Rapport du comité
Le mardi 13 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a l’honneur de présenter son
TROISIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, a, conformément à l’ordre de renvoi du jeudi 1er juin 2023, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.
Respectueusement soumis,
Le président,
RENÉ CORMIER
Observations au troisième rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles (projet de loi C-13)
Le 1er juin 2023, votre comité a reçu l’ordre d’examiner le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Depuis le dépôt d’un rapport par votre comité sur la teneur de ce projet de loi, le 17 novembre 2022, plus d’une soixantaine d’amendements y ont été apportés par la Chambre des communes. Votre comité applaudit le travail accompli à l’autre endroit pour améliorer le projet de loi C-13 et le rendre plus conforme aux attentes des intervenants.
Votre comité déplore toutefois l’arrivée tardive de ce projet de loi. Considérant :
•l’ampleur et le sérieux du travail effectué par votre comité pour contribuer à la réflexion collective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), entre 2017 et 2019;
•l’importance et la nature des préoccupations entendues par votre comité lors de l’étude préalable du projet de loi C-13, entre mai et octobre 2022, pour laquelle il a consacré huit réunions, entendu 41 témoins et reçu 22 mémoires;
•le grand nombre d’amendements apportés à ce projet de loi par la Chambre des communes, entre janvier et mai 2023;
•les attentes élevées d’une forte majorité d’intervenants pour une adoption rapide de ce projet de loi;
votre comité aurait souhaité avoir plus de temps à sa disposition pour recevoir des témoignages et examiner des mémoires, ce qui aurait permis une analyse plus en profondeur des nouvelles modifications législatives proposées.
Après deux réunions totalisant huit heures consacrées à l’étude du projet de loi C-13, les 5 et 12 juin 2023, votre comité soumet respectueusement les observations suivantes.
Surveillance de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles
Votre comité se réjouit des dispositions du projet de loi C-13 qui ont trait à la mise en œuvre et à la coordination de la LLO. Le renforcement et l’élargissement des responsabilités de mise en œuvre et de coordination conférées au Conseil du Trésor, un organisme central, bénéficient d’un appui substantiel des parties prenantes entendues par votre comité. La structure de gouvernance et de mise en œuvre proposée dans le projet de loi C-13 pourrait remédier à plus de 50 ans de mise en œuvre partielle et fragmentée de la LLO.
Cependant, votre comité constate que plusieurs témoins, dont le commissaire aux langues officielles, ont fait valoir l’importance pour le gouvernement fédéral de se doter d’un mécanisme efficace et intégral de surveillance de la mise en œuvre de la LLO. Ce mécanisme devrait permettre d’évaluer la conformité aux différentes dispositions de la LLO par les entités assujetties et être muni d’indicateurs désignant notamment, le poids démographique des minorités francophones et le dénombrement des enfants des ayants droit.
Les communautés anglophones du Québec
Des représentants des communautés anglophones du Québec ont mentionné à votre comité qu’ils sont en faveur de mesures qui font la promotion des deux langues officielles et qu’ils sont d’accord avec l’idée qu’il faut apporter un soutien supplémentaire aux communautés francophones en situation minoritaire. Ils saluent certaines parties du projet de loi C-13, notamment celles qui concernent l’octroi de pouvoirs accrus au commissaire aux langues officielles, les mentions du Programme de contestation judiciaire et l’amélioration de la partie VII. Ils sont également conscients du fait que tous les ordres de gouvernement doivent constamment appuyer et promouvoir la langue française et ils conviennent que cela est nécessaire.
Toutefois, ils ont d’importantes réserves. Notamment, ils s’opposent fermement à l’ajout dans le projet de loi C-13 des références à la Charte de la langue française du Québec, particulièrement à l’insertion d’une telle référence dans l’énoncé de l’objet de la LLO. La ministre des Langues officielles a expliqué à votre comité que la mention de la Charte de la langue française du Québec n’est qu’une question de fait.
La ministre des Langues officielles, la présidente du Conseil du Trésor et le commissaire aux langues officielles ont promis de surveiller de près les effets du projet de loi C-13. Votre comité croit qu’ils devront accorder une attention particulière aux développements qui touchent les communautés anglophones du Québec et faire régulièrement rapport des effets du projet de loi C-13 partout au Canada, sans attendre l’examen de la loi prévu dans 10 ans.
Dénombrement des enfants des ayants droit
Le projet de loi C-13 prévoit une obligation d’estimer le nombre d’enfants des ayants droit en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Dans le contexte inquiétant du déclin du français au Canada, plusieurs parties prenantes ont toutefois fait valoir l’importance de dénombrer, plutôt que d’estimer le nombre d’enfants des ayants droit, étant donné les répercussions dommageables et les pressions assimilatrices engendrées par une sous-estimation systémique et historique. La Fédération nationale des conseils scolaires francophones a soumis un mémoire demandant que C-13 soit modifié afin de créer une obligation de dénombrement systématique, faisant valoir la nécessité pour les conseils scolaires francophones d’obtenir des données probantes d’un organisme neutre et fiable comme Statistique Canada.
À la lumière des témoignages et des mémoires reçus, votre comité note que le dénombrement périodique des enfants des ayants droit est vital à la survie et à l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire et que le seul outil à la disposition du gouvernement fédéral permettant d’atteindre cet objectif et ainsi d’assurer la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte est le formulaire court du recensement, car les questions figurant sur celui-ci sont posées à tous les ménages canadiens. À défaut d’enchâsser une obligation de dénombrement dans la LLO, votre comité recommande que le gouvernement fédéral fasse le dénombrement périodique des enfants des ayants droit par l’entremise du formulaire court du recensement.
Régime de droit cohérent et équitable en matière de transport aérien
Pour le public voyageur canadien, votre comité constate que le projet de loi C-13 perpétue le régime de droits linguistiques « fragmenté et incohérent » comme dépeint par le commissaire aux langues officielles dans un mémoire soumis à votre comité lors de l’étude de la teneur du projet de loi C-13.
Pour renchérir sur ce point, Air Canada note dans son mémoire soumis à votre comité que « [l]’emploi de deux notions différentes pour une même industrie, soit d’une part « la demande importante » et de l’autre la « forte présence francophone », causera inévitablement une confusion pour les voyageurs qui utilisent des transporteurs différents et qui voyagent à l’extérieur du Québec ». Air Canada fait aussi remarquer que « le projet de loi C-13 ne définit pas clairement les pouvoirs du commissaire à l’égard des autres transporteurs, notamment celui d’émettre des ordonnances et des sanctions administratives pécuniaires ».
Votre comité recommande au gouvernement fédéral de se pencher sur ces questions et de mettre sur pied un régime de droits linguistiques cohérent et clair pour le public voyageur, qui doit être en mesure de comprendre ses droits afin de les revendiquer. Votre comité note également qu’il s’agit d’une question d’équité entre les obligations qui incombent aux différents transporteurs aériens, qui occupent aujourd’hui des parts concurrentielles du marché du transport aérien canadien.
Constitution bilingue
Votre comité constate que certains textes constitutionnels établissant les bases de notre Confédération canadienne, dont la Loi constitutionnelle de 1867, ne sont toujours officiels qu’en anglais seulement.
Votre comité prend note que le Sénat avait adopté à l’unanimité le 29 mars 2022 une motion demandant au gouvernement de « considérer, dans le contexte de la révision de la Loi sur les langues officielles, l’ajout d’une exigence voulant qu’un rapport soit soumis aux 12 mois détaillant les efforts déployés pour assurer le respect de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 ». Plusieurs parties prenantes ont plaidé en faveur de cette approche en mettant de l’avant les fondements juridiques et constitutionnels de cette proposition. L’article 2 de la LLO et l’article 16(1) de la Charte confirment le principe d’égalité, de statut, de droits et de privilèges du français et de l’anglais quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada et le principe sous-jacent de la progression continue vers l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles.
Votre comité propose que le gouvernement fédéral mette en œuvre les mesures proposées dans la motion du Sénat afin de soutenir la progression vers l’égalité de statut des deux langues officielles, en faisant en sorte que le ministre de la Justice du Canada respecte l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoyant que tous les textes constitutionnels qui figurent à l’annexe de cette loi doivent être rédigés et adoptés en français. De plus, votre comité recommande au gouvernement fédéral de soumettre au Sénat et à la Chambre des communes un rapport aux 12 mois détaillant les efforts déployés pour assurer le respect de cet article.
Découvrabilité du français dans l’espace numérique
Alors que l’espace numérique est particulièrement dominé par les géants américains, votre comité est d’avis que la présence et la découvrabilité de toute œuvre, création, recherche de quelque genre en langue française sont essentielles pour pleinement assurer la pérennité du fait français au pays. Votre comité recommande donc au gouvernement fédéral de continuer à prendre des initiatives concrètes assurant la diffusion et la découvrabilité du contenu canadien en français.
Bureau de la traduction
Que ce soit par ses activités de traduction, d’interprétation et de terminologie, votre comité constate le rôle indispensable que joue le Bureau de la traduction envers l’épanouissement des communautés francophones et anglophones du Canada ainsi qu’à la protection et la promotion de nos deux langues officielles. Votre comité encourage le gouvernement fédéral à renforcer le rôle des fonctions de traduction et d’interprétation au sein de l’appareil administratif fédéral, notamment celui du Bureau de la traduction.
Langues autochtones
Les peuples autochtones au Canada, ayant leurs expériences et histoires uniques, s’attendent à ce que le gouvernement du Canada remplisse ses engagements envers eux tels qu’élaborés et adoptés dans la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, dans les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que dans la Loi sur les langues autochtones.
La LLO n’existe pas en vase clos. Chaque loi approuvée par le Parlement du Canada est une occasion pour la vérité, la réconciliation et l’action, ainsi que pour s’éloigner de politiques coloniales néfastes.
Selon certains membres, avec plus d’amendements, le projet de loi C-13 a le potentiel d’avancer la réconciliation au Canada. Cependant, votre comité constate qu’en l’absence d’une réforme substantielle du régime de droit qui gouverne les langues autochtones, les peuples autochtones ont peu de recours et de moyens pour œuvrer à la réappropriation, la revitalisation et au renforcement des langues autochtones.
Les langues autochtones sont reconnues par la Loi sur les langues autochtones ainsi que, pour la première fois, sont reconnues dans les amendements proposés à la LLO. C’est un petit pas pour avancer la réconciliation. Votre comité estime importante la reconnaissance des langues des Premières Nations, des Métis, et des Inuits, comme étant les premières langues de ce territoire.
Votre comité note les impacts néfastes du manque de la représentation autochtone dans les instances gouvernementales et parlementaires sur le développement et la mise en œuvre de politiques. Selon certains membres, le Gouvernement du Canada devrait reconnaître les droits des parlementaires d’utiliser des langues autochtones lors de tout débat ou autres processus du Parlement, que leurs mots soient interprétés pour les parlementaires en français et en anglais, et inclus dans les Journaux et les autres publications du Parlement. Bien que les parlementaires aient présentement le droit d’utiliser les langues autochtones au Parlement, le fait de codifier ce droit ferait progresser la réconciliation et passerait le message aux peuples autochtones au Canada que leurs voix sont valorisées et entendues dans nos processus décisionnels.
Nous savons qu’une main-d’œuvre diverse, avec une forte représentation autochtone, veut dire une fonction publique plus robuste et flexible. Des représentants de l’Alliance de la fonction publique du Canada ont témoigné à votre comité lors de l’étude sur la teneur du projet de loi C-13 sur le travail important qui est effectué par les fonctionnaires partout au Canada, incluant dans les communautés autochtones et sur le fait que le gouvernement fédéral devrait donner l’exemple et reconnaître, de façon formelle, le travail des employés qui utilisent les langues autochtones dans leur travail quotidien. Selon certains membres, le Gouvernement du Canada devrait explorer des mesures administratives pour renforcer la capacité des fonctionnaires à utiliser les langues autochtones, incluant par le développement d’une prestation aux langues autochtones pour les fonctionnaires qui parlent une langue autochtone, et envisager certaines exemptions aux critères de bilinguisme si un employé parle une langue officielle et une autre langue autochtone, afin d’attirer et de retenir plus d’employés autochtones au sein de la fonction publique.
Votre comité note que la Loi sur les langues autochtones prévoit une obligation que le ministre responsable mène un examen indépendant des dispositions et de l’application de la loi dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur et à tous les cinq ans par la suite. Dans un esprit de réconciliation et de décolonisation, votre comité s’attend à ce que le gouvernement fédéral se conforme à ses obligations et même qu’il dépasse les attentes juridiques minimales dans le respect des droits de gouvernance et d’autodétermination des peuples autochtones du Canada.