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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


HALIFAX, le mardi 3 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, afin d’étudier les effets potentiels des changements climatiques sur les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des forêts.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je m’appelle Claudette Tardif. Je suis une sénatrice de l’Alberta et j’agis à titre de présidente suppléante du comité aujourd’hui.

Je commencerai par demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La présidente suppléante : Le comité poursuit aujourd’hui l’étude des effets potentiels des changements climatiques sur les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des forêts. Nous sommes très heureux d’être ici à Halifax pour entendre les témoignages de représentants de ministères et d’organismes du Canada atlantique, ainsi que des secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des forêts.

Les premiers témoignages que nous entendons aujourd’hui sont ceux de M. Peter Duinker, professeur et directeur intérimaire de l’École d’étude des ressources et de l’environnement, Université Dalhousie, et de M. James Steenberg, boursier de recherches postdoctorales de l’École d’étude des ressources et de l’environnement, Université Dalhousie. Bienvenue à vous deux et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous vous invitons à faire votre exposé après quoi les sénateurs poseront leurs questions.

Peter Duinker, professeur et directeur intérimaire, École des études sur les ressources et l’environnement, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente. James et moi-même ferons nos exposés l’un après l’autre, puis nous répondrons aux questions ensemble. Cela vous convient-il?

La présidente suppléante : C’est parfait.

M. Duinker : Nous procédons ainsi parce que c’est opportun, mais aussi parce que nos intérêts sont étroitement liés lorsqu’il s’agit des forêts et des changements climatiques. Je travaille sur le sujet depuis 30 ans et James depuis 10 ans, et il a travaillé en majorité avec moi pendant ces 10 années, donc nous avons des démarches complémentaires, tout en partageant presque les mêmes opinions sur ces questions.

J’aimerais débuter mon exposé, comme je le fais souvent à l’université, à l’aide d’un diagramme à cases et à flèches. Si vous regardez mon mémoire, à la deuxième page, vous trouverez un diagramme avec lequel je tenterai d’illustrer, très très brièvement, ma vision de la chaîne d’événements entre les changements climatiques, les forêts et le secteur forestier.

La flèche entre les changements climatiques et les forêts est plus ou moins à sens unique. Les changements climatiques entraînent des modifications sur le plan des températures, des précipitations et du vent. À mon avis, ce sont les trois acteurs principaux du climat qui agissent sur les forêts.

Puis nous avons un lien à sens unique entre les forêts et le secteur forestier, dû au fait que les forêts produisent la matière brute dont le secteur forestier a besoin.

Vous remarquerez les deux boucles de rétroaction dans le diagramme : une qui part des forêts et qui retourne aux changements climatiques en passant par les gaz à effet de serre et une autre qui part du secteur forestier, passe par les gaz à effet de serre et retourne aux changements climatiques. Ces deux rétroactions font essentiellement partie du processus global d’atténuation, visant à ralentir les changements par la façon dont nous gérons nos forêts et la façon dont nous gérons le secteur forestier, afin que les forêts puissent absorber plus de carbone que la quantité qu’elles rejettent dans l’atmosphère et que le secteur forestier utilise moins de carbone dans ces procédés.

Je parlerai d’atténuation dans une minute, mais avant de nous détourner du schéma, j’aimerais mentionner que le concept d’adaptation consiste à gérer les forêts et le secteur forestier en présumant que le climat va changer. Nous devons trouver des façons de rendre les forêts et le secteur forestier plus résilients. Je suis d’avis que la majorité des effets des changements climatiques sur les forêts ne seront pas des changements souhaitables.

Passons à la dernière page où figurent certains points de discussion sur lesquels j’aimerais m’étendre un peu. Le premier est un constat : le fait que les changements climatiques ont déjà commencé et que beaucoup d’autres sont à prévoir. Comme j’écoutais la télévision hier soir, j’ai entendu l’entrevue de Terry Mercer sur la CBC à qui l’intervieweur, Murphy, a demandé : « Que pensez-vous de tous ces sceptiques concernant les changements climatiques? » La réponse de Mercer a été essentiellement : « Franchement, je ne sais pas sur quelle planète ils vivent. » Les changements climatiques sont en train de se produire et le consensus sur le sujet est très fort.

Dans le cadre de ce point de discussion, j’aimerais mentionner que de façon générale, nous ne pensons pas vraiment qu’il sera possible d’atténuation suffisamment les émissions de gaz à effet de serre pour freiner les changements climatiques, malgré les engagements pris à Paris et l’espoir que d’ici 2050, nous vivrons dans un monde où la hausse moyenne des températures ne dépassera pas deux degrés. Ce serait formidable, mais je ne suis pas optimiste en ce sens et je crois que nous devons nous tenir prêts à affronter des conditions climatiques bien plus extrêmes dans le futur.

Mon deuxième point de discussion porte sur le fait que les changements climatiques ont déjà des répercussions sur les forêts et que l’accélération des changements affectera les forêts encore plus dans le futur. Ceci est le résultat d’un genre d’équilibre dynamique qu’auraient atteint les forêts, évoluant dans un climat plutôt stable depuis plus de 1 000 ans, ou peut-être même 2 000 ans.

Tous les spécialistes du climat reconnaissent qu’il a existé des dynamiques dans le climat pendant cette période, mais dans l’ensemble, on peut dire que la situation a été assez stable en matière de climat, surtout en tenant compte de la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et aussi de la vitesse à laquelle les concentrations de gaz à effet de serre augmentent, lesquelles sont beaucoup plus élevées aux XXe et XXIe siècles que celles qui ont persisté durant de nombreux siècles auparavant.

Il m’apparaît donc clairement que l’atmosphère sera chargée d’un surplus de chaleur. Il y aura une augmentation de la température, ainsi qu’une perturbation des tendances en matière de précipitations. Ici en Nouvelle-Écosse, nous ne sommes pas trop inquiets, contrairement à la population de l’Ouest canadien qui devrait être préoccupée par la quantité des précipitations. En Nouvelle-Écosse, nous recevons entre 1 000 et 1 500 millimètres de précipitations par année et, avec les changements climatiques, on prédit qu’elles seront un peu plus importantes, ce qui n’est pas une mauvaise chose pour les forêts. Cependant, la perturbation vient du fait qu’il s’agira plus de pluie que de neige. Nous recevrons beaucoup moins de neige et beaucoup plus de pluie. C’est ce qui change la relation entre les forêts et le climat.

La deuxième perturbation est liée aux événements pluvieux moins nombreux et de plus grande ampleur. Donc, des événements pluvieux plus intenses, mais pas très nombreux, et peu de précipitations légères pour maintenir le même niveau annuel de précipitations.

Le troisième acteur principal est le vent. Une atmosphère contenant plus d’énergie et plus de chaleur sera plus venteuse. S’il y a un facteur atmosphérique qui préoccupe les forestiers de Nouvelle-Écosse, c’est le vent. Nombre d’entre eux diront : « Nous ne pouvons appliquer ce traitement sylvicole ou cet autre traitement sylvicole, car si nous modifions un peuplement forestier, de nombreux arbres vont simplement être arrachés. » En grande partie, je suis d’accord avec eux. Gérer les forêts de la Nouvelle-Écosse est un défi continuel.

Il pourrait y avoir plus de feux de forêt dans l’Est du pays, mais jusqu’à maintenant, les incendies n’ont pas été un facteur déterminant de nos écosystèmes forestiers, pas autant que les insectes et les pathogènes forestiers. Nous prévoyons une importante infestation de la tordeuse des bourgeons dans toute la province, prenant naissance au Québec puis se dirigeant vers le Nouveau-Brunswick. Ce n’est probablement pas un phénomène lié aux changements climatiques, car nous avons subi d’autres infestations de la tordeuse des bourgeons, des années 1950 à la fin des années 1970. Mais davantage de chablis sont prévus, de même que des ouragans plus fréquents et plus puissants, s’ils atteignent nos côtes. Comme vous êtes nombreux à le savoir, nous avons eu un gros ouragan ici, en 2003, qui a détruit l’équivalent de cinq fois la récolte annuelle de bois en Nouvelle-Écosse.

Ces facteurs interagissent de sorte que, si davantage de chablis se produisent, il pourrait y avoir de plus gros incendies. Nous avons eu en effet un gros incendie, deux même, tout près des villes; les deux incendies ont détruit des bâtiments : un à Porters Lake et un à Spryfield. Les deux incendies se sont propagés dans du bois chablis lors de l’ouragan Juan.

Nous voici au troisième point de discussion. Les changements climatiques modifieront profondément le secteur économique des produits du bois, car ils affectent l’approvisionnement en bois. Le dendroctone du pin est un excellent exemple. Tout indique que le climat a été un facteur déterminant, et peut continuer à être un facteur déterminant, dans la dynamique entre le dendroctone du pin et les pinèdes du centre de la Colombie-Britannique et même de l’Alberta.

L’ouragan Juan a aussi eu un effet dévastateur avec tout ce bois de récupération qui a été mis sur le marché.

Quatrièmement, je me pose cette question : « Les forêts canadiennes et le secteur des produits du bois peuvent-ils capter et retenir suffisamment de carbone pour atténuer les changements climatiques? » Malheureusement non, car les changements climatiques sont un phénomène mondial. Ce n’est pas comme si le dioxyde de carbone émis en Nouvelle-Écosse influence le climat de la Nouvelle-Écosse. Ce n’est pas le cas. Chaque kilogramme de dioxyde de carbone rejeté dans l’atmosphère, n’importe où dans le monde, produit le même effet sur les changements climatiques. Mais nous devons faire notre part. Donc, c’est absolument une bonne chose que les forêts, le secteur des produits du bois, le secteur du bâtiment, et ainsi de suite, captent davantage de carbone.

Le cinquième point, peut-être le plus important, consiste à poser cette question : « Notre gestion des forêts et nos instruments de politique peuvent-ils améliorer la résilience de nos forêts et du secteur forestier? » Oui, absolument.

Mon sixième point porte sur les méthodes potentielles que nous pouvons employer pour arriver à cette fin. La première se rapporte à la gestion des sols. Heureusement, nous entendrons des pédologues plus tard aujourd’hui, donc je n’insisterai pas sur ce point. Mais nous devons empêcher les sols de devenir un facteur stressant pour les arbres, et ils pourraient le devenir s’ils ne contiennent pas suffisamment de nutriments pour soutenir la saine croissance des forêts.

Par exemple, nous sommes préoccupés en Nouvelle-Écosse, par l’aménagement intensif des plantations de résineux qui entraîne, en fait, l’extraction d’une part de nutriments qui ne peuvent se renouveler au rythme de leur extraction. Donc, nous devons tenir compte de la quantité d’éléments nutritifs dans les sols au fil du temps.

Le deuxième point consiste à promouvoir la diversité, tout particulièrement toutes les facettes de la biodiversité. Certains suggèrent que nous avons dégradé nos forêts en Nouvelle-Écosse et que nous les avons rendues plus boréales, en ce sens qu’elles sont dominées par les épinettes et les sapins, beaucoup plus qu’elles ne le seraient naturellement. La forêt indigène acadienne, à très petite échelle, contient une beaucoup plus grande diversité d’espèces d’arbres et d’arbres d’âges différents, ce qui contribue à favoriser la résilience de la forêt en prévision des changements climatiques.

Mon troisième point porte sur l’établissement de systèmes de crédit de carbone. Je ne suis pas tout à fait certain de la façon dont cela fonctionne, mais nous sommes presque tous d’avis qu’il faut plus de carbone dans les écosystèmes forestiers; nous souhaitons des écosystèmes forestiers riches en carbone.

Le quatrième point vise à souligner l’importance de soutenir les forêts communautaires et les propriétaires de boisés. Il existe environ 400 000 propriétaires de boisés au Canada et 30 000 ici. La moitié des terres forestières sont détenues par les 30 000 propriétaires de boisés, et ceux-ci ne sont pas nécessairement enclins à produire du bois d’œuvre pour le marché, surtout dans les conditions actuelles du marché. Il est difficile de subvenir aux besoins de sa famille en cultivant et en vendant du bois. Une étude récente a démontré que la plus grande préoccupation d’une majorité de propriétaires forestiers est la valeur patrimoniale de leurs terres forestières. Dans quel état vont-ils léguer leur terre à bois ou leur territoire forestier à leurs héritiers, étant donné l’état des terres forestières aujourd’hui?

Le cinquième point vise à encourager un changement de culture dans le contexte des changements climatiques en faveur de la gestion forestière adaptative. Je réfléchis à propos des changements climatiques depuis 30 ans, et je me dis que si je devais prendre des décisions concernant les forêts, je devrais me mettre dans l’état d’esprit des changements climatiques. Je souhaite augmenter la résistance des forêts en utilisant tous les outils disponibles et les rendre aussi résilientes que possible aux changements de climat.

Le dernier point porte sur la diversité des produits du bois. Pour ma part, je ne trouve pas très intéressant que le Canada participe au marché mondial des produits bas de gamme. Nous devons trouver des façons de fabriquer des produits uniques à partir de notre bois; peut-être qu’à ce moment, nous ne serons plus des preneurs de prix. Comme nous sommes de petits joueurs sur le marché mondial, nous ne sommes que des preneurs de prix; lorsque le prix de la pâte de bois ou des 2x4 n’est pas très bon, nous nous plions aux exigences du marché.

J’aimerais nous voir créer des produits dont nous sommes fiers de dire qu’ils ont été fabriqués en Nouvelle-Écosse et pas uniquement parce que les arbres ont poussé ici. J’aimerais nous voir ériger des édifices faits de bois au lieu d’acier et de béton. Lorsque vous vous promenez en ville, vous voyez des grues de toutes sortes au-dessus d’édifices en béton et en acier. Prenons par exemple l’Université de la Colombie-Britannique, c’est un excellent exemple; son campus compte maintenant un bâtiment en bois de 18 étages. Quelle bonne façon de stocker du carbone et de faire notre part.

C’est ainsi que je termine et que je passe le flambeau à James.

James Steenberg, boursier postdoctoral, École des études sur les ressources et l’environnement, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup, Peter.

Merci à tous de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je suis un boursier de recherches postdoctorales de l’École d’étude des ressources et de l’environnement de l’Université Dalhousie et j’étudie l’écologie et la gestion forestières, en milieu urbain et en milieu rural.

Au cours de mes années universitaires, j’ai également travaillé comme planteur d’arbres pendant cinq ans, en Colombie-Britannique et en Alberta, pour payer mes études. Avec mes camarades de l’époque, nous avons planté 100 p. 100 de semis de pin tordu latifolié, exclusivement dans des secteurs dévastés par le dendroctone du pin ponderosa, lequel se nourrit du pin tordu latifolié. Je crois donc qu’en ce qui concerne l’adaptation du secteur forestier et les effets des changements climatiques au Canada, la question est de planifier pour le futur et d’élaborer des protocoles de gestion adaptatifs. Mais il s’agit également de composer avec les décisions antérieures de propriétaires fonciers et celles des gestionnaires de forêts au fil du temps, car le changement de comportement dans le secteur forestier peut prendre du temps parfois.

Comme Peter nous a donné un très bon aperçu de la gestion forestière et des effets possibles des changements climatiques et de l’adaptation du secteur forestier, je n’ajouterai que quelques faits complémentaires issus de mes recherches et de mon domaine d’expertise. Le premier qui se trouve dans mes notes d’allocution porte sur la façon dont nous concevons le temps et l’échelle temporelle dans le secteur forestier, en ce qui concerne les effets des changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci.

Je vous laisse une minute pour trouver les notes d’allocution, au besoin.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, la durée de vie des arbres est beaucoup plus longue que celle des humains par conséquent, les programmes de gestion forestière doivent avoir une approche prospective et même utiliser des analyses en rétrospective. En ce qui a trait à l’échelle temporelle et à la planification de la gestion forestière au Canada, il existe deux façons d’aborder la situation. Je crois que nous devrions incorporer les deux démarches en cherchant l’équilibre. Il s’agit de planification proactive et rétroactive.

D’abord, la planification proactive et le besoin de composer avec l’incertitude entourant l’avenir des changements climatiques exigent souvent de recourir à des instruments scientifiques tels que des modèles de simulation, pour prévoir différents scénarios de gestion de l’adaptation aux changements climatiques de gravités variables. Je suis d’avis que la science est assez avancée, car il y a eu des investissements importants dans ce type de recherche au Canada, à l’échelle provinciale et fédérale, mais aussi par des entreprises de produits forestiers.

Le deuxième élément en ce qui concerne le facteur temps est l’analyse rétroactive, laquelle consiste à examiner les changements qui surviennent avec le temps par rapport à notre gestion des forêts, d’où l’importance de la surveillance. Une surveillance à long terme est nécessaire afin d’étudier les effets des changements climatiques, l’évolution des forêts, les conditions socioéconomiques du secteur forestier, de même que la progression des objectifs canadiens en matière de gestion durable des forêts.

Une stratégie que Peter et moi connaissons bien est le Cadre canadien de critères et d’indicateurs du Conseil canadien des ministres des Forêts visant à mesurer la réussite de l’aménagement forestier durable. Ce cadre établit six critères, qui regroupent essentiellement un ensemble de valeurs canadiennes entourant l’aménagement forestier durable, associés à 46 indicateurs permettant de suivre les progrès réalisés en matière de durabilité. La dernière évaluation nationale a eu lieu en 2006; je crois que nous devrions considérer que les programmes de surveillance à l’échelle nationale sont une priorité, afin de comprendre comment les choses évoluent et de recueillir l’information pour mieux renseigner la science de la modélisation, de la simulation et des prévisions.

Pour ce qui est des programmes de surveillance, je crois que les instruments techniques sont en place. Comme c’est le cas pour la modélisation, la surveillance est souvent limitée par la disponibilité des données, le financement ou la coordination; le Canada est un si grand pays, en vérité.

Le deuxième point que j’aimerais soulever porte sur les effets environnementaux cumulatifs et l’avertissement selon lequel le secteur forestier ne peut s’adapter suffisamment aux changements climatiques par lui-même. L’adaptation requiert la coordination des différents secteurs liés à la gestion des ressources et de l’environnement, le secteur pétrolier et gazier, les secteurs agricole et minier. Toutes ces industries ont des effets cumulatifs sur l’environnement, lesquels sont de plus en plus reconnus comme étant problématiques au Canada. Ces effets cumulatifs sont souvent des effets environnementaux négligeables qui peuvent échapper aux exigences réglementaires en raison de leur faible impact potentiel, mais de manière cumulative, ils sont dommageables pour l’environnement. C’est comme une mort à petit feu.

Les changements climatiques et les interactions des effets potentiels des différents secteurs s’accompagnent d’un haut niveau d’incertitude quant aux effets cumulatifs liés aux interactions entre le secteur forestier et d’autres aspects de la gestion des ressources ainsi que leurs effets environnementaux associés. Cela nécessite une coordination entre les secteurs, l’échange de données et de renseignements, une coordination et une collaboration de qualité exigeant sans doute que nous allions au-delà des compétences provinciales.

Mon troisième point concerne la mise à profit de nouvelles sources de données pour l’adaptation aux changements climatiques dans le secteur forestier. Dans le monde actuel, les données occupent une place centrale, qu’il s’agisse de Google ou de nos téléphones intelligents. En réalité les données massives servent en grande partie à diffuser de petits faits intéressants ou des anecdotes. Mais les données sont extraordinairement importantes pour la planification de la durabilité dans le secteur forestier et pour l’adaptation aux changements climatiques.

Le premier point sur ma liste concerne l’investissement et l’innovation, la recherche et développement ainsi que la télédétection pour mieux surveiller et prévoir l’état des forêts. Étant donné la forte valeur de ce secteur et les investissements qui s’y opèrent, cela se fera tout seul. Mais pour l’adaptation aux changements climatiques, il y a d’autres aspects des données que nous devrions selon moi prendre mieux en compte, comme les initiatives gouvernementales sur les données libres et la science citoyenne.

S’agissant des initiatives gouvernementales sur les données libres, c’est une priorité croissante pour les trois niveaux de gouvernement au Canada. Mais je crois que nous pouvons mieux faire. Par exemple, la gestion forestière au Canada s’applique principalement aux terres de la Couronne, dans le cadre d’ententes relatives au régime foncier conclues avec des entreprises de produits forestiers. Dans la plupart des provinces, ces entreprises ont l’obligation légale d’élaborer des plans de gestion forestière, de mener des initiatives de surveillance et des initiatives de modélisation. Ces données pourraient être communiquées par le truchement de programmes gouvernementaux de données libres d’accès, peut-être sous forme d’obligations dans les ententes sur les régimes fonciers. Cela me semble important à cause de la nécessité que j’ai évoquée d’une collaboration entre les secteurs pour que ces données soient mises à la disposition des parties éventuellement intéressées.

Par ailleurs, la foresterie communautaire ou les ententes de cogestion avec les Autochtones, dont l’importance est croissante et dans lesquelles la gouvernance collaborative à petite échelle autour de la gestion durable des forêts occupe une plus grande place, bénéficieront d’une meilleure disponibilité des données à l’appui de leur adaptation future aux changements climatiques.

De telles initiatives peuvent également être utilisées pour des programmes de science citoyenne. Vous savez, en ce qui concerne la disponibilité des données, l’argent, la coordination et l’ampleur de l’entreprise sont toujours des facteurs importants. La science citoyenne pourra prendre de plus en plus la relève. Il faut simplement qu’elle soit facilitée et qu’il y ait des outils adaptés.

Ici, dans le Canada atlantique, nous avons connu d’importantes initiatives de science citoyenne en partenariat avec le Service canadien des forêts pour surveiller la prolifération actuelle et future de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Ce type d’initiative peut donc constituer un modèle de la manière dont nous pouvons envisager différentes échelles et de multiples approches pour l’adaptation aux changements climatiques dans le secteur forestier.

Enfin, je ne me considérerais pas comme un universitaire digne de ce nom si je n’évoquais pas les forêts urbaines et leur importance au Canada, un aspect de plus en plus important de mes recherches à l’Université Dalhousie et à Toronto où j’ai obtenu mon doctorat.

Plus de 80 p. 100 des Canadiens vivent en ville. La gestion forestière dont la plupart des Canadiens sont témoins concerne les forêts urbaines et pourtant la foresterie urbaine est très souvent sous-financée ou n’est gérée par les villes que de façon réactive et ne bénéficie pas de l’attention qu’elle mérite, à mon avis, étant donnée la valeur des services rendus par ces écosystèmes et les bénéfices qu’il y a pour nous à faire pousser des arbres dans les villes : dépollution de l’air, réduction des îlots de chaleur urbains et ralentissement des eaux de ruissellement pour éviter les inondations urbaines.

Dans le Rapport sur l’état des forêts de 2016, une section entière était consacrée à l’adaptation des forêts urbaines aux changements climatiques et pourtant ce sujet n’est pas abordé dans le rapport de 2017. Je pense que la foresterie urbaine doit être une priorité pour le gouvernement fédéral et les provinces dans leur rôle de soutien et de financement des initiatives auprès des municipalités canadiennes. De plus en plus de villes élaborent des programmes et des plans de foresterie urbaine durable. Nous avons, ici à Halifax, un plan directeur sur la forêt urbaine auquel Peter et moi avons contribué et nous participons de plus en plus à sa mise en œuvre. Mais la plupart des collectivités n’ont pas mis en place de tels plans ou programmes. Elles manquent de fonds et de capacités pour le faire et lorsque ces programmes ou plans existent la coordination entre les collectivités, entre les villes, est insuffisante.

Prenons les effets des changements climatiques sur l’environnement. Nous constatons que les espèces invasives sont de plus en plus abondantes, comme l’agrile du frêne. Il sème la désolation en Ontario et au Québec. Nous surveillons nos arrières pour guetter son apparition potentielle au Canada atlantique. Cela nécessite une coordination régionale et interprovinciale afin de gérer l’adaptation et la gestion durable. Avec les changements climatiques à venir, nous devons nous attendre à une augmentation de l’abondance des phytoravageurs forestiers invasifs et des dégâts qu’ils provoquent.

Le plus souvent, d’après mon expérience, les villes considèrent leurs forêts urbaines comme des infrastructures vertes à même de contribuer à leur adaptation aux changements climatiques. C’est sans aucun doute d’une importance vitale, mais nous devons nous assurer que nous adaptons également les écosystèmes forestiers urbains aux changements climatiques, sans quoi ils ne pourront pas jouer leur rôle d’infrastructure verte.

Je crois avoir abordé tous les aspects de mon intervention. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer ici.

La présidente suppléante : Merci beaucoup à tous les deux.

Nous allons commencer notre séance des questions par le sénateur Doyle.

Le sénateur Doyle : Merci pour cet excellent exposé.

Je parcourais les différents points de votre exposé. Vous avez posé cette question : « La gestion et les politiques forestières peuvent-elles augmenter la résilience des forêts? », ce à quoi vous avez bien sûr répondu par l’affirmative. Vous êtes ensuite passé au sixième point dans lequel vous évoquez la diversité des produits forestiers, semblant indiquer que nous n’utilisons aujourd’hui pas assez le bois dans la construction. Je me demandais si l’on ne risquait pas un jour d’exercer une pression trop élevée sur nos forêts en utilisant trop de bois dans la construction.

Nous avons reçu à Ottawa des représentants du secteur des produits forestiers il y a environ une semaine et ils ont suggéré des amendements au Code national du bâtiment. Actuellement, celui-ci permet de construire des bâtiments à ossatures en bois de six étages. Il me semble que ces personnes voulaient pouvoir aller jusqu’à 8, 10 voire 12 étages à terme. Cela poserait-il des problèmes? Ne risquons-nous pas d’atteindre un stade où nos forêts subiront une trop forte pression? Jusqu’où pouvons-nous maintenir nos forêts si nous demandons continuellement aux gens de se passer du béton, de l’acier et de l’aluminium pour utiliser exclusivement le bois? Cela vous inquiète-t-il?

M. Duinker : Non.

Le sénateur Doyle : Non? C’est si simple que ça?

M. Duinker : Pour répondre simplement, je crois que les modifications du Code national du bâtiment concernent surtout les constructions à ossature en bois et le bâtiment de l’Université de la Colombie-Britannique a été construit à partir de matériaux en bois composite. La structure est composée de grosses poutres créées à partir de copeaux de bois collés ensemble pour former des piliers sur mesure et ainsi de suite. Les modifications du Code national du bâtiment visant à autoriser la construction de bâtiments à ossature de bois plus hauts ne m’inquiètent pas, car je ne suis pas expert en intégrité des bâtiments. Mais je serais ravi que nous avancions dans le sens de l’utilisation du bois comme composante structurelle principale de bâtiments beaucoup plus élevés et que nous ne dépendions plus du béton et de l’acier.

J’ai entendu des hypothèses selon lesquelles si les tours jumelles de New York avaient été construites en bois elles ne se seraient pas effondrées après que des avions se sont écrasés dessus, à cause des caractéristiques différentes du bois. Les grandes pièces de bois qui sont utilisées pour les constructions à ossature en bois ne sont pas vraiment inflammables. Si ma vieille maison de Halifax prenait feu, elle serait détruite. Mais les grandes pièces de bois ne brûlent pas bien. Elles carbonisent à l’extérieur, mais le reste ne brûle pas.

Mais permettez-moi d’en venir à la question de l’existence d’un lien entre développement des constructions en bois et pression sur les forêts.

Le sénateur Doyle : Oui.

M. Duinker : Le secteur canadien des produits du bois est tourné vers l’exportation. Nous exportons beaucoup plus de produits forestiers que nous n’en utilisons au Canada. Il me semble donc que nous pouvons contrôler le niveau de pression exercé sur les forêts sans modifier le niveau d’exploitation et répondre à la demande intérieure en réduisant les exportations.

Le sénateur Doyle : D’accord, donc moins d’exportations.

M. Duinker : Oui, moins d’exportations et davantage de consommation chez nous. En utilisant le matériau ici, on produit moins d’émissions de gaz à effet de serre qu’en l’expédiant en Floride par camion ou vers d’autres continents par voie maritime, en utilisant ainsi des combustibles fossiles dans les deux cas. Au lieu d’importer de l’acier en Nouvelle-Écosse pour y construire des bâtiments, je crois que d’utiliser du bois qui a été cultivé dans la province serait une très bonne chose.

La question de la pression exercée sur les forêts est intéressante. Vous savez, nous contrôlons de très près les taux de coupe dans les forêts de la Couronne au Canada. Les compagnies ne sont pas autorisées à couper des arbres tant que le gouvernement n’a pas approuvé les taux de coupe. Je sais qu’il existe de nombreuses controverses sur la manière dont ces taux de coupe sont établis, surtout en Colombie-Britannique où il y a un chef forestier dont le rôle est de négocier les taux de coupe dans les forêts de la Couronne. Je suis davantage préoccupé par la situation des forêts privées, car les taux de coupes n’y sont absolument pas réglementés et suivent généralement les fluctuations du marché. Donc lorsque les prix sont élevés les coupes peuvent être assez intensives et lorsque le secteur se porte moins bien il y a moins de coupes.

Réfléchissez à ceci : aux alentours de l’an 2000, nous coupions 7 millions de mètres cubes de bois par an en Nouvelle-Écosse. Dix ans plus tard, ce chiffre était tombé à 3 millions. Pourquoi? Parce que le marché s’est effondré. En 2005, disons, nous coupions à peu près 180 millions de mètres cubes au Canada et cinq ans plus tard nous ne coupions plus que 120 millions de mètres cubes. Alors je pense que les forêts ne sont pas surexploitées, surtout les forêts de la Couronne.

Le sénateur Doyle : D’accord.

M. Duinker : Les terres à bois sont plus ou moins exploitées selon les fluctuations du marché.

Pour terminer sur ce point, je souhaite que nous trouvions le moyen de faire pousser des forêts dont nous soyons fiers et que nous trouvions des usages pour le bois qui soient déterminés par le type de bois dont nous disposons et non pas par les technologies disponibles dans les moulins à papier.

Par exemple, je me souviens que lorsque je vivais à Thunder Bay, Abitibi-Price plantait des épinettes noires, peu importe les espèces qui étaient coupées. J’ai demandé : « Pourquoi plantez-vous uniquement de l’épinette noire? » Les responsables de l’entreprise ont répondu : « Eh bien nous faisons du papier journal et l’épinette noire est ce qui convient le mieux. Alors nous voulons que nos futures forêts soient composées d’épinette noire. » Deux ans après cette conversation, le moulin à papier a fermé.

Nous ne pouvons pas prédire le type de produits forestiers que nous voudrons en 2050 ou 2060.

Le sénateur Doyle : Non.

M. Duinker : Alors pourquoi créons-nous des forêts qui répondent à notre conception actuelle des produits forestiers alors que les forêts mettent autant de temps à pousser? J’aimerais que nous procédions à l’inverse, que nous construisions les forêts les plus résilientes possible aux changements climatiques, et, quel que soit le bois que nous obtiendrons, soyons assez intelligents pour en faire des choses valables.

Le sénateur Doyle : Revenons un instant aux changements climatiques et à ce qu’a dit Terry Mercer — je partage tout à fait son point de vue — pouvons-nous facilement nous adapter ici, au Canada atlantique, peut-être plus facilement que dans d’autres parties du Canada? Les changements climatiques pourraient-ils par exemple offrir au Canada atlantique des possibilités intéressantes en matière agricole, de nouveaux types de culture par exemple? Y a-t-il des aspects positifs associés aux changements climatiques en ce qui concerne l’agriculture et ce genre de choses? Les nouvelles technologies ont-elles permis, par exemple, de diversifier notre base agricole nonobstant les changements climatiques? Est-ce trop simpliste ou est-ce possible?

M. Duinker : Je crois que c’est possible. L’avantage qu’a le secteur agricole dans son ensemble sur la gestion forestière, c’est la rotation rapide des récoltes. En général on peut cultiver une espèce différente chaque année. En forêt on ne peut pas renouveler les espèces avant 30 ou 40 ans. Alors même si j’ai un diplôme agricole et que j’ai été agriculteur, je préférerais laisser ceux qui viendront après nous pour témoigner sur l’agriculture répondre à votre question.

Mais si nous imaginons le régime des températures de l’Ontario combiné avec le régime des précipitations de la Nouvelle-Écosse, imaginons que cela se produise, alors nous pourrons peut-être modifier notre production agricole de sorte à diversifier nos récoltes et à récolter plus souvent.

Durant mes études à l’Université de Guelph, dans les années 1970, je me souviens d’avoir étudié des systèmes de culture qui obtenaient trois récoltes par an dans le même champ.

Le sénateur Doyle : Vraiment? Trois récoltes par an?

M. Duinker : Oui, trois.

Le sénateur Doyle : C’est incroyable.

M. Duinker : Il y avait une récolte précoce de foin. Ensuite on semait du maïs et il y avait encore une culture après la récolte du maïs. Selon les rythmes de rotation, il était possible d’obtenir trois récoltes. Ce n’est pas notre cas. Nous n’en obtenons qu’une seule. Mais si nos précipitations restent inchangées et que les températures augmentent, nous pourrons peut-être passer d’une à deux récoltes, ce ne sera pas le fruit d’une modification des pratiques agricoles, mais cela correspondra à une hausse de la productivité simplement liée à une augmentation des températures.

Le sénateur Doyle : Quelle est la limite au-delà de laquelle la variation de température devient dangereuse? Savez-vous si la température a augmenté chez nous au cours des 10 dernières années? Pouvons-nous dire que si nous avons gagné un degré c’est dangereux? Qu’est-ce qu’une variation de température problématique? Est-il possible de répondre à cette question?

M. Duinker : Cela dépasse vraiment mon domaine de compétences. Il faudrait que je téléphone à Kalin Mitchell de Radio-Canada pour avoir son avis. Mais il ne faut pas prendre la hausse de température moyenne à l’échelle planétaire et imaginer que cela s’appliquera en Nouvelle-Écosse, car cela ne sera pas le cas. La valeur moyenne de l’augmentation des températures à l’échelle mondiale est une sorte de chiffre théorique qui ne s’appliquera à aucun endroit en particulier de la planète, le climat sera ressenti différemment dans chaque endroit.

Le sénateur Doyle : D’accord.

M. Duinker : Nous pourrions donc assister à une hausse de quelques degrés Celsius des températures moyennes en juillet en 2080, voire en 2100 et à une hausse de températures hivernales d’environ cinq degrés Celsius au milieu de l’hiver. Ce sont des augmentations assez importantes par rapport à ce que nous avons connu ces dernières décennies.

Le sénateur Doyle : D’accord.

M. Duinker : Il y a des variables très importantes à surveiller. La première est le nombre de jours où la température dépasse les 30 degrés Celsius. C’est un indicateur souvent utilisé comme seuil de stress thermique pour les humains et les plantes. Donc si l’on prend la courbe des températures du printemps jusqu’à l’automne où elle commence à baisser, que l’on applique une hausse de la température moyenne estivale et que l’on surveille la valeur de 30 degrés Celsius, si le nombre de jours au-dessus des 30 degrés est doublé, cela commence à être préoccupant, surtout si cela ne s’accompagne pas de précipitations. C’est alors que nous verrons du maïs fané et des récoltes de pommes dont nous ne serons pas fiers, ce genre de choses.

Ce que je peux dire avec certitude c’est que le secteur viticole se porte bien en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Doyle : Peut-on attribuer en partie ce succès aux changements climatiques

M. Duinker : Absolument.

Le sénateur Doyle : C’est un aspect positif. Lorsque j’étais enfant, on ne cultivait pas de maïs en Nouvelle-Écosse. Aujourd’hui on en cultive partout à Terre-Neuve. Cette plante n’était pas prisée. On cultivait surtout des pommes de terre et des plantes racines. Certains disent : « Eh bien, c’est probablement l’un des aspects positifs des changements climatiques. Notre saison est un peu plus longue qu’auparavant. » Très bien, merci beaucoup.

M. Steenberg : Je voudrais ajouter quelques mots. Je vais m’en tenir à ma zone d’expertise, la forêt, mais cela pourrait s’appliquer dans une certaine mesure à l’agriculture, de nombreuses sources scientifiques indiquent qu’une hausse des températures accompagnée d’une augmentation des teneurs en dioxyde de carbone peuvent sans aucun doute aboutir à un accroissement de la productivité. Mais c’est l’équilibre entre ces lents gains de productivité et l’augmentation de la fréquence et de la magnitude des phénomènes météorologiques extrêmes qui compte. Un léger gain de productivité au fil du temps dans la culture du maïs pourrait se voir balayé pendant 10 ans par un unique événement météorologique vraiment sévère.

Le sénateur Doyle : D’accord.

M. Steenberg : Donc, si vous prenez les changements climatiques et que vous visualisez une courbe en cloche avec la moyenne au milieu de la courbe, ces moyennes se déplacent lentement. Mais ce qui compte véritablement ce sont ces événements isolés à l’extrémité de la courbe et dont la fréquence augmente — des incendies sans précédent en Colombie-Britannique ou des records de températures estivales régulièrement battus. Vous savez, l’effet d’un degré ou un demi-degré d’augmentation des températures moyennes estivales pourrait être totalement contrebalancé par un unique événement de gel-dégel durant la saison intermédiaire et cela pourrait gravement toucher la productivité forestière également.

Le sénateur Doyle : Très bien. Merci.

La présidente suppléante : La parole est à la sénatrice Bernard. Je vous en prie.

La sénatrice Bernard : Merci à tous les deux pour vos exposés. Je suis fraîchement retraitée de l’Université Dalhousie et je dois dire que c’est un moment de fierté pour cet établissement. Votre école est très renommée grâce à vos travaux.

Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon vous travaillez directement ou indirectement avec les gouvernements et les ONG? Vos recherches ont-elles des conséquences directes en matière d’élaboration de politiques et ce genre de choses?

M. Duinker : Cela dépend entièrement de chaque professeur. Les professeurs bénéficient d’une grande liberté pour leur calendrier de recherches. Notre école est petite et ne compte que six professeurs, des étudiants en cycle supérieur et quelques jeunes personnes brillantes en postdoctorat.

La sénatrice Bernard : Oui.

M. Duinker : Sur les six professeurs, deux sont dans une situation de forte intégration avec les clients de nos recherches. Je dirais que nous le sommes tous les six dans une certaine mesure, mais certains sont beaucoup plus intégrés que d’autres. Je crois que pour faire changer les choses, si vous êtes un chercheur et que vous produisez des savoirs, vous devez vous intégrer aux affaires des personnes qui ont besoin de ces nouvelles connaissances.

Le meilleur exemple dont je dispose, c’est aussi le plus récent, est le travail que nous faisons avec la Municipalité régionale d’Halifax sur le plan directeur sur la forêt urbaine. En 2010, le forestier urbain m’a dit : « Peter, j’ai vraiment besoin de vous pour m’aider à bâtir un plan directeur sur la forêt urbaine. » Alors à trois, deux personnes travaillant pour la ville et moi-même, nous avons encadré une équipe principalement composée d’étudiants en cycle supérieur, dont faisait partie James à l’époque. Il nous a fallu deux ans pour bâtir le plan directeur sur la forêt urbaine. Notre empreinte sur ce plan est donc très forte.

Ensuite les employés de la ville m’ont dit : « Maintenant nous avons besoin de vous pour la mise en application du plan. Nous avons besoin que vous nous fournissiez des services de recherche et de suivi liés à la mise en application du plan. » La mise en application a commencé en 2013, voici maintenant cinq ans et chaque année je signe un contrat entre l’Université Dalhousie et la ville pour fournir des services de recherche. L’argent du contrat me permet d’employer des étudiants durant l’été pour nous aider à faire des mesures sur les arbres, à faire des exercices de participation du public et ainsi de suite.

C’est un exemple parmi de nombreux autres dans lesquels les personnes de notre école ne participent pas uniquement à nos travaux internes, mais s’investissent directement auprès des clients, dont beaucoup viennent en fait solliciter notre aide. Ce n’est pas comme si nous étions à l’initiative des questions sur lesquelles nous aimerions travailler. Nous partons des questions que nous soumettent nos clients et qui leur posent des difficultés et nous travaillons avec eux.

La sénatrice Bernard : C’est un très bon exemple. Merci.

La présidente suppléante : La parole est à la sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Monsieur Steenberg vous avez évoqué les difficultés d’obtention de financements pour la recherche et je me demandais, en plus de soutenir les universités, où le pays doit-il investir afin de soutenir la recherche et l’innovation dans le secteur forestier?

M. Steenberg : Je pourrais passer des heures à répondre à cette question. Je crois que les véritables investissements doivent permettre un meilleur partage de l’information et des données et permettre leur accès public. S’agissant des résultats de recherches, généralement financées par de l’argent public, il n’y a hélas souvent que deux personnes qui lisent l’article scientifique auquel elles aboutissent et il s’agit du « lecteur critique anonyme no 1 » et du « lecteur critique anonyme no 2 ».

Je suis persuadé qu’il y a des quantités insondables de résultats scientifiques sous-exploités. Il s’agit désormais de rendre ces résultats plus disponibles pour le public et à nous y engager comme scientifiques, spécialistes et en qualité de gouvernement.

Pour en revenir à ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet d’une gouvernance plus collaborative et du besoin de communication entre les secteurs et les autorités législatives pour la gestion des impacts environnementaux, nous devons financer la recherche sur ces impacts environnementaux, sans aucun doute, mais nous devons aussi nous tourner vers les sciences sociales et vers d’autres disciplines pour collaborer de façon efficace dans la gestion de ces problèmes par-delà les frontières.

M. Duinker : Je ne peux m’empêcher d’intervenir sur ce sujet. La communauté universitaire des chercheurs qui travaillent sur les forêts, les changements climatiques et les enjeux connexes est très fragmentée. D’un autre côté, le Service canadien des forêts, qui est notre grand organisme fédéral, est moins fragmenté, mais il est selon moi largement sous-financé et sans doute un peu déconnecté des gestionnaires de forêts au Canada.

En 1994, la communauté des chercheurs du Canada a réussi à mettre en place ce qui s’appelait le « réseau des centres d’excellence » sur la gestion forestière durable, basé à l’Université d’Alberta. Nous avons connu 15 années d’excellence dans la recherche forestière, jusqu’en 2009, lorsque le programme est arrivé à son terme. En tant que participant, cela a signifié pour moi 15 années de très forte connexion entre l’industrie, les gouvernements provinciaux et la communauté universitaire de l’ensemble du Canada. C’était une très bonne période. Ensuite le secteur des produits forestiers s’est effondré. En 2008-2009 il n’a pas été en mesure de maintenir les financements et nous avons régressé vers un état où les chercheurs sont relativement isolés les uns des autres et travaillent chacun de leur côté sur ce qui leur semble pertinent.

Il y a, malgré tout, de petites initiatives pour revenir à un réseau national et une nouvelle initiative vient d’être financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Je participe à ce réseau qui s’intitule : « ForWater », ce qui fait allusion à l’eau en forêt. C’est une initiative visant à étudier l’utilisation des forêts dans les bassins versants qui fournissent de l’eau domestique afin de prétraiter l’eau pour réduire les coûts d’utilisation de produits chimiques et d’électricité et ainsi de suite dans les usines de traitement de l’eau.

Il y a cinq nœuds dans l’ensemble du Canada où ont lieu les principales initiatives de ce réseau et je suis fier de dire que l’un de ces nœuds se trouve ici. Nous allons étudier le lac Major et le lac Pockwock pour voir si nous pouvons gérer différemment ces terres boisées, car il y a un problème avec la couleur de l’eau. Elle devient marron. Les responsables du traitement ne veulent pas payer les produits chimiques pour retirer cette coloration. Comme vous pouvez l’imaginer, la population ne veut pas d’une eau potable de couleur marron.

Nous estimons que ce réseau est correctement financé, mais sans aucune commune mesure avec ce que nous connaissions à l’âge d’or du réseau des centres d’excellence.

Je ne sais pas quel mécanisme serait nécessaire pour rétablir un réseau de recherches sur les forêts et leur durabilité, coordonné au niveau national et bien structuré. Cela serait très utile pour faire ce que je crois être nécessaire sur le front de la construction de forêts résilientes aux changements climatiques. Il y a de nombreuses incertitudes dans ce domaine et nous avons besoin que la communauté de la recherche universitaire soit mobilisée sur ce thème.

La sénatrice Gagné : Merci.

La présidente suppléante : J’ai une rapide question. C’est au sujet de votre cinquième point dans lequel vous avez dit que nous devons encourager un changement de culture autour de l’adaptation aux changements climatiques. Pensez-vous qu’il existe actuellement des résistances à ce changement culturel et si c’est le cas, que pouvons-nous faire pour l’encourager?

M. Duinker : Comme je l’ai dit au début de mon exposé, cela fait 30 ans que je travaille sur le thème des changements climatiques dans les forêts et au début, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, je me sentais très seul, car les gens commençaient juste à entendre parler des changements climatiques et ne réfléchissaient pas beaucoup à ce que cela signifiait.

Il y a environ 15 ans, certainement en réaction à mes demandes constantes : « Inscrivez les changements climatiques sur votre ordre du jour », une jeune femme a été employée par la province pour rédiger un article de réflexions sur les changements climatiques dans les forêts. Elle a rédigé son article et tout le monde a dit : « Bravo, très bon article » et il a été rangé dans un tiroir.

Par conséquent, dans cette province les changements climatiques n’ont jamais fait partie de l’ordre du jour des gestionnaires de forêts. Mais je participais la semaine dernière à une réunion de planification de recherches, dans un autre hôtel à Halifax et j’étais ravi que tous les participants soient d’accord pour dire que les changements climatiques constituent désormais la principale menace que nous puissions imaginer pour la biodiversité forestière et pour d’autres aspects des forêts au cours du XXIe siècle.

Le changement culturel s’opère donc, surtout à mesure que les changements climatiques sont plus reconnus. Mais nous devons diffuser ces idées davantage auprès des 30 000 propriétaires de terres à bois qui devraient davantage réfléchir à tout ceci. Il est difficile de toucher la majorité d’entre eux. Les organisations de propriétaires de terres à bois représentent peut-être 10 à 20 p. 100 de l’ensemble des propriétaires. Les autres sont des personnes farouchement indépendantes qui refusent qu’on leur dise quoi faire et qui ne veulent pas de conseils ou de formations.

Alors pouvons-nous accélérer le changement de culture? Je suppose que nous le pourrions si Ressources naturelles Canada s’emparait de cette question et admettait que c’est le principal moteur. Il faut en parler à chaque fois que l’on évoque l’avenir de nos forêts et insister sur la notion de changements climatiques.

La présidente suppléante : À vrai dire nous avons entendu les témoignages de propriétaires de terres à bois hier et l’un des groupes de témoins était constitué de propriétaires de terres à bois du Nouveau-Brunswick. Ils ont affirmé que des formations sur ces questions leur seraient bénéfiques. Alors je crois qu’il y a des possibilités. Il s’agit de réussir à réunir les différents acteurs pour qu’ils travaillent ensemble sur un problème en particulier et comme vous l’avez dit, il faut de la collaboration entre les secteurs.

Il nous reste cinq minutes pour un tour de questions rapides. La parole est à la sénatrice Bernard, puis à la sénatrice Gagné.

La sénatrice Bernard : Je vais être brève alors.

Je crois que l’ouragan Juan a suscité une prise de conscience en Nouvelle-Écosse. Je l’ai vécu. Ensuite vous avez établi un lien entre l’ouragan Juan et les incendies du lac Porter. J’habite à côté du lac Porter. Vous n’avez pas parlé de la tempête dite « Juan blanc ». Est-ce que c’est aussi un élément?

M. Duinker : Je ne crois pas. Mais je ne me souviens pas que quiconque ait parlé des effets de cette tempête sur les forêts rurales de Nouvelle-Écosse. Par contre je me souviens avoir été coincé chez moi pendant une semaine en février ou en mars 2004, peu importe, sans électricité, une fois de plus. Beaucoup d’arbres ont certainement légèrement souffert du poids de la neige accumulée, mais ce n’était pas comme l’ouragan Juan qui a renversé les arbres et les a tués. Il y a peut-être eu des effets, mais nous nous souvenons principalement de l’ouragan, pas de la tempête de neige.

La sénatrice Bernard : Une dernière question et puisque nous n’avons pas le temps, peut-être pourriez-vous nous répondre par écrit? Vous avez parlé du besoin de soutenir les forêts communautaires et les propriétaires de forêts. J’étais absente hier, mais en entendant le lien qui a été fait à l’instant, je me suis demandé comment ces personnes pourraient être davantage soutenues et si elles désirent plus de formations. S’il n’y a pas assez de liens, quel rôle joue l’université pour en établir? Si vous avez des idées de recherches ou de programmes qui pourraient être utiles, merci.

M. Duinker : Je sais que vous ne voulez pas de réponse, mais je voulais simplement souligner qu’il y a une forêt communautaire officielle en Nouvelle-Écosse. Vendredi je participerai à une réunion avec ses représentants et j’en profiterai pour poser votre question.

La sénatrice Bernard : J’ai hâte de connaître la réponse.

La présidente suppléante : Si vous avez des renseignements complémentaires, vous pouvez tout à fait les transmettre à notre greffier. Nous vous en serons très reconnaissants.

La parole est à la sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Nous avons entendu qu’il fallait bâtir une future forêt en nous basant sur notre connaissance des changements climatiques. Nous devons stimuler l’émergence de solutions locales. Comment pouvons-nous concevoir de bonnes politiques publiques pour cette partie du Canada afin de réduire l’impact des changements climatiques sur la gestion des forêts et sur l’agriculture?

M. Duinker : Comme James, j’aimerais avoir plusieurs heures pour discuter de cette question avec vous, car c’est un vaste sujet que vous avez ouvert.

Je participe au suivi de l’élaboration des politiques forestières dans cette province depuis mon arrivée ici en 1998 et certains processus d’élaboration de politiques m’ont paru extrêmement solides et d’autres extrêmement faibles. Celui qui m’a semblé le plus solide était un processus basé sur la négociation visant à déterminer la manière de finaliser le réseau d’aires protégées dans notre province. Les négociations furent menées par un organisme qui est aujourd’hui en sommeil, une des forêts modèles, le Nova Forest Alliance. J’ai présidé le Nova Forest Alliance durant une partie du processus intitulée : « Colin Stewart Forest Forum ». Il s’agissait d’un processus basé sur la délibération et la négociation visant à conduire les groupes de défense de l’environnement et les grands groupes industriels du secteur des produits forestiers à un accord sur la façon d’atteindre les 13 p. 100 d’aires protégées. Cela a fonctionné puisque l’an dernier le gouvernement a pu annoncer que les 13 p. 100 étaient atteints.

En revanche, le Nova Scotia Natural Resources Strategy Process, de nature très différente, n’a pas été un franc succès. Une stratégie a été mise en place en 2011. Elle a suscité beaucoup de consternation et sa mise en application ne se passe pas bien. À vrai dire les pratiques forestières en Nouvelle-Écosse sont si litigieuses que la province a annoncé voici à peine quelques semaines une énième étude indépendante des pratiques forestières qui doit être dirigée par Bill Lahey, le président du Kings College.

Alors s’agissant des processus d’élaboration de politiques, j’ai mon idée sur les types de processus qui semblent fonctionner et ceux qui ne fonctionnent pas et nous continuons trop souvent à mettre en œuvre des méthodes qui ne fonctionnent pas. Je vais devoir m’interrompre étant donnée l’heure.

La présidente suppléante : Nous avons terminé juste à l’heure. Si vous voulez nous dire quelque chose sur un sujet qui n’a pas été traité, selon vous, nous pouvons prendre encore quelques minutes.

Monsieur Steenberg?

M. Steenberg : Je crois que tous les aspects importants ont été traités. Mais je vais conclure sur le thème de la forêt urbaine, car j’y ai consacré beaucoup d’attention ces derniers temps et je crois que nous sommes à un moment important en matière d’élaboration de politiques publiques et de mise en application du plan directeur sur la forêt urbaine à Halifax. Dans ce cas précis, je ne crois pas que la réflexion sur l’élaboration d’une méthode doive distinguer si nettement l’urbain d’un côté et le rural de l’autre.

Si vous prenez la Municipalité régionale d’Halifax, une grande partie, voire la majorité des terres de certaines parties de la MRH sont très rurales. Cela implique des approches en matière de politiques publiques et d’adaptation aux changements climatiques qui nécessitent des outils très variés, mais aussi l’intégration beaucoup plus fréquente d’approches collaboratives menées par les communautés. Cela est de plus en plus vrai à mesure que l’on s’approche des centres urbains, dans lesquels une grande part de cette gestion se trouve entre les mains de la société civile et de l’administration municipale. Pour terminer, j’insiste sur la nécessité d’une coordination à l’échelle nationale et provinciale sur cette question.

La présidente suppléante : Au nom du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je vous remercie d’être venus nous éclairer de votre expertise et de votre expérience et d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Nous aurions pu poursuivre ce débat pendant longtemps, comme vous le voyez. Les recommandations que vous avez faites aujourd’hui sont très pertinentes et auront une place importante dans notre rapport j’en suis sûre.

Nous sommes maintenant ravis d’accueillir M. David Burton, professeur, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie; M. Lord Abbey, chargé d’enseignement, horticulture d’agrément, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie et M. Samuel Asiedu, professeur, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie. C’est la « journée Dalhousie », mais nous sommes en Nouvelle-Écosse, donc c’est formidable.

Je voudrais que les témoins présentent leurs exposés. Nous allons commencer par M. Burton puis les sénateurs poseront des questions.

Je vous en prie, monsieur Burton.

David Burton, professeur, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner la possibilité de m’exprimer devant vous. C’est un sujet qui me tient à cœur. Je suis un spécialiste des sols et j’ai été titulaire d’une chaire sur les changements climatiques au Nova Scotia Agricultural College, devenu la Faculté d’agriculture de l’Université Dalhousie. J’ai eu l’honneur de participer à de nombreuses tables rondes nationales sur ce sujet et je suis l’un des coauteurs du rapport sur les options stratégiques pour l’agriculture dans le cadre du Processus national sur le changement climatique de 2001. Cela fait 20 ans que je travaille sur ces questions. Cela fait partie de mon histoire. Voilà quelques remarques préliminaires. Elles ne figurent pas dans le mémoire que j’ai fait circuler, j’y viendrais dans un instant.

Ce comité s’est déjà penché sur cette question. Je veux souligner cet ouvrage remarquable,Nos sols dégradés, qui, en 1984, était le fruit du travail de ce comité et qui constituaient l’une des premières tentatives visant à souligner les efforts en matière de conservation des sols, ce qui a engendré des changements très positifs au niveau de notre système agricole. Un examen de ce document révèle que, bien que nombre d’aspects aient été réglés en 1984, plusieurs des questions qui y sont soulignées n’ont pas été résolues.

De façon similaire, j’ai eu l’honneur de me présenter devant ce comité en 2003. J’ai joint un exemplaire de mon mémoire de l’époque et, en le lisant, vous constaterez également que plusieurs des questions que j’ai soulignées à ce moment-là sont toujours d’actualité. C’est de ce thème dont je parler avec vous aujourd’hui. Je vais débuter mon mémoire.

Les changements climatiques sont porteurs à la fois d’occasions et de menaces pour l’agriculture du Canada atlantique. Parmi les occasions, mentionnons une saison de croissance plus longue qui permettra de faire pousser une plus grande variété de cultures, comme l’illustre l’émergence de la culture du raisin en Nouvelle-Écosse. Les menaces comprennent les pactes d’événements climatiques plus fréquents et plus intenses qui mettront nos infrastructures et la stabilité économique de l’agriculture à l’épreuve.

L’agriculture assure la gestion du monde naturel et le climat définit cet espace de travail. Les conditions météorologiques ont toujours été un sujet de préoccupation pour les producteurs agricoles. Les changements climatiques mettront à l’épreuve notre capacité à gérer les conditions météorologiques et à soutenir nos systèmes de production agricole.

Dans mon mémoire, je vais mettre l’accent sur les conséquences des événements extrêmes et du rôle de la gestion des sols afin de développer un système agricole résilient. Je fais en partie cela parce que je crois qu’il est crucial de nous pencher sur la question de la gestion des sols, afin de soutenir nos systèmes de production agricole, mais aussi parce que je crois que les sols procurent une opportunité unique afin de pouvoir régler de façon simultanée les questions de la diminution des émissions de gaz à effet de serre et de l’adaptation aux changements climatiques.

Je me concentrerai sur trois questions : le développement de la résilience des sols, la gestion des nutriments et l’importance de la gestion locale du carbone et des nutriments.

Résilience. Afin de pouvoir nous adapter aux écarts extrêmes occasionnés par nos changements climatiques, nous devons renforcer la résilience dans nos systèmes de production. La résilience est la capacité d’un système à résister aux changements. En ce qui concerne l’agriculture, cette résilience est établie par nos choix de systèmes de culture, la capacité de nos sols à résister à la dégradation et nos programmes de soutien économique, afin de permettre aux producteurs de résister aux difficultés économiques liées aux conditions météorologiques et aux changements climatiques.

Un des aspects les plus cruciaux de la résilience du sol est le contenu de sa matière organique. La matière organique est le ciment qui lie les particules du sol, construit la structure permettant au sol de retenir de la terre, de l’eau et procure un habitat pour la vie souterraine, en plus d’être une source d’énergie et de nutriments pour les organismes qui vivent dans le sol et pour les plantes qui y poussent.

Depuis toujours, l’agriculture a une incidence négative sur la matière organique des sols. Son contenu a diminué de plus de 50 p. 100 en raison de la production agricole. Nos techniques de labour, les rotations courtes et les systèmes de culture annuels dégradent la matière organique du sol. Le niveau de matière organique des sols de la région de l’Atlantique a atteint un niveau critique. Cela entraîne une fertilité réduite, une structure de sol pauvre, une augmentation de l’érodabilité, une plus basse capacité de rétention d’eau et un sol qui est davantage compacté. Le faible contenu en matières organiques des sols du Canada atlantique a entraîné une vulnérabilité accrue aux événements climatiques extrêmes et une plus grande dépendance aux fertilisants, ainsi qu’aux apports en azote, entraînant un risque plus élevé d’émissions de gaz à effet de serre.

Les systèmes de culture qui font augmenter le niveau de matière organique dans le sol contribuent à accroître le stockage du carbone, la séquestration du carbone, et à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, en plus de mieux résister aux changements climatiques extrêmes. C’est le résultat de l’amélioration de la structure des sols.

Garder les sols couverts et toujours avoir une culture qui pousse sur le sol sont parmi les pratiques agraires qui peuvent mener à une augmentation du niveau de matières organiques dans le sol. Cette culture libère des nutriments dans le sol, libère des exsudats de carbone, qui servent de nourriture pour les populations microbiennes, ralentit l’eau pluviale et entretient la stabilité des agrégats.

Une autre pratique importante est l’élimination ou la réduction du travail mécanique. Les labours perturbent les agrégats du sol et stimulent la dégradation de la matière organique du sol. Réduire la fréquence ou l’intensité des labours réduit le taux de diminution de la matière organique du sol.

Il y a aussi le fait de redonner des matières organiques au sol. Le contenu des matières organiques du sol peut être amélioré par des pratiques qui redonnent des résidus au sol, que ces résidus proviennent de cultures, de matières fécales animales, des sous-produits d’eaux usées ou de produits organiques dérivés de procédés industriels, comme le compost et les déchets urbains.

Nous devons surveiller l’état des matières organiques de nos terres et de nos ressources, en plus d’encourager des pratiques qui augmentent la quantité de matières organiques dans le sol. Des mécanismes d’échange de droits d’émission de carbone récemment introduits au Canada pourraient possiblement faire partie de la solution. Accroître la quantité de matières organiques du sol retire le gaz carbonique de l’atmosphère, mais plus important encore, produit des sols résilients qui résistent aux changements climatiques extrêmes.

Le prochain sujet que je veux aborder est la gestion des nutriments. Accroître l’utilisation efficiente des nutriments en agriculture est important sur le plan agronomique et environnemental. L’industrie des engrais a démontré du leadership en développant son approche de « gestion des nutriments 4B ». Cette approche met l’accent sur la sélection de la bonne source, appliquée au bon moment, au bon endroit et à la bonne dose.

Le récent développement de nouveaux capteurs et la possibilité de travailler avec des quantités élevées de données, de capturer et traiter de grandes quantités de données, nous offrent la possibilité de développer des solutions propres aux sites pour la gestion des nutriments. Cela est particulièrement préoccupant en ce qui concerne l’azote, puisque l’oxyde nitreux est un puissant gaz à effet de serre et qu’il représente 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre attribuées à l’agriculture au Canada.

La manière dont nous pouvons contrôler les émissions d’oxyde nitreux, et c’est là une des principales préoccupations de ma recherche au cours des 20 dernières années, passe par le contrôle des quantités de nitrate qui s’accumulent dans les sols. Fournir du nitrate afin de subvenir aux besoins en azote des plantes, tout en limitant l’accumulation de nitrate dans le sol, nécessite de comprendre et de quantifier la minéralisation de l’azote dans le sol. L’équilibre entre la minéralisation et l’immobilisation est également lié à l’état du carbone dans le sol.

L’utilisation de pratiques de gestion des engrais 4B afin de réduire les émissions d’oxyde nitreux nécessite que la « bonne dose » soit appliquée. Nous avons travaillé sur des technologies qui nous permettent de tester nos sols, afin de déterminer la bonne dose d’azote pour le Canada atlantique. Au Canada Atlantique, nous ne procédons pas à une évaluation du niveau d’azote dans le sol. Notre approche, représentée dans les diagrammes des documents que j’ai fournis, consiste en trois différents aspects : un test afin de mesurer l’état de l’azote du sol; une fonction de minéralisation qui représente les effets du climat pour tempérer l’approvisionnement en azote; et enfin, une mesure de la disponibilité du nitrate qui évalue si nous avons réussi à synchroniser la demande en azote des plantes et l’approvisionnement en azote.

Ces outils nous placent maintenant dans une bonne position afin de profiter de nouvelles possibilités et de nouveaux outils qui nous permettent de déterminer la bonne dose d’engrais et d’azote et qui nous permettent de réduire les émissions de N2O résultant de l’agriculture au Canada atlantique.

Une des difficultés, dans cette situation, cependant, est que la réduction des émissions de N2O n’a actuellement aucune valeur économique pour les producteurs. Alors, l’adoption de ces solutions, parfois ponctuelles et coûteuses, n’est pas encouragée sur le plan économique. Des programmes et politiques tel le Protocole de réduction des émissions d’oxyde nitreux créent des crédits de carbone échangeables et fournissent un incitatif économique afin d’encourager l’adoption de ces pratiques conservatrices en matière d’azote, qui sont si importantes à la fois pour réduire les émissions des gaz à effet de serre et augmenter l’efficience des utilisations d’azote en agriculture, ce qui a une valeur économique.

Une autre préoccupation majeure au Canada atlantique est de réduire la concentration de nitrate en automne. La majorité des pertes d’azote se produit entre l’automne et le printemps, non pas pendant la saison de croissance, mais plutôt pendant la saison dormante. Nous devons trouver des pratiques qui limitent la quantité de nitrate qui s’accumule dans les sols à l’automne. Ces pratiques comprennent l’utilisation de la bonne dose d’engrais azoté, afin de répondre à la demande en azote des plantes, comme mentionné précédemment, mais suppose également des procédés comme l’utilisation de cultures de couvertures et de cultures dérobées, plantées à l’automne, afin de continuer à immobiliser les nutriments au-delà de la période de récolte des cultures commerciales, mais aussi l’introduction de rotations plus complexes, dans nos systèmes de rotations, qui comprennent des cultures fourragères et d’autres cultures vivaces qui ne laissent pas le sol nu.

Encore une fois, ces pratiques n’entraînent pas, actuellement, des retours économiques et, par conséquent, leur adoption est limitée.

Le sujet final que je veux brièvement apporter et la gestion locale du carbone et des nutriments. Les marchés mondiaux ont favorisé la marchandisation de l’agriculture : l’accent est mis sur le produit qui est exporté à partir de la ferme. Cela a entraîné le remplacement des cycles traditionnels de nutriments dans les systèmes de production vers des écoulements de nutriments linéaires, pour des régions géographiques très vastes et à travers le monde, en fait.

Tandis que les marchés favorisent le transport des produits et des nutriments qu’ils contiennent, le retour des déchets issus de la consommation de ces produits et de leurs nutriments n’est pas rentable. Il y a ici un manque. Cela entraîne des déséquilibres mondiaux en matière de flux de nutriments. Le mouvement des aliments locaux a mis l’accent sur la valeur des éléments produits localement, sur la qualité des produits alimentaires et sur la stabilité de nos économies locales. Ce concept devrait également être étendu au carbone et des nutriments.

L’intégration locale de flux d’énergie et de nutriments dans les systèmes de production agricole et les perspectives de bassin hydrographique pour l’utilisation de nutriments ont la possibilité d’améliorer la conservation des nutriments, de réduire les incidences environnementales sur l’agriculture et d’améliorer la qualité de nos ressources en matière de sols. Le type de pratiques d’intégration auxquelles je fais référence comprend l’utilisation de flux de déchets régionaux, en matière de carbone et de nutriments, en les utilisant dans les systèmes locaux de production alimentaire. Les déchets alimentaires, les déchets forestiers, les eaux usées et le fumier animal peuvent tous être utilisés sur les terres agricoles, afin de développer la matière organique du sol et y ajouter des nutriments. Nous devons bien sûr veiller à ce que les sources de déchets soient sécuritaires. Bien qu’il soit possible de les rendre sécuritaires.

L’intégration régionale de systèmes d’élevage et de systèmes de production agricole. Nous avons séparé l’élevage de la production agricole et cela a créé un énorme déséquilibre en matière de nutriments partout dans le monde. Nous pouvons réunir ces deux systèmes dans l’agriculture locale.

Diversification de nos systèmes de culture. Encore une fois, une plus grande intégration de vivaces et de plantes fourragères dans notre système sera bénéfique.

Ces types d’initiatives sont difficiles à réaliser si on évalue la production agricole selon une approche basée sur la production de produits. La reconnaissance de la valeur des biens et services environnementaux locaux que procurent ces approches est primordiale. L’avènement des marques de commerce dites « vertes » et les politiques d’échanges de carbone nous offrent une opportunité afin de refléter la valeur de ces systèmes intégrés. Il est important que les flux de carbone et de nutriments locaux et régionaux soient considérés, car nous développons ces politiques, afin de veiller à ce que l’efficience déjà en place ne soit pas perdue.

Ce sous-comité met l’accent sur les changements climatiques. Les problèmes que je soulève sont directement liés à la fois aux facteurs entraînant les changements climatiques — les émissions de gaz à effet de serre — et à notre capacité à réagir aux incidences des changements climatiques. Développer des systèmes de culture qui font fluctuer les nutriments de manière efficace et qui subviennent à leurs besoins est primordial afin qu’ils puissent résister aux impacts climatiques en plus de produire de la nourriture des fibres et du carburant.

Au cours des 10 dernières années, la science des changements climatiques et de leurs implications sur le plan agricole a évolué. Nous comprenons mieux comment il est possible de réduire l’empreinte carbone de l’agriculture, les risques et les opportunités qu’un climat changeant présente, ainsi que la résilience nécessaire afin de développer ceci dans nos systèmes.

Cependant, cela n’a pas fait grand-chose pour changer la façon dont nous pratiquons l’agriculture dans notre pays. Le transfert de notre compréhension des changements climatiques vers des pratiques qui peuvent être appliquées, adaptées et adoptées par les producteurs nécessite que celles-ci deviennent économiques et que leur adoption soit appuyée par des politiques.

Au Canada, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ont abandonné la surveillance des ressources et l’extension agricole. Ces activités sont maintenant menées par l’industrie. L’industrie répond principalement aux signaux économiques du marché actuel. Il faut que le gouvernement et les universitaires fournissent le leadership nécessaire afin de développer, évaluer et communiquer le genre de pratiques qui, si elles ne sont pas les plus rentables en ce moment, permettront des systèmes de production agricole plus durables à l’avenir, fournissant aussi bien des produits de consommation que des biens et services pour la collectivité locale. Ceci inclut également des rôles pour les gouvernements dans la façon de mesurer et de communiquer l’état des ressources naturelles dont l’agriculture dépend et par là je veux dire l’air, l’eau et le sol.

Prenez votre temps.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Burton. Merci également d’avoir fait allusion au travail important effectué par le sénateur Sparrow sur la gestion des sols et les problèmes liés aux sols.

Nous allons, s’il vous plaît, poursuivre avec M. Abbey.

Lord Abbey, chargé d’enseignement, Horticulture d’agrément, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour, tout le monde. Bonjour à vous, madame la présidente, mais aussi à nos distingués sénateurs, ainsi qu’aux autres présentateurs.

Mon nom est Lord Abbey. Je suis chargé d’enseignement à l’Université Dalhousie. Je travaille surtout dans le secteur horticole, où j’examine les systèmes de production et où je m’attarde également à la sécurité alimentaire, en plus de me pencher sur la façon dont nous pouvons tirer profit des changements climatiques. Donc, je travaille un peu sur ce sujet. Je ferai un retour sur certains de ces sujets.

Je tiens à vous remercier pour l’opportunité d’être dans cette chambre noble afin de vous faire part de mon point de vue sur la possible incidence des changements climatiques sur l’agriculture, l’industrie agroalimentaire et l’industrie forestière.

Je crois que le monde est un endroit parfait, si ce n’est de l’intervention humaine dans les procédés naturels. Si l’intervention est minime, ces procédés naturels auraient constamment modifié le climat de la terre d’une manière cyclique et harmonieuse. Mais ce n’est pas ce que nous faisons.

Les augmentations d’émissions de gaz à effet de serre, particulièrement le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux, ont eu une incidence sur les changements climatiques régionaux et un lien a été établi entre celles-ci et les activités humaines. Nous entendons, voyons et vivons ces changements. Pourtant, il y a des incrédules qui ont de très bonnes raisons de ne pas croire et il y en a qui sont indifférents.

Causes naturelles. Certains de ces incrédules croient que ces changements climatiques suivent un cours naturel et que la terre a une capacité donnée. Alors, quand elle aura atteint sa capacité, elle fera marche arrière, selon ce que croient certaines personnes. Certains pensent aussi qu’il s’agit de « la fin des temps ». Que c’est le second avènement du Christ. Alors, vous savez, nous devrions nous préparer pour le jugement dernier. Certains pensent également que ce n’est qu’un canular et que les scientifiques et les politiciens préparent quelque chose que nous ne contrôlons pas. Au même moment, il y en a plusieurs qui croient que les changements climatiques sont réels et qu’il faut leur porter une attention de toute urgence.

La meilleure option, à mon avis, est de discuter afin de dissiper le doute et de s’attaquer ensemble au problème.

Selon le National Center for Atmospheric Research, la planète se réchauffera au cours des 50 prochaines en dépit de toute intervention politique et nous savons que le gaz carbonique atmosphérique est en augmentation. D’ici 2040, il pourrait atteindre 500 ppm.

L’agriculture et les changements climatiques semblent avoir une relation dangereuse, puisque l’agriculture contribue aux changements climatiques. Donc, par exemple, la surexploitation des ressources naturelles, la réduction de l’écosystème forestier, la réduction des services écosystémiques, et cetera entraînent des augmentations sur le plan des changements climatiques qui augmentent la vulnérabilité agricole et vice versa. Ceux-ci ont un impact important sur les secteurs de l’agriculture, de l’industrie agroalimentaire et de l’industrie forestière. Parmi les exemples, on constate maintenant davantage de feux de forêt, la taille réduite des forêts et des changements au niveau de l’écologie forestière, lesquels ont une incidence importante sur le climat mondial.

Il y a aussi la dégradation de la terre, l’érosion, la salinisation, les changements au niveau de la structure du sol et au niveau de l’épuisement de la fertilité naturelle du sol. Encore une fois, cela affecte l’agriculture.

On observe également des changements au niveau des schémas de précipitation. Alors, on observe des inondations. On observe des sécheresses. On observe des changements au niveau des dates de gel, et cetera. Et cela a également une incidence importante sur l’agriculture, puisque l’agriculture est l’activité qui utilise le plus d’eau.

Il est également stipulé que 47 p. 100 de la population mondiale pourraient vivre un stress hydrique grave d’ici 2050, en raison de ces impacts. Il y a également le déclin au niveau de la productivité des cultures. Nous observons cela et, par conséquent, cela nous force à augmenter la fréquence et la dose des applications d’engrais synthétiques. Nous avons également intensifié l’utilisation des pesticides, l’application d’herbicides et l’utilisation de l’eau pour fins d’irrigation.

Les dommages subis par les cultures sont graves de nos jours et, par conséquent, nous avons dû recourir à de nombreuses pratiques différentes, des pratiques peu orthodoxes, et cela a affecté l’environnement davantage.

Nous observons également une perte importante de biodiversité et des espèces sont menacées d’extinction.

Il y a des effets négatifs sur les systèmes d’élevage, la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Cela est très répandu à l’intérieur et à l’extérieur du Canada.

Il y a un nombre accru de personnes menacées par la famine dans les collectivités éloignées du Nord et un nombre accru de personnes vulnérables en milieu urbain. Il s’agit d’un problème très grave au Canada et à l’étranger. Par conséquent, il y a des interventions que nous pourrions mettre en place pour venir en aide. La première est d’identifier les vulnérabilités et les opportunités.

Les caractéristiques des sols seront très importantes. Alors, quels types de sols avons-nous et que pouvons-nous faire avec ses sols? Quelles sont les opportunités?

La disponibilité de l’eau douce et aussi le système climatique, puisque le Canada est un grand pays. Donc, tous ces paramètres diffèrent d’une région à l’autre.

Aussi, la capacité de développement, la production en environnement contrôlé, par exemple. Donc, vous savez, je parle des gaz à effet de serre et ainsi de suite. Probablement que cela pourrait également être une façon facile.

Parce que le climat change, nous devons diversifier les cultures. C’est une occasion à saisir. Nous devons assurément en tirer parti.

Pour profiter de la situation, nous devons également examiner les possibilités qu’offrent la biotechnologie et la sélection ainsi que l’exploitation de végétaux sauvages et sous-exploités.

D’autres systèmes d’alimentation peuvent également être explorés.

Il faudrait aussi réduire les incertitudes au moyen par exemple de l’éducation et de la sensibilisation, particulièrement auprès des sceptiques et de ceux qui ne s’intéressent pas au sujet ou à ce qui se passe. L’agroforesterie et la diversification des cultures devraient en outre faire partie des options.

Il faut définir et mettre en œuvre les politiques appropriées. Dans ce sens, j’applaudis maintenant à la taxe carbone qui est un bon système. Des politiques commerciales favorables sont toutefois également très importantes parce que les fermiers et les producteurs ont tendance à surexploiter les systèmes, car ils doivent aussi réaliser des profits.

De plus, l’implication des petits exploitants agricoles est cruciale. La plupart du temps, nous avons tendance à les oublier pour ne penser qu’aux producteurs à grande échelle. Je pense que les petits exploitants jouent un rôle très important dans notre système alimentaire et nous devons en tenir compte. Le système de production biologique mérite aussi notre attention. Il est également important que les secteurs public et privé incluent les petits exploitants dans les activités de recherche et développement.

La modification du système de production alimentaire dans les collectivités nordiques et éloignées doit en outre être examinée.

Il faut adopter des mesures d’encouragement en faveur des composteurs et des utilisateurs de composteurs. Comme mon collègue l’a mentionné, le sol est vraiment important. Il est extrêmement important d’en améliorer la fertilité naturelle. Le compostage aérobie ne contribue pas aux émissions de dioxyde de carbone ou à toute autre émission de gaz à effet de serre. Il séquestre plutôt le carbone. Le compostage aérobie élimine les émissions d’oxyde et de méthane et contribue à emprisonner le carbone, comme je l’ai déjà dit. Il faut donc prendre des mesures d’incitation en faveur des activités de compostage qui méritent d’être soutenues. La plus grande partie de mes travaux de recherche est consacrée à l’utilisation du compost, aux moyens d’améliorer et de diversifier son utilisation et aux façons d’améliorer encore plus le processus dans son ensemble. Nous étudions l’utilisation à long terme de compost et ses effets sur le sol, la séquestration de carbone et son incidence sur la pollution environnementale, et cetera.

Tout cela pour dire que les changements climatiques sont réels, les conditions s’aggravent et entraînent d’importantes répercussions. La localisation géographique du Canada et sa taille signifient que l’impact du changement climatique sur l’agriculture sera variable d’une partie à l’autre du pays. Les régions déjà vulnérables présenteront un risque plus élevé, un risque qui sera plus grand pour les régions nordiques et éloignées.

Avec la hausse continue des populations de migrants, le Canada aurait avantage à diversifier son système alimentaire. Les cultures favorisées par le réchauffement climatique permettraient ainsi de réduire les importations. Nous importons énormément. Pourquoi ne pas profiter de cet avantage?

Il faut que le gouvernement et le secteur privé collaborent à trouver une solution durable à ce problème.

Les petits exploitants, les composteurs et leurs utilisateurs doivent faire l’objet de mesures incitatives. Je vous remercie.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Abbey.

Monsieur Asiedu, c’est à vous.

Samuel K. Asiedu, professeur, Département des sciences végétales, de l’alimentation et de l’environnement, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre individuel : Merci. Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial. Je suis heureux de prendre la parole devant vous aujourd’hui. Mon nom est Samuel Asiedu.

Il s’agit d’une étude très importante parce qu’il y a de nombreuses questions sans réponse. Récemment, du 19 au 22 septembre, l’American Society for Horticultural Science a tenu une réunion à Hawaii au cours de laquelle un conférencier nous a fait part de l’existence de nombreux livres et publications qui nient les changements climatiques. Pour contribuer à atténuer le problème, le conférencier a plaidé pour que les horticulteurs envisagent de mener des activités de sensibilisation.

Le réchauffement climatique est une réalité. De nombreuses études indiquent que le Canada connaîtra une période de réchauffement au cours des 50 prochaines années. La température moyenne au pays a augmenté d’environ 1,6 degré Celsius, en se basant sur la période 1961-1990. Une modélisation plus poussée indique qu’une hausse additionnelle de 2,5 à 3,7 degrés Celsius pourrait survenir d’ici 2050. C’est effrayant. Ces changements auront une incidence considérable sur l’agriculture et le secteur agroalimentaire.

Parmi les effets potentiels figure l’augmentation des précipitations favorisée par la hausse des températures. Les inondations qui surviennent dans des endroits surprenants nous en ont déjà donné un aperçu. C’est une réalité. Les changements saisonniers sont lents. Les changements nous paraîtront lents, mais ils surviendront et les conditions qui favorisent la croissance du réchauffement se produiront. Nous devons par conséquent envisager des cultures qui peuvent bénéficier de cette situation. Je vais en glisser un mot plus tard.

Les sécheresses et le bas niveau des nappes phréatiques peuvent également contribuer à la tension hydrique. Nous avons parfois vu des systèmes d’irrigation qui s’assèchent, que ce soit l’irrigation par nappe souterraine, drainage souterrain ou puits. Cela parce que notre système de gestion de l’eau n’est pas efficace. J’ai été surpris de constater lors de l’un de mes voyages en Chine que la culture des pommes de terre dans les vastes champs se fait à l’aide de systèmes d’irrigation goutte à goutte. L’eau s’infiltre ainsi là où le légume en fera la meilleure utilisation. Nous utilisons encore des systèmes de gicleurs et nous gaspillons l’eau un peu partout. Nous nous plaignons ensuite que nos puits se tarissent. Plus la température sera élevée, plus nous aurons besoin d’eau pour faire pousser les cultures et plus nous épuiserons nos réserves. Nous devons en être conscients.

Il est également possible que les concentrations de dioxyde de carbone augmentent. Comme nous le savons tous, le dioxyde de carbone est une importante source pour la photosynthèse et environ 99 p. 100 de toutes les espèces de végétaux participent à ce processus. Par conséquent, si les températures augmentent et que nos cultures y sont adaptées, nous pourrons établir un bon équilibre.

Il faut notamment prendre en compte certains des impacts biophysiques sur les cultures. Je prends pour exemple la pomme de terre, une culture exigeante. Si la température est trop élevée, vous n’obtiendrez pas le produit que vous avez aujourd’hui parce que la température optimale pour cette production se situe entre 15 et 25 degrés Celsius. En dehors de ce créneau, la production décline et s’accompagne de problèmes accrus liés aux parasites, aux maladies et aux mauvaises herbes, ce qui exige un apport additionnel au système. Nous devons en être conscients alors que nous progressons dans l’étude du dossier.

De plus, je dois dire que le dioxyde de carbone supplémentaire qui sera produit par les plantes permettra d’améliorer le rendement de la production de biomasse. En conséquence, nous devons penser à utiliser l’eau plus efficacement parce que plus il y a de photosynthèse, plus les plantes ont besoin d’eau pour réaliser cette importante fonction. En conséquence, la demande en eau sera très élevée et nous devons en prendre note.

La production alimentaire devrait gagner du terrain dans un contexte de réchauffement climatique, mais nous devons également tenir compte des incidences régionales. M. Abbey vient d’y faire allusion, je ne m’étendrai donc pas trop longtemps sur le sujet. Nous devons toutefois être conscients qu’il y aura des différences régionales. Certaines cultures adaptées à un climat frais, comme le chou et la pomme de terre, souffriront de ces changements et nous connaîtrons des réductions des rendements et de la qualité. Cela signifie que notre économie agricole sera considérablement touchée.

Quels sont les types d’adaptation possibles? Encore une fois, les changements climatiques nous donnent l’occasion d’examiner les nouvelles technologies. Nous voyons déjà des variations saisonnières et des changements dans les dates de plantation. De quelle façon réagir à cela? Nous devons déployer de grands efforts dans l’éducation.

Nous comptons une plus grande variété d’espèces végétales, mais d’après moi, le rythme de la diversification n’est pas très rapide. Vous savez, nous sommes à la recherche de phytogénéticiens. La pénurie dans cette profession est un sujet de préoccupation et s’explique par le fait que bon nombre d’entre eux ont pris leur retraite et n’ont pas été remplacés. Nous sommes en excellente position sur le plan de la biologie moléculaire et de ses applications, mais quand il est réellement question de sélectionner les semences afin d’atténuer les répercussions des changements, nous constatons que nous n’avons pas assez de personnel sur le terrain pour accomplir cette fonction. C’est important d’en parler maintenant.

J’ai déjà mentionné la question de l’eau et des systèmes d’irrigation. Je répète encore une fois que nous n’utilisons pas l’eau de façon efficace du tout. Nous devons nous attaquer à ce problème.

Des discussions ont eu lieu récemment au sujet des environnements protégés, c’est-à-dire les productions en serre. Les productions en serre prennent de l’importance parce qu’elles nous permettent d’intensifier notre production et de maximiser l’utilisation des intrants par rapport à l’utilisation générale de produits que nous épandons à tout vent.

Le dernier point que j’aimerais traiter est l’agriculture adaptée aux changements climatiques. Nous parlons alors de bonnes pratiques agricoles, ce qui signifie que nous devons sélectionner les variétés les plus appropriées, nous assurer que la période d’ensemencement est adéquate et que l’utilisation des nutriments se fait en temps opportun. Nous devons également nous assurer que les opérations de récolte sont bien exécutées et que l’entreposage est adapté. Ces mesures permettront d’assurer la viabilité de la productivité et la résilience du système.

Nous devons également réfléchir à une approche écosystémique à l’échelle du paysage. Je vois beaucoup plus de jardins urbains dans lesquels poussent plusieurs espèces différentes sur de petites parcelles de terre. Il y a certaines interactions dont les agriculteurs urbains ne sont pas conscients. Il est étonnant de voir que nous pouvons cultiver, ici à Timberlea, certaines plantes tropicales, comme l’aubergine blanche. Nous obtenons des rendements plus élevés que les productions à grande échelle de la même plante. Nous gérons le système d’une telle manière que nous examinons les interactions entre les différentes cultures et la façon dont elles réagissent aux éléments nutritifs dans le sol.

Nous devons également investir dans les données et remédier au manque de connaissances, parce que le fossé est énorme. J’ai cherché des données pour préparer ma présentation. Un grand nombre de données sont disponibles, mais elles vont dans tous les sens. Est-il possible de rassembler ces connaissances afin qu’elles soient partagées et utilisées gratuitement par les personnes qui en ont besoin?

En ce qui concerne la recherche et le développement, les pratiques de conservation et l’introduction de nouvelles semences et variétés végétales, j’ajouterais que les politiques liées à l’agriculture, à la sécurité alimentaire et aux changements climatiques doivent être cohérentes. Je pense que nous déployons des efforts dans ce sens, mais nous n’avons pas de politiques concrètes qui pourraient être facilement adoptées par le secteur industriel et nous devons donc en tenir compte. Je ne m’attends pas à la formulation d’une politique, mais j’aimerais savoir comment nous allons poursuivre notre action à cet égard.

Notre rôle est d’offrir l’enseignement nécessaire. Je donne un certain nombre de cours sur la production. Je parle des changements climatiques et de ses répercussions sur la qualité alimentaire recherchée par le marché et des façons dont la population devrait réfléchir plutôt à l’avenir qu’au présent.

J’aimerais maintenant vous remercier.

La présidente suppléante : Merci beaucoup de cet exposé très intéressant.

La première question sera posée par le sénateur Doyle et la suivante par le sénateur Oh.

Le sénateur Doyle : Merci de votre exposé, vraiment très intéressant.

Monsieur Burton, vous avez mentionné dans votre exposé l’importance d’une reconnexion entre la production animale et la production agricole.

Devant notre comité, un certain nombre de personnes sont venues de temps à autre nous parler du travail environnemental réalisé dans le domaine de l’alimentation des animaux et des systèmes de gestion du fumier. Ils affirment souvent que si l’alimentation et la gestion du fumier étaient exécutées de façon efficace et efficiente, les émissions de gaz à effet de serre ne pourraient que diminuer.

Est-ce que la mauvaise gestion du fumier et de l’alimentation contribue de façon importante à votre avis aux émissions de gaz à effet de serre? Est-ce un sujet auquel le présent comité devrait réfléchir davantage dans le contexte de l’ensemble des problèmes associés au gaz à effet de serre et à ce genre de chose? Est-ce important?

M. Burton : Oui, à différents niveaux. Je pense que le méthane est l’autre important gaz à effet de serre provenant de l’agriculture et dont l’éructation de méthane par les ruminants est une source majeure. Je continue de penser que des avancées très intéressantes sont réalisées dans le développement de stratégies liées à l’alimentation des animaux et visant la réduction des émissions de méthane, mais elles sont encore importantes. Je pense donc que c’est un secteur en progression.

Je crois que vous avez raison. Un grand nombre d’exposés ont fait part des façons de diminuer les émissions de gaz à effet de serre provenant du traitement du fumier. Le plus souvent toutefois, il est considéré comme un déchet. Je pense vraiment que nous devons assurer une transition et considérer que le fumier est une ressource. Nous ne devrions pas nous demander comment nous débarrasser de cette matière, mais plutôt comment la répartir uniformément pour en obtenir les bénéfices les plus importants quand elle est épandue au sol. C’est le changement qu’il faut effectuer.

Le sénateur Doyle : Dans quelle mesure les agriculteurs des provinces de l’Atlantique ou de l’ensemble du Canada ont-ils utilisé des techniques et des technologies produisant moins d’émissions de gaz à effet de serre dans leurs activités quotidiennes? Avez-vous lu des études indiquant que l’examen de ce genre de techniques ou de technologies disponibles fait partie des préoccupations quotidiennes des agriculteurs?

M. Burton : Nous avons la chance dans les provinces de l’Atlantique d’avoir encore une agriculture passablement diversifiée. Maintenant, un grand nombre de nos exploitants sont des producteurs laitiers qui possèdent d’importantes assises territoriales, ce qui leur permet de traiter le fumier de façon efficace et efficiente. Nous ne rencontrons pas les problèmes que l’on retrouve par exemple au Manitoba dont l’industrie porcine est concentrée dans quelques comtés ou encore dans les endroits où il est difficile de répartir la ressource efficacement, des situations qui contribuent au problème plutôt que de le régler.

À votre deuxième question concernant la conduite de recherches, je répondrai par l’affirmative. Nous avons la chance de compter ici à la faculté sur M. Alan Fredeen qui, au cours de la dernière décennie environ, a tenté d’examiner les mérites relatifs des systèmes d’alimentation à base d’herbe par rapport à la ration totale mélangée ou aux sources concentrées de nutriments. Les résultats de ses études sont quelque peu mitigés. Bien que les émissions de méthane soient plus élevées dans les pâturages dépendant des systèmes d’alimentation à base d’herbe, elles sont compensées par la réduction des émissions dans la production des cultures. Le même résultat est obtenu avec la ration totale mélangée. Les animaux émettent moins de méthane, mais le maïs nécessaire pour les nourrir en produit davantage dans les champs.

Je mettrai l’accent demain sur l’ensemble du système. Je ne veux pas seulement parler de la vache ou de la culture, mais du système en entier et de l’intégration de l’ensemble du système.

Le sénateur Doyle : Est-ce que la nature et la portée de l’agriculture au Canada, et dans les provinces atlantiques en particulier, ont changé dans les dernières années?

Les agriculteurs sont-ils sensibles à l’environnement aujourd’hui? Pensent-ils à préserver la planète ou réfléchissent-ils vraiment à tous ces changements et à leurs conséquences? Les enjeux sont très importants. Les agriculteurs doivent réussir à gagner leur vie, réaliser un profit et réinvestir dans leur entreprise. Mais leurs actions sont-elles cohérentes? Pensent-ils à ce que l’avenir nous réserve sur le plan de l’environnement, des émissions de gaz à effet de serre, des changements climatiques et de nombreux autres problèmes?

M. Burton : Oui, dans la plupart des cas, la situation leur tient à cœur. Ils sont les gardiens de la terre. Ils le font pour l’amour de leur métier. Je pense que c’est le fond de leur pensée.

Le défi pour eux est de rencontrer leur banquier chaque année et d’être en mesure de payer leurs factures. Durant la dernière partie de mon exposé, j’indique que nous devons adopter des mécanismes qui permettront de démontrer que les produits et services environnementaux, un bénéfice à grande échelle de l’agriculture, peuvent avoir des retombées économiques positives. Cette rentabilité démontrée aux banquiers permettrait aux producteurs d’appliquer le type de pratiques qu’ils jugent être les meilleures. Je pense qu’il faut prendre cet élément en compte.

M. Abbey : J’ajoute, comme je l’ai mentionné dans mon exposé, que les petits exploitants sont très importants et doivent être pris en compte. Ils sont de plus en plus nombreux, particulièrement les jeunes, dans les régions urbaines de l’Ontario et du Manitoba et à d’autres endroits, même à Halifax. Ils adoptent des pratiques qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils ont introduit par exemple le compostage et réalisent ainsi une production biologique utilisant les cultures appropriées. Ils adoptent des systèmes viables dont on sait qu’ils ont le potentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous voyons un nombre croissant de ces exploitants.

La présidente suppléante : Sénateur Oh, je vous prie.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins de vos exposés sur ce sujet très intéressant. Vous reconnaissez tous que les changements climatiques existent.

Est-ce que les changements climatiques auront des répercussions sur l’ensemble de l’écosystème? Cela signifie donc que des insectes et des maladies feront leur apparition au Canada. Le pays a une masse terrestre considérable de l’Atlantique au Pacifique. Examinez-vous la façon dont l’approvisionnement alimentaire sera modifié? Y a-t-il assez de place pour toute la population sur la planète? Quelles seront les répercussions au Canada et dans d’autres pays qui peuvent connaître des hausses de température encore plus importantes que celles enregistrées au Canada. Nous connaîtrons de nouveaux phénomènes. Est-ce que les chercheurs sont inquiets de la situation et se préoccupent-ils de la façon dont nous devons nous préparer à cet impact considérable qui s’annonce?

M. Abbey : Je pense que c’est très intéressant et que c’est, comme je l’ai dit, une situation préoccupante qui est prise en compte par les scientifiques et le milieu de la recherche. De nombreux travaux de recherche se penchent sur la possibilité d’adopter tel type de culture, comme les cultures de saison chaude. Nous connaissons la situation du réchauffement de la planète et, comme nous l’avons dit, la situation varie d’une région à l’autre du pays.

Donc, il y a beaucoup de recherches en cours pour analyser différents types de cultures tropicales qui pourraient survivre ici. Certaines sont exposées à des maladies et à des parasites locaux. Comme l’a mentionné le professeur Asiedu, nous manquons de phytogénéticiens pour faire ce genre de travail. Mais il se fait beaucoup de recherches en diversification des cultures.

Prenons l’exemple de Vineland, en Ontario, où on travaille fort pour acclimater de nouvelles variétés de pommes de terre de semence, où on expérimente avec l’okra, avec l’aubergine, avec bien d’autres cultures.

Chez nous, le professeur Asiedu et moi-même étudions aussi les cultures tropicales. Nous essayons de voir s’il y a moyen d’introduire en Nouvelle-Écosse des cultures ethniques des tropiques. Nos recherches en cours donnent de bons résultats. Certaines cultures s’en tirent bien et d’autres non. En effet, il se fait du travail dans ce domaine.

M. Asiedu : Je dis toujours que j’aime les pommes de terre. Aussi j’en viens souvent à parler de la culture des pommes de terre parce que c’est là qu’a débuté ma carrière, à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous entrevoyons des possibilités intéressantes. Là encore, si nous gérons la culture de façon à lui fournir de l’eau au bon stade de développement, nous maximiserons le rendement et nous compenserons ainsi les pénuries qui viendront avec l’épuisement des ressources hydriques.

Nous étudions aussi la rotation des cultures. Pour beaucoup d’entre elles, le cycle n’est pas assez long. À l’Île-du-Prince-Édouard, il n’y a pas assez de terres pour faire des rotations de quatre ou cinq ans. Mais il y a une règle qui veut que si vous cultivez une catégorie de semence particulière, vous soyez tenu de faire une rotation d’au moins trois ans. Cela brise le cycle des maladies. Certaines cultures en rotation comme les radis vont jusqu’à opérer une fumigation du sol. Ainsi, vous travaillez toujours avec l’écosystème en faisant appel à différents systèmes de culture pour atténuer une partie des problèmes.

Donc, nous regardons tout cela, mais nous n’avons pas encore assez d’effectifs pour élaborer une méthode écosystémique qui serait plus efficace.

M. Burton : Juste un commentaire, si vous permettez. Nous devons admettre que nous vivons dans un pays qui a plus que sa part de richesses naturelles. Nous avons des terres extraordinaires, de l’eau à profusion. Je crois que cela nous impose le devoir de bien administrer ces ressources. Oui, je pense que nous ressentirons davantage la pression de non seulement faire fructifier le bien commun, mais aussi d’accueillir plus de monde chez nous et de nous intégrer davantage dans la collectivité planétaire. Nos ressources en seront d’autant plus sollicitées. Raison de plus, je pense, pour nous assurer de mettre en place des systèmes de culture robustes et capables de répondre à une demande accrue.

La présidente suppléante : Sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : La recherche est évidemment une très bonne méthode pour évaluer et concrétiser des politiques. Comment faisons-nous à travers différents paliers de gouvernement pour trouver des solutions optimales qui ne font pas de perdants? C’est ce qu’il faut à mon avis pour appliquer les meilleures pratiques et nous assurer de combler l’écart de connaissances entre ce que vous produisez, vous les chercheurs, et ce dont les agriculteurs disposent en réalité pour appliquer ces meilleures pratiques dans la gestion de leurs sols, de leurs cultures, et cetera.

M. Burton : Le problème tient en partie au fait que nous aimons tous notre petit nid douillet. Les chercheurs aiment bien faire leurs recherches, publier leurs travaux, obtenir un poste et être heureux. Les décideurs aiment bien établir des politiques sans avoir nécessairement à lire aucun de ces travaux et les producteurs agricoles n’aiment pas être forcés d’écouter.

Il nous faut des systèmes qui nous forcent à sortir de nos zones de confort et à trouver une tribune où nous puissions nous mêler les uns aux autres. En rencontrant plus d’économistes, de sociologues, de nutritionnistes et de médecins, nous nous mettrons à la hauteur de ce grand enjeu de société.

Sauf que nos systèmes actuels ne favorisent pas nécessairement ce genre d’échanges. Il est très difficile d’emprunter cette voie pour obtenir des fonds de recherche, de trouver des forums où on peut le faire et de voir reconnaître et valoriser les fruits de ce genre d’activité. C’est là tout le défi. Nous devons trouver des moyens d’encourager les échanges interdisciplinaires et multidisciplinaires.

La sénatrice Gagné : Donc il ne s’en tient pas au Canada, de ces forums?

M. Burton : Je ne dirais pas cela. Il s’en tient. Sauf que je ne suis pas certain qu’on se rende jusqu’au producteur même. Un des exemples que j’ai utilisés dans mon exposé est que les gouvernements se sont retirés de la vulgarisation. Dans la société à l’heure actuelle, personne ne porte vraiment la responsabilité de parler aux producteurs; nous devons repenser cela. Je pense que c’était un rôle important que jouait le gouvernement.

M. Asiedu : Il y a longtemps, au début de ma carrière, les vulgarisateurs, les chercheurs et les producteurs se réunissaient à un endroit appelé Memramcook, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Ensemble, nous pouvions nous pencher sur les enjeux et pondre des idées susceptibles d’orienter la réflexion des décideurs. Nous avons perdu cela parce qu’il n’y a plus de service de vulgarisation, en particulier au Canada atlantique. J’espère que les producteurs, les pouvoirs publics, les universitaires et les chercheurs auront à nouveau l’occasion de se réunir pour examiner ce qui se passe et créer un espace de décision en matière de politiques.

M. Burton : Si je peux me permettre, cet effort avait permis de créer des associations d’amélioration des sols et des cultures dans toutes les provinces du Canada. Nous avions là d’excellentes tribunes pour discuter et échanger de l’information avec les producteurs. Presque toutes ont cessé de fonctionner ou le font de façon très marginale parce qu’elles n’ont pas d’appui central.

De même, Agriculture et Agroalimentaire Canada soutenait à l’époque un organisme qu’on appelait le CRAC, le Conseil de recherches agricoles du Canada. C’était aussi un carrefour d’échange où les universitaires et les décideurs tentaient de cerner les grands enjeux du secteur et d’en faire part à un large public. Nous semblons avoir abandonné ces canaux de communication, comme le signalait mon confrère.

La présidente suppléante : Sénatrice Bernard, s’il vous plaît.

La sénatrice Bernard : Merci à vous tous pour les exposés que nous avons entendus ce matin. Encore une fois, Dalhousie a de quoi être fière et je vous en remercie. J’aime bien le travail que vous faites et j’ai hâte de vous rendre visite demain.

Ma question se rattache aux commentaires entendus au sujet des petits producteurs et de la sécurité alimentaire. Y a-t-il un lien entre l’expansion de l’agriculture à petite échelle et les enjeux de la sécurité alimentaire, ou bien parlons-nous plutôt d’insécurité alimentaire?

Je m’intéresse aussi aux cultures tropicales et j’aimerais savoir si vous avez des contacts avec des communautés ethniques à propos de la recherche-développement menée dans ce domaine.

M. Abbey : Je commencerai par votre seconde question.

Oui, pour nos travaux sur les cultures ethniques, nous avons comme partenaire l’African Community Investment Cooperative of Canada, un regroupement d’immigrants venus d’Afrique et de Méditerranée qui voudraient faire pousser des cultures ethniques chez nous. Nous travaillons avec eux et ces deux dernières semaines, ils sont venus voir ce que nous faisions et nous avons discuté des façons de cultiver certains de ces produits. Ils en ont même évalué quelques-uns. Nous avons eu une magnifique sortie il y a deux semaines. Alors, oui, nous avons des contacts avec eux.

Quant à votre première question, oui, la sécurité alimentaire est liée de très près aux petits producteurs. Ils ont un rôle à jouer pour la renforcer. À l’extérieur du Canada, par exemple, la nourriture provient en majeure partie de petites exploitations, non pas de grandes fermes. Les légumes, les aliments de base, tout cela vient des petits producteurs. Ce sont donc des partenaires essentiels lorsqu’on parle d’améliorer la sécurité alimentaire et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, en est bien consciente. En fait, il y a tout un débat en cours à ce sujet, en particulier chez les femmes, parce qu’elles sont très présentes dans la production, la transformation et la distribution des récoltes.

La situation est comparable ici. Quand on va dans les grands centres, comme Toronto par exemple, on constate que même les citadins ont des problèmes de sécurité alimentaire. Le nombre de petits producteurs est en hausse, on parle de jardins collectifs, d’agriculture communautaire, on parle d’attribuer des petits lots pour faire pousser sa propre nourriture. C’est un mouvement qui se répand. Pourquoi? Parce que les gens veulent assurer leur subsistance et ils le font avec le soutien d’organismes à but non lucratif comme ceux avec lesquels je travaille. Cela aide.

Lorsque je suis arrivé au Canada en 2007, je travaillais avec le centre d’alimentation communautaire The Stop, dans le centre-ville de Toronto. Je l’ai aidé à construire et à aménager une serre de 280 mètres carrés, qui produit à longueur d’année. J’avais une quarantaine de bénévoles issus du milieu. J’en avais des Premières Nations. Mais ils ne venaient pas seulement faire du bénévolat. Ils venaient cultiver des aliments et ils rapportaient chez eux une partie des récoltes. Nous avions une cuisine aussi. Nous avions des gens atteints d’autisme. Nous avions des gens venus d’Afrique et d’autres d’Amérique latine. Nous avions des jardins communautaires. Ces choses-là se font à petite échelle, mais elles ont une énorme influence sur les gens, elles aident à créer des relations et à tisser des liens forts. Cela fonctionne.

La sénatrice Bernard : Merci.

M. Asiedu : Pour ma part, j’ajouterai ceci. Je fais beaucoup de formation en manutention des fruits et des légumes après récolte et le dernier groupe que j’ai eu était majoritairement composé de nouveaux venus à l’agriculture. On parle ici de petite échelle, de gens qui produisent pour le marché fermier. C’est une réalité.

Voici par exemple ce que j’ai entendu dans la région de Digby : « C’est bien la première fois qu’on nous réunit pour nous montrer comment cultiver, comment manipuler et comment entreposer les produits frais. » Voilà donc ce que nous faisons et je pense que nous devons le faire davantage.

Je vis à Truro, mais je vis aussi à Halifax, je visite des gens et c’est incroyable, ce qu’ils produisent dans leur arrière-cour. Ils produisent en quantité suffisante, ils partagent entre eux et c’est toujours bon d’entendre : « Allez dire merci à Samuel », parce que j’ai moi-même fait lever des plants que je leur ai distribués. Petite échelle donc, mais efficace.

Nous aimerions faire davantage. Il faut qu’on nous offre la possibilité d’amener les petits producteurs à un point où ils peuvent faire un peu d’argent, à tout le moins payer quelques factures.

M. Burton : J’aimerais faire une petite mise en garde, parce qu’un des inconvénients de la production à petite échelle est que, parfois, elle n’est pas inoffensive pour l’environnement. Certaines des mesures dont nous avons besoin pour préserver la ressource, pour protéger notre eau, exigent une certaine échelle et un certain degré de savoir technologique. Souvent, nos systèmes de production à petite échelle peuvent avoir une incidence considérable sur l’environnement parce que les gens n’ont pas les moyens d’acheter les outils ou ne savent pas comment s’en servir.

Après tout, si nous voulons nourrir la planète, il faut un certain degré de productivité et d’efficacité que je ne pense pas qu’on atteigne actuellement dans la production à petite échelle. On pourrait le faire, je crois, c’est à nous de relever le défi. Mais je n’aimerais pas entendre claironner que la petite agriculture est la voie de l’avenir pour nourrir 9 milliards de personnes. La commande est un peu grosse.

Une des choses que j’essayais de faire ressortir est le caractère local. Il peut y avoir différentes échelles, de la petite à la grande, mais axées sur les nutriments et les cycles d’énergie locaux.

La présidente suppléante : Merci.

Allons-y pour une ronde de deuxièmes questions, promptement, en commençant par vous, monsieur Doyle, s’il vous plaît.

Le sénateur Doyle : Monsieur Burton, vous avez mentionné au début que le Canada, ou plutôt le Canada atlantique, ne peut pas faire de tests d’azote. Comment cela se fait-il?

M. Burton : Cela tient à notre climat humide. Dans l’Ouest canadien, c’est souvent en automne qu’on mesure le nitrate dans le sol. Comme il y a eu peu de précipitations et que l’hiver est froid, le nitrate mesuré a des chances d’être encore là au printemps, aussi le test est valable.

Au Canada atlantique, l’hiver plus doux entraîne un fort lessivage du sol. Le nitrate est lessivé à travers les couches jusqu’aux eaux souterraines ou bien il s’échappe dans l’air par dénitrification. Donc, il n’est pas pratique de le mesurer à l’automne.

Au printemps, ce n’est guère pratique non plus, parce qu’il faut s’y prendre au bon moment. L’objet de l’analyse du sol n’est pas seulement de mesurer l’azote inorganique ou la teneur en nitrate, comme on fait dans l’Ouest canadien. Nous voulons avoir une meilleure idée du potentiel de production d’azote biologique. Sur quelle concentration pourrons-nous compter durant la saison de croissance? Voilà la prédiction la plus utile à faire.

Le sénateur Doyle : Donc, avons-nous une carence d’azote dans nos sols aujourd’hui?

M. Burton : Oui. Nous enregistrons des niveaux relativement faibles de matières organiques, déjà même selon la pédogénèse initiale. Sauf que les niveaux ont encore baissé. Un des problèmes du Canada atlantique est la pauvreté des sols. Ils ne sont pas aussi fertiles qu’au Québec et en Ontario, par une bonne marge, et certainement pas autant que dans l’Ouest.

Le sénateur Doyle : Pouvons-nous y changer quelque chose?

M. Burton : Constituer de la matière organique. Je veux un tee-shirt qui dise : « Faites votre matière organique. »

Le sénateur Doyle : Qu’en est-il des engrais et de tout ce qu’on trouve dans les magasins? Ces produits ont-ils quelque utilité?

M. Burton : Utilisés comme il faut, ils sont essentiels.

Le sénateur Doyle : Je me demande parfois quelle est la bonne teneur en azote. En général, c’est le premier chiffre sur l’emballage, je crois.

M. Burton : Oui.

Le sénateur Doyle : Mais on se demande si une trop forte teneur en azote peut nuire au sol de sa région. Je ne vois pas ce qui empêcherait d’avoir un test d’azote officiel dans sa ville ou sa localité, ou son magasin de fournitures agricoles, ou quelque service qui l’offre.

M. Burton : C’est ce que nous étudions actuellement, encore faut-il démontrer que cela fonctionne. Les producteurs ont coutume de dire en plaisantant : « Mieux vaut plus que moins. » L’azote en particulier est souvent considéré comme une assurance et on entend dire : « Cette année sera une année de récoltes exceptionnelles et je ne veux pas la manquer. Je ne prendrai pas de chances et je vais fertiliser en conséquence. » Sauf que cette année-là n’arrive jamais.

Le sénateur Doyle : Oui.

M. Burton : Alors nous ajoutons toujours 10 p. 100 ou 20 p. 100 d’engrais par mesure de précaution, parce que nous sommes des optimistes. Il nous faut seulement de meilleurs outils pour faire comprendre aux producteurs qu’ils peuvent réduire la dose et obtenir de meilleurs résultats au bout du compte. Ils peuvent gérer ce risque de réduire la quantité d’azote et peut-être de renoncer à une partie de cette récolte exceptionnelle, parce que ce sera plus rentable à long terme.

M. Abbey : On peut réduire les applications d’azote en épandant du compost. N’oublions pas le compost. Il apporte un supplément de matière organique et de nutriments.

Le sénateur Doyle : Merci.

M. Asiedu : Je me permettrai d’ajouter ceci. Nous nous intéressons aussi aux systèmes de culture. Si la température augmente, il y a des cultures comme le sorgho ou le millet qui peuvent créer une biomasse très lourde en peu de temps. On peut s’en servir pour enrichir la matière organique.

La présidente suppléante : Sénateur Oh, s’il vous plaît.

Le sénateur Oh : Messieurs les témoins, j’ai une petite question pour vous trois. Vous savez que le gouvernement actuel a dépensé beaucoup d’argent sur la scène internationale pour lutter contre les changements climatiques. Ne croyez-vous pas que cet argent serait mieux investi dans la recherche que vous faites ici au Canada, plutôt qu’ailleurs sur la scène internationale?

M. Abbey : Voilà une question hautement politique. À mon avis, c’est bon d’une façon parce que les changements climatiques sont universels. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un problème localisé ou purement canadien, qu’on pourrait régler ici et le tour serait joué.

Vous essayez de régler le problème ici. Or, il y a d’énormes problèmes ailleurs, qui deviennent les vôtres s’il s’ensuit des famines, des afflux de réfugiés, et cetera. Je pense que c’est une bonne chose de tendre une main secourable, surtout dans les pays en développement ou les pays sous-développés, d’essayer de recoller les morceaux et de faire ce que le bien nous commande. En même temps, nous avons besoin de faire de la recherche chez nous parce qu’elle débouche sur un savoir ou une technologie que nous pouvons transmettre à l’extérieur aussi. La situation est donc un peu complexe.

M. Asiedu : Le Canada a besoin d’une présence à l’étranger, faute de quoi nous manquons le bateau. Lorsque je me suis préparé en vue de cette réunion, j’ai été surpris de trouver un document sur le changement climatique préparé pour le Ghana et parrainé par l’USDA.

Par conséquent, nous pouvons leur faire parvenir; autrement, si le climat change, s’ils ne produisent pas assez de nourriture, si une famine a lieu, nous devrons procéder comme nous l’avons fait pour l’Éthiopie. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Nous devons être sur place; nous devons identifier leurs besoins et leurs priorités et collaborer avec eux, pour ensuite obtenir leur adhésion et assurer le succès de cette entreprise. À mon avis, dépenser une partie de l’argent à l’extérieur est une bonne idée.

M. Burton : Je crois que nous sommes extrêmement chanceux et qu’il s’agit d’une responsabilité qui va de pair avec notre appartenance à la communauté mondiale. À mon avis, il nous incombe d’aller au-devant de ces collectivités et leur venir en aide, étant donné que les impacts du changement climatique y sont bien plus graves qu’ils ne le sont ici.

La sénatrice Gagné : Cette question s’adresse à M. Asiedu et concerne la gestion de l’eau. Vous avez brièvement parlé de l’importance de gérer notre eau. Nous savons qu’on peut stocker plus de carbone dans nos plantes, dans la forêt et ainsi de suite, en augmentant la photosynthèse. Mais cela demande une plus grande quantité d’eau. Alors, comment peut-on assurer un équilibre à cet égard?

M. Asiedu : Nous avons une bonne connaissance de certaines cultures. J’utiliserai encore la pomme de terre comme exemple. Nous savons que cette plante requiert environ 25 millimètres d’eau par semaine. Si on se fie uniquement à la pluie, celle-ci peut tomber un jour et manquer à l’appel les jours suivants. Ainsi, un moyen efficace serait d’arroser la culture au moment où elle peut absorber le plus d’eau, notamment au stade du grossissement des tubercules.

Il s’agit d’une idée que je tente de communiquer à de nombreux agriculteurs, mais c’est difficile parce que nous n’avons pas de système pour prévenir le stress des cultures, car si on néglige d’arroser pendant une ou deux journées, les cultures seront stressées et des choses du genre.

Nos systèmes de prévision météorologique sont inefficaces. Encore une fois, il s’agit d’un enjeu que nous devrions examiner. Cela nous permettrait de fournir la quantité d’eau nécessaire au bon moment. En outre, plusieurs systèmes de production utilisent l’irrigation au goutte-à-goutte, laquelle arrose les racines et empêche l’eau de s’évaporer. Encore une fois, il s’agit de technologie et des moyens que nous pouvons prendre pour aider nos agriculteurs à s’équiper de ces systèmes afin qu’ils puissent agir correctement.

M. Burton : Je pourrai peut-être ajouter quelque chose. Je crois qu’il est important de souligner que la rétention d’eau dans le sol est également l’un des services environnementaux que pourrait offrir l’agriculture.

L’un des défis qui se présentent aux agriculteurs dans la vallée de la rivière Rouge : le drainage des terres a été tellement efficace, tant au Dakota du Nord qu’au Manitoba, que l’eau s’écoule très rapidement vers la rivière et cause des inondations. Nous éprouvons certains de ces problèmes au Canada atlantique. À mon avis, nous pourrions rendre un important service à la communauté en général en demandant aux agriculteurs de stocker une plus grande quantité de cette eau saisonnière dans le sol.

La sénatrice Gagné : Merci.

La présidente suppléante : Monsieur Burton, vous avez souligné qu’il existe un manque de rendement économique pour les producteurs et que certaines de ces pratiques n’ont pas été adoptées parce qu’il n’y avait aucune incitation à le faire en raison de cette absence de rendement. Nous n’en avons pas parlé, même si je crois qu’on y a fait allusion. Que pensez-vous des différents mécanismes de tarification du carbone? Ont-ils une incidence sur vos secteurs? S’agit-il d’incitations économiques ou de facteurs dissuasifs?

M. Burton : Cela dépend de la façon dont on procède. Le diable est dans les détails. Permettez-moi d’abord de dire que je ne suis pas expert en tarification du carbone ou en échanges de carbone. Cela dépasse mon champ de compétences. Mais je crois qu’on doit fournir des renseignements fiables aux producteurs pour encourager des activités spécifiques. Ces renseignements doivent être fiables et limpides.

J’ai donc évoqué l’exemple du Protocole de réduction des émissions d’oxyde nitreux. Il s’agit d’un protocole que l’Alberta est en train d’adopter. C’est cette province qui l’a conçue, mais on prévoit l’utiliser à l’échelle nationale. Ce protocole a pour but de définir, en toute simplicité, les pratiques qui pourraient être utilisées pour créer et documenter ces crédits de carbone.

Si le processus de documentation et d’accumulation des crédits est trop compliqué, s’il implique trop de paperasse et de vérifications, celui-ci n’a plus de valeur pour le producteur. Ce processus doit être simple, transparent et accessible.

Cela dit, je crois que des mesures incitatives de ce genre sont essentielles. À mon avis, ce sont de bonnes politiques étant donné que nous voulons inciter les gens à adopter des pratiques judicieuses au lieu de leur venir en aide quand le malheur frappe. Or, nous utilisons ces mêmes fonds à l’heure actuelle, non pour encourager les pratiques exemplaires, mais, dans certains cas, pour excuser les mauvais comportements. Par conséquent, je crois que nous devons avoir une approche très progressiste lorsqu’il s’agit d’élaborer des politiques quant aux échanges de carbone.

J’ajouterai aussi l’étiquetage vert. Les étiquettes vertes sont de plus en plus utilisées sur les produits. Comment allons-nous procéder pour assurer que celles-ci encouragent les activités bénéfiques au lieu d’être simplement de nouvelles sources de revenus pour le système de production alimentaire?

M. Asiedu : À mon avis, il faut aussi sensibiliser davantage les consommateurs. L’éducation des consommateurs est très importante parce que si nous ne parlons pas le même langage, les consommateurs pourraient alors exiger des prix injustes des producteurs et cela serait malheureux.

La présidente suppléante : Je vous remercie tous les trois de vos excellents exposés. Au nom du comité de l’agriculture et des forêts, je vous remercie d’avoir pris le temps de nous rencontrer. Je vous remercie très sincèrement d’avoir partagé votre expertise et votre expérience avec le comité et nous avons hâte de visiter la Faculté d’agriculture de l’Université Dalhousie demain.

Nous avons maintenant le plaisir d’entendre Mme Gabriela Sabau, professeure agrégée, Économie/Études environnementales, Enseignement supérieur, au Campus Grenfell de l’Université Memorial de Terre-Neuve, et M. Don Jardine, chef de projet, Laboratoire de recherche climatique, Université de l’Île-du-Prince-Édouard.

Bienvenue à vous deux. Nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation à comparaître devant le comité. Nous allons d’abord entendre Mme Sabau et lorsque les deux présentations seront terminées, les sénateurs poseront des questions.

Gabriela Sabau, professeure agrégée, Économie/Études environnementales, Enseignement supérieur, Campus Grenfell, Université Memorial de Terre-Neuve : Je vous suis très reconnaissante de m’avoir invitée. Vous avez reçu mon mémoire, donc vous savez où je veux en venir. J’aimerais commencer avec une définition différente du « développement durable »: notre développement doit assurer les possibilités à long terme de mener une vie saine aujourd’hui et à l’avenir. C’est très important parce que la croissance économique actuelle détruit l’environnement et augmente les inégalités.

À ce stade, je crois que le Canada doit faire un virage vers une économie à faible émission de carbone avant de faire une transition vers le développement durable. Cela présente à la fois un défi et des possibilités pour le Canada. Nous savons que le Canada est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde. Nos émissions totales étaient de 732 mégatonnes. Pardonnez-moi l’erreur, la faute de frappe, au sujet des tonnes métriques. Il s’agit en fait de mégatonnes d’équivalent CO2, ce qui nous amène à l’un des taux d’émissions par habitant les plus élevés au monde, soit 20,1 tonnes d’équivalent CO2. Donc, c’est beaucoup plus élevé que la moyenne de 12,5 tonnes par habitant des 17 premiers pays de l’OCDE.

Or, je souligne que cette transition offre au moins deux possibilités au Canada. À mon avis, nous pouvons réellement innover sur les plans technique et social en définissant des stratégies de développement à faible émission de carbone pour notre pays en veillant à ce que notre secteur de l’énergie fasse un virage vers les énergies renouvelables; en tenant compte des écosystèmes dans le développement de stratégies d’utilisation du sol et dans la planification urbaine intelligente; et en développant une agriculture diversifiée et intégrée sur le plan écologique qui offre aux Canadiens et au monde entier des aliments sains et verts.

La deuxième possibilité serait d’investir dans les riches ressources naturelles biotiques du Canada et dans les processus socioéconomiques durables. Cela pourrait se traduire par des mesures appuyant les pratiques durables de pêche, de foresterie et d’agriculture qui offrent la possibilité non seulement de limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’améliorer la séquestration du carbone, de protéger la diversité biologique et la qualité de l’eau.

Pour ce faire, nous devons déboulonner trois mythes tenaces quant à notre développement économique et adopter une nouvelle vision systémique qui place le Canada dans un écosystème très riche en biodiversité. Par ailleurs, nous devrions valoriser cette vision comme faisant partie de notre patrimoine, tout en la protégeant et l’utilisant aux fins de notre développement.

Or, je crois que le premier mythe est que la nourriture est un produit industriel et que nous pouvons la transporter partout dans le monde et la gaspiller à volonté. J’aimerais bien que vous examiniez les chiffres relatifs à nos exportations et importations de produits alimentaires, étant donné que le Canada est le cinquième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires après certains énormes exportateurs comme l’Union européenne, les États-Unis, le Brésil et la Chine. En 2013, nous avons exporté des produits alimentaires d’une valeur de 46 milliards de dollars, c’est-à-dire, environ la moitié de la valeur de notre production agricole primaire, que ce soit des produits de base, des aliments transformés ou des boissons.

Nous exportons essentiellement trois produits, qui représentent une quantité énorme : le pétrole et les produits pétroliers, les céréales comme le blé — nous sommes un grand exportateur de blé — ainsi que les animaux et la viande. Or, ce sont les marchandises que nous exportons et nous sommes spécialisés dans la production sur d’immenses fermes. Nous importons la plupart des aliments et légumes que nous consommons. Il s’agit d’un déséquilibre parce qu’on devrait nourrir les Canadiens avec des fruits et légumes produits ici, pas en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud.

En 2013, nous avons importé des marchandises d’une valeur de 34,3 milliards de dollars, ce qui fait du Canada le sixième plus gros importateur de produits agricoles et agroalimentaires. En même temps, les foyers et les commerces du Canada perdent ou gaspillent 6 milliards de kilogrammes de nourriture, ce qui représente près de 30 p. 100 de notre approvisionnement alimentaire. Non seulement avons-nous tort de gaspiller cette nourriture, mais cela produit aussi des déchets et des gaz à effet de serre. Or, selon mes chiffres, les Canadiens gaspillent pour 31 milliards de dollars d’aliments chaque année, ce qui a un impact terrible sur l’environnement. À titre d’exemple, en 2014, les déchets étaient responsables de 29 mégatonnes d’équivalent CO2. C’est énorme.

Parallèlement, 4 millions de Canadiens, dont 1,1 million d’enfants, ont connu l’insécurité alimentaire, avec des taux élevés parmi les populations autochtones et dans certaines parties du Nord canadien. Or, à mon avis, nous devrions abandonner l’idée que la nourriture est une simple marchandise. Nous devrions la considérer comme une substance nutritive qui soutient la vie, génère de l’énergie et assure la croissance, le maintien et la santé du corps. Et si nous percevons la nourriture de cette façon, elle deviendra un atout stratégique. La nourriture que nous produirons nourrira d’abord nos concitoyens.

Je soulignerai quelques chiffres au sujet de la province de l’Ontario. Si cette province remplaçait à elle seule 10 p. 100 des principaux fruits et légumes qu’elle importe par des produits locaux, cela se traduirait par une croissance de 250 000 000 $ dans le PIB et la création de 3 400 nouveaux emplois. Un avantage environnemental supplémentaire serait la réduction des coûts de transport. Il n’existe aucune étude pour mesurer les bienfaits sur la santé d’une telle initiative, mais nous devrions examiner cet enjeu.

Le deuxième mythe est que seule l’agriculture conventionnelle à grande échelle peut générer la prospérité. Trois de ces marchandises sont actuellement produites par des fermes de plus en plus grandes. À titre d’économiste, je conviens que les grandes exploitations agricoles produisent des économies d’échelle et que nous devrions viser à réaliser des économies d’échelle, mais pas au prix de nourrir nos concitoyens avec des aliments appropriés. À mon avis, nous devrions produire des denrées destinées, non seulement à l’exportation, mais aussi aux marchés locaux. La nourriture devrait être produite par de plus petites fermes.

Autrefois, le Canada comptait un grand nombre de petites fermes. L’agriculture était une entreprise familiale; aujourd’hui, les fermes ne cessent de croître et elles sont structurées plus comme des sociétés. Les fermes à grande échelle sont nuisibles étant donné qu’elles causent beaucoup de dégâts. Ainsi, au chapitre de l’environnement, la surspécialisation et la monoculture affaiblissent la résistance des écosystèmes et causent de plus en plus de maladies dans les cultures et chez les animaux; elles polluent aussi l’eau due aux effluents et aux déversements de contaminants industriels. Ensuite, l’efficacité de la biodiversité agrochimique est en déclin; les engrais et les insecticides doivent être utilisés de plus en plus pour protéger les plantes; une grande dépendance sur les combustibles fossiles, principalement pour fabriquer des engrais; les menaces à la biodiversité provenant de la concentration croissante des entreprises dans les secteurs des semences et de l’agrochimie et de la propagation d’organismes génétiquement modifiés. Les chiffres que j’ai démontrent que trois grandes entreprises produisent les engrais pour l’ensemble de la planète. Cette concentration est nuisible aux agriculteurs parce qu’ils n’ont pas accès aux engrais ou que ceux-ci sont trop coûteux et parce que les grandes sociétés contrôlent les semences. Elles empêchent les agriculteurs d’être des agriculteurs.

Or, je crois que nous ne devrions pas avoir honte de l’agriculture à petite échelle; nous devrions créer des politiques pour l’encourager et la renforcer. Pourquoi dis-je cela? Dans d’autres régions du monde, les petites exploitations se portent bien. Elles ne font pas les gros profits des grosses fermes, mais c’est la beauté de la chose, car en étant petites, elles peuvent protéger l’environnement et produire des aliments de meilleure qualité. À mon avis, nous devrions envisager la possibilité d’intégrer très efficacement les fermes à petite échelle. Les petites exploitations agricoles, et non les économies d’échelle, seront à la source de l’efficacité. L’intégration produira l’efficacité.

Par exemple, une petite ferme pourrait produire l’électricité au moyen d’une petite éolienne ou d’une petite chute. Sur une petite ferme, il serait possible d’intégrer les animaux et les cultures. On pourrait utiliser le fumier pour fertiliser les cultures naturellement. À Terre-Neuve, nous utilisons les déchets de poisson pour fertiliser la terre et éliminer l’usage des produits chimiques.

Je vous ai donné les chiffres pour la Chine, où les petites exploitations créent des emplois. J’ai aussi vérifié l’état de la situation au sein de l’Union européenne. En 2013, parmi les 28 pays membres de l’Union européenne, 86,3 p. 100 des 10,8 millions de fermes étaient de petites exploitations d’une superficie de 2 à 20 hectares.

À mon avis, nous serons tous gagnants si nous réaménageons notre agriculture pour veiller à ce que les grandes fermes produisent en vue des marchés d’exportations et si nous développons de petites fermes pour nourrir la population à l’échelle locale. Mais ces petites fermes ont besoin de soutien.

Je peux vous donner un exemple. J’enseigne aussi en Islande, une petite île comme Terre-Neuve. Ce pays importe 45 p. 100 de ses fruits et légumes. Mais, en même temps, ils produisent une très petite quantité de légumes à l’échelle locale : des tomates, des concombres et des poivrons verts. Or, ce sont les meilleurs légumes au monde. Les petits agriculteurs sont subventionnés et, bien sûr, ils tirent parti de l’énergie renouvelable très bon marché qui leur est offerte. Leurs maisons sont chauffées. Les consommateurs préfèrent la nourriture qu’ils produisent parce qu’elle a meilleur goût. On m’a dit que cette différence dans le goût n’est pas attribuable au fait que ces légumes ne sont pas conçus pour être transportés partout dans le monde, mais en raison de la qualité de l’eau qu’on utilise, étant donné que les tomates et les concombres sont principalement constitués d’eau. L’Islande a la meilleure eau du monde. L’eau n’y est jamais traitée; elle provient des glaciers. Donc, ces légumes sont les meilleurs au monde en raison de l’eau qu’ils absorbent et je les achète toujours. Ils sont un peu plus chers, mais ils ont bien meilleur goût.

La troisième chose dont je veux vous parler est la tarification du carbone. Or, il s’agit d’une excellente initiative de la part du Canada, étant donné que nous produisons une grande quantité de CO2. Nous devrions y veiller. À mon avis, la tarification du carbone à elle seule ne peut nettoyer l’air, l’eau et le sol. Nous devons absolument comprendre cette réalité. J’ai des exemples de pays qui utilisent des taxes sur le carbone ou des mécanismes de plafonnement et d’échange pour réduire la quantité d’émissions.

Nous possédons quelque chose de différent : notre riche biodiversité. Par ailleurs, nos terres et forêts peuvent être utilisées pour la séquestration du carbone. Nous disposons de vastes étendues de terres. Une étude récente a démontré que des terres saines peuvent absorber une plus grande quantité d’émissions de carbone que les océans et les forêts. Il s’agit d’une toute nouvelle étude de l’Université Northwestern et de l’Organic Center aux États-Unis, et je crois que ses auteurs ont raison. Demeter International, la plus ancienne organisation de certification écologique au monde, a développé des analyses du sol pour la séquestration du carbone qui aident les agriculteurs à bâtir des sols biologiquement actifs, non seulement pour la santé de leurs cultures, mais aussi pour la santé de la planète.

Or, je suis d’avis que nous devrions avoir des taxes sur le carbone et des systèmes de plafonnement et d’échange. Je conviens que ces mesures devraient s’appliquer à tous les grands pollueurs et je suis entièrement d’avis que nous devons identifier ces grands pollueurs, soit les industries du pétrole, du gaz et des transports. Par ailleurs, nous devons miser sur la santé de nos sols. Ensuite, nous avons une énorme source pour la neutralisation de la biodiversité qui assure la pérennité de nos forêts.

Le secteur de l’agriculture biologique est plutôt restreint au Canada. Malgré le fait que les consommateurs sont ravis d’acheter des aliments biologiques, le nombre de producteurs est insuffisant. Pourquoi n’avons-nous pas suffisamment de producteurs agricoles? Tout d’abord, parce qu’ils ne reçoivent pas le soutien nécessaire et que le processus de certification est coûteux, très coûteux. C’est un processus normal, car en pratiquement trois ans, ils doivent reconstituer leur sol et le rendre sain afin de pratiquer une agriculture biologique. Mais, parallèlement, je crois que nous, universitaires, sommes coupables, car nous n’offrons pas suffisamment de cours d’agroécologie, par exemple. Les agriculteurs ne savent pas ce qu’ils doivent faire, car pour pratiquer une agriculture biologique, ils doivent connaître leurs sols, leurs cultures et le type d’engrais biologiques à utiliser. Cela repose sur beaucoup de connaissances scientifiques et, à mon avis, nous devrions offrir davantage de cours portant sur ce genre d’agriculture plutôt que sur l’agriculture conventionnelle, et alors, tout le monde sera content.

Je conclurai en disant que je suis heureuse que le Canada ait publié un document de travail sur les principes et sur les priorités d’une politique alimentaire nationale dans lequel la plupart de ces idées sont bien accueillies. Nous devons considérer l’agriculture comme une source de nourriture et non pas uniquement comme une source de profits. Je crois que nous avons besoin d’une approche systémique intégrative à l’égard de tous les riches secteurs des ressources renouvelables du Canada. Nous devons travailler en collaboration dans les domaines de l’agriculture, de la foresterie et des pêches. J’ai l’impression que nous avons privilégié les combustibles fossiles et des types de ressources non renouvelables. En fait, nous avons bâti notre richesse sur ces derniers. Je crois qu’il est temps d’orienter nos activités vers des ressources renouvelables, car elles sont renouvelables. Si nous leur en laissons la possibilité, elles se renouvelleront par elles-mêmes et deviendront alors une énorme source de richesse propre pour nous. Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, madame Sabau.

Monsieur Jardine, la parole est à vous.

Don Jardine, gestionnaire de projet, Laboratoire de recherche climatique, Université de l’Île-du-Prince-Édouard, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité et j’espère que l’information que je vous communiquerai vous sera utile. La majeure partie de ma présentation a été élaborée par d’autres personnes, principalement par M. Adam Fenech qui n’a pas pu venir aujourd’hui. Un grand nombre de données sont présentées sous forme de graphique. Comme cela devait être une présentation PowerPoint, je tenterai de vous fournir de plus amples informations. Cette présentation n’a pas fait l’objet d’un examen par les pairs, dans le sens où les données présentées n’ont pas été examinées par d’autres personnes en vue d’être publiées dans un article.

La première diapositive porte sur les températures observées au Canada dans le passé. Vous pouvez constater que les températures ont augmenté partout au pays. Le réchauffement a été plus marqué au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le Canada central et dans les Prairies. Quant aux précipitations, vous pouvez voir les changements survenus au cours des 60 dernières années environ, depuis 1950. Les côtes reçoivent plus de précipitations, alors que les prairies ont davantage de périodes sèches. On peut voir des zones avec de grands triangles, ceux-ci indiquent les endroits où les chutes de pluie ont été plus importantes au cours des 60 dernières années que par le passé. Leur taille est proportionnelle aux quantités reçues. La diapositive suivante présente les températures auxquelles nous pouvons nous attendre dans les années 2050. Vous voyez ici différentes couleurs. Les zones rouges sont les endroits où les hausses de température prévues seront les plus marquées. Ces prévisions ont été établies à partir de modèles climatiques. Il existe une quarantaine de modèles climatiques mondiaux. Dans le cadre de la présente analyse, nous avons utilisé ceux qui s’appliquent davantage au Canada. On constate ici qu’en raison de l’effet de refroidissement des océans, la hausse dans les zones côtières ne sera pas aussi élevée.

Voyons maintenant l’augmentation prévue des précipitations. Ici aussi, des changements sont anticipés. Les zones côtières du Canada atlantique tendent à se situer dans la partie inférieure, mais, à mesure que nous remontons vers le nord, on prévoit que les précipitations seront plus abondantes. Sur la prochaine diapositive, on peut voir les normales de températures. Ces données sont analysées depuis de nombreuses années. Environnement Canada utilise une normale climatique calculée sur une période de 30 ans afin de fournir une analyse de la température normale. Vous pouvez voir sur cette diapositive qu’à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, de 1961 à 1990, la température normale était de 5,2 et, en 2010, elle était de 5,6. Il y a donc eu une légère hausse. Nous avons choisi un endroit, Truro, en Nouvelle-Écosse. La température moyenne annuelle y a augmenté d’un demi-degré au cours des 30 à 40 dernières années.

La diapositive suivante montre que, depuis que les statistiques sont tenues — soit depuis que l’Île-du-Prince-Édouard est entrée dans la Confédération en 1873 — nous avons vu une hausse graduelle de la température moyenne annuelle d’environ un degré. Évidemment, comme vous pouvez le voir à droite complètement dans la partie encerclée, depuis disons 20 ou 15 ans, la hausse est en fait un peu plus élevée que cette tendance. Nous avons également une diapositive ici pour Terre-Neuve-et-Labrador indiquant que la tendance est à la hausse. Et si on ventile les données par saison, on constate que le réchauffement se fait davantage sentir l’hiver, alors que pour le printemps, l’augmentation est moins marquée. Quant aux deux autres saisons, elles se situent au milieu.

De retour à l’Île-du-Prince-Édouard. Si on compare une fois de plus la période allant de 1881 à 1910 et la période allant de 1981 à 2010, soit 100 ans plus tard, on peut voir, par mois, les hausses enregistrées. Chacun des mois a connu un réchauffement, mais l’augmentation est plus grande pour les mois de février et de décembre. Il semble donc que nos hivers sont plus chauds, ce qui, dans un certain sens, est plutôt bien. C’est en septembre-octobre que la hausse est moins marquée.

Évidemment, pour l’agriculture et la foresterie, les températures extrêmes ont des répercussions importantes, les journées de chaleur extrême et les journées les plus froides. Au cours des 30 dernières années, l’année la plus froide a été l’année 1993, année de l’éruption du mont Pinatubo. Nous constatons donc des changements causés par des éruptions volcaniques, lesquelles peuvent avoir une incidence sur la chaleur provenant du soleil. Brève parenthèse historique : l’année 1816 est considérée comme l’année la plus froide jamais enregistrée et, cette année-là, un autre volcan situé dans la même région que le mont Pinatubo, en Indonésie, est entré en éruption.

Dans la partie inférieure droite, vous pouvez voir que les journées extrêmement froides sont à la baisse à l’Île-du-Prince-Édouard. Le nombre de jours où la température a chuté sous la barre des moins 20 degrés a diminué.

Pour les normales de précipitations, revenons à Truro. Vous pouvez voir que les précipitations annuelles moyennes à Truro, au cours des périodes sur lesquelles on se base pour établir les normales, sont demeurées relativement stables. Peu de changements. Dans la région de l’Atlantique, on voit ici un autre graphique qui montre qu’à l’aéroport de St. John’s, à Terre-Neuve, il n’y a eu pratiquement aucun changement. Peut-être un peu au cours des 30 dernières années, peut-être une hausse de 4 p. 100. Pour Charlottetown, les précipitations ont diminué d’environ 14 p. 100 au cours des 30 dernières années, comme l’indique la ligne descendante de la tendance sur le graphique.

La prochaine diapositive porte sur le nombre de jours où il a neigé à Truro, en Nouvelle-Écosse. Le graphique indique qu’il y a eu une diminution d’environ 12 jours depuis la première période enregistrée à cet endroit.

En ce qui a trait aux averses, à la fréquence des précipitations, le nombre de jours où il y a des précipitations est à la baisse. Mais, si vous regardez le graphique du bas qui indique l’intensité des événements de précipitations, il pleut ou il neige plus fort. Nous recevons davantage de pluie ou de neige par événement, soit 6 p. 100 de plus que par le passé. D’après cette prévision d’Environnement Canada, nous aurons plus d’épisodes de chutes de pluie ou de neige intenses. Je crois que nous avons pu le constater lors de certaines tempêtes survenues au cours des dernières années.

Passons maintenant aux changements de température dans la région de l’Atlantique. Ces prévisions sont une fois de plus établies à partir de modèles climatiques mondiaux réduits à la région locale. Nous pouvons voir ici que le Nouveau-Brunswick, sa partie septentrionale, subira la plus forte hausse. Quant à la température en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, elle demeurera sensiblement la même, tandis qu’à Terre-Neuve, elle sera un peu plus fraîche en raison, comme je le disais plus tôt, de l’influence de l’océan Atlantique.

En ce qui concerne la température annuelle moyenne à Charlottetown, vous pouvez voir, sur la diapositive suivante, la représentation des températures annuelles moyennes au fil des ans, des années 1880 aux années 1990. On constate une augmentation graduelle. Il y a quelques variations à la hausse et à la baisse, mais, selon les prévisions fondées sur les modèles climatiques, vers la fin du siècle, la température annuelle moyenne pourrait se situer dans la fourchette 8,3, ce qui est deux degrés de plus que la température moyenne actuelle. Un degré fait une grande différence.

Pour ce qui est des précipitations, une fois de plus, nous constatons que des augmentations sont prévues. Il semble que les régions côtières recevront peut-être des quantités un peu moins importantes de précipitations. Par contre, certaines régions le long de la côte devraient en recevoir un peu plus. Si vous regardez Terre-Neuve, le nord de la côte Ouest, près de Gros Morne, dans cette région, la hausse sera de 11,6 p. 100. Nous verrons donc des changements.

Le graphique suivant est un graphique intensité-durée-fréquence utilisé par les ingénieurs et autres spécialistes pour la conception de ponceaux et de systèmes de drainage des eaux pluviales, de ponts et autres infrastructures semblables. Il sert à déterminer la taille appropriée des ponceaux de sorte qu’ils aient la capacité de prendre en charge les eaux pluviales. Ces graphiques ont changé au cours des dernières années. Comme Environnement Canada a éliminé les pluviomètres à auget basculeur dans les années 1990, nous n’avons pas pu obtenir des informations à jour sur l’intensité des précipitations, car, pour cela, il faut des relevés horaires. Les relevés obtenus étaient des relevés quotidiens. Ils ne nous permettaient pas de connaître le débit réel d’une tempête. L’été dernier, il y a eu deux orages à l’Île-du-Prince-Édouard. Au cours de l’un d’eux, il est tombé 100 millimètres de pluie en une heure et demie. Si nous l’avions indiqué sur ce graphique, cet orage aurait été un événement de tempête d’un en 200 ans. Lorsqu’on conçoit une infrastructure pour l’évacuation des eaux pluviales, et cela s’applique aux routes forestières et de fermes, on doit faire en sorte que les routes et les ponceaux ne soient pas emportés par l’eau, voilà pourquoi ces courbes sont importantes.

Voici maintenant les précipitations totales, passées et futures, pour Charlottetown. Nous avons des données depuis les années 1880, où la moyenne annuelle était de 1 400 millimètres. Les précipitations ont atteint un sommet dans les années 1970 et sont en déclin depuis lors. On s’attend à ce que cette tendance se maintienne. Puis, vers le milieu du siècle actuel, les précipitations devraient commencer à être plus abondantes et maintenir cette tendance jusqu’à la fin du siècle, où elles reviendront peut-être à des niveaux semblables à ceux du début des années 1900.

Je suppose que lorsqu’on analyse tous ces facteurs, l’agriculture et la foresterie dépendent de l’apport de pluie et de l’apport de chaleur pour la croissance des cultures et des arbres et, en fait, pour savoir quelles espèces pousseront, lesquelles disparaîtront et quelles cultures seront les mieux adaptées à la nouvelle tendance qui se dessine en raison des changements climatiques. Nous avons réalisé une étude, la photo des pommes de terre que vous voyez ici. Les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard peuvent se prévaloir d’une assurance-récolte pour certaines récoltes chaque année, et ils veulent savoir si les dérivés courants qu’ils utilisent dans leurs critères changeront et s’ils doivent modifier leurs critères.

Je vous en présente quelques-uns rapidement. Par exemple, la culture des citrouilles et des courges, et ces données viennent de l’aéroport d’Ottawa. Ces plantes aiment les journées chaudes, de 23 à 29 degrés le jour et de 15 à 21 degrés la nuit. Le nombre de ces journées chaudes, comme l’indique la ligne de tendance, augmente graduellement. Les conditions sont donc bonnes pour la culture des courges et des citrouilles, et nous devrions voir une augmentation de ces cultures. En outre, lorsqu’on cultive des pommes et d’autres fruits, l’un des dangers est le gel, particulièrement lorsque les arbres sont en fleurs. C’est également le cas pour la culture des fraises, des bleuets et d’autres fruits. La prochaine diapositive indique le nombre de derniers jours de températures froides après la première floraison, période au cours de laquelle les fleurs de pommiers ont 90 p. 100 de risques de mourir. Comme le montre le graphique, la tendance est à la baisse. C’est donc une bonne chose.

Les prochaines diapositives sont un peu plus complexes. Ne vous attendez pas à ce que je réponde à un grand nombre de questions à leur sujet. C’est un avenant relatif à la couleur. Les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse ou de toute autre province doivent se conformer à une certaine norme lorsqu’ils expédient des pommes de terre à l’usine de transformation. Si ces pommes de terre ont gelé ou sont trop froides, cela a une incidence sur leur teneur en sucre. Les consommateurs veulent que leurs frites aient une belle apparence, une belle couleur brune. Cette diapositive indique aux agriculteurs si leurs cultures ont été endommagées, par exemple, s’il y a eu des gelées tardives ou encore des conditions de gel avant la récolte, alors cet avenant vous indiquera qu’ils peuvent obtenir une couverture d’assurance. On peut voir qu’il n’y a pas eu beaucoup de changements, bien que les années 1973-1974 n’aient pas été très bonnes. Le mildiou est également un problème, mais il n’est pas représenté sur cette diapositive.

La diapositive suivante concerne la sécheresse. Au cours des deux dernières années, les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard se sont plaints du manque de pluie pendant la saison de croissance. L’indemnisation à laquelle ils ont droit — si, entre le 1er juin et le 30 septembre, il y a 25 jours consécutifs où la quantité totale de pluie quotidienne est de moins de cinq millimètres —, le graphique tente de démontrer qu’une légère tendance se dessine également pour cet aspect.

Ici, il est question de l’ensilage. Ma sœur possède une grande exploitation laitière et, pour elle, les conditions d’ensilage sont un élément très important. Pendant la saison des récoltes, on ne peut pas avoir des pluies excessives, car il est alors impossible de récolter les cultures. Cette couverture d’assurance concerne ou couvre cet aspect particulier. Nous pouvons voir qu’il y a eu quelques années, en 1981, je crois, et autour des années 1987-1988, où les pluies ont été très abondantes pendant cette période cruciale.

Passons à la qualité des semences fourragères. Les cultures fourragères sont importantes et la fréquence des précipitations l’est également. Peu de changements sont survenus dans ce domaine. De 1923 jusqu’à 1968 environ, il n’y a eu aucun grand changement, mais ce n’est pas un facteur majeur.

La qualité du foin : pour la récolte du foin, on doit avoir trois journées consécutives sans pluie. La présente diapositive nous indique que la période cruciale s’étend du 1er au 25 juillet, et que la tendance est à la baisse. Cela coïncide avec la période de sécheresse également. Les agriculteurs recherchent parfois le meilleur des deux mondes. Il faut beaucoup de pluie lorsque les plantes poussent, mais lorsque vient le temps de les récolter, il ne doit plus y avoir de pluie. C’est ce que vous montre ce graphique.

La diapositive suivante montre des photos de ravinements et de ce qui arrive après un événement de précipitations très intense. L’une des photos a été prise en juin 2010, après une tempête, et l’autre, en avril, après la fonte des neiges. Nous demandons que des mesures politiques soient prises pour protéger les sols de l’érosion, car dans les grands champs, surtout ceux dont le sol est dénudé au printemps au moment de la fonte des neiges, le ruissellement peut entraîner avec lui beaucoup de boue.

Poursuivons avec les jours sans gel et les saisons de croissance. Ce sont d’autres éléments importants pour les agriculteurs, peu importe le type de cultures qu’ils pratiquent. Le graphique indique que le nombre de jours sans gel augmente graduellement à Charlottetown, passant de 196 jours pour la période 1960-1990 à 205 jours pour la période 1981-2010. On prévoit qu’au milieu du siècle actuel, de 2041 à 2070, ce nombre sera de 254. Progressivement, la durée de la saison de croissance s’allonge. Dans un sens, cette tendance est bonne pour les agriculteurs. Ces prévisions sont fondées sur un modèle climatique mondial avec un scénario RCP 8.5.

La diapositive suivante présente les degrés-jours de croissance. Certaines personnes les appellent « unités thermiques de croissance » ou « unités thermiques du maïs ». Ce n’est qu’une autre façon d’exprimer le nombre de jours pendant lesquels les plantes poussent, lorsque la température sera supérieure à 5 degrés Celsius. Nous pouvons constater que la tendance est à la hausse, et que d’ici 2070, ce nombre pourrait être de 2 200 comparativement à 1 600 ou à 1 700 à l’heure actuelle. C’est donc un facteur très important.

La diapositive qui suit ne fait que présenter les degrés-jours de croissance des dernières années à Charlottetown. Nous pouvons voir la ligne de tendance par rapport aux normales des années 1970 et des années 1980. Il y a une tendance graduelle vers un plus grand nombre de degrés-jours de croissance, ce qui aura une incidence sur le nombre, le type de cultures.

En ce qui concerne le passé et l’avenir, il existe une protection en cas de désastre touchant les cultures fourragères. Nous voyons ici les prévisions. Le graphique indique peu de changements, peut-être un risque un peu plus élevé de sécheresse.

J’ai ajouté quelques diapositives au sujet des forêts. Je suis désolé de ne pas avoir beaucoup de données sur celles-ci, mais je crois que M. Charles Bourque témoignera plus tard aujourd’hui. Hassan et lui ont réalisé une étude sur les forêts de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils ont étudié les différentes essences forestières et tenté de déterminer lesquelles sont susceptibles de changer à cause des changements climatiques. L’étude révèle que plusieurs essences forestières de l’Île-du-Prince-Édouard sont à risque en raison des changements climatiques. Les essences sur le déclin sont des essences comme le bouleau blanc, l’épinette blanche et l’épinette noire. Le sapin baumier fait aussi partie de cette catégorie. À l’inverse, les essences en croissance incluent le chêne rouge et l’érable rouge. Nos exploitants forestiers ne sont pas comme les agriculteurs. Ils plantent leurs arbres aujourd’hui, mais ceux-ci ne seront récoltés que dans 40, 50 ou 60 ans. Quelles essences d’arbres devons-nous planter aujourd’hui afin d’avoir une récolte dans une cinquantaine d’années? Là est toute la question.

La prochaine diapositive concerne le sapin baumier. Bien des gens en font un arbre de Noël dans leur salon au temps des Fêtes. Vous voyez ici que l’espèce couvre pour ainsi dire toute l’Île-du-Prince-Édouard aujourd’hui. Vous voyez aussi qu’en 2100, il n’y aura essentiellement plus de sapin baumier à l’Île-du-Prince-Édouard. Donc, les producteurs d’arbres de Noël qui exploitent le sapin baumier feraient peut-être bien de commencer à songer à d’autres espèces s’ils veulent continuer de faire des affaires à l’Île-du-Prince-Édouard. Ces graphiques sont disponibles pour plusieurs espèces différentes.

On ne saurait parler d’agriculture et de forêts sans songer aux risques que présentent les espèces envahissantes, et j’en ai déjà énuméré un grand nombre. Même dans la pêche, nous avons vu les effets que peut avoir sur les tuniciers la production des moules à l’Île-du-Prince-Édouard ainsi que des homards et des crevettes.

Donc, le climat se réchauffera et, dans les décennies à venir, il sera plus humide et plus sec, selon l’endroit. Le climat va être de trois à quatre degrés plus chaud. Nous aurons plus de journées sans gel, plus de degrés-jours de croissance. Il y a toutes sortes de facteurs positifs et négatifs pour l’agriculture et les forêts. Il y a beaucoup de travail à faire.

Je viens de recevoir une étude. Le Laboratoire de recherche climatique à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard mène une étude pour le gouvernement provincial sur divers secteurs, et les forêts et l’agriculture sont deux de ceux que nous suivons. Les études renferment plusieurs recommandations. Je vais en lire quelques-unes : « Commander une étude globale des possibilités et des difficultés pour les cultures dans un climat en réchauffement pour les 30 prochaines années; documenter les besoins d’irrigation et prévoir les conditions de sécheresse et les méthodes connues pour y réagir. » Ces recommandations sont issues de réunions avec les gens des forêts et de l’agriculture. « Fournir des données météorologiques plus exactes à un plus grand nombre de stations climatologiques; intégrer les changements climatiques dans le cadre de l’assurance pour l’agriculture; commander une étude globale des phytoravageurs et des pathogènes qui pourraient être introduits à l’Île-du-Prince-Édouard pour les différentes cultures, ou même le bétail. » Les ravageurs peuvent être nuisibles au bétail également.

Je pense que je vais m’arrêter ici.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Jardine, de votre exposé très complet. Merci à vous deux.

Le sénateur Doyle d’abord, puis le sénateur Oh.

Le sénateur Doyle : Un exposé très intéressant, cela ne fait aucun doute.

Madame Sabau, vous présentez des chiffres très intéressants et troublants au sujet du Canada et de nos émissions de gaz à effet de serre. Les 17 pays de l’OCDE produisent en moyenne 12,5 tonnes d’émissions par habitant, nous en sommes pour notre part à 20 tonnes. Les secteurs de l’agriculture et des forêts jouent-ils un rôle dans ces chiffres. Ou les 20 tonnes que vous mentionnez comprennent-elles le pétrole et le charbon et les feux de forêt ainsi que les combustibles fossiles? Le secteur agricole ne pèse pas lourd là-dedans, n’est-ce pas?

Mme Sabau : Le récent inventaire des émissions de gaz à effet de serre par les secteurs, les secteurs économiques, révèle que l’agriculture en produit 60 mégatonnes, ce qui est moins que les émissions de l’industrie du pétrole et du gaz, des centrales électriques, et des transports. Nos transports en produisent beaucoup. J’ai tout cela ici. Ainsi donc, les sources fixes de combustion et les sources fugitives en produisent — le chiffre est valable pour 2014 — 391 mégatonnes, comparativement à 203 pour les transports. Les procédés industriels en produisent 51 et l’agriculture en a une mégatonne de moins, c’est-à-dire 59, et est suivie des déchets.

L’agriculture n’en produit pas tellement, comme vous voyez. Par ailleurs, nous avons les forêts. Selon les articles que j’ai lus, depuis quelque temps, nos forêts ne sont plus les puits de carbone qu’elles étaient, à cause des invasions d’insectes et des feux dans l’Ouest du Canada. Cela a eu des conséquences sur les trembles qui sont atteints et détruits. Nos forêts ont donc perdu de leur capacité de séquestration du carbone. Il nous faut des forêts plus en santé que maintenant. Ainsi donc, bien que notre degré de déforestation soit vraiment faible, l’un des plus bas au monde, et que nous soyons riches en forêts, nous devons lutter contre ces conséquences négatives pour protéger la santé de nos forêts.

Prenons l’agriculture. Si nous en améliorons la qualité, nos sols deviendront un puits plutôt qu’une source d’émissions de gaz à effet de serre. Je ne m’inquiète pas trop pour l’agriculture.

Vous avez mentionné les taxes, et l’effet qu’elles auront sur la situation, et cela va peut-être devenir un autre enjeu. Selon moi, notre fiscalité devrait cibler les grands pollueurs, plutôt que l’agriculture. Je vous donne un exemple : la Suède et sa gestion des pluies acides. Dans les années 1980, la Suède avait un problème de pluies acides, et elle ne savait pas comment le régler. Elle a déterminé que les dioxydes de soufre représentaient d’énormes émissions, dont les centrales électriques étaient les coupables. Elle a donc créé des taxes pour ces grands pollueurs. La taxe à payer par ces grands pollueurs — aujourd’hui, nous nous plaignons de nos 10 $ la tonne — était de 4 000 $ la tonne. En 10 ans, la Suède a réglé son problème de pollution au SO2 et elle a maintenant la plus faible pollution au CO2 en Europe parce qu’elle a continué de réduire l’étendue de pollution en appliquant le même traitement aux petits pollueurs.

La décennie au cours de laquelle les entreprises étaient censées payer cette grosse taxe pour leurs émissions a été la meilleure pour l’innovation parce que les entreprises ne voulaient pas payer et ont préféré innover. Elles ont fait un grand ménage avec l’aide du régime fiscal, qui était conçu de manière à faire payer cette énorme taxe, quitte à accorder un rabais dès l’instant où l’entreprise se montrait capable de produire de l’électricité propre. Tout le monde y trouvait son profit.

Nous devrions viser à nous donner un régime du même genre au Canada, un régime ciblant les grands pollueurs. Ils paieraient très cher, et non pas une taxe de 1 $ frappant tout le monde, y compris les pauvres et les petits agriculteurs. Si les taxes étaient remboursées aux pollueurs dès qu’ils auraient éliminé leurs sources de pollution, cela les inciterait à innover et à instaurer des technologies plus propres. Voilà ce que nous devrions faire.

Nous parlons tous des taxes sur le carbone et de plafonnement et d’échange. Je vais vous dire ce que j’en pense. Je pense que le gouvernement fédéral a bien fait de laisser les provinces décider de la conception de leur système, c’est-à-dire choisir entre une taxe sur le carbone ou le plafonnement et l’échange. À titre d’économiste qui s’y connaît en écologie, je pense que les taxes sont plus faciles à appliquer et que la formule du plafonnement et de l’échange est un moyen plus efficace de réduire les émissions. Pourquoi? Parce que, même lourdement taxées, les sociétés vont trouver l’argent et payer la taxe. Ainsi, nos taxes vont quand même servir à payer le droit de polluer; et les entreprises vont payer si elles ont l’argent et ne vont pas réduire pour la peine leur volume d’émissions.

Mais avec le plafonnement et l’échange, le gouvernement va décider d’un plafond. C’est le quota d’émissions qui est permis pour Halifax, par exemple. Une fois le plafond fixé, il faudra trouver qui sont les pollueurs et leur délivrer les permis de pollution auxquels ils auront droit. Ensuite, ils feront des échanges s’ils sont plus propres. Ils pourront vendre leur droit de polluer, et un nouveau marché naîtra. La beauté du système de plafonnement et d’échange est que le gouvernement est censé réviser et abaisser périodiquement le plafond. Et c’est alors que nos émissions diminueront vraiment.

Les études révèlent qu’un régime fiscal, qu’il soit fondé sur une taxe sur le carbone ou sur le plafonnement et l’échange, doit être bien conçu et bien surveillé. C’est là le problème. Vous devez concevoir le régime et bien surveiller ce qui se produit. Les deux méthodes sont efficientes et sont valables.

La présidente suppléante : Au tour du sénateur Oh.

Le sénateur Oh : Merci beaucoup de vos exposés rigoureux et du graphique. Vous avez dû passer pas mal de temps à réunir tous ces renseignements.

Ma question s’adresse à la professeure. Vous semblez avoir un penchant pour l’agriculture à petite échelle. Le Canada est le cinquième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires; il a des clients partout dans le monde. Comme vous le savez, la population mondiale croît très rapidement et la disponibilité des terres propres à l’exploitation agricole est limitée. Même en Chine, chaque ménage n’a qu’une acre ou un maximum de trois acres à cultiver. Vous croyez que l’agriculture à petite échelle permettra de mieux contrôler les émissions de CO2. J’aurais pensé que c’était l’inverse, que l’agriculture à grande échelle et à faible coût offre des contrôles plus efficaces.

Mme Sabau : Non. Le processus dans les grandes fermes qui utilisent beaucoup d’engrais et beaucoup d’eau pour produire les grandes cultures va endommager la terre et produire plus d’émissions. Dans une ferme à petite échelle, l’agriculteur peut effectivement protéger la qualité du sol parce qu’il n’utilise pas d’engrais chimiques. Il peut, de fait, améliorer la qualité du sol en ne pratiquant pas une culture intensive. Chaque fois qu’il fait une utilisation intensive du sol, il en détruit la qualité, de même que la qualité du produit, de fait. Donc, je ne dis pas que le Canada ne doit pas produire de blé, car nous sommes l’un des plus grands producteurs au monde. Ayons de grandes fermes, mais encourageons aussi les petites, celles qui pourraient nourrir nos populations locales.

Je veux vous parler de ceci. David Ricardo a proposé la théorie de l’avantage comparatif. Tous les échanges dans le monde sont fondés sur la théorie de l’avantage comparatif. Lorsqu’un pays jouit de l’avantage comparatif… Par exemple, un pays tropical aurait un avantage comparatif pour la production de café. Le Canada n’aura jamais d’avantage comparatif pour le café. Donc, le pays qui jouit de l’avantage comparatif a besoin de se spécialiser et de vendre son produit au reste du monde, parce qu’il peut le produire en grandes quantités. Mais David Ricardo n’a jamais dit qu’il faut tout exporter sans commencer par nourrir sa population. C’était la condition. Il a dit qu’il faut nourrir sa population d’abord et qu’on peut exporter librement ensuite.

À ce stade-ci, nous exportons beaucoup d’aliments; nous en importons en même temps, juste pour varier notre régime ou pour gonfler nos bénéfices. J’aurais juste un exemple à vous proposer, pour mieux illustrer pourquoi il n’est pas bon de tout exporter et pourquoi nous devrions en conserver une partie pour notre population. Terre-Neuve produit de magnifiques poissons, comme vous le savez. Mais je ne peux pas acheter de poisson frais parce que tout notre poisson part en Chine, qui le transforme à meilleur prix, et nous le renvoie congelé. Pourquoi est-ce ainsi?

La petite localité d’Islande où j’enseigne est très petite; elle a un petit campus de 3 000 personnes. Elle a une poissonnerie, où je m’arrête chaque jour pour acheter du poisson frais. Les pêcheurs y apportent leur pêche tous les matins, et je peux faire mon choix entre 15 espèces de poisson frais pour la journée. Pourquoi ne pas avoir cela au Canada? J’adorerais avoir du poisson frais.

Nous importons des fruits et des légumes. Pourquoi ne pas les produire chez nous et nous diversifier, juste par les trois cultures ou les trois produits de base? Ils appellent même cela des produits de base. Les aliments ne sont pas des produits de base, surtout pas le poisson. Le poisson ne peut pas être considéré comme un produit de base, et expédié un peu partout — parce qu’il perd de ses qualités nutritives — à la seule fin d’accroître les bénéfices.

Le sénateur Oh : Mais c’est ce que vous appelez du commerce bilatéral.

Mme Sabau : Un type de commerce bilatéral, oui.

J’ai signé un article au sujet de l’AECG, notre accord commercial avec l’Union européenne. Je l’ai critiqué parce que nous n’avons pas une protection suffisante en place pour protéger nos pêches à Terre-Neuve-et-Labrador et que l’Union européenne a détruit systématiquement les siennes avec ce type de récolte industrielle. Aujourd’hui, elle achète des droits de pêche en Afrique, et s’en vient chez nous avec cela. Je sais que la vente de nos produits Bombardier et de nos biens fabriqués sera une bonne affaire pour nous, mais j’ai du mal à croire que nous tirerons le même profit de nos pêches, qu’il faut protéger.

La présidente suppléante : Sénatrice Gagné, s’il vous plaît.

La sénatrice Gagné : J’aimerais revenir sur la question du commerce. Je pense que la politique commerciale s’applique aux aliments que nous produisons, vendons, achetons et consommons. Je sais que vous proposez un plan pour produire assez d’aliments pour nous nourrir, ce qui est un objectif fort louable, à mon sens, pour le pays, pour peu que nous y arrivions. Pour commencer, il y a la politique et les accords commerciaux, et nous sommes en voie de renégocier l’ALENA. Comment allons-nous changer le comportement des consommateurs, qui veulent leurs mangues, leurs bananes, leurs poivrons verts à longueur d’année? Comment changer le comportement des consommateurs, car c’est ce qui détermine notre consommation?

Mme Sabau : Je pense que nous sommes des consommateurs gâtés. Selon moi, c’est la voie à prendre, parce qu’il n’y a rien de travers à consommer nos fruits et nos légumes en saison; mais nous n’avons plus de saisons. Comme vous dites, nous pouvons consommer tous ces produits sans retenue. Je ne pense pas que cela soit sain. Je pense que nous devrions nous en tenir à ce que nous produisons et ne pas tant importer, parce que le transport rejette en réalité plus de CO2 dans l’atmosphère. Pourquoi ne pas consommer notre production et donner du travail à nos agriculteurs, qui peuvent produire de très beaux fruits et légumes.

Je ne dis pas que nous devons nous tenir loin ou devenir protectionnistes. Ce n’est pas ce que je dis. Je dis seulement qu’il nous faut de meilleures politiques pour protéger les producteurs à petite échelle qui sont capables de produire ces aliments pour la consommation locale. C’est ce que veulent en réalité nos consommateurs.

J’ai fait faire une étude à Terre-Neuve pour voir si les consommateurs préfèrent les produits biologiques. Ils ont dit : « Oui, mais nous ne sommes pas sûrs que l’étiquette ne donne pas une information erronée. » C’est vrai. Parfois, les trucs biologiques que nous recevons à Terre-Neuve sont flétris et personne n’en achète parce qu’ils coûtent un peu plus cher.

Je vous donne un exemple, qui me vient d’Allemagne. Lorsque l’Allemagne a voulu promouvoir l’agriculture biologique, son gouvernement a versé des subventions aux magasins qui vendaient du biologique. Ici, comme consommateur, vous payez le biologique plus cher. Lorsque vous achetez un aliment biologique et que vous passez à la caisse, vous avez droit à un rabais. En réalité, ce rabais est subventionné par le gouvernement. C’est ainsi que nous arrivons à faire l’éducation des consommateurs.

La présidente suppléante : Monsieur Jardine, avec l’allongement de la saison de croissance dont vous avez parlé, serait-il possible aujourd’hui de produire certains de ces fruits et légumes? Nous pourrions être moins tributaires des importations si nous pouvions produire nous-mêmes certains de ces légumes, étant donné les changements climatiques que l’avenir nous réserve?

M. Jardine : Eh bien, nous devons examiner les fruits et légumes individuels pour établir quelle est la saison de croissance dont ils ont besoin. Je ne pourrais vous donner une réponse sans y réfléchir, mais je peux vous parler de l’expérience que nous vivons à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous plantons plus de vignobles. Bien sûr, nos plants viennent de Russie, ou des autres pays qui ont un raisin saisonnier rustique, mais certains viennent d’Italie et du Portugal également. Donc, les producteurs les surveillent et ils essayent de cultiver différents types de raisins. La plantation de pommiers est en hausse à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous plantons de nouvelles variétés, des fèves de soya et certaines autres cultures qui, par le passé, n’ont pas connu beaucoup de succès à l’Île-du-Prince-Édouard. Le maïs en était une autre. Nous cultivons plus de maïs et de canola. Il y a l’huile de canola. Nous faisons également l’expérience de certaines nouvelles cultures. Cela ouvrira de nouvelles perspectives, mais nous restons très tributaires de la pomme de terre, qui est notre grande culture commerciale… mais pour le maïs et certaines autres cultures, certains de nos agriculteurs produisent leur propre ensilage et cela les aide.

Mais je pense qu’il faudra un certain temps avant que l’Île-du-Prince-Édouard produise des bananes.

La présidente suppléante : Je ne pense pas que cela arrivera trop tôt en Alberta non plus.

Sénatrice Bernard?

La sénatrice Bernard : J’aimerais revenir sur l’échange concernant l’agriculture biologique. Je vois dans votre note d’information — et d’autres témoins nous ont dit la même chose — que le secteur biologique du Canada est très limité. Pour changer cela, il faudrait tout un changement de paradigme de la pensée et de la réaction des consommateurs. J’ai bien aimé l’exemple que vous venez de donner, et je me demande si vous pourriez nous en dire plus sur le genre de politiques que le Canada devrait se donner pour favoriser ce changement.

Mme Sabau : C’est très facile si nous faisons une distinction entre les deux secteurs et que nous aidons les producteurs biologiques. Alors, ce sera très facile. Lorsque je dis « aide », je veux parler de formation et d’éducation, car il faut initier les jeunes à cette agriculture biologique.

J’ai l’intention de donner un cours sur l’agroécologie à Grenfell, qui se dirige vers l’autosuffisance alimentaire. Nous avons ce grand problème de sécurité alimentaire dans l’île, c’est-à-dire que nous n’avons que 3,5 jours de réserves alimentaires. Si un avion ne vient pas, nous crèverons de faim.

Le gouvernement a décidé de s’attaquer à cette situation, et nous avons cerné 64 hectares, et 1 000 hectares de terre pour les agriculteurs. Ces agriculteurs auront accès aux terres, et se mettront à produire. Donc, plutôt que de viser d’immenses fermes capables de dégager d’énormes économies d’échelle, il faut encourager les subventions pour ce type d’agriculture biologique et fournir de l’aide pour la certification, ce qui sera utile, parce que le processus est difficile et coûteux. Il est possible d’enseigner cela et de modifier les habitudes de consommation, mais, vous l’avez dit, ce sera un changement de paradigme. C’est ce que nous devons vraiment changer : cette idée que nous devons nourrir le monde; nous devons en réalité commencer par nourrir notre monde à nous; ensuite, nous pourrons nourrir le reste du monde.

La sénatrice Bernard : Dans ce modèle, avec ce changement, quelle serait la place des consommateurs vivant dans la pauvreté?

Mme Sabau : Comme consommateurs?

La sénatrice Bernard : Oui.

Mme Sabau : Ma foi, vous distribuez des subventions, surtout pour les personnes qui n’ont pas accès à ces aliments. Vous faites une différenciation, surtout s’ils ont de jeunes enfants, et je pense que nous devrions leur donner à manger. Nous pouvons le faire dans les écoles. Plutôt que de donner à nos enfants toutes sortes d’aliments gras ou de sucreries non contrôlées — ils consomment trop de sucre —, nous pourrions commencer par leur donner des fruits et leur dire que le chou, c’est bon pour leur santé. Cela devrait commencer à la maison.

La sénatrice Bernard : Merci.

Le sénateur Doyle : Pouvez-vous commenter le gaspillage des aliments au Canada. Les chiffres que vous avez ici sont un peu troublants, sinon décevants. Six milliards de kilogrammes d’aliments perdus ou gaspillés au niveau des ménages et de la vente au détail, qui coûtent 31 milliards de dollars par an au pays. Comment diminuer ce gaspillage? Comment survient-il? Comment y mettre fin?

Et pour le cas où la présidente me refuserait une deuxième question, comment compareriez-vous ce gaspillage et cette perte d’aliments avec ce que nous voyons aux États-Unis ou en Europe? Mais, d’abord, comment pouvons-nous les réduire, comment pouvons-nous y mettre fin et quelle en est la cause?

Mme Sabau : Question très importante, je pense.

Un de mes fils habite en Californie, où le gaspillage est encore pire qu’ici, en fait. Je suis outrée de voir des gens rapporter à la maison les restes de leur repas pris au restaurant. Nous n’avons pas d’animaux à qui donner nos restes. Nous les mettons à la poubelle, et cela s’accumule. J’ai de la difficulté à faire comprendre à mes proches qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans cette attitude. Je dis que, plutôt que de les mettre à la poubelle, donnons-les à quelqu’un qui en a besoin. Ou n’achetons pas autant. Nous achetons trop, et nous gardons la nourriture au frigo jusqu’à ce qu’elle vieillisse, puis nous la jetons. N’est-ce pas ce que nous faisons tous?

Le sénateur Doyle : Oui. Nous avons besoin d’un grand programme d’éducation, aussi, car la télé ne cesse de nous casser les oreilles avec la promotion des grands formats de McDonald ou d’ailleurs.

Mme Sabau : Absolument. Les grands formats que vous offrent les restaurants sont un scandale. De fait, j’ai été humiliée par un de mes étudiants du Bangladesh, un étudiant à la maîtrise. Nous étions en groupe et je me suis servie copieusement; lui, il s’est contenté d’un tout petit peu. « Pourquoi ne manges-tu pas?, lui ai-je dit. La nourriture est là. » Le jeune homme est maigre, soit dit en passant. Il m’a répondu : « Parce que c’est ce que je mange toujours; je n’ai pas besoin de plus. »

Le sénateur Doyle : Tout est lié aux problèmes d’obésité dans le pays également.

Mme Sabau : Oui, tout à fait. Alors nous mettons de l’argent dans notre système de santé pour traiter ces gens-là qui sont obèses. Il faut de l’éducation pour régler le problème. Nous n’avons qu’à réduire les portions. Le vaste choix qu’offrent les magasins est un autre élément du problème. Pourquoi 10 000 sortes de biscuits? Je vous dirai que la meilleure avoine vient du Canada. Nous produisons la meilleure avoine au monde. Nous n’avons pas besoin d’en importer des États-Unis. Pourquoi devons-nous subir la concurrence de l’avoine importée?

Le sénateur Doyle : L’Europe fait-elle quelque chose de différent pour atténuer le problème?

Mme Sabau : Je n’ai pas d’exemples à vous donner pour l’Europe, mais je pense que nous devons voir ce qui se mange dans les pays en développement. Ils diversifient leurs cultures. Ils en produisent plus. Savez-vous combien de cultures nous produisons dans notre agriculture industrialisée, qui semble si bien fonctionner? Cent cinquante types de cultures. Ils en produisent 7 000 parce qu’ils mangent tout. Pour notre part, nous avons commencé à consommer certains produits, que nous importons de Chine. Mais nous devrions manger plus d’aliments que nous n’en produisons nous-mêmes et expliquer à nos enfants que c’est ce qui est bon pour eux, et que la qualité ne s’arrête pas aux aliments surtransformés de McDonald.

La présidente suppléante : Madame la sénatrice Gagné, s’il vous plaît.

La sénatrice Gagné : Je viens de lire un article sur le Laboratoire de recherche climatique de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai été particulièrement intéressée d’apprendre que vous travaillez avec les partenaires fédéraux, provinciaux, universitaires, commerciaux, autochtones et bénévoles pour réunir des observations comme la température du vent, et le reste. Y a-t-il d’autres laboratoires de recherche climatique au Canada?

M. Jardine : Ma foi, il y a des consortiums climatiques comme Ouranos à Montréal. Ils font des projections des changements climatiques. L’Université de Victoria a un groupe de recherche sur les changements climatiques du Pacifique. Donc, oui, d’autres centres travaillent à des activités liées au climat.

La sénatrice Gagné : Les laboratoires de recherche climatique collaborent-ils entre eux?

M. Jardine : Le Laboratoire de recherche climatique de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard travaillait à un projet avec les quatre provinces de l’Atlantique, l’ACASA — l’Association des solutions d’adaptation du Canada atlantique. Nous en faisions partie. Le financement venait de RNCan. Et RNCan avait un secteur de l’Atlantique, dont Ouranos faisait partie. Nous avons donc entretenu un dialogue avec Ouranos. Ouranos avait aussi des assemblées nationales où différents groupes de tout le Canada venaient discuter d’activités communes.

Nous travaillions à des choses comme l’érosion côtière et l’analyse coûts-bénéfices de différentes techniques de protection des rives. Ouranos faisait des travaux semblables au Québec, et nous avons pu comparer nos notes.

Le projet est aujourd’hui terminé, et il y a très peu d’interaction entre les groupes. Nous aurons un symposium sur les changements climatiques et la santé humaine la semaine prochaine à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons invité des conférenciers d’un peu partout, mais Ouranos n’avait personne à nous envoyer. Mais, nous avons cela.

La sénatrice Gagné : Donc, si le Canada veut se donner un objectif d’agriculture de précision, j’imagine que le secteur dépendrait dans une large mesure des données que vous produisez.

M. Jardine : Oui.

La sénatrice Gagné : Ne serait-il pas opportun d’avoir des laboratoires de recherche climatique dans tout le Canada?

M. Jardine : Ma foi, nous nous affairons, en quelque sorte, à être le Laboratoire de recherche climatique pour le Canada atlantique. Oui, il serait bon d’avoir de bonnes données sur le climat. Car pour produire quoi que ce soit, il faut connaître les conditions climatiques. Il faut connaître les températures du sol. Il faut connaître les parasites et les phytorongeurs qui menacent les cultures et connaître les autres facteurs à prévoir pour l’avenir.

J’entrevois un grand changement dans l’agriculture. Aujourd’hui, les agriculteurs disposent d’une technologie impressionnante. Nous avons des drones au laboratoire climatique. Des agriculteurs à l’Île-du-Prince-Édouard et ailleurs au Canada et aux États-Unis utilisent la technologie des drones. Ainsi, leurs produits chimiques ou leurs engrais, ils ne les réservent aux portions de leurs champs que le drone a choisis par la photographie infrarouge à distance. Une cruche de pesticides se vend entre 800 $ et 1 000 $. Les agriculteurs ne veulent pas dépenser autant eux non plus. Ils utilisent ces produits chimiques parce qu’ils le doivent bien, pour réprimer leurs phytorongeurs. Mais ils essaient d’en prendre moins.

Bien sûr, il y a d’autres facteurs. À l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons la Loi sur la rotation des cultures, qui empêche de continuer de cultiver des pommes de terre année après année. Le cycle de rotation est d’au moins trois ans.

Mais avec les bons paramètres climatiques pour lutter contre la brûlure, il faut des instruments de détection à la ferme. Il y a une certaine gamme de températures où la brûlure tue ou fait pourrir les pommes de terre. Il deviendra plus important de contrôler ces genres de choses et de connaître les différents facteurs.

Nous recevons des demandes des producteurs de pommes, et des producteurs de vins ou de raisins qui veulent des instruments pour savoir à quoi ils ont affaire, car ils sont tous en quête d’un avantage. Les agriculteurs n’aiment pas produire de mauvais aliments; ils veulent produire de bons aliments. Et ils essaient de les produire aussi bons que possible.

La présidente suppléante : Sénatrice Bernard, s’il vous plaît.

La sénatrice Bernard : J’aimerais revenir sur le point où vous avez parlé du Laboratoire de recherche climatique pour le Canada atlantique. Y a-t-il de la collaboration interprovinciale dans la région de l’Atlantique? Y a-t-il d’autres domaines de collaboration dans le cadre de tout le modèle?

M. Jardine : J’ai mentionné l’organisation ACASA, Solutions d’adaptation aux changements climatiques pour l’Atlantique. L’ACASA a un site web, et les quatre provinces de l’Atlantique, les ministères de l’Environnement tout au moins, travaillaient ensemble. Il y avait un assez bon dialogue entre les quatre provinces, parce qu’elles ont fini par comprendre que le gouvernement fédéral ne veut pas traiter avec quatre petits secteurs de compétence. Il préfère traiter avec un seul grand groupe. Par nécessité, les quatre provinces ont collaboré et travaillé ensemble.

Hélas, depuis un an à peu près, elles n’ont pas eu de nouveau financement, et sont laissées à elles-mêmes en quelque sorte. Je parle ici dans la perspective du laboratoire climatique. J’ai travaillé pour le ministère de l’Environnement du gouvernement provincial à l’Île-du-Prince-Édouard, et je connais bien les rouages internes du gouvernement aussi. Mais telle est la réalité d’aujourd’hui.

Il y a eu un consortium sur le climat dans les Prairies, mais il n’a pas connu un très grand succès. D’autres universités du Canada atlantique font des travaux sur les changements climatiques.

La sénatrice Bernard : Et les universités de la région travaillent-elles ensemble également?

M. Jardine : Dans une certaine mesure, oui. Nous partageons des données, de l’information, mais cela pourrait être mieux encore.

La sénatrice Bernard : Si vous deviez faire une recommandation à ce sujet, quelle serait-elle?

M. Jardine : Il faudrait que j’y réfléchisse. Lorsqu’on travaille au gouvernement, ou même dans un ministère, on comprend que les gouvernements, pas plus que les ministères, ne se parlent pas entre eux. Ainsi, le ministère de la Santé ne parle pas au ministère des Transports et le ministère de l’Environnement ne parle pas du tout. Amener ces groupes à travailler ensemble pose tout un défi.

Même chose pour les universités. Chaque université fait des pieds et des mains pour trouver du financement pour ses projets. L’Université de l’Île-du-Prince-Édouard commence à offrir un cours sur les changements climatiques. Il s’agira d’un programme de quatre ans, couronné d’un grade universitaire. Le cours sera interdisciplinaire : il portera donc sur la santé, l’agriculture, tous les volets différents de ces disciplines, et les sciences sociales. Il englobera même la psychologie. Il vise donc à former des étudiants de deuxième et troisième cycle en leur donnant une vue plus large des changements climatiques, qui débordera la perspective environnementale, parce que les changements climatiques touchent tout le monde.

Ils touchent la santé. Les journées de canicule tuent. Plus il y a de jours de canicule, plus nous voyons des effets sur les personnes âgées, et plus les maladies se répandent. On l’a vu après les ouragans en Floride. Un des plus grands problèmes est de réprimer les phytorongeurs qu’amène l’ouragan. Voilà à quoi nous devons travailler pour faire un meilleur boulot.

La présidente suppléante : Je voudrais dire, monsieur Jardine, que nous recevons les représentants d’Ouranos jeudi à Montréal.

Une dernière petite question avant de terminer. Madame Sabau, je voudrais vous entendre parler des mécanismes d’établissement du prix du carbone, comme vous les avez appelés. Pensez-vous que le Canada devrait avoir un régime de prix du carbone, compte tenu de ce que font nos partenaires internationaux?

Mme Sabau : L’établissement du prix du carbone est essentiel, pour fixer le prix des émissions de carbone. Quant à la façon de faire, que ce soit par une taxe sur le carbone ou par le plafonnement et l’échange, c’est autre chose. Certaines provinces ont de l’expérience des taxes. Ainsi, l’Alberta a des taxes, mais le Québec a un plafonnement avec échange, et l’Ontario veut faire de même.

Pour avoir un système de plafonnement et d’échange, il faut créer un marché, à vrai dire. Au sujet du succès du plafonnement et de l’échange, nous pourrions voir comment cela se fait dans l’Union européenne, avec ses 28 pays. Pour diminuer ses émissions, l’Union européenne a adopté un système de plafonnement et d’échange, qui suppose un marché où chacun a un permis d’échange d’émissions. Et le plafond doit être révisé périodiquement et abaissé.

Donc, pour moi, il y a une solution pour permettre aux provinces de fonctionner ainsi : créer un système de plafonnement et d’échange. Et si elles veulent faire des échanges avec nos voisins du Sud, pourquoi pas? Nous pouvons effectivement le faire, parce qu’il y a des marchés du carbone aux États-Unis. Certains États le font déjà et nous pourrions nous joindre à eux.

J’estime certes que nous devrions nous pencher là-dessus. L’établissement du prix du carbone est très important parce que cela fait prendre conscience de la quantité d’émissions que nous avons et de la façon dont nous devons gérer cela. Mais c’est à chaque province qu’il revient de faire son choix entre une taxe et un système de plafonnement et d’échange.

Selon mon expérience d’économiste qui s’y connaît en écologie, les émissions sont plus faciles à contrôler avec un système de plafonnement et de décharge.

La présidente suppléante : Notre temps est écoulé. Au nom du Comité de l’agriculture et des forêts, je vous remercie beaucoup d’être venus nous faire part de votre expertise, de vos réflexions et de vos observations. Vos commentaires seront très importants pour la rédaction de notre rapport. Nous vous remercions de votre temps.

Mme Sabau : Merci de nous avoir invités.

La présidente suppléante : Chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir le professeur Charles Bourque, directeur intérimaire des études supérieures, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick; et le professeur Paul Arp, Sols forestiers, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick.

Merci beaucoup de votre présence. Après vos exposés, les sénateurs auront des questions à vous poser.

Monsieur Bourque, je vous prie de commencer.

Charles Bourque, professeur, directeur intérimaire des études supérieures, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : En premier lieu, je me présente. Il y a maintenant 18 ans que je modélise les écosystèmes et les changements climatiques. Une large part de la matière que je présenterai aujourd’hui a trait aux résultats, revus par mes pairs, que j’ai obtenus. Il y aura aussi d’autres matières, dont l’essentiel a fait l’objet d’un examen par mes pairs. Si vous avez la petite description que je vous ai remise, je commencerai par certains des points sommaires.

Les changements de climat attendus sont surtout défavorables. Il y aura des résultats favorables, mais surtout défavorables pour les écosystèmes forestiers du Canada atlantique. Les changements climatiques, on le verra, ont certains effets positifs, mais les effets négatifs pèsent plus lourd que les bienfaits.

Un effet important des changements climatiques est le déplacement des espèces d’arbres, comme Don Jardine en a parlé tantôt. En fait, il a cité certains des travaux que j’ai réalisés à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse. J’ai fait une étude semblable en Nouvelle-Écosse, de même que pour le Nouveau-Brunswick. Donc, le plus clair de l’information présentée dans mon texte concerne le Nouveau-Brunswick, mais une bonne partie des résultats que j’ai obtenus pour le Nouveau-Brunswick valent tout autant pour la Nouvelle-Écosse.

Les changements climatiques, certes, mais aussi la modification de la couverture terrestre, peuvent causer des problèmes dans certaines parties des écosystèmes, dans l’écosystème lui-même, mais aussi chez les poissons d’eau froide qui habitent les cours d’eau d’ordre inférieur. Certains de ces impacts peuvent se faire sentir dans l’ensemble du domaine.

Je parle un peu d’un système de comptabilisation, qui m’apparaît important pour l’analyse de l’inventaire des forêts en ce qui a trait à la séquestration du carbone, d’abord pour l’assimilation du CO2, mais aussi pour le stockage du carbone dans les écosystèmes.

Quant aux répercussions prévues, Don Jardine en a mentionné quelques-unes. Les premières que j’ai sont fondées sur les travaux d’autres personnes, mais celles du dernier volet de cet article concernent mes travaux.

Nous avons parlé de l’allongement des saisons de croissance, ce qui peut être un aspect positif pour la productivité des cultures et des forêts. À court terme, on a la fertilisation au carbone. Mais à long terme, les changements climatiques entraîneront la disparition de certains de ces bienfaits.

Un autre aspect des changements climatiques est qu’ils annoncent une augmentation des précipitations. J’ai tendance à ramener les prédictions du modèle du climat mondial, ou du modèle du climat régional, à une très petite échelle; 30 mètres dans ce cas précis pour l’ensemble du Nouveau-Brunswick.

Un des impacts est que, en moyenne, les sols auront tendance à être plus humides. Il y aura une grande variabilité des précipitations. Il y aura aussi des sécheresses. Cela n’est pas du domaine de l’impossible. Mais, pour le long terme, la moyenne indique que les sols seront plus humides. Pour la figure 1, je donne une suite de chiffres pour indiquer comment la charge d’humidité relative des sols dans le Nord du Nouveau-Brunswick changera de 2011 à 2100. Il y a une humidification des sols pour le long terme.

Au fil des décennies, les changements climatiques contribueront au déplacement des espèces d’arbres à des taux différents. Les espèces ne sont pas toutes égales. Différentes espèces ont différents attributs vitaux et réagissent donc différemment aux changements climatiques. Ainsi donc, dans un certain sens, cette variation peut entraîner un découplage des quatre systèmes que nous avons aujourd’hui.

Au sujet de ce découplage, il y a possibilité de dégradation de la biodiversité forestière au niveau de la flore et la faune, et d’atteinte à l’intégrité de l’écosystème par rapport à ce que nous avons déjà. Tout cela pourrait changer et, bien sûr, certains services écologiques assurés par ces écosystèmes pourraient aussi être touchés.

À la figure 2, je présente une suite d’images du Nouveau-Brunswick où les couleurs, de rouge à bleu, ou bleu foncé, indiquent la qualité de l’habitat pour une espèce donnée. Ici, nous avons trois espèces. Le sapin baumier est la première. La deuxième est l’érable rouge et la troisième l’érable à sucre.

Si vous prenez le contexte des titres plus haut, le premier correspond à ce que nous avons actuellement et le deuxième représente la situation qui existera en 2100 dans le cas du RCP 4.5. RCP est un profil représentatif d’évolution des concentrations, décidé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat; 4.5 fait référence au forçage radiatif net de 4,5 watts au mètre carré. Plus le nombre est élevé, plus nous pouvons nous attendre à ce que la chaleur soit élevée.

La troisième colonne de chiffres vous donne les mêmes résultats pour la même superficie de la même essence dans le cas de RCP 8.5. Donc, RPC 8.5 représente un scénario plus agressif de changement climatique dans lequel il n’existe aucun changement au niveau des productions de gaz à effet de serre ou des émissions de gaz à effet de serre. En ce qui concerne le scénario 4.5, il y a une diminution des émissions d’ici 2040. Donc, en 2100, vous vous attendriez à ce que les régimes de températures et de précipitations ne soient pas aussi importants que ceux du scénario RCP 8.5.

En ce qui concerne le sapin baumier, l’indication que nous avons ici, en particulier s’il suit le RCP 8.5, est que cette essence disparaîtrait du Nouveau-Brunswick. Les seuls endroits où elle pourrait demeurer sont le long de zones très tempérées, en particulier le long de plans d’eaux tempérées ou dans des régions en haute altitude.

Dans le cas de l’érable rouge, on s’attend à ce qu’il présente de meilleurs résultats. Les données sont représentatives de la qualité de l’habitat, le rouge ayant une valeur de un, où un représente le meilleur habitat optimal de l’essence. Il en est de même pour l’érable à sucre, à l’égard duquel on indique que l’habitat de façon générale s’améliorera. Comme vous pouvez le constater si vous tenez compte de la variation de la topographie, il y aura une variation dans les régimes généraux que je viens de décrire.

Pour ce qui est de la figure 3, elle représente la composition par essence d’une placette d’échantillonnage permanente donnée au Nouveau-Brunswick. Elle se trouverait dans les hautes terres de la province, où la température a tendance à être plus fraîche. Vous avez un volet de résineux. En l’occurrence, le volet de résineux se compose principalement de sapins baumiers et si vous suivez le schéma des couleurs, le sapin baumier est représenté par la ligne jaune. Vous constaterez qu’aux environs de 2040, ou du moins au milieu de la série chronologique présentée ici, le sapin baumier tendra à disparaître du peuplement.

Pour ce qui est du volet de feuillus, l’érable à sucre et le hêtre, s’il n’est pas trop touché par la maladie du hêtre, auront tendance à demeurer dans le paysage. Le hêtre sera davantage présent que le sapin baumier. Donc, encore une fois, nous avons une indication de la même tendance que nous observons dans les illustrations de la figure 2. Ces données se fondent toutes sur des projections en fonction d’un modèle. Pour étayer certains régimes que nous observons dans le cas des modèles, nous avons pris les données réelles.

Le point suivant a trait à l’analyse des zones sensibles. À cette fin, nous avons pris les placettes d’échantillonnage permanentes, ou PEP. Il pourrait y en avoir plus de 3 000. Une PEP est tout simplement une petite parcelle de terrain, habituellement de 400 mètres carrés, à l’intérieur de laquelle les aménagistes forestiers suivront la trajectoire des essences présentes dans la PEP au fil du temps. Dans le cas qui nous occupe, nous avons décidé d’examiner la situation du sapin baumier. Quelle est sa situation au niveau des données historiques? Nous constatons que les taux de mortalité sont très élevés dans les endroits où la température est plus chaude et où il semble pleuvoir davantage. Le taux de survie tend à être meilleur dans les régions plus tempérées du paysage.

La figure 5 illustre essentiellement la répartition de certaines de ces placettes d’échantillonnage permanentes où nous avons pu établir une quantification, uniquement pour vous montrer ce qui est survenu historiquement dans le cas des degrés-jours de croissance. On l’a mentionné plus tôt au sujet des unités de maïs, c’est ainsi qu’on les a appelées, je pense, et nous avons essentiellement la même notion ici. Nous utilisons une température de base différente. La température de base que j’utilise se fonde sur les trois essences, par opposition à celle du maïs. La température de base du maïs est beaucoup plus élevée que pour la plupart de ces essences.

En ce qui concerne les degrés-jours de croissance, nous constatons qu’ils se fondent sur une température de 5,6 dans la région de Fredericton. Vous verrez que de 1951 à 2007, l’augmentation est uniforme d’après les données historiques. Donc, nous pouvons effectivement établir une quantification dans une certaine mesure. Bien entendu, le changement que nous constatons au plan historique n’est pas le même que celui auquel nous nous attendons pour l’avenir, qui sera beaucoup plus important. Donc, certains régimes que nous voyons pour ce qui est des données historiques, quant à la mortalité du sapin baumier, seront probablement beaucoup plus graves dans l’avenir.

Un autre aspect de mon étude consistait à prendre en considération la vitesse du vent sur le paysage au Nouveau-Brunswick. Les données du MCR, le modèle climatique régional, nous apprennent que le changement de vitesse des vents n’est pas aussi important que les changements au niveau des précipitations et de la température. Il y a un changement, mais il est infime comparativement aux autres variables mentionnées.

Le changement le plus important au niveau de la vitesse du vent se produit le long de l’interface entre la masse terrestre et l’océan, où les gradients de température sont les plus forts. La terre se réchauffera beaucoup plus que l’eau.

La figure 6 est une carte. Vous pouvez la considérer comme une carte des risques de chablis dans toute la province. Les zones en blanc sont en réalité des zones à l’égard desquelles nous ne disposions d’aucune donnée. Par contre, vous pouvez, par extrapolation ou interpolation, visuellement le constater si vous regardez les zones colorées. On peut donc dire que, dans une certaine mesure, là où il y a du blanc, une partie de cette région serait couverte.

Habituellement, les vents les plus forts, même s’ils n’augmentent pas nécessairement beaucoup au cours des 84 ou 85 prochaines années, se trouveront le long de la côte ainsi que dans les terres en haute altitude de la province.

En ce qui concerne le niveau de destruction par déracinement à cause du vent, cela dépend de bien des choses, comme de la vitesse du vent, bien sûr. Cela dépend aussi des habitudes d’enracinement de l’essence, de la forme de l’arbre, qui définit la surface terrière, si vous voulez, ou la surface de prise au vent, mais aussi de la densité du peuplement, de la profondeur du sol, de l’humidité du sol et d’autres facteurs propres au site. Chacun de ces facteurs contribue à une partie de l’incidence globale.

Le chablis peut avoir de graves répercussions économiques. Il est très difficile de planifier en fonction des chablis. Vous pourriez essayer de tenir compte des facteurs qui ont effectivement une incidence sur le déracinement par le vent et essayer d’atténuer une partie de ces répercussions de cette façon.

Comme exemple d’événement significatif, mentionnons l’ouragan Arthur survenu au Nouveau-Brunswick en 2014. Nous sommes partis de cet événement comme étude de base pour quantifier les probabilités de déracinement par le vent. Ensuite, nous avons appliqué les résultats obtenus au chablis du mont Christmas, survenu le 7 novembre 1994, au cours duquel nous avons perdu près de 4 millions de mètres cubes de bois en raison du déracinement des arbres. Il y a donc un impact économique qui s’est élevé à quelque 100 millions de dollars en 1994. Il a fallu récupérer le bois au cours des deux premières années afin de récupérer une partie du revenu perdu.

Comme on l’a indiqué, le déracinement des arbres par le vent est fonction de chaque essence. Pour des essences différentes, la vitesse du vent critique est différente, si bien que certains arbres peuvent être renversés tandis que d’autres ne seront pas touchés. L’une des essences pour qui la vitesse du vent soutenable est très faible est le sapin baumier, en raison de son enracinement superficiel. L’érable à sucre est celui qui résiste le mieux au déracinement par le vent. Évidemment, cela signifie qu’il y a des variations pour ce qui est du déracinement par le vent un peu partout au Nouveau-Brunswick, étant donné la composition des forêts de la province.

Si vous prenez l’habitat du sapin baumier dans les figures précédentes, la figure 2, je crois, vous constaterez que cette essence migrait vers le Nord en raison du réchauffement net de l’environnement ainsi que de l’augmentation de la teneur en eau du sol. Compte tenu du changement de peuplement du sapin baumier, il s’ensuit que le déracinement par le vent et le déplacement de l’espèce se conjuguent. Donc, d’une certaine façon, les répercussions traduiront ces changements.

Dans le cas du sapin baumier, nous pouvons tenir compte des sols gelés qui pourraient servir d’ancres. Pour ce qui est des résineux, la neige et le couvert arboré entraînent rarement le gel du sol. La figure 7 vous indique en réalité les séries chronologiques de températures dans le sol et vous pouvez constater qu’il y a très peu de gel. Lorsqu’il y a gel, il survient dans les deux premiers centimètres de la surface au plus. Encore une fois, cela dépend de la couverture neigeuse ainsi que de la couverture végétale, le couvert arboré.

Un problème dans le cas des feuillus plus particulièrement a trait à cette notion de gel et de dégel, surtout au printemps. Nous avons entendu plus tôt aujourd’hui que les hivers sont les plus touchés par les changements climatiques. La question de gel et de dégel a été examinée au plan historique en fonction de quatre ou cinq événements différents survenus entre les années 1930 et les années 1980. Il y a beaucoup de ces aspects qui auront une incidence sur les écosystèmes.

De nombreuses répercussions dont j’ai parlé s’appliquent à la grandeur du Canada atlantique. L’une des répercussions que j’ai probablement effleurées se rapporte aux augmentations de la température de l’eau des cours d’eau. De nombreux cours d’eau, en particulier ceux qui sont plus petits, constituent l’habitat de poissons d’eaux tempérées et il semble, en particulier en raison du retrait du couvert végétal, que les cours d’eau peuvent se réchauffer. En outre, il pourrait y avoir un réchauffement de l’eau souterraine qui, une fois de plus, pourrait imposer un certain niveau d’incidence sur ces poissons d’eaux tempérées.

On a soulevé la question de la tarification du carbone. À l’université, nous ne traitons pas précisément des aspects économiques de cette tarification, mais nous examinons de quelle façon nous inventorions les écosystèmes forestiers et comment tenir compte de la gestion des forêts dans l’équation afin d’optimiser la séquestration de carbone, le potentiel de séquestration de carbone des forêts. Cela peut se faire au niveau du paysage et il faut différentes formes de modèles. L’un des problèmes en ce qui concerne cette modélisation consiste à essayer de quantifier la croissance et le rendement pour obtenir une bonne évaluation des arbres eux-mêmes, de même que des sols. M. Arp parlera probablement de cette question un peu plus tard. Nous pouvons en réalité examiner l’inventaire des bassins de carbone dans le paysage forestier.

C’est essentiellement ce que j’avais à dire. La description vous en donne davantage et vous pouvez la consulter. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d’y répondre.

La présidente suppléante : Merci, monsieur Bourque.

Nous passons maintenant à l’exposé de M. Arp. Ensuite, les membres pourront poser des questions.

Paul Arp, professeur, Sols forestiers, Gestion forestière et environnementale, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Merci. Vous avez tous des documents très colorés. J’espère qu’ils faciliteront la communication de ce dont je vais parler.

Dans la première photo, vous voyez un paysage et comment l’eau se répartit dans ce paysage. Vous penseriez que cela tombe sous le sens et que l’on sait depuis longtemps où se trouve l’eau et où elle s’écoule dans le paysage. Cependant, dans mes 30 ou 40 années de travail dans le domaine des forêts à l’UNB, j’ai eu de nombreuses surprises. Lorsque vous commencez effectivement une opération et que vous envoyez les machines pour construire une piste ou un chemin, ou quelque chose du genre, il survient toujours des surprises désagréables parce que certains canaux vous avaient échappé et que certaines zones sont trop mouillées pour que les machines puissent y circuler. Une grande partie de cette information n’a jamais vraiment été saisie en détail dans un inventaire, qu’il s’agisse de cartes pédologiques, de cartes d’inventaire forestier ou de cartes de classification de sites écologiques.

Nous avons donc relevé ce défi pour la première fois, en examinant effectivement là où l’eau se trouvera dans le paysage à une résolution élevée, de l’été à la fin de l’hiver, si vous préférez. La page frontispice illustre là où l’été dans ce paysage influe sur le drainage du sol de sorte que les parties en bleu foncé, la partie du paysage où l’eau s’est accumulée, passent progressivement au bleu pâle parce que le sol présente un drainage modérément bon, disons. Le reste du paysage est ce que nous considérons comme étant une partie bien drainée, ou particulièrement bien drainée, la zone en brun étant particulièrement bien drainée.

Pourquoi est-ce important? Cela est très important pour ce qui est de votre mission, à savoir trouver des solutions au niveau de l’écoulement relativement à ce qui se produit sur le sol, parce que toute l’extraction de ressources naturelles que nous faisons dépend d’une très bonne connaissance des conditions du sol. Lorsque nous avons eu cette idée et que nous en avons parlé aux gouvernements, aux gouvernements provinciaux et à des entreprises forestières et d’autres intervenants, ils ont été très enthousiastes et ils ont voulu que cette cartographie soit faite pour tout le territoire relevant de leur compétence.

Si vous passez à la page 3, vous verrez une carte du Canada du côté droit et elle illustre la mesure dans laquelle nous avons pu transmettre cette idée d’un bout à l’autre du pays au cours des 10 dernières années. Lorsque nous avons commencé, nous essayions de résoudre la situation de l’eau sur le sol à la résolution de 10 mètres. Il s’agissait essentiellement de la résolution à laquelle nous pouvions faire avancer cette idée aux fins des pratiques de gestion exemplaires. D’ailleurs, l’agriculture suit à cet égard. Maintenant, grâce à la nouvelle technologie d’arpentage MiDAR, nous avons amené cette résolution à un mètre.

L’Alberta est très fortement en faveur de cette idée depuis les 10 dernières années et nous avons maintenant cartographié 30 millions d’hectares des zones forestières de l’Alberta, la zone verte. L’adhésion des entreprises forestières a été formidable.

Notre groupe a reçu le prix de gestion de l’AFC cette année pour avoir modifié fondamentalement la façon dont les aménagistes forestiers tiennent compte du paysage dans ce qu’ils font tous les jours. Il s’agit d’une bonne note pour la faculté de foresterie de l’UNB et le corps professoral dans son ensemble.

Au Nouveau-Brunswick, nous aurons la couverture LiDAR dès la fin de l’an prochain et, dès la fin de l’année suivante, nous aurons aussi terminé une cartographie hydrologique à une résolution de un mètre. Les entreprises tout comme le gouvernement ont très hâte de l’obtenir le plus tôt possible. Nous avons aussi des pourparlers avec la Nouvelle-Écosse et nous pouvons aussi le faire pour le Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard, bien entendu, si l’intérêt est là. Nous espérons qu’une présence de ce genre stimulera la réflexion.

Maintenant, de façon détaillée, qu’est-ce que l’adaptation? Par exemple, si vous êtes dans le domaine forestier, l’adaptation, c’est quand récolter quoi et comment y parvenir. Étant donné les changements climatiques, si le régime météorologique devient de plus en plus humide, je suppose que nous obtiendrons une plus grande superficie bleue dans le paysage. Il s’agit là d’un facteur important, parce que cela représente ce que vous devez faire pour définir les quadrats de coupe et des choses du genre. En ce moment, les cours d’eau officiels sont cartographiés par un processus de réglementation et les entreprises forestières doivent en tenir compte. Par contre, il y a plus de cours d’eau dans le paysage qui ne sont pas protégés, mais qui pourraient à tout le moins devenir une zone interdite à la machinerie afin que vous ne bloquiez l’eau avant qu’elle parvienne au cours d’eau. Voilà les questions qui ont été abordées dans le cadre de l’adaptation.

Pour ce qui est des changements climatiques, comme l’a dit Charles, les hivers sont de plus en plus doux dans les Maritimes et cela signifie que la façon traditionnelle de procéder à la récolte forestière en hiver est compromise, parce que vous ne savez pas si le sol est gelé ou non. Si vous avez cette machinerie lourde qui circule sur le terrain alors qu’il est humide, savez-vous quoi? Cela crée beaucoup d’ornières, provoque beaucoup de préoccupations de la part des citoyens et des entreprises elles-mêmes. Donc, ils veulent vraiment savoir comment faire un bon travail compte tenu de la situation actuelle où l’hiver est en train de changer.

Il y a aussi beaucoup d’autres conséquences. En été, par exemple, comme les saisons de croissance deviennent plus longues, il y a aussi, comme l’a dit Charles, des chances d’avoir des sécheresses plus graves, donc plus d’incendies de forêt.

Dans les Maritimes, nous n’avons pas eu beaucoup d’incendies de forêt au cours de la dernière année, seulement quelques hectares que l’on a pu éteindre facilement. Mais cette situation pourrait devenir catastrophique à l’avenir si vous ne la gérez pas comme il se doit. Il y a beaucoup de combustibles forestiers sur le sol dans un grand nombre de nos forêts parce que, de façon générale, les broussailles deviennent très épaisses. Lorsqu’elles prennent feu, la situation peut être explosive, comme nous l’avons vu en Alberta. Donc, cela fait partie de ces nombreuses choses. Nous sommes fortement impliqués pour que cette vision se réalise.

Lorsque j’ai parlé de résolution à 10 mètres et de résolution à un mètre dans le cas de projets précis, on utilise les mêmes techniques et les mêmes logiciels informatiques pour savoir ce qui se passe, projet par projet, à la résolution de cinq centimètres ou moins à l’aide de véhicules aériens sans pilote. Ces véhicules peuvent faire des stéréogrammes des images de la surface et nous pouvons les reproduire exactement comme vous le voyez ici. Par conséquent, les agriculteurs et même les propriétaires de carrières et les exploitants miniers savent exactement de quelle façon l’eau parvient à leurs projets, comment elle les traverse et où elle se dirige par la suite.

J’aimerais tenir mes propos brefs. Je vais donc passer aux recommandations. Quelles sont donc nos recommandations pour ce qui est de l’adaptation?

Premièrement, nous ne pouvons pas élargir l’interprétation hydrologique dans les paysages sans soutien. Essentiellement, nous préconisons une initiative visant à élargir les attributs forestiers et le canal d’écoulement de l’initiative de cartographie des zones d’un bout à l’autre du Canada. Nous avons déjà fait un bon bout de chemin, comme vous avez pu le constater. Par contre, aucune raison ne justifie que nous ne puissions le faire au Manitoba, au Québec et en Colombie-Britannique. Divers groupes dans ces provinces ont manifesté un très grand intérêt.

Il y a autre chose que je prône avec conviction. Nous devrions redonner vie à la cartographie des sols en utilisant une résolution semblable à celle que nous utilisons en hydrologie, car nous sommes en mesure de le faire. Au Nouveau-Brunswick, nous avons déjà travaillé là-dessus, petit à petit. N’oublions pas non plus l’initiative de numérisation du régime hydrologique, qui était le sujet d’un atelier auquel nous avons assisté il y a un an.

Pour l’heure, nous aimerions qu’il y ait un recoupement entre la cartographie des marais et celle des sols dans une province comme le Nouveau-Brunswick. Prenez n’importe quelle carte des sols au pays, regardez les endroits où le sol devrait être humide et vous verrez qu’elle ne concorde pas. C’est décalé, inexact, et cetera. La pire critique que j’ai reçue venait des propriétaires de marais, qui nous ont reproché que l’échelle de nos cartes, avec des résolutions à 10 mètres près, n’était pas assez grande. Nous l’avons augmentée de 10 fois et nous sommes maintenant en mesure de détailler chaque propriété. Pour s’adapter, il devient essentiel d’avoir de bonnes informations concernant l’eau, de savoir à quel endroit l’eau stagne, si les sols reçoivent l’eau ou non et quels endroits sont inondés.

De plus, avec les sols, il peut aussi y avoir du ruissellement. Il y a de la sédimentation. Il y aura de l’érosion. Il y aura des choses terribles qui couleront dans les ruisseaux et les lacs. Avoir de bonnes cartes et les utiliser nous permettrait d’éviter tout cela.

Donc, nous devrions faciliter les pratiques d’utilisation des terres. Mis à part la cartographie, je recommanderais aussi que les gens soulignent les différentes façons possibles de s’assurer que le sol reçoive plus de matière organique, puisque les sols composés de plus de matière organique sont de meilleure qualité. Ils mènent à de meilleures cultures, à des cultures plus durables. Il n’y aura plus d’abandon de sols épuisés. Dans mon document, je renvoie à plusieurs recherches importantes sur la question de l’appauvrissement des sols dû à la culture intensive. Vous pourrez aussi voir où en est la science en matière de captation du carbone dans le sol qui contribue à réduire les émissions de carbone. Ceci doit aussi être pris en considération. Le carbone organique, celui qui est dans le sol, est bon. Encore une fois, tout dépend de la cartographie, car celle-ci vous permet de savoir quelles devraient être vos priorités en ce qui a trait à l’augmentation de la quantité de carbone qui devrait être gardée dans le sol. Plus vous enfouissez le carbone profondément dans le sol, plus il y reste longtemps, car, lorsque vous cultivez des forêts dans le but d’en faire de la pâte à papier, l’effet net de la séquestration du carbone est nul. Cependant, si le carbone redevient une priorité, il y a de bonnes chances que nous soyons en mesure de retirer le dioxyde de carbone de l’atmosphère pendant plusieurs années, ou même des centaines d’années.

Au fil des ans, l’un des principaux aspects de notre travail a été l’échange de connaissances. Nous avons tenu une foule d’ateliers, qui furent de francs succès. De 100 à 200 professionnels y ont participé. Pour ce qui est de cette initiative, je suggère que nous travaillions ensemble, en commençant par la cartographie, puis en la mettant à la disposition des gens qui devraient y prêter attention et qui voudront le faire. Ensuite, nous devrions les aider à élaborer de nouvelles pratiques de gestion qui amélioreraient notre capacité d’adaptation aux changements climatiques. En faisant cela, j’ai bon espoir de voir le Canada devenir le chef de file de l’adaptation, car aucun autre pays n’a encore mis au point ces techniques, exception faite de la Suède, qui a suivi nos travaux et qui a reproduit ce que nous faisions. L’Allemagne et le Chili ont mis en place des initiatives, eux aussi. Alors, voilà. Fait au Canada. Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Arp. Je vous félicite d’avoir remporté le prix de cartographie des marais.

M. Arp : Oui, le prix attribué par l’Institut forestier du Canada.

La présidente suppléante : Exactement.

M. Arp : En fait, il y a un prix de mérite collectif en gestion forestière.

C’était il y a une semaine à peine.

La présidente suppléante : Très bien. Merci et félicitations.

Le sénateur Doyle posera la première question, suivi de la sénatrice Gagné.

Le sénateur Doyle : Tout d’abord, votre présentation était excellente. Merci.

Nous recevons plusieurs témoignages lors de nos voyages et de nos rencontres hebdomadaires à Ottawa. Je devrais plutôt dire deux fois par semaine, en fait. Il y a vraiment plusieurs personnes qui souhaitent nous parler de changements climatiques. Tout le monde s’entend pour dire que les changements climatiques menacent notre environnement. Il semble n’y avoir rien de positif à dire sur les changements climatiques. Mais, occasionnellement, un témoin vient nous dire que les changements climatiques pourraient mener au développement d’une exploitation agricole différente, une nouvelle structure agricole, en quelque sorte, ou encore à une réduction du taux d’infestation de nos forêts, et cetera. Avez-vous une opinion à ce sujet? Est-ce utopique?

M. Bourque : Je crois que c’est souvent utopique. Selon moi, bien souvent, c’est un problème de compréhension. Ils ne comprennent peut-être pas tout à fait les enjeux. Je ne sais pas si ce sont des experts des domaines auxquels vous faites référence. Cela étant, à force de côtoyer des gens du monde entier, j’ai compris qu’il est tout à fait possible d’envisager des systèmes artificiels. Je n’en connais aucun. J’essaie de m’occuper des forêts que nous avons déjà. Je suis convaincu que les forêts pourraient être modifiées par le biais de la migration assistée, par exemple, mais par principe, je ne suis pas d’accord avec cela. Les entreprises auront certainement une tout autre opinion à ce sujet.

À mon avis, il y a trop de manipulations faites par les gens. Par contre, il est toujours possible que des intervenants de l’industrie forestière ou d’ailleurs viennent dire qu’ils ont la solution miracle alors qu’en fait, tout reste à prouver.

Récemment, j’ai entendu des commentaires à propos de certaines des espèces dont j’ai parlé ici. On disait que ces espèces sont probablement en mesure de survivre plus longtemps grâce à leur génétique plus large et qu’elles ont peut-être une meilleure capacité d’adaptation, mais rien n’a été prouvé. J’ai tendance à me fier sur des preuves, qu’elles découlent de mes travaux ou encore de ceux de mes collègues. Donc, parfois, à défaut d’en savoir plus, je prends ces commentaires avec un grain de sel.

La sénatrice Gagné : On nous a dit que le sol est un gigantesque réservoir de carbone. Ce qui veut dire que le sol peut relâcher ou stocker le carbone, selon les pratiques de gestions utilisées. À quelle vitesse le Canada s’adapte-t-il? À quelle vitesse adopte-t-il des pratiques de gestion des sols durables? Quelles sont les entraves?

M. Arp : Bon, l’argent est la principale entrave, parce que les fermiers ont bien du mal à faire ce qu’ils doivent faire. Par contre, plusieurs d’entre eux ont mis en œuvre des mesures de lutte contre l’érosion, qui ont commencé dans les années 1930 et qui sont bien appliquées au Nouveau-Brunswick et partout au Canada. En Alberta, les cultures suivent surtout les courbes de niveau. C’est la bonne façon de faire. Donc, les exploitants s’adaptent.

Toutefois si vous donnez un incitatif approprié aux gens pour qu’ils plantent plus de végétaux racines, ce qui produit plus de carbone, il y a des méthodes et des moyens qui peuvent être étudiés d’un point de vue pratique. Une fois que vous avez les méthodes et les moyens et que vous placez le fermier dans une situation gagnante et qu’il gagne plus d’argent, on est en pleine adaptation. En revanche, si vous obligez le cheval à aller dans une direction contre son gré, ce sera très coûteux et vous n’obtiendrez pas le résultat que vous recherchiez.

Bien entendu, la solution simple en matière de changements climatiques est d’exploiter de nouveaux secteurs du Nord du Manitoba et de la Saskatchewan, là où les sols sont de plus en plus fertiles. Mais en faisant cela, comme vous le dites, vous vous retrouvez avec le problème de relâchement du carbone qui était stocké dans le sol, ce qui n’aidera aucunement, sauf si les nouvelles terres agricoles sont gérées de façon à conserver le carbone.

Encore une fois, nous pourrions agir, mais il faudrait mener des recherches avant de commencer à labourer le sol.

La sénatrice Gagné : Donc, j’imagine qu’il y a aussi des lacunes sur le plan des connaissances ou de l’information, qui nous empêchent d’adopter les meilleures pratiques dans ces secteurs?

M. Arp : Les professionnels essaient de nouvelles techniques, puis ils évalueront le contexte économique de la personne, ainsi que celui de la province, et ainsi de suite. Ensuite, nous verrons s’ils peuvent appuyer cette initiative. Donc, nous sommes constamment à la recherche de bonnes idées.

La présidente suppléante : Sénatrice Bernard, s’il vous plaît.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux pour vos exposés. C’était très informatif, d’autant plus que vous intervenez à la fin de la journée. Donc, merci encore une fois.

J’ai une question concernant l’échange de connaissances. Je suis très excitée de voir que vous l’avez inclus dans vos recommandations. Vous avez dit qu’il y avait entre 100 et 200 personnes présentes lors de plusieurs événements auxquels vous avez pris part. J’aimerais savoir qui sont ces spectateurs. Quelles sont les conclusions de votre analyse des lacunes? Qui sont les gens qui n’assistent pas à vos événements et qui ne reçoivent pas les informations?

M. Arp : Les lacunes, ce sont toutes les personnes qui n’y ont pas assisté.

La sénatrice Bernard : Mais est-ce qu’il y a des intervenants en particulier qui devraient être là, selon vous?

M. Arp : Nous invitons les intervenants que nous souhaitons voir lors de nos rencontres. Essentiellement, c’est un organisme professionnel de l’industrie forestière qui avait pour mission d’organiser les ateliers qui ont eu lieu en Alberta. Des invitations ont été envoyées à divers secteurs des industries forestière, pétrolière et gazière, des conseillers environnementaux, des gestionnaires de parcs, et cetera, ainsi qu’à des ONG et des représentants du gouvernement. Ils ont assisté à une journée d’ateliers lors de laquelle ils ont été initiés à la cartographie dont je parle. Ensuite, ils rentrent à la maison et souvent, ils nous envoient leurs commentaires, car ils deviennent des présentateurs lors des ateliers suivants. C’est ce qui arrive : les ateliers sont si dynamiques que les gens finissent par se joindre à nous.

À l’heure actuelle, nous ne savons pas du tout qui utilise nos cartes. Cependant, nous recevons généralement de bons commentaires à leur sujet. Ou encore, on nous demande de modifier une carte, parce qu’ils ont réalisé que le ruisseau était ici et non pas là. Ils veulent savoir ce qui s’est passé. Donc, les commentaires, c’est aussi un échange de connaissances.

La sénatrice Bernard : C’est donc un processus bidirectionnel.

M. Arp : Tout à fait.

La sénatrice Bernard : Très bien.

Je m’interroge aussi sur les jeunes gens. Participent-ils à ces travaux? Et si oui, comment?

M. Arp : Oui. En Alberta, environ six étudiants en foresterie de l’UNB ont été embauchés par des entreprises forestières. Nous les rencontrons à leur retour. Ils sont vraiment actifs au sein de l’entreprise; ils étudient les cartes et aident à configurer le terrain, parce qu’une bonne carte demeure d’abord et avant tout un modèle.

Un ingénieur qui veut approuver quelque chose doit se rendre sur le terrain pour le vérifier. Cette vérification se fait très rapidement; il suffit d’envoyer quelqu’un avec un GPS pour obtenir l’information nécessaire. En espérant que l’étudiant soit digne de confiance, par contre.

La sénatrice Bernard : Oui.

M. Bourque : Vous permettez que je dise un mot à ce sujet aussi?

La sénatrice Bernard : Je vous en prie.

M. Bourque : En ce qui a trait à certains des enjeux dont M. Arp a parlé, nous avons essayé les mêmes choses. Par exemple, nous avons tenu un atelier sur les changements climatiques l’an dernier. Les participants ont pu voir les outils que nous utilisons lors de nos recherches. Les participants étaient des gens de l’industrie, des Autochtones. Il y avait des représentants des ministères provinciaux et fédéraux responsables des ressources naturelles. Lors d’une séance où j’étais là, les participants devaient faire des exercices. Nous avons fourni les outils que nous utilisons lors de nos travaux de recherche et les outils que j’utilise actuellement dans mes cours. Ils sont très faciles à utiliser. En ce qui concerne la transmission d’informations aux utilisateurs finaux — les gens de l’industrie forestière et des membres de l’Association des forestiers professionnels étaient très engagés —, nous leur avons demandé d’effectuer de simples exercices à l’aide des outils que nous utilisons lors de nos travaux de recherche.

La sénatrice Bernard : Merveilleux. Merci.

La présidente suppléante : Sénateur Oh.

Le sénateur Oh : Merci, messieurs.

Le Canada, qui dispose de la plus grande superficie de territoires forestiers certifiés au monde, joue un rôle de premier plan en matière de responsabilité de la gestion des forêts. En 2015, nous avions 161 millions d’hectares. Quels sont les divers régimes de certification en matière de gestion forestière disponibles pour le secteur forestier?

M. Arp : Je crois qu’aucun de nous n’est expert en processus de certification, mais nous avons des experts au sein de notre corps professoral qui l’enseignent. L’un de ces processus est la certification en foresterie urbaine, que d’autres entreprises tentent d’imposer dans l’espoir de maintenir les forêts à leur état naturel le plus possible. Essentiellement, quand vient le temps de planter de nouvelles forêts, ils doivent prouver qu’il s’agit toujours d’une saine gestion écologique.

Les entreprises ont chacune leur façon de certifier leurs pratiques de gestion. Elles n’appliquent pas toutes les mêmes critères. La plupart d’entre elles affirmeront qu’elles sont certifiées par les procédures mêmes qu’elles appliquent. Il faut toutefois regarder les détails de l’organisme de certification qui étudie et soutient le processus — cet organisme effectue des inspections sur le terrain, et cetera, s’assurant que les entreprises respectent les exigences de la certification et que tout concorde par rapport aux affirmations des entreprises.

Le sénateur Oh : Désirez-vous commenter?

M. Bourque : Non, je ne suis pas un expert en la matière.

Le sénateur Oh : Merci encore.

La présidente suppléante : Par contre, monsieur Bourque, vous avez dit que vous aviez un outil permettant d’optimiser la séquestration du carbone. N’est-ce pas? La question était de savoir comment quantifier la croissance et le rendement.

Hier, nous avons reçu des propriétaires de boisés privés, dont un groupe du Nouveau-Brunswick. Ils ont dit qu’il était très difficile d’obtenir des données de base sur la séquestration du carbone et sur leurs terrains. Qu’en pensez-vous?

M. Bourque : Bon, je n’ai pas conçu la procédure à laquelle je fais référence. Elle a été conçue par nos étudiants dans le cadre d’un cours pratique, en fait. Lors de l’exercice, les étudiants devaient utiliser tous les outils normaux de gestion forestière et intégrer l’information qui leur était fournie à ces modèles d’outils afin de déterminer quel serait l’impact des changements climatiques sur la croissance forestière. Ils ont donc élaboré une méthode très simple.

Depuis ce temps, plusieurs articles scientifiques ont été rédigés sur cette méthode et elle a été retenue par d’autres professeurs au moment d’appliquer la méthodologie pour un permis spécifique au Nouveau-Brunswick, par exemple. Je crois que cela a été fait une fois ou deux dans le cadre des opérations générales et de la gestion de l’approvisionnement.

En ce qui a trait aux méthodes, je travaille étroitement avec un ingénieur. J’ai tendance à regarder le côté plus complexe des choses, alors qu’il préfère simplifier les choses, de sorte qu’elles puissent être ramenées aux personnes ou aux entreprises forestières. C’est vraiment une méthode que les étudiants ont pu utiliser lorsqu’ils ont analysé l’approvisionnement en bois régulier en utilisant des facteurs de correction tenant compte des changements climatiques.

C’est le genre de choses que nous faisons. Les étudiants nous apportent une aide précieuse dans ce genre de travail.

La présidente suppléante : Donc, il est possible de comptabiliser la séquestration du carbone dans un lot boisé?

M. Bourque : Oui. En fait, RNCan, par exemple, a créé un modèle fondé sur un écosystème qui étudie cette comptabilisation, par l’entremise de Werner Kurz. C’est donc déjà disponible. Kurz l’a appliqué à la grandeur du pays et à des provinces ou des portions de provinces précises. C’est déjà en marche.

La présidente suppléante : J’imagine que, encore une fois, c’est une question de partage des connaissances. Les gens ont accès à ces données.

M. Bourque : Oui, c’est exact.

La présidente suppléante : Monsieur Arp, aimeriez-vous commenter?

M. Arp : Pour séquestrer le carbone, il faut entre autres savoir ce qu’il y a dans le sol. Pour ce faire, le propriétaire de la forêt doit enquêter pour savoir quel type de sols il ou elle possède. Même avec la carte dont j’ai parlé, la propriété devrait être vérifiée. Ensuite, vous serez en mesure de fonder la séquestration du carbone sur de très bonnes informations concernant ce qui se trouve dans le sol, du moins, et vous pourrez jumeler cela à votre estimation de croissance et de rendement, que les outils de Charles peuvent vous aider à réaliser.

La présidente suppléante : Merci.

M. Bourque : Un des aspects de la gestion forestière régulière est que, si vous regardez l’un des diagrammes que j’ai fournis dans ma documentation, ils ont tendance à considérer les conditions moyennes, alors qu’une grande partie de la volatilité que vous remarquez peut être vue comme étant un résultat de l’emplacement dans le paysage. Donc, je crois qu’il est possible d’intégrer certaines des informations dont M. Arp parlait, ce qui peut aider à affiner ces estimations.

Le sénateur Oh : Cette année encore, d’immenses feux de forêt ont fait rage à l’Ouest. Quelles répercussions un tel phénomène a-t-il sur les changements climatiques et combien de temps faut-il pour qu’une forêt retrouve son taux initial d’absorption de carbone?

M. Arp : Pour qu’une forêt se régénère complètement, il faut qu’une génération se passe. Il est étonnant de voir à quel point les forêts se renouvellent bien après un feu de forêt. En 10 ans, le sous-bois est devenu très vigoureux. Pendant les premières années surtout, une importante séquestration de carbone se produit en raison du processus de photosynthèse qui se poursuit dans le bois, le feuillage et la litière. On peut donc dire que pour la plupart de nos forêts en réhabilitation, l’empreinte causée par la perte d’absorption du carbone se neutralise très rapidement, sauf si l’intensité de l’incendie est telle que les graines et les racines sont totalement détruites. J’ignore dans quelle mesure cela a été le cas dans la région Fort McMurray l’an dernier. Je sais qu’en certains endroits, le feu a été extrêmement dévastateur, mais je n’ai pas de données sur le sujet. La régénération dépend de l’intensité de l’incendie.

Le sénateur Oh : D’accord. Merci.

La présidente suppléante : Je ne suis pas certaine de poser ma question aux bonnes personnes. Je vais la poser et si elle ne concerne pas votre champ d’études, vous n’aurez qu’à me le dire.

Le Conseil des ministres a mis sur pied un groupe de travail chargé d’établir un cadre d’évaluation de la vulnérabilité du secteur forestier aux changements climatiques. Il en est ressorti un grand nombre de recommandations, de même que des lignes directrices. Savez-vous si ces lignes directrices ont été adoptées par le secteur forestier?

M. Arp : Je ne suis pas vraiment qualifié pour répondre à votre question. Je n’ai pas vu ces lignes directrices et nous n’en avons jamais discuté non plus, mais je peux m’informer.

M. Bourque : Je ne suis pas mieux placé que M. Arp pour vous répondre. Ce que je peux dire, c’est que le Nouveau-Brunswick a été longtemps à ne pas tenir compte des changements climatiques. Par exemple, cela fait seulement un an que le Nouveau-Brunswick a créé un comité spécial sur les changements climatiques et depuis, à cause de l’engagement de la province, les choses bougent un peu plus, mais en ce qui concerne le Canada, je n’ai pas idée.

La présidente suppléante : Il s’agissait, je pense, d’un groupe de travail établi par les ministres des Forêts de chaque province.

M. Bourque : Oui. Il est vrai que je commence à voir un regain d’activité. J’ai su, récemment, que ces groupes de travail auraient dit que des mesures — un plan — devaient être en place dans 30 mois. Alors, c’est pour bientôt.

La présidente suppléante : Exactement. Je pense que nos analystes sont en train de me donner de l’information à ce sujet.

Au moment où nous commençons tout juste à examiner cette information, je bavardais avec un de vos collègues qui me disait qu’effectivement, c’est très bien de discuter du futur, c’est une très bonne chose que de nouveaux diplômés possèdent ces connaissances, mais comment faire pour que tout cela parvienne jusqu’au niveau local, comment s’assurer que l’information que vous avez sera utilisée sur le terrain?

M. Bourque : Tel était le but de l’atelier que nous avons tenu l’an dernier et dont je vous ai parlé tout à l’heure. Les théoriciens et les gens du métier se sont réunis pour utiliser les outils et observer les résultats. Il y a eu transfert de connaissances — des connaissances liées aux modèles. Les participants ont pu isoler ces modèles, examiner ce qu’ils offrent, puis décider si c’est bien ce qu’ils veulent ou s’ils veulent quelque chose de mieux.

La présidente suppléante : Oui, l’information qu’on m’a transmise mentionne ce groupe en particulier. Je vois également qu’en janvier de l’année dernière, l’Université du Nouveau-Brunswick, en partenariat avec le Conseil d’entreprises du Nouveau-Brunswick, a organisé un symposium sur la tarification du carbone au Nouveau-Brunswick. Ce symposium réunissait des représentants de différents groupes. Connaissez-vous les conclusions de cette réunion?

M. Bourque : Je n’ai malheureusement pas assisté à ce symposium.

M. Arp : Pour arriver à faire ce que nous faisons, nous devons veiller attentivement à bien distinguer ce que nous faisons de ce que nos partenaires font. La question de la tarification du carbone, par exemple, ne relève pas de notre sphère de compétence. Nous pouvons bien sûr fournir quelques indications sur le sujet, mais pour connaître la comptabilisation complète du cycle du carbone, il faut vraiment faire appel à des experts dans ce domaine.

La présidente suppléante : Oui, je comprends. Cependant, vous nous avez donné de l’information très utile pour nous aider à comprendre les effets des changements climatiques et réfléchir sur la marche à suivre pour nous doter de stratégies visant à atténuer ces effets et mieux nous y adapter. Voilà ce que vous nous avez apporté grâce à vos explications claires et exhaustives et à vos présentations PowerPoint.

M. Bourque : Un dernier commentaire par rapport à une question importante que je me souviens avoir lue dans les documents distribués par le greffier : qui profiterait de ces inventaires et qui serait désavantagé? Quand j’y réfléchis, je me dis que nous n’en savons rien. En fait, il faut réaliser les inventaires dont nous parlions tout à l’heure et effectuer une analyse économique — ce que je n’ai pas l’expertise de faire, mais que mon collègue possède, de toute évidence.

Le principal problème vient de ce que nous n’avons pas les courbes de croissance et de rendement nécessaires pour nous prononcer sur les gagnants et les perdants.

La présidente suppléante : Sénatrice Gagné?

La sénatrice Gagné : Participez-vous à l’élaboration des politiques?

M. Arp : À l’élaboration des politiques?

La sénatrice Gagné : Exercez-vous une influence dans l’élaboration des politiques?

M. Arp : Oui, dans une certaine mesure, puisque le processus de cartographie des zones humides fait déjà son entrée dans le processus réglementaire en Alberta et qu’il en sera de même au Nouveau-Brunswick. Il y a une semaine, nous avons rencontré les directeurs régionaux en vue de planifier la transmission de cette information. Pour certains, cette information était du jamais vu. D’autres l’ont comprise et nous ont demandé de leur expliquer en quoi elle consistait. Tout compte fait, ils ont trouvé cela très informatif.

Lorsque nous aurons entièrement cartographié les zones humides de l’ensemble des provinces, nous pourrons formuler des politiques. Pour l’instant, nous pouvons seulement faire des suggestions. Il va sans dire que les décideurs doivent être pleinement informés de ce que ces cartes signifient, après quoi ils pourront prendre des décisions.

Fondamentalement — et c’est ce qui est à la fois cocasse et presque effrayant avec cette cartographie —, c’est qu’elle touche le domaine de l’assurance immobilière et les questions contractuelles, des domaines dans lesquels nous ne voulons pas nous immiscer, parce que ce sont des lieux de litiges entre les personnes. On pourrait « faire parler » la carte pour dire : « Vous n’avez pas dit que le terrain que vous avez acheté était inondé ou risquait de l’être » ou inversement : « Vous m’avez affirmé qu’il s’agissait d’une zone inondable, alors qu’il n’y a jamais eu d’inondation ». Vous comprenez le problème? À ce stade, vous entrez dans diverses questions de politique. Nous devons donc formuler l’information de manière à ce qu’elle passe efficacement, sans causer ce genre de préjudice. C’est tout un défi.

M. Bourque : À cet égard, le Secrétariat des changements climatiques du Nouveau-Brunswick reconnaît la nécessité de mettre le fruit de mes travaux et de ceux de Paul Arp à la disposition des utilisateurs finaux. C’est vraiment ce à quoi le Secrétariat aspire, parce qu’il comprend que le changement climatique est une réalité à laquelle nous devons réagir prestement.

La présidente suppléante : Monsieur Arp, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Arp : Je ne vous envie pas d’avoir à composer avec cette question des plus complexes dans l’élaboration d’une politique pancanadienne. Il y a tellement de régions et d’attentes différentes à prendre rigoureusement en compte pour que cela fonctionne vraiment et que tout le monde y gagne. Une stratégie qui n’est pas gagnant-gagnant ne fonctionnera pas. Et pour qu’elle le soit, vous avez besoin de vraies bonnes idées et de personnes capables de soutenir ces idées non seulement pendant un an, mais à long terme, comme Charles et moi.

La présidente suppléante : Je vous remercie de cette observation. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici à vous consulter et à vous écouter.

M. Bourque : Le sénateur Doyle avait dit qu’il garderait ses questions pour la fin.

Le sénateur Doyle : En fait, mon collègue a déjà posé la question que j’allais poser. Je me demandais si les politiques gouvernementales, tant fédérales que provinciales, sont jamais examinées? Vos recherches vous amènent-elles à examiner ces politiques? Ces politiques vont-elles assez loin pour encourager et appuyer la réduction des GES et, plus important encore, le gouvernement a-t-il prévu les mécanismes de financement nécessaires pour s’attaquer à ces questions?

Voilà de quoi alimenter vos réflexions.

M. Arp : La réponse à vos préoccupations réside dans l’intérêt que vous suscitez, parce qu’une bonne politique rassemble beaucoup d’adhérents. Une mauvaise politique suscite soit très peu d’intérêt, soit beaucoup de résistance. Il arrive qu’une bonne politique ait besoin de réfractaires pour aboutir à une situation gagnant-gagnant. C’est une réponse très vague, mais qu’est-ce que je peux dire?

Le sénateur Doyle : C’est vrai.

M. Bourque : Je regarde une partie du travail que j’ai fait. Tout a commencé en 2008 avec la modélisation des changements dans la biodiversité des espèces. C’était en Nouvelle-Écosse et apparemment qu’après mes travaux, la province a tenu des rencontres avec l’industrie forestière. Cela renvoie, je pense, à certains commentaires de M. Arp. Les gens de l’industrie ne croyaient pas que les modèles — enfin, que certains modèles, pas tous — devaient être utilisés à ce stade. Cela remonte à 2008. Donc, même s’ils ont investi de grosses sommes pour obtenir les résultats que je leur ai fournis, ils les ont laissés de côté.

En 2010, je recevais la même demande de l’Île-du-Prince-Édouard. Mais l’Île-du-Prince-Édouard aborde la question sous un angle différent. Son approche en est une de conservation de l’écologie. Il n’y a pas d’exploitants forestiers là-bas. L’île est tout simplement trop petite pour cela. Il leur arrive de temps en temps de couper un arbre ici et là, mais à une échelle qui ne se compare à rien à ce qui se fait au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse. Ils ont tendance à être beaucoup ouverts aux résultats de mes travaux.

Puis en 2015, le Nouveau-Brunswick m’a demandé d’effectuer ce genre de recherche, que la province examine maintenant plus en profondeur. La situation a changé pour eux aussi, en ce sens que ce type de travaux est rendu nécessaire en raison des exigences. On verra ce que l’avenir réserve, mais jusqu’ici, c’est plutôt positif si l’on songe, par exemple, que le ministère du Développement de l’énergie et des ressources doit désormais commencer à prendre en compte les changements climatiques dans ses projections de l’offre de bois.

Le sénateur Doyle : Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Monsieur Arp, monsieur Bourque, au nom du comité, je vous remercie d’être venus partager avec nous votre expérience et votre expertise. Merci de vos exposés très fouillés qui nous donnent matière à réflexion et qui nous amèneront, je l’espère, à formuler des recommandations éclairées pour l’ensemble du pays, tout en tenant compte des particularités régionales.

Au nom du comité, je vous remercie.

(La séance est levée.)

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