration et leur permet de fixer des objectifs. Le tir à la cible leur permet, selon des mesures objectives, de se comparer et de comprendre ce que cela signifie de poursuivre un objectif.

Le sport est important, et mon sport l’est tout autant. Il faut tenir compte des répercussions découlant de ces dispositions législatives afin que cela n’ait pas d’incidence sur ceux d’entre nous qui investissent une quantité incroyable de temps en quête d’excellence, une quantité incroyable de temps et d’argent pour représenter le Canada lors d’événements mondiaux.

Si la culture et le sport comptent pour vous, alors soyez très prudents lorsque vous adopterez ces dispositions législatives afin qu’elles n’aient pas pour effet secondaire d’étouffer nos sports au point où il deviendra trop difficile pour les gens de les pratiquer et d’y contribuer. Je m’en tiendrai à cela.

James Smith, président, National Range Officers Institute, International Practical Shooting Confederation of Canada : Ce n’est pas ma faute, mais je suis probablement l’intervenant le plus populaire ce soir. Bref, je suis heureux d’être le dernier.

L’International Practical Shooting Confederation of Canada représente un sport mondial. Elle est présente dans plus de 100 pays. Au Canada, nous comptons actuellement environ 4 000 membres répartis d’un océan à l’autre, qui sont très engagés dans leur sport. Je suis également président de la Shooting Federation of Nova Scotia, l’organisme provincial relevant de la Fédération du tir du Canada.

Dans notre province, nous avons environ 5 000 membres de clubs récréatifs et compétitifs dans diverses disciplines de tir, y compris celles de l'ISF, la carabine de petit et de gros calibres, le pistolet à air comprimé, le fusil à air comprimé, militaire et de catégorie F, la fosse olympique, le skeet et le tir au pigeon d’argile.

Comme l’a mentionné l’intervenante précédente, le tir sportif au Canada est quelque chose qui est cher à notre patrimoine. Dans la collectivité où je vis, la première compétition de tir a eu lieu en 1853. Elle a été organisée par la Nova Scotia Rifle Association, qui existe encore aujourd’hui. Il s’agit d’un organisme vieux de plus de 150 ans qui organise chaque année le même événement, et ce, depuis 1853.

Quant à l’International Practical Shooting Confederation of Canada, nous avons connu une croissance d’environ 10 p. 100 par année au cours des cinq dernières années. Ce sport et tous les sports de tir ont gagné en popularité. Nous évaluons les sports de tir par l’intermédiaire de la Shooting Federation of Nova Scotia. Si on prend l’exemple du soccer, les taux de participation culminent pour les enfants de 13 et 14 ans, et lorsqu’ils atteignent l’âge de 20 ans, les taux chutent. Chez les gens de 30 ans, il n’y a qu’environ 500 participants dans toute la province. Les études montrent que le tir sportif est le seul sport en Nouvelle-Écosse que les gens commencent à pratiquer lorsqu’ils sont adolescents, et où le taux de participation culmine chez les gens dans la trentaine et se maintient jusque chez les octogénaires. Les adeptes du sport ne le pratiquent peut-être pas de manière compétitive à l’échelle nationale, mais ils compétitionnent avec leurs pairs et continuent de tirer.

Pour ce qui est du projet de loi, comme on l’a mentionné plus tôt, il est assez lourd à l’heure actuelle. Que faut-il pour devenir un tireur sportif au Canada? Tous les athlètes doivent suivre deux cours et faire l’objet des vérifications obligatoires et des vérifications du casier judiciaire pour ensuite obtenir leurs permis. Une fois qu’ils les ont obtenus, ils doivent s’inscrire dans un club. On doit attester chaque année qu’ils sont membres de leur club. Ils doivent ensuite obtenir leur autorisation de transport, ce qui leur permet de pratiquer leur sport.

J’ai personnellement représenté le Canada sur la scène internationale à cinq reprises au cours des 15 dernières années. Le processus de délivrance de permis, sous sa forme actuelle, et l’autorisation de transport me permettent de faire cela. Il n’y a absolument aucune intention criminelle. Nous pouvons nous déplacer. Nous pouvons le faire. Nous faisons tous l’objet de surveillance et nous devons obtenir des permis.

Ce que nous craignons, c’est que le projet de loi C-71 complique les choses. Le projet de loi fera reculer notre sport, alors que nous tentons de le faire croître. On limitera le nombre de personnes qui peuvent en réalité pratiquer ce sport.

Les 1 400 champs de tir au Canada sont des installations privées et sans but lucratif. Ils fournissent aux gens des lieux de loisirs. Également, en Nouvelle-Écosse, les services de police les utilisent pour leur formation. Si nous détruisons les sports de tir et n’avons plus ces champs de tir, la police n’aura aucun endroit où pratiquer le tir ou offrir sa formation.

L’autorisation de transport serait le principal problème pour le tireur de compétition. Rendre le processus plus complexe n’est pas acceptable. Je vais m’arrêter ici et répondre aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Ma première question s’adresse à M. Torino. Quels sont les problèmes que la vérification des antécédents des demandeurs de permis posera spécifiquement à ceux qui ont des armes pour faire du tir...

[Traduction]

M. Torino : Monsieur le sénateur, ça ne fonctionne pas. Je suis désolé, mais je n’entends pas l’interprète.

Le sénateur Dagenais : Nous serons dans cet immeuble pour les 10 prochaines années. La traduction est importante.

M. Torino : Je vous entends maintenant.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Quels sont les problèmes que la vérification des antécédents des demandeurs de permis posera, spécifiquement à ceux qui ont des armes pour faire du tir sportif?

[Traduction]

M. Torino : Monsieur le sénateur, merci de la question. Les problèmes concernent la redondance des questions posées, le temps nécessaire pour traiter les demandes, l’utilisation de l’installation, les ressources du gouvernement canadien et le temps nécessaire à la personne qui présente une demande. Il s’agit d’un grave problème si nous poursuivons dans cette veine.

Nous faisons l’objet d’une vérification toutes les 24 heures. Les 2,1 ou 2,2 millions titulaires de permis font l’objet d’une vérification toutes les 24 heures. Que nous retournions ou non cinq ans en arrière, la Loi sur les armes à feu prévoit une disposition discrétionnaire qui permet aux contrôleurs des armes à feu de retourner dans le passé et de faire ce qu’ils veulent. La loi peut préciser cinq ans, mais les contrôleurs des armes à feu peuvent retourner aussi loin qu’ils le désirent et vérifier tout ce qu’ils veulent, et ils le font.

La codification de cette pratique existante entraîne une augmentation du temps et des ressources nécessaires, que l’on pourrait mieux utiliser dans d’autres domaines à l’égard de la véritable criminalité et non pas à l’égard d’un propriétaire qui renouvelle son permis ou qui présente une demande pour la première fois.

Je sais qu’on effectue une vérification supplémentaire pour une première demande de permis, mais pas pour un renouvellement quand il s’agit d’une personne qui est bien connue dans la province. C’est la raison pour laquelle les contrôleurs des armes à feu de chaque province effectuent la vérification. Il ne s’agit pas d’une exigence fédérale parce qu’ils sont plus près de la personne qui présente une demande. Ils peuvent vérifier auprès des autorités locales s’il y a un élément qui n’a pas été relevé. Quelque chose aurait pu passer à travers les mailles du filet ou ne pas être consigné dans le système.

En ce qui nous concerne, toutes les 24 heures, c’est plus que suffisant. Le système fonctionne. Il empêche les personnes qui ne devraient pas posséder d’armes à feu de s’en procurer. Si un problème survient, comme dans les cas que nous avons vus dans les médias, c’est habituellement une personne qui est passée à travers les mailles du filet. On aurait dû l’identifier à un moment donné et lui dire qu’elle ne devrait pas posséder de permis ni d’armes à feu.

En passant, lorsqu’un permis est révoqué, je crois comprendre que personne ne s’assure réellement que la carte de plastique appelée « permis » est vraiment retirée et que toutes les armes à feu sont saisies. Il n’y a pas d’autres enregistrements qui permettent de suivre la personne afin de s’assurer que cela se produit après la révocation du permis. Merci, monsieur le sénateur.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci. J’aimerais poser une dernière question à Mme Honour. Croyez-vous que le projet de loi C-71 découragera les jeunes de choisir le tir comme discipline sportive reconnue et pourrait peut-être nous priver de possibles futurs athlètes d’élite? Devrait-on amender le projet de loi à cet égard?

[Traduction]

Dre Honour : Je crois que la disposition sur les questions de transport accroît certainement ce risque pour notre sport et nos athlètes. Le suivi de l’information et des noms dans les entreprises aura des incidences sur le désir de certaines personnes de pratiquer le sport parce que de plus en plus de gens sont préoccupés par les personnes qui possèdent et conservent leurs renseignements personnels.

Lorsque nos armes à feu sont étiquetées dans les aéroports, je sais qu’il y a une augmentation des vols de nos armes à feu lorsque nous voyageons à l’étranger. Il y a des listes de renseignements sur les personnes qui possèdent des armes à feu coûteuses conservées dans un endroit où, selon ma compréhension de la loi, on ne garantit pas leur sécurité. Cela m’expose à un risque accru à titre personnel.

Est-ce que cela me donne le goût de pratiquer un sport ou d’en trouver un autre? Ce genre de chose nous inquiète.

Le sénateur Plett : Ma première question s’adresse à M. Bernardo ou à M. Torino et elle compte trois volets. Je vais poser la question au complet d’un coup. Elle concerne l’autorisation de transporter des armes à feu à autorisation restreinte pour tout sauf apporter l’arme à feu achetée à la maison et aller au champ de tir.

Si un policier intercepte un véhicule aujourd’hui, comment pourrait-il savoir si la personne transporte une arme à feu à utilisation restreinte?

Supposons qu’un policier découvre, d’une façon quelconque, qu’une personne transporte une arme à feu à utilisation restreinte et se rend à un poste frontalier. Quels sont les outils actuellement à sa disposition pour l’aider à déterminer si la personne dit la vérité lorsqu’elle affirme qu’elle se rend à la frontière?

Enfin, qu’en est-il si la personne dit qu’elle transporte son arme à utilisation restreinte pour se rendre dans une exposition d’armes à feu ou chez un armurier? Quels outils peuvent aider ce policier à déterminer si la personne dit la vérité?

Pourriez-vous répondre à ces questions?

M. Bernardo : Je vais répondre à la première. Portait-elle sur l’autorisation de transport vers un poste frontalier?

Le sénateur Plett : Si un policier intercepte une personne dans un véhicule aujourd’hui, comment peut-il découvrir si elle transporte une arme à feu à utilisation restreinte?

M. Bernardo : Il faudrait que la personne dans le véhicule le lui dise. Rien ne l’oblige à dire à un policier qu’elle transporte une arme à feu parce que ce n’est pas illégal. Elle pourrait avoir un accident d’automobile, par exemple. Si le policier examine l’automobile pour voir si elle contient de l’alcool, il pourrait trouver une arme à feu. Si l’arme à feu est dans son étui doté de verrous d’arme, il ne s’agirait pas d’un transport inadéquat. Toutefois, le policier peut vérifier l’endroit où la personne se rendait avec l’arme à feu.

Le sénateur Plett : Existe-t-il une façon pour un policier de déterminer si vous dites la vérité lorsqu’il découvre que vous vous rendiez vers un poste frontalier?

M. Bernardo : Absolument, parce qu’il y a une pile de documents américains. Pour traverser un poste frontalier américain, on doit présenter une demande au Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives afin d’obtenir un formulaire 6NIA, qui permet aux étrangers qui ne sont pas des immigrants d’apporter une arme à feu aux États-Unis. Cela s’applique à toutes les armes à feu, soit dit en passant. Les États-Unis ont également une exigence qui semble avoir été abandonnée. Toutefois, personne ne l’a jamais mentionné à la frontière. Il faut avoir reçu une invitation d’un club de tir aux États-Unis ou détenir un permis de chasse américain valide pour traverser la frontière. On doit présenter tous ces documents au gouvernement américain.

Lorsqu’on reçoit son formulaire 6NIA, on doit y inscrire son permis de possession d’arme et le numéro de certificat de chaque arme à feu que l’on transporte. Ce n’est pas un formulaire général. Si on apporte trois armes, ce ne peut être que ces trois armes. On doit également inscrire toutes les munitions que l’on apporte aux États-Unis.

Le sénateur Plett : Tout doit être déclaré.

M. Bernardo : Tout cela figure sur le formulaire. Sans cela, on ne pourra pas traverser un poste frontalier américain.

Le sénateur Plett : Quels sont les outils actuellement à la disposition d’un policier pour l’aider à déterminer si vous dites la vérité lorsque vous affirmez que vous vous rendez à une exposition d’armes à feu ou chez un armurier?

M. Bernardo : C’est assez facile dans le cas des expositions d’armes à feu parce qu’elles sont bien connues dans la communauté. La police est au courant lorsqu’une exposition d’armes à feu se tient un samedi matin au centre communautaire. Si vous transportez votre arme à feu un mercredi après-midi et que vous dites que vous vous rendez à l’exposition d’armes à feu, eh bien, ce n’est pas le cas. La police détient ces renseignements.

Lorsqu’on se rend dans un magasin d’armes à feu ou chez un armurier, l’arme à feu est en réalité consignée dans le registre de l’entreprise. Cela doit être fait de cette façon. Il existe littéralement un registre papier.

Le sénateur Plett : Monsieur Smith ou Dre Honour, je suis certain de savoir la réponse à la question, mais je vais la poser quand même. Quel est l’aspect le plus problématique du projet de loi C-71? Qu’aimeriez-vous que l’on fasse à cet égard?

S’agit-il de l’autorisation de transport? Le cas échéant, comment pouvons-nous régler le problème?

Dre Honour : Je dirais que vous pouvez le régler en laissant les choses telles quelles.

Le sénateur Plett : Le statu quo vous convient.

Dre Honour : Le statu quo fonctionne pour nous. Actuellement, on peut apporter son arme à feu à utilisation restreinte à six endroits logiques.

Le sénateur Plett : Monsieur Smith, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Smith : Le statu quo nous convient parfaitement. Il n’est pas parfait, mais il nous permet d’organiser nos concours de tir et d’y participer.

Le sénateur Plett : S’agit-il du plus grand problème avec le projet de loi?

M. Smith : Je dirais que c’est la classification établie par la GRC. Nombre de nos tireurs de compétition possèdent les fusils CZ dont on a parlé plus tôt. La situation change continuellement pour ce qui est de ces fusils. Les tireurs de compétition investissent dans de l’équipement pour compétitionner dans une certaine discipline. Si on change les choses et qu’il y a une différence dans la façon de procéder, alors ils ne pourront plus transporter leur équipement et compétitionner.

Le sénateur Plett : Le projet de loi possède-t-il des aspects positifs ou devrait-il simplement être rejeté?

M. Bernardo : Personnellement, je crois qu’on devrait le rejeter. Je ne vois rien de bon dans ce projet de loi. Vraiment rien.

Dre Honour : Je suis d’accord, il n’atteint pas le but visé, à savoir régler le problème de l’utilisation criminelle et violente des armes à feu.

Oui, vous faites deux ou trois choses qui ne nuiront pas aux athlètes de l’équipe nationale si vous vous occupez de l’autorisation de transport, mais vous ne faites rien d’utile en vue de fournir à la police un outil pour la gérer. C’est un projet de loi volumineux qui ne vous permet pas d’atteindre vraiment votre objectif.

Il reste beaucoup de travail à faire avant que l’on puisse obtenir une bonne mesure législative, mais surtout, le projet de loi est extrêmement complexe pour les membres du grand public qui essaient de comprendre comment être des citoyens respectueux des lois. Une loi qui modifie certaines lois et un règlement est une très curieuse façon de donner aux gens une indication claire de ce qu’ils doivent faire pour ne pas être des criminels.

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions. La première s’adresse à la Dre Honour et à M. Smith.

Les disciplines de vos sports existaient évidemment bien avant 2015. Le régime de l’autorisation de transport en vigueur avant 2015 était beaucoup plus restrictif que ce que prévoit le projet de loi C-71. J’ai écouté très attentivement vos observations très importantes et très instructives, et je suis curieux de savoir comment vous composiez avec la situation avant 2015, année où les autorisations automatiques de transporter une arme à feu ont été mises en place. Avant 2015, il n’y avait aucune autorisation automatique de transporter une arme à feu, même pour le champ de tir.

Avec le projet de loi C-71, l’autorisation automatique s’appliquera au champ de tir et au transport des armes à feu vers le domicile. Comment procédiez-vous avant 2015? Vos sports n’ont pas été compromis ou n’ont pas disparu, ou peu importe.

Dre Honour : Je suis en désaccord avec vous. Ce n’est pas vraiment le cas des sports de tir, mais je crois que nos sports de pistolets ont beaucoup souffert au cours des 20 dernières années. Nos sports de pistolets à air comprimé ont connu une croissance, mais les véritables sports de pistolets ont subi un déclin.

Je crois que beaucoup de gens ont été des criminels seulement qui contrevenaient à la loi parce que celle-ci était absurde. Les citoyens respectueux des lois auraient été des criminels en vertu de votre loi pour être en mesure de faire ce qu’ils devaient faire.

M. Smith : Comme je l’ai dit plus tôt, notre sport a connu une croissance d’environ 10 p. 100 au cours des cinq dernières années. La paperasse a diminué considérablement lorsqu’on a modifié la loi, et nous avons connu une certaine croissance.

L’autre problème avant 2015, c’était que les contrôleurs des armes à feu accusaient tellement de retard que le processus était très lent. Il fallait parfois 6, 8 ou 10 mois avant que les transferts et les documents soient réalisés, parce que les gouvernements provinciaux ne fournissaient pas d’effectifs supplémentaires à l’époque et que les contrôleurs des armes à feu étaient complètement débordés.

Les contrôleurs des armes à feu sont responsables des vérifications des antécédents dont nous avons parlé tout à l’heure. Ils consacrent beaucoup de leur temps à effectuer les vérifications des antécédents pour les permis et les renouvellements. Ils s’assurent également que tout le monde est membre d’un club et s’occupent de toutes les autres tâches administratives.

Si on ajoute des responsabilités, même s’il s’agit d’obtenir une autorisation de transport supplémentaire pour se rendre au champ de tir, chez l’armurier ou dans une exposition d’armes à feu, il y aura moins de contrôleurs des armes à feu pour accomplir le surcroît de travail. Les délais d’attente augmenteront parce que personne n’embauchera plus de gens pour réaliser le travail au bureau des contrôleurs des armes à feu.

Le sénateur Pratte : Je vais en rester là, car il est tard.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Bernardo, avez-vous des idées pour faire progresser la gestion du processus de classification? Un groupe d’experts serait-il la bonne solution?

M. Bernardo : Oui, vous avez tout à fait raison à cet égard. Le problème, c’est que les membres de la GRC sont des experts, mais ce ne sont pas les seuls. Une décision de classification est littéralement le résultat de l’avis d’un seul technicien. C’est tout ce que c’est. Les tribunaux se sont penchés sur cette question à maintes reprises, et les avis de techniciens ont été infirmés très souvent parce que, comme tout autre être humain, ils n’ont pas toujours raison.

Il y a beaucoup d’autres experts en armes à feu. Le Centre des sciences judiciaires de l’Ontario en compte d’excellents dans ses rangs. Des gens partout au pays possèdent également une vaste expérience militaire. Nous avons les armuriers de la police et des personnes qui sont des concepteurs d’armes à feu. Ils possèdent une expertise que la GRC n’a pas.

Il faut que ce soit un groupe d’experts qui prend une décision concernant les armes à feu douteuses. Voilà le problème. Habituellement, lorsqu’on reçoit une arme à feu, il est très facile de voir ce que c’est. S’il s’agit d’un fusil à verrou de calibre .22, son utilisation n’est pas restreinte. La plupart du temps, c’est clair et net. Le problème se pose lorsqu’on s’égare dans les détails pour certaines armes à feu qui se trouvent dans une zone grise. C’est à ce moment-là qu’on a besoin d’un groupe d’experts. Très franchement, la GRC n’est pas la seule organisation à avoir des experts.

Le sénateur McIntyre : Qu’en est-il de l’interface des renseignements personnels en vertu de l’article 102 de la Loi sur les armes à feu? Corrigez-moi si j’ai tort, mais, si j’ai bien compris, cet article permet aux inspecteurs d’avoir accès aux registres, y compris les registres électroniques.

M. Bernardo : C’est exact. Tout, absolument tout.

Le sénateur McIntyre : À votre avis, les inspecteurs du gouvernement seront-ils en mesure d’examiner et de copier les données du registre détourné des armes à feu?

M. Bernardo : Certainement. Ils pourraient le faire à l’heure actuelle. Ils peuvent procéder à la visite d’un magasin et copier ou saisir tout registre qui s’y trouve. Ils peuvent actuellement faire cela en toute impunité en vertu de l’article 102.

On vous a dit, au début de l’étude de ce projet de loi, que la police aurait besoin d’un mandat de perquisition pour obtenir cette information. Je ne crois pas qu’on ait jamais mis le ministre Goodale au courant de l’article 102, mais il existe, et il est très clair.

Le sénateur McIntyre : En ce qui concerne le nouveau processus de vérification des permis, pourriez-vous m’expliquer pourquoi chaque transaction relative à chaque arme à feu exige son propre numéro de vérification et pourquoi ce numéro expire?

M. Bernardo : À l’origine, la GRC disait que chaque arme à feu aurait son propre numéro. Maintenant, elle dit que plutôt que chaque transaction a son propre numéro.

À l’origine, si vous achetiez quatre armes à feu, vous aviez quatre numéros distincts. Maintenant, vous recevez un numéro de transaction qui atteste que votre permis a, effectivement, été vérifié.

Ce n’est pas tout à fait comme par le passé. On a changé la façon de faire ou on a du moins changé l’interprétation de ce que cela suppose pour une vérification de permis. N’oubliez pas qu’on effectue des vérifications de permis à l’heure actuelle.

Lorsque le registre des armes d’épaule a été aboli il y a quelques années, M. Torino et moi siégions tous deux au Comité consultatif sur les armes à feu. M. Torino communiquait avec Allan Rock, et moi avec Anne McLellan. Nous étudiions la question de façon continue. Une des choses que nous avons proposées au gouvernement, c’était qu’il mette en place un numéro 1-800 pour que, si j’achète une arme à feu de M. Torino, je puisse en réalité vérifier la validité de son permis. Le gouvernement a refusé. C’était trop de travail, alors il n’a rien fait.

Pour ce qui est de la vérification de permis par les détaillants, c’est maintenant prévu par la loi. Les détaillants doivent vérifier les permis.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse à tous les témoins. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vos organisations respectives?

En particulier, acceptez-vous les commandites? Le cas échéant, y a-t-il du financement lié à ces commandites? Quel est le nombre de membres de chacune de vos associations? M. Smith nous a déjà fourni ces chiffres pour le compte rendu.

En ce qui concerne les sources de financement, est-ce que l’un d’entre vous accepte du financement provenant de l’extérieur du Canada, y compris de la National Rifle Association?

M. Bernardo : Nous comptons 35 000 membres. Nous n’acceptons pas de commandites, sauf pour des événements précis. Nous organisons chaque année une soirée pour l’industrie canadienne des armes à feu. Nous permettons aux gens de l’industrie de commanditer cette soirée pour nous aider à payer les coûts.

Quelle était la dernière question?

La sénatrice McPhedran : Les sources de votre financement.

M. Bernardo : Nous n’acceptons d’argent de personne d’autre que nos membres. Ce sont eux qui payent toutes nos activités.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que vous avez des membres à l’extérieur du Canada?

M. Bernardo : Oui. Nous avons probablement huit ou neuf membres aux États-Unis et peut-être six en Australie. Il s’agit de particuliers qui désirent s’abonner à notre magazine ou venir au Canada pour chasser. Ils contractent une assurance parce qu’elle est comprise dans nos frais d’adhésion.

En passant, je devrais mentionner que nous payons un coût de gros s’élevant à moins de 10 $ par année pour une responsabilité principale de 5 millions de dollars. Vous devriez demander à votre médecin ou à votre avocat combien il paye.

M. Smith : Non, nous n’acceptons pas de commandites. Nous sommes strictement une organisation sportive internationale, alors chaque membre au Canada est membre de l’organisation internationale. Nous remettons une partie des frais d’adhésion de nos membres à l’organisation internationale dirigeante, mais aucune somme d’argent ne vient de l’extérieur du pays.

Dre Honour : La Fédération de tir du Canada a trois sources de financement. Sport Canada est notre principale source. Nous vendons des cibles en papier et nous en tirons des profits. Nous sommes en concurrence avec les deux autres groupes pour vendre des assurances à nos membres. Vous parlez en réalité à nos concurrents.

Quant à nos membres, ils sont tous canadiens, mais certains d’entre eux vivent à l’extérieur du pays. Ils peuvent essayer de faire partie de l’équipe nationale du Canada s’ils sont citoyens canadiens.

En ce qui concerne les commandites, si vous pouvez en trouver, j’aimerais en recevoir. Nous avons beaucoup de difficulté à trouver des commanditaires. Je crois que le dernier que nous avons eu avait fourni des étuis rigides à nos tireurs qui faisaient partie de l’équipe il y a de cela deux Jeux du Commonwealth. Les membres de l’équipe avaient reçu des étuis pour leurs fusils.

La sénatrice McPhedran : Selon vos réponses, aucun de vous quatre n’a de lien financier avec la National Rifle Association, n’est-ce pas?

M. Bernardo : C’est exact.

La sénatrice McPhedran : Entre 2015 et 2017, environ 1 600 personnes ont été victimes de violence conjugale liée aux armes à feu. Cela n’inclut pas les victimes indirectes, comme les enfants, les membres du ménage, les collègues ou les membres de la collectivité. En réponse à une question posée sur la tenue de registres de ventes d’armes à feu, le directeur du Service de police de Toronto, qui témoignait devant le comité de la Chambre des communes qui étudiait ce projet de loi, a affirmé ce qui suit :

En fait, il faut trouver un équilibre qui permettra d’assurer la sécurité du public et d’identifier les auteurs de délits criminels. Il est primordial du point de vue des services policiers et du travail d’enquête de pouvoir suivre la trace des armes à feu. Je n’insisterai jamais assez.

Pendant huit ans, soit de 2009 à 2017, il y a eu une augmentation de 56 p. 100 des cas de femmes victimes de violence conjugale signalés à la police. Statistique Canada nous montre également que les armes à feu les plus utilisées dans la violence conjugale liée aux armes à feu sont les carabines et les fusils de chasse.

Que diriez-vous à propos de l’opinion selon laquelle le projet de loi C-71 n’est pas un fardeau pour les titulaires légitimes de permis d’armes à feu, mais qu’il améliore plutôt les outils d’enquête pour assurer la sécurité publique et aider les gens qui sont intimidés dans leur domicile et dans leur vie par la présence d’armes à feu?

M. Bernardo : Je ne vois pas vraiment comment le projet de loi a une incidence sur cela. Toutes les entreprises que je connais tiennent certainement des registres détaillés à l’heure actuelle. Elles collaborent toutes avec les services de police dans le cadre des enquêtes. La police peut se rendre au domicile de quiconque en cas de menace à la sécurité publique et tout saisir. Elle peut également fouiller la maison entière afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’armes cachées quelque part.

Les permis peuvent être suspendus ou révoqués, et des ordonnances d’interdiction peuvent être délivrées à tout moment. Cela n’améliore pas vraiment les outils dont dispose actuellement la police.

La sénatrice McPhedran : Est-ce que d’autres témoins aimeraient répondre à la question?

M. Smith : J’ai une observation sur le processus actuel de délivrance de permis. Lorsqu’il est temps de renouveler un permis, le conjoint ou l’ex-conjoint doit signer pour donner son accord à ce que la personne achète l’arme à feu. Voilà une chose qui atteint votre objectif.

Le sénateur Richards : J’ai écrit, dans le livre de chasse que j’ai publié il y a environ 10 ans, que, lorsque j’étais jeune, je connaissais des enfants qui apportaient leur fusil dans la seule classe de l'école afin de pouvoir chasser la perdrix en retournant à la maison.

Je sais que nous ne pouvons plus faire cela aujourd’hui et je ne dis pas que nous pouvons le faire. Les temps ont certainement changé. Peut-être qu’on a déjà répondu à ma question. Je crois que, d’une certaine façon, c’est le cas. Dans les régions rurales du Canada, tous mes évaluateurs semblent venir de très loin. Ils semblent toujours venir de l’extérieur pour nous dire ce qui clochait moralement avec nous qui vivions dans les régions rurales du Canada.

Pourriez-vous nous parler des types d’organismes de réglementation et d’évaluateurs avec lesquels les propriétaires d’armes à feu devront composer avec le projet de loi C-71? Possèdent-ils vraiment l’expertise nécessaire?

Dre Honour : La seule chose que j’aimerais dire à cet égard, c’est que la question n’est pas tant de savoir qui prend cette décision, mais plutôt qui a le droit de me dire ce qui fait partie de la culture canadienne, ce qui devrait être valorisé et maintenu, plutôt que ce qui devrait être retiré en raison d’abus et de changements dans notre société.

Je considère que ce que je fais fait partie de mon patrimoine culturel, et quelqu’un menace cela. Si les législateurs et les organismes d’application de la loi commencent à menacer mon patrimoine culturel, cela me dérangera vraiment, et je devrai peut-être me présenter aux élections pour cette raison.

M. Torino : Ce que nous disons depuis que j’ai commencé à présider le comité national il y a 22 ans, c’est que les détenteurs d’armes à feu ne font pas partie du problème. Ils font partie de la solution.

Nous sommes une organisation distincte. Nous faisons l’objet d’une vérification toutes les 24 heures. Tout le monde sait qui nous sommes. Nous détenons un permis qui est très rare au Canada parce qu’il y a énormément de restrictions et d’obstacles à surmonter pour l’obtenir.

Je peux seulement faire un commentaire sur ce qu’a dit la Dre Honour. Je crois qu’elle a tapé en plein dans le mille. Nous faisons partie de la solution, pas du problème. C’est tout ce que nous pouvons dire pour le moment.

Le sénateur Dean : Je ne serai pas le seul à être perplexe, sinon inquiet, quant à la véracité des commentaires que j’ai entendus à propos de la GRC et de son rôle dans la classification des armes à feu. Cela m’amène à me demander comment le Cabinet a assumé la responsabilité de la classification.

J’en connais un peu sur la réglementation et la prévention des méfaits, et ce n’est pas inhabituel. En effet, il est très courant que le processus décisionnel en matière de réglementation soit délégué afin que l’on évite la politisation du processus décisionnel dans le monde des décrets.

Vous pouvez peut-être m’éclairer par rapport à cela. Quand le Cabinet a-t-il assumé la responsabilité de la classification des armes à feu?

M. Bernardo : Avant le projet de loi C-68. Je crois que c’était lorsque le gouvernement libéral a banni les armes automatiques, au début des années 1970. Au cours des années suivantes, on a dressé des listes d’armes à feu. Le Parlement a simplement apporté des ajouts à une liste des armes à feu prohibées. Ces armes à feu sont encore visées par la loi à l’heure actuelle.

Il est intéressant de noter que, sous le régime du projet de loi C-68, la Loi sur les armes à feu, la seule personne qui détient le pouvoir d’interdire une arme à feu, c’est le gouverneur en conseil. C’est le seul. La GRC n’a pas ce pouvoir en vertu de la Loi sur les armes à feu. Vous pouvez le vérifier et le constater.

La GRC est devenue dans les faits l’expert parce qu’elle a commencé à changer les classifications. Elle créait une classification d’une certaine manière et, chaque fois qu’elle changeait d’avis, elle modifiait simplement le Tableau de référence des armes à feu. Elle faisait cela sans aucune permission, et il s’agit d’une décision entièrement arbitraire.

Je vais vous donner un excellent exemple. La carabine Mossbert Blaze est de calibre .22. Il s’agit d’une arme utilisée par les agriculteurs. C’est exactement la même chose qu’une carabine de calibre .22 que nombre d’entre vous aviez lorsque vous étiez enfants. On a fabriqué exactement la même arme à feu et on l’a appelée la Mossbert Blaze 47. C’est exactement la même carabine. Elle possède une monture différente. La Blaze 47 a une monture en plastique vraiment moche qui ressemble à celle d’une AK-47 à une distance de 200 mètres.

Le sénateur Dean : Permettez-moi de vous interrompre, car je ne parlais pas de vos préoccupations concernant la GRC.

Dans votre exposé, vous trouvez offensante la proposition dans le projet de loi C-71 qui préciserait que la responsabilité de la classification revient à la GRC.

À quel moment cela a-t-il été précisé dans l’ensemble du processus d’adoption des lois ou des règlements? Quand le Cabinet a-t-il assumé cette responsabilité?

M. Bernardo : La responsabilité a toujours incombé au Cabinet. La GRC n’a jamais détenu ce pouvoir.

Le sénateur Dean : D’accord, mais il a été délégué à la GRC.

M. Bernardo : Oui.

Le sénateur Dean : Quand l’a-t-on retiré à la GRC?

M. Bernardo : Jamais. Dès l’adoption de la Loi sur les armes à feu, le gouverneur en conseil pouvait déclarer toute arme à feu comme étant à autorisation restreinte ou prohibée.

Lorsque le projet de loi C-42 a été adopté sous Steven Blaney, on a ajouté qu’il était possible également de déclarer une arme à feu comme étant sans restriction. Essentiellement, cela a permis de créer des règles équitables et de donner plus de pouvoir au ministre.

Le pouvoir n’a jamais été donné à la GRC. On a simplement accepté ses décisions comme parole d’Évangile, même lorsqu’elle avait tort.

Le sénateur Dean : Je veux être absolument sûr de bien comprendre. Le Cabinet n’a jamais décidé d’assumer ou de renforcer officiellement son rôle dans la classification des armes à feu en 2015.

M. Bernardo : Non. La décision a toujours relevé du gouverneur en conseil.

La présidente : Sur ce, nous allons mettre fin aux questions.

Permettez-moi d’abord de dire, monsieur Smith, que vous étiez le dernier, mais non le moindre. Je remercie ce groupe de témoins en particulier d’avoir fait preuve de patience et d’être resté tard ce soir avec nous. Vous avez été extrêmement utiles.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie tous de votre présence à cette longue, mais très productive séance.

(La séance est levée.)

Haut de page