Rapport du comité
Le mardi 24 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son
DIX-SEPTIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), a, conformément à l’ordre de renvoi du 21 septembre 2023, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :
1.Article 1, pages 2 et 3 :
a) À la page 2 : Remplacer les lignes 36 et 37 par ce qui suit :
« (4) Le paragraphe 515(6) est modifié par adjonction, après l’alinéa b.1), de ce qui suit : »;
b) à la page 3 :
(i) supprimer les lignes 1 à 6,
(ii) ajouter, après la ligne 22, ce qui suit :
« (13.1) S’il rend une ordonnance en application du présent article, le juge de paix est tenu de verser au dossier de l’instance une déclaration indiquant comment il a déterminé si le prévenu est un prévenu visé à l’article 493.2 et quelle a été sa décision. S’il détermine que le prévenu est un prévenu visé à l’article 493.2, il doit également verser au dossier de l’instance une déclaration indiquant comment il a tenu compte de la situation particulière du prévenu aux termes de cet article. ».
2.Article 2, page 3 : Remplacer les lignes 27 et 28 par ce qui suit :
« soumises à l’examen du comité permanent du Sénat et du comité permanent de la Chambre des communes habituellement chargés ».
Respectueusement soumis,
Le président,
BRENT COTTER
Observations au dix-septième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi C-48)
Le projet de loi C-48 a été présenté à la Chambre des communes le 16 mai 2023. Le projet de loi n’a pas été renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes pour étude; il a plutôt franchi les étapes de la deuxième lecture, de l’examen en comité plénier et de la troisième lecture à la Chambre des communes le 18 septembre 2023.
Votre comité a tenu quatre réunions et a entendu 26 témoins, dont le ministre de la Justice et procureur général du Canada et des fonctionnaires du ministère de la Justice, la procureure générale de la Colombie-Britannique, des représentants d’associations policières, des organismes juridiques et des groupes de défense d’intérêts, des universitaires et des experts, des représentants autochtones et d’autres parties prenantes. Le comité a également reçu neuf mémoires.
Plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité ont exprimé des préoccupations au sujet des modifications envisagées par le projet de loi.
Voici un résumé des principaux enjeux soulevés par les témoins lors des audiences du comité.
Collecte de données
De nombreux témoins ont souligné l’importance de recueillir des données précises et exhaustives sur la mise en liberté sous caution au Canada afin, d’une part, de mieux comprendre et de résoudre les problèmes qui affligent le système de mise en liberté sous caution et, d’autre part, d’analyser l’incidence de mesures législatives comme le projet de loi C-48, notamment sur les groupes déjà surreprésentés dans le système judiciaire.
Bien que la collecte de données relatives au système de mise en liberté sous caution relève de la responsabilité des provinces et des territoires, bon nombre des témoins ont fait valoir que les lois fédérales, comme ce projet de loi, devaient être fondées sur des données probantes et des données empiriques exhaustives.
Préoccupations en matière de sécurité publique
Les témoins ont exprimé des points de vue divergents quant à la nécessité, à l’utilité et aux effets des mesures contenues dans ce projet de loi au regard de la sécurité publique.
Dans le contexte des récents incidents tragiques de violence impliquant des personnes en liberté provisoire, plusieurs témoins ont souligné qu’il était important de préserver la sécurité du public et sa confiance envers le système de justice pénale canadien en veillant à ce que les personnes prévenues soient détenues lorsque la protection de la sécurité publique le justifie.
Le comité a entendu des témoignages expliquant que le projet de loi contient des mesures ciblées censées répondre aux préoccupations soulevées par les forces de l’ordre partout au pays, ainsi qu’aux demandes des 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux, qui souhaitent voir les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve s’appliquer à certaines infractions supplémentaires, comme l’indique la lettre que ces derniers ont cosignée le 13 janvier 2023.
En revanche, certains témoins ont mis en doute l’efficacité éventuelle des modifications proposées, en faisant valoir que les procureurs peuvent déjà plaider que la détention d’un prévenu est justifiée, y compris pour des motifs de sécurité publique.
Certains témoins ont déclaré que le projet de loi n’entraînerait pas une réduction des crimes violents, car il ne s’attaque pas à leurs causes profondes. Des investissements dans les services de soutien en santé mentale, le traitement des dépendances, le logement abordable et les services sociaux pourraient s’avérer plus efficaces pour réduire la criminalité.
Certains témoins ont recommandé de supprimer la modification que le projet de loi propose d’apporter à l’alinéa 515(6)b.1) du Code criminel, laquelle élargirait la disposition portant inversion du fardeau de preuve en matière de mise en liberté sous caution afin qu’elle s’applique à un prévenu ayant déjà obtenu une absolution inconditionnelle ou sous conditions pour une infraction antérieure impliquant de la violence contre un partenaire intime. Ils ont soutenu que cette mesure ciblerait et criminaliserait indûment les survivants de violence entre partenaires intimes, car il arrive souvent qu’il y ait un recoupement entre les auteurs et les survivants de violence entre partenaires intimes ou que des survivants soient accusés à tort de ce type de violence. D’autres, incluant tous les gouvernements provinciaux et territoriaux, ont appuyé cette modification, y voyant un moyen de protéger les survivants de violence entre partenaires intimes. Le comité a adopté un amendement, avec dissidence, supprimant le renversement du fardeau de la preuve prévu dans ce cas.
Répercussions sur les personnes autochtones, racisées et marginalisées
Plusieurs témoins ont mis en garde contre l’effet disproportionné que ce projet de loi pourrait avoir sur les groupes autochtones, racisés ou marginalisés qui sont déjà surreprésentés dans le système judiciaire et désavantagés lorsqu’il s’agit d’obtenir une mise en liberté sous caution.
Certains témoins ont recommandé que les juges de paix soient tenus de déclarer la façon dont ils ont tenu compte de l’article 493.2 du Code criminel, lequel exige la prise en considération de la surreprésentation des populations vulnérables dans le système de justice pénale, au moment de rendre une décision sur une mise en liberté sous caution. Si les juges de paix sont déjà tenus de prendre en considération la sécurité de la victime de l’infraction, le projet de loi ajoute l’obligation de prendre en compte la sécurité de la collectivité.
Certains témoins ont dit craindre que les modifications proposées se traduisent par des contestations prolongées lors des audiences sur le cautionnement, une augmentation des demandes d’aide juridique, ainsi qu’une augmentation des délais de libération sous caution et des périodes de détention, ce qui exacerberait les retards actuels dans le système de mise en liberté sous caution. Gardant à l’esprit qu’une période de détention, même brève, pourrait entraîner de graves conséquences négatives comme la perte d’un emploi ou d’un logement, des délais additionnels avant d’obtenir une libération sous caution pourraient inciter une personne à plaider coupable pour éviter de rester en détention.
Examen par un comité
Le comité a noté que l’article 2 du projet de loi C-48 prévoit un examen quinquennal de l’impact du projet de loi par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Bien que le Sénat soit habilité à lancer une telle étude sans mandat législatif, les membres du comité se sont dits préoccupés par le fait que le projet de loi ne prévoit pas de rôle de surveillance coordonnée par le Sénat. Le comité est d’avis que l’examen par un comité du Sénat devrait être inclus à l’article 2 et a voté en faveur d’un amendement au projet de loi C-48 à cet égard.
Le comité fait les observations suivantes :
Réforme complète du système de mise en liberté sous caution fondée sur des données
Après avoir étudié le projet de loi C-48, le comité conclut que le moment est venu de procéder à une réforme substantielle du système canadien de mise en liberté sous caution. Un tel travail global doit s’appuyer sur des données détaillées, afin de garantir que les changements soient fondés sur des éléments probants.
Le comité exhorte le gouvernement fédéral à travailler en collaboration avec les provinces et les territoires afin de mettre en place un moyen efficace et efficient de collecte et de partage des données relatives au système de mise en liberté sous caution, en temps opportun. Ces données devraient inclure des données désagrégées concernant les prévenus autochtones et les autres prévenus qui sont désavantagés au stade de la mise en liberté sous caution et qui sont surreprésentés dans le système de justice pénale, ainsi que des données relatives au système de mise en liberté sous caution et à la sécurité publique, y compris celles relatives aux victimes.
Violence fondée sur le sexe et violence à l’égard des femmes
Le comité a entendu des témoignages, selon lesquels il faut en faire beaucoup plus pour s’attaquer aux causes de la violence et pour soutenir les survivants. Le comité reconnaît également l’importance de l’éducation et des réponses proactives pour lutter contre la violence conjugale et le contrôle coercitif. Le comité encourage le gouvernement à investir davantage de ressources dans des initiatives visant à améliorer les soutiens financiers, sociaux et sanitaires qui contribuent à assurer : la capacité et les ressources pour les soutiens émancipateurs contre la violence, les centres, y compris les refuges pour femmes, les soutiens financiers, un traitement plus réceptif et respectueux des victimes par la police et les autorités chargées des poursuites, et des interventions efficaces pour interrompre et traiter la violence misogyne et raciste, y compris avec les agresseurs.
À cette fin, nous encourageons le gouvernement du Canada à prendre des mesures plus importantes et urgentes pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et le contrôle coercitif, et pour soutenir les victimes/survivants de la violence conjugale et de la violence envers un partenaire intime en répondant, en vue de mettre en œuvre toutes :
•les appels à la justice de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées;
•les recommandations du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre.
Commission du droit du Canada – révision du Code criminel
Par le passé, nous avons déposé des rapports sur la façon dont le Code criminel était modifié à la pièce depuis des décennies et était devenu trop lourd, parfois même répétitif ou contradictoire, et dont il devait faire l’objet d’une réforme approfondie (voir, par exemple, le rapport de 2017 du Comité intitulé Justice différée, justice refusée, pages 41 à 43).
La Commission du droit du Canada, nouvellement rétablie, pourrait entreprendre une révision exhaustive, qui devrait intégrer une étude portant sur toutes les dispositions du Code relatives à la violence contre les femmes, et en particulier à la violence envers un partenaire intime. Le comité demande à être mandaté par le Sénat pour entreprendre une révision des sanctions applicables dans les cas de violence à l’égard des femmes, y compris les valeurs sous-jacentes de ces sanctions.
Nous incitons le gouvernement fédéral à travailler avec les provinces et les territoires pour prendre collectivement et de toute urgence, davantage de mesures pour combattre la violence faite aux femmes et pour appuyer les victimes ou les survivants de violence envers un partenaire intime et de violence familiale.
Analyse comparative entre les sexes plus (ACS plus)
Le comité a reçu du gouvernement fédéral une copie de l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS plus) du projet de loi C-48 seulement quelques jours avant l’étude article-par-article devant le comité.
Afin de mener les études des projets de loi du gouvernement d’une manière sérieuse, exhaustive et inclusive, il est nécessaire que le comité prenne connaissance de cette analyse en temps opportun.
À cette fin, le comité exhorte le gouvernement fédéral à lui transmettre l’ACS plus d’un projet de loi du gouvernement renvoyé pour étude en comité, et ce, avant le début de cette étude ou au plus tard la comparution du ministre ou des représentants gouvernementaux comme témoins devant le comité, à défaut de quoi, l’étude d’un projet de loi pourra être retardée par le comité jusqu’à ce que cette analyse soit déposée au comité.