Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 50 - Témoignages du 3 mai 2018
OTTAWA, le jeudi 3 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 2, pour étudier la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture, du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures et pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif.
La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Diane Griffin, je suis une sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard et je suis présidente du comité. Je demanderai au vice-président de se présenter, après quoi nous ferons un tour de table pour que les autres sénateurs se présentent.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bonjour, messieurs. Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Ontario.
La sénatrice Deacon : Marty Deacon, Ontario.
Le sénateur R. Black : Rob Black, Ontario.
[Français]
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Terry Mercer, Nouvelle-Écosse.
La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude de la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture, du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Notre premier groupe se compose de deux représentants de la Fédération canadienne de l’agriculture, Ron Bonnett, président, et Myles Frosst, conseiller.
Nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation à comparaître aujourd’hui. Nous vous demandons de nous présenter votre exposé, après quoi nous vous poserons quelques questions.
Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l’agriculture : C’est pour moi un plaisir de comparaître de nouveau devant le comité. J’ai déjà eu la chance de le faire plusieurs fois.
Je sais que nous sommes ici pour parler en particulier de la loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Cependant, nous ferons quelques observations plus larges, sur les effets de la tarification du carbone en général sur l’agriculture.
La Fédération canadienne de l’agriculture reconnaît que le changement climatique représente un défi mondial qui nécessite des mesures de la part des gouvernements, des entreprises, des collectivités et des particuliers.
Nous représentons presque 200 000 agriculteurs au Canada, ce qui fait de nous la plus grande organisation agricole canadienne et nous permet de recueillir très directement l’écho du milieu agricole, des organisations provinciales et des organisations sectorielles sur la tarification du carbone.
Nous avons bien examiné la loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, et elle se trouve à exclure le carbone se dégageant des combustibles agricoles, si bien qu’elle aidera les agriculteurs à rester de bons intendants de la terre, plutôt que de les en empêcher, et à contribuer à relever le défi du changement climatique tout en restant rentables et concurrentiels.
Nos membres sont les intendants de la terre. Ils souhaitent laisser des environnements agricoles les plus sains possible aux prochaines générations. Ce sont des gestionnaires efficaces des cycles naturels du carbone et de l’azote, et les terres agricoles elles-mêmes assurent la séquestration de carbone.
Concernant la tarification du carbone provenant de différents combustibles agricoles, la loi prévoit une exemption pour l’utilisation d’essence et de diesel à la ferme, mais pas de gaz naturel et de propane.
Le gaz naturel et le propane jouent un rôle très important dans la production, notamment pour le séchage des grains, afin d’en préserver la qualité et d’éviter qu’ils ne périssent avant leur commercialisation. Il y a aussi les serres qui utilisent beaucoup le gaz naturel pour le chauffage et comme source pure de CO2 pour favoriser la croissance des plantes dans un environnement contrôlé. Si on laissait entrer du CO2 frais dans les serres, les plantes utiliseraient rapidement tout le CO2 disponible, et la photosynthèse ne pourrait plus s’effectuer. La FCA est d’avis que toute utilisation de combustible à la ferme devrait être exemptée de la tarification du carbone.
La tarification du carbone se répercute sur les divers maillons de la chaîne d’approvisionnement. On paie pour la tarification du carbone par les divers produits qu’on achète, lors de leur vente sur le marché. Les augmentations de coûts sont attribuables à toutes sortes de choses comme le transport ferroviaire, le camionnage, l’utilisation d’engrais et de substances chimiques ou de divers appareils.
L’effet que la tarification du carbone aura sur la compétitivité des producteurs nous inquiète beaucoup. Nous sommes des preneurs de prix sur le marché national comme sur les marchés internationaux et n’avons pas la possibilité de transmettre les coûts additionnels de la tarification du carbone à nos clients.
Les producteurs agricoles doivent faire concurrence aux producteurs d’autres pays, qui n’auront pas à assumer de coût pour le carbone ou qui en seront exemptés.
Ces coûts accrus, conjugués aux faibles marges bénéficiaires de la plupart des producteurs entraîneront probablement une réduction des investissements en agriculture à un moment où ils devraient en fait augmenter dans un secteur de croissance stratégique afin de réduire l’intensité des émissions.
Étant donné les investissements importants que les producteurs agricoles ont faits dans l’efficience, les technologies et les pratiques exemplaires, la marche à suivre globalement est de soutenir et de stimuler la production canadienne et de ne pas entraver son expansion en lui imposant des coûts additionnels.
Les stratégies divergent d’une région à l’autre du Canada. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont des approches différentes à l’égard de la tarification du carbone et de la répartition des revenus en découlant.
La redevance sur les combustibles sera imposée à toute province qui n’adopte et ne maintient pas de tarification du carbone équivalente ou supérieure aux normes du gouvernement fédéral. Elle ne s’appliquerait qu’à quelques provinces à l’heure actuelle, mais d’autres pourraient s’ajouter à la liste selon les résultats des élections.
L’industrie agricole canadienne est confrontée à des coûts et à des possibilités variables en raison des différentes politiques des provinces sur la tarification du carbone, ce qui viendra accentuer les différences de compétitivité interprovinciale et internationale. Ce manque d’uniformité nuit à l’investissement dans certaines provinces et constitue un désavantage concurrentiel au Canada et sur les marchés mondiaux.
L’agriculture peut faire partie de la solution au changement climatique. Le secteur agricole est unique en ce sens que la majorité des émissions y proviennent de processus biologiques, et non de la combustion d’hydrocarbures.
Les producteurs agricoles ont une capacité d’adaptation intrinsèque et sont les intendants de vastes stocks de carbone grâce à leurs investissements en technologie et par leurs pratiques de gestion bénéfiques, comme la culture sans ou presque sans labour et la gestion des brise-vent, des terres boisées, des zones humides ou fourragères et des pâturages.
Bien que l’agriculture primaire émette environ 8 p. 100 des gaz à effet de serre émis au Canada, le secteur agricole s’améliore continuellement en réduisant sa part des émissions au Canada et en produisant moins d’émissions par unité de production.
La plupart de ces améliorations sont attribuables à une productivité accrue, à des pratiques culturales avancées et à l’adaptation ou à l’adoption de nouvelles technologies.
Une augmentation annuelle de la séquestration de carbone dans les sols agricoles de quatre parts par millier freinerait l’augmentation mondiale de CO2 dans l’atmosphère. Les décideurs doivent donc reconnaître la valeur de la séquestration du carbone par les terres agricoles.
Par exemple, les producteurs de cultures de la Saskatchewan séquestrent déjà 8,5 mégatonnes de carbone grâce à l’amélioration de leurs pratiques de gestion chaque année, et les pâturages des prairies en séquestrent plus de 2 milliards de tonnes. Les décideurs doivent reconnaître la valeur de la séquestration agricole.
Sur un marché mondial où les agriculteurs sont des preneurs de prix, la tarification du carbone associé aux combustibles agricoles, conjuguée aux coûts de la tarification du carbone le long de la chaîne d’approvisionnement qui sont refilés aux agriculteurs, met en péril les investissements agricoles dans l’intendance de terres.
Il faut investir dans la recherche et proposer des incitatifs à l’adoption rapide de nouvelles technologies. Ces investissements permettraient d’augmenter la productivité du bétail et des cultures, de favoriser l’utilisation de nouvelles technologies comme la cartographie par GPS et le matériel permettant de réduire les émissions de carbone, d’alimenter des stratégies destinées à réduire la production de gaz à effet de serre par les ruminants et de favoriser la recherche sur les produits dérivés, les biogaz et les biocarburants, pour la mise au point de nouvelles technologies et leur adaptation.
Tout mécanisme de tarification doit être conçu pour favoriser les stratégies de réduction des émissions de carbone et éviter de mettre en place un système qui réduirait la compétitivité du secteur agricole canadien et son aptitude à relever les autres grands défis mondiaux du XXIe siècle, comme la sécurité alimentaire nationale et internationale.
La présidente : Nous avons déjà une liste de personnes qui souhaitent vous poser des questions. Nous demanderons au vice-président d’ouvrir le bal.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue à nos témoins. Vous avez parlé des efforts constants que les agriculteurs font dans le cadre de la captation du carbone, particulièrement dans les Prairies. On sait qu’au Canada, les émissions de GES dans le secteur de l’agriculture représentent à peine 5 p. 100 des émissions. Je pense que les agriculteurs n’ont pas attendu qu’une loi soit mise en œuvre avant de commencer à éliminer le plus de GES possible, en particulier dans les provinces centrales où on a éliminé les labours et beaucoup réduit la machinerie qui consommait du carburant industriel. L’imposition d’une taxe sur le carbone peut-elle être un obstacle pour les agriculteurs, qui pourraient se dire que, malgré tous leurs efforts, on leur impose une taxe sur le carbone? Quelle sera la réaction des agriculteurs que vous représentez, selon vous?
[Traduction]
M. Bonnett : J’aimerais expliquer un peu plus ce que vous venez de mentionner pour ce qui est de l’adoption de certaines nouvelles technologies par les agriculteurs. Vous avez mentionné la culture sans labour, la technologie GPS. Toutes ces mesures ont été prises, au départ, non pas pour réduire les émissions de carbone, mais pour rehausser la productivité et réduire les coûts.
L’imposition pure et simple d’une taxe pourrait causer beaucoup de frustration aux agriculteurs pour des raisons de compétitivité. Tout le monde comprend que nous exportons presque 60 p. 100 de notre production, au Canada, donc finalement, nous pourrions nous retrouver avec des coûts supérieurs à notre compétitivité.
Si l’on met en place une taxe sur le carbone, il doit y avoir une démarche parallèle pour que les recettes générées se traduisent par des investissements qui compenseraient pour les coûts. Si l’on mettait en place un programme qui récompenserait les agriculteurs qui investissent dans les nouvelles technologies ou qui les inciterait à le faire, cela pourrait contribuer beaucoup à compenser pour les coûts.
Le problème, en ce moment, c’est en partie que les agriculteurs voient venir cette taxe, mais sans entrevoir de nouveaux revenus en parallèle. La théorie sur laquelle s’appuie la taxe sur le carbone, c’est qu’on prend quelque chose ici pour le réinvestir là afin d’atteindre nos objectifs de réduction des émissions de carbone, mais il doit pour cela y avoir une structure parallèle.
Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, il faudrait approfondir les recherches afin de quantifier les gains que les agriculteurs peuvent tirer de la séquestration du carbone, sa valeur, et de préciser comment ils peuvent en bénéficier.
Je sais qu’il y a eu quelques tentatives. L’Alberta s’est dotée d’un programme afin de récompenser les agriculteurs pour la séquestration de carbone découlant de leurs cultures. C’était très bizarre. Il n’avait pas l’air de fonctionner très bien. Il y a eu quelques expériences en ce sens, mais il nous reste beaucoup de pain sur la planche pour trouver le juste équilibre.
Voulez-vous ajouter quelque chose?
Myles Frosst, conseiller, Fédération canadienne de l’agriculture : Non.
M. Bonnett : Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bien sûr, il y a toute la question de la compétitivité. Actuellement, nous savons qu’une très grande partie des produits cultivés dans l’Ouest sont exportés. Si nous n’avons pas de mesures compensatoires pour atténuer l’effet de la taxe sur le carbone, les agriculteurs seront pénalisés, qu’on le veuille ou non. Ils seront pénalisés, non seulement en raison de la taxe sur le carbone attribuable à leur ferme et au transport. Est-ce que cela pourrait freiner leur productivité?
[Traduction]
M. Bonnett : C’est l’un des risques qui a été nommé au départ, non pas en février dernier, mais en février de l’année précédente. L’une des discussions qui a suscité le plus de passions à notre conseil d’administration concernait l’effet de ces coûts additionnels sur les activités des agriculteurs, principalement parce que l’un des principaux acteurs avec qui nous devons rivaliser, c’est les États-Unis.
Tout le monde sait bien que les États-Unis se sont engagés dans la direction opposée de celle du Canada et de beaucoup d’autres pays du monde pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Cela représente un risque bien réel pour les producteurs. C’est la raison pour laquelle nous sommes d’avis que si l’on met une nouvelle taxe en place, elle devra s’accompagner d’une quelconque forme de crédit pour les agriculteurs qui prennent les mesures nécessaires pour compenser.
Nous verrons qu’il n’y a pas que l’agriculture, mais divers autres secteurs des ressources aussi qui auront le même problème. Nous ne voulons pas nous placer en situation de désavantage concurrentiel, perdre des exportations et ne plus pouvoir rester concurrentiels dans nos marchés d’exportations en raison de ces coûts supplémentaires.
[Français]
Le sénateur Maltais : Il y a quelques semaines, le comité a fait une tournée dans l’Ouest canadien, sur la côte du Pacifique. Nous avons constaté la volonté des agriculteurs de faire des efforts importants pour réduire les gaz à effet de serre. En contrepartie — vous l’avez brièvement mentionné au début de votre exposé —, ils s’attendent à ce que les revenus de cette taxe soient investis directement dans la recherche et les nouvelles technologies, que ce soit la machinerie, les engrais ou tous les produits nécessaires.
Ils mènent déjà des efforts, mais si on les force à faire des efforts supplémentaires, ils voudront avoir la certitude que cet argent reviendra à leur province pour financer la recherche et pour les aider à éliminer le plus de GES possible. Je tiens à vous rappeler que l’agriculture génère 5 p. 100 des GES au Canada. Pourtant, l’agriculture est l’un des secteurs de l’économie canadienne. Avez-vous senti cette volonté de la part des agriculteurs que vous représentez?
[Traduction]
M. Bonnett : Il est indéniable que les agriculteurs investissent beaucoup dans les nouvelles technologies. Vous avez mentionné la culture sans labour. Dans ma province, l’Ontario, des incitatifs ont été offerts il y a quelques années pour aider les gens à acheter la machinerie nécessaire pour cultiver la terre sans labour.
Une fois passés les pépins initiaux pour apprendre à utiliser ces technologies, les gens se sont rendu compte qu’ils faisaient quelque chose de bon pour l’environnement qui allait en même temps réduire leurs coûts. Il vaut parfois la peine d’offrir un peu d’argent au départ pour inciter les gens à adopter les pratiques voulues.
La technologie GPS en est un autre exemple. On peut en faire un usage très intéressant sur les tracteurs munis de systèmes de guidage automatique. On évite les chevauchements, ce qui diminue les coûts, tout en atténuant les effets sur l’environnement.
Il y a une autre chose que nous n’avons pas encore mentionnée, c’est-à-dire toute l’amélioration génétique du bétail pour accroître la productivité, si bien que la quantité de grains ou de foin qu’un animal mange a beaucoup diminué, parce que la productivité du bétail s’est améliorée.
Il y a un autre exemple qu’on observe dans bien des provinces. Les grandes fermes laitières, bovines ou porcines installent des digesteurs de méthane qui captent le méthane émis par le fumier afin de produire du gaz méthane, ce qui réduit d’autant les émissions de gaz à effet de serre.
Les agriculteurs s’adaptent très vite, surtout lorsqu’il y a de l’argent à faire avec les nouvelles technologies destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quand on leur offre des incitatifs, ils seront parfois très prompts à s’en saisir.
Chez nous, l’Ontario a mis en place un programme favorisant l’installation de panneaux solaires. Nous avons installé deux unités solaires sur notre ferme, non pas parce que nous sommes des idéalistes qui souhaitent réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais parce que nous avons fait des calculs et que c’était financièrement avantageux.
Je souligne une chose intéressante, toutefois : quand nous avons installé notre première unité solaire, il en coûtait environ 120 000 $ l’unité. Six mois plus tard, la technologie avait déjà tellement avancé que nous avons construit notre deuxième pour moins de 100 000 $ et d’après ce que je comprends, les mêmes unités coûtent maintenant environ 75 000 $.
C’est un bel exemple qui pourrait susciter une discussion sur le carbone. S’il y a une nouvelle taxe qui s’en vient et qu’on réinvestit l’argent recueilli dans la recherche, le développement et l’innovation, peut-être aussi dans des incitatifs pour aller chercher des premiers participants, les coûts des nouvelles technologies se mettront à diminuer, et l’on réussira à atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre.
Il faut privilégier une approche globale et nous demander quels incitatifs permettraient de réduire les gaz à effet de serre et comment on peut appuyer la recherche et le développement pour nous donner accès à de l’information de qualité.
Les agriculteurs sont très rapides, surtout si cela peut leur rapporter de l’argent. Il ne faut pas oublier que ce sont d’abord des entrepreneurs et des gens d’affaires. Ils ne feront rien qui leur coûtera de l’argent et les mettra en situation de désavantage, mais si vous mettez des programmes en place et que vous leur donnez accès à l’information et à la technologie pertinentes, ils passeront à l’action assez vite.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vous remercie, monsieur Bonnett.
[Traduction]
M. Frosst : J’aimerais insister sur la nécessité d’une approche pangouvernementale. Pour renforcer ce que M. Bonnett vient de dire, les premiers succès des milieux agricoles dans la réduction des gaz à effet de serre viennent de la recherche.
S’il devait y avoir une quelconque forme de taxe, le gouvernement devra se demander comment une taxe d’un ministère, d’un groupe de fonctionnaires et de leur ministre sera coordonnée pour qu’elle ne passe pas avant un autre outil.
Je pense qu’il faut une approche pangouvernementale, faute de quoi cela ne fonctionnera pas.
Le sénateur R. Black : Je ferai d’abord une observation. Je souligne que nous avons entendu un soir un groupe de témoins qui a fait mention d’exceptions pour l’essence et le diesel, mais pas pour le gaz naturel ni le propane.
J’ai soulevé la question sur laquelle vous venez justement de vous exprimer, monsieur Bonnett, et je n’ai même pas recueilli un « oh oui ». C’est un gros problème. C’est un énorme problème. Nous devons en être conscients.
Quand nous aurons fini d’entendre cette série de témoins et que nous rédigerons notre rapport, quelles seraient les trois recommandations particulières que vous souhaiteriez nous faire si je vous en demandais trois? Je sais que vous en avez beaucoup, mais quels seraient les trois éléments que vous voudriez absolument nous voir mettre en relief?
M. Bonnett : Notre première recommandation serait d’établir un mécanisme clair afin que les fonds recueillis servent à financer des solutions pour le climat, par la recherche, la technologie ou des incitatifs comportementaux. Ce serait la première : trouver un mécanisme pour que cette taxe porte fruit, parce que, en ce moment, les gens ne comprennent pas en quoi elle les aidera. Tout ce qu’ils voient, ce qu’elle leur coûtera de l’argent sans rien leur rapporter. C’est la première chose.
La deuxième serait de travailler avec des groupes de producteurs pour déterminer quelles seraient les priorités de recherche et d’investissement.
Le sénateur R. Black : Pour l’argent recueilli.
M. Bonnett : Pour l’argent recueilli. Les priorités de recherche ne seront pas nécessairement les mêmes pour les producteurs de bétail que pour les producteurs de grain. Elles varieront en fonction de la région du pays, en raison des styles d’agriculture propres à chaque région.
La troisième et dernière recommandation qui me semblerait essentielle serait de mettre en place un système de surveillance pour vérifier si cela nous apporte vraiment quelque chose. L’une des frustrations qu’on entend beaucoup dans la discussion sur le carbone, les politiques sur le carbone, la tarification du carbone, c’est que les gens se demandent s’ils en tirent quelque chose.
Si nous investissons tant pour favoriser l’utilisation des technologies sans labour, peut-on vraiment quantifier la quantité de carbone séquestrée grâce à cet investissement? C’est la même chose si l’on investit dans la recherche sur les stratégies d’alimentation du bétail, par exemple : peut-on quantifier les réductions des émissions de gaz à effet de serre qui y sont associées?
Si l’on ne peut pas faire de suivi des mesures prises, il sera très difficile de prendre de bonnes décisions ensuite.
Le sénateur R. Black : Ces recommandations s’ajouteraient-elles à celle d’exempter tous les combustibles agricoles?
M. Bonnett : Ce serait un point de départ.
Vous avez aussi mentionné le gaz naturel et le propane. Je pense qu’il faudrait nous pencher sur les activités pour lesquelles on utilise du combustible de soute C ou d’autres combustibles du genre. Il y a toutes sortes de combustibles qui sont utilisés à la ferme.
Le sénateur Oh : Ma question ressemble beaucoup à celle du sénateur Maltais. Vous avez mentionné que plus de 60 p. 100 de nos produits agricoles sont exportés, parce que le marché se trouve aux États-Unis.
Sommes-nous en train d’embarquer un peu trop vite dans la lutte contre le changement climatique sans vérifier quelles en seront les conséquences sur nos exportations? Si nous ne pouvons plus exporter tout ce que nous produisons, il n’y aura pas de perspective d’investissement futur pour les agriculteurs, les entrepreneurs et les gens d’affaires. Il n’y aura pas d’emploi. Ils ne paieront pas d’impôt. Il n’y aura pas de profit.
Si les États-Unis ne nous emboîtent pas le pas sur le changement climatique, devrions-nous revoir notre stratégie pour l’harmoniser à celles des États-Unis et d’autres grands pays comme la Chine? Nous sommes en train de nous imposer des coûts qui nous feront sortir de la course mondiale des exportations, et je pense que c’est très grave.
M. Bonnett : Premièrement, en tant qu’agriculteur, je tiens à dire que, comme nos membres, je crois que le changement climatique est bien réel. Nous constatons des différences dans les tendances météorologiques. Il faut faire quelque chose.
Ensuite, nous savons que l’administration en place aux États-Unis, en ce moment, recule à ce chapitre, mais j’ai eu des conversations intéressantes avec des agriculteurs des États-Unis. Bien qu’ils voient d’un bon œil le fait que le gouvernement recule, ils craignent que d’autres grands acheteurs ne les dépassent et viennent prendre la place laissée vacante.
Des acheteurs comme Walmart, Costco et d’autres entreprises commencent à demander aux producteurs de quantifier leur empreinte climatique. Je pense qu’il y a un mécanisme qui s’en vient pour la tarification du carbone et qu’il pourrait venir de l’industrie comme il pourrait venir du gouvernement.
Le Canada s’est un peu placé en tête de peloton avec les initiatives du gouvernement. D’une certaine façon, c’est bon pour le Canada d’être à l’avant-garde, mais nous sommes aussi conscients du risque financier. Si on nous impose une nouvelle taxe sur le carbone, en plus des autres, il nous faudra un mécanisme qui bénéficiera au milieu agricole et compensera pour les coûts, faute de quoi nous perdrons notre compétitivité.
Je ne resterai pas planté ici pour dire de la bloquer. Ce n’est pas la solution à long terme, parce qu’on commence à voir des gouvernements réagir. Toute l’Europe, le Canada, d’autres pays aussi.
Le principal adversaire de ce mouvement est les États-Unis. Même là, comme je l’ai dit, l’industrie viendra dire que cela lui est égal ce que le gouvernement fait, mais que si vous ne satisfaites pas à ce modèle de l’empreinte carbone, elle n’achète rien de vous. Elle commence à réagir aux valeurs des actionnaires.
Pour le Canada, il est avantageux d’essayer de se préparer, d’être transparent et de prendre des décisions, mais c’est impossible si nous n’avons pas résolu la question de nos recettes et de nos dépenses.
J’ignore si cela répond à votre question. Le navire s’est dirigé vers le cap d’une solution à trouver au changement climatique. Nous devons arriver à comprendre comment nous pouvons nous en tirer sans risque financier pour nous-mêmes, sur ces marchés d’exportation.
M. Frosst : Parlons des 60 p. 100 d’exportations. Ce sont les produits primaires que les agriculteurs produisent eux-mêmes comme produits de base.
Je prévois en quelque sorte que vous faites de la recherche sur la valeur ajoutée, mais nous devons nous rappeler que, à la publication du rapport Barton, l’agriculture, l’agroalimentaire a été reconnu comme l’une des six principales industries de notre pays. Elle contribue à l’exportation de produits à valeur ajoutée.
Les coûts de l’agriculteur augmenteront. Cela rendra encore plus difficile l’exportation des produits à valeur ajoutée. C’est le seul moyen pour le secteur agricole de connaître une bonne croissance.
Le sénateur Oh : L’été dernier, j’ai visité pas mal de serristes de l’Ontario. Ils étaient très inquiets. Ils m’ont dit qu’ils savaient, compte tenu de l’établissement des prix entre ici et les États-Unis, qu’ils seront rayés de la carte si rien ne change assez rapidement pour obtenir une compensation pour les agriculteurs. Comme vous l’avez dit, elle pourrait arriver trop tard.
M. Bonnett : Cela revient à l’une des demandes pressante, qui est de s’assurer d’exempter tous les combustibles et carburants consommés par les exploitations agricoles, parce que les serres sont très vulnérables aux coûts du propane et du gaz naturel. La plupart des coûts supplémentaires imposés au carbone se feront sentir par ces combustibles.
Il faut agir immédiatement. C’est beaucoup plus que seulement le carburant diesel et l’essence à moteur. Cela n’aide aucunement les serristes.
Le sénateur Mercer : Toujours sur les serres, elles brûlent de l’essence, mais certains serristes les chauffent à l’électricité. Cela dépend de la région du pays.
Dans vos observations, vous avez parlé d’une exemption de la taxe sur le carbone pour les combustibles et carburants employés dans les exploitations agricoles. Il en existe de nombreuses formes, et le sénateur Black en a énuméré deux ou trois qui n’en faisaient pas partie.
On n’a pas parlé ici de l’électricité. Dans certaines régions, c’est l’un des principaux modes de chauffage. Pour l’Est du Canada, particulièrement les provinces comme la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard, sans ressources naturelles, hydroélectricité, et cetera, proposez-vous que l’électricité fasse partie de cet ensemble?
M. Bonnett : On ne l’a pas demandé à notre groupe, mais je pourrais discerner des régions où l’électricité pourrait causer des inquiétudes.
Le mieux serait peut-être un mécanisme pour inventorier et exempter tous les combustibles et carburants employés dans la production agricole. L’oubli de l’électricité s’explique peut-être par son prix, normalement beaucoup plus élevé que celui des autres combustibles, particulièrement dans les serres et ce genre de production. Ce serait d’après moi la principale raison.
Quant à la prime qu’offre l’élevage, on chauffe très souvent les poulaillers ou les porcheries au propane dans les localités non approvisionnées en gaz naturel. La raison probable de son absence de notre liste ou du silence de nos membres est simplement que c’est un usage très limité.
Le sénateur Mercer : Vous avez fait allusion au GPS. Il est tellement logique, aujourd’hui, de s’en servir pour améliorer nos opérations.
L’un de ses avantages indirects, pour nos exportateurs, est de nous renseigner sur la localisation des trains et des wagons. Combien de fois, ici même, des témoins agriculteurs, particulièrement de la Saskatchewan, ont-ils dit que lorsqu’ils appellent pour réclamer des wagons locaux pour l’expédition de leurs produits sur le marché, le répartiteur du chemin de fer leur répond qu’il ignore où ils se trouvent. Or, de sa cuisine, l’agriculteur voit bien le train traverser ses terres en direction de l’ouest. Il pourrait dire que les wagons passent à côté des cultures qu’il destine à l’exportation outremer via Vancouver.
Il me semble que ce ne serait pas uniquement le Comité de l’agriculture qui voudrait s’y essayer à résoudre ce problème. Le Comité des transports aussi. En fait, nous laissons passer l’occasion si nous n’insistons pas pour que le GPS s’intègre dans toutes vos activités pour faire transporter un produit dans notre vaste pays. C’est ainsi que nous savons où se trouvent les wagons vides. Nous pouvons les faire arrêter aux bons endroits, les charger pour les acheminer rapidement vers le marché ou, mieux encore, obtenir de la valeur ajoutée et faire transformer un peu plus le produit avant de le vendre. La création d’emplois profitera à tous.
Il fallait le dire même si cela semble décousu.
M. Bonnett : Vous comprenez que vous venez de soulever la question du service ferroviaire accordé aux agriculteurs.
Le sénateur Mercer : J’ai la conscience tranquille, parce que je siège aussi au comité des transports et j’assume assez bien la position que j’ai maintenue relativement au projet de loi C-49.
Vous avez aussi parlé des émissions de gaz à effet de serre par les bovins. Pourquoi ne pas les mesurer? Comme vous le savez, en Nouvelle-Zélande, leur principale source est l’arrière-train de la vache.
La sénatrice Gagné : C’est le devant.
M. Bonnett : Oui.
Le sénateur Mercer : Les deux bouts.
M. Bonnett : J’ignorais que la discussion irait dans cette direction.
Le sénateur Mercer : Ici, aucun sujet n’est tabou, nous pouvons parler des deux bouts.
M. Bonnett : J’ai quelques observations sur quelques-unes de vos affirmations. Sur, d’abord, le transport ferroviaire, pour vraiment réduire l’empreinte carbone, un réseau ferroviaire efficace est essentiel, parce que c’est le moins cher pour le transport en vrac des produits dans notre pays, à part les bateaux. Comme la plupart d’entre nous sommes éloignés des cours d’eau, je pense qu’un réseau ferroviaire très efficace est essentiel.
Pour l’affectation des wagons, nous avons besoin d’une stratégie globale des transports. Comment nous assurer qu’elle sera efficace?
Sur les émissions du bétail, particulièrement des bovins, c’est par la recherche, je pense, qu’on peut beaucoup accomplir. Je sais que, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et certains pays d’Europe en ont fait et que les universités canadiennes en font aussi sur des stratégies d’alimentation qui permettraient de réduire ces émissions.
Pour le bétail, qui est en quelque sorte victime d’accusations mensongères, deux choses sont possibles. On le sait : j’élève des bovins. Il faut d’abord corriger les stratégies d’alimentation pour produire moins de gaz; ensuite, augmenter la productivité des bestiaux, pour produire autant avec moins de bovins.
En fait, cela revient presque à la question de la recherche. Si, sur ce point, elle donne des résultats, les agriculteurs les adopteront assez rapidement, simplement en raison des gains de productivité.
La sénatrice Gagné : Je me demandais si notre fédération était vraiment en mesure d’accorder les priorités de la recherche avec les besoins de nos agriculteurs. Pouvons-nous le faire efficacement?
M. Bonnett : Accorder les priorités des agriculteurs et des consommateurs?
La sénatrice Gagné : Non, je parle de la recherche. Vous dites qu’il est vraiment important d’investir dans la recherche pour encourager les agriculteurs.
M. Bonnett : On y a consacré beaucoup d’efforts. Un peu plus de coordination du travail dans les provinces et de certains objectifs nationaux globaux ferait du bien. On y a consacré du travail.
Quant à la mobilisation des producteurs, c’est pour moi une autre casquette. Quand j’étais président de la Fédération de l’agriculture de l’Ontario, nous avions une assez bonne relation avec l’Université de Guelph et d’autres établissements, pour la fixation de certaines des priorités. Je pense que vous verrez que c’est assez répandu dans le pays. Les provinces entretiennent d’assez bons rapports avec leurs universités.
Que ce soit au Québec, en Alberta ou en Ontario, ce lien existe. Je pense qu’il permet d’assez bons rapports. Je sais que les groupements de producteurs spécialisés collaborent étroitement avec les universités aussi.
Sur le plan national, cette coordination pourrait s’améliorer un peu. Nous avons exprimé des craintes sur les derniers cycles de financement du Partenariat canadien pour l’agriculture. Une grande partie du financement va actuellement aux provinces, qui administrent ces fonds. Nous continuons d’estimer qu’il devrait subsister une enveloppe pour aider à financer les initiatives nationales. Ce peut-être un partenariat entre différentes provinces.
Il y a une douzaine d’années, il y avait ce qu’on appelait des bénéfices collectifs. Le sénateur Rob Black se rappellera que pour certains d’entre eux, différents groupes et différentes provinces s’unissaient pour un objectif qui serait dans l’intérêt national.
Les liens entre les producteurs et les établissements de recherche donnent d’assez bons résultats à l’échelon des provinces, mais la coordination nationale est parfois une espèce de vide. N’est-ce pas? Vous avez aussi travaillé dans ce domaine.
M. Frosst : J’ai passé quelques années à l’Université de Guelph, il y a quelques années, en qualité de chercheur invité. Mon expérience personnelle avec le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario, le MAAARO, m’a révélé un lien puissant avec d’autres membres du corps enseignant et moi.
Voici comment je l’évaluerais : son principal animateur était le MAAARO, puis, notre propre intérêt de chercheurs, qui nous amenait à travailler avec nos étudiants de troisième cycle. Venait ensuite le volet national qui aurait pu se trouver au quatrième ou cinquième rang, si j’avais pu arriver à voir ce qui se plaçait plus haut. C’était une priorité relativement faible.
Toujours au sujet de l’Université de Guelph, on y a créé, il y a deux ans, l’Arrell Food Institute, qui s’intéresse particulièrement à la politique ou à la Stratégie alimentaire nationale. La recherche constitue un volet de premier plan. Comme par hasard, son directeur voit les choses dans leur dimension nationale. Cela pourrait varier d’une personne à l’autre.
Bref, le MAAARO d’abord, puis le travail avec nos étudiants de troisième cycle. Notre intérêt pour le volet fédéral est en partie alimenté par le financement qui en proviendrait. La part du lion va au MAAARO. En dernière analyse, c’est voué à l’échec. Il faudrait une démarche nationale et divers moyens pour que cela fonctionne.
La sénatrice Gagné : Je cite les résultats d’un sondage commandé par la Commission de l’écofiscalité du Canada. Les sondés étaient de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, trois provinces imposant déjà une taxe sur le carbone. Le sondage montre, de façon très intéressante, que seulement 45 p. 100 des sondés en Colombie-Britannique, 30 p. 100 en Ontario et 20 p. 100 au Québec savaient que leur province avait fixé un prix pour le carbone. La plupart des autres ignoraient l’existence de cette taxe ou pensaient que leur province prévoyait d’en mettre une en vigueur.
Avez-vous des observations à ce sujet? Qu’est-ce que cela vous dit sur cette politique publique?
M. Bonnett : Ce pourrait être les sondeurs, mais il circule des contradictions sur le prix du carbone. Il suffit de fréquenter Facebook et de voir tout ce qu’on y raconte. Un très petit pourcentage de ce qu’on y voit est vrai.
Dans notre société, notre façon de nous informer et nos sources d’information ont tellement changé ces dernières années. D’une certaine manière, il est difficile de se fonder sur les faits pour choisir. Nous devrons affronter ce problème, qui est beaucoup plus vaste que celui de l’établissement d’un prix pour le carbone. Il touche la façon de signaler ses intentions et d’y donner suite.
Comme je l’ai dit, plus tôt, au sénateur Oh, les scientifiques acceptent dans une assez grande mesure la réalité du changement climatique et la nécessité de modifications. Vous pourriez visiter bien des sites où on affirme que ce sont des absurdités et où une théorie conspirationniste a cours.
Ce sondage révèle la mauvaise information. Si j’avais une recommandation à faire au gouvernement fédéral, ce serait de clarifier toute la question du prix du carbone. Dans les provinces, c’est l’opacité. C’est l’opacité aussi à l’échelon national. Essentiellement, nous mettons en vigueur un prix sur le carbone, mais il ne semble pas y avoir de bonne stratégie de communication sur les objectifs et la façon de les atteindre. Qu’allons-nous encourager? Qu’allons-nous sanctionner? Pourquoi le faisons-nous?
Il sera essentiel, désormais, d’apprendre à communiquer sur toute la question du carbone, sinon, finirons-nous par mettre le public en rogne? Nous le rendrons terriblement furieux. La coupe sera pleine, et il y aura des boucs émissaires. Je ne suis pas étonné des résultats du sondage.
La sénatrice Gagné : Il a été réalisé par Abacus Data, et publié dans le National Post. Ce n’est pas sur ma page Facebook.
M. Bonnett : Quand même. Dans un sondage comme celui-là, d’où vient une partie de l’information qui circule?
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’aimerais aborder la question de la compétitivité des prix. On sait que la gestion de l’offre au Canada maintient les prix plus élevés qu’aux États-Unis. Aux États-Unis, les agriculteurs reçoivent des subventions, tandis qu’au Canada, en plus de la gestion de l’offre, on ajoutera la taxe sur le carbone qui, indirectement, augmentera les prix. Le gouvernement dans tout cela tente de négocier des accords de libre-échange pour favoriser le commerce international.
Croyez-vous que plusieurs aspects du projet de loi C-74 pourraient même annuler certains de ces avantages? Si vous êtes d’accord avec cette affirmation, quels changements souhaitez-vous qu’on apporte? C’est bien beau d’ajouter des taxes, mais nos principaux clients sont tout de même situés aux États-Unis. Qu’on le veuille ou non, cette mesure diminue notre compétitivité.
[Traduction]
M. Bonnett : Il faut d’abord exempter tous les combustibles et carburants consommés dans les exploitations agricoles. C’est essentiel. Il faudrait l’envisager. Je répéterais que tout l’aspect de la recherche et de l’innovation permettrait le retour, vers les producteurs qui font ces investissements, de l’argent prélevé grâce à la taxe sur le carbone pour voir si on peut abaisser certains des coûts accrus. Voilà deux solutions très précises.
Je voudrais nuancer un tout petit peu ce que vous avez dit sur le coût plus élevé, pour les Canadiens, de la gestion de l’offre. Si on tient compte de l’argent des contribuables américains qui va aux subventions aux producteurs américains, les produits laitiers, aux États-Unis, coûtent aussi cher qu’au Canada. C’est seulement que cela se fait de façon différente, par des subventions directes versées aux producteurs.
Dans la gestion de l’offre, au Canada, ce coût de manifeste sur le marché. Aux États-Unis, il est intégré dans les taxes et le prix versé aux producteurs.
Vous avez parlé de la négociation d’un accord commercial avec les États-Unis. Il serait intéressant de voir si nous pourrions ouvrir tout l’aspect du soutien, à l’échelle nationale, dans les négociations d’accords commerciaux. Je pense que les États-Unis hésiteraient à le faire pour leur marché, à cause des montants des subventions directes et indirectes qu’ils versent à leurs producteurs.
C’était une sorte de parenthèse. Votre question portait très directement sur les mesures fiscales qu’on instaurait.
L’exemption du carburant agricole serait la meilleure façon de faire. En raison de tous les autres coûts indirects, comme le transport ou d’autres frais que le système devra assumer, la solution serait de trouver un moyen de retourner les deniers publics recueillis aux agriculteurs qui investissent dans une agriculture adaptée au climat.
Nous devrions essayer de préciser comment les choses fonctionneront. Nous avons aussi un problème de disparité des approches dans chaque province.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je ne veux pas faire un débat sur le taux d’imposition aux États-Unis. On sait que la classe moyenne y est sûrement moins taxée qu’au Canada. On n’a qu’à comparer les prix à l’épicerie, qui ne sont pas les mêmes.
Cela dit, votre groupe est très important au Canada. Vous représentez plus de 200 000 agriculteurs. Le gouvernement a-t-il pris le temps de vous consulter avant d’établir sa base de taxe sur le carbone? Je pense que le gouvernement parle beaucoup de consultations et de son souhait de se rapprocher des Canadiens, afin de connaître leur opinion. Vous représentez 200 000 agriculteurs. Le gouvernement a-t-il eu la gentillesse de vous consulter avant d’établir sa taxe sur le carbone? Je vois votre sourire.
[Traduction]
M. Bonnett : Très brièvement, la réponse est non. Il n’y a pas eu de consultation initiale. Au fond, des objectifs nationaux ont été annoncés. Même dans certaines provinces, les organisations agricoles provinciales ont eu du mal à discuter avec leurs gouvernements respectifs pour savoir exactement comment la taxe sur le carbone sera appliquée.
Vous pouvez imaginer la discussion qui s’est déroulée à notre conseil. Nous avons des membres de la Saskatchewan qui disent essentiellement que rien n’arrivera aux producteurs de la Colombie-Britannique, qui doivent composer avec une taxe sur le carbone depuis plusieurs années.
Y a-t-il eu des consultations sur les répercussions? Non.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On parle d’un horizon de cinq ans pour la taxe sur le carbone. Avez-vous des exemples de l’impact, par région, que cette taxe pourrait avoir sur la production alimentaire sur cinq ans?
[Traduction]
M. Frosst : Non, je ne suis au courant d’aucune analyse quantitative qui a été réalisée, que ce soit au sein de groupes industriels ou d’universités.
M. Bonnett : Cela revient même à la question de la recherche. Il devrait y avoir une analyse. Lorsque vous créez une taxe, vous devriez faire une analyse pour en connaître les répercussions globales. Bien franchement, ces chiffres ne sont pas connus.
Il serait fort difficile de même concevoir une étude, pour l’instant, car vous devriez pratiquement en réaliser une pour chaque province, afin de connaître leurs méthodes. Il serait quelque peu difficile de réunir tous ces éléments dans une étude nationale.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Donc, on pourrait conclure qu’une taxe a été imposée, mais sans reconnaître les conséquences à venir.
[Traduction]
M. Frosst : Je dirais que ce n’est pas le cas à l’échelle nationale. Je pourrais vérifier. Je n’ai pas cherché à savoir ce que le gouvernement a réellement fait, mais ce serait à l’échelle nationale.
J’ai déjà mentionné l’Arrell Food Institute. Je suis désolé d’en faire la publicité. À l’échelle nationale et peut-être aussi à l’Université McGill, je suis persuadé que des efforts initiaux sont déployés pour évaluer ce qui a été fait, mais, pour autant que je sache, il n’y a rien de concret pour le moment. Au niveau provincial, j’ai l’impression que cela n’a pas été fait. Ce n’est que mon impression, cependant. Je vais essayer d’examiner la question.
La sénatrice Ataullahjan : Le sénateur Dagenais a posé une partie de ma question. Dans votre témoignage, vous avez dit que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont adopté des approches différentes en matière de tarification du carbone, avec une répartition différente des revenus engendrés. Vous avez ajouté que le manque d’uniformité des approches crée des obstacles à l’investissement dans certaines régions.
Pouvez-vous préciser un peu votre pensée? Avez-vous l’impression que les agriculteurs ont participé à la conversation avec les gouvernements fédéral et provinciaux? Vous avez en quelque sorte répondu à ce volet. Sinon, pourquoi pas?
Vous êtes un joueur important du Canada. Vous produisez la nourriture que nous consommons. Pourquoi vous ignore-t-on? Pourquoi personne n’a cette discussion avec vous?
M. Bonnett : Je pense que nous avons un cas classique. Lorsque l’Accord de Paris a été conclu, il y avait une volonté d’agir, mais aucune analyse n’a été réalisée sur les répercussions. Dans toute décision qui entoure la création d’une taxe, il arrive assez souvent que des personnes prennent des décisions financières en fonction de ce qu’elles savent, si aucune source de revenus ne vient compenser.
Le secteur des serres a été mentionné plus tôt. Je sais que certains exploitants de serres du sud-ouest de l’Ontario sont en train de décider s’ils vont rester en Ontario ou déménager aux États-Unis, surtout ceux qui exportent des produits aux États-Unis.
Ils réalisent une analyse financière et prennent une décision financière. Encore une fois, cela revient au fait que lorsque la taxe sur le carbone a été annoncée initialement, personne n’a aucunement discuté d’une exemption quelconque pour le carburant agricole. Soudainement, vous vous retrouvez avec une serre et une facture salée pour le gaz naturel. Tout à coup, les serriculteurs font leurs calculs et doivent planifier la suite.
Si vous êtes là à vouloir investir 5 millions de dollars de plus dans les serres, vous devez être certains de votre structure de coûts pour bien plus qu’une année ou deux. Je parle de 5 à 10 ans.
Une certaine prévisibilité est essentielle. Livrer une analyse sur le fonctionnement de la taxe sur le carbone lors de son annonce et dire clairement d’emblée que tous les carburants agricoles seront exemptés auraient réellement changé la donne. Le fait que le propane et le gaz naturel ne sont pas inclus pour l’instant a d’énormes répercussions sur l’industrie et le secteur serricole, particulièrement en Colombie-Britannique et en Ontario. C’est un secteur énorme qui a une incidence financière de taille sur les collectivités qui accueillent des serres.
Le président : J’ai deux ou trois questions.
Dans votre exposé, vous avez dit que la Fédération canadienne de l’agriculture est d’avis que tous les combustibles agricoles doivent être exemptés de la tarification du carbone.
Parlez-vous réellement de tous les combustibles, y compris du mazout C?
M. Bonnett : Nous englobons en effet ce combustible aussi.
Le président : Je ne fais que vérifier. Vous avez également mentionné les subventions américaines dans le secteur agricole.
Est-ce qu’elles nuisent à l’efficacité et aux agriculteurs qui cherchent de nouvelles façons de faire les choses, et qui souhaitent notamment réduire leurs émissions de gaz à effet de serre?
M. Bonnett : Aux États-Unis?
Le président : Oui.
M. Bonnett : Je pense que les subventions incitent bon nombre d’entre eux à faire la même chose encore et encore, et à s’attendre au même résultat.
C’est intéressant. J’ai rencontré des producteurs laitiers du Wisconsin il y a environ six mois. Un des enjeux qui les préoccupe est que le prix du lait a vraiment chuté. En ce moment, le Wisconsin a un des programmes de subvention les plus solides visant à développer ses exploitations laitières.
Nous nous retrouvons donc avec une politique gouvernementale qui encourage l’expansion de l’industrie laitière alors que les producteurs laitiers ferment leurs portes là-bas, parce qu’ils ne gagnent pas assez pour continuer. Parfois, une subvention peut vraiment fausser les signaux du marché, selon sa conception.
Le président : C’est un excellent point. Merci.
Au Canada, compte tenu des échanges commerciaux entre les provinces, dont certaines ont actuellement une taxe sur le carbone, une redevance sur le carbone ou autre chose, pensez-vous que la redevance sur les combustibles prévue au projet de loi C-74 entraînera des frais supplémentaires pour les producteurs?
M. Bonnett : Pour l’instant, il a été question de gaz et de diésel. Le coût en carburant du propane et du gaz naturel représenterait des frais supplémentaires importants pour les producteurs, selon le libellé actuel.
Le président : Je ne vois personne lever la main pour le deuxième tour, et je sais qu’un de nos invités doit partir sans tarder. Messieurs, je vous remercie d’être venus aujourd’hui. C’était un excellent segment avec de nombreuses questions et réponses formidables.
Notre deuxième groupe de témoins d’aujourd’hui se compose de Teresa Schoonings, membre du conseil d’administration d’Aliments et boissons Canada, et des représentants de l’Association canadienne des exportateurs à l’alimentation, dont le président est Peter Mulherin, et la présidente et chef de la direction, Susan Powell.
Nous allons commencer par Teresa Schoonings, qui représente Aliments et boissons Canada.
Teresa Schoonings, membre du conseil d’administration, Aliments et boissons Canada : Merci de nous avoir invités à participer à votre étude destinée à mieux comprendre comment renforcer la compétitivité du secteur canadien des aliments à valeur ajoutée sur les marchés mondiaux.
Aliments et boissons Canada, ou ABC, est une nouvelle organisation nationale à but non lucratif, qui a officiellement vu le jour en janvier 2018. Elle regroupe sept associations régionales canadiennes de fabricants de produits alimentaires et de boissons ainsi que plusieurs membres individuels et associés, qui représentent environ 1 500 entreprises canadiennes de fabrication de produits alimentaires et de boissons.
ABC est déterminée à forger et à maintenir des relations collaboratives et constructives avec les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous sommes convaincus que cette stratégie conduira à l’élaboration de politiques publiques efficaces et à l’avènement d’un secteur d’avant-garde, au profit de tous les Canadiens.
Nous sommes mondialement réputés comme fournisseur de produits alimentaires sûrs et de grande qualité. Nous devons miser sur cette réputation pour accroître nos ventes à l’échelle mondiale et notre croissance au Canada.
Le Canada est aujourd’hui le cinquième exportateur de produits agroalimentaires au monde, mais il a déjà occupé le troisième rang. L’industrie a toujours insuffisamment investi dans la technologie, ce qui se répercute sur notre productivité, et même notre capacité d’exportation. La faiblesse du dollar canadien a également pour effet d’accroître sensiblement les coûts d’acquisition de la machinerie nécessaire à la transformation des aliments, en grande partie importée des États-Unis et d’Europe, ce qui a une incidence sur l’investissement.
D’après nous, quatre grands facteurs menacent notre position concurrentielle sur le marché mondial de la fabrication de produits alimentaires et boissons à valeur ajoutée.
Il y a tout d’abord le coût des activités commerciales au Canada. En termes simples, les coûts augmentent et la concurrence entre les détaillants alimentaires s’intensifie. Cette situation réduit les marges et laisse aux entreprises moins d’argent à réinvestir au profit de la croissance. Les coûts augmentent dans tous les secteurs d’activité, et nos concurrents à l’échelle mondiale ne connaissent pas tous le même taux de croissance. Voilà qui se répercute évidemment sur la compétitivité.
Le deuxième défi se rapporte aux dépenses en immobilisations. Étant donné le défi posé par la hausse des coûts et le rétrécissement des marges, il n’est pas étonnant que les investissements aient reculé. L’argent sert plutôt à couvrir les coûts d’exploitation. De plus, nombre d’entreprises peinent à profiter des possibilités de financement proposées.
Des entreprises qui sont aptes à grandir ne répondent souvent pas à la définition gouvernementale d’une petite ou moyenne entreprise. C’est là que se trouve le financement, mais ces entreprises y sont inadmissibles.
Cette situation influe sur les décisions en matière d’investissement, surtout chez les grandes marques internationales qui peuvent choisir d’investir ailleurs, où les coûts sont inférieurs et d’autres incitatifs leur sont proposés, comme les nouveaux avantages fiscaux consentis par l’administration Trump.
Un autre défi est le fardeau lourd et coûteux de la réglementation. Le fardeau de la réglementation est plus lourd et coûteux au Canada qu’ailleurs, sans parler de la diversité des réglementations provinciales, et la situation empire. Dans cette approche fragmentée, l’augmentation du fardeau réglementaire pousse les fabricants de produits alimentaires à investir et à se transformer pour respecter la réglementation, plutôt qu’à investir dans l’innovation et les nouvelles technologies au profit de leur croissance.
Pour terminer, les pénuries de main-d’œuvre posent problème. Les employés sont le fondement de toute entreprise, mais il nous en manque à tous les niveaux de compétence. Les employeurs font également face à une hausse des coûts de main-d’œuvre, et les systèmes d’éducation n’encouragent guère les étudiants à faire carrière dans le domaine agroalimentaire. Nous devons changer cette perception de notre secteur et diffuser notre message plus largement. C’est possible si nous transformons la plateforme ontarienne Votre avenir a du goût, d’Aliments et boissons Ontario, en une initiative nationale. Vous trouverez plus d’information à ce sujet dans le grand document que nous vous avons remis.
Les travaux de la Table ronde de l’industrie de la transformation des aliments, de la table de la stratégie du secteur agroalimentaire et de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires portent également sur ces thématiques, qui sont les principaux défis de notre secteur.
Il y a trois changements progressifs qui, selon nous, peuvent faire une différence durable et nous rendre plus compétitifs à l’échelle mondiale.
Le premier est l’élaboration d’une politique cohérente. Il nous faut trouver une nouvelle manière de travailler ensemble. Nous devons forger entre notre secteur et le gouvernement fédéral dans son ensemble un partenariat et une collaboration qui tiennent compte des faits et visent à trouver des solutions. Nous pourrons ainsi relever les défis de manière à répondre aux besoins de tous et à permettre la croissance de notre secteur.
Il faut, en deuxième lieu, une nouvelle Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Pour être concurrentiel, il faut être en mesure de livrer concurrence à armes égales. La Loi sur la salubrité des aliments au Canada, qui moderniserait ou remplacerait la Loi sur les aliments et drogues, dont les normes remontent aux années 1920, répond à la nécessité de revoir fondamentalement cette approche. L’objectif est de satisfaire les besoins et relever les défis du marché actuel et d’assurer la conformité à des règlements modernes, avant-gardistes et axés sur la prévention des risques. Il faudrait également prendre en compte l’augmentation de la conscience sociale des consommateurs du monde entier et leurs préoccupations liées à la santé publique, à la salubrité et à l’abordabilité des aliments ou encore à la durabilité.
Il y a, en troisième lieu, la politique alimentaire nationale. La production agroalimentaire est aujourd’hui traitée comme s’il s’agissait d’une évolution de l’agriculture où la production modeste et locale a la cote. Les politiques et la réglementation visent en priorité à répondre aux désirs changeants des consommateurs urbains plutôt qu’à garantir la compétitivité des coûts. Le maintien de cette approche ne permettra à notre secteur ni de réaliser son plein potentiel économique ni de gagner la confiance de la population, et ne nous permettra jamais d’atteindre notre objectif, qui consiste à faire passer à 75 milliards de dollars nos exportations à l’échelle mondiale.
ABC est déterminée à travailler de manière cohérente et progressive avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour permettre à notre secteur de saisir les formidables possibilités qui s’offrent à lui sur les plans social, environnemental et économique. L’atteinte de cet objectif pourrait exiger d’importants changements touchant notre secteur, par exemple, faire en sorte que la responsabilité de celui-ci relève plutôt d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou encore élaborer avec les parties prenantes une politique alimentaire nationale pour assurer l’avenir du système agroalimentaire.
Le Canada est un pays riche en ressources et fort d’un potentiel de croissance exceptionnel, à l’échelle nationale comme internationale. Nous souhaitons tous atteindre ensemble le même objectif. Nous pouvons y parvenir.
Susan Powell, présidente et chef de la direction, Association canadienne des exportateurs à l’alimentation : L’Association canadienne des exportateurs à l’alimentation a été créée en 1996 pour aider les petites et moyennes entreprises canadiennes de produits alimentaires, de boissons et d’ingrédients dans leurs exportations. Nous sommes une association multisectorielle à but non lucratif qui s’occupe principalement des volets promotionnels du commerce international, et qui offre un guichet unique à nos membres, qui reçoivent ainsi des renseignements sur les marchés et sur la réglementation afin de pouvoir prendre des décisions éclairées et devenir des exportateurs prospères.
Nous comptons actuellement 220 membres qui réalisent des ventes annuelles à l’exportation de près de 600 millions de dollars. Nous croyons que ce nombre augmentera une fois que l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste aura été ratifié. Nous encourageons le gouvernement canadien à se concentrer là-dessus, afin que le marché canadien devienne plus concurrentiel pour les exportateurs canadiens.
Nous encourageons également le gouvernement canadien à conclure de nouveaux accords de libre-échange avec d’autres pays comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, et ainsi de suite, car nous croyons que l’exportation n’est pas un choix, mais un impératif, surtout pour la durabilité à long terme de l’industrie canadienne des aliments transformés.
Nous espérons également que le gouvernement canadien puisse consacrer plus de ressources à l’accès aux marchés, en particulier ceux qui présentent des barrières commerciales non tarifaires, car ils continuent de nuire au commerce des entreprises canadiennes.
Par exemple, le Canada n’a pas d’équivalence des normes biologiques avec la Corée du Sud. Par conséquent, les fabricants canadiens de produits biologiques ne sont pas en mesure de faire affaire avec ce pays. La Corée du Sud s’intéresse aux produits biologiques canadiens, et nous aimerions que cette question soit résolue.
Une autre question qui a été soulevée récemment concerne les exportations de baies séchées en Inde. Selon l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’ACIA, l’Inde tient une liste blanche des importations autorisées en fonction du pays d’origine. Si une importation donnée n’est pas autorisée en provenance du Canada, elle est considérée comme interdite. Malheureusement, les baies séchées canadiennes n’apparaissent pas sur cette liste, de sorte que nos entreprises de baies ne peuvent pas faire des affaires en Inde, malgré le niveau d’intérêt élevé pour ces produits.
Ce n’est là qu’un échantillonnage des obstacles que nos exportateurs doivent relever. Nous croyons savoir que le gouvernement canadien s’est penché sur ces enjeux, mais nous les portons aujourd’hui à votre attention pour que vous compreniez certains des problèmes que nos membres rencontrent lorsqu’ils tentent de pénétrer de nouveaux marchés.
Au Canada, l’industrie des aliments transformés est une industrie d’exportation forte. Environ 40 p. 100 de la production est exportée. L’industrie peut soutenir les marchés local et international et rivaliser avec nos principaux concurrents, comme les États-Unis, si d’autres accords sont conclus et que des obstacles commerciaux sont levés.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Peter Mulherin, président, Association canadienne des exportateurs à l’alimentation : Même si je représente l’association, je m’appuie sur le point de vue d’un fabricant pour vous donner des exemples de choses auxquelles nous sommes confrontés et de la façon dont le gouvernement peut nous aider.
À titre d’information, j’ai une petite entreprise qui aide des entreprises à atteindre leurs objectifs d’exportation. Je collabore entre autres avec Riverside Natural Foods, une entreprise familiale qui fabrique des collations biologiques et sans allergène commercialisées sous la marque MadeGood.
L’idée de fabriquer un produit sans allergène accepté dans les écoles découle de la frustration que le propriétaire ressentait par le fait que peu de produits pouvant être acceptés dans les écoles — compte tenu des allergies alimentaires — étaient offerts sur le marché. L’entreprise exploite une installation de 100 000 pieds carrés, à Vaughn, et son effectif est passé de 4 à 200 employés depuis ses débuts, en 2013. Je travaille au volet exportation.
Peu de temps après le démarrage, nous avons établi une filiale de Riverside qui s’appelle Riverside BV, aux Pays-Bas. C’était surtout pour éviter une bonne partie des droits d’importation imposés par l’Union européenne à l’époque. Heureusement, ils ont été éliminés dans le cadre de l’AECG. C’est avantageux pour nous, mais nous avons toujours un centre de distribution là-bas.
Contrairement à la plupart des marques canadiennes qui entrent dans le marché des États-Unis après leur lancement au Canada, nous avons décidé de faire le lancement au sein de l’Union européenne d’abord. Il y avait un certain nombre de raisons, dont le coût de lancement aux États-Unis, les contacts sur le plan de la distribution dans l’Union européenne et les connaissances générales sur les produits biologiques, là-bas.
En octobre 2013, nous avons participé au salon Anuga, le plus grand salon d’alimentation, à Cologne, en Allemagne, lorsque MadeGood a été lancée. Depuis, nous sommes passés à 40 pays dans le monde en moins de cinq ans.
Concernant la question de savoir comment le gouvernement du Canada pourrait aider des entreprises comme les nôtres, il y a trois principaux éléments.
Le premier, concerne la documentation. La plupart des pays importateurs exigent un certain nombre de documents, notamment des preuves que le produit est certifié biologique, qu’il ne contient pas d’OGM, et cetera. L’un des documents qui sont universellement exigés, c’est le certificat de vente libre. En 1961, la Convention Apostille a supprimé l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers, éliminant ainsi la nécessité que le certificat de vente libre soit validé par le gouvernement local.
Malheureusement, le Canada est le seul pays occidental qui n’a pas signé cet accord. Par conséquent, bon nombre de nos partenaires commerciaux exigent que nous obtenions un nouveau certificat auprès de l’Association canadienne des exportateurs à l’alimentation, que nous l’envoyions à Ottawa aux fins d’autorisation et que nous l’envoyions à l’ambassade du pays importateur pour l’attestation finale. Il faut des semaines pour franchir cette étape à elle seule, et c’est sans compter les coûts qui y sont associés.
Une question s’impose : pourquoi le Canada n’a-t-il pas signé cet accord? Je suis sûr qu’il y avait une raison en 1961, mais les pays s’unissent toujours.
Le deuxième élément, ce sont les accords de réciprocité sur les produits biologiques. Comme Mme Powell vient de le mentionner, parce que tous nos produits sont biologiques, nous sommes essentiellement exclus des marchés de la Corée du Sud et de la Chine. Il n’y a pas d’accord de réciprocité entre le Canada et ces deux marchés clés sur les produits biologiques. Les deux ont des accords avec l’USDA, et même si nos produits sont certifiés par l’USDA, parce qu’ils sont faits au Canada, ils n’acceptent pas notre certification. Nous avons besoin de l’aide du gouvernement pour que la situation change.
Le troisième élément, ce sont les droits d’importation. À notre avis, c’est le volet dans lequel le gouvernement peut être le plus utile. Grâce à la poursuite de négociations sur des accords de libre-échange, comme l’AECG et le PTP, de nouveaux marchés s’ouvriront et les entreprises canadiennes pourront rivaliser d’égal à égal.
Je vais utiliser un exemple actuel. Nos produits suscitent un grand intérêt en Inde. Cependant, on nous a dit que pour notre catégorie de produit, les droits d’importation étaient de 43 à 47 p. 100. À ce niveau, nous ne songerions même pas à nous lancer sur ce marché.
Nous croyons qu’il est dans l’intérêt supérieur de toutes les entreprises canadiennes qui veulent exporter d’avoir le plus grand nombre possible de partenaires commerciaux, ce qui est préférable à ne s’appuyer que sur une ou deux grandes entreprises. L’élimination des barrières protectionnistes aidera certainement les exportateurs canadiens.
Nous sommes également d’avis que le soutien continu d’associations comme l’Association canadienne des exportateurs à l’alimentation est extrêmement important pour aider de nouvelles et petites entreprises qui souhaitent étendre leurs activités à l’échelle internationale. Ces associations ajoutent de la valeur en rendant le monde intimidant et extrêmement complexe des ventes à l’exportation plus facile à gérer en offrant de l’aide, des salons professionnels et des missions commerciales clés en main et des conseils généraux et des services de consultation pour certains marchés dans le monde. Ce sont des outils très précieux pour tous les membres, et ils s’appuient sur l’aide continue du gouvernement pour le maintien de ce service.
Je vous remercie de nous donner l’occasion de faire valoir notre point de vue aujourd’hui.
La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame Schoonings, vous avez soulevé de nombreux points dans votre mémoire, qui était bref, mais bien structuré. J’aimerais aborder la question de la main-d’œuvre. Dans vos entreprises, avez-vous recours à de la main-d’œuvre spécialisée ou faites-vous vous-même la formation sur place? Quelles demandes pourriez-vous faire au gouvernement en ce qui a trait à la formation de la main-d’œuvre?
[Traduction]
Mme Schoonings : Merci. En fait, nous avons les deux, de sorte que nous avons besoin de main-d’œuvre à tous les niveaux, et non seulement de main-d’œuvre hautement spécialisée.
L’an dernier, environ 34 p. 100 des emplois dans la transformation des aliments étaient des postes hautement spécialisés. Il est tout à fait vrai qu’ils sont nécessaires, mais nous avons besoin de main-d’œuvre à tous les niveaux.
Nous savons qu’en Ontario, des recherches ont été menées dans le cadre de l’initiative Votre avenir a du goût. Ce qui en est ressorti, entre autres, c’est que les options de carrière dans le domaine agroalimentaire laissent les jeunes perplexes. Soit ils croient qu’il s’agit d’emplois dans des usines et ne comprennent tout simplement pas de quoi il s’agit, ou ils se demandent si l’on parle d’emplois de chef de cuisine ou d’emplois dans la restauration rapide.
Avant toute chose, nous devons changer la façon dont sont perçus les emplois du secteur agroalimentaire pour que les gens sachent ce qu’ils sont en réalité et qu’ils sachent qu’il existe de très bonnes possibilités professionnelles dans ce secteur.
Parallèlement, nous faisons face à des pénuries de main-d’œuvre, et il y a également un décalage en quelque sorte par rapport à certaines de nos politiques publiques, comme le Programme des travailleurs étrangers temporaires, et les coûts de main-d’œuvre augmentent.
Prenons par exemple, l’Ontario, et je suis certaine que vous êtes bien au courant. Le salaire minimum augmentera de 32 p. 100 en 16 mois. Même si dans le secteur de la fabrication, le salaire de la plupart des emplois est plus élevé que le salaire minimum, cela fait en sorte qu’il est beaucoup plus difficile pour nous d’attirer des travailleurs dans cette industrie sans aussi augmenter le salaire de base que nous payons déjà.
De nombreux facteurs différents ont des répercussions sur la main-d’œuvre en général, mais il nous faut vraiment changer le discours et peut-être commencer par le milieu de l’éducation. Il nous faut en quelque sorte intégrer le sujet des carrières du secteur l’agroalimentaire dans le système d’éducation, ce qui ne se fait vraiment pas présentement.
Bien sûr, il y a de la formation sur place. Pour être boulanger, il faut acquérir un ensemble de compétences particulières, mais en général, nous devons simplement informer les gens sur le domaine de l’alimentation.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vos entreprises font-elles de la promotion dans les écoles secondaires et dans les collèges de formation professionnelle pour communiquer aux jeunes, qui auront leur diplôme en main dans un an ou deux, les avantages d’aller travailler chez vous? Faites-vous de la promotion à l’intérieur des écoles?
[Traduction]
Mme Schoonings : Comme je l’ai dit, nous formons une nouvelle organisation, de sorte que nous recueillons toujours de l’information de la part de nos membres.
D’après ce que je constate, à Aliments et boissons Ontario, certaines des organisations dont je fais également partie, et par notre propre entreprise, c’est fait de façon très ponctuelle. Il n’y a pas d’approche globale à l’extérieur de l’Ontario, qui a l’initiative Votre avenir a du goût. Dans le cadre de cette dernière, on collabore directement avec les écoles.
Certaines entreprises collaborent directement avec des écoles dans le cadre de programmes coopératifs, d’ateliers, de visites dans des usines, et cetera, pour essayer d’attirer des gens; mais on ne parle toujours pas ici d’une approche collective à ce moment-ci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je pense que vous devriez élaborer un programme à moyen et à long terme pour vous faire connaître. À ce que je sache, les brasseurs de bière n’ont pas de problème à trouver des travailleurs. Il y a une catégorie de travailleurs spécialisés et une main-d’œuvre générale. Les brasseries ne se plaignent pas de la pénurie de travailleurs. Je crois que vous devriez faire des démarches en ce sens au cours des années à venir.
Vous avez parlé de la politique cohérente et d’une nouvelle loi sur la sécurité alimentaire. Pourtant, à l’échelle internationale, le Canada est reconnu comme un pays ayant l’une des meilleures politiques au monde en matière de sécurité alimentaire. Je suis surpris d’entendre vos propos au sujet des pays qui prétendent que le Canada n’a pas une bonne politique en matière de sécurité alimentaire. Je pense qu’ils se trompent dans les faits. La marque canadienne est reconnue. Nous sommes allés en Chine il y a quelques années. La marque Canada y vaut son pesant d’or. Selon vous, qu’est-ce qu’on pourrait apporter de plus à la Loi sur la salubrité des aliments?
[Traduction]
Mme Schoonings : Je suis désolée. Je me suis peut-être mal exprimée lorsque je disais qu’il s’agissait de sécurité alimentaire. Il s’agit davantage des politiques et de leur modernisation.
Ce que nous voulons dire, c’est que la Loi sur les aliments et drogues remonte aux années 1920, mais tous nos règlements sur la salubrité des aliments et les politiques sont modernes et sont parmi les meilleurs au monde, ce qui est excellent. C’est de cette façon que notre marque est reconnue partout dans le monde.
Nous devons moderniser les règlements qui datent des années 1920, afin que nous ayons un tout plus cohérent et simple permettant aux entreprises de comprendre ce qu’il en est.
Dans notre mémoire, nous mentionnons un exemple concernant l’actuelle Loi sur les aliments et drogues, où il s’agit de tenter de remédier par règlement au marketing frauduleux de la lotion à l’huile de serpent. Ce n’est pas vraiment un problème aujourd’hui. Nous ne laissions pas entendre que les aliments d’aujourd’hui ne sont pas salubres. Nous disons seulement que nous devrions moderniser la loi et nous assurer que les règles sont les mêmes pour toutes nos importations de sorte que ce soit équitable.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vous donne raison. Au Canada, il est difficile de contrôler les importations. Vous avez mentionné les huiles, mais il y a d’autres aliments également. Le Canada a beaucoup de difficulté à contrôler ce que contiennent les petits sachets de plastique dans les épiceries ou autres marchés alimentaires.
Toutefois, dans le traité de libre-échange avec l’Europe, il y a des accrochages. Les pays européens ne parviennent pas à faire face à la concurrence en matière de sécurité alimentaire canadienne et de traçabilité. Les anciens pays de l’Est, en particulier, ont de la difficulté à ce chapitre.
Je reviens à une question posée à Mme Powell. Comment se fait-il que vos exportations soient interdites en Chine, en Inde et en Indonésie? Pouvez-vous me donner des précisions?
[Traduction]
Mme Powell : Dans le cas de l’Inde, l’exemple que j’ai donné concernait les baies. Tout cela a à voir avec le contenu d’une liste blanche. Le gouvernement indien tient une liste, et le Canada n’y figure pas. Dans le cas des baies, seuls les produits des États-Unis sont admissibles à l’importation dans ce pays. Il s’agit d’une barrière non tarifaire.
Pour ce qui est de la Chine, nous pouvons y faire des affaires, et nous le faisons. Il y a un grand d’intérêt, mais ce pays impose des droits importants sur les produits canadiens. Les produits canadiens ont déjà tendance à coûter plus cher, de sorte que si on ajoute un droit, il est impossible pour nous de soutenir la concurrence si des produits moins chers sont vendus dans ces pays.
Dans le cas des produits biologiques, puisqu’il n’y a pas d’équivalence, on n’examinera même pas ces marchés. Les entreprises canadiennes de produits biologiques ne peuvent donc pas faire affaire avec ces pays.
[Français]
Le sénateur Maltais : J’aimerais parler des petits fruits. L’an dernier, nous sommes allés à l’exposition de Shanghai. Il y avait plusieurs kiosques, et nous avons constaté que les canneberges du Québec étaient très populaires. Toutefois, ce n’est pas le cas pour les bleuets. Pourtant, la Chine importe les bleuets du Canada, particulièrement ceux de la Nouvelle-Écosse et des Maritimes. Qu’est-ce que le gouvernement devrait faire pour vous rayer de la liste noire et vous inscrire sur la liste blanche?
[Traduction]
Mme Powell : La liste noire, c’est l’Inde qui en a une. Pour ce qui est de la Chine, c’est ouvert. Concernant l’Inde, il faut que les gouvernements aient des discussions pour que le Canada soit inscrit sur la liste. Une fois qu’il le sera, il sera alors possible d’exporter des baies séchées en Inde.
Un grand nombre de nos membres font partie du secteur des baies, et ils réussissent très bien en Chine, tant pour les bleuets que pour les canneberges, ainsi que les cerises.
[Français]
Le sénateur Maltais : Un autre point important que j’aimerais soulever concerne les produits biologiques. Je pense que si vous aviez une meilleure publicité au Canada, vous n’auriez peut-être pas besoin de les exporter. Peut-être même que vous n’en produiriez pas suffisamment. Le problème avec les produits biologiques au Canada, c’est le prix élevé. J’ai fait l’expérience. Je suis des dames qui font leur épicerie avec leurs enfants, et lorsqu’elles passent devant le kiosque des produits biologiques et qu’elles regardent le prix des aliments, elles passent leur chemin. Vous n’avez pas de problème à ce chapitre au Canada? Si les Canadiens achetaient tous les produits biologiques que vous produisez, vous n’auriez pas à en exporter, mais le problème, c’est le coût. Vous aurez le même problème lorsque vous tenterez d’exporter des carottes biologiques en Inde. Les Indiens ne sont pas aussi riches qu’on le pense.
[Traduction]
Mme Powell : Je suis d’accord avec vous à cet égard, c’est-à-dire que les Indiens ne sont pas aussi riches qu’on le pense. Toutefois, je ne crois pas que si chaque Canadien achetait des produits biologiques il ne serait pas nécessaire d’en exporter, surtout dans le secteur des aliments transformés.
La population du Canada n’est pas assez forte pour soutenir notre secteur de la fabrication de produits alimentaires. Nous devons exporter pour le soutenir et conserver les emplois au Canada. Ouvrir des portes aux fabricants canadiens pour qu’ils puissent exporter leurs produits partout, plutôt que de ne choisir que certains pays comme la Chine et l’Inde, permettra davantage à nos fabricants, qui sont peu nombreux, de rester en affaires.
[Français]
Le sénateur Maltais : Monsieur Mulherin, quels genres de produits fabriquez-vous exactement?
[Traduction]
M. Mulherin : Il s’agit de différentes barres céréalières et collations céréalières. Elles sont toutes faites à base d’avoine, et, lorsqu’on ajoute le coût de l’avoine biologique à celui de l’avoine certifié sans gluten, cela en fait un produit qui coûte très cher.
Concernant ce que vous avez dit au sujet du prix élevé de ces produits, ils coûtent plus cher parce que la production de nos produits de base coûte plus cher. Les coûts diminuent à mesure que les gens connaissent les produits biologiques, et de plus en plus d’agriculteurs se lancent dans ce secteur; or, parce que nos produits sont biologiques et sans allergène, ils coûtent plus cher.
L’avoine est un exemple inapproprié. Elle ne contient pas de gluten, mais parce qu’on produit, dans les moulins, tous les différents types de céréales, il y a des risques de contamination croisée. Puisque produire de l’avoine sans gluten dans une installation réservée à cette fin coûte plus cher, nos coûts sont plus élevés.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vos barres tendres contiennent-elles uniquement de l’avoine?
[Traduction]
M. Mulherin : Nous avons différentes saveurs. Il y en a à saveur de fraise, de chocolat et banane et de pomme et cannelle; or, l’élément de base, c’est l’avoine, elles sont donc fait d’avoine à environ 75 à 80 p. 100.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce qu’elles se vendent bien dans les écoles?
[Traduction]
M. Mulherin : Absolument. Notre positionnement, c’est que toute l’école est en sécurité. Il ne s’agit pas seulement des écoles. Il y a aussi les compagnies aériennes. En faisant une recherche sur le choc anaphylactique en avion, dans Google, vous verrez le nombre d’atterrissages d’urgence qui en résultent. Nous avons ce marché, et Air Canada et WestJet utilisent maintenant nos produits.
La sénatrice Gagné : J’aimerais parler des pénuries de main-d’œuvre. Si j’ai bien compris, les activités de fabrication requièrent encore énormément de travail manuel. Est-ce exact?
Mme Schoonings : Pas toutes. Il y a certainement un volet manuel, d’autant plus qu’une bonne partie des usines de fabrication et de transformation des produits alimentaires au Canada sont petites et n’ont pas les moyens de se procurer de nouvelles technologies pour se moderniser. La partie manuelle du travail est probablement un peu plus importante dans ces usines, mais je ne dirais pas qu’en général, les activités sont associées au travail manuel.
Nos milléniaux, par exemple, ne considèrent pas le secteur de la transformation comme étant attrayant. L’image que l’on a du travail dans l’industrie alimentaire ne représente pas ce que c’est, concrètement, de travailler dans l’industrie alimentaire.
Dans bon nombre de cas, les usines de transformation des aliments du pays sont tellement propres qu’on pourrait manger à même le sol. Elles sont impeccables. Pourtant, les gens exprimeront leur dégoût à l’idée de travailler dans une usine de transformation des aliments. C’est davantage un problème de conception.
La sénatrice Gagné : Pourriez-vous nous donner une idée du niveau d’automatisation actuel du secteur?
Mme Schoonings : Pour être honnête, je ne peux vraiment pas. En tant que membre du conseil d’administration, je ne peux vous donner que notre impression à cet égard.
J’en suis désolée, mais je peux vérifier et vous donner une réponse plus tard.
La sénatrice Gagné : Dans votre mémoire, vous mentionnez également que le Canada devrait envisager d’importants changements touchant le secteur, par exemple, faire en sorte que la responsabilité de celui-ci ne relève plus d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, mais plutôt d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.
C’est une idée intéressante. C’est la première fois que j’entends cette suggestion.
Mme Schoonings : Encore une fois, ce n’était qu’une idée. Comme je l’ai dit, nous ne sommes pas vraiment en mesure de proposer de bonnes solutions actuellement. C’est l’une des idées dont nous discutons à l’interne.
La sénatrice Gagné : C’est vrai. J’imagine qu’il s’agit d’évaluer les possibilités qui seront offertes par le développement technologique dans l’avenir.
Mme Schoonings : Tout à fait.
La sénatrice Gagné : Quels sont les besoins sur le plan des investissements dans les technologies pour les avancées en robotique et en automatisation?
Mme Schoonings : Je vais vous donner un exemple en parlant des Aliments Maple Leaf. Nous croyons que la définition des petites et moyennes entreprises au Canada est un peu erronée lorsqu’on examine d’autres pays et que nous faisons une comparaison.
Je vais vous donner les chiffres exacts, qui sont ici. Les Aliments Maple Leaf, c’est l’un de nos plus importants fabricants de produits alimentaires au pays. Il compte 11 500 employés et 20 usines, mais son principal concurrent américain, c’est Kraft. La capitalisation boursière de Kraft s’élève à 110 milliards de dollars américains, contre seulement 3,14 milliards de dollars américains pour Maple Leaf.
En examinant le marché mondial, on constate qu’en réalité Maple Leaf est une moyenne entreprise. Or, elle est exclue, sur le plan du financement, car la majorité des fonds sont destinés aux petites et moyennes entreprises.
Les témoins précédents ont parlé du financement qui va du fédéral au provincial. Certaines entreprises plus grandes étaient auparavant admissibles à du financement, par exemple dans le cadre de Cultivons l’avenir 2. Maintenant, avec Cultivons l’avenir 3, elles ne peuvent même plus présenter une demande si elles ont 200 employés ou plus, ce qui les élimine d’emblée.
Certaines PME n’ont pas les connaissances ou les ressources nécessaires pour même songer à présenter une demande ou à vouloir prendre de l’expansion. Vous avez par ailleurs une entreprise comme Maple Leaf qui dispose de toutes ces capacités, mais qui ne peut pas non plus présenter une demande afin d’avoir accès à ces fonds qui pourraient l’aider à améliorer sa situation du point de vue technologique. C’est un véritable cercle vicieux.
Je pense qu’il serait bon de revoir certaines de nos modalités de financement pour nos soi-disant grandes entreprises qui ne le sont pas nécessairement dans une perspective planétaire.
La sénatrice Gagné : Avez-vous des commentaires quant aux investissements nécessaires aux fins de l’automatisation et de la robotique? Est-ce que c’est problématique?
M. Mulherin : Nous sommes actifs à ce chapitre. Au fil de notre croissance, nous nous dotons sans cesse de nouveaux équipements automatisés afin de réduire nos coûts. C’est ce que nous faisons actuellement avec nos barres de céréales.
Le sénateur Oh : Je m’adresse aux gens de l’Association canadienne des exportateurs à l’alimentation. J’aimerais que vous me confirmiez quelque chose. Est-il vrai que nous étions auparavant assujettis à un droit à l’importation de 30 p. 100 en Inde et que, à la suite de la visite du premier ministre là-bas, nous sommes maintenant frappés d’une interdiction sur les exportations de fèves jaunes dans ce pays?
Mme Powell : C’est effectivement le cas. Il y a un droit applicable pour certaines catégories de fèves et de pois, j’ai bel et bien entendu dire qu’une interdiction avait été décrétée.
Le sénateur Oh : Quels seront les effets pour le Canada?
Mme Powell : Je ne crois pas que la situation soit attribuable à la visite du premier ministre. D’après ce que nous avons pu apprendre, l’Inde a actuellement des réserves de fèves qu’elle doit utiliser avant de commencer à importer de nouveau.
Les Indiens ont décidé, au départ, d’importer de grandes quantités de fèves canadiennes lorsqu’ils ont connu une mauvaise année de récolte. Maintenant qu’ils n’ont plus besoin de nos fèves, ils en ont interdit l’importation.
Il y a des répercussions considérables pour un certain nombre de nos membres, car l’Inde était devenue leur principal marché.
Le sénateur Oh : On m’a dit que l’Ontario occupait le premier rang mondial pour ce qui est des produits à base de ginseng.
Mme Powell : Oui.
Le sénateur Oh : Il n’y a pour ainsi dire aucun de nos produits à base de ginseng qui est exporté directement vers le marché asiatique. La plupart de ces produits sont plutôt envoyés aux États-Unis. Ils deviennent alors des produits américains à base de ginseng et sont réexportés vers les marchés très lucratifs de l’Asie, y compris celui de la Chine. Est-ce que c’est vrai?
Mme Powell : Je ne crois pas que ce soit vrai. Je sais que certains de nos membres en Ontario vendent directement leurs produits à base de ginseng à Hong Kong et Taïwan. Ils ne peuvent pas le faire en Chine pour l’instant, mais ils exportent effectivement vers Hong Kong et Taïwan.
Je ne peux pas parler au nom de toute l’industrie du ginseng, mais je peux vous dire ce qu’il en est pour les membres de notre association qui en font partie. Ils ne vendent pas leurs produits aux États-Unis pour qu’ils soient réexportés.
C’est totalement impossible dans la conjoncture actuelle. J’ai d’ailleurs lu récemment un article à ce sujet. La Chine a fixé un tarif élevé pour les produits américains à base de ginseng, si bien que ce ne serait pas une bonne idée pour les Canadiens de vendre leurs produits aux États-Unis pour qu’ils soient réexportés vers l’Asie.
Le sénateur Oh : On m’a dit par ailleurs qu’il y avait une interdiction sur l’exportation de chevaux canadiens vers la Chine, et que ces chevaux sont plutôt exportés aux États-Unis pour devenir des chevaux américains et ensuite être réexportés en Chine.
Mme Powell : Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose. Dans la situation actuelle, je ne crois pas qu’il vaille la peine de vendre quoi que ce soit aux États-Unis en vue d’une réexportation vers l’Asie, étant donné tous les tarifs supplémentaires qui sont imposés aux produits américains.
Le sénateur Oh : Je veux revenir à la question de la pénurie de main-d’œuvre. Je voyage beaucoup et j’entends bien des choses. C’est la même plainte qui revient tout le temps. Il n’y a pas assez de main-d’œuvre spécialisée, surtout dans le secteur de la transformation alimentaire. Les employeurs se plaignent de ne pas pouvoir trouver suffisamment de travailleurs.
Est-ce que des collèges communautaires offrent des programmes de formation dans ces domaines? Est-ce que votre association collabore actuellement avec ces collèges afin qu’ils puissent offrir des programmes aux jeunes qui envisageraient une carrière dans le secteur de la transformation des aliments?
Vous nous dites que les usines sont désormais tellement propres que l’on pourrait manger à même le plancher, mais je peux vous assurer que ce n’était pas comme cela à une certaine époque où il était très désagréable de travailler dans ces endroits.
Mme Schoonings : Aliments et boissons Canada ne l’a pas encore fait. Nous voudrions bien pouvoir trouver les fonds nécessaires et obtenir le soutien de nos membres afin d’étendre à la grandeur du pays la plateforme Votre avenir a du goût, qui a été mise en œuvre par Aliments et boissons Ontario. Les résultats sont probants dans cette province.
Nous voulons susciter de l’intérêt pour notre industrie. Nous tenons des conférences dans les écoles. Nous collaborons avec les enseignants pour organiser des ateliers. Nous nous assurons que le message passe. Cependant, nos efforts débutent à peine. Le tout a commencé il y a seulement quelques années. Comme nous le savons, il faut du temps pour mettre en branle de telles initiatives qui ne sont pas prévues dans le programme d’études actuel.
Il faut que nous allions frapper aux portes des écoles pour leur dire que nous voulons parler aux étudiants afin de leur faire connaître notre industrie. Nous essayons aussi de participer aux salons de l’emploi et de transmettre de l’information aux écoles.
Ce n’est toujours pas inscrit dans le programme d’études. Cela se fait encore de façon ponctuelle. Nous essayons d’améliorer les choses.
Il est bien certain que nous pouvons constater une différence en Ontario, du point de vue de la perception et de la mobilisation du milieu de l’enseignement. Encore là, c’est seulement dans cette province. À notre connaissance, il n’existe pas de programme semblable ailleurs au Canada. Comme pourraient vous le confirmer toutes les autres associations provinciales, c’est tout nouveau.
Mme Powell : Je crois que le Centennial College offre certains cours portant sur l’industrie alimentaire, ce qui n’est pas sans nous encourager. J’ai rencontré un représentant de ce collège, qui m’a indiqué qu’on allait offrir d’autres cours, car les étudiants s’intéressent de plus en plus à notre industrie.
Le sénateur Oh : J’ai aussi entendu de nombreuses préoccupations au sujet du salaire minimum. Vous allez sans doute être touchés également.
M. Mulherin : Nous allons être touchés.
Le sénateur Oh : Plusieurs propriétaires d’entreprise m’ont dit que l’effet ne se fait pas uniquement sentir chez ceux qui touchent le salaire minimum. C’est dans toute l’organisation, car chacun souhaite que sa rémunération soit augmentée en conséquence. C’est donc toute la chaîne qui est touchée. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Mulherin : Je vais laisser ma collègue vous répondre, car je ne travaille pas de ce côté-là des choses.
Mme Schoonings : Je vais vous parler de ce qui se passe dans ma propre entreprise, plutôt qu’au nom de tous nos membres. Supposons que nous payons nos contremaîtres 17 $ l’heure pour gérer le déroulement d’un quart de travail sur la chaîne de production.
Voilà maintenant que l’on hausse le salaire minimum à 15 $ l’heure. Auparavant, les contremaîtres gagnaient de 4 $ à 6 $ l’heure de plus que leurs collègues. Ils nous disent maintenant qu’ils ne veulent plus vraiment assumer cette responsabilité pour seulement 2 $ l’heure de plus.
Leurs attentes augmentent donc également. Il y a un effet domino qui se fait ressentir lorsqu’on augmente le salaire minimum. Il s’agit de prendre les moyens pour que nos employés demeurent satisfaits de leur sort.
Les répercussions vont même au-delà de l’Ontario. Pour une entreprise nationale, les employés qui travaillent en Colombie-Britannique ou au Québec, par exemple, voudront tous obtenir une augmentation dès qu’ils apprendront que leurs collègues ontariens gagnent plus qu’auparavant.
Vous ne pouvez pas accorder à tout le monde une hausse de 32 p. 100 en 16 mois à peine, afin que personne ne se sente lésé, et continuer à réaliser des bénéfices, à investir dans l’entreprise et à disposer des fonds nécessaires pour vous conformer aux nouvelles règles d’étiquetage des aliments et à toutes les autres exigences.
Le total des ressources financières disponibles ne change pas. Il est simplement réparti différemment. C’est assurément un défi. Il faut se montrer davantage créatif pour s’assurer la fidélité de son personnel; l’argent ne suffit plus.
M. Mulherin : Nos coûts vont augmenter; cela ne fait aucun doute. Malheureusement, la facture sera refilée au consommateur, ce qui minera d’autant notre capacité concurrentielle, surtout sur les marchés d’exportation. Il y a un effet d’entraînement qui s’enclenche.
Le sénateur Oh : Les gens me disent que le salaire minimum a augmenté trop rapidement et qu’il faudrait plutôt y aller progressivement.
Tout le monde convient que la hausse du salaire minimum est une bonne chose, mais si l’augmentation est trop marquée et trop rapide, l’industrie pourrait en souffrir.
Le sénateur R. Black : Pour illustrer la pénurie de main-d’œuvre, je vous dirais qu’une étude menée par l’Université de Guelph révèle que, pour chaque diplômé d’un collège d’agriculture, il y a quatre emplois disponibles dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’agriculture.
Il y a donc de nombreux débouchés dans ce domaine. Je ne sais pas comment on peut rendre ces emplois plus attrayants, mais nous devons inciter davantage d’étudiants à s’y intéresser. Quatre emplois pour chaque diplômé, ce n’est pas rien. Il faut garder cette considération à l’esprit.
Je vais vous poser la même question qu’aux témoins précédents. Pouvez-vous nous suggérer, au nom de votre organisation ou de votre entreprise, deux recommandations précises que nous pourrions formuler dans le rapport que nous allons produire?
Mme Powell : J’aimerais que l’on consacre davantage de ressources à l’accès aux marchés. Nous traitons avec Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le Secrétariat de l’accès aux marchés de ce ministère manque de personnel. Il doit donc établir un ordre de priorité quant aux dossiers à régler. Il est possible que nos revendications glissent au 10e rang sur la liste en raison de ce manque de personnel.
Les exportations pourraient augmenter et tout pourrait se passer beaucoup plus rapidement si un plus grand nombre d’employés étaient affectés à ce secrétariat. Ce serait donc ma principale recommandation.
Mme Schoonings : Notre première recommandation irait sans doute dans le sens d’une approche stratégique plus cohérente de telle sorte que nous puissions mettre en place des mesures, comme une politique nationale de l’alimentation, qui produiraient des résultats bénéfiques pour tous.
Je sais que l’on a mentionné précédemment que l’industrie agroalimentaire fait partie des six secteurs jugés prioritaires. Bien qu’il y ait tout lieu de se réjouir d’un tel constat, on peut difficilement affirmer que les mesures prises témoignent d’un tel engagement. On ne peut pas vraiment parler d’un effort global de la part du gouvernement. Il y a beaucoup d’enthousiasme d’une part, mais aussi énormément de désillusion dans l’industrie.
Comment le gouvernement dans son ensemble peut-il mobiliser l’industrie et travailler en partenariat avec elle pour mettre en œuvre des politiques publiques efficaces, tant du point de vue réglementaire que dans une perspective d’affaires? Comment pouvons-nous demeurer concurrentiels?
Je dirais donc que c’est notre principale recommandation. Dès lors que l’on peut compter sur une approche stratégique en y adjoignant les ressources nécessaires et les moyens à prendre pour la concrétiser, la plupart des difficultés deviennent surmontables. C’est mieux que d’essayer de définir la façon de procéder dans chaque dossier. Nous devons coordonner nos efforts.
M. Mulherin : Je vais vous soumettre nous deux principales recommandations. Il nous faudrait tout d’abord des accords de réciprocité avec des marchés comme la Corée du Sud et la Chine pour les produits biologiques. Ces marchés représentent des débouchés énormes, aussi bien pour mon entreprise que pour l’ensemble des producteurs biologiques.
En second lieu, nous aimerions que le gouvernement mette tout en œuvre pour négocier avec des pays comme l’Inde afin de réduire ou d’éliminer les tarifs commerciaux qui sont appliqués. Ce serait un grand pas en avant pour tous les manufacturiers canadiens.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités. Ma question s’adressera à vous tous. Compte tenu des éléments et de certaines difficultés que vous avez exposés, quelle évaluation faites-vous du fameux programme Agri-marketing du gouvernement qui a été mis en place pour aider les PME à améliorer leur accès au marché international?
[Traduction]
M. Powell : Nous avons accès au programme Agri-marketing à titre d’association nationale. Nous apprécions beaucoup le soutien qui nous est ainsi offert.
Pour les PME, nous espérons certaines améliorations cette année dans le cadre du nouveau programme. Avec le programme antérieur, les entreprises devaient attendre trop longtemps pour obtenir une approbation et devaient parfois essuyer un refus.
Nous espérons que cette version du programme sera mieux gérée et que nos membres seront plus nombreux à y avoir accès. Le programme est très bénéfique pour toutes ces PME qui améliorent ainsi leur capacité concurrentielle en obtenant un peu de soutien du gouvernement, surtout pour l’accès à des marchés émergents comme celui de la Chine.
Mme Schoonings : Je suis désolée, mais je crois qu’il serait un peu prématuré pour moi de me prononcer au nom de nos membres au sujet d’un programme comme celui-là, car nous débutons à peine nos activités.
Je ne voudrais surtout pas prendre position au nom de notre association sans avoir d’abord discuté de la question avec tous nos membres ou tout au moins avec un groupe les représentant. Je m’engage d’ailleurs à le faire pour vous communiquer notre réponse par la suite.
M. Mulherin : Comme l’indiquait Mme Powell, les programmes de soutien sont essentiels pour les petites entreprises et celles qui débutent leurs activités. Au départ, le marché de l’exportation peut sembler intimidant et quelque peu effrayant. Une association comme l’ACEA nous a beaucoup facilité les choses à nos débuts, tout comme elle l’a fait pour d’autres entreprises membres.
Nos entreprises n’ont généralement pas les ressources humaines suffisantes pour arriver à trouver toute la documentation pertinente, à prendre les dispositions nécessaires à la participation à des foires commerciales, ou à déterminer quelles sources de financement peuvent être mises à contribution.
L’organisation de Mme Powell nous a beaucoup aidés à savoir quoi faire, à qui nous adresser et comment nous y prendre pour nous attaquer à ces marchés. C’est ainsi que nous avons pu étendre nos activités à l’échelle internationale. Le soutien offert dans le cadre de ces programmes est primordial, surtout pour les entreprises en démarrage.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Madame Powell, étant donné que vous représentez une association importante, lorsque le gouvernement décide de mettre en place des programmes pour aider les exportateurs, est-ce qu’il vous consulte? J’imagine que oui, puisque le gouvernement dit toujours vouloir consulter les Canadiens pour savoir ce qu’ils veulent. Est-ce qu’ils ont consulté votre association?
[Traduction]
Mme Powell : Oui, c’est ce qu’on a fait pour le programme Agri-marketing. On ne nous a toutefois pas consultés lorsque le Programme du pavillon du Canada a été modifié. Nous l’avons appris après coup.
Nous avons trouvé cela un peu difficile, car nous aurions bien aimé être consultés.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Lorsque nous soumettrons notre rapport au gouvernement, nous pourrions mentionner que, avant de mettre en place de nouveaux programmes ou d’effectuer des modifications, il devrait consulter les intervenants des différents programmes. Après tout, vous êtes un intervenant majeur, alors cet aspect fera partie de notre rapport, madame. Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : J’ai quelques questions pour nos témoins. Vous avez parlé des pénuries de main-d’œuvre et des difficultés à trouver des travailleurs qualifiés. Qu’en est-il des travailleurs étrangers temporaires pour vos associations? En est-il beaucoup question dans votre situation?
Mme Powell : Certains de nos membres ont recours à des travailleurs étrangers temporaires, surtout ceux qui exploitent des fermes. Nous n’avons reçu aucun commentaire négatif à ce sujet récemment.
Mme Schoonings : C’est la même chose pour nous. Nous constatons qu’il devient plus difficile de faire venir au pays des travailleurs étrangers temporaires, alors même que nous devons composer avec une pénurie de main-d’œuvre. Je dirais que cela suscite surtout de la frustration à l’heure actuelle. Nous aimerions que des changements soient apportés à ce programme afin de nous faciliter les choses.
Vous avez sans doute vu certains reportages médiatiques au sujet des travailleurs étrangers temporaires. On ne parle que des cas qui tournent mal, mais il y a également d’excellents exemples de réussite. Dans notre secteur, il y a certes des gens qui sont venus travailler au Canada et qui sont devenus depuis des résidents permanents. Ils se tirent très bien d’affaire. Ils ont su s’épanouir et apportent désormais une contribution concrète à notre société. C’est rarement de ces gens-là que les médias vont parler.
Il serait merveilleux que le programme puisse être mis à niveau afin qu’il soit plus facile de faire venir au pays des travailleurs pour occuper ces emplois où il y a pénurie.
Le sénateur Oh : Avez-vous obtenu de l’aide de CIC? Est-ce qu’ils soutiennent les producteurs alimentaires dans ce dossier?
Mme Schoonings : Je suis désolée, mais ce n’est pas le cas.
Mme Powell : Je ne sais pas ce que vous entendez par CIC.
Le sénateur Oh : Citoyenneté et Immigration Canada.
Mme Powell : Non, je n’ai pas eu à traiter avec eux.
La présidente : Ma prochaine question porte sur les transports. On a l’impression que le potentiel de croissance de nos exportations de produits alimentaires est presque sans limites, mais que la situation des transports est un véritable goulot d’étranglement. De quoi auriez-vous besoin du point de vue des transports?
Mme Schoonings : Le transport est un nouvel enjeu pour notre organisation. C’est l’une des plateformes sur lesquelles nous souhaitons nous appuyer pour en arriver à un plan nous permettant de mieux exploiter nos débouchés.
Je suis désolée de devoir vous dire que nous n’avons pas encore de plan, mais nous ne manquons pas de voir sur nos routes tous ces camions à moitié remplis, une problématique qui peut aussi être importante dans une perspective d’exportation.
Vous parliez tout à l’heure des émissions de gaz à effet de serre et de la tarification du carbone. Comment coordonner certains déplacements de produits en incitant les gens à regrouper leurs expéditions de telle sorte que les camions qui circulent sur nos routes soient bel et bien remplis? C’est parfois aussi simple que cela.
Le système ferroviaire nous cause sans cesse des difficultés. Les témoins précédents vous ont dit que c’était la façon la moins coûteuse de transporter des produits au Canada, mais encore faut-il que le réseau soit fiable. Mon entreprise vend des produits frais. Si le transport est retardé pour une raison ou une autre, cela devient du pur gaspillage.
Il y a des enjeux importants à régler avec notre système de transport, mais nous n’avons tout simplement pas pour l’instant de plan à vous soumettre ou de recommandation concrète à vous adresser. Nous considérons certes que des améliorations importantes pourraient être apportées au bénéfice de notre secteur.
La présidente : Est-ce que nos autres témoins ont quelque chose à dire au sujet des transports? S’agit-il effectivement d’un goulot d’étranglement?
Mme Powell : C’est bel et bien un goulot d’étranglement comme en témoigne la situation difficile que vit actuellement notre secteur céréalier.
Nous avons des membres dans l’industrie des transports qui essaient de trouver des solutions pour faciliter l’expédition des marchandises. C’est tout un défi.
Le Canada est un grand pays. Il peut être très coûteux d’expédier des biens de l’Ontario jusque dans l’Ouest. Il faut absolument que l’on puisse réaliser des gains d’efficience pour réduire les tarifs. Il est moins coûteux d’envoyer des marchandises en Chine, plutôt que de les expédier à Vancouver, ce qui est plutôt malheureux.
La présidente : C’est également stupéfiant.
Mme Powell : Récemment, un de nos membres a dû expédier des produits de l’Ontario jusqu’à Vancouver. Il a ensuite dû faire de même, mais à destination de Singapour. Il a indiqué que les frais de transport ont été de 4 000 $ pour Vancouver, mais de seulement 1 400 $ pour Singapour. C’est un gros problème.
Je ne connais pas la solution, car c’est l’industrie des transports qui décide des prix. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est un problème facile à régler.
La présidente : Je dirais que c’est un aspect très important de l’étude que nous menons sur la mise en marché des produits agricoles à valeur ajoutée dans le secteur alimentaire.
Mme Powell : Nous devons effectivement nous demander comment nous pouvons être plus efficaces pour le transport des marchandises d’une région à l’autre du Canada.
La présidente : Sur ce, je tiens à remercier nos témoins.
Je demande aux sénateurs de bien vouloir demeurer en place, car nous allons nous réunir quelques minutes à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)