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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 37 - Témoignages du 10 juin 2015


OTTAWA, le mercredi 10 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 14, pour poursuivre son étude de l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et je suis président du comité. Je vais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par les sénateurs assis à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Je m'appelle Art Eggleton. Je viens de Toronto, et je suis vice-président du comité.

La sénatrice Cordy : Je m'appelle Jane Cordy, et je viens de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Raine : Je m'appelle Nancy Greene Raine, et je viens de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Stewart Olsen : Je m'appelle Carolyn Stewart, et je viens du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Je m'appelle Judith Seidman, et je viens de Montréal, au Québec.

La sénatrice Nancy Ruth : Je m'appelle Nancy Ruth, et je suis sénatrice de l'Ontario.

Le président : Merci, chers collègues.

Je précise, au profit des téléspectateurs, que nous poursuivons notre étude visant à examiner, pour en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.

Comme je l'ai indiqué, pour nous donner un peu une idée de la raison pour laquelle nous sommes ici, ainsi que des mesures à prendre dans les mois et les années à venir, nous accueillons aujourd'hui deux témoins vraiment merveilleux. Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue. Je vais vous présenter dans un certain ordre. Comme nous n'avons pas discuté de cette question, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vous inviterai à témoigner dans l'ordre où vous figurez à l'ordre du jour. Étant donné que personne n'a réagi violemment, nous allons procéder ainsi. Nos deux témoins comparaissent à titre personnel. Alors, dans ce contexte, je vais inviter Dre Anna Issakoff-Meller à donner son exposé en premier.

Dre Anna Issakoff-Meller, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, du privilège que vous m'accordez en me permettant de vous présenter mon point de vue aujourd'hui. Je suis ravie que vous vous penchiez de façon approfondie sur l'épidémie d'obésité.

C'est avec plaisir que j'ai découvert que j'allais faire mon exposé en compagnie du Dr Yoni Freedhoff, car en supprimant la citation de certaines de ses paroles j'ai récupéré au moins une minute du temps qui m'est imparti.

J'ai très à cœur de renverser et de prévenir les maladies attribuables à cette épidémie. À mon avis, la société a été induite en erreur et privée de sa santé par les mauvais conseils alimentaires des gouvernements et des établissements médicaux, ainsi que par l'attitude des industries alimentaire et pharmaceutique. Les soins de santé devraient servir l'intérêt des gens, pas ceux d'une industrie.

Dans la plupart des cas, l'obésité est attribuable au syndrome métabolique, qui est causé par la résistance à l'insuline. Si l'on parvenait à traiter la résistance à l'insuline, les troubles associés au syndrome métabolique disparaîtraient en grande partie, dont l'obésité, le diabète et ses affections connexes comme l'insuffisance rénale et les troubles oculaires, les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, la démence, la dépression et au moins sept formes de cancer liés à l'obésité.

Même si on vous a dit au cours des témoignages précédents qu'il n'existe pas de remède miracle, il y a une explication biochimique relativement simple. Je vous prie d'attendre patiemment que je vous l'expose.

Nous savons que le sucre nuit à notre état de santé, mais pourquoi est-ce le cas? Il circule naturellement l'équivalent d'environ une cuillère à thé de sucre dans le sang. Or, la consommation de sucre fait augmenter le taux de sucre dans le sang, ou la glycémie. Le sucre se fixe aux protéines, entrave la circulation sanguine, entraîne une perte de souplesse des artères, cause de l'inflammation et crée de grosses molécules de sucres et de protéines qui obstruent les petits vaisseaux sanguins. Ces conséquences sont à ce point néfastes que le pancréas réagit rapidement en produisant de l'insuline pour transporter le sucre du sang vers les cellules.

Les cellules utilisent une partie du sucre pour produire de l'énergie immédiate, mais convertissent la plus grande partie en gras qui sera utilisé ultérieurement. Lorsque la consommation de sucre est importante, les cellules sont bombardées d'insuline. Elles sont alors moins sensibles au message de l'insuline et deviennent résistantes à l'insuline. Les cellules hépatiques, musculaires et adipeuses développent cette résistance à différents stades du processus, qui surviennent après pas mal de temps.

Les cellules adipeuses étant habituellement les dernières à acquérir une résistance à l'insuline, elles continuent à absorber le sucre et à le stocker sous forme de graisse. Paradoxalement, l'insuline régule la glycémie, mais bloque en même temps l'accès aux réserves de graisse. Comme l'organisme ne peut éliminer le gras, celui-ci s'accumule. C'est ce qui est à l'origine de l'épidémie d'obésité. La plupart des personnes obèses ou ayant un excès de poids ne sont pas indisciplinées, ne manquent pas de motivation et ne mangent pas plus que les autres. En fait, elles souffrent du syndrome métabolique, et leurs cellules sont résistantes à l'insuline.

Après avoir été appelé à produire plus d'insuline pour réguler la glycémie pendant une période d'une dizaine d'années ou plus, le pancréas ne suffit plus à la tâche, la glycémie commence à augmenter et le diabète apparaît. Ce résultat peut sembler choquant, mais l'organisme présente un dysfonctionnement chimique et accumule des facteurs de risque depuis des décennies. Pourtant, il serait si facile de prévenir le diabète.

Il est primordial de comprendre que tous les amidons et les glucides, qui dérivent principalement des céréales, ne sont, sur le plan chimique, que des chaînes de molécules de sucre. Par exemple, une tasse de pâtes correspond approximativement à 40 grammes de glucides, soit l'équivalent de 8 à 10 cuillères à thé de sucre. Une telle quantité de glucides fait passer très rapidement la quantité de sucre dans le sang de 1 à 11 cuillères à thé.

Il faut également comprendre que, pour l'organisme, la source de la molécule de sucre n'a aucune importance. Une tranche de pain, une barre de chocolat industriel, une pomme de terre ou un bol de céréales, c'est du pareil au même : l'organisme produit de l'insuline pour réguler la glycémie.

Au cours des 2 000 dernières années, et en particulier au cours des 40 dernières années, la consommation de sucre a augmenté, passant de 4 à 120 livres par personne par année, et se reflète dans le taux d'obésité. Bien qu'il s'agisse d'une corrélation et non d'une causalité, les études récentes — qui ne manquent pas — et le fonctionnement biochimique que j'ai expliqué établissent des liens entre les deux. Nous savons également que les mesures prises pour lutter contre l'obésité, soit une alimentation riche en glucides et faible en gras, sont assurément inefficaces.

Depuis les sept dernières années, mon collègue, le Dr Steven Traplin, et moi recommandons un régime alimentaire faible en hydrates de carbone et riche en matières grasses à nos patients et obtenons des résultats probants. Les marqueurs du syndrome métabolique s'améliorent : on observe notamment une baisse des triglycérides, une diminution du ratio cholestérol total/cholestérol LHD, une baisse de la tension artérielle, une perte de poids et du tour de taille et, chez certains diabétiques, une baisse de la glycémie à jeun et de l'hémoglobine glyquée (HBA1C), qui peut se situer à des niveaux comparables à ceux des non-diabétiques.

Par ailleurs, la prise de certains médicaments est réduite, voire cessée, notamment les diurétiques, les antihypertenseurs, les agents hypocholestérolémiants comme les statines et les médicaments contre le diabète, dont l'insuline. Ces résultats m'apportent une satisfaction particulière.

Comme je l'ai indiqué, il est extrêmement valorisant de pouvoir éduquer mes patients un à un et de constater les résultats, mais cela me demande beaucoup de temps et rend mon travail moins efficace. Ainsi, avec l'aide de l'équipe de santé familiale de Guelph — avec laquelle je collabore —, je travaille en étroite collaboration avec une infirmière et une diététicienne à notre bureau afin de soutenir et d'éduquer les patients. L'an dernier, nous avons commencé à donner une série de séminaires, et cette année, nous avons commencé à mettre sur pied des groupes d'aide qui se rencontrent mensuellement. Les patients s'orientent vers l'un ou l'autre.

Comme dans tout changement au mode de vie, le soutien constant est essentiel. Nous sommes maintenant en discussion avec l'équipe de santé familiale de Guelph afin de déterminer comment mettre sur pied une séance de formation sur un régime faible en hydrates de carbone et riche en gras qui serait sous sa direction afin de rejoindre un plus grand nombre de personnes et d'offrir un soutien constant.

Je suis consciente que mon exposé est complexe, mais il est nécessaire que vous compreniez le fonctionnement biochimique pour vous aider dans vos recherches. Cela dit, s'il y a deux idées importantes que j'espère vous avoir transmises, ce sont celles-ci : les soins de santé doivent servir l'intérêt des personnes, pas ceux d'une industrie; en l'absence de fibre, les hydrates de carbone sont du sucre; le syndrome métabolique et l'obésité sont réversibles.

Je vous remercie encore une fois de l'attention que vous consacrez à cette épidémie. J'espère que vos efforts porteront leurs fruits et que tous les Canadiens tireront parti de votre travail.

Le président : Je vais maintenant céder la parole au Dr Yoni Freedhoff, qui comparaît également à titre personnel.

Dr Yoni Freedhoff, professeur adjoint, faculté de médecine familiale, directeur médical, IMB, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci, honorables sénateurs. Je m'appelle Yoni Freedhoff. Je suis médecin et professeur adjoint au Département de médecine familiale de l'Université d'Ottawa. Je me consacre au traitement de l'obésité et à la recherche dans ce domaine. Je vous suis reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée de témoigner devant votre comité aujourd'hui.

Il y a neuf ans, j'ai aussi eu l'occasion de comparaître devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes qui rédigeait alors un rapport très semblable à celui que vous êtes chargés de produire. Les 72 recommandations du rapport du Comité de la santé, bien qu'on ne puisse les qualifier d'audacieuses, appelaient néanmoins à l'action. Aujourd'hui, près d'une décennie plus tard, nous parlons toujours d'obésité au Canada. Malgré le caractère admirable de ces discussions, les actions se font encore rares.

Certains persistent à croire que le problème de l'obésité est une responsabilité individuelle. Ils font valoir que, d'une manière ou d'une autre, depuis les 60 dernières années, non seulement le Canada, mais également le monde entier est aux prises avec une perte de volonté épidémique. Selon eux, parce qu'on peut théoriquement prévenir l'obésité grâce à la combinaison judicieuse d'un régime alimentaire sain et de la pratique d'exercice physique, il n'y a pas lieu que le gouvernement intervienne. Or, le véritable raz-de-marée de maladies attribuables à un mauvais régime alimentaire et à un excès de poids est sur le point de paralyser le système de santé canadien et, à ce jour, pour l'endiguer, nous nous sommes surtout contentés d'éduquer les gens en menant des campagnes visant à communiquer des messages sur la santé publique et d'appeler à l'action pour susciter une prise de conscience et des changements individuels.

Mais les mesures isolées ne suffisent pas à endiguer ce raz-de-marée, au même titre que les leçons de natation, aussi poussées, bien conçues et socialement acceptées soient-elles, ne suffisent pas à affronter les vagues déferlantes et que les nageurs même les plus vigoureux finissent par se fatiguer. Je ne dis pas qu'il ne faut pas apprendre à nager ou qu'on ne doit pas encourager qui que ce soit à apprendre à nager; je dis que, devant un tel raz-de-marée, le gouvernement a le devoir d'agir. Je ne suis toutefois pas convaincu que le Canada s'est donné la peine de prendre ne serait-ce qu'une seule mesure pour lutter contre le problème.

Certes, une seule mesure ne suffit pas, et c'est peut-être à cela que tient une partie du problème : cet état de fait empêche souvent l'action puisqu'il permet aux détracteurs de soutenir, et avec raison, « que telle ou telle mesure ne suffit pas pour traiter ou prévenir l'obésité ». Et ils ont tout à fait raison. Des mesures isolées ne permettront pas de stopper l'épidémie, et de par la nature même de cette épidémie, il est impossible de prédire quelles mesures se révéleront les plus importantes. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas agir.

Les solutions ne manquent pas. La montée de l'obésité résulte de dizaines, voire de centaines, de changements dans l'environnement qui se traduisent par un gain de poids dans la plus grande partie de la population. On ne choisit pas de prendre du poids; on prend du poids parce que le monde dans lequel on vit demande à l'être humain de faire beaucoup d'efforts pour se nourrir sainement. C'est un monde où on peut afficher fièrement en toute légalité sur le devant des emballages que les aliments ultra-transformés bourrés de sel, de sucre et de gras — la Sainte Trinité utilisée pour plaire à nos papilles et nous rendre accros contiennent de la vitamine D, des oméga-3 ou encore des grains entiers, où les enfants apprennent à l'école qu'ils ne devraient pas consommer régulièrement ce qu'on leur offre pourtant régulièrement à la cafétéria ou dans les machines distributrices des écoles, où l'industrie alimentaire est autorisée à cibler les enfants, où le guide alimentaire ne s'appuie pas sur des données probantes et peut très bien entraîner un gain de poids, où les tableaux nutritionnels sont à ce point compliqués et sources de confusion que le gouvernement a dû lancer non pas une, mais deux campagnes pour aider les Canadiens à les utiliser et, enfin, où votre comité permanent peut décider de ne pas servir de desserts au cours d'une séance tenue à 16 heures.

Pour que des changements se produisent, il faut réinventer l'environnement alimentaire digne de Charlie et la chocolaterie de sorte que les aliments sains deviennent le choix par défaut, et que la malbouffe soit difficile d'accès au lieu d'être difficilement évitable parce que disponible à profusion. Les mesures qui auront le plus d'influence ou celles qui doivent avoir préséance ne font pas consensus, mais en voici qui, à mon avis, seraient bénéfiques et relèveraient de la compétence du gouvernement fédéral : réviser le Guide alimentaire canadien et en rendre la révision périodique obligatoire; joindre les autres pays du G8 et établir un programme national d'alimentation en milieu scolaire intégrant un volet d'enseignement sur la nutrition, l'alimentation et la préparation des aliments; interdire la vente de tous les aliments ciblant les enfants; obliger les chaînes de restaurants, les cafés, les cinémas, et cetera, à afficher les calories des aliments sur leurs menus; réformer le tableau nutritionnel de façon à ce qu'il repose sur des portions réalistes et normalisées, diminue la confusion et l'ambiguïté, et indique les sucres ajoutés ainsi que l'apport calorique total; réformer l'étiquetage des allégations relatives à la santé sur le devant des emballages de façon à interdire l'utilisation d'allégations et de promotions fondées sur les valeurs nutritionnelles; adopter un étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages qui soit rigoureux et fondé sur des données probantes et qui suscite l'intérêt; taxer les boissons sucrées; et subventionner la culture de fruits et de légumes frais.

Une seule mesure ne suffit pas à enrayer une épidémie. Plus nous nous contentons de discuter, plus l'épidémie prendra de l'ampleur et fera des ravages. Certes, il n'est jamais inutile de discuter et de débattre, mais il faut agir, car plus nous attendons, plus la santé des Canadiens et le système de santé tel qu'il existe actuellement sont menacés. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup. Avant de céder la parole à mes collègues afin qu'ils puissent poser des questions, je tiens à vous rappeler que les sénateurs doivent retourner au Sénat pour voter. Le vote aura lieu à 17 h 30, et un autobus arrivera ici à 17 h 10. Par conséquent, la séance prendra fin au plus tard à 17 h 10, et l'autobus partira d'ici à 17 h 15.

Le reste de la séance comprendra plusieurs séries de questions qui se limiteront à une question par intervenant, d'accord?

Afin d'éviter de gaspiller davantage de votre temps de parole, je vais céder la parole au sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de vos exposés. Ils sont très utiles, et je suis de votre avis : des mesures sont requises.

Je tiens à parler de la première mesure, à savoir le guide alimentaire. J'aimerais que vous me donniez une idée de la façon dont il devrait être révisé.

Nous avons appris un certain nombre de faits ici. Par exemple, les préoccupations à propos des aliments préemballés, transformés ou prêts-à-servir ne sont pas vraiment abordées ici, tout comme la différence entre les ingrédients frais et les aliments très transformés, ou la question du sucre et la distinction entre le sucre naturel et le sucre ajouté. Différentes expressions sont utilisées à cet égard, mais il reste à savoir si le guide alimentaire devrait tenter de traiter de ces sujets.

Nous avons entendu des témoignages contradictoires à propos des effets que les matières grasses ont sur la santé, mais je pense que nous entendons de plus en plus souvent dire que les glucides sont les aliments les plus problématiques, et non les matières grasses.

Compte tenu des renseignements généraux de ce genre, pourriez-vous nous dire quels changements, selon vous, devraient être apportés, comment le guide alimentaire devrait être assemblé, quel genre de renseignements il devrait fournir et comment il devrait les communiquer aux Canadiens? En outre, y a-t-il quelque chose à cet égard que nous pourrions emprunter aux autres pays?

Je pense que, récemment, le Brésil et peut-être certains pays européens ont pris de nouvelles mesures à cet égard. J'ignore si vous maîtrisez vraiment cet enjeu. J'aimerais que vous tentiez tous les deux de répondre à la question concernant la façon dont nous devrions modifier le Guide alimentaire canadien.

Dr Freedhoff : Il y a deux façons d'aborder la révision du guide alimentaire. La première option serait une transformation totale, et c'est ce que je favoriserais. L'autre option consisterait à y apporter des changements à la pièce pour corriger les aspects les plus problématiques du guide.

Vous avez parlé du sucre dans le guide alimentaire. Il est clair que l'une des façons les plus faciles d'améliorer les conseils présentés dans le guide alimentaire sur la consommation de sucre serait d'en retirer les jus de fruits comme équivalents des fruits. Cela changerait beaucoup de choses. Ainsi, on ne mettrait plus dans l'esprit de parents bien intentionnés l'idée qu'un verre d'eau sucrée contenant un peu de vitamines équivaut à croquer dans un fruit. Ce n'est pas la même chose. Si l'on ajoutait des vitamines au Coca-Cola, nous n'en boirions pas pour autant, même si le contenu en calories et en sucre des deux produits est absolument le même, le jus est parfois même pire.

De même, les commerçants ne pourraient plus vendre de pâte de fruits et de jujubes aux fruits, ou sucrer les aliments avec du jus de fruits, comme cela se fait constamment. Les entreprises le font pour pouvoir prétendre que les aliments ne contiennent aucun sucre ajouté, parce que selon la façon dont notre guide est écrit et interprété, même s'il y a déjà eu du sucre dans un fruit et qu'on l'inscrit ailleurs, on peut tout de même prétendre ne pas avoir ajouté de sucre dans un produit, que le produit ne contient que des sucres naturels et ce qu'il devrait contenir, finalement. On en tire des produits ultra-transformés qui sont souvent présentés comme des équivalents aux fruits ou comme des aliments sains.

Si l'on ajoute à cela l'inscription des sucres ajoutés sur le tableau de la valeur nutritive et des conseils sur la quantité maximale de sucre recommandée, je pense que nous améliorerions beaucoup les choix alimentaires des Canadiens concernant le sucre.

L'autre option, c'est de revoir le guide de A à Z, et c'est ce que le Brésil a fait. Je vous ai déjà recommandé d'inviter Jean-Claude Moubarac à venir discuter avec le comité. Il a participé à la création du guide alimentaire brésilien et participe également à la création d'un système de classification des aliments ultra-transformés. Il a mené des recherches qui montrent clairement que la consommation d'aliments ultra-transformés est un très grand facteur de risque.

Plutôt que d'inciter les gens à faire preuve de minutie, à tout peser et mesurer et à suivre des lignes directrices précises, le guide alimentaire brésilien vise plutôt à ramener les gens au fourneau et à réduire leur dépendance aux repas-minute ultra-transformés et aux restaurants. Il vise aussi, bien honnêtement, à inciter les gens à se méfier de l'industrie alimentaire. Le nouveau guide alimentaire brésilien recommande aux gens de porter très attention aux messages de l'industrie alimentaire parce qu'ils ne seraient pas toujours vrais.

Personnellement, je crois que le guide brésilien est le meilleur exemple au monde d'un guide utile et moderne susceptible d'aider les gens, s'ils le suivent, à adopter un régime alimentaire plus sain, mais je ne me fais pas trop d'illusions quant à ce qui va se passer ici.

Dre Issakoff-Meller : Santé Canada prétend que le Guide alimentaire canadien est le deuxième document le plus téléchargé du site web du gouvernement, donc c'est un document très puissant. On en fait la promotion partout, dans les gouvernements provinciaux, les municipalités, les hôpitaux, les centres de santé publique, les écoles, et c'est la norme dans les services de garde en milieu familial. Il est difficile d'en déroger, mais il aurait cruellement besoin d'une révision.

La première étape, c'est qu'il faut absolument éloigner les lobbys de l'industrie de la table de discussion. Ils n'ont pas leur place là. Ils défendent des intérêts qui ne correspondent pas du tout aux intérêts des Canadiens sur le plan de la santé. C'est la première chose que je ferais.

J'hésite à préconiser, comme le Dr Freedhoff, une transformation totale et le modèle brésilien, mais cela ne viendra pas enrayer l'épidémie. Je pense que si nous voulons créer un guide plus détaillé, il pourrait comporter deux parties. Il pourrait y avoir une première partie pour les personnes qui n'ont pas de syndrome métabolique et une deuxième pour celles qui en ont un.

Quand on a un enfant ou qu'on est une personne ne souffrant pas du syndrome métabolique, nul besoin de réduire autant sa consommation de glucides que la personne aux prises avec l'obésité, le diabète ou une autre maladie associée. La consommation de glucides de ces personnes doit se limiter à 20 à 50 grammes par jour. Le guide alimentaire serait donc très différent pour elles. Si nous n'avons pas d'outil à leur offrir, notre guide ne leur servira à rien, alors qu'il faut absolument intervenir. Ces personnes sont souvent les plus démunies socio-économiquement dans la société. Ce sont elles qui souffrent le plus sur le plan de la santé et qui coûtent le plus cher à notre système de santé. Il faut donc vraiment faire quelque chose pour ce groupe.

Le président : Je vous remercie tous les deux.

La sénatrice Seidman : Comme nous avons peut-être déjà couvert le thème du guide alimentaire, sur lequel je voulais vous questionner, j'aimerais aborder l'étape suivante.

Je vous remercie infiniment tous les deux de vos exposés. Vous avez tous deux critiqué le gouvernement, vous avez dit que les Canadiens se font induire en erreur et priver de leur santé. Docteure Issakoff-Meller, c'est ce que vous avez dit, que les Canadiens ont été induits en erreur et privés de leur santé par les mauvais conseils alimentaires des gouvernements et des autres.

Docteur Freedhoff, vous avez dit que nous parlons toujours d'obésité au Canada, mais que malgré le caractère admirable de ces discussions, les actions se font encore rares.

Évidemment, le guide alimentaire est central ici, et l'on pourrait y proposer des modifications. Si nous laissions de côté le guide alimentaire actuel pour le remplacer par un autre outil qui nous permettrait d'agir et de changer les choses, qu'est-ce que ce devrait être, selon vous? Vous nous avez donné toute une liste, docteur Freedhoff.

Dr Freedhoff : Je pense que cela n'a pas d'importance, d'une certaine façon. Encore une fois, cela revient à ériger des barrages de sable. Il faut faire tout ce qu'il est possible de faire.

Je sais où je mettrais mon premier sac de sable, mais cela ne signifie pas que j'ai raison. Nous n'avons pas le luxe de pouvoir nous appuyer sur énormément de recherches en la matière, parce que c'est encore un enjeu très nouveau dans le monde. Parfois, il faut faire ce qui semble bien, puis observer attentivement s'il y a des conséquences involontaires.

Si l'on cherche des résultats, le problème est qu'il n'y a pas une chose en particulier qui va changer grand-chose. Une seule intervention ne peut pas suffire pour résoudre un problème aussi complexe. Si l'indicateur de mesure est l'obésité, je suis inquiet. Si nous décidons de taxer les breuvages sucrés, par exemple — ce qui serait une bonne idée à mon avis —, l'indicateur de mesure serait la consommation de breuvages sucrés. Que les taux d'obésité changent aussi importe peu : cela n'aide personne d'en consommer. Peu importe le poids qu'on pèse.

Il est important, si l'on commence à placer des sacs de sable, de comprendre que l'obésité ne doit pas être le seul indicateur de mesure pour en évaluer l'efficacité parce que bien honnêtement, les résultats pourraient être décevants du seul point de vue de l'obésité, surtout que nous commençons à peine à nous attaquer au problème.

Dre Issakoff-Meller : Je suis d'accord. Je crois beaucoup à l'activité physique, mais pour freiner cette épidémie, je ne crois pas vraiment que ce soit là où nous devons concentrer nos efforts. Je pense qu'il faut plutôt nous concentrer sur les aspects alimentaires et financiers. Nous aurons plus d'incidence de cette façon.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos exposés. J'entends beaucoup parler des régimes alimentaires faibles en glucides mais à forte teneur en gras. La simple perspective de manger beaucoup de gras ou d'huile a parfois de quoi nous faire sentir mal.

Pouvez-vous nous expliquer cela encore une fois en termes simples? Nous aimerions mieux comprendre le concept du régime faible en glucides mais à forte teneur en gras, particulièrement pour ce qui est du gras.

Dre Issakoff-Meller : En fait, les noix contiennent beaucoup de gras, comme le fromage. On mange du porc de plus en plus maigre chaque année, si bien qu'il est aussi dur que de la semelle de botte. Il faut simplement réintégrer les gras naturels à notre régime alimentaire, même les gras saturés, qui ne semblent causer absolument aucun problème d'après les dernières études. Il faut favoriser le lait entier plutôt que de conseiller de donner du lait à 2 p. 100 aux enfants ou de boire du lait écrémé; il faut favoriser les produits laitiers à forte teneur en gras et l'huile d'olive.

Il y a des moyens faciles de réintégrer le gras à notre régime, pour donner meilleur goût aux aliments. En fait, le gras rend les aliments plus savoureux. Il leur donne du goût. Il nous procure une bonne sensation de satiété. Il permet de manger moins, parce qu'il y a plus de calories par gramme de gras, donc c'est très avantageux à bien des égards.

Dr Freedhoff : Je travaille dans le domaine de l'obésité depuis longtemps, j'ai beaucoup lu à ce sujet, et je ne suis pas aussi féru d'une approche en particulier. Il y a toutes sortes de régimes qui permettent aux gens de perdre du poids sans le reprendre. Je ne suis absolument pas contre le régime faible en glucides mais à forte teneur en gras. Il y a des gens à qui ce style de régime convient très bien, mais je pense que ce n'est pas nécessairement le seul régime à privilégier. Il y a des gens qui arrivent à perdre du poids de toutes sortes de façons.

Encore une fois, je pense que la société a été très prompte à dire que la bonne façon de manger consistait à éviter le gras, et les gens se sont mis à remplacer même des aliments faibles en gras par des aliments ultra-transformés.

Je pense qu'il est également très important de tenir compte de la viabilité à long terme de la méthode préconisée. J'en parle beaucoup. Quoi qu'on fasse pour perdre du poids, dès qu'on arrête de le faire, on reprend le poids perdu. Donc bien que le régime faible en glucides et à forte teneur en gras soit un outil fantastique pour perdre du poids, si la personne ne souhaite pas conserver ce mode de vie à long terme, les avantages qu'elle en retire risquent de ne pas durer.

Je ne suis pas contre les régimes alimentaires faibles en glucides et à forte teneur en gras, absolument pas, mais je ne crois pas que notre guide alimentaire devrait favoriser une forme de régime au détriment des autres, parce que je pense qu'il y a beaucoup de gens sur la planète qui ont des cultures différentes et qu'il y a beaucoup de façons de faire différentes.

Personnellement, je préférerais que nous nous attaquions d'abord au problème le plus grave, c'est-à-dire à notre dépendance incroyable aux aliments ultra-transformés et aux restaurants. Il ne fait aucun doute qu'en diminuant notre consommation de ce genre d'aliments, nous allons consommer moins de glucides et améliorer notre santé.

C'est un peu comme si la note moyenne de la population était un D, pour les habitudes alimentaires canadiennes moyennes. Il ne serait peut-être pas avisé d'essayer de viser un A+ tout de suite. La première chose à faire serait peut-être plutôt de viser un B pour tous, puis de chercher des façons d'apporter d'autres petites améliorations ensuite, mais ce n'est que mon opinion sur le sujet.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Votre expertise apporte beaucoup à la discussion.

Je cuisine depuis longtemps et je vois les tendances et les recommandations passer et se succéder. La grande question que je me pose est la suivante : de toute évidence, le régime faible en gras n'a pas porté fruit. Je me rappelle avoir lu un article dans le New York Times qui posait la question : et si le gras ne faisait pas engraisser? Il m'a ouvert les yeux. C'était il y a longtemps déjà, mais les gens croient toujours qu'il faut favoriser les aliments faibles en gras.

Vous dites maintenant qu'il faut manger du gras, mais peu de glucides. Qu'en est-il des protéines? Les protéines sont-elles grasses? On entendait déjà parler des aliments à haute teneur en protéines, mais on entend maintenant parler de forte teneur en gras. Pouvez-vous décrire la différence entre les deux? Je repense à ce que ma mère me disait : mange tout ce qu'il y a dans ton assiette. Mais nous ne mangions que trois fois par jour. Il n'y avait pas de collations. Pouvez-vous réagir à cela?

Dre Issakoff-Meller : Dans la plupart de ces régimes, l'apport en protéines est à peu près comparable. De même, il semble relativement stable parmi les différentes cultures et depuis l'existence de l'Homo sapiens. Ce qui change le plus, c'est la teneur en glucides et en gras. Un régime à faible teneur en glucides et à forte teneur en gras ne favoriserait sûrement pas une consommation élevée de protéines. Les protéines sont une source d'énergie très inefficace, et nous avons tendance à transformer en sucre les protéines excédentaires.

Dr Freedhoff : Dans la gestion du poids, les protéines sont importantes parce qu'elles procurent une sensation de satiété, et la distribution des protéines est particulièrement importante. Si l'on mange un gros steak au souper, puis beaucoup de glucides simples toute la journée, il y a peu de chances de ressentir beaucoup de satisfaction ou de satiété. L'ingestion de protéines pendant toute la journée, à tous les repas et aux collations, est une bonne façon d'améliorer la sensation de satiété. Je pense en fait que les protéines ont une grande utilité. Nul besoin d'en manger à outrance, mais s'il y a un message à lancer sur les protéines, c'est qu'il faut en inclure à tous les repas et aux collations plutôt que d'essayer d'en consommer une grande quantité d'un coup.

Pour ce qui est des régimes faibles en gras, il n'y a pas beaucoup de personnes qui suivent un régime extra maigre. Tous les régimes existent, mais il y a des gens qui obtiennent des résultats remarquables avec les régimes faibles en gras, parce qu'ils ne remplacent pas des aliments à forte teneur en gras par des aliments faibles en gras bourrés de sucre raffiné et d'autres formes de sucre. L'idée n'était pas de remplacer des aliments gras par des biscuits SnackWell, mais c'est ce qui s'est passé, et je pense que c'est là le grand problème.

Je sais que je répète toujours la même rengaine, mais si l'on pouvait améliorer la façon dont les Canadiens utilisent leur cuisine pour transformer des ingrédients frais et entiers en repas, puis qu'ils les mangeaient ensemble à une même table, ce serait toute une amélioration par rapport à ce qui se vit aujourd'hui, peu importe ce qui se trouverait dans leur assiette.

Je travaille avec des parents d'enfants affichant un poids inquiétant, et je suis toujours surpris de constater que je rencontre plus de familles qui mangent à l'extérieur trois ou quatre fois par semaine que de familles qui ne sortent qu'une ou deux fois par mois au restaurant. Nous veillons à ce que nos enfants sachent jouer au hockey et au soccer lorsqu'ils quittent la maison, ce qui est fantastique, mais ils ne savent pas cuisiner quoi que ce soit.

Il y a des grands problèmes généraux que j'aimerais beaucoup voir régler avant de commencer à nous inquiéter autant de la valeur nutritive de ceci et de cela. Ce genre de renseignements peut être utile, mais je pense que nous ne sommes vraiment pas rendus là, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour y arriver, si nous y arrivons.

La sénatrice Frum : J'aimerais moi aussi vous remercier de ces deux exposés très intéressants. Vous avez tous deux mentionné que notre guide alimentaire n'est pas fondé sur des données probantes. Ne serait-il pas plus juste de dire qu'il se fonde peut-être sur des données déficientes ou obsolètes? C'est ma première question.

Ma deuxième est la suivante : je pense que vous recommandez tous deux l'établissement d'une taxe sur les breuvages sucrés, et beaucoup de témoins nous ont recommandé la même chose. Mais comme vous insistez tellement tous les deux sur le danger que présente le sucre — et personne ne semble vous contredire; je pense qu'il n'y a personne qui fait l'apologie du sucre ici —, pourquoi se limiter aux breuvages? Pourquoi ne pas nous attaquer plus agressivement au sucre, comme nous l'avons fait pour le tabac?

Le président : Je vais vous laisser répondre à la première question.

Je vais m'occuper de la question de la taxe, puisque vous n'avez droit qu'à une question. Vous n'étiez pas là quand nous avons déterminé la façon de procéder. Nous allons nous occuper de la question de taxe.

Dre Issakoff-Meller : La première question était : le guide alimentaire se fonde-t-il sur des données déficientes ou désuètes?

La sénatrice Frum : Ou réfutées depuis. Elles ont déjà été jugées probantes à un moment donné, n'est-ce pas?

Dre Issakoff-Meller : Oui. Vous l'avez peut-être entendu dans les témoignages précédents, mais ces données se fondent sur des études menées dans les années 1940, 1950 et 1960, à commencer par celles du Dr Ancel Keys. Je pense que vous avez déjà entendu tout cela, donc nous ne le répéterons pas.

Dr Freedhoff : Je dirais qu'il se fonde sur des données déficientes. Il n'y a rien qui prouve que tous les Canadiens devraient boire deux ou trois verres de lait par jour. Il n'y a jamais eu d'étude dans l'histoire du temps qui déterminait que cela procure des avantages pour la santé. Nous ne savons pas pourquoi cette recommandation a été faite, mais je peux vous dire que la directrice de la nutrition de la B.C. Dairy Foundation siégeait au comité consultatif de 12 membres du Guide alimentaire canadien au moment où la version actuelle du guide a été créée. Elle a peut-être reçu un boni par la suite, je ne le sais pas.

Je pense que le message de fond du guide alimentaire nous renvoie à l'importance des nutriments pour la santé, au fait que nous avons besoin de tant de zinc, de magnésium et de cuivre. En réalité, ce comité a établi un guide alimentaire pour que tous les besoins nutritifs soient comblés.

Mais notre alimentation n'est pas autant fonction des nutriments qu'on trouve dans les aliments. Notre compréhension de la nutrition est beaucoup moins poussée qu'on pourrait le croire. Nous comprenons l'incidence de certaines façons de manger et de certains types d'aliments, mais même ces données soulèvent des questionnements, parce que ce sont de vieilles données que nous savons déficientes. Je dirais sans hésiter que dans beaucoup de cas, l'information ne se fonde sur aucune donnée probante et qu'elle se fonde sur des données probantes dans certains cas. Cette fausse conception des éléments nutritifs a pour effet ridicule que des produits comme les céréales Froot Loops s'accompagnent d'une inscription disant qu'elles contiennent de la vitamine D et des grains entiers.

La sénatrice Cordy : Merci. Ce sont là des discussions et des présentations fascinantes.

Je m'interroge sur les messages qu'on envoie aux Canadiens sur les bonnes habitudes alimentaires. Vous en avez déjà parlé, comme d'autres personnes avant vous. Il y a vraiment de quoi s'y perdre. Les parents vont acheter des collations pour leurs enfants et ils se tournent vers des jus de fruits auxquels a été ajouté ceci ou cela. On choisit des produits qui contiennent du son d'avoine, du son de blé ou l'autre saveur du jour.

Quel serait le message simple à envoyer aux Canadiens? S'ils ne décrochent pas au bout de 30 secondes, ce qui est probablement long, quel serait le message à leur communiquer?

Vous avez évoqué l'idée de calories contextualisées sur les menus. Je pense que c'est une très bonne idée, mais je ne sais pas vraiment ce qu'est une calorie contextualisée. Vous pourriez peut-être me l'expliquer? Les Canadiens sont bombardés d'information. Comment pouvons-nous garder l'information simple et percutante?

Dr Freedhoff : Le mot « contextualisée » signifie qu'elle s'accompagne d'une référence sur le nombre de calories qu'une personne devrait viser. Je trouve un peu ridicule de fixer l'objectif à 2 000 pour tout le monde. Je pense que c'est important parce que selon les études, lorsqu'il n'y a pas de point de référence et que les gens consomment des repas en fonction du nombre de calories indiqué, mais que ce nombre est inférieur à ce dont ils auraient besoin, ils mangent plus une fois à la maison. C'est un peu comme si la personne obtenait le droit de manger une barre de chocolat de plus le soir. Mais les choses ont changé quand on a commencé à mettre les calories en contexte et à préciser quel devrait être l'objectif de chaque personne. Le phénomène a disparu. Encore ici, nous parlons des premières expériences de ce type qui ont été réalisées.

À mon avis, nous permettons que les renseignements soient fournis par les mauvaises personnes. Actuellement, nous laissons l'industrie alimentaire inscrire des renseignements sur le devant de l'emballage d'aliments que je ne donnerais jamais à ma famille. En effet, le devant de l'emballage est extrêmement attirant et il revient aux Canadiens de retourner l'emballage et de lire les informations nutritionnelles, mais ces dernières portent à confusion, car nous ne les comprenons manifestement pas. Nous devons mener des campagnes pour enseigner aux gens comment les utiliser, afin de déterminer si les renseignements sur le devant de l'emballage sont véridiques.

Nous devrions tout simplement cesser de permettre la présentation d'affirmations fondées sur les nutriments sur le devant des emballages — et toutes les affirmations en général. J'aimerais beaucoup voir une allée d'épicerie où les emballages ne présenteraient aucune affirmation, et où on ne tromperait pas les gens pour les pousser à acheter de mauvais produits. Les vrais aliments n'ont pas besoin de ce type d'affirmations, et c'est pourquoi ils n'ont pas d'emballage.

Dre Issakoff-Meller : Je suis d'accord avec Yoni. De plus, il faudrait sensibiliser la population sur les dangers. Tout d'abord, le gras n'est pas mauvais, et vous devriez donc en manger. Deuxièmement, si vous consommez un excédent de glucides, ils provoqueront la production d'insuline et par conséquent, la production de gras. Les gens devraient donc se méfier du sucre contenu dans les aliments — le sucre ajouté, le sucre naturel et le fait que les grains sont des chaînes de molécules de sucre. Il faut tout simplement les sensibiliser à cet égard. Troisièmement, il faut absolument parler des aliments transformés. Je dirais donc qu'il faut se concentrer sur ces trois choses, c'est-à-dire ne pas s'inquiéter au sujet du gras, reconnaître les glucides et éviter les aliments transformés.

Dr Freedhoff : J'ai également mentionné qu'on pourrait utiliser des systèmes qui fournissent un bref point de référence facilement accessible sur le devant de l'emballage. Des systèmes de ce type existent au Royaume-Uni, par exemple sous forme de feux de circulation, et il y a également un système appelé NuVal. Les gens ne s'entendront pas sur tous les systèmes. On ne trouvera jamais un système sur lequel tout le monde s'entend, mais il serait utile d'avoir un système — supervisé par un pouvoir autre que l'industrie alimentaire — qui fournit ces renseignements sur chaque produit, et qui permet d'identifier, au premier coup d'œil, ce qui pose un risque selon le gouvernement — mais il faut s'assurer que ce que le gouvernement considère risqué l'est réellement.

Le président : J'aimerais poser une question sur les taxes. Certains territoires les utilisent actuellement à cet égard. On a abondamment discuté des effets engendrés par les taxes, surtout en ce qui concerne la consommation de sucre.

Un autre enjeu qui émerge assez rapidement concerne les effets des édulcorants artificiels sur la santé. J'aimerais demander aux deux témoins de commenter l'idée de taxer les produits contenant du sucre ajouté et de nous dire si, à leur avis, on devrait taxer les aliments et les boissons délibérément sucrés au lieu de taxer seulement le contenu en sucre.

Dre Issakoff-Meller : Je suis absolument d'accord en ce qui concerne le sucre ajouté, mais la quantité totale de sucre naturel, qu'on pourrait également appeler les glucides, est extrêmement importante. Il faut éliminer les fibres de l'équation du total des glucides, car nous ne sommes pas en mesure de les digérer. Il faut donc manifestement en tenir compte. Oui, je taxerais cela. Je crois, comme Yoni l'a mentionné, que je subventionnerais peut-être ensuite les aliments complets. Je subventionnerais les agriculteurs pour qu'ils se remettent à la culture du brocoli et des choux-fleurs, car tout ce que nous voyons dans les champs ces temps-ci, c'est du blé et du maïs.

Dr Freedhoff : Je ne détiens pas d'actions de Splenda, mais je crois qu'un grand nombre des études qui laissent croire que les édulcorants artificiels causent des torts sont des études à tout-venant, c'est-à-dire qu'on mène un sondage auprès de tout le monde, et non auprès d'un groupe précis de la population, ce qui signifie qu'il est très possible que les répondants soient également les personnes qui consomment plus fréquemment des aliments hyper-transformés — par exemple, ils commandent le combo Big Mac et Coke Diet. Ce n'est pas vraiment la même chose.

Selon les études qui portent précisément sur le poids et les gens qui remplacent les boissons caloriques par des boissons contenant des édulcorants artificiels, cela les aide à perdre du poids et à le maintenir ensuite. Je crois que dans un monde idéal, nous aurions moins de sucre de toutes les sources, car nos palais préfèrent les saveurs sucrées et plus nous goûtons du sucre, plus nous en voulons. Toutefois, nous ne vivons pas dans un monde parfait, et si nous avions à choisir le moindre mal, je dirais qu'entre les deux, les édulcorants artificiels représentent certainement le moindre mal. Taxer les boissons sucrées au sucre est plus logique, car il n'y a pratiquement aucun argument qui laisse entendre qu'elles présentent un avantage.

Il existe toute une série d'arguments qui expliquent pourquoi d'autres produits qui contiennent du sucre ont une certaine valeur nutritionnelle et offrent certains avantages. Il est plus facile de s'attaquer au plus grand fournisseur de calories chez les adolescents de l'Amérique du Nord. Ce serait la plus grosse goutte de pluie dans l'inondation.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi d'ajouter un commentaire. Vous avez déjà brièvement fait référence à l'étiquetage nutritionnel sur les produits, et je crois que nous convenons tous que ces étiquettes sont très complexes et que les gens ont beaucoup de difficulté à décider ce qu'ils devraient faire en se fondant sur leur lecture. Vous avez suggéré un système plus simple, par exemple le système de feux de circulation utilisé par le Royaume-Uni.

À votre avis, quelle serait la meilleure façon de communiquer des informations nutritionnelles sur l'emballage et de les rendre compréhensibles et pertinentes pour la population?

Dre Issakoff-Meller : Personnellement, je n'aime pas l'approche fondée sur les feux de signalisation, car je crois qu'elle est trop simple et qu'elle n'aide pas les gens qui ont un syndrome métabolique. Je crois que c'est parfait pour la prévention.

En fait, j'aime les tableaux d'informations nutritionnelles. Je pense seulement qu'ils devraient être plus détaillés et que les listes d'ingrédients sur les produits devraient être beaucoup plus claires. Je crois que Dr Lustig vous a mentionné que le sucre a 56 différents noms et que le total de tous ces sucres n'est pas indiqué au début de la liste des ingrédients. Il faut absolument faire en sorte qu'il le soit.

Comprenez-vous ce que je veux dire?

Le sénateur Eggleton : Je comprends où vous voulez en venir.

Dr Freedhoff : En tant que personne pragmatique — et je ne sais pas si j'ai raison ou non —, je ne crois pas qu'un grand nombre de personnes étudient l'endos des emballages lorsqu'elles font l'épicerie. Je crois que les gens sont occupés et pressés; ils ont deux jeunes enfants, ils doivent prendre soin de leur mère à la maison ou ils doivent payer le loyer. Même si je crois qu'il est très important d'améliorer l'étiquetage, c'est évident, pour les gens qui lisent l'endos de l'emballage, on doit quand même présenter des renseignements sur le devant. Il faut qu'il y ait une inscription. En ce moment, les seuls renseignements fournis sur le devant de l'emballage sont présentés dans un format littéralement conçu par les intervenants de l'industrie alimentaire, qui génèrent leur propre liste d'aliments sains. Les gens ne s'en rendent pas compte. Ceux qui sont dans cette pièce s'en rendent peut-être compte, mais je ne crois pas que le citoyen ordinaire sait que le système Solution sensée a été créé par l'industrie et qu'il ne vise pas à les aider.

Si on ne tient pas compte des affirmations inscrites sur le devant de l'emballage, il faut une sorte de guide, qu'il s'agisse de feux de signalisation, d'une note de 0 à 100, n'importe quoi, car je ne crois pas — même si ce serait merveilleux — que les gens vont prendre le temps d'étudier les étiquettes même si c'était à leur avantage.

La sénatrice Raine : J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de la définition des « aliments ultra-transformés » fournie par Jean-Claude Moubarac. Cette définition est-elle fondée sur des preuves et est-elle acceptée partout dans le monde?

Dr Freedhoff : C'est nouveau. Les choses nouvelles ne sont jamais acceptées à l'échelle mondiale.

C'est fascinant. Ce que lui et son groupe ont fait, y compris pour les données canadiennes, je crois, c'est qu'ils ont établi trois niveaux de transformation. Il y a les aliments peu transformés, les aliments transformés et les aliments ultra-transformés. Les aliments peu transformés comprennent notamment le beurre; en effet, il est transformé, car on ne peut pas ramasser du beurre sur le plancher, et il faut donc le transformer dans une certaine mesure. C'est la même chose pour la farine. Si on progresse dans les niveaux de transformation, on arrive aux aliments ultra-transformés. Il a établi un système de classification et de définitions pour ces produits.

Ce qui est fascinant au sujet de ses travaux, c'est qu'il examine ensuite les habitudes alimentaires et les aliments ultra-transformés, ainsi que la santé et l'obésité, et la corrélation est frappante. Ce qui est également frappant, c'est que nous mangeons un grand nombre de ces produits. Environ 60 p. 100 des habitudes alimentaires brésiliennes — et c'est presque la même chose pour les habitudes alimentaires canadiennes — viennent de ces produits ultra-transformés.

Je crois qu'il aurait été très intéressant de discuter avec lui. Il faudrait se concentrer sur la vue d'ensemble plutôt que sur des habitudes alimentaires précises, afin de tenter de réduire la consommation de ces produits. L'étiquetage pourrait peut-être porter sur le niveau de transformation, et la campagne viserait à enseigner aux gens qu'il faut se méfier des aliments ultra-transformés.

La sénatrice Frum : Dr Freedhoff, vous avez déjà fait valoir ce point à quelques reprises, mais pour le confirmer, lorsque nous voyons des emballages sur lesquels est inscrite l'affirmation « 25 p. 100 moins de gras » — ce qui n'est peut-être même pas une bonne chose — ou une autre affirmation, il s'agit d'affirmations complètement réglementées par le producteur. Est-ce bien ce que vous dites?

Dr Freedhoff : Non. Les affirmations doivent suivre certaines directives. Toutefois, ces directives ne sont pas strictes et elles accordent une marge de manœuvre beaucoup plus grande à l'industrie qu'au consommateur. Par exemple, on permet à la société Kellogg d'affirmer sur le devant de l'emballage des céréales Froot Loops qu'elles contiennent de la vitamine D et du blé entier, et cetera, car c'est vrai. On permet aussi d'afficher sur les produits qui contiennent 25 p. 100 moins de gras que leur version précédente — mais ils contiennent peut-être 25 p. 100 plus de glucides — une affirmation selon laquelle ils contiennent moins de gras.

Tous ces messages se fondent sur des affirmations généralisées sur la santé. Il s'agit de convaincre une personne pressée que le produit est bon pour elle, qu'elle peut s'en tirer sans cuisiner, et qu'aucun effort n'est requis, car c'est un choix intelligent.

Je crois que tous ces messages, étant donné qu'ils se concentrent sur la notion des nutriments — qui ne vaut pas grand-chose —, trompent les consommateurs plutôt que les aider.

Le président : C'est malheureusement cette période de l'année où il faut voter et accomplir d'autres tâches connexes au Sénat, mais c'était absolument formidable de vous avoir avec nous. Je suis certain que nous pourrions discuter plus longtemps.

Vous êtes tous les deux, et surtout Dre Issakoff-Meller, au courant du fondement moléculaire de certains des enjeux dont nous parlons, et vous l'avez résumé dans votre exposé.

Docteur Freedhoff, je crois que l'une des choses qui diffèrent de l'époque keysienne, c'est que nous connaissons bien les processus métaboliques sur le plan chimique. Nous connaissons les structures et les éléments biochimiques, et il est maintenant possible de tirer certaines conclusions sur les effets des aliments que nous consommons, selon leur quantité, sur notre santé en général. Nous espérons que ces renseignements nous aideront à être un peu plus précis à l'avenir.

Je dois dire que je sais qu'il y a des personnes qui ne sont pas d'accord avec vous et avec moi sur la question de l'étiquetage sur l'endos des emballages des aliments transformés, mais d'après mes observations, je sais à quel point il est difficile pour une personne pressée de retourner le produit et de comparer les informations nutritionnelles de deux produits pendant qu'elle fait l'épicerie.

Docteure Issakoff-Meller, je pense que l'une des choses que vous avez ajoutée aux autres exposés que nous avons entendus, c'est l'idée que la plupart des gens ne comprennent pas que les glucides sont vraiment des sucres et qu'il en existe deux types. Il y a ceux que le corps transforme en sucres, et il y a ceux qui sont des fibres et qui ne sont pas métabolisés par le corps. L'ironie, c'est que le glucose est présent dans certaines des meilleures fibres. La cellulose, par exemple, est une fibre remarquable. Notre corps ne la métabolise pas, mais le glucose est une partie du sucre. La seule différence réside dans la façon dont les molécules sont assemblées. Malheureusement, un très grand nombre des glucides que nous consommons sont métabolisés et transformés en sucre par notre corps. Vous avez insisté sur ce point.

Les contributions de nos deux témoins ont été très utiles aujourd'hui. J'aimerais les remercier d'avoir comparu, et j'aimerais remercier mes collègues d'avoir posé des questions. C'est ce qui termine notre réunion.

(La séance est levée.)


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