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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 36 - Témoignages du 26 octobre 2017


OTTAWA, le jeudi 26 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 1, afin de poursuivre son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Aujourd’hui, le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts continue son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Ce matin, nous recevons M. Dale Beugin, directeur général de la Commission de l’écofiscalité du Canada. Bienvenue, et merci d’avoir accepté de venir témoigner. Je m’appelle Ghislain Maltais, sénateur du Québec, et je suis président du comité. Avant de donner la parole aux témoins, j’invite les membres du comité à se présenter, en commençant à ma droite.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Je vous présente également le sénateur Oh, de Toronto.

Monsieur Beugin, à vous la parole. Je vous rappelle que plus votre présentation sera courte, plus les sénateurs auront l’occasion de vous poser des questions. Allez-y, on vous écoute.

[Traduction]

Dale Beugin, directeur général, Commission de l’écofiscalité du Canada : C’est très bien. Merci beaucoup. C’est un plaisir pour moi de comparaître devant le comité.

Mon exposé traitera en particulier des incidences de la politique de changement climatique sur l’ensemble de l’économie. Je donnerai aussi quelques exemples précis de données sectorielles. Mes propos se situeront pour l’essentiel à un niveau général: je parlerai de conséquences globales et de grands principes. J’aborderai certains aspects sectoriels importants sur lesquels je n’ai pas fait de recherches détaillées, mais que vous trouverez probablement intéressants, je crois.

Je vais commencer par situer un peu le contexte. La Commission de l’écofiscalité du Canada est un groupe de 12 économistes très en vue venant de différentes régions du pays qui, pour la plupart, ne s’occupent pas particulièrement d’environnement. Ils sont néanmoins liés par la conviction que certaines politiques peuvent favoriser à la fois l’environnement et l’économie. Le groupe, qui existe depuis trois ou quatre ans, a fait d’importantes recherches sur la tarification du carbone en particulier. C’est le principal sujet que j’aborderai aujourd’hui.

La deuxième diapositive porte sur la tarification du carbone. J’imagine que vous connaissez bien la question, mais l’application demeure encore imprécise à ce stade. La tarification du carbone consiste à fixer un prix pour les émissions de gaz à effet de serre et à demander aux émetteurs de le payer. C’est une mesure destinée à inciter les gens à changer de comportement et, partant, à réduire leurs émissions. La mise en œuvre peut faire appel à une taxe sur le carbone, à un mécanisme de plafonnement et d’échange ou à une combinaison des deux. Nous pouvons voir actuellement des exemples de tous ces instruments de politique dans les différentes provinces du Canada, et nous en verrons d’autres qui découleront du prochain Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques.

Je passe maintenant à la diapositive 3 : pourquoi la tarification du carbone plutôt qu’un règlement? J’entends par règlement tout moyen fondé sur la contrainte qui impose des niveaux de rendement précis ou des technologies particulières. Cette diapositive illustre en fait la raison d’être de la Commission de l’écofiscalité. Nous avançons constamment ces arguments en parlant de différentes politiques dans différents contextes. Il y a quatre raisons pour lesquelles la tarification du carbone revient moins cher que l’obtention de résultats par voie de réglementation.

La première est la souplesse parce que ce sont les marchés qui fixent le prix en laissant aux émetteurs la liberté de réagir à ce prix par tout moyen qu’ils jugent bon et qu’ils peuvent utiliser pour réduire leurs émissions au moindre coût pour eux-mêmes. Les entreprises et les ménages peuvent réagir au prix en recourant aux moyens qui leur conviennent le mieux plutôt que d’avoir à se conformer à des normes ou à des règles précises établies par voie réglementaire. Le résultat, c’est un coût moindre.

Notre premier rapport, publié il y a environ trois ans, comportait des analyses fondées sur la modélisation. Nous avons comparé l’atteinte des objectifs du Canada pour 2020 en imposant un règlement ou en adoptant une approche de tarification du carbone. Nous avons constaté que la tarification du carbone a d’importants avantages économiques par rapport à la réglementation. Nous avons évalué ces avantages à environ 3,7 p. 100 du PIB. Il s’agit donc d’avantages permanents d’une grande valeur.

La deuxième raison, c’est la création de recettes. La tarification du carbone peut engendrer des revenus permettant aux gouvernements de choisir entre différentes options, comme la réduction d’autres impôts dans le but d’investir dans des technologies ou des infrastructures propres ou d’appuyer provisoirement les ménages ou les entreprises. Je reviendrai plus tard sur cet aspect.

L’information est également essentielle. Il est en fait très difficile pour les gouvernements d’agir par voie réglementaire parce qu’ils ne disposent pas de bons renseignements sur des technologies précises ou sur le prix de ces technologies dans différents secteurs pouvant réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Grâce à la tarification du carbone, ils n’ont pas besoin de recueillir cette information. La tarification leur permet de fixer le prix et de s’en remettre aux entreprises et aux industries pour le choix des moyens les moins coûteux de réduire les émissions.

L’innovation est la dernière raison. La tarification du carbone promet de favoriser l’innovation grâce non seulement à un prix actuel pour le carbone, mais aussi à un prix futur. Autrement dit, les pratiques et les technologies nouvelles et innovatrices pouvant réduire les émissions de gaz à effet de serre à un coût moindre sont actuellement précieuses et le seront toujours, ce qui incite les responsables à développer davantage de technologies et de pratiques nouvelles et innovatrices.

Je passe à la diapositive 4, qui semble ne pas être numérotée. Elle présente les incidences économiques tirées d’une étude de modélisation. J’ai deux points à mettre en évidence à ce sujet. D’abord, les effets d’une importante tarification du carbone, qui augmenterait d’ici 2030, seraient en fait très petits par rapport à l’économie dans son ensemble. Vous voyez ici les taux de croissance correspondants à différents scénarios avec et sans tarification du carbone. La tarification, quel que soit son mode d’application, n’a pas d’effets très sensibles sur la croissance économique. Dans le pire des cas, nous pouvons voir une baisse d’environ 2 p. 100 qui réduirait le taux de croissance à 1,9 p. 100. Encore une fois, même les marges d’erreur de cette modélisation sont probablement plus importantes que les écarts constatés entre les différents scénarios. Ces écarts représentent les compromis consentis.

Le second point que je veux mettre en évidence, c’est que les gouvernements redistribuent les recettes de la tarification dans l’économie et peuvent choisir à cette fin entre différentes possibilités. Ils peuvent décider d’envoyer des chèques aux ménages, d’aider l’industrie en versant en particulier des subventions à la production, de réduire les impôts sur le revenu des particuliers ou des sociétés ou encore d’investir dans les technologies propres. Ce ne sont là que cinq des nombreuses options possibles de recyclage des recettes de la tarification du carbone.

Toutefois, il y a différents compromis à faire au chapitre des incidences économiques et politiques et des effets sur la distribution. Il y a aussi des effets sur la compétitivité et les fuites.

Je passe maintenant à la diapositive 5, à laquelle je consacrerai un certain temps.

Le principal argument contre la tarification du carbone, que nous entendons à maintes et maintes reprises, c’est que la tarification appliquée au Canada, mais non ailleurs donnerait lieu à un désavantage concurrentiel pour notre industrie. Elle créerait des règles du jeu différentes et entraînerait une migration de la production, des investissements et des émissions correspondantes vers des administrations ayant une politique environnementale moins sévère.

Cela est assimilé à une perte de compétitivité au niveau économique et à des fuites au niveau environnemental. Si ces effets se concrétisent, ils atténueront l’efficacité de notre politique de lutte contre le changement climatique: ils ne permettront pas de réduire les émissions mondiales, puisqu’il y aurait un déplacement des émissions vers d’autres administrations, mais imposeront des coûts à l’économie. Ce sont des effets que nous voudrons éviter. Ils inquiètent assez sérieusement certains secteurs, comme nous le verrons dans quelques instants. Toutefois, nous pouvons remédier aux problèmes au moyen de politiques adéquates.

La diapositive 5 présente des scénarios d’action avec et sans le concours de nos plus importants partenaires commerciaux, les États-Unis. La taille de la partie verte de la barre montre les effets de la compétitivité et des fuites qui surviendraient si le Canada agissait seul. Plus le prix du carbone est élevé, plus ses effets sont importants. Mais importants pour qui et dans quelle mesure? La diapositive suivante, qui montre les pressions concurrentielles par province, est une récapitulation des diapositives suivantes présentant la vulnérabilité de l’économie canadienne aux pressions concurrentielles.

Comme vous pouvez le voir, la plus grande partie de l’économie canadienne n’est pratiquement pas influencée par les pressions concurrentielles. L’effet se situe autour de 5 p. 100 de l’économie à l’échelle nationale, mais il monte à environ 28 p. 100 en Alberta et en Saskatchewan. Tout se ramène aux secteurs sensibles aux pressions concurrentielles. C’est ce que montrent les deux diapositives suivantes concernant l’Alberta et l’Ontario.

La vulnérabilité dépend de deux facteurs. Premièrement, il y a l’intensité des émissions, c’est-à-dire la mesure dans laquelle une entreprise produit plus d’émissions par unité de production. Cela fait monter le prix du carbone par unité de profit. Plus les chiffres sont élevés, plus le fardeau est lourd pour le secteur en cause.

Le second facteur est l’exposition au commerce. Si un secteur est actif sur les marchés internationaux, il n’a pas la possibilité de transmettre les hausses de coûts aux clients qui achètent et consomment ses produits.

En pratique, ce sont seulement les secteurs du quadrant supérieur droit du graphique qui sont les plus touchés en Alberta et en Saskatchewan. J’ai examiné d’autres provinces dans mes rapports. Je n’en montre que deux ici à des fins d’illustration. Ce sont les secteurs à forte intensité d’émissions qui sont tributaires du commerce, comme le ciment, le pétrole et le gaz, les produits chimiques et, dans une certaine mesure, le secteur minier. Ce sont les secteurs les plus importants pour ce qui est de la vulnérabilité au chapitre de la compétitivité. Je vais signaler les autres secteurs de ce quadrant qui vous intéressent particulièrement, comme l’agriculture et les forêts. Il aurait été intéressant de disposer de données plus détaillées et d’une plus grande ventilation des secteurs. La disponibilité des données constitue un problème.

Je n’irai pas dans les détails des chiffres de l’Alberta ou de l’Ontario. Nous pourrons peut-être le faire si vous voulez poser des questions à ce sujet. Je noterai cependant que les chiffres sont très différents. En Alberta, vous pouvez voir cette grappe de secteurs à forte intensité d’émissions qui sont tributaires du commerce dans le coin supérieur droit. En Ontario, il y en a beaucoup moins. Une bien plus grande partie de l’économie se situe dans le coin inférieur gauche où se trouvent les secteurs des services, le gouvernement, les transports et les secteurs intérieurs qui n’ont pas une trop forte intensité d’émissions.

Je passe maintenant à la diapositive 9. Comme je l’ai noté, le problème est important pour des secteurs particuliers, mais il est possible d’y remédier avec des politiques adéquates. Nous croyons que la solution des politiques a deux composantes, ce qui explique le titre de la diapositive, « Deux problèmes, deux outils ». Le premier problème consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre à un coût moindre. Comme je l’ai dit, la tarification du carbone constitue la meilleure solution à cet égard. C’est le moyen le moins coûteux de réduire les émissions. Il est possible de combiner cet outil à un second, une subvention fondée sur la production qui aiderait particulièrement les secteurs touchés en les incitant à réduire leurs émissions à cause du prix du carbone, mais pas à les réduire en baissant leur production ou en la délocalisant. Ces deux outils combinés constituent un incitatif qui encourage les entreprises à améliorer leur rendement en matière d’émissions sans envisager d’aller s’établir dans d’autres administrations. Ces deux éléments ensemble sont l’équivalent d’une tarification du carbone fondée sur la production, qui correspond d’assez près aux mesures fédérales envisagées dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ainsi qu’à la politique albertaine de tarification du carbone.

Dans la diapositive 10, je reviens à la question des options de redistribution des revenus tirés de la tarification du carbone. Encore une fois, les données proviennent d’une analyse de modélisation. Je tiens à mettre en évidence ici le fait que le soutien provisoire de l’industrie — c’est la quatrième barre —, qui correspond à la subvention ou à la tarification fondée sur la production, réduit sensiblement les pertes en matière de réduction des émissions et la mesure dans laquelle la compétitivité se répercute sur l’ensemble de l’économie.

Dans les diapositives 11 et 12, nous abordons les mesures autres que la tarification du carbone. Nous devons reconnaître — la commission a beaucoup travaillé dans ce domaine — que la tarification du carbone constitue l’approche la plus efficace et la moins coûteuse de réduction des gaz à effet de serre. C’est en quelque sorte l’élément essentiel de l’ensemble de politiques nécessaires, mais ce n’est pas le seul élément. D’autres instruments peuvent être utiles dans des circonstances particulières. Trois de ces circonstances sont définies dans la diapositive 11. Les politiques autres que la tarification du carbone peuvent réduire les émissions qui ne sont pas sensibles au prix du carbone. Nous reviendrons sur ce point dans un instant. Elles peuvent permettre au prix du carbone de mieux jouer son rôle en remédiant à d’autres problèmes du marché et à d’autres obstacles à une réaction de l’économie à ce prix ou en assurant d’autres avantages. La pollution atmosphérique est un excellent exemple à cet égard. Par exemple, si on réduit les émissions de gaz à effet de serre en cessant de produire de l’électricité dans des centrales au charbon, on réduit du même coup les polluants locaux de l’air, ce qui a des effets bénéfiques sensibles sur la santé. C’est peut-être un moyen relativement coûteux de réduire les émissions, mais il peut être justifié compte tenu des avantages qu’il assure.

Bref, si des politiques non liées à la tarification ne satisfont pas à l’un de ces besoins et, de plus, ne sont pas adéquatement conçues, il est préférable de recourir à la tarification du carbone. On peut réduire les émissions à un coût moindre en fixant un prix pour le carbone plutôt qu’en imposant des règlements et en comptant sur des subventions. Un petit exemple: Nous avons beaucoup travaillé sur les carburants renouvelables, comme l’éthanol, mais nous avons constaté que ces politiques autres que la tarification du carbone constituent un moyen très coûteux de réduire les émissions, leur prix s’élevant à près de 185 $ la tonne pour l’éthanol et pouvant atteindre 300 $ la tonne selon les hypothèses retenues concernant le cycle de vie des différents biocarburants. C’est là un exemple de cas dans lequel on augmente les coûts en comptant sur des instruments technologiques très particuliers qui exigent des technologies spéciales plutôt d’adopter des approches indépendantes de la technologie.

Passons à la diapositive 12 pour terminer. Je voulais examiner d’assez près quelques mesures complémentaires qui revêtent une importance particulière dans les secteurs qui vous intéressent, l’agriculture et les forêts. La tarification du carbone est difficile à mettre en œuvre dans ces secteurs parce que beaucoup des émissions en cause sont difficiles à mesurer. Il est en général très facile de déterminer le prix des émissions produites en brûlant des combustibles fossiles parce que c’est une simple question de chimie: les gaz émis dépendent de la quantité de combustible brûlé. Il est nettement plus difficile de quantifier les émissions attribuables au sol, aux forêts, à la fermentation du fumier ou à différentes pratiques agricoles. Toutefois, même s’il est difficile de chiffrer ces émissions, il est possible de mesurer les réductions dues à certaines mesures. Par conséquent, il peut être justifié de recourir à des programmes de compensation en sus de la tarification du carbone ou peut-être de règlements ou d’incitatifs visant d’autres sources d’émissions de gaz à effet de serre et d’autres possibilités de réduction de ces émissions. Le tout premier principe d’une politique sur les gaz à effet de serre est qu’il vaut mieux adopter des politiques aussi générales que possible. Si on veut couvrir toutes les sources d’émissions et être sûr de réaliser toutes les réductions peu coûteuses qui existent, les mesures complémentaires sont un moyen de le faire quand la tarification du carbone ne s’applique pas à toutes les émissions en cause. Je crois que je vais en rester là.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie de votre présence au comité ce matin. Vous avez présenté un exposé intéressant. J’aimerais revenir sur vos diapositives concernant l’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario. Certaines ne sont pas numérotées. Je crois que c’est la sixième. Vous y avez représenté les pressions concurrentielles par province. La vulnérabilité de l’Alberta et de la Saskatchewan est évidente. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, en termes simples? Est-ce simplement le secteur du pétrole et du gaz qui les rend vulnérables?

M. Beugin : Oui, dans une grande mesure. Les secteurs pétroliers et gaziers de l’Alberta et de la Saskatchewan constituent les facteurs les plus importants. La taille des bulles qui figurent sur la diapositive représente la taille du secteur par rapport à l’ensemble de l’économie de la province. Vous pouvez voir que les sables bitumineux, le gaz naturel et la valorisation du bitume forment des parties importantes de l’économie, se trouvent tous dans le quadrant supérieur et sont à la fois de grands émetteurs et des secteurs exposés au commerce. Ce n’est pas du tout surprenant. Ils ont effectivement une forte intensité d’émissions et représentent une importante source de gaz à effet de serre. Nous savons également que leurs produits sont exportés. Les politiques de l’Alberta ne peuvent avoir aucun effet sur le prix de son pétrole qui est fixé sur les marchés mondiaux. Par conséquent, les producteurs de pétrole et de gaz n’ont aucun moyen de transmettre des hausses de coûts à leurs clients et doivent les absorber eux-mêmes au détriment de leurs bénéfices. Cela devrait donc les inciter à réduire leur production.

Le sénateur Mercer : Serions-nous plus proches d’une solution si notre principal client payait les prix mondiaux au lieu du prix du pétrole brut West Texas?

M. Beugin : Non, ce serait en fait pire.

Je crois que l’Alberta savait depuis longtemps qu’elle était différente des autres provinces figurant sur le graphique de la diapositive précédente concernant les pressions concurrentielles. Je sais que l’équipe albertaine d’orientation des questions climatiques a trouvé cette analyse extrêmement utile lors de la formulation d’une politique de tarification du carbone pour la province. En effet, elle a donné aux membres de l’équipe des preuves et des raisons claires justifiant l’adoption d’un système de tarification fondé sur la production pour éviter d’inciter les producteurs à aller produire ailleurs.

Le sénateur Mercer : La tarification du carbone devrait donc être adaptée à chaque région ou chaque province au lieu de s’inscrire dans une politique nationale uniforme?

M. Beugin : Oui. Je crois qu’il y a de bonnes raisons d’adopter une tarification particulière dans chaque province. Je dirais que le recyclage des recettes est en tête de la liste de ces raisons. Chaque province a ses propres priorités. Il est donc sensé pour chacune d’utiliser ses recettes en fonction de ses besoins. La mesure dans laquelle les différentes provinces sont plus ou moins vulnérables aux pressions concurrentielles constitue une autre raison. Cela ne signifie pas qu’on n’a pas à coordonner les politiques provinciales de tarification. Si l’objectif est de minimiser les coûts globaux, un prix uniforme du carbone permettrait de l’atteindre, toutes les provinces étant alors également motivées à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Mercer : Au fil des ans, notre comité a toujours parlé de l’agriculture et des forêts non comme principal problème, mais comme élément de solution. Que pouvons-nous faire pour réduire les effets sur le revenu d’un agriculteur ou d’un exploitant forestier tout en faisant ce qu’il faut pour réduire les émissions de gaz à effet de serre?

M. Beugin : C’est une bonne question. Notre recherche n’aboutit pas à une réponse définitive à cette question, mais j’irai un peu au-delà de toute façon. Comme premier principe, il faut prévoir des incitatifs pour encourager tous les secteurs à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il ne faudrait exempter aucun secteur parce que n’importe lequel pourrait être en mesure de développer des moyens peu coûteux de réduction des émissions. Dans ce cas, on veut que toutes les réductions contribuent à l’objectif d’ensemble. Autrement, les coûts augmenteront. Les secteurs de l’agriculture et des forêts ont certes un rôle à jouer. Comme je l’ai noté, ils sont, dans bien des cas, difficiles à inclure dans un système de tarification du carbone. À mon avis, cela implique que des régimes de compensation ou une forme de réglementation pourraient convenir.

Les régimes de compensation pourraient même constituer une source de recettes pour certains secteurs. Ils favoriseraient des réductions supplémentaires pouvant donner droit à des crédits que les producteurs pourraient alors vendre à d’autres émetteurs ayant des obligations plus directes en vertu de politiques de tarification du carbone.

Le sénateur Doyle : Il est probable que vous avez déjà répondu à ma question. D’après les notes que j’ai ici, vous avez dit que la meilleure solution consisterait à avoir une approche pancanadienne ou nord-américaine de tarification du carbone. Est-ce bien cela? Peut-on en déduire qu’il vaut mieux avoir un plus grand marché du carbone pour maximiser les résultats? A-t-on suffisamment sensibilisé le public à cet égard?

M. Beugin : Ce sont de bonnes questions. Voici ce que j’ai à vous dire. La meilleure solution serait d’avoir un prix uniforme du carbone partout en Amérique du Nord et aussi partout dans le monde. Si tous les émetteurs devaient payer le même prix pour leurs émissions de carbone, les préoccupations relatives aux fuites et aux problèmes de compétitivité n’existeraient pas du tout.

Cela dit, le Canada ne peut pas contrôler le prix du carbone pour les émissions non canadiennes de GES. Même si tout le monde n’adopte pas la tarification du carbone, il est quand même utile pour le Canada de le faire à condition d’offrir un soutien supplémentaire aux secteurs à forte intensité d’émissions qui sont exposés au commerce afin d’éviter les fuites. Ce serait la meilleure solution de remplacement, compte tenu de la lenteur de la transition mondiale vers une meilleure politique de réduction des émissions de GES.

Quant à votre seconde question, la Commission de l’écofiscalité en a discuté plus que de toute autre. Beaucoup pensent que les États-Unis sont un obstacle et que le gouvernement Trump, qui ne semble pas du tout avoir l’intention d’imposer une tarification du carbone ou de réduire les émissions de GES, entravera sans doute tout progrès dans ce domaine. Nos recherches ont abouti à la conclusion que cela n’est pas vrai et que nous pouvons avancer, même en cas d’inaction des États-Unis, à condition de concevoir adéquatement notre politique.

Le sénateur Doyle : Pourquoi est-il tellement difficile de mesurer les émissions agricoles de carbone? Les raisons sont probablement évidentes, mais vous avez dit qu’une réglementation gouvernementale constituerait sans doute la meilleure approche. Qu’est-ce qu’une telle réglementation impliquerait?

M. Beugin : Je vais essayer d’être un peu plus concret. Les principales émissions que nous voudrions réduire sont celles que produit la fermentation entérique du bétail, peut-être au moyen de bonnes pratiques de gestion du sol. Il serait possible de réduire les émissions en recourant à différents procédés agricoles visant à accroître la séquestration dans le sol des émissions de GES. On pourrait aussi obtenir une certaine séquestration dans les forêts en modifiant les pratiques forestières de boisement et de reboisement de façon à réduire les émissions par d’autres moyens.

Dans tous ces cas, il est difficile d’établir un point de départ. Quand on brûle du gaz naturel ou de l’essence, il est facile de calculer le prix à imposer pour les émissions produites. Quand on brûle de l’essence, du charbon ou du gaz naturel, on produit des GES correspondant aux combustibles consumés.

C’est plus difficile dans le cas des forêts. En l’absence de données de base, il faut chiffrer les réductions d’émissions provenant de sources très différentes et découlant du changement des pratiques forestières ou de l’élevage d’un très grand nombre de vaches. Tout cela est difficile à évaluer.

Cela dit, il pourrait y avoir des moyens peu coûteux de réduire les émissions en adoptant des pratiques différentes de labourage, en modifiant les méthodes de gestion du fumier ou encore en agissant sur le bétail par addition d’algues à l’alimentation afin de réduire les émissions.

Le sénateur Doyle : Bien sûr, si on impose une réglementation, on aurait besoin d’une très vaste participation de la communauté agricole.

M. Beugin : C’est exact. C’est pour cette raison qu’un régime de compensation peut être envisagé au lieu d’un règlement. Ainsi, la communauté agricole pourrait réagir de la même façon aux mesures incitatives même si elle n’est pas directement exclue du système.

Le sénateur Oh : Entre 2008 et 2013, la consommation de carburant a baissé de 16 p. 100 en Colombie-Britannique tandis qu’elle a augmenté de 3 p. 100 dans le reste du pays. Nous savons que la Colombie-Britannique a adopté en 2008 une taxe sur le carbone qui s’applique aux principaux combustibles fossiles. Croyez-vous qu’il existe un lien direct entre cette taxe et la consommation de carburant?

M. Beugin : Oui, je le crois. Les universités ont réalisé d’importants travaux statistiques pour tenter d’isoler les différents impacts. D’après la meilleure étude, la taxe provinciale sur le carbone aurait réduit les émissions de gaz à effet de serre de la Colombie-Britannique de 5 à 15 p. 100 par rapport à ce qu’elles auraient été en l’absence de la taxe.

Le sénateur Oh : Pourquoi les Américains répugnent-ils à admettre tous ces problèmes environnementaux? Y a-t-il des raisons liées au coût? Leurs scientifiques ont-ils découvert des choses que nous ne connaissons pas?

M. Beugin : Je préfère ne pas me mêler de questions politiques, surtout si elles touchent aux États-Unis. Je n’ai pas vraiment de réponse à votre question. Je pense qu’il y a des enjeux partisans qui n’ont rien à voir avec les réalités scientifiques.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Beugin. Ma première question touche la taille et la géographie de notre pays. Cela a sûrement un impact sur la tarification du carbone, et les effets économiques ne sont probablement pas les mêmes, entre autres, entre Halifax et Calgary, comme vous l’avez mentionné. Pourriez-vous nous brosser un tableau des enjeux régionaux que vous avez constatés, et des endroits où l’industrie subira les impacts les plus importants?

[Traduction]

M. Beugin : Comme beaucoup de différences régionales ont leur importance, il m’est difficile de citer les plus importantes. Je vais donc peut-être prendre un peu la tangente pour répondre à votre question. Il est utile de voir comment les différentes provinces ont choisi leur propre système de tarification du carbone, que ce soit avant ou après le cadre pancanadien.

On constate que les provinces où les émissions manifestent une tendance générale à la hausse préfèrent les moyens qui leur donnent de la certitude quant au prix du carbone plutôt que les instruments liés au volume des réductions réalisées. Autrement dit, on peut voir que la Colombie-Britannique et l’Alberta ont choisi des moyens qui se rattachent à la taxe sur le carbone, tandis que l’Ontario et le Québec ont préféré des régimes de plafonnement et d’échange.

La différence entre les tendances des émissions joue un rôle important à cet égard, de même que la différence entre les structures de l’économie, c’est-à-dire entre les secteurs qui produisent les émissions. Il sera intéressant de voir dans quelle direction s’orientera le Manitoba, dont l’économie est essentiellement agricole, lorsqu’il annoncera sa politique de tarification du carbone dans les prochains jours. Les émissions manitobaines sont, pour une très grande part, d’origine agricole et sont donc difficiles à inclure dans un régime conventionnel de tarification. Par conséquent, la province doit compter sur d’autres approches pour réaliser des réductions.

En ce qui concerne les effets, tout dépend des détails — surtout la façon dont les recettes sont utilisées — ainsi que du rôle du commerce international. L’Ontario et le Québec ont des échanges commerciaux avec la Californie, tandis que l’Alberta et la Colombie-Britannique n’en ont pas. Cela influe sur les effets globaux.

De toute façon, nous ne devons nous attendre à des effets économiques extrêmes dans aucune de ces provinces et dans le cadre d’aucune des politiques conçues jusqu’ici. Notre modélisation montre que, même à 100 $ la tonne, les incidences économiques devraient être assez modérées, surtout si les politiques sont bien conçues.

[Français]

Le sénateur Dagenais : La redistribution des sommes générées par la taxe sur le carbone soulève beaucoup d’inquiétudes. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas créé un programme d’aide qui permettrait d’apaiser les craintes et qui ferait en sorte que tout le monde travaille ensemble au lieu d’hésiter à appuyer le nouveau système?

[Traduction]

M. Beugin : Je ne suis pas sûr d’avoir compris la question. Parlez-vous du gouvernement fédéral et de la redistribution fédérale des recettes?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Tout à fait. La redistribution des revenus de la taxe sur le carbone n’a pas été énoncée clairement par le gouvernement fédéral. D’ailleurs, ce n’est pas le premier dossier qui manque de clarté. Cela fait en sorte que les gens ont des craintes et hésitent à adhérer au système. Quand on vous présente quelque chose, mais que vous ne savez pas où vous vous en allez, vous êtes un peu hésitant.

[Traduction]

M. Beugin : C’est une excellente question. Le Canada a déjà connu d’autres projets de tarification du carbone proposés au niveau politique ou directement par le gouvernement. Ces projets avaient suscité de grandes craintes relativement à la redistribution des recettes provinciales, surtout dans l’Ouest. Des provinces à forte intensité d’émissions comme l’Alberta, la Saskatchewan et même la Colombie-Britannique se sont inquiétées de la possibilité que leurs recettes soient redistribuées dans des provinces telles que l’Ontario et le Québec. Je crois que ces craintes liées à d’éventuels transferts interrégionaux ont intensifié d’autres préoccupations.

L’un des grands avantages du cadre pancanadien est qu’il ne prévoit aucune redistribution des recettes. L’argent recueilli dans une province sera dépensé dans la même province. Cela dit, je crois que vos craintes demeurent importantes et justifiées, mais qu’il est possible de remédier au problème au niveau provincial.

L’Alberta, par exemple, a dit clairement qu’une partie des recettes engendrées par sa politique de tarification du carbone serait restituée aux ménages sous forme de chèques trimestriels. Une approche de ce genre peut donner l’assurance que la politique n’est ni régressive ni injuste pour les ménages à faible revenu et que les coûts d’ensemble ne seront pas trop élevés, surtout pour ces ménages. Les mêmes choix peuvent être faits à l’échelle provinciale plutôt que fédérale.

Le sénateur Woo : Je vous remercie de votre exposé. Que pensez-vous du calcul des réductions de GES attribuables à des substitutions à l’échelle mondiale? Je pense bien sûr au gaz naturel liquéfié et à la thèse selon laquelle la production de GNL au Canada et son exportation à la Chine empêcheront la construction de nouvelles centrales au charbon et réduiront donc les GES dans le monde.

M. Beugin : C’est une excellente question à laquelle je ne peux malheureusement pas donner une excellente réponse. Je n’ai pas étudié la question. Je crois que cela dépend de ce qui serait déplacé et de la nature du combustible en cause.

Le sénateur Woo : C’est le charbon.

M. Beugin : Cela dépend aussi de la mesure dans laquelle on peut établir une corrélation claire entre une production supplémentaire de GNL au Canada et une réduction de la consommation de charbon dans d’autres pays. C’est une corrélation difficile — mais non impossible — à établir dans certains cas. J’hésite donc à exprimer un avis sans avoir procédé moi-même à une analyse.

Le sénateur Woo : S’il était possible d’établir cette corrélation, est-ce que le remplacement du charbon par le GNL peut entraîner une réduction nette des émissions de GES?

M. Beugin : Cela dépend aussi des émissions calculées sur le cycle de vie pour la production de gaz naturel et le processus de fabrication du GNL. Encore une fois, c’est une opération difficile. Il faut tenir compte des émissions fugaces en amont provenant de la production et de l’extraction du gaz naturel. De plus, il y a différents procédés de fabrication du GNL utilisant différents combustibles. Je crains fort que la question ne soit trop complexe pour qu’il me soit possible de donner une réponse simple et sûre.

Le sénateur Woo : Je vous remercie.

La sénatrice Gagné : La commission a dit que les gouvernements devraient réviser leurs politiques maintenant que le gouvernement du Canada a décidé d’établir une taxe fédérale sur le carbone. Vous avez également publié des rapports qui, sans nécessairement critiquer, recommandaient de revoir les subventions aux biocarburants et les normes relatives aux carburants renouvelables introduites il y a une dizaine d’années à cause de leur coût.

Pouvez-vous nous parler des différentes politiques que les gouvernements devraient revoir?

M. Beugin : Je crois que toutes les politiques devraient être revues périodiquement. Il est très utile en général de faire ce que les économistes appellent l’analyse a posteriori, c’est-à-dire l’analyse rétrospective de ce qui s’est passé en vue de déterminer si la politique en cause a abouti aux résultats attendus et de mesurer son coût.

Le rapport que vous avez mentionné portait sur les politiques relatives aux biocarburants, c’est-à-dire sur les subventions à la production et les mandats imposant d’ajouter aux combustibles fossiles certaines proportions d’éthanol et de biocarburants. C’était le travail entrepris par la Commission de l’écofiscalité pour faire justement ce genre d’analyse a posteriori. Nous avons ainsi constaté que les coûts assumés pour obtenir des réductions d’émissions avaient été très élevés, atteignant 185 $ pour les mandats relatifs à l’éthanol et les subventions aux carburants renouvelables. Lorsqu’on compare ces chiffres aux réductions découlant des politiques de tarification du carbone, qui coûtent en pratique 30 $ la tonne et parfois moins globalement, il est clair qu’il y a des différences très sensibles.

Ce qui était jugé raisonnable il y a 10 ans, lorsque la tarification du carbone était impossible pour diverses raisons et que les gouvernements étaient obligés de compter sur d’autres mécanismes, n’est plus sensé aujourd’hui. Il serait donc utile de revoir ces politiques.

Je crois que cela est particulièrement vrai dans le cas des politiques, règlements et subventions touchant les gaz à effet de serre, qui étaient censés se substituer, pour ainsi dire, à la tarification du carbone. Ces mesures avaient le même but que la tarification, qui était alors impossible. Maintenant que la tarification du carbone est une réalité qui devient de plus en plus rigoureuse avec le temps, je crois qu’on serait d’autant plus fondé à déterminer quelles politiques ont entre elles des interactions qui font monter les coûts sans nécessité, entraînent des chevauchements inutiles ou ont même des effets négatifs sur la tarification du carbone.

La sénatrice Gagné : Le gouvernement du Canada devrait-il investir dans des technologies révolutionnaires destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre?

M. Beugin : Je n’ai pas encore fait de recherches à ce sujet non plus. En théorie du moins, ce genre d’investissement pourrait être justifié. Il s’inscrirait alors dans ce que nous appelons la politique d’amplification de signal parce qu’il servirait à remédier à d’autres problèmes du marché. Les entreprises n’ont pas toujours intérêt à faire de l’innovation révolutionnaire parce qu’elles ne sont pas en mesure de profiter elles-mêmes de tous les résultats obtenus. Si elles mettent au point un produit ou un procédé révolutionnaire et peu coûteux, leurs concurrents en profiteront aussi. Ce problème du marché atténue les effets des incitatifs à l’innovation.

Il y a donc des raisons d’adopter des politiques complémentaires de recherche et d’innovation visant d’une façon générale plutôt que particulière à favoriser la tarification du carbone. Comme je l’ai dit, cela s’inscrirait dans une politique complémentaire d’amplification de signal.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Votre dernière observation est très intéressante. Dans une économie d’innovation, ceux qui font une découverte ont un avantage concurrentiel, au moins pendant un certain temps. Grâce à cet avantage, le réinvestissement dans la recherche devrait les maintenir en tête de leur secteur, si leur entreprise favorise ce genre de culture. Pour moi, une telle innovation est positive plutôt que neutre ou même négative au chapitre de la compétitivité.

M. Beugin : Je suis parfaitement d’accord avec vous. Vous avez tout à fait raison. La seule question qui se pose est de savoir si des politiques complémentaires sont nécessaires pour créer au départ l’incitatif pouvant encourager l’entreprise à prendre des risques.

Pour être honnête, je dirai qu’il y a un grand débat tant dans les cercles politiques que dans la littérature économique quant à la justification de ces politiques complémentaires. C’est une question très pertinente.

Le sénateur Pratte : J’aimerais approfondir un peu plus la question des mandats. Nous avons entendu des représentants du secteur de l’éthanol plus tôt cette semaine. Bien sûr, ils essaient d’obtenir le renouvellement du mandat et préconisent de porter à 10 p. 100 le pourcentage d’éthanol dans le carburant. Je crois d’ailleurs que les 10 p. 100 représentent le minimum qu’ils recommandent. Ils préféreraient 15 p. 100 ou même plus. Le secteur du pétrole et du gaz est opposé à cette augmentation.

Je dirais d’instinct que cette solution paraît simple. En passant de 5 à 10 p. 100, on obtient automatiquement une réduction des émissions de GES.

Les provinces qui ont une taxe sur le carbone ou un régime de plafonnement et d’échange peuvent avoir réalisé des réductions de leurs émissions de GES provenant des transports. Toutefois, au Québec, qui s’est doté d’un système de plafonnement et d’échange, les émissions de GES provenant des transports constituent encore un énorme problème. Elles ont en fait augmenté. Dans un cas de ce genre, si on augmentait le pourcentage d’éthanol, on aboutirait automatiquement à une réduction des émissions dans le secteur des transports, ce qu’on ne peut pas réaliser grâce au régime de plafonnement et d’échange, à cause du prix actuel.

Pourquoi le mandat est-il tellement coûteux et pourquoi croyez-vous que le régime de plafonnement et d’échange aboutira à un moment donné à de plus grandes réductions des émissions de GES?

M. Beugin : Dans ce cas, la souplesse est l’élément le plus important. Le mandat relatif aux carburants impose surtout un mode particulier de réduction des émissions. Il définit donc un résultat plutôt qu’une condition du marché. La tarification du carbone fait le contraire. Elle n’impose pas du tout un résultat particulier. Si l’éthanol constitue un moyen peu coûteux de réduire les émissions et de respecter le plafond, tant mieux. Il fait alors partie de la réaction à un système de tarification du carbone.

La seule circonstance dans laquelle ce ne serait pas le cas, c’est si la réduction des émissions est plus coûteuse que celle qui découlerait d’autres moyens possibles et si l’économie, dans son ensemble, favorise d’autres façons de respecter le plafond plutôt que l’accroissement de l’utilisation d’éthanol ou d’autres biocarburants.

Le secteur des carburants renouvelables n’a pas aimé notre rapport sur les biocarburants, mais la Commission de l’écofiscalité ne s’oppose pas du tout à l’utilisation des biocarburants. Nous ne nous opposons à aucune technologie. Nous sommes en faveur de tout moyen peu coûteux de réduire les émissions. Les biocarburants constituent un moyen de plus dans la trousse de l’industrie pour réagir aux prix et réduire les émissions à un coût moindre.

Il y a un autre élément dans le cas particulier du Québec. C’est une question technique un peu délicate, mais importante : la notion d’interaction entre le régime de plafonnement et d’échange et d’autres politiques s’appliquant aux mêmes émissions. Si on combine un régime de plafonnement et d’échange à des politiques complémentaires s’appliquant aux mêmes émissions comprises dans le plafond fixé — qui englobe d’ailleurs les carburants —, comme le Québec l’a fait, l’imposition de mesures complémentaires de réduction des émissions dans le secteur des transports pourrait bien ne pas réduire davantage les émissions globales. Le plafond définit les émissions admissibles dans l’ensemble de l’économie. En imposant des réductions particulières dans un secteur, on ne fait qu’augmenter les émissions d’un autre secteur. C’est un peu comme un ballon qui représenterait les émissions totales admissibles, c’est-à-dire le plafond. Si on exerce une pression à une extrémité du ballon, on va peut-être réduire sa taille à cette extrémité, mais il prendra de l’expansion ailleurs, de sorte que le volume total reste le même. Par conséquent, les interactions sont vraiment importantes dans ce cas. Elles peuvent entraîner une augmentation des coûts en imposant des méthodes plus coûteuses de réduction des émissions qui ne réduisent même pas davantage ces émissions.

Le sénateur Pratte : Est-ce que le fait que les gens sont disposés à payer davantage pour le carburant de transport — car ils le sont apparemment — joue un rôle dans cette situation?

M. Beugin : C’est une question vraiment intéressante sur ce qu’il convient de faire dans le secteur des transports.

Le sénateur Pratte : Il s’agit d’élasticité.

M. Beugin : C’est exactement cela. Il faut cependant faire la distinction entre les élasticités à court et à long terme. Je vais me servir du jargon puisque vous avez été le premier à le faire. Les prix du carbone, surtout s’ils sont bas, pourraient ne pas avoir d’incidences très sensibles sur le comportement des conducteurs, mais ils pourraient bien jouer un rôle très important dans leurs préférences quant au choix du véhicule. Ces changements ne se produisent pas rapidement. Ils prennent du temps et ne se manifestent que lorsque les conducteurs sont prêts à acheter une voiture neuve. Ils ne réagissent pas immédiatement au prix du carbone, mais ils le font lorsqu’il est temps pour eux d’envoyer leur vieille voiture à la casse ou de l’échanger contre une neuve. Voilà pourquoi la réaction prend du temps.

En Colombie-Britannique, il y a des indices assez sûrs provenant d’analyses a posteriori réalisées par l’Université de la Colombie-Britannique qui montrent que la taxe provinciale sur le carbone a commencé à influencer le choix des véhicules neufs que les habitants de la province achètent. Il y a donc une réaction à cette taxe, mais elle prend du temps à se manifester. Il est également possible qu’il faille augmenter le prix du carbone avec le temps pour obtenir les réductions que nous nous sommes engagés à réaliser.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais que vous nous parliez un peu plus des données, car elles constituent pour moi la base d’une bonne décision. On a besoin de bonnes données pour prendre de bonnes décisions et élaborer de bonnes politiques. Vous avez évoqué la difficulté de trouver des données dans le cas de l’agriculture et des forêts. Vous avez aussi parlé un peu plus tôt de certaines lacunes dans les données des graphiques.

Ces données sont-elles impossibles à trouver? Faut-il se résigner à ne pas les avoir? Le problème réside-t-il plutôt dans l’insuffisance des ressources affectées à la collecte des données ou dans le manque d’organisation de cette collecte? Dans quelle mesure les données sont-elles importantes si nous voulons être équitables dans les politiques que nous adoptons?

M. Beugin : Excellentes questions. Je vais essayer de répondre séparément à vos questions concernant les graphiques ainsi que l’agriculture et les forêts.

Les bulles représentées sur les graphiques nécessitent la collecte de données par secteur et sous-secteur sur les émissions, la production, les exportations et les importations. Il est nécessaire de recueillir de nombreux points de données. Dans beaucoup de cas, les données de Statistique Canada sont confidentielles. Cela représente un obstacle. C’est en fait l’obstacle le plus important parce que certains des sous-secteurs provinciaux ne se composent que d’une seule entreprise. Il est difficile pour Statistique Canada de publier ces données sans manquer à ses obligations de confidentialité. Les données existent, du moins dans une certaine mesure, mais il est très difficile de les rendre publiques.

Il était intéressant de voir les provinces se débattre avec ce problème de données pendant qu’elles concevaient leurs politiques de tarification du carbone. Encore une fois, je vais me servir de l’Alberta comme exemple. L’Alberta élabore un système hybride comprenant un prix pour le carbone et des allocations fondées sur la production, qui servent à contrer le problème de la compétitivité. Pour déterminer la portée et la taille de ces allocations ainsi que les secteurs bénéficiaires, il faut disposer d’énormément de données, ce qui a posé des problèmes pratiques, je crois. Cela signifie que le processus d’élaboration des politiques comprend une part de subjectivité, à part les aspects scientifiques, mais il est nécessaire dans une certaine mesure de passer par là.

La question de l’agriculture et des forêts est un peu différente. Nous disposons d’assez bonnes données — ou, du moins, de données qui ne sont pas mauvaises — à l’échelle de l’économie. Nous avons des rapports nationaux d’inventaire que nous présentons aux fins de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Ces rapports montrent nos émissions totales et comprennent des choses telles que les émissions engendrées sans combustion et les sources des puits, qui sont plutôt difficiles à quantifier. Les chiffres présentés sont des estimations. Ce ne sont pas des mesures à proprement parler, et cela est vrai dans le cas des autres émissions de l’économie sauf que, dans ce dernier cas, les estimations sont de meilleure qualité. Elles sont meilleures tout simplement parce que nous connaissons avec précision la quantité de carbone dégagée par la combustion d’un litre d’essence ou d’un mètre cube de gaz naturel. Les estimations sont plus faciles à faire dans ces cas.

Lors de la conception de la politique, nous faisons de notre mieux pour quantifier les émissions de méthane provenant d’un élevage donné de bovins. C’est une chose qui est inévitablement difficile à chiffrer.

On trouve un autre exemple dans le secteur d’amont du pétrole et du gaz: il y a des émissions fugaces dues à des fuites de méthane dans l’équipement et les canalisations. Encore une fois, elles ne sont pas attribuables à un processus de combustion. Ce sont simplement des fuites qu’il est difficile de mesurer pour les mêmes raisons. Nous commençons à voir des améliorations avec l’apparition de nouvelles technologies comme l’observation aux infrarouges, qui permet de regarder ces émissions et d’essayer de les quantifier. Il y a donc des possibilités, mais elles en sont encore aux tout premiers stades.

[Français]

Le président : Merci. Avant de passer la parole au sénateur Mercer, j’aurais une question à vous poser au sujet d’un aspect qui m’a intrigué dans votre présentation, et qui fait suite à une question du sénateur Dagenais. C’est à propos de la redistribution des revenus de la taxe sur le carbone. Qu’est-ce qu’on en fera? On a toujours compris dans l’ensemble que les revenus de la taxe sur le carbone seraient distribués et consacrés en majorité à la recherche, que ce soit dans le domaine maritime, des transports, de l’automobile, de l’agriculture ou des forêts. Vous avez indiqué que l’on pourrait redonner de l’argent aux familles, bref, à un peu tout le monde. Or, ce que vous dites, c’est exactement l’erreur qu’a faite l’Europe. Vous savez que la taxe sur le carbone en Europe a été recueillie par les Européens et redistribuée dans les 27 pays. Personne ne peut rendre compte de l’argent, c’est-à-dire indiquer ce qui a été fait avec l’argent. Est-ce qu’ils font des routes et des écoles, prodiguent des soins médicaux ou bâtissent des édifices? Personne ne peut le dire. Au Canada, si on veut atteindre les objectifs de l’Accord de Paris un jour, il faudra changer de pari ou changer les méthodes. Il est très important de bien indiquer — et vous êtes les personnes les mieux préparées à cela — là où doit être réinvesti l’argent issu de la taxe sur le carbone.

[Traduction]

M. Beugin : C’est une très bonne question. Nous avons produit tout un rapport là-dessus, afin d’explorer la redistribution des recettes et de cerner les choix possibles. Pour une fois, les membres de la commission ne se sont pas entendus sur une recommandation unique. Ils n’ont pas réussi à énoncer le meilleur moyen de recycler les recettes de la tarification du carbone. Nous n’avons pas une seule réponse à la question. Nous en avons plusieurs qui impliquent des compromis assez complexes.

Si on utilise le revenu pour envoyer des chèques aux ménages et aux familles, on obtient de très bons résultats du point de vue de l’équité. On veille à ce que les ménages à faible revenu ne soient pas touchés d’une façon disproportionnée par le prix du carbone.

[Français]

Le président : Je vais vous arrêter une seconde. Je vais vous donner un exemple bien concret. Vous allez à l’épicerie, n’importe laquelle, et vous apportez vos sacs, car ils ont retiré les sacs en plastique et en papier. Avez-vous regardé la longueur de la facture qu’ils vous remettent? Il a fallu deux épinettes pour faire le papier de la facture! Ce n’est pas cela qu’il faut faire. Je pense que c’est une très mauvaise utilisation des ressources naturelles, et que c’est un gaspillage. Je n’ai vu personne, au Québec ou ailleurs au Canada, dénoncer le fait que les factures de magasin sont trop longues. Il n’y a presque plus de journaux écrits, ce sont les dévoreurs de la forêt. Ce sont eux les responsables, et ils devraient être taxés. Aujourd’hui, tout est électronique, le montant à payer apparaît sur un écran. Ensuite, c’est indiqué : payé. Salut, bonjour! On n’a pas besoin d’abattre une épinette pour pouvoir partir avec son paquet sous le bras.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Je rappelle aux collègues qu’il nous arrive, autour de cette table, de négliger les effets de l’agriculture, et particulièrement des bovins et du bétail, sur les gaz à effet de serre. Je voudrais notamment rappeler la situation en Nouvelle-Zélande où le bétail constitue la première source de gaz à effet de serre. C’est le cas à cause de la façon dont le secteur de l’élevage est structuré.

Vous avez dit dans votre exposé une chose sur laquelle je dois revenir comme Canadien de l’Atlantique qui vit près de l’océan. Vous avez dit qu’on peut contribuer à la réduction des gaz à effet de serre provenant du bétail en ajoutant des algues à son alimentation. Nous avons des algues en abondance. Je suppose qu’il faut les traiter d’une façon ou d’une autre avant de les donner à manger aux bêtes. Je crois de plus que ces algues nous dispenseraient de donner du sel au bétail parce qu’elles en contiennent une bonne quantité.

M. Beugin : Je dois admettre que je ne connais pas les détails. La documentation et les articles que j’ai lus parlent de la possibilité de réduire sensiblement les émissions de méthane du bétail en ajoutant des algues à leur alimentation. Je ne connais cependant pas les détails. Je ne peux donc pas vous affirmer avec certitude que ce moyen est efficace.

Je vous avoue mon ignorance à ce sujet, bien qu’il paraisse intéressant.

Le sénateur Mercer : Il y a au moins une entreprise en Nouvelle-Écosse qui ramasse des algues et les traite pour en faire de l’engrais. L’entreprise fait de très bonnes affaires.

M. Beugin : Très intéressant.

Le sénateur Mercer : J’aimerais demander à nos analystes d’examiner cette question des algues et d’essayer de trouver un témoin pouvant nous donner des détails à ce sujet.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Beugin.

[Français]

Vous avez pu constater l’intérêt des sénateurs pour ce dossier. C’est un domaine très important pour nous, et votre témoignage apporte certainement une contribution importante à nos travaux. Nous vous en remercions. Je vous invite à vérifier mes dires et à aller au dépanneur du coin pour y acheter une pinte de lait. La facture sera plus longue que la bouteille de lait, et le tout coûtera moins de 3 $. Merci beaucoup.

Pour la deuxième période de questions, nous accueillons des invités par vidéoconférence : de l’Université de Bruxelles, en Belgique, Emile Frison, et de Londres, Bernard Soubry, candidat au doctorat en géographie et en environnement de l’Institut du changement environnemental de l’Université d’Oxford.

Ce sera M. Frison qui commencera. Je vous rappelle que, plus l’introduction sera courte, plus les sénateurs auront du temps pour vous poser des questions. Bienvenue à vous deux. Monsieur Frison, on vous écoute.

[Traduction]

Emile Frison, membre (ancien directeur général de Biodiversity International), Groupe d’experts internationaux sur les systèmes alimentaires durables : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité. Je voudrais dire tout d’abord que les effets du changement climatique sur l’agriculture et la production alimentaire seront importants — cela est bien établi — et, dans une certaine mesure, imprévisibles. Ils varieront beaucoup selon le lieu et l’environnement particulier et se répercuteront sur la productivité. Dans la plupart des cas, les hausses de température auront des effets négatifs sur la productivité.

Nous assisterons aussi à des changements des valeurs nutritives. Il est maintenant établi qu’avec la hausse de la concentration de l’air en dioxyde de carbone, la photosynthèse augmentera, produisant davantage de sucres et moins d’éléments nutritifs. Cela aura des incidences sur l’équilibre nutritionnel.

J’aimerais en outre attirer votre attention sur le fait qu’au-delà des hausses de température, qui se manifestent déjà et qui augmenteront à l’avenir, il y aura un accroissement de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes. Nous en avons déjà été témoins cette année à beaucoup d’endroits.

Cette situation nous impose de repenser notre approche de l’agriculture et de sa résilience. Dans le passé, la question de la résilience n’a pas beaucoup retenu l’attention dans le secteur agricole, mais, avec l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, nous pouvons nous attendre à des répercussions plus importantes sur l’agriculture.

Je suis le principal auteur du Groupe d’experts internationaux sur les systèmes alimentaires durables. Nous avons produit un rapport intitulé From Uniformity to Diversity: A paradigm shift from industrial agriculture to diversified agroecological systems, dans lequel nous avons non seulement analysé les effets des changements climatiques, mais aussi examiné de quelle façon notre système alimentaire, et particulièrement notre système de production d’aliments, devra changer pour mieux résister aux changements climatiques, d’une part, et pour fournir une nutrition de qualité, de l’autre. Cela nous a amenés à envisager de créer un nouveau paradigme qui tiendra compte non seulement des résultats économiques de l’agriculture, qui sont évidemment essentiels, mais aussi des incidences sur l’environnement, de la résilience face aux changements climatiques, de la qualité de la nutrition et aussi de l’équité sociale envers les agriculteurs.

Comme vous le savez sans doute, les agriculteurs de la quasi-totalité des pays du monde, et surtout les propriétaires de petites exploitations familiales, comptent parmi les membres les plus pauvres de la société. Nous devons vraiment envisager une évolution de notre système agricole et de notre système alimentaire qui assure une plus grande équité.

Il est possible d’obtenir ce résultat en recourant à deux éléments. Le premier est la diversification de notre système de production. L’existence de grandes zones de monoculture rend le système très vulnérable à des accidents. Une vague de chaleur, une inondation ou une période de sécheresse survenant au mauvais moment peuvent avoir des effets dévastateurs, faisant courir le risque de tout perdre. La diversification minimise ce risque.

Nous pouvons aussi constater de nombreuses limites imposées par le modèle actuel qui repose entièrement sur des engrais et des pesticides synthétiques ayant des effets sur la santé et la fertilité du sol. Nous préconisons donc des pratiques agroécologiques basées sur la compréhension du fonctionnement de la nature et sur les moyens de laisser les micro-organismes du sol jouer leur rôle pour fournir des éléments nutritifs aux plantes.

En adoptant une nouvelle conception de l’agriculture basée, d’une part, sur la diversification et, de l’autre, sur l’application des lois de la nature, si je peux m’exprimer ainsi, nous pouvons en arriver à une agriculture économiquement productive qui, de surcroît, peut séquestrer du carbone dans le sol. On a démontré qu’une agriculture diversifiée fondée sur l’agroécologie stockera du carbone dans le sol, ce qui présente un énorme potentiel d’atténuation tout en constituant un moyen d’adaptation aux changements climatiques parce qu’elle apporte la résilience qui accompagne la diversité.

Grâce à cette approche différente, nous pouvons faire du même coup de l’atténuation et de l’adaptation. De plus, cette approche assure une nutrition de qualité.

Nous savons qu’au Canada, comme dans beaucoup d’autres pays, les consommateurs s’intéressent de plus en plus à la qualité des aliments. Le marché des aliments biologiques connaît une croissance rapide. Il serait possible, grâce à la diversification, de produire une plus grande part de ce dont le Canada a besoin. Je crois que l’adoption de cette approche permettrait d’atteindre simultanément de multiples objectifs.

Monsieur le président, je vais en rester là.

[Français]

Je serai très heureux de répondre à toutes les questions que vous pourrez avoir, que ce soit en anglais ou en français.

Le président : Merci infiniment, monsieur Frison. Nous passons maintenant de Bruxelles à Londres. Monsieur Soubry, à vous la parole.

Bernard Soubry, candidat au doctorat en géographie et en environnement, Institut du changement environnemental, Université d’Oxford, à titre personnel : Merci, honorables sénatrices et sénateurs, de m’avoir invité et d’avoir accepté que je fasse ma présentation par vidéoconférence. Merci, monsieur Frison, de m’avoir volé toutes mes idées. Je tâcherai de faire quelque chose d’original.

Je m’appelle Bernard Soubry et je suis candidat au doctorat en géographie et environnement à l’Institut du changement environnemental de l’Université d’Oxford, où je travaille en particulier sur les changements climatiques et les systèmes alimentaires de l’Est du Canada.

Avant de venir à Oxford, j’ai travaillé avec le Dr Ian Mauro, qui est maintenant à Winnipeg, dans le cadre du projet multidisciplinaire Climate Change in Atlantic Canada, et pendant plusieurs années, j’ai été apprenti maraîcher et gérant de ferme sur des fermes à petite échelle en Nouvelle-Écosse, dans le comté de Hants.

[Traduction]

À l’Institut du changement environnemental, mes travaux font partie du pôle de l’alimentation. Je me concentre plus particulièrement sur la cartographie des répercussions des changements climatiques sur la production alimentaire dans la région des Maritimes et sur la création d’une capacité de résilience et d’adaptation dans le système alimentaire.

Ma recherche de maîtrise — qui est maintenant ma recherche de doctorat — portait sur les répercussions des changements climatiques sur les petits producteurs de légumes variés en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard ainsi que sur les stratégies d’adaptation que déploient les agriculteurs et d’autres organismes de gouvernance, notamment le gouvernement fédéral et les provinces. À ma connaissance, c’est la seule recherche de cette nature portant sur les Maritimes.

Mes travaux montrent que le système alimentaire des Maritimes est très vulnérable aux changements climatiques et qu’en dépit des mesures prises pour renforcer la résilience et l’adaptabilité aux changements dans les secteurs agricole et agroalimentaire, les efforts déployés sont minés par le manque de compréhension et de communication entre les agriculteurs et les organismes de gouvernance.

[Français]

Pour commencer, dans mes recherches initiales, je n’ai trouvé aucun document provincial qui analyse les risques des impacts des changements climatiques sur l’agriculture et le système alimentaire de la région maritime. Tous les documents publics sur les changements climatiques et l’agriculture que j’ai consultés au niveau provincial suggèrent une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole, mais ne mentionnent rien à propos de l’impact sur la production.

Au niveau fédéral, à ce que je sache, il n’existe aucun document qui fait état de l’impact des changements climatiques sur le secteur alimentaire. La politique nationale sur l’alimentation, qui fait partie du mandat du ministre de l’Agriculture, ne tient pas compte, sauf erreur de ma part, des impacts des changements climatiques.

[Traduction]

J’ai remis au greffier des documents de travail, mais je ne sais pas si vous les avez. Quoi qu’il en soit, ils traitent de ces questions en détail. Je vous parlerai maintenant des principales conclusions de ma recherche. Celle-ci se basait sur sept mois d’entrevues avec de petits agriculteurs de tous les coins des Maritimes, de Bathurst au nord à la rive sud de la Nouvelle-Écosse. Je vais parler d’abord des effets des changements climatiques, puis de l’adaptation.

En premier lieu, les agriculteurs à qui j’ai parlé ont dit que les changements de température ont des répercussions négatives sur la production agricole. Ils décalent la saison de production des légumes vers des printemps plus humides et des automnes plus tardifs, ce qui peut réduire, dans l’ensemble, la durée de la saison. Les agriculteurs ont signalé des gelées meurtrières de plus en plus tardives en automne ainsi que des printemps plus humides. Cela tend à repousser lentement la récolte vers l’automne. Les agriculteurs s’inquiètent particulièrement de cette situation parce que la croissance des cultures légumières dépend autant de la température que de la lumière. Si la température monte et que la saison de production se déplace vers l’automne, la lumière moindre annule tous les avantages de la hausse de la température.

Deuxièmement, les agriculteurs ont constaté une augmentation des conditions météorologiques imprévisibles et exceptionnelles, qui peuvent endommager les infrastructures agricoles et entraîner la perte de cultures. Les périodes venteuses sont plus fréquentes dans la région, ce qui stresse les cultures et les assèche, et peut endommager l’infrastructure des serres ordinaires et à arceaux. Les agriculteurs ont également constaté une évolution du schéma des précipitations vers des cycles comprenant de plus longues périodes de sécheresse suivies d’importantes pluies, qui imposent un énorme stress aux cultures en l’absence de systèmes d’irrigation.

Enfin, les agriculteurs sont de plus en plus inquiets des répercussions possibles sur l’infrastructure des transports. Nos modèles indiquent que le niveau de la mer dans la région montera probablement de 0,4 mètre au cours des 20 à 30 prochaines années. C’est une grande préoccupation pour les producteurs et les distributeurs qui, par exemple, doivent traverser l’isthme de Chignecto, qui est le principal corridor entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Il y a dans ce secteur 34 kilomètres de digues qui, selon la modélisation, peuvent être facilement inondées par une vague de tempête. Cela signifie, si la vague est plus haute que les digues, que les routes seraient inondées et que les véhicules chargés de produits alimentaires ou d’autres produits ne pourraient pas passer tant que le niveau de l’eau n’aurait pas baissé.

Cela dit, je dois signaler que les agriculteurs ont constaté ces effets indépendamment des prévisions et des projections qui se trouvent dans la documentation. L’une des principales constatations découlant de la recherche est que les connaissances locales corroborent beaucoup de nos projections. Par conséquent, il sera essentiel de rester à l’écoute des sources locales à l’avenir pour trouver des moyens de réagir aux effets des changements climatiques sur les systèmes alimentaires des Maritimes.

L’autre partie de la recherche dont je veux vous parler concerne les stratégies d’adaptation. Nous avons constaté que, dans les petites fermes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, les agriculteurs conçoivent déjà des stratégies d’adaptation aux effets qu’ils perçoivent.

Pour les agriculteurs des Maritimes, la résilience aux changements climatiques est dictée par la résilience financière. S’adapter aux changements climatiques signifie donc gagner suffisamment d’argent, ou être en mesure de trouver des fonds pour construire, par exemple, une serre qui permettra de prolonger la saison ou pour installer les systèmes d’irrigation nécessaires.

Toutefois, les programmes provinciaux s’adressent presque exclusivement aux grands producteurs. Les petits agriculteurs affirment qu’ils ne reçoivent pas une information adéquate pour les orienter dans le processus de demande et qu’ils préfèrent souvent ne pas présenter une demande plutôt que de perdre du temps de travail pour faire les démarches nécessaires. Ils ajoutent que beaucoup des programmes sont annoncés à des moments qui ne leur conviennent pas du tout et que les programmes fondés sur le remboursement des dépenses leur causent beaucoup de frustration parce qu’ils n’ont en général que peu de liquidités au départ. Bon nombre des agriculteurs que j’ai interrogés ont dit qu’ils avaient des plans d’adaptation détaillés conçus pour leur propre exploitation, mais qu’ils ne se fiaient pas suffisamment aux organismes de gouvernance qui pourraient concrétiser ces plans. Mon analyse, qui figure dans les documents de travail, fait valoir que pour faire avancer la planification de l’adaptation du système alimentaire de l’Est du Canada, ou même de tout le pays, une communication plus ouverte et plus claire sera nécessaire entre les agriculteurs et les organismes qui sont censés les appuyer.

Les documents de planification que j’ai lus tendent à privilégier une norme d’adaptation au changement climatique fondée sur la gestion des risques: il s’agit de déterminer les répercussions possibles, puis de s’y attaquer directement pour en atténuer les effets. Toutefois, cette approche ne peut nous protéger que contre les problèmes que nous connaissons, mais les changements climatiques, comme l’a dit M. Frison, déclencheront beaucoup de problèmes que nous ne connaissons pas. Une autre approche, que préconisent les chercheurs et les spécialistes de l’adaptation, consiste à concentrer plutôt les efforts sur la création d’une capacité d’adaptation, c’est-à-dire sur la détermination, dans une structure telle que le système alimentaire des Maritimes, des facteurs ou des déterminants, qui permet aux intervenants de réagir avec rapidité et créativité afin de renforcer et de soutenir les différents éléments du système. La création d’une telle capacité d’adaptation favorisant un système alimentaire plus durable et plus résilient exige de la communication à tous les échelons et doit commencer par les intervenants du secteur.

[Français]

En conclusion, les changements climatiques projetés par les modèles scientifiques se font déjà ressentir par les agriculteurs et touchent déjà de manière négative le système alimentaire des Maritimes. Malgré les efforts d’adaptation qui prennent place sur les fermes individuelles, ma recherche démontre que le manque de rapport entre les fermiers et les organismes gouvernementaux empêche la mise en place d’une stratégie d’adaptation véritablement efficace. Somme toute, une stratégie d’adaptation pour le système alimentaire des Maritimes est nécessaire, mais ne fonctionnera vraiment que si elle est créée en collaboration avec les producteurs qui seront touchés.

[Traduction]

Les répercussions des changements climatiques sur le système alimentaire commencent à peine à se manifester. À titre de spécialiste, je dirai, surtout si les efforts nationaux et internationaux visant à atténuer les émissions suivent les tendances actuelles, que, si aucune politique complète d’adaptation n’est élaborée, le système alimentaire de l’Est du Canada sera extrêmement vulnérable au cours des prochaines décennies, ce qui pourrait compromettre la sécurité alimentaire. Bâtir un système alimentaire vraiment résilient et adapté exigera la collaboration de toutes les parties, des agriculteurs jusqu’au gouvernement fédéral.

Je serai très heureux de discuter de tout cela avec vous. Il y a beaucoup d’autres points à examiner. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé ce matin. Je serais enchanté de vous aider de mon mieux.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Soubry, de votre présentation. J’aurais juste un petit commentaire à faire : le Canada est un très grand territoire. Le Québec a été le premier à participer à la bourse du carbone avec l’État de la Californie, aux États-Unis. L’Ontario a suivi. Les provinces centrales sont en train d’élaborer un système. La Colombie-Britannique y a déjà adhéré. Dans les Maritimes, ça s’en vient.

Il est évident qu’un pays aussi grand que l’Europe ne peut pas tout faire dans la même journée. Voilà pourquoi l’essentiel de notre étude porte sur l’impact du carbone sur l’agriculture. C’est notre mandat. Ce que M. Frison a dit, c’est bien ce que nous sommes en train de faire. Alors, nous avons besoin de votre expertise, de vos expériences et de vos conclusions.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Je vous remercie de vos exposés. Vous avez dit, je crois, qu’il n’existe aucune documentation fédérale traitant des répercussions des changements climatiques sur le secteur alimentaire.

M. Soubry : Je n’ai rien pu trouver.

Le sénateur Doyle : Les politiques nationales sur les produits alimentaires ne mentionnent même pas la question. De toute évidence, elle constitue une très importante partie du tableau d’ensemble.

Pourquoi, à votre avis, le gouvernement fédéral n’a produit, dans ce très important secteur, aucune documentation sur les incidences des changements climatiques? Si vous n’avez pas examiné ce domaine, je crois qu’il vaudrait vraiment la peine de le faire. Vous pourriez peut-être en discuter avec des représentants du gouvernement fédéral parce que cette situation me surprend vraiment.

Nous parlons de cette question depuis longtemps. Nous sommes très heureux que vous l’ayez signalé. Vous pourriez peut-être en parler à l’avenir au gouvernement fédéral pour que le sujet soit examiné adéquatement. Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Soubry : Je vous assure, sénateur, que j’ai essayé. J’ai parlé de documents accessibles au public. Je ne tiens pas à critiquer le gouvernement s’il n’y a pas lieu de le faire parce que certaines questions n’ont pas été examinées.

Il y a une chose que j’ai constatée en examinant la documentation: il faut faire la distinction entre les effets sur l’agriculture et les effets sur le système alimentaire. Le système alimentaire tient compte de la production agricole, mais aussi d’autres types de production et de distribution, ainsi que de la transformation, des infrastructures, de la consommation et des déchets. C’est un sujet énorme et complexe, mais, comme vous l’avez mentionné, il est très important de s’en occuper. Il y a beaucoup d’inertie, les gens ayant tendance à examiner les effets sur l’agriculture sans trop se soucier d’une étude plus générale des effets sur le système alimentaire. Les deux revêtent une importance égale.

Le sénateur Doyle : Vous pouvez peut-être nous parler des stratégies d’adaptation auxquelles recourent les agriculteurs des Maritimes. Permettez-moi de noter en outre une chose que je considère comme une omission. L’agriculture prend de plus en plus d’importance à Terre-Neuve-et-Labrador. Il serait avantageux pour notre province qu’elle soit comprise dans votre recherche parce que vous avez parlé des changements climatiques dans le Canada atlantique. Je suis un peu déçu du fait que nous semblons être oubliés dans ces études. Peut-être est-ce à cause des 90 milles qui nous séparent de la Nouvelle-Écosse. Mais pourquoi faire des recherches au Nouveau-Brunswick si elles peuvent être faites en Nouvelle-Écosse? Ou pourquoi en faire dans l’Île-du-Prince-Édouard s’il y en a au Nouveau-Brunswick? Pourquoi ne pas inclure Terre-Neuve aussi?

Il se trouve que nous sommes une province du pays. J’ai aussi eu une petite discussion à ce sujet la semaine dernière. Il est de plus en plus important pour moi que Terre-Neuve soit intégrée dans toute recherche en cours, car, même si notre secteur agricole n’est pas très grand, il revêt une importance croissante pour nous.

M. Soubry : Je prends note de votre critique, sénateur. Je tiens à préciser d’abord que lorsque j’ai parlé de changements climatiques dans le Canada atlantique, je pensais à un projet multimédia réalisé à l’Université Mount Allison en 2012 et 2013, qui ne constituait pas la base de ma recherche. Il s’agissait d’une étude climatique distincte. Cette étude a couvert Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai fait plusieurs entrevues dans la province.

Je conviens avec vous que c’est très important. Pour ce qui est de la recherche que je présente, j’ai été limité par ma capacité de faire du travail sur le terrain dans le cadre de ma maîtrise ainsi que par le fait que la camionnette que j’avais empruntée n’était pas amphibie. Je dois ajouter aussi que mon budget d’essence était assez limité. Voilà pourquoi je n’ai pas couvert Terre-Neuve.

Le sénateur Doyle : Le gouvernement fédéral pourrait peut-être vous aider à cet égard.

M. Soubry : Sénateur, je vais certainement penser à investir dans l’aquaplanage. Oui, je pense que la question est extrêmement importante et mérite d’être étudiée. Je suis en contact avec de nombreuses organisations du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi qu’avec des organismes de sécurité alimentaire ayant des liens avec des réseaux de Terre-Neuve-et-Labrador.

Si vous souhaitez faire un suivi à ce sujet, je serais très heureux de vous faire profiter de mes contacts parce qu’il existe un réseau très fort dans l’Atlantique, même si ma recherche n’est pas allée jusqu’ici au-delà des Maritimes.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bienvenue. Votre présence à distance est très appréciée, et je vous remercie de vos excellentes présentations.

Ma question s’adresse à M. Frison. Vous avez été très critique dans votre présentation des systèmes alimentaires industriels, qui enclenchent une série de cercles vicieux dont la structure a une influence néfaste sur la qualité de la nutrition et qui produisent des gaz à effet de serre assez importants, et cetera.

Vous avez aussi mentionné qu’il était important de se tourner vers des systèmes agroécologiques diversifiés. Dans votre présentation, vous avez aussi fait allusion à des mesures qui pourraient nous aider à graviter vers ces systèmes. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet : quelles sont ces mesures qui nous permettraient justement d’adopter des systèmes agroécologiques diversifiés?

M. Frison : Merci pour cette question. Tout d’abord, il faut dire qu’il n’y a pas de solution miracle simple à appliquer partout. C’est le principe même de l’agroécologie : il faut comprendre et travailler avec les conditions locales. Mais ce qui est universel, c’est une approche commune, que ce soit dans des régions où il y a de la petite agriculture familiale ou dans d’autres régions, comme dans les Prairies, où il y a une agriculture à beaucoup plus grande échelle concentrée sur quelques espèces. Il y a moyen d’appliquer des principes d’agroécologie, et les méthodologies et stratégies varieront selon les régions. Mais il y a quelques aspects en commun, notamment la diversification. Quelles sont les mesures concrètes qui pourraient être prises qui permettraient de déterminer, en étudiant les conditions locales, les stratégies qui seront les plus prometteuses? Il est indispensable que la recherche financée par le gouvernement canadien lui permette de s’orienter vers ces systèmes d’étude agroécologique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’un des freins importants que j’ai pu constater lors de mes visites au Canada aux mois de juin et septembre est le fait que la plupart des financements du gouvernement du Canada dans la recherche en agriculture sont conditionnés à un partenariat public-privé et que le secteur privé doit apporter 30 p. 100 des financements, si je me souviens bien. Cette obligation délimite déjà au départ le type de recherche qui pourra être entreprise. Le secteur privé s’intéresse surtout à deux ou trois grandes cultures principales et se base sur les technologies que le secteur privé a à offrir. Cela élimine donc une grande partie des domaines de recherche possibles, notamment en agroécologie. Au Canada, en 2015, 649 millions de dollars ont été investis dans la recherche agricole. Seul 1,7 million de ces 649 millions, c’est-à-dire moins de 0,25 p. 100, était orienté vers les systèmes agroécologiques ou d’agriculture biologique. C’est une correction qui doit être faite si l’on veut pouvoir se diriger vers une agriculture mieux adaptée et plus résiliente aux changements climatiques.

Il faudrait également mettre en place des mécanismes pour encourager de jeunes agriculteurs à participer à l’agriculture durable. Si l’on change les pratiques d’une agriculture, disons, de type industriel à hauts intrants synthétiques vers une agriculture agroécologique, il y aura une diminution du rendement pendant quelques années, jusqu’à ce qu’on reconstitue la fertilité du sol. Il faudrait donc mettre en place des mesures de soutien aux agriculteurs dans cette transition.

J’ai été ravi d’apprendre, lors de mon séjour au Québec en septembre, que la province de Québec a mis en place un soutien à l’agriculture biologique, qui est, je pense, l’agriculture la plus proche du système d’agroécologie diversifiée que notre rapport recommande. L’extension de ce type de mesures aux autres provinces et peut-être au niveau fédéral permettrait d’assurer une accélération de la transition.

Le rapport de IPES-Food dont je vous ai parlé a bien démontré qu’il y a suffisamment de données disponibles de différentes parties du monde prouvant que cette approche est non seulement économiquement compétitive, mais qu’elle donne des résultats en même temps au point de vue environnemental, nutritionnel, social et de la santé. Il est important de mettre en place non seulement les mesures que je viens de mentionner, mais également d’autres mesures prises en concertation avec les acteurs concernés, comme l’a dit M. Soubry. Il est important que les agriculteurs et les producteurs soient impliqués dans des discussions pour qu’on puisse répondre à leurs besoins, et pas seulement apporter des solutions technologiques qui sont ou ne sont pas appropriées pour répondre à ces besoins.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. J’ai deux questions à vous poser. Premièrement, d’après certains chercheurs, le changement climatique est un phénomène naturel, mais des changements d’origine humaine sont observés depuis un certain temps maintenant. Comme par le passé, nous avons de grandes sécheresses en Inde, en Chine, en Afrique. Que pensez-vous de cet énoncé?

M. Frison : Il est bien établi maintenant que les changements climatiques d’origine anthropique ont coïncidé avec un accroissement de plus en plus marqué de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, accroissement qui a accéléré le processus de changement climatique. Sur un graphique, on voit une augmentation régulière pendant une longue période, qui est tout à coup suivie d’une hausse très rapide correspondant à l’industrialisation et à l’augmentation rapide de la population de la planète. Je crois que c’est un fait bien établi.

Je sais qu’il y a encore des gens — quoique très peu nombreux — qui ne reconnaissent pas cette situation, mais je dirais que celle-ci s’appuie sur des bases scientifiques très solides.

M. Soubry : Je m’associe à tout ce que vient de dire M. Frison. La réalité scientifique du changement climatique est aujourd’hui indéniable. Les activités humaines sont responsables de beaucoup des phénomènes météorologiques extrêmes que nous avons connus ces dernières années ou les ont favorisés. Compte tenu des données ou des statistiques, toute autre affirmation serait erronée.

Le sénateur Oh : Ma seconde question concerne la diversité des récoltes. Que pensez-vous de la nouvelle diversité qui pourrait créer de la résilience à l’avenir face aux changements climatiques?

M. Soubry : Quelle est votre définition de la diversité des récoltes, sénateur?

Le sénateur Oh : Je parle des nouvelles espèces.

M. Frison : Les nouveaux semis.

Le sénateur Oh : Oui, les nouveaux types de récoltes spécialement créés pour résister aux changements climatiques.

M. Frison : Je vais essayer de répondre à cette question. Tout d’abord, nous devons vraiment diversifier les espèces cultivées pour qu’elles manifestent la résilience, dont nos systèmes de production ont besoin. Certains préconisent de favoriser les espèces qui résistent à la sécheresse, mais cela n’entraînerait qu’une diminution marginale des risques de perte. Nous ne pourrons jamais maintenir l’approche des monocultures. Même si nous augmentons, par exemple, la résistance à la sécheresse, nous ne pourrons jamais éliminer le risque. La stratégie à adopter est donc celle de la diversification, qui peut être mise en œuvre dans tous les types d’agriculture. Bien sûr, les façons particulières de le faire peuvent être très différentes selon qu’on a une petite exploitation horticole où on fait pousser 25 ou 30 légumes différents ou une grande superficie de production céréalière. Toutefois, même dans ce cas, la réintroduction de systèmes agroforestiers, par exemple, qui sont parfaitement compatibles avec la mécanisation à grande échelle, a montré, notamment dans le Sud de la France, qu’on peut beaucoup réaliser non seulement au niveau de la résilience, mais aussi de la rentabilité économique.

M. Soubry : J’ajouterai qu’il y a beaucoup à dire au sujet des récoltes obtenues dans des microclimats particuliers. L’une des grandes difficultés que nous avons dans l’Est du Canada pour modéliser les changements climatiques est que la topographie change tellement qu’il est très difficile d’établir une variété.

Je ne sais pas si vous connaissez le domaine de la sélection des semences. Dans la plupart des cas, lorsqu’une semence hybride est utilisée à une fin donnée, elle est produite à un endroit particulier. Le choix de l’endroit favorise une certaine vivacité dans la semence, mais ne lui permet pas de réagir à des microclimats spécifiques.

Dans l’Est du Canada, avec la diversification, les gens choisissent des semences de légumes qui conviennent à leur région. Comme le climat évolue, nous constatons dans le cas des tomates, par exemple, des attaques de mildiou depuis les années 1980 ou 1990. Aujourd’hui, on peut trouver des semences de tomates produites dans la région qui résistent au mildiou et qui peuvent être utilisées dans les petites exploitations à un prix abordable.

Une petite mise en garde au sujet des semences génétiquement modifiées. Ces semences causent de nombreuses difficultés dans le contexte du droit international de l’environnement, non à cause de leur rendement, mais pour des raisons liées à la propriété intellectuelle. C’est un domaine semé d’embûches.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai deux questions à poser à M. Frison. Tout d’abord, vous avez parlé de l’équité qui est difficile à atteindre pour les agriculteurs qui sont, entre autres, sollicités par des programmes gouvernementaux de lutte aux émissions de gaz à effet de serre. Pourriez-vous donner des exemples d’actions qui ont été mises de l’avant en Europe pour aider les agriculteurs et les indemniser lorsqu’ils investissent dans la lutte contre les changements climatiques?

M. Frison : S’il y a des exemples de politiques mises en place en Europe?

Le sénateur Dagenais : Pour compenser les investissements que les agriculteurs doivent faire dans le cadre de la lutte aux changements climatiques. Est-ce qu’il y a des programmes qui existent en Europe pour aider les agriculteurs?

M. Frison : Il y a un certain nombre de mesures qui sont compatibles et qui font partie de la politique agricole commune, mais elles sont laissées à la discrétion des pays. Je crois que c’est à peu près 30 p. 100 de l’ensemble des investissements dans la politique agricole commune qui peut être orienté, entre autres, vers des actions d’adaptation aux changements climatiques et, surtout, à des approches de diversification, de réduction, d’utilisation de pesticides, de soutien à l’agriculture biologique, et cetera. Mais cela varie assez d’un pays à l’autre, et l’on sait que, pour l’ensemble de l’Europe, il y a encore trop peu de ces fonds qui sont utilisés en faveur de ces approches. Donc, c’est l’une des actions pour lesquelles le groupe dont je suis membre est en train d’organiser des réunions et de développer des arguments en faveur d’une politique alimentaire européenne qui, non seulement, prend mieux en compte les besoins de productivité et de compétitivité de l’agriculture au point de vue économique, mais qui prend en compte en même temps des aspects liés aux émissions de gaz à effet de serre, de même que la qualité de la nutrition. C’est une évolution qui, malheureusement, est encore trop lente. J’espère que dans les prises de conscience — que l’on remarque dans différents pays depuis deux ans et, surtout, au cours de la dernière année — on commencera à se rendre compte qu’il est urgent de bouger rapidement dans ce sens.

Le sénateur Dagenais : Maintenant, si l’on veut parler des répercussions économiques sur les consommateurs, en quoi l’étiquetage alimentaire peut-il aider à éveiller la conscience des consommateurs? Auriez-vous des exemples du genre de mesures qui sont prises à ce chapitre en Europe? Croyez-vous aussi que les consommateurs seraient prêts à payer plus cher s’ils étaient informés des mesures prises par les différents pays d’Europe?

M. Frison : Je crois, tout d’abord, quand on voit l’augmentation constante et rapide des parts de marché de l’agriculture biologique, que cela témoigne d’une plus grande prise de conscience de la part des consommateurs. Il y a encore pas mal d’efforts à faire pour mieux encadrer l’ensemble de l’impact du type d’agriculture qui est pratiqué en ce qui a trait à la lisibilité sur les produits finaux. Les seules étiquettes qui sont les plus courantes, ce sont l’étiquette de l’agriculture biologique et l’étiquette du commerce équitable qui tiennent davantage compte des aspects liés à l’équité sociale. De ce point de vue, il y a encore du chemin à faire.

Il ne faut pas mettre toute la responsabilité sur les consommateurs. Ils ont certainement un rôle très important à jouer, mais certains coûts du système de production agricole — que l’on connaît aujourd’hui — sur l’environnement et sur la santé peuvent être évités à l’aide d’une agriculture plus durable. Le type d’agriculture préconisé est une agriculture diversifiée et écologique qui permettrait de faire des économies en ce qui a trait à la santé et à l’environnement et, par exemple, à la purification de l’eau. D’un côté, il faut qu’il y ait une politique agricole et alimentaire qui aille dans le sens d’une agriculture plus durable et respectueuse de l’environnement et de la santé. D’un autre côté, il faut qu’il y ait une conscientisation des consommateurs pour attirer leur attention sur les aspects négatifs et positifs de leur système alimentaire.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

Le président : Maintenant, du Québec, la sénatrice Petitclerc.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup tous les deux pour vos présentations passionnantes. Monsieur Frison, vous nous avez dressé le portrait de quelque chose qui implique des changements fondamentaux et une approche qui remet en question toute notre relation avec l’agriculture, avec la chaîne alimentaire et, bien sûr, avec l’environnement. En fait, votre présentation me rappelait un livre que j’ai lu il y a très longtemps, de Frances Moore Lappé, qui s’intitulait Un régime alimentaire pour une petite planète. C’était en 1971, et déjà il y avait cette idée qui n’a pas encore été mise en pratique. J’aimerais savoir ce que vous répondez aux gens qui vous disent que c’est bien beau tout cela, et que ça marche peut-être à petite échelle, mais qu’à grande échelle, ce n’est pas nécessairement réaliste. En fait, j’aimerais savoir, d’une part, ce que vous répondez à cela, mais aussi si on a des experts qui, au contraire, sont capables de faire des modèles, des projections et de dire que oui, c’est réaliste, d’une façon qui soit plus scientifique que ne le sont nos convictions personnelles.

M. Frison : Merci pour cette question. Je suis très content que vous l’ayez posée, parce que c’est en effet quelque chose qui est trop souvent encore mis sur la table comme argument pour maintenir le système de production agricole que l’on connaît à l’heure actuelle. Dans le rapport que nous avons produit, nous avons documenté de façon assez claire l’argument selon lequel on ne pourra pas nourrir la planète avec le moyen alternatif de production qu’est l’agroécologie diversifiée. Je pense qu’on a suffisamment de données pour montrer que la production d’aliments en quantité suffisante est non seulement possible, mais se pratique déjà dans un grand nombre de petites régions. Cela n’est pas limité uniquement à des agriculteurs à petite échelle. C’est certainement là que cela a démarré et que le plus grand nombre d’expériences ont été menées. Cela a également été mis en place par des agriculteurs qui ont pratiqué une agriculture à plus grande échelle et qui ont fait cette conversion.

Malheureusement, même les moyens pour le documenter restent très limités. Je fais référence encore une fois aux chiffres de 2015 en matière de financement de la recherche agricole au Canada, où moins de 0,25 p. 100 étaient investis pour étudier l’agriculture alternative et écologique. Je pense que si des investissements de recherche plus importants étaient faits, on pourrait également documenter de façon beaucoup plus pertinente la possibilité de faire cette conversion. Il ne faut pas se cacher qu’il y a des intérêts très importants à maintenir le système actuel en place. Les gens qui vendent les intrants nécessaires à l’agriculture industrielle ont tout intérêt à continuer à transmettre ce message. Je peux vous dire personnellement qu’ils le font de façon très active afin de perpétrer cette idée qu’en 2050, nous aurons 9 milliards ou 10 milliards de personnes, et de dire de façon implicite qu’il faut mettre plus d’engrais, plus de pesticides, sinon on ne pourra pas les nourrir. Pourtant, il est bien démontré que ce n’est pas vrai et que d’autres solutions sont possibles.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Le président : Monsieur Frison, j’ai un point d’interrogation. Comment se fait-il qu’un petit pays comme la Belgique ne soit pas encore converti à 100 p. 100 aux produits biologiques? Je fais aussi référence au Luxembourg et à la France, qui ne sont pas de grands pays, même l’Angleterre, et qui ne se sont pas convertis à 100 p. 100. Cela devrait pourtant être facile. Ce sont de petites étendues agricoles. Lorsque vous parlez de grandes étendues agricoles en France, cela me fait sourire, parce que ce n’est pas la même dimension qu’au Canada. Comment se fait-il que vous n’ayez pas encore atteint une agriculture biologique à 100 p. 100?

M. Frison : Tout d’abord, je disais que les pourcentages augmentent rapidement. On parle de 6 à 10 p. 100 de croissance annuelle. La Belgique est un petit pays. Je n’y habite pas, j’habite en Italie. Je suis de passage à Bruxelles. Bien qu’originaire de Belgique, j’ai quitté mon pays depuis longtemps. La pression sur les agriculteurs est grande, et les groupes de pression qui poussent pour maintenir le système industriel en place sont aussi forts, sinon plus forts en Belgique qu’ils le sont ailleurs, à cause de la présence de la Commission européenne, qui est le centre de nombreux groupes de pression. Il faut dire qu’à l’heure actuelle, bon nombre d’agriculteurs se sentent prisonniers de leur système de production. Les semences, les engrais et les pesticides sont souvent vendus par les mêmes entreprises qui achètent le grain ou les produits finis et qui leur fournissent parfois le crédit. La plupart des agriculteurs sont fortement endettés. Ils sont dans un système dans lequel ils sont pris à la gorge.

C’est très difficile lorsqu’il n’y a pas de politique active et vigoureuse pour faire changer les choses. Malheureusement, les politiciens, qu’ils soient belges ou autres, n’ont pas encore pris suffisamment conscience de l’urgence de faire changer les choses. En France, au sein du gouvernement précédent, il y avait une politique très fortement en faveur de l’agroécologie. Le ministre de l’Agriculture, M. Le Foll, en avait fait son cheval de bataille durant son mandat. On a pu constater également que les groupes de pression qui voulaient maintenir le système en place ont rendu sa tâche très difficile en tant que ministre. Donc, je pense qu’il est évident que si on ne change pas, on ira vers des catastrophes. Il faut être conscient de l’impact des institutions et des entreprises qui ont un intérêt à garder le système actuel en place.

Le président : En Angleterre — on appelle cela les îles brumeuses du Canada —, lorsque la brume se lève, que voyez-vous en agriculture?

M. Soubry : Dans l’agriculture écologique en Angleterre, monsieur le président?

Le président : Oui.

M. Soubry : Je ne ferai pas de commentaire. J’ai étudié en Angleterre, mais je n’étudie pas l’Angleterre comme telle. J’étudie les régions maritimes du Canada.

Le président : D’accord.

M. Frison : Monsieur le président, si vous me le permettez, j’aimerais faire une autre petite remarque. En Europe et au Canada, on constate que les jeunes qui se lancent en agriculture sont, pour la plupart, des gens qui s’intéressent à une approche agricole durable par l’intermédiaire de l’agroécologie. Dans l’agriculture traditionnelle, conventionnelle ou industrielle, bon nombre de jeunes ne veulent pas reprendre l’exploitation de leurs parents, parce qu’ils sont conscients des problèmes de santé qui y sont liés, du manque de viabilité économique et du niveau d’endettement très important. Les principaux domaines où on voit une relève, c’est dans les systèmes agroécologiques, parce que ces systèmes exigent beaucoup d’innovation, de connaissances et de savoir-faire. Donc, il ne s’agit pas simplement de pratiquer une agriculture où le marchand des biens vient dicter quelles semences il faut planter, quels fertilisants ou pesticides il faut utiliser et à quel moment. Dans ce cas, les agriculteurs deviennent des ouvriers agricoles. Ils n’ont plus aucune initiative à prendre. Par opposition, l’agroécologie demande beaucoup de connaissances, et c’est donc une agriculture beaucoup plus attrayante pour les jeunes.

Le président : Messieurs Soubry et Frison, merci d’avoir été présents parmi nous aujourd’hui. Vos commentaires ont été très enrichissants pour notre comité. Vous avez pu constater l’intérêt des sénateurs. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans vos projets. Nous allons poursuivre nos travaux en matière de réduction des gaz à effet de serre dans le secteur de l’agriculture. J’espère que notre comité pourra proposer des recommandations qui seront utiles, même en Europe.

Merci infiniment.

(La séance est levée.)

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