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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 34 - Témoignages du 8 mai 2018


OTTAWA, le mardi 8 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada, se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi.

La sénatrice Patricia Bovey (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.

[Traduction]

Je m’appelle Pat Bovey, vice-présidente du comité. Notre président est à l’extérieur de la région aujourd’hui. Je partage la présidence de ce comité avec l’autre vice-président en l’absence du président. Alors, j’assurerai la présidence aujourd’hui.

[Français]

Ce matin, le comité poursuit son étude du projet de loi S-245, Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain.

Nous accueillons aujourd’hui deux groupes de témoins. Pour notre premier groupe, je souhaite la bienvenue à M. Benjamin Dachis, directeur associé de la recherche à l’Institut C.D. Howe.

[Traduction]

Nous accueillons aussi M. Jack Mintz, chercheur émérite du recteur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary. Nous avons du mal à le joindre. Il témoignera par vidéoconférence. M. Mintz est membre de l’Ordre du Canada depuis 2015 pour ses contributions à titre de conseiller en matière de politique budgétaire et fiscale.

Je demanderais à M. Dachis de parler en premier. Lorsque M. Mintz sera en mesure de nous rejoindre, nous entendrons son témoignage, mais il n’est disponible que jusqu’à 10 h 15. Nous ferons quelques ajustements, s’il le faut.

Avant de demander à M. Dachis de commencer, je demanderais aux membres du Comité de se présenter, à commencer par le sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, de Québec.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur D. Black : Douglas Black, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, du Manitoba.

La vice-présidente : Merci à tous.

Je demanderais à M. Dachis de bien vouloir commencer.

Benjamin Dachis, directeur associé de la recherche, Institut C.D. Howe : Merci beaucoup de l’invitation. C’est toujours un plaisir de venir ici pour s’entretenir avec nos importants comités et, en particulier, celui-ci.

Nous sommes maintenant tous au fait de la saga Trans Mountain. Kinder Morgan, le propriétaire de l’oléoduc projeté de l’Alberta à la côte de la Colombie-Britannique veut avoir l’assurance d’ici au 31 mai prochain qu’il pourra aller de l’avant avec le projet, sans quoi il menace de l’abandonner, ce qui laisserait le pétrole albertain en plan. On envisage maintenant que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour garantir la construction de l’oléoduc. Voyons les diverses options qui s’offrent à nous.

Actuellement, nous discutons d’un projet de loi du sénateur Black qui ouvrirait certaines de ces options. Je tiens à cerner plus précisément en quoi les mesures en question devraient consister et m’arrêter, en particulier, au soutien financier du gouvernement qui sera nécessaire pour la construction.

Reportons-nous au dernier grand débat sur un pipeline d’intérêt national dans les années 1950 : l’aide financière du gouvernement fédéral a effectivement joué un rôle décisif pour la construction du gazoduc transcanadien qui existe aujourd’hui.

Le gouvernement fédéral s’est par ailleurs engagé à voir à ce que le projet se réalise, sauf qu’il n’y a encore aucune mesure législative — du moins qui vienne de la Chambre. Il faut jusqu’à présent se contenter de déclarations dans les médias. Selon moi, un soutien du gouvernement fédéral serait pertinent et, à cette fin, Ottawa a justement l’outil tout nouveau, tout beau qu’il faut : la Banque de l’infrastructure du Canada, dont j’ai parlé la dernière fois que j’ai témoigné devant le comité. Le gouvernement, qui a approuvé la construction de l’oléoduc, a soutenu qu’il utiliserait tous les outils à sa disposition pour concrétiser le projet. Un de ces outils devrait être la Banque de l’infrastructure du Canada.

Le gouvernement de l’Alberta a même évoqué la possibilité d’acheter le pipeline à Kinder Morgan pour en assurer la construction. Les deux gouvernements veulent que ce projet se concrétise, et à juste titre. Un oléoduc qui se rend jusqu’à la côte fera grimper le cours du pétrole canadien, étant donné la surabondance de pétrole albertain. Un nouvel oléoduc se traduirait par des retombées bénéfiques sur l’économie canadienne et les recettes de l’État.

Qu’est-ce qui justifie l’intervention du gouvernement pour garantir la construction du pipeline?

Kinder Morgan ne se soucie pas des recettes dont l’État se priverait ni des emplois qui ne seraient pas créés si le projet tombait à l’eau; l’entreprise veut simplement faire des investissements qui lui rapportent. Étant donné la hausse des coûts qu’engendrent les retards causés par le gouvernement de la Colombie-Britannique, l’éventualité que l’entreprise touche des profits est certes incertaine. Il existe donc une divergence entre les motivations de l’entreprise et le bien de la société.

Les gouvernements interviennent lorsque des coûts négatifs pour la société sont en cause, notamment en ce qui concerne la pollution, coûts que les entreprises, autrement, ne prendraient pas en charge. La réglementation sur la sécurité des pipelines prévient les déversements. La taxation des émissions des pollueurs va dans le même sens. De telles mesures profitent à la société en faisant assumer des coûts aux entreprises.

Le gouvernement peut aussi agir au profit de la société en optimisant les retombées sociales qui ne se reflètent pas dans le bilan financier d’une entreprise. Voilà pourquoi il devrait offrir un certain soutien à Kinder Morgan. Le gouvernement fédéral est le mieux placé pour atténuer le coût des risques auxquels l’entreprise s’expose du fait des décisions de la Colombie-Britannique. Reste à savoir comment il doit procéder.

Premièrement, les gouvernements ne devraient pas exploiter de pipelines.

Le sénateur Plett : Bravo!

M. Dachis : Appliquer un prisme politique à des décisions courantes qui visent les opérations ou les travaux de construction ne fera qu’enliser le projet. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. L’aide de l’État ne devrait pas non plus être illimitée. Si Kinder Morgan est trop gourmande, le gouvernement doit rompre les discussions.

Comment savoir si le gouvernement peut conclure une entente avantageuse? Voilà où la Banque de l’infrastructure du Canada peut jouer un rôle important. Créée en juin 2017, c’est une :

[...] société d’État qui utilise le soutien fédéral afin d’attirer les investissements privés et institutionnels dans des projets d’infrastructure générateurs de revenus qui se trouvent au Canada, ou du moins en partie, et qui sont dans l’intérêt du public.

Premièrement, est-ce que l’oléoduc est dans l’intérêt du public? Absolument. L’approbation d’Ottawa l’a indéniablement confirmé. Est-ce un projet générateur de revenus? Absolument. L’oléoduc se financera et, une fois construit, ne nécessitera donc aucune aide à long terme de l’État.

Comme l’a fait valoir Trevor Tombe dans un texte d’opinion il y a quelques semaines, la meilleure option consisterait à accorder un prêt à court terme pendant les travaux de construction et non à participer au capital. Un prêt remboursable à la conclusion des travaux assurerait une aide durant la période la plus risquée sur le plan politique du projet d’oléoduc. Ensuite, la banque pourrait reprendre ses billes et elle devrait le faire.

La banque a légalement le pouvoir d’offrir à Kinder Morgan la forme d’aide la plus judicieuse sur le plan économique. Elle peut se substituer aux politiciens pour négocier avec Kinder Morgan afin que les contribuables en aient pour leur argent.

Confier le projet à la banque peut favoriser la résolution d’un autre problème : la nomination des dirigeants de la banque est désespérément lente. Près d’un an après l’adoption de la loi édictant sa création, la banque n’a toujours pas de PDG. Confier à la Banque de l’infrastructure du Canada le mandat d’aboutir à une entente avec Kinder Morgan aiguillonnera le conseil d’administration et le gouvernement pour qu’ils règlent ce dossier.

En conclusion, nous devons nous rappeler que le dilemme de Kinder Morgan nous montre pourquoi la Banque de l’infrastructure du Canada était une bonne idée. Il s’agit d’un projet d’infrastructure utile à la société qui s’est enlisé du fait de risques que seul un gouvernement, en particulier le fédéral, est apte à écarter. Le gouvernement peut faire d’une pierre deux coups en mettant la banque à pied d’œuvre rapidement afin de favoriser la construction de l’oléoduc Trans Mountain.

Sur ce, je peux céder la parole à Jack, s’il est avec nous, ou répondre à des questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Il n’est pas avec nous, alors je vais passer aux questions.

Le sénateur Plett : Merci d’être venu ce matin, monsieur Dachis.

J’ai lu avec intérêt ce matin que bien que le gouvernement de la Colombie-Britannique fait tout ce qu’il peut pour s’y opposer, il sait clairement où investir ses fonds de retraite. Il les investit dans Kinder Morgan et un certain nombre d’autres industries connexes. Même s’il veut s’opposer au passage de certains oléoducs, il sait que Kinder Morgan est une assez bonne entreprise dans laquelle investir. C’est toutefois un commentaire et non une question.

Le Centre canadien de politiques alternatives a contesté l’idée que le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain est dans l’intérêt national et a suggéré que les retombées économiques du projet profitent de façon disproportionnée à l’Alberta. À votre avis, pourquoi ce projet est-il dans l’intérêt national?

M. Dachis : C’est le fait que le projet se fera principalement en Colombie-Britannique et que ses retombées se feront sentir dans une autre province. Par sa nature même, il aura des retombées interprovinciales, ce qui en fait automatiquement un projet fédéral. Dès la naissance du Canada, le gouvernement fédéral a été clairement responsable de ces types de politiques interprovinciales transfrontalières ou de voies de communication interprovinciales car, pour être jugées être dans l’intérêt national, pareilles questions interjuridictionnelles ne peuvent être réglées que par le fédéral une fois qu’elles ont reçu les approbations nécessaires. On a étudié le projet dans cette optique. Nous en sommes maintenant arrivés au stade où il nous faut appliquer la loi du pays à un projet que le gouvernement a jugé être dans l’intérêt national.

Le sénateur Plett : Peut-être que je n’ai pas bien compris votre présentation, alors je vais poser une question à laquelle vous avez peut-être répondu dans vos remarques. Vous avez dit que le principal objectif de Kinder Morgan était de faire des profits pour ses actionnaires, ce que toute organisation devrait vouloir faire, à juste titre. Avez-vous laissé entendre dans vos commentaires que c’est le gouvernement, et non Kinder Morgan, qui devrait construire cet oléoduc?

M. Dachis : Non. Loin de là. Nous ne voulons pas que le gouvernement soit propriétaire d’un oléoduc et qu’il l’exploite. Ce n’est pas la meilleure option.

Ce qui a du sens, ce sont les types de soutiens financiers limités. Lorsqu’une entreprise risque, par exemple, d’être expropriée par le gouvernement de la Colombie-Britannique, seul le gouvernement fédéral a la compétence voulue pour intervenir afin de lui venir en aide, tant sur le plan juridique que financier. Nous l’avons vu par le passé avec des prêts, par exemple. Un prêt serait de loin la meilleure option plutôt qu’un type d’investissement en capital.

Le sénateur Plett : Je vois que M. Mintz est maintenant avec nous, alors j’aurai peut-être une question à lui poser plus tard.

La vice-présidente : Monsieur Mintz, bienvenue. Je suis ravie que vous ayez réussi à nous joindre. Je vous ai présenté avant que vous arriviez, alors je vous demanderais de faire votre exposé maintenant, avant que nous passions aux questions.

Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique de l’Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup. Premièrement, je vous présente mes excuses, mais mon retard est attribuable à des difficultés techniques.

La vice-présidente : Nous comprenons fort bien.

M. Mintz : Je veux vous rappeler que je dois malheureusement m’arrêter à 10 h 15. Je dois me dépêcher parce que j’ai un engagement à 11 heures, alors je crains de devoir m’arrêter à ce moment-là.

La vice-présidente : Nous le comprenons, et tout le monde est au courant.

M. Mintz : Merci. Je serai bref.

Je ne suis pas certain de ce que mon collègue, Ben Dachis, a dit, mais je vais réitérer trois points qu’un certain nombre de personnes ont mentionnés, mais au sujet desquels j’ai moi aussi écrit. La construction de l’oléoduc Trans Mountain soulève trois questions très importantes.

La première est une question économique, c’est-à-dire que le fait d’accroître la capacité des oléoducs nous permettrait de réduire l’escompte actuel. Cet escompte coûte actuellement 13 milliards de dollars à l’économie canadienne, selon une estimation de Kent Fellows à l’École de politique publique de l’Université de Calgary. De ce montant, le gouvernement provincial de l’Alberta est responsable de 7 milliards de dollars, bien que le gouvernement de la Saskatchewan assume aussi des coûts. Le gouvernement fédéral accuse aussi des pertes de près de 1 milliard de dollars contre un peu plus de 4 milliards de dollars pour les producteurs privés.

Bien entendu, ce ne sont pas les sociétés qui produisent. Certaines sont étrangères, comme Imperial Oil, dont je suis membre, mais bien d’autres œuvrent ou investissent dans l’industrie gazière et pétrolière, y compris les fonds de retraite. Fait intéressant, en ce qui concerne les fonds de retraite, cela comprend le gouvernement de la Colombie-Britannique lui-même. Il perd aussi de l’argent, au même titre que les travailleurs et d’autres personnes. Cela a un coût énorme sur le plan économique, et les choses ne changeront pas si nous poursuivons dans la même veine pour ce qui est de la capacité des oléoducs.

La deuxième question est que notre réputation internationale de pays où on sait faire les choses est ternie en ce moment par notre incapacité de mettre en place un système réglementaire dans lequel nous pouvons exploiter nos ressources tout en tenant compte des questions environnementales, comme nous l’avons fait dans le cas de diverses autres politiques. Je m’inquiète que notre incapacité de prendre des mesures sur le plan réglementaire entraîne un coût énorme qui fera en sorte qu’il soit plus difficile pour les entreprises de trouver du capital ici au Canada dans les années à venir.

Le troisième point est que cette question crée un immense conflit régional et qu’elle pourrait avoir des répercussions importantes sur le développement du Canada au cours des prochaines années, car une région pourrait se sentir coupée du reste du pays. Notre expérience nous a appris que lorsque des régions se sentent exclues et qu’une région est en conflit avec une autre, cela peut entraîner des difficultés et des problèmes pour l’économie canadienne et la politique au pays. Nous devons nous assurer de régler ces questions avant longtemps.

Pour cette raison, il est essentiel d’adopter un projet de loi fédéral ou un projet de loi gouvernemental important qui assurerait la construction de cet oléoduc et ferait en sorte que le gouvernement fédéral honore sa responsabilité constitutionnelle en matière de transport interprovincial.

La vice-présidente : Merci. Sénateur Plett, vous avez dit que vous aviez une question de plus pour M. Mintz, et ensuite, nous continuerons.

Le sénateur Plett : Oui, j’ai une brève question pour M. Mintz.

En restant succinct, donnez-moi une réponse concernant l’intérêt régional dont vous avez parlé. D’un côté, le Québec empêche Énergie Est de transporter le pétrole albertain vers les côtes est, et de l’autre, la Colombie-Britannique l’empêche de le transporter vers l’ouest. À quel moment le gouvernement fédéral intervient-il simplement pour dire aux provinces que cette question relève de sa compétence et qu’elles doivent s’écarter pour qu’il puisse prendre des décisions dans l’intérêt du pays en entier?

M. Mintz : C’est un secteur difficile du fédéralisme, comme nous le savons depuis de nombreuses années, mais le gouvernement fédéral a une certaine responsabilité constitutionnelle au titre de l’article 91. On lui a donné les droits sur les canaux, ce qui comprend les transports et autres. Nous savons que le gouvernement fédéral a cette responsabilité. Bien sûr, il partage avec les provinces la responsabilité des questions environnementales, mais à un moment donné, le gouvernement fédéral doit exercer son autorité. Comme Dwight Newman l’a dit — et je crois savoir que vous le verrez — le gouvernement fédéral peut parfois exercer une certaine suprématie en fait de responsabilité qui peut outrepasser les lois provinciales.

Le sénateur Plett : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Mintz, d’être venu aujourd’hui. Ce furent des déclarations intéressantes.

Je ne suis pas avocate. Je ne comprends pas tous les projets de loi et toutes les lois qui feront en sorte qu’un projet soit dans l’intérêt du Canada. Cependant, je comprends le concept de la médiation et celui de réconcilier deux parties pour des raisons de ressources humaines et de négociation sur le plan environnemental. Lorsque vous voulez réussir à en arriver à une réconciliation et à une conciliation, vous faites les choses en privé au lieu de les faire en public, et vous offrez des incitatifs plutôt que d’avoir recours à la coercition. Lorsque vous voulez réussir une négociation, vous devez la faire en privé et offrir des incitatifs. Nous convenons tous qu’il nous faut trouver une solution. Nous savons tous que nous cherchons la conciliation, mais le problème est de savoir comment. En adoptant ce projet de loi, nous rendons la question publique et coercitive. Comment pouvons-nous nous assurer de la réussite de nos discussions et de conditions favorables à tout le monde?

M. Mintz : Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il serait préférable d’avoir un genre d’accord dans lequel toutes les parties décident de baisser le ton. Je pense en fait que c’est de cette façon que nous avons réglé des problèmes par le passé. C’est une sorte de théorie du jeu : il faut une menace crédible dans le cadre des négociations. Le projet de loi aura sans doute pour effet de rendre très clair que le gouvernement fédéral pourra procéder par la contrainte, si nécessaire. Cela justifie peut-être le projet de loi en soi.

Quand j’étais au ministère des Finances pendant les années Chrétien/Martin, j’ai vu des ententes se conclure dans le cadre desquelles on arrivait à amener les gouvernements fédéral et provinciaux à collaborer dans un dossier. Il y a habituellement différentes étapes pour y arriver.

Vous avez tout à fait raison; on y arrive par la médiation, dans le calme et à l’arrière-scène. On aurait probablement dû le faire il y a un an quand le problème est apparu. C’est malheureux que Kinder Morgan ait eu à interrompre ses activités en raison des coûts occasionnés par les délais sans fin et des manifestants qui pouvaient se trouver tout près de la barrière où on tentait de commencer la construction du projet qui avait déjà été approuvé.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique n’a pas été d’une grande aide ici, mais je pense qu’on peut encore arriver à un accord par la négociation. Malheureusement, le gouvernement de la Colombie-Britannique se trouve maintenant dans une position difficile, car il s’est beaucoup épanché sur la place publique. J’espère qu’on pourra encore arriver à un accord dans lequel la Colombie-Britannique retirera quelque chose d’utile, notamment des procédures claires pour éviter les déversements, et que si cela se produit, la note sera assumée en totalité par le gouvernement fédéral. C’est ce qu’il y aurait de mieux à faire en ce moment pour que Trans Mountain puisse aller de l’avant.

La sénatrice Gagné : Monsieur Mintz, que se passerait-il si le gouvernement fédéral avait recours à son pouvoir déclaratoire? Comme vous l’avez dit, vous le considérez comme un pouvoir de contrainte. Quelles en seraient les conséquences?

M. Mintz : L’effet serait très négatif, si on l’invoquait sans tenir d’autres consultations, car on imposerait une solution. La question qui se pose est de savoir si on veut utiliser cet instrument pour arriver à rapprocher les deux parties, pour tenter d’en arriver à une entente entre le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique. Divers groupes en Colombie-Britannique continueront de s’y opposer. La seule autre avenue possible est d’annuler le projet. Dans ce cas, il y aura aussi des répercussions négatives. Une résolution est une bonne chose, mais le fait qu’on puisse renoncer à la possibilité d’utiliser le pouvoir déclaratoire n’est pas nécessairement un avantage, car cela pourrait miner la capacité du gouvernement fédéral d’aller de l’avant d’une autre façon.

[Français]

La sénatrice Gagné : Madame la présidente, est-ce qu’on pose d’abord des questions à M. Mintz, puis à M. Dachis?

[Traduction]

Monsieur Dachis, le gouvernement peut-il utiliser la Banque de l’infrastructure sans adopter le projet de loi S-245? Elle relève du fédéral. Est-ce l’option à privilégier dans cette situation?

M. Dachis : C’est celle que je privilégierais. Je préférerais toutefois que le gouvernement applique le moins possible la lentille politique à chacune des décisions en cours de route. Il y a des mesures législatives établies pour la banque. Il faut simplement qu’elle soit mise en place. La banque aurait uniquement besoin de l’approbation du fédéral pour une garantie de prêt, mais cela ne devrait pas poser problème puisque le gouvernement fédéral a déjà mentionné que c’est le genre de projet qu’il appuierait financièrement. Grâce à la Banque de l’infrastructure, le gouvernement fédéral a tous les outils dont il a besoin pour soutenir financièrement un projet, alors je pense que cela est à l’abri de toute contestation constitutionnelle.

La vice-présidente : Comme M. Mintz a un peu moins de 20 minutes, je propose qu’on lui pose nos questions en premier et qu’on reprenne ensuite.

Le sénateur Sinclair : Merci, monsieur Mintz. J’aimerais savoir si vous pourriez nous aider à répondre à la question suivante. Selon vos analyses, votre expérience et les travaux que vous avez menés, savez-vous ce qu’il en coûtera au Canada de ne pas s’attaquer bientôt aux répercussions environnementales des sables pétrolifères? Avez-vous une opinion sur le sujet?

M. Mintz : Oui. Premièrement, il faut se demander quelles sont exactement ces répercussions environnementales? Pour ce qui est de l’utilisation des terres, nous savons que les entreprises doivent mettre de l’argent dans un fonds en fiducie pour restaurer les terres une fois leur production terminée ou leurs réserves à sec. On peut se rendre sur place pour constater, par exemple, la restauration par Syncrude de sa mine à ciel ouvert. On peut voir les bisons courir entre les arbres, et cetera. Le site a été complètement restauré. Nous avons déjà bien réglé cette question au Canada, probablement mieux que dans bien d’autres pays dans le monde.

Au sujet des autres enjeux, en particulier les émissions de gaz à effet de serre, les nouveaux projets dans les sables bitumineux en produisent moins. Les émissions totales pour produire un baril de pétrole à partir des sables bitumineux ne sont pas plus élevées que pour produire un baril de pétrole équivalent importé aux États-Unis. C’est le fruit des nouvelles technologies qui ont été adoptées, en particulier sur les sites d’exploitation des sables bitumineux, où les émissions sont les pires. Ces nouvelles méthodes — par exemple, le drainage par gravité au moyen de vapeur, le procédé Vapex et d’autres nouvelles méthodes — ont permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20, 30, 40 p. 100, selon le type de technologie, en raison des changements qui ont été apportés.

Les sables bitumineux comme tels, du moins pour ce qui est de ces deux éléments, ne posent pas plus de problème que tout autre pétrole qui vient d’ailleurs en ce moment.

En ce qui a trait aux problèmes liés à l’eau, beaucoup de règlements ont été adoptés. En fait, les usines d’exploitation des sables bitumineux recyclent maintenant l’eau qu’elles utilisent, si bien qu’elles en utilisent beaucoup moins, et cetera. On exagère un peu quand on dit que les sables bitumineux ont des effets plus négatifs sur l’environnement que le pétrole produit ailleurs dans le monde. Ce n’est tout simplement pas vrai. Notre système de réglementation et les mesures prises par les producteurs privés pour minimiser autant que faire se peut les répercussions sur l’environnement nous ont permis d’agir de manière très responsable au Canada.

Le sénateur Sinclair : Votre réponse aux enjeux soulevés m’incite à me demander si vous avez déjà parlé aux Premières Nations qui habitent dans la région des répercussions de l’exploitation des sables pétrolifères dans leurs vies.

M. Mintz : Oui. En fait, je connais le chef de Fort McKay, qui vous parlera de manière très positive des répercussions des sables bitumineux dans leurs vies, et il y en a d’autres également.

Le sénateur MacDonald : C’est bon de vous revoir, monsieur Mintz. J’ai quelques questions.

Notre façon d’approuver les pipelines au pays a toujours été un peu improvisée. J’ai toujours pensé qu’un des grands oublis au pays avait été de mettre en place un corridor énergétique national vers les côtes Ouest et Est, en particulier jusqu’à Prince Rupert et Point Tupper. Je me demande ce que vous en pensez et si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet.

M. Mintz : En fait, je suis d’avis que nous devons envisager sérieusement d’adopter une nouvelle approche pour l’approbation des projets d’infrastructure au pays. Une étude de la Banque mondiale sur le coût lié au fait de faire des affaires dans 190 pays dans le monde a révélé que le Canada performe bien dans certains domaines. Nous avons un bon régime fiscal qui permet de minimiser les coûts de la conformité. Nous sommes un des 10 meilleurs pays dans le monde à cet égard. Je peux en attester, ayant travaillé partout dans le monde.

Il y a des domaines, toutefois, notamment dans l’infrastructure, où nous faisons piètre figure. Nous nous classons 120e sur 190 pays. Certains pays du tiers monde font mieux que nous. Il y a notamment trois domaines où nous nous classons très bas. Le premier est le temps requis pour obtenir un permis, le deuxième est le temps requis pour mettre la touche finale à un contrat; et le troisième est le transport des marchandises jusqu’aux côtes, et ce n’est pas le cas uniquement du gaz et du pétrole, mais de divers autres produits.

J’ai donc proposé de nous inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays, comme l’Australie, dont le bilan est bien meilleur dans ces domaines. Nous aurions, disons, un corridor nord, qui aurait reçu toutes les approbations préalables nécessaires et nous aurions réglé toutes les questions difficiles, en nous assurant notamment que les Premières Nations ont été consultées et traitées convenablement lors des discussions, que les questions environnementales ont été réglées, et cetera. Dans le corridor, on peut alors construire des lignes de transmission électriques, des routes et des pipelines, tous assujettis bien sûr à un processus d’approbation tenant compte des enjeux particuliers qui doivent être réglementés et bien évalués. L’Australie utilise beaucoup le concept des corridors, et vous pouvez en fait en discuter avec les entreprises canadiennes qui investissent en Australie, par exemple, dans les lignes de transmission électriques. Cela prend sept ou huit mois pour faire approuver un projet de ligne de transmission électrique en Australie, alors que cela peut prendre des années au Canada.

Nous devons donc vraiment penser à trouver une façon de mieux faire les choses. J’ai bien peur que la nouvelle loi sur l’évaluation environnementale qui est proposée n’accomplira pas cela. En fait, elle contient tellement d’incertitudes qu’il sera probablement très difficile d’exploiter tout type de ressources au Canada en raison du système de réglementation qui est proposé dans la loi.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question complémentaire au sujet de l’Office national de l’énergie. Nous nous rappelons tous quand elle a lesté le pipeline d’Énergie Est de nouveaux règlements et de nouvelles demandes. À la fin du processus, il semblait que l’intégrité même de l’office était remise en cause. Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de la conduite de l’office et de sa façon de s’acquitter de son travail au cours des dernières années. L’office semble avoir une bonne réputation internationale, mais il semble aussi beaucoup critiqué au pays.

M. Mintz : Premièrement, d’après ce que je comprends — et je ne dirai pas que je suis un expert dans le domaine, car je ne participe pas aux discussions avec les organismes de réglementation dans le monde —, il semble que l’office ait été très respecté au fil des ans. Il a pris toutes sortes de décisions qui ont donné de bons résultats. Il faut se rappeler que nous avons eu très peu de fuites dans les pipelines. Il n’y a pas eu de désastre, en fait, lié à la réglementation qui aurait découlé d’approbations ayant mené à de sérieux problèmes par la suite. Je pense que nous pouvons être fiers de ce que l’office a accompli.

À mon avis, le projet d’Énergie Est a été une combinaison de changements dans les règles du jeu, en particulier le déplacement du terminal, ce qui a fait grimper la facture passablement pour Énergie Est. Ensuite, il y a eu des changements, au milieu de la partie, dans les règles touchant la façon d’évaluer les répercussions environnementales. L’office a fait des erreurs sur des enjeux politiques en cours à l’époque, mais on ne devrait pas remettre en question tout le travail qu’il a accompli pendant toutes les années pendant lesquelles il a fait un très bon travail.

Disons le franchement : certains s’opposent à l’exploitation des sables bitumineux parce qu’ils ne veulent pas qu’on exploite davantage les ressources au Canada, pour une raison environnementale ou une autre. C’est tout à fait à l’opposé de ce qui se passe ailleurs dans le monde, où les ressources sont exploitées et les gouvernements s’occupent des questions environnementales.

La vice-présidente : Merci, monsieur Mintz.

Y a-t-il d’autres questions pour M. Mintz? S’il n’y en a pas d’autres, je vais vous remercier sincèrement et vous laisser vous rendre à votre prochain rendez-vous. Nous allons poursuivre avec les questions à M. Dachis. N’hésitez pas à rester avec nous jusqu’au moment de partir.

M. Mintz : Merci beaucoup.

Le sénateur Sinclair : Monsieur Dachis, je veux vous poser une question au sujet des conséquences économiques d’un déversement de pétrole près du port de Vancouver. Vous avez fait une étude sur les répercussions économiques de l’exploitation des sables pétrolifères et du pipeline comme tel, n’est-ce pas?

M. Dachis : Non, je n’ai pas fait d’étude sur le coût d’un déversement, mais il serait assurément élevé.

Le sénateur Sinclair : Pouvez-vous nous donner quelque information que ce soit sur cet enjeu?

M. Dachis : Pas de mémoire, non.

Le sénateur Sinclair : Un peu plus tôt, j’ai posé une question sur les répercussions économiques des enjeux environnementaux entourant les sables pétrolifères dans le Nord de l’Alberta. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Dachis : Je suis d’accord avec Jack, pour dire que les sables bitumineux sont un élément crucial de l’économie canadienne. Quand on pense aux coûts économiques de ne pas construire de pipelines, ils sont nombreux.

Pour vous donner un exemple concret, le gouvernement de l’Alberta a réalisé des études qui ont démontré qu’en laissant le pétrole dans le sol et en n’obtenant pas le prix le plus élevé sur le marché mondial, cela lui coûtait environ 1,8 milliard de dollars en redevances chaque année. La perte de ces redevances signifie moins de services sociaux pour les Albertains, et moins d’argent pour les soins de santé et les écoles. Les projets de ce genre sont cruciaux dans nos vies au quotidien.

Le sénateur Sinclair : Votre réponse n’a vraiment aucun lien avec ma question. Ma question est la suivante : quel est le coût de continuer à faire ce que nous faisons dans le Nord?

M. Dachis : Quand il est question des répercussions environnementales, il faut se rappeler de la meilleure approche. Quand il est question des émissions de gaz à effet de serre, dans presque tous les cas, la meilleure approche est de tarifer le carbone, d’imposer une taxe sur le carbone, une taxe ou un programme de plafonnement et d’échange. L’atmosphère n’en a cure de savoir si un gramme ou une tonne de dioxyde de carbone vient des sables bitumineux ou d’une usine d’acier à Hamilton ou des émissions d’un véhicule à Halifax. Ce qui compte au bout, c’est la quantité totale d’émissions dans le monde qui sont responsables des changements climatiques.

Une taxe sur le carbone a le très grand avantage de trouver la meilleure façon de réduire les émissions dans l’ensemble de l’économie. Cela a du sens pour nous de réduire, disons, la production d’acier à Hamilton, ou de demander aux gens d’Halifax d’utiliser un peu moins leur auto, parce que s’il est plus profitable pour l’économie de produire du pétrole dans le Nord de l’Alberta, ou ailleurs en Alberta, beaucoup plus profitable, alors devinez quoi? Il est sensé pour nous de continuer à produire du pétrole.

La sénatrice McCoy : Si je peux reprendre le fil de votre réponse à la question au sujet d’un déversement de pétrole dans le port, sur quoi vous appuyez-vous pour dire qu’il serait néfaste?

M. Dachis : Tout déversement de pétrole est néfaste.

La sénatrice McCoy : Vraiment? Même si c’est seulement une pinte?

M. Dachis : N’importe quel déversement attire l’attention, et nous sommes souvent appelés à discuter du nombre de déversements, aussi petits soients-ils. Les gouvernements interviennent pour prendre des règlements.

La sénatrice McCoy : Est-ce en partie... Je regrette de vous interrompre.

M. Dachis : Ce n’est pas grave. Les gouvernements interviennent pour mettre en place le genre de politiques qui réduiront — sans pour autant éliminer à 100 p. 100 — la probabilité de tout déversement. Après un certain point, les coûts engagés pour contrer un faible risque de déversement à toutes les étapes du processus l’emportent sur l’avantage économique lié à sa prévention. Toujours est-il que nous, au Canada, avons un très bon bilan, surtout dans le domaine des pipelines, pour ce qui est d’empêcher les déversements. Les gouvernements essaient toujours d’intervenir à cette fin ou ils créent des règlements qui préviennent de tels incidents dans la mesure du possible, mais il est impossible de les éliminer au complet. Évidemment, nous ne voulons pas de déversement majeur, et bon nombre des règlements en vigueur sont là pour prévenir les déversements majeurs.

La sénatrice Galvez : Merci, monsieur Dachis. Je trouve intéressante votre idée de recourir à la Banque de l’infrastructure pour la construction de pipelines. Ce n’est pas encore tout à fait en place, alors j’ignore à quelle vitesse le tout sera prêt. Le pipeline de Kinder Morgan est très vieux et doit être remplacé, mais le promoteur veut tripler la quantité de pétrole qui sera transporté et il allègue qu’en acheminant le pétrole jusqu’aux côtes, nous serons en mesure d’accéder au marché asiatique. À votre connaissance, a-t-on discuté de tout contrat, du prix éventuel et de la quantité de pétrole qui sera acheté?

M. Dachis : Je ne connais pas les détails sur le type de contrats que les expéditeurs de pétrole ou les producteurs de pétrole ont conclus avec Trans Mountain. De toute évidence, il existe une demande de la part des expéditeurs de pétrole et des acheteurs pour ce projet, et le pétrole ira là où c’est le plus avantageux sur le plan économique.

La sénatrice Galvez : Je vous pose la question parce que, pour déclarer qu’un projet est dans l’intérêt du Canada, il faut remplir certains critères. Le projet doit être techniquement faisable, sans danger pour l’environnement, avantageux sur le plan commercial, représentatif de l’intérêt de tous les intervenants et, bien entendu, de nature interprovinciale. L’Office national de l’énergie n’a effectué qu’un examen de la faisabilité technique et une évaluation commerciale de Kinder Morgan. Cette entreprise fera des profits, aucun doute là-dessus. Or, à ma connaissance, les autres critères font défaut, parce que l’Office n’a pas réalisé une évaluation complète de tous les autres aspects, comme c’était le cas, par exemple, pour d’autres projets qui ont été déclarés d’intérêt national pour le Canada.

M. Dachis : L’approbation de l’Office national de l’énergie, puis du gouverneur en conseil représente, pour autant que je sache, la norme la plus élevée qu’on puisse atteindre pour affirmer qu’un projet est dans l’intérêt national. Le gouvernement en présentera les résultats aux électeurs. Il a décidé de mettre sa tête sur le billot électoral pour faire valoir son argument. Il s’agit très clairement d’un projet qui est dans l’intérêt national ou qui peut être déclaré comme tel par le gouvernement.

Le sénateur Plett : Le sénateur Sinclair a voulu savoir quels seraient les effets environnementaux d’un déversement de pétrole, si le pétrole provenait des sables bitumineux de l’Alberta. Je ne savais pas que la province avait des réserves de sables asphaltiques; elle possède des sables bitumineux. Si on ne construit pas d’autres pipelines, l’Alberta, la Saskatchewan et même certaines régions du Manitoba continueront d’essayer d’acheminer le pétrole vers les marchés. Ils le feront par train ou par camion. Ce n’est évidemment pas aussi économique et efficace.

M. Dachis : Ni aussi sécuritaire.

Le sénateur Plett : D’accord. C’est ce que j’allais justement vous demander. Vous avez répondu avant que je vous pose la question.

À votre avis, quel est le moyen le plus sûr de s’y prendre? Sur le plan de l’environnement, quelle est la meilleure façon de procéder, outre le fait d’éviter qu’il y ait, espérons-le, des déversements? Si un déraillement de train devait causer un déversement, y aurait-il presque autant de dommages qu’à la suite d’un déversement de pétrole?

M. Dachis : En ce qui a trait aux dommages à l’environnement, je n’ai pas calculé les coûts, mais à l’Institut, nous avons établi quelques estimations de la valeur du transport ferroviaire, sachant que celle-ci est indépendante des contraintes liées aux pipelines. N’oublions pas que les chemins de fer transportent non seulement le grain, mais aussi le pétrole, parce que les pipelines se rendent à un point fixe. Ce point fixe aboutit à une raffinerie, et il n’y a qu’un certain nombre de pipelines. Le transport ferroviaire offre plus de souplesse aux entreprises pour leur permettre d’acheminer leur pétrole vers divers acheteurs, ce qui crée de la concurrence et fait augmenter le prix du pétrole de l’Alberta, peu importe les coûts de l’approvisionnement par pipeline. Au bout du compte, cependant, vous avez tout à fait raison de dire que les pipelines sont plus sûrs pour l’environnement et qu’ils ont des retombées économiques plus vastes.

Le sénateur Sinclair : Je trouve ironique que vous soyez ici, monsieur Dachis, pour le compte de l’Institut C.D. Howe, en raison de l’histoire des pipelines au Canada. C.D. Howe était le défenseur du pipeline de TransCanada et il avait causé la défaite du gouvernement libéral dans les années 1950 parce que les conservateurs étaient contre le pipeline de TransCanada à cette époque. Aujourd’hui, bien entendu, le Parti conservateur préconise fortement ce projet de pipeline. Donc, l’ironie, c’est la volte-face à laquelle nous assistons ici.

Je suis curieux de savoir si vous avez eu l’occasion d’examiner la question de la participation des Premières Nations à l’approbation de la partie du pipeline qui traverse leurs territoires respectifs.

M. Dachis : C’est une grande question qui dépasse ce que j’ai pu examiner, mais c’est absolument essentiel.

Le sénateur Sinclair : L’Institut C.D. Howe a-t-il effectué une analyse dans ce domaine?

M. Dachis : En ce qui concerne précisément les pipelines, non.

Le sénateur Sinclair : Merci.

M. Dachis : Vous avez raison; c’est assez ironique. Quand on songe au débat sur le pipeline tenu en 1956, sous la direction de M. Howe, on voit comment ce pipeline a été construit pour une partie de l’Ouest canadien. Le gouvernement fédéral de l’époque avait accordé 80 millions de dollars sous forme d’un prêt à l’entreprise, et devinez quoi? Le prêt a été remboursé au complet l’année suivante. C’est le genre de modèle qui peut fonctionner, si cela s’avère nécessaire pour un projet d’une telle importance nationale.

Le sénateur Sinclair : Et l’opposition des conservateurs tenait au fait que le produit était destiné à une entreprise du Texas.

M. Dachis : Je n’entrerai pas dans les considérations politiques.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais préciser une chose à propos du débat sur le pipeline avec C.D. Howe. L’enjeu portait sur la fermeture. C’est la raison pour laquelle les conservateurs s’y étaient opposés dans les années 1950. Il était question de fermeture. Je tiens à le signaler aux fins du compte rendu.

Le sénateur Sinclair : Vous étiez là?

Le sénateur MacDonald : Je n’étais pas là, mais je connais le dossier.

La vice-présidente : Sur cette note, je crois que la période des questions est terminée. Monsieur Dachis, je tiens à vous remercier infiniment de votre témoignage et de votre présence parmi nous ce matin pour répondre aux questions.

Chers collègues, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-245. J’aimerais souhaiter la bienvenue à M. Dwight Newman, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international à l’Université de la Saskatchewan.

Monsieur Newman, merci de prendre part à nos délibérations aujourd’hui. Je vous invite maintenant à nous faire votre exposé. Comme vous le savez, nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Dwight Newman, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour. C’est un honneur pour moi de comparaître devant le comité pour parler de cette question importante liée au projet de loi S-245. Comme on vient de le mentionner, j’enseigne le droit à l’Université de la Saskatchewan. Je suis désolé de ne pas pouvoir être avec vous aujourd’hui à Ottawa. Je suis en ce moment à Toronto où je livrerai un discours dans quelques heures à l’occasion du Forum canadien sur le droit en matière d’énergie.

Je mène un vaste programme de recherche, dont une grande partie met l’accent sur le lien entre le droit constitutionnel — surtout les droits des Autochtones — et l’exploitation des ressources.

Nous aurons amplement le temps d’aborder les diverses questions qui pourraient vous intéresser, si vous le souhaitez. Dans les minutes qui me sont imparties pour faire mon exposé, je soulignerai plusieurs points contenus dans mon mémoire. Je voudrais m’attarder tout particulièrement sur trois points essentiels.

Tout d’abord, le recours au pouvoir déclaratoire fédéral prévu à l’alinéa 92(10)c) est bel et bien valable sur le plan constitutionnel pour le projet de pipeline Trans Mountain, si le Parlement souhaite l’invoquer. Par le passé, ce pouvoir a été exercé à maintes reprises dans des cas mettant en cause des projets interprovinciaux ou internationaux, ainsi que des projets au sein d’une province. Je cite quelques exemples dans les notes de bas de page de mon mémoire pour établir ce point. Pour la plupart, c’était dans le contexte de ce qu’on appelle parfois des « lois privées », qui mettent l’accent sur les droits de certaines parties ou sur des projets précis. D’ailleurs, ce genre de lois ont souvent émané du Sénat, comme je l’explique également dans le mémoire. Il n’est donc pas inhabituel que ce type de projet de loi, qui prévoit le recours au pouvoir déclaratoire, provienne du Sénat. Le pouvoir déclaratoire n’a pas été trop utilisé récemment, mais il a été activement invoqué dans le cadre de la réglementation dans le domaine nucléaire, même à notre époque.

Deuxièmement, le recours au pouvoir déclaratoire prévu dans le projet de loi serait un geste symbolique qui indiquerait clairement que le Parlement prend la pleine responsabilité législative du projet Trans Mountain. Ce genre de mesures législatives ne devraient pas être nécessaires, mais dans les circonstances actuelles, c’est ce qui semble s’imposer. L’effet constitutionnel d’une déclaration faite en vertu de l’alinéa 92(10)c) peut varier selon les caractéristiques du projet de loi qui en prévoit l’utilisation, et ce principe juridique est énoncé dans une décision complexe rendue en 1993 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail) en ce qui concerne le recours au pouvoir déclaratoire dans le contexte de l’énergie nucléaire. Si je comprends bien ses objectifs, le projet de loi S-245 vise à clarifier la compétence fédérale exclusive à l’égard du pipeline Trans Mountain, et c’est ce qu’il permettrait de faire.

Troisièmement, comme je l’ai fait valoir dans plusieurs de mes récents articles sur le projet Trans Mountain, le Parlement pourrait fournir plus de certitude juridique grâce à des mesures législatives qui vont au-delà du symbolisme. En établissant un ensemble de pouvoirs réglementaires applicables au pipeline — pouvoirs qui ont clairement créé ce qu’on appelle un code complet dans le contexte constitutionnel —, le Parlement profiterait de la doctrine constitutionnelle de la prépondérance fédérale, en vertu de laquelle toute réglementation provinciale dans le même domaine serait annulée en raison d’un conflit entre une loi fédérale et un règlement provincial.

Dans mon mémoire, j’évoque quelques exemples de dispositions réglementaires pour lesquelles le pouvoir déclaratoire a été invoqué par le passé et je soutiens que c’est le genre de dispositions qui pourraient être incluses dans le projet de loi S-245. Il y aurait lieu de rédiger un meilleur libellé que ce que j’ai proposé. Ces exemples reposent, en grande partie, sur l’ancien style de rédaction. Mais, bien entendu, toutes les ressources du ministère de la Justice pourraient être mises à contribution si nous décidons de donner suite à l’engagement du gouvernement à légiférer les mesures pour confirmer la certitude du projet de pipeline. Si le Sénat doit prendre l’initiative, il devra faire ce qu’il peut avec le projet de loi S-245.

De toute façon, le Canada dispose des pouvoirs législatifs nécessaires pour mener à bien ce projet, si c’est ainsi que nous voulons procéder. Voilà qui met fin à mon exposé. Je suis prêt à répondre aux questions sur les dimensions constitutionnelles liées au pouvoir déclaratoire prévu dans le projet de loi S-245.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Newman.

Le sénateur Sinclair : Bonjour, monsieur Newman.

La question que je voudrais vous poser se rapporte à votre autre domaine d’expertise, ou peut-être à un domaine d’expertise connexe, à savoir les droits des Autochtones dans l’industrie pétrolière, ou dans l’industrie des ressources en général, et les répercussions qui pourraient en découler au chapitre de l’exercice du droit de consultation et de participation. Avez-vous eu l’occasion de passer en revue les causes portées devant les divers tribunaux par les Premières Nations parce que l’Office national de l’énergie ne les aurait pas consultées en bonne et due forme ou parce qu’il n’aurait pas examiné leur position adéquatement dans le cadre du processus d’approbation?

M. Newman : Oui, en effet. J’en parle d’ailleurs dans le mémoire, ainsi que dans mes récents articles sur le projet Trans Mountain. J’ai essayé de souligner que cet aspect a été passé sous silence dans une bonne partie des discussions. Il est certes très important de discuter de la question du partage des compétences fédérales-provinciales, mais il y a un élément essentiel lié à ces causes. Bien sûr, elles ont été entendues par la Cour d’appel fédérale en octobre et par la Cour suprême de la Colombie-Britannique en novembre. Il y a lieu d’espérer que ces décisions seront prises. La cour est la mieux placée pour évaluer tous les éléments de preuve complexes qui ont été présentés, et nous espérons que ces tribunaux rendront ces jugements. J’estime évidemment qu’il est primordial que le gouvernement respecte les droits des Autochtones. Il devra tenir compte de tout ce qui ressort de ces jugements.

Le sénateur Sinclair : Peu importe l’interprétation de l’article 35 par les tribunaux et la clarté offerte quant à la signification de ces droits, seriez-vous d’accord pour dire que toute déclaration selon laquelle il s’agit d’un projet qui est à l’avantage du Canada et qui, par conséquent, relève de la compétence fédérale, est quand même assujettie à l’article 35 sur les droits des peuples autochtones en vertu de la Constitution?

M. Newman : Oui. Il s’agit d’une déclaration sur le partage des compétences entre le fédéral et les provinces. L’article 35 se veut une contrainte judiciaire imposée aux deux niveaux de gouvernement, mais elle fait partie des efforts de coopération dans un Canada diversifié.

Le sénateur Sinclair : Très bien. Merci beaucoup.

La sénatrice Galvez : Merci. Je crois que nous sommes tous conscients qu’à titre de parlementaires, nous avons le pouvoir de déclarer qu’un projet est d’intérêt national, mais la question est de savoir quand exercer ce pouvoir.

Dans le cas qui nous occupe, nous avons certaines questions. Par exemple, j’ai dit au témoin précédent que, pour assurer la réussite des pourparlers, il faudrait miser sur des négociations individuelles, privées et axées sur des incitatifs, au lieu de recourir à la coercition et à une tribune publique ou au lieu d’imposer ce genre de projet de loi.

Lorsqu’on analyse le tableau d’ensemble, il semble ironique de déclarer qu’un projet est d’intérêt national tout en utilisant un outil qui entraînera une confrontation entre les provinces. Par conséquent, cette approche va à l’encontre de l’unité du pays.

Il y a un autre point dont j’aimerais que vous nous parliez : quelqu’un a-t-il évalué le coût commercial lié à l’éventualité de créer une friction entre les provinces? Qu’est-ce que cela signifiera pour l’ensemble du Canada, du point de vue des pertes financières, sachant que nous dressons les provinces les unes contre les autres?

M. Newman : Pour le deuxième point, je crois qu’il faudrait confier cela au savoir-faire des économistes, du moins en ce qui a trait à l’évaluation des coûts associés aux différentes politiques.

Pour ce qui est du premier point, je me contenterai de dire que le fait que le gouvernement fédéral utilise les pouvoirs que lui confère explicitement la Constitution ne va pas à l’encontre de l’unité nationale, et que ce projet de loi ne devrait pas être nécessaire. L’alinéa 92(10)a) confère déjà au gouvernement fédéral sa compétence au chapitre des transports et communications interprovinciaux, qui est le domaine sur lequel travaille habituellement votre comité. Il y a de nombreuses doctrines constitutionnelles pour appuyer l’exercice des pouvoirs associés à cette compétence.

Cependant, dans les circonstances actuelles, on dirait que ce domaine de compétence fédérale est abondamment mis en doute, ce qui s’exprime parfois de manière très indirecte. Des énoncés circulent aux termes desquels on se questionne sur le fait que le Parlement puisse, oui ou non, utiliser le pouvoir déclaratoire. J’ai essayé de répondre à certains d’entre eux. Si vous êtes d’accord qu’il ne fait aucun doute que le Parlement puisse faire cela — bien entendu, je ne remets pas cela en question —, il n’y a pas de problème. Sauf que certaines personnes ont laissé entendre dans la presse que le gouvernement ne pouvait pas se servir de cela sur le plan juridique. Alors, l’une des choses que j’affirme, c’est que c’est légalement possible pour lui de le faire.

Deuxièmement, cela fait partie des pouvoirs explicites du gouvernement fédéral, alors je ne crois pas que c’est quelque chose qui nuirait à l’unité nationale. Je pense que le fait que le gouvernement fédéral puisse construire une infrastructure de transport interprovinciale est une concrétisation des objectifs constitutionnels.

La sénatrice Galvez : Comme les médias en ont parlé abondamment, je pense que vous savez que les provinces se menacent déjà d’interdictions et de restrictions commerciales. Je pense qu’il est assez évident qu’elles sont déjà dans une dynamique de confrontation.

Ce projet de loi ou celui qui est présenté à l’autre endroit — et qui, selon moi, poursuit le même genre d’objectif — réussira-t-il à accomplir cela? Permettra-t-il d’accélérer les choses et de donner le résultat qu’une partie de la population semble souhaiter, c’est-à-dire la construction de ce pipeline?

M. Newman : Je pense que ce projet de loi crée un environnement de certitude juridique. Bien entendu, il y a une foule de facteurs qui entrent en ligne de compte pour ce qui va se passer après. Assurément, si une province continue d’ignorer la primauté du droit, cela pourrait occasionner certaines complications. Si des contestataires décident d’ignorer la primauté du droit d’une façon ou d’une autre, toutes sortes de choses pourraient se produire. Il ne m’appartient pas de spéculer là-dessus. Tout ce que je dis, c’est que ce projet de loi fournira une certitude sur le plan juridique. Ce qui arrivera après cela du côté politique reste à voir.

La sénatrice Galvez : Merci.

La vice-présidente : S’il n’y a pas d’autres questions pour cette première série, nous allons passer à la deuxième.

Le sénateur Sinclair : Ça n’a pas été long. Vous avez donné toutes les réponses qu’il fallait, monsieur Newman, à moins que personne n’ait rien compris de ce que vous avez dit, alors permettez-moi de voir si je peux prêter main-forte.

Nous avons déjà parlé de la question de l’incidence sur la relation entre l’article 35 et le pouvoir déclaratoire en général, mais les affaires qui sont devant les tribunaux soulèvent sans équivoque la question suivante : l’obligation de consulter a-t-elle été remplie ou pas? Et c’est particulièrement pertinent dans le cas des recours intentés par les Premières Nations. Êtes-vous d’accord avec ce que je dis?

M. Newman : C’est l’un des principaux enjeux soulevés dans ces causes qui sont devant les tribunaux.

Le sénateur Sinclair : Dans la jurisprudence actuelle concernant ces questions, la Cour suprême a semblé dire dans deux de ses arrêtés — vous pourriez peut-être nous dire un mot là-dessus — que les projets ne devraient pas recevoir le feu vert avant que l’obligation de consulter ait été remplie.

C’est là que ma question intervient. Si c’est le cas, l’arrêté de la cour soulève cette question sans détour, et il s’agit d’une question ouverte qu’il appartient aux tribunaux de trancher. Sachant cela, comment allons-nous concilier le fait que les promoteurs du pipeline — Kinder Morgan en particulier — semblent avoir investi tellement d’argent sur le terrain, qu’ils sont maintenant en train de dire qu’ils ne dépenseront pas un sou de plus s’il se peut que la consultation n’ait pas été effectivement menée à terme?

M. Newman : C’est un aspect qui vient compliquer considérablement notre environnement actuel en matière de réglementation. On s’attend à ce que les entreprises dépensent 500 millions ou 1 milliard de dollars sans toutefois savoir ce qui les attend au tournant. C’est quelque chose que nous avons vu dans la décision au sujet du pipeline Northern Gateway. Alors que le promoteur du projet avait déjà dépensé 500 millions de dollars, la Cour d’appel fédérale a statué que d’autres consultations devaient encore être menées. Or, il y a eu un changement de gouvernement, et le nouveau gouvernement a décidé de ne pas mener les consultations supplémentaires qui auraient été nécessaires.

Dans le cas qui nous occupe, les deux tribunaux sont les mieux placés pour évaluer la preuve qui leur a été présentée. Ils devront procéder à une évaluation. S’ils établissent que les consultations comportaient des lacunes, ils recommanderont vraisemblablement que d’autres consultations soient menées. Le gouvernement devra s’en acquitter de bonne foi s’il souhaite que le projet aille de l’avant. Du reste, il devra tenir compte du résultat de ces consultations et, au besoin, mettre en œuvre les accommodements nécessaires.

Présentement, nous sommes en train de spéculer sur une décision de la cour qui pourrait venir ou ne pas venir. Le point de vue du gouvernement — certainement celui qu’il a énoncé —, c’est qu’il s’est investi et qu’il a mené des consultations exhaustives. Le gouvernement a tenté de tirer des leçons de la décision au sujet de Northern Gateway et du jugement rendu dans ce dossier afin d’améliorer le processus de consultation qui a été mené sur ce projet. Il est possible que le gouvernement gagne ces procès. Cela reste à voir. Tout dépend de l’évaluation que la cour fera de la preuve qu’on lui présentera.

Le sénateur Sinclair : Oui. Vous ne les avez pas encore gagnés.

Dans l’affaire Carrier Sekani à laquelle vous avez fait allusion et dans l’affaire Clyde River que vous avez également citée dans vos documents, les tribunaux semblent dire que jusqu’à ce que les consultations aient été menées à terme ou que les Premières Nations concernées aient donné leur consentement — que ce soit l’un ou l’autre —, si les consultations ne sont pas encore terminées, le projet ne peut pas être considéré comme étant dans l’intérêt du public. Êtes-vous d’accord avec cela?

M. Newman : Les tribunaux ont effectivement affirmé qu’un projet ne devrait pas commencer avant que les consultations soient terminées, bien que d’autres consultations puissent avoir lieu durant la construction. Je pense que c’est une chose positive qui a une incidence sur certains aspects du déroulement du projet.

Une consultation suffisante en ce qui a trait à l’approbation du projet doit avoir lieu avant que le projet ne soit approuvé et mis en œuvre. Cela dit, cette évaluation appartient au premier chef au gouvernement et elle peut être contestée devant les tribunaux. Si le gouvernement estime avoir mené ladite consultation, il peut donner le feu vert à la mise en chantier du projet sans recourir systématiquement à une audience.

De nos jours, au Canada, l’obligation de consulter se manifeste plusieurs centaines de milliers de fois tous les ans. Dans la plupart des cas, avec une bonne consultation, les projets vont de l’avant sans controverse. Il y a bien sûr des occasions où les efforts de consultation devraient être critiqués, mais dans beaucoup de cas, les efforts de consultation déployés sont de bonne tenue. Il y a beaucoup d’exemples d’ententes qui ont été conclues avec les communautés autochtones. Nous ne pouvons pas avoir une audience à tous les coups, et les gouvernements ont le droit d’aller de l’avant, sous réserve, bien entendu, d’une possible contestation judiciaire. Lorsque cela se produit, il est très important que ces contestations soient instruites et tranchées.

Le sénateur Sinclair : Je suis peut-être le seul membre du comité qui souhaiterait poursuivre cette conversation jusqu’à plus soif.

En ce qui concerne la mesure dans laquelle il pourrait encore rester une compétence provinciale malgré la déclaration que ce projet de loi semble autoriser, je crois que dans une affaire comme celle d’Ontario Hydro, par exemple, la Cour suprême du Canada a imposé des limites importantes au pouvoir qu’avait le gouvernement fédéral de réglementer et de contrôler les travailleurs de l’industrie — et seulement ceux-là — qui travaillaient au nom d’Ontario Hydro à la composante nucléaire du projet en cause. Or, ces limites n’ont pas nécessairement eu d’incidence sur les autres travailleurs du projet qui n’avaient pas à toucher à cette composante nucléaire. Dans le cas qui nous intéresse, avez-vous des observations à formuler quant aux limites de la compétence fédérale et à la possibilité d’une application soutenue de la compétence provinciale?

M. Newman : Merci d’accorder une telle place aux questions qui concernent les Autochtones, car elles sont essentielles pour continuer à attirer l’attention ici.

En ce qui concerne la décision Ontario Hydro, je dirais qu’il s’agissait d’une décision complexe. La décision s’est prise à trois contre trois contre un, ce qui n’annonce jamais rien de bon quant à la clarté de la décision. J’ai lu la combinaison des deux jugements presque au complet pour comprendre que les conséquences du recours au pouvoir déclaratoire dépendent des intentions particulières énoncées dans la loi en question. Dans l’exemple que nous fournit cette affaire, les effets étaient assujettis à certaines limites.

Dans le projet de loi S-245, on pourrait dégager une intention de plus grande portée. Quelqu’un pourrait y percevoir une volonté d’écarter davantage la compétence provinciale autrement applicable au profit de la compétence fédérale.

Cela dit, cet aspect du projet de loi serait plus clair si l’on y ajoutait certaines dispositions. Ces dispositions n’auraient pas nécessairement besoin de prendre la forme de celles que j’ai incluses dans mon mémoire, mais il faudrait quelque chose pour mieux asseoir la compétence fédérale dans ce domaine. Dans le contexte du projet, il y aurait lieu d’accorder une plus grande place à la doctrine de la prépondérance fédérale. En cas de conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale, même dans les situations où le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial auraient tous les deux le droit de légiférer, la doctrine de la prépondérance fédérale dit que, dans la mesure du conflit, la législation fédérale est prioritaire et la loi provinciale est par conséquent non opératoire.

Dans mes récents écrits au sujet de Trans Mountain, c’est le type d’approche législative que j’ai préconisé. Si le gouvernement fédéral veut asseoir son pouvoir, il devra être très clair au sujet de cette question des rapports entre lui et les provinces. Bien entendu, cela n’a rien à voir avec les questions découlant de l’article 35, qui viennent s’ajouter aux autres problèmes d’ordre juridique.

Le sénateur Sinclair : Je trouve cela tout à fait captivant.

La vice-présidente : Vous m’en voyez ravie.

Le sénateur D. Black : Monsieur Newman, merci beaucoup de votre disponibilité et pour le travail de précision que vous avez fait pour nous aider.

D’après ce que je comprends des propos de mon distingué collègue, le sénateur Sinclair, c’est que, selon lui, la consultation n’est pas terminée tant qu’il n’y a pas de consentement. Êtes-vous d’accord avec cela?

M. Newman : Je ne sais pas si c’est vraiment ce qu’il a voulu dire. Ce n’est pas ce que j’ai perçu dans ses questions de tout à l’heure.

Le sénateur Sinclair : C’est une question intéressante.

M. Newman : S’il formulait une telle assertion ou si quelqu’un d’autre formulait cette assertion, je dirais que le consentement semble bel et bien être en mesure de remplacer les consultations. L’obtention d’un consentement peut se substituer au besoin de consulter. C’est la structure dans laquelle nous fonctionnons dans le contexte des ententes sur les répercussions et les avantages qui se négocient de façon courante entre l’industrie et les communautés autochtones. Il y a une référence à cette idée dans l’arrêt Tsilhqot’in rendue par la Cour suprême du Canada en 2014 : s’il y a consentement, cela résout effectivement toutes les questions.

Rien dans ce que la Cour suprême du Canada a dit jusqu’ici n’indique que le consentement est l’exigence d’une consultation, sauf peut-être dans des circonstances très limitées. Le consentement est l’exigence standard lorsqu’il s’agit d’un territoire visé par un titre ancestral autochtone, ce qui n’est pas surprenant. Lorsqu’il est établi qu’une personne possède des terres, la norme habituelle pour que quelqu’un d’autre puisse s’en servir serait le consentement. À l’exception de ce cas de figure, rien n’indique que le consentement soit la norme générale. Les consultations se suivent, mais ne se ressemblent pas. Il est difficile d’en définir les exigences sous-jacentes. Le droit canadien actuel ne semble pas faire état d’une exigence de consentement.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup, monsieur Newman.

La vice-présidente : Y a-t-il d’autres questions ou observations?

Le sénateur Sinclair : Je suis tenté. Je peux vous garantir que vous allez entendre parler de cela abondamment au cours des séances à venir. Demain, nous entendrons un groupe d’experts composé de dirigeants des Premières Nations. Ils vont aborder cette question. De façon générale, il faut s’attendre à ce que le consentement soit l’un des enjeux dont ils voudront parler.

Avez-vous entendu parler de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de l’appui du Canada à cet égard?

M. Newman : Oui, je suis au courant.

Le sénateur Sinclair : D’un point de vue constitutionnel, quelle incidence cet appui peut-il avoir, pour peu qu’il en ait, sur l’état actuel du droit au Canada?

M. Newman : Ce n’est pas la première fois que le Canada donne son appui, bien entendu. Il y a eu un appui partiel, en 2010, puis des appuis subséquents plus récemment, en 2015 et 2016. Ces appuis ont été formulés, dans une certaine mesure, en termes moins mitigés — ou du moins, réputés l’être —, bien que certaines parties de la formulation de l’appui de 2016 ne disaient rien sur le fait que cela se faisait encore en conformité avec la Constitution du Canada.

En termes généraux, ces appuis n’ont en eux-mêmes aucun effet particulier sur le plan juridique. Ils constituent bel et bien un engagement de la part du Canada. Si l’on s’éloigne du contexte constitutionnel pour se rapprocher des politiques proprement dites, des questions se posent quant à la façon dont le gouvernement entend procéder pour se conformer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Un autre projet de loi est actuellement devant le Parlement au sujet de cette déclaration. C’est le projet de loi C-262. L’adoption de ce projet de loi aura assurément une incidence sur le statut accordé à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Cependant, pour le moment, une description du droit actuel indiquerait que cette déclaration des Nations Unies n’a pas encore été intégrée au droit constitutionnel canadien. Elle a été évoquée à la Cour suprême du Canada dans bon nombre des affaires récentes concernant l’article 35, mais la cour n’y a jamais fait allusion. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le fera pas dans l’avenir, ce qui modifierait ma façon de décrire la loi. Or, pour le moment, je dirais que cette déclaration ne semble pas faire partie du droit canadien.

C’est une question complexe. L’espace qu’occuperait la déclaration est une question complexe et il est facile de comprendre pourquoi il y a autant de revendications qui tournent autour d’elle. Vous connaissez mieux que quiconque les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation à cet égard. Il se pourrait que cela modifie le droit canadien au cours des prochaines années, mais dans l’état actuel des choses, je dirais que cela ne s’est pas encore produit.

Le sénateur Sinclair : Comme je l’ai indiqué, je pourrais continuer d’intervenir jusqu’à plus soif, madame la présidente, mais je suis disposé à suivre votre exemple si vous le souhaitez. Si vous désirez conclure à ce stade, cela ne me pose pas de problème.

La sénatrice Galvez : Nous avons encore du temps.

La vice-présidente : Nous avons effectivement encore du temps. Souhaitez-vous poser une autre question ou formuler une autre observation?

Le sénateur Sinclair : Je souhaite reprendre l’argument que vous venez de faire valoir et qui est lié à la conciliation des intérêts en jeu en ce moment. Si vous tenez compte des intérêts de la société responsable du pipeline, de ceux des peuples autochtones appuyés par la déclaration des Nations Unies et du fait que le Canada a pris la décision politique d’appuyer la déclaration des Nations Unies, comment pensez-vous que ce dossier sera réglé?

M. Newman : Eh bien, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre, bien sûr.

Le sénateur Sinclair : C’est la raison pour laquelle je pose ces questions.

M. Newman : J’aurais tendance à éviter de formuler le problème de cette façon. Je ne crois pas que ces intérêts devraient être présentés en opposant ceux du Canada à ceux des peuples autochtones en vertu de la déclaration. J’estime qu’il doit encore y avoir une façon de respecter les droits des Autochtones, qui représentent un élément très important, en servant les intérêts nationaux et du public. Très franchement, je pense que différentes personnes pourraient émettre différents jugements selon leur opinion de certains aspects de la déclaration et de sa relation avec les événements survenus.

Pour être parfaitement honnête, l’interprétation juridique de certains des principaux aspects de la déclaration n’est pas encore claire. Par exemple, dans la déclaration, il est question d’un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il y a au moins trois différentes tendances quant à l’interprétation du principe de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans le contexte de la mise en valeur des ressources naturelles.

Je crois comprendre que le ministère de la Justice pourrait fournir un avis à ce sujet dans le contexte des audiences organisées dans le cadre de l’étude du projet de loi C-262, au cours de la prochaine semaine ou des prochaines semaines. Il sera intéressant d’entendre ce que le ministère de la Justice dira à propos de son interprétation du principe de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le contexte canadien.

Il y a un grand nombre de complications à cet égard. Je ne voudrais pas tenter d’évaluer d’une manière désinvolte la question de savoir comment interpréter l’intérêt national compte tenu de la déclaration. Toutefois, j’estime que c’est une question à laquelle le Parlement doit carrément faire face dans le cadre de cette étude. L’interprétation globale de l’intérêt national doit tenir fortement compte de l’engagement politique du Canada à cet égard.

Le sénateur Sinclair : Merci, monsieur. Merci, madame la présidente.

La vice-présidente : Si personne d’autre ne souhaite formuler des observations, je vais vous remercier infiniment, monsieur Newman, d’être venu aujourd’hui.

Honorables sénateurs, au cours de la séance de demain, nous continuerons sur le même thème. Nous recevrons le chef Ian Campbell de la nation Squamish de la Colombie-Britannique, et le chef Nathan Matthew, de la Première Nation Simpcw, qui se trouve à la fois en Colombie-Britannique et en Alberta — elle est établie principalement en Colombie-Britannique, mais une partie de son territoire est située également en Alberta.

J’aimerais aussi rappeler aux membres du comité que nous sommes censés procéder à l’étude article par article du projet de loi S-245 demain, après avoir entendu le groupe d’experts autochtones. Si vous avez l’intention de proposer un amendement au projet de loi, il est recommandé que vous obteniez l’avis du Bureau du légiste pour faire en sorte que votre amendement soit rédigé dans le format qui convient et dans les deux langues officielles. Il serait aussi utile que vous fassiez parvenir votre amendement au greffier du comité à l’avance, afin qu’il apporte un nombre suffisant de copies à la réunion.

Cela dit, merci, honorables sénateurs, et merci, monsieur Newman.

(La séance est levée.)

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