Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 61 - Témoignages du 19 février 2019
OTTAWA, le mardi 19 février 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 19 h 10, pour examiner, en vue d’en faire rapport, les questions concernant l’agriculture et les forêts en général (sujet : l’appui et l’indemnisation aux secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG).
La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, présidente du comité. Aujourd’hui, le comité étudie l’appui et l’indemnisation aux secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG.
Avant d’entendre les témoins, j’aimerais d’abord que les sénateurs se présentent.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Merci. J’aimerais remercier le groupe de témoins d’être ici et m’excuser officiellement. Nous avons été bloqués au Sénat. Je suis heureuse que vous nous ayez attendus, car nous sommes très impatients d’entendre ce que vous avez à dire. Pour notre premier groupe de témoins, nous recevons Mike Pickard, vice-président, et Carole Gendron, directrice, affaires réglementaires et sectorielles, du Conseil des produits agricoles du Canada; Serge Riendeau, chef de la direction; et, enfin, Benoît Basillais, directeur, Politiques et Économie, de la Commission canadienne du lait.
Mike Pickard, vice-président, Conseil des produits agricoles du Canada : Merci beaucoup. Je suis très heureux d’avoir accepté, au nom du Conseil des produits agricoles du Canada, l’invitation du comité de comparaître devant vous ce soir.
Comme l’a dit la présidente, je m’appelle Mike Pickard et je suis vice-président du Conseil des produits agricoles du Canada, le CPAC. Je suis accompagné de Carole Gendron, directrice des affaires réglementaires et sectorielles.
Je me suis entretenu avec mon président la semaine dernière, et il exprime personnellement ses regrets, à vous et aux membres du conseil, puisqu’il avait un engagement préalable et n’a pas pu être présent.
Le Conseil des produits agricoles du Canada travaille au nom du gouvernement du Canada pour veiller à assurer à tous les Canadiens un accès abordable et continu à la volaille et aux œufs, tout en maintenant des revenus justes pour les agriculteurs.
Le siège du CPAC est situé dans la région de la capitale nationale, sur la Ferme expérimentale centrale, à Ottawa, avec un effectif de 16 employés à temps plein. Le CPAC est dirigé par au moins trois et au plus sept membres nommés par le gouverneur en conseil. En comptant le président, Brian Douglas, le conseil compte actuellement quatre membres nommés, et le président est le seul membre à temps plein.
Le rôle du CPAC est d’agir à titre d’organisme de surveillance de l’intérêt public qui relève du Parlement du Canada par l’entremise du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire.
Le CPAC administre deux lois fédérales, la Loi sur les offices des produits agricoles, la LOPA, et, en vertu d’une entente avec le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, la Loi sur la commercialisation des produits agricoles, la LCPA.
La Loi sur les offices des produits agricoles autorise la création d’offices de commercialisation, ainsi que d’offices de promotion et de recherche. Il existe à ce jour quatre offices de commercialisation et un office de promotion et de recherche.
Les offices de commercialisation sont les Producteurs d’œufs du Canada, les Éleveurs de dindon du Canada, les Producteurs de poulet du Canada et les Producteurs d’œufs d’incubation du Canada, qui fonctionnent en vertu de la gestion de l’offre; l’office de promotion et de recherche est l’Agence canadienne du bœuf.
Je crois que les quatre offices de commercialisation ont été présentés au comité hier matin.
Concrètement, le CPAC supervise les activités des offices nationaux de gestion de l’offre ainsi que des offices de promotion et de recherche, afin de s’assurer qu’ils se conforment aux objectifs établis dans la LOPA. Pour ce faire, le conseil travaille de concert avec les offices nationaux dans le but de promouvoir une commercialisation plus efficace des produits agricoles; entretient des relations avec les gouvernements fédéraux et les régies provinciales; conseille et informe le ministre sur les questions relatives à la création d’offices nationaux et aux activités de ceux-ci.
Le CPAC assume d’autres responsabilités, qui comprennent, sans s’y limiter, les suivantes : enquêter, dans les limites de ses compétences, sur toute plainte relative aux décisions des offices nationaux et prendre les mesures nécessaires; tenir des audiences publiques lorsque cela est jugé nécessaire; collaborer avec les régies agroalimentaires provinciales et administrer la Loi sur la commercialisation des produits agricoles au nom d’AAC.
La Loi sur la commercialisation des produits agricoles permet au gouvernement fédéral de déléguer des pouvoirs à des offices provinciaux en matière de commerce interprovincial et d’exportation de produits agricoles. Le rôle du CPAC en vertu de cette loi est de travailler en collaboration avec AAC pour gérer la surveillance fédérale et l’administration des pouvoirs délégués en vertu de cette loi. En ce qui concerne l’indemnisation des secteurs agricoles sous gestion de l’offre en vertu — je vais dire ce que vous n’avez pas nommé, madame la présidente — de toutes ces lois commerciales, l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, le PTPGP, l’Accord économique et commercial global Canada-Union européenne et, compte tenu des responsabilités légales du CPAC, son rôle à cet égard restera limité.
Notre rôle consiste à veiller à ce que les offices soient en mesure de gérer l’évolution de l’accès aux importations pour déterminer les quotas de production qui assurent la stabilité de l’offre et du marché.
Compte tenu de son expertise technique et de sa perspective de l’industrie, le CPAC est ravi de participer au Groupe de travail sur les industries de la volaille et des œufs.
Au cours de ces séances, les discussions ont porté jusqu’ici sur l’atténuation des répercussions des accords commerciaux sur les secteurs de la volaille et des œufs sous gestion de l’offre. Les membres du groupe ont travaillé en étroite collaboration avec leurs collègues du ministère et avec les partenaires de l’industrie, et ont veillé à ce que les discussions se déroulent de manière ouverte et franche.
Nous vous remercions de votre attention et de nous avoir invités à vous présenter cet exposé aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre aux questions du comité.
La présidente : Merci beaucoup. Nous passerons aux questions, mais juste après le prochain exposé.
[Français]
Serge Riendeau, chef de la direction, Commission canadienne du lait : Madame la présidente, moi et mon collègue, M. Benoît Basillais, qui est notre directeur des politiques et de l’économie, sommes honorés de l’invitation que vous avez lancée à la Commission canadienne du lait.
La Commission canadienne du lait est une société d’État qui compte 72 employés. Elle est dirigée par un conseil d’administration de trois personnes nommées par le gouverneur en conseil. Depuis plus de 50 ans, elle appuie l’industrie laitière canadienne en administrant deux éléments importants de la gestion de l’offre dans ce secteur, soit le prix du lait à la ferme et les quotas laitiers à l’échelle nationale.
Du côté des prix à la ferme, la Commission canadienne du lait mène, chaque année, une étude sur les coûts de production du lait. Les offices de mise en marché provinciaux utilisent les résultats de cette étude dans une formule mathématique pour ajuster les prix du lait au 1er février de chaque année. Cette formule tient aussi compte de l’inflation. En cas de circonstances exceptionnelles précises, et à la demande de l’industrie, la Commission canadienne du lait consulte les parties prenantes avant de prendre une décision sur les prix du lait à la ferme.
Pour ce qui est des quotas de lait, la Commission canadienne du lait suit et prévoit la demande en produits laitiers au pays, et elle avise les offices provinciaux des ajustements de quotas qui sont requis pour que la production de lait corresponde à la demande, sans causer de pénurie ni de surplus. Ainsi, le système de gestion de l’offre permet de combler la demande en temps opportun.
La Commission canadienne du lait fournit aussi d’autres services à l’industrie laitière. Elle veille à l’entreposage de stocks de beurre pour pallier la saisonnalité de la production et de la consommation, effectue des vérifications de conformité pour veiller au respect des règles du système laitier, administre certains comités décisionnels de l’industrie et leur offre un service de secrétariat et de l’expertise technique et administre des programmes au nom de l’industrie.
En ce qui concerne plus directement la question de l’indemnisation aux secteurs agricoles qui sont sous le régime de la gestion de l’offre en marge de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG, il s’agit assurément d’une question importante. L’accès au marché canadien accordé aux produits laitiers étrangers est estimé à 35 millions de kilogrammes de matière grasse pour le pays. À lui seul, l’accès consenti à l’ACEUM représente 16 millions de kilogrammes de matière grasse.
Pour examiner les impacts de ces deux ententes, soit l’ACEUM et le PTPGP, la Commission canadienne du lait a été invitée à participer au groupe de travail d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur l’atténuation des impacts de ces ententes commerciales sur l’industrie laitière. À cette occasion, nous avons collaboré avec nos collègues du ministère et avec les partenaires de l’industrie et les discussions ont été ouvertes et franches. Notre participation nous a permis d’offrir notre expertise au groupe de travail.
Le Groupe de travail sur l’atténuation des répercussions pour l’industrie laitière devrait présenter les recommandations de l’industrie au ministre de l’Agriculture sous peu, à moins que cela n’ait déjà été fait. D’autres consultations avec l’industrie se poursuivront après cette date, notamment par l’entremise du groupe de travail stratégique. Le gouvernement du Canada examinera les recommandations de l’industrie et y donnera suite en temps et lieu.
Nous serons maintenant heureux de répondre aux questions du comité.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup. C’est très bien.
Le sénateur Doyle : Merci de vos exposés.
Je regarde quelques notes de la Bibliothèque du Parlement. Il est dit que les accords commerciaux de l’Union européenne, des États-Unis et du Pacifique permettront d’ouvrir jusqu’à 18 p. 100 de nos marchés laitiers à des compétiteurs étrangers. Votre industrie peut-elle se maintenir malgré ce type d’attaque?
Benoît Basillais, directeur, Politiques et économie, Commission canadienne du lait : Les 18 p. 100 dont vous parlez, je vais les examiner d’une autre façon. La Commission canadienne du lait va chercher à servir le marché en fournissant de la matière grasse butyrique. Nous n’avons examiné que les répercussions liées à ce produit, soit de 8 à 10 p. 100, selon les calculs. Ce sont exactement 35 millions de kilogrammes, en fonction de la méthode que vous voulez utiliser. Vous obtiendrez quelque chose entre 8 et 10 p. 100. C’est peut-être ce qui explique pourquoi vous avez vu les chiffres.
Certains autres groupes ont examiné les répercussions globales, pas seulement sur la matière grasse butyrique, mais sur toutes les autres composantes lorsque nous produisons du lait — la matière grasse butyrique et d’autres solides — et sont arrivés avec le chiffre de 18 p. 100, si vous tenez compte des autres composantes. Ce sont leurs calculs, ceux des Producteurs laitiers du Canada. Je vais leur laisser le soin de vous expliquer cela plus en détail.
En ce qui concerne les quotas, on parle de 35 millions de kilogrammes après la mise en œuvre complète. Essentiellement, après 19 ans, tout dépendant de l’accord dont vous parlez, et comme mesure de comparaison avec les besoins totaux aujourd’hui, le marché s’établit à 370 aujourd’hui. Cela demeure des répercussions très importantes, même si ce ne sont pas les 18 p. 100.
Le sénateur Doyle : Je crois que le gouvernement fédéral a réservé quelques centaines de millions de dollars pour aider nos producteurs laitiers à composer avec l’AECG. Tire-t-on parti de ces fonds, et ceux-ci sont-ils suffisants, si l’on se fie aux autres accords commerciaux qui s’en viennent? Aurez-vous besoin de fonds supplémentaires pour maintenir vos activités?
[Français]
M. Riendeau : Notre travail s’est concentré sur l’évaluation de l’impact en ce qui a trait aux quantités de matière grasse qui devaient pénétrer notre marché.
Comme je l’ai dit lors de mon exposé, le travail de la Commission canadienne du lait est de s’assurer qu’il y aura suffisamment de production pour combler la demande de produits laitiers au Canada. Pour ce faire, il faut tenir compte de l’entrée des produits par rapport aux ententes négociées. Dans un premier temps, il faut tenir compte de ces entrées de produits qui viennent de l’extérieur; ensuite, il faut tenir compte de la demande totale des besoins pour les produits laitiers canadiens. C’est ce qui déterminera le niveau de production que les producteurs laitiers du Canada devront produire.
Nous avons, de notre côté, fait les calculs pour connaître les quantités de matière grasse qui doivent pénétrer notre marché et nous laissons le soin aux producteurs de calculer l’impact financier et l’impact des demandes qui suivront.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : De temps en temps, bien sûr, vous entendez quelques critiques injustes à l’égard de la gestion de l’offre. Éclairez-moi : si le Canada se débarrassait complètement du système de gestion de l’offre, quelle partie de l’industrie laitière canadienne survivrait? Serait-elle complètement balayée? Serions-nous en mesure d’être compétitifs sans la gestion de l’offre? Non, je crois que nous ne le pourrions pas; est-il juste de dire cela? Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
Je sais que l’Australie et la Nouvelle-Zélande se sont débarrassés de la gestion de l’offre. Reste-t-il une bonne partie de leur industrie nationale? Ont-ils un gros concurrent voisin de la même façon que nous avons les Américains à notre porte?
[Français]
M. Riendeau : Dans un premier temps, le gouvernement canadien n’a jamais mentionné qu’il voulait supprimer la gestion de l’offre. Le gouvernement canadien a toujours parlé de la protection de la gestion de l’offre et a toujours appuyé la gestion de l’offre. Encore là, c’est une question hypothétique que vous avez posée, et il faudrait la transposer à une situation de changement dans notre système pour savoir de quelle façon l’industrie laitière ou l’agriculture seraient encouragées afin de demeurer compétitives avec les autres pays. Chaque pays a sa façon de faire les choses avec son agriculture; je trouve donc un peu embêtant de répondre à une question hypothétique.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : L’industrie canadienne... Le gouvernement canadien soutient la gestion de l’offre. Je crois qu’il est juste de dire que nous l’appuyons tous également. Je me demandais cependant quelle serait notre situation si nous n’avions pas de gestion de l’offre, étant donné ce que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont fait. Je me demande à quoi ressemblerait notre industrie nationale si cela se produisait.
Merci de vos commentaires.
Le sénateur Mercer : J’aimerais revenir sur quelque chose que le sénateur Doyle a dit. Nous avons des téléspectateurs et je ne veux pas les plonger dans la confusion.
La gestion de l’offre en Nouvelle-Zélande ne se compare pas à la gestion de l’offre au Canada. La Nouvelle-Zélande a presque fait faillite en raison de la gestion de l’offre, parce qu’elle versait de l’argent directement aux agriculteurs. C’est exact : le gouvernement de la Nouvelle-Zélande donnait de l’argent aux agriculteurs.
La gestion de l’offre au Canada, comme je l’ai répété sans cesse depuis que j’occupe ce poste... Je n’arrive jamais à trouver un poste dans le budget canadien qui montre de l’argent provenant du gouvernement du Canada pour soutenir la gestion de l’offre.
La gestion de l’offre est faite par les fournisseurs et les agriculteurs eux-mêmes.
J’aimerais dissiper cette confusion. La Nouvelle-Zélande et l’Australie ne sont pas de bons points de comparaison, car la gestion de l’offre — on appelait cela gestion de l’offre — quoi qu’il en soit, j’aimerais poursuivre avec mes questions.
Nous avons plusieurs nouveaux accords en place, en plus d’un accord réécrit avec les Américains. Lequel de ces accords, à votre avis, aura les plus grandes répercussions? Avez-vous une façon de les mesurer à ce moment-ci — très tôt après leur adoption? Une fois que les accords seront en vigueur depuis quelques années, vous serez en mesure de répondre plus exactement à ces questions. Avez-vous une prédiction?
M. Basillais : Les trois accords sont tous très précis — l’AECG concerne le marché du fromage. Nous commençons en ce moment à voir les répercussions. L’industrie de la transformation du fromage sera la plus touchée. Selon le type de fromage qui sera touché — nous avons toujours du mal à nous en sortir. L’AECG concerne très précisément le fromage.
Le PTPGP — l’accord Asie-Pacifique — contient 16 contingents tarifaires. Ce n’est pas seulement le fromage; ce sont tous les autres. Cette fois-ci, si on parle de répercussions, celles de l’AECG s’élèvent à environ 5 millions de kilogrammes. Pour celles du PTPGP, on parle d’environ 12 millions de kilogrammes. Quant aux répercussions mondiales, c’est beaucoup plus grand et cela va s’appliquer à un plus grand nombre de produits. Il est difficile de voir quel type de produits seront importés pour connaître les répercussions.
L’accord avec les États-Unis représente environ 14 millions de kilogrammes. C’est un peu plus que le PTPGP en matière de répercussions globales, et cela englobe 16 contingents tarifaires. C’est essentiellement la même chose que le PTPGP pour ce qui est de l’accès au marché. Cela ratisse plus large : le lait, la crème, le beurre, le fromage et un ensemble de produits semblables.
Le défi, c’est qu’ils arrivent tous l’un après l’autre. Ils seront mis en œuvre graduellement. Au cours des six prochaines années, ils arriveront l’un après l’autre, à raison de un cinquième ou de un sixième à la fois. Il y aura des effets d’accompagnement au cours des cinq prochaines années.
Le sénateur Mercer : J’ai posé cette question à chaque témoin depuis que nous avons entamé cette discussion. Vous avez parlé des aspects négatifs de ces accords sur l’industrie. J’aimerais parler des effets positifs et des possibilités. Les agriculteurs canadiens sont parmi les plus novateurs au monde, cultivant leurs produits dans l’environnement difficile dans lequel nous vivons. C’est miraculeux à bien des égards.
Que taisons-nous au sujet de ce que ces accords ont fourni à notre secteur agricole en matière de possibilités?
[Français]
M. Riendeau : J’ai mentionné plus tôt dans mon allocution que, lorsque les trois ententes rentreront en vigueur, 35 millions de kilogrammes de matière grasse entreront au Canada annuellement et à long terme. Cela prendra beaucoup de croissance au Canada pour combler cela. Au cours des cinq à six années suivant l’entrée en vigueur de ces ententes, si la croissance se maintient comme à l’heure actuelle, elle devrait combler l’équivalent des entrées de produits laitiers de l’extérieur. Malgré tout cela, c’est du lait qui ne sera plus produit ni transformé au Canada qui entrera de l’extérieur.
Le système laitier canadien a toujours été innovateur et a toujours fait bonne figure. On a de grands transformateurs canadiens qui sont sur place et de grands transformateurs européens qui sont présents sur notre notre propre marché. On a des gammes de produits innovateurs. Il y a de l’investissement qui se fait lorsqu’il y a de la croissance. Pour les années à venir, il faudra tenir compte de ces ententes et trouver des façons de continuer d’innover et se développer. Dans le cadre des présentes ententes, certains produits ne seront plus jamais produits ni transformés ici.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Monsieur Pickard, dans votre exposé, lorsque vous avez parlé des autres responsabilités du CPAC, sans les nommer toutes, vous avez mentionné la collaboration avec les régies agroalimentaires provinciales. Pourriez-vous nous donner un exemple de la façon dont cela a fonctionné par le passé ou du fonctionnement actuel?
M. Pickard : Nous avons une organisation qui s’appelle l’ANRA, l’Association nationale des régies agroalimentaires. Les membres de la régie agroalimentaire de chaque province se réunissent deux fois par année, au minimum, et sondent les préoccupations de chacun et les problèmes dans une région donnée. Une autre province a peut-être une solution. C’est une tribune qui s’est révélée très efficace. Notre nouveau président qui entrera en fonction sous peu assume un rôle direct et dit ceci : « Mettons-y un peu plus de substance, de manière à vraiment en faire une organisation puissante. » C’est l’essentiel.
Le sénateur Mercer : Je lui souhaite la meilleure des chances.
[Français]
La sénatrice Gagné : Merci de votre compréhension et de vos présentations. Ma question s’adresse à la Commission canadienne du lait et traite spécifiquement de la transformation des produits laitiers. Vous avez mentionné que vous avez de grands transformateurs ici au Canada. Il y a quand même un défi. On vend ces produits et on les transforme surtout sur le marché canadien. Quelles sont les occasions de faire des transformations dans le but d’exporter, compte tenu des ententes qui ont été négociées? Croyez-vous que le système de gestion de l’offre limite l’innovation en ce qui a trait à notre capacité de diversifier nos produits laitiers, afin d’augmenter nos chances de les vendre à l’extérieur du Canada?
M. Riendeau : J’aimerais ajouter une précision. J’ai mentionné qu’on a de grands transformateurs laitiers au Canada qui viennent d’ici ou de l’Europe. On a aussi plusieurs petits transformateurs laitiers qui assurent une diversité et offrent une gamme de produits exceptionnels. D’ailleurs, si vous lisez notre rapport annuel, vous y trouverez des informations fort pertinentes. On produit 1 050 fromages différents au Canada. On n’a rien à envier à l’Europe ou à d’autres pays dans le monde. Nous avons une belle diversité, ce qui est une preuve de notre caractère et de nos capacités d’innovation et qui montre les possibilités que le lait peut offrir. C’est un produit noble. C’est un produit santé. Vous parliez d’exportation, mais il faut comprendre que le système de gestion de l’offre, à la base, n’est pas conçu pour faire de l’exportation, mais pour répondre aux besoins de la demande canadienne.
J’ai parlé des moyens qu’on utilise pour s’assurer que notre production de lait est suffisante pour répondre aux besoins des consommateurs. On fait des calculs pour anticiper la croissance. Cependant, à la base, notre système n’est pas conçu pour véritablement faire de l’exportation. Étant donné que notre système est basé sur la demande pour les matières grasses — comme M. Basillais vous l’a expliqué —, les protéines viennent avec la matière grasse. Il y a aussi d’autres solides non gras. Donc, des surplus de protéines laitières sont utilisés sous une autre forme au Canada ou occupent le marché de l’exportation. Il s’agit cependant de petites quantités.
M. Basillais : Pour ajouter à ce que M. Riendeau vient de dire, grâce à la gestion de l’offre, il n’y a rien qui empêche les exportations de produits; il n’y a aucune d’interdiction. Le système n’est pas pensé en fonction de cela, mais plutôt pour servir le marché canadien. Nous profitons d’une belle croissance à l’heure actuelle. M. Riendeau l’a dit, le lait est un produit noble. Le marché du beurre est en croissance, celui du fromage est aussi constamment en croissance de 2, 3, 4 ou 5 p. 100 par année. La priorité a toujours été de servir le marché canadien, de pousser davantage l’innovation; il y a de plus en plus de types de fromage sur le marché. Cela a commencé au Québec et cela s’est répandu dans tout le Canada. La gestion de l’offre assure une stabilité, une prévisibilité qui a permis de fournir du lait à des transformateurs qui désiraient lancer de nouveaux produits. Il y a des bénéfices à cela. Le système n’a jamais été pensé pour faire de l’exportation, mais rien ne l’empêche. Je crois qu’on peut le dire comme ça.
La sénatrice Gagné : Quels changements proposeriez-vous afin de permettre une plus grande exportation de nos produits canadiens?
M. Riendeau : Je vous dirais qu’il faut tenir compte des pays qui profitent de l’accès au marché canadien. Les transformateurs laitiers canadiens devraient pouvoir profiter des mêmes outils et avantages que leurs compétiteurs. Les modèles de systèmes laitiers chez nos voisins du Sud, en Europe et ailleurs sont différents des nôtres. Donc, pour être compétitif, il faudrait travailler à armes égales.
Dans certains pays, le marché laitier est fortement subventionné. Comme votre collègue l’a mentionné plus tôt, au Canada, les producteurs laitiers ne sont pas subventionnés. Dans certains pays, les consommateurs paient leur lait à l’épicerie et aussi par l’intermédiaire de leurs impôts.
La sénatrice Gagné : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Merci, mesdames et messieurs, de vos renseignements très précis.
Ma question revient un peu plus sur celle du sénateur Mercer. Lorsque l’ACEUM et le PTPGP seront mis en œuvre, quelle part d’accès au marché international votre secteur gagnera-t-il?
M. Basillais : Je ne suis pas expert en commerce, mais nous gagnons un accès réciproque. L’accès aux marchés que le Canada a concédé aux États-Unis, les États-Unis l’ont concédé au Canada également. C’est la même chose : cela m’échappe pour l’AECG, mais c’est essentiellement la même chose partout. Nous pouvons techniquement le faire. Est-ce que cela va arriver? C’est une autre histoire.
M. Pickard : En ce qui concerne la volaille et les œufs, nous procédons toujours à quelques calculs, mais chaque industrie est touchée différemment par chaque commerce. Vous avez entendu dire hier que les dindons semblent être touchés un peu plus durement que les poules. C’est complexe. Il y a des gens qui se penchent là-dessus en ce moment, mais pour autant que je sache, c’est nuisible dans une certaine mesure.
Le sénateur Oh : Pour ce qui est de la compétitivité du marché et de la qualité des produits par rapport aux États-Unis, au Mexique ou à d’autres pays visés par le PTPGP, comment nous en sortons-nous? Quelle est la concurrence lorsque vous pénétrez ces marchés?
M. Basillais : Si vous voulez savoir si nous pouvons concurrencer les Américains et les Mexicains, ma réponse serait, comme M. Riendeau l’a dit, à outils égaux, avantages égaux. Nous ne possédons pas les mêmes outils. Je crois que le Canada a beaucoup d’avantages. Nous produisons des produits de grande qualité. Le pays est reconnu mondialement pour la qualité des produits laitiers. Nous disposons d’une grande expertise.
Nous n’avons jamais songé à exporter ces produits, alors cette possibilité existera peut-être, mais ce serait quelque chose à long terme pour le Canada. Nous devons développer l’expertise. Puis, en ce qui concerne les coûts de production, nous n’allons pas concurrencer la Californie. Elle possède des exploitations agricoles énormes. Nous avons au Canada des exploitations agricoles familiales. Nous sommes confrontés aux aléas de la météo, mais je continue de croire que nous détenons quelques possibilités et marchés à créneaux. Si vous regardez le marché de masse et le prix là-bas, ils sont très bas. Je crois que je vais un peu digresser ici, mais vous pourriez demander au transformateur qui va venir vous voir de vous donner d’autres renseignements à ce sujet. Ce sera probablement mieux.
M. Pickard : D’après ce que tout le monde a entendu les représentants de l’industrie dire hier, on compare des pommes et des oranges. Le coût des intrants dans certaines régions varie. Pour permettre la concurrence de l’industrie canadienne, on présente l’image que le Canada offre un produit meilleur et plus sécuritaire. Je crois que c’est une des choses qu’on essaie de mettre de l’avant. Je crois que nous avons entendu dire hier que la compétition est bonne en ce moment, mais pas pour longtemps encore, et c’est un coup d’épée dans l’eau une fois que les vannes sont ouvertes.
Le sénateur Oh : D’après le gouvernement du Canada, le PTPGP, tous ces nouveaux accords mis en œuvre visaient à garantir un nouvel accès aux marchés pour les produits canadiens. Si le gouvernement aide les agriculteurs à prospecter le nouveau marché, comment exportent-ils leurs produits vers les pays du PTPGP, qui se trouvent en Asie et ailleurs? Quelle est l’aide fournie aux agriculteurs par le gouvernement?
M. Basillais : Le gouvernement du Canada a créé deux groupes de travail, dont un pour composer avec l’atténuation, qui ont presque achevé leur travail. La prochaine mesure est une planification stratégique à long terme. C’est dans ce contexte que se tiendront les discussions. Le comité n’a pas encore été créé. Nous essayons en ce moment de comprendre ce qui se passe et de découvrir comment tout cela fonctionnera. C’est un peu prématuré de regarder vers l’avenir. C’est assurément quelque chose qui, je l’espère, figurera au programme de la planification stratégique. Comment pouvons-nous optimiser ce qui s’est produit ou en tirer le meilleur parti? Je soupçonne qu’on examinera ces choses au comité. Je ne peux pas m’avancer plus loin à ce sujet aujourd’hui.
Le sénateur Oh : En ce moment, il n’y a ni plans ni traces de cela?
M. Basillais : Pas que je sache. L’industrie a vécu récemment beaucoup de changements avec lesquels elle est en train de composer. Nous avons procédé à la mise en œuvre de la classe 7 en suivant les traitements et l’évolution du système. Au moment où elle était presque mise en œuvre, l’ACEUM est arrivé; nous devons donc la changer de nouveau. À l’heure actuelle, on cherche surtout à la faire fonctionner pour les prochaines années, puis à savoir comment aller plus loin. L’industrie laitière a toujours été en mesure de se remettre sur pied. Ce n’est pas la première fois.
Carole Gendron, directrice, affaires réglementaires et sectorielles, Conseil des produits agricoles du Canada : Concernant l’industrie de la volaille et des œufs, on cherche vraiment, comme on l’a dit plus tôt pour les produits laitiers, à approvisionner le marché national. Il n’y a pas d’appétit réel pour les exportations ni pour l’augmentation du marché d’exportation.
Comme Benoît l’a dit, nous faisons également partie d’un groupe de travail auprès d’AAC pour voir comment on peut indemniser l’industrie et atténuer l’aspect commercial.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur R. Black : Merci beaucoup.
En vertu des accords récents, l’augmentation de l’accès aux marchés sera instaurée progressivement sur une période de 5 à 19 ans. Cette période progressive est-elle suffisante pour donner aux producteurs canadiens le temps de s’adapter et d’innover, dans la mesure nécessaire?
[Français]
M. Riendeau : Je dirais que l’industrie laitière canadienne est en plein essor. Est-ce que l’industrie va s’adapter? Nous comprenons qu’il y a des groupes de travail qui discutent afin de trouver des compensations, un groupe qui travaillera sur l’avenir de l’industrie laitière. Ce sont des situations positives dans le contexte où ces ententes ont été signées entre les pays ou sont sur le point d’être signées.
Par contre, si le Canada n’avait pas donné accès à son marché, ce serait la même dynamique pour ce qui est de la croissance et de l’innovation. Cependant, il faut travailler avec des produits qui vont provenir de l’extérieur et qui viendront déstabiliser le marché canadien, à tout le moins. C’est là où est la complexité, pour le moment, de voir exactement les impacts qui se produiront au fur et à mesure que ces produits feront leur entrée, année après année, principalement sur une période de 6 ans qui pourrait aller jusqu’à une période aussi longue que 19 ans.
Les producteurs et les transformateurs sont les mieux placés pour évaluer les impacts qui leur incombent. Évidemment, la terre n’arrêtera pas de tourner, mais cela aura un impact.
[Traduction]
Le sénateur R. Black : Pourriez-vous nous dire si le CPAC et la CCL ont été consultés de manière appropriée durant les négociations commerciales?
M. Pickard : En ce qui concerne le CPAC, cela ne fait pas du tout partie de notre mandat pour ce qui est de notre rôle de surveillance. Nous recevions seulement des échos des quatre offices nationaux, car nous nous tenons au courant de leurs préoccupations, mais en ce qui concerne la profondeur des négociations commerciales, ce n’est pas notre mandat.
[Français]
M. Riendeau : De notre côté, étant donné que nous relevons d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, nous avons eu de bons échanges avec nos collègues du ministère durant les négociations. La Commission canadienne du lait a travaillé avec eux pour leur donner le plus d’information possible afin que le Canada puisse conclure une bonne entente. Oui, nous avons été consultés et nous avons apporté notre expertise à ce moment-là.
[Traduction]
Le sénateur R. Black : Dans le magazine Ontario Farmer de la semaine dernière, on disait qu’il faudrait conseiller aux producteurs laitiers de se préparer en vue de la déclaration de Nairobi. À la lumière des trois accords commerciaux et de cette nouvelle aventure que nous devons guetter en 2021, pourriez-vous nous dire si cela représentera un autre succès d’ici un an et demi?
M. Basillais : L’accord de Nairobi représente essentiellement la fin de toutes les subventions à l’exportation. Il ne s’agit pas d’un accès élargi aux marchés. Nous ne serons pas en mesure d’exporter des produits pour lesquels une subvention est réputée.
Au cours des dernières années, on a apporté plusieurs changements à l’industrie afin de prévoir une partie de ces nouveautés. La CCL avait pris l’habitude d’acheter des surplus de lait écrémé en poudre et de les exporter. Nous ne le faisons plus. La classe 7 se voulait une tentative pour remédier à cela, et c’est aussi quelque chose qui s’ajoute. C’était sur le radar auparavant. Nous avons essayé de le faire avec la classe 7; c’est l’industrie, collectivement, qui l’a fait. Maintenant, avec l’accord sur la classe 7, l’industrie devra se conformer à ce nouvel accord. Nous devrons aussi trouver une solution à cet égard.
Le sénateur R. Black : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma première question s’adresse à M. Pickard. J’ai écouté votre présentation, ainsi que tout ce que votre organisme avait à faire.
Ce qui me surprend un peu, c’est que vous avez un organisme de 16 personnes, dont une seule travaille à temps plein, et c’est le président. Comment faites-vous pour être efficaces avec tout ce que ces gens ont à faire?
[Traduction]
M. Pickard : À titre de précision, nous comptons 16 employés à temps plein. Parmi les quatre membres du conseil, il n’y en aura qu’un seul à temps plein, c’est-à-dire le président. À l’heure actuelle, nous avons quatre membres du conseil, et si nous en avions sept, le président serait le seul à temps plein. Nous comptons 16 employés à temps plein à la ferme.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Donc, 17 personnes à temps plein. C’est ce qui explique votre efficacité.
Monsieur Riendeau, j’aimerais que vous nous donniez une idée de la variation des quotas de lait. Sur une période de 10 ans, par exemple, quel genre de production avons-nous eu annuellement? Est-ce qu’elle augmente? Est-ce qu’elle baisse? Est-ce qu’elle varie? Si c’est le cas, de quoi cela dépend-il?
M. Riendeau : Je vais laisser M. Basillais répondre à votre question.
M. Basillais : Depuis 10 ans, on peut séparer la période en deux. Depuis les cinq dernières années, on voit une belle croissance continue de la demande, alors que, durant les cinq années précédentes, on constatait une croissance plus modérée, qui allait de 1 à 2 p. 100. Depuis cinq ans, on se situe davantage dans les 3 à 4 p. 100. On produit ce que les consommateurs veulent. Ce sont les consommateurs qui décident de ce qu’ils veulent, la CCL fait le calcul et chaque province gère le tout de manière optimale. Donc, en termes de quotas annuels, on constate une belle croissance régulière. Avec les ententes, comme les importations remplaceront les produits canadiens, une partie de cette croissance sera absorbée.
C’est donc une croissance continue. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.
Le sénateur Dagenais : La semaine dernière, alors que je me trouvais aux États-Unis, j’ai écouté le discours à la nation du président des États-Unis, et j’avais hâte qu’il parle de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. M. Trump a dit que c’était une excellente entente pour les États-Unis.
Pensez-vous que c’est une excellente entente pour le Canada?
M. Riendeau : Il faudrait le demander à M. Trudeau.
Le sénateur Dagenais : Lui vous dirait que c’est une très bonne entente.
M. Riendeau : Comme c’est un commentaire de M. Trump, j’imagine que ce serait à son homologue de répondre à votre question.
Le sénateur Dagenais : Vous aimez mieux laisser répondre M. Trudeau?
M. Riendeau : Oui.
Le sénateur Dagenais : Vous ne pourriez pas nous donner une petite idée et nous dire si vous êtes à l’aise avec cette entente? Parce que l’entente aura un impact.
M. Riendeau : Je ne peux pas parler des autres aspects de l’entente qui ne nous concernent pas, mais je peux parler de la partie qui nous concerne. Si le gouvernement a mis des comités en place pour parler de médiation et de compensation, ce doit être parce qu’il y a un impact pour le secteur laitier canadien ou pour les secteurs qui sont sous le système de gestion de l’offre.
Le sénateur Dagenais : Je présume que les organismes visés vont évaluer les compensations à recevoir?
M. Riendeau : Nous avons évalué l’impact en termes de quantité de matière grasse qui sera accordée aux pays étrangers dans le cadre de ces ententes. Les producteurs et les transformateurs seront en mesure d’évaluer l’impact réel que tout cela aura sur eux.
Le sénateur Dagenais : Jusqu’à maintenant, aucun montant d’argent n’a été versé en guise de compensation. Tout est sur la glace.
M. Riendeau : En effet.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Merci de vos exposés. Ma première question s’adresse à M. Pickard. Vous avez dit qu’une de vos responsabilités était d’enquêter, dans les limites de vos compétences, sur toute plainte relative aux décisions que vous prenez et de prendre les mesures nécessaires. Quelles sont les plaintes les plus courantes que vous recevez et comment y répondez-vous?
M. Pickard : Je dirais qu’il y a une plainte courante. Je crois qu’il y en a une par rapport à laquelle nous venons de prendre une décision en novembre, et avant celle-là, c’était il y a un an et demi. Parfois, une province va déposer une plainte contre l’office fédéral. La première chose à faire, c’est de venir nous voir pour tenter de trouver une solution, et si ce n’est pas possible, le processus de plainte se poursuit. Il n’y a pas de plainte courante. De temps en temps, quelque chose survient, et cela fait partie de notre rôle.
Le sénateur Ravalia : En général, parvenez-vous à un règlement à l’amiable ou est-ce que le processus est interminable?
M. Pickard : La dernière plainte était interminable. Parfois, les parties vont rencontrer le président et en discuter, et la plainte disparaît. Cela se produit parfois aussi. Il y a des délais associés à une plainte. Le processus ne peut durer qu’un certain temps, puis la décision est prise par un comité. Le comité formule ensuite une recommandation au conseil.
Le sénateur Ravalia : Merci. Ma deuxième question s’adresse à M. Riendeau. Les accords commerciaux que nous avons conclus peuvent-ils avoir des effets défavorables sur des régions ou des provinces particulières, en ce qui touche les exploitations agricoles commerciales ou familiales? Ou nous attendons-nous à ce qu’il y ait des effets défavorables uniformes partout au pays? Je me préoccupe particulièrement de ma province de Terre-Neuve-et-Labrador, des petites exploitations agricoles, de nombreuses entreprises familiales, où nous avons l’impression que la vulnérabilité serait plus grande.
M. Basillais : D’abord, je vais vous donner quelques détails, puis M. Riendeau pourra ajouter quelque chose. Pour ce qui est de la façon dont le système fonctionne à l’échelon des fermes, à l’échelon des producteurs, la perte de production du produit sera répartie équitablement dans l’ensemble des producteurs au Canada. Tout le monde va perdre 8 p. 100 de la croissance future. Des échanges justes et équitables, c’est le principe de la gestion de l’offre et des quotas. Tout le monde a une part du marché et tout le monde perd ou tire des bénéfices de façon proportionnelle. C’est le fonctionnement à l’échelon des fermes. Du côté de la transformation, cela va dépendre des personnes qui sont touchées et des régions. Ce pourrait être différent. C’est très difficile de dire si une région sera touchée plus que d’autres. Cela va varier selon la capacité du transformateur de s’adapter à cette nouvelle réalité. Donc, ces choses vont varier. Du côté des producteurs, les répercussions seront partagées.
Le sénateur Ravalia : Croyez-vous que les petits transformateurs seront plus vulnérables dans cette situation s’ils ont des stocks moins imposants, moins de capitaux?
M. Basillais : C’est difficile de répondre à cette question, car tout le monde va souffrir d’une manière ou d’une autre. C’est difficile à dire. Oui, si je suis un transformateur de fromage et que je produis un fromage très particulier, si j’ai une ou deux gammes et que, du jour au lendemain, on les importe, je vais devoir m’adapter, et ce sera difficile. Si je suis un grand transformateur, mes pertes seront grandes également.
Le sénateur Mercer : Encore une fois, je suis déçu d’apprendre que nous ne fassions pas preuve de vigueur pour ce qui est de faire fonctionner les choses. Nous avons conclu l’accord et nous devrons travailler avec celui-ci. J’aimerais poser une question précise au sujet des produits laitiers. N’y a-t-il pas de fusion dans le marché laitier des coopératives? Dans ma province, je sais que les plus grands producteurs laitiers des coopératives à Halifax font maintenant partie d’une coopérative au Québec et élargissent leur marché. Cette fusion ne les protège-t-ils pas contre les changements, en leur présentant plus de possibilités d’accroître le marché, pas juste au Canada, mais s’il y a des possibilités d’exportation?
[Français]
M. Riendeau : Je crois que ce choix appartient au système corporatif dans ces provinces. Les producteurs qui sont propriétaires d’entreprise ont fait ce choix justement pour faire face à l’avenir. En étant de plus grande taille, ils sont davantage en mesure de faire face aux changements, peu importe ce qui arrive. Je crois que ces choix ont été faits surtout dans vos provinces.
Je n’ai pas à dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose. C’est leur choix. De toute façon, ce qui importe, c’est qu’il y ait de la production et de la transformation partout au Canada, dans toutes les régions. L’agriculture est un moteur économique pour les régions. Il est donc important que ce dynamisme se poursuive dans toutes les régions du Canada. Je crois qu’il faut le préserver.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Je tiens à remercier notre groupe de témoins. C’était une excellente discussion, et beaucoup de questions ont été posées. Nous aurions assurément pu continuer longtemps encore. Je vous remercie d’avoir été ici ce soir.
Dans notre prochain groupe de témoins experts ce soir, nous recevons Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires, faculté d’agriculture, Université Dalhousie — il a déjà été parmi nous; Martha Hall Findlay, présidente et chef de la direction de la Canada West Foundation; et, enfin, Al Mussell, chef de la recherche pour Agri-Food Economic Systems.
Bienvenue à vous. Je crois savoir que vous allez respecter l’ordre dans lequel vous avez été nommés. Monsieur Charlebois, je vous prie de commencer.
Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires, faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour, madame la présidente, honorables membres du comité, mesdames et messieurs les invités. C’est pour moi un honneur et un privilège d’avoir été réinvité à venir vous parler de l’avenir de nos politiques agricoles, et plus particulièrement de l’avenir de notre secteur des produits laitiers.
Pendant ma déclaration liminaire, j’entends me pencher sur quatre enjeux : la portée d’une nouvelle réforme, la ferme laitière optimale, la transformation et l’innovation, et la gouvernance.
Premièrement, il est important de reconnaître que les producteurs laitiers sont des entrepreneurs résilients. Ils sont fiers, mais ils reconnaissent également que leur environnement macroéconomique change rapidement. Nombreux sont ceux qui constatent que les limites actuelles de notre système représentent de plus en plus un défi pour notre économie ouverte. Après avoir discuté avec bon nombre d’entre eux au cours des dernières semaines, j’estime qu’une chose est devenue évidente : toute solution doit être durable et ne pas être considérée comme une indemnité assortie d’une vision de l’industrie à court terme.
Pour maintenir un niveau de production nationale raisonnable dans notre pays, particulièrement dans les régions mal desservies comme celles de l’Atlantique, des Prairies et même du Nord canadien, nous devons absolument garder les fermes laitières en exploitation partout au pays, et pas seulement au Québec et en Ontario. Or, au rythme actuel, en raison de notre manque de compétitivité, nous pourrions perdre la moitié des 11 000 fermes laitières que nous avons d’ici 2030, même si la nature même du système demeure inchangée. Depuis une vingtaine d’années, cependant, la situation a été hautement prévisible, et les récents accords de libre-échange ne feront qu’accélérer le processus minant l’influence économique du secteur.
Deuxièmement, une réforme devrait permettre de définir ce à quoi devrait ressembler la ferme laitière optimale. Dans le secteur des grains par exemple, en se fondant sur plusieurs études, on a constaté que la taille optimale d’une ferme canadienne, et surtout dans la région du Québec, compte tenu de notre climat, est d’environ 3 000 acres. Si la superficie est moins grande, les familles doivent toucher un revenu supplémentaire en travaillant à l’extérieur de la ferme. L’exploitation bénéficie alors d’économies d’échelle et d’un accroissement de l’efficience. Dans le secteur laitier, la taille moyenne d’une ferme est actuellement inférieure à la moyenne mondiale. Si vous regardez l’annexe A du document que je vous ai envoyé, vous verrez l’ensemble de la taille moyenne des fermes dans la plupart des pays industrialisés du monde.
Le tableau qui se trouve à l’annexe B est tiré d’une étude novatrice, réalisée par Hemme et coll., publiée en 2014. Elle révèle à quel point notre secteur laitier n’est pas concurrentiel par rapport à celui d’autres pays. Le coût de production laitière le plus élevé a été observé dans une exploitation suisse, puis dans une ferme canadienne. L’Arménie figure en dernière place du sondage mené auprès de 46 pays différents.
Pour déterminer le modèle optimal pour le Canada, il faut considérer de nombreux facteurs. D’après les résultats de cette étude, on peut conclure que le coût des aliments, le coût de la main-d’œuvre, les coûts de fonctionnement, les facteurs de production et le coût des quotas sont très pertinents lorsqu’on envisage des stratégies pour réduire les coûts globaux de fonctionnement.
Compte tenu de la volatilité du marché des produits laitiers à l’échelle mondiale, tout particulièrement en ce moment, un modèle canadien devrait permettre d’établir un bon équilibre entre le coût des quotas et les coûts d’option, tout en tenant compte de notre climat nordique.
Troisièmement, j’aimerais parler de la transformation et de l’innovation. Un des principaux problèmes du système de gestion de l’offre est que, par le passé, il n’a pas permis une diversification des produits. Les nouveaux produits novateurs qui contiennent des produits laitiers ont posé problème au pays. Nous avons élaboré de nouveaux produits, mais ils sont uniquement consommés ici, et ne sont pas offerts dans le reste du monde. Tout nouveau modèle devrait permettre de mieux soutenir notre industrie de la transformation des produits laitiers, ce qui favoriserait l’innovation et les échanges commerciaux, de sorte que le lait et les produits laitiers de grande qualité du Canada pourraient être mis en valeur à l’échelle mondiale.
Récemment, nous avons eu besoin de Fairlife, une marque détenue par Coca-Cola, et qui est l’étrangère dans notre pays, pour nous montrer comment nous devrions innover. Fairlife aurait dû nous appartenir. Elle procède maintenant à la construction d’une usine à Peterborough, en Ontario, où l’on crée 75 emplois. Cela représente une innovation : du lait sans lactose, mais celle-ci appartient à une entreprise américaine.
En créant un groupe de travail qui examinerait la compétitivité dans le secteur des produits laitiers, les experts de l’industrie peuvent non seulement travailler ensemble pour concevoir et mettre en œuvre des solutions pratiques et durables qui peuvent aider les producteurs laitiers, les transformateurs et les distributeurs, toute la chaîne d’approvisionnement, mais ils peuvent également s’assurer que notre industrie des produits laitiers continue de prospérer à l’avenir.
[Français]
Finalement, j’aimerais discuter des groupes d’intérêts et des producteurs, soit la gouvernance du secteur de manière générale.
À titre de chercheur, je supplie le Sénat du Canada de porter une attention particulière aux producteurs laitiers eux-mêmes et de leur offrir une chance de s’exprimer par eux-mêmes, et pas seulement par le biais des groupes qui les représentent ou qui tentent de représenter les intérêts d’un groupe de producteurs. Ces groupes sont devenus, avec les années, des machines politiques qui défendent à tout prix le système actuel, malgré ses défauts. C’est en conversant avec les producteurs que l’on constate à quel point certains de leurs propos ne reflètent absolument pas la réalité des groupes qui les représentent.
Il serait dès lors important que le comité entende aussi ceux qui travaillent sur le terrain, et pas seulement ceux qui défendent un système qui est visiblement en train de nous mener vers un cul-de-sac économique.
Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Merci de votre exposé.
C’est maintenant au tour de Martha Hall Findlay.
Martha Hall Findlay, présidente et chef de la direction, Canada West Foundation : Je m’excuse aux interprètes de n’avoir pas envoyé mon document à l’avance. Je vous remercie de votre patience.
Je suis effectivement présidente et PDG de la Canada West Foundation. Il s’agit d’un groupe de réflexion non partisan fondé sur des données probantes qui produit des recherches, des analyses et des recommandations sur des politiques publiques. Même si nous nous intéressons principalement à l’Ouest canadien, la plus grande partie de notre travail se concentre vraiment sur l’intérêt principal du Canada dans son ensemble. Nous disposons de trois centres stratégiques : les ressources naturelles, et certains d’entre vous connaissent peut-être nos travaux approfondis sur le projet de loi C-69; le capital humain; et, élément pertinent aujourd’hui, le commerce et les investissements.
Je suis également ici en ma capacité d’experte en commerce. Au cours de mes premières années dans la pratique du droit, je me suis intéressée principalement au droit des affaires et du commerce international. Je me suis occupée de questions commerciales de façon régulière. Quand j’ai travaillé ici, à Ottawa, en tant que députée, j’ai agi comme critique du commerce international pour l’opposition officielle de l’époque.
J’ai aussi été membre, et je le suis toujours, du conseil consultatif des experts en commerce du ministre du Commerce international depuis les deux dernières années. Comme vous pouvez l’imaginer, les renégociations entourant l’ALENA étaient...
La présidente : Pourrais-je vous demander de ralentir un peu?
Mme Hall Findlay : Pardon.
En tant que membre du conseil consultatif du ministre, je n’ai pas besoin de dire que les renégociations entourant l’ALENA étaient un objectif principal.
Certains d’entre vous savent aussi que j’ai fait beaucoup de travail sur la question de la gestion de l’offre. Je ne vais pas dire si j’appuie ou non le concept de la gestion de l’offre. Le but de ces discussions, et je félicite le Sénat et votre comité de vous pencher sur la question, est le suivant : étant donné que nous disposons de ce système, que devrions-nous faire pour indemniser les entités visées par les secteurs de la gestion de l’offre dans le cas où elles subiraient des pertes attribuables à un accès accru au marché canadien, prévu par les accords de libre-échange, aux producteurs ou aux transformateurs d’autres pays?
J’aimerais aussi insister sur le fait que, même dans le cadre de notre travail global sur la gestion de l’offre, nous n’avons jamais dit que les gens ne devraient pas être indemnisés pour des pertes indépendantes de leur volonté. Notre pays est tout autant compatissant qu’aisé. Par conséquent, nous disposons donc de la volonté et des moyens pour prêter main-forte à ceux qui demandent notre aide. D’autres exemples d’aide à l’indemnisation et à la transition liées au commerce comprennent le bois d’œuvre résineux, l’industrie vinicole durant les négociations originales sur le libre-échange aux États-Unis, et il y en a un certain nombre d’autres.
Mes commentaires porteront sur plusieurs points. Devrait-il y avoir une indemnisation? Le cas échéant, comment devrait-elle être calculée? Par qui? Comment devrait-elle être fournie et à qui? Qui devrait payer? Les nouvelles possibilités devraient-elles être prises en considération? Par exemple, les débouchés éventuels liés à l’AECG ou ceux qui découlent des activités de la coopérative Agropur aux États-Unis. Et, s’il reste du temps, j’ai quelques notes sur chacun des accords, et peut-être même quelques-unes sur le Brexit.
D’abord, en ce qui concerne une indemnisation, devrait-il y en avoir une? Le principe de base, à notre avis, même s’il est quelquefois plus difficile à déterminer en pratique, c’est qu’il doit y avoir la preuve d’une perte réelle subie. Il y a trop de discussions, et elles ne portent pas uniquement sur les produits laitiers; ce n’est pas juste ce secteur, mais, trop souvent, il y a trop de discussions sur le fait de savoir quelle sera la perte. Nous sommes d’avis qu’il doit y avoir des données probantes très fortes à l’égard de ce qui est en fait perdu afin de déterminer s’il doit y avoir une indemnisation.
L’autre question doit être la suivante : était-ce la faute des gouvernements? Par exemple, s’agissait-il d’une expropriation reposant sur une promesse? Dans un système qui établit des quotas et la valeur de ces quotas, si le gouvernement fait volte-face et agit de manière à retirer cette valeur, on pourrait alors alléguer que cela s’apparente davantage à une expropriation et, par conséquent, le contexte est différent en ce qui concerne une indemnisation.
Ou était-ce juste attribuable aux pertes associées à de mauvaises décisions commerciales? Même si cela n’est pas nécessairement lié au commerce, nous pouvons examiner l’histoire passée en ce qui concerne General Motors et Chrysler, puisque les contribuables canadiens demeuraient vraiment déficitaires en matière de soutien. Je ne dis pas que c’était ou non la bonne chose à faire, mais il y a des contextes différents pour les indemnisations.
D’autres exemples à l’extérieur des accords de libre-échange comprennent l’indemnisation et la transition pour les producteurs de tabac en Ontario ou les pêcheurs de morue sur la côte Est. La question de l’indemnisation est soulevée au Canada dans beaucoup de circonstances différentes. Nous avons au pays quelques possibilités de vraiment mettre de l’avant certaines réformes stratégiques sur la façon de composer avec celles-ci plutôt que de le faire chaque fois de façon ponctuelle.
Comment devrait-on calculer l’indemnité? Celle-ci devrait reposer sur des données probantes factuelles concernant les pertes subies, pas une perte de revenu prévue, une perte de valeur des actifs ou d’autres pertes subies. Cela ne devrait pas reposer sur des hypothèses ou des suppositions.
Par qui? Par qui les calculs devraient-ils être faits, c’est ce que je veux dire par cela. C’est très important, lorsque le gouvernement versera des indemnités ou une aide à la transition à quelque groupe ou organisation que ce soit, qu’il garde également à l’esprit la responsabilité à l’égard des contribuables. Nous sommes donc d’avis que, peu importe les calculs faits, cela devra être fait en toute indépendance par des gens qui participent de façon objective et qui n’ont pas nécessairement de conflit d’intérêts. Bien sûr, vous devez demander à des gens de l’industrie de fournir des commentaires, mais les calculs doivent être faits par des personnes indépendantes et objectives.
C’est une autre difficulté. Encore une fois, nous réagissons. Nous concluons un accord de libre-échange, puis nous réagissons à une organisation ou à un groupe d’intérêts particulier.
Pour me vanter un peu, je dois dire que, à la Canada West Foundation, nous travaillons en ce moment même sur certaines propositions majeures pour le Canada, afin de changer la façon dont nous abordons toute cette question de perte perturbatrice, qu’elle soit imputable à des accords de libre-échange ou à d’autre chose, dans le but de prendre les décisions qui s’imposent dans le domaine du lobbyisme et de la politique sur le fait de savoir si on doit le faire, dans quelle mesure et à quel moment, et de fonder ces décisions sur des principes clairs d’équité et d’indemnisation. Faute de temps, nous devrons attendre et en parler une autre fois.
Puis, évidemment, on se demande comment cela devrait être fourni et à qui.
Dans certains cas, la bonne réponse, s’il y a des pertes d’entreprise, c’est de fournir de l’aide à une entité sociale afin de permettre à la société de conserver des emplois. Dans de telles circonstances, les gens à qui l’indemnité serait vraisemblablement versée seraient probablement des agriculteurs individuels, si on présume que cela devrait se faire, et nous pouvons nous entendre pour dire que nous ne sommes pas d’accord sur l’opportunité de le faire.
Encore une fois, ces décisions doivent être objectives. En ce qui concerne le comment et le qui, d’après l’OCDE, on a fait passablement de travail sur l’indemnisation pour une réforme agricole, et cela devrait cibler directement les groupes touchés. On devrait l’adapter aux objectifs de la politique. Que ce soit une grande réforme du système des produits laitiers ou une grande réforme de ce que nous faisons au chapitre de la production laitière, peu importe l’indemnisation ou l’aide à la transition, on devrait garder à l’esprit cette orientation stratégique particulière.
Il importe aussi de s’assurer que les adaptations qui sont faites à la suite de la réforme — et par réforme, bien sûr, nous parlons de changements en raison d’un accord de libre-échange — ne sont pas entravées par des distorsions des marchés des intrants ou des extrants. On suggère fortement que, lorsque vous pouvez calculer réellement les pertes, l’indemnité soit versée sous forme de montant forfaitaire.
Bien sûr, l’aide à la transition n’est pas la même chose. Dans ce cas, l’aide serait seulement versée à ceux qui optent pour une transition, que ce soit pour poursuivre leurs activités ou passer, par exemple, à un environnement plus concurrentiel et plus productif. Il peut aussi s’agir de personnes voulant faire la transition vers un autre domaine. Par conséquent, dans de telles situations, c’est beaucoup plus au cas par cas.
De quelle façon paierait-on pour tout ça? Je ne recommande pas l’adoption du système de production laitière australien, mais le système utilisé en Australie pour calculer les indemnisations était extrêmement novateur, dans la mesure où une redevance de 11 cents par litre de lait a été prélevée pendant huit ans. Ce sont en fait les consommateurs qui ont payé, mais cette mesure a permis au gouvernement de verser, dès le début, des paiements forfaitaires dont il reconnaissait la nécessité.
J’aimerais aussi demander s’il faut tenir compte de nouvelles occasions. Deux ou trois questions ont été posées précédemment sur les occasions d’exportation. Actuellement, comme vous l’avez entendu, le cadre de gestion de l’offre n’est pas conçu de façon à fournir des occasions d’exportation, mais cela ne signifie pas que ce ne sera pas possible à l’avenir. En fait, l’AECG est réciproque. Elle offre un accès important à nos produits laitiers au marché européen. Cet accès a été négocié parce que personne ne pensait que le Canada voudrait se donner la peine d’exporter en Europe ou encore que nous pouvions, en vertu des règles de l’OMC, devenir assez productifs pour être rentables. Cependant, cela ne signifie pas que de telles occasions n’existent pas. L’AECG nous offre un merveilleux accès, si nous décidons, en tant que pays et industrie, que c’est quelque chose qui nous intéresse.
Faut-il soustraire les occasions des pertes? Il y a autre chose. Environ le tiers d’Agropur appartient à des producteurs laitiers canadiens. C’est une coopérative. Fait intéressant, cependant, grâce à ses opérations américaines, Agropur transforme maintenant plus de lait américain que de lait canadien. Par conséquent, on peut dire qu’Agropur, qui appartient à plus de 3 000 producteurs laitiers canadiens, soutient actuellement plus les producteurs laitiers américains. Si le marché laitier américain peut bénéficier de l’ACEUM, et si Agropur estime pouvoir bénéficier de ce genre d’accès, faut-il soustraire l’avantage que les producteurs laitiers canadiens retirent de l’accord en tant que propriétaires d’Agropur?
Je ne dis pas qu’il faudrait le faire. C’est surtout une question de principe : lorsque nous parlons d’indemnisation et de transition, devrions-nous calculer non seulement les pertes, mais aussi les occasions? Cela signifierait aussi qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur des hypothèses, mais aussi vraiment jeter un coup d’œil à tout ça.
J’aimerais parler rapidement des pourcentages dont on a discuté précédemment et souligner que, lorsque nous disons que les compétiteurs européens ont accès à 2 ou 3 p. 100 du marché du fromage, le PTP/PTPGP ouvrirait jusqu’à 3,25 p. 100 du marché plus global, et l’ACEUM, quant à lui, ouvrira l’accès jusqu’à 3,6 p. 100 des marchés des produits laitiers, de la volaille et des œufs. Je tiens à souligner que ces concessions ne signifient pas qu’on cède ces parts de marché : on ne fait que permettre l’accès à ces parts de marché aux compétiteurs.
Nous ne sommes pas nécessairement aussi productifs. Je crois qu’on peut soutenir avec raison que les Américains sont assurément dans une bien meilleure position pour saisir l’occasion, surtout du côté du lait de consommation. Cependant, une récente étude a été réalisée aux États-Unis sur l’incidence qu’aura l’ACEUM quant aux produits laitiers américains, et les chercheurs ont calculé que le bénéfice tiré de l’accès au marché canadien s’élèvera à seulement environ 280 millions de dollars, des dollars américains tout de même.
En ce qui a trait aux calculs visant à déterminer s’il faut verser une indemnisation, c’est une autre raison pour laquelle il faut assurer l’objectivité des calculs. Il aurait fallu tenir compte des autres calculs qui sont faits et qui concernent la valeur estimée par d’autres intervenants du marché canadien.
Je crains d’avoir parlé trop longtemps, madame la présidente. J’ai essayé de parler lentement. Je pourrai formuler d’autres commentaires sur d’autres accords, et, peut-être, sur le Brexit, pendant la période des questions.
La présidente : J’en suis sûre.
Monsieur Mussell, nous sommes prêts à écouter votre exposé.
Al Mussell, chef de la recherche, Agri-Food Economic Systems : Madame la présidente et honorables sénateurs, merci de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. En tant que spécialiste de la recherche en agriculture qui possède de l’expérience de travail et une expertise dans le domaine des politiques, du commerce et de la réglementation des marchés dans le secteur agricole, je vais me fonder sur mes travaux pour vous donner mon interprétation de la situation concernant les récents accords commerciaux et les industries assujetties à la gestion de l’offre, plus particulièrement en ce qui trait au secteur des produits laitiers. Je vais également m’appuyer sur le contenu d’un bref article que mon collègue Douglas Hedley et moi avons préparé pour le comité.
Le Canada a conclu l’Accord économique et commercial global, l’AECG, en 2017, et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP, le 30 décembre 2018. Il a aussi terminé, le 30 septembre 2018, les négociations sur l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM, qui n’a pas encore été ratifié.
Au titre de l’AECG, l’Union européenne se voit accorder des contingents tarifaires de 16 000 tonnes de fromage et de 1 700 tonnes de fromage de fabrique, réparties sur une période de six ans, en plus du contingent de 20 412 tonnes de fromage déjà autorisé par l’OMC, la part déjà attribuée aux pays de l’Union européenne étant de 66 p. 100.
Le PTPGP a été ratifié par sept pays membres et n’est en vigueur que depuis quelques semaines. Il comprend un accès accru au marché pour une foule de produits laitiers, selon les dispositions que le Canada avait déjà approuvées à l’origine dans le cadre du Partenariat transpacifique. L’ACEUM permet aux États-Unis d’exporter au Canada davantage de lait, de crème et de produits laitiers, selon les contingents tarifaires établis. Cet accès accru reflète en grande partie les volumes qui avaient été établis dans le cadre du PTP, dont les États-Unis se sont retirés en 2017, mais l’ACEUM prévoit un contingent tarifaire beaucoup plus élevé pour la crème.
L’ACEUM offre aussi au Canada un accès accru au marché des produits laitiers des États-Unis. Cependant, j’estime que cela pourrait n’être que modestement avantageux pour le Canada.
Par ailleurs, au titre de l’ACEUM, le Canada a convenu d’éliminer les classes de lait six et sept au plus tard dans six mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord. De plus, le Canada a accepté deux contraintes aux exportations de lait écrémé en poudre, de concentrés de protéines de lait et de préparation pour nourrissons.
Premièrement, le Canada devra appliquer une formule d’établissement du prix minimum du lait pour que le prix des produits de cette catégorie, qui sont destinés au marché intérieur et aux marchés d’exportation, soit fondé sur le prix établi par l’USDA pour les produits destinés au marché des États-Unis.
Deuxièmement, cette formule d’établissement des prix impose une contrainte au volume d’exportation de ces trois produits. Au-delà des seuils établis, des droits supplémentaires considérables s’appliqueront aux exportations. Cependant, les contraintes de volume établies dépassent les plafonds de produits subventionnés que le Canada peut exporter selon les règles de l’OMC, ce qui revient à reconnaître — du moins de la part des États-Unis — que le Canada peut exporter des produits laitiers non subventionnés, du moins en ce qui concerne les produits mentionnés.
Ces dispositions sont importantes, car, dans le cadre du système de gestion de l’offre visant le lait, la production qui vise à répondre à la demande canadienne pour la matière grasse butyrique fait en sorte qu’on se retrouve avec un excédent de lait écrémé. Le Canada a de la difficulyté à écouler ses surplus sur le marché du lait écrémé, puisque les exportations de produits laitiers canadiens sont considérées comme des exportations subventionnées. La classe 7 permet d’établir un prix pour le lait écrémé en fonction du marché intérieur ou d’exporter ce produit selon le prix mondial. Ainsi, le Canada peut déclarer les exportations appartenant à la classe 7 comme des exportations non subventionnées et non visées par les plafonds à l’exportation de l’OMC tout en permettant à la production laitière canadienne de mieux répondre à la demande intérieure pour les matières grasses du beurre.
De plus, selon la déclaration de l’OMC signée à Nairobi à la fin de 2015, les pays signataires s’engagent à éliminer les exportations subventionnées. Comme il fait partie des signataires, le Canada sera, à partir du 1er janvier 2021, complètement exclu du marché des exportations de produits laitiers, sauf pour les produits qu’il déclare comme étant non subventionnés.
L’ouverture accrue du marché que le Canada a accordée aux termes des accords commerciaux, jumelée à la faiblesse des bénéfices réciproques prévus, devrait avoir des conséquences importantes. Par exemple, dans le secteur du fromage, lorsque toutes les dispositions seront entrées en vigueur, cet accès accru pourrait représenter environ 9 p. 100 du marché canadien du fromage. Cela entraînerait donc des pertes importantes pour les producteurs et les transformateurs laitiers.
Il s’agit, de surcroît, d’un dossier complexe. Le marché canadien des produits laitiers est en expansion, ce qui atténuera les pertes attribuables à l’ouverture accrue du marché. Pour l’instant, les exigences particulières entourant l’ACEUM et l’élimination de la classe 7 ne sont pas clairement établies. D’autres rajustements du système de gestion de l’offre visant le lait pourraient aider le secteur canadien des produits laitiers à être plus compétitif dans un contexte de hausse des importations de produits concurrents.
Cela dit, selon mes travaux de recherche, je crois nécessaire d’estimer et d’évaluer de manière exhaustive les pertes attribuables aux accords commerciaux avant de discuter en détail des mesures d’indemnisation de l’industrie. Je souligne que de telles mesures ont déjà été prises à l’égard de l’AECG.
L’analyse de l’évolution de la politique laitière et les mesures d’indemnisation qui pourraient être prises devraient tenir compte de tous les facteurs y compris la déclaration de Nairobi, le besoin de croissance de l’industrie et les investissements au fil du temps.
Enfin, selon moi, l’évolution du cadre de gestion de l’offre lié aux produits du lait sera complexe et peut-être difficile. Cependant, nous n’avons aucune solution de rechange responsable ou réaliste à part aller de l’avant. D’une part, l’abandon de notre système de gestion de l’offre dans un contexte de pression commerciale croissante nous exposerait aux maux qui affligent les autres industries laitières et, d’autre part, toute mesure que nous pourrions prendre afin de stabiliser et d’aider l’industrie canadienne amènerait probablement d’autres industries à exercer des recours commerciaux. Par ailleurs, l’élimination des contingents de production dans le système de gestion de l’offre visant le lait entraînerait de lourdes pertes d’actifs liés à la politique laitière, ce qui pousserait des producteurs à demander des indemnités substantielles tout en causant de lourdes pertes financières au secteur laitier ainsi qu’à certains prêteurs et fournisseurs d’intrants. Dans cette situation, il faudrait avant tout profiter de l’occasion d’améliorer et de restructurer notre système de gestion de l’offre visant le lait. Merci.
Le sénateur Oh : Merci de nous avoir fourni des renseignements très importants. Étant donné le ton de vos trois exposés, vous semblez avoir une certaine réserve quant à l’accord qui s’en vient. Certains font valoir que les revenus des producteurs européens et américains sont extrêmement subventionnés par leurs gouvernements. Étant donné les importations accrues de produits laitiers de l’Union européenne et des États-Unis, les producteurs canadiens de produits laitiers et de fromage peuvent-ils livrer une concurrence similaire là-bas? Dans le marché de l’exportation?
M. Charlebois : Nous ne sommes pas concurrentiels. Il faut être honnêtes. Je sais que, dans une séance précédente, si je ne m’abuse, le sénateur Doyle a mentionné que le gouvernement canadien soutient, en fait, la gestion de l’offre et, par conséquent, le Sénat aussi. En fait, je n’ai pas vu beaucoup de données probantes au cours des dernières années selon lesquelles le gouvernement du Canada soutient la gestion de l’offre. Il dit qu’il le fait, mais je n’en vois pas la preuve. Nous signons des accords commerciaux partout dans le monde en présumant que nous sommes concurrentiels. Nous ne le sommes pas. Nous permettons à plus de produits d’entrer. Nous ne sommes pas programmés pour penser aux exportations.
Regardons l’AECG maintenant. Nous importons plus de choses que nous en vendons ou que nous pouvons vendre à ces partenaires. Cette situation doit changer. Regardez le guide alimentaire. La gestion de l’offre est conçue pour produire ce dont nous avons besoin. Apparemment, Santé Canada croit que nous avons besoin de moins de produits laitiers. C’est parfait... Tout cela est fondé sur des données scientifiques, mais qu’arrive-t-il à notre système de quotas?
L’hypocrisie qui a contaminé toutes nos discussions sur la gestion de l’offre et l’avenir du secteur des produits laitiers en particulier a vraiment créé un obstacle au changement. Ce serait déjà un point de départ. Il faut être honnête et dire qu’une formule différente est nécessaire. Une fois que cela aura été fait, alors nous pourrons être concurrentiels et ouvrir nos frontières. Actuellement, nous ne sommes tout simplement pas prêts.
Mme Hall Findlay : Sur un point, je dois exprimer mon désaccord avec mon vieil ami, le sénateur Mercer. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il n’y a aucun poste budgétaire fournissant une subvention aux producteurs laitiers et aux producteurs de volaille et d’œufs. Cependant, le système de gestion de l’offre est considéré de façon générale comme une importante subvention à l’industrie. L’OCDE, l’OMC... En fait, l’accord de Nairobi sera très différent. Si notre système au Canada... Si nous sommes satisfaits d’un système qui ne permet pas d’exportation, d’un système conçu uniquement pour le marché intérieur, alors il faut mieux comprendre les accords commerciaux que nous concluons.
Des gens se posent des questions sur la nature des occasions, les occasions à l’échelle internationale. Selon moi, il y en a. Lorsque je regarde l’importante part de la production néo-zélandaise qui est exportée dans le monde... Nous faisons du bon lait, du bon fromage, et je crois que nous devrions en vendre. Je crois qu’il s’agit là d’une merveilleuse occasion, mais nous ne pourrons pas en profiter. Dans un premier temps, c’est en raison du niveau de soutien accordé par le système de la gestion de l’offre. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les autorités commerciales internationales. C’est l’une des choses qui nous empêcheront d’aller de l’avant. L’autre, c’est le fait que nous ne sommes pas concurrentiels, et nos prix, même s’il n’y avait aucune autre restriction, sont trop élevés. C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas inonder le marché européen : nos produits sont trop chers.
J’aimerais que la situation soit différente. Si, en tant que pays et en tant que secteur, c’est une décision que nous avons prise, alors nous devons prendre des décisions différentes. Nous ne pouvons pas parler des deux. Boston Consulting a préparé un rapport pour Agropur. Le rapport contient des données intéressantes sur notre efficience et notre productivité, et les comparaisons ne sont pas à notre avantage. Même lorsqu’on fait fi de tout le reste, le rapport porte à croire que les Américains pourront vraiment profiter du marché canadien, et ce, pour ces mêmes raisons.
Le sénateur Oh : Vous estimez nos volumes trop faibles pour concurrencer avec...
Mme Hall Findlay : Ce n’est pas seulement une question de volume. Nous sommes minuscules. Trente-six millions de personnes... Notre marché est petit. Nous n’avons pas d’économie d’échelle. Nous avons certes certaines exploitations agricoles qui comptent plusieurs milliers de bêtes, de très grandes exploitations agricoles, mais la ferme moyenne au Canada est assez petite et n’est pas productive. En ce sens, nous ne sommes pas concurrentiels, mais c’est par choix.
M. Mussell : Merci, sénateur Oh. Vous avez mentionné les réserves à l’égard des accords. Nous sommes ici pour parler des industries visées par la gestion de l’offre et, franchement, peu importe l’accent mis sur l’ACEUM, en particulier, et même sur le PTPGP... Ces accords commerciaux ne contiennent pas grand-chose de favorable au chapitre de la gestion de l’offre.
Commençons par l’ACEUM. Nous bénéficions déjà d’un libre-échange avec les États-Unis dans le cas de la plupart des produits agricoles, les produits alimentaires. En fait, les produits exclus sont la volaille, les œufs et les produits laitiers. En outre, du côté américain, il y a le sucre. Bien sûr, nous ne sommes pas de grands producteurs de sucre, alors ce n’est pas un grand mal. Pour une raison quelconque, notre réaction par défaut lorsqu’il est question de la gestion de l’offre, c’est d’être sur la défensive. Les subventions sont de nature technique, et, selon moi, on simplifie trop les choses lorsqu’il est question des produits laitiers. Nos homologues de l’UE utilisent des subventions à paiement unique par exploitation. Nous savons, à la lumière d’une récente étude réalisée pour le Parlement européen, que 70 p. 100 du revenu des fermes laitières et environ 100 p. 100 des revenus des élevages de bétail au sein des pays de l’UE viennent de telles subventions par paiement unique par exploitation. Du côté des États-Unis, c’est un peu plus complexe, et cela peut devenir assez technique.
Cependant, d’après ce que j’en comprends, je dirais qu’une bonne partie des protections sous forme de subventions offertes aux États-Unis le sont par l’intermédiaire de leur système de tarification des classes de lait, un système qui n’est pas très différent du nôtre à bien des égards.
Je crois que nous devons souligner ici, lorsque mes collègues du groupe parlent de compétitivité, que le prix de notre lait cru est relativement élevé, et c’est volontaire. Nous procédons ainsi parce que nous nous appuyons sur les coûts de production. Un tel choix nous a imposé certaines limites, dont le fait que nos exportations sont considérées comme étant subventionnées. Il a fallu composer avec cette réalité.
Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas d’un système axé sur les exportations. En particulier, les producteurs laitiers ne sont pas très convaincus lorsqu’on parle d’exportations. Ils mettent beaucoup plus l’accent sur le marché intérieur.
Je devrais peut-être m’arrêter ici.
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, vous pourrez poser chacun une question, alors choisissez votre meilleure.
Le sénateur R. Black : Monsieur Charlebois, le deuxième comité qui a été créé, mais qui, si je ne m’abuse, n’a pas encore commencé à se réunir... Êtes-vous convaincu que ce comité pourra procéder aux réformes que vous proposez ou croyez-vous qu’il ne sera pas assez clairvoyant? Ce n’est pas mon unique question, mais...
M. Charlebois : Monsieur le sénateur, c’est une bonne question. Je crois que la portée du mandat est limitée.
Le sénateur R. Black : Celui du deuxième comité?
M. Charlebois : Oui, celui du deuxième comité. La conversation que nous avons actuellement, nous aurions dû l’avoir au moins il y a 20 ans. C’était extrêmement prévisible. Lorsqu’on regarde un peu partout dans le monde les différents systèmes... Lorsqu’on parle de pays qui, en fait, ont mis fin à la gestion de l’offre, il y a l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée, le Royaume-Uni et l’Europe, en 2015. J’étais là, pendant des années, à étudier la façon précise dont ils s’y sont pris pour réformer leur système.
Le Canada est un cas unique. Je n’ai jamais rencontré un producteur laitier qui était contre le système. Il n’y a pas de droits. C’est un très bon système pour eux, mais pas pour l’ensemble de l’économie. Surtout pour les économies rurales, nous pourrions mieux nous y prendre. C’est ainsi que le mandat devrait être défini : de quelle façon pourrait-on imaginer la gestion de l’offre 2.0? Ce que j’entends des producteurs laitiers, c’est que nous misons sur un système qui a changé, certes, mais vraiment pas assez en profondeur pour composer avec tous les traités récemment signés et ceux qui s’en viennent.
La présidente : D’autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?
Mme Hall Findlay : Je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’une telle discussion aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, notre pays réagit plutôt que de planifier, et ce, qu’on parle du secteur des produits laitiers ou de tous les secteurs à gestion de l’offre, qu’il s’agisse du secteur automobile ou peu importe. En tant que pays, nous avons tendance à réagir plutôt qu’à prévoir ce qui s’en vient.
Nous avons tendance à réagir... Je ne veux pas m’en prendre à quiconque dans ce secteur précis, mais il y a un certain nombre de secteurs au pays qui misent sur des lobbys très puissants. Des lobbys qui ont beaucoup d’argent, ce qui leur permet d’avoir beaucoup de pouvoir et d’influence dans l’arène politique. Le système canadien ne devrait pas réagir, il faudrait plutôt utiliser ce que l’on a, comme, par exemple, le Tribunal canadien du commerce extérieur. En cas d’allégation de dumping ou de droits compensateurs sur laquelle il faut se pencher ou non — je parle du détail —, on effectue des analyses objectives des préjudices économiques, et les gens sont indemnisés. Nous avons déjà un système au pays qui permet une telle chose, mais nous n’utilisons pas cette approche lorsque nous faisons des choses comme celle-ci.
Ce que j’aimerais, c’est que, plutôt que de prendre des mesures ponctuelles chaque fois qu’il y a un problème, que ce soit un accord commercial, un ralentissement économique ou d’autres perturbations, nous tous, en tant que pays, fassions vraiment mieux les choses lorsque vient le temps de déterminer s’il faut verser des indemnisations et pour quelles raisons et de cerner de quelle façon de telles décisions seront prises.
M. Mussell : Sénateur Black, je ne crois pas avoir vu, dans le mandat du groupe de travail, qu’il doit réfléchir à des stratégies ou à l’avenir.
L’une des choses que, selon moi, un ou plusieurs de mes collègues ont soulevée concernait le dialogue au sein de l’industrie. On parle peut-être de gouvernance, mais c’est un peu le même enjeu. D’après ce que j’ai compris, je crois vraiment qu’il faut trouver des façons de consulter les gens. Nous devons trouver des façons de travailler en collaboration. Les producteurs peuvent être divisés à ce sujet, les provinces, les petits et les grands producteurs, les producteurs et les transformateurs.
Je crains que bon nombre de nos organisations provinciales ne soient tombées dans un genre de piège, et elles défendent tellement leur système qu’elles semblent tendre vers l’omnipotence. Maintenant, lorsque nous devons aller voir les gens et dire : « Écoutez, nous avons des accords commerciaux qui créent certaines faiblesses avec lesquelles il faut composer en apportant des modifications stratégiques. » Si ce qu’on a dit et fait croire aux gens, c’est que le système est infaillible et qu’il n’y aurait jamais de changement, il devient difficile de maintenant revenir en arrière et dire : « Attendez une minute. »
Nous parlons principalement du PTPGP et de l’ACEUM, mais il y a Nairobi qui s’en vient. C’est un gros changement pour nous. Nous devons pouvoir nous mobiliser à ce sujet.
Le sénateur Ravalia : Merci de vos remarques éclairantes.
Je veux revenir sur quelque chose dont vous avez parlé plus tôt : les récents changements apportés au guide alimentaire canadien, qui met moins l’accent sur les produits laitiers. Croyez-vous que ce changement pourrait avoir des répercussions à long terme sur la consommation des produits laitiers au pays et croyez-vous que la pression supplémentaire que cela peut exercer sur les producteurs pourrait avoir des répercussions négatives à long terme du point de vue des extrants ou des résultats économiques?
M. Charlebois : C’est une bonne question. Nous réalisons une étude à ce sujet à l’Université Dalhousie, en partenariat avec l’Université de Guelph. Nous faisons deux choses : nous réalisons une analyse des coûts du nouveau guide pour évaluer si les familles canadiennes bénéficieront d’une meilleure sécurité alimentaire ou non. Ensuite, nous examinons de quelle façon le nouveau guide influera sur les comportements et les choix. On présume actuellement que les produits laitiers seront touchés par tout cela. Étant donné la façon dont la gestion de l’offre est conçue pour servir le marché intérieur, la seule conclusion qu’on peut envisager, c’est une contraction de l’industrie. Pour ce qui est du bœuf — j’ai rencontré beaucoup de producteurs de bovins au cours des derniers mois. Ils sont moins préoccupés parce qu’ils peuvent accroître leurs activités à l’étranger, ce qui n’est pas le cas dans le secteur des produits laitiers.
Le sénateur Ravalia : Effectivement.
Mme Hall Findlay : Les États-Unis ont quadruplé leurs exportations mondiales de produits laitiers au cours des 10 dernières années. Ils ont reconnu au niveau du gouvernement ou au niveau des producteurs... Il y a en fait deux volets de production aux États-Unis : il y a les grandes exploitations agricoles qui sont très productives, très concurrentielles sur le plan des coûts et qui approvisionnent environ 50 p. 100 du marché américain, mais elles ne représentent que 3 ou 4 p. 100 du nombre d’exploitations agricoles. Puis, les 96 p. 100 restants, du point de vue du nombre, sont des exploitations agricoles relativement petites. On pourrait parler de fermes familiales.
Ces exportations ont été un enjeu important pour l’industrie américaine. Nous ne pouvons pas le faire, nos mains sont liées. Nous devons composer avec une population en croissance, mais alors qu’on s’attend à ce que la population mondiale atteigne les 6 ou les 7 milliards d’habitants... On parle de marchés immenses. Ces gens devront manger. La croissance du Canada fait passer sa population de 36 millions à quoi, 38, 49 ou 40 millions?
Vous remarquez probablement mon parti pris. Selon moi, c’est une honte que notre industrie ne soit pas en mesure de tirer parti de tout cela. Il faut des discussions avec les producteurs, pas juste les organisations. Il y a des producteurs qui veulent vraiment exporter et assurer leur croissance grâce à ces occasions, mais ils n’arrivent pas à se faire entendre.
M. Mussell : Vous avez soulevé la question du guide alimentaire, et je crois que je vais mettre l’accent sur les répercussions au sein du marché intérieur. Lorsque nous avons créé une catégorie, que nous appellerons probablement les aliments à forte teneur en protéines... Je ne crois pas que les gens vont à l’épicerie acheter des protéines. Ils s’y rendent pour acheter du fromage, du bœuf, du porc, du poulet ou je ne sais quoi d’autre. Du point de vue des consommateurs, c’est déjà, en tant que tel, dérangeant.
Ensuite, les fabricants d’aliments créent des gammes de produits. Quant à savoir si beaucoup de personnes mangent précisément en fonction de l’information contenue dans le guide alimentaire, je doute que beaucoup le fassent. La façon dont on pense à notre nourriture est probablement fragmentée de cette façon, et les entreprises d’aliments créent leur gamme de produits en conséquence. Nous devons maintenant reclassifier tout cela après avoir utilisé un même modèle pendant 40 ou 50 ans, et c’est une source de perturbation.
À quel point est-ce perturbateur et dans quelle mesure les coûts seront-ils élevés à long terme? Je ne sais pas. Selon moi, les producteurs d’aliments ont probablement modifié la façon dont ils présentent leurs produits, et les gens susceptibles d’y regarder de plus près s’y retrouveront. Cependant, cette situation pourrait créer beaucoup de confusion et entraîner des coûts plus élevés lorsqu’on en vient là.
Le sénateur Ravalia : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Charlebois, permettez-moi de vous féliciter. Je vous ai vu à la télévision et je vous ai entendu à la radio dans la région de Montréal, et vos explications sont toujours claires, nettes et précises. Je tenais à le mentionner.
Vous nous avez dit qu’il faut être à l’écoute des agriculteurs. Je ne suis pas certain que les agriculteurs prendraient la liberté de critiquer ou de contredire leurs associations. Vous savez comment cela fonctionne. Nous n’avons pas nommé les associations, mais on les connaît très bien.
J’aimerais revenir sur le manque de compétitivité dans le secteur laitier. Certains facteurs ont assurément rendu les agriculteurs moins compétitifs. Quelque chose a tué la compétitivité, j’imagine, mais où sont les solutions maintenant?
M. Charlebois : Tout d’abord, il faut accepter le fait qu’un certain esprit d’entrepreneuriat a été tué. Le legs de la gestion de l’offre, c’est d’avoir tué l’esprit entrepreneurial dans le secteur depuis 50 ans. Il n’y en a pratiquement pas. On ne comprend pas la notion de la dynamique de marché. On n’a pas les gens qu’il faut pour exporter, penser aux consommateurs et tout cela. Ce n’est pas la faute des producteurs, c’est le fonctionnement du système qui fait en sorte qu’il faut gérer l’offre. L’héritage de la gestion de l’offre, c’est d’avoir produit 11 000 producteurs laitiers qui savent gérer leurs coûts. Ils sont de bons gestionnaires de coûts. On ne pense pas au marché. Il faut que cela change. C’est la première chose.
La deuxième chose, c’est la performance des fermes.
La Commission canadienne du lait est représentée ici, dans la salle. Je leur dirais de changer la formule de compensation, ce qu’on a fait dans d’autres pays lorsqu’on a mis fin à un système de gestion de l’offre. Au sein de certains États américains, il y a un système de gestion de l’offre, en passant, y compris en Californie. On a un prix de référence qui incite les producteurs à être beaucoup plus performants et compétitifs. C’est de l’étalonnage, finalement. On en fait un peu ici au Canada, mais pas suffisamment pour élever la barre.
La dernière chose que je ferais, c’est de créer un nouveau système de quotas pour les exportations à l’aide de nouveaux effectifs, avec du sang neuf, ce qui permettait à la filière laitière de prendre de l’expansion.
Le sénateur Dagenais : Merci. D’autres commentaires?
Mme Hall Findlay : Je suis d’accord.
Le sénateur Dagenais : C’est un bon commentaire.
Mme Hall Findlay : On n’est pas toujours d’accord, mais, s’il y a une façon d’aider le secteur, c’est de créer des occasions pour les jeunes. Comme je l’ai dit, il y a des producteurs qui veulent prendre de l’expansion. Ils veulent participer aux marchés globaux. Ils veulent vraiment devenir des entrepreneurs, mais, pour le moment, nous sommes pris avec ce système. On l’a entendu, le système fonctionne pour les raisons pour lesquelles il a été créé, mais il ne fonctionne pas pour les consommateurs canadiens et pour ceux qui veulent exporter et participer aux marchés plus importants que le marché canadien.
Le sénateur Dagenais : Donc, on peut dire que la ferme familiale ne garantit pas nécessairement un revenu. Autrement dit, on peut conclure que le revenu est assuré avec la gestion de l’offre, mais que cela ne nous rend pas compétitifs.
Mme Hall Findlay : Absolument.
M. Charlebois : Lors de mon allocution liminaire, j’ai parlé de la ferme optimale. Si on veut miser sur la ferme familiale et garder les gens sur la ferme, il faudra définir la dimension optimale d’une ferme laitière. On n’a pas de réponse à l’heure actuelle.
Ce serait un départ : faire les calculs nécessaires au lieu de penser au type de modèle dont on a besoin pour permettre aux fermes familiales de survivre et de prospérer.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Je suis le membre le plus ancien du comité. Durant toutes mes années passées ici, je ne me suis jamais exprimé ainsi dans le cadre des travaux du comité, mais tout cela, c’est de la foutaise. Nous continuons d’essayer d’être plus blancs que neige à l’échelle internationale. Nous ne subventionnons pas nos processus agricoles. L’Union européenne dépense plus de 30 p. 100 de son budget en subventions agricoles. La pièce d’équipement la plus importante des exploitations agricoles américaines, c’est la boîte aux lettres, lorsque les chèques arrivent.
Nous continuons de nous comparer à des gens qui ne respectent pas les règles du jeu. Jouons-nous selon les règles? Nous sommes honnêtes au sujet de la situation. Nous ne subventionnons pas notre agriculture, mais nous nous retrouvons avec des griefs et misons sur un système de gestion de l’offre qui nous permet de nourrir les Canadiens. Cela me rappelle la situation dans le secteur du pétrole et du gaz, où nous continuons de vendre du pétrole aux Américains en fonction du prix du pétrole brut WTI plutôt qu’en fonction des prix mondiaux. Quand apprendrons-nous à arrêter d’agir ainsi? Soit c’est cela, soit il faut commencer à subventionner l’agriculture. Nos agriculteurs peuvent livrer concurrence à n’importe qui dans le monde, mais pas quand les agriculteurs européens sont subventionnés et qu’une part de 30 p. 100 du budget est consacrée aux subventions agricoles. Les Américains cachent la moitié de leurs subventions, mais, lorsque le chèque arrive, c’est la journée la plus excitante pour les agriculteurs américains. Je pourrais bien dire que c’est ce qui me pousse à boire, mais je bois déjà.
C’est un autre problème. Ce soir, je retournerai chez moi et je vais boire un verre de vin. Je ne sais pas quel genre de vin ce sera, mais si c’est un vin français, il est subventionné.
M. Charlebois : Vous devriez boire du vin de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Mercer : Je devrais, mais je ne peux pas l’acheter ici. Nous essayons d’être plus blancs que neige à l’échelle internationale, mais nous finissons par en payer le prix, parce que nous ne subventionnons pas nos produits agricoles. Et il y a des subventions partout dans le monde, mais les agriculteurs canadiens... On peut critiquer le système de gestion de l’offre tant qu’on veut, mais il permet d’obtenir les produits gérés et de les obtenir à un prix que les Canadiens peuvent se permettre. C’est un système qui permet de faire travailler des Canadiens. Oui. Devrait-il être plus efficient, devrait-il être plus dynamique?
Ce qui me déçoit le plus dans le cadre de l’actuelle ronde de discussions, et je ne parle pas nécessairement des témoins qui sont là aujourd’hui, mais chaque fois que nous avons eu une discussion depuis la signature de ces accords, j’ai posé la question suivante : « Quelles sont les occasions? » Tout ce dont on parle, ce sont des problèmes. Je ne vois personne botter le derrière de l’industrie et dire : « Allons nous tailler une place. »
Nous pouvons produire des marchandises qui seront commercialisées partout dans le monde si nous nous organisons. Je ne sais pas de quelle façon nous réussirons à bien nous organiser lorsque tout le monde semble se complaire à se plaindre de tout ce qui n’a pas bien fonctionné. Eh bien, vous savez quoi? Vous n’allez pas réussir à bien faire les choses si vous restez assis à en parler.
Je suis désolé de ma diatribe, mais allez-y.
La présidente : Il y a peut-être une question cachée là-dedans, si on la cherche. Quelqu’un aimerait-il commenter le commentaire?
M. Charlebois : Ce n’était peut-être pas une question, mais nous avons assurément une réaction.
M. Mussell : Je crois avoir une réaction à vos commentaires, sénateur Mercer. En fait, on en revient à la question précédente du sénateur Dagenais.
Dans une certaine mesure, il faut être réaliste, ici. La réalité, lorsqu’on parle de l’industrie laitière, c’est qu’il s’agit de l’industrie qui fait l’objet de la plus importante intervention gouvernementale de toutes les industries du monde entier. Cela ne fait aucun doute, et ce, peu importe où vous allez.
C’est habituellement la Nouvelle-Zélande dont on parle lorsqu’il est question d’être plus blanc que neige. Ce pays réalise une expérience actuellement. Il procède à un examen réglementaire d’une organisation dont on a prétendu depuis un certain temps qu’il s’agit d’une entreprise commerciale d’État, et je crois que l’examen le révélera de façon encore plus évidente qu’on l’envisageait jusqu’ici.
Dans quelle mesure cela influe-t-il sur l’innovation? Eh bien, la première composante de l’innovation, selon moi, c’est la coopération entre les producteurs et les transformateurs. D’après ce que j’ai compris, je crois bien que, comparativement à là où nous étions il y a 10 ou 20 ans, les choses vont beaucoup mieux. Le fait que nous avons réussi à obtenir un accord entre les producteurs et les transformateurs pour en arriver à la classe 7 était toute une réalisation. Je doute vraiment qu’on aurait pu le faire il y a quelques années.
Pour ce qui est de l’innovation, je pense à une coopérative de producteurs au Canada qui, à ma connaissance, a créé la première nouvelle marque de yogourt en je ne sais trop combien d’années. Depuis au moins 10 ans, sinon plus. C’est le résultat de gens qui travaillent ensemble.
Je ne suis pas si sûr que nous manquions autant de compétitivité ou d’esprit d’innovation que certains de mes collègues semblent le croire, mais il faut quand même être réaliste. Il n’y a aucun produit agricole qui fasse plus l’objet d’innovations à l’échelle internationale que les produits laitiers. C’est une évidence.
Mme Hall Findlay : Monsieur le sénateur, je crois qu’il est vraiment important d’arrêter de dire l’« agriculture canadienne » et d’y inclure les produits laitiers, la volaille et les œufs. L’agriculture canadienne est bien placée pour tirer parti de tous les accords commerciaux dont on parle. On parle d’innovation, de protéines végétales, dans les Prairies; c’est fantastique.
Les accords commerciaux sont très bons pour la majeure partie du système agricole canadien. Les gens voient les occasions et sont prêts à en profiter.
Les secteurs assujettis à la gestion de l’offre au Canada ont pris il y a longtemps la décision de ne pas bâtir leur système à des fins d’exportation. C’est quelque chose qu’on a entendu dans le cadre des témoignages précédents.
Nous ne nous plaignons pas. Je suis peut-être en désaccord avec ce système, mais c’est notre système. Si vous demandez quelles sont les occasions du côté des produits laitiers, de la volaille et des œufs à la lumière des accords commerciaux, il n’y en a pas beaucoup. Même si l’AECG nous fournit un accès, et c’est le cas, le système ne nous permet pas de saisir ces occasions.
Personnellement, j’adorerais que nous puissions le faire. Nous ne le ferons pas tant que nous ne concevrons pas une réforme quelconque, que ce soit M. Charlebois ou M. Mussell.
Il y a beaucoup de bonnes réflexions en ce moment sur le terrain. On ne s’entend pas sur tout, mais s’il peut y avoir une discussion honnête quant à savoir si ces trois industries — pas toute l’agriculture canadienne, parce qu’on ne peut pas tout mettre dans le même sac —, eh bien, si les secteurs veulent saisir les occasions, alors il devra y avoir des discussions sérieuses et honnêtes avec les producteurs et leurs organisations.
M. Charlebois : Il faut lever notre chapeau aux Producteurs laitiers de l’Ontario, parce qu’ils commencent à comprendre qu’il se passe quelque chose. En 2013, à Kingston, Chobani voulait investir des millions de dollars et créer 1 000 emplois pour fabriquer du yogourt, mais l’accord n’a pas été possible. L’entreprise n’a pas pu obtenir le lait au prix qu’il fallait pour être concurrentielle. C’est une occasion qui a été perdue.
Quelques années plus tard, il y a eu la situation de Coca-Cola. Soixante-quinze emplois ont été perdus, mais c’est arrivé. La classe 7 est arrivée.
Ils ressentent la pression. Je crois qu’il se passe quelque chose en Ontario, quelque chose de positif. Les gens reconnaissent les occasions. Le problème, c’est que cela ne se produit pas au Québec ou en Nouvelle-Écosse, et cela ne se produit pas dans de nombreuses parties du pays.
Il faut reconnaître les occasions et apporter des changements le plus rapidement possible.
La présidente : Quel montant avez-vous dit que l’entreprise était prête à investir?
M. Charlebois : Je ne connais pas le montant exact, mais le projet aurait permis la création d’environ 1 000 emplois. C’était en 2013. Je crois que le sénateur Black s’en souvient probablement.
La présidente : Au nom de nous tous, je tiens à remercier les témoins. La discussion a été très intéressante. Comme vous pouvez le constater, nous aurions pu continuer encore longtemps. Merci d’avoir été là ce soir.
(La séance est levée.)