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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 4 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’immigration francophone en milieu minoritaire.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Avant de commencer, je vous rappelle, ainsi qu’aux témoins, que vous êtes priés de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins que le président vous donne la parole.

[Traduction]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez me le signaler ou le signaler à la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème. Les participants doivent s’installer dans un endroit privé et être attentifs à leur environnement.

[Français]

Nous allons maintenant commencer officiellement notre réunion.

Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la vice-présidente du comité, la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick; le membre du comité directeur, le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec; la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario; la sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario; la sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec; le sénateur Pierre Dalphond, du Québec; le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent et nous écoutent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire. Dans un premier temps, nous recevons les représentants de deux organisations nationales.

D’abord, de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, nous recevons son président, M. Denis Chartrand, et la directrice générale, Mme Valérie Morand. Bienvenue parmi nous.

Puis, de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, nous recevons Mme Nour Enayeh, présidente, et Mme Soukaina Boutiyeb, directrice générale.

Merci à tous d’avoir accepté notre invitation et bienvenue parmi nous. Votre présence est très appréciée.

Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices.

La parole est à vous, monsieur Chartrand.

Denis M. Chartrand, président, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Monsieur le président et honorables membres du Sénat, merci de nous avoir invités pour parler d’un enjeu important pour notre réseau.

Je suis Denis Chartrand, président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, qui représente les 28 conseils scolaires de langue française en contexte minoritaire au Canada, donc à l’extérieur du Québec.

Notre réseau assure le service auprès de 174 000 élèves dans plus de 700 écoles élémentaires et secondaires de la maternelle à la 12e année, partout au Canada.

Les inscriptions à nos écoles de langue française augmentent constamment depuis 15 ans, et ce, en bonne partie grâce à l’immigration francophone. C’est souvent aussi à travers l’intégration des enfants à l’école que se fait celle des parents et de la famille élargie. Le rôle de l’école va donc bien au-delà de la scolarisation des enfants.

Malheureusement, ce rôle n’est pas encore suffisamment reconnu par nos gouvernements. Notre système scolaire doit non seulement voir au recrutement, à l’accueil et au maintien des élèves issus de l’immigration, mais il doit aussi permettre de favoriser la transmission de la culture francophone et l’enracinement des familles dans nos communautés.

Les principaux enjeux de notre réseau relativement à l’immigration s’articulent autour de trois axes : premièrement, mieux faire connaître l’existence des écoles de langue française à l’étranger et au Canada; deuxièmement, voir au recrutement, à l’accueil et au maintien des élèves issus de l’immigration et de leur famille; troisièmement, faciliter l’embauche d’enseignants francophones qualifiés à l’étranger ou issus de l’immigration récente.

Nous croyons qu’il y a six pistes de solutions pour relever ces défis.

Premièrement, il y a la promotion des écoles de langue française au Canada et à l’international. Il existe encore une méconnaissance de la performance de notre réseau scolaire, tout comme du droit des immigrants francophones et des réfugiés d’inscrire leurs enfants dans une école de langue française.

Les familles sont encore trop souvent accueillies par des agents unilingues anglophones qui n’ont pas le réflexe de les diriger vers les réseaux d’immigration francophones. Les nouveaux arrivants sont alors dirigés vers le système anglophone, ce qui représente une perte pour les communautés francophones et acadienne.

Alors que le Canada s’apprête à accueillir 285 000 Ukrainiens d’expression française, combien auront l’information juste et complète relativement aux choix qui s’offrent à eux sur le plan de la scolarisation de leurs enfants?

La deuxième piste est le projet de loi C-13 modernisant la Loi sur les langues officielles. Le projet de loi obligerait le gouvernement à développer une politique en matière d’immigration francophone. Toutefois, le libellé actuel, qui parle de « contribuer » au rétablissement et à l’augmentation du poids démographique de nos communautés, est beaucoup trop faible. Il faut que cette politique ait une obligation claire de rétablir et d’augmenter le poids démographique de nos communautés.

La troisième piste, c’est une définition élargie du terme « francophone ». En 2009, l’Ontario a adopté, à l’instar du gouvernement fédéral, une définition élargie de ce qu’est un francophone. Un immigrant dont la langue maternelle n’est pas le français, mais qui parle le français est désormais considéré comme un francophone en Ontario. Cette approche, toutefois, n’a pas encore été adoptée ailleurs au pays.

La quatrième piste, ce sont les travailleurs en établissement. Beaucoup d’élèves issus de l’immigration dans nos écoles proviennent de pays en conflit. Ces élèves éprouvent souvent des difficultés physiques, émotionnelles, comportementales et scolaires. Ils ont donc besoin d’un accompagnement plus marqué.

Le Programme des travailleuses et des travailleurs d’établissement dans les écoles, une initiative d’IRCC, vise à faciliter l’intégration et l’épanouissement des élèves issus de l’immigration récente en créant des ponts entre l’école, la famille et la collectivité. Malheureusement, ce programme, qui est calqué sur un modèle anglophone, n’est pas adapté à la réalité des conseils scolaires francophones.

La cinquième piste, ce sont les enseignants et le personnel scolaire issus de l’immigration. Une des solutions à la pénurie d’enseignants et de personnel scolaire francophones passe par l’embauche d’enseignants qualifiés issus de l’étranger. Toutefois, hormis l’Ontario, la reconnaissance obligatoire des compétences professionnelles de ces personnes se fait souvent uniquement en anglais, ce qui pose problème pour les immigrants francophones.

Si la réussite des personnes immigrantes qui sortent des facultés de l’éducation au Canada ne pose généralement pas de problème, les stages, en revanche, représentent une étape plus délicate durant laquelle des enjeux surgissent, notamment sur le plan des compétences culturelles du milieu d’accueil et des stagiaires. C’est pourquoi de plus en plus de conseils scolaires francophones ont dû développer des programmes de mentorat.

La sixième piste, c’est un rattrapage financier dans le cadre du Programme des langues officielles en enseignement. L’école est un puissant outil d’attraction, de rétention et d’accueil dans une communauté. Elle demeure le moyen le plus rapide et efficace d’accélérer l’intégration d’une famille de nouveaux arrivants. Pour que cette population immigrante décide de rester au sein de nos communautés, il est important de leur offrir des milieux de vie accueillants et inclusifs. Toutefois, cette intégration impose un fort coût à nos conseils scolaires.

Depuis plus d’une décennie, en raison de l’augmentation du coût de la vie et de la croissance des inscriptions dans nos écoles, la valeur des sommes versées par le gouvernement fédéral pour favoriser la transmission de la langue et de la culture s’effrite énormément. Pour chaque dollar versé par élève en 2009, les conseils scolaires ne touchent désormais que 56 ¢. Il faudrait donc un redressement financier pour rééquilibrer ce déficit.

En conclusion, l’école est prête à jouer son rôle pour faciliter l’intégration des élèves immigrants et de leur famille. Faisons donc en sorte que les conseils scolaires puissent avoir toutes les ressources requises afin d’assurer le bien-être et la réussite de ces futurs Canadiens. Merci de m’avoir écouté.

Le président : Merci, monsieur Chartrand, de votre présentation, qui était très claire.

Je donne maintenant la parole à la présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, Mme Enayeh.

Nour Enayeh, présidente, Alliance des femmes de la francophonie canadienne : Monsieur le président et membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, mesdames et messieurs, bonjour à toutes et à tous.

Bien que nous nous retrouvions virtuellement aujourd’hui, je voudrais reconnaître que le siège social de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne se trouve sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. Au nom de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), je remercie le Comité sénatorial permanent des langues officielles de nous offrir cette occasion de contribuer à son étude sur l’immigration.

Je suis Nour Enayeh, présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne. L’AFFC est un organisme féminisme sans but lucratif voué à la promotion du rôle et de la contribution des femmes francophones et acadiennes dans leur communauté. L’AFFC représente 15 organismes de femmes de partout au Canada à l’extérieur du Québec.

En 2021, l’AFFC a commandé une étude sur les besoins spécifiques des femmes immigrantes francophones dans les communautés francophones en situation minoritaire de quatre provinces et un territoire du Canada, à savoir la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Yukon. Une soixantaine de femmes et une vingtaine de personnes intervenant dans le domaine de l’immigration francophone dans les régions ciblées ont été consultées.

L’étude visait à identifier les besoins des immigrants francophones en ce qui a trait à l’offre des services d’établissement et des autres services offerts dans leur communauté.

Le principal constat de cette étude porte sur les répercussions des responsabilités familiales des femmes sur leur parcours d’immigration. En effet, pour la majorité des participantes, la différence entre leur parcours d’immigration et celui des hommes réside dans le poids de leurs responsabilités familiales.

Ces femmes doivent, pour la plupart, veiller à la bonne marche de leur foyer et à la scolarisation des enfants, tout en assurant l’accès aux services de base et en faisant des démarches administratives pour l’ensemble de la famille. La difficulté est encore plus grande dans le cas des femmes monoparentales, qui assurent seules la subsistance de la famille et la bonne marche du foyer.

Dans ce contexte, l’intégration réussie et à long terme des personnes immigrantes dans les communautés francophones en situation minoritaire repose essentiellement sur les efforts des femmes. Or, notre étude a montré que l’offre de services comporte des lacunes et n’accorde pas une attention suffisante à l’expérience particulière de ces femmes immigrantes.

Permettez-moi de mentionner quelques lacunes : une pénurie importante de services de garde abordables, qui limite l’autonomie des femmes immigrantes; un accès limité aux soins de santé en français, qui est une source importante de stress pour les femmes immigrantes, dont plusieurs ont, à leur arrivée, une connaissance insuffisante de l’anglais pour interagir avec des prestataires de soins anglophones; un accès inégal à l’information sur les services en français d’une province à l’autre; des services d’employabilité inadaptés aux domaines d’expérience des participantes, où plusieurs d’entre elles avaient indiqué vivre une situation persistante de déqualification professionnelle; des modalités de prestation de services peu adaptées, plus précisément les heures de prestation de services, les distances parfois très grandes à parcourir pour y accéder, l’accès restreint à des services de garde et les difficultés éprouvées par certaines à continuer de suivre des cours d’anglais sont autant de freins à l’accès à des services pertinents.

Par ailleurs, il ressort de notre étude que les fournisseurs de services agissent presque exclusivement pour apporter une réponse à ce qui est perçu comme des insuffisances des immigrants francophones. Ces insuffisances peuvent être liées à une connaissance limitée de l’anglais, à une incompréhension des codes sociaux ou au manque de formation et d’expérience canadienne.

Une telle approche fondée sur les relations entre fournisseurs et récipiendaires de services tend à occulter les capacités des personnes immigrantes, mais aussi le rôle primordial de la communauté d’accueil. Or, comment définir un parcours d’immigration réussi? A-t-on réussi seulement lorsqu’on a trouvé un logement, un emploi et que nos enfants fréquentent l’école, ou plutôt lorsqu’on se sent accueilli et membre à part entière de sa communauté, en étant en mesure d’y contribuer pour ses compétences et ses connaissances?

Ainsi, pour les participantes à l’étude, le manque de contacts avec la communauté d’accueil freine le développement de leurs capacités sociales et les empêche de développer un réel sentiment d’appartenance à cette communauté. Il devient donc impératif de mettre à profit les capacités et compétences des femmes immigrantes. Pour cela, les parties prenantes de l’immigration francophone doivent prendre en compte leurs besoins spécifiques.

À partir des constats de notre étude, nous avons formulé un certain nombre de recommandations visant à une meilleure prise en compte des besoins spécifiques des femmes immigrantes. Ces recommandations sont adressées à l’ensemble de l’écosystème de l’immigration francophone, mais aussi à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. En effet, IRCC joue un rôle central dans le développement des modalités de prestation de services d’appui aux immigrantes. Il est donc important qu’il exerce un leadership dans les efforts visant à mettre en place des politiques et des programmes sensibles au genre et à la diversité.

Quant à l’écosystème de l’immigration francophone, qui varie en fonction de chaque province ou territoire, il est nécessaire de rehausser ses capacités afin que les besoins des femmes soient anticipés lors de la conception des politiques, des programmes et des services.

Permettez-moi de citer plus précisément les recommandations issues des constats de notre étude. Nous avons fait des recommandations directement à IRCC.

Premièrement, nous recommandons d’harmoniser les politiques d’IRCC avec la politique du gouvernement du Canada sur l’égalité des genres en adoptant une politique nationale sur l’égalité des genres et la diversité en immigration. Une telle politique serait susceptible d’obliger les services d’établissement à mieux prendre en compte les questions de genre et de diversité dans la conception de leurs programmes.

Deuxièmement, nous recommandons de travailler avec d’autres ministères et agences fédérales afin de produire des connaissances plus détaillées sur le profil démographique des immigrants francophones, en consultation avec les femmes immigrantes et les organismes qui les représentent. L’utilisation de telles données probantes est indispensable pour concevoir des politiques qui atteindront les résultats escomptés.

Troisièmement, en ce qui concerne les recommandations adressées à l’écosystème de l’immigration francophone, en général, nous demandons d’englober les questions d’égalité de genre, de diversité et d’inclusion dans les activités de plaidoyer auprès d’IRCC et d’autres entités engagées dans l’accueil des immigrants francophones dans les communautés francophones en situation minoritaire, communément appelées les CFSM. Ces connaissances des communautés d’accueil doivent être partagées avec IRCC.

Quatrièmement, nous recommandons d’appuyer le développement de politiques, de stratégies et de programmes sensibles au genre, à la diversité et à l’inclusion par les Réseaux en immigration francophones (RIF), qui jouent un rôle central dans le renforcement des capacités des écosystèmes de l’immigration francophone sur le plan provincial et territorial.

Cinquièmement, nous recommandons de rehausser les capacités des RIF et de leurs organisations membres afin de développer, de diffuser et d’utiliser des outils comme des politiques, des grilles d’analyse et des ressources portant sur l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) dans l’immigration francophone dans les CFSM. 

Sixièmement, nous recommandons de travailler avec les organismes de femmes de leur province et de leur territoire afin de mettre en œuvre des services et des programmes adaptés aux besoins des femmes, programmes qui seront en mesure d’utiliser le capital humain que possèdent les femmes immigrantes. Ces organismes sont présents sur le terrain pour les femmes immigrantes, quel que soit leur statut migratoire. Pourtant, ils ne bénéficient pas toujours de l’appui ni du soutien financier d’IRCC.

Septièmement, nous recommandons d’utiliser les connaissances issues de la recherche et de la pratique afin de concevoir des politiques, des programmes et des services sensibles au genre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, merci de votre attention. Soukaina Boutiyeb, directrice de l’AFFC, et moi sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, madame Enayeh. Nous allons maintenant passer à la période des questions. J’invite les sénatrices et les sénateurs à utiliser la fonction « lever la main » dans Zoom pour demander la parole. Les sénateurs et sénatrices qui sont dans la salle peuvent signaler leur intention à la greffière.

Étant donné que nous sommes conscients du temps que nous avons à notre disposition et de l’intérêt soulevé par les présentations de nos témoins, je propose, comme d’habitude — et ceci s’adresse aussi aux témoins —, une limite de cinq minutes pour la question et la réponse, pour un premier tour de table. Nous offrirons un deuxième tour, bien sûr, si le temps nous le permet.

La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins de leur comparution; c’est très apprécié. Ma première question s’adresse aux deux témoins. Selon vous, que doit contenir la nouvelle politique en matière d’immigration francophone promise par le gouvernement fédéral? Quels facteurs doivent être considérés pour que cette politique favorise l’épanouissement et l’appui au développement des communautés francophones en situation minoritaire?

Soukaina Boutiyeb, directrice générale, Alliance des femmes de la francophonie canadienne : Pour répondre à la première question, je crois qu’il est important — et on le soumet dans notre étude — de changer le regard que nous portons sur les immigrants. Plutôt que de voir les femmes immigrantes comme des bénéficiaires de services, il faut aussi les voir comme des membres de la communauté et des participantes actives. Elles permettent d’assurer l’enrichissement et la vitalité de nos communautés. Une partie de l’objectif est donc de changer ce regard.

Comme notre présidente l’a mentionné dans son discours, l’autre partie consiste à prendre en compte une politique sensible au genre. Dans l’élaboration de politiques, il est important de tenir compte de l’analyse comparative entre les sexes plus, qui a pour but de développer des services adaptés aux besoins spécifiques des personnes immigrantes, en fonction de leur identité, de leur genre et de leur situation économique. Il faut aussi faire en sorte que ces services aient un impact direct et qu’ils puissent répondre à tous les besoins.

M. Chartrand : Je vais ajouter quelque chose à ce que vient de dire ma collègue Mme Boutiyeb. La politique doit non seulement être claire, mais tout ce qui en découle doit l’être également, c’est-à-dire tous les règlements d’IRCC. Nous avons donné deux exemples de choses qui se passent à IRCC et qui doivent changer pour que la francophonie soit accueillante et vibrante et qu’elle puisse se développer partout au Canada, pas seulement dans une partie du Canada.

La sénatrice Poirier : Merci de votre réponse. Ma deuxième question s’adresse à la Fédération nationale des conseils scolaires francophones. Quel est le portrait actuel de la clientèle scolaire d’immigration francophone? Vous avez soulevé, dans votre présentation, six excellents points. Selon vous, comment devrait-on les prioriser? Est-ce que les six points sont tout aussi prioritaires? Quel devrait être le point de départ?

Valérie Morand, directrice générale, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Permettez-moi de donner suite à la question précédente. Il faut augmenter les capacités d’accueil des communautés. Cela inclut le réseau scolaire de ces immigrants francophones.

Nous avons entendu aujourd’hui que l’on réclamait des cibles plus musclées pour l’immigration francophone. On ne peut s’opposer à un apport marqué de l’immigration francophone. Toutefois, pour être conséquent, il faut donner aux communautés et aux réseaux scolaires les moyens d’accueillir ces immigrants francophones. Mme Boutiyeb et Mme Enayeh ont mentionné un peu plus tôt le poids des responsabilités familiales. C’est un élément que nous avons aussi identifié. Nous avons d’ailleurs déposé un projet auprès d’IRCC, qu’on appelle RAM, soit Recrutement, accueil et maintien des nouveaux enseignants, qui est basé sur des pratiques exemplaires. Nous connaissons les solutions. Grâce aux conseils de notre président, nous offrons des séances de rencontres depuis quelques années. Le transport est assuré, des collations sont offertes, le service de garde est disponible pour les enfants, et les parents peuvent socialiser et briser cet isolement dont on a parlé pour favoriser l’intégration. Les enfants sont un vecteur, mais on donne aussi la chance aux parents de s’enraciner dans la communauté.

Nous savons ce que nous devons faire. Capitalisons sur ces pratiques exemplaires et donnons-nous les moyens de les mettre en œuvre. Bien souvent, les solutions ne sont pas si compliquées. Il faut tout de même reconnaître qu’elles existent et cesser d’être en mode réactif. Nous connaissons les solutions, alors planifions et apprenons de l’expérience des réfugiés syriens, pour la vague de réfugiés afghans qui nous attend et pour celle des Ukrainiens d’expression française. Nous connaissons les solutions. Donnons-nous la chance de les mettre en œuvre.

La sénatrice Poirier : Avez-vous eu une réponse positive à la demande de projet que vous avez déposée?

Mme Morand : Elle a été refusée à deux reprises. Je ne vous dis pas qu’on ne la présentera pas une troisième fois. Nous voyons ce qui doit être fait, mais il incombe à IRCC de reconnaître la réalité sur terrain. Comme l’a indiqué le président, M. Chartrand, le programme de travailleurs spécialisés en éducation dans les écoles doit être adapté au modèle des écoles de langue française. Le système est calqué sur le modèle anglophone, où une concentration très importante d’écoles est nécessaire pour se qualifier. Ce n’est pas la réalité du réseau des écoles de langue française, qui sont dispersées dans toute la province. On a souvent un conseil qui dessert une province ou un territoire. Reconnaissons la spécificité des écoles de langue française pour bien desservir cette clientèle immigrante.

La sénatrice Mégie : Ma question concerne le point que vous avez soulevé, monsieur Chartrand, par rapport à la définition élargie d’une personne dite « francophone ». Je ne sais pas si j’ai bien entendu, mais il paraît qu’en Ontario on a modifié cette définition pour l’élargir. Une personne dont la langue maternelle n’est pas le français, si elle parle français, est considérée comme francophone. Pourquoi cette définition n’a-t-elle pas été élargie dans les autres provinces, plutôt que dans une seule province? Quel était l’obstacle?

M. Chartrand : Il revient à chaque province d’adopter cette définition, et nous serions heureux qu’il en soit ainsi. Il n’y a pas d’obstacle, à condition que la province veuille utiliser la même définition que celle de l’Ontario, à savoir ce qu’est un francophone, aux fins de l’éducation. Cette définition n’est pas constitutionnelle. Elle est utilisée pour que les gens qui parlent français puissent être considérés comme des francophones aux fins de l’inscription des enfants à l’école.

La sénatrice Mégie : Est-ce que vous pensez que si cette définition est incluse dans le projet de loi C-13, cela peut influencer les autres provinces?

M. Chartrand : J’espère que oui. Je n’y avais pas pensé, mais absolument. Nul besoin de changer la Constitution. Si on insérait cette disposition dans la Loi sur les langues officielles, je crois que cela aiderait; vous avez absolument raison.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Chartrand. Pouvez-vous nous parler du recrutement des francophones pour vos écoles dans le bassin d’immigrants qui s’installent là où il y a des communautés francophones et des écoles françaises?

En réalité, est-ce que vous êtes informé de leur arrivée éventuelle, et avez-vous le temps de les courtiser pour qu’ils choisissent une éducation en français pour leurs enfants?

M. Chartrand : C’est un peu ce dont je parlais lorsque je disais que les nouveaux arrivants qui arrivent au Canada ils sont reçus par des agents de l’immigration. C’est là où il faut faire la promotion des écoles, parce qu’on ne sait pas nécessairement qui arrive et où.

Par contre, je dois féliciter le Centre francophone du Grand Toronto, qui a pris les choses en main à l’aéroport Pearson. Ses représentants s’assurent que les nouveaux arrivants, quels qu’ils soient, ont de l’information sur les quatre systèmes scolaires qui existent en Ontario. C’est ce qu’il faut partout au Canada : des agents ou des gens qui reçoivent les familles immigrantes et qui peuvent les informer correctement de leurs droits à l’instruction, en premier lieu, et des services qui sont offerts.

À la fédération ou dans les conseils scolaires, personne ne nous dit qu’il y a des familles immigrantes qui arrivent demain à Montréal ou à Ottawa, pour répondre plus précisément à votre question.

Le sénateur Dagenais : J’aurais une question pour Mme Enayeh.

Madame Enayeh, on sait que le gouvernement Trudeau a décidé de mettre en place un programme national de garderies, car avant l’école, il y a évidemment la garderie.

Que savez-vous des intentions des provinces, autres que le Québec, qui vont recevoir de l’argent du fédéral pour implanter ces garderies?

Y aura-t-il une part de cet argent pour des garderies francophones, ou faudra-t-il faire une nouvelle bataille pour obtenir du financement à cet effet?

Mme Enayeh : Effectivement, je viens de la Colombie-Britannique, et c’est un grand souci que nous avons en Colombie-Britannique, d’autant plus que l’on sait, comme on le disait au tout début, que c’est vraiment par là que se fait la transmission de la langue.

Je n’ai pas encore entendu parler de plans assez précis à ce propos.

Mme Boutiyeb : Si je peux me permettre de faire une précision.

C’est assurément l’une de nos craintes aussi, cette accessibilité à des services de garde francophones dans les différentes communautés partout au pays.

Dans le cas de l’immigration, c’est l’une des choses qui est ressortie pour les femmes immigrantes qui ont participé à cette étude. Les garderies, on souhaite qu’elles soient abordables, mais aussi qu’elles soient disponibles à des heures adaptées pour elles, pour ce qui est de l’employabilité et des services d’inclusion et d’intégration.

En conclusion, il faut également changer le mode de fonctionnement de ces garderies pour permettre à ces femmes d’assister à des activités. Il nous faut des modèles de garderies atypiques.

M. Chartrand : Les garderies, pour nous, c’est extrêmement important.

Notre fédération appuie le continuum en éducation, de la garderie jusqu’au niveau postsecondaire. Les garderies et le programme qui vient d’être annoncé, c’est excellent, mais c’est un exemple parfait de la raison pour laquelle on doit inclure des dispositions linguistiques dans le projet de loi C-13 lorsque le gouvernement fédéral donne des fonds aux provinces.

Il doit y avoir des clauses linguistiques qui disent : « On vous donne des fonds, mais un pourcentage X de ces fonds doit aller aux communautés francophones en situation minoritaire »; dans ce cas-ci, il s’agit des garderies francophones.

Comme vous le savez, monsieur le sénateur, beaucoup de garderies se trouvent dans nos écoles; les garderies représentent une porte d’entrée dans la communauté et dans nos écoles.

La sénatrice Moncion : J’ai deux questions; l’une s’adresse à l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne et l’une à la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Vous avez dit, madame Enayeh, qu’il y avait un problème de reconnaissance des acquis pour les immigrants francophones qui pourraient potentiellement enseigner.

Vous avez mentionné que les acquis... Ces gens-là arrivent au Canada et doivent passer des examens en anglais; ai-je bien compris?

Mme Enayeh : On parlait plutôt des acquis en général, et pas seulement des enseignants. Les immigrants arrivent avec des diplômes qui ne sont pas suffisamment reconnus et beaucoup d’entre eux doivent refaire des études en anglais. Pas seulement les enseignants, mais les femmes en général.

Mme Boutiyeb : Ce que je pourrais également ajouter sur les femmes immigrantes, c’est que lorsqu’elles arrivent au pays avec une carrière, elles ont déjà une expertise dans un domaine spécifique. Souvent, quoique cela dépend du domaine, elles doivent refaire toutes sortes de programmes, au-delà des programmes d’attestation pour la reconnaissance de leurs diplômes, ce qui n’est pas toujours facile.

Cela les amène souvent à vouloir changer de carrière, bien que ce ne soit pas ce qu’elles désirent au départ, car souvent ces carrières ne leur permettent pas d’avoir un niveau de vie équivalent à celui qu’elles avaient avant.

C’est une des réalités de ces femmes; elles doivent avoir accès à des postes qu’elles avaient dans leur pays d’origine, leurs diplômes doivent être reconnus au même niveau et cette reconnaissance, selon les provinces et les territoires, doit être équitable. On sent aussi une grande iniquité d’une province à l’autre.

Mme Morand : Sénatrice Moncion, pour répondre à votre question concernant spécifiquement les enseignants, il faut savoir que les enseignants, parmi la population immigrante francophone en contexte minoritaire, sont surreprésentés.

Parmi les immigrants francophones qui arrivent au pays, il y a une très forte proportion d’enseignants qualifiés. La réalité, c’est que c’est le parcours du combattant, comme l’expliquait Mme Boutiyeb, pour obtenir une reconnaissance des compétences professionnelles. Cette reconnaissance se fait par les ordres d’enseignants. Chaque province a un ordre professionnel différent, ce qui complique aussi la mobilité interprovinciale et territoriale. De plus, à part en Ontario, il est très difficile de se faire servir en français lorsqu’on veut échanger avec ces ordres professionnels.

Donc, parmi les immigrants, les enseignants qualifiés qui souhaitent que leurs compétences professionnelles soient reconnues doivent échanger en anglais et soumettre des communications en anglais. Cela complique passablement le processus, qui est déjà laborieux et coûteux sur le plan de l’énergie et financièrement aussi.

M. Chartrand : Il y a trois étapes : il y a la reconnaissance du diplôme; ensuite, comme on vient de le dire, dans presque toutes les provinces, cette reconnaissance doit se faire en anglais; la troisième étape, évidemment, ce sont les chasses gardées des ordres professionnels qui se battent entre eux.

La sénatrice Moncion : Oui, on voit cela dans plusieurs domaines.

La sénatrice Clement : Merci aux témoins; nous sommes vraiment contents de vous voir. J’ai une question pour M. Chartrand et Mme Enayeh. S’ils pouvaient y répondre, ce serait bien apprécié.

Mes collègues savent que je viens de Cornwall et que je parle souvent des municipalités. C’est vrai que l’immigration est de compétence fédérale et que les gouvernements provinciaux s’en mêlent aussi, mais les municipalités font souvent, pour utiliser les mots de M. Chartrand, « le pont entre les nouveaux arrivants et la communauté ». Madame Enayeh, vous avez utilisé les mots « sens de l’appartenance ».

Quelles sont les communautés qui font bien cela, et quelles sont les politiques les plus importantes sur le plan municipal pour répondre à ce besoin?

M. Chartrand : Sur le plan scolaire, il y en a toute une gamme. Je disais qu’il fallait faire savoir qu’on a des écoles de langue française. Malheureusement, il y a des municipalités qui ont de la difficulté à savoir qu’elles ont elles-mêmes des écoles de langue française et elles n’en font donc pas la promotion. C’est un énorme problème dans la plupart des villes au Canada.

Par contre, il y en a d’autres qui reconnaissent ce fait et qui travaillent avec les conseils scolaires pour qu’on travaille tous ensemble lorsqu’il y a des réfugiés ou des immigrants qui arrivent au pays. En voici un exemple, et c’est le seul que je peux vous donner parce que c’est celui que j’ai vécu. Il y a quelques années, la Ville d’Ottawa avait très bien collaboré avec les quatre conseils scolaires d’Ottawa pour s’assurer de donner de l’information aux nouveaux arrivants. Je ne veux pas prendre plus de temps, si Mme Enayeh veut continuer.

Mme Enayeh : J’ai eu beaucoup d’expérience avec les réfugiés syriens lorsqu’ils sont arrivés au pays. Peut-être était-ce parce que leur nombre était trop grand, mais j’avoue qu’on a vu des lacunes sur le plan des services offerts aux femmes seulement. On traitait les réfugiés syriens un peu comme des immigrants, mais être immigrant et être réfugié, ce sont deux statuts très différents. La situation était différente. Donc, je crois que vous avez des modèles à suivre, mais ils n’étaient pas vraiment adaptés.

Je blâme plutôt le fait qu’un grand nombre d’immigrants sont arrivés tout d’un coup, alors les autorités n’avaient pas eu la chance de travailler davantage à cet effet. Honnêtement, je n’ai pas vu de modèles qui étaient extraordinaires à suivre. C’étaient vraiment des modèles qui étaient répétés, mais qui n’assuraient pas de services aux femmes en particulier, avec les différences qui sont les leurs, disons.

Mme Boutiyeb : Monsieur le président, j’aimerais ajouter qu’il est important de se rappeler que les parcours migratoires sont différents d’une personne à l’autre et qu’ils ne sont pas uniques. Lorsque les personnes arrivent dans notre pays, elles viennent de différentes façons : comme immigrant reçu, réfugié, demandeur d’asile, étudiant étranger ou grâce au Permis Vacances-Travail au Canada (PVT Canada). Bref, il y a plusieurs façons de venir au pays.

Il faut également se rappeler que les services d’établissement sont financés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et que ce ministère donne des services à une seule catégorie de personnes, qui sont des réfugiés acceptés ici ou des immigrants reçus.

Donc, qu’en est-il des autres? La réalité sur le terrain, ce qui se produit souvent, c’est que ces personnes — on parle surtout de femmes —, quand elles ne sont pas en mesure d’obtenir des services ailleurs, car on les leur refuse, faute d’exigences de la part du ministère, se tournent vers les organismes de femmes dans les territoires et les provinces. En réalité, cela ne fait pas partie du mandat de ces organismes de leur répondre, ou alors ils doivent aller au-delà de leur mandat pour répondre à ces besoins. J’ajoute un élément de réalité en ce qui concerne le financement des organismes de femmes. Pour répondre à votre question, madame la sénatrice, quand des provinces ou des municipalités croient en l’importance des organismes de femmes, qui ont du financement ciblé, on voit un avancement réel dans l’intégration de ces femmes dans notre pays.

Pour ajouter quelque chose à ce que la présidente a mentionné, il est important de se rappeler ce que nous disons aujourd’hui, soit qu’il est très important d’avoir une politique de genre, et ce, dès le début. Cela permet justement de prévenir ce genre de situation où nous devons accueillir des personnes qui ont des situations différentes.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Cela m’a beaucoup intéressé d’entendre que des immigrants, surtout des immigrantes francophones, enseignaient en français précédemment et devaient faire des examens de qualification en anglais, pour enseigner en français ensuite dans des conseils scolaires francophones; les normes varient d’une province à l’autre.

Ma question s’adresse à M. Chartrand ou à Mme Morand : serait-il possible, pour la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, de développer un programme de certification national qui serait reconnu par l’ensemble des provinces? Dès qu’un immigrant aurait réussi ces tests, on pourrait faciliter la reconnaissance de son diplôme par l’ordre professionnel, et ce ne serait pas inédit. Par exemple, pour les comptables professionnels agréés, il y a un examen national reconnu par chacun des ordres professionnels de chaque province; le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada fait aussi passer des examens qui sont ensuite reconnus par les ordres professionnels provinciaux. Est-ce une idée qu’on peut explorer? En examinant les exemples pour certaines professions, on pourrait convaincre les provinces qu’il est possible de faire la même chose pour la reconnaissance des diplômes des francophones, et peut-être aussi offrir un programme d’accompagnement qui permettrait de faciliter les choses, une fois que ces examens sont faits, et pourrait aider un immigrant à obtenir l’accréditation de l’ordre professionnel pertinent dans sa province.

M. Chartrand : C’est une idée formidable.

Évidemment, je suis ingénieur de profession, donc je suis réaliste. Il y aura beaucoup de chasses gardées pour ce qui est des ordres professionnels provinciaux. Toutefois, cette idée est bonne et on pourrait proposer, comme vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur, quelque chose qui serait semblable aux comptables professionnels agréés. Madame Morand, auriez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Morand : Effectivement, c’est une excellente idée; elle est tellement bonne qu’elle flotte depuis quelques années au sein du Conseil des ministres de l’Éducation (Canada). Cet organisme représente l’ensemble des ministères de l’Éducation du pays, donc les 13 provinces et territoires. Cependant, on n’a jamais fait de réels progrès à cet effet. Tout le monde reconnaît qu’il serait souhaitable d’avoir un programme de mobilité ou une certification qui favorise cette mobilité, tant pour les nouveaux arrivants qui vont parfois s’établir dans une province que pour ceux qui choisissent de déménager par la suite pour toutes sortes de raisons. Le choix n’est pas souvent définitif, et cela signifie qu’il faut engager de nouveaux frais pour obtenir une nouvelle certification. Effectivement, il y aurait un besoin réel, mais cette proposition ou cette piste de solution ne s’est pas encore traduite par quelque chose de concret.

M. Chartrand : En éducation, les provinces sont très jalouses de leur territoire, disons, tout comme leurs ministères.

Le président : Merci de cette précision, monsieur Chartrand.

Le sénateur Mockler : Je voudrais féliciter les témoins qui sont présents parmi nous. J’aimerais vous entendre sur deux petites questions.

Premièrement, je sais qu’il y a beaucoup d’inquiétude, comme on le dit ici dans la région du Madawaska, d’un bout à l’autre du pays, que ce soit d’est en ouest ou du sud au nord, sur le rôle des gouvernements au sein de la francophonie, surtout lorsqu’on examine les facteurs qui peuvent influencer l’immigration francophone. Selon vous, quels sont les facteurs qui expliquent l’échec — ou la moins bonne performance — des gouvernements provinciaux et territoriaux à atteindre leurs propres cibles sur le plan de l’immigration francophone?

Le président : Qui veut répondre?

M. Chartrand : Je ne suis pas un expert, mais je crois que la réponse à la question, ou ce qui explique l’échec... C’est une question extrêmement compliquée, parce que cela dépend des différents ordres de gouvernement. Par exemple, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, avec ses bureaux partout dans le monde, encourage-t-il — nous disons plutôt pousse-t-il — l’immigration francophone? Ou est-ce que ce sont des vœux pieux et qu’on y travaille moins fort que pour l’immigration qui vient d’ailleurs, l’immigration anglophone, si l’on veut? Je ne sais pas, mais est-ce qu’IRCC fait bien son travail? Je ne sais pas.

Deuxièmement, les provinces sont-elles aussi accueillantes, en matière d’immigration francophone, qu’elles devraient l’être?

Il y a des provinces... Nous savons que l’éducation en Ontario, ce qui est offert en Ontario, dans le cadre du travail qui est fait avec le ministère de l’Éducation, n’est pas la même chose que ce qui est offert en Colombie-Britannique, par exemple, entre le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique et les habitants francophones.

C’est la même chose pour l’immigration. Je m’excuse, mais je ne peux pas répondre à votre question, sauf pour dire qu’il faudrait réaliser une bonne étude pour savoir pourquoi il y a un échec.

Je ne sais pas si Mme Enayeh ou Valérie veulent ajouter quelque chose.

Mme Morand : Je me permettrais simplement de compléter la réponse en disant qu’on a utilisé un peu plus tôt le mot « écosystème ». Je pense que cela reflète bien la situation lorsqu’on parle d’immigration. Cela ne peut pas être seulement la responsabilité d’une entité, comme IRCC, ou seulement des provinces, du réseau scolaire, des municipalités, des organismes communautaires. Nous devons, tous ensemble, articuler les actions sur le terrain, afin de ne pas échapper ces immigrants francophones dans les mailles du filet.

Quant à l’exemple que vous avez soulevé un peu plus tôt sur le plan des services à la petite enfance, les ententes négociées avec chaque province et territoire contiennent actuellement un court libellé disant que chacune des provinces et chacun des territoires doit s’assurer de créer des places pour les francophones et les communautés autochtones.

Cela dit, ce libellé n’est pas assorti de cibles précises. Que pensez-vous qui va se passer avec ce court libellé à la toute fin de l’entente? On peut tous être pour la vertu, mais s’il n’y a aucune précision... Quand je signe un contrat, je veux avoir les détails. Ici, il n’y en a pas. On risque, encore une fois, de perdre une occasion rêvée de créer des places sur le plan des services à la petite enfance. Nous savons, à l’heure actuelle, que nous avons autant d’enfants sur des listes d’attente que dans des services de garde francophones en contexte minoritaire. L’heure est grave. Il faut vraiment rectifier la situation.

Le président : Madame Enayeh, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Enayeh : Je n’ai pas assez d’expérience pour répondre complètement à cette question, mais je peux parler très vite de la Colombie-Britannique, par exemple, et des problèmes que nous avons. Comme l’a dit Mme Morand, il est vrai qu’il faut travailler comme un écosystème. Si on attend que la Colombie-Britannique, qui a une très petite communauté francophone, agisse toute seule, on n’y arrivera pas. On a des problèmes. On perd des francophones ici et là. Lorsque les parents se battent pour que leurs écoles aient la même qualité que celles des anglophones, et qu’ils abandonnent et commencent à inscrire leurs enfants dans les écoles anglophones, c’est là qu’il y a des trous. Si nous ne travaillons pas ensemble en tant qu’écosystème, on n’y arrivera pas.

Je n’ai pas de réponse pour vous sur le plan fédéral.

Le président : Merci beaucoup. Avant de passer au deuxième tour, j’aimerais, de mon côté, poser deux questions. Ma première question s’adresse à M. Chartrand et à Mme Morand, et la deuxième, aux dames de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne.

Une décision de 2015 de la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une province ou un territoire peut déléguer à un conseil scolaire de langue française le droit de fixer les critères d’admission pour les non-ayants droit, mais qu’un conseil scolaire ne peut pas s’octroyer ce droit unilatéralement. Quels sont les défis que les conseils scolaires doivent relever en matière d’admission d’élèves immigrants qui ne sont pas des ayants droit? J’aimerais vous entendre là-dessus.

Ma deuxième question s’adresse à l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne. Je ne sais pas si vous avez parlé de cela, mais je suis curieux de vous entendre sur les enjeux culturels de l’intégration des femmes immigrantes. Par exemple, que devrait inclure une politique fédérale en matière d’immigration francophone pour favoriser une meilleure harmonisation culturelle, qui représente un enjeu? J’ai des solutions qui viennent du domaine des arts et de la culture, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet.

D’abord, M. Chartrand et Mme Morand.

M. Chartrand : Merci. Encore une fois, les défis varient d’une province à l’autre, parce que l’éducation est de compétence provinciale, évidemment. Si on est en Ontario, on est assez choyé, car le ministère a délégué aux conseils scolaires le droit d’accepter ou non des non-ayants droit. Cela se fait au moyen d’un comité d’admission. L’apprenant vient à l’école, on lui parle en français, et s’il comprend et a un soutien à la maison — en français surtout — il est accepté, tout simplement. Dès qu’il est accepté, il devient un ayant droit, ou sa famille, plutôt, devient un ayant droit.

Par contre, dans certains territoires ou provinces, on n’a pas délégué ce droit. À ce moment-là, c’est au ministre de l’Éducation lui-même de décider si quelqu’un peut ou non fréquenter une école de langue française. Le défi, c’est qu’on a différents ministres qui ont différentes perceptions de ce qui devrait se passer. Non seulement c’est différent d’une province à l’autre, mais dès qu’un ministre de l’Éducation change dans une province, cela peut changer encore.

Le président : Donc, il n’y a pas du tout d’harmonisation ni de critères uniformes d’un bout à l’autre du pays, selon ce que je comprends?

M. Chartrand : Exactement.

Mme Morand : Je vous dirais, sénateur Cormier, que c’est là où toute la signification du droit de gestion scolaire est importante, parce qu’on parle de reconnaître que les conseils scolaires sont les mieux placés pour gérer les conditions d’admission de leurs élèves. Là où on a quelque peu maille à partir juridiquement dans quelques provinces et territoires, c’est quand il y a une approche beaucoup plus paternaliste et rigide de la part des ministères de l’Éducation, qui ne reconnaissent pas — ou qui le reconnaissent de façon très timorée — ce droit de gestion scolaire.

Le président : Merci beaucoup. Je vais essayer de donner du temps pour que mes collègues posent des questions. Mesdames de l’alliance, pouvez-vous rapidement me dire ce que vous pensez des enjeux culturels?

Mme Boutiyeb : Bien sûr. Je commencerais par dire que le principe d’identité n’est pas statique; il est évolutif, comme le parcours migratoire. Il est important de reconnaître cela et de reconnaître que nous sommes un pays de multiculturalisme, où les femmes pourraient peut-être faire évoluer cette conception de l’identité francophone que nous avons. On a vu, en Ontario, des définitions plus inclusives. Là encore, ce que cela apporte, c’est l’importance de s’assurer que tout le monde fasse partie de cet écosystème d’harmonisation et que tous les éléments y sont présents.

Vous avez parlé de la culture, des organismes de femmes, des conseils scolaires, de la santé, des aînés... Bref, on a la chance d’avoir différentes personnes qui travaillent autour de l’immigration. Il est important de s’assurer de prendre en compte toutes ces personnes.

Il est également important de voir les immigrants au-delà des concepts d’immigrants reçus et de réfugiés acceptés. Il y a d’autres parcours migratoires. Ce sont ces femmes que l’on oublie. Ces parcours permettent de travailler dans nos communautés. Voilà deux éléments, et j’en ajouterais un troisième, qui répondrait peut-être à la question du sénateur Dagenais : il faut non seulement une politique, mais aussi une Loi sur les langues officielles qui contient justement un principe d’immigration et qui demande au gouvernement fédéral de faire un meilleur travail sur le plan de l’immigration francophone.

Le président : Merci beaucoup. Avec votre collaboration, sénateur Dagenais, sénatrice Moncion, et mesdames et messieurs les témoins, on pourrait accepter une question du sénateur Dagenais et une question de la sénatrice Moncion, puis conclure cette réunion avec ces deux questions.

Le sénateur Dagenais : Je veux revenir sur le financement des services en français. Nous avons tous en mémoire ce qui est arrivé à l’Université Laurentienne. Sans l’argent du gouvernement fédéral, est-ce que les provinces autres que le Québec sont vraiment disposées à fournir des services en français aux immigrants qui arrivent au Canada? Monsieur Chartrand, si vous voulez répondre.

M. Chartrand : Je ne suis pas un expert en immigration, encore une fois; je connais mieux le milieu scolaire. Est-ce que les provinces peuvent fournir ces services? Je présume que la réponse théorique est oui, si elles y mettaient plus de fonds elles‑mêmes, mais encore une fois, cela dépend de ce qu’on peut appeler l’attitude de la province vis-à-vis des francophones et de l’immigration francophone. Donc, sans vouloir m’aventurer plus loin, je peux théoriquement dire oui, mais en réalité, je pense que c’est tout à fait autre chose. Je ne sais pas si quelqu’un voudrait ajouter quelque chose.

Mme Boutiyeb : Il y a une question de leadership qu’il faut prendre en considération. Je viens de l’Ontario. Il y a eu des coupes budgétaires à tous les niveaux il y a quelques années, et encore... Bref, je pense que le leadership change tout. Je pense également, si je ramène tout cela au projet de loi C-13, à l’importance d’avoir des dispositions linguistiques. Cela nous permettrait de ne pas vivre ce genre de situation et de nous assurer, lorsque des projets et des services sont mis en place, que les francophones, même s’ils sont minoritaires, sont traités comme des citoyens à part entière. Ils doivent avoir des services équivalents.

Le président : Merci beaucoup pour vos questions et vos réponses.

La sénatrice Moncion : Je voulais entendre parler de l’expérience dans les écoles sur les plans de l’immigration, de l’intégration, de la francisation des nouveaux arrivants et de la rétention. Quels sont les défis associés à ces trois éléments lorsque de nouvelles personnes immigrantes arrivent dans les écoles?

Mme Morand : Merci pour la question. Effectivement, il y a toute une panoplie d’initiatives qui ont lieu dans les écoles de langue française pour s’assurer de bien répondre aux besoins des élèves et d’assurer leur réussite et de leur bien-être. En Ontario, il y a le Programme d’appui aux nouveaux arrivants (PANA), qui permet d’embaucher des travailleurs qui font le pont entre la famille et l’école et qui assurent le suivi des élèves. Il y a des programmes où l’on jumelle les élèves qui arrivent dans nos écoles avec des élèves déjà établis. Ils ont un mentor, une personne de leur âge avec qui ils peuvent échanger s’ils ont des inquiétudes. Cela permet de briser l’isolement et de s’assurer que tout se passe bien. Il y a aussi le Café Communauté, qui est une pratique réussie qui permet aux parents immigrants de décider des sujets qu’ils veulent aborder. On offre le service des interprètes sur place et on assure le transport scolaire, le service de garde pour les enfants et les collations. Tout est pris en charge; c’est un service clés en main. Cela permet aux gens de poser des questions sur le travail et l’implication des parents. Souvent, c’est un choc de réaliser qu’on demande aux parents de beaucoup s’investir dans l’éducation des enfants et de faire le suivi des travaux scolaires à la maison.

Ce sont certaines initiatives qui existent. Il y a des conseils scolaires qui ont établi des partenariats avec des ambassades pour assurer des suivis un peu plus serrés. Lorsqu’on parlait d’écosystème impliqué, cela signifie que davantage de gens ont intérêt à s’assurer que le parcours migratoire est une réussite pour les élèves dans les écoles de langue française. Si on avait un souhait, au sein du réseau des écoles de langue française, ce serait de chiffrer l’augmentation des élèves issus de l’immigration dans notre réseau. On sait qu’une bonne part de notre croissance... Depuis 2008-2009, c’est plus de 31 000 nouveaux élèves qui se sont joints à notre réseau. On voudrait connaître le pourcentage qui est issu de l’immigration. Nous ne sommes pas encore en mesure de l’évaluer en Ontario. Bientôt, les conseils scolaires ontariens devront obligatoirement fournir ces données. Nous aimerions avoir un portrait pancanadien pour suivre l’évolution de la situation.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le président : Je vous remercie de vos questions et de vos réponses. C’est ce qui conclut cette rencontre. J’aimerais remercier M. Chartrand, Mme Morand, Mme Enayeh et Mme Boutiyeb de leurs témoignages et de leur engagement envers la francophonie canadienne. S’il y a des recommandations urgentes que vous n’avez pas pu nous faire aujourd’hui, je vous prie de nous les envoyer. Si vous avez d’autres commentaires à ajouter, vous pouvez les faire parvenir à la greffière du comité, et c’est avec plaisir que nous en prendrons connaissance.

Nous allons tout de suite passer au deuxième groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à Mariève Forest, professeure invitée à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, et à Guillaume Deschênes-Thériault, doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa.

Madame et monsieur, vous connaissez notre fonctionnement. Vous allez faire vos déclarations d’ouverture, qui seront suivies d’une période de questions par les sénatrices et les sénateurs. Nous allons fonctionner avec la même consigne au moment des questions et des réponses, c’est-à-dire cinq minutes accordées aux questions et aux réponses, afin qu’on puisse vous poser un maximum de questions et que vous puissiez y répondre le mieux possible. Madame Forest, la parole est à vous.

Mariève Forest, professeure invitée, Faculté des sciences sociales, Université d’Ottawa : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis enchantée de partager ma perspective à propos de l’immigration dans les communautés francophones. Mon propos s’appuie essentiellement sur les résultats d’une étude que Guillaume Deschênes-Thériault et moi avons réalisée et qui est commanditée par la FCFA. Cette étude a été rendue publique ce matin.

L’étude propose de faire le point sur les enjeux et les pistes d’action possibles entourant la cible en immigration francophone. Je crois qu’elle rejoint tout à fait vos préoccupations.

L’un des principaux constats de notre étude est que le système actuel d’immigration au Canada contribue au déclin de la population francophone. M. Deschênes-Thériault vous exposera les chiffres liés à ce constat. Pour ma part, je vais parler de cinq exemples tirés de notre étude qui répondent aux questions suivantes, trop brièvement, mais tout de même : quels sont les enjeux des mesures actuelles de recrutement à l’échelle internationale et d’accès à la résidence permanente en matière d’immigration francophone? Quelles mesures permettraient d’atteindre une cible plus ambitieuse en immigration francophone?

Avant de parler des exemples ciblés des mesures, je veux souligner que, étant donné l’ampleur des réformes à instaurer, il semble raisonnable qu’un bureau responsable d’accroître considérablement l’immigration au sein des communautés francophones et acadienne soit mis en place au sein de l’appareil fédéral. Ce bureau aurait la responsabilité de réformer en profondeur l’approche du gouvernement en matière d’immigration francophone et d’assurer la présence de la communauté dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces mesures.

Pour ce qui est des mesures précises à mettre en place, je vais en exposer cinq, si le temps me le permet. En ce qui a trait au recrutement auprès de bassins prometteurs, j’aborderai des considérations liées à la présence très limitée du Canada en Afrique subsaharienne. D’abord, l’Afrique subsaharienne regroupe le plus grand nombre de francophones à l’échelle internationale, soit plus de 40 %. Il faut savoir qu’un seul bureau des visas est situé dans un pays francophone en Afrique subsaharienne, soit à Dakar, au Sénégal. Ce bureau dessert 16 pays, y compris 12 pays dont les populations francophones sont les plus importantes dans cette région. En conséquence, pour accroître la capacité du Canada à traiter des demandes d’immigration de cette région, nous suggérons qu’un bureau des visas supplémentaire soit mis en place en Afrique subsaharienne.

J’aborderai maintenant certaines des voies d’accès à la résidence permanente afin d’illustrer l’ampleur des enjeux problématiques, mais aussi l’ampleur des réformes possibles des processus de sélection.

Commençons par la catégorie économique, puisqu’elle est la plus importante. En ce qui a trait aux programmes pilotes en cours, ils ont soit une vocation régionale, soit une vocation sectorielle. Par exemple, le programme des aides familiales n’est pas adapté aux besoins des communautés francophones. Ici, il faudrait mettre en place un programme qui viserait directement à répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de l’éducation et des services à la petite enfance. Ce type de programmes serait beaucoup plus porteur.

Toujours dans la catégorie économique, le nouveau Programme pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord semble peu adapté aux francophones en ce moment, puisqu’on sait que la quasi-totalité des sites Web des 11 communautés identifiées est exclusivement en anglais. Il présente toutefois un beau potentiel, car dans ce programme, la communauté définit les critères d’admissibilité et la manière de les prioriser. Il pourrait donc servir d’inspiration au développement d’un programme pilote d’immigration dans les communautés francophones et acadienne.

Je ne parlerai pas des catégories de parrainage familial et de personnes protégées, mais nous pourrons y revenir lors de la période des questions, si vous voulez.

Un examen des mesures concernant les personnes réfugiées réinstallées montre diverses possibilités. D’une part, il existe plusieurs situations d’urgence dans des pays et des régions où le français est la langue officielle, comme au Burundi, en République centrafricaine ou au Mali. En ce sens, une mesure positive ici pourrait instaurer un quota numérique pour les personnes réfugiées francophones et accroître la part de l’appui du Canada à la réinstallation des personnes réfugiées dans les pays francophones d’Afrique. Ici, il s’agirait de viser des priorités différentes.

Je termine en abordant le Programme des candidats des provinces, qui est de plus en plus important, étant donné que les admissions représentaient environ 11 % de l’immigration totale en 2008 et que nous sommes plus près de 25 % en 2019-2020.

D’ailleurs, en 2019, l’Ontario seulement a atteint ses objectifs en matière d’admissions de résidents permanents francophones dans le cadre du Programme des candidats des provinces. L’Ontario se démarque notamment en raison de son volet des travailleurs qualifiés francophones, qui s’adresse aux travailleurs qui parlent les deux langues officielles et souhaitent s’installer en Ontario. On pourrait offrir un appui aux provinces et aux territoires pour que chacune de ces régions crée un volet consacré aux francophones, inspiré du modèle ontarien; ce serait une mesure porteuse. La création de ce nouveau volet pourrait être accompagnée de l’octroi de certificats de désignation supplémentaires pour des candidats francophones en fonction de la cible nationale et des cibles de désignation provinciales et territoriales en immigration francophone.

Je conclurai simplement en précisant que les mesures à mettre en place pour atteindre une cible ambitieuse en immigration francophone impliquent de revoir en profondeur la stratégie de promotion et de recrutement en immigration, ainsi que d’élargir considérablement les voies d’accès à la résidence permanente en touchant chacun des programmes dont disposent actuellement les différents gouvernements.

Guillaume Deschênes-Thériault, doctorant en science politique, Université d’Ottawa : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant votre comité. Durant cette brève allocution, je souhaite attirer votre attention sur les résultats de deux récentes études, auxquelles j’ai contribué, qui traitent directement de la cible en immigration francophone.

D’abord, l’année dernière, j’ai mené une étude d’analyse statistique pour le Commissariat aux langues officielles du Canada. Cette étude a permis d’illustrer un écart entre la cible en immigration francophone et les objectifs qui lui ont été associés. Pour faire un rappel, en 2003, un comité coprésidé par le gouvernement fédéral et les communautés a élaboré le premier Cadre stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire.

Le premier objectif mentionné dans ce cadre stratégique était d’accroître le poids démographique des communautés francophones en situation minoritaire. Le document fait aussi mention d’un objectif de maintien du poids démographique de ces communautés. Pour atteindre de tels objectifs, c’est à ce moment-là que le comité a fixé la cible de 4,4 % en matière d’immigration francophone, dont l’atteinte était, à l’origine, prévue en 2008.

Or, au moment de son adoption, la cible de 4,4 % n’était basée sur aucune étude démographique. Elle se fondait plutôt sur une équivalence avec le poids démographique de la population francophone au moment du recensement de 2001. L’étude menée pour le commissariat a montré que l’atteinte de cette cible dès 2008 aurait permis de ralentir le déclin du poids démographique des communautés francophones, mais pas de le maintenir, et encore moins de l’accroître. Dès le départ, il y avait donc une déconnexion entre la cible établie et les objectifs.

L’étude illustrait également les progrès limités vers l’atteinte de la cible de 4,4 % au cours des deux dernières décennies. La proportion des admissions de résidents permanents francophones a dépassé le seuil des 2 % à seulement deux reprises, soit en 2019 et en 2020.

Ces résultats montrent qu’on a besoin d’une réflexion renouvelée sur la cible en immigration francophone, pour que celle-ci soit fondée sur des données probantes et qu’elle réponde aux besoins réels des communautés. C’est dans ce contexte que nous avons entamé une étude commanditée par la FCFA du Canada, qui a été rendue publique ce matin, comme Mariève l’a mentionné.

Au cours des 50 dernières années, le poids démographique de la population francophone à l’extérieur du Québec est passé de 6,1 % en 1971 à 3,8 % en 2016. Bien que l’immigration ne soit pas le seul facteur ayant un impact sur le poids démographique d’une population, il s’agit d’un facteur clé sur lequel le gouvernement fédéral exerce une influence de premier plan.

Afin de combler les lacunes quant aux ambiguïtés associées aux objectifs d’une cible en immigration dans le cadre de l’étude menée pour la FCFA, nous avons soumis une commande spéciale à Statistique Canada pour qu’ils réalisent des projections démographiques en utilisant le modèle Demosim. Les projections de cette demande spéciale sont fondées sur les hypothèses qui avaient été utilisées pour les Projections linguistiques pour le Canada, 2011 à 2036, qui ont été publiées en 2017, en ajoutant de nouvelles caractéristiques.

Dans notre étude, le point de départ est les données du recensement de 2016 plutôt que celles de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, comme c’était le cas pour les projections de Statistique Canada. Les données réelles de la population de résidents permanents francophones admis entre 2016 et 2020 ont été utilisées et nous avons aussi testé 10 hypothèses particulières propres à l’immigration internationale francophone, en plus de l’hypothèse d’une proportion de 2,96 % d’immigrants francophones, qui a été proposée par Statistique Canada et qui a été utilisée dans le scénario de référence.

Selon le scénario de référence, le poids démographique de la population francophone pourrait passer à 3,1 % d’ici 2036; il s’agit d’une diminution de l’ordre de 18,4 % par rapport au niveau de 3,8 % observé au moment du recensement de 2016.

Les divers scénarios que nous avons testés dans notre étude permettent toutefois d’illustrer qu’il serait possible d’observer une croissance plutôt qu’un déclin si l’on atteignait des niveaux relativement élevés d’immigration francophone. En ce moment, l’immigration exerce un impact négatif sur le poids démographique de la population francophone, mais les projections montrent que l’immigration pourrait, en fait, être un facteur dont l’impact serait positif si on atteignait des objectifs plus élevés.

Les projections démographiques qui ont été faites dans le cadre de cette étude permettent ainsi de clarifier les objectifs qu’il serait possible d’atteindre selon différentes cibles annuelles. Nos projections montrent notamment qu’une cible annuelle de 6 % pourrait être associée à un objectif de ralentissement du déclin du poids démographique.

Pour maintenir le poids démographique au même niveau qu’aujourd’hui, il faudrait une cible d’environ 8 %; pour prendre le chemin de la croissance, il faudrait une cible de 10 %; pour faire du rattrapage et atteindre une cible de 4,4 % d’ici 2036, qui représentait le poids démographique au moment de fixer la cible initiale, il faudrait une cible de 16 %; pour assurer une croissance au-delà de 4,4 %, il faudrait une cible encore plus ambitieuse.

En somme, ces projections illustrent que le déclin démographique des communautés est appelé à se poursuivre, à moins que des objectifs très ambitieux en matière d’admission de personnes immigrantes francophones ne soient adoptés et atteints. J’insiste ici sur l’importance d’atteindre des cibles, puisque les mesures en place ne semblent pas permettre d’atteindre la cible de 4,4 % d’ici 2023, et encore moins d’atteindre des objectifs plus ambitieux, comme le propose la récente étude.

Dans son allocution, Mariève a proposé plusieurs pistes à explorer, sur lesquelles nous pourrons revenir si vous le désirez. Je vous remercie de m’avoir écouté, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de cette présentation. Si vous me le permettez, sénatrice Poirier, je poserai une première question maintenant et vous aurez la parole tout de suite après.

J’ai devant les yeux le fameux tableau progressif des pourcentages, qui passe de 12 % en 2024-2026 à 20 % en 2036. Lorsqu’on examine ce tableau et qu’on voit que le Canada n’a même pas réussi à atteindre la cible de 4,4 %, on doit se poser des questions sur ce que devra faire le gouvernement pour y arriver.

D’une part, il y a une notion de rattrapage très importante pour qu’on ne soit pas en perte de vitesse et, d’autre part, il y a la notion du parcours de l’immigrante ou de l’immigrant francophone qui arrive au Canada et qui veut plutôt s’intégrer à une communauté dans le but d’apprendre l’anglais.

On voit, au Nouveau-Brunswick comme ailleurs, des francophones qui arrivent et qui ont le projet personnel de vivre dans un environnement dans lequel ils peuvent apprendre l’anglais. Donc, l’intégration au sein des communautés francophones est plus difficile.

Vous avez parlé de l’Afrique subsaharienne comme région cible, par exemple. Mais qu’en est-il des immigrants qui ne parlent ni français ni anglais, et qui pourraient être des immigrants cibles pour nos communautés, puisqu’ils doivent apprendre une langue ou les deux langues officielles lorsqu’ils arrivent au pays?

J’aimerais connaître votre position à ce sujet. Ensuite, je céderai la parole à la sénatrice Poirier.

M. Deschênes-Thériault : Sur le plan de l’immigration économique, il faudrait un programme d’immigration francophone distinct, donc un système autonome de gestion des candidatures francophones; le nombre de places qui seraient réservées dans ce programme économique francophone serait le reflet de la nouvelle cible. Ce programme devrait être intégré à même le plan des niveaux d’immigration et inclure un nombre de places réservées. En plus des autres volets, soit sur le plan du parrainage familial des personnes réfugiées ou sur le plan du Programme des candidats des provinces, il faudrait aussi lier à cela une obligation de désignation de candidats francophones ou bilingues et travailler de pair avec les provinces et les territoires pour créer des volets spécifiquement pour les candidats francophones.

Pour ce qui est de l’immigration économique, la question des personnes allophones se pose moins. Toutefois, pour les personnes qui veulent apprendre le français, il y a un renforcement du parcours d’intégration francophone à l’aide de la formation linguistique qui a été mise en place au sein de certains établissements. Si on regarde ce qui existait il y a 20 ans et ce qu’il y a aujourd’hui, il y a encore du travail à faire, mais il y a eu de grandes avancées.

Évidemment, si on veut augmenter de manière substantielle le nombre de personnes immigrantes francophones admises, il faudra que des ressources soient investies pour renforcer le parcours d’intégration francophone, ainsi que la capacité de bien accueillir ces individus. Je laisse maintenant la parole à Mariève et je poursuivrai après.

Mme Forest : Je vous remercie de votre question. Effectivement, ce dont Guillaume vient de parler est un autre exemple parmi ceux que nous avons évoqués dans l’étude. Étant donné qu’il n’y a plus de programmes pour atteindre cette cible, il faudrait assurément qu’un bureau s’occupe de réformer tous les microprogrammes qui existent en immigration.

Jusqu’à maintenant, les mesures ont été relativement timides, étant donné que les principales mesures se résumaient à octroyer des points supplémentaires aux personnes qui parlaient le français.

On montre ici qu’il y a vraiment des options qui peuvent inciter davantage de personnes francophones à venir au Canada. L’important serait d’aller voir, de manière large et cohérente, tout ce qui se passe en immigration et de créer des programmes spécifiques pour les personnes francophones.

J’aimerais souligner l’importance de bien comprendre que, quand on fixe cette cible ambitieuse réclamée par la FCFA, c’est vraiment sur le plan du recrutement. Cela exige de tout revoir en profondeur : ce qui se passe après pour ce qui est de l’établissement, si les personnes continuent de parler le français, si elles peuvent fréquenter l’école en français. C’est un tout autre pan des objectifs du ministère et des programmes ministériels. Comme M. Deschênes-Thériault l’a dit, il y a déjà plusieurs choses en place, mais il faut être conséquent et bonifier tout cela. Il y a des listes d’attente pour les services à la petite enfance. Il faut miser sur les deux volets pour que cela fonctionne.

La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins d’être parmi nous.

Ma première question s’adresse à M. Deschênes-Thériault. Vous avez parlé, dans votre présentation d’ouverture, d’une étude que vous avez préparée pour le commissaire aux langues officielles. Dans cette étude, est-ce que vous avez eu de l’information sur les communautés linguistiques en situation minoritaire? Sont-elles bien outillées pour retenir de nouveaux arrivants, et est-ce qu’il y a beaucoup de migration à l’intérieur du pays une fois que de nouveaux immigrants arrivent ici?

M. Deschênes-Thériault : L’étude du Commissariat aux langues officielles a été publiée en novembre dernier.

Sur le plan de la rétention, c’est encore l’aspect le plus important du parcours d’intégration francophone, car il faut s’assurer d’avoir les outils et les ressources nécessaires pour favoriser une intégration réussie. Si l’on compare les données à celles d’il y a 20 ans, il y a eu de grands progrès sur le plan des capacités en établissement, par comparaison avec les progrès qui ont été faits en matière de recrutement.

Si on regarde les outils à notre disposition pour recruter un plus grand nombre de personnes à l’international, les progrès sur 20 ans sont plus limités que dans le secteur de l’établissement. Cependant, il y a encore du travail à faire, notamment dans les régions rurales. Il y a certaines communautés à Toronto, à Vancouver et dans de grandes villes canadiennes où il y a une longue tradition en matière d’immigration, comme à Moncton et à Halifax. Dans certaines régions plus rurales, comme au Nouveau-Brunswick, où l’immigration est un phénomène relativement nouveau et où on bâtit actuellement les capacités dans les communautés, il y a un travail important à faire pour favoriser la rétention.

En ce qui concerne l’immigration interprovinciale, je n’ai pas de données précises à présenter, mais avec les données du recensement de Statistique Canada, on pourrait brosser un portrait de ces migrations interprovinciales.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse aux deux témoins et porte sur la future cible après 2023.

Une cible est toujours importante, mais j’aimerais vous entendre sur les programmes, les politiques ou les mécanismes que le gouvernement devrait adopter, modifier ou supprimer afin d’améliorer le bassin démographique des communautés francophones en situation minoritaire.

Mme Forest : Je vais commencer et je vous remercie de cette question.

Effectivement, il est difficile de prioriser, parce qu’il y a différentes mesures qui existent actuellement et qu’elles ne permettent pas d’atteindre la cible de 4,4 %. Si on veut augmenter cette cible, il serait important qu’il y ait des changements qui soient effectués dans les différents programmes. Pour les personnes réfugiées, le gouvernement pourrait s’investir davantage dans les pays francophones. Chaque volet doit être examiné et il faut mettre en place des mesures précises.

Notre étude est la première qui fait l’examen de chacune des voies d’accès à la résidence permanente et qui démontre les principaux problèmes relatifs à ces voies d’accès, en présentant des pistes de solution pour qu’on puisse accueillir davantage de personnes immigrantes au moyen de ces voies d’accès.

Cela dit, si on se lance vers des réformes de chacun de ces programmes, on suggère que ce soit inscrit au sein d’un bureau ayant des pouvoirs de décision importants et pouvant instaurer des mesures de suivi. Ce bureau devrait travailler de près avec les communautés francophones pour s’assurer que cela correspond aux besoins et aux volontés des communautés.

M. Deschênes-Thériault : Je vais ajouter qu’il faut mettre en place un programme d’immigration économique francophone autonome, avec un nombre ambitieux de places réservées qui seraient intégrées à même le plan du niveau d’immigration. C’est une des premières options qu’il faut explorer pour augmenter de manière substantielle le nombre d’immigrants francophones. Ce programme pourrait être géré dans le cadre d’Entrée express ou être un programme complètement indépendant. L’important est d’avoir un système de gestion autonome des candidatures francophones.

En ce qui a trait au programme pilote des communautés rurales et du Nord dont Mme Forest a parlé, le modèle associé donne un rôle de premier choix aux communautés dans la sélection des candidats. Il serait intéressant d’imaginer un tel projet pilote dans des communautés francophones où il y a une moins grande tradition d’immigration, afin de leur donner la chance de sélectionner des candidats et candidates qui répondent à leurs besoins dans la catégorie économique.

Le Programme des candidats des provinces et des territoires est aussi de l’immigration économique, mais il est géré différemment. En Ontario, le volet réservé aux travailleurs qualifiés bilingues fonctionne assez bien. On pourrait s’inspirer de ce volet dans les autres provinces.

Pour le parrainage familial, c’est assez complexe. Il faudrait se doter des capacités de traiter en temps opportun les demandes de candidats francophones, surtout lorsqu’on sait que le bureau de Dakar est, parmi tous les bureaux des visas d’IRCC à l’étranger, celui qui dessert le plus grand nombre de pays différents. On pourrait se doter des capacités nécessaires.

Pour les personnes réfugiées, on pourrait se doter d’une expertise sur le plan des situations d’urgence, notamment en Afrique subsaharienne, qui assurerait un complément à l’action du Canada à l’échelle internationale en matière de personnes réfugiées.

Le président : Merci pour vos réponses.

La sénatrice Mégie : Mme Forest a parlé de l’Afrique subsaharienne comme d’un bassin de population pour l’immigration francophone. Dans l’étude que vous avez faite, y a-t-il un portrait démographique de la provenance des immigrants francophones à l’extérieur ou au sein de l’Afrique subsaharienne?

M. Deschênes-Thériault : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Pour l’immigration récente, donc de 2016 à 2022, environ 35 % des admissions étaient des ressortissants de l’Afrique subsaharienne; environ le tiers, soit de 32 % à 33 %, venaient de l’Europe, principalement de la France; le quart, soit de 24 % à 25 %, venaient de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Environ le tiers des résidents permanents francophones admis entre 2016 et 2020 étaient originaires de l’Afrique subsaharienne. Compte tenu des évolutions démographiques au sein de l’espace francophone international et du fait que le principal bassin à l’échelle internationale se trouve en Afrique subsaharienne, où l’on verra une tendance à la hausse dans les prochaines décennies, cela nous porte à accroître les activités de promotion dans cette région. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada développe actuellement davantage de capacités pour bien servir les demandeurs de visa dans cette région.

Mme Forest : Il faut aussi prendre en compte les personnes originaires de l’Afrique subsaharienne qui migrent à travers le monde. Au Canada, on n’accueille finalement qu’une petite partie de ces personnes. Par exemple, si l’on compare ce que fait le Canada avec ce que fait la France, on constate que nos efforts en Afrique subsaharienne ne portent pas leurs fruits comme ils pourraient le faire.

La sénatrice Mégie : Pensez-vous qu’on devrait augmenter le nombre des différents bureaux chargés du recrutement dont vous avez parlé tout à l’heure dans un programme global pour faire ce recrutement?

M. Deschênes-Thériault : Merci pour la question. En fait, les bureaux ne s’occupent pas du recrutement; ils s’occupent plutôt de traiter les demandes de visa à l’étranger. Il devrait y avoir plus de bureaux dans la région de l’Afrique subsaharienne; il y a entre 40 et 50 bureaux d’IRCC à l’échelle internationale pour traiter les demandes de visa. Si on regarde cette liste, le bureau qui dessert le plus grand nombre de pays est celui de Dakar. Il a retenu l’attention à plusieurs reprises dans les médias pour certains délais dans le traitement des demandes.

Cela a des impacts sur les personnes qui souhaitent migrer au Canada et cela a aussi des impacts sur les communautés francophones qui misent sur l’immigration francophone. Le bureau de Dakar dessert 12 des 15 pays francophones de l’Afrique subsaharienne qui ont les populations francophones les plus importantes. Il faudrait donc développer les capacités dans cette région.

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à nos deux invités, mais je vais commencer avec M. Deschênes-Thériault. Je veux revenir sur les cibles que le gouvernement a fixées, mais qu’il atteint rarement. Quand le gouvernement dit vouloir atteindre, d’ici 2023, un taux de 4,4 % d’immigration française à l’extérieur du Québec pour freiner le déclin de la population francophone au Canada, pensez-vous que cette cible est réaliste, puisque l’accueil des immigrants se fera probablement en anglais à l’extérieur du Québec?

M. Deschênes-Thériault : Je vous remercie pour la question. La cible de 4,4 % a été fixée il y a près de 20 ans. En moyenne, au cours des 20 dernières années, il aurait fallu admettre environ 6 000 personnes de plus à l’échelle du Canada hors Québec. Lorsqu’on regarde les niveaux d’immigration au Canada, qui représentent des centaines de milliers de personnes, ce n’est pas un objectif si ambitieux, et c’est même surprenant que cette cible n’ait jamais été atteinte.

Pendant environ une décennie, il y a eu une certaine stagnation sur le plan des admissions et des programmes mis en place. Il y a donc certainement du rattrapage à faire. Pour atteindre n’importe quelle cible à l’avenir, il faudrait mettre en place des programmes spécifiques pour les francophones. En ce qui concerne l’accueil, il y a beaucoup de développement et d’efforts qui ont été faits dans le secteur de l’établissement francophone, qui s’est beaucoup développé au cours des 20 dernières années. De plus, désormais, les fournisseurs d’établissements anglophones, dans leurs ententes qu’ils font avec IRCC, doivent informer leurs clients qu’ils ont la possibilité de recevoir des services en français. Il y a encore du travail à faire pour que cela soit toujours appliqué; il y a encore des endroits où on pourrait développer davantage les services, mais il y a quand même des services d’établissement francophones dans chacune des provinces et chacun des territoires qui ont été développés au cours des 20 dernières années.

Le sénateur Dagenais : Voulez-vous ajouter un commentaire, madame Forest? Je vais y aller avec une deuxième question : avez-vous une répartition territoriale du manque d’immigrants francophones? Je m’explique; croyez-vous que ceux qui vont s’installer en région dans les provinces anglophones sont avantagés ou désavantagés par rapport aux services qu’ils pourront recevoir en français? Est-ce plus facile pour eux de s’établir dans des milieux urbains ou ruraux?

Mme Forest : Effectivement, M. Deschênes-Thériault a dit qu’il y avait des services dans chacune des provinces et chacun des territoires, mais souvent, ces services se trouvent dans les grandes villes. Cela dit, comme dans le cas de la COVID-19, les communautés francophones sont meilleures pour servir des personnes qui vont habiter plus loin.

Cependant, on n’a pas toute la panoplie de services qui sont disponibles en anglais. Parfois, il s’agit de détails, comme d’avoir accès à un service de garde pour que la personne puisse rencontrer un professionnel. Parfois, c’est pour de petits services connexes comme ceux-là que les communautés francophones peinent à avoir tout la gamme des services d’établissement. Cela dit, on parle de grandes villes, alors vous pouvez imaginer que c’est encore plus difficile dans les régions.

Il y a quand même un bon programme, le programme des communautés francophones accueillantes, qui a été mis en place par le ministère et qui permet de faire des gains importants dans de petites communautés plus éloignées.

M. Deschênes-Thériault : J’aimerais ajouter que, dans certaines régions rurales, il y a des défis, mais il y a aussi des exemples de succès. Je suis de Kedgwick, un petit village du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Dans le Restigouche-Ouest, depuis 2018, on a accueilli environ 150 personnes immigrantes, alors qu’avant on n’accueillait qu’une dizaine de personnes. C’est une grande transformation pour nos régions rurales. C’est un travail collectif qui implique à la fois les employeurs, les municipalités et la province. Des services ont été mis en place. Il y a donc du travail qui se fait dans les régions francophones. Comme je l’ai déjà mentionné, le niveau de préparation peut diverger d’une manière importante d’une région à une autre; il est donc important d’appuyer les communautés pour qu’elles puissent développer des services non seulement dans les centres urbains, mais également dans les régions.

Mme Forest : J’aimerais mentionner un élément qui est abordé dans l’étude et dont on n’a pas parlé aujourd’hui. Si on établit une cible générale en immigration francophone, il faut voir que pour l’instant, la répartition des personnes immigrantes francophones est très inégale d’une province à l’autre. Même si une cible est très ambitieuse, si l’on continue d’accueillir la même proportion de personnes immigrantes d’une province à l’autre, certaines provinces continueront d’être en déclin, en particulier dans l’Atlantique. Il doit y avoir des mesures qui tiennent compte de ces éléments afin que les provinces ne soient pas pénalisées.

Le président : Merci.

La sénatrice Moncion : Vous présentez beaucoup de statistiques... Je m’excuse, je n’étais pas là durant les premières minutes de la présentation de Mme Forest, alors vous en avez peut-être déjà parlé. Les cibles qui sont identifiées, comme celle de 4,4 %, combien de personnes cela représente-t-il?

Je vais vous donner un exemple. Il y a beaucoup d’immigration qui pourrait provenir des universités francophones. Les universités francophones ont des inscriptions provenant de l’étranger, et je peux vous donner des chiffres. À l’Université de Hearst, ils ont 175 inscriptions et à la Cité collégiale, ils en ont entre 1 300 et 1 400. Ce sont des étudiants, ils sont jeunes, ils viennent étudier au Canada, donc ils viennent chercher des compétences canadiennes. Ils seraient de très bons candidats ou candidates pour l’immigration francophone. Comment les calcule-t-on? Tout d’abord, font-ils partie de la cible de 4,4 % qui est visée? Où sont-ils dans l’échiquier, et que pourrait-on faire, une fois leurs études terminées, pour qu’ils restent ici? Je sais que c’est un problème en ce moment dans les universités au Québec, qui disent que les étudiants ont de la difficulté à se faire accepter ou à rester au Canada. Je pense que c’est un problème qui existe aussi ailleurs au Canada. On sait qu’il y a une grande partie du financement des universités qui est assurée par les étudiants qui viennent de l’étranger.

Mme Forest : Effectivement. Pour ce qui est du nombre de personnes admises, avec la cible de 4,4 %, en 2019 par exemple, il y a eu 8 470 personnes résidentes permanentes qui ont été accueillies à l’extérieur du Québec et qui avaient une connaissance du français. Donc, cette année-là, il y avait un manque à gagner de près de 5 000 personnes pour atteindre la cible de 4,4 %. Ces chiffres varient d’une année à l’autre, parce que le nombre total de personnes immigrantes admises au Canada varie d’une année à l’autre.

Il y a un autre élément en ce qui concerne les étudiants étrangers. C’est vraiment une très bonne question, parce que de plus en plus au Canada, l’immigration se fait en deux temps. On est d’abord un résident temporaire, ce qui signifie qu’on est un travailleur temporaire ou un étudiant étranger, que l’on fait partie de l’une ou l’autre de ces catégories. Par la suite, après un, deux, trois ou quatre ans, on devient résident permanent. C’est cette voie qui est privilégiée de plus en plus. On a une image positive de l’immigration qui passe par les étudiants étrangers parce qu’ils ont été formés dans nos établissements.

Il faudrait approfondir cette avenue, parce que l’on connaît encore peu de choses sur l’insertion économique et sociale de ces personnes. M. Deschênes-Thériault et moi allons bientôt nous pencher sur une étude qui portera sur ce sujet. Il y a sûrement des mesures à mettre en place pour que les établissements d’enseignement postsecondaire puissent mieux accompagner ces étudiants étrangers vers la résidence permanente. Ce serait très important.

La sénatrice Moncion : J’ai appris la semaine dernière que la Cité collégiale avait un bureau de recrutement au Maroc, qu’elle allait directement chercher ses étudiants là-bas et qu’elle leur donnait accès à plusieurs services. Quand les étudiants arrivent à la Cité, ils sont accompagnés durant toute leur expérience au Canada, mais ensuite, ils éprouvent des problèmes sur le plan de l’immigration.

Mme Forest : Exactement.

Le président : Monsieur Deschênes-Thériault, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Deschênes-Thériault : Je suis d’accord avec Mariève. Pour ce qui est de la suggestion d’un programme économique francophone distinct, la façon dont les demandes sont validées, c’est que les personnes qui ont obtenu un diplôme dans des institutions canadiennes pourraient être bien en bonne position pour obtenir leur résidence permanente dans le cadre d’un tel programme où le nombre de places est, somme toute, très élevé.

En ce qui concerne les programmes, c’est important de bien préparer cette transition vers la résidence permanente quand les personnes sont encore aux études et de ne pas attendre qu’elles obtiennent leur diplôme. À Moncton, il y a le Programme de rétention des étudiants internationaux qui est en place. Au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, il est même possible d’avoir accès à un consultant en immigration pour les étudiants qui seront ou qui sont déjà diplômés. Il y a certaines initiatives qui existent déjà, qui pourraient être généralisées et accompagnées d’un programme d’immigration francophone distinct.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le sénateur Dalphond : J’ai hâte de lire vos études. Vous proposez, afin de corriger les erreurs du passé, qu’on vise des cibles très audacieuses, qui vont jusqu’à 20 %, alors qu’on ne réussit même pas à atteindre 4 %.

Je comprends bien que vous proposez qu’on ait une structure autonome pour y arriver, un peu comme l’ACDI le faisait à l’époque pour la coopération internationale francophone. C’est peut-être une bonne chose. Si cela fonctionnait, je présume qu’on parle d’avoir environ de 60 000 à 70 000 immigrants francophones par année, hors Québec? Je pense qu’actuellement, il y a environ 175 000 étudiants qui étudient en français dans l’ensemble des institutions francophones; cela équivaudrait à environ 15 000 ou 20 000 étudiants par année. On parle d’augmentations de plus de 10 % au sein du réseau francophone.

Le recrutement est toujours le premier problème auquel on fait face, et le deuxième est la rétention. Avec des cibles aussi élevées, est-ce qu’on a des capacités d’accueil suffisantes et est‑ce qu’on peut offrir des services en français, notamment sur le plan de l’éducation, qui est si importante pour le maintien de la langue?

M. Deschênes-Thériault : Merci, sénateur. Peut-être que Mariève pourra compléter ma réponse, mais j’apporterais quelques nuances à mes propos. Dans notre étude, on recommande d’adopter une nouvelle cible en matière d’immigration francophone basée sur des données probantes. On y présente une série d’objectifs différents. Lorsque viendra le temps de décider de ce que devrait être la prochaine cible en immigration francophone, il faut que les gens soient en mesure de déterminer quels objectifs sont réalistes.

Évidemment, cela exigerait d’importants efforts, dont un élargissement des voies d’accès aux différents programmes. Par la suite, il faudrait s’assurer qu’il y a suffisamment de candidatures francophones pour atteindre les cibles. Même si ce n’est pas le cas, je crois qu’il faudrait quand même le faire pour développer davantage les activités de promotion. Ce sont deux éléments différents. Il faut donc élargir les voies d’accès et préparer les gens qui veulent être candidats à l’immigration et qui répondent aux exigences du Canada afin qu’ils soient en mesure d’accéder aux programmes réservés aux francophones. Cela exigerait aussi de faire de la promotion, d’une part, auprès des étudiants étrangers — mais cela ne se limiterait pas qu’à eux —, et d’autre part, auprès des différentes catégories d’immigration ou des personnes qui travaillent à l’échelle internationale.

Mme Forest : Je pense que Guillaume a dit l’essentiel. J’aimerais souligner qu’on ne suggère pas une cible précise dans l’étude; on ne fait qu’exposer le fait qu’avec tel objectif, on devrait adopter telle cible. Ce sont des informations qui sont tout à fait inédites, parce qu’elles sont vraiment fondées sur des données probantes et sur le système de projections démographiques approuvé par Statistique Canada.

Le sénateur Dalphond : Vous parliez plus tôt de mettre sur pied une nouvelle filière peut-être plus francophile au sein du recrutement à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Est‑ce parce que vous sentez que cela dénote un problème systémique, donc non seulement un manque de ressources sur le terrain, mais aussi une forme de non-sensibilisation à l’importance de recruter des francophones?

Mme Forest : Personnellement, je n’irais pas jusque-là.

En fait, nos suggestions sont ambitieuses, parce qu’en ce moment, même en mettant en place des pointages supplémentaires pour les personnes qui parlent le français, par exemple — et on a vraiment augmenté ces pointages —, on ne réussit pas à atteindre la cible. C’est plutôt en constatant l’état de la situation qu’on voit que le fait d’avoir seulement des mesures un peu favorables aux personnes qui parlent le français au sein d’un grand bassin ne fonctionne pas aussi bien que si l’on établissait des quotas précis pour les personnes francophones. Étant donné qu’il faudrait établir ces quotas pour l’équivalent d’une douzaine de programmes, par la suite, si on veut s’assurer de faire des suivis adéquats, il faudrait attribuer beaucoup plus de ressources sur le terrain pour les accueillir. Il faut être cohérent; si l’on adopte réellement une cible aussi ambitieuse, il faut se donner les moyens de l’atteindre.

On ne peut pas savoir si cela fonctionnerait, puisque personne n’a vérifié exactement quel est l’effet des mesures que nous suggérons. De plus, il y a beaucoup de variables inconnues dans ce qui s’en vient.

M. Deschênes-Thériault : J’apporterais une nuance. Le fait d’élargir les voies d’accès à la résidence permanente et les différents programmes et mesures visent à favoriser la désignation et les admissions de résidents permanents francophones. La question de la promotion est un élément distinct des programmes d’immigration et IRCC, donc le gouvernement fédéral, est beaucoup moins actif sur le plan de la promotion.

À l’ambassade du Canada à Paris, il y a un bureau responsable de la promotion de l’immigration francophone. Ce que l’on propose pour ce qui est d’IRCC, c’est de revoir les programmes en immigration. Pour la promotion, il faut réfléchir aux façons dont on peut la bonifier. Il y a des éléments qui existent quand on tient compte du fait qu’IRCC est moins actif sur le plan de la promotion, parce que ce n’est pas le mandat du ministère. Cependant, il faudrait voir ce qu’on peut faire avec les communautés pour les engager dans la promotion et dans des missions, par et pour les communautés, afin de bâtir sur ce qui existe déjà et de mieux cibler des régions comme l’Afrique subsaharienne, où il y a un grand potentiel qui n’est pas nécessairement exploité pour faire connaître les possibilités d’immigration au sein des communautés francophones et acadienne.

Le sénateur Mockler : J’aimerais faire un commentaire. On connaît Kedgwick pour deux raisons. La première, c’est Olivier Bergeron, que l’on voit à Star Académie; la deuxième, c’est Guillaume Deschênes-Thériault, qui marche vers l’obtention de son doctorat. Félicitations, Guillaume.

M. Deschênes-Thériault : Merci, sénateur.

Le sénateur Mockler : On sait que le Québec joue un rôle important dans la francophonie canadienne, et on surveille de très près l’Acadie et les communautés francophones hors Québec.

Y aurait-il lieu de mettre à jour l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, qui a été signé en 1991 pour favoriser l’immigration francophone au pays?

Quels sont les effets de cet accord sur le développement et l’épanouissement des communautés francophones hors Québec? Comment réconcilier les objectifs du Québec quant au maintien de son caractère francophone, et ceux du Canada quant au maintien du poids démographique des francophones?

Le président : Ce sont de bonnes questions. Monsieur Deschênes-Thériault?

M. Deschênes-Thériault : Merci, sénateur. Ce sont des questions complexes auxquelles je n’ai pas toutes les réponses. D’abord, pour ce qui est de l’accord Canada-Québec, je crois qu’il faut l’accord des deux parties pour le revoir. Je ne crois pas que ce soit à l’avantage du Québec de la réouvrir, pour ce qui est notamment du financement des services d’établissement.

Quant aux liens entre le Québec et les communautés francophones en matière d’immigration, peu de recherches existent sur le sujet.

Il y a quelques années, j’ai participé à un projet de recherche en Ontario. On a étudié les mouvements interprovinciaux, soit le nombre d’anciens immigrants qui migraient vers l’Ontario et ceux de l’Ontario qui migraient vers le Québec. Il faudrait que je revoie les chiffres, mais il n’y avait pas de différence substantielle lorsqu’on faisait le solde net des migrations. Cela dit, c’est sûr qu’il y a un travail à faire et, comme communauté francophone, je crois que ce serait plus difficile de mener des missions de recrutement au Québec. Ce n’est pas ce qui est suggéré. On vise davantage le recrutement international sous forme de collaborations. Sur le plan des différentes communautés, le Québec a certaines possibilités à offrir, mais d’autres régions offrent d’autres types de possibilités. Par exemple, quand on pense aux communautés acadiennes en Atlantique, les gens recherchent des communautés à taille humaine, un contact de proximité, une vie en région rurale. L’Atlantique a aussi beaucoup de choses à offrir.

Il y a aussi des gens qui veulent faire la découverte du Nord, qui veulent partir à l’aventure dans le Nord canadien et qui choisissent les territoires. D’autres personnes préfèrent le climat plus clément de la côte Ouest. Différentes communautés francophones ont différentes possibilités à offrir qui correspondent à différents profils. Ce n’est pas qu’une communauté est meilleure qu’une autre. Il s’agit des désirs et des projets de vie des personnes; certaines régions répondent mieux à certains besoins. Dans certains contextes, on pourrait imaginer de faire des missions communes, mais ce sont des éléments qui restent à explorer.

Mme Forest : Je suis d’accord avec M. Deschênes-Thériault; il pourrait y avoir plus d’ententes de collaboration en matière de promotion des communautés francophones. Déjà, les communautés francophones peuvent mieux collaborer entre elles et on pourrait conclure des ententes pour que le Québec fasse la promotion des communautés francophones, et vice versa lorsque ses représentants sont à l’étranger.

Le sénateur Mockler : Merci.

Le président : Je pourrais peut-être aussi poser une question.

Je voudrais dire deux choses. D’une part, vous êtes peut-être au courant du projet d’accueil de 40 travailleurs du Maroc qui viendront s’établir à Saint-Isidore, dans une petite municipalité du nord-est de la Péninsule acadienne. Environ 250 nouvelles personnes vont s’établir dans cette communauté.

C’est un élément de réflexion que je voulais apporter. C’est une situation qui pourrait sans doute être très éclairante pour ce qui est de leur intégration. Ils ont identifié clairement qui sont les immigrants économiques. Comment vont-ils s’intégrer, comment l’intégration va-t-elle se faire et comment se déroulera tout le processus? Il s’agit d’une situation particulière, d’une réalité assez exceptionnelle dans ma région. Pour les chercheurs, c’est un objet de recherche et un projet pilote intéressant.

On parle de ce grand défi qu’est le continuum de l’immigration avec différentes catégories d’immigrants. C’est tout un écosystème, mais j’aimerais vous ramener au projet de loi sur les langues officielles, qui doit évidemment aborder la question de l’immigration.

À votre avis, quelle forme concrète devrait prendre l’engagement du gouvernement fédéral pour appuyer l’immigration à l’intérieur de la loi? Est-ce que des mesures concrètes d’appui devraient être précisées dans la Loi sur les langues officielles ou dans un règlement d’application de la partie VII? Est-ce qu’il faudrait mieux définir les objectifs, les cibles et les indicateurs à atteindre en matière d’immigration francophone dans la Loi sur les langues officielles, comme vous l’avez présenté? À votre avis, la Loi sur les langues officielles doit-elle être beaucoup plus précise à cet égard?

Mme Forest : Monsieur Deschênes-Thériault, peut-être pourriez-vous commencer à répondre à la question?

M. Deschênes-Thériault : D’emblée, je ne recommanderais pas nécessairement de donner un objectif numérique à la Loi sur les langues officielles, parce que des éléments peuvent évoluer. Par contre, il serait intéressant de préciser les objectifs, les cibles et les indicateurs; pour les atteindre, il faudrait que l’on décide si l’on souhaite assurer un maintien ou si l’on veut assurer une croissance. Donc, on pourrait peut-être préciser davantage les objectifs qu’on cherche à atteindre. Par la suite, au moment d’élaborer la politique, on pourrait préciser des objectifs numériques et des indicateurs de rendement. Dans la loi, on pourrait être plus précis.

Il est intéressant de noter que, dans le document de réforme de février 2021, qui a précédé le dépôt du premier projet de loi dans sa première version, on disait que l’objectif était de maintenir le poids démographique à 4,4 %. La formulation des objectifs dans le document de réforme de février 2021 ouvrait la voie à une approche de rattrapage. Est-ce que ce sera modifié par la suite? Cela reste à voir. Je voulais juste vous mentionner que, dans le document de réforme, on avait indiqué un certain objectif.

Le président : Merci. Donc, cet objectif était lié à la notion de rattrapage.

Madame Forest, avez-vous un autre commentaire à ajouter?

Mme Forest : M. Deschênes-Thériault a très bien répondu. C’est vraiment l’élément qui pourrait être précisé dans la loi.

Le président : D’accord.

Je ne vois pas d’autres questions de la part de mes collègues.

Je vous remercie de votre précieuse contribution et de votre travail important, madame Forest et monsieur Deschênes-Thériault. Vous apportez un soutien à nos travaux au comité et aux travaux qui sont menés sur le terrain. Les communautés peuvent s’appuyer sur vos études pour revendiquer leurs droits et pour défendre et promouvoir leurs intérêts à titre de communautés d’accueil pour l’immigration francophone.

Je remercie également mes collègues, les interprètes qui nous appuient si assidûment et le personnel administratif, qui nous aide à accomplir nos travaux.

Cela dit, je vous souhaite une bonne fin de soirée, une bonne semaine et un bon printemps, qui ne tardera pas à arriver partout au pays.

(La séance est levée.)

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