Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule nº 30 - Témoignages du 13 février 2018
OTTAWA, le mardi 13 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 31, pour examiner le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois puis à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le comité examine aujourd’hui le projet de loi C-49, Loi sur la modernisation des transports.
Nous recevons aujourd’hui deux groupes de témoins. Nous accueillons tout d’abord le premier groupe. J’aimerais souhaiter la bienvenue à M. François Tougas, coprésident, Transport et Concurrence, de McMillan, M. Jean-Paul Rodrigue, professeur au Département d’études mondiales et de géographie, Université Hofstra, et M. Béland Audet, président de l’Institut en Culture Sécurité Industrielle Mégantic, qui comparaît par vidéoconférence. Je vous remercie de votre présence.
J’invite M. Tougas à commencer son exposé de quatre minutes. Il sera suivi de M. Rodrigue et de M. Audet. La parole est à vous, monsieur.
François Tougas, coprésident, Transport et Concurrence, McMillan, S.E.N.C.R.L., s.r.l./LLP : Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à comparaître devant le comité dans le cadre de son étude du projet de loi.
Je suis l’un des rares conseillers juridiques des expéditeurs et des transporteurs ferroviaires, et c’est à ce titre que je comparais devant vous. J’ai agi comme conseiller dans plus de 60 processus de négociation avec des compagnies de chemin de fer dans des cas où l’expéditeur ne pouvait pas faire lui-même le travail. Certaines ont mené à des processus prévus par la loi et le projet de loi entre en jeu dans certains cas.
Transports Canada m’a longuement consulté à plusieurs occasions et m’a demandé, avant de présenter le projet de loi C-49, de lui faire parvenir mon mémoire. Malheureusement, le projet de loi a pour effet d’aggraver la situation déjà difficile que vivent certains expéditeurs et laisse certains sans recours viable pour contrer la domination sur le marché qu’exercent le CN et le CP.
La domination des compagnies de chemin de fer est bien connue au Canada et aux États-Unis. Ce n’est pas nouveau. Cependant, il en résulte que le Canada est plus désavantagé, car la production industrielle est restreinte par des taux et des niveaux de service non concurrentiels.
J’ai de nombreuses années d’expérience, et la loi a été affaiblie au fil du temps. Mes observations portent sur l’accès aux données des transporteurs ferroviaires et les pouvoirs de l’Office des transports du Canada. Elles sont appuyées par un très grand nombre d’expéditeurs du Canada. Je sais que d’autres témoins qui ont comparu avant moi appuient ce que je dirai aujourd’hui. Je suis ici pour appuyer ce qu’ils ont dit.
Soit dit en passant, les expéditeurs ne sont pas de petits joueurs; ils occupent une énorme place. Ils représentent une majeure partie du volume et des revenus du transport ferroviaire de marchandises au Canada. Ils ont beaucoup de soutien. Ils représentent également une importante partie des recettes d’exportation et des emplois bien rémunérés au pays.
Je signale que dans la structure du marché, il y a un déséquilibre entre les transporteurs et les expéditeurs dans bien des volets des réseaux ferroviaires. Je ne veux pas trop insister là-dessus. De nombreux éléments des deux systèmes de transport ferroviaire sont très compétitifs, mais bien d’autres ne le sont pas. C’est ce volet que je vise, et c’est pourquoi des recours sont prévus dans la loi. Ils servent à donner un peu de répit, pendant un certain temps, par rapport au pouvoir écrasant qu’exercent les transports ferroviaires sur le marché.
J’étais là lors des six dernières occasions où l’on s’est penché sur des modifications à la loi. Chaque fois, on me dit que des modifications seront apportées aux recours la prochaine fois. Puisqu’il semble que ce n’est jamais ce qui se produit, j’espère que cette fois sera la bonne.
Concernant les données sur l’établissement des coûts, le CN et le CP fournissent beaucoup plus de données sur l’établissement des coûts aux expéditeurs des États-Unis qu’à ceux du Canada, ce qui nuit à notre économie. Je vous donne quatre exemples.
Contrairement à la situation qui existe au Canada, aux États-Unis, les expéditeurs ont accès à des renseignements détaillés touchant le coût du transport ferroviaire, ce qui leur permet de calculer ce que le transport de leurs propres marchandises coûte aux transporteurs.
Le CN et le CP sont tenus de présenter des données financières et statistiques détaillées aux États-Unis, lesquelles peuvent être consultées sur un site web publiquement accessible, mais pas au Canada.
Aux États-Unis, les expéditeurs disposent de plusieurs moyens pour mesurer la compétitivité du coût du transport assuré par le CN et le CP dans le cadre de leurs opérations américaines, mais non en ce qui concerne les opérations du CP et du CN au Canada.
L’Office des transports du Canada possède un système d’établissement des coûts ferroviaires qui accomplit les mêmes tâches que le système américain, mais malheureusement, les expéditeurs canadiens qui veulent avoir accès aux données essuient constamment un refus.
Dans les documents que je vous ai fournis, je propose une modification qui pourrait être apportée pour régler ce problème. Je ne vais pas la lire, mais elle se trouve dans les documents.
D’autres groupes ont parlé d’une autre question. Elle concerne les pouvoirs de l’Office des transports du Canada d’agir de son propre chef. C’est principalement pour régler un problème, et c’est que les expéditeurs ne veulent pas agir seuls pour essayer de régler les problèmes auxquels ils sont confrontés parce qu’ils ont différentes craintes, dont la crainte de représailles.
Ainsi, si l’on donnait à l’office certains pouvoirs pour l’évaluation des défaillances systémiques, et non des problèmes particuliers, l’office pourrait, grâce à son expertise, se pencher sur ces problèmes et trouver des solutions viables pour un grand nombre d’expéditeurs, une région ou un segment d’une ligne, peu importe de quel problème il s’agit.
Dans mon mémoire, je propose un libellé qui modifierait la loi de façon à accorder à l’office le type de pouvoirs qu’il n’a pas présentement. Il s’agit d’un système fondé sur les plaintes.
Je vais m’arrêter ici pour l’instant et je serai ravi de répondre aux questions.
Jean-Paul Rodrigue, professeur, Département des études mondiales et de géographie, Université Hofstra, États-unis, à titre personnel : Je vous remercie de l’invitation. Je ne représente pas d’intervenants ou d’intérêts particuliers. Par conséquent, je suis quelque peu impartial. Je suis professeur à l’Université Hofstra à New York.
J’examine l’industrie depuis à peu près 25 ans. Puisque je ne représente aucun intervenant et que je ne défends aucune cause, je suis plutôt ambivalent ou neutre concernant les mesures législatives. J’ai décidé de vous parler de la situation actuelle de ce que je perçois comme étant le transport ferroviaire nord-américain.
Nous avons une image fausse des choses. Ce ne sont pas des transporteurs canadiens. Ce sont des transporteurs nord-américains, car le CN et le CP occupent une place très importante dans le réseau ferroviaire états-unien. Je vous ai fourni des cartes pour vous donner une idée. Il s’agit d’un système de terminaux très complexe, avec des liens vers des routes et des ports. C’est un aspect.
Compte tenu de la voie dans laquelle s’oriente l’industrie, comme je l’ai mentionné dans mon mémoire, on peut dire qu’elle a un passé horizontal et un avenir vertical. Qu’est-ce que j’entends par là? Auparavant, on parlait d’intégration. Il y a eu des fusions et des acquisitions. Par exemple, le CN et le CP ont acquis des segments aux États-Unis. Cette époque est terminée. On ne peut pas faire de grandes acquisitions en raison de la réglementation. La dernière fois, cela n’a pas fonctionné à cause de la concentration du pouvoir de marché. Cela ne se produira pas.
Dans de telles circonstances, de nos jours, les compagnies de chemin de fer essaient d’améliorer la connectivité entre leurs réseaux avec de grandes installations intermodales. Ils se tournent maintenant vers l’intégration verticale. Ils cherchent à établir des zones logistiques dans ce que nous appelons les ports intérieurs, un aspect très important de leur développement.
Partout, de nos jours, lorsqu’on regarde les principales gares ferroviaires intermodales, des partenariats sont établis avec des promoteurs immobiliers locaux, qu’il s’agisse d’entités privées ou publiques. On établit des installations logistiques pour ancrer les activités. Ce modèle est repris partout dans le monde. La stratégie de la Chine, par exemple, en Asie centrale, se base sur le transport ferroviaire, la logistique et l’intégration verticale. Il s’agit d’un tournant très important dans l’industrie.
Un autre aspect qui sera important dans l’avenir concernant l’intégration verticale, c’est l’utilisation des TI, dont on ne semble pas beaucoup parler dans vos réunions. Nous sommes à l’aube d’une très grande révolution du traitement des données transactionnelles dans l’industrie. Il en est question depuis longtemps. Lorsque nous parlons de connaissements électroniques, nous appellerons cela des chaînes de blocs.
Oubliez tout le battage sur le bitcoin et toutes ces absurdités en quelque sorte. À l’avenir, on pourra avoir, essentiellement, une chaîne traçable de TI efficace. J’appelle cela l’intermodalité numérique, qui permettra de reconstituer et de retracer toutes les transactions. Ce sera très important sur le plan de la concurrence, selon la façon dont le système est établi. On pourra voir ce qui est fait, d’où le produit provient, où il se trouvait et dans quelles circonstances. Grâce à cela, les coûts transactionnels diminueront de façon très substantielle, à mon avis. Il faut en tenir compte.
Enfin, les lois canadienne et américaine seront comparables sur le plan du repositionnement des conteneurs vides. J’ai revérifié auprès de la Maritime Administration aux États-Unis. Les dispositions interdisant le repositionnement sont entrées en vigueur en 1958. Nous aurons finalement des règles semblables sur le repositionnement des conteneurs vides. C’est important parce qu’il y a d’énormes déséquilibres commerciaux. Toute mesure visant à faciliter les choses sera avantageuse, peu importe quels sont les avantages pour les expéditeurs. Il leur sera plus facile de repositionner les conteneurs vides.
La dernière chose, mais non la moindre, c’est qu’il devient presque impossible de construire des infrastructures en Amérique du Nord en raison du syndrome « pas dans ma cour ». Peu importe le projet sur lequel je donne des conseils aux États-Unis, cela devient presque insensé. La situation est encore pire au Canada. Peu importe ce que nous faisons, les gens disent « pas dans ma cour », ce qui retarde beaucoup les projets. C’est en train de devenir une question de relations publiques, un problème pathologique; les gens ont peur de tout.
Tout projet d’infrastructure est perçu de façon négative dès le départ parce que les gens ne comprennent pas ce qu’est une chaîne d’approvisionnement. Ils voient un camion et ils pensent que l’objectif, c’est de bloquer la circulation. Ils ne voient pas la valeur ajoutée. Je préfère voir de nombreux camions que de nombreuses voitures rouler sur un pont, car je sais que les camions ajoutent de la valeur, tandis que les voitures, c’est discutable. C’est à peu près tout.
Le président : Monsieur Audet, allez-y, s’il vous plaît.
[Français]
Béland Audet, président, Institut en culture sécurité industrielle Mégantic : Bonjour et merci de me donner l’occasion de discuter avec vous de ce projet de loi. J’aimerais vous expliquer brièvement en quoi consiste l’ICSIM, l’Institut en culture de sécurité industrielle Mégantic. Cet institut a été créé par un regroupement de gens d’affaires de la région de Lac-Mégantic à la suite de la tragédie du 6 juillet 2013. Je pense que vous êtes tous au courant de cette tragédie. Lors d’une séance de brainstorming, l’un des acteurs, M. Maurice Bernier, un ancien préfet de la MRC du Granit, a lancé l’idée que Lac-Mégantic devienne le Davos de la sécurité. On est parti de l’idée de créer cet institut afin de sortir les aspects positifs de cette tragédie. C’était important pour nous de redonner aux gens de Lac-Mégantic et de la région un peu de positivisme à l’issue de cette tragédie.
Le CN a été l’un de nos premiers partenaires dans cette aventure. Il a géré la tragédie dès le premier matin même si ce n’était pas une ligne du CN. On sait que la ligne de Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA), à l’époque, était une ancienne ligne du CP. En tant que leader à l’échelle nationale, le CN a pris en charge la gestion de cette tragédie et collabore toujours avec nous depuis les cinq dernières années. Je tenais à vous le mentionner.
Par la suite, on a ajouté des partenaires : trois établissements d’enseignement, dont l’Université de Sherbrooke, le Cégep Beauce-Appalaches et la Commission scolaire des Hauts-Cantons. C’est du jamais vu, que trois établissements d’enseignement s’unissent pour créer ce genre d’institut.
Cet institut a une portée locale, régionale et nationale. On a aussi des partenaires potentiels. On a d’autres partenaires comme l’IPIC, l’Institut de protection contre les incendies du Québec, à Laval, qui forme les pompiers au Québec. On a aussi le gouvernement provincial qui est très impliqué depuis le début de cette belle initiative. Par contre, on a encore des attentes par rapport à Transports Canada, qui fait encore la sourde oreille pratiquement cinq ans après la tragédie. Elle tarde à s’impliquer dans cet institut. Je pense que c’est une tragédie qui a touché beaucoup de Canadiens. On a vécu quelque chose de particulier à Lac-Mégantic et l’on aimerait que les 1 200 villes qui sont traversées par le chemin de fer au Canada puissent tirer parti, en quelque sorte, de cet examen. Il est très important d’analyser les faits qui se sont produits lors de la tragédie.
En ce qui concerne l’Université de Sherbrooke, on cherche à bâtir une chaire de recherche sur la gouvernance et la stratégie participative et sécuritaire. On analysera la tragédie, à savoir la gestion de la crise, l’après-crise et la reconstruction. On analysera tous les faits et l’on fera ressortir les côtés positifs et négatifs de cette tragédie. Ensuite, on pourra former les dirigeants municipaux, les premiers répondants, les intervenants des gouvernements et de l’environnement et avoir de bonnes relations. Je crois qu’on sera en mesure de former ces gens.
En juin 2016, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités a recommandé que Transports Canada collabore avec la Ville de Lac-Mégantic à l’établissement du Centre canadien de Lac-Mégantic pour la formation et la certification des premiers intervenants et équipes d’intérêt. Sur ce point, on attend toujours une réponse de Transports Canada.
Parmi les points cruciaux que nous voulons soulever, il y a la formation des premiers répondants à la suite d’une tragédie ferroviaire. Dans l’est de l’Amérique, aucun établissement d’enseignement n’est voué à la formation en matière de sécurité ferroviaire. Le seul établissement qui donne ce genre de formation est le Justice Institute of British Columbia (JIBC) à Vancouver. À l’est, on n’a absolument rien et au Canada, aucun programme n’est offert en français. On souhaite créer un établissement de ce type à Lac-Mégantic, qui sera bilingue, francophone et anglophone, pour desservir l’Est du Canada.
On envisage l’établissement de deux sites de formation au centre-ville pour participer à la reconstruction de cette partie de la ville détruite à la suite de cette tragédie, avec un site de formation théorique au centre-ville et un autre dans le parc industriel.
Nous voulons également aborder le volet de la formation du grand public. On sait qu’on a tous un rôle à jouer au sein de la communauté canadienne, soit travailler en faveur de la culture sécurité. Nous souhaitons collaborer avec les industries de chemin de fer, les premiers répondants et le grand public en vue de la formation et de l’éducation du grand public.
Voici en bref en quoi consiste l’ICSIM. Vous en avez tous en main une copie du mémoire qu’on a déposé. Voici nos deux principales recommandations : la première, que Transports Canada uniformise et rende obligatoire la formation des chefs de train par un organisme accrédité; et, la deuxième, que Transports Canada uniformise et rende obligatoire une formation spécifique liée aux risques ferroviaires à l’intention des premiers répondants de localités traversées par un chemin de fer, soit 1 200 localités. C’est un avantage pour le Canada d’avoir ce genre de formation et c’est ce que l’on revendique, ici ce matin.
[Traduction]
Le président : Monsieur Tougas, vous avez dit qu’on vous avait consulté ou que Transports Canada avait discuté avec vous pendant la préparation du projet de loi.
Concernant les éléments manquants, quelle est la principale modification qui devrait être apportée à la loi, selon vous? Ou bien quel devrait être le résultat?
M. Tougas : Permettez-moi de commencer par la dernière question. Je souhaiterais qu’on ait un système dans lequel chaque expéditeur qui est captif ou qui vit une forme de captivité a accès à des recours viables.
Dans le cadre du projet de loi actuel, on essaie de créer le nouveau système d’interconnexion de longue distance pour corriger ce qui est perçu comme un problème dans la loi. Ce serait probablement utile à certains expéditeurs.
Or, d’autres expéditeurs seront exclus et, en fait, leur situation sera encore pire. Ce n’est pas une raison pour laisser tomber l’idée de l’interconnexion de longue distance, mais c’est une raison de rendre son fonctionnement plus efficace.
Toutefois, pour certains expéditeurs, il ne sera jamais utile. Pour ceux-là, je me concentrerais sur le mécanisme d’arbitrage de l’offre finale. Il existe depuis 1987. Il a fait l’objet de quelques modifications.
Transports Canada m’a abondamment consulté au sujet de l’arbitrage de l’offre finale. On m’a demandé ce que je ferais pour que le processus fonctionne. Il est inutilisé en quelque sorte. Je dirais qu’il est durement affaibli. La solution simple à ce problème consiste à permettre à un expéditeur qui ne peut pas avoir une option concurrentielle, qui ne peut pas établir de comparaison entre ses coûts et d’autres et qui ne peut expédier ses marchandises par aucun autre moyen, d’accéder au pouvoir d’établissement des coûts de l’office pour pouvoir obtenir les coûts d’expédition qui font l’objet d’un différend dans le processus d’arbitrage de l’offre finale, de les comparer aux taux proposés dans le processus d’arbitrage de l’offre finale et de permettre à l’arbitre de les comparer à l’offre présentée par la compagnie de chemin de fer.
Auparavant, les compagnies de chemin de fer acceptaient toujours la demande de l’expéditeur qu’on s’adresse à l’office pour l’établissement des coûts; or, les deux compagnies de chemin de fer ont compris que tout ce qu’il suffisait de faire, c’était de ne jamais donner son consentement, ce qui fait que ce recours est presque inutile.
Il s’agit d’une modification très simple. Elle figure dans les documents que je vous ai fournis. Elle ne compte que trois lignes. J’en ai discuté avec Transports Canada. Je continue à en parler. C’est un mécanisme qui réglerait le problème que vivent de nombreux expéditeurs au Canada, soit qu’ils sont incapables d’obtenir une solution de rechange concurrentielle avec un moyen qu’ils peuvent prendre eux-mêmes.
Ils peuvent soumettre leurs tarifs à l’arbitrage de l’offre finale. Il s’agirait d’un arbitre indépendant qui serait en mesure de comparer les coûts établis pour le transport ferroviaire des marchandises de l’expéditeur à ceux qui sont proposés par l’expéditeur et le transporteur.
Voilà ce qu’il manque. C’est une solution très simple. Cela existait auparavant. Nous devons revenir à une situation où ce recours fonctionne.
Le président : Le greffier me dit que cela aurait été fourni à tous les sénateurs.
[Français]
La sénatrice Gagné : Ma première question s’adresse à M. Audet. Merci de votre présentation et merci également aux autres témoins de vos excellentes présentations.
Monsieur Audet, vous avez identifié le manque de formation des employés comme étant un élément majeur dans le cadre de plusieurs accidents recensés au cours des dernières années. Vous recommandez que Transports Canada uniformise et rende obligatoire la formation des chefs de train par des organismes accrédités. Quels sont les organismes accrédités au Canada aux fins de la formation des chefs de train et quelle obligation les entreprises ont-elles en ce moment eu égard à cette formation?
M. Audet : La formation ferroviaire en ce moment est offerte par les compagnies de chemin de fer. Les compagnies CN et CP forment leur propre personnel, et aucune certification n’est disponible au Canada. Le niveau de formation chez CN et CP est très élevé. Par contre, 50 compagnies de chemin de fer locales au Canada ne disposent d’aucune formation et leurs employés sont formés par d’anciens employés à la retraite des compagnies CP ou CN. Comme c’est leur propre compagnie qui offre la formation, elle laisse à désirer. Par exemple, les gens de MMA, au moment de la tragédie qui a eu lieu à Lac-Mégantic, n’étaient ni formés ni accrédités.
La sénatrice Gagné : Le ministère des Transports indique que l’étude aléatoire des bandes audio et vidéo peut permettre aux entreprises d’identifier des pistes pour améliorer la formation de leurs employés. Selon vos commentaires et selon votre mémoire qui fait état d’une culture inégale au sein des entreprises, croyez-vous que des inspections plus régulières effectuées par Transports Canada soient une meilleure solution?
M. Audet : Effectuer des inspections régulières serait déjà un pas de plus, mais nous ne croyons pas tellement à l’utilisation des bandes vidéo. À Lac-Mégantic, par exemple, quel aurait été le résultat de l’utilisation de bandes vidéo? Cela n’aurait pas empêché la tragédie. Comme ces bandes ne sont visionnées qu’après le fait, cela n’empêche pas et n’améliore pas la sécurité au niveau du transport ferroviaire. Cela ne sert qu’à analyser ce qui s’est passé pour apporter des modifications dans le futur.
Aux États-Unis, une nouvelle technologie de commande intégrale des trains est disponible. Il est certes très coûteux d’implanter ce genre de système de gestion, mais avec cette technologie, les États-Unis ont un pas d’avance sur nous. Malgré toutes les technologies disponibles sur le marché, nous avons tout de même décidé d’utiliser les bandes vidéo au Canada et je crois que cette décision nous place à l’arrière du train, si je peux m’exprimer ainsi.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous de vos exposés. J’ai une brève question à poser à M. Audet, et j’en aurai une pour M. Tougas par la suite.
Croyez-vous qu’il est important d’inclure vos recommandations dans la loi, ou sont-elles d’ordre réglementaire?
[Français]
M. Audet : Selon moi, elles devraient être incluses dans la loi. Nous recommandons que les formations soient incluses, car cela fait partie de notre vision. S’il s’agit d’une réglementation, il faudrait quelque chose d’inclusif à cet égard.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Merci. Monsieur Tougas, je suis intriguée par ce que vous avez dit, soit que le CN et le CP fournissent beaucoup plus de données sur l’établissement des coûts aux expéditeurs des États-Unis qu’à ceux du Canada.
Si ces renseignements peuvent être fournis aux États-Unis, pourquoi ne le sont-elles pas au Canada? Qu’est-ce qui explique cette différence entre les deux côtés de la frontière?
M. Tougas : Les deux pays ont des systèmes de règlement des différends entre les expéditeurs et les transporteurs très différents. Cela découle de la structure réglementaire. Il ne peut pas s’agir d’une question de confidentialité, car ils fournissent déjà les données aux États-Unis.
On a dit que puisqu’il n’y a que deux compagnies de chemin de fer au Canada, chacune pourrait voir l’information de l’autre. Ce n’est pas vrai non plus. C’est un faux-fuyant. L’information sur l’établissement des coûts n’est fournie à l’expéditeur et au transporteur que par l’office. Dans le mécanisme d’arbitrage de l’offre finale, il y a des exigences de confidentialité qui oblige l’office et l’arbitre à garder l’information confidentielle.
Je ne connais aucun exemple où cette information a été divulguée publiquement, et c’est pourquoi je ne crois pas que ce soit une raison. Peu importe la raison, ce qui est arrivé, en fait, c’est qu’il y a eu un changement. Le processus d’arbitrage de l’offre finale est entré en vigueur en 1987. On n’y a vraiment pas eu beaucoup recours avant que les modifications de 1996 aient été apportées. Même à ce moment-là, nous parlons d’environ deux par année. Ce n’est pas gigantesque.
Il y a un groupe d’expéditeurs qui n’ont aucun autre recours et il a été affaibli durant ma pratique, cela a vraiment commencé en 1996.
Ce recours a été affaibli en grande partie parce que les compagnies de chemin de fer refusent de consentir à aller à l’office pour l’établissement des coûts de leurs expéditions qui font l’objet d’un différend. Il suffit que l’office soit obligé de fournir cette information sur les coûts et que l’arbitre détermine quoi en faire. La loi ne le prescrit pas. Même mes modifications ne proposent pas qu’on dise à l’arbitre quoi faire avec cette information. C’est seulement une méthode de comparaison.
La sénatrice Bovey : Or, cette information est déjà fournie à ceux qui la demandent chez nos voisins du Sud.
M. Tougas : Oui, de quatre façons différentes. C’est exact.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Tougas, le point que vous soulevez m’intéresse. Vous croyez certes fortement que la raison donnée, soit la question de la confidentialité, n’est qu’un faux-fuyant. D’autres personnes diraient que divulguer trop de renseignements n’est pas avantageux du point de vue concurrentiel. Je ne veux pas vous chercher querelle, mais il est probable que certains de vos expéditeurs ne voudraient pas divulguer autant de renseignements.
Pourrions-nous trouver un compromis dans la mesure où les compagnies de chemin de fer ne pourraient pas simplement refuser, où il appartiendrait aux arbitres de dire si oui ou non ils veulent prendre cette décision et où l’information relative aux coûts qu’on demande aux compagnies de chemin de fer ne serait fournie qu’à l’arbitre?
Je sais que vous avez dit qu’il n’y a jamais eu de divulgation, mais pour le président du CN ou du CP, tout est possible. Cela peut le préoccuper. Ne pourrait-on pas régler le problème en retirant le veto, en quelque sorte, et en ajoutant la restriction selon laquelle l’information est fournie à l’arbitre, en qui on aurait confiance pour la prise de décisions?
M. Tougas : J’ai entendu les deux questions. Permettez-moi de parler de la première. En fait, ce qui se passe dans un processus de l’arbitrage de l’offre finale se passe aussi dans tout type de processus d’arbitrage.
Les arbitres sont formés de sorte qu’ils ne vont pas à l’encontre de l’opposition d’un autre. Ils veulent le consentement de toutes les parties à l’égard d’un mode de fonctionnement particulier dans le processus d’arbitrage. Voilà pourquoi je dis qu’il faut donner à l’expéditeur un droit pour pouvoir l’obtenir.
Les expéditeurs pourraient ne pas l’exercer, mais ce sont eux qui sont désavantagés dans ce processus. Ce sont eux qui se voient imposer un coût.
Ils n’ont absolument aucun choix. Soit ils paient ce prix, soit l’expédition ne se fait pas. Il n’y a pas d’options. Pour qu’on arrive à résoudre le problème dont vous parlez, il faut qu’on rende obligatoire que l’arbitre obtienne l’information de l’office ou qu’on donne le droit à l’expéditeur d’obtenir l’information sur l’établissement des coûts.
Pour que les choses soient bien claires, je ne préconiserais toutefois pas un système qui dicte à l’arbitre quoi faire avec ces renseignements. Je ne préciserais rien à ce sujet. Laissons les parties déterminer entre elles si cela est pertinent ou non.
J’ai entendu les deux sociétés ferroviaires débattre de cette pertinence. Vous pouvez vous imaginer les arguments qu’elles avancent, tout comme vous avez une bonne idée de ce qu’un expéditeur en dirait. Chacun défend simplement son point de vue. Nous pouvons laisser les parties en décider.
Quant à votre seconde suggestion qui verrait l’arbitre être le seul à obtenir l’information, il y a un hic. Comment un arbitre peut-il savoir quoi faire en pareil cas? La plupart des arbitres sont des avocats de formation. Ils ont toujours fui les mathématiques. Ils ne savent pas quoi faire de ces données. Il faut que les parties en cause puissent les guider. Que pensez-vous faire? Allez-vous leur fournir un modèle de calcul différentiel pour les aider à savoir quoi faire de ces données?
On lance les gens sur une fausse piste en parlant d’une atteinte à la confidentialité. C’est tout simplement impossible. Il ne s’agit pas d’une simple entente; le processus est confidentiel en vertu de la loi. Des poursuites peuvent être intentées en cas de manquement. Il n’y en a pas eu jusqu’à maintenant. S’il y avait eu un problème, je peux vous assurer que des mesures auraient été prises, car les sociétés ferroviaires n’hésitent pas à loger toutes les contestations possibles dans un processus d’arbitrage des propositions finales.
Je sais que leurs représentants sont, juste derrière moi. Ils savent très bien de quoi je parle. Ils l’ont déjà fait. Ils me surveillent et je les surveille. C’est une merveilleuse relation.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Rodrigue, j’aimerais revenir à vos commentaires concernant l’évolution des données numériques, les chaînes de blocs et la possibilité de pouvoir compter sur des renseignements détaillés au sujet des coûts et des différentes variables importantes pour l’industrie ferroviaire et le transport de marchandises.
Qui serait chargé de mettre en œuvre un tel système? Est-ce que ce serait le gouvernement ou les sociétés ferroviaires? Et, selon la réponse à la question précédente, qui devrait obtenir les données nécessaires?
M. Rodrigue : On en est encore aux premiers balbutiements. Il y a quelques projets en cours. Les compagnies de transport maritime ont parti le bal, étant donné les problèmes qu’elles éprouvent avec les connaissements. Pour importer un conteneur, il faut quelque chose comme 200 éléments d’information. L’initiative vient donc des compagnies de transport maritime.
Il y a de fortes pressions en ce sens du fait que le processus deviendrait ainsi plus transparent. Il est possible que d’autres transporteurs commencent à mettre en œuvre un système semblable pour s’assurer en quelque sorte un avantage concurrentiel. Je m’attends à ce que l’industrie ferroviaire en fasse autant un jour ou l’autre. Les règles de concurrence ne seront alors plus tout à fait les mêmes.
Je ne suis pas certain qu’une réglementation soit nécessaire si ce genre de technologie en vient à créer un système un peu plus ouvert. La question que vous posez est tout à fait pertinente. Quiconque sera chargé de la mise en œuvre d’un tel système pourra influer sur son évolution, mais il semble bien, pour l’instant que ce seront les grandes sociétés de transport.
Au moment où on se parle, il y a encore une grande confusion qui règne. Comme il est question de technologie, les attentes irréalistes ne manquent pas. Nous saurons mieux à quoi nous en tenir une fois toute cette confusion dissipée. Je prévois des impacts considérables pour ce qui est des règles de concurrence, car les gens voudront remonter la chaîne d’approvisionnement, par exemple, pour vérifier si le produit a été certifié du point de vue environnemental. Encore là, les résultats pourraient être intéressants.
Le président : Est-ce qu’ils se servent de la technologie des chaînes de blocs?
M. Rodrigue : Ils commencent à mettre en œuvre cette technologie dans des secteurs bien précis. On en est au stade de l’expérimentation. On veut voir quelles seront les répercussions.
Le président : Cette technologie ne relève donc du contrôle de personne.
M. Rodrigue : Pas nécessairement pour l’instant.
Le président : Ce qui est une bonne chose, n’est-ce pas?
M. Rodrigue : C’est le but recherché. Cela permet d’ouvrir l’accès aux données à certains égards, ce qui est une excellente chose en soi.
On ne peut pas porter atteinte à l’intégrité des données. Elles n’appartiennent à personne. Il faudra toutefois établir les règles à suivre, ce qui ne manquera pas de donner bien des maux de tête à nos amis avocats. C’est incontournable, car les consommateurs exigeront sans doute une certaine forme de réglementation.
Comment pouvez-vous certifier l’empreinte carbone de ce bien? Vous n’avez qu’à consulter la chaîne de blocs correspondante et vous saurez exactement de quoi il en retourne.
Le sénateur Plett : J’ai une question rapide pour M. Audet, puis deux brèves questions pour M. Tougas.
Monsieur Audet, vous avez affirmé que l’enregistrement vidéo n’a pas d’effet préventif. Vous avez toutefois aussi indiqué que si nous avions disposé d’un tel enregistrement à Lac-Mégantic, nous aurions pu savoir pourquoi les choses ont mal tourné. Nous n’aurions pas pu empêcher cette tragédie-là, mais nous saurions à quoi nous en tenir quant aux erreurs commises.
Ne serions-nous pas mieux en mesure de prévenir d’éventuels accidents, si nous pouvions savoir ainsi ce qui a causé le plus récent?
[Français]
M. Audet : Bien sûr, nous sommes en mesure de prévenir un accident de cette façon, je suis d’accord avec vous. Toutefois, on n’évitera pas l’accident comme tel. On pourra analyser l’accident et ce qui s’est passé pour l’avenir. Aux États-Unis, le système Positive Train Control (PTC) est une technologie différente. Là, on peut anticiper un accident, des bris mécaniques et toutes sortes de choses qui peuvent se produire lorsqu’un train est en mouvement. Il est alors possible d’éviter un accident. Avec l’enregistreur, on ne peut prévenir les accidents et l’on ne peut éviter l’accident en tant que tel.
[Traduction]
Le sénateur Plett : À mon avis, il est plutôt important d’être capable de prévoir les accidents qui risquent de se produire.
Monsieur Tougas, vous nous avez indiqué très clairement que Transports Canada vous avait consulté et vous avait demandé de soumettre des mémoires. Vous avez aussi témoigné devant le comité de la Chambre des communes. Il semblerait toutefois que personne ne vous ait prêté une oreille attentive.
J’ai deux questions à vous poser. Pourquoi personne ne vous a écouté? Qui est le plus défavorisé par le système d’interconnexion de longue distance?
Je m’inquiète beaucoup du sort des producteurs céréaliers de l’Ouest canadien. Sont-ils pénalisés par le système d’interconnexion de longue distance?
M. Tougas : Permettez-moi de répondre d’abord à votre seconde question. Les gens de l’industrie agricole s’interrogent surtout dans un contexte où ces services visent à combler la perte des tarifs d’interconnexion de la zone 5.
Le changement était en grande partie attribuable au fait que les sociétés ferroviaires ont refusé de se prévaloir de l’ancien mécanisme du prix de ligne concurrentiel, comme l’a révélé le rapport de la Commission d’examen de la Loi sur les transports nationaux en 1992.
Le recours qu’offre l’interconnexion de longue distance est préconisé par l’industrie agricole, et plus particulièrement par certains, dont bon nombre de mes clients qui souhaitent vraiment en bénéficier parce qu’ils ont perdu les tarifs d’interconnexion de la zone 5 et qu’ils estiment nécessaire de pallier la défaillance du recours offert par le prix de ligne concurrentiel. Je crois que ces gens-là pourront déterminer au fil des ans dans quelle mesure ce recours leur est vraiment utile.
Je ne voudrais pas dénigrer l’idée de l’interconnexion de longue distance, car elle pourrait être bénéfique pour certains. Nous verrons bien. Il y a des groupes qui sont laissés-pour-compte en raison des zones d’exclusion dans les corridors de transport et des nombreux obstacles à surmonter pour pouvoir profiter de ce recours.
Je n’aimais pas beaucoup l’ancien mécanisme d’interconnexion de la zone 5 parce qu’il créait une distorsion sur le marché. Certains expéditeurs en bénéficiaient, mais ce n’était pas le cas de ceux se situant en dehors de la limite des 160 kilomètres. Il s’agissait donc d’une mesure essentiellement discriminatoire. J’ai bien peur que l’on ait un peu la même situation avec l’interconnexion de longue distance. J’en suis persuadé, en fait. Ce n’est toutefois pas une raison suffisante pour nous empêcher de donner un coup de main à ceux que l’on peut aider. À mes yeux, tous les expéditeurs qui ont besoin d’un recours semblable devraient avoir accès à une solution valable.
Pourquoi ne m’ont-ils pas écouté? Je croirais entendre mon épouse. Je ne sais pas vraiment. J’ai été amplement consulté. J’ai passé plus de 13 heures avec eux dans le cadre de trois séances différentes, et j’ai soumis de nombreux mémoires. Je leur ai transmis tout ce que je savais. Ils en ont tiré leurs propres conclusions. Je pense qu’ils ont fait fausse route dans bien des cas, ce qui est loin d’être une première. Ce sont des choses qui arrivent; c’est toujours le résultat de compromis.
Il ne fait aucun doute que chaque expéditeur doit avoir accès à un recours valable. Ce projet de loi nous offre l’occasion de nous en assurer. On n’a pas profité des dernières séries de modifications à la loi pour régler ces problèmes au fur et à mesure. C’est un long processus. Je ne vous apprends rien. La voie législative est un peu lente lorsqu’il s’agit de régler des problèmes qui affectent l’industrie en temps réel. Nous avons ici la chance de faire le nécessaire, et je pense que nous devrions en tirer parti.
Le sénateur Mercer : J’ai une question pour M. Tougas. Vous avez parlé de confier l’examen de ces données à l’office. Nous n’avons toutefois pas cherché à savoir si l’office disposait des capacités nécessaires pour répondre à la demande.
Est-ce que l’office dispose actuellement du budget et du personnel requis pour effectuer le travail si toutes ces données lui sont transmises?
M. Tougas : Oui, certainement. L’office le fait déjà. Il s’occupe de l’établissement des coûts pour le recours d’interconnexion prévu dans la loi. On obtient comme il se doit les renseignements nécessaires auprès des sociétés ferroviaires. On les utilise pour l’application de la méthode des coûts variables. On calcule aussi le coût des capitaux.
L’office est un centre d’expertise pouvant compter sur des gens très compétents. Il peut s’acquitter de sa tâche tout aussi bien que le Surface Transportation Board, son équivalent américain. Il s’agit de savoir si un expéditeur peut avoir accès à ces données pour établir des comparaisons entre ces coûts et ceux figurant dans sa proposition finale soumise à l’arbitrage.
Il n’est pas possible d’établir cette comparaison par ailleurs, car l’expéditeur n’a pas accès aux tarifs des autres transporteurs. Il lui est impossible de se comparer. Il ne peut pas se demander ce qui serait arrivé s’il avait choisi le camionnage. Lorsque le camion n’est pas une option, différents autres mécanismes deviennent inaccessibles. Il n’y pas d’autres voies ferrées. L’expéditeur est en quelque sorte captif.
L’office a ce qu’il faut pour s’en charger. Il l’a déjà fait par le passé. Avec le temps, les sociétés ferroviaires en sont venues à déterminer qu’elles ne devaient plus consentir à ce que l’arbitre puisse s’adresser à l’office pour obtenir ces données.
Le sénateur Mercer : Il n’y pas seulement l’office, mais aussi le Bureau de la sécurité des transports. Il a été question dans nos discussions d’envoyer à ce bureau tous les enregistrements vidéo captés dans les locomotives.
Est-ce que le Bureau de la sécurité des transports dispose du budget et du personnel nécessaires pour s’occuper de ces enregistrements de manière à pouvoir mettre les sociétés ferroviaires au fait des problèmes qu’elles devraient corriger?
M. Tougas : La prochaine fois qu’une agence gouvernementale vous dira qu’elle a suffisamment d’argent et d’employés, ce sera une première.
Le sénateur Mercer : Je sais très bien ce qu’ils me répondraient si je leur posais la question. C’est pourquoi c’est à vous que je l’adresse.
M. Tougas : Je pense que le bureau possède l’expertise nécessaire. Cela ne fait aucun doute. Il faut toutefois noter qu’il a perdu une partie de ses budgets et de ses ressources.
On peut toujours affirmer qu’il existe des moyens moins coûteux et plus rapides de faire les choses plus efficacement. Je ne suis pas vraiment bien placé pour en juger, mais j’ai l’impression qu’il n’est pas facile pour l’Office des transports du Canada de s’acquitter de ses différents mandats, que ce soit ou non par l’entremise du Bureau de la sécurité des transports.
Soyons réalistes. L’office est responsable des compagnies aériennes. Il s’occupe aussi du cabotage et de certaines fonctions ferroviaires. Ce sont de lourdes responsabilités pour l’office, mais il peut compter sur un service pour l’établissement des coûts.
Est-ce que je voudrais que l’office dispose de moyens encore plus importants? Certainement, mais je n’ai aucune raison de croire qu’il n’est pas en mesure d’accomplir le travail. Il l’a déjà fait. Il continue de le faire et devrait pouvoir poursuivre dans la même veine.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Monsieur Audet, votre témoignage me touche particulièrement. Je suis originaire de Sherbrooke et je connais très bien la région de Mégantic. Je sais à quel point cette tragédie a touché toute la population, pas seulement celle de Mégantic, mais celle de l’Estrie également.
Lors de votre comparution à la Chambre des communes, vous avez dit que le projet de loi C-49 proposait très peu de mesures pour prévenir des tragédies comme celle survenue à Lac-Mégantic. La seule modification proposée au projet de loi est l’ajout de caméras, ce qui serait un outil plus réactif que préventif, un peu comme les caméras dans le commerce. Souvent, elles seront consultées lorsque le crime aura été commis. Ces caméras servent très peu souvent à faire de la prévention.
Proposiez-vous des mesures plus préventives que réactives dans le projet de loi C-49?
M. Audet : Il est certain que nous aurions pensé que le gouvernement canadien irait vers une technologie comme le PTC. Nous savons que le PTC est en action présentement aux États-Unis. Nous savons que 60 p. 100 des locomotives et des équipements du CN et du CP ont déjà ce système sur leur équipement. Donc, nous croyons que l’implantation d’un système du genre au Canada aurait été une belle lancée vers un niveau de sécurité plus élevé. Cela n’a pas été la position de Transports Canada. Ils sont allés vers l’enregistreur vidéo, comme vous le disiez très bien plus tôt. Il s’agit d’une réaction à la tragédie et non pas de la prévention. Tandis qu’un outil comme celui des États-Unis, c’est de la prévention. C’est ce vers quoi nous croyions que Transports Canada allait choisir.
Le sénateur Boisvenu : J’ai été surpris de constater que nous allions adopter les normes des Nations Unies de 2013 alors que les Nations Unies ont modifié leurs normes à deux reprises depuis, surtout pour les matières dangereuses.
N’avez-vous pas été surpris que ce projet de loi ne soit pas à jour par rapport aux normes de sécurité?
M. Audet : Oui, c’est clair. Nous avions remarqué ce point également. Comme beaucoup de mesures, à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic, que le Bureau de la sécurité des transports du Canada avait mises en avant-plan et qui n’ont pas été respectées dans ce projet de loi.
Le sénateur Boisvenu : Messieurs Tougas et Rodrigue, selon vous — et je vais essayer de ne pas être sévère — ce projet de loi n’est-il pas une occasion ratée? Ne manque-t-on pas une occasion de moderniser la réglementation des chemins de fer? Ce projet de loi n’aurait-il pas dû avoir une perspective d’avenir en ce qui a trait à la modernisation de la réglementation plutôt que de boucher les trous qu’on a observés au cours des dernières années?
M. Tougas : Probablement. Mais j’hésite, parce que je suis conseiller juridique pour le chemin de fer qui a acheté la route à Mégantic et je n’ai pas d’instruction. J’aimerais me retirer de la question si je le peux. Nous avons l’occasion de moderniser la loi. Pourquoi ne pas prendre le temps de le faire et de le faire correctement?
M. Rodrigue : Ce que j’ai vu dans la loi, c’est surtout du rattrapage. J’ai été surpris de voir « conteneur vide ». Quand je me suis référé aux États-Unis, je me suis dit que c’était du rattrapage. À titre d’académique et de chercheur, je ne peux pas faire de recherche dans le transport ferroviaire parce que je n’ai pratiquement pas de données en général.
Dans le transport maritime, je travaille sur autre chose. J’envisage le problème indirectement. C’est une source de frustration, car cela pénalise la recherche qui peut parfois donner des idées intéressantes.
À chaque fois que je m’entretiens avec des intervenants du transport ferroviaire, je n’ai pas de données sur les terminaux intermodaux au Canada. On me dit que ce sont des données commerciales confidentielles. Je travaille alors sur autre chose.
Le sénateur Boisvenu : Cela signifie que, dans quelques années, si une autre tragédie se produit, on se retrouvera devant le même comité en examinant ce qu’on peut faire de mieux?
M. Rodrigue : Peut-être. Regardons toutefois la situation de façon plus globale. Certaines tragédies se produisent dans des cas où le transport a été effectué d’une façon qui n’aurait pas dû se faire et où il n’y avait pas d’autre option.
Vous voulez construire un oléoduc, on vous répond « pas dans ma cour ». On doit alors utiliser le transport routier ou ferroviaire, et des accidents se produisent. Ce sont parfois les conséquences indirectes d’autres causes. Vous croyez résoudre un problème sans toutefois apporter la solution réelle.
Le sénateur Dawson : Monsieur Audet, tout d’abord, félicitations. Je vous encourage dans vos efforts. Toutefois, je ne suis pas sûr qu’à cette étape de l’adoption du projet de loi vos deux recommandations sont appropriées. Si vous avez besoin d’appui à l’avenir, pour ce qui est de la formation, vous pouvez compter sur nous.
En ce qui a trait à la blockchain dont vous avez parlé, vous avez indiqué que le Canada et les États-Unis n’ont pas les mêmes règles, mais que la chaîne de blocs va effacer les règles. Cette collecte d’informations non contrôlées joue-t-elle en notre faveur ou en faveur des Américains? Notre gouvernement a une tradition un peu plus interventionniste que celui des États-Unis.
M. Rodrigue : Il est encore trop tôt pour prédire les conséquences. Dans ce genre de situation, il se produit souvent des conséquences inattendues. Par exemple, on parlait beaucoup de bitcoin récemment. Or, cette monnaie a connu certains échecs. Je viens de terminer des rapports pour l’Organisation de coopération et de développement économiques à ce sujet, et c’est très spéculatif. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il pourrait y avoir des impacts. Toutefois, l’outil donnera plus de pouvoir aux utilisateurs qu’aux fournisseurs. On pourrait dire que c’est un genre de fret à la Uber.
[Traduction]
Le sénateur Dawson : Comprenez-moi bien. Que cela vous plaise ou non, la technologie des chaînes de blocs s’en vient et va prendre sa place. Tout comme les voitures autonomes, c’est inévitable, qu’on le veuille ou non. Je souhaitais pencher du côté de la défense des intérêts des Canadiens.
[Français]
La perfection est souvent l’ennemi du bien. Je vois votre CV et le nombre d’interventions que vous avez faites sur le projet de loi. Vous avez une certaine influence, mais pas beaucoup de succès.
Si l’on répondait oui à chaque demande formulée par les témoins qui comparaissent devant nous, on retournerait un an et demi en arrière et l’on recommencerait le processus. Le travail en comité n’est pas parfait. S’il y a des mesures que nous pouvons prendre, nous le ferons. Cependant, on ne peut pas vous dire oui, et aussi à monsieur, car nous serions en contradiction.
Je veux vous encourager à faire des interventions, mais ne vous attendez pas à ce qu’on acquiesce à chacune de vos demandes.
[Traduction]
Je crois à l’utilité des enregistrements vidéo et j’estime, monsieur Audet, qu’ils vont contribuer à la prévention. Si une telle surveillance s’exerce, les gens vont être plus attentifs au travail.
M. Tougas : Si je puis me permettre, il est faux de dire que nous demandons un million de choses. Ce n’est vraiment pas le cas. J’avais au départ une très longue liste de souhaits. Je l’ai réduite à deux seulement pour mon mémoire, et à un seul pour mon exposé. C’est une requête formulée par des intervenants qui comptent pour plus de la moitié de la valeur des expéditions au Canada, autant d’après les revenus qui en sont tirés que selon leur volume. C’est donc plus de la moitié de l’industrie qui souhaite avoir accès à ce recours prévu par la loi.
Il n’est pas question de formuler des requêtes dans toutes les directions. Si vous réglez ce problème, un grand nombre de personnes en bénéficieront. Ce sont tous ces gens-là qui le demandent; il ne s’agit pas d’un cas isolé.
Le président : Chers collègues, nous nous réunirons à huis clos pendant cinq minutes après le départ du prochain groupe de témoins. Nous avons seulement deux petites questions à régler, ce qui ne devrait pas être trop long.
Merci beaucoup aux témoins qui ont comparu aujourd’hui.
Je veux maintenant souhaiter la bienvenue à nos prochains témoins. Nous accueillons Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada, qui est accompagné de Chris Roberts, directeur national, Politiques sociales et économiques, Don Ashley, directeur législatif national pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, et Bruce Snow, directeur ferroviaire national chez Unifor.
Merci à tous de votre présence aujourd’hui. J’invite M. Yussuff à débuter avec un exposé de quatre minutes. Il sera suivi de MM. Ashley et Snow. Vous avez la parole.
Hassan Yussuff, président, Congrès du travail du Canada : Comme je dispose de très peu de temps pour ma déclaration préliminaire, je vais me limiter à la partie du projet de loi C-49 qui exige des exploitants ferroviaires qu’ils installent et utilisent des enregistreurs audio-vidéo dans les cabines de locomotive.
Ce sont les mécaniciens et le personnel roulant qui sont concernés au premier chef lorsqu’il est question de sécurité ferroviaire. Nos membres courent plus de risques de mourir et de se blesser que quiconque en cas d’accident. Ils paient plus que toute autre personne le prix des opérations ferroviaires dangereuses.
Les syndicats sont favorables à la prise de mesures contribuant à prévenir les accidents, à sauver des vies et à réduire les blessures. Toutefois, il n’est pas certain que les enregistreurs audio-vidéo permettent d’atteindre ces objectifs.
Ce qui est sûr par contre, c’est que cette technologie violera le droit au respect de la vie privée du personnel. Nous nous inquiétons du fait que le projet de loi C-49 permettrait aux sociétés ferroviaires d’exercer une surveillance continue des données tirées aléatoirement des enregistrements audio-vidéo.
Il est vrai que l’information tirée de ces enregistrements ne pourrait pas, en général, être employée contre le personnel aux fins de mesures disciplinaires ou de procédures judiciaires. Reste quand même que ces données aléatoires faisant l’objet d’une surveillance continue serviraient inévitablement à exercer des pressions disciplinaires sur le personnel.
Le projet de loi C-49 assure une certaine protection de la vie privée des travailleurs. Cependant, le projet de loi n’exige pas que les sociétés ferroviaires s’assurent que les données tirées des enregistrements sont entreposées et transmises en toute sécurité. De plus, il ne garantit pas l’intégrité des données quand les locomotives canadiennes quittent le pays.
Le projet de loi C-49 priverait le personnel ferroviaire d’importantes mesures de protection de la vie privée dont jouissent les autres travailleurs en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.
Au Canada, les locomotives sont déjà munies de boîtes noires enregistrant les données qui peuvent être utilisées en cas d’accident ferroviaire. En accroissant le stress des personnes qui se trouvent dans la cabine de la locomotive, les enregistreurs audio-vidéo pourraient paradoxalement avoir pour effet de réduire la sécurité.
Si la législation ne prévoit pas davantage de protection obligatoire pour le personnel, il sera impossible de s’assurer que les enregistrements effectués à bord de la locomotive ne dissuadent pas totalement ou partiellement les membres de l’équipage de communiquer entre eux. Cela risquerait de nuire à la sécurité.
Les sociétés ferroviaires et leur personnel ne s’entendent pas sur l’adoption de la technologie en question. Les syndicats ne sont pas convaincus de la nécessité et de la pertinence du recours à ces enregistreurs. C’est dans ce contexte que nous formulons les recommandations suivantes.
Le projet de loi C-49 devrait être amendé de manière à ne pas exiger des exploitants ferroviaires qu’ils équipent les cabines de locomotive d’enregistreurs vidéo.
Seul le Bureau de la sécurité des transports devrait avoir accès aux données d’enregistrement audio. Le bureau devrait avoir accès à ces données uniquement aux fins de la sécurité ferroviaire, notamment dans le cadre de toute enquête sur un accident ferroviaire ayant causé un décès ou une blessure.
Le bureau devrait avoir accès aux données d’enregistrement audio, mais il ne devrait jamais les partager avec les sociétés ferroviaires.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Don Ashley, directeur législatif national, Conférence ferroviaire de Teamsters Canada : La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada est le plus grand syndicat de l’industrie ferroviaire au pays. Nous représentons plus de 16 000 employés, y compris tout le personnel roulant du Canadien National, du Canadien Pacifique, de VIA Rail, de dizaines d’autres compagnies ferroviaires et de services de train de banlieue.
Comme vous avez tous en main une copie de mon mémoire détaillé, je vais me contenter de faire ressortir quelques-uns des points qui y sont soulevés. Je vais aussi profiter du peu de temps à ma disposition pour commenter quelques-uns des éléments avancés par des témoins qui m’ont précédé.
Je veux d’abord vous dire que la sécurité ferroviaire est primordiale pour nos membres, les vaillants cheminots professionnels du Canada. Ils sont les premiers concernés en matière de sécurité dans le transport ferroviaire. Nous sommes favorables à toutes les mesures proactives visant l’amélioration de la sécurité ferroviaire pour nos membres et l’ensemble des Canadiens, y compris l’installation et l’utilisation d’enregistreurs audio-vidéo de locomotive, pour autant que ces dispositifs ne portent pas atteinte au droit à la protection de la vie privée dont jouissent tous les citoyens canadiens.
Il convient pour ce faire de limiter l’accès à ces données au seul Bureau de la sécurité des transports, en vertu de la loi en vigueur qui prévoit déjà des mesures de protection des renseignements personnels obtenus au moyen de cette technologie intrusive.
On vous a fait valoir précédemment que le bureau enquête seulement sur 2 p. 100 des accidents ferroviaires. Il faut toutefois savoir que cela résulte d’un choix qui a été fait, plutôt que du mandat de l’agence. Le bureau est en mesure d’effectuer des enquêtes à cinq niveaux différents. Il n’est pas limité aux interventions faisant suite à un accident. Il peut procéder proactivement à un échantillonnage aléatoire de données tout en assurant la protection de la vie privée des travailleurs ferroviaires canadiens. Il lui est également possible de faire participer à ces enquêtes des représentants de Transports Canada et de l’industrie qui agissent alors à titre d’enquêteurs spéciaux assujettis aux mesures de protection de la vie privée prévues dans la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (BCEATST).
Un cadre d’une des grandes sociétés ferroviaires canadiennes vous disait l’autre soir que son entreprise allait utiliser ces données qui seraient, tout de même, protégées en vertu de l’article 28 de la Loi sur le BCEATST et de différentes dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). Il a toutefois omis de vous mentionner que l’article 28 de la Loi sur le BCEATST stipule uniquement la manière dont le Bureau de la sécurité des transports doit protéger les données, sans parler des mesures que devraient prendre les sociétés ferroviaires à cet égard.
Le projet de loi dans sa forme actuelle exempte expressément les sociétés ferroviaires de l’application des limites établies par la LPRPDE en invoquant les objectifs visés dans le contexte de cette loi et en les soustrayant à l’application des critères juridiques pour l’utilisation de cette technologie intrusive, privant de ce fait les travailleurs ferroviaires canadiens du droit à la protection de la vie privée dont jouissent tous leurs concitoyens.
La technologie installée dans les locomotives d’aujourd’hui comprend des caméras qui filment l’extérieur, des boîtes noires qui gardent trace de tout ce que fait la locomotive — freinage, vitesse, position de la commande de vitesse, corne, sifflet, et cetera —, des dispositifs de localisation par GPS et des systèmes de détection de téléphone cellulaire. Toutes les informations recueillies par ces appareils sont retransmises en continu et en temps réel, en plus des conversations radio enregistrées. Il serait difficile de satisfaire aux critères juridiques établis et exigés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques quant à l’utilisation d’enregistreurs audio-vidéo de locomotive si le projet de loi ne nous en exemptait pas.
Le projet de loi est aussi muet au sujet des activités transfrontalières. Les deux plus grandes compagnies de transport ferroviaire de marchandises du pays sont très actives aux États-Unis. On ne change pas de locomotive à la frontière, comme on ne change pas de personnel. Le personnel reste avec le train. Qu’arrive-t-il aux données personnelles de l’équipage canadien qui reste sur la locomotive lorsque ladite locomotive traverse la frontière et qu’elle échappe à la protection des lois canadiennes?
Le projet de loi dicte en termes très clairs l’installation et l’utilisation accrue de la technologie d’enregistreurs audio-vidéo de locomotive, puis parle en long et en large du besoin de trouver un équilibre entre la sécurité et les droits des travailleurs quant à la protection de leur vie privée. Le projet reste cependant muet sur la façon d’y arriver. En lieu et place, il crée des exemptions pour les portions de la LPRPDE qui sont censées protéger les droits des Canadiens quant au respect de leur vie privée.
Ce que le ministre demande, c’est un projet de loi qui, une fois adopté, permettra aux fonctionnaires de décider eux-mêmes de ce qui est bien et de ce qui est mal. Essentiellement, on retire l’élaboration de la loi des mains des juristes et on la confie aux ministères sans savoir à quoi cela ressemblera ou la façon dont cela se fera.
Il y a une grande différence entre l’installation de caméras dans des endroits publics et l’installation de caméras dans des espaces de travail restreints où les travailleurs sont captifs. Ces mesures auront l’effet d’une douche froide dans les locomotives. Elles créeront un environnement stérile qui sera vraisemblablement plus apte à compromettre la sécurité qu’à permettre l’atteinte de l’objectif souhaité.
Nous vous demandons d’amender ce projet de loi et de protéger le droit au respect de la vie privée dont jouissent les travailleurs canadiens. Ce projet de loi s’engage sur une pente glissante qui risque de se terminer par la désintégration des droits relatifs au respect de la vie privée pour tous les Canadiens.
Contentez-vous de limiter l’accès au Bureau de la sécurité des transports du Canada et de mettre en place des dispositifs permettant l’effacement des données lorsqu’une locomotive traverse une frontière internationale. Insérez cela dans la loi et ne vous contentez pas de vous en remettre à la réglementation. C’est une question qui compte trop pour les Canadiens, un enjeu trop important pour être encadré par une réglementation sur laquelle nous n’avons aucun contrôle.
Merci. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
Bruce Snow, directeur ferroviaire national, Unifor : Unifor représente plus de 9 000 Canadiens travaillant dans l’industrie du transport ferroviaire. Au nom de ces membres, je remercie le comité de donner l’occasion à Unifor de se prononcer au sujet du projet de loi C-49.
De tous les changements proposés dans le projet de loi, celui qui risque d’avoir le plus d’incidence sur nos membres, sur les cheminots et, éventuellement, sur les travailleurs canadiens en général, c’est cette obligation d’installer et d’utiliser des enregistreurs audio-vidéo dans les locomotives. À notre avis, cela se fera au sacrifice du droit au respect de la vie privée des travailleurs canadiens et de leurs droits en matière de protection des renseignements personnels.
Les membres d’Unifor sont outrés d’apprendre que le gouvernement propose des mesures législatives qui révoquent les droits des citoyens de ce pays. En tant que Canadiens, nous croyons que nos droits doivent être protégés. Dans sa forme actuelle, le projet de loi permettrait aux compagnies ferroviaires de contrôler en permanence les données tirées des EAVL qui seraient choisies au hasard. Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne permet pas aux compagnies ferroviaires ou à une entité gouvernementale de prendre quelque mesure que ce soit pour protéger les données tirées des EAVL.
Les travailleurs canadiens feront donc l’objet d’une surveillance permanente sans toutefois avoir l’assurance que les données recueillies seront protégées.
Unifor soutient que les compagnies ferroviaires utilisent déjà des technologies qui recueillent des données leur permettant de garder un œil sur la sécurité du train et de la locomotive : la boîte noire, qui fait le suivi de tous les contrôles de l’opérateur, et la captation en temps réel des renseignements opérationnels, qui permet de surveiller les fonctions de la locomotive en temps réel et de transmettre des messages aux responsables de la compagnie pour les avertir de possibles irrégularités.
Unifor soutient qu’il existe une technologie moins envahissante que la vidéo. Il s’agit de la commande intégrale des trains, un système sophistiqué conçu pour déclencher l’arrêt automatique d’un train en amont de certains accidents.
Plus précisément, la commande intégrale des trains est conçue pour empêcher les collisions entre trains, les déraillements attribuables à des vitesses excessives et les déplacements de trains attribuables à des aiguillages manqués. Pourquoi le gouvernement est-il disposé à violer les droits en matière de protection de la vie privée, mais pas à adopter une approche proactive à la sécurité ferroviaire en exigeant le recours à cette technologie, comme l’ont fait les États-Unis?
Unifor soutient que la réponse se trouve au BST et dans la volonté de cet organisme d’implanter les EAVL. En juin 2016, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités a publié un rapport sur la sécurité dans lequel on recommandait l’utilisation d’enregistreurs audio-vidéo par les compagnies de chemin de fer. Toutefois, la recommandation prévoyait que les données recueillies au moyen des EAVL devaient être réservées exclusivement aux autorités gouvernementales compétentes pendant les enquêtes du Bureau de la sécurité des transports sur les accidents ou les enquêtes criminelles qui en découlent directement, et qu’elles ne devaient pas être utilisées par les compagnies de chemin de fer.
En d’autres mots, le Bureau de la sécurité des transports veut des EAVL. Cependant, à l’origine, les compagnies de chemin de fer qui siégeaient au Comité consultatif sur la sécurité ferroviaire étaient contre. Pourquoi? Parce que ce sont elles qui auraient eu à payer la note. Le compromis que le BST a proposé aux ferroviaires était simple : comme c’est vous qui allez payer, nous allons vous permettre d’avoir accès à ces données. Aucune mention de la commande intégrale des trains. Pourquoi? Le coût de mise en œuvre d’une technologie proactive serait beaucoup plus élevé que celui d’EAVL.
Le 12 septembre 2017, dans une lettre adressée au Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités concernant l’étude du projet de loi C-49, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada formule les préoccupations suivantes :
Nous avons une préoccupation sous-jacente, à savoir que la gestion proactive de la sécurité est un objectif qui pourrait être interprété de façon générale dans la pratique, et pourrait comprendre une mesure des résultats des employés ou d’autres objectifs en matière de rendement. Les exploitants de services ferroviaires ont souligné que certaines lignes de chemin de fer étaient longues et pouvaient faire en sorte que des conducteurs seraient enregistrés de façon continue pendant de 60 à 70 heures pendant qu’ils conduisent la locomotive. Selon nous, le fait de permettre aux compagnies ferroviaires d’avoir un large accès à des données audio et vidéo à des fins non liées à une enquête a une plus grande incidence sur la vie privée et pourrait ouvrir la porte à une possibilité d’utilisation inadéquate des données ou de détournement d’usage.
La protection des renseignements personnels est la pierre angulaire du droit au respect de la vie privée des Canadiens. Unifor estime que ce projet de loi n’obtient pas la note de passage quant au caractère raisonnable de la surveillance électronique sur un lieu de travail. Qui plus est, nous sommes extrêmement préoccupés par la possibilité que l’érosion du droit à la vie privée proposée dans ce projet de loi se propage à d’autres employeurs au Canada. Jusqu’où cela nous mènera-t-il?
Quoi qu’il en soit, si les EAVL doivent rester dans le projet de loi, Unifor recommande et soutient que l’accès aux données recueillies par ces appareils soit réservé au BST, que le seul motif d’accès possible soit la sécurité ferroviaire et que cet accès ne soit autorisé que dans le cadre d’enquêtes sur des accidents ferroviaires ayant causé une blessure ou un décès. Bien que le BST devrait avoir accès aux données recueillies par les EAVL, cette information ne saurait en aucun cas être communiquée aux compagnies ferroviaires, et ce, quel que soit le motif évoqué. Merci.
Le président : J’aimerais commencer par une question. Ce n’est pas la première fois que le droit au respect de la vie privée est évoqué ici. Je suis un peu perplexe. Je ne sais pas encore comment je me sens par rapport à cela.
Cette question s’adresse à vous tous. Je ne sais pas exactement quels droits sont menacés dans ce contexte. Si vous travaillez dans un restaurant, dans une banque, dans une mine ou pratiquement partout où il y a des clients, vous êtes toujours en public. Il n’y a rien de privé là-dedans.
Les gens qui travaillent dans un centre commercial travaillent toute la journée et ils n’ont aucun droit en matière de protection de la vie privée. Il y a des caméras partout. Les clients viennent les voir. Ils sont surveillés tout au long de leur quart de travail et cela n’arrête jamais. Sur un chantier de construction, vous avez des gens qui construisent des maisons ou des gratte-ciel. Les gestionnaires sont là tout le temps à vous regarder travailler. Le seul moment où la vie est privée, espérons-le, c’est quand vous êtes chez vous.
Si un plombier vient chez moi, je regarde ce qu’il fait. Qu’il soit chez moi ou sur un chantier de construction, il n’a aucune intimité. Aucune. Le seul temps où il n’est pas surveillé, c’est quand il se déplace entre deux chantiers. Son patron sait qu’il se déplace entre deux chantiers, alors il sait quand même où il est.
Quelle est cette intimité que le conducteur du train essaie de protéger? Quels sont ces droits que l’on dit « menacés »?
M. Snow : Tout d’abord, monsieur le sénateur, c’est le fait que la caméra soit si près de lui. Il a la caméra en plein visage, et c’est la même chose pour le conducteur. Les deux employés sont ensemble pendant 12, 14 ou 16 heures, dans un espace de 10 par 10. Ce n’est pas tellement le fait qu’ils soient filmés, mais le fait que tous leurs échanges verbaux et toutes leurs interactions soient enregistrés. Il n’y a rien de sacré entre les deux.
En fait, pour nos collègues qui sont des femmes, cet espace de 10 par 10 n’est pas seulement leur lieu de travail, mais aussi leur salle à manger et leur vestiaire. Durant tout le trajet de cette locomotive, aucun aspect n’échappera à la surveillance. À notre avis, c’est une atteinte à la vie privée.
M. Ashley : Mon mémoire apporte des précisions à cet égard. En matière de vie privée, il y a différents niveaux d’attente. Dans la jurisprudence, il existe un critère juridique pour cautionner l’utilisation de cette technologie. Des décisions rendues par le Commissariat à la protection de la vie privée et dans le cadre de divers cas d’arbitrage et d’affaires judiciaires ont établi l’existence pour les travailleurs d’une attente raisonnable en matière de vie privée en milieu de travail.
Les caméras que vous voyez dans les banques et dans les magasins sont là pour des raisons de sécurité. Leur présence est nécessaire pour assurer une certaine sécurité contre les vols. Le critère de nécessité à cet égard a été respecté. Elles ne sont pas là pour surveiller les employés et on ne les utilise pas à cette fin. Les caméras dont nous discutons ne sont pas dans des lieux publics. Elles sont dans l’espace de travail confiné d’une cabine de locomotive, et leur seul but est de surveiller l’activité des employés. La dynamique en cause est bien différente de ce qui a été évoqué aux termes de la législation sur la protection de la vie privée pour permettre l’installation de caméras dans des lieux publics.
Le président : Est-il possible d’allumer et d’éteindre la caméra? Serait-il possible de négocier un temps d’arrêt lorsque l’ingénieur a besoin de se changer? Une pause pendant laquelle les employés pourraient faire ce qui nécessite de l’intimité. Ils dînent, puis rallument la caméra au moment de reprendre le travail. Ils ne sont pas en train de travailler pendant qu’ils se changent. Ils ne sont pas en train de travailler pendant qu’ils sont en train de dîner.
M. Ashley : Cela n’est défini nulle part. Nous ne le savons pas.
Le président : C’est quand même quelque chose que vous pourriez faire.
M. Ashley : En fait, comme pour tout l’équipement qui est sur la locomotive — comme la boîte noire et tout le reste —, l’enregistreur sera considéré comme étant un appareil de sécurité et vous n’aurez pas la possibilité de l’allumer et de l’éteindre; un appareil de sécurité ne peut être touché, modifié ou ajusté de quelque façon que ce soit.
La sénatrice Gagné : Je suis certaine que mes collègues vont continuer de vous questionner sur les EAVL et, probablement, sur la technologie proactive.
En ce qui me concerne, j’aimerais aborder la question de la formation. M. Béland Audet, de l’Institut en Culture Sécurité Industrielle Mégantic, était de passage ici à titre de témoin. Dans son exposé, il a indiqué que la formation avait un grand rôle à jouer dans la prévention des accidents et qu’elle devrait être standardisée, obligatoire et assortie d’une reconnaissance officielle.
J’aimerais savoir ce que vous pensez de cela. Croyez-vous que la formation devrait être réglementée?
M. Ashley : Je suis absolument d’accord avec l’idée de réglementer la formation. Elle l’est dans une certaine mesure. Le problème avec la réglementation relative à la formation, c’est qu’elle est très dépassée. Elle aurait besoin d’une mise à jour.
Nous avons porté cette question à l’attention de Transports Canada. Le ministère est en train d’examiner cette réglementation, mais il faut signaler que les compagnies ferroviaires ont de rigoureux programmes de formation pour tous les employés itinérants qu’elles embauchent. Il conviendrait néanmoins de resserrer la réglementation à cet égard.
La sénatrice Gagné : La formation devrait-elle être assortie d’une reconnaissance officielle? Devrait-elle être retirée des mains des compagnies ferroviaires? Devrait-elle être offerte par l’intermédiaire d’un autre système?
M. Ashley : Je ne sais pas si cela aurait nécessairement de meilleurs résultats que la formation qui est offerte présentement. Les Américains ont un certificat de mécanicien de locomotive que nous n’avons pas ici, mais je ne dirais pas que la formation est nécessairement meilleure là-bas juste parce qu’il y a cette attestation.
La sénatrice Bovey : Je vais revenir à la question des enregistreurs audio-vidéo de locomotive. Je veux m’assurer de bien comprendre ce que j’entends. Si l’on convenait que la compagnie ferroviaire ne peut accéder d’aucune façon aux EAVL, et que le seul organisme autorisé à le faire serait le BST — et seulement pour des motifs de sécurité —, ce ne serait pas un problème.
M. Snow : C’est exact.
M. Ashley : Oui. C’est la position que nous soutenons depuis le début des discussions entourant ce projet de loi.
La sénatrice Bovey : Je voulais que cela soit clarifié. J’ai une question à propos de ce qui se fait en Grande-Bretagne. Je crois comprendre que les trains anglais sont équipés d’EAVL. Je ne suis pas assez informée pour savoir si ces appareils sont aussi sur les trains qui roulent sur le continent. Vous le savez probablement.
J’aimerais savoir qui, en Angleterre, a accès aux EAVL.
M. Ashley : En fait, je ne peux pas parler de ce qui se fait en Angleterre parce qu’ils ne m’ont pas répondu. Cependant, j’ai pu parler au représentant de l’organisme qui réglemente les compagnies ferroviaires en Irlande et il m’a dit qu’ils n’avaient pas l’intention d’utiliser les EAVL parce qu’ils les trouvent trop envahissants. Ils n’ont pas vu en quoi cet équipement pouvait constituer un avantage par rapport à l’information que leur fournissent leurs sources habituelles.
La sénatrice Bovey : Je me suis enquise de la situation dans le système britannique et je n’ai entendu personne se plaindre. Maintenant, pour ce qui est de savoir si j’ai parlé aux bonnes personnes ou non, c’est une autre histoire.
J’aimerais savoir si l’un de vous est au courant des règlements et des lois anglaises concernant l’utilisation des EAVL.
M. Snow : Je ne peux pas vous répondre. Je ne sais pas comment les choses se passent en Angleterre à ce sujet. Je sais qu’au début, lorsque le Comité consultatif sur la sécurité ferroviaire s’est penché là-dessus, aucune autre compagnie ferroviaire n’avait encore adopté cet équipement.
Pour en revenir à l’une des premières questions du groupe d’experts, il y a actuellement au pays des compagnies de chemin de fer qui ont volontairement installé des enregistreurs audio-vidéo de locomotive. Pour revenir à ce que disait mon collègue, il n’est pas possible de toucher à cet équipement. Vous pourriez écoper de mesures disciplinaires et d’un licenciement. Vous ne pouvez pas les allumer et les éteindre.
Le président : Vous pourriez le faire, si la chose était convenue. Lorsque vous l’éteindriez, la compagnie saurait que c’est ce que vous avez fait.
M. Snow : Encore une fois, nous soutenons que le libellé actuel du projet de loi ne nous donne aucune assurance de cette nature.
Le président : Je comprends cela.
La sénatrice Bovey : Répondez par oui ou non. Est-ce que quelqu’un sait ce qui se passe avec les trains qui sillonnent le continent européen? Sont-ils équipés d’EAVL?
M. Snow : Pas que je sache.
Le président : Nous pourrions demander à la Bibliothèque du Parlement de nous trouver cette information pour notre prochaine réunion.
La sénatrice Bovey : Nous devrions nous pencher là-dessus parce que je pense que le projet de loi comporte de nombreux aspects qui sont liés à cette question.
Le sénateur MacDonald : Je veux revenir sur l’exploitation des trains au Canada par rapport aux États-Unis. Nous œuvrons dans un système transfrontalier intégré. Les trains traversent la frontière dans les deux sens.
La commande intégrale des trains est maintenant obligatoire aux États-Unis; voilà qui m’intrigue. Je me demande dans quelle mesure vous avez soulevé cette question dans les discussions avec le gouvernement canadien. Pourquoi y a-t-il une telle réticence à adopter ou à intégrer cette technologie au Canada, sachant qu’elle prévient les accidents au lieu de simplement nous permettre d’examiner ce qui s’est produit après un accident?
Je suis curieux de savoir ceci. Quelle sorte de réponse avez-vous obtenue de la part du CN, du CP et du gouvernement relativement à cette question?
M. Snow : Ces discussions ont eu lieu dans le cadre du récent examen de la sécurité ferroviaire. Du point de vue du syndicat, cette technologie contribuerait à la gestion proactive de la sécurité. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon exposé, les compagnies de chemin de fer s’y opposent totalement à cause, croyons-nous, du coût d’installation.
Le sénateur MacDonald : Avez-vous une idée du coût lié à l’installation de cette technologie dans le réseau canadien? Ce devrait être considérablement plus élevé qu’aux États-Unis.
M. Ashley : Nous ne connaissons pas le coût exact, mais ce serait de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars. Le Comité consultatif sur la sécurité ferroviaire, ou CCSF, avait mis sur pied un groupe de travail chargé d’étudier les systèmes de commande intégrale des trains dans le contexte canadien. Cela soulève des inquiétudes parce que les voies ferrées au Canada n’ont pas la même densité. Elles sont si vastes et si éloignées à certains endroits que les coûts sont prohibitifs pour les compagnies ferroviaires.
Une bonne partie des préoccupations ont été exprimées par les compagnies de chemin de fer de petite taille et d’intérêt local, qui auraient à absorber les frais. Les deux grands transporteurs ferroviaires mettent déjà en œuvre la technologie de commande intégrale des trains dans leurs systèmes aux États-Unis; ils seraient donc plus enclins que les petites compagnies à l’étendre au Canada.
Le sénateur MacDonald : S’ils prennent cette mesure, c’est parce qu’ils sont tenus, par la loi, de le faire aux États-Unis.
M. Ashley : Oui, mais leur flotte est interchangeable, ce qui signifie qu’ils auront déjà cette technologie à bord des locomotives.
Le sénateur Manning : Comme d’autres témoins, j’en suis persuadé, même si je suis sûr que nous nous préoccupons tous de la sécurité, l’érosion du droit à la vie privée est un sujet qui me préoccupe.
À l’étape de l’élaboration du projet de loi, quelles consultations le gouvernement a-t-il tenues avec l’un ou l’autre de vos groupes sur les changements proposés?
M. Snow : La seule consultation à laquelle nous avons eu droit, c’était une explication, par Transports Canada, des dispositions du projet de loi ayant trait aux enregistreurs audio-vidéo de locomotive ainsi que, je le répète, une consultation menée par le Bureau de la sécurité des transports.
Unifor n’a pas eu l’occasion de faire valoir son point de vue. On nous a seulement fourni un mémoire.
Le sénateur Manning : Après le fait.
M. Snow : Après, oui.
Le sénateur Manning : Quelqu’un d’autre?
M. Ashley : Nous avons participé à quelques discussions avec Transports Canada et nous avons présenté notre position, mais on nous a essentiellement dit qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une consultation. C’était surtout pour nous informer des changements à venir.
Nous avons également eu une réunion avec le BST sur le même sujet. Là encore, ce n’était pas une consultation proprement dite. C’était davantage une séance d’information à notre intention. Nous avons également participé à l’étude menée par le BST sur la sécurité de l’équipement. Toutefois, je ne sais pas si je peux faire des commentaires à ce sujet.
Le président : Vous pouvez dire ce que vous voulez.
M. Ashley : J’ai pris part à l’étude sur la sécurité et j’ai signé les ententes en matière de respect de la vie privée. L’étude sur la sécurité visait surtout à déterminer quelle technologie serait la plus efficace entre l’enregistrement vidéo et audio, ou une combinaison des deux, et quels devraient être les paramètres applicables à cet appareil pour en assurer l’utilité. L’étude n’a pas vraiment porté sur les avantages que pourrait procurer cet équipement. C’était donc un peu trompeur.
M. Yussuff : C’était après le fait. Des questions fondamentales se posent toujours quant à la façon dont cette technologie améliorera la sécurité ferroviaire. Le BST n’est pas en mesure d’y répondre. Si vous demandez à n’importe qui de vous dire ce qu’il aimerait, vous obtiendrez une foule de réponses.
Que faut-il pour améliorer la sécurité ferroviaire? Le ministère ne nous a toujours pas expliqué comment cet appareil améliorera la sécurité ferroviaire. Les données qui sont actuellement recueillies dans la boîte noire fournissent beaucoup de renseignements sur les accidents ou les incidents lorsque le BST choisit de s’en servir dans le cadre de ses enquêtes.
On ne sait pas encore en quoi les nouveaux enregistreurs audio-vidéo de locomotive amélioreront la sécurité ferroviaire. Si vous examinez l’impressionnant volume d’incidents qui se produisent dans l’industrie ferroviaire, rien ne prouve que cette technologie améliorera d’un iota la sécurité ferroviaire.
Les gens croient aussi à tort que, d’une certaine façon, d’après ce qui a été présenté, les cheminots se fichent éperdument de la sécurité ferroviaire. C’est tout le contraire. Ce sont nos membres qui perdent la vie sur le terrain en cas de déraillement. Il ne fait aucun doute que nous nous préoccupons de la sécurité. Bien sûr que nous valorisons la sécurité.
Il y a tellement de données qui sont déjà recueillies, mais le ministère n’est pas capable d’expliquer comment cet appareil changera ou améliorera la sécurité ferroviaire. Cette information devrait être fournie dans le projet de loi à l’heure actuelle.
Le sénateur Manning : J’aurais du mal à croire que le mécanicien à l’avant du train ne se soucierait pas de la sécurité. J’ai peine y croire.
J’essaie de savoir ce qu’on peut proposer. Je crois comprendre, d’après ce qui s’est dit, que les renseignements recueillis ne seraient utilisés que par le BST.
Même si notre comité accepte de proposer un tel amendement, il reste que l’information est recueillie dans les locomotives. Je ne comprends tout simplement pas. Je ne prétends pas non plus comprendre. Comment garantiriez-vous la protection, même si nous pouvons dire ici que les données recueillies seraient accessibles uniquement dans le cadre d’une enquête sur un accident?
L’information est recueillie, mais il y a aussi la question des activités transfrontalières dont on a parlé tout à l’heure. Je me demande quel mécanisme vous mettriez en place pour garantir que les renseignements recueillis demeurent confidentiels. Même si nous approuvons la proposition mise de l’avant, il subsiste une zone grise dans mon esprit quant à la protection de ces renseignements.
M. Yussuff : La loi devrait prévoir très explicitement que seul le Bureau de la sécurité des transports a accès aux renseignements, et personne d’autre. Autrement, ce serait illégal. La compagnie de chemin de fer prend ces renseignements ou les fait passer entre les mains des Américains, alors qu’elle n’en a pas le droit. Une fois que le train traverse la frontière, il suffit d’appuyer sur un bouton, comme ce qu’on fait actuellement à bord des avions, et le tout recommence à zéro.
M. Ashley : Les données pourraient être cryptées. Il y a beaucoup de technologies de cryptage. Le BST pourrait être le seul à disposer d’une clé de chiffrement pour rendre les données utilisables. Dans le domaine de l’aviation, on peut le faire grâce à certains des équipements. Une fois qu’on obtient la confirmation que le trajet s’est déroulé sans aucun incident, on a la capacité d’effacer les données, puis l’enregistreur repart à neuf.
Le président : À quel point ce processus serait-il difficile? Si le Bureau de la sécurité des transports devait recevoir les enregistrements de tous les trajets ferroviaires effectués chaque jour, combien de vidéocassettes cela représenterait-il? Quelle serait la quantité de données? Je ne devrais pas utiliser le mot « vidéocassettes ». Vous n’en avez pas besoin. Bref, combien de données recevrait-on? Comment s’y prendrait-on pour les passer en revue? Il y en aurait des centaines par jour.
M. Ashley : Je suis sûr qu’on ne recevrait pas les données de chaque train pour chaque trajet. Bien entendu, on recueillerait de l’information sur les incidents à déclaration obligatoire qui doivent faire l’objet d’une enquête. En ce qui concerne les vérifications effectuées au hasard, on pourrait sélectionner ou demander des données pour des trajets précis.
L’objectif serait d’avoir un enregistrement en boucle qui s’efface tout seul après une certaine période. S’il n’y a pas d’incident, il n’est pas nécessaire de consulter les données, n’est-ce pas?
Le président : Je ne sais pas. Je vous le demande. Ce serait comme une vérification. Est-ce bien ce que vous proposez?
M. Ashley : Oui, une vérification au hasard.
Le président : En somme, on n’obtiendrait pas toute l’information. On ne recevrait que les renseignements vérifiés qui sont importants.
M. Ashley : Voilà. On limite ainsi la quantité de renseignements personnels exposés à un risque de fuite ou d’utilisation malveillante. Ensuite, ces données ne seraient transmises qu’au BST, dont la loi habilitante prévoit des garanties pour en protéger la confidentialité.
Le président : Ne vous inquiétez-vous pas du Bureau de la sécurité des transports en ce qui a trait aux questions de respect de la vie privée, comme lorsque les travailleurs doivent se changer et tout le reste? Ne craignez-vous pas que ces images soient envoyées à un organisme gouvernemental qui n’a aucune responsabilité envers qui que ce soit?
M. Yussuff : Nous pouvons le tenir responsable s’il enfreint la loi. Il s’agit d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement.
Le président : Ne pouvez-vous pas tenir les compagnies ferroviaires responsables?
M. Yussuff : Leurs représentants sont venus témoigner devant votre comité. Ont-ils laissé entendre qu’ils allaient assumer leurs responsabilités?
Le président : Oui.
M. Yussuff : Je crois qu’il y a une différence fondamentale dans la façon dont les compagnies de chemin de fer perçoivent et utilisent ces renseignements. Elles les voient sous un angle très différent, à l’opposé de l’idée selon laquelle il faut utiliser ces données uniquement dans le cadre d’une enquête sur un incident ou un accident, à des fins de sécurité plutôt qu’à des fins disciplinaires. Voilà la différence fondamentale, selon nous, entre le point de vue des compagnies de chemins de fer au sujet de ces données et celui du Bureau de la sécurité des transports.
Par ailleurs, le Bureau de la sécurité des transports confie sa responsabilité en matière de sécurité publique aux compagnies de chemin de fer. Il ne devrait pas procéder ainsi parce qu’il est facile de laisser les compagnies ferroviaires enquêter sur un incident; au lieu de cela, le Bureau de la sécurité des transports devrait faire son travail lui-même parce que les compagnies ferroviaires ont dit faire confiance à cet organisme pour mener les enquêtes.
Oui, il arrive parfois qu’une enquête conjointe s’impose, mais le Bureau de la sécurité des transports devrait assumer la responsabilité de son propre engagement à protéger la sécurité publique, et il devrait être le seul à le faire.
Le sénateur Manning : Je reviens sur une question que le président a posée tout à l’heure. Pour ce qui est des caméras installées dans les banques et partout ailleurs, même ici, le fait est qu’on n’enregistre pas la conversation entre deux personnes qui font la file à une banque. Les caméras sont là uniquement pour des raisons de sécurité.
D’après les décisions rendues par la Cour suprême par le passé, les employés ont une attente légitime en matière de vie privée. Je m’inquiète de la sécurité et du respect de la vie privée des gens, surtout s’ils travaillent de 8 à 22 heures ou par quart de 12 heures. Il nous arrive tous de dire des choses au courant de la journée que nous ne voudrions peut-être pas que le monde sache.
Ce qui me préoccupe, c’est la façon dont nous protégeons la vie privée des gens tout en protégeant la sécurité des passagers à bord du train. Je ne suis pas à l’aise avec certaines des dispositions du projet de loi, car elles ne me donnent pas l’assurance que la sécurité est la principale préoccupation. Cela semble faire défaut dans certaines parties du projet de loi, telles qu’elles ont été présentées jusqu’ici.
J’aimerais qu’on me donne des idées. Je suis préoccupé par le manque de consultation avec des gens qui représentent, sauf erreur, plus de 25 000 employés; vos groupes n’ont pas été consultés alors qu’il semble y avoir eu des consultations avec d’autres personnes qui ont témoigné devant nous. À Terre-Neuve-et-Labrador, nous disons que c’est la queue qui remue le chien, et cela semble être le cas en l’occurrence.
L’un ou l’autre d’entre vous peut-il parler des risques auxquels on s’expose en autorisant l’installation d’enregistreurs audio-vidéo dans les cabines de locomotive? Savez-vous si d’autres pays ont recours à cette technologie afin que nous puissions examiner leurs résultats, dégager des pratiques exemplaires et en tirer des leçons, comme la sénatrice Bovey l’a mentionné tout à l’heure? Je n’en ai pas entendu parler. Quelqu’un peut-il se prononcer là-dessus?
M. Snow : Non. Si c’était si universel, vous en auriez entendu parler à l’heure qu’il est. J’aimerais ajouter que l’une des deux grandes compagnies de chemins de fer est prête à passer à l’action, car elle a dissimulé des caméras dans chacune de ses installations. Elle attend ce genre d’occasion et ce genre d’érosion du droit à la vie privée pour étendre ses activités de surveillance et garder l’œil sur tous les employés, jour après jour. Nous trouvons cela inacceptable, mesdames et messieurs les sénateurs.
M. Ashley : Pour enchaîner sur ce que M. Snow vient de dire, dans le domaine ferroviaire, chaque locomotive est déjà munie de caméras dirigées vers l’avant, qui enregistrent tout ce qui se passe à l’extérieur, devant la cabine. On a également installé des caméras sur des poteaux dans toutes les gares de triage en vue de surveiller les lieux. L’attente en matière de vie privée n’existe pas dans ces endroits publics. Nous savons que les caméras sont là. Elles sont là pour une raison.
Par contre, dans la cabine de locomotive, on captera les moindres faits et gestes des membres de l’équipage qui sont là pendant 12 heures d’affilée; tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils disent seront enregistrés. La fatigue est un sujet dont on entend parler dans l’industrie ferroviaire. Dans bien des cas, on peut lutter contre la fatigue en entamant des conversations avec les autres membres de l’équipage, en faisant des vérifications de vigilance, et cetera. Tout cela ne se fera plus. Les employés, qu’ils soient anciens ou débutants, pourraient mettre en doute le jugement de leurs collègues ou l’application d’une règle. Ces conversations n’auront plus lieu si elles sont enregistrées. Les employés ne voudront pas s’incriminer.
Selon moi, les effets néfastes de la présence d’enregistreurs audio-vidéo dans les cabines de locomotive seront beaucoup plus importants que les avantages éventuels de cette technologie.
M. Yussuff : À l’heure actuelle, il y a déjà un enregistrement audio dans les trains. Les mécaniciens se parlent constamment, et ces appareils sont là pour de bonnes raisons. La population doit avoir l’assurance que ces renseignements sont recueillis pour que le Bureau de la sécurité des transports puisse y accéder en cas d’accident ou d’incident.
Nous avons appris que c’est justement ce qui faisait défaut dans un accident antérieur mettant en cause un train de VIA Rail. Les premiers intervenants sont venus dire : « Écoutez, nous voulons travailler avec le ministère pour nous assurer qu’il a accès à l’enregistrement audio à bord de la locomotive. » On ne s’y est pas opposé parce que, bien entendu, c’est déjà ainsi à bord des avions. Les pilotes le font tout le temps. C’est la procédure habituelle.
Le ministère n’a pas encore produit d’étude sur la façon dont cette technologie améliorera la sécurité ferroviaire. Aucune proposition n’a été mise de l’avant. Nous aimerions bien que ces enregistreurs soient installés, mais à part cela, avez-vous fait une étude? Avez-vous pris la peine d’organiser des réunions pour déterminer comment cet appareil améliorera vraiment la sécurité des chemins de fer au pays? Fait plus important, c’est peut-être l’une des mesures qui s’imposent. Nous pourrions dire au ministère : « Vous devez peut-être mener une étude à long terme pour évaluer la viabilité de cette technologie et déterminer comment elle va rehausser la sécurité ferroviaire. » Si cela ne va rien changer, alors pourquoi à quoi bon?
N’oublions pas qu’il y a des lois au pays qui protègent la vie privée des gens. Il existe des lois à cet effet. Le Commissariat à la protection de la vie privée a comparu et a fait valoir son point de vue, alors nous n’avons pas besoin d’en parler. De notre côté, nous nous préoccupons de la sécurité du public. Nos membres ont à cœur le travail qu’ils font au nom de la compagnie de chemin de fer.
Nous estimons que non seulement cette technologie ne va aucunement améliorer la sécurité du transport ferroviaire, mais en plus, elle va porter atteinte à la vie privée des travailleurs.
Le sénateur Manning : À votre connaissance, y a-t-il d’autres pays ailleurs dans le monde où on se sert de cette technologie et de qui nous pourrions tirer des leçons et apprendre les meilleures pratiques?
Chris Roberts, directeur national, Politiques sociales et économiques, Congrès du travail du Canada : Nous nous efforcerons de trouver ces renseignements puis nous vous reviendrons là-dessus.
Le sénateur Mitchell : Ma première question porte sur la comparaison que font les gens avec les avions. Vous dites que les enregistrements audio à bord des cabines de locomotive auraient des effets préjudiciables sur le droit à la vie privée. Par conséquent, la logique serait d’éliminer ces enregistrements des postes de pilotage des avions.
M. Yussuff : Non, je dis totalement le contraire. En fait, nous reconnaissons l’utilité des enregistrements audio à bord des locomotives. À une certaine époque, il n’y en avait pas, mais aujourd’hui, cela se trouve désormais dans la boîte noire.
Le sénateur Mitchell : Il ne s’agit ici que des conversations avec les gens de l’extérieur. On n’enregistre pas les conversations entre les employés. Selon ce que vous dites, j’en déduis donc qu’il faudrait retirer ces enregistrements des postes de pilotage des avions, parce que le jeune pilote pourrait hésiter à poser des questions en sachant qu’il est enregistré. Nous avons ces enregistreurs dans les avions depuis des décennies, alors je ne crois pas que c’est ce que vous voulez dire.
M. Ashley : Ce n’est pas ce que je dis. Nous n’y voyons pas d’inconvénient, puisque c’est désormais régi par la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports. Je pense que vous avez entendu le sous-ministre, si je ne me trompe pas, qui a dit que cela se trouvait dans les avions depuis des années, mais qu’il n’y avait aucune protection relative à cet équipement.
J’en ai parlé à mes collègues de l’ALPA et ils m’ont confirmé qu’évidemment, ces données étaient protégées en vertu de l’article 28 de la Loi sur le Bureau de la sécurité des transports. Ce sont des données confidentielles, et nous nous attendons à la même protection. L’utilisation des données est limitée et protégée par le Bureau de la sécurité des transports, et nous ne voulons rien y changer.
Le sénateur Mitchell : Mais les sociétés ferroviaires ont maintenant les enregistrements de la boîte noire.
M. Ashley : Oui, mais ce n’est pas intrusif. Ces enregistrements ne contiennent pas de renseignements personnels, d’images ou de conversations personnelles. Il est question ici de la vitesse du train, de la pression des freins, du moment où on a appliqué les freins et de l’emplacement du train. Nous n’y voyons donc aucun inconvénient. Cela existe déjà, et pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’en exiger davantage.
Le président : C’est comme la radio et la télévision.
M. Ashley : C’est exact.
Le sénateur Mitchell : Vous dites qu’il n’existe pas de précédent, mais en fait, il y en a. Metrolinx l’utilise en ce moment en Ontario et, on l’utilise également aux États-Unis. J’irais même jusqu’à dire que si le système de commande intégrale des trains n’a pas fonctionné pour Amtrak, c’est peut-être simplement parce qu’il n’a pas été appliqué adéquatement.
M. Ashley : Metrolinx l’utilise maintenant, en vertu de la loi actuelle, ce qui est une bonne chose. Ils ne peuvent pas accéder aux données. Ils n’analysent pas les données et ne surveillent pas leurs employés. Ils ne font qu’enregistrer des données, et en cas d’incident, seul le BST y aura accès.
C’est très bien. Metrolinx l’utilise conformément à la loi actuelle. Le CN et le CP ont déjà ce système sur leur équipement. Les données sont protégées au titre de la loi actuelle, et nous sommes d’avis qu’il doit en être ainsi.
On le fait aux États-Unis, et dans ce pays, il n’y a pas de loi sur la protection des renseignements personnels. Ils n’ont pas les mêmes protections que nous avons ici au Canada. Je le sais, parce que mon syndicat fait partie d’un syndicat international qui représente les cheminots aux États-Unis. On n’utilise pas ces données là-bas comme on envisage de le faire ici.
Je vous dirais qu’au moins une des grandes compagnies aux États-Unis utilise ces données dans le but de surveiller ses employés et a même imposé des sanctions disciplinaires pour des manquements mineurs aux politiques qui n’avaient rien à voir avec la sécurité. Nous en avons pris connaissance après avoir discuté avec nos homologues américains, et c’est ce qui est à l’origine de nos préoccupations.
Nos cheminots professionnels recrutés par des compagnies de chemin de fer devraient jouir des mêmes droits que tous les citoyens ordinaires, et par conséquent, nous vous demandons de protéger leurs droits.
Le sénateur Mitchell : En ce qui a trait à la protection, vous n’avez pas vraiment abordé le fait qu’il existe plusieurs façons de déposer un grief ou de régler un problème.
Tout d’abord, vous avez un processus de traitement des griefs.
Ensuite, il y a d’importantes amendes qui sont imposées aux entreprises qui feraient un mauvais usage de ces données : 50 000 $ pour un particulier et 250 000 $ pour une société.
Enfin, je comprends votre inquiétude par rapport à la réglementation, mais sachez que vous serez consultés dans le cadre du processus réglementaire. Vous êtes des syndicats puissants qui avez votre mot à dire et une influence importante sur la gestion de votre chemin de fer. Il me semble qu’il y a suffisamment de recours possibles en cas d’utilisation abusive de l’information. Chose certaine, vous n’êtes pas du tout démunis.
Enfin, je dirais qu’une grande part de vos arguments se fondent sur l’idée que le gouvernement et le BST devraient être responsables de la sécurité. Veut-on réellement d’un réseau ferroviaire dans lequel on décharge les sociétés ferroviaires de toute responsabilité en matière de gestion de la sécurité? Les compagnies seront responsables de la sécurité jusqu’à ce point, mais pas plus loin. Je ne voudrais surtout pas qu’une compagnie de chemin de fer soit limitée dans sa responsabilité à l’égard de la sécurité et que le gouvernement soit plus efficace qu’elle en la matière, particulièrement s’il prend des mesures en parallèle.
M. Yussuff : Permettez-moi de faire deux observations. Dans un premier temps, sachez que le projet de loi est tout simplement mal rédigé. Je pense qu’en tant que sénateurs, vous avez suffisamment entendu d’arguments en ce sens pour demander au gouvernement de rectifier le tir et de modifier la loi. C’est ce à quoi sert le Sénat. Nous ne vous demandons rien d’autre.
Ensuite, oui, les compagnies de chemin de fer ont la responsabilité fondamentale d’exploiter les chemins de fer en toute sécurité, mais lorsqu’il y a un incident, il incombe au Bureau de la sécurité des transports d’enquêter et de faire le nécessaire pour s’assurer que les exigences soient respectées.
Nos membres sont conscients que le Bureau de la sécurité des transports est un organisme indépendant chargé de protéger l’intérêt public. Nous ne disons pas que les compagnies de chemin de fer n’ont pas la responsabilité d’exploiter leur chemin de fer en toute sécurité. Lorsqu’il y a un problème, il leur incombe d’enquêter et d’utiliser les données recueillies de manière adéquate pour assurer la protection des droits des employés et pour veiller à ce que le problème soit réglé et ne se reproduise pas.
Je pense que c’est une responsabilité de base, mais cela ne signifie pas que les compagnies ferroviaires n’auront aucune responsabilité à assumer au chapitre de la sécurité. Bien entendu, ils ont une responsabilité fondamentale à cet égard.
Le sénateur Mitchell : Vous dites qu’il y a également un intérêt du public en matière de sécurité. Cependant, depuis le début de ce débat, on semble ne pas tenir compte de l’importance de l’utilisation proactive de l’information.
Vous n’avez pas d’objection à ce qu’on utilise les renseignements après un incident, mais il me semble logique de vouloir relever et corriger les problèmes systémiques pour éviter ou prévenir les accidents. À mon avis, cela va de soi, lorsqu’on exploite un tel équipement.
Vous craignez que les enregistrements soient utilisés à mauvais escient, mais si vous regardez la loi, je ne crois pas qu’elle soit mal rédigée, contrairement à ce que vous pensez. Je pense qu’on l’a rédigée rigoureusement. La loi limite l’utilisation des données. Les données seront chiffrées, et la compagnie ne pourra pas y avoir accès de façon arbitraire. Ce n’est pas un flux de données en temps réel.
Enfin, pour revenir à l’idée que la situation pourrait être problématique lorsqu’on franchit la frontière américaine, dans quelle mesure est-ce un problème pour les compagnies aériennes? Des milliers de compagnies aériennes traversent des milliers de frontières chaque jour.
M. Snow : Toutes les données sont effacées. Une fois que les avions sont immobilisés sur le tarmac et qu’on a conclu qu’aucun incident ne s’est produit, on efface toutes les données. À l’heure actuelle, le projet de loi est rédigé de façon à ce que les sociétés puissent y avoir accès de façon aléatoire. Nous ne pensons pas que cela va donner lieu à une approche proactive de la gestion.
En ce qui concerne les griefs et le pouvoir des syndicats, nous parlons au nom de nos milliers de membres inquiets lorsque nous disons que vous avez le pouvoir de changer les choses. Pour ce qui est des griefs, lorsque je suis revenu dans le secteur ferroviaire il y a environ 10 mois, j’avais 1 400 demandes d’arbitrage pour une seule société.
Nous n’avons pas beaucoup de possibilités, car le droit de formuler un grief nous a privés d’une façon proactive de régler ces questions.
M. Ashley : Rien n’empêche le BST d’effectuer ces vérifications aléatoires proactives. Lorsque vous dites que vous voulez que le gouvernement assume la responsabilité ultime de la sécurité, qui a la responsabilité ultime de tous les Canadiens? C’est le gouvernement, et il doit en être ainsi.
Nous ne prétendons pas absoudre les compagnies de chemin de fer de leurs obligations en matière de sécurité, mais nous disons que si cela porte atteinte à quelque chose d’aussi fondamental que le droit à la vie privée, il faut qu’il y ait des protections à cet égard. Le gouvernement et le BST sont les mieux placés pour veiller à ce que ce droit soit respecté. Ce sont des données qu’ils protègent depuis des années et ils sont les meilleurs pour le faire.
Vous parlez des recours en cas de violation. Dites cela à une personne dont le droit à la vie privée a été bafoué et qui s’est fait humilier. On a beau imposer une amende à la compagnie, on ne répare pas les torts que la personne a subis. On ne peut pas retourner en arrière ni reculer la bande de l’EAVL.
Le sénateur MacDonald : Il est évident que le sénateur Mitchell et moi-même sommes complètement en désaccord concernant cette approche. Il est question d’une approche proactive visant à prévenir les accidents. Encore une fois, les systèmes de commande intégrale des trains sont une bonne option. Bien sûr, c’est coûteux, mais si vous demandiez aux gens qui ont vu le centre-ville de Lac-Mégantic réduit en cendres et aux familles qui ont perdu 47 de leurs proches le prix qu’ils seraient prêts à payer pour revenir en arrière et empêcher que cet accident ne se produise, je suis convaincu qu’ils vous diraient que le coût est amplement justifié.
Si c’est la technologie de demain, pourquoi alors attendons-nous 20 ans pour la mettre en œuvre au Canada? Cela devrait être fait dès maintenant. Envoyez quelque chose dans le cyberespace, n’importe quoi. Dites quelque chose d’un peu radical puis essayez de le récupérer. Bonne chance. Il est impossible de récupérer des données dans le cyberespace.
Que les données soient chiffrées ou que quelqu’un s’occupe de préserver leur confidentialité, cela m’importe peu. Je ne fais pas confiance au gouvernement. Je ne me fie pas à sa promesse de protéger ces renseignements, car au bout du compte, il y a toujours quelqu’un qui pourra y avoir accès.
Personnellement, je considère que la protection de la vie privée est essentielle. Nous avançons sur une pente glissante ici. Si je pensais qu’il y avait beaucoup à gagner par l’installation d’EAVL dans les cabines de locomotive, le chiffrage pourrait peut-être être intéressant. En fait, ce que cela nous apporte est si minime que cela ne vaut même pas la peine de compromettre les droits à la vie privée des gens.
Le commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant le comité. Il a nous dit clairement qu’il s’agissait d’une grave atteinte au droit à la vie privée. Il y avait deux petites intrusions dans la vie privée. Comme je lui ai dit l’autre jour, ne pensez-vous pas qu’à force d’empiéter sur le droit à la vie privée, on risque de ne plus avoir de droit à la vie privée? Il faut fixer des limites quelque part, et je suis tout à fait d’avis que c’est ici qu’il faut le faire.
Le président : Je ne suis pas sûr si cette remarque s’adressait à vous, mais je pense qu’il veut que vous lui donniez votre point de vue, alors la parole est à vous.
M. Yussuff : Il y a quelque chose qui serait très utile, selon nous. Sachez que la sécurité ferroviaire est fondamentale pour nos membres. Ils circulent sur les voies ferrées jour après jour. Ils transportent des millions de tonnes de fret partout au pays. Nos membres tiennent à leur travail. Ils ne veulent pas qu’un déraillement se produise. Ils ne veulent aucunement négliger leur responsabilité et perdre la vie. Dans le cas d’un accident, ils sont les premiers touchés, soit dit en passant.
Personne ne reconnaît le rôle fondamental que jouent les travailleurs dans la sécurité du transport ferroviaire. Il est vrai que la loi peut améliorer les choses, et que les enregistrements audio ont ajouté de nouveaux éléments que le Bureau de la sécurité des transports peut utiliser dans le cadre d’une enquête sur un accident ou un incident.
C’est très intrusif. Le ministère n’a pas su démontrer dans quelle mesure cette technologie pouvait améliorer la sécurité ferroviaire. Or, l’empiétement sur la vie privée des travailleurs, lui, est bien réel.
Nous ne sommes pas aux États-Unis. Nous sommes au Canada. La conception de la vie privée est bien différente. Nous avons une Constitution. Nous ne pouvons pas nous soustraire à nos responsabilités. C’est le moment de dire au ministère qu’il n’a pas pris les bonnes décisions. Il devrait envisager de se pencher sur la question et de démontrer aux travailleurs l’utilité de cette technologie. Tous les jours, nos membres travaillent sur le terrain. Comment peut-on améliorer l’exploitation des chemins de fer au quotidien?
Nos membres le font sans qu’on leur mette un fusil sur la tempe. Ils le font parce qu’ils se soucient de la sécurité du transport ferroviaire de façon quotidienne. Je suis d’accord avec vous. Je considère surtout qu’on va trop loin. Vous n’avez pas besoin de notre témoignage. Le commissaire à la protection de la vie privée vous a dit quels étaient les problèmes. Nous ne faisons que répéter ses propos. Je pense qu’il y aurait moyen de modifier ce projet de loi pour réaliser l’objectif du gouvernement sans porter atteinte à la vie privée de nos membres.
Le président : Nous allons faire une pause, puis nous allons tenir une très brève mais importante séance à huis clos.
Merci beaucoup à nos témoins.
(La séance se poursuit à huis clos.)