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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 51 - Témoignages du 16 avril 2019 (séance de l'àprès-midi)


PRINCE RUPERT, le mardi 16 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, à qui a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui, à 13 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, ou Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers.

Nous avons l’honneur d’être à Prince Rupert cet après-midi afin d’entendre les déclarations de témoins sur le projet de loi, et, avant de commencer, je demanderai à tous les sénateurs de se présenter. Je ne sais même pas si nous sommes tenus de le faire. Nous n’avons pas de télévision, ici, alors tout va bien. Ce n’est pas une mauvaise idée. Commençons par la gauche.

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Dasko : Sénatrice Donna Dasko, de Toronto.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le président : Et je suis le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan.

Cet après-midi, nous accueillons John Helin, maire de la bande des Lax Kw’alaams; Alexander Fred Campbell, chef héréditaire Smooygit Gitxoon; Russell Mather, chef héréditaire Nisawaap; et Jack White, aîné, Lax Kw’alaams.

Nous allons commencer par M. Helin.

John Helin, maire, bande des Lax Kw’alaams : Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs sur notre territoire traditionnel. Nous sommes là depuis des milliers d’années et nous ne partirons pas. Or, quelque chose comme cette interdiction touchant les pétroliers qui nous a été imposée... vous savez, nous vivons de la terre et de la mer depuis des milliers d’années. Nous avons dans notre collectivité une flotte de pêche qui ne nous permet plus de gagner notre vie. Alors, quand des portes se ferment devant nous, nous devons étudier toutes les possibilités qui se présentent.

Et ce n’est pas moi qui prendrai une décision à l’égard de tout projet proposé dans l’avenir. Ce sera mes membres. C’est à eux que ces projets seront présentés.

Nous entamons des poursuites, et notre histoire est reniée. Nous regardons ce qui se passe partout au Canada, et nous avons l’impression d’être exclus de cette région du monde.

Je suis allé bien des fois à Ottawa, pour comparaître devant divers comités, et tout ce que je dis semble tomber dans l’oreille de sourds. Nous avons dans notre collectivité une usine de transformation du poisson que nous avons de la difficulté à soutenir, et nous possédons la plus grande flotte de pêche de la côte qui ne permet plus aux gens de gagner leur vie. Des règlements sont imposés, sans que nous soyons consultés.

Le premier ministre parle de réconciliation, d’autodétermination. À mes yeux, ces mots sont tout simplement vides de sens, quand on nous impose quelque chose comme une interdiction. À un certain moment, nous devons nous lever et dire : « Ça suffit! »

Nous voulons gagner décemment notre vie sur nos territoires traditionnels et, depuis toujours, nous le faisions grâce à la pêche et à la foresterie. Notre peuple gagnait décemment sa vie. Maintenant, il ne le peut pas. Alors, que sommes-nous censés faire? Pendant combien d’années, dans nos collectivités... les logements insalubres, tous les problèmes sociaux qui s’y rattachent, voilà pourquoi nous nous battons, mais on dirait que personne ne nous écoute.

Je vais souvent à Ottawa, et j’en reviens en me grattant la tête. Nous sommes exclus, sur la côte Ouest, surtout ici, parce que nous n’avons pas le poids politique qu’avaient ou ont d’autres provinces. Et si je regarde autour de la table... où sont les sénateurs de la Colombie-Britannique?

Nous avons enfin un ministre des Pêches de la Colombie-Britannique, que nous n’avons pas encore rencontré. J’en ai rencontré deux des précédents, et j’avais formulé un argument selon lequel nous devrions obtenir l’accès à des quotas de pêche de qualité. Cela ne nous amène nulle part. Ce sont les riches qui s’enrichissent et les pauvres qui s’appauvrissent, et nous sommes pauvres.

Voilà ma déclaration préliminaire, et je vous remercie de m’avoir écouté.

Le président : Merci.

Monsieur Campbell, voulez-vous prendre la parole?

Alexander Fred Campbell, chef héréditaire Smooygit Gitxoon, à titre personnel : Merci beaucoup.

Je suis le chef héréditaire Smooygit Gitxoon, et je détiens ce titre depuis 30 ans, en tant que chef de mon peuple. Au fil de ces années, j’ai vu les changements qui se produisent dans nos régions, sur nos territoires, chez nous, dans la province.

Je travaille dans une école depuis 22 ans. C’est une école secondaire. J’enseigne la langue et la culture, et je vois que les temps sont durs pour beaucoup de nos élèves et de nos gens.

Il est difficile et déchirant de voir que nos propres gens n’ont plus d’emploi. Ils n’ont nulle part où aller. Ils s’habituent à recevoir l’aide du gouvernement, qui est loin d’être suffisante pour leur permettre de payer leur loyer ou de s’acheter de la nourriture ou des vêtements.

J’observe cette situation depuis 20 ans, et, maintenant, nous parlons de l’avenir. Je parle de l’avenir de mon peuple. Que va-t-il lui arriver, si ce régime demeure en place?

Ce que je veux déclarer aujourd’hui, c’est que je n’appuie pas le projet de loi C-48, le moratoire. Je veux qu’il soit retiré, et je veux voir nos gens venir travailler et retrouver leur identité. Nous ne continuerons pas à vivre de l’aide sociale et à chercher ailleurs pour trouver des vêtements et de la nourriture pour notre peuple.

Si le projet de loi C-48 reste en place, je vois venir des difficultés considérables. Voilà par quoi je dois commencer, ici, et je vous remercie infiniment d’avoir écouté.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Campbell. Monsieur Mather, voulez-vous prendre la parole?

Russell Mather, chef héréditaire Nisawaap, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs. Comme vous le voyez, je m’appelle Russell Mather, de Lax Kw’alaams. Je peux nommer toutes les personnes qui ont porté le nom avant moi au cours des 400 dernières années. Je suis né dans la tribu; il n’y a eu absolument aucune adoption. Ainsi, j’ai le droit de m’autoproclamer chef héréditaire, parce que mes deux parents sont des Tsimshian pur sang. Il n’y a aucun métissage là-dedans.

J’ai écouté les intervenants, ce matin, et ils ont soulevé de très bonnes questions, mais mon petit-fils aîné, qui fait environ six pieds et trois pouces, a eu le privilège de se rendre aux Bahamas pour travailler à bord de remorqueurs de pétroliers. Il affirme qu’ils sont entièrement équipés et qu’il n’y en avait pas qu’un; plusieurs bateaux étaient prêts à partir à tout moment pour aller aider un pétrolier, où que ce soit.

Alors, de mon point de vue, quand je constate ce qui se passe ici, sur notre territoire, les intervenants précédents ont déclaré que beaucoup de tort avait été causé. Il n'y a pas d’argent, pas d’emplois. Les jeunes sont réellement en train de le payer cher. J’ai de la peine pour eux, et je me suis adressé à eux auparavant pour leur demander leur point de vue à ce sujet. Ils ont dit : « Faisons-le. Passons à l’action. Nous sommes cassés. » Il n’y a pas d’emplois. La conserverie a cessé ses activités, et, quand le saumon arrive, on nous impose beaucoup de restrictions.

Ce matin, j’ai entendu parler de l’erreur humaine. Ce sont les responsables du ministère des Pêches qui ont perturbé la pêche sur la côte. Ils ont vraiment tout gâché. J’avais un ami qui travaillait pour eux, il y a quelques années, à réévaluer les ruisseaux, à surveiller tous les débris qu’ils contiennent. Il a rédigé un rapport, l’a présenté, et rien ne s’est produit. De gros arbres empêchaient le saumon de passer. Le ministère a tout simplement négligé le problème.

Ces gens récoltent le poisson, prennent les œufs et jettent la carcasse, ou bien ils la congèlent, si elle est assez bonne pour tenir lieu d’appât de pêche au flétan. J’ai parlé à un pêcheur de flétan. La somme qu’il payait pour la carcasse d’un saumon kéta était plus élevée que celle qu’il touchait en retour.

Alors, voilà dans quelle mesure notre industrie de la pêche est corrompue, et la situation ne s’améliore pas. Tous les changements qu’on nous a imposés, nous avons dû les payer de notre propre poche. Ainsi, je ne vois rien de mal à cela. Cela va fonctionner. Si on y réfléchit, cela fonctionnera. Dominez la situation à tous les égards.

Quant à moi, je dirais : « Oui, allons-y, faisons-le ». Cela ne prend pas la tête à Papineau pour venir dans le Nord-Ouest et voir la souffrance dans les villages et dans les districts environnants. Ils n’ont pas grand-chose. Ils ont tous déjà été des villages de pêche. Simplement en descendant la colline à pied, ici, sur la troisième avenue, j’ai compté 15 entreprises fermées, vides. Elles n’ont pas réussi à s’en sortir.

Alors, voilà à quel point c’est difficile. Voilà le coup dur qui a frappé le Nord-Ouest. Je suis favorable au projet de loi. Donnons-lui une chance. Essayons-le. L’erreur est humaine, mais nous devons dominer cette situation; et je vous remercie, tout le monde.

Le président : Merci.

Monsieur White, vous avez la parole.

Jack White, aîné, Lax Kw’alaams, à titre personnel : Bonjour. Je m’appelle Jack White. Je prends la parole en ma qualité d’aîné.

Je suis devenu pêcheur à l’âge de 16 ans, dans les marécages, pour la conserverie Cassiar. Je vais vous montrer une photographie pour que vous puissiez voir la différence de 1950 à aujourd’hui, en guise d’exemple. Au début des années 1950, nous avions les conserveries Carlisle, Cassiar, Sunnyside, NP et Inverness. Ensuite, la pêcherie des frères Nelson est arrivée à Port Edward, puis JS McMillan, à Prince Rupert, ici, ainsi que la Canadian Fishing Company.

Je pêchais quand j’étais jeune et, au fil des ans, je me suis souvent demandé comment on en était arrivé à la situation d’aujourd’hui, où on ne peut rien faire sur le bord de l’eau sans le consentement du gouvernement, des pêches, du MPO. Toutefois, au début des années 1950, nous avions la conserverie Sunnyside et NP, des barges flottantes, ainsi qu’Inverness, ici, à Prince Rupert. À Lax Kw’alaams, on avait le camp des frères Nelson et une barge gazière. Cassiar Cannery était une barge gazière.

Dans les années 1950, il y avait une énorme quantité de saumon rouge. Les récoltes étaient très importantes. Durant ces années, les gens de Kitkatla et de Hartley Bay, ainsi que les Gitxsan et les Nisga’a... tous ces gens avaient un emploi, à cette époque. C’était une industrie de très grande envergure.

Alors, si on fait une comparaison avec la situation d’aujourd’hui, nous n’avons qu’une conserverie, Canadian Fish. Une à Lax Kw’alaams. Il y a un terrible, terrible... quelque chose ne tourne pas rond avec la côte Ouest. Je regarde la chaîne 390 à la télévision, et le pétrole, le GNL... nous n’en avons pas, ici, mais quelque chose ne tourne assurément pas rond avec l’eau. Où est passé le saumon?

L’autre élément que je veux souligner aujourd’hui, c’est qu’il y a beaucoup de débats, à la télévision, au sujet du pétrole, du GNL. Qu’allons-nous faire sans ces combustibles? Nous devons utiliser du pétrole, de l’essence, dans nos voitures, pour faire fonctionner le moteur. C’est une question sur laquelle il faut se pencher. Sans essence, rien ne fonctionnera.

Cela m’amène à réfléchir, quand je vois des gens des Premières Nations, dans les territoires, là-bas, bloquer des projets qui traverseraient leur territoire. Par contre, ils mettent du carburant dans leur voiture afin de se rendre là où ils veulent aller.

Vous savez, à l’âge de 16 ans, quand j’ai commencé à pêcher, mon père m’a donné mon premier bateau. J’ai pêché jusqu’à ce que je subisse mon arthroplastie du genou. Je suis tombé dans le bateau deux fois, puis j’ai dit : « Ça suffit. » Avant de monter à bord, je ne savais pas nager, mais je faisais très attention à bord du bateau. Mon père m’a enseigné tout ce que je savais.

Alors, voilà l’histoire de la côte Ouest, comment c’était dans les années 1950. Je me rappelle que ma mère se rendait à la conserverie North Pacific. On utilisait un gros bateau de transport pour y amener les gens.

Le président : Nous en sommes maintenant à environ six minutes, alors, nous avons en quelque sorte dépassé le temps dont nous disposions.

M. White : D’accord.

Le président : Est-ce que cela vous va? D’accord.

Monsieur Bryant, voulez-vous prendre la parole?

George Bryant, tribu Gitwilgyoys, à titre personnel : Je m’appelle George Bryant. J’accompagne notre aîné. L’un des sujets que je voulais aborder, c’est le projet de loi C-48. En 2016, à Lax Kw’alaams, nous avons tenu un vote sur le GNL, et 65 p. 100 des gens ont voté en faveur de son exploitation. Ils ont voté pour le changement.

Nous sommes dotés d’un bon programme environnemental, mais l’une des choses que j’entends...

Le président : Monsieur Bryant, vous ne figurez pas sur la liste des témoins. Je suis désolé, je pensais que c’était le cas. J’avais MM. While, Helin, Campbell et Mather. Alors, nous allons nous en tenir à cela.

Madame Miville-Dechêne, vous avez la parole.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie, monsieur le président.

J’ai une question à poser à M. Helin. Évidemment, plus tôt aujourd’hui, nous avons entendu le témoignage de certains chefs héréditaires, alors nous savons et constatons que votre communauté est divisée, et je l’ai lu également. J’ai deux ou trois questions à poser. Tout d’abord, comment tiendrez-vous vos consultations? Songez-vous à un référendum? Comment pouvez-vous consulter les Lax Kw’alaams afin de savoir quelle est réellement leur position à l’égard de la question?

Nous avons parlé à votre frère, le vice-président d’Eagle Spirit, je crois. Alors, où serait le terminal? De quel port le pétrole partirait-il? Parce que vous avez un port, mais je ne pense pas qu’il soit assez profond. Et qui finance Eagle Spirit?

Alors, je vous pose quatre questions.

M. Helin : Eh bien, pour commencer, je ne suis pas là pour représenter Eagle Spirit. Je comparais à titre de maire élu de la bande.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord.

M. Helin : Et ensuite, dans les années 1970, le gouvernement libéral a mené une étude sur les ports de la côte Ouest de la Colombie-Britannique, et le meilleur était celui à Lax Kw’alaams, à Prince Rupert. Le pire était celui de Burnaby. Alors, voilà le résultat de cette étude.

J’oublie vos autres questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : La première était : comment tiendrez-vous vos consultations ou consulterez-vous, au moyen d’un référendum ou quoi que ce soit, vos gens pour connaître leur point de vue? Parce qu’ils sont manifestement divisés.

M. Helin : Oui, et il y aura toujours une division. Je ne peux pas tout contrôler, mais je peux faire de mon mieux pour procurer aux membres les meilleures informations et tenir un référendum sur tout grand projet proposé. Actuellement, il n’y en a aucun, alors, tant qu’aucun projet ne se concrétisera... George vient tout juste de parler du projet de GNL au sujet duquel nous avons dû procurer les bons renseignements à nos membres et qui a fait l’objet d’un référendum. Je pense qu’il en a ressorti que 67 p. 100 étaient en faveur de la mise en œuvre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Et pas encore de référendum sur le pipeline d’Eagle Spirit?

M. Helin : Eagle Spirit n’est qu’une proposition. Ce n’est rien, pour l’instant. Tant qu’il ne s’agira pas réellement d’un projet, on ne peut rien en faire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le président : Sénatrice Simons, vous avez la parole.

La sénatrice Simons : Plus tôt aujourd’hui, nous avons entendu le témoignage de membres de votre propre nation et de résidants de la côte et de Haida Gwaii, qui ont parlé avec passion de leurs craintes à l’égard de la possibilité que la circulation des pétroliers puisse détruire la pêche. Pas seulement à cause du risque de déversement, mais aussi à cause de l’ajout de 500 navires-citernes qui exerceraient des tensions sur les réseaux hydrographiques.

Vous êtes nombreux à avoir parlé passionnément de ce qui est arrivé à la pêche. Alors, je me demande, que nous diriez-vous et que diriez-vous à vos propres gens au sujet de leurs craintes à l’égard de la possibilité que les pétroliers puissent détruire l’écosystème qui subvient à vos besoins à tous?

M. Helin : Eh bien, on en revient au fait de procurer aux gens les bonnes informations concernant ce qui est proposé. Et, actuellement, à ce que je sache, il n’y a rien.

Le fait que le moratoire nous est imposé, sans que nous ayons été consultés...

La sénatrice Simons : Je pense que ces personnes estimaient avoir été consultées.

M. Helin : Qui? Je vous demande toutefois, qui? Je suis l’élu, et je n’ai pas été consulté. Je voudrais que mes membres et moi-même soyons consultés, de façon significative.

Le président : Sénateur Patterson, vous avez la parole.

Le sénateur Patterson : Monsieur Helin, je crois que l’étude à laquelle vous faites allusion s’intitule Potential Pacific Oil Ports: A Comparative Environmental Risk Analysis Report, de Pêches et Environnement Canada. Je voulais simplement le déclarer officiellement; je pense qu’il s’agit de l’étude à laquelle vous faites allusion, qui porte sur les ports pétroliers en eaux profondes.

M. Helin : Oui.

Le sénateur Patterson : Vous parliez de consultations et du fait que les gens de votre collectivité prendraient la décision. Un projet de loi est maintenant soumis à l’étude du Sénat; on l’appelle le projet de loi C-69, et il établit tout un nouveau processus environnemental. Par ailleurs, monsieur le président, je veux le mentionner parce qu’il exigerait qu’un port en eaux profondes, comme celui qui pourrait être proposé sur cette côte nord, ou qu’un pipeline fassent l’objet d’une analyse rigoureuse et approfondie. Il contient tout un chapitre sur les Autochtones et sur leurs connaissances. Il présente toute une liste de groupes à consulter et à inclure si un tel projet majeur était proposé.

S’agit-il du genre de consultations dont vous parlez, qui seraient requises pour que votre collectivité puisse prendre une décision à l’égard d’une proposition, par exemple à l’égard d’un nouveau port ou d’un nouveau pipeline?

M. Helin : Eh bien, encore une fois, on en revient aux consultations significatives. Je connais bien le projet de loi dont vous parlez. Encore une fois, ce sont des mots. Cela fera-t-il en sorte que le gouvernement discute non seulement avec mon conseil et moi-même, mais aussi avec nos membres et nos chefs héréditaires, pour leur faire comprendre ce qui est proposé? Quel sera le sujet des consultations? Et cela nécessite la tenue d’un dossier de consultation très exhaustif.

Le sénateur Patterson : Je suis déçu d’entendre les histoires que vos collègues et vous avez racontées au sujet du déclin de la pêche, en raison d’une mauvaise gestion, peut-être par le MPO. Je pense qu’il s’agissait d’une chose que vous laissiez entendre.

Alors, les jeunes à qui vous avez parlé, au sein de votre collectivité, qui cherchent de nouveaux débouchés, voient-ils la possibilité de travailler dans l’industrie énergétique, sur la côte, comme une nouvelle perspective pour eux, puisqu’on réduit autrement les emplois dans les métiers traditionnels?

M. Helin : Eh bien, par exemple, le nom de plus de 3 800 personnes figure sur la liste des membres de notre bande, et environ de 700 à 800 vivent dans la réserve, au village; plus de 1 000 vivent à Prince Rupert et les autres sont dispersés partout dans le monde. La plupart de nos jeunes vivent loin de la collectivité parce qu’il n’y a aucun emploi intéressant, là-bas. On y retrouve une usine de transformation du poisson qui emploie jusqu’à 100 personnes annuellement, mais notre flotte de pêche... l’âge moyen de nos pêcheurs est de 60, 65, 70 ans.

Alors, voilà qui témoigne du fait qu’aucun jeune ne veut entrer dans cette industrie, parce qu’il n’y a aucun avenir.

Le président : Monsieur Campbell, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Campbell : Je vous remercie, monsieur le président. Je voudrais simplement revenir aux propos qu’a tenus M. Helin au sujet du fait d’être consulté. Je suis un chef héréditaire au sein de notre tribu, la tribu Gitwilgyoys. C’est au nom de cette tribu que je comparais aujourd’hui. C’est nous.

Je n’ai jamais été consulté d’aucune manière au sujet du...

Le président : Au sujet du projet de loi?

M. Campbell : ... projet de loi 48 qui a été mis en place. Alors, nous ne savons rien à son sujet, et, par conséquent, je dois être consulté, moi aussi, parce que je connais la côte. Je connais les noms de la côte, sur toute la longueur, dans notre langue, et les raisons pour lesquelles on utilise ces noms. Je voulais simplement vous le faire savoir. Merci.

La sénatrice Dasko : Ce matin, nous avons entendu les chefs d’un certain nombre de collectivités tenir des propos semblables à ceux que j’ai entendus aujourd’hui. Ils envisagent une pêche durable. Ils veulent rebâtir cette industrie et en faire la clé de l’avenir pour leurs enfants et petits-enfants, tout comme vous envisagez d’autres possibilités pour vos enfants et vos petits-enfants.

Pour donner suite à la question qu’a posée la sénatrice Simons, ils voient cette pêche menacée par les pétroliers, mais c’est aussi ce qu’ils considèrent, eux aussi, comme étant la clé de leur avenir.

Je voudrais que vous formuliez un commentaire à ce sujet.

M. Helin : Malheureusement, là où certaines de nos collectivités sont situées, c’est le seul avenir que les gens peuvent envisager, car ils ne se trouvent pas à proximité de Prince Rupert ou de Vancouver, ou bien d’un quelconque endroit où ils peuvent se diriger vers un autre domaine. Beaucoup de nos collectivités sont dans des situations d’isolement, et, malheureusement, pour une raison ou pour une autre, il manque de poisson et d’accès à des quotas.

Et c’est ce que je veux dire quand je parle du fait que nos paroles tombent dans l’oreille d’un sourd à Ottawa. Jimmy Patterson a apporté une grande partie de la flotte ici, sur la côte, et quelqu’un a mentionné une conserverie, à Prince Rupert. Il en est le propriétaire. Il l’a fermée. Il a amené ses travailleurs en Alaska, pour des raisons évidentes. Nous restons sur la touche parce que nous n’avons pas accès au quota de flétan, qui vaut beaucoup d’argent. Nous ne pouvons accéder à aucune des diverses espèces qui valent de l’argent.

Alors, la situation est malheureuse pour beaucoup de nos collectivités, vu où elles sont situées.

Le sénateur Smith : Nous avons entendu au cours des dernières séances beaucoup de témoignages sur les projets de loi C-48 et C-69. Je tente d’acquérir une certaine compréhension de ce que signifie le terme « consultation » à vos yeux. J’ai obtenu des réponses très vagues, et ce n’est pas pour les critiquer, mais, si nous voulons obtenir un rendement adéquat à l’avenir, il faut absolument que les parties se comprennent et se fassent confiance.

Comment pouvez-vous tisser un lien de confiance avec les promoteurs, les entreprises, le gouvernement, et cetera? Comment pouvez-vous instaurer cette confiance, afin que vous puissiez être convaincus que vous irez de l’avant et obtiendrez les résultats escomptés pour vous-même et vos gens?

Aujourd’hui, certaines personnes se sont contentées de dire : « Eh bien, nous allons rencontrer des gens. » Mais je pense que cela ne suffit pas. Il faut un plan. A-t-on établi un plan en trois ou quatre étapes qui pourrait, selon vous, être un début pour la tenue de réelles consultations, afin de définir ce que vous entendez par là?

M. Helin : Je pense que je vous répondrais en vous disant que vous devriez apprendre à nous connaître. Toutes les personnes que je rencontre... encore une fois, on s’intéresse beaucoup au GNL. Cet intérêt ne disparaît pas, mais aucun des projets n’est réel. Quiconque veut faire affaire avec nous veut de la certitude, alors plus cette personne propose un projet tôt et plus elle est sérieuse... qu’elle vienne nous rencontrer, et nous ferons notre part pour rencontrer nos membres, afin de les inclure à toutes les étapes, de sorte que nous acceptions ou refusions tous ensemble. Ce n’est pas moi ni un conseil qui donne des ordres, ni personne d’autre. Il s’agit de comprendre ce qui est proposé, de sorte que, s’il s’agit d’un grand projet, nos membres puissent avoir leur mot à dire à son sujet.

Le sénateur Smith : Voudriez-vous décrire à l’intention des responsables de tout tiers, groupe gouvernemental, qui que ce soit, quelles seraient vos attentes dans le cadre du processus de consultation, de sorte qu’ils puissent faire leurs devoirs et vous fournir des renseignements précis afin d’établir ce lien de confiance?

M. Helin : Oui. Je suis très ouvert à ce sujet, et, le plus tôt vous pourrez venir nous rencontrer, nos membres et nous, meilleures seront vos chances de réussir.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre présence et de vos exposés.

Je voulais simplement donner suite à une question qu’a posée ma collègue la sénatrice Miville-Dechêne concernant le projet Eagle Spirit. Il s’agit d’un oléoduc de 16 milliards de dollars s’étendant de l’Alberta à la côte Ouest et, si je ne me trompe pas, j’ai entendu dire que vous êtes vice-président. Vous avez manifestement un intérêt financier dans ce pipeline particulier.

M. Helin : Je dois vous corriger, encore une fois. Il s’agit d’une proposition.

La sénatrice Gagné : C’est une proposition, mais vous avez tout de même un intérêt direct.

M. Helin : Depuis que j’ai été élu à mon poste, je ne siège plus au conseil d’Eagle Spirit. Je ne représente pas Eagle Spirit; j’ai quitté la société.

La sénatrice Gagné : Mais vous en êtes encore le vice-président.

M. Helin : Sur papier, oui.

La sénatrice Gagné : C’est simplement pour clarifier ce point, parce que je relève un conflit d’intérêts apparent, et j’estimais qu’il était important de le souligner.

M. Helin : Avant la dernière élection, j’ai clairement dit aux membres que j’appuyais le projet d’Eagle Spirit. Les gens le savaient, et j’ai été élu. Je n’ai rien caché.

La sénatrice Gagné : D’accord, merci.

Le président : Sénateur MacDonald, vous avez la parole.

Le sénateur MacDonald : Il a fallu un certain temps à Air Canada pour me faire venir ici ces deux derniers jours. Il y a beaucoup de brouillard en Nouvelle-Écosse, et donc beaucoup de vols ont été annulés. Je me suis rendu aussi loin qu’à Vancouver, pour finalement atterrir ici aujourd’hui, mais mes bagages sont toujours à Montréal. Cependant, je suis très heureux d’être ici avec vous.

Je veux vous parler en tant que Néo-Écossais, parce, que, sur la côte Est, nous connaissons très bien bon nombre des préoccupations qui sont abordées ici. J’ai grandi dans une collectivité de pêcheurs des plus anciennes. Louisbourg est l’une des plus anciennes collectivités de pêcheurs en Amérique du Nord, avec des activités de pêche qui remontent à plus de 400 ans. Du côté de ma mère, la famille a pêché pendant des siècles. Les membres de la famille de mon père ont été marins — marins marchands et capitaines — pendant des siècles. Je connais donc très bien ces deux dynamiques et les ai vues à l’œuvre dans ma propre famille et dans ma propre collectivité.

Du côté de Terre-Neuve, les Grands Bancs de Terre-Neuve sont l’une des meilleures zones de pêche au monde. Les habitants ne veulent pas renoncer à leur pétrole, et ils ont dit très clairement qu’il est possible de produire du pétrole directement à partir des Bancs et de continuer à pêcher, et ce, en toute sécurité.

Il s’agit de faire preuve de bon sens et de savoir gérer le risque.

Lorsque je viens dans ce coin du pays, je vois des gens qui meurent d’envie d’être embauchés et de voir du progrès. Nous avons un très grand pays, qui semble aller à l’encontre de son propre intérêt, parfois. Si l’Alaska a été en mesure de construire un pipeline partant de la mer de Beaufort et traversant l’État au plein milieu il y a 50 ans, je suis sûr que nous pouvons en construire un de l’Ouest canadien vers la côte Ouest ici, et je pense que nous pouvons le faire en toute sécurité.

Ce que je veux dire, c’est que les gens doivent garder leurs esprits. On pense qu’il est impossible de maintenir une pêche traditionnelle tout en exploitant les ressources du pays. Je pense que c’est facile à faire avec une bonne planification. Bien sûr, nous avons besoin d’une équipe d’intervention en cas de déversement.

Le président : Veuillez en venir à votre question, sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : J’ai deux jours de questions qui s’en viennent.

Le président : La seule excuse que vous avez, c’est que vous n’étiez pas ici ce matin à cause d’Air Canada; je vais donc être indulgent avec vous, mais après cela, vous devez vous y mettre.

Le sénateur MacDonald : Des gens raisonnables peuvent certainement s’asseoir de ce côté-ci du pays. Notre pays est vaste et nous devons tous travailler ensemble. Des gens raisonnables peuvent s’asseoir pour examiner ces deux questions et trouver un compromis et faire en sorte que les deux côtés et le pays puissent gagner. Parce qu’il y a beaucoup en jeu.

Quand vous parlez aux gens qui s’opposent à un tel projet, pouvez-vous trouver un terrain d’entente avec eux?

M. Helin : Je ne sais pas. Vous pouvez entendre les commentaires des gens derrière moi. Vous parlez de gens raisonnables. Malheureusement, bon nombre de personnes ne sont pas ouvertes d’esprit, et vous ne pouvez donc pas les faire changer d’avis.

Le sénateur MacDonald : Eh bien, elles n’ont pas besoin d’avoir l’esprit ouvert, cependant...

[Interruption d’un membre de l’auditoire.]

Le président : Il ne s’agit pas d’un jeu télévisé. Ce que nous essayons d’obtenir ici, ce sont des renseignements et des témoignages, et nous allons faire de notre mieux. Veuillez laisser M. MacDonald poser sa question et M. Helin y répondre. Merci.

Allez-y, sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez ajouter, monsieur Helin?

M. Helin : Non.

Le sénateur MacDonald : Je dis simplement que les questions dont nous discutons ici sont traitées depuis des décennies, des siècles, sur la côte Est du Canada, et que nous avons été en mesure de les gérer de façon assez intelligente.

La baie de Fundy a les marées les plus fortes et les plus hautes au monde, et le pétrole entre dans la baie et en sort constamment.

Le président : Sénateur Cormier, vous avez la parole.

Le sénateur Cormier : J’essaie de comprendre votre position ici, parce que le gouvernement fédéral n’a pas tenu de consultations. Je crois comprendre qu’il faut tenir de solides consultations avec toutes les collectivités.

Vous êtes contre le projet de loi, mais vous dites en même temps qu’il n’y a pas de projet, que le projet Eagle est une proposition. Alors, que dites-vous à vos membres qui sont en faveur du projet de loi parce qu’ils souhaitent protéger leur mode de vie et préserver l’environnement? Quelles retombées concrètes pouvez-vous leur nommer afin de les rassurer, en disant que, si on va à l’encontre du projet de loi, on aura beaucoup d’emplois, des emplois pour les jeunes? Avez-vous des chiffres?

Si je faisais partie de votre collectivité, voilà la réponse que j’attendrais. À l’heure actuelle, je n’arrive pas à comprendre, en excluant le fait qu’il n’y a pas eu de consultations, pourquoi vous êtes contre. J’aimerais donc vous entendre à ce sujet, s’il vous plaît.

M. Helin : Je crois que cela nous ramènera à ma déclaration préliminaire, où je parlais de quelqu’un qui vous ferme la porte au nez sans même vous parler. Tout le monde parle de la pêche dans notre collectivité, mais il est désormais impossible de gagner sa vie de cette façon. Vous devez évoluer. Rien n’est concret là-dedans, par rapport au pétrole ou au gaz, à l’heure actuelle. Vous savez cependant qu’un projet de gaz naturel liquéfié a été proposé ici il y a quelques années; nous avions négocié 2 milliards de dollars en retombées sur les 40 ans de vie de ce projet. Qui d’autre est en mesure de vous donner cela?

Avec le gouvernement fédéral et l’aide financière qu’il nous donne, et avec tous les problèmes sociaux et les problèmes de logement auxquels nous faisons face, il m’est difficile, en tant que leader, d’aller voir les membres et de leur dire : « Ayez l’esprit ouvert. »

Le sénateur Cormier : Ai-je bien saisi ce que vous dites? La pêche est du passé et le pétrole représente l’avenir? Est-ce ce que vous tentez de dire?

M. Helin : Ce l’est actuellement, parce qu’il vous est impossible de gagner votre vie avec la pêche. Cependant, nous n’abandonnons pas. Je ne dis pas qu’il faut renoncer. C’est pourquoi je vais à Ottawa et que je conteste le MPO.

Le président : Pensez-vous que ces deux industries peuvent se côtoyer?

M. Helin : Certainement, oui.

Le président : Merci.

Monsieur Campbell, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Campbell : J’ai quelque chose à ajouter. Je souhaite m’adresser au sénateur.

Comme je l’ai mentionné, je travaille dans une école. Je suis là depuis 22 ans pour être exact. Nous avons beaucoup de diplômés. Les diplômés issus des Premières Nations s’attendent à trouver un emploi. Une fois qu’ils ont obtenu leur diplôme et qu’ils ont terminé l’école, ils n’en trouvent pas. Où peuvent-ils aller? Ils reviennent à l’aide gouvernementale, et vivent de cette façon pour le mois. Ils obtiennent quelques dollars pour leur nourriture, quelques dollars pour leurs vêtements. Je parle des diplômés.

Maintenant, ils vont au collège et à l’université. Il n’y a toujours pas d’emploi, rien. Ils ne peuvent pas aller pêcher. Il n’y a pas de pêche.

C’est pourquoi je suis ici, pour motiver la jeune génération, les jeunes. Je ne parle pas de ce qui va arriver l’année prochaine ou l’année d’après. Je parle des sept prochaines générations, pour commencer. Je les regarde; que vont-ils faire? Où vont-ils aller s’il n’y a pas d’emploi?

Le sénateur Cormier : Je tiens à vous remercier, monsieur, parce que vous enseignez la langue et la culture aux jeunes générations, aux jeunes enfants. Merci beaucoup pour cela. Merci, monsieur le président.

Le président : Il nous reste du temps; je vais donc poser quelques questions.

Monsieur Helin, savez-vous s’il y a eu un processus de consultation dans le cadre du projet de loi C-48 à l’extérieur de votre bande ou, en d’autres mots, avec d’autres bandes? Avez-vous déjà entendu parler d’autres bandes qui ont été consultées par rapport au projet de loi?

M. Helin : Non, je n’en ai pas connaissance. J’ai parlé avec bon nombre de bandes. Nous échangeons beaucoup, et pour autant que je sache, cela n’a pas été le cas.

Le président : Savez-vous si le gouvernement a consulté les collectivités à propos de cette affaire?

M. Helin : Pour autant que je sache, non.

Le président : Sénatrice Dasko, vous avez la parole.

La sénatrice Dasko : Je ne suis dans cette collectivité que depuis une très courte période, mais j’ai parlé à un certain nombre de résidants et j’en ai tiré un portrait très différent de celui qui a été décrit aujourd’hui. J’ai entendu certaines personnes dire qu’il s’agit d’une collectivité qui présente des débouchés formidables à l’heure actuelle dans l’industrie du propane, puisqu’il s’agit du troisième plus grand port. Des gens ont dit qu’il s’agit d’une collectivité prospère avec beaucoup de possibilités d’emplois et de débouchés, et cela entre donc en contradiction avec ce que vous avez dit aujourd’hui par rapport à la collectivité de Prince Rupert.

Pouvez-vous commenter ce que j’ai entendu? Ces renseignements sont-ils erronés? Il me semble que quelqu’un ici a dit s’être promené dans les rues et avoir vu que tous les magasins étaient fermés. Cependant, les gens à qui j’ai parlé me disent également qu’il s’agit d’une collectivité prospère, où il y a beaucoup de débouchés et un très bon potentiel de croissance. Il s’agit d’une véritable croissance, pas seulement d’un potentiel. Je vous demanderais donc de commenter à ce sujet, s’il vous plaît.

M. Helin : Je ne ferai pas beaucoup de commentaires sur Prince Rupert. Bon nombre de nos membres y vivent, nous travaillons avec différentes entreprises dans la région, nous signons des ententes avec elles, et certaines de ces ententes concernent des emplois et des retombées. À cet égard, c’est bien. Nous avons parlé d’AltaGas et de certains emplois au sein du milieu portuaire, ce qui est une bonne chose.

Cependant, vous venez dans ma collectivité et vous voyez les choses de ce point de vue. Je vais revenir sur le gaz naturel liquéfié. En raison des négociations sur le projet à cet égard, il y a maintenant des routes asphaltées dans notre collectivité. Les membres de notre peuple n’étouffent plus en raison de la poussière lorsqu’ils roulent sur ces rues. Nous construisons plus de 100 nouvelles unités d’habitation à Prince Rupert et à Lax Kw’alaams grâce à cela, et nous tirons encore bon nombre de retombées de cette négociation.

Donc, oui, il y a une certaine prospérité, mais dans les villages, c’est différent. Il y a un nombre limité d’employeurs, et vous devez donc chercher ailleurs. Vous devez envisager l’éducation, laquelle est indispensable.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais revenir sur la question de la représentation. Ce matin, nous avons entendu huit chefs héréditaires de Lax Kw’alaams, et j’ai cru comprendre qu’ils sont responsables d’un territoire plus large que celui de Lax Kw’alaams et que vous êtes responsable de la réserve en tant que telle. Acceptez-vous une telle division des pouvoirs?

De plus, si tel est le cas, comment pouvez-vous être certain que Eagle Spirit respectera tout cela? Il y aura des répercussions sur tout votre territoire à l’extérieur de la réserve.

M. Helin : Vous avez une fixation par rapport à Eagle Spirit. Je ne sais pas pourquoi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Eh bien, c’est parce que vous êtes le vice-président. Je comprends que vous tentez de rester le plus possible à l’écart de cela, mais il s’agit d’une partie du débat. Nous tentons de comprendre. Je n’ai pas de fixation.

M. Helin : Il ne s’agit même pas d’un projet.

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons entendu le témoignage de l’autre M. Helin, et il s’agissait d’un projet d’envergure.

Le président : Il tente de se défendre, madame Miville-Dechêne. Donc, laissez-le répondre à la question, et ensuite vous pourrez lui en poser une autre.

M. Helin : Vous savez, lorsque vous parlez de chefs héréditaires et de dirigeants élus, je tente de me tenir loin de cela, puisqu’il y a bon nombre de controverses au sein de notre collectivité, à savoir qui joue quel rôle. Tout ce que je peux dire, en tant que dirigeant élu, c’est que je consulte nos membres par rapport à tout ce qui doit faire l’objet d’une discussion. C’est mon devoir, et c’est ce que je fais.

Le président : Sénateur MacDonald, vous avez la parole.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur le président.

Les statistiques quant au volume de pétrole transporté dans chaque zone montrent que 283 millions de tonnes de pétrole passent par la côte Est du Canada avec succès chaque année. Ce total n’est que de 6 millions de tonnes sur la côte Ouest et de 6 millions de tonnes dans les basses terres continentales, mais 32 millions de tonnes de pétrole américain traversent les eaux de la Colombie-Britannique sur des navires américains.

Lorsque vous discutez de ces questions et des préoccupations qu’ont les gens par rapport aux déversements... Est-ce que les gens réalisent qu’il y a toujours plus de danger de déversement à partir d’un navire à simple coque qu’avec un pétrolier à double coque? Tant et aussi longtemps que des navires à simple coque parcourent cette côte — et il y en aura —, le risque sera toujours plus grand avec ces navires.

Qu’en disent vos adversaires ou vos détracteurs? Abordent-ils ces questions?

M. Helin : Eh bien, je ne sais pas. J’essaie de ne pas y prêter attention. Je tente de rester positif et de faire de mon mieux pour le plus de membres possible, dans mes fonctions.

Je ne suis pas un expert du pétrole.

Le président : Sénatrice Simons, vous avez la parole.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis une nouvelle sénatrice, et je suis membre junior de ce comité. Je me déplace pour parler à bon nombre de groupes scolaires afin de tenter de leur expliquer ce qu’est le Sénat et ce qu’il fait. Je leur explique qu’il y a les députés, lesquels sont élus, et que nous sommes les aînés qui ont été nommés.

Le président : N’allons pas trop loin.

La sénatrice Simons : Eh bien, je ne suis pas vraiment une aînée. J’aimerais revenir sur la question de ma collègue, Mme Miville-Dechêne, car nous éprouvons de la difficulté à comprendre de quelle façon la gouvernance fonctionne pour vos peuples ici sur la côte.

Je sais qu’en Alberta il y a un chef élu, et il est le chef de la bande. Pourriez-vous nous expliquer clairement la relation entre le chef élu et le chef héréditaire? De quel territoire êtes-vous responsable en tant que maire, et qu’est-ce qui relève des chefs héréditaires?

Le président : Je vais laisser M. Helin répondre en premier, puis ce sera à vous, monsieur Campbell.

M. Helin : Merci.

C’est la deuxième fois que je suis élu en tant que maire. Avant, j’étais conseiller en chef, et à chaque fois que j’ai occupé ce poste, le gouvernement et l’industrie sont venus voir les élus en raison du grand tulmute entourant les fonctions héréditaires, les postes élus, et toutes ces autres choses.

Je sais, au sein de ma collectivité, qui sont les vrais chefs héréditaires et qui ne le sont pas, et je ne veux pas entrer là-dedans. Cela ne concerne personne d’autre que nous. Donc, ce que je dis, c’est que tous les renseignements que j’obtiens, je les transmets à mes membres.

Le président : Sénateur Campbell... ou plutôt monsieur Campbell. Vous devriez avoir le titre de sénateur, monsieur Campbell.

M. Campbell : Merci. J’y arriverai un de ces jours.

Le président : C’est exact. Vous seriez définitivement qualifié pour être un aîné.

M. Campbell : Pour répondre à votre question, monsieur, sur le chef héréditaire et le chef élu... Je m’appelle Smooygit Gitxoon, et l’histoire que j’ai avec ce nom, c’est que je le porte. Ce n’est pas mon nom. Ce nom se transmet depuis des milliers d’années. Mon histoire est la même, en raison des lieux que l’on m’a montrés. La peinture est toujours sur la falaise; elle est là depuis des milliers d’années. Je raconte l’histoire de notre terre, de notre région.

Je suis un chef héréditaire. Ce nom appartient à ma famille. Il était porté par mon oncle. Je suis un vrai Gispaxlo’ot de la nation Tsimshian. Je raconte l’histoire de notre peuple, et je parle au nom de la tribu Gispaxlo’ot aujourd’hui. Bon nombre de personnes disent qu’elles sont chefs héréditaires, mais j’aimerais entendre leur histoire. Je peux raconter la mienne, non seulement ici, mais également dans votre édifice à Ottawa. Bref, où vous voulez. D’accord? Voilà la différence.

J’appuie le chef élu. Il travaille d’arrache-pied pour faire avancer les choses dans notre village. Cependant, d’autres personnes — il y a une division — me disent que je n’ai pas de nom. Cependant, j’attends encore que l’on m’explique pourquoi je n’ai pas de nom; je suis né avec.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Campbell. Souhaitiez-vous ajouter quelque chose, monsieur Helin?

M. Helin : Oui. J’aimerais juste rappeler aux gens que je suis membre d’une tribu. Je ne suis pas un étranger. J’ai donc à cœur l’intérêt supérieur de mes membres.

Le président : Vous n’avez pas à vous justifier, monsieur Helin. Vous êtes un dirigeant élu et, pour moi, cela signifie beaucoup. Merci de vos exposés.

Pour notre deuxième groupe de témoins cet après-midi, nous avons le plaisir d’accueillir Joy Thorkelson, présidente de la United Fishermen and Allied Workers Union – Unifor; Bill Clapperton, vice-président, Réglementation, intervenants et affaires environnementales, de Canadian Natural Resources Limited; et Michael Uehara, chef de la direction, de la Coastal Shellfish Corporation.

Nous avons également avec nous Justine Crawford, propriétaire de Cassiar Cannery; et Ken Veldman, vice-président, Affaires publiques et développement durable, de l’Administration portuaire de Prince Rupert.

Vous avez tous cinq minutes. Nous allons commencer par Mme Thorkelson.

Joy Thorkelson, présidente, United Fishermen and Allied Workers’ Union – Unifor : [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Je m’appelle Joy Thorkelson. Je suis la présidente de la United Fishermen and Allied Workers Union et je veux souligner que nous sommes sur le territoire non cédé des nations Tsimshian.

Le pétrole visé par le moratoire est, comme vous le savez, le pétrole brut lourd comme le bitume, le dilbit et le mazout C, ou les hydrocarbures persistants. Une liste de ces hydrocarbures figure dans le projet de loi. J’aimerais préciser que j’ai assisté au processus relatif à Enbridge, et presque tout le monde s’entendait pour dire que le pétrole tue les jeunes poissons. Les œufs ne peuvent pas survivre lorsqu’ils sont mazoutés, et les jeunes poissons, des plus petites larves — qui sont minuscules et microscopiques —, aux alevins, et aux saumoneaux, sont tous touchés négativement par le pétrole. En fait, la plupart d’entre eux vont mourir à la suite d’un contact.

Le pétrole touche négativement les poissons adultes. Si du pétrole pénètre dans leurs branchies, cela va les tuer. Les œufs et le sperme deviendront inactifs, et l’ADN des générations suivantes sera modifié. Tout cela a été démontré dans le cadre des travaux réalisés par le gouvernement de l’Alaska dans l’affaire Exxon Valdez.

Presque tous les jeunes poissons de la liste des espèces en péril et de la liste du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada vont migrer à travers la zone, et il en est de même pour les adultes qui reviennent. Nous prenons bien soin de ces poissons en Colombie-Britannique. Cependant, certaines espèces, qui figurent sur la liste des espèces en péril et la liste du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada sont présentes dans notre région. Ce que j’aimerais faire, puisque c’est un exposé très court — je pourrais passer des heures à en parler —, c’est vous demander d’aller à l’endroit où il est écrit carte 1. Pour ceux d’entre vous qui parlent français, vous devrez m’excuser d’avoir utilisé Google pour traduire.

La carte du haut, la carte 1, montre les ressources en jeunes saumons, et j’aimerais l’expliquer. Les alevins et les saumoneaux, lorsqu’ils quittent les rivières où ils sont nés, migrent en Alaska et y grandissent pendant de un à trois ans — ou même quatre ans pour certains d’entre eux —, avant de revenir dans leur cours d’eau natal en Colombie-Britannique.

Tout le poisson des États de Washington et de l’Oregon — à l’exception de certaines espèces de saumon royal —, ainsi que les jeunes poissons, tous les poissons du fleuve Fraser, du centre de la côte, du fleuve Skeena et de la rivière Nass... En fait, tout le poisson de la Colombie-Britannique et des États de Washington et de l’Oregon migre vers l’Alaska le long de la côte. Les poissons migrent en bande à une distance de deux à sept milles de la côte et, bien souvent, dans des zones où il y a des estuaires et des zostères. Ils migrent le long de la côte. Vous pouvez aller n’importe où en Colombie-Britannique et mettre un filet pendant une période de migration des jeunes poissons et en trouver qui migrent vers le nord.

Le MPO estime que un milliard de jeunes poissons empruntent cette route. Un milliard de saumons, presque 100 p. 100 des stocks, empruntent cette route de migration vers l’Alaska. Sur ce milliard, 100 millions atteindront l’Alaska sains et saufs. Vous pouvez déjà voir le taux de mortalité.

La carte ci-dessous, celle qui est en couleur, montre où vous pouvez trouver le saumon rose. Il s’agit d’alevins de saumon rose, et vous pouvez voir les zones où ils se trouvent. Prince Rupert est ici, en bleu foncé. Voici le fleuve Skeena, et nous nous trouvons juste à côté. Vous pouvez voir les zones où se trouvent les jeunes poissons. Pardon, il s’agit de la carte 1, celle-ci. Elle n’a pas de nom, elle se trouve simplement sur la même page que la carte 1.

Vous devriez avoir les cartes A et B. Il devrait y avoir un dossier A avec des cartes, en plus de l’autre. Je m’excuse, j’ai tenté de le faire... Il devrait y avoir A, B et C et 1, 2 et 3.

À la page suivante, sur laquelle figurent les cartes 2 et 3... Il s’agit de pages préparées par le MPO et non pas par moi. Ces cartes ne montrent que les voies de migration pour le saumon chinook, coho, kéta, sockeye et rose. Vous pouvez voir que ces espèces empruntent le même corridor, à l’exception des adultes, qui voyagent également le long de la côte ouest de l’île de Vancouver et de la côte ouest de Haida Gwaii; ils s’y rendent donc également.

Sur la prochaine carte, à la page suivante, on montre le frai du hareng. Je veux simplement vous montrer ceci, parce que les harengs ont été énormément touchés dans le golfe du Prince William. Il me semble qu’il a fallu 15 ou 20 ans avant qu’ils n’y reviennent, et voilà pourquoi. Voici le hareng; l’image en haut à gauche est le frai du hareng. Tout cela, ce sont des harengs qui fraient le long de la plage; ils fraient sur la plage. En bas à droite, on voit ce qu’il en est à marée basse. Voici un exemple de ce à quoi ressemble le frai du hareng, lorsqu’il est réussi, sur une plage.

La carte ci-dessous montre les zones d’importance du hareng et de l’eulachon, telles que cartographiées par les gouvernements provincial et fédéral.

J’aimerais passer à l’autre groupe de cartes, les cartes A, B et C. Il s’agit du premier groupe de cartes qui ressemble à ceci. Voici la carte A. Ce sont les aires marines protégées, en jaune, et les aires de conservation des sébastes, en rose. Voilà ce que nous avons comme parcs marins et aires protégées.

Si nous passons à la page suivante, voici les parcs marins proposés. Donc, si quelqu’un demande quelle est la différence entre la côte Ouest et la côte Est, la côte Est n’a pas 32 p. 100 de sa superficie qui est visée par des propositions de parcs marins, contrairement à ce que nous avons ici. On propose d’établir un parc pour 32 p. 100 de cette biorégion nordique.

La prochaine carte a été élaborée par le SCCS, le Secrétariat canadien de consultation scientifique. Le MPO et son service de consultation scientifique l’ont élaborée, et il s’agit d’une carte qui montre les zones importantes dans la biorégion du plateau Nord. Vous pouvez voir qu’il n’y a pas de zones qui ne soient pas importantes sur cette carte; 99 p. 100 de ces zones sont importantes pour le poisson.

Le président : Nous sommes à environ six minutes et demie, madame.

Mme Thorkelson : Je veux simplement souligner que les activités de pêche le long de la côte Nord constituent un secteur de 400 millions de dollars; il s’agit de la valeur en gros. Les pêcheurs, les collectivités et les transformateurs dans l’industrie de la pêche ont investi 2 milliards de dollars. Je souligne donc qu’il s’agit d’une industrie qui n’est pas de petite taille. Elle est importante et coûteuse. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, madame Thorkelson.

Monsieur Clapperton, vous avez la parole.

Bill Clapperton, vice-président, Réglementation, intervenants et affaires environnementales, Canadian Natural Resources Limited : Bonjour, mesdames et messieurs, et merci de m’offrir l’occasion de m’exprimer aujourd’hui à propos du projet de loi C-48. Je remercie aussi les dirigeants et exprime ma reconnaissance envers les aînés présents ici aujourd’hui, et reconnais que nous sommes réunis sur le territoire des Tsimshian.

Je m’appelle Bill Clapperton, et je suis le vice-président, Réglementation, intervenants et affaires environnementales, au sein de l’entreprise Canadian Natural Resources Limited. Nous sommes le plus important producteur de pétrole et de gaz naturel au Canada, et nous menons des activités en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.

Notre siège social est situé au Canada, et notre entreprise a été créée et est dirigée par des Canadiens; c’est un véritable exemple de réussite canadienne. Nous avons fait passer la production de 400 barils de pétrole, en 1989, à 1,1 million aujourd’hui. L’entreprise compte environ 10 000 employés et soutient des dizaines de milliers d’emplois indirects et bien rémunérés. Nous sommes fiers de collaborer avec plus de 160 municipalités, 75 collectivités autochtones et 35 000 propriétaires fonciers dans le cadre de nos activités.

Je suis ici aujourd’hui afin d’expliquer pourquoi il est si important d’obtenir un accès aux marchés pour le pétrole et le gaz naturel canadiens.

Le secteur pétrolier et gazier du Canada a fait de ce qui était qualifié en 2009 de pétrole ayant une intensité élevée d’émissions un produit pétrolier de choix dans le marché international en seulement 10 ans, et nous sommes engagés à continuer d’apporter des améliorations.

L’entreprise Canadian Natural Resources, en particulier, a atteint des rendements sur le plan environnemental qui ont grandement fait changer les choses en tirant parti des technologies et du génie canadien. Notre entreprise a réussi à réduire de 18 p. 100 l’intensité de ses émissions de gaz à effet de serre entre 2013 et 2017. En réduisant les émissions liées à nos activités d’exploitation minière des sables bitumineux et en améliorant les opérations, en réduisant les volumes d’évacuation de méthane liée à la production primaire de pétrole lourd, en captant et en séquestrant le CO2 à nos installations Quest, nous avons réduit nos émissions d’une façon qui équivaut au retrait de 2 millions de véhicules du réseau routier, soit 5 p. 100 de l’ensemble des véhicules au Canada.

L’ensemble des acteurs de l’industrie a atteint des résultats semblables et aussi impressionnants, et nous pouvons encore améliorer ces résultats. Nous ne sommes plus en 2009. Le pétrole et le gaz naturel canadiens sont maintenant, du point de vue des changements climatiques et d’autres mesures de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, des produits de qualité, dont tous les Canadiens devraient être fiers.

Notre rendement est important, parce que la demande mondiale sur le plan énergétique continue de croître et que le pétrole et le gaz naturel demeureront des sources d’énergie importantes parmi l’éventail des sources d’énergie dans un avenir prévisible. Dans ce contexte, le Canada occupe une position unique pour saisir l’occasion de jouer un rôle de chef de file en matière de changements climatiques et d’offrir un excellent exemple de grande réussite bien canadienne. Nous avons l’occasion d’augmenter la production de pétrole et de gaz naturel au Canada pour satisfaire la demande mondiale croissante, tout en détrônant des sources d’énergie qui produisent davantage d’émissions, réduisant ainsi le total des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Il s’agit d’une occasion, bénéfique pour tous, de saisir les gigantesques avantages économiques et sociaux qu’offre le développement de l’exploitation des énergies canadiennes et de participer à la réduction importante des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Le monde a besoin de l’énergie canadienne, et nous avons besoin d’accès aux marchés, en particulier à partir de la côte Ouest vers la région de l’Asie et du Pacifique, où la demande pour nos produits est importante et en croissance.

C’est pourquoi nous sommes d’avis que le projet de loi C-48 ne devrait pas être adopté.

Comme les membres de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, de l’Association minière du Canada et de la Chambre de commerce du Canada, et d’autres organismes, nous militons pour l’adoption d’une approche différente, s’appuyant sur la collaboration de tous, pour gérer les risques et les préoccupations. Le gouvernement fédéral applique actuellement une telle approche dans le cadre du Plan de protection des océans.

Je cite aussi en exemple la région de l’Atlantique. Selon Transports Canada, plus de 82 millions de tonnes de différents produits pétroliers et combustibles sont chargés et déchargés dans 23 ports de cette région chaque année. Les risques que pose ce trafic maritime aux collectivités côtières dans la région Atlantique sont gérés grâce à des techniques pouvant être adaptées à la côte Ouest.

Cela correspond à l’objectif du gouvernement d’atteindre un équilibre entre le développement économique et la protection de l’environnement. Nos objectifs s’harmonisent avec ce but, et je suis fier de pouvoir dire que notre feuille de route montre que nous pouvons offrir un rendement de premier plan en matière d’environnement ainsi que des occasions de développement économique dans le secteur pétrolier et gazier.

Je vous remercie, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Uehara, la parole est à vous.

Michael Uehara, chef de la direction, Coastal Shellfish Corporation : Merci beaucoup. Je souhaite reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé des Tsimshian, et je tiens à les en remercier.

Bonjour, mesdames et messieurs. Je m’appelle Michael Uehara, et je suis le chef de la direction de la Coastal Shellfish Corporation, une entreprise détenue par des Autochtones qui mène des activités entièrement intégrées axées sur les mollusques et les crustacés. L’entreprise est constituée d’une écloserie terrestre, d’installations de grossissement en mer et d’une toute nouvelle usine de transformation.

Il s’agit d’une entreprise naissante, sur le point de connaître un essor. C’est une entreprise qui formera la pierre d’assise d’une nouvelle industrie sur la côte de la Colombie-Britannique, laquelle a le potentiel de redonner une plus grande indépendance sur le plan économique aux collectivités autochtones grâce à son caractère durable.

Bien qu’il s’agisse d’une toute nouvelle industrie, elle est enracinée dans quelque chose de millénaire, soit une économie fondée sur la mer. La Coastal Shelfish Corporation réunit les aspirations des peuples autochtones et l’investissement de leurs capitaux pour créer une économie fondée sur la mer qui inclut les membres des Premières Nations établis sur la côte. Essentiellement, la Coastal Shelfish Corporation conjugue des connaissances traditionnelles en matière d’écologie et des connaissances scientifiques de pointe pour produire des fruits de mer de façon durable et créer des emplois et des bénéfices.

Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour effectuer un tel investissement. Nos actionnaires autochtones ont investi, collectivement, plus de 20 millions de dollars au cours des 14 dernières années. Si 14 ans semblent être une longue période pour développer une industrie, il faut tenir compte du fait qu’on a mis 25 ans en Chine, 22 ans au Chili et plus de 50 ans au Japon pour établir l’aquaculture de pétoncles.

Si tout se passe comme prévu, la Coastal Shelfish Corporation devrait atteindre entre 4 et 8 millions de dollars de bénéfices dès 2022, et ce ne sera que le début.

Nous avons actuellement 40 employés à temps plein durant toute l’année. Quand nos activités atteindront leur plein régime au cours de cette année, nous compterons plus de 75 employés. Dans le cas de la Coastal Shelfish Corporation, il s’agit autant de démarrage d’entreprise que de création d’une industrie. Suivant le plan de développement de nos actionnaires, nous avons l’intention d’augmenter le nombre de crustacés et de mollusques et le nombre d’installations d’aquaculture au cours des prochaines années.

Non seulement cette nouvelle industrie sera détenue par des Autochtones, mais une grande partie des activités seront menées dans des collectivités côtières éloignées, où on trouve les eaux pures nécessaires à la survie des mollusques et des crustacés.

Bien entendu, comme responsables d’entreprise, nous effectuons une myriade d’évaluations des risques et nous cernons un certain nombre de risques qui pourraient avoir une incidence dévastatrice sur l’existence même de l’entreprise. Au premier rang de ces risques figure un incident environnemental d’envergure, comme un important déversement de pétrole. Un tel déversement, et l’utilisation des produits dispersants habituels pour y remédier, aura possiblement des effets néfastes à long terme sur les mollusques et les crustacés, entre autres, dans la subsurface de la colonne d’eau.

D’après ce que nous connaissons des effets des déversements de pétrole et d’hydrocarbures sur les mollusques et les crustacés, un déversement équivalent à celui du Nathan E. Stewan détruirait n’importe quel site d’aquaculture, obligeant les propriétaires à le déplacer et entraînant la perte de millions de dollars. Un déversement plus important, touchant une zone semblable à celle qu’a touchée le déversement de l’Exxon Valdex, anéantirait cette industrie.

Il va sans dire que les responsables de la Coastal Shellfish Corporation feront tout ce qu’ils peuvent pour éliminer ce type de risques existentiels qui pèsent sur les activités de l’entreprise. Toutefois, je suis au fait de plusieurs points liés à notre position. Premièrement, un moratoire touchant les grands pétroliers n’aurait pas empêché le déversement du Nathan E. Stewart d’empoisonner les eaux côtières. Par ailleurs, le projet de loi à l’étude n’empêchera pas les très gros transporteurs de brut ni même les ultragros transporteurs de brut américains de longer la côte de la Colombie-Britannique.

Deuxièmement, même si on vise l’élimination ou l’évitement d’un risque dans toute stratégie de gestion des risques, la plupart du temps, on élabore une stratégie pour faire face aux risques. Même si ce projet de loi est adopté, la Coastal Shelfish Corporation fera quand même face à des risques considérables.

Nous allons nous appuyer sur la Metlakatla Stewardship Society et les bureaux de l’intendance d’autres Premières Nations disposant des ressources adéquates pour que ces organismes mettent l’accent sur la prévention de ces incidents en premier lieu. Nous présumons que cela se fera au moyen de la planification et à l’aide des très grandes connaissances qu’ils ont de leur territoire et des eaux, lesquelles ont été réunies au fil de la plus longue période de temps possible.

Je vous remercie beaucoup de cette occasion de témoigner devant ce comité aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup.

Madame Crawford, allez-y.

Justine Crawford, propriétaire, Cassiar Cannery : Je m’appelle Justine Crawford. Il y a plus de 500 espèces de végétaux indigènes où j’habite, à Cassiar Cannery. Mon mari et moi sommes les intendants actuels du site historique de Cassiar Cannery. Ce lieu, qui célébrera ses 130 ans d’existence au cours de l’année, était un village de pêche formé d’habitations en bois construites au bord de l’océan, au pied d’une montagne, là où s’écoule le quart de l’eau en provenance du fleuve Skeena, soit le deuxième fleuve en importance en Colombie-Britannique.

Le président : Pourriez-vous ralentir un peu, pour que les interprètes puissent vous suivre?

Mme Crawford : Bien sûr. J’ai beaucoup de renseignements à communiquer.

Le président : C’est très bien, ne vous inquiétez pas. Nous souhaitons seulement nous assurer que tous peuvent vous comprendre. Merci.

Mme Crawford : Actuellement, le site de Cassiar Cannery offre des activités touristiques, des services relatifs aux embarcations, du bois récupéré et des produits personnalisés fabriqués en cèdre, en plus d’accueillir des activités scientifiques et de recherche.

Quand nous sommes arrivés en août 2006, j’ai rapidement compris que nous étions dans un endroit très particulier sur le plan à la fois historique et culturel, mais aussi en raison de l’extraordinaire écosystème naturel dans lequel nous nous trouvions. J’ai commencé à chercher des renseignements scientifiques sur l’estuaire du fleuve Skeena; il n’y en avait pas beaucoup, et j’ai constaté qu’il y avait très peu de données de base.

Cela a soulevé mon intérêt, vu que les estuaires de fleuve constituent un élément essentiel des bassins hydrographiques. C’est à cet endroit que les écosystèmes terrestres et marins se rencontrent. Ils constituent un habitat de grossissement pour nombre d’espèces de poisson vivant dans les océans, et, sur la côte Ouest de l’Amérique du Nord, constituent l’habitat où se nourrissent et se reposent les jeunes saumons pendant leur adaptation d’un milieu d’eau douce à un milieu marin. Les milieux estuariens sont aussi des lieux abritant une grande diversité biologique dans l’environnement régional, grâce aux riches nutriments qui proviennent des systèmes hydriques des principaux fleuves, ce qui soutient la productivité des collectivités situées près des rives et dans les zones intertidales.

En 2011, nous avons commencé à collaborer avec des chercheurs indépendants, attachés à une université, pour commencer à recueillir des données de base. Même si les chercheurs ne font que commencer à étudier la riche biodiversité de l’estuaire du fleuve Skeena, les résultats des études préliminaires, par exemple celles portant sur la diversité des végétaux, confirment que cet endroit est un lieu important sur le plan de la biodiversité. À ce jour, on a recensé plus de 500 espèces de plantes dans les marais d’eau salée et la zone littorale de l’estuaire du fleuve Skeena, et ce, seulement près de Cassiar Cannery. C’est un nombre étonnant pour une si petite zone.

Grâce à nos initiatives scientifiques et de recherche menées sur nos battures de vase du littoral, nous avons appris que tous les sites dont provenaient les échantillons avaient une grande biodiversité et des groupes complexes d’organismes dans tous les niveaux trophiques, ce qui montre que nos battures de vase sont dotées d’une chaîne alimentaire diversifiée et fonctionnelle. Selon les chercheurs, il aurait suffi de trouver huit espèces d’invertébrés dans les battures de vase entourant le site de Cassiar Cannery pour qu’elles soient classées comme lieu riche en biodiversité; les chercheurs en ont trouvé 40.

Afin de mettre en contexte la discussion portant sur la côte Nord, il faut savoir qu’il n’y a que cinq principaux estuaires le long de la côte Ouest de l’Amérique du Nord, soit ceux des fleuves Sacramento, Columbia, Fraser, Skeena et Yukon. De ces cinq estuaires, les trois premiers ont été gravement perturbés en raison de décennies de développement industriel, d’urbanisation, de développement agricole et de pollution, pour ne nommer que quelques menaces. Seul l’estuaire du fleuve Skeena est demeuré intact en majeure partie comme écosystème de latitude moyenne, et il soutient une riche variété d’espèces et les fonctions écologiques qui y sont associées, comme le stockage de carbone et le cycle des éléments nutritifs.

Il serait quasi impossible de déployer des efforts de nettoyage dans l’estuaire du fleuve Skeena, autour du site de Cassiar Cannery, à la suite d’un déversement de pétrole. On y trouve parmi les plus importants cycles de marée au monde, soit une amplitude de 24,6 pieds. Le courant, auquel s’ajoute la force du fleuve Skeena qui se trouve derrière, peut atteindre 13 nœuds. Le littoral est complexe et est formé de sédiments meubles et de centaines de milliers de ruisseaux profonds dans les battures de vase situées dans la zone intertidale. Des kilomètres de zostère marine et de marais d’eau salée dans l’estuaire abritent des habitats fragiles et essentiels.

Les risques que posent des déversements de pétrole dans cet environnement en parfait état seraient bien plus grands que ceux que poseraient des déversements dans des environnements déjà détériorés, où beaucoup des espèces les plus fragiles ont déjà disparu. La détérioration de l’estuaire du fleuve Skeena, advenant un déversement de pétrole, serait un incident environnemental beaucoup plus important que les déversements antérieurs survenus sur la côte Ouest, vu que cela constituerait un point de non-retour pour un des deux derniers grands estuaires intacts de l’Ouest de l’Amérique du Nord, l’estuaire du fleuve Yukon étant l’autre. Nos responsabilités d’intendance relativement à cette région ont une portée d’autant plus mondiale vu qu’il reste peu d’environnements estuariens de cette importance dans un parfait état.

Pour terminer, même si nous avons l’habitude de gérer nos ressources naturelles en fonction de multiples usages, ou, pour dire les choses autrement, d’en permettre l’usage à des fins industrielles dans bien des environnements, la détérioration de l’estuaire du fleuve Skeena serait une perte pour la biodiversité mondiale. Nous sommes véritablement responsables, comme Canadiens, de la protection de cette ressource unique. Les comparaisons avec le développement industriel et le transport par pétrolier effectués à d’autres ports, où les écosystèmes sont déjà très détériorés, sont inappropriées, vu le parfait état de l’estuaire du fleuve Skeena.

Comme le site de Cassiar Cannery allie de façon unique un lieu historique et un environnement naturel exceptionnel, nous contribuons à l’industrie du tourisme, de l’échelle locale à provinciale. Nous servons d’exemple pour des programmes expérimentaux partout au Canada, comme cas modèle montrant quoi faire dans un contexte touristique concurrentiel. Le site de Cassiar Cannery subirait des dommages irréversibles si un déversement de pétrole survenait.

Le tourisme est l’une des pierres d’assise de l’ensemble de l’économie de la Colombie-Britannique, et il ne faudrait pas l’oublier. En 2017, l’industrie du tourisme a généré 18,4 milliards de dollars de revenus, a contribué 9 milliards de dollars au PIB de la province et a produit 1,2 milliard de dollars en recettes fiscales pour la Colombie-Britannique. Le secteur a connu une croissance du PIB de 6,7 p. 100 en 2016, par rapport à la croissance moyenne de 4 p. 100 pour la province, et la tendance à la hausse se maintient. En 2015, 133 000 Britanno-Colombiens occupaient un emploi dans le secteur du tourisme au sein de plus de 19 000 entreprises. Ces chiffres montrent que l’industrie du tourisme de la Colombie-Britannique a apporté la plus importante contribution à l’économie de la province durant la période de 2007 à 2017 par rapport à nos autres industries primaires traditionnelles.

La région de Prince Rupert offre un important potentiel de croissance dans le secteur du tourisme, vu qu’on y trouve la seule collectivité d’importance située dans la forêt pluviale Grand Ours, connue à l’échelle internationale, qu’elle est la porte d’accès à l’archipel Haida Gwaii et au sanctuaire de grizzly Khutzeymateen, que les terminus de VIA Rail et des traversiers B.C. Ferries y sont installés et que c’est là que l’autoroute 16 se termine.

Actuellement, nous avons en abondance ce que les visiteurs canadiens et internationaux perçoivent comme représentant la nature au Canada : de hautes montagnes brumeuses recouvertes de conifères; des cours d’eau étincelants; des ours, des baleines, des loups et des aigles. Cela constitue notre véritable valeur, et elle existe simplement parce que l’environnement est propre ici, en ce moment.

Le président : Vous avez utilisé six minutes.

Mme Crawford : Merci. Je vous remercie de vous être déplacés à Prince Rupert.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Veldman, vous avez la parole.

Ken Veldman, vice-président, Affaires publiques et développement durable, Administration portuaire de Prince Rupert : Merci. Il est approprié de reconnaître que nous sommes sur le territoire traditionnel de la nation Tsimshian, sur lequel nous menons toutes nos activités.

L’Administration portuaire de Prince Rupert a pour mandat de faciliter le commerce international au Canada. Grâce à une étroite collaboration avec nos partenaires et clients, nous assurons au sein de la chaîne d’approvisionnement une innovation qui ajoute de la valeur aux produits canadiens et améliore la compétitivité du Canada sur le plan mondial.

Au moyen d’une intendance prudente, nous avons créé une prospérité durable pour les membres de nos collectivités et des Premières Nations, ainsi que pour notre pays.

En 2018, on a expédié 27 millions de tonnes de fret à partir du port de Prince Rupert et on y a accueilli 500 navires océaniques. La valeur marchande de ce volume d’activités s’élève à 35 milliards de dollars et fait de Prince Rupert le troisième plus grand port du Canada. Le port de Prince Rupert facilite l’accès aux marchés des principaux secteurs commerciaux du Canada, y compris la fabrication, la foresterie, l’agriculture, le gaz naturel, les mines et le tourisme, et participe à leur diversification.

Nous allons poursuivre notre croissance et notre diversification, et nous prévoyons doubler le volume des échanges commerciaux nécessitant les services du port au cours des 10 prochaines années.

Les incidences économiques de ces activités se chiffrent déjà à plus de 1 milliard de dollars pour les entreprises du Nord de la Colombie-Britannique et à plus de 5 000 emplois directs et indirects. Les Premières Nations ont profité d’une part importante de cette prospérité, la main-d’œuvre associée au port étant composée à plus de 30 p. 100 d’Autochtones. Des entreprises appartenant aux Premières Nations participent à de nombreuses occasions d’affaires liées au port.

En mettant l’accent sur le développement durable et sur les préoccupations liées à l’environnement local et aux enjeux sociaux, l’Autorité portuaire de Prince Rupert demeure véritablement au diapason des Premières Nations voisines, des résidants et des collectivités de l’ensemble du corridor commercial.

J’aimerais aborder le sujet des risques maritimes d’un point de vue local. Nous avons l’avantage d’offrir des approches maritimes ouvertes et sans encombrement, de courts temps de traversée dans les eaux intérieures où les services d’un pilote s’imposent, un port en eau profonde naturel ainsi qu’un volume relativement faible de trafic maritime. En conséquence, le port compte parmi les plus sécuritaires au Canada et le long de la côte Ouest de l’Amérique du Nord.

Il existe plusieurs évaluations des risques qui sont accessibles pour étayer cette allégation, y compris des évaluations menées par le gouvernement fédéral et l’Autorité portuaire de Prince Rupert. Fait plus important encore, peut-être, ces évaluations illustrent et soulignent l’importance de l’évaluation quantitative des risques et posent la question essentielle à savoir quelle est la probabilité que survienne un événement comme point de départ principal pour orienter et gérer l’atténuation des risques.

Des évaluations des risques ont guidé notre approche visant à rendre encore plus sécuritaire un port qu’il l’est déjà en classant par priorité les pratiques, les procédures et les investissements les plus pertinents et ayant les plus grandes incidences. Ces mesures montrent aussi que les responsables d’administration portuaire continuent de renforcer leur capacité afin de prévenir les incidents, de s’y préparer et d’intervenir de façon appropriée, pertinente et rapide.

Les exemples comprennent l’élaboration de pratiques et de procédures exemplaires pour guider les navires vers l’entrée et la sortie du port, y compris des procédures spécifiques pour différents types de navires et de navires de charge et différentes zones géographiques; l’installation d’un radar côtier terrestre; l’installation de nouvelles aides fixes à la navigation dans les eaux du port, y compris la transmission en direct de données de surveillance des marées et des courants aux pilotes côtiers; l’établissement d’un centre de sécurité des opérations du port, surveillant les opérations du port 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et servant, au besoin, de centre de commandement d’urgence en cas d’incident.

Je souhaite préciser les effets du projet de loi C-48 sur le port de Prince Rupert. Ce projet de loi n’a pas une incidence directe importante sur les activités actuelles du port de Prince Rupert, ni sur les projets et les types de cargaisons envisagés dans le cadre du programme de développement en cours. Pour dire les choses clairement, il n’y a pas de pétrole qui est expédié actuellement à partir du port de Prince Rupert, et le programme de développement de l’Autorité portuaire de Prince Rupert ne contient pas de projet de terminal d’exportation de pétrole.

Toutefois, notre programme de développement est touché par l’incertitude découlant de mesures législatives et d’une politique maritime larges et vagues ainsi que de l’impression qui est communiquée selon laquelle les approches maritimes de la côte Nord comportent un profil de risque pouvant menacer l’acheminement des produits de l’expéditeur.

L’absence d’une évaluation quantifiée du risque présent au sein de la zone géographique visée par le moratoire et l’absence d’un processus fondé sur des données probantes pour établir quels produits seront inclus dans l’annexe de la loi contribuent à l’incertitude.

Pour terminer, je souhaite souligner que les évaluations de risque quantifiées peuvent dans les faits faciliter l’atteinte de l’objectif de cette mesure législative. Le moratoire proposé vise une très vaste région de la côte Nord de la Colombie-Britannique. Il englobe des zones ayant des valeurs inégales sur les plans de l’économie et de l’écologie, comme d’autres témoins l’ont mentionné, et connaissant des niveaux très divers d’activité et d’utilisation. C’est une approche sans discernement.

Le trafic maritime commercial en eau profonde à destination ou en provenance du port de Prince Rupert a tendance à emprunter une route relativement constante, étroite et délimitée. Cette route constitue une zone géographique apportant un avantage économique considérable au Canada en raison de l’activité commerciale qu’elle permet, et le risque associé aux activités des navires est connu.

La possibilité de délimiter cette zone offre la possibilité de réunir des données indépendantes et importantes permettant de quantifier le risque associé à un incident touchant un navire ainsi que ses conséquences. Elle permet aussi de connaître et de quantifier la valeur écologique de cette zone.

Cela crée la possibilité d’élaborer des propositions réfléchies de mesures d’atténuation pratiques qui amélioreront la sécurité maritime de tous les navires, peu importe leur fret; réduiront l’impact environnemental; orienteront les ressources consacrées à la préparation aux urgences, à la prévention et aux interventions; et pourront être quantifiées et classées par ordre de priorité en fonction de leur incidence possible sur la base de référence du risque établi au moyen de l’évaluation.

Les responsables de l’Autorité portuaire de Prince Rupert ont confiance en cette approche équilibrée, car c’est pour l’essentiel ce que font les administrations portuaires canadiennes de façon continue dans les limites de leurs compétences respectives, relativement à tous les types de navires et à toutes les catégories de fret.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer devant le comité aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Voici l’ordre en ce qui concerne les questions : sénatrice Miville-Dechêne, sénateur Patterson, sénatrice Simons, sénateur MacDonald, sénateur Cormier et sénateur Smith.

Sénatrice Miville-Dechêne, allez-y.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur le président.

Cette question s’adresse au représentant de l’administration portuaire, M. Veldman. J’ai eu l’occasion de visiter le port hier, et j’ai été étonnée. Je ne savais pas qu’il y avait autant de produits énergétiques expédiés à partir de ce port. Je pense particulièrement au charbon et aussi au propane.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Nous avons tendance à croire qu’il s’agit seulement de pétrole, et, de toute évidence, l’exemple de votre port montre qu’on peut mener beaucoup d’activités liées aux produits énergétiques, et il serait même possible d’expédier de l’essence, si elle était produite en Alberta.

Pourriez-vous nous parler de ce sujet?

M. Veldman : Comme vous l’avez souligné, du point de vue énergétique, le charbon, dans une forme non liquide, est une forme d’énergie importante. Dans notre cas, il s’agit principalement de charbon métallurgique utilisé dans le processus de fabrication de l’acier, même si nous expédions aussi du charbon thermique.

En ce qui concerne la bioénergie, plus d’un million de tonnes de granulés de bois sont expédiées à partir de ce port, et servent en grande partie à remplacer le charbon dans la production d’énergie en Europe. Donc, en ce qui concerne le vrac solide, il y a ce produit.

Pour ce qui est des produits liquides, AltaGas a récemment achevé la construction d’un terminal d’exportation de propane, le premier du genre sur la côte Ouest, qui servira à expédier du propane liquide vers les marchés asiatiques, principalement au Japon.

De plus, notre programme de développement comprend des projets qui visent à accroître les capacités d’expédition de liquides comme du méthanol, du gaz de pétrole liquéfié, du propane, du butane de même que des combustibles raffinés, ce qui comprendrait du diesel, de l’essence, et ainsi de suite. Ce sont tous des liquides qui ne sont pas visés par le projet de loi C-48 et qui ne figurent pas dans son annexe, en ce qui concerne les hydrocarbures persistants.

Je serais négligent si je ne soulignais pas que, même si elle ne relève pas de la compétence de l’autorité portuaire, une proposition présentée par Pembina progresse et vise aussi la construction d’un terminal d’exportation du propane ici, à Prince Rupert.

Ainsi, le vrac liquide et le vrac solide liés au secteur de l’énergie font véritablement partie de notre offre actuelle, de même que de notre programme de développement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Si le raffinage était effectué en Alberta, pourriez-vous accommoder davantage d’expéditions de carburant raffiné?

M. Veldman : Eh bien, cela dépend des capacités. Actuellement, nous n’avons pas les capacités nécessaires. Donc, un projet visant à construire un terminal qui offre ces capacités permettrait de répondre à cette demande, mais nous n’en disposons pas actuellement.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Veldman, de nous avoir fait visiter le port plus tôt aujourd’hui.

J’ai quelques questions à vous poser. Vous avez parlé du tonnage qui est acheminé, et je n’ai pas compris le nombre de navires océaniques que le port accueille chaque année. J’aimerais savoir depuis combien d’années l’administration portuaire existe et s’il y a eu des incidents ou des déversements qui correspondent au type d’incidents dont on devrait se préoccuper.

M. Veldman : L’an passé, nous avons accueilli 500 navires océaniques et traité les marchandises qu’ils transportaient.

Il y a assurément eu des incidents au fil des ans sur le territoire qui relève du port, mais aucun n’a eu de conséquences importantes liées à un déversement, et il s’agissait pour la plupart de navires échoués pour différentes raisons.

Le sénateur Patterson : Maintenant, on nous amène à croire qu’il y aura un grave accident sur la côte. C’est ce que tout le monde dit, qu’il sera dévastateur. Mais, si je comprends ce que vous nous avez dit aujourd’hui, c’est que vous ne pouvez pas réellement déterminer le risque sans réaliser ce que vous appelez une évaluation quantitative des risques ainsi qu’une évaluation du potentiel risque de divers produits. Je crois que vous avez dit qu’en l’absence de ces évaluations, nous ne pourrions pas connaître réellement le risque. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Veldman : Une évaluation quantitative des risques tient compte d’une foule de facteurs en commençant par... Et si on examine l’approche utilisée par le port de Prince Rupert, par exemple; elle est divisée en divers segments possédant certaines caractéristiques. Vous prenez les moyennes mondiales des accidents de certains types de pétroliers, auxquelles vous appliquez ensuite des facteurs qui tiennent compte de la géographie locale ou des caractéristiques du milieu, ce qui englobe tout, des conditions météorologiques au nombre de navires présents dans une région, en passant par la facilité de navigation et la longueur de la saison navigable elle-même, laquelle est de toute évidence un élément important.

Tous ces facteurs combinés vous permettent de quantifier le risque, exprimé généralement sous forme de probabilité, c’est-à-dire, un incident toutes les X années ou une fourchette semblable.

La sénatrice Simons : En tant que sénatrice de l’Alberta, je cherche peut-être l’impossible. J’aimerais savoir s’il ne serait pas possible de protéger la côte du nord au sud tout en laissant quelques routes de navigation ou corridors étroits par lesquels le pétrole pourrait être potentiellement transporté vers les marchés asiatiques.

Madame Thorkelson, sur vos cartes, les zones de pêche les plus riches semblent se situer sur la côte entre Haida Gwaii et la côte continentale. Y a-t-il une possibilité de trouver un passage sûr dans la moitié nord de l’entrée de Dixon?

Je voulais poser la même question à M. Veldman. Suis-je comme Don Quichotte à la recherche de l’impossible, ici? Y a-t-il un compromis qui nous permettrait de protéger 98 p. 100 de cette côte fragile tout en transportant des marchandises en toute sécurité?

Mme Thorkelson : J’aimerais dire qu’il y a en ce moment beaucoup de trafic maritime, dans les deux sens, et nous courons déjà un risque, car du mazout C se transporte déjà et toutes sortes de choses. Il y a déjà des risques associés à cela.

Le problème, c’est que les pétroliers sont plus grands, et par conséquent, le risque est plus grand. Y a-t-il une zone quelconque? Il n’y a aucune zone entre ici et Haida Gwaii qui ne soit pas un lieu de pêche précieux. Ce sont toutes des zones de pêche précieuses, des zones de migration ou de vie pour les poissons.

Nous avons beaucoup d’information sur ce qui arrive aux poissons et, si M. Veldman veut cette information, je pourrai la lui donner ultérieurement, mais j’ai de nombreux rapports écrits au sujet des répercussions sur les poissons. Je ne crois pas qu’il y ait un corridor. Même si personnellement je n’aime pas cela, il y a beaucoup de navires en circulation, 500 ou peu importe le nombre donné par M. Veldman. Ce que je ne comprends vraiment pas, et personne n’a été en mesure de me l’expliquer, c’est pourquoi l’Alberta ne raffine pas ses produits et ne les expédie pas vers la côte déjà raffinés? Nous envoyons des produits raffinés vers la côte.

Je ne comprends tout simplement pas pourquoi nous courons le risque de transporter du pétrole lourd, du pétrole brut, du bitume dilué, un produit que je connais très bien, au lieu d’envoyer des produits plus raffinés. Cela génère de l’emploi. Ils ne figurent généralement pas sur la liste des produits persistants. Et il semblerait que ce soit simplement bénéfique pour le Canada.

Au lieu d’expédier des produits bruts tout le temps, pourquoi ne pas créer des emplois?

La sénatrice Simons : C’est une excellente réponse.

Le président : Madame Thorkelson, vous pourriez peut-être nous expliquer pourquoi la Colombie-Britannique a fermé la plupart de ses raffineries au cours des 50 dernières années?

Mme Thorkelson : Je ne sais pas vraiment pourquoi la Colombie-Britannique a fermé ses raffineries, mais je sais qu’il y en a une qui va étendre ses activités sur la côte Sud, apparemment.

Le président : C’est la seule.

Mme Thorkelson : Et Kitimat a fait une proposition, mais je ne suis pas tout à fait sûre. Je pense que nous sommes assez loin du pétrole, bien que je n’en ai pas vraiment vu à Vancouver.

Le président : Il y en avait cinq.

Mme Thorkelson : Non, je n’ai pas vu de pétrole produit à Vancouver ou produit à... Je pense que nous sommes assez loin du lieu de production du pétrole.

Le président : Exactement.

Mme Thorkelson : C’est peut-être pour cette raison que nous n’avons pas de raffineries.

Le président : D’accord.

Sénateur MacDonald, allez-y.

Le sénateur MacDonald : Je pense que j’adresserai ma première question à M. Clapperton et M. Veldman.

Avez-vous fait des analyses? Nous avons mis en place un corridor de transport d’énergie vers la côte Ouest, pas seulement pour le pétrole, mais également pour l’hydroélectricité, de sorte que la Colombie-Britannique envoie son hydroélectricité d’un bout à l’autre du pays. Avez-vous effectué une analyse des retombées économiques sur cette collectivité et sur les plus grandes collectivités?

M. Veldman : Pardon, pourriez-vous répéter la première partie de votre question?

Le sénateur MacDonald : Avez-vous effectué une analyse économique sur les retombées de la mise en place d’un corridor de transport de l’énergie sur la région du Prince Rupert et Port Simpson sur le transport maritime et la vie économique de cette collectivité?

M. Veldman : Nous n’en avons pas fait. Cela dépasserait notre mandat.

Le sénateur MacDonald : D’accord.

M. Clapperton : Je pourrais peut-être faire un commentaire là-dessus. Notre secteur a fait partie de ce qu’on a appelé un groupe de travail mixte, et que nous avons présenté un document en août dernier, je crois, avec le secteur pétrolier et gazier et différents ministères fédéraux et provinciaux; l’objectif était essentiellement d’examiner les possibilités. Je pense que c’est ce dont nous parlons aujourd’hui, à savoir les risques et les possibilités.

C’est important, l’accès au marché de la côte Ouest et la demande croissante de produits pétroliers et de gaz naturel dans la région Asie-Pacifique. Les chiffres indiquent — c’est dans un rapport publié — que nous parlons d’environ 20 milliards de dollars par an de dépenses supplémentaires, de 120 000 emplois, d’une augmentation de 45 milliards de dollars du produit intérieur brut d’ici 2030, au Canada, et d’une augmentation des recettes publiques de 7,5 milliards de dollars par année.

Ils veulent ce type de prix. Il était question d’avoir un accès pour les produits pétroliers et de gaz naturel.

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Clapperton, et c’est exactement la même question que Mme Thorkelson a posée.

Depuis de nombreuses années, au Canada, nous parlons de la transition vers des sources d’énergie renouvelable. Nous en discutons depuis des années. Nous savons aussi que nous avons toujours besoin de pétrole. Nous en avons besoin, et nous en aurons besoin encore plusieurs années, mais nous savons que ces produits et le transport, c’est dangereux.

Pourquoi donc n’avez-vous pas de plan pour des raffineries, pour raffiner le pétrole? Pourquoi l’Alberta n’en a-t-elle pas? Je ne comprends pas pourquoi. Est-ce parce que c’est trop coûteux? J’entends par là que, s’il y a un déversement, cela coûterait beaucoup d’argent. Cela coûterait quand même beaucoup d’argent, j’aimerais donc réellement comprendre pourquoi l’industrie n’a jamais pensé à cela, à moins qu’elle y pense sans se décider à le faire.

M. Clapperton : C’est une très bonne question, et c’est un type de question axée sur le marché. Je dirais donc que nous en faisons un peu de côté-là. Canadian Natural vient d’achever la construction d’une des premières raffineries; vous savez, nous sommes propriétaires à 50 p. 100 de la Northwest Refinery, en périphérie d’Edmonton. Les travaux sont en cours en ce moment même. Nous travaillons donc là-dessus.

Nous avons une usine de traitement. La moitié de notre pétrole est valorisé. À titre d’information, la moitié de la production de pétrole de Canadian Natural est valorisée. On appelle ce produit du pétrole non corrosif synthétique, du pétrole brut synthétique, pour lequel nous avons des usines de traitement à Edmonton et à Fort McMurray. La plus grande partie de notre production est donc valorisée, et je pense qu’on en fait tout un plat pour rien. Il est possible selon moi d’en faire davantage, de faire davantage de développement et d’utiliser les produits, par exemple dans l’industrie pétrochimique.

Je pense que c’est une occasion formidable. Et comme nous l’avons dit ici, cela doit être fait avec le souci de la sécurité et en respectant la marche à suivre afin de bien faire les choses. Notre préoccupation à propos de ce projet de loi, c’est qu’il nous empêche en fait de faire tout cela. Il nous empêche de travailler ensemble pour trouver une façon de gérer les risques, de les surmonter et de tirer profit du développement économique.

Parce que l’industrie pétrochimique, qui est un type d’économie diversifiée, n’était pas incluse dans les chiffres que j’ai fournis. Elle aurait même une plus grande valeur pour le Canada, si elle pouvait faire cela.

Le sénateur Cormier : Merci.

J’ai également une brève question pour M. Veldman. Vous dites que si le projet de loi n’est pas adopté et que les grands navires peuvent passer, il n’y aura pas d’avantages pour le port. Ai-je bien compris?

M. Veldman : Non, pas selon notre portefeuille actuel.

Le sénateur Cormier : Voulez-vous donc dire que cela n’aura aucune retombée économique sur la région?

M. Veldman : Ce que je dis, c’est que, actuellement, nous ne transportons pas de pétrole, et qu’il n’y a pas non plus dans notre portefeuille du développement de proposition touchant le transport du pétrole, comme il est actuellement défini dans l’annexe.

Le sénateur Cormier : Merci.

Le président : J’ai plusieurs questions.

Madame Crawford, quand vous dites que trois des cinq cours d’eau ont été perturbés, que voulez-vous dire par « gravement perturbés »?

Mme Crawford : Eh bien, je pensais à l’endiguement, entre autres. Les gens se sont installés en premier dans les estuaires, car la côte est très abrupte. Vous voyez donc que c’est dans les régions les plus planes que les gens ont commencé à se rassembler.

À partir de cela, comme le sol était riche en nutriments, ils ont installé des digues. Ensuite, on a construit, comme vous le voyez si bien si vous descendez le fleuve Fraser. Quand vous êtes arrivés à Vancouver, je suis sûre que vous avez vu, du haut des airs, quelques fermes et beaucoup plus de condominiums.

J’ai grandi à Vancouver. Quand j’étais petite, il y avait partout des terres agricoles. Je dis simplement que, au fil des ans, on a perturbé l’état originel de toutes ces régions qui hébergeaient les populations d’ours, et où se trouvaient ces estuaires.

Le président : D’accord. En d’autres termes, partout où il y a une civilisation et des gens...

Mme Crawford : Nous avons tendance à tout détruire.

Le président : Eh bien, nous n’avons pas l’intention de tout détruire. Vous dites que les cours d’eau sont perturbés, mais nous avons tendance à les utiliser.

Mme Crawford : Nous les utilisons, oui, et nous avons des effets néfastes sur eux.

Bon, je ne dis pas que nous ne pouvons pas nous en remettre; par exemple, là où je travaille, au site de Cassiar Cannery, il y a déjà eu jusqu’à 20 conserveries dans la région. Toutes ces conserveries utilisaient une peinture métallique; de la peinture pour coque de navire et de la peinture au plomb. Aujourd’hui, mon environnement est propre; il s’est rétabli. Nous étions la dernière conserverie en activité de Skeena, en 1983.

L’environnement se régénère donc tout seul et se rétablit tout seul également. Mais, dans certaines de ces régions, on ne va pas demander aux gens de partir, disons, du delta du fleuve Fraser. Il y a maintenant des constructions à cet endroit; des gens y vivent. L’estuaire a été perturbé.

Le président : D’accord.

Madame Dasko, allez-y.

La sénatrice Dasko : J’ai une question complémentaire à celle de Mme Simons, sur la pêche. Nous avons aujourd’hui entendu Mme Thorkelson et M. Uehara dire des choses formidables à propos de la pêche. Nous avons entendu parler du saumon, des mollusques et crustacés, du hareng, des estuaires, de la valeur de l’industrie et ainsi de suite.

En ce qui concerne le saumon, je pense que tout le monde mange du saumon, à Toronto. Comme partout. Il y en a dans chaque histoire, sur chaque table, il doit donc bien se porter, quelque part. Je ne sais pas d’où il vient exactement, mais je sais qu’il y en a partout.

La sénatrice Gagné : Vous aimez le saumon.

La sénatrice Dasko : Oui, j’aime le saumon moi aussi. Mais, en même temps, nous avons entendu des témoins des Premières Nations dire que les pêches ont été « décimées », c’est un mot que nous entendons souvent. J’essaie donc de simplement brosser le tableau complet de la situation pour ce qui est de la pêche.

L’industrie est-elle prospère? Est-elle en train de disparaître? A-t-elle disparu? Est-elle en croissance? Y a-t-il quelqu’un ici qui peut faire le point sur la situation d’ensemble de l’industrie et décrire le rôle des Premières Nations? Les Premières Nations travaillent-elles dans le volet dynamique du secteur?

Quoi qu’il en soit, je pose simplement cette question à toute personne qui veut l’aborder et en rassembler tous les éléments. Merci.

M. Uehara : Je peux seulement répondre à une petite partie de la question, qui concerne, encore une fois, les mollusques et crustacés. Comme il s’agit pour ainsi dire d’un nouveau produit, nous avons maintenant des élevages de mollusques et de crustacés dans la région, et, par conséquent, cela a donné une augmentation considérable, puisque nous sommes partis de presque rien. Et la valeur, en particulier celle des pétoncles, est assez élevée par rapport à d’autres produits de la mer.

Donc, en ce sens, cette petite partie de la pêche n’est pas du tout en déclin; elle est en croissance. Je pense que c’est une lueur d’espoir quant à la capacité biologique de la région.

Maintenant, pour ce qui est de l’épuisement des stocks de poissons, et tout le reste, je demanderais à Mme Thorkelson d’en parler, car je pense que c’est davantage lié au fait que... La diminution de ces stocks n’a rien à voir avec ce que nous faisons. Nous essayons de tirer profit de la biocapacité actuelle de la région.

Mme Thorkelson : Je dirais que nous n’avons pas de problèmes, actuellement, avec les stocks de saumon en général. Il y a encore beaucoup de saumons et de poissons plats, là-bas. L’industrie de la pêche commerciale récoltait, autrefois, néanmoins, 100 p. 100 de ces poissons, et je ne parle pas de la pêche de subsistance. Actuellement, nous récoltons probablement environ 50 p. 100, voire moins, de ce que nous récoltions autrefois, en raison de la réglementation et de la réaffectation aux autres groupes d’utilisateurs.

Mais je dois dire que nous faisons face aux changements climatiques, tout comme les parcs marins. Et je vous ai montré cela, parce que ces parcs marins sont des zones où il est strictement interdit de pêcher. Si le gouvernement du Canada croit pouvoir transformer 32 p. 100 de la côte Nord et de la côte Ouest en zones interdites à la pêche, selon lui pour protéger le poisson, n’est-il pas un peu étrange qu’il autorise le passage des pétroliers qui peuvent avoir des répercussions sur ces zones, où on ne peut pas pêcher?

Le gouvernement limite donc nos pêches et dit que nous devons protéger les poissons et assurer la croissance des populations. Nous allons créer des aires de conservation du sébaste. Nous allons créer une zone de protection marine. Nous allons créer des zones où nous allons nous assurer que nos stocks seront conservés, à l’avenir.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada affectent 158 millions de dollars à la restauration de l’habitat, en Colombie-Britannique, parce qu’il veut faire quelque chose pour les habitats d’eau douce et protéger le saumon. Mais si ces poissons sont victimes d’un déversement de pétrole, que ce soit d’un bateau transportant du combustible de soute C qui s’échoue ou un pétrolier, ces poissons ne pourront pas survivre.

Et il s’agit d’un moratoire relatif aux pétroliers. Il ne s’agit pas d’un moratoire relatif à la certitude qu’il n’y aura aucun déversement de pétrole; il dit simplement qu’il n’y aura pas de déversement catastrophique de pétrole. J’aimerais, moi aussi, qu’il n’y ait aucun déversement de pétrole, mais il ne faut pas être technophobe. Cependant, il ne peut pas y avoir de déversement catastrophique de pétrole. Cela aura des répercussions sur nos poissons et sur nos zones de protection marine.

Je vous le dis, nous avons beaucoup de poissons. Et la raison pour laquelle nous n’en tirons pas profit, vous la trouverez dans le projet de loi C-68; c’est plutôt lié à la délivrance des permis sur notre côte qu’à un manque de poisson.

Le président : Monsieur Clapperton, que répondez-vous aux intervenants inquiets?

M. Clapperton : Eh bien, je pense qu’il est très important de prendre toutes les préoccupations en compte. Ce que nous voulons, c’est arriver à une discussion sur le « comment ». Nous voulons parler des moyens avec lesquels nous allons pouvoir faire cela.

J’ai entendu aujourd’hui des représentants de l’administration portuaire dire qu’il existe des moyens d’examiner les risques. Il y a des façons de travailler avec les corridors. Il y a des façons de faire les choses, et je pense que c’est ce qui nous préoccupe avec le projet de loi. Il ne nous permet pas de discuter du « comment ».

Nous pensons que c’est pour nous une occasion extraordinaire et, vous savez, il est question de notre entreprise. Je vous ai communiqué certaines statistiques. Pour ce qui est de la performance environnementale, bien des gens sont surpris quand nous parlons de notre situation en 2009 et de notre situation actuelle, pour ce qui est de notre réduction des émissions de gaz à effet de serre et de nos autres réussites. Qu’il s’agisse de l’air, de l’eau, de la terre, ou de ce que vous voulez, nous travaillons dur tous les jours.

Au Canada, nous avons une immense culture de l’innovation et de la technologie. Je pense que ce serait une excellente occasion d’appliquer cette culture à une discussion sur le « comment » et sur la façon de procéder en toute sécurité.

La sénatrice Gagné : Monsieur Veldman, vous avez dit que vous avez commandé une évaluation des risques touchant les possibilités d’accident, n’importe quel accident. Je suppose que vous avez donc établi la fréquence des accidents pour différents navires, les porte-conteneurs, les navires de croisière, les méthaniers ou les pétroliers.

Quelles sont ces statistiques? Les avez-vous publiées?

M. Veldman : Nous pouvons certainement vous fournir une copie de l’évaluation des risques que nous avons faite en 2012. C’est une évaluation des risques de haut niveau, c’est donc une fourchette, mais je me ferai un plaisir de vous la fournir, à titre de ressource.

La sénatrice Gagné : Vous avez donc ciblé toutes les conditions qui existent dans votre port, tel qu’il est aujourd’hui?

M. Veldman : C’était notre objectif principal, mais nous avons également pensé à des scénarios d’agrandissement.

La sénatrice Gagné : Avez-vous évalué les scénarios d’agrandissement en tenant compte des pétroliers?

M. Veldman : Oui.

La sénatrice Gagné : Vous nous fournirez donc cette information?

M. Veldman : Absolument. Avec plaisir.

La sénatrice Gagné : Merci.

Le sénateur Smith : J’ai deux petites questions.

J’ai lu le projet de loi C-48 deux ou trois fois, et je n’ai rien vu à propos d’évaluation des risques. A-t-on déjà réalisé une évaluation des risques pour le projet de loi C-48, ou était-ce simplement une décision politique? Tout le monde peut répondre à la question.

M. Clapperton : Pas à notre connaissance.

Le sénateur Smith : Parce que la question se pose.

Ensuite, on réalise généralement un certain type d’évaluation des risques pour tous les projets. Apparemment, la question a été posée au ministre des Transports : si le projet de loi est adopté, sera-t-il nécessaire de prévoir une capacité d’intervention ou un plan d’intervention? Et je crois que quelqu’un a dit que le ministre avait répondu par la négative.

Ma question est la suivante : si un corridor est défini, comme certains le suggèrent, pourquoi n’y aurait-il pas de condition préalable, selon laquelle il faut également prévoir une capacité d’intervention pour protéger ce corridor d’un bout à l’autre, de manière à réduire les risques au minimum?

J’aimerais savoir si quelqu’un peut formuler un commentaire à cet égard, car il semble que vous évoluez dans un contexte différent ou que vous avez une tout autre façon de penser; vous venez de présenter un projet de loi qui est essentiellement un stratagème politique, qui manifestement satisfait certaines personnes et en mécontente d’autres.

Je pense également à toutes les questions liées au désir de donner une chance aux jeunes et aux populations autochtones. Nous avons discuté avec des représentants de plus de 200 bandes, et leur message était le même : ils veulent sortir de la pauvreté.

C’est une longue question; quelqu’un pourrait-il faire quelques commentaires?

M. Clapperton : J’ajouterais quelque chose.

Je pense que cela nous a empêchés de discuter la bonne façon de faire. Prenons le Plan de protection des océans; je crois que le gouvernement fédéral a affecté 1,5 milliard de dollars en ressources au renforcement de la capacité en matière de sécurité maritime dans cette région.

Je viens d’entendre le groupe de témoins parler des navires. Il y a beaucoup d’activités en cours dans cette région. Je pense qu’une région bien gérée, dotée des ressources nécessaires, pourrait en fait être plus sûre avec davantage de navires, qu’avec moins. Je prends toujours l’exemple d’un aéroport très fréquenté.

Il y a ici des possibilités sur lesquelles nous pourrions travailler, et je pense que c’est le défi du projet de loi dans sa forme actuelle; beaucoup trop de produits ne sont pas autorisés.

Le sénateur Smith : L’argument, c’est que la côte est trop longue pour que l’on puisse mettre en place un plan d’intervention approprié. Selon nous, il faut mettre en place un plan d’intervention spécifique pour le territoire qui sera exploité, où il y aura un corridor, de manière à assurer une capacité d’intervention maximale. Les navires ne mettront pas 24 heures pour y arriver; il leur faudra seulement une heure, 50 minutes, 20 minutes ou peu importe.

Je me demande simplement si c’est réaliste?

Le président : Sénateur Patterson, soyez très bref, et ensuite nous passerons à autre chose. Avez-vous également un commentaire à faire, sénateur MacDonald? D’accord, nous allons un peu dépasser le temps alloué.

M. Uehara : J’aimerais répondre. Je ne comprends pas ce que vous dites. Votre question est-elle de savoir si on devra réaliser une bonne évaluation des risques? Votre hypothèse est-elle qu’on trouverait un faible niveau de risques?

Je pense que tout le monde est d’accord pour qu’une telle évaluation soit faite, mais je crois qu’au final, vous constaterez un niveau de risque plus élevé.

Le président : Êtes-vous pour ou contre le projet de loi, monsieur Uehara? Je vous le demande, car vous n’avez pas été clair.

M. Uehara : J’ai été clair; oui, je suis pour le projet de loi.

Le président : Avez-vous autre chose à ajouter? Je suis désolé.

M. Uehara : Si vous deviez réaliser cette évaluation et que vous supposez que vous aurez un niveau de risque plus faible... Je ne pense pas que ce soit le cas. En tenant compte de tout le trafic maritime, des régions dans lesquelles il n’y a pas eu d’évaluation, comme vous dites, parce que le projet de loi n’a pas été adopté; je pense que ce que vous allez constater, c’est un niveau de risque beaucoup plus élevé que vous ne le supposiez.

Le président : Sénateur MacDonald, allez-y.

Le sénateur MacDonald : J’adresserai ma question aux trois autres témoins qui ont parlé de leurs préoccupations environnementales. Je comprends vos préoccupations pour ce qui est de l’environnement et de la gestion de l’écosystème de la région. C’est une question qu’il ne faut pas ignorer.

Mais, je voudrais poser cette question à vous trois : Avez-vous examiné la manière dont on gère les choses sur la côte Est? Vous avez mentionné la valeur de la pêche, à savoir 400 millions de dollars. La pêche sur la côte Est vaut 2,9 milliards de dollars; c’est presque sept fois le volume des pêches d’ici, et c’est très fructueux.

Dans les Grands Bancs, il y a des forages pour extraire du pétrole et il y a de la pêche. L’écosystème marin de la baie de Fundy, celui de notre côte, est très complexe, et le secteur de la pêche aux pétoncles, au saumon, au hareng et au homard est très lucratif. Pourtant, nous importons du pétrole lourd et exportons des produits finis tout le temps.

Avez-vous évalué honnêtement et objectivement comment ces deux façons de gagner sa vie sont considérées et gérées, sur la côte Est? Car vos concitoyens canadiens de la côte Est ont fait un très bon travail de gestion, pour le plus grand bénéfice de tous.

Mme Thorkelson : J’aimerais dire que mon syndicat — je fais partie d’Unifor — est aussi le syndicat des pêcheurs de Terre-Neuve. J’ai donc passé beaucoup de temps à leur parler de la côte Est.

Ils ont dit avoir été préoccupés, au début. Ils ont créé un organisme et ont rencontré les représentants de l’industrie pétrolière, et ils ont essayé de réglementer les endroits où les bateaux de pêche pouvaient pêcher.

Maintenant, ils ont beaucoup plus de préoccupations qu’ils n’en avaient au début de l’implantation de l’industrie pétrolière. Pour ce qui est du pétrole, l’action des vagues sur la côte Est est très différente; l’action des vagues éloignera le pétrole de la côte. Elle ne le rejettera pas sur les rives, comme en Colombie-Britannique. Vous travaillez avec deux côtes différentes. L’industrie de la pêche se préoccupe énormément de la possibilité d’un déversement et des répercussions qu’aurait un tel déversement.

Bien sûr, vous pourriez dire qu’il n’y a pas eu de déversement. Il n’y en a pas eu jusqu’à celui de l’Exxon Valdez.

Le sénateur MacDonald : Non, ce n’est pas vrai. Il y a eu deux déversements majeurs sur la côte Est, mais, évidemment, personne ne le sait. Personne à Ottawa ne le sait, pas plus que CBC/Radio-Canada. Les pétroliers s’appelaient le Arrow et le Kurdistan.

Mme Thorkelson : C’est vrai.

Le sénateur MacDonald : Et personne ne le sait.

Mme Thorkelson : Il y a eu un déversement important près de l’île de Vancouver, et personne ne le sait. Une barge, le Nestucca, a fait naufrage près de l’État de Washington. Le pétrole était censé se répandre de Washington vers l’Oregon, mais il a coulé, parce qu’il s’agissait de mazout C. Il a coulé ou a été entraîné vers le fond. Peu importe la terminologie que les gens du domaine pétrolier utilisent, le fait est que le pétrole a coulé, il a été submergé; et, ensuite, il est devenu impossible de le suivre. Le pétrole a fini par se répandre sur les plages de la côte Ouest de l’île de Vancouver, 325 milles plus au nord.

Le président : Sur ce, nous allons passer au prochain groupe, parce que je crois que tout le monde sait de quoi il s’agit. Nous avons eu une excellente discussion. Merci beaucoup.

Maintenant, nous sommes heureux d’accueillir l’honorable George Heyman, ministre de l’Environnement et de la Stratégie sur les changements climatiques de la Colombie-Britannique. Nous accueillons également Mme Jennifer Rice, députée provinciale de North Coast; M. Nathan Cullen, député fédéral de Skeena—Bulkley Valley; et M. Lee Brain, maire de Prince Rupert.

Je crois que nous avons déjà convenu de l’ordre de parole.

L’hon. George Heyman, ministre de l’Environnement de la Stratégie sur les changements climatiques, gouvernement de la Colombie-Britannique : Mesdames et messieurs du Sénat, merci d’être venus en Colombie-Britannique. Merci d’être venus à Prince Rupert, et merci de donner l’occasion au gouvernement de la Colombie-Britannique d’intervenir au sujet du projet de loi C-48, la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers.

Avant tout, je tiens à reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire des Tsimshian de la côte. Je veux aussi souligner que nous allons présenter un mémoire très détaillé, et je vais vous en exposer les grandes lignes dans ma déclaration aujourd’hui.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est engagé publiquement à protéger notre environnement et notre économie contre les conséquences désastreuses des déversements de pétrole lourd, et c’est pourquoi nous nous sommes toujours opposés au projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain et au projet Northern Gateway.

Même si nous ne sommes pas au courant des consultations menées par le gouvernement fédéral et que nous ne pouvons pas formuler de commentaires sur la procédure judiciaire en cours concernant le caractère adéquat des consultations, nous savons néanmoins qu’il y a eu des contestations judiciaires. Nous soutenons le projet de loi C-48 dans la mesure où le gouvernement fédéral veille à consulter de manière complète et sincère les collectivités autochtones.

Cela fait des dizaines d’années que nous savons qu’il est prioritaire de protéger la côte nord de la Colombie-Britannique contre les déversements de pétrole lourd provoqués par un pétrolier. À cette fin, une zone d’exclusion volontaire des pétroliers a été créée en 1995 afin d’éloigner de la côte nord de la Colombie-Britannique les pétroliers chargés venant de l’Alaska.

En 2015, la Société royale du Canada a publié un rapport mettant en relief notre manque de connaissances à propos du comportement du bitume dilué et du pétrole lourd déversés dans divers écosystèmes. Présentement, le cadre de planification, de préparation et d’intervention ciblant les déversements de pétrole est axé, dans l’ensemble, sur le pétrole flottant, et non sur les résidus qui peuvent se mélanger aux colonnes d’eau, se coller aux particules et couler au fond des environnements aquatiques. Les interventions en cas de déversement sur la côte Nord sont également plus difficiles en raison de son éloignement et de ses conditions hostiles.

La province de la Colombie-Britannique croit que ni les capacités ni les compétences ne sont en place pour réagir efficacement à un déversement important de pétrole lourd en milieu marin sur la côte Nord. Certains facteurs, comme l’agitation des eaux, le vent, la force des courants marins et la mauvaise visibilité, font qu’il ne sera pas toujours possible d’intervenir en cas de déversement de pétrole lourd en milieu marin, de lancer les plans d’intervention efficacement ou, dans certains cas extrêmes, de faire quoi que ce soit.

Les écosystèmes côtiers de la côte nord de la Colombie-Britannique sont uniques et délicats. Il serait très difficile d’y intervenir en cas de déversement de pétrole lourd, à cause des conditions environnementales qui sont parfois imprévisibles et extrêmes.

Si un important déversement de pétrole lourd se produisait sur la côte Nord, cela pourrait être catastrophique pour certaines espèces protégées par la Loi sur les espèces en péril, par exemple l’épaulard résident du Nord. Dans notre mémoire, nous énumérons en annexe les espèces menacées et en voie de disparition afin de les mettre en relief.

Il est aussi important de protéger les habitats marins près des côtes où vivent le saumon ainsi que d’autres espèces dépendant du saumon. À certains endroits, comme dans le fleuve Skeena, par exemple, il y a un faible taux de montaison, et le saumon a de la valeur sur le plan de la culture et de la sécurité alimentaire.

Les industries du secteur maritime et du tourisme de la côte nord de la Colombie-Britannique ont besoin de milieux marins en santé. Un seul déversement de pétrole lourd en milieu marin pourrait avoir de graves conséquences sur les industries du secteur maritime, par exemple les pêches et le tourisme. De nos jours, le tourisme maritime contribue pour 2,9 milliards de dollars au produit intérieur brut de la Colombie-Britannique et fournit des emplois à 53 000 personnes de façon directe et indirecte.

Laissez-moi vous donner un exemple concret : en 2016, à la suite du déversement causé par le Nathan E. Stewart, les zones coquillières ont été fermées d’octobre 2016 au 5 janvier 2018. C’est quelque 107 000 litres de diesel, non pas de pétrole brut, qui se sont déversés. Le déversement a eu des conséquences sur les pêches autochtones ainsi que sur les pêches commerciales et récréatives. Évidemment, il a aussi frappé un moyen de subsistance de la Première Nation Heiltsuk.

La Colombie-Britannique reconnaît que les opinions des Premières Nations sur le projet de loi C-48 ne sont pas homogènes. Nous savons aussi que des contestations judiciaires sont en cours relativement au caractère adéquat de la consultation des peuples autochtones. Même si nous ne savons rien de ces choses et que nous ne pouvons pas formuler de commentaires à ce sujet, nous soutenons le projet de loi C-48, pourvu que le gouvernement fédéral assume ses responsabilités et ses devoirs et qu’il veille à ce que les collectivités autochtones soient consultées de façon exhaustive et utile.

Merci de nous avoir invités à témoigner. J’espère que vous aurez le temps de lire nos observations détaillées. Vous trouverez beaucoup plus d’information que j’ai pu en fournir dans mon exposé. Une fois que les autres témoins auront pu faire leur exposé, je serai heureux de répondre à vos questions et à vos préoccupations.

Le président : Merci, monsieur Heyman. Mme Jennifer Rice est la députée provinciale de North Coast. Nous avons déjà eu le plaisir de discuter avec elle, hier soir. Allez-y, madame Rice.

Jennifer Rice, membre de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, North Coast, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et merci à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.

Je reconnais que nous nous trouvons sur le territoire du peuple Tsimshian.

Je suis la députée provinciale de North Coast, en Colombie-Britannique. Je représente l’une des plus grandes circonscriptions de la province, et l’une des plus grandes entre Prince Rupert, où nous nous trouvons, et Haida Gwaii, et même aussi loin que la côte centrale, jusqu’au territoire de la nation Wuikinuxv. Je représente énormément de collectivités non autochtones et d’administrations municipales, mais aussi un grand nombre de collectivités autochtones : le peuple haïda des collectivités de Skittigit et de Old Masset, le peuple Tshimshian des collectivités de Gitxaala, de Metlakatla, de Lax Kw’alaams et de Hartley Bay, les peuples Heiltsuk, Kitasoo et Xai’xais et la nation Oweekeno.

Ma circonscription sera touchée par les dispositions du projet de loi C-48. Il y aura des conséquences pour les nations et les collectivités non autochtones que je représente. Je suis ici aujourd’hui pour vous faire part des leçons que j’ai tirées de ma carrière de politicienne et des excellentes relations que j’ai eu à cœur d’avoir avec les peuples autochtones de ma circonscription.

Pour commencer, même si c’est un cliché, je dois dire que l’eau est la source de la vie. À l’instar des collectivités autochtones qui sont entièrement liées à la terre, les Premières Nations des côtes sont entièrement liées à l’eau et à la santé des écosystèmes marins. Il y a eu des études anthropologiques poussées qui ont permis de conclure que la privation ou la surexploitation des terres et des eaux des Premières Nations met en danger certaines espèces d’une importance culturelle clé pour les Autochtones, par exemple le bison pour les Cris ou le saumon pour les Tsimshian.

C’est toute une culture qui est menacée par la disparition de ces espèces clés. Les liens culturels sont fondés sur la relation avec l’environnement; ce n’est pas quelque chose qu’on peut remplacer une fois que la relation est brisée. C’est une réalité que nous ne pouvons pas ignorer : les collectivités des Premières Nations ont des droits inhérents, et nous devons protéger les écosystèmes marins afin de respecter leurs droits.

En octobre 2016, le Nathan E. Stewart, un remorqueur-chaland, s’est échoué près de Bella Bella, une région importante pour la récolte de mollusques, de crustacés, de poissons et de fruits de mer, et a déversé 109 000 litres de diesel et d’autres produits pétroliers. Même si c’était un déversement mineur, selon les experts, le résultat a été catastrophique pour la Première Nation Heiltsuk.

Des représentants du gouvernement et de la société pétrolière ont envahi la petite collectivité éloignée de Bella Bella, et ils ont été nombreux à se plaindre du prix de la nourriture dans l’unique épicerie de la région. Ils ne savaient pas — ils ont dû l’apprendre — que la véritable épicerie de la collectivité était à présent pleine de pétrole. Pour la collectivité, l’épicerie, c’était plutôt l’endroit où elle récoltait du poisson et des fruits de mer, des algues marines, du saumon et du flétan. Une pêche durable à la mactre a été fermée pendant plus de deux ans à cause de la contamination.

Les collectivités côtières sont des collectivités de subsistance. Les mères célibataires avec trois enfants qui doivent vivre avec 250 $ par mois ont besoin des ressources de la terre et de l’eau quand le lait coûte 10 $ le gallon. Elles ne peuvent pas survivre autrement. Mes électeurs vivent dans un monde où un poivron rouge coûte 8 $, et un jambon, 75 $. Les non-Autochtones comme nous n’arriveraient jamais à survivre dans ces conditions, mais mes électeurs y arrivent grâce aux ressources de la mer auxquelles ils ont accès. Un pêcheur et un bateau, c’est tout ce qu’il faut à des centaines de personnes de sa collectivité pour subvenir à leurs besoins.

Pensez-y. S’il y a un déversement de pétrole, même un déversement mineur, cela veut dire que des enfants vont mourir de faim. Il est donc extrêmement important de protéger ces ressources. Pour mes électeurs, c’est une question de survie. Cela fait 14 000 ans qu’ils survivent ainsi; cela est bien documenté. À présent, cela est menacé. Nous devrions accorder la priorité à ce que ces collectivités ont à dire. Elles ont été les gardiennes de la terre et l’eau pendant des milliers et des milliers d’années. Malheureusement, notre monde ne fonctionne pas ainsi, et c’est pourquoi je suis ici aujourd’hui.

Aujourd’hui, j’utilise les privilèges découlant de la colonisation — qui remonte à 150 ans seulement — afin de m’adresser à vous au nom de mes électeurs et des nombreux Autochtones que je représente.

Je crois que c’est ça que vous devez retenir, mesdames et messieurs les sénateurs. La circulation maritime représente un risque non seulement pour l’épicerie de Bella Bella, mais également pour toutes les épiceries de toutes les collectivités le long de la côte.

Sur papier, les économies des nations côtières ne contribuent pas énormément au PIB. Cependant, pour ces collectivités, les ressources maritimes ont beaucoup plus de valeur comme indicateur de richesse. Les gouvernements coloniaux ont refilé le véritable coût des activités commerciales aux peuples autochtones : ce prix, c’est la destruction de leurs terres, de leur mode de vie et de leur bien-être.

Ce qui est menacé a plus de valeur que des recettes potentielles ou que nos régimes coloniaux vieux de 150 ans. Ce sont les droits inhérents de tous les enfants autochtones, le droit de vivre sur leurs terres, qui sont menacés. Il y a un prix à payer pour notre capacité à transporter du pétrole le long de la côte Nord, et ce prix est le patrimoine culturel de tous les enfants nés ou à naître sur ce territoire.

Une responsabilité énorme vous incombe, celle de protéger ces enfants, ce que vous pouvez faire en soutenant le projet de loi C-48. Merci.

Le président : Merci, madame Rice.

La parole va maintenant au maire de Prince Rupert, M. Lee Brain.

Lee Brain, maire, Ville de Prince Rupert : Merci. J’aimerais vous présenter un point de vue légèrement différent, celui des collectivités locales. Je suis un de ces milléniaux embêtants, comme certaines personnes les appellent. J’ai été élu maire à l’âge de 29 ans, et j’en suis à mon deuxième mandat. J’ai terminé mes études secondaires ici en 2003, à une époque où l’économie de la collectivité venait de s’effondrer. Nous avons perdu notre usine de pâtes. Nous avons perdu le secteur forestier presque en même temps que nous avons perdu l’industrie de la pêche. Quand j’ai terminé mes études secondaires, je me suis retrouvé dans une situation où il n’y avait aucun avenir et, essentiellement, aucun espoir pour la collectivité. J’ai donc poursuivi mes études ailleurs avant d’y revenir en 2010.

Bref, je suis maintenant le maire de la collectivité, et je peux vous dire que notre déficit en matière d’infrastructure s’élève à 400 millions de dollars. Nous devons payer pour toutes sortes de problèmes, par exemple le fait que notre réseau d’aqueduc a une centaine d’années. Nous devons construire une usine de traitement des eaux usées, ce qui va nous coûter 200 millions de dollars. La liste de nos besoins est longue, et nous allons avoir besoin d’énormément de capitaux afin de faire les travaux qui s’imposent.

Au cours des cinq dernières années, j’ai mené, à titre de maire, des négociations avec les représentants de six grandes installations de gaz naturel liquéfié, y compris Exxon Mobil. Je me suis rendu au siège social de l’entreprise dans la ville appelée The Woodlands, dans la région métropolitaine de Houston, au Texas. J’ai rencontré un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs asiatiques qui viennent dans notre collectivité, et nous accueillons régulièrement des délégations commerciales de Chine, de Corée, de Malaisie et du Japon, qui veulent faire des affaires ici. À bien des égards, je suis en quelque sorte un ambassadeur du Canada pour cette porte d’entrée commerciale qui n’a pas beaucoup de visibilité. Nous travaillons d’arrache-pied pour construire une porte d’entrée commerciale dans notre collectivité pour enfin nous sortir du gouffre dans lequel on nous a jetés.

Cela étant dit, je suis tout à fait en faveur du développement économique. Cependant, je m’oppose à la circulation de pétroliers le long de notre côte. Je m’explique : notre modèle économique actuel ne nous permet pas de tirer parti des avantages de ce genre d’activités, et c’est là le problème. En général, les terminaux pétroliers sont placés à l’extérieur d’une collectivité, et les emplois qui sont créés — non pas des centaines, mais des dizaines — ne sont pas suffisants. On parle seulement de 20 emplois environ. Le pétrole n’est pas transformé : ce qui est acheminé au terminal et qui est chargé à bord des pétroliers, c’est du pétrole brut.

Nous ne touchons pas de recettes, dans ce scénario. Au départ, il y a un va-et-vient constant à l’aéroport, puis arrive une période de spéculation immobilière où le prix de toutes les propriétés augmentent. Ensuite, les gens sont expulsés de chez eux à cause de tous ces projets immobiliers. Des gens sont déplacés, puis, si une décision définitive est prise en matière d’investissement, il y a généralement une explosion de projets immobiliers, par exemple pour des hôtels. Une fois la poussière retombée, vous avez une vingtaine de personnes qui travaillent au terminal, et un surplus d’hôtels et de maisons vides. C’est arrivé à Fort McMurray, et c’est aussi arrivé à Kitimat, avec le projet de Rio Tinto Alcan. C’est aussi arrivé en Australie quand on a construit trois installations de gaz naturel liquéfié l’une à côté de l’autre.

Le modèle économique actuel ne nous permet tout simplement pas de tirer parti de l’effet de retombée que ces projets sont censés entraîner. Ils n’avantagent pas la collectivité elle-même. Cela fait cinq ans maintenant que je négocie avec les promoteurs de tous ces grands projets, et j’ai aussi participé à six évaluations environnementales. Vous pouvez me croire quand je dis qu’ils font tout en leur pouvoir pour que les ressources ne profitent pas à la collectivité.

Cela dit, il y a un message qui doit être transmis en toute franchise au comité. Que vous adoptiez ou non ce projet de loi, on va continuer de dire que ce n’est pas viable sur le plan économique de raffiner les produits pétroliers au Canada, mais je peux vous dire que ce n’est pas économiquement viable de lancer les projets qui seront largement contestés. Prenez le projet Northern Gateway, par exemple. Enbridge a investi 10 ans et des dizaines de millions de dollars dans ce projet et n’a récolté qu’une vaste opposition. L’entreprise a eu beau recevoir l’approbation de son évaluation environnementale, le projet n’est pas allé de l’avant.

Pourquoi alors lancer un autre projet au Canada lorsque nous savons qu’il se heurtera à une opposition, que le processus durera 10 ans et qu’il échouera? Et tout ça pour quoi?

En vérité, nous devons commencer à raffiner les produits ici au Canada. Le gouvernement doit commencer à investir dans ce secteur dès maintenant, si c’est ce que l’industrie pétrolière veut, afin d’ajouter de la valeur à l’industrie et de créer des emplois ici. Au bout du compte, personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident lié au transport du bitume brut le long de la côte. Il ne suffit que d’un seul accident... Et qui en sera tenu responsable? Vous ne serez plus là.

L’aspect maritime des projets pose également un problème. Une fois que la construction sur terre est terminée, les entreprises qui ont mis l’oléoduc en place se déchargent de toutes responsabilités. Personne n’est responsable de ce qui se passe du côté maritime. Il y a seulement ceux qui transportent le pétrole, et tout ce qu’ils vont dire, c’est : « Oups, il y a eu un déversement. »

Ce n’est qu’un aperçu des problèmes; il y en a d’autres. Il n’y a simplement aucune façon de garantir qu’il n’y aura jamais de déversement. Prince Rupert va bien, aujourd’hui. Nous aurons bientôt des installations de propane. Nous avons un projet d’agrandissement de notre terminal à conteneurs. Des milliers d’emplois seront créés dans notre collectivité d’ici les 10 prochaines années, grâce à ce que nous faisons déjà. Il n’y a aucune raison d’ajouter à cela un terminal pétrolier. Merci.

Le président : Merci, monsieur Brain.

Monsieur Cullen, allez-y.

Nathan Cullen, député fédéral de Skeena—Bulkley Valley, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et merci à vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Bienvenue sur la côte Nord. Je sais que c’est pour un certain nombre d’entre vous une première visite dans notre beau coin de pays.

La séance de votre comité a attiré une vraie foule. J’espère que vous trouvez cela remarquable. Je crois qu’il y a plus de gens ici qu’il y en a dans la tribune du Sénat ou de la Chambre à la plupart des réunions des comités. Dis-je vrai? Mme Wilson-Raybould n’est même pas ici, et pourtant, le public semble très intéressé.

Je crois que la raison en est que le projet de loi que vous étudiez, le projet de loi C-48, touche bien plus que le simple droit maritime commercial. Il touche bien plus que les règles encadrant le transport de marchandises sur la côte Nord. Il touche la région au grand complet et tous ceux qui ont le grand privilège et l’avantage d’y vivre.

Il y a quelques points importants que j’aimerais soulever. Tout cela sera peut-être nouveau pour certains d’entre vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Vous apprenez à connaître la côte Nord ainsi que les cultures anciennes qui y existent depuis des temps immémoriaux. Vous apprenez la valeur du saumon et des océans, entre autres choses. Pour bon nombre de personnes ici présentes, c’est une conversation qui dure depuis plus de 40 ans, 40 ans à débattre de la circulation des pétroliers et de l’exploitation pétrolière sur la côte Nord. Pour nous, il n’y a rien de nouveau, et nous sommes extrêmement épuisés d’avoir à nous battre, encore et encore, pour rappeler aux gens ce qui a le plus de valeur pour nous.

Pour que ce soit clair, je veux dire aux sénateurs et aux sénatrices que je suis en faveur du projet de loi C-48. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, puisque j’en ai écrit une bonne partie. J’ai présenté ce projet de loi en 2014, et en 2015, pendant la campagne électorale, notre parti, le Parti vert, le Bloc québécois et les libéraux ont tous soutenu l’interdiction des pétroliers sur la côte Nord.

Les Canadiens ont exprimé démocratiquement leur volonté pendant les dernières élections, et mon projet de loi d’initiative parlementaire a été présenté à titre de projet de loi d’initiative gouvernementale pour devenir le projet de loi C-48 présentement à l’étude.

Cette année, les députés de la Chambre des communes ont voté à 67,2 p. 100 en faveur du projet de loi. Ils représentent la volonté claire de plus de 11 millions de Canadiens et de Canadiennes. Je connais et j’apprécie plusieurs des sénateurs assis ici autour de la table. En tant que néo-démocrate, je tiens à dire que j’ai quelques préoccupations à propos du libellé du projet de loi — et je vous encourage à le passer au peigne fin à la recherche d’une quelconque erreur de droit —, mais la volonté démocratique des Canadiens s’est exprimée.

Les représentants de la Colombie-Britannique sont ici devant vous : le maire de la collectivité, la députée provinciale qui représente la collectivité et moi-même, député fédéral élu à cinq reprises. À chaque élection, j’ai indiqué très clairement ma position sur le sujet. Je doute qu’on m’ait élu pour ma superbe chevelure ou ma belle apparence; alors il faut que ce soit pour mes positions sur certains sujets.

Un autre aspect important que nous devons étudier est le risque. Quel niveau de risque sommes-nous prêts à tolérer? Quels sont les risques possibles? Je tiens à avertir les sénateurs et les sénatrices que certaines évaluations de risque sur lesquelles vous vous appuyez ont été menées par Enbridge. Permettez-moi d’insinuer que ces évaluations du risque ne sont peut-être pas objectives. Cette entreprise a déjà tracé des cartes, à l’intention des Canadiens, quand elle faisait la promotion de son pipeline, en faisant disparaître des dizaines de milliers de kilomètres carrés d’îles dans le chenal Douglas pour nous faire croire qu’il s’agissait d’un accès maritime facile à la région de l’Asie-Pacifique depuis Kitimat, alors que c’est faux.

Nous ne tolérerons aucun risque de déversement pétrolier majeur. C’est la tolérance zéro, parce que les conséquences d’un déversement majeur de pétrole — que ce soit à cause d’un pipeline ou d’un pétrolier — seraient désastreuses pour notre collectivité sur les plans économique, social et culturel. Nous avons des amis et des voisins dans le Nord qui ont subi le déversement de pétrole du Exxon Valdez. Selon l’industrie, il s’agissait d’un déversement moyen, et pourtant, il y a encore des plages aujourd’hui où il suffit de creuser un peu le gravier pour faire remonter le pétrole qui s’est déversé de ce pétrolier.

On peut toujours affirmer que la technologie progresse et que nos techniques s’améliorent, mais nous demeurons humains, et l’erreur est humaine. S’il en était autrement, il n’y aurait jamais eu d’accident dans le golfe du Mexique, et il n’y aurait pas eu de déversement à Kalamazoo. Tous les responsables étaient de bonnes personnes qui faisaient leur travail du mieux qu’ils pouvaient.

Lorsque vous avez été accueilli ici, sur le bateau, vous n’avez vu qu’une seule facette des conditions météorologiques d’ici. Aujourd’hui, la côte Nord est calme et ensoleillée. Mais il y a aussi des jours où les vents sont proprement renversants. Il n’y a qu’un seul autre endroit dans le monde où les vagues et les vents sont plus forts qu’ici, et notre plancher océanique est très, très loin sous la surface.

Quelque chose a piqué ma curiosité pendant que j’écoutais les témoignages un peu plus tôt. C’était à propos des occasions à saisir, en particulier celles offertes aux Autochtones. Les collectivités et les nations dont Mme Rice a parlé plus tôt représentent environ 40 p. 100 de ma circonscription, la région du Nord-Ouest.

J’ai l’impression que le vent est en train de soutenir mon argument. Je ne savais pas que j’avais autant de pouvoir. À ce qu’il paraît, le gouvernement fédéral a la responsabilité des conditions météorologiques, mais j’avoue que je suis surpris.

Je vais conclure, parce que je ne veux pas prendre trop de votre temps. Comme toujours, nous sommes heureux de voir qu’on accorde de l’importance au statut socioéconomique des Autochtones du Canada, qui a été trop inférieur et pendant bien trop longtemps à celui des autres Canadiens. Malgré tout, je me demande toujours pourquoi cet intérêt est toujours assorti d’un oléoduc.

C’est risqué de parler au nom des peuples autochtones, mais, si le Sénat se mobilisait et décidait de discuter du rétablissement complet de nos stocks de saumon et de l’accroissement du nombre de projets d’énergie propre — qui ne menacent pas nos vies —, il y aurait deux fois plus de personnes dans la salle.

Nous avons l’occasion ici de mettre fin aux débats houleux et déchirants, sur les pipelines et les pétroliers de la côte Nord, qui durent depuis plus de 40 ans et de donner des certitudes quant à l’avenir afin que les gens puissent faire ce qu’ils ont à faire. Nous n’avons pas le droit de léguer aux générations futures un environnement en plus mauvais état que celui dont nous avons hérité. Nous avons la responsabilité d’agir mieux que dans le passé.

Merci beaucoup de votre temps.

Le président : Merci, monsieur Cullen.

Sénatrice Dasko, vous avez la parole.

La sénatrice Dasko : J’ai une question à vous poser, monsieur le ministre. Le sujet a rarement été évoqué pendant ces réunions, mais je tiens tout de même à vous interroger là-dessus.

Il y a quelque temps, des fonctionnaires du gouvernement fédéral sont venus témoigner, et je leur ai demandé quelle était la position du gouvernement de la Colombie-Britannique sur le projet de loi. Ils se sont consultés du regard, ils ont vaguement eu l’air de réfléchir, puis ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas du tout ce que le gouvernement de la Colombie-Britannique pensait de ce projet de loi.

J’aimerais donc savoir quel genre de discussions vous avez eues avec le gouvernement fédéral. Votre gouvernement provincial intervient-il d’une façon ou d’une autre dans ce contexte, et, si oui, de quelle façon?

Je sais qu’il y a énormément d’ouvrages portant sur ce qu’on appelle « le droit de la mer », et je ne veux pas vraiment attaquer le sujet. Je suis certaine que c’est fascinant, mais j’aimerais que vous vous contentiez de répondre à mes questions. Merci.

M. Heyman : Je vais faire de mon mieux pour répondre à votre question. La décision de venir à Prince Rupert, ou plutôt dans le Nord-Ouest en général afin de témoigner devant votre comité a été prise plutôt récemment, mais nous avons jugé que c’était important de le faire. Notre position ne devrait surprendre personne. C’était la position de mon parti quand nous étions dans l’opposition, et depuis deux ans que nous sommes au pouvoir, c’est la position du gouvernement, elle n’a pas changé. Nous sommes très préoccupés des impacts que pourrait avoir un déversement de pétrole lourd non seulement sur l’environnement, mais aussi sur l’économie, peu importe qu’il se produise sur la côte Sud ou sur la côte Nord.

Nous avons eu énormément de discussions générales avec le gouvernement fédéral, surtout avec les hauts fonctionnaires, à propos de la menace que représentent les déversements. Je ne saurais dire s’il y a eu des discussions avec le gouvernement fédéral à propos du projet de loi C-48 lui-même, mais j’imagine qu’il y a eu des discussions générales. Personnellement, je ne peux pas en dire plus.

Nous avons eu énormément de discussions avec le gouvernement fédéral — je suis sûr que vous êtes tous au courant — à propos des déversements, de façon générale, et des compétences fédérale et provinciale. Il a beaucoup été question du Plan de protection des océans, des améliorations qui, selon nous, pourraient y être apportées, ainsi que de ses lacunes, c’est-à-dire les éléments qui doivent être étudiés, pas seulement pour les déversements de pétrole brut, mais pour tous les risques de déversements.

J’ai déjà parlé des conséquences désastreuses que le déversement de pétrole causé par le Nathan E. Stewart — un déversement de diesel relativement mineur — a eues sur la collectivité. La situation a été compliquée par une mer agitée et imprévisible et des conditions météorologiques difficiles qui ont forcé à deux reprises l’interruption des efforts d’intervention et de remise en état. Tout cela a eu pour effet d’exacerber les conséquences.

Nous tenons de manière continue des discussions respectueuses avec le gouvernement fédéral sur ces sujets. Même si nous ne voyons pas toujours les choses de la même façon, notre approche est de collaborer autant que possible lorsqu’il y a un désaccord. Je suis certain que vous le savez déjà tous, mais nous comptons sur un processus judiciaire pour régler les différends. Nous présentons également des exposés à cette fin.

J’espère que cela répond à votre question.

Le président : Allez-y, sénateur Smith.

Le sénateur Smith : J’ai une question pour vous, monsieur le maire. D’après les observations que nous ont fait parvenir des groupes autochtones d’Ottawa, il semble que les emplois ne sont pas le seul intérêt. Ces groupes veulent partager les redevances et peut-être même être propriétaires du pipeline. Ils veulent participer non seulement au moment de la construction, mais aussi pendant la période d’exploitation, et que les redevances sur la valeur composée constituent pour eux un revenu pendant un nombre X d’années.

Vous ne semblez pas avoir abordé ce sujet dans vos discussions. Vous dites qu’il va y avoir 20 emplois une fois que le pipeline sera construit, mais, d’après la rétroaction que nous obtenons des gens qui s’intéressent aux activités économiques que cela pourrait générer, il semble que les retombées pourraient être beaucoup plus grandes et pourraient même atteindre 30, 40 ou 50 p. 100 de la valeur du pipeline en dollars d’aujourd’hui et dans l’avenir.

J’aimerais savoir quel genre d’analyse vous avez menée, à la lumière de vos discussions.

M. Brain : Je connais bien le sujet, parce que la question des modèles de partage des redevances revient constamment sur le tapis. Concrètement, la Ville possède 3 000 acres de propriété portuaire. Nous exploitons le port. Quand j’ai été élu maire, nous avons détruit la vieille usine de pâte à papier qui se trouvait sur l’île Watson et avons débarrassé le terrain des produits chimiques qui s’y étaient répandus. En fait, je dois remercier le bureau de M. Heyman de nous avoir aidés dans cette entreprise. Donc, nous nous intéressons de près aux modèles d’exploitation, étant donné que cela est lié aux redevances que l’on peut tirer.

Présentement, nous avons une petite usine de propane sur l’île Watson. Nous louons le terrain à Pembina. Ce n’est que 30 acres, mais, il faut le souligner, cela génère des millions de dollars pour la collectivité.

Je sais parfaitement bien que nous devons atteindre un équilibre en matière de développement économique. D’après les négociations que j’ai eues avec les représentants de l’industrie du gaz naturel liquéfié, je peux dire que les redevances auxquelles on peut s’attendre selon les modèles de partage, seront annuellement de 8 à 12 millions de dollars, dans le cadre d’un partenariat avec les Premières Nations, par exemple.

Au bout du compte, il faut trouver un juste équilibre entre le risque et les résultats. Vous pouvez obtenir des résultats à court terme, mais courir un risque à long terme. Disons qu’un pipeline — imaginaire, pour l’instant — passe par Port Simpson, par exemple, et qu’il y a une entente de partage des redevances; disons aussi que la nation Lax Kw’alaams obtiendrait 20 millions de dollars par année, grâce au pipeline, afin d’aider ses membres. Mais je peux vous dire dès maintenant que Prince Rupert agira comme un centre de service, mais n’obtiendra ni ressource ni soutien du gouvernement fédéral ou des provinces, parce que — avec tout le respect que je vous dois —, c’est ce qui s’est passé pour nous avec le projet Pacific Northwest LNG.

Pacific Northwest LNG était un projet de 36 milliards de dollars qui était censé avoir lieu juste à l’extérieur des limites de la ville de Prince Rupert. Les responsables ont refusé de conclure une entente avec la Ville. Ils nous ont dit : « Nous ne sommes pas dans votre ville, alors nous ne vous devons rien. » J’ai passé quatre ans à négocier laborieusement avec les promoteurs du projet afin de leur arracher un avantage quelconque et, en fait, cela représentait moins que ce qu’on me donne pour l’île Watson présentement.

Peut-être qu’une bande ou deux sont devenues prospères grâce à un pipeline, mais la région, dans son ensemble, n’en tirera aucun avantage, à moins qu’il y ait une entente de partage des redevances qui prévoit une répartition globale.

Au bout du compte, Prince Rupert pourrait conclure d’autres ententes de ce type avec le secteur du propane, du butane et peut-être même celui du méthanol. Il y a aussi d’autres possibilités du côté du gaz naturel liquéfié. Certains produits sont plus sécuritaires que d’autres. Ils ne sont pas parfaits, mais ils sont plus sécuritaires, et ces occasions existent déjà. L’interdiction n’aura pas de conséquence là-dessus.

Ce que je veux dire, c’est qu’il faut bien évaluer le risque. On conclut une entente de 30 ans avec deux ou trois bandes, mais les conséquences sur la région pourraient durer le reste de nos jours. Il suffit d’un accident comme celui de l’Exxon Valdez, et nous perdons toute une région. Je n’aurais plus de ville à diriger, s’il y a un déversement de pétrole.

Le président : C’est à vous, sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Lorsqu’il faut prendre des décisions qui vont peut-être avoir des conséquences pour l’avenir des provinces et de nombreuses personnes — par exemple, la décision d’approuver un pipeline ou d’imposer un moratoire sur les pétroliers —, quel rôle le gouvernement fédéral, les provinces ainsi que tous les groupes et toutes les collectivités autochtones devraient-ils jouer dans le processus de consultation et de décision? Je parle pour l’ensemble des projets d’exploitation des ressources.

M. Cullen : Depuis le début de la colonisation jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement fédéral s’est toujours délibérément traîné les pieds quand il lui fallait consulter les peuples autochtones. Dans tout ce débat, il y a une chose que je trouve particulièrement étonnante, et c’est que cette question oppose — parfois intentionnellement — le gouvernement fédéral aux collectivités autochtones tout spécialement. Les non-Autochtones ne se rendent pas compte à quel point ces débats qui sèment déjà la discorde deviennent parfois destructeurs.

Comme le ministre Heyman l’a mentionné, le gouvernement fédéral nous a assuré que les consultations qui ont été menées sont suffisantes pour survivre à une contestation judiciaire, ce qui est le strict minimum, j’imagine. Ironiquement, c’est mieux que ce que le gouvernement fédéral a fait jusqu’ici dans les dossiers d’exploitation des ressources.

J’aimerais aussi dire quelque chose à propos du partage des redevances, parce que je crois que c’est important. C’est une entente qu’on offre souvent aux peuples autochtones qui ont un intérêt dans un projet et qui y participent. C’est ce qu’on envisage de faire présentement pour le projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain. Dans presque tous les cas, l’argent vient d’Ottawa, et ce que je trouve étonnant, c’est que ce gouvernement, qui se dit voué à la lutte contre les changements climatiques, soit si vite prêt à financer les peuples autochtones intéressés à participer à un projet pétrolier.

Nous adorerions voir la même ouverture quand il est question de financer des initiatives économiques autochtones, dans le Nord-Ouest, qui ne sont pas axées sur le carbone.

Donc, on espère obtenir une participation de 10 ou de 20 p. 100, mais pour cela, les collectivités autochtones doivent presque tout le temps obtenir du gouvernement fédéral un accord de prêt ou un prêt-subvention. C’est d’ailleurs ce qu’on envisage pour le projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain, d’une valeur de 4,5 milliards de dollars. C’est ce qu’on envisage de faire dans bon nombre d’initiatives, dont vous avez entendu parler.

Nous voulons aider les collectivités autochtones. Comme vous l’avez dit, le gouvernement fédéral est prêt à mettre des dizaines de milliards de dollars sur la table, mais, s’il se contente de prendre en considération uniquement les projets d’oléoduc, il passe à côté de beaucoup d’autres possibilités.

Le président : Sénateur MacDonald, vous avez la parole.

Le sénateur MacDonald : Merci à vous tous d’être ici. Je poserais ma première question à M. Cullen, puisque nous nous connaissons. Je suis heureux de vous recevoir.

Vous avez parlé de risque et de gestion du risque. Nous ne nous appuyons pas sur les évaluations d’Enbridge. Je n’ai jamais utilisé les données fournies par Enbridge. À dire vrai, j’utilise ici les données préparées par les scientifiques du ministère des Pêches et du ministère de l’Environnement du gouvernement du Canada. Selon les données réunies pour les 27 ports de la côte Ouest relativement aux quatre indicateurs de la gestion des risques, il est très clair que Port Simpson et Wrigley Island se classent au premier et au deuxième rang pour ce qui est des exportations de pétrole. Le 27e port se trouve dans le sud de la Colombie-Britannique, où le pipeline se trouve actuellement.

Nous avons des données sur la gestion du risque; alors pourquoi les Britanno-Colombiens et les autres Canadiens ne seraient-ils pas plus à l’aise avec le fait que les risques sont gérés par les ports qui sont le mieux équipés pour cette tâche?

M. Cullen : Aucun produit pétrolier n’est expédié de Port Simpson, présentement. J’imagine que cela explique son bon résultat en matière de gestion des risques; il n’expédie rien.

J’ai entendu un de vos témoins, plus tôt, avancer un argument étrange, soit que, pour rendre les choses plus sécuritaires, il est nécessaire d’introduire davantage de risque. J’aimerais dire quelque chose là-dessus : d’où vient l’idée qu’en augmentant le nombre de pétroliers nous rendons, d’une façon ou d’une autre, nos vies plus sécuritaires?

Cet argument a été soulevé bon nombre de fois. Quelqu’un l’a soulevé plus tôt, et je veux le réfuter. Il est ridicule de croire que la seule façon de protéger nos côtes est d’accueillir des pétroliers. Nous devrions protéger nos côtes, point final, peu importe ce que le gouvernement nous demande en retour.

Pour revenir sur votre gestion du risque, le port de Prince Rupert fait un travail phénoménal de ce côté-là. Aucun pétrolier ne circule le long de la côte Nord présentement. L’idée de les autoriser à circuler, contre la volonté démocratique des Canadiens et contre la volonté exprimée maintes et maintes fois par la grande majorité des peuples autochtones de la côte, a été avancée par Ottawa, parce que le gouvernement est prêt à tolérer le risque tant qu’il en est éloigné. C’est la même chose pour Toronto, New York et Beijing. Ils sont prêts à tolérer le risque, parce qu’ils s’appuient sur les données dont vous avez parlé.

Comme l’a dit la députée Jennifer Rice, la tolérance aux risques des gens qui vivent ici est pratiquement nulle et, si quelque chose tourne mal, ce n’est pas vous qui allez en souffrir. Ce ne seront pas les sociétés pétrolières qui en souffriront le plus. Ce seront ces collectivités, celles qui disent que, lorsque la marée est basse, la table est mise. Parce que ces risques ne peuvent être tolérés. C’est le mode de vie et le fondement même d’une culture millénaire.

Le sénateur MacDonald : Alors l’unique manière d’éliminer les risques, c’est de retirer tous les bateaux de l’eau.

M. Cullen : Pas du tout.

Le sénateur MacDonald : Bien sûr que c’est la seule manière, compte tenu des probabilités qu’un accident impliquant un bateau à coque simple comme l’Exxon Valdez se produise. Bien entendu, l’accident était le résultat d’une combinaison de nombreux facteurs, y compris l’état d’ébriété du capitaine, une mauvaise navigation et la coque simple du bateau; il faut quand même savoir que nous gérons 283 millions de tonnes, sur la côte Est. Il est impossible d’accéder aux raffineries du Québec ou du Nouveau-Brunswick sans passer par les eaux de la Nouvelle-Écosse.

M. Cullen : Eh bien...

Le sénateur MacDonald : Laissez-moi terminer. Nous ne retirons pas un sou de cela, mais, en tant que Néo-Écossais et Canadiens, nous sommes prêts à gérer ces risques, car nous vivons sur la côte.

Nous courons tous les risques pour le compte du pays. Monsieur Cullen, je vous le demande en tant que Néo-Écossais. Est-ce trop demander que nos compatriotes de la côte Ouest nous aident à assumer une partie de ces risques?

M. Cullen : Notre premier ministre a soutenu que ce n’est pas la côte de la Colombie-Britannique, c’est la côte du Canada. Cela n’a pas donné de bons résultats, car cet argument fait de l’ombre à quelque chose de très essentiel ici. Le fait est que, lorsqu’il est question d’acceptation des risques, de transport sécuritaire de ce produit par bateau — à moins de prévoir d’abord d’interdire l’alcool partout, de manière définitive, et, ensuite, d’interdire l’embauche de capitaines incompétents —, nous ne pouvons garantir que les personnes qui vivent ici et dont le mode de vie dépend de l’océan ne se réveilleront pas un matin pour entendre à la radio, que la tempête de la nuit précédente a causé un accident.

Ensuite, nous dirons que c’est une combinaison de facteurs. Le capitaine était un peu en colère. Les membres de l’équipage n’étaient pas formés autant qu’ils auraient dû l’être, le vieil engin n’est pas tombé en panne et le Queen of the North a percuté l’Île Gil. Comment cela a-t-il pu se produire?

Nous disposons de toutes ces grandes technologies, mais des accidents se produisent. L’erreur est humaine.

Donc, j’espère seulement que les sénateurs comprennent qu’ils jouent à la roulette; à force de courir ce risque, le village de Kitkatla va finir par disparaître, point à la ligne. Pliez bagage et fermez l’endroit, après des milliers d’années d’occupation. Haida Gwaii ne pourra plus être Haida Gwaii.

Les personnes qui ne font que visiter l’endroit ou qui ne sont pas nées ici ne peuvent simplement dire qu’elles iront en vacances ailleurs ou trouveront du saumon ailleurs à des gens qui ne peuvent aller ailleurs et dont la culture, l’identité et l’héritage politique sont liés à ce lieu. C’est le risque que nous leur demandons de courir.

Le président : Monsieur Cormier, c’est à votre tour.

Le sénateur Cormier : D’abord, je voudrais dire que je suis en faveur du projet de loi, mais aussi que je pense aux Albertains, maintenant.

Le président : Je suis heureux que quelqu’un le fasse.

Le sénateur Cormier : Non, écoutez. Je pense à la situation actuelle des Albertains. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut se mettre à leur place, à la place des entreprises pétrolières qui souhaitent contribuer à la croissance économique de ce pays, à la place du maire d’une petite municipalité où l’industrie pétrolière crée des emplois. Compte tenu de tous les arguments et de toutes les préoccupations des Canadiens, que feriez-vous? Que leur diriez-vous, et comment devraient-ils envisager leur avenir? Quelle serait la solution?

M. Heyman : Tout d’abord, je crois qu’il est important que je souligne, en tant que ministre dans le gouvernement de la Colombie-Britannique, que nous comprenons que les Canadiens souhaitent avoir une saine économie et occuper un bon emploi leur permettant de subvenir aux besoins de leurs familles. Nous n’avons rien contre les Albertains, et nous ne croyons pas être ni plus privilégiés ni meilleurs qu’eux.

Nous cherchons d’abord et avant tout une manière d’assurer la prospérité des Albertains sans menacer celle de la Colombie-Britannique ni son environnement irremplaçable, les emplois, le littoral, le riche héritage culturel, l’habitat, les moyens de subsistance et l’histoire des peuples autochtones de la province.

Nous, les membres du gouvernement de la Colombie-Britannique, nous sommes donné du mal pour trouver une manière d’ajouter de la valeur à nos ressources de façon que, puisque la ressource est limitée, nous en tirons davantage profit et créons plus d’emplois.

J’ai entendu des témoins du groupe précédent dire qu’ils souhaitaient voir augmenter la capacité de raffinage du Canada et voir se diversifier les possibilités économiques relativement aux ressources de l’Alberta. À mon avis, la majorité des Albertains savent qu’ils dépendent aujourd’hui de l’industrie pétrolière et que l’avenir sera différent. Mais, à l’heure actuelle, ils souhaitent optimiser les possibilités de croissance économique et de création d’emplois.

Ce que nous disons, en Colombie-Britannique, c’est que nous ne devons pas jouer à la roulette en nous demandant quel environnement et quelle économie nous allons mettre en jeu. Nous devrions collaborer avec le gouvernement fédéral, le gouvernement de l’Alberta, le gouvernement de la Colombie-Britannique et d’autres gouvernements pour trouver une manière de progresser ensemble, sans menacer l’économie ni l’environnement de l’une ou l’autre région.

Et nous croyons que cela n’est pas impossible.

Le président : Monsieur Patterson, vous avez la parole.

Le sénateur Patterson : J’aimerais remercier le ministre — vous nous honorez de votre présence — ainsi que tous les autres élus d’être venus témoigner.

Vous avez parlé des problèmes catastrophiques du remorqueur-chaland Nathan E. Stewart, mais aucune mesure dans le projet de loi C-48 ne vise à prévenir les déversements comme ceux-ci. Mais vous appuyez toujours le projet de loi?

Mme Rice : L’incident du Nathan E. Stewart s’est produit sur le territoire de la Première Nation Heiltsuk, près de Bella Bella. La proposition des membres de la nation, visant l’amélioration des mesures d’intervention en cas de déversements de pétrole sur la côte, a été rejetée par le gouvernement fédéral. L’un des problèmes, dans ce cas-là, était que, nous avons beau avoir des capacités d’intervention ici à Prince Rupert, à Vancouver, à Victoria et un peu sur l’Île de Vancouver, il n’y en a aucun, sur leur territoire, car il est situé en plein milieu de la côte. La nation n’avait aucun moyen de nettoyer après le déversement.

La proposition visant la protection de la côte centrale a été rejetée. Elle est pourtant absolument nécessaire. En soulignant un problème de déversement de diesel qui avait été jugé mineur, mais dont les répercussions persistent, je mets en lumière les risques qui existent actuellement sur notre côte.

Tout ce que je fais, c’est de mettre en lumière les risques actuels, sans même penser aux pétroliers de pétrole lourd ni au bitume.

Le sénateur Patterson : Je suis heureux de vous entendre dire que les capacités d’intervention en cas de déversement de pétrole sont importantes pour la côte Nord, que le projet de loi C-48 soit adopté ou non.

Monsieur le ministre, est-ce là la position? Le gouvernement de la Colombie-Britannique a-t-il présenté des observations de même nature? Le Plan de protection des océans, en ce qui concerne la côte Nord de la Colombie-Britannique, présente une lacune évidente. J’en sais quelque chose, car j’habite dans l’Arctique, et il n’y a aucune capacité d’intervention en cas de déversement de pétrole maritime, nulle part, sur la plus longue côte du Canada.

M. Heyman : Absolument. J’ai également parlé de déversement de diesel, non pas parce que nous proposons l’interdiction du transport de diesel, mais pour démontrer à quel point le déversement de tout produit peut être dévastateur. Nous croyons qu’un déversement d’un grand pétrolier de pétrole lourd serait catastrophique, car nous ne savons pas vraiment comment le gérer, et cela a été démontré à maintes reprises par l’incapacité de la Western Canada Marine Response Corporation ou de Kinder Morgan, entre autres, à déterminer quel type d’équipement est nécessaire pour récupérer le pétrole déversé.

Pour en revenir à la question des plans et des mesures d’intervention en cas de déversement, nous avons présenté un ensemble de règlements en Colombie-Britannique, qui ont fait l’objet d’une consultation. Nous en avons discuté avec le gouvernement fédéral. Nous sommes actuellement en train de préparer notre réponse à la consultation.

Nous avons tenu bon nombre de discussions avec le gouvernement fédéral en ce qui concerne les lacunes du Plan de protection des océans. Tout particulièrement, nous croyons qu’il faudrait accorder beaucoup plus de financement à la province, aux Premières Nations et aux collectivités locales afin qu’elles collaborent à l’élaboration de plans d’intervention régionaux. Les Premières Nations ont besoin de financement pour les plans et les mesures d’intervention. Il faut envisager l’amélioration de la capacité de remorquage et de récupération sur la côte et prévoir le dédommagement des collectivités en cas de déversement, non pas simplement pour le travail qu’elles effectuent face à un déversement, mais également pour la perte de possibilités économiques, de valeur culturelle et de sources d’alimentation, comme j’ai expliqué plus tôt en ce qui concerne la Nation Heiltsuk.

Pour terminer, nous croyons à la nécessité d’élaborer un plan de restauration de l’environnement après un déversement. Bien entendu, il faudra déterminer les mesures à prendre après un déversement, mais aussi s’assurer de la solidité du plan. Comme l’a dit le député Cullen, nous croyons que la population de la Colombie-Britannique le mérite, qu’il y ait ou non des pipelines sur la côte de la province. On a défini ce besoin à la suite du déversement causé par le Nathan E. Stewart et du quasi-incident du Jake Shearer. Il n’y a eu aucun déversement dans ce dernier cas, mais cela aurait pu facilement arriver, étant donné que les eaux étaient très agitées, et les conditions météorologiques, très difficiles.

Le président : Madame Simons, c’est à vous.

La sénatrice Simons : En tant que représentante de l’Alberta au sein du comité sénatorial, j’aimerais commencer en disant que je pense à l’Alberta et à ses habitants chaque jour. Je pense à eux tout particulièrement aujourd’hui, car ils vont voter.

Je me sens très privilégiée quand je vous entends parler si passionnément de votre région, en avançant des arguments très convaincants.

Mais parlons franchement. Lorsque le moratoire relatif à l’interdiction des pétroliers a été annoncé pour la première fois, il était lié à l’autorisation par le gouvernement fédéral du projet d’agrandissement de Trans Mountain. Votre gouvernement, monsieur Heyman, s’est battu bec et ongles à chaque étape du parcours pour empêcher le gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley de réaliser le projet d’agrandissement de Trans Mountain en temps voulu.

Si nous imposons cette interdiction des pétroliers pendant que vous contrecarrez à la moindre occasion le projet de construction du réseau de Trans Mountain, l’Alberta n’aura plus aucun moyen d’acheminer son pétrole vers le marché. Nous ne pouvons le transporter par dirigeable au-dessus des montagnes Rocheuses.

Je vous demande de tenir compte du fait que le moratoire relatif aux pétroliers faisait partie d’un ensemble de politiques qui comprenait l’approbation du projet de Trans Mountain. J’ignore ce que vous voulez que je dise aux gens de l’Alberta. J’ai été très émue par les arguments passionnés présentés par les représentants des Premières Nations qui sont venus témoigner devant nous. J’ai également été convaincue par les arguments des experts en matière de poissons. M. Cullen a fait une observation très importante sur le rôle du Sénat et de sa relation avec la Chambre des communes.

Pourtant, je suis ici en tant que sénatrice de l’Alberta. Que dois-je dire aux citoyens de ma province si nous ne pouvons vendre notre principale denrée d’exportation?

M. Heyman : Tout d’abord, je voudrais corriger votre définition de la position du gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous avons clairement dit que nous nous opposons au projet de Trans Mountain.

La sénatrice Simons : Vous avez été très clairs.

M. Heyman : Bon, nous avons également précisé que nous comprenons que nous n’avons pas le droit de refuser le projet. Comme le gouvernement fédéral l’a accepté, nous avons le droit de faire notre propre évaluation environnementale, mais pas celui de dire oui ou non, ni d’imposer des conditions particulières.

En cas de désaccord entre le gouvernement fédéral et l’Alberta sur la mesure dans laquelle nous avions le droit de réglementer, nous avons convenu de retirer volontairement cette consultation et de renvoyer cette mesure devant les tribunaux. Toutes les parties ont été entendues, et la décision est en suspens.

Nous croyons que nous avons agi de manière responsable pour défendre les intérêts des Britanno-Colombiens. Nous sommes favorables à un raffinage accru des produits au Canada afin de répondre aux besoins des Canadiens. Je dirais également que — et je ne vais pas vous demander de déterminer si j’ai raison ou si je me trompe — il y a essentiellement deux partis qui se présentent aux élections en Alberta. Le chef de l’un d’entre eux a déclaré qu’il souhaitait mettre en pièces les autres parties de l’accord qui accompagnait l’approbation du projet TMX par le gouvernement fédéral.

On peut donc soutenir l’argument dans les deux sens.

La sénatrice Simons : Vous avez fait un excellent travail pour favoriser la montée de sa popularité dans les sondages.

M. Heyman : Je dirais que, lorsque le projet TMX a été proposé pour la première fois, la capacité des pipelines dans d’autres régions était davantage limitée pour l’atteinte des objectifs de l’Alberta.

Depuis ce temps, d’autres pipelines ont été approuvés. Selon certains analystes, il existerait actuellement un potentiel de surcapacité des pipelines. Je demanderais à l’Alberta de s’assurer qu’elle cherche tous les moyens de créer de la valeur et des emplois pour ses citoyens grâce à la mise à niveau et au raffinage de ses produits et de regarder également les conduites existantes ou en construction qui n’étaient pas en place lorsque d’autres conduites ont été approuvées.

Le président : Comment ce gaz raffiné va-t-il être acheminé? Comment cela fonctionne-t-il? N’est-il pas acheminé par pipeline?

M. Heyman : Eh bien, nous parlons de...

Le président : Je parle de produits raffinés. Comment obtenez-vous le produit raffiné sur la côte Ouest, si vous souhaitez l’expédier?

M. Heyman : Tout d’abord, nous acheminons actuellement des produits raffinés par pipeline, ainsi que du bitume dilué.

Le président : Exactement.

M. Heyman : Le gouvernement de la Colombie-Britannique a clairement indiqué que notre préoccupation était fondée sur une multiplication par sept du transport de pétrole lourd depuis les ports du Lower Mainland. Dans le cas du projet de loi C-48, qui fait l’objet des discussions d’aujourd’hui, et dont nous devrions parler, il s’agit simplement d’eaux extrêmement dangereuses, de conditions météorologiques imprévisibles, de navigation difficile, de problèmes de visibilité, de régions éloignées et sous-peuplées par rapport à d’autres régions, et il est très difficile de planifier de manière appropriée le type d’intervention dont vous avez besoin pour vous protéger contre des conséquences catastrophiques en cas de déversement de pétrole lourd.

Il s’agit du pétrole lourd. Nous parlons de pétrole lourd, pas de produits raffinés.

Le président : Je sais de quoi vous parlez. Vous avez mentionné plus tôt que votre appui au projet de loi C-48 était fondé sur la consultation des collectivités autochtones par le gouvernement fédéral. Nous n’avons pas entendu dire qu’il avait consulté quiconque, aucune collectivité autochtone, et je ne sais même pas s’il a consulté votre gouvernement provincial, la province de la Saskatchewan ou de l’Alberta.

Alors, soutenez-vous toujours le projet de loi C-48, même si personne n’a été consulté?

M. Brain : Je vais simplement intervenir ici, car j’ai rencontré Marc Garneau directement à ce sujet. Il était là. Il a rencontré la Première Nation de Metlakatla. Il a rencontré la Première Nation de Lax Kw’alaams. Il a rencontré toutes les Premières Nations.

Ce projet de loi a donné lieu à 68 consultations. Donc, dire qu’il n’y a pas eu de consultation... enfin, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent. C’est enregistré.

Le président : Je dis simplement que nous n’avons pas entendu dire, dans le cadre des témoignages, qu’il y en avait eu.

M. Brain : Permettez-moi de vous le dire tout de suite.

Le président : Mais vous allez me le dire? C’est bien.

M. Brain : Je l’ai rencontré face à face et j’estime qu’il y a eu des consultations adéquates. Dans ce secteur, j’estime que, lorsque les gens n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, ils disent qu’ils ne sont pas consultés. C’est vraiment le jeu.

Je veux simplement dire quelque chose au sujet de ce débat en Alberta... comme si nous ne voulions pas que l’Alberta réussisse. Ce n’est tout simplement pas le cas. Le problème ici est que j’ai hérité d’un lot de problèmes pour cette ville lorsque je suis devenu maire. J’avais une usine abandonnée; il y avait des produits chimiques sur cette île qu’il fallait nettoyer. Je n’ai pas reproché à la province d’avoir abandonné la ville. Je n’ai pas reproché au gouvernement fédéral d’avoir rendu nos problèmes tels qu’ils sont. J’ai relevé le défi et j’ai recueilli plus de 100 millions de dollars en quatre ans pour sortir cette ville du trou.

Je l’ai fait parce que, parfois, il faut innover et regarder un problème différemment. À l’heure actuelle, nous essayons de faire les mêmes choses qu’au XXe siècle. L’Alberta devra simplement innover, ce qui signifie que l’Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan vont devoir faire équipe avec le gouvernement fédéral pour bâtir éventuellement une capacité de raffinage afin que nous puissions exporter des produits raffinés hors de ce port.

C’est la seule façon, car, comme je le précisais dans mon autre message à votre intention, quelles que soient vos convictions, si vous n’adoptez pas ce projet de loi et qu’il existe un projet pétrolier, il fera l’objet d’une opposition massive, et ce ne sera pas rentable. C’est un fait.

Peu importe ce que vous croyez, car nous sommes à une époque où nous oscillons entre science et croyance. Vous pouvez enregistrer des données sur tout le monde; peu importe la quantité de données que vous présentez. Si les gens croient que quelque chose est mauvais, ils vont se rallier et s’y opposer.

Il existe 12 produits différents que nous pouvons expédier avec du pétrole raffiné, et cela pourrait être fait en toute sécurité. C’est un processus différent.

Mon dernier point est le suivant. Nous alimentons des différends commerciaux. Le principal argument est que nous dépendons du pétrole saoudien. Si nous commençons à raffiner au Canada et que nous connaissons des problèmes à long terme au XXIe siècle, nous pouvons réapprovisionner notre propre produit pour l’utilisation au pays, de manière à ne pas être pris en otage par d’autres pays. Voilà une autre façon de commencer à regarder ce problème.

Il me semble que les sénateurs ici présents ont déjà pris une décision. Pourquoi nous consultez-vous?

Je ne suis pas contre le développement économique. En fait, je dois agir pour que cette ville puisse prendre son essor. Vous ne pouvez pas nous donner l’impression que nous sommes contre tout le Canada simplement parce que nous disons que le processus pose problème, ici. Vous avez le contrôle à cet égard, et vous serez tenus responsables si vous ne passez pas à l’action.

Le président : Monsieur Brain, tout ce que nous disons, c’est que vous ne produisez même pas assez d’essence dans votre propre province pour vous approvisionner. Alors, ne faites pas la morale à l’Alberta et à la Saskatchewan parce qu’elles ne raffinent pas leurs produits.

Il y a un problème même à l’aéroport de Vancouver ou sur l’île de Vancouver. Les responsables ne sont pas certains de pouvoir obtenir un approvisionnement sûr en carburant pour les avions en raison du manque de capacité de raffinage dans cette province. Peut-être que nous travaillons tous ensemble pour résoudre ce problème et que nous n’avons pas à débattre de ce que nous devrions faire ou ne pas faire.

M. Cullen : Sauf votre respect, je ne pense pas que quiconque ici tente de faire la morale à l’Alberta.

Le président : Eh bien, on fait certainement la morale à la Saskatchewan.

M. Cullen : Je m’adresse à mon ami de l’Alberta : je vous réinviterai à la saison de pêche, et nous pourrons aller examiner toutes les plaques d’immatriculation de l’Alberta des véhicules qui sont garés au quai, et nous pourrons parler aux Albertains.

Plutôt que de nous tourmenter pour l’idée de savoir qui est la victime dans le présent débat, je suggérerais plutôt que nous tentions de trouver un terrain d’entente. Même si les Albertains aiment venir ici pour pêcher, se divertir et acheter des propriétés, et je me demande pourquoi... Eh bien, c’est un endroit magnifique. C’est un lieu durable, et c’est exactement ce que nous essayons de faire ici, c’est-à-dire protéger cette durabilité.

En tant que Canadiens, nous pouvons trouver de meilleures solutions que de simplement dire : « Laissons les bâtards de l’Est geler dans la noirceur. » C’est ce que l’un de vos éventuels premiers ministres a répété sans cesse; c’est peut-être l’une des déclarations les plus idiotes et anticonstitutionnelles que j’ai entendues durant cette élection, et cela en dit long.

M. Brain : Monsieur le président, j’aimerais faire une dernière observation. Vous parlez de notre capacité...

Le président : L’autre premier ministre éventuel est...

M. Brain : Eh bien, attendez. Voici le problème.

Le président : Quel est le problème?

M. Brain : En fait, nous avons le plus grand projet industriel au Canada, LNG Canada, qui a pris une décision finale d’investissement. Il a été approuvé. C’est en totalité du gaz de la Colombie-Britannique, qui est traité en Colombie-Britannique, seulement en Colombie-Britannique. Il est donc évident que nous agissons, que nos produits sont commercialisés et que nous prenons des mesures.

Le président : Je vous remercie de votre observation.

M. Brain : L’Alberta peut adopter un processus qui est également susceptible d’innover et en faire partie intégrante, mais il n’en est pas ainsi pour l’instant. Vous ne pouvez pas nous en vouloir pour cela, d’accord?

Le président : Merci de cette précision.

Mme Rice : Monsieur le président, puis-je s’il vous plaît...

Le président : Un jour, vous devrez acheminer votre produit vers l’est, également. Madame Rice, la parole est à vous.

Mme Rice : Merci. Je voulais simplement nous ramener à quelque chose qui, selon moi, pourrait avoir été perdu. La plus ancienne colonie documentée au Canada par les archéologues se trouve sur la côte centrale de la Colombie-Britannique, près de Bella Bella. Elle a 14 000 ans. Nous parlons de colonies documentées depuis les pyramides.

Ces personnes ont le droit inhérent de continuer à vivre comme elles ont vécu pendant 14 000 ans. Si vous voulez créer cette opposition entre les Canadiens, les membres des Premières Nations sont appelés Premières Nations pour une raison, parce qu’ils étaient ici en premier.

Je ne veux pas intervenir dans ce débat qui divise l’opinion, mais vous nous amenez continuellement dans cette voie. J’ai écouté le témoignage. J’ai entendu vos questions. Il faut revenir sur le sujet, qui concerne les droits des peuples autochtones, des droits de la personne. Le reste d’entre nous est ici depuis 150 ans ou nous sommes les descendants de colons qui sont ici depuis 150 ans. Vous devez penser aux droits de ces personnes. Leurs droits de la personne.

Le président : Merci.

Sénatrice Miville-Dechêne, la parole est à vous.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur le président.

Premièrement, je voulais dire que certaines tribus autochtones, les Heiltsuk et les Haida Gwaii, nous ont dit avoir été consultées lors des audiences. Je m’en souviens bien. La consultation n’était peut-être pas assez large, mais elle a eu lieu.

Deuxièmement, je regarde ces deux gouvernements, celui de la Colombie-Britannique et celui de l’Alberta, et évidemment je viens du Québec. Je viens de l’autre côté — je suis vraiment à l’autre bout du spectre sur cette question.

En tant que sénateurs, nous devons essayer de concilier les intérêts nationaux. C’est un concept important et, pour un Québécois, vous comprenez, c’est toujours intéressant et pas si compliqué : l’intérêt d’une province par rapport à l’intérêt national.

Alors, comment décririez-vous l’intérêt national dans ce différend relatif au projet de loi C-48?

M. Heyman : Je dirais que le devoir des politiciens de tout le Canada est de considérer à la fois l’intérêt national et notre intérêt provincial. Je ne pense pas que l’on puisse définir l’intérêt national sans prendre en considération les intérêts de toutes les provinces et de tous les peuples, y compris les peuples autochtones. Cela ne signifie pas qu’il faille choisir entre les valeurs environnementales et économiques irremplaçables, d’une part, et celles liées au développement et à l’exportation de ressources, d’autre part.

L’intérêt national rassemble des personnes ayant, à première vue, des intérêts différents pour savoir où se trouvent leurs intérêts communs et s’il existe des mécanismes — il peut s’agir de mécanismes qui ont été mentionnés à cette table par M. Cullen, le maire Brain ou Mme Rice, ou il peut y en avoir d’autres — et trouver une solution où on ne dira pas qu’il y aura un gagnant et un perdant dans ce cas et qu’il y aura un gagnant ici et un perdant là, dans l’autre cas.

Parce que, franchement, cela fait de nous tous des perdants.

Le président : Sur ce, merci beaucoup aux témoins.

Pour notre dernier groupe, nous recevons Modestus Nobels, président de Friends of Wild Salmon; Luanne Roth, chargée de campagne, Estuaire et côte Nord, de la T. Buck Suzuki Environmental Foundation; Valine Brown, cofondatrice de Haida Gwaii CoASt; et Chris Sankey, coprésident du Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière.

Monsieur Nobels, la parole est à vous.

Modestus Nobels, président, Friends of Wild Salmon : Merci, monsieur le président.

Tout d’abord, j’aimerais remercier le comité d’être venu à Prince Rupert. Nous apprécions beaucoup que vous veniez ici aujourd’hui pour entendre notre témoignage. Et je tiens également à reconnaître que nous nous réunissons aujourd’hui sur les territoires traditionnels, les territoires non cédés, du peuple Tsimshian; nous l’apprécions et nous les en remercions.

Je m’appelle Des Nobels. Je vis dans la région depuis un peu plus de 40 ans et j’ai été pêcheur commercial pendant 30 ans dans cette région également. Je suis président du Coastal Community Network ainsi que de Friends of Wild Salmon. Je suis également un élu du district régional de North Coast, ici, depuis 16 ans.

Bon, c’est difficile de prendre la parole après ces dernières interventions. La journée tire à sa fin, et je sais qu’elle a été longue. Je vais tenter d’exposer mon propos le plus brièvement possible, mais il est très difficile d’intervenir après avoir entendu tous les commentaires au cours de la journée et de vous faire part de nouveaux éléments.

Néanmoins, Friends of Wild Salmon est une coalition de Premières Nations, de groupes communautaires, d’organisations de pêche et de syndicats qui s’emploient à protéger le saumon sauvage dans le bassin hydrographique de la Skeena, sur la côte Nord.

La coalition a été formée en 2005 en réaction à la menace de piscicultures à enclos ouverts dans les eaux septentrionales. Plus tard, la coalition s’est intéressée aux projets d’exploitation du gisement de gaz de houille en amont du bassin hydrographique de la Skeena, puis au projet Northern Gateway proposé par Enbridge.

Tout récemment, la coalition a surveillé plus d’une douzaine de projets de gaz naturel liquéfié proposés dans le Nord-Ouest et a fourni de l’information aux collectivités à ce sujet.

Dans le Nord de la Colombie-Britannique, on soutient depuis longtemps une interdiction et un moratoire sur les navires-citernes, depuis plus de quatre décennies. Certains de nos membres proposent et préconisent le moratoire sur les pétroliers dans les eaux septentrionales depuis la première proposition visant à aménager un port pour les superpétroliers à Kitimat dans les années 1970.

Plus récemment, lors des audiences de l’Office national de l’énergie sur la proposition d’Enbridge concernant le projet Northern Gateway, environ 500 citoyens du Nord ont présenté des exposés devant le groupe opposé au projet, et bon nombre de ceux-ci ont réclamé une interdiction des pétroliers dans les eaux septentrionales.

Les administrations municipales de la région la plus directement touchée ont clairement et toujours soutenu le moratoire sur les pétroliers. Tout dernièrement, la ville de Prince Rupert, Kitimat et le district régional de North Coast ont écrit à Marc Garneau, ministre des Transports, afin d’exprimer leur appui au projet de loi C-48. Ces trois lettres font partie de la pièce jointe.

Aux premières étapes des commentaires adressés au gouvernement sur le projet de loi relatif à l’interdiction des navires-citernes, la coalition de Friends of Wild Salmon avait appelé à une interdiction du pétrole brut et raffiné. Bien que le projet de loi C-48 ne couvre que le pétrole brut et les hydrocarbures persistants, nous appuyons toujours fermement cette position et ce projet de loi.

Cependant, nous aimerions voir des changements dans deux domaines. L’un concerne la disposition relative à l’exemption ministérielle. Ce vaste pouvoir consistant à exempter les pétroliers des interdictions prévues par le projet de loi pourrait, à l’avenir, être utilisé pour contourner l’objectif même du projet de loi, sans qu’il soit nécessaire que le public soit même informé de ces exemptions.

Nos collègues de West Coast Environmental Law fournissent une analyse et des recommandations plus détaillées concernant des modifications spécifiques du projet de loi et susceptibles de résoudre ces problèmes, et nous appuyons leurs recommandations.

Les autres aspects que Friends of Wild Salmon aimerait voir modifiés sont le seuil de 12 500 tonnes. Nous pensons qu’il est important de répondre aux besoins des collectivités côtières, mais nous pensons que cela peut être fait en deçà du seuil de 2 000 tonnes.

En interdisant le passage de plus de 2 000 tonnes de pétrole comme cargaison dans un pétrolier, le moratoire permettrait le réapprovisionnement des collectivités dans des chalands-citernes transportant moins de 2 000 tonnes de pétrole ainsi que dans des navires qui ne sont pas des pétroliers. À titre d’exemple, des navires qui transportent du pétrole dans des barils, des camions et des remorques.

Le seuil de 2 000 tonnes, proposé par Transports Canada dans son document de travail sur le moratoire, faisant référence à la Loi sur la responsabilité en matière maritime et aux conventions internationales de ses annexes, établit un équilibre adéquat en permettant le réapprovisionnement en carburant tout en protégeant les écosystèmes et les collectivités nordiques contre les risques de déversement plus élevés que présentent des expéditions de pétrole en vrac plus importantes.

Comme de nombreux autres intervenants l’ont dit aujourd’hui, nous sommes des gens de la place, et c’est notre place. Nous avons travaillé dur pendant près de quatre décennies, et même au-delà, pour protéger ces lieux.

Nous avons passé plus de quatre décennies dans ce domaine, travaillant avec diligence et avec beaucoup de sérieux pour créer notre propre vision. Nous avons cette vision, et celle-ci exige un environnement marin naturel vierge et intact.

Cette interdiction des pétroliers est le seul moyen que nous voyons pour veiller à ce que cela soit maintenu et demeure intact. Sans cela, comme beaucoup l’ont souligné aujourd’hui, nous n’existons plus. Cet endroit disparaît, et nous disparaissons en tant qu’habitants de cet endroit. Je crois que nous devons nous assurer que tous ceux qui vivent ici ont le droit de continuer à vivre ici, comme nous l’avons choisi. Je vous remercie.

Le président : Madame Roth, allez-y.

Luane Roth, chargée de campagne, Estuaire et côte Nord, T. Buck Suzuki Environmental Foundation : Merci beaucoup de m’avoir invitée. Je voudrais également reconnaître que nous sommes sur le territoire des Tsimshian, et j’en suis reconnaissante. J’aime être ici.

Je suis la chargée de campagne, Estuaire et côte Nord, de la T. Buck Suzuki Environmental Foundation, et nous sommes établis depuis longtemps. Les pêcheurs commerciaux nous ont initiés à la protection des habitats.

Vous avez entendu de nombreux arguments, et je ne veux pas minimiser l’importance des idées de la population locale et sa dépendance envers les produits de la mer, mais je voudrais aborder un point qui, à mon avis, pourrait avoir un intérêt plus général : ce saumon dont nous parlons est important pour tout le Canada.

La plupart d’entre vous savent que les omégas-3 dérivés du poisson sont vraiment importants pour votre santé, mais beaucoup de gens ignorent qu’il existe en fait une pénurie mondiale. Le lin, oméga-3 d’origine terrestre, est un type différent d’oméga-3. Les substances dérivées du poisson sont l’AEP, l’acide eicosapentaénoïque, et l’ADH, l’acide docosahexanoïque, et proviennent de l’océan. C’est la source principale. Il n’y a que d’autres sources mineures.

En outre, l’acide gras ne provient pas de fermes salmonicoles, car ces fermes ne peuvent pas le produire. Elles doivent utiliser du hareng, de l’anchois et d’autres types de poissons pour nourrir le saumon avec de la farine de poisson. Ces fermes consomment en réalité bien plus que ce qu’elles produisent réellement à partir du saumon. Donc, notre saumon sauvage en constitue une réserve énorme.

Un grand nombre de Canadiens aiment consommer leur oméga-3 provenant du saumon, et le Canada ne compte que deux cours d’eau où des millions de saumons reviennent : l’un est le fleuve Fraser, et l’autre, la rivière Skeena, et cette loi protégerait la rivière Skeena.

L’endroit le plus probable pour un terminal de pétrolier brut serait ici, à Prince Rupert, juste à l’embouchure de la rivière Skeena. C’est juste dans l’estuaire. Et Mme Thorkelson parlait du saumon et des saumoneaux, mais tous les saumons de la rivière Skeena qui viennent de plusieurs milles à l’intérieur des terres, environ 100 millions de saumoneaux, se retrouvent dans l’estuaire, juste à côté du lieu de chargement des pétroliers. Ils doivent se préparer à passer de l’eau douce à l’eau salée; ils ont besoin de grandir et ils remontent la côte jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour aller au large et grandir, puis nous revenir avec tout cet oméga-3.

L’idée que nous pourrions peut-être faire un compromis et créer un corridor en provenance de Prince Rupert, ce n’est pas du tout un compromis, car c’est le lieu principal, le lieu où cela se trouverait.

Beaucoup de gens ne comprennent pas la distance parcourue par le pétrole sur l’océan. Si vous pensez aux déversements d’origine terrestre, l’idée d’un corridor n’a aucun sens. Je vous ai donné une carte. Cette flèche noire va du bas de l’Alberta jusqu’à passé Edmonton. Tout cela est à l’échelle; ces cartes sont toutes à la même échelle. C’est la distance que la marée noire de Valdez a atteinte en 56 jours. C’est allé plus loin que cela.

C’est donc énorme, et les gens ici le savent; ils savent à quelle distance le pétrole peut voyager. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense qu’ils sont tellement inquiets.

Je voulais mentionner autre chose à propos d’un corridor comme compromis. Vous avez parlé de l’évaluation des risques maritimes que le port de Prince Rupert a réalisée en ce qui concerne ce corridor, et je suis très inquiète. Si vous y jetez un coup d’œil, vous ne comprendrez pas que cela sous-estime grossièrement le risque. J’ai examiné cette évaluation très attentivement, car elle prévoit un accident tous les 23 ans — un incident tous les 23 ans — si nous n’avions pas de pétroliers, et 10 par année, je pense, si nous en avions. Bien sûr, ceux-ci n’entraîneront pas tous une marée noire.

Juste après sa sortie en 2012, un porte-conteneurs s’est échoué, puis deux ans plus tard, un navire charbonnier s’est échoué sur les récifs. Il s’est brisé, et l’eau l’a envahi. Donc, deux incidents sont survenus seulement deux ou trois ans après la publication de l’évaluation des risques maritimes, et il n’est censé y en avoir qu’un tous les 23 ans.

Je savais que quelque chose n’allait pas. J’ai examiné le document minutieusement et il excluait les incidents liés aux ancres qui raclent le fond marin. Ils constituent une préoccupation sérieuse. Ils ont été évoqués dans les documents relatifs aux différents ports. On indiquait que Prince Rupert n’était pas un port sûr pour les navires de plus de 50 000 tonnes de poids mort, car ils devraient se rendre dans une autre zone pour jeter l’ancre, puisque nous n’avons pas de zone de mouillage sûre pour eux.

Les responsables pensent qu’on a laissé entendre qu’il y avait de la roche dure, avec de la boue recouvrant la roche lisse, et c’est pourquoi les ancres traînent ici. Et plus les navires sont gros, semble-t-il, plus ils draguent l’ancre. Et à la page 156 ou 151, je ne me rappelle plus laquelle, il est indiqué qu’ils n’incluent pas les incidents liés au dragage de l’ancre.

Le président : Nous en sommes à six minutes.

Mme Roth : Mon autre point concernait uniquement le diesel; ce moratoire est déjà un compromis. Nous examinons actuellement les expéditions de carburant diesel, de méthanol et d’essence, qui arrivent au port ici. Si vous n’adoptez pas ce projet de loi, j’ai bien peur que des efforts soient déployés pour expédier du brut ou du bitume, ce qui est trop dangereux pour la région.

Le président : Tous ces carburants arrivent par train.

Mme Roth : Oui, le pétrole est transporté par voie ferroviaire.

Le président : Madame Brown, vous avez la parole.

Valine Brown, cofondatrice, Haida Gwaii CoASt : [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Je reconnais que je suis une invitée sur le territoire des Tsimshian. Je suis citoyenne haïda et je témoigne devant le comité en tant que cofondatrice et représentante du groupe communautaire appelé Haida Gwaii CoASt. 

Je suis ici pour dire que nous appuyons fermement le projet de loi C-48 pour de multiples raisons et, vu le peu de temps dont je dispose, j’ai choisi de souligner trois d’entre elles.

Premièrement, les pétroliers posent un risque inacceptable pour les terres, les eaux et les gens. Je sais qu’on vous a dit cela aujourd’hui et que vous en avez entendu parler ailleurs.

Deuxièmement, on discute du moratoire relatif aux pétroliers depuis des décennies, et l’officialisation de cette protection est nécessaire depuis très longtemps. Encore une fois, je sais qu’on vous a dit cela aujourd’hui.

Troisièmement, les nations autochtones protègent déjà cette région des pétroliers.

Ma mère patrie, Haida Gwaii, est la terre de mes ancêtres depuis plus de 13 000 ans. C’est un endroit magnifique qui est riche sur le plan linguistique, culturel et écologique. Selon nos titres et nos droits collectifs, notre territoire s’étend jusqu’au détroit d’Hécate, à l’entrée Dixon et au détroit de la Reine-Charlotte.

Le territoire abrite de nombreuses espèces marines, et, en cette période de l’année, nous avons le privilège d’observer des baleines grises qui se nourrissent dans nos eaux. Les rorquals à bosse et les épaulards y sont actifs. Parfois, je peux voir ces magnifiques créatures de la fenêtre de mon salon. Hier soir, il y avait trois baleines grises devant chez moi. Lorsqu’une baleine se nourrit et se développe dans nos eaux, les membres de la communauté se précipitent, remplis d’admiration et de reconnaissance, pour l’observer.

Les harengs commencent à frayer à ce temps-ci de l’année. Les œufs de hareng sur algue sont un aliment traditionnel savoureux et nourrissant qui continue d’être extrêmement précieux pour nous aujourd’hui.

Bientôt, nous commencerons à voir s’arrêter à Haida Gwaii des oiseaux de mer migrateurs. Certains des oiseaux de mer résidents sont des sous-espèces uniques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde.

Notre nourriture ne vient pas seulement de l’épicerie. C’est la saison où nous nous préparons à pêcher et à récolter notre approvisionnement en nourriture pour l’année. C’est quelque chose que nous faisons depuis des milliers d’années.

En plus d’être une source de nourriture importante, nombre de ces espèces animales figurent sur la liste des espèces en péril et sont protégées en vertu de lois canadiennes, notamment la Loi sur les espèces en péril.

Au total, nos côtes font près de 5 000 kilomètres. Ces voies navigables, ces plages et ces zones intertidales accueillent d’innombrables créatures et bestioles et sont une source de subsistance pour le peuple haïda depuis des millénaires.

Il nous incombe de protéger l’ensemble du territoire, et les pétroliers mettent tout cela en péril.

Je suis ici pour représenter Haida Gwaii CoASt. Nous sommes une coalition de gens locaux qui donnons bénévolement de notre temps pour protéger nos terres et nos eaux de la menace que représentent les pétroliers. On pourrait dire que nous sommes une association communautaire. Nous dépendons de bénévoles et du dévouement de gens aux vues similaires qui acceptent la responsabilité de s’occuper de notre place dans le monde.

CoASt a initialement été créé dans les années 1970 lorsqu’on a proposé la construction d’une installation d’importation de pétrole à Kitimat. Je suis certaine que vous savez tous déjà cela. Ma famille possède des droits inhérents aux terres et aux eaux autour de Haida Gwaii.

Nous avons la responsabilité perpétuelle de gérer ces terres et de nous occuper d’elles de la même façon dont vous prenez soin de vos foyers et de vos familles.

J’ai la chance de vivre dans un endroit où mes voisins, Haïdas et nouveaux arrivants, partagent ces valeurs.

CoASt a beaucoup participé à la préparation des audiences de la commission d’examen conjoint pour le projet Enbridge en 2012, et j’ai assisté à toutes les séances qui ont eu lieu à Haida Gwaii et écouté les témoignages de centaines de personnes qui s’opposaient au projet d’exportation de pétrole proposé. Nous nous sommes réjouis lorsque la menace que posait Enbridge a disparu et nous avons applaudi la présentation de ce projet de loi qui éliminerait le risque de tels projets pétroliers dans l’avenir.

Il est temps, une fois pour toutes, d’officialiser la protection de cette région riche et unique. Haida Gwaii n’acceptera jamais ce risque. Pendant des décennies, les gens de notre communauté se sont dévoués à ce moratorium relatif aux pétroliers, et nous continuerons de faire les bons choix pour nos communautés et le monde naturel.

Il y a un peu plus de neuf ans, Premières Nations côtières, une alliance qui regroupe les Premières Nations Haïda, Old Massett et Skidegate, a signé une déclaration qui affirme ce qui suit : « [...] en vertu de nos lois, de nos responsabilités et de nos droits ancestraux, nous déclarons que les pétroliers qui transportent du pétrole brut provenant des sables bitumineux de l’Alberta ne seront pas autorisés à traverser nos terres et nos eaux. » Il est temps que le gouvernement fédéral appuie nos Premières Nations côtières relativement à l’interdiction des pétroliers.

En 2014, ma nation a réaffirmé son opposition en adoptant une loi qui prévoit que le Conseil de la nation haïda continuera de s’opposer à tout projet de transport maritime d’huile raffinée et/ou de pétrole brut, y compris du bitume, dans les eaux des Haïdas. La même année, nous avons également promulgué une loi qui empêche les navires de GNL de passer sur notre territoire.

Des outils internationaux, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, défendent nos droits, nos pouvoirs et notre compétence, et le projet de loi C-48 est conforme à nos lois et aux protections que nous avons déjà mises en place. Il offre également au gouvernement fédéral l’occasion de respecter les principes de la DNUDPA, que vous connaissez tous, j’en suis convaincue, et, de manière très concrète, il s’agit d’une mesure de réconciliation.

Au nom de dizaines de bénévoles de Haida Gwaii CoASt, c’est un honneur pour moi d’être ici pour déclarer notre appui sans réserve au projet de loi. En tant que citoyenne haïda, je suis obligée de répéter que le projet de loi C-48 est conforme à nos lois et, à bien des égards, il ne va pas assez loin pour protéger les terres et les eaux de cette région.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner que ce processus n’a pas favorisé la participation des gens ni n’a été mené de façon publique, et, même si je ne suis qu’une personne issue d’une association communautaire, je dois dire que je représente l’opinion de tous mes amis et voisins. Nous encourageons le Sénat à faire le bon choix pour la réconciliation et la protection à long terme de cette région et d’adopter le projet de loi C-48. Merci.

Le président : Merci, madame Brown.

Monsieur Sankey, vous avez la parole.

Chris Sankey, coprésident, Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière : Je ne vais pas répéter les préoccupations de tous concernant le poisson et l’environnement; je comprends tout cela.

D’abord, j’aimerais vous souhaiter la bienvenue sur le territoire côtier des Tsimshian des Premières Nations Lax Kw’alaams et Metlakatla.

Je m’appelle Chris Sankey. Je suis membre de la bande des Lax Kw’alaams et ancien conseiller. Je suis également homme d’affaires chez Blackfish Environmental. En 2015 et en 2016, j’étais coprésident du Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière.

Je vais commencer par le moratoire relatif aux pétroliers et vous donner un peu de contexte sur ce que je sais de l’engagement que nous avons pris auprès du gouvernement fédéral et la raison pour laquelle j’ai choisi d’abandonner la politique.

En novembre 2016, on a annoncé l’officialisation d’un moratoire relatif au transport du pétrole brut. Le gouvernement semblait prêt à imposer une solution à nos communautés sans avoir tenu de véritables consultations. Lorsque j’entends le ministre Garneau dire qu’il a rencontré 52 fois les Lax Kw’alaams — et j’aimerais que certains de nos membres puissent entendre cela —, je peux vous dire que ce n’est pas le cas. Les deux fois où j’ai siégé au conseil, il nous a rencontrés à deux reprises. Il a peut-être eu une réunion avec le maire Helin à propos d’autres questions, mais affirmer qu’il y a eu 52 rencontres, c’est inexact, ça, je peux vous le dire.

Les deux entretiens que j’ai eus avec lui ont eu lieu à l’hôtel Crest. Je l’ai entendu imposer une solution à nos communautés sans avoir tenu de véritables consultations. Le ministre Garneau a affirmé qu’il mettait en place cette solution parce que son parton avait fait une promesse.

À la réunion de l’hôtel Crest, à laquelle assistaient nombre de chefs des Premières Nations, le ministre a demandé aux gens de voter à main levée pour voir s’ils étaient pour ou contre le moratoire. On n’a tenu aucune discussion sur les autres options qu’auraient pu proposer les chefs des Premières Nations ou les approches qu’ils voulaient adopter. Le ministre a fait en sorte qu’il fallait qu’on soit pour ou contre le moratoire, alors que notre Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière travaillait avec les chefs de Premières Nations, à l’exception de deux ou trois, qui étaient invités aux pourparlers. Il y avait également des dirigeants et du personnel technique.

On nous a également demandé si nous pouvions organiser une réunion dans une communauté côtière. Des représentants des dirigeants et du personnel technique étaient présents, et nous avons répondu que nous serions ravis de le faire. Malheureusement, à l’annonce du moratoire relatif aux pétroliers, la division s’est installée entre nous.

Quant aux incidences que j’ai remarquées et dont j’ai été témoin, si le moratoire est adopté sous sa forme actuelle, ce qui légaliserait ce processus de manière permanente, les Canadiens perdront le droit de décider de leur avenir, de proposer des options pour protéger leur environnement, de trouver un emploi et, plus important encore, d’être entendus. Il ne s’agit pas seulement d’amener les ressources canadiennes dans des marchés. Nous courons le risque de perdre quelque chose plus important que nous tous : notre capacité de travailler ensemble en tant que communautés, provinces et pays.

Nous ne pouvons pas faire cela si nous sommes divisés et si le fondement même sur lequel nous nous appuyons est ébranlé. Nous avons maintenant l’occasion de trouver un terrain d’entente et de faire équipe.

La division règne plus que jamais au sein de nos communautés autochtones à cause du projet de loi proposé. Les gens ne font pas la différence entre le gaz et le pétrole. Ce processus a placé nombre de chefs et de décideurs dans une situation extrêmement difficile. Il est aisé de dire oui au moratoire. Pourquoi? Parce qu’il est plus facile de maintenir le statu quo afin d’éviter les réactions négatives et les jugements auxquels on fait face lorsqu’on est en faveur du développement. J’ai vécu toutes les réactions négatives et tous les jugements. Je prie les chefs qui sont en faveur du moratoire de repenser à leur décision et de trouver un terrain d’entente pour travailler et résoudre ces problèmes ensemble.

Il est assez évident que le gouvernement n’est pas préparé au moment où nos communautés diront oui au développement. De toute évidence, nous avons généralement répondu non. Les peuples autochtones sont en colère, à juste titre. Je ne blâme pas les protecteurs de l’eau ni les manifestants. Ils sont en droit de s’inquiéter de l’environnement.

Toutefois, la raison pour laquelle il y a plus de division au sein de notre pays et des communautés autochtones est largement attribuable à ce processus. On nous exclut depuis beaucoup trop longtemps du programme économique du Canada, et ce, jusqu’à maintenant.

La promesse d’un moratoire s’est étendue au gaz et au transport ferroviaire et à d’autres possibilités liées aux ports. Quand cela cessera-t-il? La promesse de mettre en œuvre un moratoire a entraîné et entraînera de graves répercussions que personne ici ne peut ou ne pourra atténuer, pas même le gouvernement. Les Premières Nations sont déjà en conflit, et pire encore, on continue de proférer des menaces des deux côtés en faveur et en défaveur du moratoire. Je crains que, un jour, ces menaces deviennent une réalité et que quelqu’un soit blessé grièvement. Voilà à quel point la situation a dégénéré; je l’ai vue et je l’ai vécue.

Nous parlons de travailler ensemble à l’échelle du pays. Dans notre province voisine, l’Alberta — je viens de la Colombie-Britannique et de la côte Ouest et je travaille dans cette région —, le taux de suicide est de 30 p. 100 supérieur à la moyenne canadienne, voire plus. Pourquoi? J’ai été témoin de nombreux suicides en grandissant sur la réserve. De nos jours, on attribue cela à de nombreux environnements et à de nombreuses situations et au fait d’avoir été élevé dans des pensionnats, mais il reste qu’il s’agit de personnes qui se sont enlevé la vie. En Alberta, entre 2013 et 2017, plus de 1 000 personnes se sont suicidées en raison de l’économie.

Le ministre Carr nous a déjà dit : « Écoutez-moi. Vous et moi devons prendre des décisions difficiles. » J’aimerais que le ministre Carr et vous tous m’écoutiez. Vous et moi devons prendre des décisions difficiles tous les jours, dès que nous nous réveillons le matin. Nous regardons nos familles, nos amis et nos collectivités et nous nous posons la question suivante : comment puis-je donner une véritable chance à ma famille et à ma collectivité de s’en sortir dans l’avenir? Les gens de ce pays, de votre pays, de nos provinces, de notre patrie, ils sont votre famille, vos amis et vos collègues qui ont lutté ensemble et se sont affrontés les uns les autres, mais nous sommes plus forts ensemble.

Enfin, j’ai appris ce qui suit. Parfois, et de temps à autre, il est préférable de maintenir la paix que d’avoir raison. Dans le cas présent, il est essentiel de faire les deux : envisager des amendements ou de proposer des solutions de rechange au moratoire et aider à unir le pays et les communautés autochtones. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Sankey.

Sénatrice Miville-Dechêne, vous avez la parole.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de vos témoignages.

Monsieur Sankey, tout d’abord, j’essaie de faire le lien entre votre puissant discours et ce que vous faites au Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière. Je ne vois pas la relation entre les deux, je suis désolée. Il est peut-être tard. Pourriez-vous nous préciser cela?

M. Sankey : Certainement. En 2015, Ryan Leighton de Metlakatla et moi avons fondé un organisme indépendant pour inviter les chefs de communautés côtières à se réunir et à parler de tout ce qui touche la sécurité maritime. Cela a malheureusement été perturbé lorsqu’on a annoncé le moratoire, et, au cours de cette réunion, les gens parlaient de tout ce qui entoure la sécurité maritime pour combler le manque d’infrastructures existantes, ce qui exige plus de ressources lorsqu’il s’agit d’intervention d’urgence.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, il s’agit plus d’un groupe de travail.

Mme Brown, je voulais juste clarifier les choses. Vous avez dit que Haida Gwaii, ou vous personnellement — si vous pouviez préciser cela —, ne voulait pas de navires qui transportent du gaz naturel liquéfié dans ses eaux territoriales. Comme vous le savez, il y a un tel projet à Kitimat, alors que prévoyez-vous faire?

Mme Brown : Merci de la question. Elle est excellente, et je vais dire d’entrée de jeu que je ne suis pas du tout en mesure, à l’heure actuelle, de parler de mes intentions ou de celles du groupe que je représente, Haida Gwaii CoASt. Mais je peux répéter que, oui, c’est la position officielle de ma nation. Le Conseil de la Nation haïda a adopté une loi à cet égard.

CoASt signifie « Communities Against Supertankers », communautés contre les super pétroliers, et cela concerne les pétroliers et les navires GNL qui passent dans les eaux des Haïdas.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comme vous le savez, je ne dis pas qu’il n’y a pas de risques, mais évidemment l’interdiction ne vise pas les navires GNL parce qu’ils posent moins de risques; ce n’est pas comme un déversement de pétrole.

Alors que répondez-vous à cela? Aucun risque pour tout?

Mme Brown : Je sais très bien que le projet de loi C-48 ne vise pas les navires GNL. J’ai affirmé à la fin de ma déclaration liminaire que ce projet de loi, à mon avis, et de l’avis de Haida Gwaii CoASt, ne va pas assez loin précisément à cet égard.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le président : Sénateur Patterson, c’est à votre tour.

Le sénateur Patterson : Monsieur Nobels, vous connaissez la mer; vous avez été pêcheur. J’ai appris deux ou trois choses sur le port ici. L’autorité portuaire m’a dit qu’un des grands attraits du port et de sa réduction des risques, c’est qu’il se trouve près des eaux libres et que cette distance est abritée. Nous connaissons les retombées avantageuses pour cette communauté, y compris des emplois pour les Autochtones à l’autorité portuaire.

J’ai été très surpris de vous entendre dire que le projet de loi devrait aller plus loin et viser le pétrole raffiné. Je crois comprendre que l’autorité portuaire envisage d’interdire certains produits : le propane et les produits connexes. Pensez-vous vraiment que les 500 navires par année qui viennent ici posent un risque d’accident dans ce magnifique port abrité?

M. Nobels : Merci de la question. En résumé, oui, ils mettent en danger ce port. Je vis dans la région depuis 45 ans. J’y pêche depuis 35 ans. Je connais très bien les conditions météorologiques ici.

Comme ma collègue l’a souligné, il a été noté très clairement que ce port n’est pas la meilleure station d’ancrage. Le fond marin est dur et solide et est recouvert d’une très mince couche de boue, ce qui ne permet pas à un grand navire de demeurer au même point d’ancrage.

Pour ce qui est de la position que nous avons adoptée, nous avons beaucoup entendu parler ici aujourd’hui de compromis et de juste équilibre. Nous croyons que nous avons trouvé cet équilibre dans le projet de loi C-48. Nous n’avons pas donné suite aux autres parties du projet de loi.

Lorsque nous avons rencontré le ministre Garneau, il y a un certain nombre d’années concernant cette question, nous avons entamé des discussions. À l’époque, nous affirmions catégoriquement que d’autres stocks devraient faire l’objet des discussions. Lorsque nous avons compris que nous n’étions pas en mesure d’aller de l’avant, nous avons accepté un compromis et décidé d’aborder les hydrocarbures persistants comme enjeu principal en ce qui concerne notre côte et sa protection.

Nous comprenons que d’autres produits de base nous posent également des problèmes, mais ce sont au moins des problèmes que nous pouvons régler à l’heure actuelle et, espérons-le, comprendre dans l’avenir. Mais, au départ, ce sont les transporteurs de brut qui ne doivent pas s’approcher de notre côte.

En tant que pêcheur commercial, je peux témoigner de la violence des conditions météorologiques qui sévissent dans la région; elles possèdent une force incroyable. J’ai navigué en faisant face à des vents de plus de 118 nœuds. Ce n’est pas quelque chose qu’on veut vivre plus d’une fois, et ces vents sont assez courants.

Des porte-conteneurs circulent en ce moment dans notre région. Nombre d’entre eux sont endommagés. Ils passent dans la partie Sud des îles de la Reine-Charlotte. On observe certaines des pires conditions météorologiques dans le secteur Sud de Haida Gwaii. Des vagues à cet endroit atteignent une hauteur vertigineuse. D’énormes vagues de fond arrivent du nord et du sud dans ce point d’entrée, et je peux vous dire que les conditions météorologiques à cet endroit sont violentes.

Au bout du compte, oui, notre côte dans cette zone est extrêmement sauvage. On ne peut pas y faire l’imbécile, et elle finira par subir des dommages considérables si nous laissons les pétroliers passer dans cette zone.

Le sénateur Patterson : Monsieur Sankey, vous avez parlé de la division qui a découlé du débat tenu avec les communautés autochtones, peut-être dans la communauté en général, et des répercussions inconnues du passage de pétroliers. Je me demande si vous recommanderiez l’interdiction volontaire qui est en place et je crois qu’elle est respectée. Si le projet de loi ne va pas de l’avant, pensez-vous que l’interdiction volontaire se poursuivra sans causer le type de division dans les communautés que vous avez décrit?

M. Sankey : Afin d’atténuer les risques et de permettre aux personnes concernées d’avoir l’esprit tranquille, j’appuie le moratoire. Mais il faut imposer une limite de temps pour que l’on puisse retourner consulter de manière adéquate les gens qui cherchent des solutions afin de promouvoir le développement économique dans leurs communautés.

Dans sa forme actuelle, cela n’est pas prévu. Il faut être pour ou contre le moratoire. Si vous voulez parler de consultation, alors organisons des consultations. Ce que j’ai vécu et ce dont j’ai été témoin au cours des discussions auxquelles j’ai participé avec le ministre Garneau, c’est que la deuxième réunion a duré 30 minutes, et on n’a pas parlé des solutions. Il fallait faire une promesse, et je la respecte.

Le président : Sénatrice Simons, vous avez la parole.

La sénatrice Simons : Tout d’abord, j’aimerais dire que, grâce à M. Nobels et à Mme Roth, j’ai maintenant le goût de manger du saumon, et tout ce que j’ai dans mon sac à main, c’est une banane. Ce ne sera pas la même chose.

J’ai été très touchée par M. Sankey et Mme Brown, de jeunes chefs de file dans leur communauté. C’était formidable de vous entendre tous les deux.

Monsieur Sankey, vous avez dit que, lorsque vous avez parlé au ministre, vous vouliez discuter de solutions ou d’amendements et trouver un terrain d’entente. Je ne sais pas dans quelle mesure un terrain d’entente est possible, mais quelles solutions ou quels amendements vouliez-vous proposer?

M. Sankey : Cela revient entièrement aux chefs. Je crois que, en ce moment, les communautés sont divisées, et les gens supposent que des discussions ont lieu alors que ce n’est pas le cas, pas dans notre région.

Je vous dis cela en me fondant sur mon expérience; ce n’est pas ce qui se produit. Je crois vraiment que, si nous pouvions obtenir une certaine forme de soutien pour le Groupe de travail sur l’intervention en cas d’urgence côtière, cela pourrait aider le processus existant. En trois mois, tous les chefs ont assisté à la réunion, à l’exception de deux, ceux des Premières Nations Skidegate et Nisga’a, qui étaient invités. Un représentant de la Première Nation Old Massett a dit qu’il était contre un projet lié aux pétroliers, un projet lié au pétrole, ce qui était fantastique parce qu’il a apporté une perspective différente à laquelle nombre de personnes n’auraient jamais pensé.

Le président : Pour que ce soit clair, il était contre l’interdiction des pétroliers ou contre un projet pétrolier?

M. Sankey : Il était pour le moratoire.

Le président : D’accord.

M. Sankey : Il était en faveur du moratoire. Je veux m’assurer que c’est clair. Il assistait à la réunion pour représenter sa communauté et il a été catégorique avec les gens dans la salle : il était contre tout type de projet pétrolier.

Toutefois, ce que je dis, c’est que les gens présents ne s’entendaient pas, mais nous avons constaté que le dénominateur commun, c’était que tout le monde voulait continuer à protéger la côte, qu’on soit pour ou contre un projet. Le fait d’amener les deux groupes à trouver un terrain d’entente, à examiner la situation sous un angle complètement différent a permis d’apporter une perspective différente.

Pendant la réunion, les gens étaient honnêtes, constructifs et objectifs et disposaient d’une tribune pour parler en toute sécurité d’un projet proposé qui n’existait pas. C’était le mandat de la réunion. Nous n’étions pas là pour prendre une décision au nom des communautés ou des chefs; nous voulions entendre les chefs et leur personnel technique et avoir leur opinion sur ce qui, à leur avis, pourrait fonctionner.

C’est tout ce que je peux dire. C’était très positif. Qu’ils soient pour ou contre, les gens se sont sentis à l’aise de discuter d’un projet proposé et de parler de pétrole sans craindre les réactions négatives. J’ai dit clairement que chaque chef avait le droit d’avoir une opinion, qu’elle soit en faveur ou en défaveur d’un projet.

Le président : Sénateur MacDonald, c’est à votre tour.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à tous les témoins et elle porte sur ce dont nous discutons aujourd’hui.

Monsieur Nobels, vous pêchez beaucoup ici autour du port. J’ai grandi dans une communauté de pêcheurs. J’ai pêché dans les Grands Bancs; beaucoup de membres de ma parenté sont pêcheurs, des deux côtés de ma famille, alors que d’autres sont dans la marine marchande et font du transport de marchandises.

Vous avez parlé des risques que posent le port et les conditions météorologiques; vous savez, ces dernières sont également assez difficiles dans l’Atlantique Nord. Lorsqu’on vit dans un milieu marin, on fait face à de mauvaises conditions météorologiques. Vous avez mentionné le problème que pose l’ancrage, mais il s’agit d’un port en eau profonde. Il peut accueillir les plus grands navires au monde, tout comme sur la côte Est.

Ces navires, à leur arrivée, ne mouilleraient-ils pas dans une gare maritime servant au transport de pétrole? Ils n’auraient pas vraiment à jeter l’ancre. On ne les ravitaillerait pas au milieu du détroit comme on le fait dans la baie de Fundy.

M. Nobels : L’autorité portuaire et les promoteurs nous ont dit qu’ils souhaitaient faire accoster un navire à l’installation de mouillage, le remplir et le laisser repartir en mer. C’est peut-être bien le cas, mais la réalité, c’est que nous sommes également en mesure d’assurer des ancrages de convenance. Rien n’empêche un navire de quitter le quai, de jeter l’ancre et de demeurer sur place pendant une certaine période. C’est seulement un ancrage de convenance, et c’est quelque chose que nous pouvons offrir à des navires qui viennent de partout dans le monde.

Cela dit...

Le sénateur MacDonald : Mais les navires peuvent faire cela à l’heure actuelle, n’est-ce pas?

M. Nobels : Oui, c’est exact. C’est la réalité, et nous sommes aux prises avec cette situation.

Nos points d’ancrage ne permettent pas à un navire de cette taille de jeter l’ancre de manière sécuritaire. Dans le rapport fourni initialement à la suite d’études, des corps d’amarrage ont été proposés comme possibilité pour éviter des ancres qui traînent sur le fond marin ou des échouements causés par un problème d’ancrage.

La réalité est que, comme de nombreuses personnes vous l’ont dit aujourd’hui, des erreurs humaines sont commises beaucoup plus souvent que nous voulons l’admettre. Je vous dirais que nous ne sommes pas disposés à accepter quelque niveau de risque que ce soit à cet égard. Nous croyons qu’il ne vaut pas la peine d’échanger ce que nous avons actuellement contre un gain économique à court terme, alors que nous avons à notre porte une économie et un gagne-pain viables et durables à long terme.

Comme vous l’avez entendu aujourd’hui de tout le monde ici présent, nous vivons tous en partie grâce à cette mer. Je demeure dans une petite communauté de l’autre côté du port, sur l’île Digby, où vous êtes arrivés en avion; l’endroit s’appelle Dodge Cove. Nous avons construit la flotte nordique. Plus de 1 200 navires ont été fabriqués et mis à l’eau dans cette communauté. La question dont on a discuté aujourd’hui concernant la pêche est importante. Nous n’avons pas eu notre mot à dire là-dessus; c’est Ottawa qui a décidé à notre place. Cela ne fonctionne pas pour nous ni pour nos communautés.

Nous avons un secteur de la pêche important dans la région, qui pourrait générer d’énormes retombées économiques, mais, à cause de contraintes et de directives politiques, nous sommes incapables d’atteindre ces objectifs. D’autres groupes profitent beaucoup de nos stocks de poissons, mais pas nous qui vivons ici, monsieur.

Le sénateur MacDonald : Eh bien, vous ne me ferez jamais dire qu’il faut plus d’ingérence d’Ottawa à propos de quoi que ce soit. Je crois que nous devons tous composer avec cela des deux côtés du pays.

M. Nobels : C’est vrai, et une des choses que vous entendez sans cesse, c’est que, comme peuple issu d’un territoire qu’il comprend bien, nous croyons que nous avons le droit d’être à la table et de prendre ces décisions. Cela n’a pas été le cas par le passé, et il semble que cela se répétera dans l’avenir.

Qu’on soit pour ou contre le projet de loi C-48, la réalité, c’est que nous demandons tous de participer davantage au processus, quel qu’il soit.

Le président : Sénatrice Gagné, vous avez la parole.

La sénatrice Gagné : Monsieur Nobels, vous avez dit que vous étiez en faveur du projet de loi C-48, mais vous vous demandez pourquoi le ministre des Transports s’est vu octroyer le pouvoir de décréter des exemptions au moratoire. Dans quelles circonstances, le cas échéant, serait-il acceptable que le ministre exerce son pouvoir d’exemption?

M. Nobels : Vous savez, honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question. Je ne suis pas certain de savoir dans quelle circonstance il pourrait le faire. J’espère que, s’il y a un contexte dans lequel le ministre envisage une telle option, il consulterait les gens de la région avant d’exercer ce pouvoir.

La sénatrice Gagné : Monsieur Sankey, revenons à la question de la participation, du terrain d’entente et de l’importance des consultations. Ce que j’ai entendu, c’est que, lors de la réunion, il n’y a pas eu d’entente.

Pour le présent projet de loi, croyez-vous qu’il est possible de trouver un compromis, ou y a-t-il seulement des personnes qui sont en faveur du projet de loi et d’autres qui ne le sont pas?

M. Sankey : C’est une excellente question. L’innovation et la technologie évoluent sans cesse, et je suis fier de faire partie de cette évolution. À la table, nous avons laissé les chefs prendre les décisions. C’est une de ces situations où, si on lance et réalise un projet chez nous, il faut trouver des façons de travailler ensemble afin de trouver un terrain d’entente qui permettrait à tout le monde, peu importe la position, d’en tirer profit.

Lorsqu’on a annoncé le moratoire, nous n’avons pas pu conclure et effectuer un suivi le restant de l’année pour trouver la meilleure façon de travailler avec les personnes qui étaient pour le projet et celles qui étaient contre. Nous n’avons pas pu déterminer la manière dont un projet pourrait bénéficier aux résidants de Haida Gwaii en comparaison du développement qui a lieu uniquement sur la côte du territoire des Tsimshian et la manière dont un projet pourrait profiter aux habitants du territoire des Heiltsuks au regard de tout ce qui se passe ici à Prince Rupert.

La réalité, c’est que seulement quelques communautés en profitent. Je dois convenir, en tant qu’élu, qu’il est difficile d’entendre mes amis dire : « Eh bien, je vis à Hartley Bay. Comment puis-je profiter des retombées économiques à Prince Rupert? Je n’ai pas d’emploi. »

Ce ne sont pas seulement des gens que je croise tous les jours. Ce sont les personnes avec qui j’ai grandi. Je les connais. Mais mon mandat est de tenir compte d’abord de notre peuple.

Le président : Voulez-vous ajouter une observation, madame Brown? Vous avez indiqué que vous vouliez dire quelque chose.

Mme Brown : J’aimerais ajouter brièvement qu’il y a des nations qui souscrivent au projet et d’autres qui n’y adhèrent pas. Et pour vous donner un peu plus de contexte, Haida Gwaii et le groupe que je représente se retrouvent à la fin de ces projets. Nous devons essentiellement accepter le projet ou nous devons assumer tous les risques sans aucun avantage.

Nous ne parlons pas d’emplois créés dans nos communautés ni de quelque retombée économique dont nous pourrions profiter. Tout le long de la côte, dans vos propres maisons, j’en suis certaine, vous avez constaté les répercussions des hauts et des bas des industries; nous avons tous vécu cela. À Haida Gwaii, nous cherchons des façons de pouvoir rebâtir une communauté et des environnements en santé et établir des économies durables qui intègrent également notre définition de la richesse, laquelle n’est pas toujours liée à une valeur monétaire.

Je tenais seulement à ajouter cela.

Le président : Sénateur Smith, c’est à vous.

Le sénateur Smith : Madame Brown, nous avons reçu plus tôt la députée Jennifer Rice, et je viens de lire ce qui suit dans un document qu’elle nous a remis : « Les collectivités côtières sont des collectivités de subsistance. Les mères célibataires avec trois enfants qui doivent vivre avec 250 $ par mois ont besoin des ressources de la terre et de l’eau quand le lait coûte 10 $ le gallon. »

Lorsque j’ai lu cet extrait, j’ai pensé que cela rejoignait votre question ou l’exposé que vous venez de nous présenter. Comment pouvez-vous, à titre de jeune chef de file, aider à changer cette mentalité et la réalité d’une jeune mère monoparentale qui a trois enfants et qui vit de prestations d’aide sociale de 250 $ par mois? Que veulent les jeunes?

Nous avons reçu des jeunes à Ottawa à de nombreuses reprises, des jeunes autochtones, et nous avons discuté des attentes. Les attentes de ces jeunes qui viennent à Ottawa sont très élevées. Je vois cela et je me dis : « Est-ce ce à quoi les jeunes s’attendent? Pensent-ils survivre parce que l’endroit est paisible, vert et merveilleux? Lorsqu’on arrive ici, on a le souffle coupé par l’immensité de la nature. » Voilà l’humble opinion d’une personne ordinaire.

Mais je me pose la question suivante : comment de jeunes chefs de file comme vous pouvez changer cette mentalité? Ou s’agit-il de ce que pensent nombre de jeunes? Comment pouvez-vous vous sortir de ce bourbier?

Mme Brown : Je vais répondre à cette question. Elle est excellente, et je suis heureuse que, lorsque vous avez atterri ici — je suppose que c’est la première fois que vous venez dans la région —, vous ayez reconnu qu’il s’agissait d’un endroit très riche et tout à fait unique à de nombreux égards.

Le sénateur Smith : C’est exact.

Mme Brown : En ce qui a trait plus précisément à votre question, et aux prestations de 250 $ par mois et au gallon de lait qui coûte 8 $, je ne connais pas très bien ces statistiques. Quant à ce que les jeunes veulent, ceux à qui je parle, c’est un avenir avec un climat stable. Ils souhaitent vivre dans un monde où ils peuvent réapprendre leur langue, et je crois que vous connaissez tous l’histoire des pensionnats et des répercussions qu’ils ont eues sur nous. Voilà l’avenir auquel aspirent les jeunes de Haida Gwaii.

Ils veulent savoir qu’ils seront en mesure de continuer à vivre des produits de la terre comme nous l’avons fait depuis des milliers d’années. Ils souhaitent une autodétermination et une indépendance complète; ils veulent voir à quoi ressemble une véritable réaffirmation de la souveraineté.

Le président : Sont-ils indépendants à l’heure actuelle?

Mme Brown : Qui voulez-vous dire par « ils »?

Le président : Les jeunes de votre coin de pays. Sont-ils indépendants en ce moment?

Mme Brown : Oui. À Haida Gwaii, nous sommes absolument sur un territoire non cédé qui ne fait pas l’objet de traité. Nous sommes indépendants. Nous avons notre souveraineté et notre indépendance et nous cherchons des façons de continuer à bâtir des économies durables qui fonctionnent pour nous.

Le sénateur Patterson : Puis-je poser une autre question? Je n’essaie pas d’être têtu, parce que je ne crois pas que je le suis, mais je pense que les jeunes doivent pouvoir bénéficier de manière réaliste d’un autre avantage ou d’un autre fondement. Sur le plan économique, ils doivent pouvoir tirer parti d’une certaine forme de possibilité d’emploi, car, comme vous le savez, on ne peut pas vivre de rien. Il faut un environnement propice à cela. Mais, en même temps, on doit être en mesure de survivre et, lorsque je dis « survivre », j’espère que les gens de votre région disposent d’un logement à peu près raisonnable qui offre un confort élémentaire.

Je veux seulement m’assurer de comprendre la mentalité des jeunes. Que recherchent-ils en plus d’un climat agréable et d’un territoire magnifique? Que désirent-ils obtenir pour eux-mêmes et leur famille?

Mme Brown : Pour répondre à votre question au sujet du projet de loi, l’adoption du projet de loi C-48 nous donnera l’occasion de bâtir cet avenir et de nous assurer que nous investissons dans nos propres collectivités, que nous décidons sur le type de projets que nous voyons dans nos collectivités et que nous pouvons définir les possibilités économiques qui nous sont durables.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

Le président : Très bien. Sénateur Cormier, vous avez la parole.

Le sénateur Cormier : Merci, monsieur le président. Je vais poser deux brèves questions.

[Français]

En fait, mes deux questions sont dans la même veine que celles de la sénatrice Gagné. Ma première question est pour vous. Vous parliez spécifiquement du projet de loi en disant que vous aviez des réserves en ce qui a trait à l’exemption qui serait accordée au ministre.

En vertu du projet de loi tel qu’il est rédigé, le ministre serait autorisé à exempter un pétrolier donné des interdictions mentionnées à l’article 4, lorsque la cargaison est essentielle au réapprovisionnement communautaire ou industriel ou est autrement dans l’intérêt public. On a ajouté un amendement qui dit que le ministre doit, après avoir pris l’arrêté, le rendre accessible au public pour que tous les citoyens puissent connaître les raisons pour lesquelles il a exempté un pétrolier.

J’aimerais donc vous entendre précisément sur cet article. Est-ce que le libellé actuel vous convient ou non?

[Traduction]

M. Nobels : Je vous remercie de votre question. Si je me souviens bien, je reviens un peu en arrière au sujet de l’exemption et de l’obligation du ministre de publier cette exemption dans la Gazette du Canada, puis de la faire paraître afin qu’elle soit vue de tous. Je pense que, lorsque nous étions à Ottawa pour comparaître devant le comité permanent des transports de la Chambre des communes, nous avions demandé à l’époque que, lorsqu’une exemption serait publiée dans la Gazette du Canada, cette publication soit diffusée à grande échelle et une annonce générale soit faite dans les diverses collectivités qui seraient touchées par l’exemption, non pas seulement à Ottawa, mais partout autour, de sorte que tout le monde sache ce à quoi le ministre s’attend ou ce qu’il essaie de faire et que, en retour, nous puissions réagir à cela de quelque façon.

Dans le système actuel, si j’ai bien compris, elle est publiée dans la Gazette du Canada, mais il n’y a pas une large diffusion de cette publication. Donc, à moins que vous ne suiviez les publications dans la Gazette du Canada d’articles découlant de la législation, vous ne sauriez même pas que cela s’est passé.

Nous demandons donc que l’exemption soit rendue accessible au public de façon plus large.

Le sénateur Cormier : Je pense que c’est ce qui est écrit ici, alors merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Sankey, j’ai une question pour vous. Je comprends que vous éprouvez beaucoup de frustration, parce qu’il n’y a pas eu de réelles consultations autour de ce projet de loi et que celui-ci divise profondément votre communauté.

À votre avis, dans le but de poursuivre la conversation et, potentiellement, la consultation, est-ce que l’inclusion d’une disposition sur l’obligation de réviser le projet de loi à date fixe serait pertinente? Serait-ce préférable s’il y avait une disposition qui précisait que le projet de loi doit être révisé de manière périodique, afin de tenir compte des progrès technologiques, du raffinement des produits ou des changements dans la situation? Selon vous, cela permettrait-il de poursuivre une conversation autour des enjeux qui touchent ce moratoire?

[Traduction]

M. Sankey : Oui. Je pense que cela nous donne le temps d’examiner toutes les options. Je pense que les gens veulent la tranquillité d’esprit en sachant que leurs côtes seront protégées. Je pense que cela permet d’être à l’affût de l’innovation et de la technologie, qui sont effectivement présentes.

Cela donne aussi aux dirigeants l’occasion de se rendre dans leurs collectivités respectives, parce que je ne pense pas qu’il y a eu suffisamment de conversations avec nos membres. Il n’y a pas eu suffisamment de conversations dans le cadre desquelles les gens pouvaient exprimer leurs opinions par écrit ou de vive voix et être entendus. Il n’y a pas eu suffisamment de communication au sein de la collectivité pour que ses membres puissent se lever et se faire entendre.

Je ne pense pas qu’ils ont eu le choix. Soit ils étaient en faveur soit ils étaient contre, et ils n’ont jamais eu l’occasion d’en discuter. Les gens diront non parce que je ne crois pas que tout ait été pleinement présenté. Même s’ils disent encore non, donnez au moins une chance, dans le cadre du processus, de trouver des options.

Vous savez, les gens veulent parler d’économies durables. J’ai commencé après mon discours, parce que je sais que je n’avais pas beaucoup de temps, à dire que plus de 1 000 personnes se sont suicidées en Alberta parce que l’économie a chuté. Est-ce que je crois que nous avons une responsabilité envers l’ensemble du Canada? Oui, mais je crois aussi que nous avons une responsabilité envers nos membres.

L’innovation et la technologie changent, et nous avons la chance de participer à beaucoup de choses. Nous nous dirigeons vers des économies durables, comme l’élevage en parcs clos terrestres.

Le sénateur Cormier : Savez-vous quand nous devrions procéder à cette révision de la loi, quand elle sera adoptée? La révision devrait-elle être faite, par exemple, tous les 5 ans ou tous les 10 ans? En avez-vous une idée? Avez-vous des suggestions à faire?

M. Sankey : Je ne crois pas à une interdiction à vie, parce que les choses changent. L’innovation change. Je crois que, pour satisfaire les deux parties, il faut fixer un délai, imposer un moratoire. Revoyons-le. Essayons de comprendre ce qui se passera à l’échelle mondiale au cours des trois à cinq prochaines années. Cependant, je ne recommande pas une interdiction à vie, parce que quelqu’un, quelque part, travaille actuellement sur l’innovation. La sûreté du produit et la façon dont il est fabriqué ont beaucoup changé depuis ce qui s’est passé à Valdez, par exemple.

Le président : Sénateur Patterson, vous avez la parole.

Le sénateur Patterson : Madame Brown, merci de votre témoignage. J’ai été frappé lorsque vous avez dit : « En tant qu’Autochtones, nous pouvons définir les possibilités économiques qui nous sont bénéfiques. » Je crois que je vous ai citée correctement. Je l’avais écrit.

J’aimerais donc vous demander ceci. Il y a une nation autochtone au nord de Haida Gwaii, les Nisga’a, qui nous dit qu’elle est impatiente de profiter des possibilités d’approvisionnement des marchés asiatiques avides d’énergie et elle dit être une nation autonome ayant des régimes environnemental et réglementaire rigoureux.

Par conséquent, je souhaiterais vous poser la question suivante. Diriez-vous que, en tant qu’Autochtones comme les Haïdas, les Nisga’as ont aussi le droit de définir les possibilités économiques qui leur sont bénéfiques?

Mme Brown : Je vous remercie de cette question. Elle est excellente. Parmi les nombreux droits, bien sûr, nous avons le droit de déterminer ce qui est le mieux pour nos collectivités, pour nos nations et pour nos territoires. Le principal élément que je voudrais souligner, que vous connaissez certainement, est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont j’ai parlé brièvement.

Il y a plusieurs articles qui font référence au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et, par conséquent, en tant que nations autochtones souveraines et indépendantes, nous avons tous le droit à ce consentement.

Le président : Vous dites donc que vous avez le droit de dire non, même si cela ne concerne aucunement votre territoire?

Mme Brown : Si mon territoire risque d’être touché, absolument, j’ai le droit d’y réagir, et ce, libre de toute forme de coercition, de toute menace et en disposant de toute l’information dont j’ai besoin pour prendre une décision éclairée. J’ai le droit, en effet, d’y consentir ou non, et ce droit doit être respecté.

Le président : Même si cela fait du tort à l’autre nation?

Le sénateur Patterson : Je suppose que la question était la suivante : diriez-vous cela des Nisga’as, même s’ils adoptent une position différente de celle des gens de Haida Gwaii?

Mme Brown : Absolument. Je n’ai pas le droit de faire des commentaires sur ce qu’une autre nation décide quant à ce qui est le mieux pour elle ou sa collectivité.

Le sénateur Patterson : Il y a autre chose qui m’intrigue, car je vis dans une région très sombre et froide où 25 collectivités côtières dépendent uniquement du diesel. J’étais intrigué. Est-ce que j’ai bien compris que vous avez dit que les Haïdas avaient adopté une loi interdisant le transport de produits raffinés vers les collectivités côtières?

Mme Brown : Le transport de masse de combustibles fossiles, oui. Cela inclut les méthaniers. Cela n’inclut pas le transport de carburant diesel, et je crois que c’est là où vous voulez en venir avec cette question.

Le président : Sauf chez vous.

Mme Brown : Le transport de masse. On parle de grandes quantités.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup aux sénateurs et aux témoins.

Avant de dire au revoir à nos témoins, et je tiens à le dire officiellement, je veux remercier les habitants de Prince Rupert de leur accueil si chaleureux. Je remercie tous les intervenants passionnés. Même si je n’étais pas d’accord avec certains d’entre eux, j’ai trouvé leurs arguments solides. Nous avons eu un débat un peu tendu à certains moments, mais c’était une journée remplie de passion et très typique du Canada, à mon avis.

Par conséquent, je tiens à remercier tous les témoins de leur exposé ainsi que tous les gens de leur hospitalité. Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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