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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 62 - Témoignages du 28 février 2019


OTTAWA, le jeudi 28 février 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 4, pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux et pour examiner, à huis clos, pour en faire rapport, les questions concernant l’agriculture et les forêts en général (étude d’une ébauche de rapport).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis la présidente du comité. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

J’invite les autres sénateurs à se présenter.

[Français]

Le sénateur Maltais : Sénateur Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Kutcher : Dan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

La présidente : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux.

Dans notre premier groupe, nous accueillons Myrna Gillis, chef de la direction d’Aqualitas. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le comité aujourd’hui. Nous aimerions d’abord entendre votre présentation et ensuite les sénateurs vous poseront quelques questions.

La parole est à vous.

Myrna Gillis, chef de la direction, Aqualitas : Madame la présidente et distingués membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner devant le comité aujourd’hui et de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mon point de vue sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux.

En plus d’être la chef de la direction, je suis la fondatrice d’Aqualitas, un producteur de cannabis autorisé qui se trouve sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse. Après avoir poursuivi une carrière d’avocate pendant plus de 25 ans, principalement dans le secteur des invalidités, j’ai décidé de réorienter ma carrière et mon esprit d’entreprise sur le secteur du cannabis médicinal.

Nous avons comme mission d’appuyer le bien-être des gens grâce à la recherche, l’innovation, les soins et une approche passionnée, et notre vision est de devenir le principal producteur de produits de cannabis biologiques, naturels et de haute qualité à valeur ajoutée au Canada et dans le monde. Grâce à notre technologie de culture aquaponique qui combine l’aquaculture et l’horticulture et qui consomme jusqu’à 90 p. 100 moins d’eau et 50 p. 100 moins d’énergie que les méthodes de culture intérieure traditionnelles, nous avons fait preuve d’intendance environnementale et d’innovation.

Aqualitas est le premier producteur canadien autorisé à recevoir la certification Clean Green, un programme inspiré des présentes normes agricoles nationales et internationales qui vise à assurer l’utilisation de méthodes durables et respectueuses de l’environnement. Le processus de certification comprend un examen approfondi du respect des lois, un examen des méthodes de culture et une inspection des cultures.

Nous sommes aussi en voie d’obtenir notre certificat européen de bonnes pratiques de fabrication du Conseil international d’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments à usage humain. Ce certificat est requis pour faire des exportations internationales à l’Union européenne et il appuiera notre travail relatif à un essai clinique pharmaceutique de la Food and Drug Administration aux États-Unis.

Aqualitas croit fermement à la recherche et au développement et travaille actuellement en partenariat avec un certain nombre d’universités du Canada atlantique grâce au financement versé par des partenaires de recherche comme le Conseil national de recherches du Canada. À l’heure actuelle, l’entreprise met au point des produits du cannabis à valeur ajoutée et élabore une propriété intellectuelle dans un laboratoire agroalimentaire et de boissons de l’Université Acadia.

Ayant noté les possibilités de recherche, de développement et d’innovation des produits, Aqualitas a fondé Sindica, un institut mondial de recherche et d’innovation en matière de cannabis. Sindica a pour vision de servir de pépinière de professionnels offrant des services complémentaires dans l’industrie du cannabis. Nous employons de nombreux scientifiques, à titre d’employés à temps plein et de conseillers, dans les domaines du contrôle de la qualité, de l’extraction, des sciences alimentaires, de l’aquaculture, de l’agriculture et des sciences animales.

Aqualitas est fier d’être situé à Liverpool, en Nouvelle-Écosse. Comme bien des villes partout au Canada, Liverpool a subi les conséquences économiques dévastatrices de la fermeture de son industrie de base, c’est-à-dire son usine de pâtes et papiers. Lorsque Bowater Mersey a cessé ses activités en 2012, plus de 300employés ont perdu leur emploi, ce qui a entraîné un exode sans précédent.

Depuis que nous avons obtenu notre licence en janvier 2018, nous avons embauché plus de 50 employés à temps plein et sous-traité du travail à plus de 120 travailleurs de la construction et gens de métier. Nous sommes fiers de contribuer au développement économique rural de la collectivité.

Au départ, Aqualitas a été fondé pour produire du cannabis médicinal et promouvoir la recherche et la défense des personnes atteintes d’une invalidité. Peu de temps après la fondation d’Aqualitas, il est devenu évident que l’industrie du cannabis s’étendrait bien au-delà du secteur médical, où le cannabis est régi par le Règlement sur la marijuana à des fins médicinales et le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicinales, et qu’il y aurait d’importantes possibilités de croissance dans les marchés nationaux et internationaux.

En 2015, à la suite de l’arrêt Smith, l’huile extraite du cannabis est devenue le premier produit à valeur ajoutée de l’industrie. Grâce à l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, il y aura bientôt des produits à valeur ajoutée légaux et réglementés dans les domaines des produits comestibles, des extraits et des produits topiques utilisés à des fins médicinales par des adultes.

Le 31 janvier 2019, l’Organisation mondiale de la Santé a présenté un rapport de la Commission des stupéfiants des Nations Unies. À la conclusion d’une étude de deux ans, elle a recommandé notamment le transfert du THC à une annexe dont les substances inscrites sont assujetties à moins de restrictions, ce qui permettrait de mener plus de recherches exhaustives, et le retrait du cannabidiol de toute annexe en fonction de l’appui massif pour les bienfaits et les propriétés non toxicomanogènes de la substance.

On prévoit que la recommandation sera adoptée dans les 12 prochains mois. Si cela se produit, il y aura une possibilité sans précédent d’établir une industrie internationale de produits du cannabis à valeur ajoutée dans les domaines des produits pharmaceutiques, des nutraceutiques, des aliments et des boissons, et du bien-être humain et animal.

Nous sommes actuellement capables d’exporter du cannabis et des huiles de cannabis aux pays avec lesquels nous avons des ententes de réciprocité sur le plan médical. L’industrie a une occasion de créer des marques et des produits mondiaux, et elle doit la saisir immédiatement. Nous disposons de peu de temps pour faire en sorte que le Canada maintienne sa place à titre de chef de file mondial en exportation de cannabis.

Bien qu’il y ait énormément de possibilités, les intervenants de l’industrie du cannabis doivent relever des défis et surmonter des obstacles lorsqu’ils développent des produits à valeur ajoutée au Canada et se préparent à les acheminer vers les marchés mondiaux.

Un des plus grands défis consiste à surmonter les obstacles qui existent dans le processus de délivrance de licences. Le nombre impressionnant de demandeurs en attente et la complexité des procédures de délivrance de licences ont donné lieu à des arriérés qui empêchent les entreprises de procéder à la vitesse qu’il faut si elles souhaitent demeurer concurrentielles et répondre aux demandes du marché mondial. De plus, il se peut que les coûts de délivrance de licence soient prohibitifs pour de nombreux petits intervenants de l’industrie.

L’admissibilité des entreprises de cannabis à des mesures incitatives provinciales et fédérales pour la fabrication peut être restreinte en raison de décisions stratégiques qui continuent de stigmatiser le cannabis.

Comme c’est le cas de nombreuses industries, l’industrie du cannabis manque de main-d’œuvre qualifiée dans divers secteurs clés. Il faut élaborer des programmes professionnels qui préparent les travailleurs aux exigences de la nouvelle industrie en croissance.

Afin de pouvoir vendre des produits dans la plupart des pays du monde, les entreprises doivent détenir un certificat de bonnes pratiques de fabrication de l’Union européenne. Le processus à suivre pour en obtenir un est long et coûteux et il nécessite une formation spécialisée visant à garantir le respect de ces normes exigeantes.

Bien que ces obstacles semblent ardus, le secteur du cannabis est un secteur dynamique rempli d’entreprises et de personnes qui ont hâte de voir l’industrie réaliser son potentiel à l’échelle nationale et internationale. Si le gouvernement et d’autres intervenants clés lui donnent le soutien nécessaire, nous sommes convaincus que le Canada deviendra un chef de file mondial dans les domaines de l’exportation, de la technologie, de la propriétaire intellectuelle, de l’expertise en matière de recherche et des catégories relativement aux produits de cannabis à valeur ajoutée.

Les retombées économiques de l’industrie canadienne du cannabis sont énormes. Selon les prévisions du gouvernement et de l’industrie, d’ici 2024, les recettes du marché intérieur du cannabis à usage récréatif devraient s’élever à 22 milliards de dollars, dont environ 14 milliards de dollars en provenance des produits à valeur ajoutée. D’après un rapport d’industrie de la Banque de Montréal, les recettes découlant de la vente de cannabis à l’échelle internationale devraient s’élever à environ 200 milliards de dollars d’ici 2024.

Il y a des moyens que le gouvernement du Canada peut aider l’industrie à conserver sa place à la tête de la concurrence mondiale, notamment en améliorant l’efficacité des organismes de réglementation sur lesquels nous comptons pour délivrer les licences et les permis dont nous avons besoin de l’étape de la semence à celle de l’exportation internationale.

Il faut aussi remédier aux pénuries de main-d’œuvre, surtout notre besoin de travailleurs formés. Selon une étude des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, bien que les Canadiennes représentent 40 p. 100 de la main-d’œuvre, seulement 28 p. 100 occupent un emploi dans le secteur manufacturier.

Il faut appuyer la recherche et le développement. Il faut aussi que le Canada appuie, en tant que pays, le retrait du cannabidiol de toute annexe et la réduction des restrictions imposées sur le THC afin de permettre des recherches appropriées, le développement des produits et l’accès aux produits. De plus, il faut faire en sorte que les entreprises de cannabis soient admissibles aux mêmes programmes et incitatifs que les autres fabricants de produits à valeur ajoutée.

Il est encourageant de voir le comité se concentrer sur les possibilités à délai critique qui permettront aux entreprises canadiennes de devenir plus compétitives sur les marchés mondiaux. Parlant au nom d’Aqualitas, je suis ravie de nos débouchés sur la scène internationale et de la mesure dans laquelle l’entreprise est prête à en tirer profit. Je suis fière d’affirmer aujourd’hui que nous prévoyons faire notre première exportation dans environ trois semaines.

Je vous souhaite le meilleur des succès avec votre étude et j’attends avec intérêt le rapport du comité.

La présidente : Merci de votre présentation.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci, madame Gillis, de votre témoignage et de vous être déplacée pour nous. Les fonds de votre compagnie proviennent-ils tous de la Nouvelle-Écosse?

[Traduction]

Mme Gillis : Non, nous sommes une entreprise financée par le secteur privé. Tous nos fonds proviennent du secteur privé du Canada et des États-Unis à titre de placements sans courtier. À ce jour, tout l’argent recueilli provient de l’industrie privée et d’investisseurs privés, ce qui représente actuellement environ 25 millions de dollars et 15 millions de dollars de plus prochainement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci. À l’heure actuelle, est-ce que vous vendez votre production uniquement en Nouvelle-Écosse ou partout au Canada? Vous vous préparez à en vendre dans l’Union européenne, mais est-ce que vous vendez toute votre production au Canada actuellement? Est-ce que vous avez des acheteurs aux États-Unis?

[Traduction]

Mme Gillis : À l’heure actuelle, nous avons un permis de vente restreint. Nous sommes donc seulement autorisés à vendre notre produit à d’autres producteurs canadiens de cannabis médicinal et uniquement à des fins de recherche et de mise à l’essai. L’exportation prévue à l’Union européenne est à des fins de recherche médicinales. Elle est destinée à un partenaire avec qui nous espérons collaborer sur la recherche médicale.

En ce qui concerne les États-Unis, nous n’exportons pas aux États-Unis parce que le cannabis n’est pas réglementé de façon uniforme à l’échelle fédérale. Dans ma présentation, j’ai indiqué que nous pouvons exporter aux entreprises qui se trouvent dans des pays qui ont des ententes de réciprocité avec le Canada. On ne compte pas les États-Unis parmi ces pays.

En ce qui concerne les possibilités aux États-Unis, les producteurs du Canada ont profité de certaines occasions pour collaborer ou établir des partenariats avec des entreprises américaines afin d’accéder à ce marché, mais cela ne signifie pas que la fabrication se fait ici. Elle se fait là-bas.

Un autre problème découle du fait que, en raison des restrictions entre les États des États-Unis, les entreprises se serviront souvent d’accords sur la propriété intellectuelle et de contrats de licence pour des produits parce qu’elles ne peuvent pas faire de commerce interétatique. Ce sont certaines des solutions de rechange employées par les entreprises pour pouvoir au moins acheminer leurs technologies vers ces marchés.

[Français]

Le sénateur Maltais : Lorsque vous parlez des produits à valeur ajoutée et des produits dérivés, y a-t-il une limite de THC qui peut être ajoutée dans vos produits?

[Traduction]

Mme Gillis : Selon le projet de règlement de la Loi sur le cannabis, qui n’a pas encore été adopté, la dose individuelle est de 10 milligrammes de THC par produit emballé.

Il n’y a actuellement aucune limite sur le cannabidiol, qui est la composante non euphorique et non psychoactive du cannabis. Tous les jours, nous en apprenons davantage sur les autres cannabinoïdes dans le cannabis. La norme de l’industrie, qui est une reprise de celle des marchés légaux aux États-Unis, semble être de 10 milligrammes de THC par portion emballée.

Le sénateur Oh : Vous nous avez dit que, dans trois semaines, votre entreprise exporterait pour la première fois ses produits vers le marché international. Quelles sortes de produits exportez-vous?

Mme Gillis : Pour le moment, il s’agit d’une très petite quantité de cannabis séché destinée à des essais. Quand nous aurons reçu notre licence de vente sans restrictions, nous prévoyons exporter aussi des extraits d’huile destinés à la recherche.

Le sénateur Oh : On parle ici d’entreprises qui fabriquent des médicaments à l’étranger.

Mme Gillis : Il s’agit d’une entreprise de fabrication de médicaments dont le réseau de distribution rejoint 20 pays de l’Union européenne.

Le sénateur Oh : Quand pensez-vous pouvoir exporter des produits à l’intention des consommateurs, qu’on pourra acheter en vente libre?

Mme Gillis : À l’heure actuelle, vous ne pouvez rien acheter en vente libre dans les pays d’exportation, c’est-à-dire les pays avec lesquels le Canada a une entente de réciprocité en médecine. Parmi les principaux pays en question, que vous connaissez probablement, je nommerais l’Allemagne, la Pologne et l’Australie.

Le sénateur Oh : Le Danemark aussi?

Mme Gillis : Oui. D’autres s’ajoutent à la liste chaque jour. Voici comment fonctionne ce processus : si votre produit est destiné à des consommateurs, il faut normalement l’exporter vers un distributeur, d’où il sera ensuite acheminé jusqu’à des pharmacies en Allemagne, par exemple. Ce sont toutes des pharmacies individuelles, qui ont une licence unique. Il y en a littéralement des milliers. Le produit ira donc du distributeur aux pharmacies, puis des pharmacies aux consommateurs.

Voici un fait intéressant à propos de ce marché : une couverture d’assurance est associée à tout le cannabis thérapeutique. Dans ces pays, il faut encore avoir l’autorisation d’un médecin pour consommer du cannabis.

Le sénateur Oh : Combien d’employés compte votre entreprise?

Mme Gillis : Nous avons maintenant 50 employés à plein temps. Nous accueillons de nouveaux employés pratiquement chaque jour.

Le sénateur Oh : Combien travaillent du côté de la recherche?

Mme Gillis : Dans notre équipe, neuf personnes ont un doctorat et trois ont une maîtrise en science des aliments. Nous avons aussi deux ingénieurs ayant la désignation professionnelle « ing. » ou « P Eng. ». Un autre point dont je suis fière : dans notre secteur scientifique, la majorité des postes de direction sont occupés par des femmes.

Le sénateur Oh : Considérez-vous le cannabis comme une culture agricole?

Mme Gillis : Non, je ne le considère pas comme une culture agricole. Ce que nous cultivons est une matière première qui nous sert à créer les produits à valeur ajoutée sur lesquels se concentre notre entreprise. Nous travaillons avec de multiples laboratoires et à divers projets en Nouvelle-Écosse. Nous collaborons avec le réseau Springboard Atlantic, qui regroupe des universités du Canada atlantique. La valeur ajoutée du cannabis et la recherche sur le cannabis retiennent beaucoup l’attention au sein des 19 universités qui collaborent à ce réseau.

Le sénateur Oh : Quand prévoyez-vous vendre vos produits à valeur ajoutée en vente libre?

Mme Gillis : La réponse dépend en partie des organismes de réglementation. Le premier produit à valeur ajoutée est l’huile. Je m’attends à ce que ce produit puisse être offert aux consommateurs canadiens, en vente libre, d’ici trois à six mois.

Quant aux autres produits à valeur ajoutée, comme les extraits, les produits comestibles et les médicaments topiques, la date reste à déterminer. Nous croyons qu’ils pourraient être offerts aux consommateurs à la fin de 2019 ou au début de 2020.

Le sénateur Doyle : Le cannabis à vocation commerciale, récréative ou médicinale en est évidemment à ses premiers balbutiements. On pourrait penser que les possibilités d’exportation sont limitées, puisque le cannabis est toujours illégal dans de nombreux pays. Vos propos nous donnent toutefois l’impression que les possibilités d’exportation sont vraiment prometteuses.

Existe-t-il des programmes gouvernementaux pour vous aider à tirer parti de ces possibilités, ou pouvez-vous y arriver par vous-mêmes?

Mme Gillis : Pour répondre, je dois expliquer quelques éléments. Vous devez imaginer qu’il existe deux catégories: les produits contenant du cannabidiol, ou CBD, et les produits contenant du THC, que certains considèrent comme le composé psychoactif de la plante de cannabis.

Ce n’est pas mon point de vue, mais la Commission des stupéfiants de l’Organisation mondiale de la Santé est d’avis que, si les produits contenant du CBD sont retirés de la liste des substances placées sous contrôle, le commerce du CBD sera pratiquement identique à celui de tout autre composé chimique, vitamine ou produit enrichi. À l’échelle internationale, tout le monde considère que les changements les plus rapides et les plus marqués se produiront probablement dans ce domaine.

Quant aux produits contenant du THC et aux produits à valeur ajoutée qui pourraient être créés à partir d’autres cannabinoïdes de la plante de cannabis, les changements seront plus lents. Ils commenceront tout d’abord sur le marché médical, ce qui ouvrira la voie à des possibilités de commerce et d’exportation avec des pays avec lesquels nous avons des ententes de réciprocité en médecine. C’est ce qui se produit actuellement. En ce qui concerne les programmes et les incitatifs offerts, les entreprises de cannabis ont accès à certains crédits pour la fabrication et l’exportation.

Elles sont aussi aux prises avec certaines restrictions. Ainsi, dans ma province, la Nouvelle-Écosse, l’Agence de promotion économique du Canada atlantique ne traite pas la fabrication du cannabis comme les autres types de fabrication. Il y a des obstacles. Dans d’autres domaines, par contre, nous sommes traités de la même façon que n’importe quel autre fabricant de produits à valeur ajoutée au Canada.

Le sénateur Doyle : Nous avons signé un certain nombre de nouveaux accords commerciaux, comme vous le savez. Comment le Canada se situe-t-il par rapport à ses nouveaux partenaires commerciaux pour ce qui est de l’industrie du cannabis? Exportons-nous de l’expertise et de la technologie, ou sommes-nous surtout des importateurs?

Mme Gillis : Le Canada compte sans contredit parmi les chefs de file en ce qui concerne le cannabis, la recherche sur le cannabis, les produits de cannabis à valeur ajoutée, et la capacité d’élaborer des produits.

Je dirais qu’Israël a été le seul pays qui a probablement exploré avant nous les possibilités de recherche et de développement. Traditionnellement, quand on pense à la recherche et aux possibilités de ce genre, on pense aux États-Unis, mais la recherche y est pratiquement frappée d’un moratoire.

Au fil des ans, des entreprises pharmaceutiques comme Sativex et Marinol ont mis quelques produits sur le marché. L’entreprise GW Pharmaceuticals offre maintenant un médicament contre l’épilepsie qui est passé par le système traditionnel de développement de produit et a obtenu un numéro d’identification de médicament. Ces produits ne sont assortis d’aucune restriction.

Le sénateur R. Black : Avez-vous facilement accès à un financement pour la recherche et le développement, ou devez-vous payer tous ces coûts vous-mêmes?

Mme Gillis : Il est difficile, mais pas impossible d’avoir accès à des fonds. À titre d’entreprise, nous sommes très fiers du fait que, avant même d’obtenir notre licence, à nos débuts, nous faisions de la recherche et du développement en agriculture en nous concentrant sur un système de culture aquaponique. Nous collaborions avec l’Université Acadia, et nous avions reçu du financement du Programme d’aide à la recherche industrielle.

Nous avons aussi gagné des prix pour la recherche et l’innovation dans le cadre de programmes d’incubateurs d’entreprises en Nouvelle-Écosse soutenus par Innovacorp. Notre technologie nous a mérité un prix SPARK pour l’innovation et un prix CleanTech energy. Ces prix ont beaucoup contribué à bâtir notre crédibilité, ce qui nous a aidés à avoir accès aux sources de financement plus conventionnelles offertes pour la recherche.

Les débuts ont été difficiles, mais nous avons eu beaucoup de chance. Un article publié il y a quelques années parlait de l’industrie du cannabis et des entreprises qui faisaient de la recherche dans ce domaine. Nous n’étions alors qu’une petite entreprise néo-écossaise sans licence, et nous étions mentionnés dans l’article aux côtés des quatre entreprises canadiennes qui étaient les principaux joueurs de l’industrie.

Nous étions fiers de cet honneur, que nous attribuons à quelques facteurs. Nous avons toujours abordé notre travail sous l’angle de la recherche et du développement, dans une perspective de recherche sur la santé et le bien-être. Nous sommes l’une des quatre entreprises — parmi les 150 que compte notre secteur au Canada — dotées d’un conseil consultatif de patients. Nous avons eu recours à ce conseil pour prendre des décisions éclairées au sujet des produits à valeur ajoutée, et pour savoir quels produits les patients, les aidants et les défenseurs des droits des patients considéraient importants. Il a été question du dosage, des méthodes de consommation, de l’efficacité et de différents problèmes de santé pour lesquels les produits pourraient être particulièrement bénéfiques.

Nous avons dû relever des défis, certes, mais nous avons très bien réussi à tirer notre épingle du jeu, comparativement à nos pairs. J’ajouterais que des scientifiques renommés des universités de la Nouvelle-Écosse nous ont aidés à naviguer à travers ce processus et à accéder au financement.

Nous sommes fiers des fonds que nous avons amassés. Nous sommes aussi fiers d’avoir affecté plus de 2 millions de dollars de nos propres fonds à la recherche.

Le sénateur R. Black : Vous avez parlé de la disparition de l’industrie des pâtes et papiers et de l’exode des gens. Vous avez ensuite mentionné vos 50 employés.

Ces employés étaient-ils déjà dans la région, ou sont-ils venus d’ailleurs?

Mme Gillis : Il y a un peu de tout. Bon nombre d’employés viennent de la collectivité locale, surtout les travailleurs des métiers et de la construction. Ils viennent presque tous de la région.

D’autres employés étaient originaires de la région et y sont revenus en raison de cette nouvelle possibilité d’emploi. Nous employons aussi des immigrants venus d’autres pays, qui occupent des postes très spécialisés et très techniques. Nous avons aussi embauché des Canadiens qui venaient d’ailleurs au pays.

Cet été, nous aurons des stagiaires de Stirling, en Écosse. Notre travail est bien connu dans l’industrie. Des universitaires et d’autres gens souhaitent travailler avec nous parce qu’ils apprécient notre façon d’aborder l’industrie, notre engagement et nos activités en matière de recherche, de développement et d’innovation.

Le sénateur R. Black : Vous nous avez parlé de quelques défis et difficultés. Quel est le plus important? Si nous voulions inclure un de ces éléments dans nos recommandations, lequel serait le plus important?

Mme Gillis : Le principal obstacle auquel nous sommes confrontés, c’est qu’il faut pouvoir obtenir les licences nécessaires à certains types de recherches rapidement, sans être aux prises avec les retards qui sont parfois associés à certaines parties du processus.

Supposons, par exemple, que nous voulons soumettre nos produits à un jury de dégustation. Nous avons un plan de recherche exhaustif, et nous sommes prêts. Nous avons nos différentes formulations. Nous avons fait le travail préparatoire nécessaire. Il nous faut toutefois une chose de plus : même si notre licence nous permet de faire des recherches, il nous faut une licence différente si nous voulons faire appel à un jury de dégustation.

À un certain moment, nous souhaiterons faire des essais cliniques à propos du délai d’action et de la biodisponibilité. D’un point de vue commercial, il est crucial que notre entreprise puisse procéder à ces essais. Nous tenons aussi à offrir aux consommateurs des produits sûrs, qui ont été évalués soigneusement grâce à des recherches et à des essais cliniques. Pour ce faire, nous avons besoin des licences.

Je préfère vraiment avoir une licence de recherche et pouvoir dire, avec une certaine confiance, que j’offre aux consommateurs un produit qui a été approuvé. Par contraste, si on regarde ce qui se fait en Californie ou ailleurs, certains des produits ne sont que des recettes maison qui ont été concoctées sans licence de recherche.

Il n’est pas interdit de commercialiser les produits sans avoir la licence, mais, à mon avis, il serait infiniment mieux pour nous tous de pouvoir dire que le produit a été créé de manière sûre et qu’il respecte toutes les normes, comme on s’y attend pour tout produit acheté directement dans un commerce de détail provincial. Ce serait la solution la plus facilement accessible.

J’aimerais insister également sur l’importance d’un accès continu à des fonds de recherche et de développement. Nous disposons véritablement d’une occasion unique. Dans la documentation du comité que j’ai passée en revue, l’élimination de l’interdiction a été identifiée parmi les plus grandes occasions pour les produits à valeur ajoutée dans l’industrie canadienne des aliments et des boissons.

Plus important encore, cela représente une occasion pour le secteur du bien-être de lancer les meilleurs produits à valeur ajoutée sur le marché mondial avant la concurrence. Si nous y parvenons, non seulement nous pourrons commencer avec une avance, mais nous pourrons rester devant le peloton.

Le sénateur C. Deacon : Madame Gillis, c’est un plaisir de vous recevoir. Vous êtes sans aucun doute l’une des entrepreneures canadiennes qui nous inspirent le plus. Je suis fier de ce que vous faites et des répercussions de votre entreprise dans une collectivité qui a vraiment besoin d’occasions fiables.

Ce qui me frappe, c’est le chevauchement avec la production alimentaire et agroalimentaire en ce qui a trait à la grande valeur ajoutée. Votre processus est vert, durable et biologique. Il offre une forte intensité de production par pied carré. Vous avez intégré le produit et le processus de manière à créer un produit final de valeur élevée. Il y a un beau grand écart entre vos intrants et vos extrants.

Mme Gillis : Oui, c’est l’objet de votre étude.

Le sénateur C. Deacon : Vous avez aussi intégré la recherche et le développement aux activités de votre entreprise. Vous continuez de trouver des moyens de renforcer la valeur ajoutée. C’est important pour l’étude que nous menons; cela nous offre un modèle possible. J’aimerais que vous parliez des leçons apprises.

Si le Canada n’emprunte pas la voie que vous recommandez pour saisir les occasions qui s’offrent à l’échelle mondiale, nous risquons de devenir un des pays les plus réglementés, ce qui augmentera le coût des produits à l’échelle mondiale parce que nos produits ne se distingueront pas de ceux des autres pays.

Je pense que cela touche la production alimentaire agricole, à certains égards. Nous avons certains produits réglementés qui ne sont pas nécessairement concurrentiels sur les marchés étrangers. En nous inspirant des leçons que vous avez apprises, nous pourrions aider les producteurs dans d’autres industries à devenir plus concurrentiels à l’échelle mondiale.

J’aimerais que vous donniez quelques conseils, si vous me comprenez. C’est important. Il ne s’agit pas seulement des recherches sur le CBD et d’autres cannabinoïdes. Je crois qu’il y a beaucoup de leçons à tirer pour les autres secteurs agricoles.

Mme Gillis : Je répondrai en parlant de trois éléments distincts. Le comité ne définit probablement pas la valeur ajoutée autrement que de dire qu’il s’agit de transformer des stocks vivriers en d’autres produits de plus grande valeur. Je veux que vous conceptualisiez la technologie agricole comme une valeur ajoutée, ajoutée aux autres composantes qui sont tout aussi importantes, selon moi.

Nous faisons partie d’une économie mondiale où le troisième macronutriment en importance, le phosphore, se trouve à 75 p. 100 au Maroc, dans une région géopolitique instable. Nous savons que nos approvisionnements en eau sont en réduction et que notre capacité à pratiquer l’agriculture en employant des techniques traditionnelles ne pourra pas être soutenue.

Une des propositions pour faire progresser la technologie agricole employée pour les stocks vivriers concerne les coûts de l’automatisation, qui permet une plus grande rentabilité et une plus grande concurrence à l’échelle mondiale.

Nous sommes à la croisée des chemins. Nous collaborons avec des entreprises allemandes et néerlandaises — deux pays leaders du domaine de l’agriculture — pour nous attaquer à certaines des difficultés liées à l’approvisionnement en eau à des fins d’agriculture en Europe. Grâce à notre technologie d’aquaponie, d’ici 2030, les Pays-Bas adopteront partout des systèmes d’irrigation à circuit fermé qui recycleront et réutiliseront l’eau.

À mesure que nous nous penchons sur les facteurs écologiques liées à l’agriculture, les entreprises dont les produits sont issus d’un processus durable et qui sont prêtes à affronter les difficultés qui se présenteront pour ce qui est de l’approvisionnement en engrais ou en eau salubre sont celles qui produiront le stock vivrier dont on a besoin pour les produits à valeur ajoutée. C’est très important d’inclure la technologie sous-jacente dans la conceptualisation de la valeur ajoutée.

Pour répondre à votre question sur les coûts et de savoir si les pays qui sont les plus proches de l’équateur et qui pratiquent l’agriculture à l’extérieur, avec un cycle naturel de 12 heures de lumière par jour, pourront devenir les fournisseurs premiers de produits vivriers dans le monde, si nous n’avons pas de gains d’efficacité dans l’ajout de la valeur, c’est une préoccupation justifiée.

Je ne sais pas trop combien de temps cela prendra pour rattraper le retard. En ce qui a trait au CBD, c’est certainement imminent. En ce qui a trait au THC, c’est peut-être différent. Depuis des années, nous nous tournons vers le chanvre qui pousse à l’extérieur à faible coût et dont on se sert à l’échelle internationale. Nous savons qu’on peut extraire du CBD du chanvre, par exemple. On aimerait pouvoir profiter de ce faible coût.

Quand on pense au cannabis médicinal, dans une certaine mesure, les normes de culture doivent être réglementées. Il y aurait certaines normes qu’il serait important d’appliquer à l’agriculture pratiquée à l’intérieur. Dans notre entreprise, il faut littéralement traverser une douche à air. Il faut porter un masque, des couvre-chaussures et une combinaison. Il faut se changer chaque fois avant d’entrer dans une salle différente. Nous sommes extrêmement vigilants, car nous voulons fabriquer un produit de qualité pharmaceutique. Ce n’est pas le cas pour tous les processus de culture et de transformation des plantes.

Je proposerais d’avoir une réglementation proportionnelle au risque et à l'utilisation qui seront faits du produit. C’est ce qui serait avantageux pour nous si la réglementation n’était pas uniforme pour l’ensemble de l’industrie.

Le Canada est le mieux placé en ce qui a trait à la vente des produits, indépendamment de leur coût et de leur valeur. Nous devons saisir la balle au bond et être les premiers à déposer des brevets de propriété intellectuelle, surtout en ce qui a trait aux plus grandes inquiétudes des collectivités en matière de produits comestibles, soit le délai avant que l’effet se manifeste et l’effet même sur différentes personnes selon leur état physiologique. Nous nous montrons prudents en n’allant pas de l’avant avec la technologie trop rapidement, car nous ne voudrions pas qu’une plante qui n’est pas toxique de la même façon que certains produits pharmaceutiques ou d’autres produits le sont soit transformée en produit toxique par mégarde à cause de la façon dont nous effectuons la recherche et le développement.

Il faut faire preuve de prudence, mais nous sommes très optimistes quant au développement de ce produit au Canada. Par exemple, vous serez surpris d’apprendre que, d’après mes entretiens avec différentes universités, la plupart des campus au Canada n’ont pas de licence de recherche pour le cannabis. À moins d’être associé ou affilié à un médecin ou à quelqu’un qui mène un essai précis, c’est difficile de trouver une université avec qui collaborer parce qu’elles n’ont pas de licence de recherche.

Ce n’est pas seulement notre cas à nous. Pour ma part, je suis très fière de venir du Canada atlantique, et c’est une région qui est très touchée par cette question. Nous avons proposé des partenariats à Sindica et au Holland College, de même qu’à des gens à Terre-Neuve et au Nouveau-Brunswick. Nous leur avons dit que nous avons un permis de recherche, en expliquant la mesure dans laquelle nous pouvons participer s’ils ont des projets de mérite qui ont une valeur commerciale. S’ils attendent de recevoir leur propre permis, nous pouvons collaborer avec eux, et nous sommes déjà prêts à le faire.

Par ailleurs, nous avons organisé des symposiums auxquels nous avons invité les établissements d’enseignement de partout dans le Canada atlantique. Nous avons organisé des tables rondes avec les universitaires qui ont participé. Nous avons aussi invité les gens de l’industrie et les représentants du gouvernement, pour qu’ils puissent voir ce que nous faisons, car nous sommes un secret bien gardé. Ce n’est pas tout le monde qui sait ce que nous faisons, car pour nous, c’était plus important de nous mettre à l’œuvre que de faire de la publicité. Nous voulions nous assurer d’être sur la bonne voie.

Nous sommes maintenant convaincus que nous sommes sur la bonne voie, alors nous partageons notre histoire avec plus de personnes. Nous sommes certainement heureux d’avoir l’occasion de comparaître devant le comité pour parler du travail que nous effectuons et le rôle de leadership que nous assumons dans l’industrie.

Le sénateur C. Deacon : Dans le secteur de la production alimentaire, on se préoccupe de la superficie des terres utilisées dans le Sud-Ouest de l’Ontario pour cultiver le cannabis plutôt que de la nourriture, et du nombre de serres utilisées à cette fin.

Je ne cherche pas à liguer un producteur contre l’autre, mais j’aimerais vous demander de comparer les différentes méthodes de culture. Dans l’aquaponie, vous utilisez de l’engrais de poisson naturel et vous avez une méthodologie qui vise une production intense par pied carré, comparé aux méthodes traditionnelles de culture employées dans les serres.

Mme Gillis : Je serai la première à le dire, notre technologie n’est pas encore à l’échelle industrielle. Je mettrai les choses en perspective, en fonction de notre prototype et de nos recherches, concernant la culture à l’intérieur et les méthodes d’agriculture dans un environnement contrôlé. C’est la méthode de culture la plus chère et la plus contrôlée. On reproduit, avec un degré de précision assez élevé, l’environnement, l’humidité, la température et la génétique pour que la qualité du produit puisse être constante d’une récolte à l’autre.

Dans la culture extérieure, sans serre, on est évidemment limité par les saisons et le nombre de récoltes par année. La culture en serre est surtout hydroponique. Elle coûte moins cher, mais le rendement agricole est aussi moindre. Elle limite aussi la capacité à exporter vers l’étranger, car il ne faut pas irradier le produit. Un des plus grands problèmes dans les serres concerne les microbes. La culture y est plus vulnérable dans les serres. Au lieu de perdre la récolte, certains producteurs irradient leur produit. L’Union européenne n’accepte pas les produits irradiés, alors cela risque de limiter les activités de l’entreprise.

Nous cultivons les deux dans une couverture vivante en raison de la certification biologique; notre système est certifié. Vendredi dernier, nous avons tous dansé de joie à l’entreprise parce que nous avons récolté notre culture aquaponique.

Je vais mettre cela en perspective. Dans une couverture vivante, le rendement par plante se situe entre 60 et 120 grammes à l’intérieur, encore moins dans des serres. Notre plus grosse plante de culture aquaponique a donné 396 grammes de fleurs sèches et 200 grammes de feuilles. La récolte a produit en moyenne plus de 200 grammes de produit fini par plante. Si nous arrivons à maintenir cette production à l’échelle industrielle, cela changera tout.

Ce n’est pas ce que nous avions projeté. Quand nous avons préparé nos états financiers et, par la suite, nous avons recueilli les fonds, nous étions loin de ces genres de prévisions, quoique nous croyions en être capables.

Il y a une distinction dont il faut tenir compte. Si l’on peut obtenir un plus grand rendement, si l’on peut recapter ou faire recirculer l’eau de la transpiration des plantes et la réintroduire dans le système et si l’on peut produire de l’engrais à partir de la nourriture pour poisson et des poissons, au lieu de devoir extraire de manière non écologique de l’azote du pétrole, ou éviter d’utiliser la potasse, le phosphore ou d’autres macronutriments de sources limitées, cela changerait beaucoup les méthodes de culture de l’industrie.

Le sénateur R. Black : Selon vous, ces technologies sont-elles transférables?

Le sénateur C. Deacon : Oui, cela se fait.

Mme Gillis : Absolument. On peut en faire n’importe quoi. Bien franchement, ce qui nous enthousiasme le plus est la possibilité pour les collectivités nordiques d’avoir des légumes frais et une source de protéines grâce au poisson. Les gens pourraient avoir accès à la récolte toute l’année dans leur garage. À titre d’exemple, avec une table et un bassin de 110 gallons, on peut produire 1 100 livres de légumes et 200 livres de poisson chaque année. La possibilité de commercialiser la technologie pour produire des aliments est énorme.

Les gens demandent pourquoi, si elle est tellement fantastique, cette technologie n’est pas plus répandue. Quel est le problème? L’aquaponie existe depuis des milliers d’années. Il ne s’agit pas d’un concept nouveau. Pensez aux champs de riz des Chinois, des Aztèques et des Mayas, et aux radeaux agricoles flottants. Ce n’est pas un concept inusité. S’il ne s’est pas répandu, c’est que l’aquaponie fonctionne bien avec les plantes qui ont besoin de beaucoup de nitrates, mais pas de beaucoup de potasse et de phosphore. Or, les fruits et les légumes ont besoin de potasse et de phosphore. C’était l’objet de nos recherches. Nous avons cherché comment cultiver des plantes à fleurs dans un système aquaponique, pour ne pas devoir nous limiter au basilique et à la laitue. Nous avons cherché à cultiver des céréales.

La première plante sur laquelle nous avons fait des expériences est l’amarante. Nous en avons cultivé à l’Université Acadia parce que c’est une bonne plante de substitution au cannabis, car elle est de grande taille, elle produit des fruits pendant quatre semaines et elle fleurit pendant huit semaines. Elle présente des besoins en nutriments semblables à ceux du cannabis. Nous avons réussi à la cultiver, et il s’agit d’une céréale.

Le potentiel est énorme.

Le sénateur Kutcher : De nombreux aspects de cette technologie sont intéressants, à bien des égards. Cependant, je n’encouragerais pas tout de suite les honorables sénateurs à se précipiter pour aller s’acheter des parts de l’entreprise.

Mme Gillis : Nous sommes une entreprise privée.

La présidente : C’est une entreprise réussie.

Le sénateur Kutcher : Les cannabidiols sont des molécules qui cherchent à être découvertes et le THC ne sera jamais le moteur du marché. Aidez-moi à comprendre votre point de vue. J’aimerais connaître votre construction mentale. Il existe une production de qualité pharmaceutique. La création et la commercialisation d’un tel produit sont très différentes de la commercialisation pour le marché des produits de bien-être, dont le plus grand est probablement celui des produits de cosmétique.

Mme Gillis : Oui.

Le sénateur Kutcher : La mise au point de produits de qualité pharmaceutique implique pour l’entreprise une intégration verticale. Pour les cannabidiols, cela comprend la recherche de base et les phases 1, 2, 3 et 4 des essais cliniques.

Vers la fin des années 1980 et le début des années 1990, le Canada a raté l’occasion de faire de la recherche clinique, car nous n’avions pas la capacité de mener la recherche à toutes les phases. L’investissement nécessaire pour développer cette capacité est négligeable comparé à l’investissement dans la recherche de base, car on n’a pas besoin de l’infrastructure, qui coûte cher.

J’ai constaté l’erreur que nous avons commise lorsque nous n’avons pas saisi l’occasion. Quel est le lien avec le point que vous avez soulevé concernant la formation du personnel pour l’industrie du cannabis? Le gouvernement fédéral peut-il faire quelque chose pour mieux définir les besoins en main-d’œuvre?

Manifestement, vous avez investi dans la recherche de base. C’est important et essentiel, mais vous ne pourrez pas commercialiser un produit pharmaceutique sans la chaîne intégrée. Les coûts d’investissement nécessaires pour créer des molécules ou les comprendre sont beaucoup plus élevés que les coûts liés aux phases 2 et 3 des essais cliniques.

Mme Gillis : D’abord, vous parlez du fractionnement des cannabinoïdes complexes. On prend la plante de cannabis et on la décompose en ses composantes individuelles. Ensuite, on isole et on fractionne les cannabinoïdes qui semblent offrir les propriétés recherchées pour les produits.

Nous travaillons sur un essai clinique pharmaceutique. C’est une entreprise américaine qui nous a approchés. Elle cherchait des producteurs licenciés qui faisaient déjà de la recherche et du développement. Elle nous a approchés et nous étions heureux de collaborer avec elle.

Notre équipe technique a donc participé à la collaboration. Nous n’aurions pas pu avoir cette occasion si nous n’avions pas déjà eu une équipe technique. C’est elle qui a participé à la rédaction de la proposition du programme, notamment en établissant les formulations d’huiles, la manière de fractionner les huiles et le niveau de pureté du produit qui servirait à l’essai clinique.

Oui, dans un sens, le Canada a raté une occasion, mais une grande partie de cette occasion s’est avérée un échec à l’égard de la commercialisation d’un produit pharmaceutique synthétique. Nous devons nous concentrer sur le fractionnement des composantes naturelles des cannabinoïdes.

Pour répondre à votre question concernant ce que le fédéral pourrait faire pour faciliter la recherche, notre scientifique en chef responsable de l’extraction est un étudiant de maîtrise et nous avons aussi un docteur en sciences des aliments qui a travaillé pour Ocean Nutrition, une entreprise néo-écossaise très connue.

Nous avons des gens talentueux. Nous avons d’excellentes occasions et des programmes qui font participer des scientifiques de produits alimentaires, des chimistes et d’autres personnes capables de répondre à nos besoins. Le problème, c’est le manque de permis de recherche qui nous permettraient de réaliser nos activités.

C’est une chose qui serait utile, mais nous avons absolument besoin de chimistes spécialisés en fractionnement. Il nous faut des gens qui savent comment travailler avec les huiles et connaissent les autres options, comme les levures et les différentes formes que peuvent prendre les cannabinoïdes. L’extraction de la plante entière est certainement le moyen d’y arriver.

Un autre aspect des essais cliniques des produits de qualité pharmaceutique est le fait que nous en avons tiré un avantage. Ce n’était pas un avantage direct ni recherché, mais un système de cannabis médicinal s’est créé là où certains médecins hésitaient à le prescrire. Des cliniques spécialisées ont apparu partout au Canada, et il y avait des cohortes de patients avec des troubles de santé précis qui y étaient gérés. Cela a facilité la tenue d’essais cliniques parce que les sujets étaient plus facilement disponibles.

Si nous voulons faire participer les collectivités à la recherche, nous avons un meilleur contrôle et un meilleur accès aux groupes de patients ici que dans d’autres pays. Je suis d’accord que nous profiterons certainement de plus d’expertise et d’une plus grande formation universitaire en matière de cannabis.

Le sénateur Kutcher : Comment le gouvernement fédéral pourrait-il favoriser la création d’un environnement qui permettrait de développer ces composantes manquantes de la main-d’œuvre que vous avez identifiées?

Parlons seulement du côté pharmaceutique pour le moment, car les autres aspects sont différents. Que suggérez-vous?

Mme Gillis : C’est essentiel de mettre du financement à la disposition des universités pour qu’elles puissent investir dans la recherche et la collaboration entre de jeunes chercheurs et des médecins. C’est un aspect qu’on pourrait encourager dès le début, en plus de créer plus de programmes pour embaucher des chercheurs et des étudiants qui sont de nouveaux diplômés. Ces programmes devraient avoir une durée plus longue que celle des programmes traditionnels.

Par exemple, on donne en général deux ans à un étudiant de maîtrise ou de doctorat, mais il faudrait accorder plus de temps parce que nous ne commençons pas en ayant les connaissances de base qui sont en place dans les autres domaines. Ce serait très utile.

Le sénateur Kutcher : À cet égard, les agences de financement traditionnelles comme les Instituts de recherche en santé du Canada n’ont pas répondu à l’appel de relever ces défis.

Mme Gillis : Non.

Le sénateur Kutcher : Les organismes de recherche et de développement pharmaceutiques n’ont pas répondu non plus à l’appel à ce chapitre. Que pourrait-on faire d’autre pour améliorer les ressources existantes et les autres éléments?

Mme Gillis : Il pourrait y avoir des réductions des méfaits si nous examinons aussi les propriétés des opiacés. Une possibilité de ce côté serait de commencer avec les huiles et les formules simples dans une optique de réduction des méfaits. Il existe des programmes et du financement pour ces genres de programmes; il faudrait certainement continuer à les appuyer.

J’aime toujours dire que si l’on n’appuie pas ces programmes pour des raisons de moralité — même s’il le faudrait —, on les appuie pour des raisons économiques. L’huile de cannabis présente un risque inférieur par rapport à d’autres médicaments. On pourrait formuler des substituts plus simples pour ensuite créer des produits plus efficaces et effectuer des essais cliniques habituels dans la communauté.

Le sénateur Kutcher : C’est très instructif et bien ciblé sur l’aspect pharmaceutique des marchés.

Qu’en est-il de l’aspect de bien-être et des produits cosmétiques?

Mme Gillis : C’est la partie du marché que j’aime le mieux parce que c’est le domaine où nous avons le plus de chances de nous distinguer. Nous ne sommes pas une entreprise pharmaceutique. Je ne prétends pas que nous avons les ressources ou la capacité nécessaire pour le devenir, mais les essais pharmaceutiques sont tout de même une partie très importante de notre travail.

Quant au marché des produits de santé naturelle, c’est là où notre équipe scientifique peut vraiment se distinguer, surtout en Nouvelle-Écosse. Quand on pense à tous les produits de santé et de beauté et aux produits de santé et de bien-être, qu’il s’agisse du marché des oméga-3 ou de la beauté, beaucoup d’entreprises ont accompli un excellent travail. C’est là où se trouvent les bonnes occasions et c’est le marché le moins controversé.

Les produits à application topique et les produits semblables sont ceux qui permettent de réaliser des profits importants. Je soulignerais aussi que le marché du bien-être des animaux, surtout en ce qui a trait au cannabidiol, est une catégorie énorme grande ouverte.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Gillis. J’ai deux questions pour vous. Tout d’abord, pouvez-vous nous donner des précisions sur la nature des obstacles en ce qui concerne la certification de vos produits? Quels sont les critères auxquels vous devez satisfaire pour la certification et pourquoi vous a-t-on refusé la certification dans certains cas?

[Traduction]

Mme Gillis : Le plus grand obstacle à la certification est que, sur les 150 entreprises qui ont la certification biologique, seulement cinq sont des entreprises canadiennes. Cela s’explique en partie par la perception que l’on a en choisissant la culture biologique, on renonce au rendement. Par ailleurs, la gestion des récoltes représente des contraintes, telles que le fait de ne pas utiliser de pesticides comme les entreprises ordinaires.

Soyons clairs. Santé Canada a une liste très restreinte de 13 pesticides que l’on peut utiliser sur les produits du cannabis destiné à la consommation. Sur ces 13 pesticides, il y en a qu’un seul qui est biologique. On se prive déjà de toutes sortes de choses en utilisant des produits biologiques. C’est l’un des plus grands obstacles.

Autre obstacle, la majorité des entreprises canadiennes font de la culture hydroponique. Je ne sais pas si vous le savez, mais il y a aujourd’hui un débat sur la question de savoir si l’on peut accorder la certification biologique à la culture hydroponique. Pour l’obtenir, il ne faut pas qu’il y ait des éléments inertes. Or, la plupart des cultures hydroponiques sont aseptisées et inertes, et font appel à des produits chimiques ou à des fertilisants synthétiques.

L’approche qui consiste à utiliser des fertilisants biologiques peut coûter plus cher, mais notre approche est légèrement différente, en l’absence de pesticides. Je ne connais qu’un seul producteur au Canada qui a perdu sa certification, parce qu’il avait utilisé un pesticide interdit. Il a dû reprendre le processus de certification, et je ne sais pas s’il l’a obtenue.

Il y a lieu de signaler une autre distinction du processus de certification. La norme canadienne sur l’agriculture biologique ou Ecocert empêche les entreprises de cannabis de se servir du logo biologique sur leurs produits du cannabis qui, à l’époque, n’étaient pas considérés comme des produits alimentaires consommables. Cela changera assurément et je m’attends donc à ce que la restriction change également.

Si nous avons choisi la certification Clean Green, c’est en partie parce qu’elle est unique au cannabis. C’est une norme nord-américaine et internationale qui intègre les pratiques de culture biologique du cannabis. Elle suppose également un engagement au commerce équitable, la réduction de l’empreinte carbone de 5 p. 100 par an et des pratiques agricoles durables relativement à l’eau. Nous avons pensé que cela pouvait être utile pour notre mission.

Les principaux obstacles à surmonter sont la gestion et le fait que les gens aiment la culture hydroponique qui n’est pas universellement acceptée comme méthode de culture biologique. Je ne dis pas que c’est impossible, mais c’est très dur.

[Français]

Le sénateur Dagenais : C’est un marché qui a beaucoup de potentiel. Un jour, vous serez sûrement confrontés à la concurrence. Quels avantages aurez-vous sur les nouveaux joueurs et, selon vous, d’où viendront les nouvelles entreprises qui voudront faire concurrence à votre domaine?

[Traduction]

Mme Gillis : Côté biologique, je dirais qu’il y a une très bonne proposition de valeur pour cela. Il y a, en général, une prime de 30 p. 100 sur les produits cultivés de façon biologique. Quelque 52 p. 100 des consommateurs de cannabis médicinal et 42 p. 100 des consommateurs de cannabis récréatif préfèrent un produit biologique.

L’un des moyens d’être concurrentiel est de ne pas changer de catégorie. Même si cette catégorie prend de l’ampleur, je m’attends à ce que la majorité des producteurs continue de cultiver le produit de façon non biologique.

À long terme, c’est ce qui les différenciera, mais ce ne sera pas la seule chose. Vous devez avoir un produit de bonne qualité que les gens aiment. Vous devez avoir une bonne marque pour appuyer votre produit et une équipe capable de communiquer votre message au consommateur.

L’un des changements avec la Loi sur le cannabis est que l’on s’attend à ce qu’il y ait des microproducteurs. Il se peut en effet que certains des produits spécialisés soient cultivés en plus petites quantités et vendus à des prix supérieurs.

On le constate déjà dans les tendances du marché. Le produit cultivé en serre implique des prix bien supérieurs à celui du produit provenant d’autres méthodes de culture, en raison de la densité des bourgeons et d’autres facteurs susceptibles d’attirer les consommateurs.

Cet avantage concurrentiel reste à confirmer. Bien d’autres facteurs entrent en jeu et c’est l’un des éléments que vous devez prendre en considération pour obtenir la loyauté des consommateurs.

Je ne l’ai pas mentionné au comité, mais il y a une autre chose qui nous différencie des autres : nous sommes une entreprise dirigée par des femmes. Sur les quelque 150 postes de PDG qui existent au Canada, il n’y en a que cinq ou six qui sont occupés par des femmes. Seulement trois d’entre elles ont fondé l’entreprise. C’est important pour la marque — surtout en ce qui concerne le cannabis médicinal — car près de 90 p. 100 des décisions de dépenses de la part des ménages sont prises par des femmes, à titre de consommatrices ou de soignantes. Je crois vraiment que le fait d’avoir une marque authentique et ce type de leadership auront un écho chez les acheteurs.

Je ne veux pas dire par là que les femmes ne sont qu’un élément démographique. Après tout, nous représentons 50 p. 100 de la population. Nous ne sommes pas une marque, mais je dirais que les marques qui réussissent sont authentiques. Le fait d’avoir ce type de leadership est beaucoup plus convaincant pour le consommateur.

Le sénateur Oh : Pourriez-vous nous dire quelle est la superficie de votre usine? Est-ce que vous vous approvisionnez à l’extérieur ou cultivez tout vous-même?

Mme Gillis : Je le répète, nous n’avons toujours pas de permis illimité. Nous l’attendons et nous espérons l’obtenir très bientôt.

L’usine aura une superficie de 80 000 pieds carrés pour la production et la fabrication. Sa construction est presque terminée. Ce qui nous intéresse énormément, c’est la possibilité de s’agrandir dans le parc situé à proximité et à la même adresse. Cela nous permettra aussi d’obtenir plus vite le permis, car il s’agira plutôt d’une modification de permis que d’un second site indépendant exigeant un autre permis. Nous avons une alimentation électrique de 100 mégawatts et un approvisionnement en eau industrielle. Nous avons une biomasse capable de produire de la vapeur.

Il y a bien des choses à dire sur cette installation. C’était un site sécurisé de niveau MARSEC avec clôture et dispositif de sécurité. Nous avons voulu à tout prix trouver un endroit où nous pouvions nous agrandir et faire la culture qui nous intéressait. Nous n’avons pas cherché à obtenir plus que ce que nous étions capables de produire au début. Nous voulions procéder avec prudence avant de passer à un autre niveau et de nous agrandir.

Le sénateur C. Deacon : Dernièrement, il n’y a pas beaucoup d’histoires de réussites à raconter en Nouvelle-Écosse. Dans beaucoup de collectivités en déclin, les gens sont tristes.

Vous employez 50 personnes directement et 150 autres indirectement, par le truchement d’entrepreneurs. Comment voyez-vous évoluer votre main-d’œuvre par la suite? Je passerai ensuite à ma question.

Mme Gillis : D’ici la fin de 2019, il y en aura probablement 35 de plus. L’usine peut s’agrandir de façon spectaculaire si nous avons d’autres types de production. Cela dépendra aussi de la main-d’œuvre, que nous n’avons pas encore prise en considération. D’autres postes pourraient être également créés.

J’aimerais également souligner que le développement économique rural est un facteur extrêmement important. Je ne peux pas parler au nom d’autres provinces, car je ne connais pas leur situation démographique, mais je peux vous dire que tous les producteurs actuels, sauf un, et tous ceux qui attendent d’entrer en opération sont situés dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse. Nous avons là l’occasion idéale de réindustrialiser les collectivités rurales.

Lorsque l’on parle de culture aquaponique, on dit toujours que c’est l’agriculture et la pêche qui ont rendu la Nouvelle-Écosse prospère. Nous avons modernisé l’industrie en combinant l’horticulture et l’aquaculture. C’est d’ailleurs en Nouvelle-Écosse que l’on trouve la plus grande expertise du monde en aquaculture. Nous avons su moderniser cette industrie et en tirer parti. Nous en sommes d’ailleurs très fiers.

Le sénateur C. Deacon : Je suis toujours frappé de voir comment cette technologie recoupe d’autres produits cultivés ou alimentaires. Je suis frappé de voir que les produits que nous cultivons peuvent être source d’alimentation, de bien-être, ainsi que de produits pharmaceutiques et cosmétiques. La valeur ajoutée augmente au fur et à mesure que nous montons dans la chaîne.

En fonction de votre expérience et de la recherche que vous avez menée, quelles autres possibilités s’offrent au Canada relativement aux produits agricoles traditionnels qui pourraient monter dans la chaîne de valeur?

Mme Gillis : L’un des secteurs serait celui des terpènes. Nous avons toutes sortes d’autres produits agricoles dans lesquels on pourrait trouver les profils de terpènes que l’on retrouve dans la plante du cannabis. Nous trouvons qu’il pourrait y avoir des éléments bénéfiques dans le limonène, le myrcène, ou dans d’autres plantes comme la mangue. Il est vrai qu’on ne cultive pas la mangue en Nouvelle-Écosse, mais on pourrait trouver des éléments bénéfiques dans d’autres plantes auxquelles nous n’avons pas pensé et les utiliser dans des produits à valeur ajoutée qui entrent dans la composition des produits nutraceutiques et autres.

Le sénateur Kutcher : Vos réponses ont été éclairantes et d’autant meilleures qu’elles ne contenaient pas de THC.

Selon de récentes données canadiennes, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse sont les provinces où il y a le plus de gens qui consomment des produits cannabinoïdes, probablement en raison d’une distribution plus mûre. Quels sont les barrières commerciales interprovinciales et les facteurs qui facilitent la circulation des produits du cannabis au Canada?

Mme Gillis : L’interrogation la plus importante a trait au déploiement extrêmement inégal des points de distribution provinciaux. Les déploiements les plus réussis sont ceux des points de distribution publics. Le commerce de détail privé a progressé plus lentement, tout comme les modes de distribution hybride.

Nous trouvons également certains regroupements d’acteurs régionaux plutôt que d’acteurs nationaux implantés dans les divers marchés, non pas nécessairement à cause de barrières directes aux échanges interprovinciaux, mais plutôt en raison de barrières psychologiques associées au fait de sortir de sa zone de confort ou d’implantation.

Les entreprises qui n’ont pas de marque fourniront la matière première à tous les autres producteurs. On s’attend à ce qu’il y ait un nombre extrêmement important de fusions dans l’industrie. Toutefois, par l’influence qui s’exerce d’une province à l’autre, il y aura toujours des leaders régionaux d’un océan à l’autre.

Par exemple, le Canada atlantique restera la région où il y a le taux le plus élevé par habitant. Selon une étude publiée la semaine dernière à l’Île-du-Prince-Édouard, 75 p. 100 des gens préfèrent les produits locaux. Même si cela ne constitue pas un obstacle, le consommateur influera sur les produits vendus d’une province à l’autre.

L’inscription des détaillants a été extrêmement complexe au Québec. Il a été difficile d’introduire le produit dans la province à cause de la difficulté de l’inscription. Certaines provinces ont des infrastructures différentes, ce qui rend le déploiement un peu plus difficile.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais ajouter une toute petite chose, madame la présidente. Ce que vous dites est que, sans valorisation de la marque, ce serait un produit comme un autre.

Mme Gillis : Oui.

Le sénateur C. Deacon : Le montant d’argent ou la valeur ajoutée que vous obtenez du produit sont réduits de façon spectaculaire sans valorisation de la marque.

Mme Gillis : Il sera d’autant plus difficile de se différencier sans valorisation de la marque ou valeur ajoutée.

Le sénateur C. Deacon : C’est un élément important que le comité doit comprendre, car il a trait aux produits alimentaires.

Mme Gillis : Oui, absolument.

La présidente : Merci, sénateur Colin Deacon, je conviens que c’était un point tout petit, mais très important, je dirais même plus, c’était un excellent point.

À l’Île-du-Prince-Édouard, il y a aujourd’hui un magasin de cannabis où se trouvait autrefois l’école secondaire que je fréquentais.

Le sénateur Doyle : La boucle est bouclée.

La présidente : Je me rappelle l’époque où ils ont construit le magasin d’alcool à côté. De toute façon, cela remonte à un certain temps.

La matinée a été très intéressante. Nous pourrions poursuivre, mais nous avons des affaires à régler à huis clos. Je remercie les invités de leurs interventions qui ont été très instructives.

Avant de passer à huis clos et de suspendre les travaux quelques instants, nous devons nous entendre sur un point. Êtes-vous d’accord pour autoriser l’enregistrement afin de permettre aux analystes d’examiner les délibérations et de leur remettre un exemplaire de la transcription, qui sera ensuite détruite à la fin de la session parlementaire?

Je vous pose la question, car nous allons donner des instructions liées à notre étude sur la gestion de l’offre et nous devons garantir que les analystes disposent de cette information. Êtes-vous d’accord avec cela?

Des voix : Oui.

La présidente : Parfait. C’est d’accord.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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