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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 10 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 13 heures pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, et bienvenue à notre réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta.

La présidente : J’aimerais également en profiter pour remercier notre personnel de la Bibliothèque du Parlement, ainsi que les sténographes et les interprètes qui travaillent fort en coulisse.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons, de l’Alberta Urban Municipalities Association, Barry Morishita, président et maire de Brooks, et Dan Rude, chef de la direction. De la Chambre de commerce de l’Alberta, nous accueillons Chris Dugan, ancien président du conseil exécutif.

Nous entendrons d’abord vos déclarations de cinq minutes, et nous passerons ensuite aux questions.

Barry Morishita, président et maire de Brooks, Alberta Urban Municipalities Association : J’aimerais d’abord reconnaître que nous sommes sur le territoire du Traité no 8 et sur le territoire non cédé de la nation métisse.

Au nom de l’Alberta Urban Municipalities Association et de nos municipalités membres, je tiens à remercier chaleureusement le comité sénatorial de s’être déplacé à l’autre bout du pays pour organiser des réunions en Alberta et entendre nos préoccupations. Après tout, nous étudions un projet de loi qui vise à rétablir la confiance envers ce qui est possiblement le processus d’approbation le plus important au Canada. Les efforts de votre comité sénatorial pour veiller à ce que les préoccupations des Canadiens d’un bout à l’autre du pays soient entendues et mènent à la prise de mesures appropriées ne passent pas inaperçus. Les membres de l’AUMA vous sont reconnaissants.

Le projet de loi C-69 est un projet de loi important qui doit faire l’objet d’un examen sérieux, car dans sa forme actuelle, sa mise en œuvre aura de grandes répercussions négatives sur l’Alberta et sur l’ensemble du pays. Nous vous sommes reconnaissants de nous donner l’occasion de vous parler des répercussions qu’aura le projet de loi C-69 sur les gouvernements municipaux et de vous communiquer nos recommandations aujourd’hui.

L’AUMA représente 267 villes, villages, villages d’été et municipalités spécialisées de l’Alberta. Nous sommes des experts en matière d’affaires municipales, et notre organisme travaille, à titre de partenaire collaboratif, avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour veiller à ce que les politiques et les programmes répondent aux besoins à l’échelle locale.

Pour commencer, je me concentrerai sur les modifications proposées à la Loi sur la protection de la navigation. Notre principale préoccupation concerne les modifications proposées qui exigeraient que les petits projets soient soumis à un examen fédéral. Cette exigence a été éliminée par l’entremise de modifications apportées aux lois de 2009 et de 2012, afin d’aider à répondre aux préoccupations des municipalités à l’égard des examens fédéraux visant les petits projets. En effet, ces examens causaient des retards importants et entraînaient des coûts inutiles.

Cela a également une incidence sur les municipalités qui doivent se conformer aux exigences strictes en matière d’échéances qui accompagnent les subventions fédérales et provinciales. Cela aura également une incidence sur la capacité des municipalités d’avoir accès à de futures subventions pour l’infrastructure, ce qu’aucun d’entre nous ne peut se permettre. Il est également important de souligner que plus la municipalité est petite, plus elle est touchée par ce type de mesure.

Nous recommandons donc que le gouvernement modifie la loi pour limiter l’examen fédéral des petits projets. Par ailleurs, si le gouvernement est déterminé à exiger cet examen, il devra mettre en œuvre des mesures pour limiter les délais et les coûts.

Notre préoccupation suivante est liée au manque de précision en ce qui concerne les définitions et les besoins des municipalités. Comme nous l’avons souligné dans notre mémoire, le projet de loi C-69 n’a pas de définition pour les catégories de travaux et le mandat, et il manque de précision au sujet de la portée élargie des plans d’eau visés par l’annexe et ceux qui ne le sont pas. Dans le projet de loi C-69, on indique que ces définitions seront fournies dans les règlements, mais ces derniers n’ont pas encore été publiés.

Tant que ces définitions ne seront pas fournies, nous ne saurons pas si les municipalités seront en mesure de déterminer elles-mêmes si leur projet est un grand ou un petit projet. Sans ces précisions, les municipalités pourraient se sentir obligées de demander l’approbation du gouvernement fédéral pour tous leurs projets sur des plans d’eau, même lorsque ce n’est pas nécessaire, afin d’éviter d’enfreindre la loi.

Ce n’est pas le type de cadre réglementaire que nous voulons créer, car il entraînera des retards pour les municipalités et le gouvernement fédéral et des coûts supplémentaires pour tous les contribuables canadiens.

Même si nos recommandations sont présentées en détail pour chaque point, en général, elles indiquent que le gouvernement du Canada devrait publier une version préliminaire des règlements avant de prendre des décisions liées au projet de loi C-69, afin que les parties intéressées puissent bien comprendre et évaluer les répercussions potentielles. Les retards représentent une grande préoccupation pour les municipalités, ce qui nous amène au point suivant, c’est-à-dire l’absence d’une échéance à laquelle le ministre doit prendre une décision au sujet d’une demande.

En raison du climat hivernal, chaque année, la période de construction est courte en Alberta. Il est donc essentiel que le gouvernement fédéral réponde rapidement aux demandes, afin que l’entretien nécessaire des ponts, par exemple, et leur remplacement le cas échéant ne soient pas retardés. Pour veiller à ce que les municipalités puissent planifier leurs projets en vue de maximiser la courte saison de construction, nous recommandons de modifier la loi afin de préciser le délai dans lequel le ministre doit prendre une décision.

Notre dernier point lié à la Loi sur la protection de la navigation concerne les interventions en situation d’urgence. L’AUMA appuie la recommandation de la FCM d’élargir l’article 10.4 pour répondre aux besoins particuliers des collectivités en situation d’urgence. Il s’agirait notamment d’ajouter la mention d’une perturbation sociale ou d’une interruption du flux des services ou des ressources essentiels pour reconnaître adéquatement les difficultés et les complexités créées par une infrastructure endommagée dans une situation d’urgence.

J’aimerais souligner deux préoccupations liées à la Loi sur l’évaluation d’impact proposée. L’AUMA appuie l’objectif « un projet, un examen » que tente d’atteindre le projet de loi C-69. Toutefois, le libellé actuel du projet de loi ne reflète pas toujours cet objectif. Par exemple, dans la loi, le mot « instances » n’inclut pas les municipalités. Nous sommes également préoccupés par la possibilité d’une ingérence politique dans le processus d’évaluation d’impact.

Certains articles de cette loi indiquent que le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire important pour imposer des conditions ou prendre des décisions liées au processus ou au résultat. Nous sommes d’avis que les projets devraient être examinés et évalués par l’Agence canadienne d’évaluation d’impact en fonction de ses critères définis, indépendamment de toute ingérence ou intervention politiques.

Il est également impératif que les décisions de l’Agence canadienne d’évaluation d’impact soient immunisées et résilientes aux contestations judiciaires. Si de telles contestations doivent être menées, elles doivent être soumises à certaines exigences, par exemple on doit fixer des délais pour contester une décision ou pour interjeter appel.

Le projet de loi C-69 ne contient pas non plus de définition pour la notion de « projet désigné », ce qui ne permet pas de déterminer clairement les types de projets municipaux qui pourraient être assujettis à la surveillance fédérale. Nous recommandons donc au gouvernement de publier une ébauche de définition de ce qui constitue un projet désigné avant que le Sénat ne prenne une décision sur le projet de loi afin, encore une fois, de permettre aux intervenants de comprendre l’impact prévu.

Une autre préoccupation est liée au fait que la Loi sur l’évaluation d’impact ne reconnaît pas l’importance et les connaissances des gouvernements municipaux. Le fait que le projet de loi ne fait pas référence à la consultation avec les gouvernements municipaux nous préoccupe, et cette question doit être abordée. En effet, trop souvent, les municipalités sont écartées du processus même si elles apportent une mine de connaissances locales, une perspective historique et une compréhension approfondie des impacts discutés. Si on les incluait dans le processus, elles seraient des partenaires et des collaboratrices productives, mais on les tient à l’écart. Nous demandons également de modifier l’article pertinent de la loi afin d’exiger expressément que les administrations municipales touchées soient consultées.

Enfin, j’aimerais parler de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie. Comme il a été mentionné au début de cette déclaration, les répercussions du projet de loi C-69 sur l’AUMA sont liées aux effets potentiels sur la gouvernance et les activités municipales. Nous avons décidé de laisser les représentants de l’industrie et les collectivités directement touchés sur le plan économique parler de leurs préoccupations.

J’aimerais formuler le commentaire général selon lequel la durabilité de l’Alberta, et en fait de toutes les municipalités et collectivités canadiennes, dépend de la santé de notre secteur des ressources. Cette loi doit veiller à ce que les projets énergétiques soient évalués et que les projets jugés méritoires soient approuvés dans le cadre d’un processus rapide, transparent et cohérent, sans ingérence politique et sans tenir compte des messages et tactiques des groupes de pression.

L’élimination du critère prévu dans la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui détermine qui est autorisé à participer, est également très préoccupante. En effet, l’élimination de ce critère risque de créer des retards dans les projets, des consultations inefficaces et un malaise chez les investisseurs, et ce, sans qu’aucune valeur ajoutée ne soit apportée au processus.

Nous sommes également en profond désaccord avec la position de la FCM selon laquelle on devrait tenir compte de l’avis de toutes les municipalités, qu’elles soient situées directement sur le tracé d’un pipeline ou d’une ligne de transport proposé ou non. Nous respectons l’importance de recueillir les commentaires d’un large éventail de parties intéressées. Toutefois, cela devrait se limiter aux personnes ou aux organismes qui vivent ou mènent leurs activités à proximité raisonnable d’un projet proposé.

Notre dernière recommandation est donc de conserver le critère, afin de veiller à ce que les commentaires recueillis se limitent aux municipalités qui se trouvent directement sur le tracé du projet proposé. Même si l’AUMA et ses membres appuient les objectifs généraux du projet de loi C-69, nous sommes d’avis que, sans améliorations importantes, il ne répondra pas aux besoins des municipalités de l’Alberta, ce qui comprend les comtés, les villes, les villages, les municipalités spécialisées et les villages d’été, et donc aux besoins de chaque Albertain et, par conséquent, de chaque Canadien.

Le développement durable des ressources et, par la suite, le développement responsable des collectivités sont des volets importants du travail des municipalités. Cela ne devrait pas être un boulet pour les Canadiens, mais un drapeau que nous arborons fièrement, car nous saurons que nous avons réussi à équilibrer tous ces facteurs et que nous continuerons à tirer parti de la réussite de notre grand pays.

J’aimerais remercier le comité de son leadership à cet égard. Au nom du conseil d’administration de l’AUMA et de ses membres, nous vous remercions sincèrement de nous avoir donné cette occasion de comparaître devant vous et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Chris Dugan, ancien président du conseil exécutif, Chambres de commerce de l’Alberta : Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous au nom des Chambres de commerce de l’Alberta et des 124 chambres locales et des plus de 25 000 entreprises membres que notre réseau représente. Environ 95 p. 100 de ces membres sont des petites et moyennes entreprises.

J’aimerais également préciser, pour le compte rendu, que lorsque je parle d’entreprises, il ne s’agit pas d’objets inanimés comme les machines, l’équipement et l’inventaire. Les entreprises sont des personnes. Ce sont de vraies personnes.

Le projet de loi C-69 tel que proposé soulève plusieurs préoccupations importantes au sein de nos membres, surtout en ce qui concerne la priorité accordée aux répercussions économiques des projets, la réduction de l’ingérence politique et la prise de décisions liées à l’approbation des projets.

Nous vous sommes reconnaissants d’avoir invité les Chambres de commerce de l’Alberta à communiquer les recommandations de notre réseau en vue d’amender le projet de loi proposé dans l’intérêt direct de la nation et de tous les membres du comité.

Permettre au secteur privé de réaliser des projets d’infrastructure énergétique dans un cadre réglementaire prévisible et concurrentiel est essentiel à la prospérité commune de tous les Canadiens. Je profite également de l’occasion pour exhorter les sénateurs ici présents à veiller à ce que les intervenants de l’Alberta puissent participer de façon équitable et appropriée aux audiences du Sénat sur le projet de loi C-48, étant donné les répercussions uniques de ce projet de loi sur l’économie de la région.

En ce qui concerne le projet de loi C-69, nous avons présenté toutes nos recommandations stratégiques au comité et au ministre des Ressources naturelles avant la réunion d’aujourd’hui. Je crois comprendre que nos collègues de Bonnyville-Cold Lake ont aussi présenté ces renseignements plus tôt aujourd’hui.

En plus de demander qu’une ébauche de règlement soit rendue publique avant la deuxième lecture du projet de loi par le Sénat, afin d’améliorer la confiance du public et de stabiliser la confiance des investisseurs par l’entremise du processus législatif, nous proposons des recommandations d’amendements à apporter au projet de loi pour veiller à ce que les organismes de réglementation demeurent indépendants de toute influence politique, pour accélérer les échéances liées aux examens, pour réduire le chevauchement en matière de réglementation, pour limiter les consultations aux personnes directement touchées et pour préciser le processus de consultation des Autochtones.

L’analyse des avantages économiques des projets proposés, qu’ils soient approuvés ou non, doit également devenir un élément central du processus d’évaluation d’impact et d’établissement de rapports. Les considérations sociales et environnementales ne tiennent tout simplement pas compte de tous les intérêts du public. La mise en œuvre par le gouvernement de l’Alberta d’une réduction de la production pétrolière en raison d’une capacité de transport restreinte attribuable à un manque d’infrastructure est un bon exemple.

Même s’il s’agit d’une décision visant à préserver les emplois en Alberta à court terme, il s’agit réellement d’une solution perverse et extrême. En effet, elle aggrave les effets déjà considérables que les annulations de projets, les retards et les perturbations du processus de l’Office national de l’énergie des dernières années ont eus sur la confiance des investisseurs. De plus, elle exacerbe les divergences d’opinions au sein de la population sur des lois comme le projet de loi C-48, qui vise précisément à restreindre le transport de l’énergie de l’Alberta vers les marchés asiatiques, et le fait que le gouvernement fédéral s’est acquitté de son obligation de consulter, ce qui a retardé le projet d’agrandissement du pipeline de Trans Mountain.

Puisque l’une des conséquences de cette situation est la stagnation des immobilisations pendant que les entreprises attendent le renforcement de la capacité en matière de transport, les investissements sont en chute libre. Les compétences et l’expérience sont mises à l’écart, de même que les plans et les ambitions des personnes qui détiennent ces atouts intellectuels. L’avenir des gens est ni plus ni moins mis en veilleuse. Les compétences étrangères qu’on attirait et employait autrefois dans notre secteur de l’énergie et dans les industries tertiaires sont perdues, de même que les recettes fiscales qui en découlent, au profit de pays où les économies axées sur le secteur de l’énergie sont en plein essor.

Les résidents et les municipalités ou les régions dont l’économie locale est directement liée à la production subissent de graves conséquences liées à notre incapacité de transporter le produit sur le marché.

La politique de compression de l’Alberta est le résultat direct d’un dysfonctionnement du cadre réglementaire national dans lequel le projet de loi C-69 est censé jouer un rôle essentiel à l’avenir. Ces compressions illustrent l’approche ridicule de la gestion du développement économique qui a été adoptée, compte tenu de la contribution du secteur de l’énergie au PIB national, aux recettes fiscales et à l’emploi.

Aucune région au pays n’est épargnée par notre incapacité à construire les infrastructures nécessaires à l’acheminement de l’énergie aux marchés les plus lucratifs, ce qui est une première dans l’histoire du Canada. Prenez le temps de bien absorber cette réalité.

Vu l’ampleur du dysfonctionnement législatif et réglementaire, revenons sur les changements survenus au fil des ans en Alberta uniquement. Les entreprises et sociétés ont perdu 17 p. 100 de leur valeur. Les ventes des services interagences sont en baisse de 13,6 p. 100. Les ventes de véhicules motorisés ont chuté de 13,1 p. 100, tandis que le forage de puits a diminué de 22,3 p. 100. Enfin, le nombre d’installations de forage en activité est en baisse de 34,2 p. 100.

Il n’y a donc rien de surprenant dans l’augmentation spectaculaire de 65 p. 100 du taux de chômage en tout juste 5 ans, le taux étant passé de 4,4 p. 100 en février 2014 à 7,3 p. 100 en février 2019.

Qui, au sein du marché mondial, serait tenté d’investir dans un pays qui n’arrive pas à planifier ni à agir pour le bien de son économie? Tenez : en 2006, le Canada se classait au quatrième rang mondial des pays propices aux affaires. Aujourd’hui, nous sommes au 22e rang. Le Canada arrive en queue du classement dans la dernière étude de l’OCDE sur l’ouverture à l’investissement direct étranger. Sur 34 pays, nous arrivons en 32e place.

Dans ses efforts pour retrouver la prospérité, et non pas la soutenir, mais bien la retrouver, le pays a essentiellement freiné son élan. Tout dépend de l’amélioration de la compétitivité du Canada et de la confiance des investisseurs dans l’application de la loi. Nous devons construire des pipelines, et pas seulement celui du projet d’expansion Trans Mountain. Il est primordial que le projet de loi C-69 soit amendé pour offrir un régime réglementaire beaucoup plus rapide, transparent, honnête et fondé sur des faits scientifiques, un régime exempt d’ingérence politique et qui a pour mandat de servir l’intérêt national. Et j’insiste sur l’intérêt national.

Au nom de la Chambre de commerce de l’Alberta et de ses membres, je vous remercie.

Le sénateur MacDonald : Merci à vous deux pour vos exposés. Monsieur Morishita, j’ai beaucoup aimé votre excellent exposé, qui était clair et concis.

Toutefois, avant que le comité se mette au travail, il y a un point que je n’ai pas particulièrement compris, et c’est l’incidence sur les municipalités. Les municipalités sont des créatures provinciales. La majeure partie de leur autorité dépend de la latitude que leur accorde le gouvernement provincial. J’ai quelques questions sur votre position par rapport aux municipalités.

Avez-vous soulevé vos préoccupations auprès du gouvernement provincial? Est-il possible de remédier à vos préoccupations en établissant une sorte de mécanisme qui permettrait au gouvernement fédéral de collaborer avec les municipalités dans les limites des pouvoirs délégués par le gouvernement provincial en ce qui concerne le projet de loi C-69, ou estimez-vous qu’un mécanisme législatif distinct s’impose?

M. Morishita : Merci, monsieur le sénateur. Vous avez tout à fait raison. Les municipalités sont des créatures provinciales. Nous avons un petit problème politique. Une question de crédibilité s’est aggravée en raison d’un manque de leadership dans divers dossiers, et plus particulièrement celui-ci.

Les résidents de ce pays cherchent une source d’information honnête, une source fiable. D’où toute l’importance de ce processus, selon moi.

Les municipalités sont particulièrement douées en matière de transparence, en partie parce qu’elles opèrent dans un cadre législatif. Nos budgets sont rendus publics. Nous tenons des audiences publiques. Il est très rare que nous puissions discuter à huis clos en toute légalité. Une telle transparence permet d’avoir confiance dans le processus décisionnel.

L’Alberta Urban Municipalities Association essaie, de pair avec ses homologues provinciaux et territoriaux, ainsi que d’autres municipalités, d’user du poids de cette crédibilité sur la scène nationale, car les municipalités souffrent de cette lacune.

En Alberta, nous avons d’un côté les comtés, où se déroulent toutes les activités de production, où se trouvent tous les pipelines et les ressources industrielles que l’on veut transporter vers les marchés. Puis, de l’autre côté, nous avons les centres urbains qui assurent les services relatifs à l’hébergement et à la qualité de vie des travailleurs. Comtés et centres urbains doivent travailler ensemble.

Dès qu’il y a une dépression, tout s’arrête. La qualité de vie change. Les municipalités sont les premières à payer pour les pots cassés, à ressentir les effets de cette baisse. Et, habituellement, nous devons intervenir.

Le fait d’obtenir tout ce pouvoir décisionnel, mais aucune ressource est une source de frustration pour les municipalités. Pour être franc avec vous, je ne crois pas que, jusqu’ici, nous ayons vraiment eu l’occasion de nous exprimer sur des dossiers nationaux ou provinciaux de cette ampleur.

L’un des objectifs de l’Alberta Urban Municipalities Association est de veiller à ce que la situation change, car nous avons de la crédibilité et l’autorité de nos électeurs pour le demander. Nous espérons que la conversation ne fait que commencer.

Le sénateur MacDonald : Oui, et je crois que c’est une situation où les municipalités devraient avoir leur mot à dire. C’est de plus en plus clair.

Vous avez parlé de l’examen fédéral des petits projets. Nous avons aussi eu beaucoup de discussions et de témoignages sur la désignation des intervenants ou des instances autorisées à intervenir. Il est évident que la municipalité se trouve souvent dans une position où elle doit intervenir s’il se produit quelque chose sur son territoire.

Vous êtes préoccupé par la rapidité des examens pour les petits projets. Pourriez-vous établir un cadre plus précis pour ces projets? Qu’est-ce qu’un délai rapide pour vous?

M. Morishita : En Alberta, les conseils municipaux approuvent normalement leur budget avant la fin de l’année civile en prévision de celle qui suit. Nous dépendons habituellement du budget provincial, qui est déposé au printemps. Ensuite, nous avons concrètement 60 jours pour émettre les appels d’offres si nous voulons que les travaux se fassent pendant l’été.

Dans le cas des petits projets, surtout dans les eaux navigables, rien ne justifie vraiment que le fédéral ait un droit de regard. En fait, les délais entraînent des coûts supplémentaires parce que les soumissions sont plus élevées. C’est une saison de travaux de perdue. Nous investissons des ressources pour faire le travail et, peut-être, obtenir une subvention. Ensuite, nous attendons, longtemps, très longtemps, jusqu’à la prochaine saison de travaux. Parfois, il faut en laisser deux s’écouler, ce qui fait que les directives de l’ingénieur ne sont plus valides et que tout est à refaire.

Dans le cas des petits projets, nous estimons que la participation du fédéral n’a pas de raison d’être, surtout quand ils touchent les structures existantes. Dans ce cas, rien ne justifie un examen fédéral.

Le sénateur MacDonald : Voilà un conseil judicieux, et j’ai beaucoup apprécié votre témoignage aujourd’hui.

La sénatrice Cordy : Tout a été très intéressant ces derniers jours, y compris les exposés d’aujourd’hui. On nous a beaucoup parlé du rôle des municipalités et de celui qu’elles devraient jouer dans tout le processus. Merci pour votre contribution sur le sujet.

J’aimerais aussi revenir sur les petits projets. Si c’est à petite échelle, je suis d’accord avec vous : nous devrions veiller à ce que le processus soit rapide. Ce matin, nous avons entendu un témoignage sur l’effet cumulatif. Bien de petits projets dans un secteur ont un grand impact. Il peut être positif, mais on parlait ce matin d’impact négatif.

C’est proche de l’eau. On m’a montré une carte et c’est proche de l’eau. À quatre ou cinq kilomètres de leur collectivité. Comment doit-on gérer cette situation? C’est facile de dire qu’aucun petit projet ne devrait être soumis à l’ensemble du processus. Je pense que nous sommes pour la plupart, pour ne pas dire tous, d’accord avec cela. Mais nous devons aussi tenir compte des circonstances particulières. L’adoption d’une loi n’est jamais simple, car il y a toujours des cas hypothétiques.

Que faire si, hypothétiquement, il y a sept petits projets proposés en même temps ou dans une période de temps très courte?

M. Morishita : Il y a deux façons de répondre à la question. Avec tout le respect que je dois aux ordres de gouvernement provincial et fédéral, les municipalités sont tout à fait conscientes des circonstances particulières entourant la planification et la concrétisation des projets.

Il faut établir un rapport de confiance. Comme vous le dites, il n’y a pas de loi absolument parfaite. En même temps, il faut déléguer une partie du pouvoir pour faire des progrès dans des délais raisonnables. Cela veut dire se fier aux municipalités pour gérer ces petits projets, y compris leur effet cumulatif.

Si l’eau est touchée, nos voisins et nos résidants sont touchés. Si c’est une question d’environnement ou d’espèces animales ou végétales, ce sont les personnes qui vivent là qui sont concernées. Je dois traiter de ces questions tous les jours, quand je croise des gens à l’épicerie, par exemple. Il faut établir un rapport de confiance.

La législation ne peut pas nous protéger contre les personnes qui veulent briser ce rapport. Nous devons avoir confiance en quelque chose. Dans le cas de ces petits projets, les municipalités sont une option très sûre.

Quelle était la seconde partie de votre question?

La sénatrice Cordy : Je crois que vous venez d’y répondre.

M. Morishita : C’était principalement cela?

La sénatrice Cordy : Oui, je crois que vous y avez répondu.

M. Morishita : Oui. Beaucoup de préparation préliminaire est exigée des municipalités en matière de protection des bassins versants et de toutes sortes d’autres choses qu’on nous colle sur le dos et dont nous devons tenir compte en tout temps dans notre processus de planification.

Nous devons rendre des comptes conformément à bien des lois avant d’entamer ces types de projets.

La sénatrice Cordy : Nous n’avons pas eu beaucoup de témoignages sur la Loi sur les eaux navigables canadiennes, alors merci d’y avoir fait allusion et de nous avoir fait des recommandations sur les interventions en cas d’urgence. En passant, ce que vous avez rédigé est très clair. Votre témoignage est très facile à lire, car vous y mentionnez la préoccupation, la recommandation, et parfois même l’impact.

Aucun des témoins avant vous ne nous a parlé des interventions en cas d’urgence. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails et quelques exemples où un processus est accéléré en raison d’une urgence?

M. Morishita : Je vais laisser Dan Rude vous répondre, mais un exemple qui me vient spontanément à l’esprit, c’est celui d’inondations où vous devez agir pour limiter les risques en matière de sécurité ou de santé. Ce serait un exemple où les municipalités doivent avoir le pouvoir d’agir et d’agir vite. Elles ne peuvent pas attendre une autorisation pour intervenir.

La sénatrice Cordy : Vous êtes sur le terrain. Vous êtes l’intervenant le plus proche.

M. Morishita : C’est le point le plus important, compte tenu de ce qu’a vécu l’Alberta ces dernières années. Beaucoup de travail a été fait pour remédier autant que possible à la situation, mais ce serait probablement l’exemple le plus concret, où vous n’auriez absolument pas le temps d’intervenir si vous deviez attendre une autorisation.

La sénatrice Cordy : Je m’intéresse aussi à l’absence de définition de projet désigné que vous avez relevée. Certains des témoins ont affirmé qu’ils aimeraient qu’il y ait une liste de projets désignés. Vous dites que vous aimeriez qu’il y ait une définition.

M. Morishita : Oui. C’est probablement une coquille. C’est bien une liste de projets désignés que nous demandons.

La sénatrice Simons : La liste est une définition en soi.

M. Morishita : Oui, la liste sert de définition. Mais il n’y en a pas à l’heure actuelle. Il devrait y en avoir une.

La sénatrice Cordy : Vous demandez une modification pour définir ce qu’est un projet désigné. Voulez-vous dire que vous demandez une liste de projets désignés également?

M. Morishita : Oui, c’est exact.

La sénatrice Simons : J’ai mis un certain temps à comprendre que la liste de projets n’est pas une liste. C’est une série de critères applicables à ce qui pourrait former une liste.

Monsieur Morishita, je suis enchantée de vous revoir. Je souhaite clarifier votre point sur les petits projets. Je crois que c’est aussi déroutant pour le public. Vous ne faites pas référence à la Loi sur l’évaluation d’impact, mais aux eaux navigables.

M. Morishita : C’est exact.

La sénatrice Simons : Il n’y a pas grand-chose dans une municipalité qui pourrait entraîner une évaluation d’impact. C’est surtout à la troisième partie du projet de loi que vous vous intéressez.

M. Morishita : Oui, à la petite partie.

La sénatrice Simons : Les municipalités doivent se conformer à la réglementation fédérale sur les eaux navigables. Je réside à Edmonton, où nous avons été chagrinés d’apprendre que nous ne pouvions pas aménager une plage en raison de la loi sur les eaux navigables. Et la plage accidentelle a disparu. Quelle tristesse.

En quoi les contraintes de ce projet de loi sont-elles différentes de celles imposées aux municipalités dans la législation en vigueur? Ce n’est pas comme si les municipalités pouvaient faire comme bon leur semble avec les eaux navigables qui traversent leur territoire. À quel point est-ce un fardeau supplémentaire pour elles? Est-ce que le projet de loi aurait vraiment une incidence marquée sur l’atténuation des inondations?

M. Morishita : Je crois que le problème vient du fait qu’on ne le sait pas vraiment. Vous donnez l’exemple d’une plage qu’on ne peut pas aménager dans votre collectivité en raison de ces contraintes. Prenons le cas de Brooks dans le District d’irrigation de l’Est, le plus grand du genre en Amérique du Nord. La production à l’hectare des terres agricoles y est parmi les plus remarquables. La collectivité aimerait agir contre la sécheresse en créant un réservoir en amont de la rivière Bow.

Ce projet pourrait entraîner des millions de dollars de frais pour le district de même qu’un long, très long, processus. Nous pourrions connaître deux saisons de sécheresse avant que l’on tranche dans ce dossier. Il pourrait y avoir des dommages irréparables dans le district et à la rivière comme telle sous l’effet de changements survenus au fil des ans et qui nous empêcheraient d’aller de l’avant.

On ne sait pas vraiment, parce que la différence entre les ouvrages majeurs et mineurs n’a pas été établie. Aujourd’hui, les municipalités ou les autres entités qui travaillent à l’atténuation des inondations, entre autres, doivent tenir compte de tous les aspects de l’atténuation des inondations, peu importe ce qu’elles font en rapport avec l’eau, surtout dans le sud de l’Alberta. Nous sommes face à l’inconnu. Et c’est inutile qu’il en soit ainsi.

Auparavant, les règles permettaient beaucoup plus de projets. Elles étaient assez strictes. Les gens savaient à quoi s’attendre pour pouvoir aller de l’avant. Mais, avec ces modifications, on semble avoir généralisé un peu plus, ce qui rend les critères inutilement flous.

La sénatrice Simons : En plus d’une liste de projets, aimeriez-vous que la loi comprenne une définition ou qu’on promette d’en fournir une dans la réglementation prévue afin d’établir ce qu’est un ouvrage majeur et un ouvrage mineur?

Dans nos audiences tenues à Ottawa, nous avons entendu les conducteurs de traversier à câble, groupe que je n’aurais jamais cru touché par la Loi sur l’évaluation d’impact. Ils ont affirmé être préoccupés par leur incapacité de changer les câbles de leur traversier sans déclencher une évaluation.

Souhaitez-vous que l’on clarifie également ce qui constitue un ouvrage majeur et un ouvrage mineur?

M. Morishita : Absolument. On pourrait trouver un très bon exemple dans les comtés. Ceux-ci pourraient vouloir moderniser des ponts qui ont été construits il y a 70 ans, quand les camions pesaient un poids X. Aujourd’hui, nous avons des camions qui pèsent cinq fois ce poids. S’ils ne savent pas ce qui constitue un ouvrage majeur et un ouvrage mineur, le comté pourrait devoir fermer le pont, et les personnes qui participent au transport, comme les entrepreneurs externes ou les agriculteurs mêmes devront faire un détour de 50 ou 100 kilomètres pour réaliser leur travail.

Vous voulez peut-être parler de l’atténuation du changement climatique et de l’effet cumulatif connexe. Ce sont habituellement les ouvrages mineurs. S’il s’agit d’ouvrages réalisés sur un pont existant, vous pouvez y aller et faire ce que vous avez à faire. Vous effectuez les travaux. Vous passez à autre chose et la vie continue. Ce n’est pas clair. Nous aimerions voir cette liste, parce qu’elle nous faciliterait beaucoup la vie.

La sénatrice Simons : Il est intéressant d’entendre que les habitants de l’Alberta ont d’autres inquiétudes au sujet du projet de loi C-69, et qu’il ne s’agit pas seulement du secteur de l’énergie. De nombreux domaines sont touchés.

La présidente : Merci.

Sénateur Carignan, allez-y.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte spécifiquement sur une définition. J’ai posé la même question ce matin à des représentants élus, mais c’est vous qui en faites précisément mention dans votre mémoire. Dans la définition de « juridiction » ou d’« instance », vous dites ceci :

[Traduction]

Que le gouvernement du Canada modifie la définition du terme « instance » de façon à inclure les municipalités.

[Français]

La conséquence d’inclure les municipalités dans la définition… Je comprends que les municipalités veulent être consultées lorsque des projets les concernent. Cependant, en modifiant la définition, cela amène aussi la possibilité de déléguer à une municipalité la tâche de faire l’étude environnementale, parce que c’est la nature même de la définition d’instance. Souhaitez-vous avoir la possibilité de négocier avec le gouvernement fédéral pour que vous puissiez, dans le cadre de certains projets, faire l’étude environnementale?

[Traduction]

M. Morishita : Nous n’avons donc jamais défini la notion d’instance de cette façon. Je peux vous dire tout de suite que je doute que les municipalités souhaitent assumer cette responsabilité supplémentaire. Nous préférerions que l’on mette en place un système qui fonctionne. Je ne pense pas que notre intention était d’assumer cette responsabilité.

Il ne s’agit pas seulement du projet de loi C-69, de la notion d’instance et d’être consulté. Comme vous le savez peut-être, les municipalités ne bénéficient pas d’une reconnaissance adéquate dans un certain nombre de domaines. Cela n’est pas notre intention.

Le sénateur Carignan : Je suis un ancien maire.

M. Morishita : Alors vous comprenez très bien.

Le sénateur Carignan : Je comprends très bien. Je pourrais faire partie des témoins.

M. Morishita : C’est parfait. Je suis content que vous compreniez bien cet enjeu. Nous n’avons pas parlé de cela ou abordé ce thème précisément, mais nous allons l’étudier.

À première vue, je ne pense pas que nous souhaitions avoir la responsabilité de ce genre de processus au niveau municipal.

Le sénateur Richards : Je sais que vous n’avez pas la réponse à cette question, parce que personne ne l’a, mais je vais quand même vous la poser.

Que répondriez-vous aux personnes qui ont dit à ce comité que le vrai problème de l’industrie pétrolière est la nécessité de réaliser plus de consultations et de surveillance, et que ce projet de loi est un bon début, mais qu’il ne va pas assez loin pour protéger l’environnement? Comment pouvez-vous convaincre les sénateurs à la Chambre qui croient fermement dans la nécessité d’une réglementation plus stricte? Le fossé est vaste.

Mark Gerard nous a dit qu’il plaint l’Alberta si cette province pense qu’elle va changer le marché du pétrole. Que répondez-vous à la désinvolture qu’il affiche lorsqu’il parle des problèmes de l’Alberta?

L’un d’entre vous peut-il répondre à cette question? Pouvez-vous me donner une idée?

M. Morishita : Je ne prétends rien du tout.

M. Dugan : Je ne prétends rien du tout. Ce qui importe, c’est l’environnement.

Le sénateur Richards : Beaucoup de personnes supposent que cela doit faire partie de la consultation générale relative à tout projet mis en œuvre.

M. Dugan : Je pense que la grande majorité des Canadiens, y compris les personnes qui travaillent dans le secteur pétrolier, accordent une grande importance à l’environnement.

Le sénateur Richards : Absolument.

M. Dugan : D’autre part, il est peut-être préférable de retourner la question et de demander ceci : Quelle est aujourd’hui la place du Canada? Il occupe à peu près le neuvième rang mondial en matière de PIB. Nous sommes descendus d’un rang ou deux. Nous pourrions ensuite examiner le pays qui a le PIB le plus faible. Je pense qu’il s’agit du Soudan du Sud, du moins c’était le cas la dernière fois que j’ai vérifié.

Demandez-vous pourquoi nous occupons notre rang et pourquoi le Soudan du Sud occupe le sien. Leur sommes-nous supérieurs du point de vue intellectuel ou moral? Ou est-ce plutôt une question de saine administration et de primauté du droit?

Demandez-vous ensuite quelle est pour nous la meilleure façon de nous équiper pour régler tous les autres problèmes. Il ne s’agit pas que de l’économie. L’économie ne va pas résoudre tous nos problèmes. Comment pouvons-nous mieux nous équiper pour répondre aux autres problèmes sociaux qui ne sont pas liés à l’environnement? Je veux parler d’enjeux comme l’itinérance, la santé mentale, la protection de l’enfance, l’éducation, la crise des opioïdes et le diabète. La liste est très longue. Nos membres pensent que l’économie est écartée pour faire place à tout le reste.

Le sénateur Richards : C’est moi qui suis d’accord avec vous.

M. Dugan : Non, je ne veux pas prêcher aux convertis.

Le sénateur Richards : Comment pouvons-nous faire pour que les autres sénateurs qui ne prennent pas ces problèmes au sérieux comprennent que si cette situation persiste, elle créera une véritable crise dans l’ensemble de l’infrastructure du Canada? Du moins, c’est mon opinion.

M. Dugan : Oui. La meilleure façon de répondre à cette question est d’en changer la portée.

M. Morishita : En vous écoutant, je pense aux municipalités qui doivent prendre des décisions sur tous les sujets. Peu importe de quoi il s’agit. Nous tenons évidemment compte de tous les points de vue, mais le fait est que nous devons avancer. Notre prise de décisions et notre processus doivent nous permettre de le faire et ne pas dépendre d’une seule voix forte d’un côté ou de l’autre du spectre, ou d’un côté ou de l’autre d’un problème, ce qui nous empêcherait de progresser.

La progression peut être définie dans un certain nombre de domaines. Je pense que la liste fournie par Chris Dugan des bénéfices sociaux qui découlent de l’appartenance à une confédération et de la participation à la façon dont nous réalisons nos activités est une illustration essentielle de cette question. Nous devons écouter. Je ne dis pas le contraire. Nous devons également le faire dans le but de réaliser des progrès. Une chose à la fois.

Que les personnes disent non au charbon ou non à tout sauf à ce laisser-faire, ces situations ne sont viables pour personne. Il revient aux dirigeants de s’assurer que nous réalisons des progrès malgré les voix qui s’élèvent de l’extérieur.

La présidente : Je veux vous demander quelque chose parce que vous avez parlé de « progresser ». Vous mentionnez le développement ou la croissance, mais pour cela, nous devons avoir une orientation.

Les mots qui figurent dans le projet de loi C-69 indiquant dans quelle direction nous devons nous diriger sont « développement durable ». Estimez-vous qu’ils englobent l’équilibre entre l’environnement, l’économie et la société? D’après vous, qu’est-ce que le développement durable?

M. Morishita : J’imagine que l’idée que se font les municipalités du développement durable diffère de la nôtre. Pour nous, il s’agit du développement de communautés. Peut-être que cela englobe tout ce dont vous avez parlé dans une certaine mesure.

Il demeure que, pour les entités municipales, les leaders et les conseillers municipaux, la réussite réside dans l’amélioration de notre qualité de vie, la réduction des problèmes de santé mentale, la diminution de taux de pauvreté et la baisse de l’itinérance. Nous utilisons un certain nombre d’outils pour réaliser des progrès dans ces domaines.

Le problème auquel nous faisons face dans ce cadre réglementaire est que nous essayons de couvrir tous les types d’effets néfastes et de les traiter tous en même temps. Je ne pense pas que cette façon de procéder rende compte du contexte dans lequel nous évoluons. Les communautés vont en souffrir. Nous devons garder à l’esprit que nous devons développer des communautés. Nous devons appliquer un processus bien plus approfondi et le garder à l’esprit.

Tous les intérêts connexes reviendront à cela. Si mon enfant ne peut pas aller à l’école, si mes petits-enfants ne peuvent pas jouer dans un terrain de jeu, si je ne peux pas aller au théâtre ou regarder un match de hockey, tout cela fait partie des effets de ce cadre réglementaire.

Si nous ne perdons pas de vue notre objectif final, nous réaliserons des progrès. Nous pouvons en choisir un sur lequel nous concentrer en quelque sorte au début. C’est ce que nous espérons faire. Il y a d’autres points à discuter à part l’énergie. Nous savons qu’elle est importante, mais si nous polarisons cette discussion, nous risquons de le faire au détriment des progrès que nous pourrions réaliser.

Nous vous recommandons d’être les maîtres d’œuvre de ces efforts et de dire : « C’est, en fait, une façon d’avancer ». Ils ne nous feront pas atteindre notre objectif demain, mais c’est une façon d’avancer.

Le sénateur Mockler : J’ai deux questions pour les témoins. J’aimerais d’abord savoir ce que vous pensez du droit de veto et ensuite vous demander comment vous définissez votre expérience de l’approbation sociale.

Je me suis penché sur la question du droit de veto du ministre ou du gouverneur en conseil prévu dans le projet de loi C-69, et sur la lettre que les quatre premiers ministres des provinces atlantiques et leurs gouvernements ont envoyée au premier ministre du Canada, dans laquelle ils disent :

Notre évaluation du projet de loi C-69 dans sa forme actuelle est que les modifications importantes que l’on propose d’apporter à la portée et à l’envergure des évaluations environnementales fédérales au Canada ne sont pas conformes aux deux objectifs que sont la protection environnementale et la croissance économique.

Une autre préoccupation dont il faut tenir compte est que :

Le projet de loi dans sa forme actuelle remet le pouvoir de décision final entre les mains du ministre ou du gouverneur en conseil et donne à celui-ci la possibilité d’opposer son veto au résultat d’une évaluation scientifique approfondie et d’un examen exhaustif des données probantes.

Que pensez-vous du mécanisme de veto dont disposera le ministre?

M. Dugan : La question du droit de veto du ministre nous inquiète. Vous le verrez dans nos recommandations simplement parce que cela fait partie de la politisation du processus. Dans quelle autre situation les intervenants auraient-ils l’occasion de présenter des données probantes à un organe et de faire valoir leur point de vue pour qu’une personne externe vienne ensuite soupeser les éléments de preuve et rendre une décision en utilisant son droit de veto? Ce serait comme si un juge appelait au tribunal pour rendre sa décision par téléphone sans avoir entendu les éléments de preuve.

Pour ce qui est de votre question concernant l’approbation sociale, sauf votre respect, sénateur Mockler, ce concept est toujours inatteignable. C’est une cible mobile. Nous devons travailler fort pour le faire comprendre.

M. Morishita : Je pense qu’un droit de veto, quel qu’il soit, est l’outil des faibles, honnêtement. C’est l’outil des personnes faibles, des mesures législatives faibles et des leaders faibles. Il ne devrait jamais y avoir de situation où on devrait l’utiliser. Si nous soulevions un problème en ce moment et que nous en discutions suffisamment longtemps en faisant preuve de respect et d’écoute, je pense sincèrement que nous le réglerions. Si l’un de nous avait un droit de veto, nous n’y arriverions jamais avec une personne en marge. Cela n’a tout simplement aucun sens. Les droits de veto sont de mauvais instruments. L’ingérence politique qui les accompagne est insensée. Soit nous avons foi en le processus, nous donnons de la crédibilité à notre mesure législative et nous faisons les choses dans les règles de l’art, soit nous ne le faisons pas. Je pense que c’est aussi simple que cela.

Je suis d’accord avec l’approbation sociale. On en revient encore à la façon de faire des municipalités. Nous avons des communautés à bâtir, c’est tout. Nous voulons que le Canada, l’Alberta et le comté de Newell soient des endroits extraordinaires où vivre, et je souhaite qu’il en aille de même pour la ville de Brooks. Ces choses ne sont pas mutuellement exclusives. Par conséquent, à mon sens, l’approbation sociale est un terme que les gens utilisent pour faire avancer une cause unique. C’est plus vaste que cela. Lorsque nous rédigeons une mesure législative, notre approche devrait être plus vaste et équilibrée.

Le sénateur Mockler : J’ai eu l’occasion de rencontrer des représentants de la Fédération canadienne des municipalités, ainsi que des administrations municipales et locales au Nouveau-Brunswick et à d’autres endroits, comme la région d’Halifax, sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Ou de Dartmouth.

Le sénateur Mockler : Je veux vous faire part de ce que les représentants de la Fédération canadienne des municipalités ont dit :

Aucun développement n’est possible sans approbation sociale, comme le prévoit le projet de loi C-69.

Les municipalités sont les premières à entendre les contestations de leurs citoyens lorsqu’un ou des projets soulèvent des questions, peu importe l’ordre de gouvernement qui en est responsable. Elles font valoir que le projet de loi C-69 vise notamment à définir le processus pour mesurer l’approbation sociale.

Je reviens vers vous, monsieur le maire. Comment définiriez-vous l’approbation sociale? Peut-être que vous n’avez pas de définition, mais j’ai entendu ce que vous avez dit il y a quelques minutes. Pour le compte rendu, pouvez-vous nous donner divers projets qui seraient touchés par le projet de loi C-69?

M. Morishita : Je pense que j’ai répondu à la question concernant l’approbation sociale. Je ne pense pas vraiment qu’on puisse la définir comme quelque chose qu’on achète, qu’on vend ou qu’on échange. Dans le contexte de projets précis à l’échelon municipal, comme le traitement des eaux usées qu’on déverse dans une rivière, un système d’irrigation, un lac ou que sais-je, on soulève la controverse et on doit traiter ces choses à un certain échelon. Ces projets sont déjà sous réglementation provinciale. En Alberta, nous avons le plaisir d’avoir à composer séparément avec une réglementation fédérale et une réglementation provinciale.

Un autre bon exemple pourrait être un site de valorisation des déchets où il faut disposer d’un site d’enfouissement et d’une grande usine dans laquelle recueillir les déchets solides. Il se trouverait sur un grand terrain et pourrait être bruyant et malodorant. Je ne sais pas, mais ces types de grands projets soulèvent toujours la controverse. J’ignore s’ils s’appliqueraient, car ils ne sont pas assortis d’un modèle de compétence fédérale.

Le problème est qu’en donnant à tout le monde la possibilité de se prononcer sur tout — je reviens à ce que j’ai dit dans mon exposé — on accorde à tous ces éléments une importance telle que tout le monde sent le besoin de participer, ce qui ne donne pas nécessairement de bons résultats. Si nous suivons un processus d’évaluation scientifique, un processus d’approbation fondé sur des données scientifiques et des faits, et non de la fiction, des questions politiques ou des techniques d’obtention de votes, nous obtiendrons de bons résultats. Il est beaucoup plus important d’avoir foi en ce processus que de définir l’approbation sociale. Mes concitoyens et ceux de mes membres mesurent les progrès en fonction de leur qualité de vie, de leur accès aux hôpitaux et de toutes ces choses qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. Pour être bien honnête avec vous, ils ne veulent pas se contenter de moins.

Le sénateur Carignan : Si je puis me permettre, en ce qui concerne la définition de l’approbation sociale, peut-être qu’il s’agit d’un nouveau terme pour dire « acceptabilité sociale ».

[Français]

En français, on dit « acceptabilité sociale ». Donc, je crois que c’est probablement utilisé dans cette optique-là.

[Traduction]

Je crois que c’est l’objectif. Il s’agit d’un nouveau terme, mais je crois que le concept est le même.

M. Morishita : Je suis tout à fait d’accord avec vous, et maintenant, je vois vraiment briller vos couleurs municipales lorsque vous le dites parce que je sais que si vous voulez parler d’acceptabilité, vous devrez tenir compte du fait qu’il arrive qu’une question comme la taille de votre poubelle ait une incidence déterminante sur votre élection. Et si vous ne faites pas attention et vous ne réussissez pas à faire accepter une vaste gamme de choses à l’échelon communautaire, y compris ces projets géants — qu’il s’agisse de projets de pipelines, de barrages hydroélectriques, de câbles ou de voies ferrées —, si nous n’arrivons pas à susciter la confiance à l’égard du processus pour qu’il soit acceptable, nous serons incapables de réaliser ces projets. Alors je pense que vous avez tout à fait raison sur ce point. Ce n’est pas une question d’approbation sociale. C’est, en fait, une question d’acceptabilité sociale canadienne. Et si nous faisons un bon travail, nous y arriverons.

La présidente : Merci beaucoup.

Notre dernier groupe d’experts de la journée est composé de Carey Arnett, présidente, Arnett & Burgess Pipeliners, et de Dave Tuccaro, fondateur, président et chef de la direction, Tuccaro Group of Companies.

Madame Arnett, nous allons commencer par entendre votre déclaration.

Carey Arnett, présidente, Arnett & Burgess Pipeliners : Arnett & Burgess Pipeliners contribue à la construction et à l’entretien de pipelines au Canada depuis plus de 60 ans, soit avant la création de l’ONE. Nous avons travaillé dans huit des treize provinces et territoires du Canada et employé plus de 40 millions d’heures-personnes directes, qui excluent les heures de sous-traitance. Notre travail consiste principalement à construire l’énorme réseau de pipelines de plus petite taille qui s’étend sur tout notre territoire afin d’assurer notre qualité de vie. Ce sont les pipelines qui contribuent à livrer le gaz naturel qui sert à chauffer vos résidences et les hôpitaux, le carburant qui fait fonctionner vos avions, vos trains et vos automobiles, le pétrole qui sert de matière première pour les éléments de votre vie, le pour combustible qui produit l’électricité pour éclairer votre lieu de travail et charger votre téléphone, la matière première de l’industrie qui produit les engrais pour appuyer la croissance des cultures du monde entier, et l’énergie qui garantit notre accès à de l’eau propre.

En plus des responsabilités que j’assume à A & B Pipeliners, au Canada, je suis présidente de notre société sœur, Arnett & Burgess Pipeliners (Rocheuses), aux États-Unis, qui exerce ses activités dans les États du Nord depuis les trois dernières années. Compte tenu des 25 années d’expérience que j’ai acquises dans plusieurs pays et provinces ainsi que dans le cadre de mon interaction avec un grand nombre d’experts du monde entier en matière de technologies et de réglementation, je peux affirmer avec confiance que la réglementation en vigueur au Canada dans le domaine de l’approbation, de la conception technique, de la construction, de l’entretien et de l’exploitation des pipelines est la norme de référence à l’échelle mondiale.

En général, la construction de pipelines aux États-Unis est jugée plus facile, à condition que les pipelines ne franchissent pas la frontière canadienne. Le processus de la FERC des États-Unis, qui est l’équivalent de l’ONE du Canada, est très simple, sauf en ce qui concerne l’approbation par les commissaires.

Compte tenu de notre norme de référence en matière de construction de pipelines, qui est en vigueur au Canada depuis plus longtemps qu’à tout autre endroit, pourquoi envisageons-nous d’adopter ce projet de loi? Pour résumer simplement mes préoccupations à propos du projet de loi, je dirais qu’il semble être une complication inutile qui accentue l’incertitude à laquelle se heurtent les promoteurs de projets, sans apporter d’avantages correspondants évidents.

Comme l’industrie canadienne des pipelines se conforme déjà à certaines des normes les plus strictes du monde, elle est en voie de devenir non concurrentielle et peu susceptible d’attirer des investissements. Une augmentation importante de la réglementation qui exige des évaluations subjectives et la prise de décisions politiques devrait avoir une incidence évidente. Le Canada perdra sa compétitivité en matière d’énergie et paiera des coûts plus élevés pour sa consommation d’énergie, et il se pourrait que, par nécessité, le gouvernement soit forcé de subventionner l’électrification des projets énergétiques de l’Ontario.

Il me semble que nous devrions continuer d’établir une norme qui permettra aux Canadiens d’apporter une contribution nette positive à l’échelle mondiale au cours des décennies à venir. Et pourtant, nous semblons nous efforcer de nous appauvrir nous-mêmes à un tel point que nous pourrions ne plus être en mesure d’apporter, à l’échelle mondiale, une contribution économique ou politique, de même que par l’intermédiaire des grandes innovations que le Canada a offertes à l’industrie mondiale de l’énergie.

Pour éviter les répétitions, je vais mentionner, avant de formuler mes observations détaillées, que j’appuie les points de vue de l’Association canadienne de pipelines d’énergie et les amendements qu’elle a proposés. Au nombre de mes principales préoccupations, on retrouve les suivantes. Dans le sous-alinéa 22(1)a)(ii), la capacité d’évaluer les effets cumulatifs et la raison d’être de cette évaluation me laissent perplexe. Attribuons-nous à l’industrie des pipelines les torts que pourraient causer les substances qu’elle transporte? Comment quelqu’un peut-il mesurer leurs effets cumulatifs d’une manière objective? Pourquoi l’industrie des pipelines serait-elle la seule à être traitée de cette manière?

L’ingénieur en nous devrait attribuer ces effets cumulatifs à la source de ces effets. Autrement, ce serait comme si l’on demandait à une ligne aérienne d’assumer la responsabilité relative aux gestes que ses passagers posent une fois arrivés à destination ou aux industries du transport maritime et du transport ferroviaire d’accepter la responsabilité relative à l’utilisation finale des produits qu’elles transportent. Le concept semble punitif, sans précédent et impossible à réglementer, à moins que l’objectif de cette disposition soit d’empêcher, en principe, toute construction de pipelines.

De plus, je ne comprends pas en quoi le sexe ou le genre est pertinent lorsque l’on évalue l’impact d’un projet de pipelines, comme le sous-entend l’article 22. Je ne passe pas beaucoup de temps à régler les problèmes de désordre social qui découlent de la présence d’un trop grand nombre d’hommes dans des camps de construction, comme certaines personnes le laissent entendre. Ce point de vue est archaïque et tout simplement faux, selon moi.

Notre entreprise et notre industrie comprennent la valeur de la diversité en milieu de travail. La discrimination fondée sur le genre est illégale dans tous les milieux de travail du Canada, mais cette question a déjà été légiférée. Il semble donc inutile et potentiellement injuste et discriminatoire pour toutes les parties concernées d’intégrer des considérations particulières liées à l’équité entre les sexes dans le processus d’approbation de quelques projets spéciaux.

Par ailleurs, le projet de loi porterait atteinte aux compétences et aux précédents techniques apportés par l’ONE et risquerait de les rendre redondants, ce qui serait une tragédie. Ce n’est pas seulement ce que nous perdrions qui me préoccupe. C’est aussi le fait que nous accroîtrions la charge de travail du ministère de l’Environnement et, plus particulièrement, celle de son ministre. Ce que j’ai constaté, lorsque j’ai cherché à obtenir l’approbation du ministère à propos de questions très simples, c’est qu’il ne prend pas de décisions avant l’expiration des délais prescrits par la loi. Dans l’industrie de la construction, il est extrêmement important de recevoir rapidement les permis et les approbations non seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour des raisons liées à la santé, à la sécurité et à l’environnement.

Dans le meilleur des cas, les projets de pipelines réglementés par le gouvernement fédéral sont incroyablement difficiles à mener à bien, compte tenu des décisions qui doivent être prises en matière d’ingénierie et de conception, des considérations commerciales qui dépendent souvent des prix instables des produits, des nombreux facteurs liés aux propriétaires de terrains et aux intervenants, des considérations liées à la réglementation provinciale, de la confiance des investisseurs, du tracé géotechnique, et cetera. L’ajout d’une rotation potentielle au sein du ministère semble être une mesure qui vise à garantir que tous ces éléments ne pourront jamais coïncider.

Je vous prie de prendre en considération le fait que, selon les sondages, environ 70 p. 100 des Canadiens sont favorables au développement des pipelines et que beaucoup d’autres Canadiens sont indécis à ce sujet. À mon avis, l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle nuira au Canada. Je vous prie de prendre en considération la mesure dans laquelle la société canadienne est devenue fragmentée. En 2017 seulement, notre secteur a perdu des investissements étrangers directs de l’ordre de 17 milliards de dollars. Mon secteur et celui des services énergétiques n’ont acquis aucune valeur sur les marchés boursiers cette année.

Il est clair que la compétitivité canadienne doit augmenter. Je crois en l’établissement d’un dialogue constructif mais, ce qui importe encore plus, c’est qu’il est essentiel de faire preuve de clarté. Avant de procéder à l’évaluation d’impact d’une industrie quelconque, j’ose espérer qu’on procédera à une évaluation d’impact plus soigneuse afin d’examiner ce qui, selon moi, est la plus importante contribution apportée par le Canada au monde entier, à savoir une mise en valeur responsable des ressources.

Dave Tuccaro, fondateur, président et chef de la direction, Tuccaro Group of Companies : Bienvenue à Fort McMurray. C’est bien que le Sénat juge judicieux de venir voir ce qui se passe dans la région des sables bitumineux. Je ne connais pas le pourcentage exact, mais je sais que les sables bitumineux contribuent à plus de 50 p. 100 des revenus de l’Alberta. Il est bon que vous soyez venus voir ce qui se produit ici. Évidemment, vous avez manqué l’énorme incendie que nous avons vécu il y a quelques années. Cela a eu un effet plutôt dévastateur, tout comme le ralentissement économique qui a commencé au même moment. Nous avons reçu des coups à plusieurs reprises, mais les gens d’ici sont résilients. La plupart d’entre eux sont originaires des provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans l’Est du Canada. La deuxième population de Terre-Neuviens en importance se trouve ici à Fort McMurray, où habitent des gens des quatre coins du pays qui mettent en valeur les ressources des sables bitumineux.

Je suis membre de la Première Nation crie Mikisew. Je crois que mon chef a comparu devant vous ce matin. Nous vivons dans une collectivité isolée établie en 1788, c’est-à-dire avant que le Canada devienne un pays et que l’Alberta devienne une province. Nous participons au commerce et au développement économique, et nous subvenons à nos besoins depuis très longtemps.

Après avoir parlé à des gens que je connais, vous m’avez invité à témoigner ici à titre de propriétaire d’entreprise et de personne qui joue un rôle dans cette région. Il y a 25 ans, j’ai fondé la Alberta Aboriginal Business Association, alors que seulement huit entreprises autochtones venaient en aide aux exploitants des sables bitumineux. Cette année marque le 26e anniversaire de l’existence de l’association et, à l’heure actuelle, elle compte plus de 130 entreprises autochtones. À l’époque, nous estimions que nous générions collectivement des revenus de l’ordre de 20 millions de dollars. Aujourd’hui, ces revenus s’élèvent à 1,5 milliard de dollars.

La Loi sur l’Office national de l’énergie a été en vigueur pendant toute cette période, et nous avons été en mesure de composer avec elle et de la contourner. Je sais que les tribunaux ont été saisis de nombreuses causes visant souvent l’obtention d’approbations et la gestion d’interventions. Je ne comprends pas pourquoi vous souhaiteriez remplacer quelque chose qui existe et fonctionne depuis longtemps par une nouvelle loi qui risque essentiellement d’entraîner des contestations et, en particulier, des contestations devant les tribunaux de la part de collectivités autochtones, parce qu’elles ne comprennent pas la loi. Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne? Pourquoi ne pas simplement l’améliorer? Pourquoi ne pas mettre en place d’autres politiques qui permettent à cette organisation de continuer d’aller de l’avant?

J’ai une question à poser aux sénateurs. Est-ce que tous les membres du comité sont présents, ou seulement une partie d’entre eux? Est-ce que 50 p. 100 des membres sont présents?

Le sénateur Mockler : Plus que cela.

Le sénateur Carignan : Vous avez les meilleurs.

La présidente : Le comité compte 14 membres.

M. Tuccaro : Je vous remercie infiniment d’être venus. Vous êtes les vieux de la vieille, tout comme nous. Nous avons de l’expérience. Nous avons l’expérience nécessaire pour faire avancer notre jeune génération. Nous pouvons appuyer les jeunes et les aider. Si tous les membres du comité sénatorial ne sont pas ici pour représenter les Canadiens et pour chercher à faire avancer ce dossier, alors nous perdons notre temps.

Aurez-vous encore du pouvoir après la publication de ce rapport? Une fois qu’il aura été rédigé, le présenterez-vous au premier ministre Trudeau, qui déclarera que son gouvernement appuie le Sénat, ou allons-nous simplement siéger ici et étudier tout cela à mort comme cela arrive habituellement? La réponse est-elle non? Avez-vous du pouvoir?

Le sénateur Richards : J’espère que ce ne sera pas le cas, mais Dieu seul sait ce qui adviendra.

M. Tuccaro : De toute manière, beaucoup de temps, d’efforts et d’énergie seront nécessaires pour tenter de rectifier ce projet de loi. Je travaille avec un groupe dont Calvin Helin fait partie. M. Helin vous a fait un exposé à Vancouver il y a deux jours. Nous avons mis au point un projet de pipelines qui a été contrecarré à chaque étape. Les gens pensent que les Autochtones ne peuvent pas ou ne devraient pas posséder de pipelines. Les projets de pipelines qui ont été présentés auparavant, comme le Northern Gateway et le Trans Mountain, ont rencontré des problèmes parce qu’ils ont été bloqués par des collectivités autochtones, étant donné que ces collectivités ne participaient jamais au processus. Elles n’ont jamais eu la chance de dire si elles approuvaient ou non ces projets.

Nous avons fait l’inverse. Nous avons rencontré les collectivités d’abord, et nous leur avons expliqué en quoi consistait notre proposition. Nous leur avons indiqué que nous souhaitions que 51 p. 100 du projet leur appartiennent. Nous construirons et gérerons les pipelines. Nous nous assurerons que les aspects environnementaux sont pris en considération. Nous nous occuperons aussi de ces aspects. S’il y a des problèmes, nous serons les personnes responsables de ces pipelines. Nous avons donc obtenu leur approbation.

Après avoir obtenu l’approbation de toutes les collectivités, nous avons fait face au projet de loi C-48, le moratoire relatif aux pétroliers, qui a été présenté pour empêcher tout pétrolier de se rendre dans la région de Prince Rupert. Cela a fait dérailler le projet en entier. Personne ne va investir dans un projet, en sachant qu’en fin de compte, il ne pourra pas vendre son produit. À mon avis, cette situation est vraiment ridicule.

Alors que nous, les Autochtones, commençons à comprendre comment faire des affaires sur le marché canadien ordinaire, des mesures de ce genre sont prises pour tenter de protéger la forêt pluviale Great Bear de la Colombie-Britannique. Les ours de cette forêt sont-ils plus importants que les humains qui vivent dans l’Est du Canada près de la voie maritime du Saint-Laurent empruntée par les pétroliers? Qu’est-ce qui est le plus important? Les ours ou les humains?

Nous devons mettre les choses au clair ici, et nous devons faire les choses correctement. Si vous imposez un moratoire relatif aux pétroliers dans l’Ouest canadien, vous devez en imposer un là-bas aussi. Pendant que le commerce de notre pétrole est freiné ici, le pétrole de l’Arabie saoudite est transporté sur le fleuve là-bas. Nous ne pouvons pas produire de pétrole parce qu’il ne peut être envoyé nulle part. Nous ne sommes pas en mesure de l’expédier où que ce soit. C’est insensé. Pendant ce temps, les États-Unis rigolent. Le président Trump s’amuse parce qu’il bénéficie d’une subvention découlant du fait que nous envoyons tout notre pétrole là-bas. En quoi tout cela est-il logique?

De toute façon, je ne fais que tempêter en ce moment. C’est simplement dans ma nature. Voici ce qui, selon moi, devrait advenir de l’Office national de l’énergie. Au lieu de le remplacer, vous devriez le conserver, le développer, le moderniser et l’améliorer. Vous devriez aussi nommer un Autochtone au sein de cet office, afin de connaître le point de vue des Autochtones. Souvent, lorsque le gouvernement doit approuver une demande, il ne connaît pas le point de vue des collectivités autochtones parce qu’elles n’ont aucun représentant au sein de cet office.

J’ai jeté un coup d’œil dans la salle aujourd’hui, et j’ai constaté qu’il n’y avait aucun sénateur autochtone ici présent. Je sais que quelques sénateurs autochtones siègent au sein de votre comité. Pourquoi ne sont-ils pas là? Comprenez-vous ce que je veux dire? Peut-être que le projet de loi C-69 est important pour vous, messieurs les sénateurs. J’ignore si le Sénat est favorable au projet de loi, mais cela ne devrait jamais importer. Toutefois, au diable les libéraux, les conservateurs ou les néo-démocrates. Nous devons faire bouger les choses dans notre région. Le gouvernement craint la perte de 9 000 emplois à Montréal, alors que nous avons perdu 120 000 emplois en Alberta. Si la perte de 9 000 emplois constitue une crise, alors nous subissons sûrement un sacré — pardonnez mon langage — tsunami, auquel s’ajoutent simultanément un ouragan et une tornade.

Tout ce que je demande, c’est de faire les choses correctement. Vous, les sénateurs, êtes en mesure de le faire. Oubliez l’ancienne façon de faire les choses. Il est temps de réfléchir à cette situation. Les collectivités autochtones se portent bien et appuient le développement. Je le sais, car nous leur avons parlé. Mon chef était ici ce matin. Il appuie le développement, mais il est également préoccupé par l’environnement. Il s’avère que l’industrie pétrolière déverse des produits dans la rivière. De plus, le barrage Bennett a asséché le delta de l’Athabasca à Fort Chip. C’est l’endroit d’où je viens.

J’ai suis allé des deux côtés de la clôture. En même temps, nous avons des enfants qui ont besoin de survivre eux aussi. Nous devons leur donner du travail. En fin de compte, ce qui vous donne le plus de dignité, c’est un emploi à temps plein qui vous permet de payer pour vos propres choses. C’est dans cette position que la communauté autochtone veut être, cette position où elle n’a jamais été dans l’histoire.

Le sénateur Sinclair vient de terminer son rapport, qui contient toute une série de mesures. À travers ces mesures, il aborde aussi la question de la prospérité économique. Nous sommes là. C’est quelque chose que nous avons fait. Nous savons comment faire. Nous pouvons posséder des pipelines. Nous pouvons posséder des raffineries et tout le reste.

Voilà pour ma déclaration.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

M. Tuccaro : Vous pouvez me poser des questions. Je parle dans beaucoup d’universités, mais je ne prononce pas de discours. Ces types sont assez intelligents pour faire leurs devoirs. C’est ce à quoi l’on pourrait s’attendre d’un étudiant en administration des affaires en tout cas. Je m’assois devant eux et je leur dis : « Hé, les gars, posez-moi des questions. » Je suis plus efficace de cette façon.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. C’est l’heure des questions.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous les deux. J’aimerais d’abord discuter avec M. Tuccaro. Nous avons déjà parlé un peu à l’extérieur, alors c’est un plaisir de vous avoir à cette table, Dave.

M. Tuccaro : Oui, bienvenue chez vous.

Le sénateur MacDonald : C’est formidable, tout simplement formidable.

Vous avez parlé de l’Office national de l’énergie. Je tiens à préciser que, juste avant la défaite du gouvernement précédent, le comité des transports a fait une étude sur les pipelines, étude que j’ai eu la chance de présider. L’une de nos recommandations était de nommer un Autochtone à l’Office national de l’énergie afin de nous donner la possibilité de discuter de ces questions en amont plutôt qu’une fois les décisions prises. Jusqu’ici, le gouvernement n’a rien fait à ce sujet.

De toute évidence, vous êtes dans les affaires depuis longtemps et vous avez vu beaucoup de changements.

M. Tuccaro : C’est effectivement le cas.

Le sénateur MacDonald : L’Eagle Spirit Route — la route de l’esprit de l’aigle — dont vous parlez serait très avantageuse pour notre pays, pour votre collectivité et pour toutes les collectivités situées le long de cette route. Vous avez dit avoir travaillé avec M. Helin. Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez dû faire pour rassembler toutes les collectivités autour de cette proposition?

M. Tuccaro : Oui, je peux en parler. Nous nous sommes rendus dans toutes les collectivités. Nos gens rencontraient les nôtres et leur disaient ce que nous pensions pouvoir faire, tout en précisant que nous n’allions pas le faire si l’une des collectivités s’y opposait. Nous aurions laissé tomber. Nous ne sommes pas obligés de mettre du temps là-dessus. C’est un exercice pour lequel nous n’avons jamais été payés.

À l’origine, le groupe Aquilini appuyait le projet, mais il y a renoncé à cause de la présentation du projet de loi C-48. Personne ne veut faire quoi que ce soit parce qu’il n’y a pas de certitude. C’est de ces questions que traite le projet de loi C-69 dans son ensemble. Vous, vous parcourez le pays à la recherche d’une façon de faire avancer les choses.

Toutes les collectivités l’ont appuyé, tous les députés de ce côté-ci de la Chambre. L’Alberta semble un peu plus avancée en ce qui concerne l’exploitation des ressources dans nos propres régions. On semble un peu plus hésitant du côté de la Colombie-Britannique. Ils n’ont pas l’expérience. Or, nous les avons convaincus que c’est une bonne chose pour eux. Ils craignent qu’il y ait des déversements dans les rivières. L’oléoduc Trans Mountain a plus de 50 ans. Bon sang, cette chose pourrait exploser à tout moment. Pour remédier à cela, il vous faut une autre ligne, il vous faut une nouvelle technologie.

Nous proposons un tout nouveau pipeline. Nous avons d’anciens dirigeants de sociétés œuvrant dans ce domaine qui veulent nous aider. Ils sont à la retraite maintenant. Ils ont beaucoup d’expérience. Ils veulent nous aider à construire ce pipeline, sauf que personne ne va se lancer dans un tel projet s’il y a un moratoire sur les pétroliers qui les attend au bout de la ligne.

Le sénateur MacDonald : Ce pourrait être un pipeline à la fine pointe de la technologie.

M. Tuccaro : Absolument. Il sera du dernier cri. Je ne peux pas vous dire qu’il sera possible de détecter un déversement avant qu’il ne se produise, mais il sera possible d’en détecter un et de l’arrêter. C’est quelque chose que le pipeline fera sur-le-champ et de lui-même. Il y a toute cette nouvelle technologie. Or, vous êtes des membres du gouvernement. C’est vous qui avez acheté le pipeline Trans Mountain. C’est un pipeline qui a plus de 50 ans. Il a besoin d’être modernisé lui aussi.

C’est ce que nous avons fait. Nous avons d’abord obtenu l’approbation de la collectivité, car c’est à ce chapitre que la plupart des propositions antérieures de Northern Gateway ont échoué. C’est quelque chose qu’ils n’ont pas fait. Ils ont pensé qu’ils pouvaient d’abord construire le pipeline et aller ensuite parler aux Autochtones. C’est ce qui a causé l’arrêt complet du projet. Nous l’avons fait dans l’autre sens. Nous avons d’abord obtenu l’approbation des collectivités, puis nous avons continué sur notre lancée.

Les pétrolières veulent nous soutenir. Elles veulent expédier leur pétrole. Elles veulent en fait être propriétaires d’une partie du pipeline. Elles en achèteront un certain pourcentage — 2, 3 ou 5 p. 100 — pour veiller à ce que leurs produits puissent y passer.

Le sénateur MacDonald : C’est exact.

M. Tuccaro : L’aspect financier n’est pas une si grosse affaire. C’est l’obtention des approbations qui pose problème. Les compagnies pétrolières le possèdent. Nous avons rencontré des Japonais ou des Chinois qui ont beaucoup d’argent à investir dans les collectivités autochtones. C’est un exemple parmi d’autres.

Le sénateur MacDonald : J’apprécie beaucoup ce que vous dites. J’ai une question pour Mme Arnett. Madame Arnett, étant donné que vous avez travaillé sur les pipelines des deux côtés de la frontière, la perspective que vous avez est tout à fait particulière. Votre expérience est unique en son genre. Vous avez parlé des processus réglementaires des deux côtés et de la façon qu’ont nos voisins de prendre des décisions. Or, y a-t-il quelque chose en particulier que les Américains font comme il faut et que nous ne faisons pas? Y a-t-il quelque chose que nous faisons mal ou qui nous fait défaut? Y a-t-il quelque chose en particulier que nous pourrions consigner dans le compte rendu et mettre en œuvre?

Mme Arnett : Je pense que les États-Unis vouent un grand respect à l’indépendance énergétique. C’est fondamental pour le pays. Il y a une attitude beaucoup plus productive. Je construis principalement des lignes interétatiques qui ne relèvent pas de la Federal Energy Regulatory Commission, la FERC. Bien entendu, les règlements varient d’un État à l’autre. Il suffit d’aller sur le site web de la FERC pour voir les nombreuses approbations qui entrent en jeu. Les États-Unis ont la capacité de répondre de façon fluide à leurs besoins économiques, et cela fonctionne.

La sénatrice Cordy : Merci à vous deux d’être ici. Parfois, une diatribe est très utile. Cela vous fait bien plaisir, n’est-ce pas? Dans la plupart des villes du Canada et dans la ville d’où je viens, Dartmouth, il y a des gazoducs qui courent le long de nombreuses rues et qui ont des ramifications jusque dans chaque maison. Bon nombre d’entre nous ont une bouteille de propane dans leur cour pour alimenter un foyer, un poêle ou autre chose.

Comment se fait-il que ces types de petits pipelines — si on peut les appeler ainsi — soient très acceptables? Comment en sommes-nous arrivés là? Les gens ne votent pas pour savoir si les gazoducs vont passer dans les villes ou non. Ça arrive comme ça. Pourtant, il me semble que les principaux oléoducs sont très controversés partout au pays. Ce n’est peut-être pas le cas en Alberta, mais dans le reste du pays, oui. Comment en sommes-nous arrivés là?

Mme Arnett : D’abord, je ne savais pas que les diatribes étaient acceptables. J’ai peut-être un peu remanié les choses. Les pipelines sont hors de vue et hors de l’esprit. Fondamentalement, les gens ont confiance dans les pipelines. C’est le moyen le plus sûr de transporter nos produits. D’un point de vue économique, les petits pipelines qui sont hors de la vue et de l’esprit ne sont pas remis en question.

La sénatrice Cordy : Comment pouvons-nous changer cela? Comment faites-vous pour que les gens comprennent?

Mme Arnett : Nous devons surtout nous assurer que les personnes qui prennent les décisions concernant notre avenir énergétique sont des intervenants nationaux qui n’ont pas des intérêts divergents au sujet de la politique économique que le Canada devrait adopter.

La sénatrice Cordy : L’industrie devrait-elle faire la promotion de la sécurité et de la nécessité — parallèlement à toutes ces autres choses — ou devrait-elle tout simplement être régie?

Mme Arnett : L’industrie est devenue très active pour ce qui est d’éduquer le public. Je vous renvoie aux guides sur l’énergie de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Notre industrie collabore plus qu’elle ne l’a jamais fait pour préserver la confiance et l’acceptabilité sociale, mais fondamentalement, je pense que cet enjeu va au-delà de cette seule acceptabilité sociale.

M. Tuccaro : Je pense que ce sont simplement des questions de divisions administratives. L’installation d’un gazoduc dans une ville passera comme une lettre à la poste.

La sénatrice Cordy : Oui, c’est vrai. Cela ne concerne qu’une seule administration.

M. Tuccaro : Si vous voulez du chauffage, vous devez vous brancher et payer pour le combustible. Lorsque vous commencez à passer par d’autres territoires — comme les territoires traditionnels des communautés autochtones —, c’est différent parce que personne n’a jamais fait cela auparavant. Ce n’est pas que les populations autochtones s’y opposent d’emblée. C’est qu’elles ne comprennent tout simplement pas de quoi il retourne.

Prenez le temps de leur expliquer les choses pour qu’elles comprennent. Faites-les participer. J’ai travaillé dans les sables bitumineux. Je possède sept entreprises ici. Avant l’incendie, j’avais plus de 600 employés. Ce chiffre a été réduit à 180 après l’incendie. Nous avons reçu toute une raclée, mais nous sommes toujours là. C’est d’ici que nous venons. Si je devais mourir dans votre ville, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, quelqu’un me retrouverait et me ramènerait à Fort Chip. C’est de là que je viens.

La sénatrice Cordy : C’est ce que vous espérez, n’est-ce pas?

M. Tuccaro : Je pense que c’est une question de compétence. Lorsqu’il s’agit de l’oléoduc nécessaire à l’exploitation des sables bitumineux, c’est énorme. C’est un projet qui aura une incidence d’envergure sur un grand nombre de collectivités et de territoires différents. Pour obtenir cette approbation, vous devez leur parler. Imaginez que vous êtes ici, à Fort McMurray, et que quelqu’un se trouve actuellement à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, en train de faire un trou dans votre cour arrière. Lorsque vous entrerez à la maison et que vous verrez ce gros trou, qu’allez-vous penser? Qu’allez-vous faire? Vous allez dire : « Pourquoi diable creusez-vous dans mon jardin? »

C’est ce qui arrive souvent dans les communautés autochtones. Les entreprises font ce qu’elles veulent, puis, au bout d’un moment, elles disent : « Oh, nous sommes désolés. » Mais les choses ne se passent pas comme cela. Nous avons gagné beaucoup de procès. Les décisions de la Cour suprême appuient ce que nous disons depuis le début. Maintenant, nous comprenons les règles du jeu. Tout ce que nous voulons, c’est d’en faire partie.

La sénatrice Cordy : Pour ce qui est de votre deuxième point, madame Arnett, en ce qui concerne le volet sexospécifique de l’évaluation d’impact, en tant que femme de ce secteur, vous privilégiez le mérite plutôt que l’observation de quotas. L’Association des femmes autochtones a comparu devant notre comité. L’une des intervenantes a dit que quand un projet arrive dans une collectivité, elles veulent des emplois pour les femmes, mais aussi une certaine forme de soutien comme des services de garderie. Si elles travaillent dans la mine, elles n’ont pas des heures normales. En raison de la nature même des emplois, c’est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elles ont également dit qu’elles étaient très heureuses de voir l’analyse comparative entre les sexes se retrouver pour la toute première fois dans un projet de loi. Elles étaient d’avis que le fait d’inclure cette disposition dans le projet de loi donnait une voix aux femmes autochtones, ce qui fait cruellement défaut aux lois en matière d’énergie.

Que diriez-vous à ces femmes qui sont très heureuses de cela et qui reconnaissent qu’elles ont peut-être besoin d’un coup de pouce sur le plan législatif à l’égard de choses qui les concernent, comme des services de garderie 24 heures sur 24, par exemple?

Mme Arnett : Je dirais que la contribution des femmes aux projets de pipeline est extrêmement importante. Notre industrie a fait de grands progrès à ce chapitre, surtout si l’on remonte au moment où j’ai commencé à y travailler. Je crois fermement aux programmes d’aide gouvernementale comme Women Building Futures. Je ne vois pas comment cela peut s’insérer dans l’évaluation d’un projet. Je crois sincèrement qu’il faut prioriser la meilleure personne pour le poste.

Lorsque j’ai un emploi et qu’on me demande de participer à des activités, je crains toujours qu’on le fasse parce que je suis une femme plutôt qu’en raison de mes pensées, de mes idées et de la diversité que j’apporte. Bien sûr, les lois et les programmes gouvernementaux pour aider les femmes ont leur place. Je pense toutefois que ces considérations sont très déroutantes dans le contexte de l’évaluation du mérite d’un projet de pipeline.

La sénatrice Simons : Je tiens à dire à M. Tuccaro que je viens de l’Alberta. Je viens d’Edmonton, du territoire visé par le Traité no 6. Je sais que ma collègue, Patti LaBoucane-Benson, qui est notre autre sénatrice visée par le Traité no 6, a été retenue à Ottawa parce qu’elle s’occupe d’un texte de loi sur la protection de l’enfance autochtone. Elle aurait bien voulu être ici. Je veux aussi dire que je connais Fort McMurray. Vous avez peut-être connu mon père, Norman Simons, qui a été le premier avocat à ouvrir un cabinet.

M. Tuccaro : Oui, absolument.

La sénatrice Simons : Vous êtes la première personne que je rencontre ici qui est là depuis assez longtemps pour se souvenir de mon père. J’ai passé une grande partie de mon enfance à visiter Fort McMurray, alors je suis très heureuse d’y être à nouveau. Maintenant que j’ai exposé ma bonne foi, ma première question s’adresse à vous.

Lorsque votre chef, Archie Waquan, était ici plus tôt ce matin, il a défendu avec passion le projet de loi C-69. Vous nous avez offert une perspective très différente. Bien sûr, tous les Cris Mikisew n’ont pas à être d’accord avec tous les autres Cris Mikisew. En fait, j’imagine que cela n’arrive pas si souvent que cela.

M. Tuccaro : C’est ce que vous faites en ce moment même avec Trudeau, n’est-ce pas?

La sénatrice Simons : Non, non, non. C’est à cela que servent mes dents.

M. Tuccaro : C’est une fille.

La sénatrice Simons : Étant donné votre expérience quant à la négociation d’un pipeline, vous savez qu’il y a beaucoup de méfiance de l’autre côté de la frontière, surtout en Colombie-Britannique, où il s’agit d’un territoire largement non cédé et où très peu de gens ont des droits issus de traités sur leurs terres. Je comprends ce que vous dites, mais je ne sais pas si vous avez entendu le témoignage du chef Waquan.

M. Tuccaro : Non, je ne l’ai pas entendu. Tant mieux pour lui, cependant.

La sénatrice Simons : Je crois que, dans l’esprit de réconciliation, nous voulons des lois qui sont bonnes pour les peuples autochtones. Nous avons du mal à nous y retrouver lorsque nous entendons une foule de points de vue différents. J’ignore si votre expérience en Colombie-Britannique vous a permis d’apprendre quelque chose qui pourrait, selon vous, aider de façon plus générale à convaincre les gens que nous allons de l’avant avec une mesure réglementaire qui respecte les droits des Autochtones, sans toutefois éliminer toute possibilité de développement.

M. Tuccaro : La loi en vigueur permet à toute personne, d’où qu’elle vienne — même de Tombouctou —, d’intervenir dans un projet. Cela n’a pas de bon sens. L’impact de l’exploitation des sables bitumineux se manifeste ici même, dans le Nord de l’Alberta. Ce n’est pas à Tombouctou ou à San Francisco. C’est ici même. Nos collectivités sont les plus touchées. Nous devrions avoir un accès spécial pour veiller à ce que nos intérêts soient protégés, car ce n’est pas à un organisme environnemental de San Francisco qu’il incombe de recommander un moratoire sur la circulation des pétroliers à Prince Rupert sous prétexte qu’il s’agit d’un cri du cœur.

La sénatrice Simons : C’est un cri du cœur pour les ours.

M. Tuccaro : Tous ces intervenants sont venus à Fort McMurray pour dire : « Les sables bitumineux ne sont pas bons. Regardez tous ces sables accumulés ici. » Ils voyagent en jet privé, et tout le reste. Pourtant, un an plus tard, lorsqu’un incendie a ravagé notre région, ils n’étaient pas au rendez-vous. Où sont-ils quand nous avons besoin d’aide? Ils sont disposés à venir ici, à se faire photographier avec le chef et à se verser un seau d’eau glacée ou peu importe. Je ne sais pas. En tout cas, certains de nos chefs ne sont pas mieux, eux non plus. Ils se font payer pour s’asseoir à leurs côtés. C’est inacceptable.

Je comprends votre confusion. Je vous comprends tout à fait. Nous devons aller au fond du problème. Les chefs ne sont pas toujours les gens les mieux placés. En fin de compte, ce sont les collectivités qui vous laisseront passer sur leurs territoires. Le chef qui est alors au pouvoir pourrait ne pas être la bonne personne. S’il a été élu, c’est peut-être parce qu’il compte un plus grand nombre de proches qui ont voté pour lui. Tous ces facteurs doivent être pris en considération lorsque vous étudiez des demandes, que ce soit pour exploiter des sables bitumineux, des mines de diamants ou un gisement de nickel dans la baie de Voisey. Ce genre de questions doivent être débattues à la table des négociations, et vous devez en comprendre les ramifications.

Si vous n’avez pas les bonnes personnes devant vous au moment de prendre ces décisions et d’en discuter, vous n’y arriverez jamais. Ainsi, à l’étape de la mise en œuvre, vous vous retrouvez devant les tribunaux, ce qui entraîne d’autres retards. Les gens qui veulent investir dans les sables bitumineux finissent par dire : « Bon sang, ils sont fous, ces gens. Nous préférons investir au Venezuela. Les choses ne vont pas bien là-bas, mais c’est bien pire à Fort McMurray. » Vous voyez ce que je veux dire? Nous devons comprendre la situation dans son ensemble.

Ces collectivités en Colombie-Britannique ont été traitées injustement pendant tant d’années qu’elles ne font confiance à personne. Le gouvernement venait toujours leur répéter : « Je vais prendre soin de vous. » Or, il leur donnait juste assez pour les maintenir dans la pauvreté, et voilà que maintenant il propose de construire un pipeline. Ces gens ne vous font pas confiance. Vous devez leur tendre la main. Comment allez-vous vous y prendre? Vous êtes des sénateurs. Nous sommes tous des vieux de la vieille dans ce pays. Nous devons aborder ces questions et parler avec les gens sur le terrain.

Le sénateur Richards : J’étais un peu fâché contre le premier ministre Trudeau lorsqu’il a parlé de masculinité toxique en disant que c’est la raison pour laquelle il fallait une étude comparative entre les sexes. Je n’ai pas compris l’allusion aux garderies dans sa déclaration. Il parlait des hommes aux comportements toxiques, et sachez que j’ai moi-même un fils qui est venu travailler ici lorsque sa femme était enceinte. Pourtant, le premier ministre n’a rien dit au sujet des hommes qui vont à l’Université McGill. Je me demande ce que vous en pensez.

Mme Arnett : Franchement, je trouve que c’était insultant pour l’industrie de la construction. Je ne pense pas que cette remarque dénote une compréhension approfondie des pratiques canadiennes actuelles dans le domaine de la construction de pipelines, et je crois que c’est une notion dépassée. J’ai des employés dans des camps de chantier. Il y a aussi un nombre important de femmes. Je ne vois pas ce genre de troubles sociaux. L’industrie a des politiques et des procédures strictes, notamment en matière de sécurité et de harcèlement. Nous ne menons pas une opération broche à foin. Nous contribuons à une infrastructure de très grande importance. Si des cas surviennent, nous prenons des mesures disciplinaires en conséquence. À mon avis, le problème ne se pose tout simplement pas.

Le sénateur Richards : Monsieur Tuccaro, il y a un an, j’ai parlé avec le sénateur Sinclair au sujet de certaines questions. C’est absolument vrai. Je voudrais tellement que les Premières Nations soient autonomes dans l’exercice de leurs propres droits au Canada. J’aimerais beaucoup qu’elles enseignent leur langue à leurs enfants. J’aimerais bien que tout cela arrive, mais ce ne sera pas possible sans une autonomie financière. Je crois que vous en avez déjà parlé, mais comme j’ai noté la question, je vais vous la poser quand même. D’après moi, ces changements ne se produiront pas si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle.

M. Tuccaro : Comme je l’ai dit, certains chefs vont l’appuyer et d’autres, non. Au bout du compte, aux termes de l’ancienne loi, n’importe qui pouvait venir témoigner ou prendre la parole devant le comité. Il faut plutôt entendre les gens qui sont réellement touchés dans ces régions et ces collectivités. Que veulent-ils, eux? Voilà ce que vous devriez prendre en compte. J’ignore si vous travaillez en fonction de pourcentages, mais vous devriez consacrer 70 p. 100 de votre temps à ces témoignages et 20 p. 100 à tout le reste. Je ne sais pas, mais ce sont ces gens qui seront touchés au final.

Les sables bitumineux ont eu des répercussions sur l’ensemble du Canada. Nous versons des recettes fiscales à l’Alberta et à Ottawa pour la construction de projets de sables bitumineux. De plus, bon nombre des travailleurs viennent de l’Est du Canada. En tant que sénateurs, vous avez des relations ici. Je le répète, Fort McMurray est la deuxième ville en importance pour les Terre-Neuviens. Nous contribuons à l’ensemble de l’économie canadienne.

Je me vais lancer dans une autre diatribe. Nous avons besoin d’accès. Nous avons besoin d’occasions. Nous devons être reconnus au sein de l’Office national de l’énergie. Il devrait y avoir un Autochtone parmi ses membres. Nous devrions nous concentrer sur les droits traditionnels. Par ailleurs, des traités ont été négociés il y a des années. C’est ce qui inquiète les dirigeants politiques autochtones, mais nous sommes sur la bonne voie.

Je dirige un groupe d’entreprises. Je me débrouille bien. Je n’ai plus besoin de passer autant de temps à chercher des fonds parce que j’en ai accumulé suffisamment. Beaucoup de jeunes sont à la recherche de débouchés. Nous les appuyons ici, à Fort McMurray. La région compte plus de 130 entreprises autochtones qui fournissent des produits et des services à l’industrie des sables bitumineux. Nous comptons sur nos propres moyens. Nous payons des impôts. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela partout ailleurs au Canada?

Le Sénat pourrait être un point de départ. Il faut brasser ces jeunes politiciens. Ils ont les nerfs à fleur de peau. Leur mot d’ordre, c’est : « Vous m’avez insulté; vous avez insulté mon cœur. » On s’en fout, non? Allez donc sur le terrain et faites sortir le pays de l’impasse.

La présidente : Merci beaucoup.

C’est maintenant au tour du sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai quelques questions à poser.

[Traduction]

J’imagine que Mme Arnett n’est pas la présidente fondatrice de l’entreprise si cette dernière existe depuis 60 ans.

[Français]

Depuis plusieurs années, on construit des pipelines. Je me suis amusé à regarder la carte des pipelines qui passent dans ma région. En tant qu’ancien maire de la ville de Saint-Eustache, je sais qu’une ligne traverse la ville d’est en ouest sur une distance d’environ 6 kilomètres. Il y en a une autre qui est à l’extrémité. Un de ces pipelines est à 50 pieds de l’une de mes propriétés et je ne le savais même pas. Une troisième ligne passe à 500 pieds de ma maison, ce que j’ignorais. Je regardais le plan et ils traversent tous la rivière des Mille Îles près d’où j’habite. Donc, ils traversent des rivières et des zones résidentielles, et il n’y a jamais eu de problème. La problématique actuelle n’est-elle pas liée au fait que les citoyens ne sont pas suffisamment informés de la qualité des pipelines et du risque d’accident, qui est extrêmement faible?

[Traduction]

Mme Arnett : Merci, sénateur. En effet, c’est mon grand-père qui a fondé l’entreprise. Nos pipelines sont partout. Il y a peut-être plus de pipelines que de routes et de lignes électriques, prises ensemble. C’est une infrastructure qu’on n’est pas obligé d’aimer, mais que tout le monde utilise. Nos pipelines passent inaperçus grâce à l’excellence en génie qui a été mise à profit dans leur construction. Ils sont sans danger, et ils durent longtemps s’ils sont bien construits, planifiés et conçus.

Ils permettent de transporter une marchandise qui n’attire pas beaucoup l’attention parce que tout le monde y a recours, et peut-être que personne ne s’en soucie parce que les gens ne savent pas comment le réseau joue un rôle de liaison. À mon avis, beaucoup de fausses informations circulent à ce sujet. Si l’industrie est à la traîne, c’est peut-être parce qu’elle n’a jamais eu à communiquer ces renseignements auparavant, car personne ne s’y intéressait. J’ai grandi dans l’industrie et, quand j’étais jeune, personne ne savait vraiment ce que ma famille faisait en construisant des pipelines. Je n’aurais jamais cru que les pipelines feraient un jour les manchettes des journaux ou qu’ils seraient aussi controversés et aussi à la mode qu’aujourd’hui. De nos jours, c’est un des sujets les plus accrocheurs dans les médias. Je n’ai pas beaucoup d’explications à donner, si ce n’est de dire que, selon moi, les pays riches en ressources énergétiques partout dans le monde ont tout intérêt à ce que nos réserves demeurent inexploitées.

[Français]

Le sénateur Carignan : Puisqu’on parle du projet de loi C-69, devrait-on prévoir des corridors énergétiques? Croyez-vous que des corridors énergétiques favoriseraient la construction et le transport, et limiteraient le nombre de zones qui sont impactées? Devrait-on tenir des consultations à propos des corridors énergétiques ? Par la suite, les autorisations permettant la construction de pipelines ou de lignes hydroélectriques sur un corridor énergétique seraient beaucoup plus simples et seraient traitées en priorité pour ce qui est d’approuver ce qui serait construit à l’intérieur d’un corridor énergétique?

[Traduction]

Mme Arnett : Je crois que l’un des grands avantages du Canada, c’est que nous avons prévu des corridors de passage dans lesquels coexistent souvent les éléments d’actif liés aux services publics. Ce qui paraît simple du point de vue environnemental et esthétique peut donner du fil à retordre aux ingénieurs; la co-installation des lignes électriques et des pipelines en est un exemple.

Nous participons activement aux travaux d’atténuation des effets du courant alternatif. Même si la co-installation de ces éléments d’actif peut réduire l’empreinte géographique, elle s’accompagne de problèmes de corrosion et de sécurité, ce qui n’est pas de tout repos. Pour les exploitants de pipeline responsables qui s’efforcent de réduire l’empreinte, le tracé est toujours un facteur important qui entre en ligne de compte dans la planification et la conception. S’ajoutent à cela des questions pragmatiques liées à l’emplacement éventuel du pipeline.

La présidente : Nous devons maintenant passer aux dernières questions, qui seront posées par les sénateurs Neufeld et Mockler.

Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé de l’Ouest canadien. Je suis moi-même originaire de l’Ouest, plus précisément de Fort St. John, en Colombie-Britannique. Ayant travaillé dans l’industrie pétrolière et gazière durant ma jeunesse, j’ai consacré une bonne partie de ma vie politique à ce dossier. Nous avons parlé de l’absence de projets de pipelines en Colombie-Britannique. Figurez-vous qu’en ce moment même, on est en train de construire un gazoduc de 42 pouces juste au nord d’où je vis, le long de la côte, en vue d’une usine de gaz naturel liquéfié. Pour l’heure, les travaux de forage sous la rivière de la Paix battent leur plein. Ce sera un trou de 56 pouces, et il faudra six ou sept mois pour terminer le tout.

Là d’où je viens, monsieur, nous sommes habitués aux pipelines, contrairement aux gens du Sud de la province. La région est située sur le tracé du pipeline Eagle Spirit, juste au nord de Fort St. John. Il n’y a pas beaucoup de pétrole dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. Nous en avons en petite quantité. Chez vous, ici, le pétrole ne manque pas. En revanche, la Colombie-Britannique compte l’une des plus grandes réserves de gaz naturel en Amérique du Nord. Nous cherchons à acheminer ce produit vers la côte.

Le projet de pipeline en question a franchi toutes les étapes du processus d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique — à noter qu’il ne s’agissait pas du processus fédéral. L’une des raisons pour lesquelles le projet a obtenu le feu vert, c’est parce que Shell a mis le paquet pour consulter les gens. N’oublions pas le projet Trans Mountain. Je suis allé à l’endroit où la canalisation sera installée. On parle d’environ 50 pieds. C’est en plein milieu d’une rue urbaine. Voilà qui soulève des inquiétudes. Je peux vous l’assurer. Les gens ne sont pas habitués à une structure d’une telle taille. C’est beaucoup plus gros que le pipeline qui est actuellement en place. La plupart des gens ne savaient probablement pas qu’il y en avait un là-bas, à moins qu’ils aient remarqué les bandes jaunes le long de la route.

Les militants du mouvement écologique veulent mettre fin à l’exploitation des sables bitumineux.

M. Tuccaro : Oui, absolument.

Le sénateur Neufeld : Ils s’attaquent aux pipelines. Ils se rendent sur place. C’est ce qu’ils ont fait. Voilà un peu ce qui se passe. C’est vraiment déplorable. Je préférerais que le projet de pipeline aille de l’avant. Je suis en faveur. J’aimerais que le projet se concrétise parce que je suis convaincu que c’est possible dans le monde d’aujourd’hui, grâce à la technologie dont nous disposons et aux procédés de construction et d’entretien des pipelines. La canalisation actuelle ne pose aucun problème. Elle existe depuis peut-être une cinquantaine d’années, mais elle fait l’objet d’une surveillance constante et elle fonctionne bien.

Monsieur Tuccaro, vous avez parlé du critère de sélection. La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 ne laissait pas intervenir tout le monde dans le processus. Seuls les habitants touchés et les experts avaient le droit d’y participer. Les autres pouvaient déposer des mémoires, mais la priorité était accordée aux deux premières catégories de participants. Le projet de loi à l’étude, pour sa part, instaure un processus ouvert à tout le monde. Je suis tout à fait contre cette idée; je m’y oppose totalement et absolument. Nous ne devrions pas adopter une telle approche. Il n’y a pas de mal à obtenir l’avis des experts et à recueillir les observations des autres personnes ou des autres localités, mais ce sont aux gens directement touchés que nous devrions parler.

Lorsque vous avez dit tout à l’heure que le processus était grand ouvert, saviez-vous que ce n’était pas le cas avant?

M. Tuccaro : Ah, non, je ne le savais pas, mais le projet de loi propose de laisser intervenir tout le monde.

Le sénateur Neufeld : C’est bien cela.

M. Tuccaro : Saviez-vous que des entreprises comme celle des frères Koch aux États-Unis financent des groupes environnementalistes pour leur permettre de venir ici et de perturber les activités d’exploitation pétrolière?

Le sénateur Neufeld : Oui, parce qu’elles veulent éliminer le secteur des sables bitumineux.

M. Tuccaro : Ces entreprises financent de façon détournée une fondation qui, à son tour, finance une autre fondation qui paie ensuite de jeunes Autochtones pour qu’ils aillent manifester sur le pont Lions Gate, à Vancouver. Ces jeunes Autochtones sont fauchés. Donnez-leur 500 $, et ils iront n’importe où.

Le sénateur Neufeld : Il ne s’agit pas seulement de jeunes Autochtones.

M. Tuccaro : En effet, ils ne sont pas les seuls. Ces entreprises demandent à des jeunes qui n’ont pas d’argent d’aller manifester. Figurez-vous que certains des manifestants ici s’étaient enchaînés à une fichue pelleteuse. Ce jour-là, j’étais en train de parler à un représentant de Shell. Je lui ai demandé : « Vous allez où comme ça? » Il avait des bouteilles d’eau avec lui, et il m’a répondu : « Je dois aller les porter aux manifestants. » Je lui ai dit : « Qu’ils se débrouillent. De toute façon, les moustiques seront là dans une heure. Ils n’auront alors pas le choix de retirer leurs foutues chaînes. »

Le sénateur Neufeld : Tout à fait. Si nous avions des moustiques, nous pourrions en exporter quelques-unes là-bas. Je tenais à apporter cette précision.

M. Tuccaro : Oui. Je vous en remercie.

La présidente : Merci, sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : Nous nous trouvons en territoire visé par le Traité no 8. Nous sommes sensibles aux traités. Je voulais simplement poser la question pour qu’elle figure au compte rendu. Si le temps nous le permettait, je poserais plus de questions.

Le sénateur Mockler : Je n’ai pas de question, mais je voulais formuler une remarque aux fins du compte rendu. Notre comité comprend 14 sénateurs, dont les deux tiers sont ici. Pour le public et les témoins qui ont entendu les commentaires précédents, les deux tiers des sénateurs membres du comité de l’énergie sont ici, sous la houlette de la présidente. Les autres parlementaires ou les autres sénateurs avaient des obligations et sont restés à Ottawa parce que le Sénat siège.

M. Tuccaro : Oui.

Le sénateur Mockler : Vous avez également demandé si le comité comptait des sénateurs issus des Premières Nations. Oui, il comprend deux sénatrices qui, comme moi, font partie des Premières Nations. Quand je dis « comme moi », je veux dire qu’elles sont ici, à cette table. Il s’agit des sénatrices LaBoucane-Benson et McCallum, qui assument des responsabilités au Sénat. Je tenais à éclaircir les faits.

On m’a posé une autre question. Hier soir, je parlais à des Albertains de Saint Leonard, au Nouveau-Brunswick, ma province d’origine. Les Néo-brunswickois qui travaillent ici appellent cet endroit Fort Mac. Ils m’ont demandé qui parraine le projet de loi. Je peux vous affirmer que ce n’est pas un sénateur du Nouveau-Brunswick. Je tiens à ce que les témoins et le public sachent que c’est un sénateur de l’Alberta, Grant Mitchell, qui en est le parrain.

Avant que je ne parle de ce qu’un témoin nous a dit, peut-être devriez-vous parler au sénateur Grant Mitchell. Un témoin nous a indiqué qu’au cours des 8, 10 ou 12 dernières années, les États-Unis ont construit l’équivalent de 8 ou 10 pipelines Keystone XL. Nous nous souvenons tous de ce que l’administration Obama a dit au sujet de ce pipeline au Canada pendant la même période.

Si on observe ce qu’ont construit les États-Unis, notre principal partenaire commercial, ils ont construit l’équivalent de trois pipelines reliant les ports de Halifax et de Vancouver. Ils ont construit trois pipelines mesurant approximativement 6 500 kilomètres de long. Au Canada, c’est le néant, à ma connaissance.

Je demande donc aux professionnels que vous êtes « Qu’est-ce qui cloche au Canada? Qu’est-ce qui a été de travers au Canada pendant cette période? » Je considère que ce qui vous est proposé dans le projet de loi C-69 entraînera des pertes d’emplois. Non seulement cela sera-t-il néfaste, mais cela empêchera nos enfants et nos petits-enfants de profiter de la richesse au Canada.

M. Tuccaro : Oui, et tout prend le chemin des États-Unis.

La présidente : Non, je pense que la question a été posée.

Le sénateur Mockler : Qu’en pensez-vous?

La présidente : Êtes-vous d’accord?

Mme Arnett : L’Association canadienne de pipelines d’énergie a un graphique qui en dit long sur les pipelines. Le Canada dispose d’un des réseaux de pipelines côtiers les plus étendus du monde. Cette association a un graphique sur un pipeline d’exportation de la région de vallée du bas Fraser par l’entremise duquel nous exportons des quantités minimes. À cela s’ajoute le projet de gaz naturel liquéfié proposé. C’est essentiellement tout.

Les États-Unis, fort de réserves énormes, n’ont pas besoin de nos produits. Nous n’avons pas réussi à acheminer nos produits au marché, c’est aussi simple que cela.

La présidente : Sur ce, je dois mettre fin à la rencontre avec ce groupe de témoins. Merci beaucoup d’avoir comparu.

(La séance est levée.)

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