Proceedings of the Standing Senate Committee on
Agriculture and Forestry
Issue No. 66 - Evidence - Meeting of May 14, 2019
OTTAWA, le mardi 14 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 17 h 2, pour étudier la teneur des éléments de la sous-section C de la section 9 de la partie 4, dans la mesure où elle traite des aliments, et de la sous-section J de la section 9 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.
La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard et je préside le comité. Ce soir, le comité entreprendra son étude préalable de la teneur des éléments de la sous-section C de la section 9 de la partie 4, dans la mesure où elle traite des aliments, et de la sous-section J de la section 9 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures. Pour cette réunion, nous nous concentrerons sur les aliments et la sous-section C de la section 9 de la partie 4.
Avant d’entendre les témoins, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter et nous allons commencer par le sénateur Mercer.
Le sénateur Mercer : Terry Mercer, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, également de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, également de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.
La présidente : Vous remarquerez qu’il y a un fort contingent du Canada atlantique au sein de ce comité. La sénatrice Bernard et moi avons le même problème — nous nous sentons petites.
Merci aux témoins de s’être joints à nous ce soir. Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Kathleen Sullivan, présidente et directrice générale d’Aliments et boissons Canada. De Maple Lodge Farms, nous accueillons Michael Burrows, chef de la direction. Nous accueillons aussi Daniel Vielfaure, directeur général de Bonduelle Amériques.
Merci à tous d’avoir accepté notre invitation. Après vos exposés, les sénateurs auront de brillantes questions à vous poser. Nous allons commencer par l’exposé de Kathleen Sullivan.
Kathleen Sullivan, présidente et directrice générale, Aliments et boissons Canada : Merci de nous accueillir. Je m’appelle Kathleen Sullivan. Je pense que je devrais divulguer le fait que ma famille vient d’Amherst, en Nouvelle-Écosse. Je me sens en bonne compagnie.
C’est un plaisir de comparaître devant vous. J’ai la chance que mon conseil d’administration se réunisse ici, à Ottawa, demain. J’ai le plaisir de témoigner aux côtés de mes deux coprésidents, Michael Burrows, chef de la direction de Maple Lodge Farms et Daniel Vielfaure, directeur général de Bonduelle Amériques.
Aliments et boissons Canada est une association nationale de l’industrie qui représente environ 1 500 entreprises de fabrication d’aliments et de boissons de partout au pays. Nos membres comprennent des associations provinciales de l’industrie alimentaire comme Aliments et Boissons de l’Atlantique ainsi que des fabricants canadiens d’aliments et de boissons.
Avant de céder la parole à quelqu’un d’autre, j’aimerais souligner que, comme mon conseil d’administration est en ville, je suis accompagnée de Tammy Brideau, directrice générale d’Aliments et Boissons de l’Atlantique, ainsi que de Scott Woods, d’Ingredion, et de Phillip Murphy-Rhéume. Nous avons ici les représentants d’un certain nombre d’entreprises canadiennes de premier plan, si vous avez quelques minutes pour discuter avec eux des problèmes et des entreprises dans vos circonscriptions.
Michael Burrows, chef de la direction, Maple Lodge Farms : Je suis coprésident d’Aliments et boissons Canada et je préside Aliments et boissons Ontario.
Maple Lodge Farms est la plus grande entreprise indépendante de transformation de la volaille au Canada. Fondée en 1955, nous employons environ 3 000 Canadiens dans huit établissements en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Nous avons aussi Eden Valley Poultry, à Berwick, en Nouvelle-Écosse.
Je crois savoir que votre comité a récemment entrepris un examen pour déterminer de quelle manière le secteur alimentaire à valeur ajoutée du Canada peut être plus concurrentiel sur les marchés mondiaux. Cela comprenait une table ronde avec Aliments et boissons Ontario et Aliments et boissons Canada le mois dernier à Toronto. Ces travaux vous amènent sans aucun doute à constater l’importance du secteur de la fabrication des aliments et des boissons pour les économies nationale et provinciale du Canada.
Le secteur de la fabrication des aliments et des boissons contribue davantage au PIB et à l’emploi que tout autre secteur manufacturier au pays et se place au premier rang des secteurs manufacturiers dans la plupart des provinces.
En 2016, la valeur des expéditions du secteur de la fabrication des aliments et des boissons s’élevait à un peu plus de 112 milliards de dollars et notre secteur employait plus de 250 000 Canadiens. Au cours des quelques dernières années, nous avons été heureux de voir que le gouvernement fédéral a désigné le secteur des aliments et des boissons comme étant un secteur prioritaire. Cela a mené à la publication, l’automne dernier, du rapport des Tables de stratégies économiques du secteur agroalimentaire, qui exhortait le secteur agroalimentaire à accroître ses ventes intérieures à 140 milliards de dollars et ses exportations à 85 milliards de dollars d’ici 2025, soit une augmentation de 30 p. 100 au cours des sept prochaines années.
Les Tables de stratégies économiques ont aussi recensé cinq importants domaines nécessitant une attention particulière : la réglementation, la main-d’œuvre, l’innovation, l’infrastructure et le commerce. Au départ, nous étions optimistes quant au rapport des Tables de stratégies économiques du secteur agroalimentaire, mais nous nous demandons maintenant si ses objectifs sont atteignables. Je vais céder la parole à mon collègue Daniel Vielfaure qui discutera plus en détail sur ce point.
[Français]
Daniel Vielfaure, directeur général, Bonduelle Amériques : Je m’appelle Daniel Vielfaure et je suis directeur général de Bonduelle Amériques. Je suis également coprésident d’Aliments et boissons Canada, président du Conseil de la transformation alimentaire du Québec et coprésident de la Table ronde de l’industrie de la transformation des aliments d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.
Au Canada, Bonduelle est un chef de file en matière de production de légumes surgelés et en conserve. Nous sommes l’un des plus grands fabricants d’aliments au Canada, avec des effectifs de près de 2 000 personnes. Nos employés travaillent dans huit établissements, dont quatre au Québec, trois en Ontario et un en Alberta. Aliments et Boissons Canada a été mise sur pied pour collaborer avec le gouvernement en vue de réaliser le plein potentiel du secteur, à contribuer à la croissance économique et à la prospérité du Canada.
Cela explique la raison pour laquelle nous étions très optimistes lors de la publication du rapport des Tables de stratégies économiques du Canada du secteur agroalimentaire. Malheureusement, après huit mois, le gouvernement fédéral n’a toujours pas endossé ce rapport et, bien que certains engagements ont été pris, il n’y a aucun progrès notable en ce qui concerne la plupart des recommandations clés du rapport, en particulier celles qui ont trait à la main-d’œuvre, à l’innovation et à la réglementation.
Pour la réglementation, nous reconnaissons que le gouvernement fédéral a pris plusieurs engagements associés à la modernisation de la réglementation dans l’énoncé économique de l’automne. Nous soutenons ces engagements, mais nous devons toutefois être réalistes pour ce qui est du processus d’élaboration de la réglementation au Canada. Il n’est pas prospectif et ne s’appuie pas sur la collaboration. Nous observons souvent des contradictions dans les propres objectifs économiques et réglementaires du gouvernement.
À titre d’exemple, ce comité a été chargé de passer en revue certaines dispositions de la Loi d’exécution du budget relativement à la Loi sur les aliments et drogues. En fin de compte, nous ne savons pas ce que signifieront les modifications proposées pour le secteur alimentaire au Canada. Nous n’avons pas été consultés au sujet des révisions et nous ne savons pas exactement quelles en seront les conséquences, le cas échéant.
En outre, nous ne voyons pas clairement comment elles se rapportent à la Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Cela nous trouble particulièrement, étant donné que le Conseil du Trésor a passé toute l’année dernière à se pencher sur un examen exhaustif de la réglementation relative à l’agriculture et à l’agroalimentaire et a promis de publier un plan de réglementation au cours des prochaines semaines. Il est difficile de voir de quelle manière les changements proposés dans la Loi d’exécution du budget se rapportent à ce processus.
Nous reconnaissons que la réglementation joue un rôle majeur dans le climat commercial et la salubrité alimentaire au Canada. Toutefois, les entreprises ont besoin de certitude et de stabilité. Nous avons besoin d’une bien meilleure coordination et nous devons être consultés à propos des changements réglementaires.
Nous sommes impatients de discuter de toutes ces questions avec vous et nous vous remercions encore une fois de nous avoir invités.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie de vos excellents exposés. Ils étaient concis et nous aimons cela.
Je dois signaler aux sénateurs et aux témoins que, dans environ cinq minutes, vous verrez des lumières clignoter dans la salle et la sonnerie retentira. Il y aura un vote à 17 h 30. Nous proposons de suspendre la séance à 17 h 20. Nous allons vous laisser ici et vous pourrez prendre un café. Nous reviendrons lorsque nous aurons terminé le vote et reprendrons là où nous nous sommes arrêtés.
Le sénateur Mercer : Je vais essayer d’être concis, madame la présidente. Je vous remercie de votre présence et de vos excellents exposés. Vous avez parlé du rapport des Tables de stratégies économiques du secteur agroalimentaire de l’automne dernier et vous avez décrit certains des défis que pose l’augmentation des ventes intérieures à 140 milliards de dollars et des ventes à l’exportation à 85 milliards de dollars d’ici 2025, soit une augmentation globale de 30 p. 100 — des objectifs très ambitieux. Si le gouvernement fait ce qu’il a annoncé, pourrez-vous atteindre ces objectifs?
Mme Sullivan : Non. Jusqu’à maintenant, les gouvernements se sont engagés à moderniser la réglementation. Les engagements et les initiatives qui ont été promis et qui, je crois, sont en cours, sont impressionnants.
Nous allons peiner à atteindre ces objectifs, particulièrement sur deux fronts : la main-d’œuvre et l’innovation. Je sais que plusieurs d’entre vous ont eu l’occasion de me rencontrer lors d’une table ronde que nous avons tenue en Ontario le mois dernier. Lorsque nous parlons aux entreprises de fabrication de produits alimentaires au Canada, presque tous nous disent que la main-d’œuvre est le problème numéro un. Il s’agit d’un problème structurel chronique partout au Canada à l’heure actuelle. Si nous ne commençons pas à nous attaquer à ce problème et à élaborer des plans à long terme, ces plans devront porter sur de multiples fronts. Autrement dit, comment pouvons-nous accroître la main-d’œuvre en puisant dans les groupes sous-représentés? Quelle est la place des travailleurs étrangers et quel rôle peut jouer l’automatisation pour nous aider? Si nous ne nous intéressons pas à l’innovation et à la main-d’œuvre, nous n’atteindrons malheureusement pas ces objectifs.
M. Burrows : Si je peux donner un exemple, nous avons environ 3 000 employés dans nos huit établissements. Il y a toujours environ 200 postes vacants. Il s’agit de postes spécialisés dans divers domaines de notre usine. Cela commence à avoir une incidence sur notre productivité et affecte clairement notre capacité de continuer à croître au rythme que nous avons connu ces 10 dernières années.
Le sénateur Oh : On vient de me voler ma question.
La présidente : Ah! Ces Néo-Écossais.
Le sénateur Oh : Vous dites que votre objectif est d’atteindre les 85 milliards de dollars d’ici 2025 pour vos ventes à l’exportation. Quelle zone géographique visez-vous, les États-Unis, les pays côtiers du Pacifique, l’Union européenne?
M. Vielfaure : Nous étudions toutes les possibilités que les gouvernements négocient dans le cadre des accords sur le commerce que le Canada a conclus avec de nombreux pays et régions du monde. C’est vraiment utile. Ne nous leurrons pas, ces ententes nous aident à avoir accès aux marchés. La réglementation est facilitée, ce genre de choses et les tarifs douaniers sont faibles ou inexistants. C’est très positif.
Évidemment, les États-Unis sont et resteront notre débouché le plus important. Ils sont proches et, dans bien des cas, nous vendons des aliments frais, donc le temps de transport est un enjeu. Toutefois, nous devons développer d’autres débouchés. Le Canada ne peut pas continuer à dépendre autant de ses exportations vers les États-Unis. Ces accords sur le commerce avec l’Europe, avec la région du Pacifique et avec d’autres pays sont très bien accueillis par votre industrie.
Le sénateur Oh : Après le nouvel accord sur le commerce avec les États-Unis, est-ce que vous constatez que ce n’est pas une façon pérenne de faire des affaires, qu’il faut changer et adopter une nouvelle stratégie pour aller ailleurs?
M. Vielfaure : Il est toujours préférable de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. De toute évidence, c’est ce que nous voulons. Les accords sur le commerce que le gouvernement du Canada a négociés avec d’autres régions et d’autres pays du monde sont une bonne chose.
M. Burrows : Le Canada a une excellente réputation à l’échelle internationale et nous sommes très respectés. Nos produits sont perçus comme étant de première qualité, naturels et excellents sur le plan de la salubrité des aliments. Nous bénéficions d’une bonne image. Nous avons l’occasion de tirer profit des nouvelles technologies. Daniel a parlé de produits frais. Dans notre cas, environ 15 p. 100 de nos exportations se font à l’extérieur de l’Amérique du Nord. Les produits frais constituent la grande majorité de nos exportations. Nous y voyons d’énormes possibilités pour des produits à prix élevé et de qualité exceptionnelle. L’innovation est l’une de nos principales possibilités. Nous devons recourir à de nouvelles technologies qui nous permettront d’expédier des produits frais ayant une durée de conservation beaucoup plus longue. C’est avantageux sur de nombreux marchés internationaux parce que, franchement, leurs systèmes de distribution manquent parfois d’intégrité. Il vaut mieux proposer des produits frais plutôt que congelés. Non seulement ils sont mieux acceptés par les consommateurs, qui le paient plus cher, mais le réseau de distribution est plus intègre.
Le sénateur Oh : En ce qui concerne la main-d’œuvre, vous disiez qu’il y avait une grande pénurie de main-d’œuvre. Le gouvernement travaille à l’arrivée d’un million de nouveaux immigrants au Canada au cours des deux prochaines années. Pourquoi ne travailleriez-vous pas avec le gouvernement sur la catégorie particulière de main-d’œuvre dont vous avez besoin?
Mme Sullivan : Oui, nous aimerions beaucoup le faire. Tout d’abord, la main-d’œuvre étrangère n’est pas la solution complète au problème. C’est une partie de la solution à une sorte de déficit structurel de la main-d’œuvre.
La main-d’œuvre étrangère comporte deux groupes différents. La première concerne les travailleurs saisonniers, les travailleurs étrangers temporaires. Daniel s’occupe des produits frais. Il y a une saisonnalité pour les produits que son entreprise emballe et transforme.
Nous avons aussi un déficit dans les emplois permanents. Malheureusement, à l’heure actuelle, en raison de la façon dont fonctionnent nos volets d’immigration, il est très difficile pour les gens qui travaillent dans nos usines d’accumuler suffisamment de points pour être admissibles aux divers programmes des candidats des provinces.
Nous avons des emplois permanents vacants et nous sommes convaincus qu’il y a des travailleurs étrangers qualifiés qui auraient beaucoup à apporter aux collectivités et aux entreprises. Par contre, il nous manque un système qui fonctionne pour notre industrie et pour le genre d’emplois que nous avons à offrir.
Je veux être clair. De toute évidence, nous n’avons pas d’emplois pour les médecins. Nous avons une part d’emplois de haute technologie, mais nos emplois sont spécialisés et bien rémunérés. Dans les collectivités où nous sommes actifs, ce sont des emplois qui peuvent soutenir les familles et les attirer dans ces collectivités, ce qui, dans bien des cas, aide à résoudre les problèmes liés à la survie des collectivités rurales.
Nous devons commencer à discuter de la façon dont nous pouvons mettre en place un volet d’immigration qui nous permettra de faire venir de futurs Canadiens — ce que la plupart d’entre nous étions à un moment donné — et qui seront nécessaires pour maintenir la croissance de l’économie.
La présidente : Je vais devoir suspendre la séance. Gardez ces réflexions à l’esprit. Nous reviendrons après le vote.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
La présidente : Nous allons reprendre la séance. Nous avons une liste d’intervenants.
Le sénateur C. Deacon : Merci à chacun d’entre vous d’être ici. Je suis heureux de vous revoir, madame Sullivan.
Nous examinons le projet de loi C-97. Je veux savoir précisément quelles sont vos préoccupations. Je comprends très bien vos préoccupations générales et le besoin urgent de moderniser la réglementation. L’expression « souplesse réglementaire » qui a été utilisée dans le rapport des Tables me préoccupe un peu parce que je ne pense pas que nous voulions des règlements qui changent tout le temps. Nous ne voulons pas de souplesse excessive parce que cela ne vous donne ni certitude ni uniformité. Je crois que le terme « modernisation » que vous avez utilisé me plaît.
Vous avez soulevé trois grandes questions : la modernisation de la réglementation, la main-d’œuvre et l’innovation. Il me semble qu’il existe un lien entre l’innovation et la main-d’œuvre. Il se manifeste dans la façon dont nous utilisons de nouveaux processus et de nouvelles approches pour changer nos besoins de main-d’œuvre au fil du temps, de façon productive. Cela serait utile si vous pouviez vous concentrer sur notre étude préalable du projet de loi C-97 et être aussi précis que possible quant à vos attentes à notre égard, à ce qui vous inquiète, aux changements qui s’imposent, aux préoccupations, mais aussi à vos motifs de satisfaction.
Mme Sullivan : Je me ferai un plaisir de commenter précisément le projet de loi C-97. Je suppose que ce qui attire le plus notre attention dans ce projet de loi est ce qui semble être une sorte de réorganisation des dispositions d’exécution et d’inspection de la Loi sur les aliments et drogues.
Je ne sais pas quelles sont les répercussions possibles et je crois que c’est ce qui vous préoccupe. On ne nous a pas informés des changements prévus. Nous ne savons pas comment ils cadrent avec la Loi sur la salubrité des aliments au Canada qui est entrée en vigueur plus tôt cette année. Nous ne savons pas comment cela cadre avec ce que nous pourrions voir dans les feuilles de route réglementaires prévues, nous l’espérons, pour ce mois-ci. Nous n’avons aucun moyen de comprendre les répercussions possibles. Ce pourrait être inoffensif; ce pourrait être simplement une réorganisation des pouvoirs qui existent déjà. Nous ne le savons tout simplement pas.
Ce qui nous préoccupe, c’est qu’il y a 6 000 entreprises dans cette industrie, dont plus de 90 p. 100 sont de petites entreprises. Elles essaient de comprendre certains des éléments structurels dont nous avons parlé. Devrions-nous passer tout notre temps à essayer de voir comment ces changements s’inscrivent dans la Loi sur la salubrité des aliments au Canada ou dans les feuilles de route réglementaires à venir? Cela aurait été beaucoup plus facile si l’industrie avait été informée de ce que sont ces mesures et de ce qu’elles signifient.
Je ne jette la pierre à personne. J’ai travaillé avec le gouvernement pendant des années. Je crois fermement que les fonctionnaires font de leur mieux avec les ressources dont ils disposent. Ce n’est qu’une occasion de souligner que nous avons tous des ressources limitées et que nous devons trouver une meilleure façon de procéder. Je ne sais pas ce que cela signifie. Je ne sais pas quels sont les règlements qui accompagnent cela. Je ne sais pas si ces règlements seront différents des règlements actuels. Nous ne le savons tout simplement pas.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais résumer ce que j’ai compris. Il y a une réelle inquiétude parce que le gouvernement ne fait pas les premiers pas vers une collaboration avec l’industrie, afin de moderniser la réglementation de manière à permettre à toutes les parties d’être gagnantes, ce qui est possible, selon nous. Nous avons aussi entendu très clairement, je crois, qu’il faut simplifier la réglementation, surtout en ce qui concerne les municipalités, les provinces, le gouvernement fédéral et tous les autres secteurs du gouvernement fédéral. Nous comprenons cela. Votre message — et corrigez-moi si je me trompe — est que nous avons besoin d’une nouvelle culture de collaboration pour que les choses se fassent plus efficacement à l’avenir.
Mme Sullivan : Je suis tout à fait d’accord, oui.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une question pour chacun de nos témoins.
Tout d’abord, monsieur Vielfaure, si le gouvernement ne vous consulte pas et surtout ne tient pas compte de vos recommandations, qui, selon vous, influence ce gouvernement relativement aux changements qui sont contenus dans ce budget?
M. Vielfaure : C’est difficile à dire; ce serait des hypothèses. Je ne sais pas. Par contre, pour répondre en partie à votre question, le fait de ne pas être consulté est très perturbant. Du coup, si le gouvernement consulte d’autres gens, cela ne me dérange pas. Chacun a un droit de parole, chacun a le droit d’exercer une influence et de faire part de ses besoins, et ce, d’une manière constructive, pour créer une meilleure économie pour le Canada. C’était un peu que le mandat du rapport Barton. Les objectifs qui sont mis de l’avant sont très agressifs; c’est très bien, et nous sommes prêts à les réaliser.
Cependant, notre industrie doit être consultée. Le secteur de la transformation alimentaire est probablement un des plus grands employeurs manufacturiers du Canada, avec plus de 250 000 emplois, et, surtout, ce sont des emplois qui se trouvent partout au Canada. Notre secteur est sûrement celui qui est le mieux réparti partout au Canada, parce que nous comptons beaucoup de PME dans les régions, puisque c’est en région que l’on fait le plus d’agriculture. Ainsi, nous représentons vraiment l’ensemble des Canadiens de toutes les provinces, de toutes les origines et de toutes les régions. C’est contrariant de ne pas être consulté.
Le sénateur Dagenais : Merci.
Madame Sullivan, croyez-vous que ce budget est de nature à favoriser la vente au Canada de produits qui viennent des États-Unis, où les conditions de production semblent beaucoup plus ouvertes que celles que nous avons au pays?
[Traduction]
Mme Sullivan : La concurrence est une chose délicate. Pour être une industrie saine et dynamique, il faut être prêt à accepter la concurrence. Je pense que des problèmes se posent dans le contexte canadien lorsque les entreprises estiment que, du point de vue de la compétitivité, le fardeau de la réglementation rend les choses plus coûteuses pour les entreprises canadiennes et peut-être pour les entreprises qui importent leurs produits.
Du point de vue de la salubrité des aliments, et j’aime toujours le souligner, tout aliment vendu au Canada doit respecter les mêmes exigences et les mêmes normes. Ce n’est pas comme si, du point de vue de la salubrité des aliments, il y avait un risque que des produits provenant d’autres pays, des États-Unis, par exemple, soient favorisés au détriment de la sécurité. On se demande souvent si, du point de vue de la compétitivité, nous sommes sur un pied d’égalité. Certaines des questions structurelles soulevées plus tôt ont porté là-dessus.
En tant qu’industrie, il ne fait aucun doute que le secteur canadien de la fabrication d’aliments et de boissons accuse du retard par rapport à d’autres secteurs manufacturiers au Canada et par rapport aux industries d’autres pays en matière de productivité et d’innovation. Ce sont des problèmes systémiques que nous devons régler ensemble.
Le défi auquel notre industrie est souvent confrontée est que nous ne faisons pas partie des secteurs de l’automobile ou de l’aérospatiale. Notre industrie compte un grand nombre de petites entreprises et cela crée des défis uniques. Je pense qu’on a tendance à élaborer des programmes ou à envisager des politiques qui pourraient avoir une incidence sur la compétitivité de certains secteurs en présumant qu’ils s’appliqueront aussi au nôtre. Ce n’est pas toujours le cas. Si nous voulons faire la promotion du secteur de la fabrication des aliments et des boissons, nous devons réfléchir à la façon dont ces outils et instruments de politique s’appliqueront à nous. Par ailleurs, et bien franchement, nous devrons réfléchir à la façon de les peaufiner.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s’adresse à M. Burrows.
J’aimerais que nous fassions une recommandation sérieuse et qui a du poids dans le rapport que nous allons soumettre relativement à la main-d’œuvre dans vos industries. Pouvez-vous nous dire si nous devrions nous attaquer au problème sur le plan de la bureaucratie ou si nous devrions plutôt nous attaquer au problème de la qualification des ressources humaines disponibles?
[Traduction]
M. Burrows : Je pense que l’approche en matière de main-d’œuvre doit être multidimensionnelle. Je crois qu’il faut d’une part encourager les jeunes, les jeunes adultes, à considérer les métiers comme une occasion à saisir.
Il y a actuellement au Canada d’énormes possibilités et une pénurie dans le domaine des métiers spécialisés. Je parle des électriciens, des techniciens en CVC et des ingénieurs mécaniques. Nous avons constaté une véritable pénurie dans le secteur des aliments et des boissons. Cela tient en partie au fait qu’il n’y a pas de voie évidente pour privilégier ce secteur dans les collèges et les universités du pays.
Nous souffrons parce que, dans ma génération, l’idée était que nos enfants deviendraient des professionnels. Nous avons raté cette occasion. Nous devons consacrer de l’énergie à faire en sorte que les jeunes soient conscients du grand potentiel de carrière qui existe dans les métiers.
De plus, nous devons rétablir le lien entre nos jeunes et l’industrie des aliments et des boissons. Je suis né et j’ai grandi dans une ferme. Si ce n’était du poste que j’occupe, mes enfants adultes n’auraient aucune idée de l’agriculture. Plusieurs de leurs amis n’ont jamais visité une ferme. Ils ne peuvent pas en décrire le fonctionnement. Une rupture est survenue, et nous devrions rétablir nos liens avec la nourriture.
Ce qui me fascine, c’est que les jeunes s’y intéressent. À leurs yeux, la nourriture est une chose qui va nourrir et alimenter leur corps. Dans ma génération, nous pensions que la nourriture existait pour nous remplir l’estomac. Nous la dévorions. Ils sont bien placés pour participer à notre industrie. Nous n’avons tout simplement pas communiqué avec eux et nous n’avons pas le même attrait.
La troisième partie, qui a déjà été abordée, était la possibilité de combler la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans nos usines par le biais de l’immigration. Encore une fois, ce sont des emplois rémunérés entre 40 000 $ et 60 000 $ par année. Il nous manque maintenant 25 camionneurs. Leur échelle salariale est de 80 000 $ à 100 000 $ par année, ce qui, à mon avis, est très prometteur.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci.
[Traduction]
Le sénateur R. Black : Je suis déçu d’entendre encore une fois que le gouvernement ne vous a pas consultés. Cela semble être un problème récurrent, du moins depuis que je siège au Comité de l’agriculture et des forêts.
Si on vous avait consulté et demandé à quel point l’innovation est importante et quelles mesures le gouvernement devrait prendre pour favoriser l’innovation et l’automatisation dans votre secteur, quelles auraient été vos recommandations?
Mme Sullivan : Pour vous donner un peu de contexte, l’innovation a été un défi lors des discussions que nous avons eues ces derniers temps avec le gouvernement. Je crois que le programme phare qui a été annoncé s’appelle le FIS, le Fonds stratégique pour l’innovation. La dernière ronde a été distribuée en tranches de 10 millions de dollars. Pour être admissible, il faut avoir un projet de 20 millions de dollars. C’est un financement de contrepartie.
Il y a plus de 6 000 transformateurs d’aliments au pays, et 90 p. 100 d’entre eux ont moins de 100 employés. La grande majorité de ces entreprises n’investiront pas 20 millions de dollars dans des projets d’immobilisations.
Souvent, les investissements dans l’innovation exigent la création d’emplois. Nous avons un déficit structurel d’employés dans notre industrie. La dernière chose que nous voulons, c’est de créer plus de postes que nous ne pouvons pourvoir. En fait, bien souvent, lorsqu’on envisage l’innovation du point de vue de l’automatisation, on essaie vraiment de faire le contraire. En réalité, on rationalise la main-d’œuvre, mais, en même temps, on augmente le niveau de compétence des emplois parce qu’il s’agit de travailleurs plus qualifiés.
Des apprentissages doivent avoir lieu. Le gouvernement doit s’asseoir avec nous. Nous devons entamer des discussions et réellement explorer les usines pour comprendre à quoi ressemble l’innovation. Quels sont les obstacles qui empêchent certaines de ces petites et moyennes entreprises de prendre de l’expansion?
Je sais que vous avez eu la chance de visiter des usines de transformation en Ontario le mois dernier. La grande majorité des entreprises ne seraient pas de la taille de celles que vous avez visitées. Nous devons adapter les programmes et examiner les façons dont nous pourrons soutenir les petites et moyennes entreprises qui doivent investir dans l’innovation et l’automatisation pour accroître leur production.
En ce qui concerne le commerce, le Canada a négocié une série d’accords commerciaux incroyables, du jamais vu auparavant. Une grande partie du potentiel de ces accords commerciaux s’adresse aux petites et moyennes entreprises. Ce secteur de notre industrie peut connaître une importante croissance. Nous devons nous concentrer sur les moyens qui lui permettront de croître. Le mot que j’utilise est « renforcement ». Il faut que ce soit un engagement conjoint pour examiner cela et mieux comprendre l’industrie.
M. Burrows : Permettez-moi d’ajouter un commentaire. Il est également prudent de comprendre ce que signifie l’innovation. Ce sera différent pour Google et Amazon que pour l’industrie des aliments et des boissons.
L’innovation est davantage une question d’automatisation. Il s’agit de respecter des normes de plus en plus strictes en matière de salubrité des aliments. Elles deviennent plus sévères, ce qui est une bonne chose. Cela ne me pose aucun problème. Cela concerne la salubrité des aliments, le bien-être des animaux et l’emballage.
Nous amorçons, à mon avis, une transformation très intéressante qui durera de cinq à dix ans où certains principes fondamentaux très clairs — l’emballage en est un excellent exemple — seront réinventés. En tant qu’industrie, nous devons être en mesure de participer à ce processus de façon productive, notamment dans le cas des petites et moyennes entreprises.
M. Vielfaure : Pour l’emballage, par exemple, les petites entreprises devront investir dans ces nouvelles technologies pour utiliser ces nouveaux emballages. Cela va représenter beaucoup d’argent.
Comme Kathleen l’a dit, plusieurs de nos membres sont de petites entreprises. C’est la beauté de notre industrie. C’est pourquoi nous sommes dispersés dans toutes les régions. C’est pourquoi nous créons des emplois partout au Canada. Le gouvernement aime avoir de grands programmes et de grandes annonces. Cela est plus facile à gérer que 500 programmes, de petits comptes.
Mme Sullivan : Permettez-moi de vous donner un exemple concret. Je sais que certains des membres du comité ont participé à la table ronde que nous avons tenue à Toronto au centre ThinkFOOD! des Aliments Maple Leaf. Cet événement a été suivi d’une visite des cuisines d’essai et des installations d’essai.
Les petites et moyennes entreprises n’ont pas ce genre d’équipement et d’installations dans leurs usines. Elles ne peuvent pas se permettre ce genre d’investissements en capital. Nous devons trouver des façons intéressantes de créer des cuisines communautaires ou des installations d’essai où les gens peuvent aller. Il y en a même un peu partout au Canada, mais beaucoup d’entreprises ne savent pas qu’elles existent ou ne les utilisent pas.
Nous avons un travail fondamental à faire. C’est un défi. Même en discutant avec l’ACIA, par exemple, avec le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, qui s’applique maintenant à toutes les entreprises alimentaires au Canada, nous avons un nouveau défi à relever. Comment pouvons-nous communiquer avec plus de 6 000 entreprises pour les sensibiliser à leurs obligations réglementaires, sans parler des types d’installations, d’instruments politiques, de programmes et d’outils auxquels ils pourraient avoir accès?
Si nous sommes vraiment engagés envers cette industrie, c’est un défi que nous devons relever. Il y a un énorme avantage, comme Michael l’a dit, à avoir une telle industrie. Cela signifie que nous créons vraiment des emplois dans toutes les collectivités du pays.
Toutes les provinces ont un secteur de la fabrication alimentaire. En fait, dans la plupart des provinces, le secteur de la fabrication alimentaire est le plus important secteur manufacturier.
Il y a beaucoup d’avantages à avoir de plus petites entreprises et pas seulement de plus grandes entreprises, ou à avoir une importante population. Pour profiter de ces avantages, nous devons nous assurer que les industries disposent des outils dont elles ont besoin pour poursuivre leurs activités.
La présidente : Merci.
La sénatrice Bernard : On a répondu à mes deux questions. Je vais poser une question complémentaire à celle du sénateur Black sur l’innovation.
L’industrie a-t-elle établi des partenariats avec des universités et des collèges en matière d’innovation? Y a-t-il moyen que ce projet de loi, les recommandations ou les amendements appuient l’établissement de tels partenariats?
Mme Sullivan : Je ne pense pas que la loi soit la façon d’encourager ce genre d’innovation.
Pour revenir à ce que vous avez dit au sujet de la collaboration avec les universités, nous constatons que beaucoup d’entreprises le font. Vous verrez apparaître différents centres d’innovation — il y en a un en Ontario, par exemple, qui se concentre sur l’industrie vinicole — qui travaillent avec les universités et l’industrie pour examiner l’innovation dans un secteur ou une région en particulier du pays. En tant qu’industrie, nous n’avons pas investi dans ces projets, et nous commençons à chercher des façons de rassembler les éléments partout au pays.
Il ne fait aucun doute que nous avons besoin de l’aide du gouvernement. Par exemple, une de nos collègues qui n’est pas ici en ce moment, nous racontait qu’elle voulait puiser dans l’un des fonds d’innovation du gouvernement pour investir dans l’équipement, ce qui aurait été novateur et aurait facilité l’automatisation. Elle n’était pas admissible parce que l’équipement n’était pas fabriqué au Canada. La réponse est qu’il nous faudrait stimuler le secteur de la fabrication de matériel au Canada. Jusqu’à quel point voulez-vous augmenter notre fardeau? Dans un pays de 35 millions d’habitants, une grande partie de l’innovation consiste à canadianiser des technologies qui pourraient être conçues ailleurs. Il y a aussi un élément novateur dans tout cela.
Nous devons nous asseoir avec les gouvernements fédéral et provinciaux et commencer à créer une communauté qui examine les ressources d’innovation et les centres d’innovation existants dans les régions, dans les universités ou dans des secteurs particuliers. Comment pouvons-nous identifier ceux que nous avons déjà et commencer à éduquer l’industrie sur ce qui existe et déterminer où nous pourrions le mieux placer le financement gouvernemental. C’est-à-dire là où nous avons des programmes financés à parts égales. Le financement public est disponible, mais comment pouvons-nous nous assurer que les gouvernements qui peuvent en bénéficier comprennent que ces installations existent? Je ne pense pas qu’on puisse légiférer à cet égard. C’est une question culturelle, pour reprendre un commentaire précédent. En fin de compte, il s’agit de gens qui sont prêts à coopérer pour tenter de régler ces problèmes.
La sénatrice Bernard : Merci.
Le sénateur Doyle : Nous n’en sommes pas encore vraiment là, mais je crois que le projet de loi parle de modifier la classification et la reclassification des aliments et des produits de santé naturels. Dans quelle mesure le secteur agricole et agroalimentaire pourrait-il être touché et modifié par une reclassification des produits alimentaires et agroalimentaires?
Mme Sullivan : D’après ce que j’ai compris en le lisant, cela permet essentiellement au gouvernement de dire où nous en sommes dans un monde où les aliments semblent parfois se trouver dans une zone grise. C’est-à-dire que ce que nous pensons être de la nourriture n’est peut-être pas de la nourriture. Il permet au gouvernement de déterminer s’il s’agit d’un aliment, d’un produit thérapeutique ou d’un médicament. Je pense que le meilleur exemple pour nous est celui des produits comestibles à base de cannabis. Ces produits ne figurent pas dans ce projet de loi, mais ils sont analogues. Ils sont régis par la Loi sur le cannabis, non par la Loi sur les aliments et drogues, et ils sont expressément définis comme n’étant pas des aliments. Pour nous, ce sont des aliments. Si je fabrique un brownie qui contient du cannabis ou un produit qui n’en contient pas, le produit devrait être assujetti aux mêmes exigences et normes. C’est là que nous commençons à définir et à séparer les choses, alors que nous examinons différents produits que nous considérons comme comestibles — c’est-à-dire qu’ils ont une qualité nutritive, qu’ils ressemblent à des aliments et qu’ils sont fabriqués comme des aliments dans des manufactures d’aliments. J’ignore quelles en seront les conséquences.
D’après ce que je comprends et d’après ce que je lis, cela a vraiment été fait pour les produits thérapeutiques. On peut supposer qu’il y aura des retombées du côté de la nourriture. Nous l’avons vu du côté du cannabis. La situation du cannabis préoccupe les entreprises. Si les produits comestibles au cannabis ne sont pas visés par les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, seront-ils vraiment assujettis aux mêmes exigences en matière de salubrité des aliments, par exemple, que celles qui s’appliquent à un produit identique qui ne contient pas de cannabis?
Le sénateur Doyle : Les changements apporteront-ils des précisions à l’industrie sur nos attentes relatives aux fabricants d’aliments et de médicaments et ainsi de suite? Pensez-vous que cela vous permettra de mieux voir ce que vous devez faire précisément ou est-ce que cela embrouille un peu les choses?
Mme Sullivan : Dans ce cas-ci, cela embrouille les choses parce que je ne suis pas certaine de l’objectif des changements ou des conséquences possibles. Nous n’avons pas vu d’analyse. Dans le cas de ces révisions, cela embrouille un peu les choses. Dans le cas de la Loi sur le cannabis et des règlements propres aux produits comestibles au cannabis, cela brouille aussi les cartes. Les entreprises ne comprennent pas la différence entre un produit comestible et ce que nous considérons comme un aliment.
Je pense qu’à ce stade-ci, cette disposition particulière, sans aucun renseignement supplémentaire, m’a rendu un peu perplexe quant aux conséquences possibles.
Le sénateur Doyle : À votre avis, les consultations avec l’industrie n’étaient pas à la hauteur des attentes? Je crois que quelqu’un l’a déjà mentionné. Pourquoi le gouvernement se lancerait-il dans un projet de loi qui propose des changements très importants, alors que les principaux acteurs de l’industrie n’ont pas... Je ne tente pas de faire de la politique, j’essaie simplement de comprendre pourquoi la consultation avec l’industrie comportait des lacunes. On entend cela partout, de la part de tous les membres du comité qui se joignent à nous.
Mme Sullivan : Les gens diront que j’ai un cœur tendre. Je crois qu’il existe un véritable décalage. Je vais croire que tous sont d’avis qu’ils agissent de façon appropriée. Je pense qu’il y a un écart important entre ce que l’industrie considère comme une consultation et souvent ce que le gouvernement considère comme une consultation — et je ne parle pas précisément de ce projet de loi. Je ne crois pas qu’il y ait nécessairement de mauvaises intentions, mais il y a un écart énorme. Je l’ai vécu moi-même. Il y a un énorme décalage lorsque les ministères considèrent qu’ils ont consulté l’industrie et que l’industrie a l’impression d’être dans l’ombre. Peu importe qui a raison ou qui a tort. Nous avons un problème; nous avons un décalage. Nous devons trouver une solution.
Le sénateur Doyle : Que sont les produits thérapeutiques de pointe par opposition aux produits thérapeutiques? Que considérez-vous comme des produits thérapeutiques de pointe? D’ailleurs, je ne sais pas ce que sont les produits thérapeutiques. Peut-être pourriez-vous expliquer cela aussi?
Mme Sullivan : Je ne sais pas ce que sont les produits thérapeutiques. Je suppose que cela porte sur le milieu médical et celui des appareils médicaux.
Il existe une question que l’industrie soulève depuis longtemps. Je n’ai pas entendu Santé Canada en parler du tout. Nous avons une loi qui couvre les aliments, les médicaments, les produits thérapeutiques, les instruments médicaux et les produits de santé naturels. Il s’agit d’une mesure qui porte sur le droit criminel. C’est une vieille mesure. Nous devons passer à autre chose. Il est absolument essentiel que le Canada le fasse.
Je suppose que d’autres témoins vous diront qu’il existe aussi de la frustration. Je ne veux pas lire des choses au sujet de changements qui sont probablement d’ordre administratif. Je veux discuter de la façon dont le Canada adopte une loi sur les aliments qui reflète l’industrie et les besoins d’autres groupes, pas seulement les nôtres. Il existe une importante communauté de défenseurs de la santé et nous devons les écouter. Nous devons mettre en place une mesure législative qui reconnaît l’industrie et qui, franchement, nous permet d’avoir des outils qui peuvent peut-être nous aider à régler les questions de politique ou à réglementer l’industrie de façon beaucoup plus constructive.
M. Burrows : Je vais vous donner quelques exemples de mesures thérapeutiques et préventives. Je vais parler un instant du traitement des animaux. C’est une question sur laquelle nous mettons beaucoup l’accent aujourd’hui. Le traitement préventif est quelque chose que vous donneriez à l’animal avant qu’il n’ait manifesté de causes profondes ou de difficultés.
Le côté thérapeutique, c’est qu’ils sont malades et qu’il faut les traiter. Voilà un exemple de ce que signifierait une thérapie.
Pour les humains, c’est très semblable. Nous observons une réelle interaction — et je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il serait approprié que nous tentions de moderniser et de penser à l’avenir. Les aliments deviennent bien plus que ce que l’on consomme. Ils font partie de notre bien-être et nous allons observer cela. Regardez nos clients; Loblaw a acheté Shoppers Drug Mart. Pourquoi? Pour pouvoir suivre leur mantra de « Vivre une bonne vie », ils se rendent compte qu’il y a un lien au-delà des aliments traditionnels avec les pharmacies — appelons-les des produits pharmaceutiques — avec les fournisseurs de soins de santé. Ils vont amalgamer cela en fonction de leur avenir. C’est à ce moment-là que l’aspect thérapeutique devient tout à coup très pertinent, mais ce n’est pas quelque chose dont nous parlons aujourd’hui. Nous devons le faire.
Le sénateur C. Deacon : Je vais donner suite à la question du sénateur Black sur l’innovation. Sur vos 1 500 membres, combien y en a-t-il qui ont accès au Programme d’aide à la recherche industrielle et aux crédits au titre de la recherche scientifique et du développement expérimental? Je viens d’un milieu où les petites entreprises reçoivent des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars grâce à ces programmes d’usage très répandu.
M. Vielfaure : Les crédits au titre de la recherche scientifique et du développement expérimental sont de moins en moins faciles à obtenir et deviennent presque inaccessibles pour les petites entreprises en raison des tonnes d’explications qui leur sont exigées. Pour des entreprises comme Bonduelle, nous avons encore notre crédit parce que nous pouvons nous permettre d’avoir deux personnes à temps plein pour préparer le dossier pour les vérificateurs. Ils seront rassurés et nous obtiendrons notre argent, contrairement aux petites entreprises. C’est devenu trop compliqué, trop difficile, et rien ne va plus. Si elles veulent faire des recherches pour 10 000 ou 20 000 $, il leur en coûtera 50 000 rien que pour faire approuver le projet.
Le sénateur C. Deacon : Qu’en est-il du Programme d’aide à la recherche industrielle?
M. Vielfaure : Je ne suis pas au courant de ce programme.
Le sénateur C. Deacon : Les deux s’adressent aux entreprises qui ont des défis à relever sur le plan technique. Nous ne parlons pas des détails du projet de loi C-97. Je voulais faire un suivi parce que c’est une partie importante.
M. Burrows : Je pense qu’il y a moyen d’actualiser ces programmes afin qu’ils reflètent la réalité actuelle des entreprises. La recherche scientifique et le développement expérimental, par exemple, nous ramènent à la définition la plus pure de la recherche et du développement. Je ne vais tout de même pas prétendre que nous n’avons que de nouvelles idées. Comme nous sommes maintenant beaucoup plus mondialisés, nous adoptons rapidement des idées qui viennent d’ailleurs, mais elles ne sont pas nécessairement originales. Elles ne peuvent pas opter à ces programmes de la même façon...
Le sénateur C. Deacon : Il y a des critères précis pour les deux programmes. L’incertitude technique est le tout premier, et c’est quelque chose que l’on peut prouver, oui ou non. Vous pouvez nous aider en nous précisant les améliorations à apporter à ces programmes, car ils sont ouverts à toutes les sociétés canadiennes. Inutile d’essayer de me convaincre de leur importance. Ce que je veux, c’est savoir ce que nous pouvons faire différemment pour que cet important secteur canadien puisse profiter de ces programmes pour stimuler l’innovation et nous faire avancer.
Je vous laisse y réfléchir. Les généralités ne nous aideront pas. Il serait utile de préciser pourquoi les programmes ne fonctionnent pas, s’il y a des lacunes.
Le sénateur Mercer : Merci de votre présence. J’ai deux choses à dire. Une petite suggestion en passant, et puis je vais vous poser une question. C’est au sujet du débat sur les produits comestibles du cannabis. Il y a un marché pour des gens comme moi, qui suis un ancien fumeur de tabac et un fumeur occasionnel d’herbe. J’ai renoncé aux deux il y a de nombreuses années, mais à mesure que je prends de l’âge, j’aimerais reprendre de la marijuana pour soulager les maux qui vont de pair avec le vieillissement.
Cela dit, je ne tiens pas à consommer ma marijuana en fumant, car si je le fais, il n’en faudra pas plus pour que j’attrape une cigarette. J’étais un gros fumeur qui consommait trois paquets par jour. Il y a 30 ans que j’ai abandonné et je ne veux surtout pas recommencer. Il y a un marché pour ceux qui se préparent à consommer l’herbe sous forme de produit comestible. Pour moi, ça tombe du ciel. J’espère que vous ferez beaucoup d’argent avec ça.
Ma véritable question porte sur l’emploi. Vous avez parlé du nombre de postes vacants dans votre entreprise. Avez-vous songé à communiquer avec les collèges communautaires dans les diverses régions où vous travaillez pour leur signaler vos besoins et les renseigner sur les programmes qui pourraient leur être utiles?
Je vais vous donner un exemple de ce qui peut être accompli. Le gouvernement du Canada avait décidé, il y a quelques années, que le programme de construction navale irait à Seaspan, à Vancouver, et au chantier naval de Halifax. Le lendemain de la décision, le conseil d’administration du Collège communautaire de la Nouvelle-Écosse tenait une réunion pour déterminer quels seraient les besoins du gouvernement dans ce contexte et le genre de prestation que le collège ne fournissait pas déjà. Ils ont constaté que le programme de soudage avait perdu de son importance parce que le métier n’était pas très en demande dans l’industrie en général. Par contre, Il fallait beaucoup de soudeurs pour construire des navires.
Je sais que vous n’avez pas besoin de soudeurs, mais vous avez besoin d’autres choses et si vous parlez aux collèges communautaires, ils peuvent réagir plus rapidement que n’importe qui. Ils sont habitués à répondre rapidement aux besoins de l’industrie. Avez-vous parlé aux collèges communautaires du pays qui pourraient avoir une incidence sur vos marchés?
Mme Sullivan : Oui, nous abordons la formation professionnelle sous différents angles. Je peux vous donner un exemple. En Ontario, il existe un programme appelé Votre avenir a du goût, qui comporte un certain nombre de volets, mais qui fait partie d’une plateforme de médias sociaux en ligne qui tente de rejoindre les jeunes pour montrer que l’industrie peut être un choix de carrière viable. Dans le cadre de ce programme, il y a une interaction avec les collèges et les universités au sujet des programmes d’éducation.
L’autre façon dont nous abordons la formation, c’est par l’entremise du Conseil des compétences en ressources humaines. Pour notre secteur, il s’agit de Compétences Transformation alimentaire Canada. Ils offrent tous deux une série de programmes de formation en ligne qu’ils mettent au point eux-mêmes et ils travaillent également avec les collèges, en particulier, à divers programmes de certification.
C’est un domaine où nous devons absolument faire plus de travail. Pour revenir à ce qui a été dit plus tôt, à mesure que l’industrie évolue et que nous adoptons davantage l’automatisation, la numérisation, les compétences changent. Si vous regardez ce qui s’est passé au cours des 10 dernières années et l’importance accrue accordée à la salubrité des aliments dans notre industrie, vous verrez qu’il y a de plus en plus d’emplois dans le domaine des sciences alimentaires. Nous examinons les programmes de formation offerts dans les collèges et les universités. Nous devons continuer de suivre l’évolution de l’industrie et des exigences en matière d’emploi.
M. Burrows : J’aborderai la question sous deux angles : nous avons fait des démarches auprès des collèges, surtout, et de certaines universités. Le collège de Conestoga à Guelph est un excellent exemple, et nous travaillons avec lui, car ce que nous pouvons lui proposer, c’est un lien avec les emplois. Les étudiants s’inscrivent au programme au prix de 10 000 $ par année pendant quatre ans. Ils veulent donc avoir un emploi qui les attend à la fin de leurs études. C’est merveilleux pour le collège ou l’université et pour l’étudiant, car tout le monde y gagne.
Les liens que notre industrie s’efforce d’établir s’articulent autour des programmes coopératifs ou autres programmes d’été que nous cherchons à offrir. Nous allons accueillir 25 étudiants de cette université et nous les aidons à suivre leur programme d’études. Il s’agit d’un programme d’ingénierie, mais il est adapté au génie alimentaire.
Nous allons leur donner une véritable expérience de vie. Nous passerons trois étés avec eux. Nous nous mettons mutuellement à l’essai. Si tout va bien, ils finiront peut-être par occuper un poste chez nous.
Je conviens que c’est une occasion à saisir. Il est manifeste que nous devons nous efforcer davantage pour avoir ce genre de productivité.
La présidente : J’aimerais remercier nos témoins. C’est intéressant. Comme vous pouvez le constater, nous pourrions facilement poursuivre la discussion, mais nous avons deux autres groupes de témoins ce soir. C’est une soirée chargée.
Pour ce groupe de témoins, nous accueillons Susan Abel, vice-présidente, Sécurité et conformité, et Carla Ventin, première vice-présidente, Relations gouvernementales, toutes deux de Produits alimentaires et de consommation du Canada.
Nous accueillons également Gordon Harrison, président, Canadian National Millers Association.
Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître ce soir. Nous allons commencer par Susan Abel.
Susan Abel, vice-présidente, Sécurité et conformité, Produits alimentaires et de consommation du Canada : Merci beaucoup. Produits alimentaires et de consommation du Canada tient à remercier le comité de lui avoir donné l’occasion de formuler des commentaires sur les articles pertinents de la Loi d’exécution du budget.
Pour ceux qui ne connaissent pas notre association, voilà 60 ans qu’elle représente les entreprises qui fabriquent et distribuent la majorité des aliments, des boissons et des biens de consommation disponibles au Canada.
L’industrie de la transformation des aliments est le plus grand employeur du secteur manufacturier au Canada, fournissant aux Canadiens des emplois de haute qualité dans plus de 6 000 usines. Les fabricants canadiens de produits alimentaires emploient plus de gens que les secteurs de l’automobile et de l’aérospatiale réunis. Au cours des dernières années, il y a eu d’excellents exemples de solides consultations qui ont porté fruit, dont l’élaboration par l’Agence canadienne d’inspection des aliments du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada et, plus récemment, l’approche de Santé Canada pour réduire les formalités administratives liées à la mise en marché de nouveaux produits à faible risque.
Ces modèles de consultation comprenaient la mobilisation des intervenants appropriés afin de permettre un échange franc d’idées dès le départ. Malheureusement, les changements prévus dans la Loi d’exécution du budget n’ont pas fait l’objet d’un tel processus de consultation. Ni notre association ni nos membres n’ont été consultés au sujet des modifications réglementaires mentionnées devant le comité aujourd’hui. Nous supposons donc que ces amendements ont été proposés en réponse à des questions demeurées problématiques pour Santé Canada et notre industrie.
Malheureusement, en l’absence de la connaissance de cause qui découle de modèles de consultation réussis, il est extrêmement difficile pour nous d’appuyer les changements ou d’exprimer nos préoccupations.
Par exemple, le nouveau pouvoir conféré au ministre de classifier certains produits comme étant exclusivement des aliments, des médicaments, des cosmétiques ou des instruments, peut aider à éliminer l’arriéré d’autorisations spéciales que Santé Canada accorde depuis plus de cinq ans pour permettre que les produits de santé naturels consommés comme des aliments soient vendus comme tels.
Bon nombre de ces produits non définis sont innovateurs et certains contiennent des ingrédients qui ne sont pas actuellement autorisés au Canada en raison des définitions désuètes qui figurent à la manière de recettes dans le Règlement sur les aliments et drogues.
Tant que le Règlement sur les aliments n’aura pas été modifié pour permettre l’utilisation de ces ingrédients dans ces aliments spéciaux, Santé Canada sera obligé de s’en tenir aux formalités bureaucratiques et d’émettre des lettres d’autorisation spéciales chaque année.
Cet amendement vise peut-être à corriger cette situation. Si c’est le cas, nous l’appuyons. Or, il se peut que ce soit lié aux changements que le Canada doit apporter pour que nos lois et règlements soient prêts pour le nouvel accès que les consommateurs auront à des échantillons professionnels de produits de santé naturels et de médicaments en vente libre en vertu du nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique. Nous ne le savons tout simplement pas, parce que nous n’avons pas été consultés.
Nos membres ont également été étonnés par la rubrique de la Loi d’exécution du budget portant sur la modernisation de l’inspection.
Les inspections des aliments au Canada sont menées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, et ce n’est qu’au 15 janvier de cette année que de nouveaux pouvoirs pour les inspecteurs sont entrés en vigueur. À la lecture attentive, nous comprenons que ces changements visent les médicaments et les instruments médicaux, qui sont inspectés sous la surveillance de Santé Canada. Ce qui est surprenant, c’est à quel point les autorisations sont différentes pour les inspecteurs de Santé Canada par rapport à celles de l’ACIA. Les modifications proposées dans le budget donneraient des pouvoirs beaucoup plus étendus aux inspecteurs de Santé Canada. Il est inquiétant de constater que nous risquons de nous retrouver avec deux approches très différentes en matière d’inspection sous la responsabilité du ministre de la Santé. Nous ne comprenons pas le raisonnement et nous craignons que cela ne sème la confusion.
Notre autre préoccupation concerne la définition du mot « vendre ». Notre association et d’autres intervenants ont demandé qu’elle soit modifiée par Santé Canada, parce qu’elle est problématique pour l’industrie. Malheureusement, la modification proposée à la définition, qui comprend la location, ne répond pas aux préoccupations plus générales de l’industrie à l’égard de cette définition. Comme nous n’avons pas été consultés au sujet de ce changement, la modification proposée ne suffit pas à réduire les formalités administratives pour l’industrie. Nous y voyons une occasion manquée.
Je vous remercie d’avoir entendu les préoccupations que j’ai soulevées. Je demanderais à Carla Ventin, première vice-présidente, Relations gouvernementales, de nous parler des préoccupations plus générales que nous avons au sujet du processus de consultation de Santé Canada.
Carla Ventin, première vice-présidente, Relations gouvernementales, Produits alimentaires et de consommation du Canada : Je remercie le comité et ma collègue Susan de nous avoir fait part de leurs commentaires sur la Loi d’exécution du budget. Nous attendons avec impatience que Santé Canada nous donne un peu plus de contexte et de détails.
Mes commentaires porteront sur nos préoccupations plus générales concernant le rythme et le processus de mise en œuvre des changements par Santé Canada. Cela fait trois ans et demi que l’industrie travaille d’arrache-pied, et j’imagine que c’est la même chose pour le gouvernement. Le rythme des changements proposés à la façon dont notre industrie fabrique, étiquette, emballe et vend ses produits est sans précédent. On n’a demandé à aucun autre secteur manufacturier au Canada d’apporter autant de changements essentiels à l’ensemble du cycle de vie de ses produits.
L’effet cumulatif de tous ces changements modifiera de façon permanente le paysage de l’industrie alimentaire au Canada. On ne sait pas exactement à quoi ressembleront ces changements et quel en sera l’impact sur le secteur et les Canadiens, et cela fait partie du problème.
Même si nous apprécions le programme ambitieux du gouvernement, l’industrie a eu du mal à suivre le rythme. Nous constatons que les consultations sont précipitées et qu’il y a peu de commentaires ou que les délais sont imprévisibles. Pour l’industrie, cela signifie qu’il peut être difficile de fournir une contribution significative. Pour le gouvernement, que l’on risque de négliger des questions cruciales. Pour les Canadiens, il peut y avoir des conséquences imprévues.
Nous avons également été explicitement exclus des consultations sur certains dossiers, par exemple, la Stratégie en matière de saine alimentation, le Guide alimentaire canadien, la commercialisation auprès des enfants et l’étiquetage sur le devant de l’emballage. Les commentaires de l’industrie n’ont pas été les bienvenus aux diverses étapes de ces consultations. Ainsi, le gouvernement a envoyé le message que la contribution de l’industrie n’est ni utile ni nécessaire.
Nous constatons également un manque de transparence dans la façon dont on tient compte des commentaires de l’industrie et dont les décisions sont prises. Par exemple, en ce qui concerne la publicité destinée aux enfants, nous ne savons pas trop comment nos points de vue éclairent le dialogue sur les politiques. Nous sommes également préoccupés par le manque d’harmonisation et de collaboration au sein de Santé Canada. Ce manque d’harmonisation se fait également sentir entre les ministères chargés de la réglementation et ceux chargés de l’économie à l’échelle fédérale. De nombreux ministères ne sont pas tenus de tenir compte des effets cumulatifs ou de promouvoir la croissance économique en même temps qu’ils s’acquittent de leurs mandats respectifs en matière de santé, de sécurité ou d’environnement. Il en résulte des décisions réglementaires disproportionnées qui ne tiennent pas compte des répercussions sur la compétitivité des entreprises.
Nous aimerions attirer votre attention sur le rapport de la Chambre de commerce, qui est parrainé par Produits alimentaires et de consommation du Canada et d’autres groupes et qui s’intitule Cultiver la compétitivité : réaliser les promesses de réforme de la réglementation agroalimentaire. Ce rapport contient d’importantes recommandations, que nous avons distribuées au comité à l’avance. Elles portent sur nos préoccupations plus générales et nous encourageons le gouvernement à prendre des mesures pour, premièrement, effectuer une analyse coûts-avantages complète des effets cumulatifs des changements réglementaires proposés sur l’industrie agroalimentaire; deuxièmement, faire de l’examen réglementaire ciblé du secteur agroalimentaire effectué par le Conseil du Trésor un modèle permanent de modernisation de la réglementation; troisièmement, mettre en œuvre toutes les recommandations du rapport de la Table de stratégies économiques sur l’agroalimentaire; et, quatrièmement, adopter une loi pour faire de l’efficacité de la réglementation et de la croissance économique une partie permanente du mandat des organismes de réglementation.
En somme, nous partageons les objectifs de Santé Canada à l’égard de la santé publique des Canadiens, et nous sommes résolus à continuer de travailler en étroite collaboration avec les ministères chargés de la réglementation ainsi qu’avec les ministères responsables de la croissance de l’économie. Il importe que nous travaillions ensemble pour atteindre le double objectif du gouvernement en matière de santé publique et de croissance économique. Merci.
Gordon Harrison, président, Canadian National Millers Association : Je tiens moi aussi à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous. Cette démarche me semble excellente, car il s’agit de faire une étude préliminaire des dispositions que nous examinons. Je pense qu’une bonne partie de la discussion de cette réunion s’inscrit bien dans le contexte de votre étude sur la compétitivité de l’agriculture à valeur ajoutée. Dans ce contexte, je vous ai rencontré le 20 septembre 2018. Les membres de l’industrie meunière et moi-même avons dit que l’élément le plus important auquel nous pensons, et qui serait aussi la chose la plus importante que vous puissiez accomplir pour notre secteur, serait de modifier l’alinéa 4(1)a) de la Loi sur les aliments et drogues.
Nous avons mentionné à l’époque que nous avions proposé cet amendement au ministre des Finances au début de 2018 pour son inclusion dans le projet de Loi d’exécution du budget de 2018. Je dois souligner que nous demandons cette modification depuis 2011-2012. C’est une demande de longue date. Il importe de noter que nous avons recommandé la modification de l’article 4 comme mesure provisoire en attendant les mesures beaucoup plus étendues qui viendront avec la création d’une loi sur les aliments.
Dans l’Énoncé économique de l’automne, le ministre Morneau a promis une loi sur la modernisation de la réglementation. Le 30 novembre, j’ai écrit de nouveau pour dire qu’il fallait apporter cette modification à l’alinéa 4(1)a) de la Loi d’exécution du budget. Le plan budgétaire traitait de la nécessité de moderniser et d’harmoniser le cadre réglementaire avec les partenaires commerciaux.
J’attire votre attention sur le fait que, comme c’est le cas aujourd’hui, l’alinéa 4(1)a) est presque identique au même article de la Loi sur les aliments et drogues de 1920, qui remonte donc à il y a 99 ans. Il est identique à l’alinéa 4(1)a) de la Loi sur les aliments et drogues, promulguée en 1954, il y a 65 ans. L’alinéa 4(1)a) n’est pas conforme à la Food, Drug and Cosmetic Act des États-Unis, mais il le serait si nous obtenions la modification que nous proposons depuis sept ans.
C’est une déclaration cruciale. Je ne suis pas aussi méchant qu’il n’y paraît, mais l’absence de cet amendement demandé dans le projet de Loi d’exécution du budget en dit long sur la volonté de Santé Canada d’harmoniser la Loi sur les aliments et drogues avec d’autres et de lui donner force exécutoire.
Je veux parler de l’absence de consultation et du fait que cela n’a rien de nouveau. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’examiner un projet de loi avant qu’il soit déposé à la Chambre des communes. L’honorable Gerry Ritz, à notre demande et sous réserve d’une entente de confidentialité, a exceptionnellement permis à certains d’entre nous de consulter la première ébauche de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada.
Par la suite, Susan Abel et d’autres collègues de l’industrie ont pu travailler dans le cadre d’une entente de confidentialité sur les diverses versions de ces règlements, qui ont en fait été intégralement prépubliés dans la Gazette du Canada pour inviter les commentaires au fur et à mesure. De plus, la Loi sur la salubrité des aliments au Canada n’est pas entrée en vigueur avant que tout le travail de réglementation se soit terminé. Nous sommes maintenant en train d’étudier des changements à la Loi sur les aliments et drogues sans avoir la moindre idée des modifications réglementaires qui suivront. C’est grave.
J’attire votre attention sur le fait que les modifications proposées dans le projet de loi C-97 visent à donner au ministre de la Santé le pouvoir d’ajouter ou de supprimer des éléments des annexes de la Loi sur les aliments et drogues qui n’existent pas vraiment. Ils ne figurent pas dans cette loi et le projet de loi C-97 ne crée pas ces annexes, mais elles sont envisagées et de nouveaux pouvoirs sont accordés au ministre. Il n’y a aucun renvoi logique à cet égard.
Les modifications proposées dans le projet de loi C-97 contiennent d’autres renvois à la Loi sur les aliments et drogues en vigueur qui sont, à mon avis, inexacts. Dans bien des cas, ces modifications sont si mal conçues et si obscures qu’elles me semblent superficielles. C’est changer pour changer. À mon avis, il faudrait les retirer en bloc du projet de loi et les ramener une fois qu’elles auront été mûrement réfléchies et que nous aurons compris l’évolution de la réglementation et les conséquences pour l’industrie. Il faudra alors les ramener sous forme d’un projet de loi du gouvernement à étudier en bonne et due forme, à l’instar de ce qui a été fait à notre demande, c’est-à-dire nous mettre tous d’accord pour rédiger la Loi sur la salubrité des aliments au Canada et son règlement.
Il y a moyen de faire les choses autrement. Je dois souligner que l’Agence canadienne d’inspection des aliments, qui a partagé le podium mardi dernier lors d’une réunion de Santé Canada, a fait valoir qu’elle avait innové en s’y prenant de la sorte. C’est tout à fait exact. C’est Santé Canada qui avait organisé la réunion.
Nous avons tiré de nombreuses leçons et nous ne les appliquons pas ici. Ces dispositions n’ont pas leur place dans ce projet de loi. Il s’agirait de les supprimer et de recommencer en appliquant les leçons apprises. Merci.
La présidente : Merci.
Le sénateur Doyle : La plupart des compléments alimentaires qui sont actuellement sur le marché sont-ils réglementés du point de vue de l'innocuité et de l'efficacité? Pouvez-vous nous éclairer un peu plus sur les aliments santé et autres?
Mme Abel : Au Canada, les compléments alimentaires sont régis par le Règlement sur les produits de santé naturels. Ces produits font l’objet d’un processus d’examen. Ils doivent avoir un numéro d’enregistrement de produit de santé naturel attribué avant de pouvoir être vendu au Canada. Santé Canada procède à un examen des compléments alimentaires en vertu du Règlement sur les produits de santé naturels.
M. Harrison : J’ajouterais que, ce matin même, je me suis donné tout un cours sur les lettres d’autorisation grâce auxquelles de nombreux produits de santé naturels ou des aliments complémentaires enrichis aux vitamines et minéraux ont pu être mis en marché. Ces autorisations temporaires sont limitées dans le temps ou sur le plan géographique. Elles permettent aux entreprises d’acquérir de l’expérience sur le marché réel pour démontrer à Santé Canada l’efficacité et l’innocuité de ces aliments enrichis.
Au cours des 25 dernières années, nous n’avions pas de politique sur les aliments complémentaires. Nous appelions cela une politique d’enrichissement ou d’ajout de vitamines et de minéraux aux aliments, ce qui est prévu dans le Règlement sur les aliments et drogues, mais nous avons pris des mesures très ponctuelles et temporaires, que Santé Canada aimerait améliorer, pour donner le feu vert à de nombreux aliments enrichis qui sont en quelque sorte à la limite entre les produits de santé naturels et les aliments. J’espère que cette information vous sera utile.
Le sénateur Doyle : Votre industrie a-t-elle fait des recherches, disons, sur la fraction de l’industrie agroalimentaire qui pourrait être touchée par les nouvelles définitions et les nouveaux processus énoncés dans le projet de loi?
M. Harrison : C’est l’industrie tout entière.
Mme Abel : Pour revenir à ce que disait Gordon, nous croyons savoir que toutes les industries seraient touchées. Lorsqu’on parle de produits de santé naturels, d’instruments médicaux, de cosmétiques, c’est à peu près tout ce qu’un consommateur peut acheter. Toutes les industries seronts donc touchées.
M. Harrison : Nous pensons que les conséquences pour les aliments pourraient être très vastes. Nous n’avons aucun moyen d’en connaître l’étendue, mais il s’agit d’aborder les dispositions très larges de la Loi sur les aliments et drogues. Si une disposition a une incidence sur un aliment, elle aura sans doute une incidence sur tous les aliments emballés, voire sur certaines chaînes d’approvisionnement.
Le sénateur Doyle : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Mes premières questions s’adresseront à Mme Abel.
Je vais vous poser une question que j’ai déjà posée aux aux témoins précédents. Si vous n’avez pas été consultée pour préparer les nouvelles dispositions contenues dans le budget, avez-vous une idée de qui aurait pu influencer les changements au projet de loi C-97? Il doit y avoir quelqu’un qui a influencé ces choix.
[Traduction]
Mme Abel : Malheureusement, comme nous n’avons pas été consultés, la première fois que nous avons vu le libellé, c’était lors de la publication du projet de loi. Il est très difficile pour nous de comprendre le contexte, de savoir pour qui ces mesures ont été conçues et les problèmes qu’elles visaient à régler.
Je ne peux vraiment pas vous donner une bonne réponse parce que nous venons à peine d’examiner la question, et encore, très rapidement.
M. Harrison : Je suppose, si vous me le permettez, que ces dispositions reflètent à quel point il est difficile de réglementer tous les produits de consommation, les produits thérapeutiques et les produits de santé naturels en vertu d’une seule loi, et pourquoi nous voulions en retirer les aliments et les traiter séparément en parallèle avec la Loi sur la salubrité des aliments au Canada.
Ce sont des dispositions que le ministère a examinées comme moyen de moderniser et de clarifier la loi. Le problème, c’est que nous ne savons pas trop comment.
J’espère que cela vous aidera.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je reviens à Mme Abel.
Que représente comme fardeau ce que vous avez appelé la « lourdeur administrative »? Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples de ce qui arrivera sur le plan de la conformité? De plus, pourriez-vous nous dire ce qui devrait être modifié pour faciliter le développement dans votre secteur?
[Traduction]
Mme Abel : C’est une question dont nous pourrions sans doute parler toute la journée. Je vais essayer de vous donner une réponse assez simple.
À l’heure actuelle, nous pourrions être confrontés, du côté des aliments, à quatre modifications distinctes de l’étiquette graphique afin de tenir compte d’une série de modifications réglementaires pour les étiquettes complètes. Nous avions espéré pouvoir tout faire en même temps, mais malheureusement, en raison du rythme auquel les choses se passent à Santé Canada et à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ainsi que de certaines nouvelles idées qui ont été présentées à Santé Canada — par exemple, l’étiquetage sur le devant de l’emballage —, il est clair que nous ne serons pas en mesure d’apporter des changements graphiques d’un seul coup.
Un aspect intéressant dont Carla a parlé, c’est que souvent, nous ne parlons pas aux autres ministères et nous ne comprenons pas ce qu’ils font. Par exemple, Santé Canada travaille très fort pour apporter de nombreux changements à l’étiquetage qui auraient des répercussions sur les médicaments en vente libre, les produits de santé naturels et les aliments.
En théorie, au cours des cinq prochaines années, si tous ces changements se produisent, il y aura 200 000 étiquettes graphiques qui devront être changées. Nous sommes très préoccupés, parce qu’il n’y a pas suffisamment de maisons d’art graphique au Canada pour nous permettre d’apporter ces changements dans ce délai.
Nous avons aussi le nouveau Règlement sur la salubrité des aliments au Canada. Je pense que la bonne nouvelle, c’est que grâce à l’évolution de ces règlements sur six ans, l’industrie alimentaire au Canada est en assez bonne position pour assumer, adopter et se conformer à ces nouvelles exigences. Il ne fait aucun doute que pour certains petits exploitants, en particulier les importateurs d’aliments, il y a un très grand changement au niveau de la responsabilité. Pour eux, la courbe d’apprentissage sera assez abrupte, et il y aura des coûts à engager pour se conformer à ces nouveaux règlements.
Si nous commençons à songer aux effets cumulatifs, il y a la question des plastiques. C’est un enjeu de taille pour la planète.
Je parle d’innovation, « I » majuscule, pas seulement de ces petites innovations qui rendent notre vie meilleure et plus facile, mais du grand bond en avant. Notre industrie aura sans doute de très gros défis à relever quand elle tentera de passer à des matériaux d’emballage légèrement plus écologiques.
Nous avons une vaste gamme d’activités en cours. Il y a tellement de choses qui nous arrivent de toutes parts que c’est très difficile.
Kathleen avait raison lorsqu’elle a dit que 90 p. 100 de ces 6 000 usines de fabrication emploient moins de 100 personnes. Elles ont assez d’inquiétudes comme c’est là — où trouver un camion? Comment faire pour avoir cinq employés de plus? Elles n’ont pas vraiment l’énergie nécessaire pour s’occuper de ces autres facteurs qui les touchent.
Le coût de la conformité est très onéreux. Il nous tombe dessus de tous les côtés.
Mme Ventin : Il faut voir le nombre de changements auxquels l’industrie est confrontée à l’heure actuelle. À Santé Canada seulement, il y a de nombreuses initiatives. C’est pourquoi la première recommandation du rapport de la Chambre de commerce est une analyse coûts-avantages complète de tous les changements proposés.
Lorsque le ministère nous demande quelles seront les répercussions de ces 20 ou 30 autres changements et que nous disons que cela dépend de la façon dont la politique fonctionne, nous devons examiner la situation dans son ensemble et parler des répercussions, des coûts et de l’incidence que ces changements auront sur l’ensemble du secteur.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Harrison. Monsieur Harrison, je vous ai écouté attentivement et je constate que le gouvernement a été capable de tout pour présenter des règlements pour autoriser le commerce du cannabis. Pour le reste, il faudra aller en ligne. Avec tout le cheminement dont vous avez parlé et qui semble être logique pour une industrie de votre importance, avez-vous une idée de ceux qui vous boycottent? Est-ce que ce sont les fonctionnaires ou les politiciens qui ne vous écoutent pas? Avez-vous une idée? Vous semblez dire que les gens ne vous écoutent pas beaucoup. Madame Ventin, s’ils ne vous écoutent pas non plus, vous pouvez répondre à ma question également. Ne vous gênez pas pour le dire.
[Traduction]
Mme Ventin : Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, ces trois dernières années et demie, l’industrie a eu énormément de difficulté à rester à la hauteur. Nous tenons de nombreuses consultations dans des délais très courts et c’est imprévisible. Parfois, nous ne voyons pas la feuille de route, nous ne savons pas où nous allons et je pense que c’est extrêmement difficile pour nous, pour l’industrie et pour Santé Canada.
Lorsqu’il y a tant de changements et que nous avons un programme aussi ambitieux, c’est une question de capacité. Lorsqu’on a trop de choses dans l’assiette, on rate des étapes et on prend des raccourcis. Je pense que c’est vraiment ce qui se passe.
M. Harrison : C’est important parce que nous vous donnons l’impression qu’il y a beaucoup d’opposition, et parfois, il n’y en a pas eu. En 2011 et 2012, lorsque nous avons recommandé la création d’une loi sur les aliments, Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments ont commencé à travailler sur un seul projet de loi regroupé.
Je vais remettre la feuille de route de 2012 au greffier du comité pour qu’on puisse la voir. Nous avons recommandé que la Loi sur l’inspection des aliments et la Loi sur les aliments traitent des normes et de l’intégrité dans ce genre de choses. Les deux organismes ont travaillé de 75 à 90 jours pour rédiger une seule loi. Pour des raisons qui nous ont échappé, ils ont fini par abandonner ce processus au profit de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada et la Loi sur les aliments n’a pas été mise en œuvre; les aliments continuent d’être régis par la Loi sur les aliments et drogues.
Il y avait une volonté à l’époque, mais je pense qu’on s’inquiétait de la difficulté de traiter avec tous les intervenants au sujet des éléments de la Loi sur les aliments et drogues, des produits de santé naturels et de tout le reste.
Je ne connais pas l’alinéa 4(1)a). Je peux vous dire que mercredi dernier, le sous-ministre Simon Kennedy m’a promis, dans un courriel, que Santé Canada nous fournirait enfin une explication écrite des raisons pour lesquelles la modification de l’alinéa 4(1)a) n’a pas été mise en œuvre. C’est rafraîchissant, mais nous le demandons depuis des années. Il peut y avoir une raison légitime. Nous n’avons jamais pu la découvrir.
Je sais que j’ai des choses en commun avec d’autres gens de l’industrie et des gens de Santé Canada dont vous allez bientôt entendre parler. Nous avons dit à quel point ce serait bien de modifier partiellement la Loi sur les aliments et drogues, mais il s’agirait d’examiner le règlement pour voir si la loi peut être modifiée de la sorte.
Nous en sommes arrivés à un point où nous devons composer avec toutes sortes de choses, mais j’ai l’impression qu’il y a un intérêt réel. Certains d’entre nous, nous nous en occupons depuis longtemps. Nous aimerions accomplir tout cela au cours des prochaines années et pendant le mandat du prochain gouvernement. Merci de votre temps.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce possible pour vous de nous faire parvenir, par l’intermédiaire de notre greffier, le document que vous allez présenter à Santé Canada?
[Traduction]
M. Harrison : C’est en fait historique. C’est la voie à suivre en matière de réglementation que nous avons adoptée en 2012 et que nous avons présentée à l’appui du projet de loi S-11, la Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Je vais vous fournir ces renseignements parce qu’ils nous ramènent à ce que l’industrie pensait qui fonctionnerait, y compris l’article 4. Nous avons beaucoup accompli en vertu de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada. Nous avons simplement choisi une voie différente pour y arriver, comme nous l’avons expliqué.
Mme Abel : Je vais ajouter un petit commentaire en réponse à la question de savoir qui ne semble pas écouter. Je pense que le problème, ce n’est pas si on écoute ou pas. Il s’agit en fait d’une question de ressources.
L’un des défis, c’est que nous avons toute une liste de petits amendements qui sont importants pour les créneaux de nos 6 000 usines de fabrication, mais qui ne sont pas assez grands pour être mis en relief dans les lettres aux ministres, par exemple, alors que toutes leurs activités sont axées sur ces lettres. Si quelque chose n’est pas dans la lettre, elle aura tendance à tomber au bas de la pile et ainsi successivement, à moins que l’on ait les ressources nécessaires pour y remédier.
Un aspect que j’ai mentionné dans mes notes, c’est la définition du mot « vente ». C’est plutôt bizarre; qu’est-ce qu’il y a de complexe là-dedans?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Parlez-lui du cannabis si vous voulez attirer son attention. C’est une petite blague.
[Traduction]
Mme Abel : Merci, madame la présidente.
Le sénateur C. Deacon : Merci d’être des nôtres.
Monsieur Harrison, j’aimerais commencer par l’alinéa 4(1)a) de la Loi sur les aliments et drogues. Pendant sept ou huit budgets, vous êtes revenu à la charge. Vous êtes un orateur convaincant. Vous avez eu affaire à deux gouvernements et vous n’avez pas fait de progrès. Je ressens votre frustration. J’ai aussi l’impression que nous manquons d’occasions lorsque l’industrie n’est pas à la table comme un partenaire qui peut aider à faire comprendre les priorités et la façon de les gérer.
Que faisons-nous de travers? Je pose cette question dans le contexte du projet de loi C-97 et de notre étude majeure. Que faisons-nous de travers dans la façon dont nous allons de l’avant? Est-ce un manque de collaboration? Si nous voulons profiter de l’occasion qui s’offre à nous de vraiment faire croître les industries agroalimentaires au Canada et de créer beaucoup plus de débouchés partout au pays, il faut absolument trouver une solution.
Avec deux ou trois gouvernements différents et sept ou huit budgets, vous n’avez pas réussi. Pourquoi? Qu’allons-nous faire pour faire bouger ce système, en admettant qu’il s’agit d’un changement raisonnable?
M. Harrison : L’article 4 signifie qu’étant donné qu’il y a des contaminants naturels dans les aliments — et nous en avons parlé en décembre —, lorsqu’aucune limite maximale n’est précisée, il s’agit d’une interdiction absolue. S’il y a une substance nocive dans un aliment, on n’est pas censé la vendre. C’est une infraction en vertu de cet article de la loi. C’est une question de droit criminel et même si Santé Canada et l’ACIA décident, en effectuant un examen, que ce qui se trouve dans l’aliment ne pose aucune inquiétude, l’infraction aura tout de même été commise. On ne reçoit pas de lettre disant qu’on est libéré de ses obligations.
Aux États-Unis, ce serait indéfendable. L’article 402 de la Food, Drug and Cosmetic Act stipule qu’on ne peut pas vendre un aliment « adultéré » — c’est le terme utilisé —, mais qu’un aliment n’est pas « adultéré » si une substance est présente à un niveau qui, normalement, ne serait pas nocif pour la santé.
Tout ce que nous avons demandé, c’est d’aligner notre article sur cet article, parce qu’il donne un pouvoir discrétionnaire à la Food and Drug Administration des États-Unis. Il y a quatre ans, j’ai parlé directement avec le plus haut fonctionnaire de l’organisme pour lui dire que c’est ce que nous préconisons au Canada. « Y a-t-il une raison pour laquelle nous ne devrions pas le faire? Y a-t-il une raison pour laquelle ce serait problématique pour vous si nous essayions d’harmoniser les deux »? Il a répondu que non, absolument pas. C’était derrière les coulisses lors d'une conférence.
Le problème avec l’article 4, c’est que si nous le modifions comme nous le demandons, Santé Canada serait obligé de démontrer que ce qui se trouve dans l’aliment est nocif. Dans la plupart des cas, cela ne l’intéresse pas. Le ministère utilise un pouvoir discrétionnaire qui n’est pas prévu dans la loi. On a quand même enfreint la loi et ce n’est pas juste parce qu’on n’est pas en mesure de s’y conformer. C’est de cela qu’il s’agit.
Tout ce que nous demandons, c’est de nous assurer que vous pouvez vous conformer et que le pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire une évaluation des risques au cas par cas que Santé Canada effectue à la demande de l’ACIA, est prévu par la loi. À l’heure actuelle, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas prévu dans la loi, et c’est une lacune. Le problème, c’est qu’il oblige le gouvernement à reconnaître que la substance peut être présente et qu’elle n’est pas nocive de façon générale, ce qui est le cas aux États-Unis. Il oblige aussi le fournisseur, le fabricant ou l’importateur de l’aliment à faire la même chose pour s’assurer que l’aliment est salubre et que la teneur de la substance en cause n’est pas nocive.
C’est très équilibré.
Le sénateur C. Deacon : Présumément. Je m’intéresse davantage aux raisons pour lesquelles nous n’avons pas fait de progrès. Pourquoi avons-nous eu sept ou huit budgets, deux gouvernements différents et nous n’avons pas fait de progrès? Comment pouvons-nous remédier à cette situation?
M. Harrison : Mercredi dernier, le sous-ministre a promis que nous allions enfin recevoir une réponse écrite.
J’ai écrit au sous-ministre avant la réunion de consultation de la semaine dernière, le lendemain, et je lui ai dit que nous n’avions pas reçu d’explication écrite depuis sept ans. Il a répondu le lendemain matin en disant : « Nous allons vous donner une explication satisfaisante. » J’ai hâte de la connaître et de la diffuser parmi nous.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
Madame Ventin et madame Abel, nous avons eu la grande chance d’apprendre beaucoup de choses dans le cadre de notre étude sur le secteur alimentaire à valeur ajoutée, ici au comité. Nous avons notamment appris comment de petites modifications réglementaires pouvaient avoir d’énormes répercussions sur les coûts de la main-d’œuvre et le rendement des importants investissements en immobilisations nécessaires dans le secteur de la production et de la transformation des aliments.
Ne fait-on pas un suivi avec l’industrie lorsqu’un règlement est adopté? Il ne semble y avoir aucune discussion au sujet des effets cumulatifs. Vous hochez la tête. Cela me semble incroyable.
Est-ce qu’on discute des répercussions économiques? Parce que si on veut qu’un règlement atteigne son objectif, l’industrie doit naturellement s’y conformer. Est-ce qu’il y a des discussions à ce sujet?
Selon vous, se préoccupe-t-on de la santé de notre industrie? Parce que si le secteur de la production et de la transformation n’est pas en santé, nous devons alors importer nos aliments de pays qui n’appliquent peut-être pas des normes aussi rigoureuses que les nôtres. Les normes et les règlements ne sont-ils que des vœux pieux, puisque nous achetons nos produits de l’étranger et que nous sommes en train d’acculer nos producteurs et nos transformateurs canadiens à la faillite? J’aimerais avoir votre opinion à ce sujet.
Mme Ventin : Si vous voulez savoir si nos organismes de réglementation examinent l’ensemble des répercussions cumulatives et économiques, la réponse est non. L’une des recommandations des Table de stratégies économiques du secteur agroalimentaire est justement d’obliger les organismes de réglementation à prendre en compte l’impact économique lorsqu’ils proposent une nouvelle loi. La Chambre de commerce a fait la même recommandation dans son rapport que j’ai déjà fait parvenir au comité.
Le Conseil du Trésor dit que, théoriquement, c’est une très bonne idée, que les ministères et les organismes de réglementation doivent cesser de travailler en vase clos, sans discuter de l’impact avec Agriculture et Agroalimentaire Canada, avec Innovation, Sciences et Développement économique ou avec Affaires mondiales Canada. Ce que nous constatons dans la pratique, cependant, c’est que ces discussions n’ont pas lieu.
Je pense que vous connaissez bien la loi sur la publicité destinée aux enfants. A-t-on tenu compte des répercussions de cette loi sur le commerce international? Sur l’ensemble de la chaîne de valeur? Sur l’image de marque du Canada? La politique alimentaire nationale est l’une des priorités du gouvernement et la ministre de l’Agriculture et agroalimentaire a d’ailleurs souligné l’importance de la marque Canada.
La marque Canada est importante, mais nous devons d’abord la promouvoir ici au Canada et encourager les Canadiens à avoir confiance dans nos produits alimentaires, parmi les plus sûrs et de la plus haute qualité au monde, avant d’essayer de convaincre le reste du monde.
La question est la suivante : les organismes de réglementation ont-ils une vision globale de la situation? Je dirais que non. C’est pourquoi les Tables de stratégies économiques du secteur agroalimentaire et la Chambre de commerce ont formulé ces recommandations dans leur rapport respectif.
Mme Abel : Nous avons eu très peu de temps pour présenter nos commentaires, notamment pour faire certaines des analyses coûts-avantages. Nous arrivons certes à faire certaines de ces analyses. Cependant, on ne nous donne généralement pas assez de temps pour faire un travail efficace afin d’être en mesure de répondre à Santé Canada. Le ministère s’appuie parfois sur des données hypothétiques.
Les fonctionnaires essaient de communiquer avec nous. Dans un cas particulier, ils nous ont demandé de leur produire, en 30 jours, une analyse rigoureuse de ce qu’il en coûterait de modifier 80 000 étiquettes. C’est une tâche ardue, d’autant plus que nous ne parlons pas de changements mineurs à une étiquette. Pour nous conformer aux nouvelles exigences en matière d’étiquetage, nous sommes en train de changer nos emballages.
Le travail se fait, mais il ne se fait pas nécessairement dans un esprit de collaboration entre les organismes, ni même au sein des ministères. Souvent, nous ne prenons pas le temps qu’il faut pour faire du bon travail.
La sénatrice Wallin : Madame Ventin, vous avez soulevé une question que je veux justement aborder. Nous sommes en train de discuter de la salubrité des aliments destinés aux Canadiens, de la stratégie alimentaire et de la croissance de l’industrie agroalimentaire, et nous parlons aussi de mesures législatives. Cela m’amène donc à parler du projet de loi S-228, qui risque de causer des problèmes; en effet, cette loi nationale risquerait de porter préjudice à nos propres producteurs d’aliments.
Monsieur Harrison, dans une lettre que vous avez adressée au gouvernement l’automne dernier, vous souleviez la question de l’exode des emplois et de toute l’incertitude que cela crée. Au cours des 10 dernières années, il y a eu un exode des emplois vers nos voisins du Sud, ce qui nous coûte cher en investissements. Comment en sommes-nous arrivés là? S’agit-il du même problème que vous voyez pour l’étiquetage de vos produits ou pour déterminer ce qu’est un aliment salubre ou ce qu’est une substance nocive dans un aliment? Qu’on puisse affirmer que le pain est nocif pour la santé à cause des ingrédients qui le composent, cela me dépasse. J’aimerais entendre le point de vue de tout le monde?
M. Harrison : Nous avons soulevé cette question aujourd’hui parce que c’est un exemple d’une mesure législative adoptée dans le cadre d’un processus différent. Elle a été adoptée sans que l’industrie ou les législateurs — la Chambre ou le Sénat — soient informés de la manière dont elle serait mise en œuvre et des conséquences qu’elle pourrait avoir. C’est ce contexte qu’il est important de retenir aujourd’hui.
Tout ce que vous avez dit est vrai. Nos préoccupations sont toujours là. Nous sommes vivement préoccupés de voir comment les aliments sont décrits dans le but d’influencer les comportements, un objectif qui peut être atteint volontairement. Dans une lettre récente, j’ai mentionné que Santé Canada avait entrepris de réduire la consommation de sodium au Canada, qui est passée de 3 300 milligrammes par jour à 2 760. C’est 25 p. 100 de moins qu’aux États-Unis et 40 p. 100 de moins qu’au Japon. Cette réduction s’est faite volontairement, sans réglementation, grâce aux efforts du groupe de travail sur le sodium auquel a participé l’industrie, dont mon ami Paul Hetherington, qui n’est pas ici aujourd’hui.
Le projet de loi S-228 est très complexe. Comme vous le savez, nous avons recommandé qu’il soit étudié dans le cadre de l’étude du projet de loi sur la Loi d’exécution du budget, mais il ne l’a pas été. C’est peut-être une occasion manquée. Ce que je veux dire, c’est que nous ne savons pas comment les dispositions seront mises en œuvre. C’est la même chose pour les dispositions contenues dans le projet de loi C-97.
La sénatrice Wallin : J’aimerais entendre le point de vue de tout le monde à ce sujet. Il me semble bizarre d’apposer une étiquette sur un aliment qui est nocif pour la santé et d’essayer ensuite de le vendre, ici ou à l’étranger.
M. Harrison : Cela me semble bizarre également.
La sénatrice Wallin : À moi aussi.
Mme Ventin : Le processus qui a conduit à cette situation a été très frustrant pour l’industrie. Je parle de nos échanges avec Santé Canada, que ce soit au sujet des échéanciers imprévisibles ou aléatoires des consultations sur la publicité destinée aux enfants ou au fait que l’industrie n’a pas été invitée à participer aux consultations préliminaires. Ce n’est qu’à l’été 2017 que nous avons eu l’occasion de formuler nos commentaires, après que le reste du public ait eu l’occasion de le faire. Nous voulons partager notre expertise et nous devons travailler en partenariat.
Pour revenir aux observations formulées précédemment, ce processus défaillant a aussi pour effet d’entraîner des conséquences non voulues et nous en sommes tous préoccupés. Je veux revenir à la confiance du public. Nous savons que le Comité de l’agriculture de la Chambre s’est penché sur cette question il y a quelque temps. Il est important que les gens aient confiance dans la façon dont sont décrits les aliments.
Au Canada, notre régime de réglementation des aliments est fantastique. Nous produisons des aliments de haute qualité et avons d’excellents agriculteurs, un secteur manufacturier qui est notre principal employeur, et de bonnes entreprises de fabrication. Nous avons beaucoup de raisons d’être fiers. Cependant, il est parfois difficile de s’en apercevoir quand nous regardons ce que nous faisons.
Nos membres s’inquiètent des répercussions sur le commerce international et sur l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est à cause de ce processus bancal et précipité. Il est imprévisible et de plus, nous voulons apposer la mention « nocif pour la santé » sur certains produits, tout en voulant convaincre le reste du monde que nous sommes une puissance mondiale de l’agroalimentaire.
Les Canadiens vont continuer de manger au Canada. Il sera important de savoir d’où proviennent nos aliments. Allons-nous importer nos aliments, ou allons-nous les produire et les transformer ici au pays? Nous voudrions soutenir les agriculteurs, accroître notre production, exporter nos produits dans le monde et être fiers de notre marque.
La sénatrice Wallin : Merci. Je vais poser la même question aux représentants de Santé Canada quand ils seront ici.
La présidente : Je suis certaine que vous le ferez.
Le sénateur R. Black : Madame Ventin, vous avez été indulgente. Le 6 décembre, Santé Canada s’est engagé à consulter l’industrie. Je ne crois pas que cette consultation ait eu lieu, à moins que ce soit au cours des dernières semaines, est-ce exact?
M. Harrison : Non, pas à propos du projet de loi S-228.
Le sénateur R. Black : J’aimerais revenir à l’étiquetage. Je sais que ma question dépasse la portée de notre étude, mais les produits alimentaires qui arrivent au pays, du sud de la frontière ou d’ailleurs, devront-ils dorénavant être assujettis aux mêmes restrictions ou aux mêmes conditions en matière d’étiquetage? Vous avez dit qu’il fallait changer les étiquettes d’environ 200 000 produits alimentaires d’ici cinq ans. Les produits importés devront-ils également être conformes?
Mme Abel : En vertu du nouveau Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, les règles s’appliquent théoriquement à tous les produits. Un importateur devra confirmer, quand il obtiendra sa licence, que les produits qu’il importe satisfont aux exigences du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, notamment en matière d’étiquetage. Théoriquement, la réponse est oui.
Il reste maintenant à savoir comment l’ACIA arrivera à appliquer le règlement. Ce sera un défi de taille, évidemment, compte tenu de la quantité des produits sur le marché et de la diversité des formats. Il y a une pléthore de produits fantastiques qui arrivent de l’étranger. La tâche est colossale et c’est l’un de nos sujets de discussion avec l’ACIA.
Il est intéressant de signaler que l’Agence vient de lancer un tout nouveau projet de lutte contre la fraude alimentaire; c’est un signal clair qu’elle a entendu nos préoccupations et qu’elle les prend au sérieux. Oui, en théorie, en vertu du nouveau règlement, lorsqu’un importateur importe un nouveau produit au Canada, il a la responsabilité de s’assurer que le produit est conforme à la réglementation. S’il néglige de le faire, il s’expose à des conséquences, comme la suspension ou la perte de sa licence et de sa capacité d’importer.
Là encore, dans quelle mesure ce règlement est-il applicable, c’est une inconnue pour tout le monde. Je pense que l’ACIA travaille très fort là-dessus.
M. Harrison : Je dirais que nous sommes optimistes. Nous ne sommes pas négatifs à cet égard. Nous sommes optimistes parce que nous avons grandement participé à ce projet; nous avons d’ailleurs eu une rencontre vendredi avec l’ACIA. Nous avons dit aux fonctionnaires que nous étions très satisfaits de la manière dont les choses se passaient et leur avons fait part de notre optimisme. Nous avons donné notre accord à l’ACIA qui a publiquement annoncé, mardi dernier, qu’elle devait peaufiner la loi et le règlement. Nous sommes prêts à aller de l’avant et un comité consultatif est déjà en place pour nous aider. Tout est entre bonnes mains; tout va bien aller.
Le sénateur R. Black : Au Canada, si un produit est assujetti à une exigence particulière, par exemple qu’il doit y avoir trois carrés et deux cercles sur son étiquette, est-ce qu’un produit importé similaire sera assujetti à la même exigence ou est-ce que l’importateur devra signer pour confirmer que tout est conforme?
Mme Abel : Les mêmes règles s’appliqueront.
La présidente : Monsieur Harrison, vous avez affirmé très catégoriquement que la plupart des dispositions du projet de loi C-97 sont si mal rédigées qu’il faudra recommencer le travail et qu’elles devraient être carrément supprimées de ce projet de loi. Voulez-vous dire qu’il faut supprimer du projet de loi C-97 seulement les dispositions qui portent sur les aliments ou la partie entière, y compris les dispositions portant sur les drogues et les cosmétiques, par exemple?
M. Harrison : Pour toutes les raisons que nous avons mentionnées, je parle de tout ce qui se rapporte à la réglementation des aliments et aux changements que nous réclamons depuis longtemps, y compris à la Loi sur les aliments. Nous devrions faire un examen approfondi et analyser les dispositions qui visent les aliments, jusqu’à ce que nous comprenions comment elles seront mises en œuvre et quelle incidence elles pourront avoir sur la réglementation du secteur alimentaire, tant pour les produits d’ici que pour les produits importés.
Je laisse à nos amis de Santé Canada le soin d’expliquer l’objectif des autres dispositions relatives aux drogues, aux produits alimentaires et ainsi de suite, pour voir lesquelles, selon eux, doivent être maintenues, et il se peut que ce soit la totalité. Je le répète, vous ne pouvez pas aller du point A au point B et passer en revue les dispositions du projet de loi C-97 et comprendre ce qu’elles signifient. Elles font référence à des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues qui n’existent pas. Il y a des références à l’annexe G qui a été abrogée. J’ai la Loi sur les aliments et drogues devant moi. Les dispositions sont mal ficelées et elles renvoient à l’annexe A. Vous allez examiner ces dispositions. L’annexe A dresse une liste de maladies et d’affections et interdit la vente d’un produit sous d’autres allégations que pour le traitement de ces maladies.
Les dispositions du projet de loi C-97 font référence à quatre différentes annexes A ou différentes parties de l’annexe A, qui n’existent pas. Nulle part dans le projet de loi C-97 peut-on lire que l’annexe A comportera quatre parties ni qu’il existera une annexe A.1. C’est aussi fondamental que ça. Vous ne pouvez pas examiner la loi actuelle et dire que vous allez changer cela.
J’ajouterais que ces dispositions modifient la définition d’un aliment en raison de leur complexité; ce n’est pas une bonne chose. C’est tellement déroutant qu’il faut lire les dispositions plusieurs fois pour comprendre, mais elles modifient la définition d’un aliment en fonction de ces autres dispositions. Je dirais que toutes les dispositions relatives à la réglementation des aliments devraient probablement être supprimées. Les dispositions relatives aux sanctions et aux mesures de contrôle ne tiennent pas compte, comme elles le devraient, des dispositions déjà existantes concernant les mesures de contrôle, les sanctions, l’incarcération et les amendes imposées pour des infractions punissables, en vertu du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire confère désormais à l’ACIA un pouvoir discrétionnaire plus vaste : donner un premier avertissement, puis un deuxième, imposer une amende ou poursuivre le contrevenant en justice par mise en accusation. C’est un processus en plusieurs étapes. Nous ne l’avons pas dans ce projet de loi. Il faut l’inclure dans la Loi sur les aliments et drogues, comme il est inclus dans le Code du travail du Canada et dans le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail afin de permettre aux organismes d’application de donner des avertissements et de faire les choses différemment.
Toutefois, la loi qu’on nous propose aujourd’hui dit que certaines infractions seront punissables par procédure sommaire, ou que le contrevenant sera passible d’une amende de 50 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement de six mois. Ce sont des peines très sévères.
Toutes dispositions relatives aux aliments, à moins d’un argument convaincant démontrant leur pertinence et expliquant comment elles seront mises en œuvre, devraient être étudiées à une date ultérieure. Ce serait logique. Cela ne porterait pas ombrage à Santé Canada. Je sais que je peux paraître sévère et négatif. Je ne peux faire autrement. Ce matin, j’ai fait un examen article par article des dispositions que vous être en train d’étudier en compagnie de la personne la plus compétente en matière de réglementation des aliments et des drogues que je connaisse dans ce pays. Nous avons fait cet examen en 45 minutes et à la fin, mon collègue m’a avoué qu’il n’arrivait pas à comprendre l’objectif de ces dispositions. Quand il a fait une première lecture du projet de loi, au moment de son dépôt, il a pensé qu’il ne visait qu’à renforcer la Loi de Vanessa, qui prévoit une surveillance durant le cycle de vie d’un produit. Quand nous avons terminé notre examen, il m’a dit que j’avais raison, que c’était comme un jeu de tic-tac-toe, ça va dans tous les sens. Il a dit qu’on ne devrait pas avoir besoin de sauter d’une disposition à l’autre pour comprendre ce qu’il faut faire.
Nous avons eu le même problème avec la version préliminaire du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, que nous avons été invités à commenter. Nous avons finalement réglé une bonne partie du problème. Il doit y avoir un processus, mais les dispositions sur les aliments doivent être énoncées seulement si elles sont claires, simples, directes et utiles. Comment faciliteront-elles l’innovation? Comment nous permettront-elles de mettre fin à l’obligation d’envoyer des lettres d’autorisation de mise en marché temporaire? Je vais m’arrêter ici, mais c’est une excellente question et je vous en remercie.
La présidente : Merci d’avoir exprimé le fond de votre pensée.
M. Harrison : Considérez-moi comme un indécis, comme j’aime le dire.
Le sénateur Kutcher : C’est très déroutant d’essayer de se retrouver dans tout cela. J’aimerais revenir à la lettre de M. Harrisson sur les contaminants. J’essaie de comprendre. J’ai dû prendre des notes parce que j’étais un peu mêlé, je vous demande donc d’être patients.
Au début du XVIe siècle, Paracelse a dit que c’est la dose qui fait le poison. C’est la dose, pas le contaminant que nous utilisons.
La science intervient-elle? Parce qu’il peut y avoir des contaminants dans les aliments. Il peut y avoir un phénomène de bioamplification. Si vous remontez la chaîne alimentaire, il se peut que vous trouviez des contaminants. On peut consommer de façon persistante le même aliment contenant le même contaminant et, avec le temps, celui-ci peut s’accumuler. Il peut y avoir de la contamination croisée causée par des additifs contenus dans d’autres aliments, et l’effet cumulatif de différents contaminants peut se faire sentir sur votre foie ou d’autres organes.
Je poserai la même question à Santé Canada : le fait qu’il y ait... Je ne suis pas un scientifique des produits alimentaires. Je ne connais rien en science de l’alimentation, mais la science de l’alimentation n’est-elle pas là pour nous informer? Est-ce pour cette raison que nous ignorons toutes ces choses?
M. Harrison : Les preuves scientifiques comprennent l’expérience postérieure à la mise en marché et des études d’observation très pointues sur les animaux. Depuis des années, l’ACIA fait un excellent travail de surveillance des contaminants présents dans les aliments afin de comprendre quelle est la situation au Canada, quels sont les niveaux de contamination et ainsi de suite. De son côté, Santé Canada, après avoir examiné ces preuves, a déclaré qu’il n’y avait pas de problème. Que ce n’était pas ça le problème.
Les deux principaux contaminants que l’on trouve dans les aliments à base de céréales sont présents dans le monde entier. L’ancien directeur général de Santé Canada a fait savoir à la Direction des aliments que, de mémoire récente, il n’y avait jamais eu de cas documentés d’effets adverses associés à ces deux contaminants en Amérique du Nord.
Il y a eu un cas où le contaminant était soluble à l’eau, métabolisé et éliminé par les mammifères et les humains. Il est très peu probable que cela pose un jour un problème.
Il devrait y avoir des preuves scientifiques pour un cas de ce genre. Les lacunes occasionnelles sont attribuables aux conditions climatiques et aux conditions de croissance. Certaines années, la présence de contaminants est anormalement élevée. Ces années-là, les pays de l’Union européenne, notamment la France, mesurent l’étendue de la variation, ce qu’ils appellent l’excursion. Nous devons nous écarter de la loi ou du règlement habituel, et nous allons prévoir une marge cette année afin de nous constituer une réserve alimentaire.
Il existe beaucoup de données scientifiques sur certains contaminants. Quant à d’autres substances, considérées comme des aliments et non comme des contaminants, ce sont les aliments allergènes, notamment le blé, la moutarde et le soya. À l’échelle mondiale, et non seulement au Canada, il existe peu de données scientifiques nous permettant de dire : « Ceci est une dose seuil ou une dose susceptible de déclencher une réaction allergique. » À cause de l’alinéa 4(1)a), les choses sont très compliquées et nous traitons les aliments allergènes comme des contaminants. C’est difficile de ne pas le faire, mais c’est une complication de plus.
J’ajoute que l’alinéa 4(1)a) a été incorporé par renvoi au règlement sur l’alimentation du bétail. Il interdit la vente d’aliments pour animaux qui produisent le même résultat. Nous en discuterons une autre fois, mais c’est très compliqué. Le ministère de l’Agriculture et l’ACIA ont passé des années à essayer de remanier ces règlements. On est sur le point d’accomplir de grands progrès. Dans certains cas, il n’y a pas de données scientifiques. Dans d’autres, nous savons pertinemment qu’il n’y a aucun risque pour la santé; c’est exactement ce que Santé Canada a conclu au sujet des deux contaminants les plus répandus dans les aliments à base de céréales.
Le sénateur Kutcher : En fait, il s’agit de garantir l’innocuité d’un aliment, sans pour autant alléguer qu’il apporte un bienfait thérapeutique. Je comprends pourquoi vous préconisez l’adoption d’une approche différente à l’égard des aliments, parce que vous ne prétendez pas que l’aliment apporte un bienfait thérapeutique. C’est une question d’innocuité, ce qui est légèrement différent d’un médicament ou d’un produit naturel dont le but est d’apporter un bienfait thérapeutique.
M. Harrison : Au Canada, nous avons commencé, en 1996, à élaborer une politique à l’égard des allégations relatives à la santé pour les aliments. Nous l’avons terminée en 2009. Il s’agissait d’un cadre d’évaluation préalable à la mise en marché d’aliments ayant une allégation santé.
Lorsque nous avons commencé en 1996, les États-Unis en avaient approuvé 11, le Japon 42, tandis que nous, nous n’en avions approuvé aucune. Aujourd’hui, si vous lisez le Règlement sur les aliments et drogues, vous verrez qu’il y a six modèles d’allégations relatives à la santé pour les aliments et cinq pour la gomme à mâcher. C’est tout ce que nous avons fait durant toutes ces années. Ça été une tâche tellement difficile. Le marché a évolué. Le créneau pour les aliments ayant une allégation santé qui est apparu au milieu des années 1990, par exemple pour les produits naturels, semble avoir évolué. C’est un exemple qui montre bien que nous ne sommes pas prêts à innover.
C’est une question très complexe. Non, cela n’a rien à voir avec les allégations relatives à la santé, il s’agit plutôt de garantir l’innocuité de nos aliments. Il importe de comprendre que c’est un objectif pratiquement inatteignable dans le monde réel. Nous devons savoir que nous y arriverons 90 p. 100 du temps pendant la plupart des années de récolte, si nous parlons de produits agricoles.
La présidente : Ce débat a été passionnant. Je remercie les témoins. Nous vous sommes très reconnaissants de votre participation à notre étude préliminaire du projet de loi C-97.
Dans le troisième groupe, nous accueillons de Santé Canada, David K. Lee, dirigeant principal de la réglementation, Direction générale des produits de santé et des aliments, et Greg Loyst, directeur général, Direction des politiques et des stratégies réglementaires.
Messieurs, soyez les bienvenus. Nous sommes ravis de vous accueillir ici. Monsieur Lee, vous serez le premier à prendre la parole.
David K. Lee, dirigeant principal de la réglementation, Direction générale des produits de santé et des aliments, Santé Canada : Je vous remercie, madame la présidente.
Je vais essayer de vous expliquer les dispositions du projet de loi C-97. Ces dispositions sont le résultat des consultations menées dans le cadre de l’examen réglementaire, auprès de représentants des milieux biomédical, agricole et aquacole. Vous constaterez que la plupart des dispositions portent surtout sur l’aspect biomédical; je vais essayer de les passer en revue avec vous. Comme vous avez aussi soulevé des questions sur les aliments, je vais donc faire mon possible pour clarifier tout cela.
Les deux éléments clés de la modernisation des dispositions relatives aux aliments sont la classification, comme on l’a déjà dit, et les essais cliniques, mais pour une gamme restreinte d’aliments, notamment ceux servis à l’hôpital ou les préparations pour nourrissons.
En ce qui concerne la classification, actuellement, pour toutes les définitions de produits énoncées dans la loi — aliments, drogues, instruments et cosmétiques —, certains produits peuvent être couverts par plusieurs définitions. Si vous vous mettez à la place d’une personne qui doit présenter une demande de classification réglementaire auprès de Santé Canada, vous devez deviner à quelle définition correspond votre produit. Vous remplissez ensuite votre demande et vous la déposez. C’est seulement quand elle arrive au ministère que nous déterminons s’il s’agit d’une drogue ou d’un instrument; si vous avez déposé une demande pour un produit de santé naturel, il se peut que nous déterminions qu’il s’agit d’un aliment.
Le problème, actuellement, c’est que nous communiquons notre décision seulement à la personne qui a présenté la demande et à personne d’autre. Le processus manque de transparence. Nous ne donnons pas non plus les motifs de notre décision. Le projet de loi propose un processus plus explicite qui dissipera l’incertitude que vivent les petites ou les grandes entreprises et qui leur permettra de procéder avant que la décision de classification soit rendue. Cela se ferait par décret, donc par règlement, ce qui exige une consultation. C’est une sorte de préavis : voici la gamme de produits; que pensez-vous de cette classification? Puis le produit serait inscrit à l’annexe; il y en a une, c’est l’annexe 8.1. La ministre inscrirait le produit comme un aliment, une drogue ou un instrument.
Par la suite, toutes les interdictions et les dispositions relatives à ce produit s’appliqueraient, mais pas les autres. Actuellement, il peut y avoir de multiples croisements réglementaires pour un même produit, et c’est assez déroutant. Vous pouvez en juger par l’épaisseur du Règlement sur les aliments et drogues.
L’objectif des dispositions sur la classification est justement de faciliter l’innovation, parce que dans les premiers cycles de développement, vous voulez savoir comment est défini votre produit et à quel règlement vous devez vous conformer.
Pour ce qui est des essais cliniques, la proposition principale est vraiment de prendre en compte les tout nouveaux procédés utilisés pour l’étude des drogues et des instruments. Notre structure actuelle n’est pas adaptée à de nombreux procédés de pointe. C’est pour cette raison que cette proposition a été adoptée.
Du côté des aliments, nous avons également pris note des arguments avancés au Canada à l’égard d’aliments diététiques spéciaux, que ce soit pour traiter une maladie, pour les préparations pour nourrissons ou pour nourrir les personnes intubées à l’hôpital dont c’est la seule source de nutrition. Nous devons nous assurer qu’ils sont efficaces.
Actuellement, il est impossible de mener ces études au Canada. Vous devez les faire dans un autre pays et présenter les résultats ici. C’est une grande perte parce que nous avons ici de grands cliniciens et des centres de recherche.
C’est justement l’objectif de l’inclusion des aliments dans les essais cliniques. C’est pour faciliter cela. Nous devrons élaborer un règlement à cette fin. Il y a de la place pour cela et, bien entendu, il faudra tenir des consultations. C’est vraiment l’objectif. Cela ne concerne pas beaucoup d’aliments, seulement ceux qui peuvent être utilisés à des fins médicales.
Ce sont là les principales dispositions, mais je vais en profiter pour vous dire un mot sur les produits thérapeutiques innovants. Il s’agit de drogues et d’instruments, pris séparément ou ensemble. Au cours de nos consultations, nous avons découvert que de nouvelles thérapies extraordinaires avaient été mises au point.
À titre d’exemple, nous avons vu, dans un hôpital, un laboratoire où il est possible d’imprimer un tissu, d’y implanter des cellules humaines vivantes, de le manipuler génétiquement et de le greffer ensuite dans un patient.
Notre structure actuelle n’est pas adaptée à ces innovations. Il y a aussi des applications intelligentes pour les diagnostics. Ces dispositifs vont jouer un rôle important en oncologie, par exemple. Les oncologues qui travaillent dans des hôpitaux apportent une importante contribution. Les entreprises inventent de nouvelles techniques de fabrication.
La nouvelle voie que nous empruntons nous permettra de nous adapter rapidement aux nouveaux besoins de l’industrie. Par le passé, nous avons parfois été très lents à prendre des règlements pour chaque gamme de produits. Ces nouveaux produits sont maintenant utilisés dans les cliniques et les hôpitaux.
Nos efforts visent vraiment à promouvoir les produits de santé. L’objectif n’était pas de faire des recoupements avec les aliments. En fait, c’est surtout pour les classifications et les essais cliniques qu’il y a des recoupements.
Madame la présidente, je vais maintenant céder la parole à mon collègue qui parlera des inspections.
Greg Loyst, directeur général, Direction des politiques et des stratégies réglementaires, Santé Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous donner un aperçu des articles 170 et 171 de la Loi d’exécution du budget, qui modifie la Loi sur les aliments et drogues, notamment les pouvoirs des inspecteurs.
[Français]
Le contexte dans lequel nous travaillons est de plus en plus complexe et les technologies évoluent à une vitesse sans précédent. Nos pouvoirs en matière d’inspection n’ont pas suivi le rythme de cette évolution. Les modifications proposées préciseraient certains des pouvoirs conférés par la loi. Elles accorderaient aux inspecteurs des pouvoirs modernes pour appliquer la loi, ce qui leur permettrait d’adopter des approches plus souples et polyvalentes.
[Traduction]
Les modifications proposées visent à nous aider à mieux protéger la santé et la sécurité des Canadiens. Les pouvoirs que nous demandons sont conformes à ceux que nous trouvons dans d’autres lois fédérales modernes, dont certaines relèvent de Santé Canada.
Je vais d’abord mettre en relief certains des pouvoirs que nous demandons et je serai ensuite heureux de répondre à vos questions concernant d’autres pouvoirs.
En vertu des modifications proposées, un inspecteur pourrait ordonner à une personne de lui fournir des documents, des renseignements ou des échantillons. Cette demande pourrait être présentée par l’inspecteur, qu’il soit sur place ou non.
De plus, les données électroniques seraient ajoutées à la liste des dossiers ou documents pouvant faire l’objet d’un examen. Il s’agit là d’une nouvelle exigence qui n’existe pas actuellement. Elle nous permettra de reproduire les données électroniques ou d’utiliser un ordinateur ou un système de télécommunication à l’endroit où se déroule l’inspection. Les inspecteurs auraient l’autorisation de prendre des photographies, de faire des enregistrements ou des croquis durant une inspection. Ils pourraient entrer dans un lieu à distance par voie de télécommunication.
Ce pouvoir a des limites : il devra s’exercer au vu et au su du propriétaire et durant le temps prescrit à cette fin. Par exemple, cela nous permettrait d’entrer à distance, par un moyen de télécommunication, et d’être témoins de la destruction d’un produit, sans avoir à être présents pour avoir accès à un ordinateur, à condition que le propriétaire en ait connaissance et qu’il donne sa permission.
Les inspecteurs pourraient examiner et emporter des échantillons de toute chose soumise à l’inspection et emporter toute chose de l’endroit soumis à l’inspection, aux fins de cette inspection.
Grâce à ces nouveaux pouvoirs, nous pourrions ordonner à une personne de déplacer ou d’immobiliser un moyen de transport et de donner à l’inspecteur l’autorisation d’y entrer aux fins d’inspection.
Un inspecteur aurait également le pouvoir de pénétrer dans une propriété privée. Ce pouvoir ne s’appliquerait évidemment pas à une maison d’habitation, ce qui préserverait le caractère sacré du foyer. Nous pourrions pénétrer dans ces lieux seulement avec l’autorisation ou un mandat du tribunal.
Cela vous donne un aperçu des pouvoirs que nous demandons.
Je veux également mentionner qu’aux articles 173 à 75, vous constaterez que les dispositions relatives aux infractions sont modifiées. En gros, lorsqu’une obligation est créée par ces nouveaux pouvoirs, nous l’avons intégrée au régime existant des sanctions applicables. Aucun changement n’a été apporté aux sanctions; nous les avons seulement intégrées à l’infrastructure existante.
Je vous remercie.
La présidente : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie. Je crois beaucoup à la réglementation et au contrôle. Si vous n’avez pas de bonnes règles et si vous n’appliquez pas vos règles, vous vous retrouvez avec un tas de problèmes. Je suis très favorable à la modernisation des dispositions en matière de contrôle.
Ce qui me préoccupe, cependant, c’est notre façon de créer les règles que nous appliquons ensuite et toute la collaboration que cela exige, parce que nous n’aurons jamais assez d’inspecteurs pour détecter tous les problèmes.
Nous devons compter sur nos entreprises en espérant qu’elles font un excellent travail.
Je préférerais que nous consacrions plus de temps aux produits qui entrent au pays et que nous misions davantage sur l’autoréglementation pour ce qui est des produits que nous avons ici. C’est mon opinion personnelle, parce que je veux m’assurer que les règles du jeu sont équitables pour les producteurs et les transformateurs canadiens.
Je vous ai entendu dire tout à l’heure que vous aviez mené des consultations, mais nous venons juste d’entendre deux groupes de témoins qui nous ont dit que ce processus n’a pas été très évident pour eux, si je peux m’exprimer ainsi.
Expliquez-nous comment vous élaborez et modernisez vos règlements. J’ai entendu beaucoup de mots positifs, comme « consultation », « transparence » et « preuves scientifiques ». Beaucoup de beaux mots. Je veux savoir quels changements vous apportez à votre processus afin de communiquer et de travailler avec ceux qui seront assujettis à ces règlements, et de vous assurer que la réglementation sera efficace et rentable, qu’elle nous permettra de soutenir la concurrence et que le fardeau réglementaire n’acculera pas nos entreprises à la faillite.
Expliquez-nous si le changement a déjà eu lieu, mais sans qu’on s’en rende compte, s’il est en cours ou s’il aura éventuellement lieu.
M. Lee : L’examen réglementaire est un exercice de longue haleine. Selon ce que j’en comprends, on a sollicité des idées dans le cadre des tables rondes et d’autres tribunes. On a demandé aux entreprises quels étaient les irritants pour elles et si elles avaient des idées pour corriger la situation. Les commentaires ont ensuite été analysés par les différents ministères.
Je répète que la plupart de ces mesures ont été suggérées par le secteur biomédical. Nous avons fait des exercices prévisionnels. Nous avons eu de nombreuses discussions, surtout en ce qui concerne les essais, et les technologies innovantes ont été mises à l’essai dans les hôpitaux, et ainsi de suite.
Nous avons compris qu’il fallait poursuivre les discussions, notamment sur les essais cliniques et les aliments médicinaux. Nous allons devoir avoir des échanges soutenus avec les gens qui font ces essais, avec ceux qui produisent ces aliments et qui paient pour les essais. Si nous voulons que les essais aient lieu ici, nous voulons savoir de quoi les entreprises ont besoin pour les faire ici.
Pour ce que soit clair, nous n’avons pas mené de consultations sur le texte du projet de loi avant son dépôt. Elles ont eu lieu au sein de notre division.
Le sénateur C. Deacon : Les gens ont-ils une idée des changements que vous voulez apporter et du problème que vous essayez de résoudre? Ce processus est-il transparent? On ne dirait pas.
M. Lee : Il a beaucoup été question de classification. La principale frustration exprimée par un certain nombre de secteurs — cela n’a pas forcément rapport avec la réponse que nous donnons maintenant — a également été manifestée par de nombreux secteurs au cours des inspections. Par exemple, des gens nous ont dit avoir dépensé beaucoup d’argent pour présenter leur demande à Santé Canada. Tout à coup, ils ont reçu une réponse, mais ce n’était pas ce qu’ils avaient prévu. Ils ont consulté le site web pour avoir la liste des décisions, sans rien trouver. Ils n’ont aucun moyen de savoir comment a été classifié leur produit.
C’est le genre de commentaires que nous avons entendus, et je dirais qu’ils portaient surtout sur la classification.
Les contraintes concernaient surtout les essais cliniques. Des responsables des essais nous ont dit qu’il leur était difficile de faire passer des médicaments à la frontière pour de nombreux essais en pédiatrie ou en oncologie infantile. Nous avons eu beaucoup de commentaires à ce sujet.
Ce sont les frustrations et les irritants que nous avons entendus durant les consultations. Nous pensons que ces propositions pourraient régler ces problèmes.
J’ai utilisé le mot transparence pour décrire le mécanisme de classification. Au lieu que la décision soit prise par quelques fonctionnaires ministériels et communiquée à l’entreprise, le nouveau mécanisme permettrait à la ministre d’inscrire un produit à l’annexe A1 et de tenir une consultation ensuite. Tout serait conforme à la Loi sur les textes réglementaires et aux principes du processus législatif. Le produit serait ensuite inscrit à l’annexe. Toutefois, il y a un débat en cours à ce sujet au sein de l’industrie. C’est pourquoi je pense que ce mécanisme est plus transparent, si je peux m’exprimer ainsi, parce qu’il lance le débat, du moins au sein de l’industrie, et n’importe qui peut dire ce qu’il pense de la classification, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Le sénateur C. Deacon : Merci. Je vais laisser les autres poursuivre cette discussion.
La sénatrice Moodie : Monsieur Lee, soyez patient avec moi, parce que j’improvise ma question au fur et à mesure.
J’ai été approchée par un certain nombre de personnes ayant très à cœur la sécurité d’un sous-segment de la population, les enfants.
En lisant certaines des modifications proposées, vous parlez de changements visant la surveillance des médicaments, les instruments médicaux et les thérapies innovantes. Vous parlez d’essais cliniques et d’accroître la flexibilité et la surveillance afin, je le suppose, d’accélérer les cycles. Vous avez également dit un mot sur la sécurité et l’efficacité.
L’un des exemples que j’ai retenus de ma lecture est celui des aliments pour les nourrissons prématurés, des aliments hautement spécialisés pour les nourrissons hospitalisés.
Aidez-moi à comprendre. Quel problème essayez-vous de résoudre exactement? Essayez-vous de répondre aux besoins de ce groupe d’intervenants à qui je parle et qui dit que nous avons besoin d’une loi finale, d’un règlement garantissant aux enfants l’accès à des médicaments et à des thérapies sécuritaires, je pense notamment au problème des médicaments utilisés à des fins non prévues? Aidez-moi à comprendre.
M. Lee : C’est certainement un enjeu dont j’ai énormément discuté.
Les modifications à apporter aux essais cliniques ne visent pas du tout à réduire les mesures de sécurité.
La sénatrice Moodie : Non.
M. Lee : Les sujets de ces essais seront parfaitement en sécurité.
Il existe de nouvelles formes d’études. On peut mener ce que l’on appelle des essais « globaux ».
Il est difficile de recruter des enfants pour une étude. Il n’y en a peut-être pas plus de 20 dans tout le pays. Il est bien sûr possible de recruter toute une cohorte et d’y annexer des médicaments, des instruments thérapeutiques ou des aliments, puis de surveiller l’évolution des traitements.
On le fait dans d’autres pays, mais ici, la réglementation nous en empêche.
Nous désirons améliorer ce contexte de recherche pour que les cliniciens puissent mener les études nécessaires. Cela n’est qu’une première étape. Ensuite, il faudra réécrire les règlements qui régissent les essais cliniques sur tout l’éventail des produits. Nous devrons cependant en créer de nouveaux pour les aliments, parce qu’à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas les réglementer.
Dans le cas des préparations pour nourrissons, nos règlements en régissent la vente. Cependant, les essais cliniques à effectuer pour prouver que la préparation respecte ces règlements ne sont eux-mêmes pas réglementés. Voilà le problème que nous essayons de régler pour les bons cliniciens du Canada qui veulent effectuer un essai afin de démontrer qu’un produit est conforme à un règlement particulier. Il faut que nous leur permettions de mener des essais pour vérifier l’efficacité des préparations que l’on donne aux enfants hospitalisés.
La sénatrice Moodie : On nous a aussi mentionné les produits qui arrivent de l’étranger sur notre marché. Pourriez-vous m’aider à comprendre cela? Est-ce que Santé Canada accepte les résultats et les données d’études venant de sources étrangères fiables? Le ministère approuve-t-il des produits destinés aux enfants canadiens à partir de ces données?
M. Lee : Oui, c’est cela. Les résultats de nombreux essais cliniques que l’on nous présente pour des médicaments ou, comme je viens de le mentionner, pour des aliments servis dans les hôpitaux ou pour des préparations pour nourrissons nous viennent d’autres pays auxquels nous faisons confiance. Nos scientifiques examinent ces résultats avec soin. Nous en discutons longuement avec nos homologues américains de la FDA, avec les responsables de l’Agence européenne des médicaments et avec ceux d’autres pays pour comparer les données.
Nous leur demandons de discuter de produits que nous désirons examiner davantage, particulièrement dans le cas des médicaments qui ne sont pas officiellement approuvés et que l’on administre aux enfants. Ceux-là posent un problème que nous tenons à régler.
La réglementation des aliments prescrits aux enfants est un enjeu indéniable. Il serait bon de régler cela avec la coopération des autres pays.
Nous tenons à harmoniser les règlements que nous rédigeons avec les pratiques exemplaires suivies ailleurs dans le monde.
La sénatrice Moodie : Je reviendrai à vous plus tard.
La sénatrice Wallin : J’ai deux questions à vous poser. D’abord, des témoins du groupe précédent nous ont dit que cette loi fait référence à des règles, à des règlements et à des annexes qui n’existent pas. Cela nous a profondément troublés.
Comment est-ce possible?
M. Lee : Avec tout le respect que je vous dois, sénatrice, à mon avis ce n’est pas possible. Je vais vous expliquer : l’annexe A dont ces témoins parlaient existe depuis très longtemps. Elle appuie les règles sur la publicité qui se trouvent à l’article 3.
Il s’agit d’une liste de troubles médicaux pour lesquels on ne peut pas publiciser des aliments, des médicaments et des instruments thérapeutiques.
Ce n’est pas l’annexe dont nous parlons ici. Nous avons créé une annexe A.1 pour insérer une disposition qui doit figurer avant l’article 3. Il fallait lui attribuer un numéro, alors nous l’avons appelée A1. Ce sera l’annexe sur la classification. C’est ainsi que nous l’avons créée.
Les témoins ont aussi mentionné l’annexe G. Comme elle ne contenait rien, nous nous en sommes servis. La lettre G était disponible. Nous y placerons les éléments que nous voudrions ajouter à la liste des produits thérapeutiques innovants lorsque nous vérifierons si certains produits appartiennent à cette catégorie. Si le produit en question est régi par les règlements habituels, nous ne le placerons pas dans cette annexe. S’il est déjà régi par un règlement provincial, par exemple dans le domaine de la chirurgie, nous ne le placerons pas dans cette annexe. Il y a un test pour déterminer si le produit s’insère dans l’annexe, mais l’annexe G a été créée à l’aide de cet outil. Ce sont les deux seules annexes que nous avons créées.
La sénatrice Wallin : Je vais revenir à l’exemple que je vous ai donné tout à l’heure. Cette question me semble présentée très clairement dans le projet de loi S-228. Je sais qu’il ne fait pas partie de notre étude, mais il porte sur ce même domaine.
Lorsque vous déclarez qu’un aliment est nocif pour la santé, recevez-vous des conseils juridiques du ministère de la Justice, de sources de l’extérieur ou de l’industrie sur les répercussions imprévues de cette détermination? Par exemple, en déclarant qu’un aliment est nocif pour la santé, nous risquons de créer une barrière commerciale qui pourrait entraîner des représailles. Du côté juridique, nous pourrions déclencher ce qu’on appelle une expropriation indirecte. Autrement dit, le gouvernement prend une mesure qui prive une personne de la valeur de son produit. Cette personne pourrait alors intenter un recours en justice.
Avez-vous reçu des conseils juridiques à ce sujet? Je trouve que le projet de loi S-228 décrit les conséquences imprévues plus explicitement, ou tout au moins avec plus de clarté. Nous nous entendons tous sur les torts que crée la publicité destinée aux enfants et sur les risques de déclarer que le pain est un aliment nocif pour la santé alors que nous exportons un tel volume de ses ingrédients. Je ne sais pas comment vous pourriez affirmer cela en vous attendant à ce que les exploitations de 65 000 cultivateurs de grains et des fabricants de pain survivent. Je ne connais pas les données scientifiques de ce que vous avancez, sénateur Kutcher, en affirmant que cet aliment est tellement nocif pour la santé que nous ne devrions pas le consommer, le vendre et l’exporter. Il nous faut des données scientifiques. Il nous faut des preuves. Il nous faut des conseils juridiques à ce sujet.
M. Lee : Je témoigne aujourd’hui à propos du projet de loi C-97. En ce qui concerne les déclarations du ministère, permettez-moi de préciser que bien que l’on trouve l’expression « nocif pour la santé » dans le projet de loi S-228, nous n’avons aucunement l’intention de vilipender des aliments. Il ne s’agit pas d’une déclaration officielle sur ces aliments. Cependant, si un aliment a une teneur élevée d’un ingrédient qui nuit à la santé des enfants, il ne faut pas en faire la publicité aux enfants de moins de 13 ans. Voilà l’intention réelle de cette disposition. Toutefois je le répète, je suis ici pour parler du projet de loi C-97.
La sénatrice Wallin : Il faudra cependant examiner les conséquences imprévues de tout cela.
M. Lee : Nous allons assurément reprendre cela, sénatrice, et —
La sénatrice Wallin : Merci.
Le sénateur R. Black : J'aimerais moi aussi discuter du projet de loi S-228, mais je m’en abstiendrai.
Sénatrice, vous avez pointé du doigt les conséquences imprévues. A-t-on mené suffisamment de consultations, d’examens et de discussions sur les amendements à apporter au projet de loi C-97 avec des représentants de l’industrie agroalimentaire et non uniquement avec des médecins, avec des spécialistes en essais cliniques et autres? A-t-on mené assez de consultations pour ne pas causer de répercussions imprévues en adoptant ces amendements? Je crois que des témoins des deux derniers groupes nous ont dit que l’on n’a mené que très peu de consultations. Quelle est la définition que Santé Canada attribue au mot « consultation » par rapport à celle du reste du monde? Merci.
M. Lee : C’est une question légitime.
Je commencerai par les essais cliniques. Selon nous, la consultation nous permet d’entamer une discussion pour définir le cadre à établir. Je doute beaucoup que l’on nous supplie de ne pas effectuer au Canada des essais cliniques sur les aliments destinés spécialement aux enfants. Nous savons qu’en rédigeant ces règlements, nous devrons mener de vastes consultations, mais elles ont déjà commencé. Elles établissent ce cadre.
Pour ce qui est de la classification, on nous a dit que cette proposition cause de l’irritation. Il est important de savoir si cela réussira. Le mécanisme proposé est simple. On évaluera si l’aliment contient plus d’un élément, s’il répond à plus d’une définition. Dans l’affirmative, nous mènerons des consultations pour choisir la plus pertinente. Une fois la décision prise, nous placerons l’aliment dans une annexe.
Nous avons déjà le pouvoir de classer les choses. Ce projet de loi n’y ajoute rien. En fait, nous faisons cela tout le temps. Il nous est déjà arrivé, au cours d’une autorisation de marché temporaire, de déplacer des boissons contenant beaucoup de caféine qui étaient régies par du Règlement sur les produits de santé naturels en fonction de la teneur que contenait une canette. Nous les avons placées dans la catégorie des aliments. C’était un processus tout à fait administratif. Les gens n’en revenaient pas; nous n’avions pas mené de consultations.
Maintenant, nous proposons d’entamer des discussions en prenant ces décisions, et le ministre pourra alors agir. C’est là notre intention.
Le sénateur R. Black : Je vais revenir aux points saillants de la présentation de M. Loyst. A-t-on examiné si les pouvoirs demandés risquent de causer des répercussions imprévues? Je mentionne ici les témoignages des deux derniers groupes. Avez-vous mené une étude et une consultation suffisante, avez-vous demandé à des inspecteurs de prendre des photos ou autre? Ce n’est qu’une simple question.
M. Loyst : Comme je l’ai dit, les pouvoirs que nous demandons correspondent à ceux que nous accordent d’autres lois. Santé Canada détient l’un de ces pouvoirs depuis près de 10 ans. On les trouve dans la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation, dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dans la Loi sur le cannabis. Certains de nos pouvoirs sont prévus dans la Loi sur la procréation assistée. Nous les appliquons dans diverses circonstances depuis plusieurs années. En fait, nous cherchons à harmoniser nos façons de faire avec ces pouvoirs.
Soulignons qu’ils n’imposent pas de lourdes tâches administratives aux entités réglementées. Ils ne font qu’autoriser nos inspecteurs à accomplir leurs tâches.
Vous avez mentionné la prise de photos et demandé pour quelle raison il est important que nous ayons ce pouvoir. Si, au cours d’une enquête qui pourrait entraîner une poursuite au tribunal, un inspecteur présente une photo qu’il n’avait pas un pouvoir explicite de prendre, le tribunal risque de ne pas admettre la photo, alors que les autres lois nous donnent explicitement ce pouvoir. Nous avons une expérience réelle de l’application de ces pouvoirs, et l’industrie les respecte beaucoup.
Il est également important de veiller à la cohérence de ces pouvoirs dans nos lois et règlements. En pensant aux gammes de produits traditionnelles, on a tendance à croire que les produits de consommation se distinguent clairement de la catégorie des médicaments. Cependant, nous assistons maintenant à un mélange de ces produits. Par exemple, suivant les allégations relatives à la santé, à la présence de nicotine ou à d’autres facteurs, la cigarette électronique peut être considérée comme une drogue, comme un produit de consommation ou comme un produit du tabac. Ces amendements nous donneraient aussi l’occasion d’harmoniser nos pouvoirs. Nous voulons réglementer les produits de la même manière dans tous les domaines.
Le sénateur R. Black : Permettez-moi d’ajouter une chose. Nous étions en tournée avec certains membres de ce comité à la mi-mars. Dans une fabrique, on ne nous a pas permis de prendre des photos d’une machine qui faisait quelque chose — elle pliait une pâtisserie, ou quelque chose de ce genre — parce que l’entreprise en détient le brevet et que c’est la seule machine que l’on trouve au Canada. L’entreprise ne voulait pas que quelqu’un la voie. Vous venez de vous accorder le pouvoir, en fait, de prendre une photo de ce produit ou de cette machine. Que fera l’entreprise, alors? Pardonnez-moi, je ne m’exprime pas très clairement.
M. Loyst : Nous recueillons des renseignements commerciaux confidentiels au cours de nos inspections. Il peut s’agir de registres, comme celui des ventes, où nous voyons les sources d’approvisionnement de l’entreprise, les noms de ses clients et d’autres renseignements de ce genre. Nous appliquons des mesures de protection des données commerciales confidentielles. Si l’entreprise dont vous parlez a des droits de propriété sur cette machine, nous la traiterons comme tous les autres renseignements commerciaux confidentiels que nous recueillons.
Le sénateur R. Black : Merci.
Le sénateur Kutcher : Certains articles de ce projet de loi me semblent tout à fait logiques, notamment les articles 164 et 166. D’un autre côté, je ne comprends pas la question de classification d’une « chose ». Je ne comprends pas non plus le processus à suivre. Pour classer un objet dans la catégorie des « choses », est-ce qu’on le pose sur la table et on l’ajoute à la catégorie des « choses » ou y a-t-il un processus particulier à suivre? Je ne comprends pas bien.
M. Lee : En rédigeant ce projet de loi, nous avons longuement discuté du mot « chose ». Le problème résidait dans le fait que s’il s’agit de plus d’un produit, il faut le décrire d’une manière ou d’une autre. On le placera dans l’une des gammes de produits, puis il finira dans la catégorie des médicaments ou des instruments thérapeutiques. Avant cela, il faudra le désigner d’une façon plus neutre. Nous voulions utiliser le mot « produit », mais il nous semblait trop restreint. Il nous fallait une désignation si vaste qu’on ne penserait pas au premier abord à déterminer s’il s’agit vraiment d’une « chose », mais à déterminer l’annexe dans laquelle classer cette chose. C’est ce que ce mot doit nous inciter à faire. Il nous mettait tous un peu mal à l’aise, mais quand on y pense bien, techniquement il fait bien l’affaire.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités.
J’aimerais vous parler d’efficacité. C’est bien connu que les produits homologués aux États-Unis prennent parfois des mois ou des années pour arriver sur le marché canadien. Ensuite, les producteurs nous répondent qu’ils attentent l’approbation de Santé Canada. Parfois, nous avons l’air d’un pays où le gouvernement semble incapable de prendre des décisions d’affaires. Le gouvernement rejette souvent la faute sur les fonctionnaires. Reconnaissez-vous que la machine est lourde à un point tel qu’elle peut mettre en péril la santé financière des entrepreneurs? De plus, reconnaissez-vous qu’il y a plus de règlements que vous êtes capables d’en faire appliquer?
[Traduction]
M. Lee : La manière dont je comprends l’objectif de cet examen réglementaire... On nous l’a confié en vue de bien comprendre les obstacles qui entravent l’importation et la position concurrentielle des produits de différents secteurs. Cette tâche est fondamentale dans notre rôle de ministère centré sur la sécurité. Cependant, nous tenions à examiner en quoi consistent tous ces obstacles.
Nous en discutons avec les représentants de l’Agence européenne des médicaments et de la FDA américaine. Nous siégeons à de nombreux groupes de travail internationaux. Nous désirons cerner les domaines que nous pourrons modifier tout en respectant les mandats de la loi, mais que nous pourrions changer pour améliorer cet environnement. Nous avons même récemment organisé des journées de consultation d’intervenants afin de cerner quels règlements créent des obstacles, mais que nous pourrions modifier et quelles nouvelles méthodes nous pourrions pour établir les règlements.
Nous nous préparons à lancer cette initiative. Si j’ai bien compris, ces discussions auront lieu annuellement. Nous concentrons notre attention sur ces enjeux et nous nous efforçons d’accomplir autant de travail que possible. C’est une offre de participation législative, quoique relativement restreinte, mais nous accomplissons beaucoup de travail en matière de réglementation.
M. Loyst : Pour compléter ce qu’a dit mon collègue, j’ajouterais que nous avons beaucoup de peine à suivre l’évolution des progrès technologiques. Les produits nous arrivent des marchés à un rythme incroyable. Les chaînes d’approvisionnement internationales sont complexes. Je vous ai parlé des gammes de produits traditionnelles que nous observions quand on nous présentait un produit fabriqué au Canada; nous savions qui le fabriquait, où se situait l’usine, à qui l’entreprise le vendait et où les consommateurs allaient l’acheter. Maintenant, les produits nous arrivent de partout et se composent d’éléments fabriqués un peu partout. Cela freine notre rendement.
Dans le cas des produits thérapeutiques innovants, nous sommes dans certains cas obligés d’utiliser des approches non traditionnelles pour faciliter les choses. Comme l’a dit très justement mon collègue, le mandat de notre ministère nous oblige à nous concentrer sur la santé et la sécurité. Nous devons établir un équilibre entre la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens et l’approbation des produits novateurs qui arrivent sur le marché. Il est très délicat d’établir des règlements tout en respectant cet équilibre.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Que voulez-vous dire par « approche non traditionnelle »?
[Traduction]
M. Lee : Je pourrais peut-être vous l’expliquer. Cette notion s’applique particulièrement aux produits thérapeutiques innovants. On reconnaît partout dans le monde que certaines thérapies sont extrêmement avancées. On essaie de trouver des moyens de réglementer des applications d’intelligence artificielle conçues pour établir des diagnostics. Les progrès technologiques forceront même le secteur alimentaire à apporter certains changements.
Traditionnellement, on rédige chaque fois un règlement. Il faut établir un code réglementaire vraiment détaillé, ce qui prend souvent bien du temps. Au cours de ma carrière, il a parfois fallu 10 ans pour établir des règlements, alors que la technologie était déjà bien en place dans d’autres pays. Le processus établi pour les produits thérapeutiques innovants nous permettrait de définir les exigences de l’octroi de licences beaucoup plus rapidement après avoir mené des consultations sur le type de produit en question. C’est là une nouvelle façon de faire, mais elle répond à nos objectifs. Elle nous permet de définir rapidement les exigences. Je crois que c’est ce que mon collègue vous décrivait.
La présidente : Je tiens à remercier ce groupe de témoins. Nous vous avons posé beaucoup de questions. Vous étiez les derniers de trois groupes d’experts. De plus, nous avons dû nous absenter pour aller voter. Cette soirée a été bien remplie. Je remercie tous les sénateurs ainsi que les témoins pour leurs exposés.
(La séance est levée.)