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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Modernisation du Sénat

Fascicule n° 11 - Témoignages du 5 avril 2017


OTTAWA, le mercredi 5 avril 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 12 h 1, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Thomas J. McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat.

Pour cette étape de ses travaux, le comité examine le rôle du Sénat dans la gouvernance démocratique canadienne et sa relation avec la Chambre des communes, en particulier la façon dont il peut jouer un rôle complémentaire à celui de la Chambre des communes, sans toutefois entraîner un dédoublement ni lui permettre de la dominer.

Dans son étude de ces enjeux, le comité souhaite obtenir le point de vue de spécialistes de la Chambre des lords et de sa relation avec la Chambre des communes du Royaume-Uni. Nous portons un intérêt particulier aux pratiques, aux règles et aux attentes qui sous-tendent cette relation.

Aujourd'hui, nous avons l'honneur d'accueillir, à titre de témoin, le très honorable lord Wakeham. Il s'est joint à la Chambre des lords en avril 1992. De 1974 à 1992, il a été député à la Chambre des communes du Royaume-Uni. Lord Wakeham a présidé la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords, qui a publié, en janvier 2000, un rapport intitulé A House for the Future.

Ce rapport, aussi connu sous le nom de rapport Wakeham, a présenté différentes recommandations sur la réforme de la Chambre des lords, y compris la création de la Commission des nominations à la Chambre des lords. Il a aussi mis en lumière un certain rôle joué par la Chambre des lords dans la gouvernance parlementaire britannique et il a abordé la question de la relation entre une assemblée non élue et la Chambre des communes.

Lord Norton de Louth s'est joint à la Chambre des lords en août 1998. Spécialiste du Parlement britannique, il a écrit plusieurs livres et articles, dont Parliament in British Politics. Lord Norton est aussi professeur à l'École de politique, de philosophie et d'études internationales de l'Université de Hull, où il donne des cours sur le gouvernement, et il détient un doctorat de l'Université de Sheffield.

Il fait actuellement partie du Comité de la constitution de la Chambre des lords et il traite d'affaires constitutionnelles sur son site web personnel, « The Norton View ».

La professeure Meg Russell est directrice de la Division constitutionnelle du University College London. Elle a déjà comparu devant le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, en avril dernier. Elle avait alors parlé du rôle des membres indépendants de la Chambre des lords.

Mme Russell est une spécialiste de renommée internationale dans les questions touchant la Chambre des lords, les chambres hautes des parlements bicaméraux, et le bicaméralisme comparatif de manière générale. Elle a beaucoup écrit sur la conception et la réforme des chambres hautes, notamment A Stronger Second Chamber? Assessing the Impact of House of Lords Reform in 1999 and the Lessons for Bicameralism.

Nos trois témoins comparaissent par téléconférence; je crois savoir qu'il n'y a aucun problème de son.

Je ne sais pas si nos témoins ont préparé un exposé. Qui aimerait commencer?

Le très honorable lord Wakeham DL, Chambre des lords : Je peux commencer, si vous le voulez bien.

Premièrement, nous sommes heureux de comparaître pour discuter avec vous. Nous espérons que nos observations sur la Chambre des lords et la Chambre des communes du Royaume-Uni vous seront utiles.

J'ai été nommé membre à vie de la Chambre des lords il y a environ 25 ans. Dès mon arrivée, j'ai été nommé leader de la Chambre des lords qui, à l'époque, était largement composée de pairs héréditaires. La situation a changé depuis; on compte actuellement environ 100 pairs héréditaires parmi les quelque 850 membres de la Chambre des lords.

Cela a modifié le fonctionnement, mais pas autant que beaucoup de gens le croyaient, à mon avis. À titre d'exemple, il est généralement reconnu qu'aucun gouvernement ne devrait avoir une majorité à la Chambre des lords. Je crois que tous les prochains gouvernements seront minoritaires à la Chambre des lords, ce qui aura évidemment une incidence sur les mesures qu'elle pourra adopter.

Je crois aussi qu'il est peu probable qu'un gouvernement cède ce qu'on appelle un droit de prérogative, soit le droit de demander au souverain de nommer des pairs à vie à la Chambre des lords, mais je pense qu'il est maintenant possible qu'on accepte de limiter ce droit, pourvu qu'on ait la certitude que les conventions sur lesquelles le fonctionnement de la Chambre repose seront maintenues à l'avenir.

Quant à la Chambre des lords, elle était et demeure une Chambre de second examen d'une grande efficacité. Je serais porté à dire qu'elle examine les mesures législatives de façon plus détaillée que la Chambre des communes. Elle mène des études beaucoup plus approfondies et elle est, à certains égards, bien plus efficace que la Chambre des communes pour l'examen d'aspects précis. De nombreux amendements proposés aux projets de loi, à l'étape de la Chambre des lords, sont ensuite acceptés par le gouvernement, car celui-ci a la certitude que ces amendements améliorent les projets de loi.

Les amendements qui sont rejetés à la Chambre des lords — ceux pour lesquels l'opposition l'a emporté — sont renvoyés à la Chambre des communes aux fins d'un nouvel examen. Cela dit, il est plus probable que la Chambre des lords accepte un amendement lorsque la Chambre des communes l'en saisit une seconde fois.

Selon moi, on semble de plus en plus croire — tant à la Chambre des communes qu'à la Chambre des lords — qu'une relation fonctionnelle passe par la reconnaissance de la préséance de la chambre élue sur la chambre nommée. Auparavant, la Chambre des lords comptait dans ses rangs tous les anciens grands dirigeants du pays, ou presque. Ils étaient membres de la Chambre des lords.

Leur nombre a chuté considérablement. En fait, la Chambre des lords ne compte actuellement aucun ancien premier ministre parmi ses membres. C'est une première, de mon vivant. La dernière personne était Mme Thatcher. Depuis, aucun ancien premier ministre n'a été nommé à la Chambre des lords, même s'ils auraient pu y être nommés s'ils l'avaient voulu, évidemment.

Je ne sais pas exactement pourquoi il en est ainsi. Certains affirment que c'est parce qu'ils ne souhaitent pas divulguer leurs revenus, qui sont plutôt élevés. Ils préfèrent donc poursuivre leurs activités plutôt qu'être membres de la Chambre des lords.

Cela ne signifie pas pour autant que la Chambre des lords n'a pas son lot de problèmes. À mon avis, tous considèrent que la Chambre des lords compte trop de membres. C'est probablement plus une question de perception qu'un problème réel, mais cela demeure problématique. Nous examinons actuellement des façons d'en réduire la taille, mais toute solution à cet égard prendra du temps. Je pense que nous trouverons une solution; du moins, c'est à espérer.

Lord Norton de Louth, Chambre des lords : J'aimerais faire valoir que la relation entre les deus Chambres est essentiellement fondée sur la reconnaissance de la préséance de la Chambre des communes sur la Chambre des lords, qui découle du fait que ses membres sont élus, ce qui n'est pas le cas de la Chambre des lords. Par conséquent, la Chambre des lords cherche à exercer un rôle qui ne gênera pas celui de la Chambre des communes, et considère qu'elle est d'un apport précieux au processus politique en exerçant des fonctions complémentaires à celles de la chambre élue.

Nous ne souhaitons pas être en conflit avec la Chambre des communes ni dédoubler ses fonctions. Essentiellement, les lords assurent des fonctions pour lesquels la Chambre des communes n'a peut-être pas la volonté politique, le temps ou les ressources nécessaires.

De façon générale, on considère qu'elle s'acquitte bien des fonctions qui lui sont propres. Dans notre pays, les discussions sur la réforme de la Chambre des lords ne sont pas axées sur ses fonctions, mais plutôt sur sa composition. Les tentatives de réforme de la composition de la Chambre des lords sont fondées sur le principe selon lequel elle fait un bon travail, qu'elle a des fonctions adéquates, pour une Chambre de second examen, et qu'elle devrait les conserver.

Comme lord Wakeham l'a indiqué, l'examen législatif est au cœur de ces fonctions. Essentiellement, la chambre accepte les fins établies par la Chambre des communes, ce qui signifie, en principe, que nous ne nous prononçons pas, habituellement, sur les projets de loi émanant du gouvernement en deuxième lecture. Nous nous concentrons sur les détails; donc, nous examinons de façon exhaustive tous les projets de loi dont nous sommes saisis.

En général, comme lord Wakeham l'a indiqué, on considère que nous procédons à des examens rigoureux et que nous parvenons à modifier des aspects précis des projets de loi avec plus d'efficacité que la Chambre des communes. On parle de modifications qui conviennent généralement à la Chambre des lords, au gouvernement et, par conséquent, à la Chambre des communes. Au cours de chaque session parlementaire, la Chambre des lords adopte de nombreux amendements — allant de quelques centaines à quelques milliers — aux projets de loi émanant du gouvernement.

L'efficacité de la Chambre des lords dans l'exercice de ses fonctions est attribuable à sa composition et à ses procédures. La composition est un aspect important, tant collectivement qu'individuellement. Sur le plan collectif, cela découle du fait qu'aucun parti n'a une majorité absolue à la Chambre haute, comme lord Wakeham l'a indiqué. Le gouvernement doit donc tenir compte du rôle de la Chambre pour promouvoir son programme, ce qui a une incidence sur la relation entre la Chambre et le pouvoir exécutif, relation qui est très différente de celle qui existe avec la Chambre des communes.

Je dirais que le rôle de la Chambre des communes est caractérisé par l'affirmation, tandis que celui de la Chambre des lords est plutôt axé sur la justification. Les ministres ont un devoir de persuasion; ils doivent justifier les mesures qu'ils proposent. Ils doivent communiquer, et ils doivent se garder d'être trop antagonistes. Si la composition est importante sur le plan collectif, elle l'est tout autant sur le plan individuel, soit chacun des membres nommés qui la composent. La Chambre des lords est en effet une Chambre d'expérience et d'expertise.

Les membres qui y sont nommés, comme lord Wakeham, sont des gens qui ont une vaste expérience au sein du gouvernement. D'autres sont des gens issus des domaines des arts ou des sciences ou de la fonction publique. D'autres sont d'anciens secrétaires d'État ou d'anciens chefs d'état-major de la Défense au sein des forces armées. D'autres encore ont été nommés parce que ce sont des spécialistes de leurs domaines respectifs. On parle de gens hautement qualifiés qui ont atteint les plus hauts échelons de leur domaine, comme le droit, la médecine, et cetera. Plusieurs membres sont des professeurs, comme moi. Cela permet à la Chambre des lords d'adopter un point de vue différent de celui de la Chambre des communes, et cette optique différente ajoute de la valeur.

L'autre aspect est celui des procédures, qui ne sont pas les mêmes dans les deus Chambres. Tous les amendements dont nous sommes saisis font l'objet d'un débat. À la Chambre des communes, le Président choisit les amendements qui feront l'objet d'un débat, tandis que nous débattons de chacun d'entre eux. En outre, contrairement à la Chambre des communes, nous n'avons pas de motions sur l'échéancier, de sorte que la durée des débats n'est pas limitée. Nous débattons des amendements tant que c'est nécessaire.

À cela s'ajoutent diverses règles de procédure supplémentaires qui nous sont fort utiles. Donc, nous avons les moyens nécessaires et des gens qui peuvent les utiliser à bon escient pour s'acquitter de ces fonctions qui, comme je l'ai indiqué, sont complémentaires au rôle de la Chambre des communes.

Le seul autre point que j'aimerais faire valoir concernant l'examen approfondi des mesures législatives c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'un examen détaillé des mesures législatives principales, c'est-à-dire les projets de loi dont nous sommes saisis. Nous examinons aussi les mesures législatives subordonnées, qui sont fort nombreuses. Contrairement à la Chambre des communes, la Chambre des lords a des comités chargés d'examiner ces mesures. Le rôle d'examen des mesures législatives principales et subordonnées de la Chambre des lords renforce le rôle du Parlement.

Meg Russell, directrice, Division de la constitution, Département de sciences politiques, University College London, à titre personnel : Je suis heureuse de comparaître de nouveau au comité pour ce qui semble être une visite annuelle. Je vous remercie de m'avoir invitée. Je suis enchantée de faire partie d'un groupe d'experts des plus distingués, en compagnie d'éminents membres de la Chambre des lords.

Votre question portait sur la relation entre les deus Chambres. Je suis surprise que Philip Norton n'ait pas abordé le sujet de façon plus approfondie. Je suis certaine qu'il aura l'occasion de parler de façon plus détaillée des conventions qui régissent la relation entre les deus Chambres.

Il existe des conventions bien connues, particulièrement en ce qui concerne les mesures législatives, comme la Convention Salisbury-Addison, qui précise que la Chambre des lords ne doit pas bloquer les politiques émanant du gouvernement, mais au quotidien, la réserve de la Chambre des lords à l'égard des mesures législatives va beaucoup plus loin. Habituellement, comme Philip l'a indiqué, la Chambre des lords ne bloque pas des projets de loi entiers en deuxième ou en troisième lecture. En fait, elle met rarement ces mesures législatives aux voix, et elle se concentre plutôt sur les détails.

Une autre convention — plus contestée — permet à la Chambre des lords de bloquer ou d'opposer son veto aux mesures législatives subordonnées, ce qu'elle fait à l'occasion, mais que l'on considère comme opportun seulement dans des circonstances exceptionnelles. Cette question a suscité un vif débat au Royaume-Uni ces deux ou trois dernières années.

Essentiellement, la relation entre les deus Chambres, et les différences entre les deus Chambres, sont régies par une convention. Cette convention porte sur des aspects importants qui passent souvent inaperçus, comme le fait qu'on ait longtemps considéré que le premier ministre devait normalement être issu de la Chambre des communes, comme les ministres, d'ailleurs. Toutes ces choses dépendent purement de conventions. La Chambre des lords a de nombreuses contraintes, et on semble convaincu que la Chambre des communes est la chambre principale.

Il convient de souligner certaines particularités de cette relation. D'abord, pourquoi en est-il ainsi? La réponse évidente, c'est que la Chambre des communes est élue, et que la Chambre des lords ne l'est pas. Il convient de garder à l'esprit certains facteurs historiques et importants. Dans le passé, comme John Wakeham l'a indiqué, jusqu'en 1958, la Chambre des lords était presque entièrement formée de membres héréditaires. En outre, jusqu'en 1999, la majorité de ses membres étaient des membres héréditaires. Cela a évidemment soulevé des questions de légitimité, comparativement à la Chambre des communes.

Fait important, elle était également dominée par le Parti conservateur, jusqu'à ce qu'une réforme, en 1999, entraîne le retrait de la majorité des pairs héréditaires. Cette situation représentait une menace particulière pour les gouvernements de gauche, soit les gouvernements libéraux et travaillistes. La réserve exercée par la Chambre des lords tout au long du XXe siècle était essentiellement attribuable à la majorité des membres conservateurs, étant donné qu'il était jugé inconvenant, lorsqu'un gouvernement libéral ou travailliste était au pouvoir, qu'elle intervienne ou qu'elle s'oppose à des mesures législatives.

En fait, les pairs de la Chambre des lords se montraient parfois plus actifs et plus virulents à l'égard des gouvernements conservateurs, en raison de dissensions internes au sein du Parti conservateur, mais ils devaient faire preuve d'une plus grande réserve à l'égard des gouvernements de gauche. Actuellement, évidemment, comme on l'a mentionné, la représentation des partis politiques à la Chambre est beaucoup plus équilibrée.

En ce qui concerne les conventions et leur importance dans notre régime politique, je tiens à préciser que nos conventions régissant la relation entre les deus Chambres ont été élaborées sur une très longue période. Les règles principales ne sont pas de nature juridique, mais politique. Ce sont des jugements politiques. Tous — la population, les politiciens, les journalistes et les universitaires — en viennent à acquérir une compréhension de ce qui constitue une relation adéquate entre les deus Chambres.

Pour ce qui est des limites d'une conduite acceptable à la Chambre haute, les gens ne comprennent peut-être pas tout à fait pourquoi ils suivent ces principes, mais ceux-ci sont assez fermes et difficiles à changer. Les modifications qui ont été apportées en 1999 n'ont pas changé fondamentalement la relation entre les deus Chambres.

De par leur nature, les conventions sont fragiles et peuvent évoluer au fil du temps. Elles peuvent disparaître graduellement et pourraient même s'effondrer complètement à la dernière minute, contrairement aux contraintes juridiques.

J'insiste sur le fait que la relation entre les deus Chambres est subtile à d'autres égards. Il est important de ne pas simplifier le système en considérant les deus Chambres comme des blocs : la Chambre des communes par opposition à la Chambre des lords, ou la Chambre des lords par rapport au gouvernement. Ce sont deux organisations fort complexes qui sont toutes les deux constituées des mêmes partis politiques. Il existe des liens entre ces partis et ces Chambres.

Comme on l'a déjà dit, la culture qui règne au sein des deus Chambres est tout à fait différente. À la Chambre des communes, la rhétorique est hautement politique, tandis que c'est beaucoup moins vrai à la Chambre des lords. Un des éléments fondamentaux qui caractérise les délibérations à la Chambre des lords, c'est que les ministres doivent expliquer rationnellement pourquoi ils font ce qu'ils proposent, plutôt que de simplement invoquer l'appartenance à un parti. À cet égard, la présence de nombreux indépendants est particulièrement importante afin d'équilibrer les pouvoirs de la Chambre des lords et d'écouter très attentivement les arguments rationnels.

Quant à la relation entre les deus Chambres, les ministres doivent toujours conserver l'appui de leur propre parti, surtout à la Chambre des communes. Si la Chambre des lords s'oppose à une mesure du gouvernement, tout ce qu'elle peut vraiment faire, au bout du compte, c'est de renvoyer la question à la Chambre des communes pour qu'elle l'examine de nouveau. Elle demande essentiellement à la Chambre des communes si elle est bien certaine de vouloir procéder ainsi.

Cette procédure vise principalement les députés d'arrière-ban de la Chambre des communes, qui prendront la décision. Le gouvernement cédera aux demandes de la Chambre des lords si ses propres députés d'arrière-ban sont mécontents. Mais lorsqu'il reçoit l'appui de ces députés, il maintient normalement une position ferme et arrive à ses fins.

Ce n'est pas la pression de la Chambre des lords elle-même qui oblige le gouvernement à changer d'avis, mais plutôt la pression interne du parti et celle exercée par la population et les médias.

Relativement peu de politiques sont renversées à la suite d'une opposition manifeste de la Chambre des lords, mais cela ne signifie pas que cette instance est faible et n'est pas écoutée. En fait, les ministres réfléchissent longuement à la façon dont la Chambre des lords recevra leurs propositions. Dans le cas par exemple de mesures législatives subordonnées, il arrive que des ordonnances soient retirées avant le vote pour éviter tout rejet. C'est fort intéressant, car cela confirme que les ministres doivent travailler d'arrache-pied pour respecter la convention selon laquelle ces ordonnances ne doivent pas être rejetées par la Chambre des lords. Il ne revient donc pas qu'à la Chambre des lords d'appliquer ces conventions.

Je voudrais souligner que l'histoire de nos conventions est très longue et fort complexe. Il est important de rappeler que les comportements acceptables en politique varient énormément entre les cultures des différents systèmes politiques dans le monde. En politique comparée, il est généralement admis que ce qui fonctionne dans un pays ne peut pas nécessairement être repris ailleurs. Je pense que c'est probablement encore plus vrai dans le cas des conventions que pour toute autre chose.

Lord Wakeham : Je pourrais ajouter une chose à ce qui a été dit, étant donné que c'est fort intéressant. La Convention de Salisbury, selon laquelle la Chambre des lords ne s'opposera pas, en deuxième lecture, à un projet de loi qui a été adopté à la Chambre des communes, a vu le jour après la guerre, à une époque où les conservateurs étaient très fortement majoritaires à la Chambre des lords. Le chef du Parti conservateur à la Chambre des lords a compris que si la Chambre haute n'agissait pas avec retenue, sa pérennité serait sérieusement compromise. Cette convention a donc été introduite afin de contrôler ses propres gens d'arrière-ban. Ce n'était pas l'initiative du gouvernement, mais plutôt de l'opposition, qui a décidé d'être raisonnable.

Vous pouvez également le constater de la façon dont la Chambre des lords s'est comportée au fil des ans. Nous avons dû faire preuve de retenue étant donné que nous ne sommes pas élus, surtout à l'époque où le titre était essentiellement héréditaire. Autrement, l'institution n'aurait pas été justifiable. La retenue a donc toujours fait partie de la procédure à la Chambre des lords.

Le président : C'est intéressant. Merci beaucoup. La liste des intervenants est de plus en plus longue. Nous allons donc commencer par notre vice-président.

Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Je vais d'abord m'adresser à lord Wakeham. Lorsque vous avez publié votre rapport en 2000, j'ai eu la chance de vous rencontrer au Haut-commissariat du Canada à Londres, où le commissaire de l'époque vous avait invité à expliquer l'incidence du document.

Ma première question s'adresse à vous, mais j'aimerais dire à M. Norton que nous avons tous les deux l'honneur d'être des anciens étudiants de l'Université de Sheffield, d'où j'ai reçu mon diplôme presque la même année que vous, ce qui vous donne une idée de mon âge.

Mme Russell a été une participante très assidue au séminaire de la Division de la constitution du University College de Londres. Comme vous l'avez dit, vous êtes une habituée. Je pense que vous pourriez probablement devenir l'experte en résidence du Sénat canadien dans le cadre de notre étude sur la modernisation.

Ma première question s'adresse à lord Wakeham. J'aimerais citer un passage du chapitre 8 de votre rapport, qui s'intitule Holding the Government to Account :

Lorsque la Chambre haute sera réformée, nous voulons qu'elle améliore la capacité générale du Parlement à tenir le gouvernement responsable. Elle devra y arriver en misant sur ses forces afin de conclure des ententes qui compléteront et renforceront celles de la Chambre des communes.

Ma première question est donc la suivante : quel est le rôle des différents partis politiques qui sont représentés à la Chambre des lords? Quel est plus précisément le rôle du parti de l'opposition, c'est-à-dire du parti qui fait face à celui qui détient peut-être la majorité ministérielle à la Chambre des communes? Avez-vous constaté une évolution du rôle des partis à la Chambre des lords au fil des ans?

J'invite évidemment tous les témoins à commenter mes questions.

Lord Wakeham : Je suis ravi que vous vous souveniez de mon rapport et de notre rencontre après toutes ces années. Tout le monde avait accueilli le rapport avec beaucoup d'enthousiasme, mais personne n'y a donné suite. C'est d'ailleurs une des difficultés qui entourent la réforme de la Chambre des lords. Nous en discutons énormément, mais quand vient le temps d'agir, les gouvernements ne sont pas très enthousiastes à l'idée de légiférer étant donné que le sujet est très souvent controversé et que les décideurs ont de nombreux autres dossiers à l'ordre du jour.

En ce qui concerne le rôle de la Chambre des lords, j'ai pensé que nous pourrions le bonifier. Je pense toutefois qu'il a déjà été renforcé étant donné que la Chambre haute compte désormais un plus grand nombre de spécialistes. Les révisions effectuées à la Chambre des lords sont très pointues, mais elles nécessitent certaines balises.

Autrement dit, rien ne sert de reprendre les batailles qui ont été remportées à la Chambre des communes.

La Chambre des lords fonctionne bien lorsque ses membres acceptent que le gouvernement en place soit majoritaire à la Chambre des communes. Les députés ministériels ont été dûment élus et ont le droit d'imposer la majeure partie de leur programme. Pour notre part, nous faisons de notre mieux afin d'améliorer leur travail, ce qui fonctionne plutôt bien pour autant que nous fassions preuve de retenue.

Il ne faut pas oublier que le gouvernement actuel est minoritaire à la Chambre des lords, mais s'il y avait un changement de gouvernement et que le Parti travailliste parvenait au pouvoir, ce serait exactement la même chose. À la Chambre des lords, le Parti travailliste décide actuellement à quel moment il souhaite passer au vote et gagner. Quant à nous, nous ne pouvons pas remporter les votes. Si ce parti souhaite passer au vote, il va nous vaincre.

Ces membres s'assurent eux-mêmes de faire preuve de retenue. Ils ne veulent pas nous battre trop souvent, car cela rappelle à tout le monde qu'ils n'ont pas été élus. Lorsque des enjeux leur tiennent vraiment à cœur, les membres apportent des modifications aux mesures législatives, puis les renvoient à la Chambre des communes. Par la suite, la Chambre des communes rouvre le débat, puis renvoie le tout à la Chambre des lords, qui adopte généralement les projets de loi la deuxième fois.

La Chambre des lords fait du bon travail, mais elle n'a pas évolué autant que je l'aurais souhaité lorsque j'ai soumis ma proposition il y a une vingtaine d'années.

Lord Norton : J'ajouterais également que le fait de tenir le gouvernement responsable témoigne aussi d'une fonction autre que l'examen législatif, étant donné que la Chambre des lords remet alors en question les actions et les politiques du gouvernement.

La Chambre des lords a les procédures et les membres pour y arriver. Les membres peuvent s'interposer lors de la période des questions et des débats qu'ils lancent, de même qu'au sein des commissions parlementaires. Nous employons les commissions de la même façon que la Chambre des communes, mais nous ne voulons pas reproduire le travail des commissions parlementaires ministérielles, de sorte que nous formons des commissions intersectorielles pour les questions telles que la Constitution.

Nous pouvons interroger le gouvernement et lui soutirer le raisonnement qui motive tout ce qu'il fait. Les mécanismes et les procédures en place facilitent cette tâche tant à la chambre qu'au sein des commissions, de plus en plus souvent. Les rapports de commissions sont généralement considérés comme étant assez sérieux et fondés sur des données probantes, et ils donnent vraiment le ton au débat. Ils ne nécessitent pas forcément de votes à la chambre. L'objectif est plutôt d'informer le gouvernement et de façonner l'ensemble des convictions politiques de la Chambre des communes.

Comme je l'ai dit, j'ai pu constater que ces renseignements ont une grande influence à la chambre et même plus loin, y compris au sein de l'Union européenne, où l'on considère généralement que la commission sur l'Union européenne arrive très bien à examiner soigneusement les propositions.

Mme Russell : Si vous me le permettez, j'aimerais apporter une petite précision aux propos de lord Wakeham sur le fait que le gouvernement détient la majorité à la Chambre des communes, et qu'il a par conséquent le droit de faire adopter son programme.

Je dirais que c'est vrai, pour autant qu'il conserve sa majorité à la Chambre des communes.

Tout à fait.

Mme Russell : Pour vous mettre en contexte — et Philip Norton a été le premier chroniqueur à ce sujet —, il est important de souligner que les députés ministériels à la Chambre des communes sont devenus, au fil des décennies, de plus en plus indépendants et prêts à remettre en question leurs dirigeants, notamment parce qu'ils sont mieux éduqués et en raison du caractère évolutif du milieu politique dans son ensemble.

Je dirais qu'une des fonctions déterminantes de l'opposition à la Chambre des lords — quoique d'autres membres le font aussi, y compris les indépendants — consiste à déceler les dissensions au sein du parti ministériel et les points faibles du gouvernement chez ses propres partisans, surtout à la Chambre des communes. Les membres de l'opposition surveilleront ces occasions et les saisiront, s'ils le peuvent, afin de renvoyer les projets de loi à la Chambre des communes pour vérifier si les députés d'arrière-ban du gouvernement appuient vraiment les ministres.

Dans le cas contraire, tout s'écroule, et les politiques sont modifiées.

Lord Norton : En réponse à votre question, l'autre rôle de l'opposition que nous devrions mentionner, c'est qu'elle réalise un examen structuré, comme c'est le cas à la Chambre des communes. Il y a toujours un membre de l'opposition de premier rang qui pose des questions et veille à ce que les projets de loi soient examinés soigneusement. Ce travail est ensuite complété par d'autres partis et d'autres membres de la chambre, mais le rôle de l'opposition consiste à poser régulièrement des questions structurées au gouvernement. Il s'agit là d'une caractéristique de la Chambre des communes, et même d'une caractéristique notable propre aux parlements inspirés du modèle de Westminster.

Le sénateur Joyal : Je pense que beaucoup de mes collègues ont d'autres questions à poser, de sorte que je vais leur céder la parole.

S'il reste du temps à la fin, j'aimerais reprendre la parole, monsieur le président.

La sénatrice McCoy : Je vous remercie tous de prendre le temps de nous parler, et je salue encore Mme Russell.

Je suis assez impressionnée que la Chambre haute soit un organe de révision. Je pense que les gens souhaitent de plus en plus que ce rôle soit renforcé au Canada.

J'ai quelques questions à ce sujet, d'autant plus que j'ai compté il y a environ un an le nombre d'amendements que la Chambre des lords a adoptés. Si ma mémoire est bonne, quelque 857 amendements avaient été adoptés.

Au Canada, 57 ou 58 amendements à des projets de loi ont été adoptés depuis 1985 ou au cours des 35 dernières années.

Lord Wakeham : Puis-je faire un commentaire là-dessus? C'est peut-être parce que nos projets de loi ne sont pas rédigés aussi bien d'emblée qu'ils ne le devraient.

La Chambre des lords arrive très bien à relever les erreurs, les incohérences ou les choses qui ne fonctionneront tout simplement pas comme il se doit. Bon nombre de nos amendements n'ont rien de politique. Ils visent à rendre nos lois plus efficaces que si elles ne sont pas rédigées correctement. C'est vrai pour bon nombre de nos lois.

Aussi, la Chambre des lords aura des problèmes si elle commence à s'opposer complètement aux projets de loi en disant qu'elle ne les aime pas du tout. Elle pourrait alors avoir des problèmes avec la Chambre des communes. Habituellement, elle choisit de composer avec les mesures prises par le gouvernement, qui a la majorité nécessaire pour agir ainsi. Elle essaie plutôt de voir si elle peut améliorer le texte et en améliorer l'efficacité.

Lord Norton : Il convient aussi de mentionner que la plupart des amendements adoptés à la chambre ont en fait été soumis par le gouvernement.

Ils ne viennent pas du gouvernement. Ce sont plutôt les ministres qui donnent suite à des modifications proposées plus tôt par des députés. Les ministres tiennent compte du point soulevé, puis demandent au conseiller parlementaire de rédiger un amendement convenable afin de rectifier le tir. C'est pourquoi les propositions sont généralement acceptables lorsqu'elles sont soumises à la chambre.

Les recherches de Meg Russell sur certains projets de loi ont montré qu'environ 55 p. 100 des amendements faisaient suite aux étapes précédentes du projet de loi, et parfois même de la Chambre des communes.

Mme Russell : C'est vrai, et cela correspond à ma remarque précédente sur la relation entre les deus Chambres. Il est vrai que la vaste majorité des amendements adoptés proviennent du gouvernement, mais ils répondent généralement à des points soulevés par d'autres parlementaires.

Ces discussions prennent généralement naissance à la Chambre des communes, mais les amendements ne sont pas adoptés par cette chambre. Lorsque le projet de loi aboutit à la Chambre des lords, si les membres soulèvent le même genre d'arguments qui ont été présentés devant l'autre chambre et que le gouvernement se rend compte du faible appui politique qu'il reçoit, il proposera ses propres amendements afin de rectifier le tir.

Les deus Chambres sont liées beaucoup plus étroitement que les gens ne le réalisent souvent.

La sénatrice McCoy : Est-ce que la procédure suit son cours à la Chambre des lords ou au sein de commissions? Comment procédez-vous?

Lord Norton : Normalement, les étapes de la commission et du rapport viennent après la deuxième lecture. Ces étapes sont parfois portées à l'attention de la commission plénière, et de plus en plus souvent de la grande commission. N'importe quel pair peut assister à la grande commission, de sorte que celle-ci est un peu comme une Chambre parallèle.

C'est la commission qui s'occupe de la majeure partie du travail, de l'examen poussé et des délibérations. Un participant peut parler d'un amendement aussi souvent qu'il le souhaite. Le rapport est ensuite soumis à la chambre. Cette étape est plus officielle, et c'est à ce moment que le gouvernement soumet généralement des amendements pour répondre aux préoccupations.

Nous passons habituellement quelques jours en comité. Nous pouvons prendre deux jours pour le rapport. La différence, c'est que nous pouvons apporter des modifications à l'étape de la troisième lecture, alors que ce n'est pas possible à la Chambre des communes. Les règles sont assez restreintes quant aux modifications possibles à cette étape, mais il y a tout de même une dernière possibilité de régler les problèmes qui n'ont pas été réglés à l'étape des comités.

La majeure partie du travail — les délibérations — se fait à l'étape des comités. Vient ensuite l'étape du rapport, au cours de laquelle on accepte les modifications, puis l'étape de la troisième lecture pour régler quelques questions.

La sénatrice McCoy : J'aimerais vous poser une dernière question, si vous me le permettez, sur l'effet de la surveillance accrue, sur l'efficacité de vos débats et sur la proposition de modifications en vue d'améliorer les lois.

J'aimerais savoir combien de temps passe le projet de loi à la Chambre des lords. Vous ne pourrez peut-être pas me répondre tout de suite. Combien de temps faut-il habituellement pour qu'un projet de loi passe de la première à la troisième lecture?

Lord Wakeham : Je vais tenter de répondre à cette question. En règle générale, la décision est prise à la suite de négociations. Les projets de loi volumineux et complexes peuvent passer jusqu'à 10 jours à l'étape des comités; d'autres peuvent prendre une ou deux journées. Nous tentons de négocier avec les partis afin de déterminer ce qui est raisonnable.

J'aimerais dire une autre chose au sujet de notre processus. Il y a relativement peu de votes à l'étape des comités. Lorsque j'étais président de la chambre, je recommandais à mes ministres d'éviter de tenir des votes à l'étape des comités. Ainsi, ils pouvaient faire part de leur désaccord avec certaines questions, y réfléchir et tenter de trouver une solution. On tenait ensuite les votes à l'étape du rapport. Le gouvernement décidait si c'était raisonnable ou non.

Nous faisons de notre mieux pour ne pas être trop hostiles à l'égard des amendements à l'étape des comités. Nous voulons étudier les questions avec soin et réfléchir. Cela aide à créer le bon environnement.

Les partis négocient le temps consacré à chaque étape.

Mme Russell : J'ajouterais — et je suis certaine que lord Wakeham pourra confirmer ce que je dis, puisqu'il a passé beaucoup de temps aux paliers supérieurs du gouvernement — que ce ne sont pas que des promesses faites à la chambre. Lorsque les ministres disent qu'ils vont étudier la question, ils s'engagent par exemple à écrire aux membres afin de les rencontrer entre les étapes des comités et du rapport.

J'ai documenté tout cela. Je viens de terminer l'écriture d'un livre sur le processus législatif de Westminster, qui sera publié cet été. Une grande partie du processus législatif n'apparaît pas au compte rendu public de la chambre. C'est une énorme partie. C'est probablement la même chose au Canada. On parle d'une multitude de réunions privées à la Chambre des lords, entre les ministres et les députés d'arrière-ban d'un même parti, entre les membres d'autres partis et entre les fonctionnaires et les membres de tous les partis, dans le but d'arriver à une entente. C'est lorsqu'on ne peut s'entendre que le gouvernement doit faire des concessions.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence ici cet après-midi, ou ce soir pour vous.

Nous avons de toute évidence un bon point de départ. Le système de Westminster ressemble beaucoup au nôtre.

Je remarque — et vous pourrez peut-être nous en apprendre à ce sujet — que bien que nous agissions avec une certaine réserve lorsque vient le temps de contrer la volonté ou l'intention politique d'un projet de loi, nous n'arrivons pas à un consensus lorsqu'il s'agit de déterminer si nous devrions utiliser un droit de veto, nous opposer à la Chambre des communes ou alors plier et accepter qu'elle bénéficie de l'appui du public. Tout comme vous, nous ne sommes pas élus.

Est-ce un danger pour nous? Dans votre déclaration préliminaire, vous dites que vous avez décidé d'être une chambre d'examen parce que c'est le rôle le plus crédible, étant donné votre expertise. Nous n'en sommes pas au même point.

Si nous renoncions à notre droit de veto, nous perdrions un important pouvoir de négociation pour obtenir ce que nous voulons, même si nous ne l'utilisons pas très souvent.

Y a-t-il une leçon que nous pourrions tirer de votre histoire, selon laquelle nous commettrions une grave erreur en ne limitant pas nos pouvoirs ou en ne limitant pas les échéances relatives à l'examen des projets de loi?

Lord Wakeham : Je crois qu'il est très difficile pour nous de vous dire quoi faire. Je peux vous expliquer du mieux que je peux pourquoi nous faisons les choses de cette façon : nous acceptons que la Chambre des communes soit la chambre dominante dotée du vrai pouvoir. La Chambre des lords existe pour conseiller et pour aider. Il arrive très rarement que nous ne soyons pas d'accord avec la Chambre des communes.

J'ai siégé aux deus Chambres depuis presque 50 ans — 46 ans, je crois — et je crois que c'est arrivé une ou deux fois au cours de cette période. Notre système ne fonctionnerait pas s'il y avait un conflit entre les deus Chambres sur un sujet important.

Notre tâche à la Chambre des lords consiste à tenter d'améliorer le gouvernement. Bien sûr, nous avons certains différends politiques, mais notre système est établi de manière à encourager le gouvernement en place à améliorer ses projets de loi.

Lord Norton : Je crois qu'il est important de souligner que les lords sont restreints par la loi, surtout par la Parliament Act, comme l'a fait valoir Meg, par la convention et par la pratique. Nous travaillons selon ce cadre et nous avons certaines contraintes.

Si nous retardions l'adoption d'un projet de loi à une prochaine session, la Chambre des communes pourrait insister en invoquant la Parliament Act. Depuis l'entrée en vigueur de la Parliament Act de 1949, seulement quatre projets de loi ont été adoptés en vertu de ses dispositions.

Nous ne voulons pas entrer en conflit avec la Chambre des communes. Nous utilisons nos pouvoirs et nos ressources à titre d'outils de persuasion plutôt qu'à titre d'outils de coercition, d'où la politique de la justification : nous voulons que le gouvernement se justifie, qu'il écoute la chambre et qu'il collabore avec elle plutôt que d'entrer en conflit avec elle.

Mme Russell : Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d'exposer les arguments du gouvernement à l'examen du public. Les groupes de pression le surveillent; les médias aussi. Les députés d'arrière-ban écoutent ce que ces groupes ont à dire. En regardant ce qui se passe ailleurs dans le monde, je serais nerveuse à l'idée de trop réduire les pouvoirs d'une deuxième chambre. Certaines d'entre elles ne peuvent retarder l'adoption des projets de loi que de quelques semaines. Je crois que cela leur pose problème.

Comme l'a fait valoir Philip Norton, nous avons le pouvoir de retarder d'un an l'adoption des projets de loi et nous n'avons pas besoin de l'utiliser. Souvent, ce sont les pouvoirs d'argumenter et d'exposer les faiblesses des arguments du gouvernement qui entraînent des changements et non l'application des pouvoirs officiels.

Le sénateur Massicotte : Selon ce que je comprends, la Chambre des lords a gagné en crédibilité et bénéficie de l'appui de la population depuis quelques années, probablement en raison de votre bon travail et des changements dans votre composition. Comme nous ne sommes pas élus, certaines personnes remettent en question notre légitimité. Il y a aussi une tendance anti-élite mondiale et nous sommes témoins d'un changement politique.

Selon vous, comment pouvons-nous rester crédibles et veiller à ce que nos communications et notre point de vue soient pris au sérieux?

Lord Wakeham : Certains font valoir la même chose au Royaume-Uni : ils disent que si nous ne sommes pas élus, nous ne sommes pas légitimes.

Le fait est que si nous étions élus, nous n'aurions pas la même valeur dans la Constitution. Les deus Chambres s'affronteraient. Les gouvernements ne pourraient pas gouverner de manière appropriée. Ils ne pourraient pas faire adopter leurs lois.

Un gouvernement majoritaire à la Chambre des communes devrait pouvoir faire adopter ses lois, mais il doit écouter la Chambre des lords. Sinon il éprouvera des difficultés.

Nos modifications ne visent pas à saboter les plans du gouvernement, mais bien à l'aider. C'est ce qui se passe la plupart du temps des deux côtés de la Chambre.

Mme Russell : Il ne fait aucun doute que la Chambre des lords est une institution controversée. Elle fait constamment l'objet d'attaques et de critiques. Or, j'ai sondé la population sur sa perception de la Chambre des lords et on sent aussi un respect forcé de l'institution.

Vous avez parlé d'anti-élitisme, et vous avez tout à fait raison, mais il y a aussi une grogne contre les partis politiques. Ce que les gens aiment de la Chambre des lords, c'est entre autres qu'elle est moins partisane et qu'elle compte de nombreux membres qui n'ont aucune affiliation politique.

Je dirais que l'attitude de la population britannique à l'égard de la Chambre des lords est assez contradictoire. C'est très complexe. On la respecte à de nombreux égards, mais il y a toujours une menace de réforme ou de perte de légitimité qui plane, ce qui donne lieu à une certaine retenue.

Lord Norton : Je crois qu'il est important de souligner que la Chambre des communes peut tenir sa légitimité pour acquise parce que ses membres sont élus. Nous devons gagner notre légitimité parce que nous ne le sommes pas.

Nous sommes sensibles à notre environnement et à la recherche que Meg a entreprise pour comprendre ce qui nous permet de nous acquitter de nos fonctions et d'obtenir la reconnaissance du public.

Ce qu'on respecte, c'est un examen détaillé par des personnes qui comprennent le sujet et qui ne sont pas des politiciens élus.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais vous poser des questions au sujet de l'application de deux pratiques à la Chambre des lords. L'une d'elles est la Convention de Salisbury et l'autre est le droit de veto suspensif.

Selon ce que je comprends, vous dites qu'en vertu de la Convention de Salisbury, si le gouvernement se voit conférer un mandat par la population, il doit le respecter à la Chambre des communes.

Ce qui est difficile, premièrement, c'est que certaines promesses faites en campagne électorale peuvent être assez vagues. Deuxièmement, le gouvernement peut décider de changer sa position ou son approche par rapport à ses documents électoraux lorsqu'il prend le pouvoir. Troisièmement, il peut décider de créer un projet de loi omnibus qui couvre de nombreux autres sujets, en plus de ses promesses électorales.

Comment désignez-vous les promesses électorales à respecter dans le cadre des projets de loi?

En ce qui a trait au droit de veto suspensif, quand y avez-vous recours et combien de temps le débat peut-il durer par la suite? Ne croyez-vous pas que cela diminue grandement votre pouvoir d'influence, puisque le gouvernement n'a qu'à écouler le temps jusqu'à ce que la période soit terminée?

Lord Wakeham : Je vais vous répondre d'un point de vue pratique, puisque j'ai à la fois été leader de la Chambre des communes et leader de la Chambre des lords.

À mon avis, si la majorité des députés de la Chambre des communes appuie les projets de loi du gouvernement, il serait très surprenant que la Chambre des lords n'en fasse pas une deuxième lecture. Elle respecterait inévitablement la décision de la chambre élue d'adopter le projet de loi.

On pourrait passer d'une Chambre à l'autre en raison d'un conflit. À l'époque où je faisais partie du gouvernement, il y a plusieurs années, nous espérions que la Chambre des lords proposerait certaines modifications que nous pourrions accepter, parce qu'ainsi, nous savions que nous pourrions la convaincre d'abandonner d'autres modifications dont nous ne voulions pas.

Si l'on proposait quatre modifications et que l'une d'entre elles était sensible, ce n'était pas difficile. On pouvait accepter quelques modifications mineures afin d'obtenir ce qu'on voulait vraiment et avoir le sentiment d'avoir fait notre travail.

On pouvait passer d'une Chambre à l'autre. Il n'y avait pas de limite de temps. Or, la Chambre des lords ne faisait pas cela. Au bout du compte, elle acceptait la volonté de la Chambre des communes.

Je pense à deux exemples de mon époque, et surtout au projet de loi sur les crimes de guerre. La Chambre des lords croyait fermement qu'il était temps de pardonner et d'oublier et ne voulait pas d'un autre projet de loi sur les crimes de guerre parce que nombre de ses membres avaient combattu à la guerre. Ils savaient qu'il s'était passé des choses horribles dans le monde et qu'il était temps de mettre un terme à cela. La Chambre des communes tentait désespérément de faire adopter le projet de loi. Elle faisait beaucoup de pressions à cet égard et, au bout du compte, on a eu recours à la Parliament Act.

Lord Norton : Pour le vote libre.

Lord Wakeham : Oui, ce n'était pas du tout un vote partisan. C'était un vote libre.

Lord Norton : Au sujet de la Convention de Salisbury, vous avez tout à fait raison : elle s'applique aux engagements électoraux, qui peuvent être très vagues. C'est le genre de choses que l'opposition aurait tendance à exploiter, mais elle ne s'opposerait pas nécessairement à un projet de loi.

Dans la pratique, les lords ne votent habituellement pas à la deuxième lecture d'un projet de loi du gouvernement qui constitue le programme de la session. Cela va au-delà de la Convention de Salisbury, si vous le voulez, pour la raison invoquée par lord Wakeham.

Si la Chambre des communes s'entend sur la fin, nous nous centrons sur les moyens. Nous croyons que c'est ce qui est légitime et que c'est ce que nous pouvons faire pour compléter efficacement les travaux de la Chambre des communes, qui subit des pressions de plus en plus importantes sur le plan du temps et des demandes. Elle n'a pas le temps de procéder à un examen minutieux. Souvent, la volonté politique n'est pas là non plus. La Chambre des lords, elle, a le temps. Nos membres comprennent le sujet et peuvent en débattre. Il n'y a pas vraiment de conflit entre les deus Chambres. Nous jouons des rôles complémentaires.

En ce qui a trait à votre deuxième question, cela dépend du moment où le conflit est survenu. Si, comme dans le cas des crimes de guerre, les lords rejettent le projet de loi à la deuxième lecture, alors c'est terminé jusqu'à la session suivante. Il se peut que le projet de loi ait franchi cette étape, mais que les lords aient apporté des modifications que la Chambre des communes juge inacceptables et qu'elle renvoie le projet de loi. Si on fait ces aller-retour et qu'on ne règle pas la question, le projet de loi tombe à cette étape et est présenté à nouveau à la session suivante.

Tout dépend de l'étape à laquelle le projet de loi a échoué.

Mme Russell : Je soulignerais simplement que ces deux situations sont rarissimes et que rien de tout cela ne devrait être pris trop littéralement.

La Chambre des lords tient très peu de débats détaillés quand vient le temps de déterminer si une mesure s'inscrit dans le programme du gouvernement, puisqu'elle respecte généralement la chambre élue et la convention voulant qu'on ne rejette pas de projet de loi.

Il importe peu que le projet de loi fasse partie du programme du gouvernement. Il est très rare qu'on en arrive au point où on applique le veto. La plupart des différends se règlent dans le cadre de négociations bien avant d'en arriver là.

Lord Wakeham : J'ai passé de nombreuses années à négocier quand j'étais leader de la Chambre des communes et de la Chambre des lords, avançant et reculant pour trouver une solution acceptable pour tous.

Le sénateur Dean : Je vous remercie de ces observations utiles. Étant un sénateur relativement nouveau, je considère comme une joie et un privilège de pouvoir participer à des débats et à des échanges riches comme celui-ci.

Je suis diplômé de l'Université de Hull, tout près de chez mon ami, à Sheffield.

Ma question porte sur un autre sujet. J'aimerais traiter brièvement de la qualité et de l'efficacité des débats aux chambres hautes. Je prends bonne note de ce que vous avez dit sur le fait que les chambres hautes sont différentes, car elles bénéficient d'une composition et de contextes de travail différents.

Le Sénat discute actuellement de la question de l'organisation et l'évolution des débats.

Voici ce qu'il en est : certains d'entre nous jugent que le système de débat des projets de loi du gouvernement, particulièrement au Sénat, est souvent tronqué et s'éternise, généralement à cause d'une règle et/ou d'une convention sur la capacité d'ajourner le débat de manière très constante. D'aucuns attribueraient cet état de fait à des caractéristiques partisanes de notre chambre qui s'apparentent à celles de la Chambre des communes.

Pourriez-vous nous expliquer brièvement la manière dont les débats sont organisés à la Chambre des lords, notamment si et comment ils sont regroupés afin d'être concentrés en un certain nombre de jours pour que vous bénéficiiez d'un fil conducteur et d'un discours cohérents?

J'admets que dans certains cas, il est important et compréhensible qu'un débat se prolonge à la Chambre et au Sénat. Il n'est toutefois pas toujours nécessaire que les choses se passent ainsi.

Je demanderais également à Mme Russell de traiter des pratiques exemplaires d'autres chambres, et de parler des méthodes qui fonctionnement bien et qui permettent la tenue de débats de haute qualité et de grande efficacité.

Lord Norton : Il est essentiel de comprendre que la Chambre des lords s'autoréglemente. Nous sommes responsables et nous devons nous comporter de manière à ce que le système fonctionne.

Les partis acceptent généralement les règles qui s'appliquent. Il ne s'agit pas de s'adonner à de petits jeux pour tenter de faire ajourner le débat, mais d'étudier vraiment les amendements proposés.

Le débat est régi par certaines règles, notamment quand nous examinons des projets de loi. Des personnes très bien renseignées et peut-être des spécialistes du domaine témoignent au sujet des questions non législatives à portée générale. Nous tendons aussi à limiter la durée des interventions et certainement celle du débat. Des figures de proue du domaine font une série de discours assez brefs. Cela fonctionne extraordinairement bien. On apprend beaucoup de ceux qui comprennent vraiment le sujet.

En ce qui concerne les projets de loi, les responsables habituels s'entendront sur le nombre de jours normalement accordés à l'étape de l'étude par les comités. S'ils ont mal évalué le temps nécessaire, du temps supplémentaire peut être accordé ou nous siégerons tard le soir pour terminer notre étude.

Essentiellement, les membres proposent des amendements. Ces derniers ne sont pas sélectionnés et tous ceux qui sont proposés sont examinés. On peut s'entendre pour les regrouper. Si plusieurs portent sur le même point, ils seront examinés en même temps. Même alors, celui qui les a proposés peut insister pour qu'ils soient examinés séparément.

Une liste maîtresse est dressée pour chaque article. Chaque amendement est examiné et le débat se poursuit tant qu'il reste des amendements à étudier.

Habituellement, personne ne tente d'exploiter la procédure pour retarder ou détourner la discussion. Nous portons notre attention sur les mérites des amendements proposés. Il ne semble pas y avoir de problème, puisque chaque membre est libre de proposer un amendement pour s'assurer que les points qu'il veut examiner sont étudiés. Il obtient une réponse du ministre, puis décide s'il désire continuer d'examiner la question plus avant. Comme Meg l'a fait remarquer, nous tenons bien des échanges informels entre les diverses étapes pour en arriver à un accord.

Les règles du jeu sont acceptées et, dans l'ensemble, les membres les respectent.

Mme Russell : Je pense qu'il est juste de dire — et vous êtes un comparatiste aussi, lord Norton — que le système est très inhabituel à la Chambre des lords. Cela nous ramène à la question de la différence entre de la convention et les règles ou les cadres juridiques. Il est très inhabituel que la Chambre les lords réussisse à maintenir cette manière d'agir largement consensuelle, dans le cadre de laquelle les gens respectent mutuellement leurs temps d'intervention. C'est le genre de convention qui s'est établi et qui serait difficile à créer.

À la Chambre des lords, le concept de motion de guillotine n'existe pas, par exemple. C'est complètement inexistant, contrairement à la Chambre des communes, bien que ce genre de motion s'y fasse plus rare également ces derniers temps.

Le Parlement britannique est, de façon générale, très inhabituel, car il ne privilégie pas beaucoup les partis politiques. Le règlement des deus Chambres met considérablement l'accent sur les membres individuels. Les partis ne bénéficient pas d'autant de temps que dans bien d'autres Parlements modernes. Notre Parlement est plus ancien que notre système de partis et s'est développé graduellement, alors que dans un grand nombre de Parlements modernes, le règlement a été élaboré autour de l'existence de partis politiques.

En ce qui concerne l'efficacité des débats, ce sont les membres qui sont, ici encore, au centre de la question. Comparativement à la Chambre des communes, la Chambre des lords est un endroit très dur pour les ministres en raison de la nature des gens qui s'y trouvent et qui pourraient les interroger. C'est un endroit très difficile pour répondre aux questions des parlementaires.

Lord Wakeham : C'est un élément important. Vous devez vous rappeler que les membres de la Chambre des lords, particulièrement les indépendants, gagnent souvent leur vie ailleurs et ne sont pas rémunérés.

On s'efforce donc d'organiser l'échéancier de manière à ce que les débats aient lieu avec amplement de préavis, dans l'espoir que les experts comparaissent. Le débat est relevé, parce que si on traite de la défense, tous les anciens généraux et les intéressés seront présents parce qu'ils ont appris longtemps d'avance que le débat aurait lieu à ce moment-là.

La direction doit admettre que pour que des érudits viennent traiter d'un sujet important qui doit faire l'objet d'un débat, ceux qui connaissent vraiment le sujet doivent être présents. D'une certaine manière, même lors de la période de questions, des gens interviendront et crieront le nom d'un éminent spécialiste ou d'une autre personne qui, selon eux, pourrait faire une contribution, et la chambre acceptera que ces personnes aient la priorité afin de poser la prochaine question, quelle qu'elle soit.

Nous collaborons énormément pour permettre le meilleur débat possible, et ces efforts portent fruit.

Mme Russell : L'endroit est très intimidant pour les ministres; il est donc rare qu'ils commettent des bourdes. C'est comme je l'ai indiqué au sujet du processus législatif. Tout le travail consiste à préparer les ministres à répondre à n'importe quelle question.

J'ignore si lord Wakeham possède de l'expérience à ce sujet, mais j'ai interrogé quelqu'un qui a déjà pris place sur la tribune afin de répondre à des questions pour le gouvernement. Il se rappelait qu'en une occasion, alors qu'il se préparait en vue de la période de questions, il a décelé une faiblesse dans une politique du gouvernement. Cette politique a été modifiée avant même que la question ne soit posée, parce qu'il savait qu'il ne pourrait la défendre telle qu'elle était. Une part substantielle du pouvoir des lords est très subtile et invisible.

Lord Wakeham : Oui, c'est absolument vrai. J'ajouterais aussi que lorsque j'étais leader à la chambre, je disais aux ministres de second plan : « Je peux vous fournir une dizaine de réponses que vous pouvez donner aux questions pour vous en tirer à bon compte quand vous n'avez pas la moindre idée de ce qu'il faut dire, comme "J'en parlerai à mon supérieur quand je serai de retour au bureau'' ». Mais cela ne fonctionne pas toujours aussi bien qu'on le dit.

Le sénateur Dean : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Monsieur le président, mon prédécesseur a posé la même question que je voulais poser. Je passerai donc mon tour.

La sénatrice Bellemare : Merci, monsieur le président. Ma question était également liée à la question qu'a posée le sénateur Dean.

[Traduction]

Je pense qu'elle concerne aussi un certain ouvrage que Mme Russell a publié en 2006 sous le titre de Managing Parliament better? A Business Committee for the House of Commons.

D'après ce que j'ai compris des réponses que vous avez données aux questions du sénateur Dean, le processus législatif de la Chambre des lords s'organise de lui-même. Vous êtes tous des adultes non partisans et vous organisez votre charge de travail.

Je m'intéresse au comité des travaux parlementaires que Mme Russell a proposé il y a une dizaine d'années. A-t-il été instauré à la chambre? Inspire-t-il les travaux de la Chambre des lords, ou est-ce un processus que vous n'utilisez pas?

Mme Russell : Devrais-je répondre au sujet de la proposition?

Lord Wakeham : Oui.

Mme Russell : Le concept de comité des travaux parlementaires concernait principalement la Chambre des communes et non la Chambre des lords. Je suis fort impressionnée : vous avez vraiment lu énormément sur la question. Le document auquel vous faites référence porte sur le fonctionnement des comités des travaux parlementaires dans d'autres Parlements du monde. J'ai visité la Nouvelle-Zélande, l'Allemagne et l'Écosse, où des comités des travaux parlementaires officiels organisent le calendrier de la Chambre au lieu de procéder comme nous le faisons. Je crains de ne pas savoir ce que vous faites au Canada. Philip Norton a fait référence aux soi-disant responsables habituels. Tout se fait au cours de négociations entre les whips, lors de discussions informelles et de manière officieuse.

Ce que j'ai découvert dans ces autres pays m'a laissée sceptique à propos des avantages qu'offrirait un comité des travaux parlementaires. Il n'y a rien de mal à disposer d'un comité clair et transparent qui est chargé d'établir le calendrier, mais au cours de mes visites dans les pays étrangers, j'ai découvert qu'en dépit de l'existence de ce comité, les vraies ententes sont conclues par les whips au cours de rencontres informelles.

J'ai assisté à une séance du comité des travaux parlementaires de la Nouvelle-Zélande, et les échanges sur les travaux de la semaine à venir ont duré environ deux minutes. Tout avait manifestement été discuté avant la séance. Je ne suis pas sûre que les Parlements dotés d'un comité des travaux parlementaires aient un fonctionnement politique très différent de ceux qui n'en ont pas. Je laisserai lord Wakeham et lord Norton dire ce qu'il en est à la Chambre des lords.

Lord Wakeham : Je doute que quiconque au Royaume-Uni ait conclu plus d'accords entre les parlementaires sans comité des travaux parlementaires. Je serais horrifié si un tel comité intervenait dans les ententes que j'ai conclues pour que tout le monde soit satisfait. Je ne m'occupe plus de tout cela maintenant. Nous négociions tout, de manière à ce que les gens considèrent que l'entente était équitable.

Si quelqu'un était vraiment mécontent de la manière dont nous gérons nos travaux, que ce soit à la Chambre des communes ou à la Chambre des lords, il pourrait soulever tant d'objections que tout le processus s'arrêterait en 10 minutes. Nous devons procéder en concluant des ententes.

J'ai été whip en chef du gouvernement pendant bien des années, et je passais la moitié de mon temps à négocier avec les partis de l'opposition afin d'établir le déroulement des travaux. J'informais ensuite le Cabinet de la nature des travaux, mais j'en avais préalablement discuté avec l'opposition parce que c'était la seule manière de s'en sortir.

La sénatrice Bellemare : Je crois comprendre qu'à la Chambre des lords, l'organisation des travaux s'effectue très facilement. En va-t-il de même pour l'organisation des discussions des comités?

Lord Wakeham : Au bout du compte, en face du résultat, cela semble facile. Mais le cheminement jusque-là n'est pas toujours facile. Il faut comprendre ce que l'autre personne veut. On obtient ce qu'on veut parce qu'on donne à l'autre ce qu'il veut. On négocie, et c'est ce qu'il se passe.

Lord Norton : La négociation peut être très souple pendant que le projet de loi est à l'étude. Les whips peuvent se réunir vers la fin de la journée pour discuter du point à partir duquel il faudrait clore le débat, selon les progrès accomplis. Cette souplesse permet de s'adapter à la manière dont la chambre procède, que les choses avancent rapidement ou autrement.

Mme Russell : Au bout du compte, c'est en grande partie une question de respect mutuel.

Lord Norton : Absolument, oui.

Mme Russell : Le processus est extrêmement civilisé, notamment en raison de ce que John vient de dire : le gouvernement n'a vraiment aucun moyen d'imposer des travaux à la Chambre des lords.

S'il ne traitait pas les gens avec amabilité et respect, ils pourraient lui rendre la vie très compliquée. Cela entretient une certaine tension et favorise l'établissement d'une atmosphère dans laquelle les gens négocient beaucoup de manière très civilisée.

La sénatrice Bellemare : Si je vous comprends bien, vous négociez et vous en arrivez à une entente mutuellement avantageuse, mais elle est mutuellement avantageuse du point de vue des lords et de leurs propres intérêts, et non de celui des partis politiques partisans.

Lord Norton : Tout se fait habituellement par l'entremise des whips, qui agissent au nom de l'ensemble de la chambre. Nous acceptons normalement les travaux qu'ils organisent sont à l'avantage de toute la chambre et nous nous conformons habituellement à leur volonté.

Mme Russell : Bien entendu, il importe, au Canada, de tenir compte de la réaction probable des membres indépendants, qui n'ont pas de whip. Ils ont un responsable qui participe à certains échanges, mais ils fonctionnent individuellement plutôt qu'en bloc.

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, on a déjà répondu à ma question, monsieur le président.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Nous progressons. Je pense que nous allons avoir un lunch aujourd'hui.

La sénatrice Tardif : Merci, monsieur le président. Je voulais aborder quelques questions de procédure en ce qui concerne la relation entre les deus Chambres.

Dans quelle mesure la Chambre des lords effectue-t-elle des études préalables lorsqu'elle est saisie de projets de loi émanant de la Chambre des communes, et dans quelle mesure établit-on des comités mixtes pour étudier les mesures législatives complexes?

Lord Norton : Nous ne recourons pas aux comités mixtes pour examiner les projets de loi, sauf à l'étape prélégislative. Ces dernières années, le gouvernement a présenté de plus en plus de projets de loi sous forme d'ébauche et les confie au Parlement aux fins d'examen prélégislatif.

Normalement, cet examen serait réalisé par un des comités spéciaux ministériels de la Chambre des communes, mais comme l'importance constitutionnelle ou la complexité de certains projets de loi rendraient utile la participation de membres de la Chambre des lords, des comités mixtes sont constitués pour entreprendre l'examen prélégislatif de l'ébauche de projet de loi et en faire rapport.

Aucun comité législatif n'intervient après le dépôt du projet de loi. Ce dernier doit être examiné par les deus Chambres. Normalement, la Chambre des communes l'examine en premier, puis l'envoie à la Chambre des lords. Il n'existe aucun comité mixte. La communication s'effectue quand le projet de loi est renvoyé à la Chambre des communes. S'il contient des amendements, cette dernière les étudie et nous renvoie la mesure législative. À aucun moment les deus Chambres ne se réunissent au cours du processus législatif officiel.

Lord Wakeham : Je n'aurais rien à ajouter à ce sujet.

Mme Russell : Cette réponse était très exhaustive.

Lord Wakeham : C'était une excellente réponse.

La sénatrice Tardif : Formidable.

Lord Wakeham : Nous établissons parfois des comités mixtes, mais habituellement pas au sujet de projet de loi. Ils se penchent plutôt sur des questions de plus grande envergure, comme les droits de la personne ou des sujets semblables. Des comités mixtes se réunissent parfois, mais pas pour étudier des projets de loi.

La sénatrice Tardif : Je sais qu'au Canada, un comité mixte a été constitué pour examiner un projet de loi sur l'aide médicale à mourir. Il a été mis sur pied, puis le projet de loi a suivi.

Mme Russell : Nous agissons parfois de la sorte, n'est-ce pas? Comme nous l'avons indiqué, cela concerne les ébauches de projet de loi. Par exemple, le dernier projet de loi de réforme de la Chambre des lords a été soumis à un imposant comité mixte.

Lord Norton : En effet.

Mme Russell : Il n'a pas été beaucoup plus loin.

Le sénateur Greene : J'ai certainement beaucoup appris au cours de la formidable conversation que nous avons. J'ai notamment conclu qu'une des principales différences entre le système de notre Sénat et celui de la Chambre des lords, c'est le fait que nos Chambres des communes agissent différemment.

Vous avez expliqué que dans votre chambre, lors de la deuxième lecture des projets de loi, il peut arriver qu'un grand nombre de membres du caucus du gouvernement n'appuient pas le Cabinet ou le gouvernement, ce qui donne lieu à bien des allées et venues alors que des députés visitent la Chambre des lords et que des membres de partis opposés commencent à se réunir pour discuter d'un projet de loi ou d'amendements.

Pareille chose ne se produirait jamais au Canada, car la discipline est si forte à l'étape de la troisième lecture que cette façon de faire n'est tout simplement pas tolérée. Ainsi, il n'y a pas d'allées et venues entre le Sénat et la Chambre des communes au Canada. Nous avançons sur des rails parallèles, qui jamais ne se croisent.

Lord Wakeham : Oui.

Le sénateur Greene : Il semble que votre système s'apparente davantage à celui des États-Unis, où on trouve la Chambre des représentants et le Sénat, et où des représentants et des sénateurs de partis peut-être opposés, des républicains et des démocrates, travaillent ensemble à des projets de loi et à des positions stratégiques.

Je me demande si vous pourriez traiter de la question.

Lord Norton : Je le peux certainement. Lorsque j'ai témoigné lors d'une séance du Comité McGrath sur la Chambre des communes en 1984, j'ai souligné la différence entre nos deus Chambres des communes. Dans notre Chambre, les députés ont commencé à agir parfois indépendamment des whips, sans toutefois faire éclater complètement la cohésion du parti. Cela ne s'approche donc en rien de la situation aux États-Unis.

Depuis les années 1970, les députés britanniques sont plus disposés à voter contre leur propre parti; ils le font plus souvent et ont plus d'effet qu'avant. Ce qui explique en partie cette situation et la différence avec le Canada, c'est le fait que la plupart des votes ne sont pas traités comme des votes de confiance.

Les députés peuvent voter contre leur propre parti. Il arrive donc, très rarement, que le gouvernement soit défait à la Chambre des communes. Cela a commencé au début des années 1970. Les députés ont compris qu'ils avaient défait leur propre parti, mais cela n'avait pas de grande conséquence constitutionnelle et ce n'était pas une affaire de confiance. Tout ce qu'ils avaient fait, c'est obliger le gouvernement à modifier sa politique. La plupart des députés votent loyalement pour leur propre parti, mais à l'occasion, s'ils ne partagent pas sa position, ils sont prêts à voter contre lui.

Comme je l'ai expliqué au Comité McGrath à l'époque, il y avait une gradation des votes ici. Certains étaient des votes de confiance explicites, alors que d'autres étaient d'une importance telle qu'ils étaient des votes de confiance, mais le reste des sujets faisant l'objet d'un vote, c'est-à-dire la vaste majorité, ne requérait absolument aucun vote de confiance. Le gouvernement pouvait perdre, mais son statut et son maintien au pouvoir n'étaient aucunement remis en question.

Les députés ont commencé à avoir une influence sur les politiques en votant contre leur propre parti ou en menacent de le faire, puisque par suite de ce changement de comportement, le gouvernement a pris ces menaces plus au sérieux.

Les députés d'arrière-ban pouvaient influencer leur propre parti; les ministres devaient donc avoir du respect pour ceux qui étaient assis derrière eux et pas seulement pour ceux qui étaient assis devant eux. Voilà la différence fondamentale. Je ne pense pas que le Canada soit entièrement parvenu à admettre que la plupart des votes ne mettent absolument pas en cause la confiance à l'égard du gouvernement.

Lord Wakeham : Je peux dire que j'étais whip en chef pour Mme Thatcher, il était rare qu'un de nos députés d'arrière-ban vote contre un de ses projets de loi quand je devais le faire adopter à la Chambre des communes. Ce n'était pas une très bonne idée pour la personne qui votait contre nous.

Nous discutions toutefois énormément en coulisses avec nos députés d'arrière-ban au cours du processus. J'insistais pour que les ministres leur parlent et tentent de les persuader des mérites du projet de loi ou de la concession qu'ils désiraient obtenir avant que le gouvernement ne les propose afin qu'ils votent pour la mesure.

Il y avait toujours une ou deux personnes qui ne votaient pas avec nous, mais il n'y en avait certainement pas beaucoup à l'époque où j'étais responsable des votes à la Chambre des communes.

Mme Russell : Pour en revenir à ce que j'ai dit précédemment, c'est une partie très importante de notre système, et il faut comprendre les rouages de la Chambre des communes et de la relation bicamérale. Les députés font preuve de plus d'indépendance qu'avant pour un éventail de raisons.

Il y a notamment l'établissement d'un groupe de comités de spécialistes à la Chambre des communes dans les années 1970, ainsi que le fait que les députés sont mieux éduqués et que la population attend davantage d'eux et aime peut-être qu'ils fassent preuve d'indépendance. J'espère que cela ne déplaira pas à John Wakeham, mais les whips ont perdu beaucoup d'influence et de pouvoir au fil des ans.

Lord Wakeham : C'est vrai.

Mme Russell : Ils n'ont jamais contrôlé les finances des députés, comme c'est le cas dans certains Parlements. Ils ont déjà décidé de l'attribution des pièces, mais ces dernières sont bien plus disponibles maintenant. Ils ne déterminent pas non plus le temps de parole, comme cela se fait dans certains Parlements. Le Président de la Chambre des communes jouit d'une grande indépendance. Les partis n'ont pas grand pouvoir sur le choix des intervenants et contrôlent de moins en moins la composition des comités.

Ils ont très peu de moyens à leur disposition pour discipliner leurs membres, ce qui signifie qu'ils doivent en fait être attentifs à eux. De plus leurs membres sont prêts à s'élever contre eux.

La relation bicamérale joue un rôle à cet égard. Je n'oublierai jamais ce qu'a déclaré un homme charmant qui est malheureusement décédé aujourd'hui. C'était un ancien leader de la Chambre des communes pour lequel j'ai travaillé dans le passé qui s'appelait Robin Cook. Je me souviens de l'énorme controverse qu'avaient provoquée son départ du gouvernement et son intégration de l'arrière-ban après la présentation d'une mesure législative antiterroriste. Avant que la mesure législative soit renvoyée à la Chambre des lords, une rébellion sévissait au sein de la Chambre des communes. Au cours d'une entrevue télévisée, M. Cook avait prononcé les mots suivants : « La Chambre des communes a envoyé un message à la Chambre des lords. » Il entendait par là que la Chambre des lords allait oser exercer davantage de pression sur le gouvernement et que celui-ci n'allait pas oser présenter de nouveau le projet de loi à la Chambre des communes. C'est dans ces circonstances que le pouvoir de la Chambre des lords atteint son point culminant.

Lord Norton : Je ne souhaite pas choquer John Wakeham qui est ancien whip en chef, mais, comme il l'a indiqué, les whips étaient passés maîtres dans l'art de rappeler aux députés que, s'ils votaient contre une mesure législative, cela nuirait à leur carrière. Je soutiendrais que ce n'est pas nécessairement ce que démontrent les données empiriques.

Lord Wakeham : Je ne crois pas avoir déjà été forcé d'utiliser des paroles aussi brutales quand j'étais whip. Au contraire, je consultais davantage les députés d'arrière-ban et j'échangeais plus de renseignements avec eux afin de les persuader qu'ils faisaient partie d'une équipe. Leur travail ne consistait pas à protester ou à voter contre le gouvernement. Il consistait à travailler dans les coulisses afin d'influencer le gouvernement et de faire adopter des mesures législatives. Bien entendu, je ne parvenais pas à convaincre tous ces députés, mais j'en persuadais beaucoup plus de cette façon. Je crois que le patronage des whips a effectivement diminué.

Pendant les cinq années où j'étais whip en chef de la Chambre des communes, je crois que tous les ministres nommés à l'extérieur du Cabinet l'ont été grâce à ma recommandation. Voilà comment chacun des whips agissait.

Lord Norton : Les choses ont changé.

Le sénateur McIntyre : L'objectif de ma question est d'obtenir des précisions. D'après votre exposé, je crois comprendre que la convention ou la doctrine de Salisbury régit la relation législative qui existe entre la Chambre des communes et la Chambre des lords. En d'autres termes, elle s'applique aux projets de loi adoptés par la Chambre des communes que le parti au pouvoir a laissé entrevoir dans son programme électoral.

En ce qui concerne le fait que la Chambre des lords a le pouvoir de modifier ou de rejeter une mesure législative présentée par la chambre, comment la Chambre des lords détermine-t-elle si le gouvernement a laissé entrevoir une mesure législative dans son manifeste électoral?

Lord Wakeham : C'était la doctrine que nous appliquions dans le passé, mais je ne suis plus aussi certain que notre champ d'action soit aussi limité que cela maintenant. Je suis d'avis — comme la plupart des gens, je crois —, que, si un projet de loi obtient une majorité des voix à la Chambre des communes, il n'appartient pas à la Chambre des lords de voter contre le projet de loi, même s'il ne figurait pas dans le programme électoral. La Chambre des lords est chargée de l'examiner adéquatement, ce qui veut dire qu'elle doit lui donner deuxième lecture et en discuter.

Nous reconnaissons que la Chambre des communes est la chambre supérieure. Elle a été démocratiquement élue. Si le projet de loi obtient une majorité des voix, il nous incombe de l'examiner, puis de décider de la marche à suivre. Nous pouvons peut-être le modifier si nous le souhaitons et, le cas échéant, le renvoyer à la chambre, mais nous ne pouvons pas refuser de l'examiner.

Mme Russell : Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, il faut faire la distinction entre le principe du projet de loi et les détails de sa mise en œuvre, n'est-ce pas? Si la Chambre des communes a adopté un projet de loi grâce à l'appui d'une nette majorité des députés, la Chambre des lords reconnaîtra que le projet de loi devrait faire l'objet d'une deuxième lecture.

Ensuite, elle considérera qu'elle a entièrement le droit d'examiner minutieusement les détails du projet de loi et de suggérer des modifications à leur apporter afin que le projet de loi fonctionne mieux dans les limites des principes plus généraux qui ont été établis.

Lord Norton : Oui.

Lord Wakeham : Il y a une situation où les choses pourraient devenir épineuses. Le gouvernement a le droit de présenter à la Chambre des lords des projets de loi qui n'ont jamais été examinés par la Chambre des communes, et il le fait. Le cas échéant, le gouvernement a beaucoup de mal à soutenir que le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes.

Tout ce que je peux dire, c'est que nous n'avons jamais vraiment mis ce scénario à l'épreuve, parce que tout gouvernement qui présenterait un projet de loi à la Chambre des lords serait suffisamment intelligent pour s'assurer que le projet de loi n'y rencontrerait pas d'opposition.

Mme Russell : Il y a un précédent. Le projet de loi de Tony Blair sur le mode de procès, qui visait à limiter l'accès aux procès devant jury, a été très bêtement présenté devant la Chambre des lords et retiré par la suite. Ils ont présenté à la Chambre des communes la deuxième version du projet de loi sur le mode de procès, parce qu'ils ont constaté que la première version était vouée à l'échec.

Lord Wakeham : Cela prouve que j'ai raison.

Mme Russell : Cela se produit très rarement.

Lord Norton : Aucun gouvernement raisonnable ne présenterait un projet de loi controversé à la Chambre des lords, car la Parliament Act ne s'applique pas aux projets de loi qui prennent naissance dans cette chambre. Elle s'applique uniquement aux projets de loi présentés à la Chambre des communes. Tous les projets de loi controversés sont présentés à la Chambre des communes afin que le gouvernement puisse parvenir à ses fins, s'il y a lieu.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur le rôle des partis politiques à la Chambre des lords. Quelles sont leurs responsabilités particulières par rapport à l'organisation au jour le jour de l'étude des mesures législatives et des débats qui s'y rattachent?

Comme vous l'avez mentionné, les pairs d'arrière-ban ne sont pas toujours présents pour formuler des observations. Comme on le sait, lorsque la chambre reprend ses travaux, le travail doit se poursuivre. Quels rôles précis les partis jouent-ils dans la gestion quotidienne de l'étude de la mesure législative et des débats connexes?

Lord Wakeham : La plupart du temps, le gouvernement est responsable du programme législatif. Certains jours, l'opposition officielle ou d'autres partis peuvent choisir les sujets qu'ils souhaitent débattre, mais la législation repose entre les mains du gouvernement, et il peut la déposer.

Le gouvernement serait très imprudent s'il ne négociait pas avec les autres partis et les députés de l'arrière-ban pour déterminer s'il est sensé et acceptable de le faire.

Le gouvernement dispose des ressources et du personnel nécessaires pour accomplir ce travail. Il est responsable de ce processus, mais il consulte constamment les parlementaires.

Lord Norton : Lorsqu'un projet de loi est à l'étude, des députés des premières banquettes de l'opposition y participent toujours. Des députés des premières banquettes de l'opposition et du Parti libéral-démocrate sont toujours présents pour formuler des observations sur chaque amendement avant que le ministre réponde. Les autres partis examinent systématiquement tout.

Mme Russell : Je dirais qu'à certains égards, le rôle de l'opposition est moins important à la Chambre des lords qu'à la Chambre des communes. La Chambre des lords est un endroit plus plural où l'on retrouve des membres indépendants. De nombreuses voix différentes s'y font entendre. Les évêques n'ont pas été mentionnés, mais la Chambre des lords compte diverses voix. Le troisième parti est beaucoup plus puissant à la Chambre des lords qu'à la Chambre des communes, du moins pour le moment.

Les règles qui régissent les chambres diffèrent. Par exemple, le Président joue un rôle beaucoup plus important à la Chambre des communes qu'à la Chambre des lords. À l'étape du rapport, le Président dispose d'un autre moyen de limiter la durée du débat : il exerce un certain contrôle sur le choix des amendements qui seront débattus. Le Président choisit les amendements jugés les plus importants et réserve du temps pour débattre de ceux-ci. Toutefois, les autres amendements ne seront pas débattus. Les amendements jugés importants que l'on sélectionne sont souvent ceux présentés par les députés des premières banquettes de l'opposition.

Cette règle ne s'applique tout simplement pas à la Chambre des lords. Comme Philip Norton l'a déjà indiqué, tous les amendements sont, en fait, traités de la même façon à la Chambre des lords. En effet, les amendements qui, souvent, obtiennent le plus grand appui et causent le plus d'inquiétudes au gouvernement sont ceux qui sont proposés par les experts, lesquels peuvent être des pairs non partisans ou des pairs d'arrière-ban appartenant à un parti ou à l'autre, comme lord Norton l'a parfois fait lui-même en sa qualité d'ancien président du Comité sur la Constitution.

Les amendements présentés par les présidents d'importants comités ou par les experts externes reconnus sont pris très au sérieux, alors qu'à la Chambre des communes, le programme est établi le plus souvent par l'opposition.

Le sénateur Joyal : Quel est le rôle que jouent les caucus de chaque parti politique dans les travaux?

Lord Wakeham : Nous rions parce qu'en règle générale, les entretiens privés réunissent les personnes les plus préoccupées par le projet de loi, mais il est très rare que le caucus d'un parti débatte du programme. Habituellement, cela ne se produit pas.

Mme Russell : Nous avons longuement parlé de l'indépendance d'esprit des députés de l'arrière-ban de la Chambre des communes, mais l'indépendance d'esprit des pairs de tous les partis est de loin supérieure, parce que les banquettes des partis et les banquettes des indépendants sont occupées par des personnes très haut placées, des experts reconnus, et cetera. Les whips n'exercent pas un contrôle sur les pairs de leur parti de la même façon que cela se produit dans de nombreux parlements du monde entier.

Lord Norton : Les membres des partis ont tendance à voter selon la ligne du parti, mais, en ce qui concerne les débats, les membres s'expriment comme bon leur semble, peu importe leur parti.

Mme Russell : J'ai parlé de la faiblesse des whips de la Chambre des communes, mais les whips de la Chambre des lords n'ont pratiquement aucun pouvoir. Ils ont entièrement recours à la persuasion et aux discussions internes.

Lord Wakeham : Ils n'ont aucun pouvoir, mais ils sont très persuasifs. Ils sont tout de même très efficaces.

Mme Russell : La loyauté envers les partis importe. Les membres respectent leur parti. Ils ne tiennent pas à les embarrasser, mais, au bout du compte, les whips ne peuvent pas les forcer à faire quoi que ce soit qu'ils ne souhaitent pas faire.

Le sénateur Joyal : Je crois comprendre que vos activités sont structurées en fonction du parti du gouvernement et d'un parti de l'opposition.

Lord Wakeham : Nous avons plus d'un parti de l'opposition. Il y en a deux en fait. Il y a les indépendants qui sont plutôt nombreux, les libéraux et le Parti travailliste. Il y a beaucoup de gens à renseigner sur les mesures législatives, quelles qu'elles soient, mais, en réalité, tout cela est accompli par le leadership.

Le président : La discussion que nous avons eue ce matin a été très intéressante et très instructive. Lord Wakeham, lord Norton, madame Russell, nous vous sommes vraiment reconnaissants d'avoir pris le temps de nous parler.

Madame Russell, il existe une règle non écrite selon laquelle, si vous comparaissez devant nous trois fois, la troisième fois vous devez le faire en personne.

Mme Russell : J'en serais ravie.

Le président : Merci beaucoup. Vos témoignages nous ont été très utiles.

Chers membres du comité, il n'y aura pas de séance la semaine prochaine, car la Chambre des communes accueillera une invitée très spéciale.

Quelqu'un peut-il proposer une motion portant que nous poursuivions la séance à huis clos?

Le sénateur McIntyre : Je la propose.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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