Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 3 - Témoignages du 11 mai 2016
OTTAWA, le mercredi 11 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 19 heures pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, le comité poursuit aujourd'hui son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes atlantique et pacifique du Canada.
Notre premier témoin aujourd'hui est Theresa McClenaghan, directrice générale et conseillère juridique, Association canadienne du droit de l'environnement. Madame McClenaghan, veuillez commencer votre présentation, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.
Theresa McClenaghan, directrice générale et conseillère juridique, Association canadienne du droit de l'environnement : Merci beaucoup d'avoir invité l'Association canadienne du droit de l'environnement à comparaître devant vous ce soir. Je suis la directrice générale et conseillère juridique de l'Association canadienne du droit de l'environnement, que j'appellerai l'ACDE.
L'ACDE a 46 ans, c'est une clinique environnementale à but non lucratif qui est incorporée au niveau national. Nous sommes également une consultation juridique financée par Aide juridique Ontario. Nous appliquons et promouvons le droit de l'environnement pour protéger les populations et l'environnement.
Je voudrais aborder trois sujets avec vous ce soir. Le premier concerne l'évaluation environnementale des grands projets énergétiques, le second la responsabilité des pipelines en cas de déversements et le troisième, la participation du public au processus d'approbation et d'octroi des permis pour les grands projets énergétiques.
Premièrement, pour ce qui est de l'évaluation environnementale, et ce qu'elle devrait être, l'élément central est celui de l'acceptabilité sociale, qui forme le sujet de notre étude de ce soir. Une évaluation environnementale bien menée aide à déterminer si l'incidence positive et les avantages découlant du projet, de la proposition ou de l'ensemble d'activités concernés, font plus que contrebalancer son incidence négative ou ses désavantages eu égard à l'impact sur l'environnement, à la santé et au bien-être socio-économique des populations et de la région concernées, et si c'est l'option la plus à même de promouvoir la durabilité, qui a été retenue.
Dernièrement, Bob Gibson, Meinhard Doelle et John Sinclair ont publié un excellent article montrant que le Canada doit passer à un mode d'évaluation environnementale de la prochaine génération.
Je voudrais mentionner certains aspects fondamentaux de l'évaluation environnementale parce qu'ils ne reçoivent pas l'attention qu'ils méritent bien souvent dans le cadre actuel de l'évaluation environnementale au Canada. Si vous posez la question du manque d'acceptabilité sociale des projets, c'est en partie, à n'en pas douter, parce que ces questions-là préoccupent les gens.
L'une de ces questions consiste à se demander si l'on a besoin du projet concerné. C'est une question fondamentale : a-t-on besoin de ce projet? Les projets ne sont pas isolés. Si le besoin du projet n'est pas clairement démontré, on n'a guère de raison d'aller plus loin et de se demander s'il aura une incidence positive ou négative.
La définition du besoin est elle-même un élément fondamental et, trop souvent, on ne se pose cette question — lorsqu'on se la pose — qu'en partant de la définition que donne l'auteur de la proposition de son désir de réaliser un projet particulier, et du point de vue du public cela équivaut à une tautologie. Ce qu'attend le public, ainsi que les ONG du genre de mon organisation, c'est une évaluation objective de l'utilité du projet en question. Par exemple, y a-t-il d'autres ressources qui permettraient de répondre aux mêmes besoins?
Une autre question qui n'est pas assez fréquemment posée : quelles sont les alternatives au projet? Il s'agit de savoir s'il y a d'autres moyens d'obtenir les résultats que se propose d'atteindre le projet. Par exemple, lorsque c'est le pétrole brut qui doit répondre aux besoins énergétiques, on doit se demander si on ne peut pas envisager d'autres options pour répondre aux besoins en matière de chauffage et de transport?
Nous préconisons un large examen des options existantes en prenant en considération l'impact et les avantages éventuels tout en tenant compte du principe de précaution relatif à l'équité intergénérationnelle, de l'analyse de cycle de vie complet des impacts, des solutions de remplacement et de la durabilité à long terme. Dans le cadre de l'examen de la commission d'examen conjoint de la proposition relative à l'oléoduc de Northern Gateway, par exemple, il n'a pas été tenu compte de la possibilité d'utiliser des énergies renouvelables pour répondre à ce genre d'exigence du public.
On confond souvent aussi la question des énergies alternatives et la question des méthodes alternatives. Il s'agit de comparer les différents modes de transport. Ce n'est pas un substitut aux énergies alternatives, mais cela permet de comparer différents modes d'exécution du projet et de voir lequel offre le plus d'avantages et a le moins d'impact.
Les descriptions du projet ont aussi suscité beaucoup de controverse. En particulier, si l'on définit le projet trop étroitement, cela frustre le public parce qu'il ne peut pas bénéficier d'une évaluation qui tienne compte des problèmes dont il exige l'examen. Pour prendre un exemple qui ne concerne pas les pipelines, je me suis occupée récemment d'un projet près des Grands Lacs, mais les Grands Lacs en tant que tels n'entraient pas dans la thématique du projet.
Dans des cas de ce genre, il y a pas mal de conflits concernant les facteurs à évaluer. Si le mandat n'inclut pas le type de facteurs que le public entend soumettre à l'évaluation environnementale, alors le processus perd sa crédibilité auprès du public. Par exemple, dans certains des projets de pipeline, on a préconisé la prise en compte des impacts en aval et en amont du projet sur le changement climatique. Jusqu'ici, ce genre de questions n'avait pas été posé.
De même, lorsqu'on examine les effets négatifs, on prend en considération les aspects liés à l'atténuation et à la gestion adaptée, et ce qui nous tracasse, c'est que l'on a utilisé ces concepts de telle manière qu'il a été possible d'adopter des projets dont les risques et les impacts sont mal connus, sous couvert de vagues promesses de surveiller la situation pour voir si ces impacts se manifestent. La possibilité d'imposer des conditions visant à atténuer l'impact n'est pas une excuse pour se dispenser de suivre l'approche fondée sur le principe de précaution ou la nécessité d'assurer l'équité intergénérationnelle, mais c'est pourtant parfois le cas.
Nous sommes également préoccupés par le fait que l'impact cumulatif n'est pas toujours pleinement évalué, ce qui amène nombre d'entre nous à préconiser la réalisation d'un examen au niveau stratégique des impacts des projets. Par exemple, M. Gibson de l'Université de Waterloo, dont j'ai parlé plutôt, a ébauché une méthode reposant sur un système en plusieurs étapes, qui commence par une évaluation environnementale au niveau régional, puis stratégique et, enfin, au niveau spécifique du projet. Faute de quoi, on a une évaluation projet par projet, qui ne donne jamais au public ou à la communauté de l'environnement l'impression que l'on a vraiment pris en considération les impacts cumulatifs.
Autre source de préoccupation, le risque d'accident. En particulier, une jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale, dans un contexte autre que celui des pipelines dont j'ai eu à m'occuper, a eu pour effet de créer une faille importante dans l'ACEE pour ce qui est de l'évaluation des risques d'accidents. Nous estimons qu'il faudra apporter des amendements pour s'assurer que les effets des scénarios catastrophes sont pris en considération dans l'évaluation des situations d'accident, surtout si les dommages causés peuvent être fortement délétères à long terme ou irréversibles, quand bien même le risque d'accident semble peu probable.
Ces dernières années, on se préoccupe également de l'identité du décisionnaire. Il y a eu un transfert de responsabilité dans les grands projets énergétiques en matière d'évaluation environnementale au profit de l'Office national de l'énergie et de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, qui sont également les organismes d'accréditation pour ces projets. Le public et nous-mêmes, en qualité d'intervenants, y voyons un danger en ce qui concerne l'objectivité, l'indépendance, le risque de détournement de la réglementation, et le risque que les considérations environnementales soient éclipsées par les questions techniques touchant la délivrance des permis, qui sont davantage dans leurs cordes.
Mon dernier point sur l'évaluation environnementale concerne la participation active des communautés autochtones et locales, du grand public et des parties prenantes, indispensable à chaque étape du processus. Cela suppose la notification préalable, l'accès aux documents en temps utile, des délais de réponse appropriés, un financement adéquat de la participation, l'emploi d'un langage non technique et diverses techniques de consultation.
Je voudrais parler brièvement aussi de la responsabilité du pipeline. Le sujet nous intéresse parce que même si les dispositions en matière de responsabilité ne peuvent mettre les écosystèmes complètement à l'abri de dommages éventuels, au détriment des personnes et de la propriété, elles constituent malgré tout un élément important et encouragent, selon nous, à prendre les précautions nécessaires.
L'an dernier, des amendements ont été apportés à ces dispositions au moyen du projet de loi sur la sûreté des pipelines, le projet de loi C-46, qui a été adopté et a reçu la sanction royale, et qui entre en vigueur le mois prochain, en juin 2016. Ce projet de loi modifiait la Loi sur l'Office national de l'énergie et la Loi sur les opérations pétrolières au Canada.
L'ACDE, mon organisation, s'intéresse aux clauses de responsabilité. Certaines des dispositions que l'ACDE souhaitait voir adopter l'ont été, notamment la reconnaissance explicite du principe pollueur-payeur comme fondement des clauses de responsabilité. Il est maintenant dit expressément que les opérateurs d'oléoducs se voient maintenant appliquer la clause de responsabilité illimitée en cas de faute ou de négligence. De même, en cas de faute ou de négligence, de la part de l'expéditeur, du fournisseur ou de l'entrepreneur, leur responsabilité est illimitée. Ce sont là d'importantes dispositions que nous appuyons.
Le gouvernement dispose également de recours contre le pipeline ou la partie en faute en vertu de diverses dispositions de la loi et une clause lui permet d'augmenter ses ressources en mettant en commun divers fonds.
Les tiers peuvent engager des poursuites en dommages. Autre facteur potentiellement très important, une disposition prévoit le paiement d'indemnités provisoires aux tiers.
Indépendamment de la faute ou négligence, la responsabilité absolue de l'opérateur est engagée jusqu'à un niveau minimum spécifié, de même que des exigences minimales en matière d'assurance et d'assurance financière s'appliquent aux opérateurs qui sont autorisés à expédier plus de 250 000 barils par jour dans un ou plusieurs pipelines. Le montant minimum en matière de responsabilité absolue et d'assurance financière qu'ils aient à fournir est de 1 milliard de dollars. L'Office national de l'énergie peut établir un montant supérieur pour un projet ou un opérateur particulier.
Nous estimons toutefois que le régime de responsabilité pourrait encore être amélioré. En particulier sur la question du montant minimum prévu dans la disposition sur l'assurance ou l'assurance financière, jugé insuffisant. Il est important d'avoir une clause de responsabilité absolue. Nous pensons que le montant minimum devrait être fixé à un niveau plus élevé compte tenu de l'impact qu'ont eu certains accidents par le passé.
Nous pensons également que l'on devrait envisager d'augmenter ces montants en raison de ce qu'on appelle la valeur de non-usage — autrement dit, les dommages causés à l'écosystème. Dans ce cas, la valeur de non-usage peut être le genre de choses que couvre la responsabilité absolue, mais les réclamations du gouvernement et les dommages réels à la propriété ont priorité sur la responsabilité associée au non-usage. Nous ne contestons pas cette priorité, mais nous pensons que si l'on n'augmente pas le montant minimum de l'assurance, il risque de ne jamais y avoir de fonds disponibles pour couvrir les dommages environnementaux.
Le dernier point en matière de responsabilité du pipeline que je mentionnerai, c'est qu'il n'inclut pas une classification des risques comme facteur dans la détermination du montant de l'assurance de l'assurance financière à prévoir. Il faudrait par exemple tenir compte du risque de dommages environnementaux, du type d'emplacement et des antécédents en matière d'accidents outre le type de marchandise transportée. À l'heure actuelle, comme je l'ai dit, le seul facteur, c'est le volume. Si c'est plus de 250 000 barils par jour, c'est 1 milliard ou plus; autrement le montant est fixé par une disposition réglementaire distincte.
Le dernier point que je souhaitais aborder concerne la participation du public dans les processus relatifs aux grands projets énergétiques. J'ai parlé plus tôt de l'importance d'une vigoureuse participation du public à l'évaluation environnementale. Les modifications à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ont soulevé un problème particulier ces dernières années. Il s'agit d'une disposition figurant à l'article 43 de la loi actuellement en vigueur relative à l'octroi de droits de participation aux parties intéressées.
En particulier, il est dit à l'article 2 de la loi que soit l'autorité responsable soit le comité d'examen est tenu de déterminer si, à leur avis, la personne qui souhaite participer au processus est une partie intéressée; si elle est directement affectée par l'exécution du projet envisagé; ou si elle est en possession d'une information ou d'une expertise pertinente.
Ce qui nous préoccupe, c'est que l'interprétation qui en a été donnée, en particulier par l'Office national de l'énergie, tend à restreindre indûment la participation aux auditions. Dans notre soumission, nous et d'autres ONG et membres du public soutenons que tous les Canadiens sont directement affectés par les décisions des autorités de réglementation des grands projets énergétiques comme l'Office national de l'énergie. Nous sommes également d'avis qu'un public intervenant activement et la participation de nombreuses personnes souhaitant peser sur les décisions du tribunal représentent un problème qu'on doit se féliciter d'avoir par comparaison aux décennies passées où les travaux de l'Office national de l'énergie se déroulaient la plupart du temps dans l'obscurité.
Nous jugeons important de souligner qu'un public engagé offre le contrepoids nécessaire au risque de contournement du règlement et de perte de l'indépendance que peut présenter le fait que les mêmes voix se fassent constamment entendre devant le tribunal, en particulier si domine parmi elles celle de l'industrie réglementée.
Je m'en voudrais de ne pas faire référence également aux droits distincts des peuples autochtones et à la nécessité de respecter les droits constitutionnels, les droits ancestraux et les droits issus de traités, l'obligation de consultation, les droits inhérents tels que le droit de s'auto administrer et l'engagement récent du Canada en faveur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont je ne parle pas ici.
Pour résumer, nous avons, je pense, le canevas d'un excellent processus de décision concernant l'environnement au Canada qui promet une bonne évaluation environnementale, un régime de responsabilité robuste et une culture d'engagement public. Malheureusement, pour le moment, à mon avis, ces promesses ne sont pas tenues, et le public est profondément déçu par sa récente expérience du processus de prise de décision en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, et ailleurs également. J'ai signalé dans les commentaires les domaines dans lesquels le public attend des améliorations en matière de processus et de prise de décision.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser.
Le vice-président : Merci beaucoup pour votre présentation. Nous entendrons d'abord la sénatrice Unger.
La sénatrice Unger : Merci pour votre présentation. C'était très intéressant.
Je sais que de nombreuses organisations environnementales sont contre tout ce qui peut prolonger ou encourager la dépendance technologique ou économique à l'égard, disons, des combustibles fossiles. Est-ce réellement la position de votre organisation? Êtes-vous contre tout ce qui perpétue l'exploration, la mise en valeur et l'utilisation des combustibles fossiles?
Mme McClenaghan : Nous n'avons pas pris expressément une telle position. Nous sommes partisans d'une prise de décision en matière d'évaluation environnementale qui tienne compte de tous les impacts d'un projet dans une perspective intergénérationnelle.
Cela dit, nous sommes tout à fait d'accord pour dire que les questions que pose le changement climatique à l'échelle mondiale sont de la plus grande urgence, et que nous sommes vigoureusement partisans d'une transition vers un système reposant sur les énergies renouvelables au Canada.
La sénatrice Unger : Mais, vous reconnaissez que nous ne sommes pas, tant s'en faut, sur le point d'y parvenir?
Mme McClenaghan : Tout à fait. Il nous faudrait accélérer le rythme d'adoption de nouvelles solutions pour les différents besoins, comme je l'ai dit. Par exemple, dans le domaine du chauffage ou des transports où les besoins sont très importants, nous sommes aujourd'hui largement tributaires des combustibles fossiles. Nous pouvons atteindre l'objectif, mais nous en sommes encore éloignés et il y a encore beaucoup de travail à faire. Nous devons accélérer nos efforts. Il nous faut consacrer de gros investissements aux nouvelles technologies et accélérer le rythme de changement par tous les moyens à notre disposition.
Quelqu'un aux États-Unis, a employé cette expression dans les médias récemment, « c'est comme si on se lançait à la conquête de la Lune. » Le genre d'effort qui a été fait pour permettre à l'humanité d'aller sur la Lune dans les années 1960 est le genre d'effort qu'il faudra pour assurer la transition vers un avenir énergétique réellement durable.
La sénatrice Unger : En attendant, j'ai toujours trouvé ironique que ceux qui sont contre l'industrie des hydrocarbures n'hésitent pas à prendre l'avion ou la voiture pour se déplacer, ni à consommer les produits dérivés de cette industrie, sans jamais même y penser la plupart du temps.
Mais, comme vous l'avez dit, nous réfléchissons à l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada où l'on souhaite vivement bénéficier de cette activité parce qu'elle permet de créer des emplois, en premier lieu, et vers les ports sur la côte pacifique. Pensez-vous que les efforts visant à élaborer cette stratégie seront couronnés de succès?
Mme McClenaghan : Les questions que je souhaiterais entendre poser sont celles-ci : les projets sont-ils nécessaires, d'une part, et est-ce que l'on examine l'impact de ces projets dans une perspective ample, comme je l'ai dit.
Je n'ai pas de réponse à la question de savoir si l'on pourra élaborer une stratégie visant à améliorer les transports vers la côte atlantique. Les résultats obtenus jusqu'ici ont beaucoup déçu les personnes qui examinent de près le projet dans l'optique du grand public, ce qui ne porte pas à l'optimisme.
La sénatrice Unger : Vous avez commencé par parler des besoins. Je suis de l'Alberta, comme je vous l'ai dit plus tôt, et l'Alberta possède ses propres ressources naturelles. Comme vous le savez, puisque vous êtes née dans le sud de la Saskatchewan, qui est enclavée tout comme l'Alberta, nous devons pouvoir transporter nos ressources jusqu'à un terminal maritime. Nous avons besoin des revenus que nous en tirons. Nous avons besoin des emplois que crée la mise en valeur de ce produit. Ma dernière question est la suivante : pourquoi vos besoins ou les besoins de l'organisation à laquelle vous êtes associé priment sur nos besoins?
Mme McClenaghan : Rien de ce que j'ai dit ne dit que les besoins des uns priment sur les besoins des autres. Tout l'intérêt de l'évaluation environnementale et qu'elle prend en compte les avantages et les impacts pour toutes les personnes concernées. Pour ce qui est de l'Alberta, il y a un travail intéressant en cours qui vise à diversifier l'économie, à accroître la proportion des énergies renouvelables, comme cela se fait partout ailleurs au pays et au niveau mondial.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame McClenaghan, comprenez-vous le français? Avez-vous besoin de l'interprétation? Je vais parler lentement. Tout d'abord, je tiens à vous remercier de votre exposé.
J'ai travaillé au gouvernement du Québec pendant 10 ans comme cadre supérieur au ministère de l'Environnement. J'ai participé à sept ou huit études environnementales menées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Au cours des dernières années, j'ai remarqué que les projets d'études environnementales devenaient davantage des champs de bataille politiques que des échanges d'information et des dialogues entre les citoyens qui sont préoccupés par ces projets et ceux qui en font la promotion. Au cours des derniers mois — et je pense au projet de l'oléoduc Énergie Est —, l'acceptabilité sociale est devenue une espèce de véhicule de promotion pour les gens. Je rejoins les commentaires de ma collègue, la sénatrice Unger. Cette acceptabilité sociale est devenue un véhicule de promotion pour ces groupes et leur permet de s'opposer à presque tout ce qui est lié à l'utilisation des ressources naturelles. Je ne parle pas seulement des ressources naturelles, mais aussi de l'exploitation minière, qui suscite la controverse au Québec. Tout ce qui est ressources naturelles est devenu un tabou social, un tabou économique, comme s'il fallait revenir en arrière, il y a 2 000 ans, pour aller couper le bois, et ainsi de suite.
Votre groupe défend des valeurs associées à la protection de l'environnement. Quels sont les membres qui composent votre organisation? Je pense à des groupes comme Greenpeace, au groupe de David Suzuki ou au groupe de M. Guilbeault, d'Équiterre. Ces gens font-ils partie de votre association?
[Traduction]
Mme McClenaghan : L'ACDE est une clinique juridique environnementale. Nous sommes financés par Aide juridique Ontario pour représenter les groupes et les clients qui se sentent concernés par les processus, les autorisations et les impacts, pour participer à la réforme du droit et à l'éducation du public en matière juridique.
Nous travaillons souvent en partenariat et en collaboration avec d'autres organisations environnementales comme la Fondation David Suzuki, Greenpeace et d'autres aussi bien sur du travail social individualisé que sur des initiatives de réforme du droit, mais nous ne sommes pas une organisation visant à mobiliser des fonds ou à recruter des membres.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Des organisations comme l'Association minière du Québec ou l'Association canadienne des producteurs pétroliers peuvent-elles faire partie de votre organisation?
[Traduction]
Mme McClenaghan : Les seuls membres, en tant que tels, sont les membres du conseil d'administration. Nous ne représentons pas de société à but lucratif parce que notre mandat nous l'interdit.
Ce qui ne veut pas dire que nous ne nous soucions pas de ce que préconisent les gens. Nous faisons particulièrement attention, par exemple, aux emplois pour les jeunes et aux possibilités d'emploi. Je préconise souvent, comme je l'ai fait l'autre jour dans le cadre d'un projet géré par le centre d'excellence de l'Ontario, la prise en compte dans le programme d'échange de quotas de l'Ontario, avec une stratégie industrielle pour l'emploi des fonds provenant de ces échanges, des possibilités d'emploi pour les jeunes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : En 2016, comment expliquez-vous — dans le cadre de projets d'exploitation des ressources comme le pétrole, les mines, les forêts — que des gens qui n'ont aucune connaissance des projets s'opposent immédiatement à leur mise en chantier? Ils utilisent tous les moyens pour s'opposer, même dans le cadre d'audiences. À titre d'exemple, on a tenu des assemblées publiques au Québec sur l'utilisation du gaz de schiste qui ont fait l'objet de débats très houleux, où il était presque impossible pour les promoteurs de transmettre des renseignements ou d'entretenir un dialogue avec les communautés. Ces groupuscules s'étaient infiltrés dans ces réunions, et il était impossible d'engager un dialogue. Quel est votre point de vue sur cette situation, à savoir que ces groupuscules dits « écolos » se sont infiltrés dans les réunions?
[Traduction]
Mme McClenaghan : J'ai signalé plus tôt dans mes observations que selon un certain courant de pensée dans la communauté environnementale et parmi les chercheurs dans ce domaine, il conviendrait de passer à la génération suivante de l'évaluation environnementale — et cela répond en partie votre question — parce que le public a constaté au fil des ans que l'évaluation environnementale ne tenait pas ses promesses. D'où leur scepticisme à l'égard du processus. C'est la raison pour laquelle les gens cherchent par tous les moyens à obtenir que des décisions soient prises.
Il y a des années, en Ontario, nous avions ce qui s'appelait la Loi sur le projet d'aide financière aux intervenants. En vertu de cette loi, des membres du public pouvaient former un groupe et demander un financement pour avoir des témoins experts, comme des hydrogéologues et des avocats. Ils pouvaient obtenir de la documentation sur le projet dès le début. Les experts se rencontraient pour s'assurer qu'ils comprenaient bien la proposition. Ce qui équivalait à un examen collégial très strict. Les problèmes qui pouvaient être réglés étaient réglés d'emblée, après quoi les auditions traitaient des questions restées en suspens. J'ai participé à de nombreuses auditions de ce genre et, à mon avis, les gens étaient très bien informés dans le cadre de ce processus. Les décisions qui en sortaient étaient bien meilleures que celles qui auraient été prises si le public n'avait pas été consulté. Malheureusement, ce qui se passe aujourd'hui, c'est que nous avons des gens qui n'ont pas les ressources suffisantes pour procéder à ce type d'évaluation d'impact, qui n'ont pas accès au même niveau d'expertise et de conseil juridique.
En outre, ce qui préoccupe les gens c'est que même lorsque des problèmes graves sont identifiés, ils sont bien souvent laissés de côté dans le rapport final de la commission d'examen conjoint ou des autorités responsables, selon le cas, sur la base d'une analyse des plus ténues, si j'ose dire. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est fréquent. De sorte que, de nouveau, le public a l'impression que le processus officiel joue contre lui.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Comment évaluez-vous l'expérience de la Norvège, qui a réussi à faire de l'exploitation pétrolière un moteur de développement économique et de richesse collective, ce qui lui permet aujourd'hui de se doter de programmes sociaux et d'offrir des avantages à ses citoyens? Comment qualifiez-vous l'expérience norvégienne?
[Traduction]
Mme McClenaghan : Il s'agit d'un point important parce que la question concernant la distribution des avantages et la distribution des impacts revêt une extrême importance dans le cadre de l'évaluation environnementale. Si les avantages vont pour l'essentiel à un groupe d'intéressés tandis qu'un autre groupe en subit tous les désagréments, le manque d'équité est flagrant. Ou, si les avantages vont pour l'essentiel à la génération présente tandis que les futures générations qui n'ont pas leur mot à dire dans le projet devront subir tous les inconvénients, de nouveau, le manque d'équité est flagrant.
Je n'ai pas examiné la situation norvégienne en termes de pétrole et de gaz, mais je sais qu'il existe des différences, par exemple dans la façon dont certains pays européens ont cherché à favoriser les énergies renouvelables, et que les énergies renouvelables y sont mieux acceptées en raison de la meilleure distribution des avantages.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de votre présence ici.
Nous avons eu plusieurs témoins de l'industrie pétrolière qui ont fait part de leurs préoccupations concernant l'annonce faite en janvier par le gouvernement fédéral qu'il voulait mettre en place une évaluation des émissions de gaz à effet de serre en amont dans le cadre de l'examen du processus d'évaluation environnementale. Selon ces témoins, cela constituerait un empiétement sur la juridiction provinciale, qui pourrait être contesté devant les tribunaux. Comment voyez-vous la chose?
Mme McClenaghan : L'affaire pourrait bien être portée devant les tribunaux, mais je crois qu'en fin de compte ceux- ci concluraient que l'examen de ces impacts relève de la compétence du gouvernement fédéral. Les pipelines interprovinciaux sont de compétence fédérale, et il en va donc de même de l'examen des impacts de ces projets.
Cela étant dit, la Cour suprême, dans diverses ces affaires, a conclu que l'environnement en tant que tel n'est pas une question de compétence fédérale ou provinciale et que chaque sphère a son rôle à jouer dans certains domaines, et que même dans les cas où une affaire relève exclusivement de la compétence fédérale, il reste des domaines où la province peut et doit exercer sa compétence pour s'assurer, par exemple, que son régime de permis de prélèvement d'eau, ou tout autre type de législation, est bien appliqué.
Nous vivons dans un pays fédéral où les gouvernements municipaux, fédéral, provinciaux et ceux des premières nations ont tous un rôle important à jouer. Il y a une analogie intéressante avec la décision de la Cour suprême dans l'affaire de la sécession, que vous avez peut-être en mémoire. La cour avait dit dans cette affaire que tous les niveaux de gouvernement ont un rôle important à jouer, donc je ne crois pas qu'on aille trop loin en disant seulement que cela ne relève pas de sa compétence, point final. La question, c'est : faut-il évaluer les impacts?
J'ajouterai qu'il existe des dispositions dans les régimes tant fédéral que provinciaux d'évaluation environnementale, et dans la plupart des autres textes législatifs en matière d'environnement, qui prévoient la possibilité de conclure des accords d'harmonisation ou de coopération, auxquels nous sommes tout à fait favorables. Il n'y a pas de raison de ne pas mettre en place d'accords de ce genre et de ne pas procéder à une évaluation à deux.
Le sénateur Eggleton : Deuxièmement, le gouvernement fédéral a également annoncé ces derniers jours son accord avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Quels changements cela pourrait-il entraîner pour l'ensemble du processus relatif aux pipelines?
Mme McClenaghan : Le changement me semble très important dans ce sens que cela indique la volonté de la population et du gouvernement du Canada de s'engager aux côtés des populations autochtones et locales pour faire valoir leurs droits et ne pas se contenter de processus qui font illusion, et encore. C'est un changement significatif.
Nous avions déjà par le passé une situation où les droits ancestraux et les droits issus de traités étaient protégés par la constitution en vertu de l'article 35. Nous avions déjà les droits inhérents des Premières Nations, en particulier dans l'Ouest du Canada, dans bien des cas, il s'agissait de terres non cédées, mais cela vaut pour de nombreux endroits au pays. Et cela fait bien longtemps déjà que les Premières Nations gèrent leurs terres.
Les exemples ne manquent pas d'accords passés de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement au fil du temps, qui ont souvent donné d'excellents résultats, et dans de nombreux cas il y a eu des négociations sur les modalités de cogestion des ressources.
Le processus qui porte à la reconnaissance officielle de la DDPA tient à la fois de l'évolution et de la révolution, je trouve.
Le sénateur Eggleton : Finalement, vous avez écrit une lettre à la Commission de l'énergie de l'Ontario sur l'oléoduc Énergie Est, faisant part de vos préoccupations concernant le gaz naturel et les effets des propositions sur les consommateurs de gaz naturel. Est-ce que vous pourriez développer, s'il vous plaît?
Mme McClenaghan : Oui. Nous avions été invités à prendre part à ce projet par la Commission de l'énergie de l'Ontario, à qui le ministre de l'Énergie de l'Ontario avait demandé de conseiller la province sur la position à prendre concernant ce projet.
Je m'occupe également beaucoup du Réseau énergie pour ménages à faible revenu et nous nous intéressons en particulier à la question de l'accès à l'énergie et des prix de l'énergie pour les ruraux et les personnes à faible revenu.
Dans bien des cas, il n'y a pas d'accès au gaz naturel, et cela a donné lieu à des analyses intéressantes des économistes de la Commission de l'énergie qui disaient craindre que, si l'un des pipelines était converti au transport du brut, cela risquait d'entraver la capacité de desservir de nouvelles zones rurales de l'Ontario qui ne bénéficient pas actuellement du service. C'est cela en gros le sujet de préoccupation.
Le sénateur Eggleton : Dans quelle mesure cela concerne la réutilisation de pipelines pour le gaz naturel?
Mme McClenaghan : Dans ce projet, la proposition consiste à convertir l'un des pipelines du réseau TransCanada servant au transport du gaz naturel pour transporter du pétrole brut. Cela obligera à en reconstruire un tronçon. Un tronçon sera réaménagé et un tronçon sera remis en service.
Le sénateur Eggleton : Ce qui vous préoccupe, c'est que cela affecte les consommateurs, en particulier les consommateurs à faible revenu.
Mme McClenaghan : Et les ruraux.
Le sénateur Mercer : Vous êtes dans une situation difficile. Vous venez de l'Association canadienne du droit de l'environnement, avec des préoccupations d'ordre juridique. Nous parlons ici du moyen de faciliter ou de la solution au problème concernant le transport d'un produit de l'Alberta et de la Saskatchewan vers la côte, en particulier vers la côte atlantique, qui est mon sujet de préoccupation. Nous sommes parfois en désaccord, mais ne nous laissez pas trop vous intimider. Nous cherchons le moyen de faire notre travail. Personne, je pense, parmi nous, ne croit que nous allons abandonner le commerce du pétrole dans un avenir prévisible dans ce monde, il se trouve que dans ce pays, le commerce du pétrole, c'est une grosse affaire.
Il nous faut parler de deux, trois choses — comme de Lac-Mégantic, comme des déversements du pétrole transporté par train dans les lacs du nord de l'Alberta. Il nous faut parler de l'Exxon Valdez. Il nous faut parler de ces catastrophes environnementales qui se sont produites par le passé.
Si vous acceptez l'idée que nous allons transporter du pétrole de l'Alberta et de la Saskatchewan jusqu'au marché, la question qui se pose alors, c'est comment faire pour transporter ce produit dans les meilleures conditions de sécurité? Seriez-vous d'accord pour dire que l'oléoduc offre de meilleures conditions de sécurité pour le transport que le train et que les camions?
Mme McClenaghan : Ce que j'en dirais, c'est que je n'ai pas sous les yeux une évaluation environnementale faite dans les règles qu'il convient de suivre selon moi, c'est-à-dire qui permette réellement une comparaison des méthodes alternatives. C'est ce qu'il convient de faire selon moi.
J'ai déjà dit plus tôt que l'évaluation devait être conçue dans un cadre plus large, mais lorsqu'on aborde les provinces spécifiques dans le cadre de types de projets particuliers, comme les pipelines, ou le transport de produits au marché, comme vous dites, on a besoin d'une analyse des méthodes alternatives.
Une analyse bien menée poserait entre autres les questions suivantes : quels sont les impacts négatifs? Qui bénéficie du projet? Comment en atténuer les impacts? Où se situent les risques? Tous ces éléments seraient abordés dans une évaluation environnementale bien menée.
J'ai signalé un peu plus tôt que de l'avis de la communauté environnementale et des chercheurs, le besoin se fait sentir d'une évaluation environnementale améliorée ou de nouvelle génération reposant sur une approche par paliers. La première étape consisterait à préciser les questions au niveau régional ou stratégique, puis au fur et à mesure des progrès, on commencerait à examiner les projets particuliers et on passerait à l'analyse des méthodes alternatives.
Le sénateur Mercer : Tout cela me semble fort bien, mais il me semble aussi que cela va prendre beaucoup de temps. L'un des problèmes de notre secteur énergétique, c'est que nous avons un client principal et, entre parenthèses, un client qui ne paie pas le même prix que le reste du monde. Il paie le prix du brut par opposition au prix qu'il faudrait payer s'il l'achetait du Moyen-Orient.
Cela étant su et compris, je ne crois pas que qui que ce soit ici s'oppose à une évaluation environnementale faite dans les règles. C'est une question de temps. La réalité du pays aujourd'hui, c'est que l'économie est suspendue aux événements intervenus dans le secteur de l'énergie en Saskatchewan et en Alberta. Ce qui se passe en ville à Toronto, Montréal ou Halifax est la conséquence de ce qui se passe à Fort McMurray et ailleurs dans l'ouest du Canada, et cela depuis quelque temps. Il suffit de voir ce qui se passe à la pompe.
Comment surmonter le problème? Je ne dis pas qu'il nous faut éviter de faire l'évaluation environnementale, mais il y a sûrement un moyen de faire cela rapidement et scrupuleusement, de manière que cela ne devienne pas un obstacle mais plutôt un outil de plus à notre disposition pour assurer le bon état d'une industrie très importante, pas pour l'Alberta et la Saskatchewan, mais pour tous les Canadiens.
Mme McClenaghan : J'ai plusieurs observations à faire. Tout d'abord, je ne préconiserais jamais une évaluation environnementale qui prenne beaucoup de temps juste pour le plaisir de prendre beaucoup de temps. Nous avons nous aussi, dans le cadre de différentes études, comme l'étude de la Chambre des communes sur l'évaluation environnementale, fait des soumissions sur les moyens de rendre ces évaluations plus efficientes et satisfaisantes à bien des égards pour tous les participants. C'est très difficile, enfin, pour le public de prendre part à une évaluation environnementale qui dure trop longtemps. Les gens doivent pouvoir s'absenter du travail, participer réellement, et cetera. S'il faut payer des experts, est-ce que l'on peut mobiliser les fonds nécessaires pour les payer. Il importe donc pour tout le monde de réaliser les études environnementales dans un délai raisonnable.
Toutefois, pour les projets de pipelines, par exemple, j'ai relevé que certains des projets proposés ont une durée de vie de 50 ans, il faut prendre le temps nécessaire au départ pour prendre les bonnes décisions. Une fois que cet investissement est réalisé, il est là pour longtemps.
Si des changements économiques nous forcent à mettre ces actifs au rancart, différents scénarios peuvent y contribuer, on peut se demander alors comment assurer un entretien approprié de ces actifs, par exemple. Est-ce que le risque augmente de ce fait? Et la situation économique peut changer très vite. Ces derniers temps, les prix du pétrole font le yo-yo, nous le savons.
L'économie se diversifie, et si aujourd'hui les combustibles fossiles ont un fort impact sur l'ensemble du pays, il n'en ira pas nécessairement de même dans 15 ou 20 ans. Il nous faut réfléchir à ce que nous devons faire pour être en prise sur l'énergie de la prochaine génération qui ne sera plus tributaire des combustibles fossiles, comme le laisse prévoir le fait qu'en 2015, au niveau mondial, les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé les investissements dans les combustibles fossiles.
Le sénateur Mercer : Je ne prétends pas que le monde n'est pas en train de changer, que tout le monde finira par abandonner le secteur du pétrole, parce qu'il nous faudra passer à autre chose. Mais ma boule de cristal ne me dit pas que c'est pour bientôt, et il nous faut survivre dans le marché et nous diversifier.
Vous avez fait des recommandations pour améliorer l'efficience des évaluations environnementales. L'efficience pour l'un n'est pas l'efficience pour l'autre. L'efficience pour le producteur, pour les compagnies pétrolières, c'est arriver au bout du parcours, là où le produit doit être transporté. L'efficience pour certains groupes environnementaux c'est lorsqu'on cesse de transporter le produit des gisements de pétrole jusqu'au marché. Y a-t-il un moyen terme satisfaisant combinant une évaluation environnementale dans les règles et le transport le plus rapide possible des produits au marché permettant aux producteurs canadiens d'obtenir le meilleur prix?
Mme McClenaghan : Je ne prétends pas savoir quelle est la réponse. Mais permettez-moi de dire que oui, il y a des processus qui pourraient marcher beaucoup mieux pour tout le monde.
Deuxièmement, pour ce qui est du résultat, si vous faites une évaluation environnementale stratégique ou une évaluation des solutions de rechange pour les services énergétiques, je ne suis pas certain que la réponse soit qu'il faut de nouveaux pipelines. Mais je n'exclus pas que cela puisse être la réponse.
Le sénateur Runciman : Votre association s'appelle l'Association canadienne du droit de l'environnement. Pourriez- vous nous en dire un peu plus? Combien de membres avez-vous au niveau national? Où est votre siège social?
Mme McClenaghan : Il est à Toronto. Comme je l'ai dit, il y a quelques instants, nos seuls membres sont les membres du conseil d'administration. L'ACDE a été formée en 1970, une année où il y a eu beaucoup d'activités dans le domaine de l'environnement, comme vous vous en souviendrez, et elle a été formée à l'université de Toronto par les étudiants en réponse la formation de Pollution Probe, qui se rendait compte qu'ils avaient besoin d'avocats pour défendre leurs causes. Nous sommes incorporés au niveau fédéral et nous suivons de près l'évolution du droit fédéral depuis 46 ans.
Le sénateur Runciman : Le temps à notre disposition est limité. Vous seuls membres sont ceux du conseil d'administration. Où résident-ils?
Mme McClenaghan : Les membres actuels résident au Québec et en Ontario. Un membre au Québec, le reste en Ontario.
Le sénateur Runciman : Au centre-ville à Toronto?
Mme McClenaghan : Non. Certains sont à Toronto, oui.
Le sénateur Runciman : Certaines des choses que vous avez dites un peu plus tôt concernant les droits de toutes les parties, ont piqué ma curiosité. Vous avez parlé d'une participation rendue plus étroite, restreinte aux personnes directement affectées et aux experts compétents, et il vous semblait que cela était très restrictif. C'est le point de vue de votre association et le vôtre également, j'imagine.
Vous avez dit que tout le monde est affecté, ce qui semble suggérer qu'il faut ouvrir toutes grandes les portes, et je me demande si c'est bien réaliste. Je suis frappé par l'idée, je suis peut-être trop cynique en l'occurrence, qu'il s'agit d'une stratégie pour faire capoter le processus. Nous constatons, comme l'a signalé le sénateur, que les retards succèdent aux retards et les organisations aux organisations et nous savons que les retards, coûtent de l'argent et découragent les investissements.
J'ai tendance à croire que nous devons naturellement prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l'environnement, mais en même temps, il y a des gens qui sont simplement jusqu'au-boutistes, et nous avons entendu des témoignages à cet effet, et qu'on ne persuadera jamais que construire des pipelines, c'est la chose à faire. Que vous soyez ou non l'un des leurs, je n'en ai pas la moindre idée.
Je suis curieux à propos de votre suggestion concernant la participation au processus, impliquant qu'il faudrait ouvrir les portes. Lorsque vous dites que tout le monde est affecté j'en déduis que la participation doit être illimitée. La Commission de l'énergie de l'Ontario et l'Office national de l'énergie doivent élaborer des lignes directrices sur ces sujets. Comment devraient-elles être élaborées selon vous?
Mme McClenaghan : Oui, je suis d'accord, ce devrait être ouvert à tout le monde, absolument, croyez-le ou pas. Je pense que c'est tout à fait gérable.
J'ai dit plus tôt qu'il y a de nombreuses façons de permettre la consultation et la participation. Vous pouvez faire les halls des mairies, la facilitation et la médiation. Dans le cadre de l'enquête Walkerton, par exemple, il y avait à peu près quatre façons différentes d'obtenir des impôts, c'était un modèle passablement bon.
La Commission canadienne de sûreté nucléaire, devant laquelle je comparais régulièrement, a examiné l'approche adoptée par l'Office national de l'énergie et a changé d'avis, de sorte que n'importe qui peut lui écrire une lettre pour parler de l'un de ses projets. Il n'y a aucune raison pour que l'Office national de l'énergie ne puisse adopter la même procédure.
La question du niveau de participation que veulent les gens est différente, et il pourrait fort bien y avoir différents niveaux de participation, comme pour les tribunaux traitant des questions foncières, ou quelqu'un est une partie à part entière qui a ses titres, a un ensemble de responsabilités qui en découlent tandis qu'un autre est participant et quelqu'un d'autre vient à la réunion publique en soirée pour exposer son point de vue.
Mais je ne vois rien qui puisse justifier qu'un Canadien se voie refuser le droit de participer à ces processus.
Le sénateur Runciman : Êtes-vous entièrement financés par le gouvernement de l'Ontario?
Mme McClenaghan : Nous sommes financés essentiellement par Aide juridique Ontario, dans le cadre d'un protocole d'entente avec notre conseil d'administration, et Aide juridique a passé un protocole d'entente avec le procureur général.
Le sénateur Runciman : Votre organisation a-t-elle un point de vue sur le financement par l'étranger des mouvements qui s'opposent à la mise en valeur des ressources naturelles du Canada?
Mme McClenaghan : Nous n'avons pas de position officielle, mais je trouve les préoccupations exprimées ces dernières années inappropriées et exagérées.
Le sénateur Runciman : Vous ne voyez donc pas de problème à ce sujet, c'est comme cela que je l'interprète.
Le sénateur Black : Tout d'abord, merci beaucoup d'être ici. Je suis arrivé avec un peu de retard et je vous présente mes excuses. Étant moi-même avocat, j'apprécie la méticulosité de votre approche aujourd'hui. On peut ne pas être d'accord, mais je respecte votre point de vue.
En plus d'être avocat, j'étais avocat dans le domaine de l'énergie, alors je suis très intéressé par votre point de vue parce que l'environnement est fondamental pour l'industrie énergétique, et son maintien en état.
Avez-vous eu l'occasion de lire la transcription des interventions des personnes qui vous ont précédée ici?
Mme McClenaghan : Non. Je le fais normalement, mais je n'en ai pas eu l'occasion cette fois.
Le sénateur Black : Je voudrais souligner deux ou trois choses que nous avons entendues, puis vous poser une question à propos de quelque chose que vous avez dit.
Vous avez dit que les gens sont sceptiques, ce qui veut dire, je suppose, que la communauté de l'environnement est sceptique mais à vous de nous dire si c'est plus large que cela. Je vais vous citer certains éléments d'information extraits des témoignages, et j'espère que vous pourrez m'expliquer, après avoir entendu cela, comment il se pourrait que les gens, moi compris, soient sceptiques.
On nous a dit que, pour ce qui est des accidents en matière de sécurité, les pipelines sont sûrs à 99,98 p. 100. On nous a dit que le transport du pétrole par train est sécuritaire à 98 p. 100, ce qui veut dire que sur tous les mouvements de pétrole par train, 98 p. 100 se déroulent sans incident.
On nous a dit que l'industrie des pipelines est le plus gros employeur de jeunes aborigènes au Canada.
On nous a dit que les flux d'investissement dans l'industrie énergétique se chiffrent en milliards de dollars, ce qui, naturellement, comme l'a dit, je crois, un de mes collègues, soutient les écoles et les ponts et les prisons et les organisations d'aide juridique.
On ne nous a pas dit, mais l'on prend note, bien sûr, que le pipeline de Northern Gateway a demandé une prorogation de trois ans, cela au cours de ces deux dernières semaines, parce que les 31 groupes partenaires aborigènes ont besoin de temps pour examiner leur ligne proposée et, ajouterais-je, leur point d'aboutissement.
À propos de ce que vous disiez concernant les communautés rurales pauvres qui pourraient être privées de gaz naturel, on a entendu, pas plus tard qu'hier, le représentant de l'Association canadienne des producteurs pétroliers disant que c'est pour eux un problème potentiel qu'ils suivent de très près, naturellement, puisque cela représente une opportunité économique. Il va sans dire que la distribution de ce gaz, exigera des pipelines. Les gens en sont conscients.
Nous savons que les provinces atlantiques et le Québec importent 700 000 barils de pétrole par jour de pays comme le Nigeria, l'Algérie, la Libye et l'Arabie Saoudite, qui n'ont pas les normes environnementales et la crédibilité du Canada.
Nous observons que l'ONÉ et l'ACEE, avec lesquels j'ai travaillé en étroite collaboration pendant des décennies, ont acquis la réputation d'être durs, sur la scène internationale. En fait, tout dernièrement, nous avons vu que, au ce qui est de la demande de Petronas en Colombie-Britannique concernant le gaz naturel liquide, l'ACEE a été si scrupuleuse qu'elle a surenchéri sur les propositions en disant, « Non, le problème concernant les herbiers marins est résolu, mais il nous faut examiner les mammifères marins » et cette extension a été acceptée de bon gré parce qu'on veut et on a besoin que tout se fasse comme il faut dans le domaine de l'environnement.
Nous sommes au courant, bien sûr, de l'examen en 2016 d'Exxon Mobil disant que, que cela nous plaise ou non, la demande de gaz et de pétrole augmentera entre aujourd'hui et 2040, pas nécessairement en raison du Canada, mais en raison de juridictions en dehors du Canada.
Compte tenu de nos antécédents en matière de sécurité, le fait que nous importions du pétrole de pays qui ne respectent pas les droits de l'homme ou l'environnement comme le fait le Canada, étant donné que nous avons des organismes de réglementation et en matière d'environnement de classe mondiale — avec lesquels vous et vos collègues êtes non seulement étroitement associés, mais auxquels votre participation est bienvenue parce que votre point de vue est un élément critique du succès — j'ai du mal à comprendre pourquoi les gens seraient sceptiques. C'est là que je compte sur votre aide.
Mme McClenaghan : Vous avez abordé un bon nombre de points. Je vais revenir sur certains d'entre eux et si j'oublie un point important je vous prie de me le signaler.
Le sénateur Black : On peut peut-être avoir une discussion.
Mme McClenaghan : Tout d'abord, les statistiques de sécurité sont importantes, mais comme vous le savez, 99,98 p. 100 ou 98 p. 100 de nombreuses transactions, a beau être tout à fait substantiel, la possibilité demeure malgré tout d'un accident qui peut avoir un impact très grave.
Le sénateur Black : Le risque est toujours présent.
Mme McClenaghan : J'ai fait allusion à Walkerton, dont je me suis occupée pendant plusieurs années. Vous pourriez bien dire, et nous disons effectivement, que 99,999 p. 100 des échantillons d'eau potable sont sains. Mais le jour où tout se détraque, tout se détraque pour de bon.
Une préoccupation dont j'ai parlé plus tôt en matière d'évaluation environnementale, c'est que lorsqu'on se penche sur les accidents, si on examine les accidents présentant un faible taux de probabilité, est-ce qu'on évalue le scénario catastrophe? Les décisions de la Cour fédérale, qui ne concernaient pas les pipelines mais le nucléaire, disent pratiquement que vous n'êtes pas tenus de le faire. Vous pouvez vous fonder sur les accidents les plus probables. Les gens avec lesquels nous travaillons n'acceptent pas cette conclusion.
La même chose vaut pour les pipelines. Quelques-uns de ces accidents terribles qui se sont produits dans le Golfe du Mexique et sur la côte Ouest ont eu des conséquences d'une portée considérable, même si chaque fois, il ne s'agissait que d'un seul accident dans une longue série de journées d'activités ou de transactions.
Le sénateur Black : Je suis au courant pour le Golfe du Mexique, mais je ne sais pas de quoi vous parlez à propos de la côte Ouest.
Mme McClenaghan : L'accident de l'Exxon Valdez au large des côtes du nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Black : C'était il y a 30 ans. Très bien, l'un était une explosion sur une plate-forme, l'autre un incident qui remonte à il y a 30 ans.
Mme McClenaghan : Kalamazoo, ce n'était pas il y a 30 ans. Le problème, c'est que si vous avez un accident environnemental réellement grave, un tous les 10 ans que ce soit dans le nucléaire ou le pétrole, c'est un accident de trop. Je disais que la possibilité de tels accidents doit être prise très au sérieux, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui au Canada dans le cadre des évaluations environnementales.
Le sénateur Black : Pourquoi dites-vous cela? Sur quoi vous fondez-vous?
Mme McClenaghan : Je viens juste de plaider dans deux affaires où, à l'évidence, les scénarios catastrophes n'avaient pas été pris en compte. Le tribunal n'a rien trouvé à y redire; et nous disons que c'est précisément la raison pour laquelle on doit réformer la législation — parce que le public n'accepte pas cette conclusion.
Le vice-président : Je souhaite faire quelques commentaires à propos des témoignages. Vous avez parlé d'alternative au projet et vous avez parlé de services. Évidemment, on peut toujours offrir les services. La question porte plutôt sur les moyens de créer des richesses et de générer des revenus, pas sur les services. Je vous invite à réfléchir à cela quand vous rentrerez.
Vous avez dit que, pour la première fois, les investissements dans les énergies renouvelables dépassaient les investissements dans les énergies traditionnelles. Avez-vous des chiffres sur le pourcentage que cela représente dans la production totale d'énergie par opposition à la part des énergies traditionnelles et sur le coût de cette énergie pour savoir si elle est produite avec profit ou à perte? Tous ces éléments seront pris en considération lorsqu'on étudiera cette question.
Mme McClenaghan : Sur la question des services, je souhaite être claire. Je ne parle pas de services de consultation; je parle du service réel que rend cette énergie qu'il s'agisse de chauffage, d'éclairage ou de transport.
Le vice-président : Merci beaucoup pour votre témoignage. Nous vous savons gré de votre présence.
Notre prochain témoin est Bruce Campbell, professeur invité, faculté de droit, Université d'Ottawa. M. Campbell est actuellement en congé de son poste de directeur général du Centre canadien de politiques alternatives.
Bruce Campbell, professeur invité, faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à contribuer à votre étude importante sur la sécurité des transports du pétrole vers le marché. Mes commentaires portent exclusivement sur le transport du pétrole par rail, et plus spécifiquement sur le régime réglementaire du transport par rail, qui est au centre de mes travaux pratiquement depuis la catastrophe de Lac-Mégantic.
Un mot sur ma biographie : En 2015, en grande partie en raison de mes travaux sur Lac-Mégantic, j'ai été récompensé par la bourse de leadership communautaire en justice de la Fondation du droit de l'Ontario. Je travaille actuellement auprès de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, comme l'a dit le président, et bénéficie d'un congé du Centre canadien de politiques alternatives. Je m'apprête en fait à quitter le centre dont j'ai été directeur général pendant 22 ans.
Comme vous le savez, le transport du pétrole par rail continue de jouer un rôle important, quoique secondaire, parmi les différents moyens de transport du pétrole au marché. Les volumes transportés ont atteint un pic puis décliné. Je crois que l'Association canadienne des producteurs pétroliers était ici l'autre jour. Ils continuent de prévoir un triplement du volume de pétrole transporté par le rail d'ici 2018, de 200 000 à entre 500 000 et 600 000 barils par jour.
Le public canadien croit, dans son écrasante majorité, et les données des sondages le confirment, que la première priorité du gouvernement est de protéger la santé et la sécurité de l'environnement; et il ne fait pas confiance aux sociétés pour qu'elles s'auto réglementent. Ce n'est qu'après une catastrophe majeure que le public perd confiance dans la capacité du gouvernement de le protéger. Ce n'est qu'après une catastrophe majeure que les failles dans le régime réglementaire apparaissent.
Bien que les catastrophes majeures aient un caractère unique, les failles du régime réglementaire qu'elles révèlent, présentent des aspects communs. Qu'il s'agisse de la crise financière américaine, de la catastrophe de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, de Fukushima et, plus près de chez nous, de Ocean Ranger et Westray, ces aspects communs apparaissent avec évidence. Ils ont clairement joué un rôle à Lac-Mégantic.
En font partie des règlements vagues, le manque d'inspection pour vérifier la conformité avec la réglementation, le manque d'instruments de répression et de pénalités pour faire respecter la réglementation, le manque de volonté de sanctionner les infractions des sociétés et le détournement flagrant de la réglementation.
Il y a détournement de la réglementation lorsque celle-ci est régulièrement amenée à servir les intérêts privés de l'industrie réglementée au détriment de l'intérêt public, lorsque l'industrie est régulièrement en mesure de façonner la réglementation qui régit ses opérations, de bloquer ou de retarder l'adoption d'une nouvelle réglementation, et de supprimer ou d'édulcorer la réglementation existante lorsqu'elle estime qu'elle a une répercussion négative sur ses coûts.
On parle rarement du contournement de la réglementation dans le contexte de la catastrophe de Lac-Mégantic, mais je crois que divers éléments prouvent que c'est un facteur qui a contribué à la catastrophe. Tant que les causes de la catastrophe de Lac-Mégantic n'auront pas été pleinement comprises et qu'on n'y aura pas remédié, le transport du pétrole par le rail — en dépit des améliorations apportées à la sécurité du rail jusqu'ici — continuera de présenter des risques significatifs et de se heurter à la résistance du public.
Des groupes de citoyens se sont formés un peu partout au pays — Safe Rail en Ontario, Convoi-citoyen au Québec et la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic. Les gens sont déterminés à exiger que les compagnies obtiennent un permis social pour se livrer à leurs activités.
Il a été mis en évidence récemment que le gouvernement avait apporté une contribution de 75 millions de dollars au fonds de 460 millions de dollars chargé du règlement de la plainte collective et des poursuites pour négligence ayant entraîné la mort, protégeant Transports Canada, l'une des parties défenderesses, de la menace de poursuites ultérieures en responsabilité. Le règlement a barré la voie à la recherche dans différentes directions prometteuses de ce qui s'était produit et pourquoi, en éliminant le moyen d'obliger les témoins à témoigner et d'obliger à fournir l'information qui n'a pas encore été fournie jusque-là.
Le rapport du Bureau de la sécurité des transports du Canada, publié en 2014, représentait l'enquête la plus complète sur l'accident. Le gouvernement a considéré que c'était le dernier mot; toutefois, nombreuses sont les pistes qui n'ont pas été suivies et les questions sans réponse. Les gens de Lac-Mégantic ont demandé à de nombreuses reprises une enquête indépendante.
D'autres grandes catastrophes au Canada ont donné lieu à des enquêtes judiciaires ou des commissions royales — Hinton Rail, Ocean Ranger, Westray, l'affaire du sang contaminé, Walkerton — alors pourquoi pas Lac-Mégantic? Il s'agit d'un accident sans précédent dans l'histoire du Canada, selon moi, si l'on tient compte à la fois des pertes en vies humaines, des dégâts causés à la propriété et à l'environnement.
Le ministre des transports a le pouvoir en vertu de l'article 21(1) de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses de convoquer une enquête publique si l'émission de produits dangereux « ont fait des victimes — morts ou blessés — ou causé des dommages aux biens ou à l'environnement. » Si jamais il y a eu une bonne raison d'invoquer ce pouvoir, c'est bien celle-ci.
J'ai parlé plus tôt des failles dans le régime réglementaire du rail. Il est vital de demander quels sont les problèmes qui persistent, et j'espère que vous prenez cela en considération dans votre étude.
Je veux me concentrer sur le détournement de la réglementation. Les compagnies de chemin de fer sont depuis toujours des joueurs puissants. Cela, en tant que tel, ne constitue pas un détournement de la réglementation, mais cela le rend plus probable. C'est l'un des arguments sur lesquelles j'insiste : il n'existe pas d'organisme de réglementation fort pouvant faire contrepoids à l'industrie.
En conclusion, vous devriez peut-être prendre en considération un certain nombre de moyens pour renforcer la résistance de Transports Canada à la tentation de s'inféoder la réglementation. Premièrement : un ministère bien pourvu de l'expertise professionnelle nécessaire, capable d'évaluer la validité des propositions de réglementation avancées par l'industrie et de prendre ses propres décisions sur la base des éléments de preuve à sa disposition dans le respect de son mandat public.
J'ai examiné le budget relatif au transport des produits dangereux et le budget relatif à la sécurité du rail. Ce dernier a été amputé de 20 p. 100 de 2010 à 2014. Sur la base des priorités des prévisions de planification pour les deux années à venir, il paraît absurde de s'attendre à une augmentation. Le budget consacré au transport de produits dangereux est pratiquement resté constant sur toute la période depuis que j'ai commencé à l'examiner en 2009-2010. On me dit que le budget de l'Office des transports du Canada est pratiquement gelé depuis quelque temps déjà. Je pense qu'un effort doit être fait pour accroître augmenter et renforcer les ressources allouées à ces agences.
Vous savez que le transport du pétrole par rail a connu une augmentation énorme, certainement après 2011. Comme je l'ai dit, le volume transporté a quelque peu baissé récemment. En 2009, il y avait un inspecteur de la sécurité du rail pour 14 voitures chargées. En 2013, il y avait un inspecteur pour 4 500 voitures chargées. Dans le secteur du transport des marchandises dangereuses, au moment de l'accident, seuls 16 inspecteurs avaient les compétences requises pour inspecter les chemins de fer pour ce qui est du transport de marchandises dangereuses.
Je sais qu'en 2015, sous l'ancien ministre des transports, le nombre d'inspecteurs de la sécurité du rail a augmenté, le syndicat qui représente les employés du transport craint qu'une bonne partie de cette augmentation profite à la fonction audit et non aux inspections sur le terrain. C'est I l'inspection sur le terrain qui représente le volet le plus important de l'ensemble du mécanisme de réglementation, et je pense que c'est l'une des faiblesses du système.
Parmi les autres éléments à prendre considération, l'expertise interne et la capacité de se procurer des sources d'information indépendante, plutôt que d'avoir à compter sur l'information fournie par l'industrie; des mesures visant à remédier aux conséquences du flux unilatéral de personnel de l'industrie vers Transports Canada, y compris des exigences strictes en matière de conflits d'intérêts et autres dispositions relatives à la reddition de comptes; un programme robuste de protection des lanceurs d'alarme visant à garantir que les employés qui signalent des problèmes de sécurité ne feront pas l'objet de harcèlement ni de menaces; plus grande transparence et divulgation de l'information de sorte que les groupes citoyens des municipalités soient mieux en mesure d'évaluer si le ministère remplit son mandat.
Enfin, les décisionnaires politiques doivent reconnaître le rôle indispensable de la réglementation. La réglementation est depuis trop longtemps dénigrée par les partisans de la déréglementation, présentée comme une charge supplémentaire pesant sur les entreprises, de la paperasserie, un obstacle à la compétitivité, un tueur d'emplois silencieux. Imaginez-vous travaillant dans une agence de réglementation considérée comme tueur d'emplois silencieux! Il est temps de rétablir la réputation des praticiens de la réglementation et leur rôle essentiel en tant que gardiens du bien public.
Merci.
Le vice-président : Merci, monsieur Campbell pour votre présentation. C'est maintenant au tour des sénateurs de poser des questions.
Le sénateur Mercer : Monsieur Campbell, merci beaucoup de votre présence. Vous avez commencé par dire que vous allez vous concentrer sur le transport du pétrole par le rail, et vous avez fait référence à un certain nombre de choses. Lac-Mégantic nous a appris que tout n'allait pas pour le mieux dans le domaine du transport du pétrole par rail, et vous avez signalé certains problèmes au sein du ministère dont nous reparlerons au cours de notre étude.
Toutefois, si vous acceptez la prémisse que l'on doit transporter le produit de l'Alberta et la Saskatchewan au marché, et espérons-le jusqu'à un terminal maritime, le marché ne se réduisant pas seulement à nos amis américains, pensez-vous que passer du transport par rail au transport par un oléoduc serait plus payant?
M. Campbell : J'ai pris connaissance en partie des témoignages précédents du Fraser Institute, et lorsqu'on tient compte des pertes en vies humaines, l'oléoduc, sur la base de l'expérience canadienne, est beaucoup plus sécuritaire. Je ne suis pas qualifié pour faire cette comparaison. Je sais ce que disent les statistiques. Je crois l'avoir entendu ici ce soir. Les deux sont extrêmement sûrs.
Les statistiques du Bureau de la sécurité des transports du Canada concernant les déraillements sur les voies principales faisant intervenir des produits dangereux, lorsqu'on compare 2013 à 2014, montre que le nombre de déraillements sur les voies principales est passé de 11 à 25, c'est-à-dire qu'il a plus que doublé. En 2012, il y en avait eu 5. La tendance est préoccupante.
Il suffit d'un accident, et les gens de Lac-Mégantic ont payé le prix, et les gens de Gogama n'ont pas eu à déplorer de perte de vies humaines de justesse. Il y a eu un déraillement là, il y a à peu près un an. En fait, il y a eu deux déraillements, l'un très près de la ville. Les dégâts à l'environnement ont été importants. Les travaux de nettoyage se poursuivent et la faune et l'eau ont également souffert.
Voici un autre chiffre que j'ai trouvé dans les statistiques du BST pendant que je préparais mon audition d'aujourd'hui et c'est à peu près ce que j'ai de plus récent, au cours des six premiers mois de 2015, le nombre d'accidents par million de miles-train faisant intervenir des produits dangereux s'est établi à 97, soit 33 p. 100 au-dessus de la moyenne sur 5 ans de 73.
C'est une tendance qui dérange et qui n'est certainement pas faite pour rassurer les gens de Lac-Mégantic.
Le sénateur Mercer : Vous ne nous faites pas nous sentir bien. Ce n'est pas votre travail; vous êtes ici pour nous donner des informations.
Vous avez reconnu la valeur de la réglementation. Je pense que ce sont les mots mêmes que vous avez employés. Nous traitons la réglementation avec respect. L'une des choses qui nous préoccupent dans la réglementation, c'est le risque d'aller trop loin ou de trop réglementer. Existe-t-il un exemple de quelqu'un qui aurait trouvé le juste équilibre en matière de réglementation du transport des produits dangereux?
M. Campbell : C'est la tâche des responsables des politiques. Avant tout, le public veut être protégé. C'est l'intérêt public. Il y aussi un intérêt public relatif à l'économie. Évidemment je privilégierais la sécurité par rapport à l'économie et m'en remettrais au principe de précaution dans mon approche. Mieux vaut pécher par excès de prudence. Voilà la réponse que je ferais à cela.
Le sénateur Greene : Le sénateur Mercer vient de poser les questions que je voulais poser et je cherchais un moyen différent de poser la même question, mais je n'y parviens pas. Je vous remercie infiniment.
La sénatrice Unger : Merci, monsieur Campbell. Pouvez-vous me rappeler ce que veut dire « regulatory capture », détournement de la réglementation, dans le texte en français?
M. Campbell : Comme je le disais, il s'agit d'un phénomène commun dont on a constaté l'existence dans des catastrophes très différentes. Dans le cas de Fukushima, c'est une autre façon de dire qu'il y avait des rapports de copinage.
L'industrie du rail dans le cas qui nous occupe est très puissante et l'a toujours été, mais c'est lorsqu'on constate que de manière routinière et systématique la réglementation vise à répondre aux intérêts du réglementé et que l'autorité de réglementation sacrifie l'intérêt public. Sur la base de mon expérience, lorsque j'examine la catastrophe de Lac- Mégantic, il apparaît à première vue qu'il y a détournement de la réglementation. C'est l'un des facteurs qu'il faut comprendre et prendre en considération dans la poursuite de nos efforts pour mettre en place un système de réglementation assurant le maximum de sécurité.
Tous les faits n'ont pas été mis à jour dans ce cas, et c'est pourquoi j'estime qu'il est nécessaire de mener une enquête publique. Les poursuites au civil ont été bloquées. Le ministère des Transports n'est pas dans une position où il peut mener l'enquête lui-même, et le Bureau de la sécurité des transports du Canada était limité dans son action. Je préconise une fois de plus la tenue d'une enquête indépendante. Le détournement de réglementation est l'un des facteurs de la catastrophe sur lequel devra se pencher l'enquête.
La sénatrice Unger : Merci pour cet éclaircissement. Je pensais à quelque chose comme le syndrome de Stockholm, mais se rapportant plus précisément à des calamités et des catastrophes comme celle-ci. Pourquoi y a-t-il détournement de réglementation?
M. Campbell : Cela se produit. Cela arrive. Cela existe et on en a la preuve. La première obligation des sociétés est à l'égard de leurs actionnaires. Elles se préoccupent avant tout des profits et des coûts.
Les régulateurs veillent à l'intérêt public en général et d'autres ont fait ce commentaire. Le dernier rapport du vérificateur général a été rédigé avant Lac-Mégantic, mais il a été publié fin 2013, et il critiquait entre autres choses le processus des systèmes de gestion de sécurité, qui fait partie intégrante du régime réglementaire. Il relevait que dans une situation où les compagnies en fait s'autoréglementent, il est censé y avoir une couche supplémentaire de réglementation, mais en l'absence d'un fort mécanisme de surveillance, à savoir d'inspections sur le terrain, dans la pratique, elles s'autoréglementent, et le vérificateur général signalait qu'il y avait là un conflit entre les intérêts public et privé. C'est là que le régulateur a son rôle à jouer.
Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il y a une faiblesse dans la réglementation en raison en partie de l'insuffisance des ressources accordées aux institutions. J'ai interviewé des gens qui s'occupaient autrefois de réglementation, ils m'ont dit que la grande majorité des cadres venaient en fait de l'industrie et n'arrivent pas à se défaire de leur casquette des chemins de fer pour se mettre dans la tête qu'ils doivent défendre l'intérêt public.
C'est un problème. J'ai suggéré un moyen qui pourrait renforcer la résistance de l'agence aux tentatives de détournement de la réglementation et qui consiste à s'assurer, qu'au moment de la transition, les directives appropriées en matière de conflits d'intérêts soient en place. Le vérificateur général a également insisté là-dessus et sur d'autres obligations de reddition de comptes visant à assurer l'indépendance nécessaire.
La sénatrice Unger : Je vous remercie pour cela. Lorsque j'ai appris la nouvelle du désastre à Lac-Mégantic, je voyageais avec le comité de l'énergie. Nous étions à Vancouver, où l'on terminait une longue étude sur la sécurité des transports des hydrocarbures. La nouvelle du désastre nous est parvenue. L'information arrivait par bribes, au compte-goutte. Lorsque j'ai appris que l'on avait laissé un train stationné toute la nuit au-dessus d'une colline surplombant la ville, je me suis demandé qui pouvait avoir pris une telle décision? Qui ferait pareille chose?
M. Campbell : Oui.
La sénatrice Unger : Je me demande dans quelle mesure c'est imputable à une erreur humaine. La catastrophe d'Exxon Valdez, par exemple, était due à une erreur humaine, et je crois que c'est en partie le cas ici.
M. Campbell : J'étais chez une amie, à son chalet, et elle potassait un livre pour l'un de ses cours. Il était question de l'Ocean Ranger. Nous en avons entendu parler comme tant d'autres, nous avons vu les photos, c'était épouvantable.
Je ne suis pas expert en matière de chemin de fer. Mon domaine, c'est l'analyse des politiques. Cela fait 30 ans que je m'occupe de cela. J'avais le sentiment que je disposais d'un cadre d'analyse qui pouvait m'aider à analyser cela avec un certain degré d'indépendance, parce que sitôt après l'accident, la chasse aux coupables a commencé. Tout le monde blâmait tout le monde. Je me sentais en mesure de fournir un point de vue extérieur indépendant sur la question. Puis j'ai appris que ma collègue avait perdu trois membres de sa famille dans cet accident, ce qui m'a fait me sentir personnellement motivé. Cela fera bientôt trois ans que je m'occupe de cela.
Vous avez signalé que le train avait été laissé sans surveillance sur la voie principale. Le rapport du BST abordait la question, mais il a été enterré. Seul le travail d'un intrépide reporteur du Globe and Mail a permis de découvrir que la compagnie avait donné explicitement pour instruction de ne pas activer le frein automatique sur les wagons. Il y a trois freins; le frein indépendant sur les locomotives, le frein automatique sur les wagons, et les freins à main. On sait que la partie relative au frein à main a été débattue publiquement, et je pourrais en parler.
La question est de savoir, cependant, comment il se fait que Transports Canada ait laissé cette compagnie donner pour instruction à ses employés de ne pas activer le frein automatique? Cela figurait dans les instructions spéciales. C'était prévu dans le système de gestion de la sécurité? Nous ne savons pas parce que n'est pas rendu public.
Ensuite il y a la question des trains laissés sans surveillance. Immédiatement après l'accident, Transports Canada a adopté une directive d'urgence. L'une interdisait qu'un train de marchandises puisse circuler désormais avec un seul employé à bord. Pourquoi cela avait-il été permis jusque-là est une autre question, d'une importance incroyable, selon moi, du point de vue de la réglementation. Une autre directive interdisait de laisser des trains sans surveillance sur la voie principale. Directive qui devait être annulée six mois plus tard. Des propositions furent faites par l'Association des chemins de fer du Canada. Des mesures ont été proposées et acceptées par Transports Canada visant à assurer un niveau de sécurité équivalent.
Je ne suis pas en mesure d'évaluer si elles assurent un niveau de sécurité équivalent. De l'avis de certaines personnes auxquelles j'ai parlé, elles marquent un recul et un assouplissement de la réglementation. Voilà qui est dit. Des trains de marchandises transportant des marchandises dangereuses sont toujours autorisés, dans certaines conditions, à stationner, sans surveillance.
La sénatrice Unger : La semaine dernière nous avions une compagnie de chemin de fer qui témoignait. Je pense que l'industrie a appris de ces énormes erreurs, et je crois qu'elle travaille dur pour améliorer son bilan en matière de sécurité. En fait, les personnes qui sont venues témoigner, pensaient avant tout à la sécurité. Ils ont mis au point un certain type d'application qui sert à l'élaboration des rapports. Je n'entrerai pas dans les détails, mais cela m'a impressionné.
Je suis intimement convaincu que les pipelines et les chemins de fer font de gros efforts. La dernière des choses qu'ils veulent, c'est un autre désastre de ce genre. Seriez-vous d'accord pour dire qu'ils s'efforcent d'améliorer la sécurité? Je suis certain qu'on se livre à un examen de conscience au sein du système gouvernemental des transports également.
M. Campbell : Je pense que la tension reste présente. Il y a eu des améliorations dans la sécurité des chemins de fer. Des problèmes persistent. Je ne comprends pas, par exemple, pourquoi on n'a pas encore mis en place de mesures pour extraire les composantes volatiles du pétrole ou du goudron dilué avant le transport.
Je m'interroge sur les raisons pour lesquelles les compagnies n'insistent pas davantage pour que Transports Canada procède à des inspections sur le terrain ou n'y sont pas plus favorables. Je crois comprendre qu'elles manifestent des réticences et estiment avoir fait ce qu'elles devaient avec la mise en place de leur système de gestion de la sécurité, qu'elles savent mieux que quiconque ce qu'elles doivent faire et qu'elles le font. Il y a un autre aspect à cette question. Pour que les systèmes de gestion de la sécurité fonctionnent convenablement, il faut que la surveillance habituelle soit en place du côté de la compagnie également en rapport avec sa culture en matière de sécurité, qui constitue un facteur très important. Si vous n'avez pas ces inspections sur le terrain, vous n'avez pas la garantie que votre système de transport par rail offre des garanties optimales de sécurité, et c'est cela qui me chiffonne. C'est la garantie que je recherchais.
La sénatrice Unger : Merci beaucoup.
Le vice-président : Monsieur Campbell, je sais que votre présentation principale traite de la sécurité du rail. Toutefois je voudrais vous parler de quelque chose qui m'intrigue dans vos écrits antérieurs : c'est votre comparaison du mode de gestion de l'industrie du pétrole en Norvège et au Canada. Je me demande si vous pourriez développer cela. Je sais que vous avez écrit un article il y a quelques années à ce sujet — en 1913. Le monde du pétrole a changé — son prix aussi. Je voudrais entendre votre point de vue là-dessus et les raisons pour lesquelles vous pensez que le système de gestion norvégien est plus avantageux et que nous devrions l'imiter.
M. Campbell : Tout d'abord, c'est en 2012 que j'ai fait ces travaux. L'ambassadeur norvégien m'avait invité à séjourner quelques temps en Norvège. J'ai beaucoup apprécié; l'expérience a été très instructive pour moi.
Pour ce qui est des transports, il n'y a pratiquement pas de transport de pétrole par le rail; il se fait surtout par pipelines et par bateau. C'est sans doute le cas partout en Europe. Je ne suis pas absolument certain, mais nous n'avons pas de base de comparaison, je crois, à ma connaissance en tout cas sur ce point, concernant le transport du pétrole de marchandises dangereuses par rail au Canada et ailleurs en Europe, y compris en Norvège.
Mon rapport portait avant tout sur la gestion de la manne pétrolière et comparait la Norvège et le Canada. Bien sûr, leurs systèmes politiques sont différents. La structure fédérale du Canada avec son partage des pouvoirs, et cetera, est beaucoup plus complexe que celle de la Norvège.
Ce n'est qu'à la toute fin des années 1960 que l'on a découvert du pétrole là-bas. Très vite, ils se sont intéressés à toute une série de questions concernant la gestion du pétrole, le mode d'appropriation et de distribution des recettes pétrolières. Ils ont décidé de les garder pour l'essentiel dans le domaine public. En même temps que la Norvège mettait en place sa compagnie nationale du pétrole, le Canada faisait de même.
Au début des années 1970, ils ont abouti à un consensus. Ils l'ont appelé « les 10 commandements du secteur pétrolier; » il se résumait en 10 points très simples. La mise en valeur, l'appropriation et la distribution des recettes pétrolières et du potentiel pétrolier relevait de la gestion publique. Ce qui ne veut pas dire que les multinationales n'avaient pas leur rôle à jouer — évidemment, elles jouaient un rôle — mais dans le contexte d'un service public fort. Il avait des pouvoirs d'évaluation et de remise en question. Lorsque la décision a été prise d'augmenter les taxes, les multinationales ont menacé de plier bagage. Cela ne s'est pas produit. Les multinationales sont toujours là, et elles s'en sortent fort bien. Mais le taux d'imposition des sociétés y est passablement élevé : 78 p. 100. Le taux général d'imposition sur les sociétés est de l'ordre de 50 p. 100 auquel vient s'ajouter presque 30 p. 100 pour les sociétés pétrolières. Et vous savez comment cela se compare avec le Canada.
La compagnie pétrolière nationale de la Norvège, qui est cotée en bourse, est présente dans le monde entier, y compris au Canada, aux États-Unis, et cetera.
Ce qu'ils n'ont pas fait en Norvège, alors que cela s'est fait au Canada, en particulier en Alberta, c'est de diminuer les autres taxes lorsque les recettes pétrolières rentraient en abondance. La Norvège ne l'a pas fait.
Quand on examine le régime général de taxe sur les ventes, les taxes à la consommation sont très élevées en Norvège, comme c'est le cas partout en Europe; elles sont parmi les plus élevées. Quelqu'un a demandé plus tôt ce soir comment la Norvège pouvait financer un régime de sécurité sociale si généreux. Voilà, je crois, un élément de réponse.
Ils étaient également très attentifs à l'environnement. Gro Harlem Brundtland était premier ministre dans les années 1980 — lorsque l'ONU a publié son premier rapport sur le changement climatique. Ils ont mis en place une taxe sur le carbone dès le début des années 1990. Aujourd'hui, leur taxe sur le carbone équivaut à quelque 60 $ le baril. Ce n'est pas une grande source de revenus par rapport aux autres sources de revenus du gouvernement
Voilà, brièvement résumés, quelques-unes des différences entre la Norvège et le Canada. La gestion publique et un service public vigoureux en sont des ingrédients majeurs.
Le sénateur Mercer : Merci pour votre présentation. Je voudrais revenir sur deux points que vous avez abordés dans vos réponses à d'autres questions.
Vous avez dit que les employés de Transports Canada viennent pour la plupart de l'industrie.
M. Campbell : Oui.
Le sénateur Mercer : J'ai géré des organisations de bonne taille, et j'ai toujours trouvé que c'était mieux d'avoir affaire à des gens qui comprenaient en quoi consistait le processus de gestion. Je tiens également à dire clairement que nous n'avons pas dans l'idée de critiquer les employés de Transports Canada en l'absence d'éléments précis montrant que quelque chose n'allait pas.
Vous avez laissé entendre que les règlements sont faits dans l'intérêt des réglementés plutôt que du grand public, et j'ai rédigé une note pour demander si vous laissez entendre qu'il y a collusion entre l'autorité de réglementation et les organismes réglementés.
M. Campbell : Je ne le sous-entends pas.
Le sénateur Mercer : Vous avez failli dire « pas nécessairement. »
M. Campbell : Je n'ai pas de preuve de collusion.
Laissez-moi vous donner un exemple de la façon dont, comme je le crains, la réglementation peut être contournée. Cela concerne la possibilité d'exploiter des trains avec un équipage d'une seule personne et les circonstances dans lesquelles la MMA, qui a un très mauvais palmarès en matière de sécurité, a été autorisée à le faire.
Lorsque j'ai commencé à enquêter là-dessus, j'ai appris que l'Association des chemins de fer du Canada avait modifié la réglementation en 2008. Elle a fait des consultations. Elle l'a fait malgré les objections — elle a modifié la réglementation, et a introduit une disposition dite règle générale M.
En gros, auparavant, il n'y avait qu'une compagnie de chemin de fer au Canada autorisée à exploiter en train à un employé, c'était une compagnie dans le nord du Québec et le Labrador. Elle bénéficiait d'une exemption ministérielle pour ce faire. Avec cette exemption ministérielle, elle devait remplir 69 conditions, sauf erreur, pour pouvoir opérer. La règle générale M a balayé cela, donc il n'était plus nécessaire d'avoir une exemption ministérielle officielle.
Alors, MMA, qui opérait depuis une dizaine d'années, a vu cela et a voulu exploiter des trains avec un équipage d'une seule personne. Une fois la règle générale M en place, elle s'est adressée de nouveau à Transports Canada. L'Association des chemins de fer du Canada a pris fait et cause pour elle, en faveur de l'introduction de trains à un seul employé, bien que le syndicat des ouvriers de la métallurgie, la compagnie, le syndicat des employés du transport, qui organise les inspecteurs et cetera à Transports Canada, se soient déclarés contre. Les gens de Transports Canada, ceux du bureau régional au Québec, y étaient opposés. Il y avait toute cette opposition.
Transports Canada avait même commandité une étude au Conseil national de recherches sur ce sujet. Dans son rapport, celui-ci recommandait de faire une étude pilote avant d'aller de l'avant, en s'entendant sur le parcours à retenir, et en veillant à ce qu'il y ait une évaluation sérieuse avant de poursuivre. Cela trois ou quatre mois peut-être avant que MMA ne commence exploiter ses trains à un seul employé pour le transport du pétrole. C'était en juillet 2012 et elle les a exploités jusqu'en juillet 2013.
Suite à une demande d'accès à l'information, j'avais pris connaissance de la correspondance électronique, c'est la raison pour laquelle je suggère qu'il y ait une enquête judiciaire indépendante afin que toutes les informations soient mises sur la table et que les personnes soient citées à comparaître.
Le sénateur Mercer : Je ne suis pas contre. Nous souhaitons tous aller au fond des choses. Je ne suis pas contre une enquête judiciaire ou une enquête d'un genre ou d'une autre. Mais je ne voudrais surtout pas que l'on montre du doigt les officiels de Transports Canada ou de l'Association des chemins de fer avant que les résultats d'une enquête ne nous autorisent à le faire. J'apprécie votre témoignage, mais je veillerai à ce que nos décisions ou recommandations ne se fondent pas uniquement sur des ont dit en l'absence d'éléments probants. Je fais largement confiance au personnel de Transports Canada, encore que vos remarques sur le budget me tracassent. Les gouvernements aiment équilibrer leur budget, mais les préoccupations d'équilibre budgétaire doivent passer au second plan quand il s'agit de la réglementation en matière de sécurité. C'est tout ce que j'ai à dire.
M. Campbell : Je suis d'accord.
La sénatrice Unger : Pouvez-vous me dire si le rail jouit ou non du permis d'exploitation social, que, entre parenthèses, certains témoins ont décrit comme quelque chose d'impossible à définir.
M. Campbell : les gens de Lac-Mégantic avaient des trains-citernes qui traversaient leur communauté. Ils ne la traversent pas maintenant. La traversée est suspendue pour un an. Y aura-t-il, début 2017, des trains chargés de pétrole ou de marchandises dangereuses qui la traverseront? Je n'en sais rien. Si vous n'êtes jamais allé à Lac-Mégantic, cela donne la frousse d'imaginer ce qui s'est passé.
Les gens de Lac-Mégantic veulent une voie de contournement. Ils estiment que le gouvernement le leur doit. Les maires d'autres villes comme Toronto et les municipalités environnantes, ont aussi demandé une voie d'évitement. Dans le cas de Lac-Mégantic, cela s'impose, je crois. Ils demandent aussi une enquête judiciaire parce qu'ils trouvent que de nombreuses questions restent encore sans réponse. Tant qu'ils n'auront pas ces réponses, ils n'auront pas le sentiment que la réglementation est suffisamment forte pour garantir la sécurité des transports ferroviaires pour leur communauté et pour garantir qu'il n'y aura pas un autre Lac-Mégantic ailleurs au Canada.
Le vice-président : Merci, monsieur Campbell. Nous vous savons gré d'être venu nous voir ce soir, et nous vous remercions de nous avoir accordé votre temps.
M. Campbell : Merci de m'avoir invité.
Le vice-président : La semaine prochaine nous poursuivrons notre étude et entendrons le commissaire à l'environnement et au développement durable, Teamsters Canada et Safe Rail Canada.
La séance est levée.
(Le comité s'ajourne.)