Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat
Fascicule n° 5 - Témoignages du 28 septembre 2016
OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2016
Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à midi, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.
Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, la séance du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat est ouverte. J'espère que vous avez tous eu un été formidable et que vous êtes ravis d'être de retour. Vous ne semblez pas exagérément enthousiastes.
En juin dernier, le comité a rédigé son premier rapport, et il sera très bientôt déposé au Sénat. Nous passons maintenant à la deuxième étape de notre étude, et nous allons nous pencher sur d'autres aspects relatifs à la modération du Sénat.
Au cours des semaines à venir, nous allons entendre les dirigeants des divers caucus et groupes du Sénat. Dans l'invitation que je leur ai lancée, je leur ai demandé de réfléchir aux questions suivantes. Croyez-vous que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer et un avenir au sein du Sénat? Est-ce qu'un Sénat moderne a besoin d'une représentation gouvernementale? Est-ce qu'un Sénat moderne a besoin d'une opposition officielle ou de groupes d'opposition, quels qu'ils soient? Quels changements estimez-vous qu'il faut apporter à nos règles ou nos pratiques?
Pour commencer, je suis ravi de vous présenter notre témoin d'aujourd'hui, l'honorable sénateur Peter Harder, représentant du gouvernement au Sénat. Bienvenue à vous.
Sénateur Harder, vous pouvez commencer votre exposé, car je crois comprendre que vous avez des choses à nous dire. Je suis sûr que les sénateurs auront ensuite des questions à vous poser. Vous avez la parole.
[Français]
L'honorable Peter Harder, C.P., représentant du gouvernement au Sénat : J'aimerais tout d'abord remercier les membres du comité de leur invitation et de leur dévouement à l'égard de la modernisation du Sénat. Je salue l'ouverture d'esprit et la curiosité intellectuelle manifestées par les membres de ce comité dans le cadre de leur étude d'idées souvent novatrices et avant-gardistes. J'applaudis particulièrement le travail accompli par les honorables sénateurs Greene et Massicotte, car c'est en grande partie leur ténacité et leur courage politique qui sont à l'origine du présent comité. Je tiens aussi à souligner la contribution de tous les experts et sénateurs au débat sur l'avenir de la Chambre haute du Canada, y compris les efforts considérables déployés par le groupe des sénateurs indépendants.
Force est de constater que le travail que vous devez réaliser au sein de ce comité est tout sauf simple. Bien que le défi soit de taille, la teneur de vos recommandations pourrait être décisive quant à l'émergence d'un Sénat renouvelé et modernisé pour le 150e anniversaire de la Confédération.
La modernisation du Sénat est certes une lourde tâche, mais c'en est une qui est partagée par tous les sénateurs. Il s'agit d'une énigme que nous résoudrons tous ensemble dans un esprit collégial. Comme je l'ai dit lors de mon premier discours au Sénat, j'ai accepté de devenir sénateur pour servir les Canadiens et pour aider le Sénat à servir le Canada. C'est ce sens du service public qui me motive à prendre la parole aujourd'hui pour partager ma vision de la modernisation du Sénat.
[Traduction]
Bien que j'aie été nommé représentant du gouvernement au Sénat et que la modernisation du Sénat m'intéresse vivement, je ne suis qu'un sénateur parmi d'autres. La décision ultime quant au rythme auquel se déroulera la modernisation du Sénat et quant à la forme qu'elle prendra sera prise avec la participation de tous les sénateurs et, espérons-le, avec le concours d'experts, d'anciens sénateurs et, en fait, de tous les Canadiens.
Si vous me le permettez, j'aimerais profiter de l'occasion pour parler brièvement de mes propres opinions sur le renouvellement et la modernisation du Sénat dans une perspective à court terme et aussi à long terme. Ma vision pour l'avenir est celle d'une Chambre haute plus indépendante, plus transparente, plus responsable et moins partisane où tous les sénateurs sont traités sur un pied d'égalité, une Chambre haute qui revient à son rôle traditionnel et qui est complémentaire à la Chambre élue. Dans un Sénat modernisé, les affaires du gouvernement continueront d'être mises de l'avant par une direction qui représentera le parti au pouvoir sans avoir de liens officiels avec ce dernier. Cette direction sera le visage du Sénat pour le gouvernement, et le visage du gouvernement pour le Sénat.
Ces principes sont conformes aux avis rendus par la Cour suprême sur la réforme du Sénat à la suite des renvois de 1980 et 2014. Dans ces avis, le plus haut tribunal du pays a décrit la nature et le rôle fondamentaux du Sénat au niveau fédéral dans notre système parlementaire bicaméral.
En 1979, la cour a souligné ce qui suit :
En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte [constitutionnel], il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes.
Trente-cinq ans plus tard, la Cour suprême s'est appuyée sur ces observations et a déclaré :
Les rédacteurs ont cherché à soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d'écarter les sénateurs d'une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme.
Parallèlement, la décision de confier à l'exécutif la tâche de nommer les sénateurs visait aussi à garantir que le Sénat deviendrait un organisme législatif complémentaire, plutôt qu'un éternel rival de la Chambre des communes dans le processus législatif. Les sénateurs nommés n'auraient pas le mandat de représenter la population : ils ne devraient pas répondre aux attentes découlant d'une élection populaire et ne jouiraient pas de la légitimité qu'elle confère. Ainsi, ils s'en tiendraient à leur rôle de membres d'un organisme dont la fonction principale est de revoir les lois, et non d'être l'égal de la Chambre des communes.
La cour a poursuivi en indiquant que :
[...] les nature et rôle fondamentaux du Sénat sont ceux d'un corps législatif complémentaire qui donne aux mesures législatives un second regard attentif.
Dans une analyse que notre honorable collègue, le sénateur Joyal, a activement encouragée, et qui a été soumise au comité en mars dernier, M. David E. Smith a habilement résumé les incidences conceptuelles de l'avis de la Cour suprême. Selon M. Smith, l'indépendance est un élément essentiel de l'exercice, par le Sénat, de sa fonction de complémentarité dans le processus législatif.
La décision de la Cour suprême de 2014 ne laisse aucun doute : le Sénat est un corps législatif indépendant et complémentaire, qui est l'égal constitutionnellement de la Chambre des communes. La Chambre haute n'est pas une colonie partisane de la Chambre basse.
En mettant en place un nouveau processus de nomination non partisan et fondé sur le mérite, en choisissant de désigner un sénateur indépendant pour être son représentant au Sénat et en encourageant tous les sénateurs à utiliser leur propre jugement dans l'exercice de leurs fonctions, le gouvernement montre la voie à suivre pour que la Chambre haute du Canada ressemble davantage à l'organe indépendant, non partisan et complémentaire que les concepteurs de la Confédération avaient envisagé et que la Cour suprême a préconisé.
Le travail du comité se déroule dans un contexte sans précédent : celui d'un gouvernement qui a pour politique de ne pas exercer un contrôle descendant sur le Sénat et les sénateurs. Le premier ministre a déjà pris des mesures considérables pour honorer l'engagement de rétablir la confiance de la population dans le Sénat et de mettre fin à la partisanerie au Sénat. Tant à titre de chef du Parti libéral du Canada qui formait le troisième parti à la Chambre qu'à titre de premier ministre actuellement, Justin Trudeau a volontairement renoncé à l'un des plus importants leviers de pouvoir de sa formation politique et de son poste. Le premier ministre a fait preuve de courage politique en faisant cet acte de foi.
Le nouveau processus indépendant de nomination qui est fondé sur le mérite donne au Sénat une occasion sans précédent de regagner la confiance et le respect de la population. Le Sénat doit reconnaître cette occasion et la saisir. Le gouvernement a agi pour rétablir la confiance du public à l'endroit du Sénat, il nous incombe maintenant de poursuivre le travail.
Cela m'attriste de constater que le Sénat n'a jamais été aussi mal perçu par la population. Il n'est pas rare d'entendre dans les médias nationaux des propos disgracieux qui dépeignent le Sénat comme un haut lieu du favoritisme. Dans un sondage publié par l'Institut Angus Reid le 3 mai dernier, 64 p. 100 des Canadiens ont déclaré que le Sénat était trop endommagé pour qu'il puisse regagner leur confiance et 39 p. 100 recommandaient l'abolition pure et simple du Sénat. Cela dit, 55 p. 100 des Canadiens étaient en faveur d'autres réformes au Sénat et seulement 6 p. 100 des Canadiens préconisaient le statu quo. La perception qu'a la population de la Chambre haute du Canada peut décourager de nombreux honorables sénateurs, dont certains qui ont exercé leurs fonctions brillamment dans l'intérêt de la population. Il est toutefois essentiel que nous entreprenions la modernisation en toute connaissance de cause, et en y consacrant les efforts nécessaires.
Comme je l'ai dit dans mon premier discours au Sénat, la question qui se pose est la suivante : comment pouvons- nous moderniser, adapter et renforcer le rôle du Sénat afin de répondre aux attentes des Canadiens au XXIe siècle?
À court terme, nous devons nous mettre à la tâche sérieusement. Il faut apporter des adaptations pragmatiques compte tenu de l'évolution de l'identité du Sénat, appliquer des mesures équitables pour accommoder l'arrivée des sénateurs indépendants et mettre en place une représentation proportionnelle dans les comités du Sénat. Les Canadiens ont clairement indiqué qu'ils s'attendent à ce que le Sénat serve l'intérêt public. Cela comprend notamment une répartition équitable des fonds publics et des possibilités de participation aux différents comités, de manière à permettre à tous les sénateurs de contribuer comme il se doit à l'examen des lois présentées par les élus.
À cet égard, même si en ce moment les sénateurs indépendants représentent environ 27 p. 100 de l'effectif, ils occupent seulement 17 p. 100 des sièges aux comités sénatoriaux. Les sénateurs indépendants ont chacun un budget de recherche de 7 000 $, tandis que le caucus libéral du Sénat dispose d'un budget de 1 060 000 $, ce qui se traduit par près de 60 000 $ pour chaque sénateur.
Les sénateurs indépendants ont peu d'occasions de participer aux associations parlementaires. Les sénateurs indépendants sont donc sous-financés et sous-représentés dans les affaires du Sénat. Il est urgent d'apporter des changements pragmatiques pour favoriser le principe de l'égalité de tous les sénateurs, surtout avec l'arrivée de 24 nouveaux sénateurs indépendants dans les prochains mois. Tous les sénateurs veulent faire progresser la cause du Sénat. Dans ce contexte, l'objectif le plus urgent du point de vue des affaires internes et de la confiance du public, c'est de respecter le principe selon lequel tous les sénateurs sont égaux et doivent, par conséquent, avoir accès à des ressources et des occasions équivalentes et proportionnelles pour participer aux travaux du Sénat.
Ce sont là des principes fondamentaux pour les Canadiens. Honorables sénateurs, je tiens à vous aviser que je ne ménagerai aucun effort pour que tous les sénateurs soient traités de façon juste et équitable. Je travaillerai en ce sens jusqu'à ce que nous ayons la conviction que ces principes sont ancrés de façon définitive au Sénat.
À cette fin, il faudra modifier dès que possible le cadre juridique et réglementaire du Sénat de manière à éliminer les avantages et les incitatifs liés à l'affiliation partisane. La Loi sur le Parlement du Canada et le Règlement du Sénat doivent être modifiés pour donner à tous les sénateurs des droits égaux fondés sur des principes, qu'ils appartiennent ou non à un caucus politique ou un groupe parlementaire. Par ailleurs, il faudrait donner aux comités de gestion du Sénat — le Comité de sélection et le Comité de la régie interne — le mandat et la tâche correspondante de satisfaire aux objectifs d'égalité et de proportionnalité. Les fonds de recherche doivent être attribués également entre les 105 sénateurs.
Avant la présentation et l'adoption de telles modifications au cadre juridique, le Sénat devrait, à mon avis, adopter un ordre sessionnel pour éliminer certains des obstacles procéduraux au principe de l'égalité, y compris une disposition qui garantit la représentation proportionnelle des sénateurs aux comités. Comme le Sénat est un organisme autoréglementé, aucun motif ne permet de s'opposer à un tel ordre.
En outre, j'ose espérer que dans le cadre du processus d'ajustement des budgets, les employés d'expérience du Sénat se verront accorder des chances égales dans toute nouvelle structure organisationnelle. Leur connaissance institutionnelle est un atout qu'il ne faudrait pas perdre inutilement.
L'objectif le plus urgent du point de vue des affaires externes et de la confiance du public est la mise en œuvre d'un mécanisme indépendant de responsabilisation et de transparence, grâce à l'établissement d'un organisme de surveillance indépendant chargé d'examiner les dépenses des sénateurs ainsi que l'interprétation et l'application, par le Comité de la régie interne, des règles et des pratiques du Sénat concernant les dépenses des sénateurs. Cet organisme devra être établi conformément aux recommandations du rapport du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs.
Il faudra modifier dès que possible le Règlement du Sénat et la Loi sur le Parlement du Canada pour créer un tel organisme. Encore une fois, avant la création d'un tel organisme indépendant, il faudra étudier et adopter un ordre sessionnel visant à établir un organisme de surveillance indépendant pilote ou provisoire. Cela contribuera grandement à rétablir la confiance du public dans le Sénat. Il est également essentiel que les honorables sénateurs du comité se penchent sur l'organisation et le fonctionnement à long terme d'une Chambre haute composée de sénateurs indépendants, qu'ils fassent rapport à ce sujet et qu'ils donnent suite aux recommandations.
Pour ma part, j'estime que la modernisation du Sénat doit comprendre les éléments suivants : indépendance, impartialité, transparence, responsabilité, complémentarité et égalité. Les recommandations du comité doivent favoriser l'indépendance des sénateurs par rapport à la ligne de parti et aux directives provenant d'autorités supérieures. Elles doivent permettre au Sénat de jouer son rôle de corps législatif chargé de porter un second regard objectif sur les mesures législatives selon leurs mérites, et non en fonction d'une affiliation politique.
Voilà les principes et les valeurs qui, à mon avis, doivent guider le comité et tous les honorables sénateurs pour mener cette grande institution à bon port.
Je suis le premier à reconnaître que l'énonciation de ces principes est la tâche facile. Le défi s'inscrit plutôt dans l'élaboration et la mise en œuvre d'une politique qui permettra de concrétiser le potentiel de ces principes. Dans ce contexte, s'il y a une chose dont je suis certain, c'est qu'on ne doit pas adopter le modèle des caucus des partis politiques dans le renouvellement de l'organisation du Sénat. Comme M. David E. Smith l'a indiqué :
Le fondement juridique de la charge de sénateur n'a rien à voir avec les partis politiques : il n'y a pas de brefs d'élection ni d'engagement classique à l'égard d'une plateforme électorale.
L'organisation de l'administration et des travaux du Sénat, de même que les droits, les possibilités et les responsabilités des sénateurs ne doivent pas passer par des filtres partisans; ils doivent reposer sur des principes non partisans.
Pas plus tard que la semaine dernière, l'honorable sénateur Housakos a fait la déclaration suivante, en entrevue :
[...] il est difficile de fonctionner dans le système parlementaire britannique sans groupes et sans caucus.
Je suis tout à fait d'accord avec lui. Cependant, je crois qu'il est à la fois viable et souhaitable que le Sénat adopte une structure organisationnelle formée de groupes et de caucus qui s'inscrit dans le cadre d'un Sénat indépendant, non partisan et complémentaire au sein duquel tous les sénateurs sont traités sur un pied d'égalité.
Parmi les options que j'ai étudiées, le modèle des caucus régionaux comme principe organisationnel du Sénat pourrait permettre de concrétiser ce cadre. J'estime donc que le comité et tous les sénateurs devraient se pencher sérieusement sur ce concept. Il me semble possible de faire valoir l'existence d'un fondement constitutionnel, d'une logique historique et d'un élément de simplicité inhérente qui justifient l'adoption d'un modèle de caucus régionaux, non pas pour servir de filtre dans l'examen des mesures législatives, mais bien pour l'organisation du Sénat, c'est-à-dire pour la gestion et l'administration de l'institution.
Les caucus régionaux pourraient traiter sur une base non partisane et symétrique des questions organisationnelles et administratives suivantes : la composition des puissants comités de gestion du Sénat ou de toute autre entité qui pourrait remplacer ces comités; la rationalisation de l'égalité des chances pour participer aux comités permanents, aux déplacements des comités et à la diplomatie parlementaire; la représentation aux réunions quotidiennes d'organisation et l'établissement de la liste des intervenants au Sénat; les négociations liées à la fixation de délais; l'attribution des sièges au Sénat et des bureaux.
Qu'on me comprenne bien : le modèle des caucus régionaux ne constituerait pas un filtre pour l'étude d'une politique ou l'examen d'une loi, et la discipline propre aux partis n'aurait jamais sa place dans ces unités organisationnelles. Bien au contraire, ce modèle vise à protéger de façon sûre et durable l'indépendance et la non- partisanerie des sénateurs dans l'exercice de leurs fonctions d'examen des politiques et des lois. Il reviendrait alors à chaque sénateur indépendant de porter son propre jugement sur les questions d'intérêt national.
Je crois également que des groupes d'affinité informels pourraient se créer naturellement selon les valeurs, les objectifs, les idéologies et, oui, selon les affiliations partisanes qui existent actuellement ou qui ont déjà existé, et que ces groupes pourraient servir de compléments aux caucus régionaux. Il se pourrait également qu'en exerçant leur propre jugement à l'égard des questions d'intérêt national, les sénateurs se regroupent naturellement de façon officieuse pour l'examen des mesures législatives. Cela serait parfaitement souhaitable et conforme à la nature politique de l'institution.
Incidemment, les ex-sénateurs Michael Kirby et Hugh Segal ont brillamment fait valoir les mérites des caucus régionaux cette semaine. On m'a demandé de signaler toute question que le comité devrait examiner, alors en voilà une.
[Français]
Comme vous le savez, la composition du Sénat du Canada, selon trois divisions régionales égales, était la condition sine qua non du pacte de la Confédération. Sans un accord sur ces points, le Canada n'aurait pas vu le jour.
Lors d'une allocution prononcée devant l'Assemblée législative de la province du Canada, l'un des plus influents des Pères de la Confédération, George Brown, n'aurait pu être plus catégorique sur ce point lorsqu'il a dit ce qui suit :
[Traduction]
En aucune autre condition on aurait pu aller de l'avant.
[Français]
En effet, le perfectionnement du rôle régional du Sénat a été au cœur de presque toutes les tentatives de réforme constitutionnelle des 40 dernières années.
En guise de conclusion, j'aimerais rappeler au comité et à tous les sénateurs les sages paroles de notre regretté Président, l'honorable Pierre Claude Nolin. C'était avant mon arrivée au Sénat, mais je suis certain que plusieurs d'entre vous se souviennent qu'il avait pris la parole, en 2014, pour présenter une série d'interpellations concernant le rôle du Sénat dans notre ordre politique et constitutionnel. Il avait entre autres exhorté le leader du gouvernement et celui de l'opposition à examiner sérieusement les mérites de la formation de caucus régionaux. De façon plus générale, il avait invité les sénateurs à réfléchir à ce que le Sénat pouvait faire pour mieux servir les Canadiens. Il avait conclu sa série d'interpellations avec la demande suivante :
À plusieurs reprises [...] je vous ai invités à réfléchir sérieusement sur les pouvoirs qui nous ont été confiés, sur notre capacité d'agir plus indépendamment et de repousser l'influence indue de la partisannerie aveuglante et, enfin, sur notre responsabilité de construire et de maintenir notre crédibilité.
[Traduction]
Honorables sénateurs, j'aimerais aujourd'hui refaire cette demande. L'anniversaire de notre Confédération sera marqué l'année prochaine d'une façon spéciale, alors je crois que le moment est venu d'étudier sérieusement la restructuration de la Chambre haute du Canada de manière à mieux servir les intérêts du public et à répondre aux attentes des Canadiens, qui sont tout à fait justifiées.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur le sénateur Harder.
La parole sera d'abord aux membres du comité de direction. Le vice-président, le sénateur Joyal, a la parole.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie, sénateur Harder, pour votre exposé.
Il y a deux points que j'aimerais aborder. Premièrement, je vais citer l'avant-dernier paragraphe, à la page 2, pour que vous puissiez vous situer dans le texte : « Le travail du comité se déroule dans un contexte sans précédent » — et c'est ce qui suit dont je veux discuter — « celui d'un gouvernement qui a pour politique de ne pas exercer un contrôle partisan sur le Sénat et les sénateurs. »
J'ai réfléchi à ce qui s'est passé durant le débat en juin dernier, et je dois vous dire honnêtement — et c'est la première fois que j'en fais part à mes collègues — que j'ai été très étonné de constater qu'après avoir témoigné au Sénat et comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de l'étude préalable du projet de loi, les ministres de la Santé et de la Justice ont commencé à communiquer individuellement avec les sénateurs pour les convoquer dans leur bureau afin d'exercer des pressions sur eux. Selon moi, il s'agit là de l'application du principe selon lequel il faut diviser pour mieux régner.
Lorsqu'on s'adresse à un groupe et qu'on lui fait part de nos arguments, le groupe peut alors participer au débat sur les divers aspects d'une question. Toutefois, lorsque vous êtes un nouveau sénateur et qu'on vous demande de rencontrer un ministre dans son bureau et qu'il exerce des pressions sur vous pour que vous votiez en faveur de son projet de loi, si vous faites partie d'un caucus, même un caucus partisan, vous allez préférer que le ministre rencontre ensemble tous les membres du caucus au lieu de les rencontrer individuellement.
Il faut établir très clairement la façon dont nous sommes censés fonctionner en tant que Chambre indépendante. Si on veut maintenir le principe d'indépendance, il ne faut pas agir de cette manière. Cette situation s'apparente à celle où un avocat exerce des pressions sur le juge avant que le juge n'ait entendu l'affaire.
Je ne sais pas si vous faisiez partie du gouvernement dans les années 1960, lorsque certains ministres ont discuté avec un juge de certaines questions. Je ne vais pas nommer ces ministres, mais je peux dire que j'ai été témoin de cela à cette époque. Bien entendu, les ministres en question ont dû démissionner. Même un premier ministre du Québec, qui avait fait une telle chose, a dû démissionner du poste de ministre qu'il occupait alors.
Il faut être clair : Comment allons-nous traiter avec les ministres une fois qu'un projet de loi aura été déposé ou qu'une question de politique fera l'objet d'un débat, et comment les ministres traiteront-ils avec les sénateurs? Il faut que cela soit très clair à l'avenir, sinon, on se rendra compte soudainement que des rumeurs circulent, et on ne saura pas pourquoi, mais on apprendra après coup que quelque chose s'est produit. Il faut arrêter cela à mon avis.
Par contre, si c'est la façon dont le gouvernement souhaite agir avec le Sénat, c'est-à-dire que les ministres s'adressent individuellement à chaque sénateur dans le contexte d'un projet de loi ou d'une motion, nous devons nous pencher là-dessus selon moi. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Le sénateur Harder : Je vous remercie pour votre question. Vous soulevez un point très important, et je ne veux pas répondre rapidement et d'une manière désinvolte. Je pense qu'il y a une différence entre le milieu judiciaire et le contexte politique au sein d'une Chambre haute, alors je prends note de l'exemple que vous avez donné où des ministres ont appelé un juge, et je dois dire que je me souviens de cette situation. Nous devons convenir d'un ensemble de principes régissant les rapports des ministres avec les sénateurs, individuellement ou collectivement. Je serais ravi d'en discuter.
Cependant, je ne laisserais pas tomber facilement l'idée que les ministres doivent discuter des questions de politique avec les sénateurs. Il serait utile que le comité ou une autre entité discute de la façon dont on peut répondre aux préoccupations que vous avez soulevées dans le contexte d'un débat politique. Les ministres doivent faire valoir leur point de vue, mais ils ne doivent pas influencer l'opinion de chaque sénateur.
Le sénateur Joyal : Ce que je veux faire valoir, comme vous le comprenez bien, c'est que les sénateurs s'intéressent à certains domaines en particulier, et un ministre, dans le cadre d'un tel débat, peut plus ou moins laisser entendre que, si un sénateur appuie son projet de loi, il sera prêt à se faire le porte-parole au gouvernement du dossier que le sénateur défend.
Je ne vais pas cibler des dossiers en particulier, mais cette situation met le sénateur dans une position de faiblesse ou dans une position où il doit accepter un compromis. Autrement dit, même s'il n'est pas en faveur du projet de loi, il l'appuiera parce que le ministre lui aura promis d'appuyer son projet de loi d'initiative parlementaire ou de faire avancer le dossier qui lui tient à cœur personnellement. Il s'agit donc d'un échange.
C'est là qu'on mine le principe d'indépendance, lorsqu'un sénateur se trouve dans une telle situation. Je conviens avec vous que vous n'avez pas à déterminer aujourd'hui une approche en particulier, mais il faut admettre qu'une telle situation pourra se produire. Même s'il n'y a plus de caucus partisan, ce qui signifie que nous pouvons faire part de nos points de vue au sujet des projets de loi à nos collègues, un sénateur ne devrait pas être mis dans une situation où il doit échanger son vote en faveur d'un projet de loi contre le soutien du ministre, car cela contribue à miner complètement le principe d'indépendance, dont vous avez parlé avec beaucoup d'éloquence et dont vous souhaitez l'application au Sénat.
Je crois que j'ai fait valoir mon point. J'aimerais aussi parler de la question des caucus régionaux, mais je sais que beaucoup d'autres sénateurs veulent vous poser des questions.
Le sénateur Harder : Dans le cadre de cette discussion, il est important qu'on parle des rapports dans les deux sens. Les sénateurs ont l'obligation de protéger leur indépendance, et nous devrions discuter aussi de la façon dont ils pourraient ou devraient traiter avec l'organe exécutif. Il ne faut pas discuter uniquement de la façon dont l'organe exécutif doit traiter avec les sénateurs.
Le sénateur Tkachuk : Comme question complémentaire, j'aimerais vous demander si vous souhaitez que des règles définissent ces rapports?
Le sénateur Harder : Je ne pense pas parce qu'il faudrait déterminer comment on trancherait. Je suis d'avis qu'il serait bien d'établir des pratiques exemplaires et des conventions qui nous permettraient d'élaborer une vision.
Le sénateur Tkachuk : C'est intéressant.
La sénatrice McCoy : Je vous remercie, sénateur Harder. Votre exposé était très clair, et il est évident que vous vous êtes livré à une profonde réflexion. Nous vivons une période de transition, et nous sommes en train de nous réinventer. À la première page, vous dites que vous n'êtes qu'un sénateur parmi d'autres, et pourtant, sur la liste des témoins, vous êtes inscrit, bien entendu, comme étant le représentant du gouvernement au Sénat. S'agit-il alors de votre opinion personnelle ou de votre point de vue en tant que représentant du gouvernement?
Le sénateur Harder : Permettez-moi d'être très clair. Même si j'ai discuté avec le gouvernement de certaines de ces questions, le point de vue que j'exprime est mon propre point de vue en tant que sénateur indépendant et bien sûr en tant que premier représentant du gouvernement au Sénat. Je n'ai reçu aucun mandat précis pour m'exprimer au sujet de ces questions et je n'ai pas cherché à obtenir un tel mandat, et je dois dire honnêtement que le gouvernement n'a ni dicté ni approuvé le point de vue que j'ai exprimé.
Cela dit, je représente officiellement un gouvernement qui s'est engagé à rétablir la réputation du Sénat en ouvrant la voie à l'indépendance et à la non-partisanerie. Honnêtement, si le gouvernement n'était pas en faveur d'un Sénat plus indépendant et moins partisan, je ne serais pas ici. C'est en raison du contexte actuel que j'ai accepté d'assumer le rôle de représentant du gouvernement. J'ai accepté sans hésitation la vision du gouvernement à l'égard du Sénat et je n'hésite pas non plus à la transmettre. Je crois que nous sommes à un point critique de notre histoire, et la vision du gouvernement actuel correspond à l'orientation générale, à savoir que le Sénat doit être un organe complémentaire, indépendant, non partisan, transparent et efficace. Le temps est venu pour le Sénat de suivre cette orientation.
La sénatrice Cools : Est-ce que le gouvernement a dit cela ou a soudainement adopté cette position? Je suis très curieuse de le savoir.
La sénatrice McCoy : Votre position est beaucoup plus subtile et nuancée. J'ai quatre questions à vous poser. Avez- vous bien dit que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer et qu'ils ont un avenir au Sénat? Voilà la première question. Vous avez répondu oui dans le cas des questions qui font l'objet d'un débat, est-ce exact?
Le sénateur Harder : Permettez-moi de répondre. Dans le modèle que j'ai décrit, où la composition du Sénat est fondée sur des divisions régionales égales, il faut s'attendre à ce que des groupes affinitaires de toutes sortes émergent, ce qui, comme je l'ai dit, pourrait ou non témoigner d'un esprit partisan ou d'une affinité. D'autres groupes pourraient potentiellement se former. Ce que je veux faire valoir, c'est que tout n'est pas noir ou blanc en ce qui concerne les institutions partisanes.
La sénatrice McCoy : D'accord. Alors, la réponse est oui, les caucus pourraient avoir un rôle à jouer et avoir un avenir au sein du Sénat.
Alors, est-ce qu'un Sénat moderne a besoin d'un représentant du gouvernement? Je crois que vous avez répondu oui.
Le sénateur Harder : Oui, tout à fait.
La sénatrice McCoy : Qu'avez-vous dit? Pardonnez-moi, mais je n'ai pas saisi ce que vous avez dit. Croyez-vous qu'un Sénat moderne a besoin d'une opposition officielle ou d'une opposition quelconque?
Le sénateur Harder : Je vais répondre aux deux questions séparément, si vous me le permettez.
La sénatrice McCoy : Oui.
Le sénateur Harder : Je pense qu'il est important qu'il y ait un lien entre la Chambre haute et le gouvernement, et il appartient au représentant du gouvernement d'établir ce lien. Je pense que je ne dois pas être affilié à un parti ou à un caucus en particulier et que ma tâche consiste à aider le gouvernement à mener à bien son programme législatif, et, comme je l'ai dit à maintes reprises, à présenter au gouvernement à l'occasion le point de vue du Sénat.
Si vous me le permettez, j'aimerais énumérer les responsabilités précises dont le représentant du gouvernement doit s'acquitter selon moi. Premièrement, il doit trouver des parrains au Sénat pour les projets de loi du gouvernement et travailler en collaboration avec eux et leur personnel pour faire progresser ces mesures législatives dans un délai opportun. Deuxièmement, il doit établir un calendrier législatif qui tient compte des priorités du gouvernement, notamment les projets de loi qui doivent être adoptés dans un délai prescrit, par exemple un délai imposé par un tribunal. Troisièmement, il doit travailler avec les bureaux des ministres pour pouvoir fournir aux sénateurs l'information dont ils ont besoin pour examiner de façon approfondie et efficace les mesures législatives du gouvernement. Quatrièmement, il doit travailler avec les bureaux des ministres pour organiser leur participation à la période des questions au Sénat; travailler avec le leader à la Chambre pour coordonner et gérer l'examen des projets de loi du gouvernement; assister aux réunions du Cabinet lorsque nécessaire, notamment pour discuter du programme législatif et des affaires du gouvernement dont le Sénat est saisi; suivre les travaux des comités sénatoriaux et la progression des projets de loi du gouvernement; apprendre à connaître les autres sénateurs et faire part aux ministres et à leur bureau de leurs opinions au sujet des projets de loi et d'autres questions qui concernent le gouvernement; assumer le rôle d'un agent diplomatique auprès du Sénat, du gouvernement et de la Chambre basse, ce qui implique de veiller à ce qu'il y ait un dialogue fluide, productif et efficace entre les deux Chambres lorsqu'il y a désaccord au sujet d'un projet de loi; et travailler sur des initiatives qui visent à améliorer les processus au Parlement et le dialogue entre les deux Chambres, ce qui peut se faire par l'entremise d'une étude préalable, de la mise sur pied d'un comité mixte ou d'autres mesures.
Je crois que ce rôle est essentiel au sein du Sénat actuel et d'un Sénat moderne, tel que je l'ai décrit. C'est essentiel.
Le sénateur Tkachuk : Qu'en est-il de l'opposition officielle? Il n'a pas répondu à cette question.
Le sénateur Harder : J'ai dit que j'allais répondre séparément aux deux questions. Je vais répondre avec plaisir à celle-là maintenant.
Le sénateur Tkachuk : D'accord.
Le sénateur Harder : Vous attendez cette réponse avec impatience.
La sénatrice McCoy : Je veux simplement dire que le débat au mois de juin au sujet du projet de loi C-14 est à mon avis un exemple assez éloquent de collaboration entre toutes les personnes ici présentes et au Sénat. Cela illustre bien les nombreux éléments que vous venez d'énumérer. Je vais vous laisser maintenant répondre à la question.
Le sénateur Harder : Oui, permettez-moi de répondre à la question au sujet de l'opposition. Je veux donner une réponse claire et détaillée parce que je m'attendais à ce qu'on me pose cette question, et il est important qu'on la saisisse parfaitement bien.
À mon avis, au sein d'une institution complémentaire plus indépendante et moins partisane, il n'y aura plus de caucus ministériel organisé et discipliné, alors, par conséquent, il ne devrait plus y avoir de caucus organisé de l'opposition officielle. L'un des changements les plus fondamentaux qui s'opèrent actuellement au Sénat est la disparition du modèle traditionnel de Westminster selon lequel un caucus ministériel organisé et discipliné est opposé à un caucus de l'opposition organisé et discipliné, un modèle largement fondé sur la partisanerie. À la fin de l'année, le Sénat sera composé de nombreux sénateurs indépendants, et, à la fin de 2018, on prévoit que la majorité des sénateurs seront indépendants. J'admets que cette approche ne fait pas partie de l'histoire du Sénat. Les conservateurs et les libéraux font partie des meubles au Sénat. J'admets volontiers que, depuis la Confédération, le Sénat du Canada a toujours été composé de sénateurs qui représentent le gouvernement et de sénateurs qui représentent l'opposition, et que la plupart des Chambres législatives calquées sur le modèle de Westminster ont un caucus ministériel et un caucus de l'opposition organisés. J'ajouterais qu'il se pourrait très bien que cette situation soit l'une des principales raisons qui sont à l'origine des appels à la réforme du Sénat. Dans une décision de 2014, la Cour suprême a formulé l'observation suivante :
Même s'il a été le fruit d'un consensus, le Sénat a rapidement fait l'objet de critiques et de propositions de réforme. Certains étaient d'avis qu'il échouait à donner un « second regard attentif » aux projets de loi et qu'il y régnait le même esprit partisan qu'à la Chambre des communes. D'autres l'ont critiqué parce qu'il n'avait pas réellement réussi à représenter les intérêts des provinces comme on l'avait voulu au départ, et ont insisté sur son manque de légitimité démocratique.
C'est seulement en encourageant l'indépendance et l'impartialité qu'on pourra donner tout son sens à un Sénat dont les membres sont nommés. Ce n'est qu'en s'engageant dans cette voie que les mesures à l'étude pourront bénéficier du talent et de l'expérience de chaque sénateur. Comme je l'ai mentionné, je le répète, dans mon tout premier exposé, la partisanerie contribue à restreindre l'indépendance d'un sénateur en l'obligeant à être loyal envers son parti. Cela va à l'encontre d'un objectif plutôt fondamental qui a mené à la création d'un Sénat indépendant dont les membres sont nommés plutôt qu'élus, comme l'a énoncé la Cour suprême dans une décision en 1980 et dans la décision sur le renvoi en 2014, que je ne citerai pas encore une fois, car je l'ai amplement fait.
Je voudrais revenir toutefois sur l'excellente analyse, sénateur Joyal, du professeur Smith qui figure dans votre livre. Il écrit ceci :
L'indépendance est un élément essentiel de l'exercice par le Sénat de sa fonction de complémentarité dans le processus législatif [...] La Chambre haute n'est pas une colonie partisane de la Chambre basse.
Le Sénat n'est pas une Chambre habilitée à prendre un vote de confiance. L'opposition officielle au Sénat n'est pas un gouvernement en attente et il ne peut pas défaire le gouvernement. Reproduire au Sénat la confrontation entre le gouvernement et l'opposition, lorsqu'il n'est pas question d'obtenir la confiance, nuit à l'indépendance, à la non- partisanerie et à la complémentarité. Le modèle traditionnel de confrontation a nui également à l'exécution du rôle du Sénat dans notre cadre constitutionnel en tant qu'organe législatif complémentaire, entièrement indépendant et moins partisan qui donne un second regard attentif.
Je serais ravi de poursuivre.
La sénatrice McCoy : Je vous remercie. Je vais terminer en vous remerciant d'avoir eu la courtoisie de nommer les sénateurs indépendants dans votre exposé. Je vous remercie, monsieur.
Le sénateur Pratte : Je vous remercie, sénateur Harder, pour votre exposé. J'appuie vos efforts pour que tous les sénateurs soient traités de façon juste et équitable, et je vous félicite pour cela. Je voudrais dire un mot au sujet de votre vision à long terme. Je suis d'accord sur à peu près tout ce que vous avez dit durant votre exposé, mais j'ai des réserves en ce qui concerne le modèle des caucus régionaux comme principe organisateur du Sénat.
Je comprends que vous considérez cela comme un outil uniquement pragmatique qui ne jouerait pas un rôle important, sauf peut-être sur le plan purement administratif. Toutefois, je crains que si les caucus régionaux constituent un principe organisateur, cela leur donnerait du pouvoir, parce qu'ils pourraient accorder des privilèges, en fait, puisqu'ils décideraient de la répartition des bureaux et de la composition des comités. Avec le temps, je crains que ces caucus régionaux deviennent des instruments puissants, qu'ils deviennent beaucoup plus puissants que les caucus non officiels qui pourraient se former en fonction d'idéologies. Ils subiraient également d'importantes pressions de la part des gouvernements provinciaux et des groupes de pression régionaux de toutes sortes, qui s'attendraient à ce que les caucus régionaux votent sur les projets de loi par solidarité régionale.
Je pense qu'à long terme ces caucus régionaux pourraient devenir assez puissants et à mon avis possiblement nuisibles pour le pays.
Le sénateur Harder : Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration, j'estime que le concept des caucus régionaux — pour les quatre régions — mérite d'être examiné sérieusement. Vous parlez de problèmes qui pourraient survenir, et j'aimerais faire des commentaires à ce sujet dans un esprit d'engagement qui ne se limite pas à la séance d'aujourd'hui. Je crois que les points que vous avez soulevés méritent d'être étudiés et de faire l'objet d'une discussion à mesure que nous essayons de faire des ajustements et d'établir le meilleur modèle. Dans cet esprit, permettez-moi de formuler des commentaires.
Il doit y avoir un principe organisateur pour ce que vous appelez le pouvoir, et ce que j'appelle la responsabilité de s'auto-organiser. Il me semble que l'article 22 est clair en ce qui concerne les quatre divisions, qui traduisent bien l'origine de la Chambre en tant que telle. Les risques que vous décrivez peuvent être atténués à mon avis et sont probablement exagérés. Pourquoi? Premièrement, il est vrai que le processus de nomination établi par le premier ministre est fondé sur les divisions provinciales, si je puis m'exprimer ainsi, en ce qui concerne le comité de nomination, mais le premier ministre a invité les premiers ministres provinciaux et territoriaux à formuler des recommandations pour le choix de deux des cinq membres du comité. Toutefois, au bout du compte, c'est le premier ministre qui tranche en fonction de l'intérêt national. C'est lui qui effectue les nominations au Sénat. Alors je ne crois pas qu'il y aura de la partisanerie ou du régionalisme à l'extrême, si je puis m'exprimer ainsi, ou une région qui sera extrêmement partisane.
Deuxièmement, je crois que les personnes qui manifesteront un intérêt pour cette institution nationale ne seront fort probablement pas des gens qui ont une vision régionale. Ce seront des personnes qui ont une vision pancanadienne. Le processus législatif lui-même a été conçu avec cette vision. La différence entre les régions, dans un pays aussi diversifié que le Canada, constitue un aspect important du débat public. Il faut en tenir compte, et c'est justement ce que vise à faire le mécanisme que j'ai décrit.
Quand je pense à une situation où une région a voté d'une certaine manière dans le secteur des politiques publiques au cours des 30 dernières années, je pense au NPD, qui aurait pu épargner au Parti libéral de grandes pertes de l'électorat dans l'Ouest canadien.
Je ne suis donc pas aussi préoccupé que vous, mais je suis ravi de discuter du sujet. Ma question pour vous relancer là-dessus est la suivante : si ce n'est pas régional, alors qu'est-ce que c'est?
Le sénateur Pratte : Je pourrais répondre, mais ce serait long. Je pense qu'il y a des scénarios alternatifs que nous pourrions examiner, de gens à l'heure actuelle, de situations radicales mais pas aussi radicales qu'un caucus régional.
Le président : Vous aurez amplement l'occasion d'en discuter plus longuement aux prochaines réunions.
Je vous signale qu'il est maintenant 12 h 50 et que nous aimerions faire une pause avant 13 h 45, si c'est possible. Nous aimerions que vous soyez un peu plus concis dans vos interventions.
Le sénateur Tannas : Merci d'être ici. J'adhère également à la majeure partie de ce que vous avez dit. J'ai quelques questions cependant que je veux vous poser. Je pense que la majorité des membres du comité ont travaillé à l'élaboration d'un rapport portant sur un certain nombre de points que vous avez soulevés, et même si nous proposons peut-être des mécanismes différents, je pense que nous nous dirigeons tous dans la même direction. J'attends avec impatience les discussions que nous tiendrons une fois que ce rapport sera déposé, ce qui sera très bientôt, j'espère, à savoir aujourd'hui.
La sénatrice Cools : Présentez-le.
Le sénateur Tannas : Il y a quelques questions que je voulais vous poser. Je ne comprends pas l'idée d'avoir un représentant du gouvernement et un promoteur en chef de la loi sans avoir une personne responsable de coordonner ceux qui critiqueront les propositions. J'imagine que l'idée d'avoir une entité de second examen objectif comporterait la tenue d'un débat et un processus organisé.
J'entends de plus en plus souvent que nous pouvons nous en tirer sans parti de l'opposition, et je sais qu'il y a peut- être apparence de conflit d'intérêts, car je suis dans l'opposition, mais c'est la même chose pour vous qui faites partie du gouvernement. Je trouve cela tout simplement illogique. Pour utiliser une analogie sportive, c'est comme dire que nous allons organiser un match de hockey, et que nous demandons à tous les joueurs de tourner en rond sur la glace jusqu'à ce que nous lancions une rondelle au milieu et un match de hockey débutera. Ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent. Il doit y avoir une personne qui organise les équipes d'une certaine manière pour qu'un bon débat puisse avoir lieu. Je me demande ce que vous en pensez.
Ce n'est pas seulement une mesure législative; ce sont tous les aspects pour lesquels nous devons examiner ce que nous faisons. Je ne comprends pas, à part le fait que la source de tous les maux soit le fait de faire des propositions et de s'y opposer. Je ne pense pas que ce soit le cas. Mais j'ai l'impression que c'est ce qui se passe. Je suis étonné que vous n'appuyiez pas qu'il y ait une forme quelconque de mécanisme officiel et de bureau pour vous faire contrepoids en tant que promoteur en chef.
Le sénateur Harder : Si nous mettons sur pied une entité indépendante qui est non partisane, égale, représentative, proportionnelle aux comités, imputable, transparente et ainsi de suite, je crois qu'il y aura des opinions variées et contraires au sujet des mesures législatives proposées et que des coalitions en faveur et contre seront formées de façon ponctuelle. Je ne pense tout simplement pas qu'il faut un acharnement partisan et des positions prédéfinies concernant des mesures législatives dans une entité comme la nôtre.
Si je suis le promoteur en chef, je ne fais pas un très bon travail, et je préfère penser que je fais du bon travail. Je ne me perçois pas comme étant un promoteur; je suis un représentant. Ce n'est pas le leader traditionnel du gouvernement au Sénat.
Nous devrons tenir des conversations. Je comprends et respecte vos points de vue. Nous avons adopté un cadre qui offre, au final, la meilleure garantie qu'un débat dans un Sénat indépendant sera vigoureux et acceptera et rendra légitimes les différences et même les amendements et les modifications aux mesures législatives qui ne sont pas préétablis par la partisanerie. C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Tannas : J'attends ce débat avec impatience. Merci.
Le sénateur Eggleton : Merci de votre exposé exhaustif et détaillé. Je souscris en grande partie à ce que vous avez dit. Je conviens plus particulièrement que tous les sénateurs, comme vous l'avez dit ici, sont égaux et devraient, en conséquence, avoir accès à des ressources et à des possibilités égales et proportionnelles pour participer aux travaux du Sénat.
Vous constaterez que le rapport que produira le comité abordera un certain nombre de ces questions et, je l'espère, donnera une idée de l'orientation que nous allons prendre, même si elle évoluera à mesure que la composition du Sénat évoluera.
Ce qui me préoccupe beaucoup et que je désapprouve vivement, c'est le concept des caucus régionaux.
La représentation régionale était un sujet clé dans le cadre des négociations de la Confédération. Cela se rapporte au processus de nomination, et non pas au processus organisationnel, structurel. Dans le cadre du processus de nomination, il est important d'avoir des gens qui vivent dans les différentes provinces, qui comprennent les enjeux de ces provinces et qui peuvent les mettre sur la table, et je pense que c'est ce qui se fait à l'heure actuelle. Ce qui est primordial, à mon avis, ce sont les lois nationales, et la majorité des lois sont créées dans l'intérêt national. J'ai certaines réserves à ce sujet.
Je ne vais pas les énumérer aujourd'hui, mais il y a d'autres modèles qui décrivent comment vous pouvez organiser ce processus. En fait, j'espère que quelques-unes des réponses seront fournies lorsque ce rapport du comité sera rendu public.
Où allons-nous? Il serait bien que le gouvernement ait une opinion à cet égard, si vous exprimez le point de vue du gouvernement, mais je crois qu'en grande partie, vous faites valoir vos opinions personnelles. Dans la direction que nous prenons à l'heure actuelle, si cette direction est adoptée par plus d'un gouvernement, nous pourrions avoir un Sénat qui compte 105 membres indépendants. Ce serait très familier pour moi, car ce serait comme un conseil municipal. Soit dit en passant, les conseils municipaux peuvent fonctionner. Ne vous moquez pas. J'ai été membre d'un conseil municipal pendant 22 ans.
L'autre modèle est celui qui est en place à la Chambre des lords, qui présente également des avantages. Des nominations sont effectuées chaque année par les différents partis politiques. La Chambre des lords a également un processus de nomination indépendant qui donne lieu à la nomination de membres indépendants. Il a été décidé qu'il ne doit pas y avoir de majorité au Sénat, si bien qu'il n'y a pas de situation majoritaire parmi les différents groupes. De plus, après six mois, s'il y a un désaccord entre les deux Chambres, la Chambre des lords...
Le sénateur Harder : Suspendrait ses activités.
Le sénateur Tkachuk : Il y a 800 membres.
Le sénateur Eggleton : Eh bien, ils sont 800. Ne vous en faites pas. Nous n'avons pas besoin de 800 membres. Les principes pourraient être les mêmes.
Quelle est votre vision quant à l'orientation que nous devons prendre? Est-ce le modèle du conseil municipal ou celui de la Chambre des lords?
Le sénateur Harder : Permettez-moi simplement de vous exposer mon point de vue, car le gouvernement ne s'est manifestement pas fait une idée à ce sujet. Je pense qu'un Sénat durable et indépendant doit avoir un certain équilibre dans les relations entre les caucus partisans d'une Chambre et les caucus au Sénat. Je dirais que le fait d'avoir séparé le caucus libéral du caucus national a été une étape importante dans l'indépendance du Sénat, même si nous n'en avons pas eu l'impression à l'époque et que nous nous en sommes aperçus avec le recul, et nous verrons si c'est ce qui se produira dans d'autres affiliations partisanes.
En ce qui concerne la Chambre des lords, je ne pense pas que nous avons beaucoup à apprendre d'elle, dans le contexte où le sénateur Tkachuk a mentionné à juste titre qu'il y a 880 membres, je crois...
Le sénateur Tkachuk : C'est illimité.
Le sénateur Harder : J'y étais récemment. On m'a dit qu'ils étaient 880, avec les nouvelles nominations qui viennent d'être faites. Quoi qu'il en soit, disons qu'il y en a 600 qui sont disponibles. Il y a d'importantes différences. Il y a environ 20 p. 100 de membres indépendants, et vous pouvez ajouter un maximum de... est-ce quatre par année? Et la moyenne est de deux. Vous avez raison de dire qu'aucun parti n'a été majoritaire depuis longtemps.
La Chambre fait preuve de beaucoup de respect à l'égard du gouvernement, et pas seulement en raison du droit de veto suspensif. Il y a 20 ministres à la Chambre des lords. Il n'y en a aucun au Sénat du Canada. La relation est fondamentalement plus partisane en ce sens, avec un plus petit groupe de membres indépendants.
Les membres de la Chambre des lords, comme vous le savez, ne participent pas à tous les votes. Ils se prononcent sur les questions sur lesquelles ils ont une certaine expertise. Je ne pense pas que vous pourriez avoir 105 sénateurs et qu'un d'eux dise : « Vous savez, j'aime la musique, et je vais me prononcer sur tous les projets de loi d'ordre culturel, mais pas sur les autres. » Nous devons bâtir notre propre culture d'indépendance au Sénat du Canada, et je ne pense pas que nous ayons beaucoup à apprendre de la Chambre des lords.
Nous ne serons probablement pas un conseil municipal, qui est en fait un organe directeur. Nous sommes une entité complémentaire à une autre Chambre, si bien que l'équilibre qui existe n'est pas tout à fait adéquat non plus.
La raison pour laquelle je suggère que nous examinions sérieusement la base régionale des divisions est qu'elle n'a pas de fondement constitutionnel en vertu de l'article 22 et offre une tribune où nous pourrions atteindre l'égalité et nous administrer. Je ne suis pas hostile à d'autres modèles, dans la mesure où ils répondent aux critères d'indépendance durable et de proportionnalité qui ne nous ramènent pas accidentellement à une position ouvertement partisane. C'est une conversation que nous devons tous avoir.
Enfin, vous avez mentionné votre rapport, que j'attends avec impatience. J'espère que pas seulement le comité, mais que le Sénat en entier, agira rapidement pour examiner l'intention, car nous aurons manqué à notre engagement envers les sénateurs indépendants et la population canadienne si nous avons un beau rapport du comité qui propose des mesures pour améliorer grandement l'égalité et la proportionnalité, mais que nous disons au Sénat : « Il faut étudier ces questions plus en profondeur et en débattre, et nous aurons peut-être une motion en 2018. »
Le sénateur Massicotte : Merci, sénateur Harder, de vos déclarations. Je les ai trouvées excellentes. En fait, vous verrez que nous avons approuvé bon nombre de vos remarques — l'esprit qui les sous-tend, à tout le moins. Je ferai une brève observation sur les caucus régionaux, mais ma question porte sur un autre sujet. Je partage l'avis de mes collègues; j'ai certaines réserves concernant les caucus régionaux, mais l'idée n'est pas issue de l'origine de notre Constitution et de sa raison d'être. À ce moment-là, l'accent que l'on mettait sur les régions était très légitime. Les provinces n'avaient pas beaucoup de pouvoirs; il y avait un gouvernement très central, un gouvernement très fédéral du point de vue de la centralisation. Les choses ont beaucoup changé. Les premiers ministres ont énormément de pouvoir. Ils se font entendre haut et fort. Ils sont très bien organisés. Je ne pense pas qu'ils ont besoin de plus de protection. Je pense que le Sénat serait beaucoup plus utile pour aplanir ces différences dans l'intérêt national. Je pense que c'est ce que l'avenir nous réserve. Quoi qu'il en soit, je suis toujours désireux de participer à cette discussion.
Mais permettez-moi de vous parler un peu de ce que nous avons vécu avant notre départ en juin ou en juillet. Nous avons tenu d'excellents débats. Nous avions des divergences d'opinions avec la Chambre des communes et, comme vous l'avez mentionné dans votre déclaration, avec la Cour suprême. Nous sommes une Chambre complémentaire; nous ne sommes pas là pour faire concurrence à la Chambre des communes. Nous avons tenu cette discussion en quelque sorte lorsque nous relevions des différences et disions : « Où cela nous mène-t-il? ». J'aimerais connaître votre opinion et celle du gouvernement. Admettons que nous ne nous entendons pas sur la bonne approche à adopter. Nous présentons des amendements au projet de loi, car, autrement, personne ne sait vraiment quelles sont nos idées. Nous proposons des amendements et les renvoyons à la Chambre des communes qui, en approuve certains et en rejette certains, ce qui est survenu dans un cas.
Dans quelle circonstance pouvons-nous nous contenter de dire : « Désolés, mais nous n'approuvons vraiment pas »? Je présume que, si l'amendement est constitutionnel, vous conviendrez que nous ne pouvons tout simplement pas l'accepter ou, s'il porte grandement atteinte à une minorité, nous ne pouvons pas l'accepter. À quel moment et dans quelle circonstance nous résignons-nous ou pas à laisser passer le projet de loi même si nous sommes sincèrement de l'avis contraire?
Le sénateur Harder : C'est une très bonne question, et elle se rapporte à l'observation du sénateur Eggleton au sujet de la Chambre des lords et du droit de veto suspensif.
En juin, vous vous rappellerez que j'ai dit que cela fonctionnera mieux en pratique qu'en théorie, et j'aimerais, du moins pour l'instant, éviter de fournir une réponse théorique. Mais je dirais que les principes suivants, à tout le moins, orienteront la pratique, car je pense, en raison des contraintes constitutionnelles associées à l'ajustement du pouvoir du Sénat, qu'un ordre sessionnel et une pratique inhérente seraient la façon de procéder.
L'imputabilité politique passe par l'autre Chambre, et les citoyens canadiens rendront leur jugement sur le sort des mesures législatives par l'entremise du comportement et du bilan du gouvernement à l'autre Chambre. Je pense que le Sénat a parfaitement le droit, comme le premier ministre et d'autres l'ont dit, d'améliorer, de modifier et d'examiner des mesures législatives et de se faire une idée, et nous avons renvoyé à l'autre Chambre plusieurs projets de loi. Le gouvernement prend des décisions sur certains de ces amendements et en rejette d'autres, parce qu'il tient à la version initiale, et le Sénat, dans sa sagesse, a dit : « Nous avons fait valoir notre argument », — je paraphrase — et a accepté le message envoyé.
Je pense que le Sénat fonctionnait à son meilleur, lorsqu'il faisait valoir ses arguments et passait à autre chose. On a discuté de mécanismes tels que des conférences, des mécanismes pour se pencher sur le droit de veto suspensif. Je pense que nous devrions tabler sur notre expérience et ne pas forcément nous tourner directement vers des solutions théoriques et législatives. Le dernier point que je veux soulever, c'est que vous dites : « Eh bien, si c'est constitutionnel, nous l'approuverons clairement. » Le problème, c'est qu'il y a des opinions constitutionnelles divergentes sur de nombreux sujets. L'idée semble excellente lorsque nous disons que nous défendrons la Constitution, mais s'il y a des différences, je ne suis pas certain que nous saurons où se trouve la différence constitutionnelle. Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les minorités, mais je pense à ce qui s'est produit dans le passé. Le Sénat n'a rien fait lors de l'internement des Japonais et d'autres cas où les droits des minorités ont été bafoués. Dotons-nous de bonnes pratiques avant de nous féliciter d'être des défenseurs des droits des minorités. J'ai tendance à être plus pragmatique et j'espère que nous témoignerons du respect qui s'impose à l'égard d'une Chambre élue tout en exposant clairement notre opinion collective au sujet des projets de loi dont nous sommes saisis.
Le sénateur Massicotte : S'il me fallait résumer en mes mots ce que je pense avoir compris, c'est que, à part quelques rares exceptions, lorsque la Chambre des communes refuse nos amendements, nous devrions nous boucher le nez et adopter le projet de loi?
Le sénateur Harder : Je ne le dirais pas nécessairement avec autant d'éloquence, mais je pense que nous avons ici une question de principe. Ce n'est pas tant se boucher le nez que s'en remettre aux personnes qui doivent rendre des comptes au plan politique.
Le sénateur Massicotte : C'est du pareil au même. Merci.
Le sénateur Tkachuk : Je suis d'avis que l'indépendance de l'un est la partisanerie de l'autre. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous devrions être plus indépendants mais, parallèlement, je ne suis pas du tout d'accord avec vous que nous ne devrions pas avoir d'opposition officielle ou nous organiser en partis politiques.
Ce que vous avez affirmé au début est exactement ce que nous faisons maintenant. Autrement dit, nous avons un caucus conservateur. Dans le contexte du prochain Parlement, les nombres seront différents, tout comme les nominations aux comités. Les présidents seront répartis différemment. Nous avons toujours procédé ainsi. Le fait est que nous n'avons jamais eu de troisième parti au Sénat, seulement deux. Maintenant, de toute évidence, nous avons un caucus indépendant qui se donne le nom de caucus et qui s'organise comme un caucus. En conséquence, il est clair que ses membres entreront en ligne de compte et qu'ils feront partie de la redistribution. Je n'avais jamais entendu de sénateur dire que les indépendants ne feraient pas partie de la distribution, qu'ils n'iraient pas en déplacement ou qu'ils ne seraient pas membres des associations parlementaires. Tout ce qu'ils ont à faire maintenant est de présenter une demande. Cependant, en l'absence d'une opposition, qui prend toutes les décisions? Qui décide des nombres pour les comités? Qui détermine les personnes qui partiront en déplacement? Qui décidera de tout cela?
Le sénateur Harder : Je présume, sénateur Tkachuk, que si le Sénat adoptait la structure que j'ai décrite dans mon modèle, il y aurait des discussions et des accommodements entre les groupes organisés pour déterminer la proportionnalité et les personnes. Cela ne se ferait pas de façon partisane, mais plutôt en fonction de structures organisationnelles régionales.
L'autre argument que j'aimerais faire valoir est que vous dites qu'au cours du prochain Parlement, vous serez disposé à offrir des accommodements. Je pense que c'est un peu lent, car, selon mes calculs, au moment du prochain Parlement comme vous dites, 60 p. 100 des sénateurs seront indépendants. Je suis certain que nous pouvons faire mieux, à court terme, pour tenir compte de la proportionnalité et de l'égalité.
Le sénateur Tkachuk : C'est arrivé. Lorsqu'on a augmenté le nombre de nominations conservatrices, même si nous étions minoritaires, les libéraux et les conservateurs ont eu une discussion. On a changé la composition de certains comités et les nombres. Cela s'est toujours fait. Il n'y a pas eu d'impasse en ce qui concerne les nombres. Lorsque les conservateurs étaient plus nombreux, les libéraux ont mesuré la gravité de la situation. Nous avons tenu des discussions, et les comités ont été modifiés. Je ne comprends pas en quoi les indépendants posent problème.
Le sénateur Harder : L'obstacle que je vois, sénateur Tkachuk, est que si nous convenons de la notion de proportionnalité — et c'est ce que je vous entends dire — nous devrions apporter ces ajustements et ne pas tarder à le faire compte tenu de l'orientation que prend vraiment le Sénat. En ce qui concerne les pourcentages dont j'ai parlé dans mes commentaires, les 17 p. 100 de sièges font allusion au nombre de sièges qu'occupent les sénateurs indépendants avant que nous accueillions 24 nouveaux sénateurs.
Je pense que la réforme du Sénat ne serait pas une réussite si, d'ici quelques mois, notre représentation reflétait une distorsion complète de l'allocation proportionnelle des sièges aux comités. Et j'espère que cet organe, qui est représentatif de tous les points de vue au Sénat, peut accroître cette force d'impulsion, car j'estime qu'il nous serait avantageux à tous de montrer... de nous mettre en quatre en attendant une représentation qui diffère de celle que nous avons actuellement ou que nous avons eue par le passé.
Le sénateur Tkachuk : Souhaitez-vous présenter un projet de loi pour interdire les caucus conservateur et libéral au Sénat?
Le sénateur Harder : Absolument pas. Je pensais être nuancé dans mes propos. On m'a demandé mon point de vue.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit que vous vouliez... Je vous demande si vous souhaitez vous débarrasser de l'opposition officielle. Comment voulez-vous le faire?
Le sénateur Harder : Premièrement, je n'ai pas dit que nous devions nous débarrasser de l'opposition officielle.
Le sénateur Tkachuk : Oui vous l'avez dit.
Le sénateur Harder : On m'a demandé si, dans le modèle que je décris, une opposition officielle est nécessaire, et j'ai donné ma réponse. Ce n'est pas à moi de décider s'il doit ou non y avoir une opposition officielle. C'est au Sénat dans son ensemble qu'il revient de le déterminer et, en fait, peut-être même au leader de la loyale opposition de Sa Majesté à la Chambre haute. Je ne suis donc qu'un sénateur qui donne son point de vue.
Le président : Si je puis me permettre, cette discussion intéressante aura lieu à une date ultérieure. Nous entendrons maintenant le sénateur Greene, qui sera suivi du sénateur Wells.
Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Bon travail. Ce sont les deux mots que j'ai à dire. J'ai particulièrement aimé l'éloquence avec laquelle vous défendez et promouvez le concept de l'égalité. À mon sens, ce point est au cœur de la question et devrait peut-être même en être le principe organisateur.
Bien honnêtement, je n'ai jamais été en faveur des caucus régionaux et je ne les ai jamais admirés, et ce, pour deux raisons. Le sénateur Pratte en a mentionné une, et je suis d'accord avec lui sur ce point. L'autre est que le Sénat est une institution nationale, à l'échelon fédéral, et que la plupart d'entre nous, je crois, avons tendance à voter dans l'intérêt national, et je pense que c'est essentiel. J'estime que nous devons le faire et que nous devons continuer à le faire, et je crains que si on crée des caucus régionaux et on élargit leur rôle, certains d'entre nous arrêteront de le faire, et je pense qu'il ne faut pas.
Cependant, vos arguments ont réussi à me faire envisager d'accepter les caucus régionaux, car vous avez dit qu'ils pourraient ne servir qu'à des fins administratives. Cela présente certains dangers, cependant; ils pourraient changer radicalement au fil du temps. Peut-être que ce ne sera pas le cas, mais si vous cherchez une façon d'organiser ou d'administrer, vous pourriez songer à élargir le rôle du président. Je pense que nous avons intérêt à considérer cette idée.
Le sénateur Harder : Permettez-moi de réagir aux deux points.
Sénateur Greene, merci de vos commentaires. Dans mon discours inaugural, j'ai d'abord soulevé la possibilité de créer des caucus régionaux ou autres groupes affinitaires. J'en suis arrivé à la position que j'ai formulée et que, selon moi, nous devons envisager parce que je crois que c'est un modèle facile à comprendre, fondé sur la Constitution et qui prévoit une répartition égale des sièges — exception faite du Nord, et nous pouvons en parler — et qu'à des fins administratives et en vue d'assurer l'égalité et la proportionnalité, ce modèle permettrait de n'avantager aucun groupe affinitaire. Cependant, je m'attends à ce qu'il y ait — du moins je l'espère — des façons pour les sénateurs de s'entendre sur les questions de politique au-delà des frontières régionales. Comme je l'ai dit, il peut s'agir de mesures permanentes ou spéciales, mais c'est là que l'essentiel des travaux législatifs et autres du Sénat se fera.
J'en suis venu à le considérer comme la meilleure solution de rechange et la meilleure option pour conserver la notion d'égalité et en assurer la viabilité à long terme.
Vous avez demandé, à juste titre, des précisions concernant le président, et je n'ai pas donné mon opinion à son sujet, mais j'abonde dans le même sens que vous. Je pense que le président doit avoir pour mandat précis de refléter l'indépendance et l'égalité des sénateurs, et de présider ou de diriger, de diverses façons, notre auto-administration à cet égard. Cela signifie probablement que nous devons examiner la notion d'un président élu pour qu'il ou elle ait la légitimité d'agir de cette façon au nom de l'institution. C'est un autre sujet, sur lequel nous devons nous pencher plus longuement, mais vous soulevez un point très important.
Le sénateur Wells : Merci, sénateur Harder, d'être venu nous faire part de vos vues et de vos opinions. De certaines façons, je pense que notre rapport contient bien des solutions en quête de problèmes. Je crois que nombre de très bonnes choses qui sont arrivées au Sénat au cours des dernières années — je ne suis d'ailleurs ici que depuis quelques années —, dont notre excellent débat sur le projet de loi C-14 et les points de vue indépendants qui ont été présentés à cette occasion, ne suivaient pas du tout les allégeances politiques. Je pense que nous avons tenu de vigoureux débats dans le cadre du Parlement précédent, et je sais que dans mon cas, je me considère être un sénateur très indépendant; personne ne me dicte mes principes. Je suis un sénateur indépendant affilié au Parti conservateur.
Je pense que toutes ces choses sont arrivées dans le contexte du paradigme en évolution dont bénéficie le Sénat depuis 150 ans. Je tenais donc à formuler ce commentaire.
Deuxièmement, comme vous le savez, le Sénat peut servir de frein aux pouvoirs supérieurs de l'exécutif qui, grosso modo, contrôle la Chambre des communes, car ces pouvoirs lui sont conférés par les députés particuliers de la Chambre. Sans le Sénat, ou avec le Sénat en tant que groupe de 105 personnes, ou peut-être de 104 personnes et d'un représentant, je sais que si j'étais premier ministre, je serais ravi d'avoir une chose de moins qui s'oppose à moi ou à mes pouvoirs.
Pourriez-vous vous prononcer là-dessus? Je pense qu'il est nécessaire d'aller au-delà de ce dont nous discutons maintenant, et de ce dont nous avons discuté au cours de la dernière ou des deux dernières années dans le cadre du Comité sur la modernisation, et du sujet qui nous intéresse particulièrement, en l'occurrence, la nomination de sénateurs plus indépendants ou non affiliés. Nous devons nous pencher sur ce que le Sénat a très bien fait au cours des 150 dernières années ainsi que sur notre structure et ce que nous serons en mesure de faire à l'avenir.
Le sénateur Harder : Je prends note de votre première déclaration et je n'ai aucun commentaire à formuler à ce sujet, car c'est entièrement votre opinion.
J'aurais pensé que l'histoire nous aurait montré que, traditionnellement, les premiers ministres n'étaient jamais aussi heureux que lorsqu'ils avaient une majorité au Sénat qui obéissait à leurs ordres de façon régulière et prévisible. La voie que nous suivons n'est pas sans risque pour un premier ministre et son exécutif. Cependant, c'est la meilleure façon de revitaliser une institution qui joue un rôle significatif dans le processus législatif. Je félicite le premier ministre Trudeau pour l'initiative qu'il a lancée, comme je l'ai dit dans mes commentaires, à la fois en instaurant un processus de nomination indépendant en collaboration avec les provinces, et en dissociant le caucus de son parti du caucus national, chose qu'il a faite en soulignant l'indépendance institutionnelle de notre Chambre par rapport à l'autre Chambre, ainsi qu'en nommant un représentant plutôt qu'un leader, qui est indépendant au départ, et non partisan, et qui est favorable et ne s'est pas montré hostile aux améliorations apportées au projet de loi ou à celles que le Sénat percevait comme des améliorations au projet de loi que nous avons renvoyé à la Chambre des communes.
C'est un paradigme qui diffère du paradigme historique. J'y suis favorable et je pense que les sénateurs à l'esprit libre devraient aussi l'être.
Le sénateur Wells : En ce qui concerne les caucus régionaux — car c'est le point que la plupart des sénateurs qui ont posé des questions ont soulevé — l'établissement du Sénat était fondé sur l'égalité des régions. Le Canada atlantique a maintenant 30 sièges au Sénat; ce serait donc une inégalité évidente pour le Québec, l'Ontario et l'Ouest.
S'il y avait une structure de caucus régional, il y aurait du marchandage, c'est-à-dire qu'il serait possible, en échangeant un principe, d'obtenir, par exemple, le vote d'un sénateur de l'Alberta qui n'est pas nécessairement concerné par une question relative à l'Atlantique. L'essence même du Sénat est que nous avons des principes et que nous ne sommes pas censés être influencés par les politiques de l'heure. Il serait très dommageable pour la Chambre haute qu'on nous présente un paradigme nous permettant d'échanger nos principes en fonction d'un vote.
Le sénateur Harder : J'espère qu'il n'y a aucun marchandage aujourd'hui.
Le sénateur Wells : C'est un argument intéressant, car lorsque vous avez deux parties qui discutent, comme dans un tribunal, avec un procureur et un avocat de la défense, ou un gouvernement et l'opposition, tout le monde connaît leurs positions. Quand vous avez 105 personnes, nul ne connaît leurs positions.
Le sénateur Harder : Je pensais que vous étiez tous indépendants.
Le sénateur Wells : Absolument, mais vous avez des principes, et j'harmonise les miens; je ne les vends pas. Merci.
La sénatrice Lankin : Je dirais en ce qui touche la question que le sénateur Tkachuk a posée concernant la nature du problème avec les sénateurs indépendants et le fait qu'il est possible de modifier la formule au fur et à mesure que les nombres changent, dans le cadre du processus que les sénateurs indépendants ont suivi et dans lequel ils ont donné leur nom pour faire partie de comités sur lesquels nous nous sommes entendus au préalable, si bien que les nombres n'étaient pas contradictoires, j'attends de siéger à un comité et me suis vue refuser la possibilité parce que deux indépendants y siègent déjà. Deux est le nombre maximal que les deux caucus partisans nous ont permis d'avoir en comité, ce qui n'est pas proportionnel à notre nombre. Nous sommes donc sous-représentés. Il y a un problème, et s'il est possible de facilement le régler, j'ignore pourquoi cela prend autant de temps. J'espère que nous pourrons voter pour qu'il soit réglé. Je crois comprendre que c'est une possibilité.
En ce qui concerne certaines des choses dont j'ai entendu parler, de l'indépendance et du rôle des caucus partisans — et il s'agit aussi d'un commentaire — je crois qu'il est possible d'avoir une affiliation partisane ou une affiliation idéologique à une base partisane et de se comporter en indépendant. J'ai consacré un certain nombre d'années à la politique partisane, mais j'ai passé plus d'années à travailler dans un monde non partisan au sein d'un certain nombre d'organismes et d'endroits. Cependant, je pense que cela diffère d'une structure de caucus avec des whips et des conséquences pour ne pas avoir voté avec le caucus.
Je l'ai constaté au Sénat avant d'y être nommée et depuis que j'y suis. Je crois qu'il est arrivé que certains sénateurs se retrouvent en désaccord avec leur propre caucus et qu'ils prennent une position indépendante. C'est arrivé, mais je ne crois pas que les sénateurs qui se sont rangés du côté du caucus, sénateur Wells, l'ont toujours fait parce que leurs principes étaient en harmonie avec ceux de leur caucus. Je pense qu'il est arrivé que des gens à qui on avait demandé, dit et ordonné de voter d'une certaine façon se plient à une décision non conforme à celle pour laquelle ils auraient voulu voter. Certaines personnes ont résisté à cette pression, et d'autres en ont fait autant à d'autres moments, pour des raisons pouvant être très valables. Je ne dénigre personne. Je ne fais que dire que c'est arrivé. Je suis ouverte aux discussions concernant une base organisationnelle pour le Sénat qui ne soit pas fondée sur une hiérarchie de privilèges, d'autorité, de ressources et de pouvoirs relatifs à un caucus partisan. Je crois que des caucus partisans et d'autres caucus affinitaires devraient continuer d'exister, mais tout est une question d'attribution de pouvoirs et de ressources.
Cela nous amène à parler d'une solution de rechange dont il a été question au fil des ans et, plus récemment, dans le cadre d'un forum public et de votre présentation d'aujourd'hui, sénateur Harder : les regroupements divisionnaires. Lorsque j'en ai entendu parler, ma première réaction a été d'être mal à l'aise, pour toutes les raisons que les gens ont évoquées. Il y a de très bonnes raisons pour lesquelles nous pouvons nous sentir mal à l'aise, et cela ne signifie peut-être pas que c'est la mauvaise solution. Il faut penser attentivement aux freins et aux contrepoids mis en place.
Le sénateur Massicotte a parlé de l'évolution de notre pays par rapport à cette époque, et cela pourrait être pratique comme base organisationnelle en raison du passé; mais comme il l'a mentionné, le pouvoir des provinces et des régions n'est plus le même aujourd'hui. J'ai du mal, car j'ai entendu des gens dire qu'il pourrait y avoir des groupes affinitaires multiples, mais si les ressources suivent le sénateur au lieu du caucus, peut-être que vous n'êtes officiellement membre que d'un seul caucus, mais que vous pouvez aller vers les autres. Cependant, si vous en changez, alors les ressources seront redistribuées.
Nous devons discuter de tout cela et trouver une solution. Cela semble chaotique, mais parfois, il découle de bonnes choses du chaos.
Dans votre document, vous indiquez avoir examiné d'autres possibilités, et celles que vous nous avez présentées sont celles que vous avez retenues. Outre les caucus politiques non partisans et les affiliations fondées sur les divisions, quelles autres possibilités avez-vous étudiées et pourquoi les avez-vous rejetées?
Le sénateur Harder : Eh bien, il y aurait la coexistence avec les caucus partisans, un paradigme de caucus indépendants, des indépendants autodéclarés ou l'indication de son appartenance à un caucus de libre échange ou de vocation sociale...
La sénatrice Cools : Il y a beaucoup de possibilités.
Le sénateur Harder : Le nombre n'importerait pas, tant que les règles exigent un nombre minimal. Comme vous l'avez souligné, un sénateur ne peut faire partie d'un caucus le lundi, d'un autre le mardi et d'un autre encore le jeudi. Il faudrait donc établir des règles et des procédures.
Ce qui m'inquiète, c'est l'absence de proportionnalité naturelle. Cela risquerait de favoriser une approche partisane en matière de gouvernance. Souvenez-vous : je ne parle pas du pouvoir législatif, mais de la gouvernance. Cela ne cadrerait pas avec le souhait qu'a notre institution d'adopter une approche représentative et indépendante quant à l'autonomie gouvernementale.
Nous devrions débattre de ces possibilités. Je propose simplement d'examiner sérieusement ce modèle, en espérant que nous puissions avoir, conformément à notre objectif commun, une égalité des sénateurs, une proportionnalité du système de regroupement, peu importe ce qu'il deviendra, et une certaine mesure d'expérimentation. La beauté de la chose, c'est que nous avons une occasion de remodeler l'institution, compte tenu des circonstances que j'ai évoquées.
Le sénateur Tkachuk : Qui protège la minorité?
Le sénateur Harder : Est-ce une question?
Le sénateur Tkachuk : Qui protège la minorité?
Le sénateur Harder : Je regarde le président.
Le président : Juste un instant. Attendez. Restons calmes. Tout le monde a eu l'occasion de s'exprimer. Maintenant, quelqu'un pose des questions.
La sénatrice Lankin : C'est peut-être parce que je suis indépendante qu'un membre d'un caucus politique peut m'interrompre pendant ma période d'intervention. Je vous promets de ne pas vous faire le coup. Je veux simplement faire remarquer que ce débat sur les diverses possibilités devrait se dérouler de manière organisée, et ce n'est pas en deux heures, autour de cette table, que cela va se passer. Il nous faut beaucoup de temps pour avancer. Comme le comité m'a donné l'occasion de lire le premier rapport, j'observe un progrès, mais très lent. Je pense qu'il nous faut examiner l'éventail de possibilités qui sont présentées.
Je vous demanderais donc, entre la réflexion à laquelle vous vous adonnez hors d'ici et les séances du comité, de trouver un moyen d'orienter la discussion sur ce que ces possibilités pourraient être, y compris le statu quo, et d'informer les gens à propos des divers modèles afin qu'ils les apprivoisent pour que nous puissions, à un moment donné, prendre une décision.
La sénatrice Cools : J'aimerais souhaiter la bienvenue au sénateur Harder à cette séance. J'espère que votre prochaine rencontre ne sera pas aussi difficile que celle-ci.
Le sénateur Harder : Elle le sera davantage.
La sénatrice Cools : Bonne chance, monsieur Harder.
Je m'intéresse à quelques points. Vous avez cité George Brown, dont je suis une grande admiratrice. Cette citation était la suivante : « Ce sont là les seuls termes possibles d'arrangement. »
J'ai une copie de cette citation, car j'ai écrit une lettre d'opinion sur cette question même il y a quelques années, et il me semble que George Brown faisait référence à l'entente intervenue pour autoriser le Québec à avoir un nombre de sénateurs égal à celui de toutes les autres provinces. Il parlait de l'égalité du nombre de membres du Sénat. Voici ce qu'indique le reste de la citation : « Nos amis du Bas-Canada ne nous ont concédé la représentation d'après la population qu'à la condition expresse qu'ils auraient l'égalité dans le conseil législatif. » C'est l'ancienne façon de penser britannique et française. « Ce sont là les seuls termes possibles d'arrangement. » Il ne parle donc pas de n'importe quoi. Les parties prenantes en étaient arrivées à un point où soit elles s'entendaient, soit tout était fini. Vous savez que le Canada risquait d'être attaqué par les États-Unis. Ils ont donc relevé leurs manches, ont repris les négociations et ont conclu une entente. Je pense donc que nous devrions comprendre que c'est là le sens de la citation.
De nos jours, tout le monde emploie le mot « indépendant » pour faire référence à une personne non partisane ou non affiliée à un parti. Du point de vue constitutionnel, cependant, quand on parle de l'indépendance des sénateurs ou des juges, ce n'est pas pour souligner leur neutralité politique, mais toujours pour faire référence à leur indépendance par rapport à l'exécutif ou à la Couronne. Nous parlions autrefois du contrôle de la Couronne. L'indépendance signifie que l'on peut exercer sa liberté de penser sans risquer de se faire éjecter du caucus parce qu'on a tenu des propos qui, soyons bien francs, ont irrité le leader.
Je pense que d'une manière ou d'une autre, nous nous égarons lorsque nous utilisons le mot « indépendant », et je ne sais que faire à ce sujet. Ce qui me préoccupe, toutefois, c'est que le Sénat est actuellement fragmenté et que les sénateurs sont divisés en de nombreux groupes. Je me doute qu'avant longtemps, avant que ce processus — si c'est bien ce dont il s'agit — ne soit achevé, d'autres groupes ou d'autres caucus se formeront, parce que nous nous trouvons actuellement dans les limbes et que nous ne savons pas exactement en quoi consistent les prochaines étapes. Vous savez que je vous appuie entièrement, et comme je l'ai indiqué, je suis née libérale, dans le milieu de la philosophie whig et du libéralisme britannique. Je suis donc très sympathique à votre point de vue. J'aimerais vraiment voir M. Trudeau bien faire et réussir, mais d'un autre côté, je ne peux nous imaginer tout changer. Quand on envisage des changements qui exigeraient la modification de la Constitution, comme celui touchant le Président du Sénat, souvenez-vous que ce dernier, selon la Constitution, ne représente pas les sénateurs, mais bien le roi ou la reine. À la Chambre des communes, le Président représente la Chambre et la population. Nous devons bien comprendre les tenants et les aboutissants de ce dossier.
Je n'imagine pas qu'un gouvernement avisé veuille ouvrir la Constitution et entreprendre de telles modifications dans un proche avenir. J'ai assisté, au cours de ma carrière, à quelques échecs constitutionnels.
Je me demande simplement si nous ne devrions pas nous en tenir à des changements plus plausibles ou plus faisables. Nous avons déjà assisté à la disparition du redouté leader, que ce soit du côté de l'opposition ou du gouvernement. Je pense que les gens abandonnent tranquillement cette pratique, et je doute que nous voyions encore un autre leader dictatorial comme nous en avons vu par le passé. Mon Dieu, je peux vous dire que j'en ai connu qui étaient oppressifs.
Je veux simplement dire que nous devrions fixer des limites à notre imagination et au temps que nous accorderons à cette question. Il m'apparaît clairement qu'il faut penser autrement, et je doute que nous puissions y arriver en disant : « Essayons ceci, cela, ou peut-être ceci. » Nous devons, selon moi, former un groupe de sénateurs pour procéder à un examen approfondi de la question et présenter aux sénateurs, en termes qu'ils peuvent comprendre, les principes fondamentaux qui entrent en jeu, en précisant lesquels peuvent être modifiés et lesquels constituent, à dire vrai, des caractéristiques permanentes et nécessaires pour que nous puissions nous qualifier de Sénat ou de Parlement. J'espère avoir été utile.
Le président : Pourriez-vous répondre brièvement?
Le sénateur Harder : Oui.
La sénatrice Cools : Vous n'avez pas à répondre à tout.
Le sénateur Harder : J'aimerais toutefois répondre à deux points. Il me semble que des changements que nous devrions envisager, aucun ne concerne la Constitution. Vous avez souligné, avec justesse, le problème qui se pose relativement au Président, mais avec de l'imagination et de la créativité, il existe un moyen de le contourner, tout comme on a trouvé un moyen d'instaurer un processus consultatif indépendant pour remplacer la prérogative dont bénéficie le premier ministre de recommander des nominations au Sénat au gouverneur général. Les changements nécessaires que nous envisagerons ne devraient donc pas toucher la Constitution. Le temps ne nous permet pas d'en débattre.
Sachez en outre que je partage votre avis au sujet du mot « indépendant », car je pense que vous avez raison de dire que nous l'utilisons beaucoup. Il faudrait faire la lumière sur ce mot, qui présente bien des facettes. Notre Chambre est indépendante de la Chambre des communes.
La sénatrice Cools : Il s'agit d'une indépendance constitutionnelle, n'est-ce pas?
Le sénateur Harder : Oui.
La sénatrice Cools : Bien, d'accord.
Le sénateur Harder : Il nous faudrait gagner notre indépendance par rapport à l'exécutif. C'est, là aussi, de l'indépendance, une indépendance nous permettant de choisir nous-mêmes notre organisation et notre appellation. S'identifie-t-on à un parti ou non? Je suppose que ceux qui ne le font pas ont fait preuve de manque d'imagination et se décrivent comme indépendants. Je n'y trouve rien à redire et je respecte les sénateurs qui utilisent, au sein d'un groupe, les termes qu'ils préfèrent. Cela ne signifie absolument pas que d'autres n'agissent pas de façon indépendante, comme vous l'avez vous-même souligné. Mais il était aberrant d'utiliser « non affilié » sans consultation, car on définit ainsi un groupe par ce qu'il n'est pas. Voilà qui ne cadre pas avec l'esprit de modernisation et de réforme qui devrait nous animer. Je partage donc votre avis au sujet du mot « indépendance », dont nous devrions éclaircir le sens. Nous devrions nous entendre sur certains principes très précieux.
La sénatrice Cools : L'idée d'utiliser des caucus régionaux comme mécanisme ou comme point de départ pour tout ne fonctionne pas non plus, car les caucus sont des sociétés secrètes, sans existence officielle.
Le sénateur Harder : Parlons de divisions régionales, alors. C'est ce que la Constitution indique.
La sénatrice Cools : Tout le monde parle de caucus régionaux. Il n'est toutefois pas question de divisions régionales dans la Constitution, mais de divisions, tout simplement. Les régions se comptent par centaines.
Le sénateur Eggleton : Vous parlez de caucus régionaux dans votre document.
La sénatrice Cools : Il parle de caucus régionaux, mais les caucus sont des sociétés secrètes conçues pour être ainsi.
Le sénateur Harder : Je l'ignore, puisque je ne fais pas partie d'un caucus.
Le sénateur Cools : C'est quelque chose de sérieux.
[Français]
La sénatrice Tardif : À ce point-ci de la réunion, je ferai plutôt un commentaire, car mes questions ont été posées par d'autres sénateurs et vous y avez répondu, sénateur Harder.
Je dirais simplement que je partage les inquiétudes exprimées par plusieurs de mes collègues concernant les caucus régionaux en tant que principe administratif et organisationnel, ce que vous avez proposé dans votre présentation.
Je conçois difficilement comment ces caucus pourraient fonctionner et comment ils ne pourraient pas être au détriment de l'intérêt national du pays. Plusieurs de mes collègues ont soulevé la question des pouvoirs des provinces et le fait que cela puisse nuire à l'intérêt national. Nous prenons des décisions sur plusieurs questions, et ce, dans l'intérêt national des Canadiens.
Cela dit, je suis tout à fait ouverte à ce que nous tenions d'autres discussions sur le principe des caucus régionaux ou des divisions régionales et, bien sûr, sur bien d'autres modèles qu'il revient à ce comité d'étudier. Quant au concept et au principe d'indépendance et d'équité que vous prônez, je les appuie complètement.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Il me semble que nous devions, parmi les points qui nous occupent, résoudre la question suivante, que je vous exposerai en présentant les deux situations extrêmes. Le Sénat pourrait être composé de 105 membres totalement indépendants, chacun déterminant ce que serait sa position à l'égard d'un projet de loi. À l'autre extrême, tous les membres devraient appartenir à un parti; ce dernier ayant un whip et un leader, c'est le leader qui leur indiquerait comment voter, et voilà tout. M. Chrétien adhérait à cette dernière approche. Je parle de l'époque que vous avez bien connue. M. Chrétien considérait qu'au sein d'un caucus, chaque vote relatif à un projet de loi est une question de confiance; si on fait partie du caucus, on appuie le projet de loi. C'était là sa position.
Je ne partage pas du tout ce point de vue. Ce n'est pas parce que je partage les opinions d'un groupe qui semble pencher pour une orientation idéologique que je suis prêt à cesser de réfléchir et à dire que tout ce qu'il fait est parfait.
La question cruciale, c'est l'indépendance d'esprit. Il faut être indépendant d'esprit et non dire que l'on partage une orientation idéologique avec des personnes aux vues similaires aux siennes et que l'on penche davantage du côté du NPD, moins de celui des conservateurs ou plus du côté des libéraux. Si des gens aux vues similaires se réunissent pour partager des rôles et des responsabilités — car c'est ce que nous faisons —, il faut tenir un débat. C'est l'essence de notre vie ici. S'il y a débat, c'est qu'il y a un avis favorable et une position défavorable. Si nous partagions le même point de vue, la Chambre ajournerait rapidement ses travaux lors de l'examen des projets de loi. Mais si nous débattons d'une mesure, quelqu'un devra s'y opposer et en faire ressortir les faiblesses. C'est plus facile à faire en présence de gens qui partagent une approche commune et qui peuvent échanger leurs réflexions sur un projet de loi pour dire qu'ils y notent trois points ou trois faiblesses. Je pense que c'est dans cette voie que nous devrions nous diriger.
Il me semble que nous devons trouver un moyen terme permettant aux gens partageant des vues similaires d'être considérés comme des groupes ou des caucus sur le plan des questions de politiques, car c'est de ces questions que notre Chambre débat. D'un autre côté, comme je l'ai souligné lors de ma première intervention, nous devons maintenir l'indépendance d'esprit des gens et ne pas soumettre cette indépendance d'esprit à une forme quelconque d'influence ou de manipulation, car sinon, cela détruirait ce que nous avons tenté d'accomplir initialement. Cependant, le fait que des sénateurs aux vues similaires se regroupent et abordent ensemble l'étude de projets de loi pour déterminer s'ils soulèveront à son sujet un, deux ou trois points ne s'oppose pas au principe d'indépendance. Au final, chacun est libre de voter comme il l'entend, et qu'il en soit ainsi.
Je considère qu'il existe un moyen de se réconcilier avec les mauvaises expériences que nous avons connues dans le cadre des systèmes précédents, peu importe l'identité du leader. Je ne blâmerai pas plus M. Chrétien que M. Harper ou un autre chef. Le fait est que les gens aux vues similaires devraient être invités à se regrouper et à étudier les projets de loi ensemble, à prendre position et à s'élancer sur la patinoire pour compter des buts et passer la rondelle. Voilà comment nous pouvons travailler à la Chambre en respectant entièrement l'égalité et toutes nos valeurs. Je ne remets pas cette approche en question; je l'approuve entièrement.
Mais le principal problème, c'est la manière dont nous allons organiser le débat. Voilà pourquoi j'ai rejeté les caucus régionaux. Ce n'est pas en raison de problèmes administratifs. Mais, comme certains l'ont fait remarquer, les gens ne tarderont pas à vouloir rencontrer le caucus régional parce qu'il s'agit d'un groupe de pêcheurs. Les Québécois diront : « Votre groupe doit voter contre l'autre projet de loi relatif à la modification de la loi électorale. » Ce sera un cauchemar.
Croyez-moi, je vis aux prises avec une question nationale depuis 40 ans, et j'ai vu ce que ce serait que de diviser notre Chambre en subdivisions régionales. Cela permettrait au Québec de faire bloc et de toujours voter contre le reste du Canada. Cela serait totalement contraire à la nature du pays, où les tensions régionales sont fortes. Vous avez parlé du NPD. Je pourrais parler du Québec aussi vigoureusement que ce parti. Le Québec a tenu deux référendums pour se séparer du reste du Canada.
Pour en revenir à votre point, il faut déterminer comment nous tiendrons compte du fait que les gens aux vues similaires qui partagent les mêmes approches au chapitre des politiques peuvent disposer d'un moyen pour s'opposer à un projet de loi et l'étudier.
Le sénateur Harder : Sénateur, je conviens parfaitement avec vous que nous devons être une Chambre différente. Je pense tout simplement que cette différence ne devrait pas être définie de façon partisane par une autre Chambre, comme c'est le cas aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk : Selon la loi électorale, on peut être communiste...
Le sénateur Harder : Ce que je veux dire, c'est qu'il faut absolument protéger la garantie qu'il y aura un débat entre les divers points de vue. Je propose que la structure organisationnelle permettant cette contestation soit distincte de la manière dont nous nous organisons nous-mêmes.
Le président : Il faudra continuer d'en débattre. Je souhaiterais donc formuler une observation, si vous le voulez bien. Le comité a, bien franchement, accompli énormément en trois mois et demi, de mars au milieu de juin. Mardi prochain, nous présenterons au Sénat 21 recommandations, en espérant qu'un grand nombre d'entre elles permettront de résoudre les problèmes soulevés ici aujourd'hui. Ces recommandations seront présentées au Sénat et débattues. Vous pouvez vous féliciter.
À titre de président, j'aime entendre les discussions et les débats. C'est épuisant, mais il faut tenir une discussion ouverte et franche. À ce propos, sénateur Harder, nous vous remercions d'avoir comparu. La discussion a été vive et a donné lieu à d'excellentes réflexions de votre part et de celle d'un grand nombre de membres du comité. Ces échanges nous ont été fort utiles.
(La séance est levée.)