Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance
Fascicule n° 8 - Témoignages du 22 octobre 2018
OTTAWA, le lundi 22 octobre 2018
Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 18 h 31, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.
Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la présente réunion du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, je suis le président du comité. J’aimerais commencer par demander à mes collègues de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le président. Je suis Ratna Omidvar, de l’Ontario.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le président : Merci, chers collègues. Le comité poursuit aujourd’hui son étude visant à examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada. Lors de la présente réunion, nous allons nous concentrer sur la clientèle et la diversité au sein des organismes de bienfaisance et des organismes à but non lucratif.
Pour ce qui est du présent groupe de témoins, nous accueillons ce soir Mme Kathryn Chan, professeure adjointe à la faculté de droit de l’Université de Victoria, et Lisa Lalande, directrice principale du Pôle de recherche à but non lucratif, et Joanne Cave, chercheuse en politiques sociales, toutes deux du Mowat Centre. Merci d’avoir accepté notre invitation. Le processus est très simple. On vous a tous dit d’avance que vous pouviez présenter une déclaration de cinq à sept minutes et que, après les déclarations, mes collègues autour de la table vous poseraient des questions. Je vous demande de veiller à ce que les questions soient succinctes et que les réponses le soient aussi, de façon à ce que nous puissions avoir le plus d’échanges possible. Nous allons commencer par Mme Chan.
Kathryn Chan, professeure adjointe, faculté de droit de l’Université de Victoria, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je le fais à titre personnel et professionnel, en tant que personne qui a consacré environ 15 ans à apprendre, exercer et maintenant enseigner le droit des organismes de bienfaisance.
Le comité m’a demandé de formuler des commentaires relativement à un article que j’ai publié en 2016 sur le rôle du principe d’équité dans le droit des organismes de bienfaisance devant les tribunaux fédéraux canadiens. J’ai pris la liberté d’en déduire que le comité veut répondre à la question suivante : pourquoi la définition juridique d’organisme de bienfaisance n’a-t-elle pas évoluée devant la Cour d’appel fédérale? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre en sept minutes, mais je vais faire de mon mieux.
Permettez-moi d’abord de parler brièvement des antécédents de la Cour d’appel fédérale quant aux appels liés à l’enregistrement des organismes de bienfaisance. Évidemment, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, lorsqu’une organisation s’oppose à la décision du ministre du Revenu national de refuser d’enregistrer un organisme de bienfaisance, l’organisation visée peut, après avoir déposé un avis d’opposition écrit, interjeter appel de la décision du ministre devant la Cour d’appel fédérale. En théorie, cette procédure offre l’occasion à une cour supérieure d’archives de définir progressivement le sens des expressions « fins de bienfaisance » et « activités de bienfaisance » en s’appuyant sur la common law. Historiquement, dans la tradition de la common law, ce sont les tribunaux qui ont fait avancer le droit des organismes de bienfaisance en déclarant que de nouveaux projets étaient de nature caritative, parce que leur but était similaire à des objectifs qui avaient été reconnus juridiquement comme étant de nature caritative ou qu’il s’inscrivait raisonnablement dans le prolongement de ces objectifs.
Cependant, les parties qui ont tenté de s’appuyer sur cette méthode de la common law devant la Cour d’appel fédérale ont eu très peu de succès. En un mot, aucune organisation sans but lucratif n’a remporté un appel relativement à son enregistrement au Canada depuis plus de 20 ans.
Le secteur sans but lucratif a perdu des batailles importantes durant cette période. La Cour d’appel fédérale a statué, par exemple, que la prévention de la pauvreté n’est pas une fin de bienfaisance, pas plus que la production d’émissions d’information en profondeur sans but lucratif. La longue liste de défaites semble avoir épuisé le secteur. De plus en plus, les organisations ont tout simplement cessé d’en appeler des décisions de la Direction des organismes de bienfaisance. Et, du point de vue de la doctrine, j’estime que le résultat de cette suite de défaites spectaculaires a sans doute été la quasi-éradication au Canada de la méthode — fondée sur la common law — consistant à élaborer la définition juridique d’organisme de bienfaisance par analogie judiciaire.
Alors pourquoi la définition juridique d’organisme de bienfaisance n’a-t-elle pas évoluée grâce à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur les organismes de bienfaisance enregistrés? C’est une question complexe, mais je crois pouvoir cerner au moins trois facteurs majeurs. Le premier, c’est que la Cour d’appel fédérale n’a pas intégré dans ses décisions les principes d’équité qui ont historiquement orienté les tribunaux de common law en ce qui concerne la validation des dons de bienfaisance.
Pour vous expliquer un peu, la common law des organismes de bienfaisance a évolué devant la Cour de la chancellerie anglaise. Une caractéristique centrale de cette tradition, c’est que la cour reconnaissait et protégeait l’intérêt public à l’égard des biens de bienfaisance. En reconnaissance de cet intérêt public, la Cour de chancellerie a élaboré un certain nombre de principes curatifs qui l’ont orientée au moment de valider des dons de bienfaisance. J’approfondis cette question dans mon article, mais la règle d’équité la plus appliquée, c’est que la cour doit se pencher en faveur de l’organisme de bienfaisance.
La Cour d’appel fédérale n’a pas adopté une pratique consistant à appliquer les doctrines de l’équité dans le cadre du droit des organismes de bienfaisance lorsqu’elle doit trancher des appels relatifs à leur enregistrement. Certaines organisations sans but lucratif ont perdu leur appel pour des motifs techniques très précis, et d’autres l’ont perdu, parce que la cour a refusé de présumer que les administrateurs des organismes en question allaient exercer leur pouvoir de façon légale ou caritative.
Selon moi, cependant, la cour a le pouvoir d’appliquer les principes d’équité de façon à être favorable aux organismes de bienfaisance et dans le cadre d’appels liés à l’enregistrement d’organismes de bienfaisance, et le législateur pourrait indiquer son désir qu’elle le fasse.
Puisque certains témoins qui ont comparu devant le comité ont recommandé de transférer la compétence concernant les appels interjetés sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance à la Cour canadienne de l’impôt, je ferai brièvement remarquer que cette cour n’est pas constituée comme une cour d’équité, mais elle reconnaît et applique tout de même les principes d’équité, lorsqu’elle tranche des appels concernant les cotisations de l’impôt sur le revenu. Je ne pense pas que le fait de confier cette compétence à ce tribunal empêcherait nécessairement l’application des principes curatifs du droit des organismes de bienfaisance dans le cadre des appels sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance.
La deuxième raison pour laquelle la définition d’organisme de bienfaisance n’a pas évolué devant la Cour d’appel fédérale, c’est que les appels sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance sont régis par des principes de contrôle du droit administratif, et non par des principes d’examen en appel judiciaire. C’est là un point juridique assez technique, et je renvoie ici le comité à mon mémoire et à celui de la Fondation Muttart. Je vais simplement souligner que la déférence judiciaire qui est actuellement accordée aux décisions de la Direction des organismes de bienfaisance et le peu d’éléments de preuve présentés à la Cour d’appel fédérale découragent les organismes sans but lucratif d’interjeter appel.
La troisième raison, et c’est la dernière dont je vais parler aujourd’hui, pour laquelle la définition d’organisme de bienfaisance n’a pas évolué devant la Cour d’appel fédérale est liée, selon moi, à l’absence d’un fonctionnaire représentant l’intérêt public à l’égard des biens de bienfaisance. Historiquement, dans la tradition anglaise de la common law, le procureur général intervenait souvent dans des procédures juridiques auxquelles étaient parties des organismes de bienfaisance. La chef des affaires juridiques de la Couronne ne défendait aucune des parties au différend. Elle comparaissait plutôt, parce que la common law reconnaît que chaque membre du public a un intérêt dans l’utilisation des biens de bienfaisance, et parce que la procureure générale était l’intervenante la plus appropriée pour agir au nom du public.
Le rôle de la procureure générale anglaise dans les litiges liés aux organismes de bienfaisance ne revient à aucun de ses homologues canadiens dans le cadre du régime des organismes de bienfaisance enregistrés. Dans de tels appels, le procureur général du Canada défend le ministre du Revenu national, tandis que les procureurs généraux provinciaux — qui sont les héritiers constitutionnels des pouvoirs de protection des organismes de bienfaisance découlant de la prérogative de la Couronne anglaise — ne s’en mêlent pas tout.
Vu son rôle de défenseur de notre autorité fiscale fédérale, il n’est pas surprenant de constater que la Couronne du chef du Canada adopte souvent des positions agressives contre les organismes de bienfaisance dans les appels concernant leur enregistrement, et je donne quelques exemples de ces positions dans mon mémoire. Cependant, je ne crois pas que nous devrions sous-estimer l’impact que cette défense a eu sur la situation du secteur de la bienfaisance canadien, surtout à la lumière du respect traditionnel de la magistrature à l’égard du jugement et de l’expérience du premier conseiller juridique de l’État.
Selon moi, si nous devons continuer à compter sur la magistrature pour faire évoluer la signification juridique de la bienfaisance au Canada, nous devrons peut-être institutionnaliser la participation d’un autre intervenant public dans le cadre des appels sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance, quelqu’un à même de représenter l’intérêt plus général du public relativement à une administration efficace et appropriée des biens de bienfaisance. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Chan.
Nous allons maintenant passer à Mme Lalande, s’il vous plaît.
Lisa Lalande, directrice principale, Pôle de recherche à but non lucratif, The Mowat Centre : Bonsoir à tous. Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître ce soir.
Le mémoire que nous avons présenté décrit les constatations de nos recherches et nos recommandations plus en détail. Nos recherches portent sur la création d’un environnement habilitant pour le secteur social canadien. Le cadre réglementaire et législatif actuel empêche le secteur d’atteindre son plein potentiel, et nos recommandations portent sur la façon dont le gouvernement fédéral peut moderniser son approche et innover.
Depuis des décennies, les dirigeants du secteur soutiennent qu’il faut moderniser cette relation. La question fondamentale, selon nous, ce n’est pas la relation entre le gouvernement et le secteur en tant que tel, c’est plutôt la façon dont le gouvernement soutient ou mine la capacité du secteur de remplir son mandat et d’obtenir les meilleurs résultats possibles. Le fait de se concentrer sur la relation fait en sorte que l’on continue de se demander de quelle façon des changements pourraient être réalisés plutôt que de réfléchir aux raisons pour lesquelles des changements sont nécessaires et importants pour les Canadiens.
Traditionnellement, la valeur du secteur a été définie en fonction de ses contributions à une démocratie et une vie communautaire saines, grâce à la prestation d’un soutien aux personnes vulnérables et au bénévolat. Dans la réalité d’aujourd’hui, cette conception se révèle trop étroite. Nous encourageons le gouvernement fédéral à définir le secteur social d’une façon différente : comme un partenaire et un allié pour relever certains des défis les plus complexes et insolubles du Canada dans les domaines social, économique et environnemental.
Vous avez entendu beaucoup de dirigeants du secteur parler du besoin de favoriser un environnement habilitant. Nous définissons un environnement habilitant comme un environnement où le gouvernement protège l’intérêt public, soutient la durabilité des organisations sans but lucratif et des organismes de bienfaisance et optimise le contexte stratégique pour favoriser l’innovation et l’expérimentation.
Cependant, à quoi ressemble un environnement habilitant en pratique? Un environnement habilitant met l’accent sur les principes plutôt que sur la crainte de prendre des risques en matière de réglementation des organismes de bienfaisance. Un tel environnement valoriserait et encouragerait la contribution du secteur en matière de politiques publiques. Il intégrerait et rationaliserait les modèles de financement pour réduire la bureaucratie avec laquelle doivent composer les organisations et les fonctionnaires. Il permettrait de communiquer des données sur les résultats communautaires afin de mieux diriger les ressources vers les programmes et les services qui permettent de changer les choses. Il mettrait aussi l’accent sur un partenariat stratégique avec le secteur, plutôt que sur une relation entre bailleur de fonds et bénéficiaire.
Notre document de recherche cerne plusieurs rôles clés quant à la façon dont le gouvernement fédéral peut interagir avec le secteur. Ces rôles incluent la réglementation du statut d’exemption d’impôt des organismes de bienfaisance enregistrés, le règlement des différends concernant l’enregistrement des organismes de bienfaisance et la facilitation ou l’habilitation de l’ensemble du secteur social en réunissant les principaux intervenants, en cernant les lacunes stratégiques et en travaillant en collaboration avec les autres ordres de gouvernement, par exemple, pour promouvoir la communication des données, la création d’un espace pour l’innovation et la diffusion des pratiques exemplaires.
Historiquement, nous nous sommes concentrés sur le rôle de réglementation, sur la façon dont la Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada, en tant qu’organisme de réglementation fiscale, rend des décisions sur le statut d’organisme de bienfaisance et assure un contrôle de la conformité. Nous encourageons le comité à mettre l’accent sur les rôles de facilitation et d’habilitation qui, depuis trop longtemps, sont oubliés.
Il est important de définir ces rôles de façon vraiment distincte. Dans d’autres pays, on ne s’attend pas à ce que l’organisme de réglementation fiscale s’occupe des questions plus générales touchant le secteur, comme une réforme du financement ou le financement social. Ces enjeux sont traités par une entité gouvernementale distincte qui est mieux placée pour agir en tant que défenseur, partenaire et entité habilitante.
On a beaucoup parlé du modèle du Royaume-Uni comme étant un modèle que le Canada devrait tenter de reproduire. Le Royaume-Uni mise sur une commission indépendante des organismes de bienfaisance qui relève du Parlement, mais qui œuvre de façon indépendante pour réglementer le secteur de la bienfaisance, un bureau de la société civile étant intégré au sein du gouvernement dans un rôle habilitant. La séparation de ces fonctions s’est révélée très fructueuse, mais le modèle britannique est difficile à reproduire ici entièrement en raison du fédéralisme canadien.
De plus, nos recherches indiquent que l’emplacement de l’organisme de réglementation — au sein du gouvernement ou à l’extérieur de ce dernier — a moins d’incidence directe sur les résultats. Le fait de cloisonner tous les enjeux du secteur dans un seul ministère est souvent moins efficace au moment de modifier la culture du gouvernement afin que ce dernier change sa vision du rôle du secteur et de sa participation à l’atteinte de résultats pour les Canadiens. Une telle structure est aussi vulnérable aux changements de gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous ne recommandons pas la nomination d’un ministre spécial qui serait responsable du secteur bénévole, du secteur social ou du secteur tertiaire.
Ces enjeux sont incroyablement complexes, et il y a très peu de consensus au sein du secteur sur le modèle ou le mécanisme le plus approprié. Nos recommandations portent sur la façon dont le gouvernement fédéral travaille actuellement en collaboration avec le secteur social et la façon d’intégrer tout cela pour permettre un vrai changement. Nos recherches ont indiqué que le fait de séparer la fonction de réglementation et la fonction habilitante aiderait à régler certains des problèmes les plus importants auxquels le secteur est actuellement confronté.
Ma collègue, Joanne Cave, vous parlera de nos recommandations pour aller de l’avant.
Joanne Cave, chercheuse en politiques sociales, The Mowat Centre : Premièrement, nous recommandons de maintenir le rôle de la Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada en matière de réglementation des organismes de bienfaisance conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette fonction de réglementation est étroite, mais importante, et elle bénéficierait d’une participation accrue du secteur. Nous recommandons de rétablir et de réhabiliter le comité consultatif du secteur qui relèverait du ministre du Revenu national et se concentrerait sur les enjeux touchant la réglementation. Un tel comité pourrait jouer un rôle important pour promouvoir des changements grâce aux modifications à venir de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Deuxièmement, nous recommandons que le gouvernement du Canada envisage aussi l’utilisation de bacs à sable réglementaires pour mettre à l’essai d’autres changements à apporter au cadre de réglementation. Dans un bac à sable réglementaire, l’organisme de réglementation applique un ensemble différent de règles à un petit nombre d’organisations pendant une période limitée. L’organisme de réglementation observe son échantillon et tire des leçons concrètes quant à la façon dont les entités réglementées utilisent les nouvelles règles. Un bac à sable réglementaire permettrait au gouvernement de mettre à l’essai des propositions comme le critère de la destination des fonds, par exemple, sans apporter des changements difficiles à renverser ou des changements à l’échelle du secteur.
Troisièmement, comme Mme Chan en a parlé, nous proposons de désigner la Cour canadienne de l’impôt comme premier point d’appel des décisions de l’Agence du revenu du Canada en remplacement de la Cour d’appel fédérale. Beaucoup de dirigeants du secteur croient eux aussi qu’une telle approche améliorerait l’accès à la justice pour les organisations sans but lucratif et les organismes de bienfaisance tout en augmentant le nombre d’appels, ce qui permettrait à l’Agence du revenu du Canada d’avoir accès à plus d’affaires sur lesquelles s’appuyer lorsqu’elle traite de questions de conformité.
Quatrièmement, nous proposons la création d’un organisme habilitant permanent au sein du Bureau du conseil privé, conformément à la recommandation sur la création d’un bureau de l’innovation sociale formulée dans le cadre de la Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale. Une telle entité fournirait un soutien en matière de coordination stratégique et d’engagement significatif auprès du secteur et pourrait promouvoir une approche axée sur les résultats à l’échelle du gouvernement, plutôt que d’adopter une approche alignée sur les priorités stratégiques d’un ministère précis.
La Stratégie nationale d’innovation sociale et de finance sociale recommande aussi la création d’un conseil en matière d’innovation sociale pouvant prodiguer des conseils au bureau au sujet de son orientation ou de ses priorités stratégiques. Nous croyons qu’un tel conseil serait une tribune idéale afin de permettre au secteur de prodiguer des conseils au gouvernement fédéral quant à son rôle habilitant. C’est là notre cinquième recommandation. Nous recommandons que les rôles du bureau et du conseil soient définis dans la loi; ainsi, ils seraient moins vulnérables aux priorités politiques changeantes.
Notre dernière recommandation concerne des investissements dans l’infrastructure du secteur. Les nombreux organismes-cadres du secteur jouent un rôle important dans son autoréglementation — en plus de la fonction de réglementation dont nous avons discuté —, facilitant ainsi la collaboration et favorisant le changement. Nous proposons que le gouvernement fédéral rétablisse le financement destiné au renforcement des capacités, à la recherche, aux technologies, à la formation et à la collaboration au sein du secteur.
Nous vous encourageons à considérer l’étude actuelle comme une occasion d’aider le secteur à réaliser son énorme potentiel, plutôt que de vous concentrer uniquement sur les déficits, les problèmes et les lacunes législatives et réglementaires.
Merci de votre temps et de votre attention. Lisa et moi serons heureuses de répondre à vos questions.
Le président : Merci à vous deux. Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous de vos exposés. Nous vous sommes vraiment reconnaissants.
Ma première question est destinée à Mme Chan et concerne votre utilisation de l’expression « principes d’équité ». Vous avez souligné que, traditionnellement, la Cour d’appel fédérale n’a pas appliqué les principes d’équité dans ses processus décisionnels. Pouvez-vous nous en dire un peu plus et définir de façon un peu plus poussée ce que vous voulez dire par « équité »?
Mme Chan : Bien sûr. Par « principe d’équité », dans ce contexte, je n’envisage pas l’équité dans un sens vague; je parle des principes qui ont été élaborés et appliqués par la Cour de la chancellerie au XIXe siècle. C’est en fait le sens dans lequel l’expression a été utilisée lorsque la Cour fédérale a discuté du fait qu’elle était un tribunal jugeant en équité. Des principes d’équité juridique précis ont été élaborés par la Cour de la chancellerie au XIXe siècle selon lesquels, par exemple, si on lit un document un peu ambigu sans être convaincu qu’il est bel et bien question d’un organisme de bienfaisance, en bonne et due forme, il faut pencher du côté de l’organisme de bienfaisance et lui donner le bénéfice du doute. S’il y a des petits problèmes juridiques techniques connexes, alors il faut essayer de trouver une façon de les régler afin que les ressources restent dans le secteur de la bienfaisance.
La sénatrice Omidvar : Merci. C’est utile. Ma prochaine question est destinée aux représentants du Mowat Institute. Bien sûr, nous connaissons tous ici très bien la notion d’environnement habilitant, mais j’aimerais souligner que l’appareil gouvernemental se prête mieux aux cloisonnements. En outre, dans votre mémoire, vous formulez, comme d’autres témoins l’ont fait, une recommandation selon laquelle nous devons aussi participer, ce qui sous-entendrait en fait l’adoption d’une approche horizontale pour gérer la myriade d’enjeux stratégiques avec lesquels le secteur doit composer.
Dans votre mémoire, vous précisez votre pensée et vous avez décrit les choses beaucoup plus en détail, et je vous en remercie. Je me demande quelle serait votre réaction à une proposition en vertu de laquelle, essentiellement, la Chambre des communes ou le Sénat créerait un comité permanent de la société civile ou du secteur tertiaire; ou, encore, nous pourrions créer un comité conjoint. C’est parce que le secteur est tellement vaste et qu’il fait intervenir presque toutes les facettes de... Je pourrais trouver une façon d’inclure votre secteur dans tous les projets de loi dont le Sénat est saisi, mais de quelle façon peut-on obtenir vos points de vue sur tout cela? Que diriez-vous si on procédait ainsi?
Mme Lalande : C’est une bonne question. Merci beaucoup de la poser.
Je veux commencer par affirmer que nos recherches donnent à penser qu’il n’y a pas de consensus sur l’emplacement idéal d’un organisme habilitant. En outre, la réussite d’un tel organisme sera fondée sur son influence politique, son leadership et l’intérêt du gouvernement en place.
Dans le cadre de notre analyse, nous avons tenté d’examiner les options sous deux ou trois angles différents. Nous avons examiné la question de la permanence et de la mesure dans laquelle le modèle est protégé contre les changements politiques. Nous avons examiné les options que nous pouvions proposer afin de réduire les cloisonnements et de ne pas en créer d’autres et réfléchi à la mesure dans laquelle un nouveau modèle ou un nouveau mécanisme permettrait de réaliser les fonctions habilitantes que nous proposons dans notre mémoire. Nous avons fait valoir que l’occasion pour le secteur ne peut pas se limiter à une place à la table et va au-delà de la réglementation et que la fonction habilitante inclut une intégration et un engagement bien réels. Nous reconnaissons que c’est là un défi, vu le fonctionnement de l’appareil gouvernemental.
Si cela peut vous aider, je vais essayer de rendre tout cela concret grâce à un bref et court exemple. J’ai entendu Dale McFee, le sous-ministre des Services correctionnels et de la police de la Saskatchewan, raconter cette histoire un certain nombre de fois, et j’ai trouvé ce récit vraiment utile. C’est une histoire au sujet d’Hannah et de sa famille. Il y a quatre générations de Canadiens dans cette province. Les membres de la famille n’ont jamais travaillé et ils vivent de l’aide sociale. Ils ont accès à de multiples services gouvernementaux ainsi qu’aux services de six organisations communautaires différentes. Ils ont des problèmes de violence sexuelle et des problèmes liés aux activités de gang. Les membres de cette famille ont eu des démêlés avec le système de justice pénale, et ils coûtent en fait à la province chaque année environ de 5 à 7 millions de dollars. Grâce à une analyse prédictive, les responsables estiment que cette famille précise coûtera à la province de 17 à 19 millions de dollars par année à l’avenir.
Cette famille fonctionne dans un système complexe, et elle est touchée par de multiples ordres de gouvernement. Les interventions qui ont été mises en place sont très cloisonnées et elles ne fonctionnent pas, alors nous suggérons que le gouvernement adopte un point de vue pansystémique. Il doit y avoir un responsable, quelqu’un chargé de soutenir le mandat du secteur. En outre, on pourrait faire valoir que le mandat du secteur, peu importe cette diversité, consiste à contribuer à la prospérité des collectivités et à améliorer le bien-être général. Personne n’est vraiment responsable de cela, et il est difficile de cerner les objectifs, puis de trouver les bonnes structures et les bonnes pratiques ainsi que les bons systèmes et les bons processus pour les atteindre.
Par conséquent, de façon très simple, si vous réfléchissez au système de soins de santé, il y a des pays qui n’ont pas, par exemple, d’intervenant responsable de réduire la mortalité infantile. Ce que les gens constatent, c’est que, lorsqu’on nomme une personne responsable de ce dossier, cette nomination aura une incidence positive sur les résultats.
Ce que nous disons donc, c’est que, même si la situation est complexe, nous croyons qu’il y a une raison sociale et aussi une raison financière de se doter d’un organisme central quelconque, d’une fonction, qui serait chargée d’agir au nom du secteur.
Nous estimons aussi qu’une telle solution est harmonisée avec les recommandations découlant de la Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale.
La sénatrice Omidvar : Merci, madame Chan, vous avez vous aussi fait référence à la même chose dans votre article et parlé du besoin d’institutionnaliser la participation d’un autre intervenant public dans le cadre des appels sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance. Est-ce que vous vous limitez à cela, ou êtes-vous prête à vous aventurer un peu plus dans le territoire décrit par Mme Lalande?
Mme Chan : Eh bien, s’il est possible d’avoir un genre de structure gouvernementale horizontale qui fait le bonheur de tout le monde, alors, c’est fantastique, mais une option que je juge meilleure que la situation actuelle, ce serait de compter sur plusieurs intervenants du gouvernement qui représentent différents points de vue. Le candidat le plus évident qui pourrait jouer le rôle lié à l’intérêt public dont j’ai parlé, c’est la Couronne du chef de la province. Je sais que nous avons besoin d’une participation provinciale pour y arriver, mais je ne m’oppose pas au genre de structure dont l’autre témoin a parlé.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à vous deux de vos exposés.
Je vais peut-être commencer par vous, madame Chan, en essayant de comprendre certains des termes et des notions que vous avez mentionnés. Vous dites que la définition juridique d’organisme de bienfaisance n’a pas évolué dans la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance. Vous avez beaucoup parlé de ces processus. Quel est l’avantage d’une définition juridique?
Mme Chan : Voulez-vous parler d’une définition législative?
La sénatrice Seidman : Eh bien, j’utilise les mots que vous avez utilisés.
Mme Chan : D’accord.
La sénatrice Seidman : Je ne suis pas avocate.
Mme Chan : Je n’ai probablement pas été tout à fait claire. Il y a en gros deux façons — peut-être trois — d’en arriver à une définition juridique. On peut établir une définition législative d’organisme de bienfaisance; c’est l’option que la plupart des pays du Commonwealth ont adoptée. Le Royaume-Uni, l’Angleterre, le pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont tous choisi de débattre devant leur Parlement de la façon de définir le secteur de la bienfaisance. J’en suis venue en quelque sorte à penser qu’il s’agit peut-être de la meilleure façon de procéder.
L’autre option, et c’est celle que nous avons choisie, c’est de simplement mettre le mot « bienfaisance » dans une loi, puis de laisser le volet privé de la common law définir l’expression. Par conséquent, le sens de l’expression n’est pas évident pour le commun des mortels qui lit la Loi de l’impôt sur le revenu — c’est un des inconvénients —, mais les tribunaux et l’ARC peuvent se tourner vers cette longue tradition de la common law qui remonte au XIXe siècle et même avant pour évaluer de quelle façon les tribunaux ont défini la bienfaisance, et c’est cela qui devient la norme.
Le problème, c’est qu’on peut soutenir que nous n’avons appliqué de façon appropriée ni l’un ni l’autre au Canada, parce que, de façon générale, les tribunaux ont arrêté de permettre l’évolution de la définition juridique par analogie — qui est cette option — et parce que nous n’avons pas de définition législative. Ce que nous avons plutôt, essentiellement, c’est un régime de politiques de facto en vertu duquel on entend par « bienfaisance » ce que les tribunaux en ont dit en Angleterre dans les années 1950 et ce que l’ARC en dit depuis. Il s’agit là, selon moi, d’une situation qui n’est pas idéale. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Seidman : Vous dites donc que nous devrions avoir une définition législative?
Mme Chan : Je n’ai pas abordé la question dans mon article, mais je crois que nous devons régler le système judiciaire afin que les organismes de bienfaisance aient au moins une chance de faire évoluer la définition ou de faire avancer les choses, de sorte que la définition juridique ne reste pas figée. Sinon, il faut transférer le dossier au Parlement, ce qui, selon moi, serait peut-être encore mieux, afin qu’on puisse parler de tout cela dans le cadre d’un débat public sur ce qui, selon nous, devrait relever du secteur de la bienfaisance.
La sénatrice Seidman : Merci de m’avoir aidée à comprendre. C’est très bien.
J’aimerais vous poser une question, madame Lalande, sur un point que vous avez mentionné dans votre mémoire, le troisième point, à la page 3 : « nous proposons que la Cour canadienne de l’impôt soit désignée comme étant le premier point d’appel pour les décisions de l’Agence du revenu du Canada en remplacement de la Cour d’appel fédérale ». Ma question est la suivante : pourquoi?
Mme Cave : Je vais répondre.
Comme je l’ai mentionné lorsque j’ai présenté nos recommandations — et je crois que tout cela correspond assez bien aux arguments de Mme Chan, comme on l’a vu — le processus d’appel est, au mieux, flou, pour ce qui est des organismes de bienfaisance. C’est un processus qui exige beaucoup de ressources et de temps et qui est très complexe. Pour des organisations dont les ressources sont limitées, le processus consistant à porter une question comme celle-ci devant les tribunaux afin de faire progresser les choses et d’obtenir des précisions en ce sens est très lourd.
Par conséquent, la proposition d’utiliser la Cour de l’impôt comme solution de rechange à la Cour d’appel fédérale a fait l’objet de longues discussions au sein du secteur, et je crois qu’il y a à cet égard un assez bon consensus quant au fait qu’il s’agirait là d’une approche plus appropriée. Un autre avantage lié au fait de procéder ainsi — et Mme Chan pourra vous en dire plus à ce sujet —, c’est le fait que la Cour de l’impôt pourrait entendre des témoignages, convoquer des témoins experts et réaliser un procès complet pour établir les faits, plutôt que de simplement s’appuyer sur la base limitée de la common law avec laquelle nous devons composer.
Notre argument, c’est qu’on améliorerait ainsi l’accès à la justice en permettant aux organisations sans but lucratif et aux organismes de bienfaisance qui ont des problèmes liés à l’enregistrement d’obtenir des clarifications d’une façon moins coûteuse et plus rapide.
Mme Chan : Je suis d’accord avec la majeure partie de ce qui vient d’être dit, mais je tiens à souligner que, selon moi, la position... Je ne peux pas parler au nom de l’Association du Barreau canadien, mais j’ai l’impression que le barreau a adopté cette position au fil du temps en raison d’une insatisfaction croissante relativement à la Cour d’appel fédérale. Dans la plupart des cas, il est probablement préférable de se retrouver devant la Cour de l’impôt, où l’on peut entendre des témoignages et contre-interroger des représentants de la Direction des organismes de bienfaisance qui ont pris les décisions. Parfois, le problème, c’est que le dossier contient uniquement les documents de la direction et que ceux-ci incluent seulement quelques paragraphes reprenant les dires d’un représentant de la Direction des organismes de bienfaisance, ce qui peut être très frustrant pour un organisme de bienfaisance.
Cela dit, je n’ai jamais été complètement convaincue qu’on réglerait ainsi le problème d’accès à la justice, si problème il y a, et c’est principalement parce que, si on commence à présenter des éléments de preuve, les frais juridiques peuvent augmenter rapidement. La Cour d’appel fédérale s’appuie, au moins, sur un dossier juridique assez restreint. Selon moi, c’est une question à laquelle il faut réfléchir un peu plus.
Le président : Vous avez parlé d’une définition standard d’organisme de bienfaisance. Ça me semble être une solution logique, mais, ensuite, vous avez parlé du gouvernement qui pourrait se mêler de choses comme le secteur de la presse écrite qui est en difficulté et décider que les journaux sont des organismes de bienfaisance.
Je travaille pour des organismes de bienfaisance depuis plus de 40 ans et je n’arrive absolument pas à comprendre de quelle façon le Toronto Star ou le Chronicle Herald de Halifax pourraient devenir des organismes de bienfaisance. J’écris déjà un chèque pour m’abonner au Chronicle Herald et je n’ai pas accès au contenu si je ne m’abonne pas. Même si je veux le lire en ligne, je ne peux pas y avoir accès si je ne m’y suis pas abonné.
Plusieurs d’entre vous ont mentionné le fait que le Parlement ou les politiciens pourraient participer à l’établissement de la définition. Puis, une situation comme les difficultés de la presse écrite se présente, et le gouvernement dit : « Pourquoi ne pas en faire des organismes de bienfaisance ». Ne croyez-vous pas qu’il devrait y avoir une limite aux caprices des politiciens au pouvoir qui disent : « Eh bien, faisons de telle ou telle organisation un organisme de bienfaisance »?
Mme Chan : C’est une excellente question. Je crois avoir deux choses à dire. Premièrement, la plupart des administrations qui ont adopté des définitions législatives d’organisme de bienfaisance se sont fondées sur leur common law — et il y a un ensemble complètement différent de questions qui se posent dans le cas du Québec, une province de droit civil, et que je n’ai même pas abordées —, et elles l’ont fait en s’appuyant sur leur tradition de common law.
En Angleterre, ils ont regardé les choses qui étaient considérées comme des organismes de bienfaisance en vertu de la common law, puis ils ont pensé sérieusement à tout cela et se sont demandé : « Y a-t-il autre chose qu’il faudrait ajouter à la liste? » Ils ont en effet ajouté certaines choses, mais les ajouts étaient modestes. Je crois que la vision, si nous décidons d’adopter une définition législative d’organisme de bienfaisance, devrait être une vision à long terme. En outre, elle devrait miser sur un ensemble de catégories qui sont assez stables, puis avoir une catégorie résiduelle au bout du compte — comme la plupart des administrations le font —, ce qui permet aux tribunaux de conserver un rôle en matière d’élaboration du droit par analogie, peut-être par analogie avec la catégorie législative. Si on regarde la Charities Act 2011 britannique, c’est essentiellement ce qu’ils ont fait. Selon moi, ce serait une façon de régler une partie du problème.
L’autre chose, c’est qu’il y a beaucoup de lois fiscales différentes dans d’autres administrations en vertu desquelles ce ne sont pas toutes les catégories d’organismes de bienfaisance qui ont droit aux mêmes déductions fiscales ou aux mêmes crédits d’impôt. Nous avons actuellement un système très uniforme, mais ce n’est pas la seule façon de faire. Par conséquent, rien ne nous empêche de fournir un soutien fiscal au journalisme sans but lucratif. Bien sûr, le Toronto Star, autant que je sache, n’est pas un organisme sans but lucratif. On parle donc non pas de chambouler le secteur du journalisme au complet, mais de prévoir un espace pour le journalisme sans but lucratif. On pourrait créer un incitatif fiscal spécialisé pour ce genre d’activités, qui serait distinct de la définition législative d’organisme de bienfaisance ou en constituerait une sous-catégorie précise.
Le président : Merci. J’ai choisi précisément le Toronto Star et le Chronicle Herald de Halifax parce que je sais que ce sont deux journaux rentables sous une forme ou une autre.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés.
Il s’agit de ma première réunion au sein du comité, alors vous m’excuserez si j’ai tiré certaines conclusions erronées.
Lorsque j’ai écouté vos exposés, j’ai constaté qu’il y a un parallèle vraiment étroit à établir avec ce que les Autochtones font par l’intermédiaire de leurs gouvernements. C’est presque comme si c’était tellement difficile de réunir les gens autour d’une table pour gérer efficacement le dossier. Lorsque je regarde les organismes de bienfaisance, je vois là un déterminant de la santé, de la vie et du soutien pour certaines populations. Beaucoup d’organismes de bienfaisance fournissent de la nourriture et offrent de la sécurité, un endroit où manger et dormir, de la sûreté, des liens sociaux... Et chaque fois qu’on réduit l’accès, c’est une forme d’oppression. Je regarde la façon dont les Premières Nations sont traitées et le fait qu’il y a des politiques publiques partisanes. Parfois, c’est le premier contact qu’ont les gens dans les domaines social et politique, comme pour les gens qui sont dans la rue, et tout cela a une très grande incidence sur leur vie. C’est la première occasion de leur donner une voix et de leur demander de participer à la vie politique canadienne. Mes notes partent dans tous les sens, désolée.
Le secteur des organismes de bienfaisance est devenu un processus tellement complexe et compliqué en raison des déterminants sociaux de la santé. C’est la raison pour laquelle les cloisonnements ne fonctionnent pas. Les organismes de bienfaisance fournissent énormément d’avantages aux enfants pris en charge — et il y en aura 11 000 au Manitoba seulement au cours des quatre prochaines années — et aux itinérants, et il s’agit là de la prestation de services dont on a grand besoin.
Quand je vois ce qui se passe et lorsqu’on pense à l’oppression, aux gens qui mettent fin à leur vie de façon prématurée ou si leur qualité de vie commence à diminuer... On appelle maintenant cela un « meurtre social ». Et on constate des cas de négligence institutionnalisée qui persistent parce que, selon moi, il y a un conflit d’intérêts découlant du fait que les gens se demandent : « Est-ce la Cour de l’impôt ou Revenu Canada? » Ils décident ce en quoi consiste un organisme de bienfaisance, puis ils prennent aussi l’argent, c’est vrai?
Le président : Qui aimerait essayer de répondre à cette question très compliquée?
La sénatrice McCallum : Je vais m’en tenir là. Vu le temps passé à lutter pour les enjeux de justice sociale et politique — et tous les services qui sont fournis —, si le statut d’organisme de bienfaisance devait disparaître, la situation des pauvres ne serait-elle pas pire? Et le crime n’augmenterait-il pas? Les gens doivent avoir une voie d’entrée dans la société, d’une façon ou d’une autre. J’ai visité certains des endroits où il y a des itinérants à Winnipeg et j’ai rencontré des gens qui s’occupent d’enfants pris en charge, et tous ces gens fournissent des services très nécessaires. J’ai l’impression qu’il y a un genre de diminution graduelle de la capacité des organismes de bienfaisance de faire leur travail.
Mme Chan : D’après ce que j’ai compris de vos commentaires, ma réponse serait que toutes ces choses comptent. C’est important lorsque la Cour d’appel fédérale dit que la prévention de la pauvreté, par exemple, n’est pas une fin de bienfaisance. C’est important pour un certain nombre de groupes diversifiés au Canada. C’est quelque chose que je dis depuis longtemps dans mon coin, dans mes cours, mais nous n’avons vraiment pas consacré suffisamment de temps et d’énergie à la réglementation du secteur, et je suis heureuse de voir que les choses semblent changer un peu. Cependant, ce sont là des enjeux juridiques difficiles, et les réponses ne sont pas faciles à trouver non plus.
J’ai lu que le Parlement anglais avait consacré un temps record à l’adoption de la Charities Act 2011; il n’avait pas passé autant de temps à débattre d’une loi devant le Parlement depuis de nombreuses années. Il n’y a pas de réponse facile, mais les réponses ont une incidence particulière sur les populations marginalisées, comme vous l’avez souligné.
Mme Lalande : L’un des points que nous tentions de soulever est que les collectivités savent ce dont elles ont besoin. Je pense que le comité a entendu auparavant des témoignages au sujet du Winnipeg Boldness Project, une initiative que vous connaissez très bien, j’en suis sûre. C’est un exemple de programme dans le cadre duquel le gouvernement et les bailleurs de fonds sont allés au-delà en s’adressant directement à la collectivité pour lui demander : « De quoi avez-vous besoin? »
Comment pouvons-nous créer un espace pour cette expérimentation et cette innovation visant à trouver des solutions à des problèmes complexes auxquels font face les utilisateurs du système? Quelles leçons pouvons-nous en tirer? À titre d’exemple, ils ont vérifié la façon dont les enfants d’une collectivité donnée pouvaient accéder au Bon d’études canadien, le programme fédéral. Et il serait peut-être possible d’améliorer les enseignements tirés de cette expérience et de les étendre à davantage de collectivités, d’un bout à l’autre du pays. Voilà qui illustre un rôle habilitant que le gouvernement fédéral pourrait jouer.
J’apprécie les commentaires que vous avez faits et je vous remercie encore de nous avoir permis de venir témoigner.
Le sénateur Duffy : Merci d’être venue ce soir.
La réglementation revêt une importance capitale pour de nombreuses questions, car elle touche une thématique très large. Madame Lalande, vous ai-je bien comprise lorsque vous avez dit qu’il ne devrait pas y avoir de ministre des organismes de bienfaisance au Canada?
Mme Lalande : Oui.
Le sénateur Duffy : Pourquoi?
Mme Lalande : Pour deux raisons : nous avons pensé que cela pourrait avoir un effet de cloisonnement sur les questions touchant le secteur et que, finalement, des changements politiques entraîneraient un risque accru à cet égard.
Le sénateur Duffy : Puis-je faire une suggestion? D’autres témoignages d’organismes de bienfaisance que nous avons entendus portent à croire que le nombre de donateurs diminue à mesure que la population de donateurs vieillit. Et il est à craindre que, dans peu de temps — nous parlons de cinq, sept ou dix ans —, les organismes de bienfaisance, qui ont déjà presque épuisé leurs ressources, auront réellement de la difficulté à fournir des services essentiels puisque la population de sans-abri, de personnes nécessiteuses et vulnérables grandit, et les dons sont en chute. Forcément, le revers de la médaille en ce qui concerne un ministre serait que le secteur a besoin d’un défenseur des intérêts, d’une personne se déplaçant d’un océan à l’autre, d’une personnalité jouissant d’une grande image publique pour tenter d’encourager une nouvelle génération à participer, et de quelqu’un qui pourrait diriger dans des domaines précis liés à la suppression de certains des obstacles dont vous parlez.
Mme Lalande : C’est un bon point. Dans nos recommandations, nous avons essayé de formuler sept recommandations qui, à notre avis, permettraient de mener à bien ce projet et de mettre en place un système qui pourrait durer dans le temps. Et nous pensons que le fait d’harmoniser notre recommandation et celle de la Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale relative à la création d’un bureau pour l’innovation sociale et la société civile, parallèlement aux autres recommandations, pourrait offrir des occasions de mobilisation, de consultation, de sensibilisation et d’intégration du secteur. Nous croyons que les problèmes auxquels le secteur est confronté sont assurément liés au financement, mais vont bien au-delà, et il convient de mettre en place un système capable de survivre à long terme.
Le sénateur Duffy : Madame Chan, les organismes de bienfaisance relèvent de la compétence provinciale en vertu de la Constitution et de la législation du Canada. À l’exception de l’Ontario et du Québec ou de la Colombie-Britannique, qui ont...
Mme Chan : Seulement l’Ontario, je pense.
Le sénateur Duffy : La plupart des autres provinces ont choisi de ne pas exercer leur compétence à l’égard des organismes de bienfaisance.
Lorsque les gouvernements provinciaux et le directeur parlementaire du budget nous disent qu’ils sont au bord de la faillite — la plupart des provinces —, comment pouvons-nous nous attendre à ce que les gouvernements provinciaux s’attaquent aux problèmes de la pauvreté et de l’itinérance ainsi qu’à tous les nombreux maux sociaux à traiter s’ils n’ont pas d’argent? Le problème ne consiste-t-il pas à tirer parti du gouvernement fédéral, lequel dispose au moins d’une base d’emprunt plus importante que les provinces, pour s’assurer que ces organismes ne soient pas à court d’argent?
De toute évidence, nous ne pouvons pas changer la Constitution pour faire de la bienfaisance une responsabilité nationale ou fédérale; c’est mission impossible. Comment pouvons-nous contourner cela afin que le gouvernement fédéral puisse s’en occuper? Je regarde ce qui s’est passé en Ontario avec le projet pilote du revenu annuel garanti. Mme Lalande a parlé de bacs à sable. À l’Île-du-Prince-Édouard, nous nous sommes enorgueillis, depuis Lester Pearson jusqu’à Pierre Trudeau et par la suite, d’être un laboratoire d’innovation sociale pour le gouvernement fédéral. Notre population compte 150 000 habitants; ils peuvent faire des choses et les étudier puis voir comment cela fonctionne. Franchement, nous espérions voir la mise à l’essai d’un RAG — revenu annuel garanti — à l’Île-du-Prince-Édouard, mais l’Ontario a plutôt pris les devants, et nous nous trouvons maintenant dans une situation où ce programme très futuriste, qui se fait attendre depuis longtemps, semble en péril. Nous sommes à la merci des politiciens, nous avons donc besoin de quelque chose qui permette de les superviser.
Mme Lalande : Je pense vraiment que, comme j’œuvre dans le secteur, nous avons besoin de plus de financement, mais le financement n’est pas la seule solution. Des travaux intéressants sont en cours en Alberta et en Saskatchewan, où ils sont confrontés au manque d’argent; nous avons des familles dont le soutien coûte de 5 millions à 7 millions de dollars par année. Nous devons donc être différents quant à la manière dont nous alignons tous les services et les soutiens, à la manière dont ils tirent parti du secteur social pour soutenir les résultats à long terme de ces familles, ce qui, parallèlement, signifie idéalement que les interventions sont plus efficaces et que, à terme, cela réduit les coûts.
Je pense qu’il s’agit à la fois de trouver de l’argent, mais également de mieux l’utiliser. Je pense que nous pourrons tirer plus tard de grands enseignements de certains de ces programmes en cours dans ces provinces.
Le sénateur Duffy : Mais vous parlez d’une famille en particulier qui a des problèmes particuliers. Pendant que la Saskatchewan est aux prises avec cette famille, pensez aux milliers de personnes âgées au pays qui doivent choisir entre leurs médicaments et leurs repas. Le problème est tellement gros. Nous devons traiter cela comme une crise.
Mme Chan : Permettez-moi d’intervenir. À propos du rôle et du financement des provinces, je pense que celles-ci pourraient faire beaucoup avec de très petits bureaux, deux ou trois avocats et quatre ou cinq employés pour superviser au moins l’administration des biens d’organismes de bienfaisance au sein de l’administration, car faire en sorte que vos organismes fonctionnent correctement et s’associent au gouvernement provincial doit coûter moins cher que si la province devait tout financer elle-même. Je pense qu’il est possible de faire certaines choses avec un nombre relativement restreint d’employés pour au moins se positionner un peu partout au niveau provincial afin que l’on puisse examiner ces questions. Actuellement, ce n’est même pas le cas dans certaines administrations.
La sénatrice Martin : Merci de vos exposés. Tout cela est très instructif; manifestement, vous avez des idées et possédez une expertise très importante dont nous devons tenir compte dans notre rapport.
Madame Chan, en tant que résidante de la Colombie-Britannique vous aussi, vous avez parcouru un long chemin pour venir ici. Je pensais à la complexité de tout le secteur des organismes de bienfaisance, notamment la paperasse et les règlements, pour les Canadiens, et, quand vous regardez certaines collectivités à caractère ethnique, je sais à quel point elles travaillent dur pour être autosuffisantes et avoir des organisations qui répondent réellement aux besoins de la collectivité. Je pense à une organisation qui a perdu son statut, il y a assez longtemps, et qui n’a même pas tenté de trouver une solution. Je pense que les responsables y voyaient là une montagne ou un obstacle insurmontable. Or, je ne sais pas par où commencer pour les aider, car je sais que cela coûte très cher.
Avez-vous des recherches ou avez-vous trouvé par hasard des recherches sur les défis que doivent relever certains de ces organismes de bienfaisance à caractère ethnique, en particulier en ce qui concerne la révocation de leur statut et les mesures qu’ils doivent prendre pour faire appel?
Mme Chan : Oui, merci. Il peut exister des recherches à ce sujet. Je ne les ai pas rédigées. J’ai travaillé avec certaines de ces collectivités et organisations lorsque je pratiquais encore et, oui, je dirais que tous les problèmes auxquels la plupart des organismes de bienfaisance enregistrés ou quelques-uns d’entre eux sont confrontés en ce qui concerne les exigences réglementaires ne sont exacerbés que lorsqu’il existe également des obstacles linguistiques, un manque de compréhension. Je pense qu’il est peut-être impossible d’éviter complètement certaines de ces difficultés, mais nous pouvons faire certaines choses visant à faciliter les exigences réglementaires et à réduire également, quelque peu, le pouvoir discrétionnaire exercé par l’ARC, par des moyens légaux, afin que les organisations ne se retrouvent pas face à autant d’incertitude quant aux conséquences qui pourraient en résulter, jusqu’à la révocation et la perte de tous leurs biens, si elles commettent une petite erreur. À l’heure actuelle, elles ne le savent pas. C’est donc très effrayant pour beaucoup d’organisations.
La sénatrice Martin : Au cours des dernières décennies, avons-nous quelque peu facilité la tâche des organisations plus petites et/ou à caractère ethnique de ce secteur? Si elles n’ont pas les moyens financiers, comment pourraient-elles combler cet écart? Que devons-nous faire du point de vue du gouvernement?
Mme Chan : Je pense que l’ARC a bien fait, entre autres, de rendre son site web plus facile à consulter afin que l’interprétation du contenu soit en langage clair. Je ne sais pas ce qu’il en est de la traduction. Mais il pourrait certainement être simplifié davantage. D’autres personnes seraient peut-être mieux placées que moi pour en parler, mais le problème que j’ai constaté et dont je pourrais parler, c’est qu’une fois que ces organisations ont établi une relation quelconque avec l’ARC, dans le sens où elles peuvent faire l’objet d’une vérification ou avoir des problèmes si elles ne produisent pas leur déclaration à temps ou encore si leurs reçus ne sont pas corrects, à ce moment-là, la situation devient très éprouvante et très coûteuse pour ces organisations. Une partie du problème tient au fait que l’ARC détient un pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, soit celui d’appliquer, au bout du compte, une pénalité pouvant aller jusqu’à la révocation pour toute violation de cette loi. L’agence est dotée d’une politique sur la façon dont elle le fait progressivement, mais ces organisations comptent sur la bienveillance réglementaire de l’ARC. Elles n’ont aucune garantie selon laquelle, si leurs reçus sont erronés, elles ne feront l’objet que d’une suspension, d’une lettre de conformité ou d’une mesure quelconque. Habituellement, l’ARC tente de fonctionner de cette façon, mais la loi elle-même n’offre aucune certitude quant aux conséquences éventuelles.
La sénatrice Omidvar : Je vais tenter d’être très efficace et de poser une seule question à laquelle je souhaite que vous puissiez tous répondre très brièvement, car vous avez toutes les deux une recommandation commune. Il s’agit de la proposition portant que la Cour canadienne de l’impôt soit désignée comme première instance d’un appel. Cela est plus logique; vous pourriez obtenir un processus décisionnel plus équitable, vous obtiendriez un dynamisme accru en common law, et cetera. Sénatrice depuis juste un peu plus de deux ans, j’ai appris à me renseigner au sujet de résultats imprévus. Il y a toujours des résultats imprévus, et en tant que législateurs, nous devons être au courant de tels résultats. Pouvez-vous faire valoir l’envers de la médaille? Quels sont les résultats imprévus de cette situation? Allons-nous avoir un arriéré devant la Cour de l’impôt, et cela coûtera-t-il terriblement cher?
Mme Chan : Selon moi, il est possible que la conséquence inattendue soit que cela coûte plus cher plutôt que moins cher.
Mme Cave : Une conséquence inattendue est que cela pourrait occasionner des perturbations supplémentaires à court terme, puisque ces questions sont traitées sous le régime de la common law, créer davantage d’incertitude et entraîner un examen plus approfondi de ces questions, mais il est vraiment temps de les examiner.
Mme Lalande : Je suis d’accord avec elles.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie toutes les trois d’être venues ce soir. Vous avez beaucoup ajouté à notre discussion et vous avez évoqué des idées auxquelles nous n’avions peut-être pas suffisamment prêté attention par le passé. Merci d’être ici. Nous l’apprécions.
Chers collègues, le comité entendra nos prochains témoins. Nous accueillons M. Bob Wyatt, directeur exécutif, Muttart Foundation, et M. Laird Hunter, président, Pemsel Foundation. Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître. Je pense que vous connaissez la routine : vous disposez tous les deux de cinq à sept minutes pour vos exposés, puis nous passerons aux questions de mes collègues. Nous allons essayer de nous en tenir à des questions et à des réponses brèves afin de favoriser le plus possible les échanges.
Monsieur Wyatt, vous êtes le premier.
Bob Wyatt, directeur exécutif, Muttart Foundation : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs, d’avoir invité la Muttart Foundation à comparaître devant vous ce soir. Je suis ravi de représenter notre conseil d’administration.
La question de la réglementation des organismes de bienfaisance est au cœur de notre programme visant à renforcer le secteur des organismes de bienfaisance depuis plus de deux décennies. Nous avons convoqué des réunions du gouvernement et du secteur, ainsi que des experts internationaux et des professionnels apparentés, dans le but d’en venir à une vision commune des questions de réglementation et de trouver ensemble des solutions. Nous avons soutenu et continuons de soutenir des organisations associées aux infrastructures du secteur des organismes de bienfaisance. Nous avons aidé à financer des interventions dans les deux derniers litiges liés aux organismes de bienfaisance devant la Cour suprême du Canada, car ils portaient sur des questions cruciales pour le secteur. En outre, nous avons passé de nombreuses années à plaider en faveur de la création d’un comité comme celui-ci, en raison de la réputation du Sénat pour ses rapports réfléchis, non partisans et qui peuvent tracer la voie pour les actions futures du gouvernement.
Je crois que vous avez tous eu accès à notre mémoire complet. Seules les recommandations ont été traduites et affichées sur le site web du comité, mais le texte intégral est également disponible sur notre site web. Je sais que l’on exige beaucoup de votre temps, mais je vous encourage à consulter le texte intégral. Nous proposons des commentaires dans plusieurs domaines, mais pas nécessairement des recommandations sur des questions qui ont été soulevées devant vous.
Nous avons abordé certains des éléments plus généraux dont le comité a entendu parler, mais notre mémoire cherche à se concentrer sur les domaines dans lesquels nous estimons qu’un changement immédiat peut et devrait être apporté. Pour ne pas dépasser le temps qui m’est alloué, je souhaite mettre l’accent sur trois points seulement, mais cela ne doit pas nuire aux autres parties du mémoire. Bien entendu, je serai heureux de commenter l’un ou l’autre de ces points, ce soir ou dans une correspondance ultérieure.
Certains ont peut-être été étonnés de constater que notre priorité ultime en matière de modification de la réglementation consiste à recommander que la Cour canadienne de l’impôt soit le premier tribunal à examiner les litiges liés à des organismes de bienfaisance. Il ne s’agit peut-être pas d’un changement qui fait la une des journaux, mais nous pensons qu’il pourrait être fondamental à la progression du droit des organismes de bienfaisance. Comme nous le soutenons dans notre mémoire, nous croyons qu’il n’est pas logique que pratiquement tous les différends mettant en cause l’ARC soient soumis à la Cour de l’impôt, un mécanisme d’appel peu coûteux et accessible, mais que les organisations à qui l’on a refusé un statut d’organisme de bienfaisance doivent amasser des dizaines de milliers de dollars afin de porter leur cas devant la Cour d’appel fédérale.
Je rappelle aux sénateurs que ce n’est que dans le cadre d’appels que nous découvrons quelles organisations se sont vu refuser le statut d’organisme de bienfaisance et pour quelles raisons. Il n’existe pas de liste des demandes refusées par l’ARC. Pourtant, sans mécanisme d’appel accessible, nous sommes privés de la possibilité d’une transparence accrue et du potentiel de faire progresser la common law.
Dans notre mémoire, nous soutenons que des questions comme la définition, les activités politiques et les activités commerciales pourraient faire l’objet d’un examen plus approfondi, avec des progrès possibles, si nous disposions d’une jurisprudence plus abondante. Les coûts de ce changement sont négligeables. Les possibilités d’avantages sont considérables.
Le deuxième point sur lequel nous voulons insister est une mise en garde au comité. Au cours des témoignages et dans les mémoires, vous avez été informés d’un certain nombre de pistes d’exploration possibles, notamment l’entreprise sociale, la finance sociale et l’innovation sociale. Comme le font valoir leurs défenseurs, certaines d’entre elles pourraient se révéler avantageuses pour les Canadiens, y compris certains organismes de bienfaisance.
Notre mise en garde est de ne pas superposer ces idées aux lois relatives aux organismes de bienfaisance. Certains de ces concepts concernent des organismes de bienfaisance, et d’autres non. Si le comité estime que certains d’entre eux méritent des avantages fiscaux spéciaux, la Loi de l’impôt sur le revenu laisse beaucoup de place à une telle disposition.
Nous croyons qu’il serait problématique de combiner des concepts sans une réflexion sérieuse. Permettre à une entreprise du secteur privé de se déclarer comme une entreprise sociale donnant droit à une aide fiscale est une chose; un organisme de bienfaisance en est une autre. Ils doivent être distincts. La variante crée une confusion encore plus grande dans une situation qui prête souvent à confusion, déjà.
Le dernier point que je voudrais aborder ce soir porte sur l’avenir, avec l’espoir que nous tirerons des leçons du passé. Il nous a fallu plus de 50 ans pour arriver à ce stade, où nous effectuons le premier examen complet des lois relatives aux organismes de bienfaisance. Le monde a beaucoup changé au cours de ce demi-siècle, mais pas les lois sur les organismes de bienfaisance. Il n’y a aucune raison de penser que le rythme du changement sociétal ralentira.
Comme nous l’avons mentionné dans notre mémoire, l’aimable indifférence ne nous a pas bien servis, et nous ne devrions pas permettre qu’elle se répète. Par conséquent, nous demanderions au comité de recommander un mécanisme d’examen officiel et régulier des lois relatives aux organismes de bienfaisance. Nous n’aurions pas dû attendre 50 ans pour que l’on procède à cet examen. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 50 ans pour le prochain.
Notre mémoire expose beaucoup plus de sujets que ce que je pourrais aborder ce soir, et je serais ravi de parler de l’un d’entre eux. Encore une fois, je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous et je vous souhaite bonne chance dans votre étude de problèmes complexes, dont la résolution est essentielle pour les Canadiens et les autres personnes servies par le secteur bénévole du Canada.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Wyatt. J’attire l’attention de mes collègues sur le fait que le mémoire mentionné par M. Wyatt est disponible. Il compte 55 pages et couvre de nombreux sujets. Nous passons maintenant à M. Hunter.
Laird Hunter, président, The Pemsel Foundation : Merci, monsieur le sénateur Mercer et madame la sénatrice Omidvar.
Sénateurs, bonsoir et merci, comme l’a dit mon collègue, d’avoir invité la Pemsel Foundation à comparaître devant le comité ce soir. Je suis honoré en tant que président de représenter la fondation.
La Pemsel Case Foundation favorise la connaissance et la compréhension du droit et de la réglementation des organismes de bienfaisance au moyen de la recherche, de l’éducation et, le cas échéant, de la comparution devant un tribunal. La fondation a été créée en 2010 et est elle-même un organisme de bienfaisance.
La fondation est nommée en l’honneur d’une affaire de 1891 à la Chambre des lords d’Angleterre, Commissioners for Special Purposes of the Income Tax Act v. Pemsel. Cette affaire a établi les quatre catégories principales de fins de bienfaisance selon la classification juridique en vigueur. Ses conclusions ont défini et continuent de définir de nombreuses caractéristiques de notre législation sur les organismes de bienfaisance dans le monde entier. Je vous recommande de consulter notre site web pour un bref aperçu de l’histoire et de la nature de ce domaine fascinant et essentiel du droit et de la société.
Le conseil d’administration de Pemsel et ses auteurs possèdent une expérience considérable du droit des organismes de bienfaisance et du droit fiscal. Les administrateurs ont acquis une longue et vaste expérience au Canada, aux États-Unis, en Angleterre et en Australie en tant qu’avocats en exercice dans le domaine de l’enregistrement des organismes de bienfaisance auprès du gouvernement et en tant qu’universitaires.
En ce qui concerne le mandat du comité, je voudrais me concentrer uniquement sur les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu du gouvernement fédéral.
L’objectif de la fondation concerne le droit des organismes de bienfaisance, qui est largement dominé par l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Pour un large éventail de raisons, la primauté de ces règles en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu domine le secteur des organismes de bienfaisance au Canada.
Nos suggestions se divisent en deux volets : un ensemble de suggestions immédiates et un ensemble de suggestions à long terme. Nous pensons que les deux amélioreraient l’effet de la présence fédérale sur le fonctionnement du secteur des organismes de bienfaisance au Canada. Mais je voulais revenir sur un point évoqué d’abord par Mme Chan puis par mon collègue, M. Wyatt.
À notre avis, la mise à jour législative et administrative de la Loi de l’impôt sur le revenu du gouvernement fédéral en ce qui concerne le traitement des organismes de bienfaisance est essentielle pour que les mesures visant à renforcer les dons et le bénévolat soient efficaces. Les règles de la LIR, les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu, sont importantes. Elles sont essentielles. Elles ne sont pas une priorité concurrente ou une considération indépendante; elles constituent le cadre sur lequel tout le reste repose. Dans la mesure où elles sont intégrées, efficientes et efficaces, les capacités du secteur et du gouvernement, des donateurs et des organismes philanthropiques s’inscrivent généralement dans le contexte de l’intégration et du fonctionnement de ces règles.
Selon Pemsel, le régime réglementaire actuel de la LIR est excessivement et inutilement complexe et, par conséquent, lourd et imprécis. Le but est la clarté et la certitude. Les dispositions limitent des approches novatrices visant à traiter d’enjeux contemporains, sociaux, économiques et culturels.
Plusieurs modifications apportées aux dispositions principales réduiraient considérablement le fardeau des organismes de bienfaisance en matière de conformité et les libéreraient; ils pourraient ainsi mieux contribuer à la qualité de vie des Canadiens. Nous pensons que cela pourrait être fait sans sacrifier le rôle de surveillance nécessaire du gouvernement lorsque des avantages fiscaux sont offerts.
Pemsel pense que ces modifications pourraient être apportées sans compromettre les garanties existantes en matière de dépenses fiscales. Un cadre législatif rationalisé contribuerait à simplifier le processus de conformité également pour la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC.
Comme je l’ai mentionné, notre mémoire porte sur des réformes immédiates et des questions qui exigent une étude plus approfondie. En ce qui concerne les réformes immédiates, nous recommandons les quatre approches suivantes qui, à notre avis, permettraient d’améliorer immédiatement le cadre réglementaire régissant les organismes de bienfaisance enregistrés.
Premièrement, nous croyons que les trois catégories d’organismes de bienfaisance enregistrés prévues par la loi — œuvre de bienfaisance, fondation publique et fondation privée — devraient être regroupées et classées en fonction de deux désignations, selon qu’il s’agisse d’une société à peu d’actionnaires ou d’une société à grand nombre d’actionnaires ou ouverte, avec le degré approprié de réglementation reposant principalement sur la nature de ces critères, qui précisent s’il y a peu d’actionnaires ou un grand nombre d’actionnaires.
Deuxièmement, il faut tenter de résoudre le casse-tête actuel des fins et des activités qui est propre à la Loi de l’impôt sur le revenu et où, pour des raisons d’ordre fiscal, certaines activités doivent et devraient être interdites, notamment certaines activités commerciales ou d’autres activités politiques ou partisanes. Ces interdictions devraient être explicitement et clairement définies quant à ce qui est acceptable et inacceptable, et il ne faut pas se fier à l’application déroutante d’un historique inapproprié en common law.
Troisièmement, des témoins et mon collègue, M. Wyatt, l’ont déjà signalé : nous croyons que les appels relatifs aux décisions touchant l’enregistrement et la révocation, ainsi que d’autres questions, devraient être portés devant la Cour de l’impôt. La présence du tribunal de façon continue est un renouveau au quotidien, dans certains cas, afin que les 50 années dont parle M. Wyatt ne se concrétisent pas. Le système de classification dans notre droit des organismes de bienfaisance est une façon de réfléchir à ce qui devrait constituer une œuvre de bienfaisance. Nous ne pouvons pas simplement le mettre à jour en le revoyant une fois toutes les x nombre d’années.
La quatrième tâche immédiate serait d’éliminer le libellé sur les propres activités des organismes de bienfaisance, qui est une introduction inappropriée dans la Loi de l’impôt sur le revenu, la LIR, et par conséquent, de remplacer les exigences relatives à la direction et au contrôle de la Direction des organismes de bienfaisance. Ce problème des activités, des fins et des propres activités peut être remplacé par une méthode de diligence raisonnable et de gestion du risque qui s’apparente davantage à des pratiques exemplaires dans toutes les sphères lorsqu’il s’agit de gérer des relations contractuelles. J’ajouterais que c’est un système qui fonctionne assez bien aux États-Unis et qui est bien compris par des partenaires du secteur caritatif de partout dans le monde.
En résumé, je dirais que ces quatre mesures ajoutent une clarté fort nécessaire, et donc, une certitude pour les organismes de bienfaisance et l’organisme de réglementation, et ce, à notre avis, avec peu de risques à l’égard de la qualité de la fonction de surveillance du gouvernement. Le fait de ne pas avoir accès à la cour de l’impôt est particulièrement problématique, je dirais. La LIR ne définit pas la common law. Certains de mes collègues avocats diraient que c’est impossible, que Pemsel, à tout le moins, a créé une classification et un mode de pensée par rapport à ce qu’est une activité de bienfaisance. Dans cette conception de la common law, les tribunaux ont habituellement joué le rôle de locomotive des organismes de bienfaisance; ils les tirent constamment dans des directions différentes.
Si on n’a pas de mécanisme facilement accessible pour faire avancer le droit, la stagnation s’installe, et elle s’est déjà installée.
Ce n’est ni le rôle ni le mandat de l’organisme de réglementation de décider, d’un point de vue administratif, si on devrait reconnaître de nouvelles fins.
On devrait étudier davantage trois autres aspects, des changements qui feront en sorte que le Canada sera bien placé pour relever les prochains défis, en plus de suivre le rythme des autres administrations et l’évolution des besoins sociétaux.
D’abord, on devrait examiner le sens attribué par la common law au terme « organisme de bienfaisance » afin de déterminer s’il faut adopter une loi pour en élargir la signification. Advenant son adoption, comment devrait-on formuler les choses? Mme Chan, un témoin précédent, a laissé entendre qu’il est nécessaire de réfléchir à la façon dont la loi devrait être structurée, de sorte qu’il y ait une catégorie résiduelle qui habiliterait les tribunaux à modifier de façon continue ce qui est considéré comme un organisme de bienfaisance à juste titre. Cela doit faire l’objet d’une réflexion approfondie.
Par exemple, il est nécessaire d’évaluer si certains types d’organismes de bienfaisance actuellement enregistrés, par exemple, des organisations visées par une réglementation sévère, comme des hôpitaux et des établissements d’enseignement postsecondaire, devraient être déplacés vers une autre catégorie. Et quel est le traitement fiscal approprié pour ces organismes et pour de nouveaux groupes, comme les entreprises sociales dont mon collègue M. Wyatt a parlé? N’existe-t-il pas de préférence, une préférence mobile, comme Mme Chan l’a laissé entendre, un statut de donataire reconnu ou une autre approche à laquelle on n’a pas pensé?
La quatrième recommandation, c’est que la réglementation et le traitement appropriés de ce qui est actuellement décrit à l’alinéa 149(1)l) ou des organisations à but non lucratif au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, et la différenciation entre ces groupes et les organismes de bienfaisance enregistrés devraient faire l’objet d’une étude approfondie. Comme M. Wyatt l’a dit, on doit continuer d’insister sur la nécessité de maintenir les distinctions entre les divers types d’acteurs non commerciaux. Une étude dans ce domaine devrait tenir compte de récentes discussions de l’entreprise sociale et de la façon dont ces entités s’apparentent peut-être à des organismes sans but lucratif, des OSBL, et à des organismes de bienfaisance enregistrés.
Notre mémoire donne des détails sur toutes nos recommandations. Ensemble, elles portent sur la prise en considération immédiate et à long terme de ces questions, afin d’adapter la loi à ce qu’un juge britannique distingué a judicieusement fait remarquer : « La loi sur les œuvres de bienfaisance est un objet en mouvement. »
À notre avis, vous êtes investis de la tâche cruciale et complexe de rendre les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu plus efficientes et efficaces. Comme je l’ai souligné au début, les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu touchant les organismes de bienfaisance sont essentielles et centrales. À bien des égards, elles sont la variable indépendante dans la formule. Elles ne sont pas une priorité concurrente ni une préoccupation indépendante. Elles forment le cadre, comme je l’ai dit, sur lequel repose tout le reste. Leur élaboration efficace est essentielle pour tous ceux qui sont si bien servis par le secteur bénévole du Canada.
Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous. J’espère pouvoir répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci. La première question revient à la sénatrice Omidvar.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux. Je tiens à vous remercier tous les deux de vos mémoires. C’est un sujet dense et complexe, et il est beaucoup plus facile de coucher les choses sur papier.
Monsieur Wyatt, les membres du groupe de témoins connaissent peut-être l’engagement profond de votre fondation dans ce domaine depuis plus de 20 ans, et le fait que nous soyons assis ici aujourd’hui pour en discuter, j’en suis sûre, n’est pas fortuit : c’est le fruit d’une partie du travail que vous avez fait. Je vous remercie de votre dévouement à l’égard de ce secteur important.
Dans votre mémoire, vous avez présenté 16 recommandations, et je suis surprise de constater qu’il n’y en a pas 36. J’aimerais savoir, d’après votre expérience de plus de 20 ans, quels sont certains des principes que vous avez appliqués dans le cadre de l’élaboration de ces 16 recommandations très précises et assez détaillées?
M. Wyatt : Merci, madame la sénatrice. Dans le mémoire complet, nous citons un de mes collègues, qui, en l’occurrence, est assis à côté de moi, et dont l’expression de longue date est : « Ça ne devrait pas être aussi difficile de faire le bien. » Et de nombreux organismes de bienfaisance estiment que ça l’est, et ce, pour diverses raisons, dont certaines viennent d’eux, et d’autres, des organismes de réglementation. Nos recommandations ont pour but d’aider à créer un environnement au sein duquel les organismes de bienfaisance peuvent fournir les avantages qu’ils souhaitent apporter, tout en protégeant le contribuable et le fisc. Il ne fait aucun doute qu’il y aura des escrocs pour profiter des organismes de bienfaisance. Nous l’avons vu dans le scandale entourant les abris fiscaux. Je ne veux pas revivre cela.
Je crois qu’un certain nombre des recommandations, même si elles ne sont pas radicales, en ce sens qu’elles ne présentent pas une toute nouvelle idée, vont simplement permettre aux organismes de bienfaisance de faire les choses qu’elles ont toujours voulu faire et qu’elles ont toujours faites. L’idée selon laquelle les organismes de bienfaisance n’ont pas innové au cours des 150 dernières années est, bien franchement, insultante. Il y a d’autres choses que nous pouvons faire, que nous voulons faire et que nous devrions essayer de faire. Donc, nos recommandations vont en ce sens.
Il y a 18 mois, j’ai parlé devant un groupe de sénateurs différent d’un sujet différent et de la raison d’être d’un comité comme celui-ci, et un de vos collègues m’a demandé si nous devrions retourner dans le passé. Vous verrez dans notre mémoire plusieurs mentions du rapport de la Table conjointe sur la réglementation, du Groupe d’experts indépendant, de l’accord ainsi que des codes de bonne conduite relatifs au financement et à la défense des intérêts. Ce sont des choses auxquelles on a bien réfléchi; elles sont aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque, et nous pourrions faire bien pire que d’adopter un certain nombre de ces choses.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Hunter, d’être avec nous aujourd’hui.
Nous avons beaucoup entendu parler au comité de la mosaïque de règlements que l’ARC semble avoir créé au fil du temps, ce qui s’est révélé très encombrant en ce qui concerne la microgestion des organismes de bienfaisance. Mais dans tout cela se cache une surprise. Il s’agit d’un comité qui se concentre sur les organismes de bienfaisance et les organisations à but non lucratif, et nous savons maintenant que, bien que les organismes de bienfaisance ne soient pas des organisations à but non lucratif, ce ne sont pas toutes les organisations à but non lucratif qui sont des organismes de bienfaisance. Nous savons également que les organisations à but non lucratif peuvent être enregistrées à l’échelon fédéral ou provincial et qu’il y a des lois provinciales très différentes selon la province où vous vous trouvez, et qu’il y a des lois fédérales. Vous avez en fait souligné quelque chose d’intéressant, c’est-à-dire que nous devrions envisager d’analyser les organisations à but non lucratif du point de vue des avantages pour la population plutôt que pour les membres.
Je crois savoir que la Colombie-Britannique a déjà adopté une loi à ce sujet et je me demande ceci : si nous formulons une proposition, et que la Colombie-Britannique et l’Ontario ont une législation, obtiendrons-nous quelques éclaircissements ou serons-nous encore plus confus?
M. Hunter : Je fais une distinction entre le traitement fiscal et le statut d’entreprise, et certaines des provinces ont apporté quelques modifications à leur taux d’imposition, mais la constitution de ce qui est un organisme de bienfaisance est surtout une responsabilité fédérale. La question des sociétés ouvertes à grand nombre d’actionnaires ou à petit nombre d’actionnaires est une considération d’entreprise, et vous pensez peut-être à la société ayant des retombées sur la collectivité en Colombie-Britannique. Je ne vois aucune raison pour laquelle ces règles ne pourraient et ne devraient pas être harmonisées, et, à mon avis, cela faciliterait les choses si la distinction entre les fondations publiques et privées s’inscrivait dans ce continuum. Oui, je crois que cela ajouterait de la clarté.
La sénatrice Omidvar : Seriez-vous d’accord pour que le comité examine l’information que les organisations à but non lucratif doivent fournir lorsqu’elles produisent leur déclaration annuelle, en élargissant les questions? Parce que, en ce moment, c’est très minime, par rapport à ce que nous demandons aux organismes de bienfaisance.
M. Hunter : Eh bien, comme les sénateurs l’ont sans aucun doute entendu dire au sujet de la taille du secteur à but non lucratif, contrairement à celle du secteur des organismes de bienfaisance, il y a environ 85 000 organismes de bienfaisance enregistrés. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs du nombre d’organisations à but non lucratif; ce pourrait être 200 000 ou 250 000. Lorsque nos collègues australiens ont fait une analyse, ils en ont découvert près de 800 000.
Est-ce que je crois qu’elles devraient avoir plus d’information? Je vais répondre à la manière des avocats : peut-être. Le problème, c’est que, si on répond à cette question, on fait les choses à l’envers. Je crois que vous devez d’abord répondre à la question suivante : où les organisations à but non lucratif se situent-elles par rapport aux organismes de bienfaisance? Et du point de vue des politiques publiques, que font-elles de différent, et cela devrait-il être soutenu ou non au moyen d’un avantage fiscal, si on présume que c’est différent de ce que font les organismes de bienfaisance? Comme Mme Chan l’a dit, en fonction de toute la gamme des entités recevant un traitement fiscal préférentiel, une possibilité, c’est que certaines d’entre elles aient un taux d’imposition différent. Mais cela veut dire qu’il y a des lignes, et vous devez d’abord décider quelle est la ligne entre les organismes de bienfaisance, les organisations à but non lucratif, les organisations qui offrent des avantages sociaux et les journaux qui cherchent à obtenir le statut d’organisation à but non lucratif afin de recevoir un certain avantage. Et une fois que c’est fait, vous aurez tout ce qu’il vous faut pour savoir combien de questions on devrait poser sur certaines des déclarations.
Le président : J’aimerais revenir à une chose que l’un d’entre vous a dite dans son exposé, le point de vue selon lequel le secteur n’avait pas vu d’innovation depuis 50 ans ou plus. L’innovation se produit aujourd’hui. Elle se produira demain. Peu importe ce que nous recommandons dans notre rapport, il sera difficile pour les gouvernements de suivre le rythme, parce que l’innovation continuera de se produire et qu’elle se produit très rapidement.
À votre avis, comment pourrions-nous gérer cela? Si nous voulons que le gouvernement apporte certains changements, reconnaisse l’innovation et s’assure que nous puissions suivre le rythme de l’innovation — et, ou bien s’écarter du chemin sans proposer de règlements ou bien proposer des règlements afin de protéger les contribuables canadiens — comment pouvons-nous le faire?
M. Wyatt : Si je le savais, je serais probablement membre du comité.
Le président : Il nous reste beaucoup de sièges, et je crois comprendre que tout ce que vous devez faire, c’est postuler.
M. Wyatt : La deuxième partie est ce qui pose problème.
Une partie du problème tient au fait de réglementer les choses au besoin, mais de ne pas nécessairement le faire. On a longtemps adopté, pas seulement dans ce domaine, mais assurément dans ce domaine, le pire scénario où on essayait de se protéger contre le 1 p. 100 de la population qui allait chercher à causer des préjudices ou à commettre une fraude. Et nous avons imposé un fardeau administratif aux 99 p. 100 de la population.
Je crois que nous devons renverser les choses. Je comprends tout à fait que le ministère des Finances s’inquiète de la façon dont une personne va contourner une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est ce qu’il est censé faire. Là où je m’oppose, c’est la mesure dans laquelle vous devez légiférer par rapport à cela. Un certain nombre de choses peuvent être faites au moyen de directives administratives. La suggestion des bacs à sable réglementaires présentée par le groupe de témoins précédents du Mowat Centre et son adoption par le Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale est un concept intéressant dans le domaine des œuvres de bienfaisance et présente un certain potentiel. On l’a mise à l’essai dans quelques autres lieux sous des formes différentes.
Des choses peuvent être faites. Je pense que nous pouvons adopter le point de vue de mon collègue, M. Hunter, soit décider ce que vous voulez absolument interdire et le décrire clairement. Puis, il ne faut pas laisser les gens le faire. Autrement, tenez-vous à l’écart et laissez les organismes de bienfaisance faire ce qu’ils doivent faire.
Certaines des suggestions, où un donateur de fonds de bienfaisance reçoit un crédit fiscal qui est accordé à des organisations non caritatives — et nous l’avons fait valoir dans notre mémoire — pourraient causer des préjudices. Il nous faut faire preuve de prudence pour ce qui est de savoir jusqu’où nous voulons aller, mais les règles qui s’appliquent maintenant, même lorsqu’un organisme de bienfaisance travaille avec une organisation à but non lucratif ou avec un organisme de bienfaisance dans un autre pays, sont inutilement encombrantes. Et nous suggérons que ces règles soient changées.
Le président : Comment le feriez-vous sans mettre en péril d’autres organismes de bienfaisance, en disant que vous autorisez un organisme de bienfaisance à travailler avec une organisation à but lucratif ou avec une autre organisation à but non lucratif? Cela peut entraîner une myriade de complications qui peuvent, dans une certaine mesure, être manipulées par certaines personnes, d’une façon contraire au bien commun.
M. Wyatt : Je ne veux pas pratiquer le droit — la Law Society of Alberta a un problème réel avec cela —, mais je vous dirais que les organismes de bienfaisance travaillent chaque jour avec des organisations du secteur privé. Nous avons conclu des contrats de service avec toutes sortes de fournisseurs du secteur privé. Et nous exerçons la diligence raisonnable dont M. Hunter a parlé. Nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’aux règles de direction et de contrôle qui existent maintenant. Nous n’avons pas besoin de dire à ces entreprises du secteur privé : « Vous devez garder votre argent dans un compte bancaire distinct et nous envoyer les états de compte chaque mois. Vous devez nous envoyer les chèques annulés. » Je ne sais pas pour vous, mais je ne vois plus de chèques annulés; je reçois une photo de ces chèques dans un état de compte, mais en fait, vous devez maintenant payer des frais supplémentaires pour recevoir le chèque annulé. Toutefois un organisme de bienfaisance qui fait l’objet d’une vérification devrait les produire.
Un organisme de bienfaisance qui travaille avec une organisation à l’étranger devrait les obtenir auprès du partenaire à l’étranger, nonobstant le fait qu’Affaires mondiales Canada a dit que nous devons mettre fin au paternalisme lorsque nous traitons avec des organismes de bienfaisance dans d’autres pays.
Je crois que nous avons des règles qui, à une certaine époque, ont peut-être été prudentes ou avaient été établies en réaction à une fraude, à une arnaque ou à un scandale. Dans mes cours de politiques publiques, je dis à mes élèves que, lorsqu’un scandale éclate, le gouvernement ne réagit jamais, il réagit toujours de façon excessive. Certaines des choses que nous voyons dans la Loi de l’impôt sur le revenu qui traitent des organismes de bienfaisance sont le résultat de choses qui ont mal tourné.
Dans notre mémoire, une des choses dont nous parlons, ce sont les règles sur les particuliers non admissibles liées aux promoteurs d’abris fiscaux. C’est une chose que nous avons mal faite, et nous avons suggéré au comité qu’il recommande qu’on y apporte des changements.
Une personne de 18 ans qui a volé une tablette de chocolat et s’est fait prendre ne peut jamais, à vie, occuper le poste de directeur ou de cadre supérieur d’un organisme de bienfaisance sans demander un pardon ou une suspension du casier. Quelqu’un qui a exploité un abri fiscal et qui a entraîné des pertes de revenus de milliards de dollars et les centaines de milliers de vérifications des contribuables que l’ARC a dû mener est banni pour un maximum de cinq ans. Quelque part, nous avons tout compris de travers.
Le président : Merci. C’est un bon point.
Le sénateur Duffy : Merci à vous deux d’être venus.
Un de mes chevaux de bataille, comme vous l’avez dit plus tôt, c’est de trouver quelqu’un pour défendre les intérêts des organismes de bienfaisance auprès du gouvernement, que ce soit un ministre ou un fonctionnaire du Parlement. Un haut fonctionnaire retraité m’a dit que ce que nous devons vraiment faire, c’est transformer ce projet pour le faire passer d’un projet où on perçoit des taxes et on conserve les cents à un projet où on crée un organisme de service spécial dont le mandat est non seulement de gérer les règles, mais aussi essentiellement de défricher le terrain de façon quotidienne pour faire de ce secteur un secteur dynamique, stimulant et en constante évolution.
Comme vous y avez fait allusion dans votre exposé, tenez-vous à l’écart. Les organismes de bienfaisance vont innover. Nous le voyons dans l’ensemble de notre société. Et j’ai l’impression que nous avons besoin d’une personne qui coiffe le tout, qui peut incarner cela et aller d’un océan à l’autre, encourager les gens à donner et à participer et recueillir les commentaires — du genre de ceux que vous nous fournissez ce soir — pour que nous puissions en faire un processus continu, pas quelque chose que nous faisons tous les 20 ans.
Qu’en pensez-vous?
M. Hunter : Je vais vous donner une autre réponse — une autre réponse d’avocat, peut-être.
Je pense que vous êtes sur une bonne piste lorsque vous parlez d’innovation, mais je dis souvent aux gens qu’il y a en réalité deux types d’innovation. Fait assez intéressant, l’innovation témoigne de la relation entre le gouvernement et la fonction publique.
Il y a un type d’innovation qu’on appelle souvent entrepreneuriat, c’est-à-dire la grande innovation. Ce que nous ne reconnaissons pas comme étant aussi important que l’innovation entrepreneuriale, où on définit les grands détails et trace les grands portraits, c’est l’innovation durable. À un certain moment, nous avons besoin des défenseurs des droits, mais il nous faut aussi des travailleurs acharnés, des gens bien inspirés qui travaillent chaque jour dans le menu détail, parce que tout se joue dans les détails. C’est la même chose pour le salut. Nous n’innovons pas en permettant à des organisations de mettre pleinement en œuvre l’innovation entrepreneuriale.
Ce sont les organismes de bienfaisance sur le terrain, monsieur Mercer, auprès desquels vous avez travaillé, qui doivent faire face aux détails. Ils ont besoin d’un espace pour le faire. C’est l’aspect rafraîchissant de la législation, par rapport à laquelle vous avez un important rôle d’examen, mais une fois que c’est fait, l’innovation quant à la façon de mettre en œuvre ce qui est autorisé devient très importante.
Mme Chan a rédigé un ensemble très intéressant d’articles sur sa conception de l’équité et du rôle de cette fonction dans le secteur caritatif. Elle soulève un point captivant : les avocats ont souvent parlé du droit public et du droit privé. Lorsque j’étudiais au Barreau, on disait en droit privé que, à moins que ce soit interdit, c’est permis. Le droit public dit tout à fait le contraire : à moins que ça soit prévu de façon positive, cela n’existe pas.
Le droit caritatif chevauche ces deux droits. Nous devons découvrir en quoi consiste la fonction du droit public et celle du droit privé. Je dirais que la fonction du droit public est d’interdire des choses sur le plan des politiques publiques lorsqu’elles doivent être interdites, et la fonction du droit privé est de « se tenir à l’écart ». Dites ce qu’on ne peut pas faire, autorisez un ensemble de règles qui décrivent cela, puis prévoyez des recours et des sanctions lorsque des choses qui ne devraient pas être faites sont faites; enfin, facilitez le changement qui donne suite à ces mesures.
Permettez aux organismes de bienfaisance d’envoyer leurs chèques non existants non pas au moyen de direction, de contrôle et de menottes très serrées, mais faites ce que nos amis américains ont fait : introduisez un rôle de gestion positive du risque qui s’adapte aux circonstances. Ainsi, une subvention de 5 000 $ nécessite un niveau de surveillance beaucoup moins élevé qu’un don de 50 millions de dollars. C’est pareil à ce que vous faites dans votre famille. Si vous remplacez un fauteuil dans le salon, vous passerez un peu de temps à faire des recherches dans Protégez-vous. Si vous vous trompez, vous gaspillez 100 $. Vous consacrez beaucoup plus d’efforts à décorer votre nouvelle maison et à acheter votre nouvelle voiture. Vous adoptez une approche de gestion du risque qui est proportionnelle au problème.
Faites en sorte que cela se produise, pour que les organismes de bienfaisance puissent innover au quotidien.
Le dernier point que j’aimerais soulever, c’est qu’un effort vraiment essentiel, comme le sénateur l’a dit, tient à la défense des intérêts, mais celle-ci doit se faire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du gouvernement. Elle doit aussi se faire à l’intérieur du système juridique. Mme Chan a dit que vous devez introduire un élément continu d’équité lorsque vous examinez le droit. Le système de l’équité tel qu’il était prévu dans la Cour de la chancellerie, comme elle l’a dit, comportait une position par défaut, soit l’aspect caritatif. Nous avons un système qui est parfaitement sensé au sein d’un système de droit public qui interdit, parce qu’il n’autorise pas, qui force les petits organismes de bienfaisance à se conformer aux règles les plus détaillées. Nous devrions changer cela. Nous devrions reconnaître que l’innovation qui découle de ces organismes de bienfaisance est faite au profit de tous les Canadiens et que le risque de ne pas les autoriser à faire des choses est de loin contrebalancé par le risque de les autoriser à essayer. C’est un système parfaitement sensé, conforme aux dispositions sur l’équité.
Le président : Je vais permettre au sénateur Duffy de poser une petite question, mais toute cette discussion confirme, monsieur Duffy, pourquoi vous et moi n’avons pas étudié le droit.
Le sénateur Duffy : Pour ceux d’entre nous qui n’ont pas étudié le droit, j’aimerais recommander le livre de 1992 de Ted Gaebler, Reinventing Government. Presque tout ce que vous nous avez dit ce soir se trouve dans ce livre. Le fait de laisser les gens gérer, l’évolutivité. Pas besoin d’avoir inventé le bouchon à quatre trous, comme dirait Jean Perron. Ce livre est paru en 1992. Ça a fait du bruit. Al Gore était tout excité! Maintenant, nous sommes toujours ici, et le gouvernement fonctionne toujours de la même façon.
Cela nous ramène à l’agent du changement : comment pouvons-nous convaincre les gens de se débarrasser d’une partie de cela?
M. Wyatt : Encore une fois, je vais retourner vers le futur. Vous avez entendu la sénatrice Lankin dire que, à la suite du rapport du Groupe d’experts indépendant sur les subventions et les contributions, un centre d’excellence a été créé au sein du Conseil du Trésor. Il explorait un certain nombre de domaines liés au versement des subventions et des contributions et la relation entre les ministères et les organisations du secteur. C’était très prometteur. Puis, l’intérêt qu’on lui portait a diminué, et il est disparu.
À mon avis, que ce soit un ministre ou un secrétariat, cela doit faire partie d’un organisme central. Nous avons fait valoir qu’il devrait faire partie du BCP, parce qu’il doit avoir le sérieux du Cabinet du premier ministre du jour.
Ce sur quoi je voulais insister, c’est que ça ne peut servir d’excuse aux ministères pour ne pas établir de relations avec leurs intervenants dans le secteur bénévole et le secteur à but non lucratif. Ce n’est pas une position par défaut. Cela ne veut pas dire qu’ils peuvent faire abstraction de ces organisations. Très peu de ministères au gouvernement, s’il en est, n’entretiennent pas de relations continues avec des organismes de bienfaisance ou des organisations à but non lucratif. Ces choses doivent être renforcées de façon continue, mais un organisme central le permettra.
Le fait qu’un ministre encourage le versement de dons partout au pays me préoccupe un peu. Je ne suis pas sûr que le commissaire à l’éthique n’y voie pas de problème. Et s’il y a un changement de gouvernement, va-t-il suggérer de faire des dons à des types d’organismes de bienfaisance différents?
Le secteur pourrait faire des choses avec le gouvernement pour sensibiliser le public et tenir des campagnes publiques. Nous n’avons pas bien fait les choses avec le super crédit pour premier don de bienfaisance. En travaillant un peu plus, nous pourrions y arriver.
La sénatrice Seidman : Merci de vos exposés.
Si je peux me permettre, monsieur Wyatt, dans le résumé des recommandations de votre mémoire, il y en a plusieurs qui me sautent aux yeux. J’aimerais vous interroger au sujet d’une recommandation qui pourrait paraître assez préoccupante pour certaines personnes. Vous savez peut-être déjà ce que je vais vous demander. Vous avez recommandé l’inclusion au sein de la Loi de l’impôt sur le revenu d’une disposition qui permettrait à un organisme de bienfaisance d’avoir un objectif politique.
Pourriez-vous m’aider ici? Pourquoi voudriez-vous recommander cela et qu’est-ce que cela veut dire?
M. Wyatt : Encore une fois, j’essaie de ne pas pratiquer le droit. Je vais vous exposer ma compréhension, en tant que profane, et M. Hunter pourra me dire en quoi j’ai eu tort.
En ce moment, toute donnée probante qui donne à penser qu’un organisme de bienfaisance a un objectif politique de quelque sorte que ce soit, à l’appui ou non de fins autrement caritatives, l’empêche absolument de devenir un organisme de bienfaisance. Comme on l’a souligné dans l’affaire Canada Without Poverty, dans certains cas, la nature même du don qui doit être versé exige une défense des intérêts. Voilà un autre exemple où le libellé compte. Ce n’est pas tout ce qu’on fait comme défense des intérêts qui est une activité politique aux fins du droit des organismes de bienfaisance. Vous avez entendu un certain nombre de personnes le dire. Beaucoup de personnes, y compris certains tribunaux, ne semblent pas encore avoir saisi la différence.
On a laissé entendre que, en Nouvelle-Zélande, on a contourné le problème en disant que, si vous avez un motif caritatif, mais que vous devez parfois faire du travail de défense des intérêts ou mener des activités politiques, mais que c’est accessoire à ce motif caritatif, ça ne pose pas de problème.
La raison pour laquelle nous le recommandons, c’est que la règle actuelle selon laquelle les activités ne peuvent jamais atteindre le niveau d’objectif politique, est, à tout le moins, vague. Donc, si la Muttart Foundation encourage des changements dans la loi d’un autre pays, à quel moment nos activités atteignent-elles un tel niveau qu’elles deviennent un objectif? Nous allons finir par nous retrouver avec toutes sortes de litiges sur cette question, ce dont nous n’avons vraiment pas besoin.
Donc, ce qu’on a dit, c’est que si vous menez une activité politique légère — en comprenant ce qu’est l’activité politique et qu’elle est toujours non partisane —, le monde ne va pas arrêter abruptement de tourner. C’est ce que les organismes de bienfaisance ont fait. Nous avons toujours participé au travail de politiques publiques, et nous devrions le faire.
Le président : J’ai raconté au comité, il y a quelques réunions de cela, une histoire qui s’est passée à l’époque où j’étais directeur général de la Fondation canadienne du rein, en Nouvelle-Écosse. À l’époque, en Nouvelle-Écosse, la carte de don d’organes n’était pas jointe à notre permis de conduire. Par l’entremise des bénévoles de la fondation du rein, nous avons mené ce que j’estimerais être une campagne politique; nous nous sommes mis en tête de convaincre le gouvernement du jour de changer cela, et c’est ce qu’il a fait. Comme je l’ai raconté, c’était un de mes collègues conservateurs au Sénat, qui était alors ministre en Nouvelle-Écosse, qui a apporté le changement. Plus ça change...
M. Wyatt : Et en réalité, monsieur le sénateur — si je peux vous interrompre un instant —, ce n’est pas une activité politique.
Le président : On ne le croirait pas, mais certaines personnes interpréteraient cela comme une activité politique.
M. Wyatt : D’accord.
La sénatrice Seidman : Certains diraient que le fait d’autoriser un organisme de bienfaisance à avoir un objectif politique, ce genre de langage, qui est le langage que vous utilisez ici, serait préoccupant, parce que cela ouvrirait peut-être la porte à des sources de participation étrangères.
M. Wyatt : Et la réponse à cela, madame la sénatrice, que nous avons fournie dans notre mémoire, est double. D’abord, le fait pour des organismes de bienfaisance et des organisations à but non lucratif de recevoir de l’argent de l’extérieur du Canada remonte au début du Canada et existait avant sa création. En fait, nous recevons quelque 2 milliards de dollars par année, juste les organismes de bienfaisance enregistrés.
La préoccupation que j’ai exprimée au comité et ailleurs, c’est que cela va en quelque sorte supposer qu’on cherche à influencer les élections. Nous sommes d’avis que ça relève du droit électoral, pas du droit applicable aux organismes de bienfaisance.
L’essentiel de la préoccupation a trait à des choses qui feraient révoquer le statut de n’importe quel organisme de bienfaisance en ce moment, parce qu’elles seraient partisanes. C’est le fait de traiter avec des organisations à but non lucratif, et, comme nous l’avons dit dans notre mémoire complet, si vous décidez de vous occuper de tout le secteur des organisations à but non lucratif, tout ce que nous pouvons faire, c’est vous souhaiter bonne chance et vous demander de produire d’abord le reste de votre rapport. Nous n’avons jamais été en mesure de le faire au Canada, et ce, pour diverses raisons, et le reste d’entre nous a très hâte que vous découvriez comment le faire.
La sénatrice Seidman : Je suis certaine que c’est très clair maintenant. Bien sûr.
La sénatrice Omidvar : J’ai deux questions : une par rapport au groupe de témoins précédent, et l’autre, qui découle des commentaires que vous venez de formuler, monsieur Wyatt, au sujet du langage.
Je crois qu’une grande partie de cette confusion au sujet des activités politiques découle de l’utilisation du mot « politique ». Le comité devrait-il recommander de changer la loi et les règlements, ce qui est plus facile, pour remplacer activités politiques par défense des intérêts publics non partisans?
M. Wyatt : Si vous choisissez d’autoriser cela, qu’allez-vous interdire?
La sénatrice Omidvar : Les activités politiques partisanes.
M. Wyatt : Mais vous vous retrouvez encore à utiliser les mots « activité politique », et qu’est-ce qu’une activité politique? Si je passe une journée à vous parler du travail du comité, j’ai participé à une activité caritative, pas à une activité politique.
La sénatrice Omidvar : Je comprends, oui.
M. Wyatt : On pourrait dire que j’ai participé à du lobbyisme, mais c’est une autre boîte de Pandore que je préférerais ne pas ouvrir maintenant.
Si je fais une manifestation sur la Colline, je participe à une activité politique. Si vous pouvez trouver un terme qui serait plus facile à comprendre, oui, je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice, les termes « défense des intérêts », « activité politique » et « lobbyisme » ont tous été regroupés, et personne ne comprend ce qu’ils désignent. En partie, cela tient au fait que l’ARC doit fournir une meilleure orientation, et aussi que le secteur a besoin de s’éduquer. Ce n’est pas juste une question qui touche le gouvernement. Le secteur travaille avec l’ARC et, de lui-même, il pourrait faire un bien meilleur travail pour ce qui est de renseigner les organismes de bienfaisance au sujet des règles, de ce qui est permis et de ce qui doit être déclaré.
Dans notre mémoire, nous soulignons que la discussion au sujet d’une action sociale ne peut être démontrée par des données probantes objectives. Tout au long de la période écoulée depuis l’an 2000, le nombre d’organismes de bienfaisance qui ont déclaré toute participation à des activités politiques n’a jamais excédé 1 p. 100 de la population des organismes de bienfaisance. Et il n’y a pas là beaucoup de gens qui font des choses. Ils mènent des activités caritatives qui peuvent supposer qu’ils dialoguent avec des politiciens. C’est différent d’une activité politique.
La sénatrice Omidvar : Nous le comprenons. Ma dernière question concerne encore une fois le groupe de témoins précédent. Je me demande si l’un de vous ou tous les deux vous pourriez dire quelque chose sur le potentiel d’un comité permanent de la Chambre des communes ou du Sénat concernant le troisième secteur. Je pense que le comité tire son origine d’un rapport dans lequel Roger Gibbins, de la Canada West Foundation, a chargé le Sénat d’entreprendre ce travail.
Avez-vous quelque chose à dire par rapport au fait de l’amener au-delà du gouvernement jusqu’aux structures politiques sur la Colline?
M. Wyatt : Avec tout le respect que je dois à Roger Gibbins, il est arrivé environ 15 ans en retard à la fête. Vous vous souviendrez que Gordon Floyd et moi avons soulevé la question d’un comité sénatorial en 1996. Nous sommes reconnaissants d’être maintenant arrivés jusqu’ici.
Je crois qu’il doit y avoir une mission régulière, que ce soit pour un comité existant ou un comité permanent. Nous avons recommandé dans notre rapport qu’un examen soit fait tous les 5 à 10 ans. La Loi sur les banques fait l’objet d’un examen législatif tous les 10 ans. Il n’y a absolument aucune raison pour que les dispositions touchant les organismes de bienfaisance ne soient pas examinées à la même fréquence, à tout le moins.
Le président : Merci, messieurs, à vous deux. J’ai blagué avec le sénateur Duffy par rapport au fait que lui et moi n’avons pas étudié le droit, mais nous avons appris aujourd’hui quelques astuces de droit importantes, et que la réponse favorite d’un avocat est « peut-être ». Mais, monsieur Wyatt, vous en avez présenté une autre : la réglementation est nécessaire, mais pas nécessairement la réglementation. Nous avons essayé de bien cerner certains des clichés ici.
Messieurs, merci beaucoup. Comme vous pouvez en déduire de l’échange, celui-ci a été très intéressant. Nous vous en remercions. J’aimerais dire que je suis reconnaissant du travail que les fondations font dans la collectivité et dans le secteur. Je sais que la Muttart Foundation fait du travail extraordinaire dans le secteur et qu’elle l’appuie. Je sais aussi que bon nombre de mes anciens collègues, quand j’étais actif dans le secteur, ont toujours été reconnaissants de votre soutien et continuent de le l’être. Merci, mesdames et messieurs.
(La séance est levée.)