LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
ST. JOHN’S, le mardi 23 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications à d’autres lois corrélatives, se réunit aujourd’hui à 8 h 58 pour en faire l’étude.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, et je suis une sénatrice du Québec. Je suis la présidente de ce comité. Je vais maintenant demander aux sénateurs qui sont autour de la table de se présenter, en commençant par la personne à ma gauche.
Le sénateur Massicotte : Le sénateur Massicotte, du Québec.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.
La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Twillingate, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Traité no 10, région du Manitoba.
La présidente : J’aimerais également remercier les analystes, M. Jesse Good et M. Sam Banks, ainsi que la greffière du comité, Maxime Fortin. Je remercie également les sténographes et les traducteurs, qui nous accompagnent et qui font un excellent travail pour rendre notre débat possible.
Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Adam Sparkes, directeur des relations gouvernementales chez Husky Energy, et David Pinsent, son conseiller principal en environnement. De la Newfoundland and Labrador Oil and Gas Industry Association, nous accueillons Charlene Johnson, chef de la direction. De l’Association canadienne des producteurs pétroliers, nous accueillons Paul Barnes, directeur, Canada atlantique et Arctique. Et de la Chambre de commerce de St. John’s, nous accueillons Brandon Ellis, spécialiste des politiques et de la défense des intérêts.
Chacun de ces quatre groupes disposera de cinq minutes, à la suite de quoi il y aura une période de questions et réponses.
Monsieur Sparkes.
Adam Sparkes, directeur, relations gouvernementales, Husky Energy : Merci de me donner l’occasion de comparaître devant le comité ce matin. L’approche de Husky consiste à participer de façon constructive à l’examen du projet de loi C-69. Pour nous, cela signifie expliquer nos préoccupations particulières et présenter certains amendements en réaction à ces préoccupations, aborder les points forts du projet de loi et les saluer, tout en reconnaissant qu’à l’heure actuelle, le statu quo ne fonctionne pas.
Vous avez une copie du mémoire de Husky daté du 12 mars. Bien que notre mémoire porte sur de nombreuses questions, aujourd’hui, nous nous concentrerons sur trois préoccupations liées précisément aux activités pétrolières et gazières au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Vous constaterez qu’il y a un fil conducteur derrière ces préoccupations, et c’est le respect de l’Accord atlantique et du système de gestion conjointe qu’il a établi.
L’accord a été signé entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour régler un conflit de compétence et instaurer la gestion conjointe des ressources extracôtières. À ce sujet, la principale expression de cette gestion conjointe est l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, l’OCTLHE. À notre avis, les dispositions clés du projet de loi réservent un rôle de second plan au conseil d’administration, qui est à la remorque des évaluations d’impact, et ne respectent pas la promesse de gestion conjointe de l’Accord atlantique.
Notre première préoccupation est que les puits d’exploration au large de Terre-Neuve-et-Labrador ne devraient pas figurer sur la liste des projets. Je ne m’y attarderai pas parce que je sais que c’est une préoccupation que nous partageons et que vous l’avez déjà entendue. Nous demandons au gouvernement fédéral de publier dès que possible une liste provisoire de projets afin que le comité permanent puisse l’examiner dans le cadre de son étude du projet de loi C-69. Nous avons été encouragés par les déclarations de certains hauts fonctionnaires fédéraux qui ont comparu devant vous et selon lesquels la liste des projets doit privilégier les grands projets. À notre avis, les projets bien définis, assortis de mesures d’atténuation établies et évalués par des organismes de réglementation du cycle de vie expérimentés et reconnus ne devraient pas figurer sur la liste des projets. En plus de posséder ces caractéristiques, les puits d’exploration extracôtiers amènent des activités de courte durée, de quelques mois seulement. Il ne s’agit pas de grands projets et ils n’ont pas leur place sur cette liste de projets.
Notre deuxième préoccupation est qu’une commission d’examen ne devrait pas être la seule option d’évaluation pour certaines activités pétrolières et gazières extracôtières. Dans sa forme actuelle, le projet de loi exige un examen complet devant une commission des activités pétrolières et gazières extracôtières désignées. Ce faisant, il empêche le recours à d’autres options d’évaluation, comme les examens par d’autres organismes, les substitutions et les commissions d’examen conjoint. Cela pose problème pour deux raisons. Premièrement, cela va à l’encontre d’un des principes fondamentaux de tout système d’évaluation, à savoir que l’ampleur et la nature de l’évaluation doivent être adaptées à l’ampleur et à la nature du projet à évaluer. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas eu d’examen par une commission du développement au large de Terre-Neuve-et-Labrador depuis Terra Nova dans les années 1990. La souplesse nécessaire pour choisir une option d’évaluation adaptée au projet évalué existe actuellement. Elle existait dans le cadre de lois fédérales antérieures sur l’évaluation environnementale. En fait, le projet de loi prévoit cette souplesse pour les activités pétrolières et gazières terrestres et elle devrait également être permise dans le cas de certaines activités extracôtières préalablement définies.
Deuxièmement, il rend la promesse d’un examen par projet impossible pour l’exploitation extracôtière. L’office doit examiner un projet proposé conformément aux exigences des lois de mise en œuvre de l’accord, peu importe ce qui est exigé en vertu de la loi sur l’évaluation d’impact proposée. L’aspect de développement, en vertu des lois de mise en œuvre de l’accord, couvre un large éventail de questions allant du mode d’expansion à l’environnement, en passant par la sécurité et les retombées. Ce processus d’examen comporte souvent un examen public, mené par le commissaire ou une commission d’examen en vertu des lois de mise en œuvre de l’accord. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale, l’ACEE, et l’office ont travaillé par le passé pour intégrer ces deux processus d’examen afin d’éviter le plus possible les chevauchements et les dédoublements, ce que les lois de mise en œuvre de l’accord permettent. Dans sa forme actuelle, la Loi sur l’évaluation d’impact proposée complique l’intégration des évaluations d’impact et des examens en vertu des lois de mise en œuvre de l’accord, plutôt que de la faciliter.
Je reviens à l’exemple de Terra Nova. Dans ce cas, on avait déterminé qu’une commission d’examen conjoint serait la façon la plus efficace de satisfaire aux exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, la LCEE, aux lois de mise en œuvre de l’accord et également à la législation provinciale en matière d’évaluation environnementale. En vertu de la loi proposée, cette voie tout à fait sensée serait en fait interdite. L’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’ACPP, a proposé des modifications qui maintiendraient une certaine souplesse quant aux options d’évaluation et assureraient une collaboration continue entre l’ACEE et l’office. Les modifications proposées par l’ACPP sont d’ordre pratique. Elles permettraient l’examen le mieux rationalisé, ce qui est essentiel pour améliorer la compétitivité du Canada à l’échelle mondiale — et qui constitue un objectif explicite du projet de loi à l’étude. Fait tout aussi important, ces modifications respectent davantage la gestion conjointe et l’Accord atlantique.
La troisième et dernière préoccupation que nous soulevons ce matin concerne les organismes de réglementation du cycle de vie, qui ont de l’expérience, des connaissances et de la crédibilité, et qui devraient être mis à profit lors des examens en commission. Dans les cas où un examen en commission est exigé, le projet de loi sur l’évaluation d’impact marginalise le rôle de l’OCTNLHE en précisant que les personnes choisies parmi les membres de l’office ne peuvent constituer une majorité au sein de la commission. On ne tient pas compte de l’expérience et de l’expertise de l’office en ce qui concerne les activités extracôtières. On devrait pourtant choisir la personne la mieux placée, celle qui possède les connaissances pertinentes, pour faire partie des commissions. Le plafond de participation imposé aux membres de l’office devrait être supprimé. Nous vous encourageons également à faire preuve de plus de souplesse quant aux personnes que le conseil d’administration peut nommer sur les listes et à être plus précis. Ce que j’entends par là, c’est que le conseil d’administration devrait être en mesure de nommer toute personne ayant une expertise pertinente, sans se limiter aux seuls membres de l’office.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant le comité permanent et nous serons heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci.
Madame Johnson.
Charlene Johnson, chef de la direction, Newfoundland and Labrador Oil & Gas Industries Association : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Au nom des quelque 600 membres de la NOIA, je vous remercie d’être venus dans notre province et de consacrer du temps à la NOIA pour répondre à certaines de ses préoccupations au sujet du projet de loi C-69.
Notre zone extracôtière est vaste. Selon une évaluation indépendante menée par Beicip-Franlab, à Paris, il y a plus de 49 milliards de barils de pétrole au large de nos côtes, et seulement 7 p. 100 de nos ressources extracôtières ont été évaluées.
Pour quantifier l’importance de son industrie et déterminer la valeur de ses ressources extracôtières, la NOIA a engagé un économiste. Le rapport complet est disponible en ligne à l’adresse imaginethepotential.ca. Je vous en ai remis des exemplaires, mais je vais vous faire part de quelques-uns de ses points saillants aujourd’hui. En 2003, l’industrie pétrolière et gazière extracôtière représentait 36 p. 100 du PIB de la province et s’est maintenue à ce niveau pendant plusieurs années. En 2017, elle comptait encore pour 23 p. 100. En 2017, on recensait plus de 24 000 emplois dans l’industrie à Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui s’est traduit par des revenus de travail d’une valeur de 2 milliards de dollars et des dépenses de consommation de 1,4 milliard de dollars. On comptait également plus de 10 000 emplois dans le reste du Canada, créés grâce à l’industrie extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador. À l’aide de données provenant de sources fiables, comme Statistique Canada, on a utilisé le nombre prudent de 2,2 milliards de barils pour prévoir les retombées à venir. Si un tel développement se produisait, d’ici 2045, Terre-Neuve-et-Labrador pourrait recevoir plus de 100 milliards de dollars en redevances et en taxes. Ça change énormément la donne pour une province de 525 000 habitants.
Ce modèle indique qu’en 2033, les salaires et les dépenses de consommation pourraient doubler pour atteindre 4,6 milliards de dollars et 3,5 milliards de dollars respectivement. Tout cela grâce à 56 000 emplois. Ce modèle prévoit également des recettes fiscales de 3,3 milliards de dollars pour les autres provinces et pour Ottawa pour la seule année 2033. Toutefois, nous faisons face à des obstacles qui nous empêchent de réaliser ce potentiel.
Les membres de la NOIA sont particulièrement préoccupés par l’ambiguïté de la loi concernant le pouvoir du ministre et du gouverneur en conseil d’établir des échéanciers et de prolonger un délai. Les dispositions de la loi qui permettent de « prolonger le délai » n’offrent pas la clarté et la certitude que les investisseurs recherchent et auxquelles ils s’attendent. L’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers est l’organisme de réglementation le plus près des ressources, et les membres de la NOIA demandent instamment que les offices extracôtiers puissent jouer un rôle législatif dans le processus d’examen. De plus, les programmes de forage exploratoire, qui durent habituellement de 30 à 90 jours, ne devraient pas figurer sur la liste des projets désignés. Les puits d’exploration au large de Terre-Neuve-et-Labrador sont soumis à des mesures d’atténuation bien définies, établies à la suite de décennies d’activités et de la participation d’un organisme de réglementation, l’OCTNLHE.
La NOIA a récemment retenu les services d’une société d’experts-conseils internationale, Wood MacKenzie, pour comparer le processus d’approbation environnementale des puits d’exploration à Terre-Neuve-et-Labrador à celui d’autres pays comme la Norvège, le Royaume-Uni et l’Australie. Ces pays sont considérés comme des chefs de file en matière de protection de l’environnement et font également partie des pays avec lesquels le Canada est en concurrence pour attirer des investissements mondiaux. Vous recevez ces renseignements en grande primeur aujourd’hui, car nous devons les publier plus tard. Vous verrez sur la diapositive que nous vous avons fournie qu’en Nouvelle-Écosse, le délai moyen pour l’évaluation environnementale d’un puits de prospection est de 698 jours. À Terre-Neuve-et-Labrador, le délai moyen est de 905 jours en vertu de la LCEE 2012 et cinq autres projets font actuellement l’objet d’un examen allant de 124 à 907 jours.
Voyons maintenant les conclusions de Wood MacKenzie : en Australie, la moyenne est de 144 jours; dans le golfe du Mexique, 96 jours; en Norvège, 79 jours; au Royaume-Uni, 18 jours. Ces comparaisons montrent-elles que nous sommes concurrentiels? Les membres de la NOIA ne le croient pas. Les données parlent d’elles-mêmes.
Pour attirer et retenir les investissements afin de réaliser notre potentiel de 100 milliards en revenus et redevances, il nous faut être efficaces et concurrentiels. Nous avons cette chance de pouvoir tirer profit du pétrole extracôtier canadien, dont les émissions de gaz à effet de serre au moment de l’extraction sont de 30 p. 100 inférieures à la moyenne, pour aider à répondre aux besoins énergétiques du monde. Faisons en sorte que ce projet de loi soit bien ficelé, de sorte que nous puissions utiliser les ressources naturelles du Canada de façon sécuritaire et respectueuse de l’environnement afin de répondre à la demande mondiale d’énergie.
Je vous remercie encore une fois du temps et de l’attention que vous m’avez accordés aujourd’hui et je serai heureuse de répondre à vos questions. Nous espérons que vous nous aiderez à réaliser notre potentiel ici, à Terre-Neuve-et-Labrador. Merci.
La présidente : Merci.
Monsieur Barnes.
Paul Barnes, Directeur, Canada atlantique et Arctique, Association canadienne des producteurs pétroliers : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, bienvenue à Terre-Neuve-et-Labrador. Je m’appelle Paul Barnes, et je suis directeur de la région de l’Atlantique et de l’Arctique pour l’Association canadienne des producteurs pétroliers, dont on parle souvent sous l’acronyme ACPP. J’ai mes bureaux ici à St. John’s, Terre-Neuve. L’ACPP est heureuse d’avoir l’occasion de formuler des observations pour éclairer l’examen du comité. Comme vous le savez, Tim McMillan, président de l’ACPP, a comparu devant le comité à Ottawa en février et a souligné les préoccupations de toute l’industrie à l’égard du projet de loi C-69. Mon exposé d’aujourd’hui portera plus particulièrement sur les préoccupations liées aux activités extracôtières dans l’industrie.
Tout d’abord, parlons un peu de qui nous sommes. Les membres de l’ACPP produisent 80 p. 100 des ressources gazières et pétrolières du Canada. Les ressources extracôtières du Canada atlantique contribuent de façon importante à l’industrie pétrolière et gazière du Canada et procurent de nombreux avantages aux Canadiens de l’Atlantique. Je ne citerai pas davantage de statistiques, sur l’emploi et autres, associées à notre industrie, car Charlene en a déjà mentionné plusieurs dans sa déclaration préliminaire. Je tiens toutefois à insister sur l’importance qu’accordent les membres de l’ACPP à l’établissement et au maintien de processus réglementaires stables et cohérents. Les processus réglementaires doivent être prévisibles sur le plan des coûts et des échéanciers, de même qu’ils doivent avoir une portée bien définie. Sans ces éléments, l’investissement dans les ressources extracôtières du Canada diminuera et il est essentiel que les ressources extracôtières du Canada demeurent concurrentielles par rapport à celles des autres pays, de même qu’il faut pouvoir poursuivre le développement de ces ressources de façon sécuritaire et responsable.
L’ACPP a noté cinq préoccupations concernant le projet de loi C-69 du point de vue de l’exploitation extracôtière. Notre première préoccupation concerne le renvoi automatique de toutes les activités extracôtières à une commission d’examen obligatoire, conformément à l’article 21 du projet de loi. Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne contient aucune disposition permettant de substituer d’autres processus à l’examen par une commission. L’ACPP propose de supprimer l’examen obligatoire par une commission prévu à l’article 21 du projet de loi et d’ouvrir toutes les formes de processus d’évaluation présents dans la Loi aux activités pétrolières et gazières extracôtières, par exemple : l’examen par un organisme d’évaluation indépendant; l’examen par une commission; les autres substitutions; les examens par une commission conjointe. Cela ferait en sorte que l’envergure d’une évaluation soit proportionnelle à l’ampleur des répercussions potentielles.
Notre deuxième préoccupation concerne les délais. Dans un amendement au projet de loi C-69 proposé par le Comité permanent de l’environnement et du développement durable, on a proposé de réduire de 600 à 300 jours le délai prévu pour la commission d’examen des activités extracôtières, avec possibilité que le ministre le fasse passer à 600 jours. Même avec la réduction proposée du délai réglementaire de 600 à 300 jours, avec l’ajout de la phase de planification précoce, qui est de 180 jours, et la possibilité de prolongation par le ministre, on prévoit que le processus réglementaire d’évaluation d’impact continuera d’être plus long que celui d’autres administrations comparables, comme Charlene l’a mentionné. En fait, cela pourrait donner lieu à un processus d’approbation de trois ans et demi pour chaque projet. La prorogation du délai de la commission d’examen des activités extracôtières par le ministre ne devrait être accordée que dans des circonstances extraordinaires.
L’ACPP propose donc de supprimer les dispositions qui permettent au ministre d’établir un délai supérieur aux 300 jours précisés à l’article 37.1 du projet de loi C-69. Je répète également ici les recommandations faites quant aux échéanciers dont le mémoire global de l’ACPP du 15 février fait état, y compris la demande d’un délai législatif maximal.
Une autre préoccupation est la diminution, dans ce projet de loi, du rôle de l’organisme de réglementation du cycle de vie, l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers. Conformément à l’esprit des lois de mise en œuvre de l’accord, les offices des hydrocarbures extracôtiers doivent être désignés comme autorités responsables de tous les processus d’évaluation environnementale pour leur territoire respectif. Le fait de ne pas accorder ce pouvoir va à l’encontre des principes de gestion conjointe des lois de mise en œuvre de l’accord. L’inclusion à titre minoritaire des organismes de réglementation du cycle de vie au sein de la commission d’examen proposée ne tient pas pleinement compte de l’expertise des offices extracôtiers dans ce processus et ne respecte pas non plus les dispositions de l’Accord atlantique quant à la gestion conjointe des ressources extracôtières. L’ACPP recommande donc que la Loi sur l’évaluation d’impact énonce des dispositions claires à l’article 21 du projet de loi qui traite de ces questions et reconnaisse les offices des hydrocarbures extracôtiers comme des organismes de réglementation du cycle de vie.
Un autre sujet de préoccupation pour l’industrie concerne les évaluations régionales. L’évaluation régionale peut être utile si elle est conçue et utilisée de façon appropriée. Mais il faudrait alors appliquer un modèle plus structuré de prise en compte des évaluations régionales au moment de la planification précoce afin de réduire le chevauchement des efforts. Par conséquent, l’ACPP suggère que des dispositions soient incluses pour obtenir le résultat souhaité quant aux délais d’évaluation et au rôle de l’organisme de réglementation du cycle de vie. La loi devrait également prévoir des exigences claires pour les exploitants au terme de l’évaluation régionale.
La dernière préoccupation que j’aimerais mettre en avant aujourd’hui concerne l’exploration. Comme Adam et Charlene l’ont mentionné, le forage exploratoire et les programmes géophysiques ne font pas partie de la liste des projets désignés par le gouvernement fédéral. Il faut mettre l’accent sur les activités concrètes les plus susceptibles de produire des effets négatifs sur l’environnement. L’exploration extracôtière est une activité de courte durée. Les risques et les mesures d’atténuation sont bien documentés et bien compris. Le Canada doit imiter d’autres pays réputés mondialement pour leur approche en matière d’évaluation de l’exploration. L’ACPP exhorte donc le gouvernement à exclure les forages exploratoires et les programmes géophysiques de la liste de projets désignés.
Le document de consultation sur la liste des projets désignés n’a pas été publié. À notre avis, c’est inacceptable, vu le lourd fardeau qu’imposerait à l’industrie le renvoi automatique à une commission d’examen de toute activité extracôtière sur la liste des projets désignés. Nous sommes d’avis que le comité a été placé dans une position difficile pour examiner le projet de loi, car il ignore à quoi il s’applique. Nous estimons qu’un examen approfondi du document de consultation sur la liste des projets désignés, parallèlement à l’examen du projet de loi, constitue une condition préalable nécessaire pour que le comité puisse mener à bien son travail.
En résumé, l’ACPP exhorte le comité à se pencher sur les modifications proposées dans leur ensemble, afin de rétablir et de maintenir la confiance des investisseurs dans l’industrie extracôtière canadienne. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous, et je me ferai un plaisir de répondre à toute question qui pourrait subsister.
La présidente : Merci.
Monsieur Ellis.
Brandon Ellis, spécialiste des politiques et de la défense des intérêts, Chambre de commerce de St. John’s : Bonjour, monsieur le président, et bonjour à tous les membres du comité. C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui. Je m’appelle Brandon Ellis, et je suis spécialiste des politiques et de la défense des intérêts pour la Chambre de commerce de St. John’s. La Chambre de commerce de St. John’s représente près de 800 entreprises de la ville et de sa région. Bon nombre de ces entreprises profitent grandement de notre industrie pétrolière et gazière.
Comme nos amis de la NOIA l’ont fait remarquer, le potentiel de 56 000 emplois dans notre industrie pétrolière et gazière d’ici 2033 — je vais répéter ces chiffres parce que je pense qu’ils sont très importants pour notre province — et de 100 milliards de dollars de recettes fiscales et de redevances d’ici 2045 est bien réel. Notre province a pris des mesures pour que Terre-Neuve-et-Labrador atteigne les niveaux de prospérité économique prévus et nos membres du milieu des affaires y sont très favorables. Nous voulons que la confiance des consommateurs soit renforcée dans notre province. Nous voulons attirer de nouveaux arrivants tout en encourageant nos gens à rester. Mais pour ce faire, nous avons besoin d’emplois ici, dans notre province. Nous avons besoin d’investissements. Nous avons besoin de sécurité économique, et cela suppose des investissements importants dans le secteur pétrolier et gazier.
Le projet de loi C-69 suscite d’importants problèmes pour notre secteur pétrolier et gazier. Notre Chambre de commerce a analysé les points de vue de l’ACPP, de la NOIA, de la Chambre de commerce du Canada, du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Chambre de commerce de l’Atlantique sur le projet de loi C-69, tout en prêtant attention à ce que faisait par ailleurs le gouvernement fédéral.
Lorsque nous avons révisé les documents pour cette présentation, nous avons constaté un point crucial dans le témoignage du premier ministre Ball devant le comité il n’y a pas si longtemps. Il a mentionné le mot « certitude » à plusieurs reprises lorsqu’il a abordé la venue des investisseurs dans notre province. La certitude est cruciale, tant dans notre province que dans notre pays, à l’obtention d’une position concurrentielle sur la scène mondiale. Selon notre analyse, le projet de loi C-69 comporte de nombreux obstacles qui empêchent la réalisation de cet objectif.
On inclut maintenant dans le processus d’examen des enjeux qui dépassent la portée des politiques fondées sur des preuves scientifiques, ce qui risque de politiser ce processus. Le processus d’examen est maintenant plus nébuleux en raison de l’incertitude qui plane autour des objectifs en matière de changements climatiques, d’analyse sexospécifique, de réconciliation avec les Autochtones et de savoir autochtone. La façon dont ces objectifs seront interprétés et le poids qui leur sera accordé dans le processus d’examen ne sont pas clairs. Les délais pour les étapes de consultation, d’examen et de planification préalable viennent à leur tour perturber le processus d’examen et pourraient entraîner des retards et des coûts supplémentaires pour les projets.
Le pouvoir discrétionnaire accordé à la ministre de l’Environnement et du Changement climatique de suspendre, de proroger ou même d’annuler un projet à tout moment pendant la durée de son cycle de vie est préoccupant. Le pouvoir de la ministre risque de politiser davantage le processus de réglementation de nos projets d’exploitation des ressources et de créer de l’incertitude chez les promoteurs quant à la réalisation de leur projet.
Outre ce que le premier ministre Ball a mentionné dans son témoignage, la ministre Coady a soulevé des préoccupations sur la compétitivité du Canada par rapport à la Norvège et au Royaume-Uni et sur l’effet délétère de l’imprécision des délais dans le projet de loi C-69.
Notre Chambre de commerce est solidaire de ses partenaires de l’industrie pétrolière et gazière. Le Sénat a le pouvoir de suspendre le processus afin de mener à bien cette démarche. Nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir ici aujourd’hui pour entendre les experts autour de moi. Nous sommes les experts en affaires. Les gens à ma gauche sont les experts du pétrole et du gaz. Comme je l’ai mentionné, la Chambre de commerce de St. John’s est spécialisée dans les affaires, et la grande majorité de nos membres sont de petites entreprises. Compte tenu de ce que l’industrie pétrolière et gazière a signifié pour notre province et de l’appui qu’elle a apporté à nos membres, il est de notre devoir de lui rendre cet appui. Veuillez tenir compte de ce que vous ont dit aujourd’hui l’ACPP, Husky Energy et la NOIA, ainsi que d’autres partenaires. Leurs intérêts sont les nôtres. Nous voulons tous que notre province jouisse d’une économie prospère.
Pour clore ma déclaration d’ouverture, j’aimerais vous laisser sur quelques éléments de réflexion. La promesse électorale de 2015 du gouvernement était de modifier la façon dont les grands projets énergétiques étaient évalués en fonction de leurs retombées environnementales, sociales et économiques. Le projet de loi C-69 demeure imprécis et incertain à ce sujet. On n’y trouve pas de mandat clair ni de manifeste autre que celui de faire des changements pour le plaisir d’en faire. Par conséquent, la Convention de Salisbury de la Chambre des lords ne devrait pas obliger les sénateurs à appuyer un projet de loi d’initiative ministérielle qui n’a pas de mandat clair de la part des citoyens du Canada. Il semble que des amendements soient nécessaires. Nos amis ici présents proposent aujourd’hui des solutions que nous appuyons. Prenons le temps de bien faire les choses.
En conclusion, nous recommandons que le Sénat réduise au minimum le chevauchement des règlements, clarifie le rôle de l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers dans les évaluations environnementales, accélère les délais d’examen, limite les consultations aux personnes directement touchées, respecte les principes de l’Accord atlantique, clarifie le processus entourant la consultation des Autochtones, l’analyse sexopécifique et les objectifs relatifs aux changements climatiques, veille à ce que les organismes de réglementation soient indépendants de toute influence politique et mette en œuvre les recommandations, comme je l’ai mentionné, de la NOIA, de l’ACPP et de Husky Energy. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Je rappelle à mes collègues qu’ils ont trois minutes par sénateur. Je vous prierais d’être brefs et nous aurons peut-être assez de temps pour un deuxième tour. Nous allons commencer par la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci à vous tous pour vos exposés. Je suis ravie d’être à Terre-Neuve. C’est la première fois que je viens ici.
J’aimerais en savoir davantage sur le rôle des offices extracôtiers. Bon nombre d’entre vous ont parlé en termes élogieux de la confiance que vous aviez à l’égard des offices extracôtiers. J’ai donc une question à deux volets. Que diriez-vous pour convaincre les Canadiens que l’examen d’un office des hydrocarbures extracôtiers serait aussi rigoureux et respectueux de l’environnement qu’un examen en vertu de la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact? Si les examens prennent déjà jusqu’à 900 jours, ce qui semble assez typique et ce qui, il me semble, n’est pas caractéristique d’un bon système, qu’en est-il des offices extracôtiers qui prennent jusqu’à 900 jours pour une simple évaluation de projet?
La présidente : Deux réponses. Monsieur Barnes?
M. Barnes : Je pourrais peut-être commencer. Bienvenue à St. John’s.
Permettez-moi de répondre d’abord à la question sur les 900 jours. Les 900 jours et les autres statistiques qui ont été mentionnées concernent le processus actuel de la LCEE de 2012, un processus dirigé par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale actuelle. L’office a un rôle limité dans ce processus. Il est donc dirigé par l’agence. Si l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers procédait seul à l’évaluation, la durée de l’évaluation serait considérablement plus courte en vertu de la loi qu’il doit respecter. Les statistiques sont donc liées à la LCEE de 2012 plutôt qu’à...
La sénatrice Simons : Et c’est donc une évaluation conjointe que l’on ferait alors?
M. Barnes : Non. L’évaluation est réalisée uniquement par l’agence, avec un certain soutien de l’office des hydrocarbures extracôtiers.
Mme Johnson : Dans le rapport que nous nous apprêtons à publier aujourd’hui, 905 jours représentent la moyenne en vertu de la LCEE 2012. Le rapport examine également la période antérieure à la LCEE de 2012, à l’époque où les offices des hydrocarbures extracôtiers effectuaient les évaluations, et la moyenne était de 386 jours, donc beaucoup moindre. Mais elles étaient aussi strictes en ce qui concerne l’environnement et la sécurité. L’OCTNLHE existe depuis des décennies. C’est la ressource la plus proche. Plus d’une centaine de personnes y travaillent et on y possède une bonne expertise en matière de surveillance des effets environnementaux et autres choses du genre. Donc, même les 386 jours de l’époque antérieure à la LCEE de 2012 sont encore beaucoup plus longs que les délais des autres administrations dont j’ai parlé. Mais il s’agirait certainement d’un pas dans la bonne direction, car cela représenterait le tiers du délai.
M. Sparkes : Oui, je suis d’accord avec ces deux commentaires. Cela illustre bien ce que j’ai dit au sujet du statu quo qui ne fonctionne pas. Les délais dont il a été question dans la LCEE 2012 reflètent le fait que l’office régional s’est vu relégué au second plan. C’est l’agence qui a assumé la direction de l’évaluation. L’Office national de l’énergie et la Commission canadienne de sûreté nucléaire ont été autorisés à conserver leur rôle d’autorité responsable, mais pas les offices. Avant cela, avant la LCEE de 2012, l’office extracôtier des hydrocarbures était une autorité responsable de la tenue des examens en vertu de la loi et il était plus efficace. Je suis d’accord avec Charlene pour dire que ce n’est pas suffisant, mais certainement mieux.
Vous avez parlé des raisons pour lesquelles les Canadiens, et surtout les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador, devraient faire confiance à l’office. Je pense que cette confiance est fondée sur son expertise et son expérience, mais le rôle spécial de l’office, qui est parfois... que les gens prennent parfois pour un organisme fédéral. Ce n’est pas le cas. Il est issu des lois fédérales et provinciales. Il tient son origine de l’Accord atlantique, qui a été conclu en vue d’une gestion conjointe, et son rôle devrait être respecté, à notre avis.
Le sénateur Woo : Merci de votre témoignage. Permettez-moi de revenir à la question de l’OCTLHE. Je pense que vous recommandez tous que toutes les options d’examen soient ouvertes afin qu’il n’y ait pas d’examen obligatoire par une commission et que les examens puissent être confiés soit à l’agence elle-même, soit à un substitut. Je me demande simplement pourquoi vous préférez que l’agence soit privilégiée pour les examens, alors que, dans les faits, on avait décelé des problèmes dans l’ancien système et que l’ancienne agence avait mis très longtemps à revoir le processus.
Il me semble qu’une commission qui exigerait l’opinion de l’OCTLHE travaillant de concert avec l’agence constituerait un meilleur processus pour la sélection des experts sur la liste et ainsi de suite. Il me semble que ce serait plus conforme à vos intérêts et que ce serait moins risqué que de retenir l’option selon laquelle l’agence effectuerait un examen entièrement seule.
M. Barnes : C’est une bonne question, et cela dépend en grande partie du type de projet que l’on étudie. Selon le libellé actuel du projet de loi, il n’y a pas d’autres options pour l’examen d’un projet extracôtier que la commission d’examen conjointe, mais c’est selon le projet. Nous avons parlé, par exemple, de puits d’exploration, qui sont des projets dont l’activité se limite au court terme. Le processus d’examen par une commission peut être très long, alors qu’une évaluation par un organisme ou un autre type d’évaluation peut être effectuée beaucoup plus rapidement et convient mieux à l’activité concrète à évaluer.
Le sénateur Woo : D’accord.
La deuxième question, alors, est de savoir comment traiter ces puits d’exploration, à savoir s’ils feront partie des enjeux concernant la liste de projets désignés. Mais on pourrait aussi voir cela comme une question d’évaluation régionale ou stratégique, au sens où une région pourrait être jugée sécuritaire parce qu’une évaluation de ses puits d’exploration aurait déjà été menée et que cette évaluation régionale aurait fait partie d’un examen. Donc, ce que j’essaie de dire, c’est qu’il semble y avoir différentes façons de contourner le problème que vous avez cerné et la solution particulière que vous nous offrez, à mon avis, comporte également certains risques pour vous. Le fait d’ouvrir une évaluation des projets extracôtiers à toutes les options, y compris l’examen par l’agence, pourrait en fait vous placer dans une situation pire, alors que l’examen obligatoire garantirait un apport substantiel de l’OCTNLHE. C’est plus un commentaire qu’une question, mais je serais heureux de recevoir vos observations également.
M. Barnes : Bien sûr, et je suis d’accord avec vous. Il y a certainement des risques, mais il est plus risqué actuellement de nous limiter à un type d’évaluation en laissant de côté ce que peuvent offrir les autres types d’évaluation. Une évaluation régionale, comme vous l’avez mentionné, pourrait être une solution très viable. Le problème que cela nous pose, c’est qu’elle n’est pas bien définie dans le projet de loi, pas aussi bien, disons, que la durée de l’examen et que l’instance qui l’effectue. Si elles étaient bien définies, ce serait peut-être l’option à privilégier.
Le sénateur Woo : D’accord, merci.
M. Sparkes : J’aimerais ajouter que nous appuyons la mise en place d’autres options d’évaluation. L’office et l’agence dans sa forme actuelle, l’ACEE, travaillent ensemble depuis longtemps. Cette association a fonctionné plus ou moins bien selon les époques. De plus, je tiens à souligner que le projet de loi C-69 comporte des points forts qui me font croire que la collaboration entre l’agence et l’office, si elle était autorisée, pourrait vraiment avoir un effet positif. Ce à quoi je pense principalement, c’est qu’à l’étape de la planification préliminaire, on pourrait permettre la collaboration entre l’office et l’agence en vue de planifier un examen. Comme je l’ai mentionné, les lois de mise en œuvre de l’Accord atlantique elles-mêmes permettent d’officialiser cette coopération au moyen de protocoles d’entente et dans les modifications proposées par l’ACPP, on voit qu’en plus de traiter la zone extracôtière comme toute autre zone en vertu de la loi, il serait permis de se prévaloir d’une variété d’options d’évaluation. La nécessité de protocoles d’entente pour garantir cette collaboration est également réaffirmée.
Mme Johnson : J’ajouterais que l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers a effectué ces évaluations de 1997 à 2010, lorsqu’elle a perdu l’autorité de les mener et que ces évaluations ont été envoyées à Ottawa. Je ne veux pas qu’on ait l’impression qu’ils se débrouillaient seuls. Si vous regardez les évaluations environnementales précédentes, le ministère des Transports, le ministère des Ressources naturelles, le ministère de l’Environnement, le ministère des Pêches : tous ces organismes fédéraux ont participé aux évaluations environnementales. Mais ce qui s’est passé, c’est que lorsque Ottawa a pris ces évaluations sous son aile, les délais se sont allongés, ils ont triplé, sans qu’il y ait de protection supplémentaire. Donc, l’ajout de processus et des délais plus longs ne mènent pas à une protection accrue et j’aimerais bien que les gens s’en souviennent. Je ne veux pas qu’on perde de vue le fait qu’ils ne faisaient pas ces évaluations seuls. Il y avait une grande collaboration avec le gouvernement fédéral et d’autres organismes.
Le sénateur Manning : En vertu de l’accord de 1985, nous avons créé l’OCTNLHE pour la gestion conjointe. Je sais que certains aspects du processus d’examen nous préoccupent, mais que voyons-nous maintenant? L’un des points d’ancrage de notre industrie extracôtière est spécifiquement l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers. En Alberta, par exemple, l’industrie pétrolière est entièrement de compétence provinciale. Ici, nous n’en sommes pas propriétaires, mais nous avons un processus de gestion conjointe. Selon vous, quel sera le rôle de l’OCTLHE si le projet de loi C-69 est adopté dans sa forme actuelle? Où avons-nous notre mot à dire sur ce qui se passe au large de nos côtes? C’est là ce qui me préoccupe.
M. Barnes : Je peux commencer. Cela nous préoccupe également, monsieur le sénateur. Les seules dispositions concernant l’organisme de réglementation du cycle de vie qui, à Terre-Neuve, se trouve à être l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, c’est qu’il peut participer à l’examen conjoint par une commission. L’office ne peut pas communiquer les résultats de l’examen par une commission, et on mettra un nombre minoritaire de sièges à sa disposition au sein de n’importe quel comité mixte. L’office n’aurait pas un rôle d’influence au sein de la commission parce qu’il y aurait une position minoritaire. De plus, en ce qui concerne l’évaluation régionale, aucune disposition du libellé actuel du projet de loi C-69 ne permet à l’office des hydrocarbures d’y jouer un rôle.
M. Sparkes : Oui, je suis d’accord en ce qui concerne la participation limitée qui reviendrait à l’office des hydrocarbures pour les examens par une commission, si on maintenait le libellé actuel et qu’on exigeait un examen pour le projet.
À mon avis, l’autre préoccupation, c’est que la Loi sur l’évaluation d’impact est différente. Elle va au-delà de la définition conventionnelle de l’évaluation environnementale et introduit de nouveaux facteurs, dont certains, à mon avis, ressemblent beaucoup à ceux que l’office a été conçu pour évaluer lors d’une demande de développement. En tant qu’entreprise, on valorise principalement l’efficacité. Mais si on y regarde de près, ce qui est préoccupant, c’est qu’il n’y aurait qu’un seul processus d’évaluation fédéral et qu’un ministre fédéral du Cabinet fédéral prendrait une décision déterminante, alors que les lois de mise en œuvre de l’accord prévoyaient un processus décisionnel conjoint. Lorsqu’il s’agit d’une demande de développement, et plus particulièrement du plan de développement, c’est le ministre provincial qui a le dernier mot. On craint donc que la notion de gestion conjointe et le rôle de la province, et pas seulement de l’office, ne soient amoindris dans la structure actuelle.
Mme Johnson : N’oublions pas qu’il s’agit de l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, alors le Canada participe déjà à la gestion conjointe. Je pense que parfois les gens se disent : « Oh, vous voulez vous occuper vous-mêmes de cette évaluation. » Mais nous ne serions pas seuls. Depuis l’Accord atlantique, il a toujours été question d’un examen conjoint.
Le sénateur Manning : Pour la gouverne de mes collègues qui ne le savent peut-être pas, l’office est constitué pour moitié de membres nommés par le gouvernement fédéral et pour moitié de membres nommés par la province. Le président est nommé conjointement par les deux gouvernements.
Monsieur Sparkes, je m’inquiète des investissements, en comparaison avec ceux consentis par les autres pays dont Mme Johnson a parlé. Si le projet de loi C-69 est adopté, quelles seraient, selon vous, les préoccupations potentielles liées aux investissements dans l’industrie ici, au large de Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Sparkes : Du point de vue de l’entreprise, nous sommes inquiets. Moi aussi, personnellement. Je viens d’ici. Je vis à Calgary. Je vis maintenant à Calgary.
Je vais commencer par les aspects positifs. J’ai toujours considéré que Terre-Neuve-et-Labrador se trouvait dans une position particulière dans ce pays. Dans l’Ouest, nous sommes aux prises avec un problème d’accès au marché, un manque de capacité pipelinière, ce qui nous force à vendre à rabais les ressources que nous produisons et entraîne une incapacité de transport, avec les répercussions qu’entraîne le fait de se trouver ainsi contingenté. Terre-Neuve-et-Labrador offre de véritables occasions à saisir pour notre pays. La province n’est pas confinée comme nous le sommes. Ici, il n’y a pas de problème de transport de la production. Nous sommes sur l’eau. Le transport peut se faire par navire-citerne. L’industrie perçoit en général de l’incertitude, les projets de pipeline étant ralentis, reportés ou sabordés. De plus, l’incertitude quant aux retards dont Charlene a parlé pour les puits d’exploration a une incidence sur les investissements. Il ne fait aucun doute qu’il y aura des répercussions si le Canada, et plus particulièrement Terre-Neuve-et-Labrador, ne peut être concurrentiel en raison de retards et si on n’offre pas aux entreprises la certitude que le processus tiendra et donnera un résultat sur lequel elles peuvent compter.
Le sénateur Neufeld : Monsieur Sparkes, l’ACPP et la CEPA ont proposé une série d’amendements à la loi. Êtes-vous en faveur de ces amendements? Ces amendements correspondent-ils à ce que vous envisagiez pour modifier le projet de loi?
M. Sparkes : En un mot, la réponse est oui. Nous avons participé à la formulation des amendements proposés par l’ACPP. J’ai remarqué dans vos délibérations qu’il semble y avoir une convergence des préoccupations. Mais pour répondre à la question, oui, nous appuyons ces amendements.
Le sénateur Neufeld : Madame Johnson, je suis surpris que l’évaluation environnementale relative à un puits d’exploration ne prenne que 79 jours en Norvège. La Norvège est bien connue dans le monde entier comme étant très sensible à l’environnement et pourtant, à Terre-Neuve-et-Labrador, nous prenons 905 jours. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, le délai de 905 jours sera-t-il réduit? Si oui, quelle est votre estimation?
Mme Johnson : Je pense que c’est la question. Nous croyons comprendre que cela pourrait être plus long et que c’est l’incertitude, et comme je l’ai dit dans mes observations, cela ne fait que rajouter des délais aux prolongations. Ce ne sont pas des mots que les investisseurs veulent entendre. J’aimerais aussi commencer par les aspects positifs. Le Canada a pour mandat d’attirer des investissements étrangers directs et, au cours des trois dernières années, Terre-Neuve-et-Labrador a attiré huit nouvelles entreprises. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir compter sur des piliers comme Husky et Exxon et d’autres, mais huit nouvelles entreprises, soit des entreprises israéliennes, chinoises et australiennes, sont venues s’établir dans cette province et ont acheté des terres dans le cadre de la vente par appel d’offres. Il y a environ 25 à 30 séries d’appels d’offres par année dans le monde. C’est un milieu très concurrentiel. Il est possible que nous réussissions à attirer beaucoup plus que huit entreprises, mais les entreprises qui n’ont pas soumissionné ou qui hésitent beaucoup à soumissionner ont fait part de préoccupations, particulièrement en ce qui concerne la réglementation et les retards entraînés par l’évaluation environnementale.
Comme vous l’avez dit, si vous voulez savoir qui fait quoi, en matière d’initiatives environnementales, et qui est le champion de l’environnement, c’est la Norvège. Lorsqu’on regarde nos zones extracôtières, beaucoup de ces terres sont très proches les unes des autres. Elles sont adjacentes. Certaines d’entre elles se chevauchent. Donc, je ne veux pas minimiser leur importance, mais c’est comme changer la couverture d’un rapport d’évaluation environnementale chaque fois parce qu’elles sont si proches l’une de l’autre et que nous sommes là depuis des décennies. Cette région a été bien étudiée. Les mesures d’atténuation sont bien connues.
Mais pour revenir à votre question, nous craignons que cela ne fasse qu’augmenter. Une entente d’évaluation régionale a été signée lundi dernier et les noms des membres du comité ont été publiés. Nous sommes heureux de voir ce processus se dérouler et cela pourrait être une occasion de nous rapprocher de la Norvège. Une fois qu’a été menée une évaluation régionale, qui inclut aussi un volet socioéconomique, ce dont Adam a parlé, c’est un élément positif à voir dans ce projet de loi. Cela pourrait permettre de réduire ces chiffres. Mais encore une fois, on nous dit que cela se fait déjà. On nous dit que c’est dans le règlement, mais nous voulons que cela soit inscrit dans la loi.
Le sénateur Neufeld : Merci.
La présidente : Puis-je vous demander d’envoyer une copie de l’entente d’évaluation régionale qui a été signée? Il sera important pour nous de lire à ce sujet.
Mme Johnson : L’entente d’évaluation régionale qui a été signée lundi dernier?
La présidente : Oui.
Mme Johnson : Il s’agissait d’une entente conjointe entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial.
La présidente : Oui.
Mme Johnson : Nous pouvons certainement vous l’obtenir.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Patterson : Merci à tous les témoins. Je pense que les exposés étaient excellents et qu’ils dénonçaient les effets négatifs de ce projet de loi pour ce qui est de l’incertitude créée, les retards et les compétences des provinces établies dans l’Accord atlantique qui, je le sais, n’a pas été facile à réaliser à l’époque. Le projet de loi marginalise également l’Office des hydrocarbures extracôtiers, notamment en interdisant les substitutions. J’aimerais m’adresser à M. Barnes à ce sujet.
Lorsque le comité a commencé à étudier ce projet de loi monstre en janvier, nous avons entendu des hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, et la question de la liste des projets a été soulevée à ce moment-là. C’était en janvier, il y a près de six mois. À l’époque, les fonctionnaires nous ont raconté deux histoires. La première est qu’un document de travail sur les lignes directrices concernant la liste des projets était en cours de diffusion. Un autre plus haut fonctionnaire a ensuite répondu par la négative à la question en disant que ce n’est pas un document de travail, mais qu’un projet de règlement est en cours de diffusion. Maintenant, monsieur Barnes, vous nous dites autre chose. Si j’ai bien compris, le document de consultation n’a pas été publié. Vous avez appelé cela un document de consultation. Que se passe-t-il donc pour l’amour du ciel? Le processus a commencé il y a six mois. Le fonctionnaire nous a dit qu’il y aurait bientôt des lignes directrices, et que pour l’instant, des consultations auprès de l’industrie étaient en cours. Maintenant, vous dites que vous ne savez pas. Pouvez-vous nous en dire davantage?
M. Barnes : Oui, et merci, sénateur Patterson. Nous ne savons pas, tout simplement parce que nous n’avons pas encore vu le document de travail, qui, nous a-t-on dit, nous précisera des échéanciers et une liste de projets désignés. Le texte du document de travail a suscité une certaine confusion. Certains représentants du gouvernement ont dit qu’il s’agissait d’un projet de règlement, ce qui est probablement le cas, mais tant que nous n’aurons pas vu le document et que nous ne saurons pas s’il est vraiment formulé comme un règlement, nous continuerons de parler simplement d’un document de travail. Nous ne l’avons pas vu et nous craignons de ne pas savoir quels projets particuliers pourraient figurer sur la liste des projets désignés. Les activités d’exploration extracôtière ou les projets d’exploration extracôtière sont de courte durée et ont des répercussions limitées. Au fil des ans, un grand nombre de projets de forage extracôtier ont eu lieu à Terre-Neuve. Le fait d’inscrire cette activité particulière sur une liste de projets désignés — de la faire évaluer comme un grand projet à l’instar, par exemple, d’un projet de développement extracôtier comme Hebron — n’a tout simplement pas beaucoup de sens. Cela ne donne pas la juste mesure de l’activité.
L’on croit aussi que les puits d’exploration ne devraient pas figurer sur la liste. Notre principale préoccupation toutefois, c’est de voir la liste et la comparer au libellé du projet de loi.
Mme Johnson : J’aimerais également souligner que les puits d’exploration ne figuraient pas toujours sur la liste des projets désignés. Je crois qu’ils ont été ajoutés en 2010, peut-être en 2012? 2010. Ainsi, pendant des décennies, les puits d’exploration ne figuraient pas sur la liste des projets désignés. C’est là que nous voulons revenir.
Le sénateur Patterson : Bravo!
Mme Johnson : Il est tout à fait illogique que l’évaluation d’une activité de 45 jours prenne autant de temps que celle de la construction d’un pipeline.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre témoignage très convaincant. Ce qui m’intéresse, c’est l’environnement, les questions sexospécifiques et les questions autochtones. Comment chacune de vos organisations envisage-t-elle de tenir compte de ces paramètres à l’avenir?
Mme Johnson : Je pense qu’il est essentiel que nous ayons la rétroaction et la participation des communautés autochtones. J’étais récemment au Labrador. La série d’appels d’offres était prévue au Labrador en 2019 et elle a maintenant été reportée à 2021 pour faire en sorte que la consultation des Autochtones se déroule en temps opportun et de façon significative. Les Autochtones nous disent qu’ils auraient aimé que le processus ne soit pas reporté et se demandent pourquoi il l’a été. Je ne peux pas parler au nom de tout le monde, mais je peux le faire pour ceux à qui j’ai parlé. Il ne fait aucun doute qu’il est essentiel qu’ils fassent partie du processus.
Pour ce qui est des questions sexospécifiques, encore une fois, il y a des aspects positifs dans ce projet de loi. Personnellement, j’aime voir cela. J’aimerais avoir plus de précisions à ce sujet. Je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup d’explications sur ce que cela signifie, mais c’est certes un pas dans la bonne direction.
M. Sparkes : Oui, je suppose qu’il y a deux aspects à considérer. D’abord, nous avons probablement qualifié les questions de politique contenues dans le projet de loi C-69 d’intersection entre les facteurs du sexe, du genre et d’autres facteurs identitaires, c’est-à-dire les changements climatiques et la durabilité. Nous ne faisons pas partie d’un groupe ayant suggéré que ces dispositions soient retirées du projet de loi. Ce que nous demandons, c’est une plus grande clarté, et les amendements proposés par l’ACPP permettent d’éclairer un peu tout cela.
En ce qui concerne la consultation et la participation des peuples autochtones, tout promoteur responsable au pays comprend qu’elles sont d’une importance capitale aux fins de la planification et de l’exécution des projets. Nous le faisons dans l’ensemble de nos activités et, à certains égards, je ne sais même pas si notre opinion est si importante parce que c’est la Constitution, peu importe ce que renferme le projet de loi C-69. Ce sont des droits qui doivent être respectés et il incombe certainement aux promoteurs, aux gouvernements et aux organismes de réglementation de s’acquitter de ces obligations.
Mme Johnson : Absolument, tout à fait d’accord. Cela dit, il y a lieu de s’inquiéter lorsque des consultations sont menées aussi loin que dans le Maine pour la zone extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador. Je ne vois pas de compagnies américaines venir nous demander notre opinion sur leurs projets pétroliers. Il y a donc eu de vastes consultations et c’est une chose que nous appuyons vraiment, mais il doit y avoir une limite, et il faut que ce soit logique. Je ne suis pas sûre de la distance de mémoire, mais je ne vois pas en quoi les organisations autochtones du Maine seraient touchées par l’exploitation extracôtière ici.
M. Sparkes : J’aimerais ajouter une chose. Encore une fois, j’aimerais regarder le positif comme le négatif. Je pense que c’est là que le projet de loi C-69 pourrait aider, et je reviens aux dispositions relatives à la mobilisation précoce. S’il est bien fait, et s’il est observé, l’avis du début de l’évaluation d’impact circonscrit l’évaluation et indique la voie dans laquelle nous nous engageons, le projet évalué et les facteurs les plus importants. Pour répondre à votre question, c’est la voie à suivre pour mobiliser le public en général et les peuples autochtones en particulier. Si l’on fait bien les choses, je pense que cela pourra être plus clair qu’aujourd’hui.
M. Barnes : J’appuie Adam et Charlene là-dessus. Nous voulons plus de clarté pour les deux. Nous sommes d’accord pour dire que la consultation des Autochtones et relativement aux questions sexospécifiques est importante dans toute évaluation d’impact, mais nous voulons que la loi soit plus claire quant à la façon dont cette consultation peut être exécutée.
En ce qui concerne la consultation des communautés autochtones, j’étais récemment sur le territoire du sénateur Patterson, au Nunavut, parce qu’il y a une évaluation environnementale stratégique en cours pour les activités pétrolières et gazières extracôtières. J’ai participé à un processus dans le cadre duquel plusieurs communautés autochtones du territoire du Nunavut ont témoigné devant le groupe d’experts pour parler des réflexions de leurs communautés sur les activités pétrolières et gazières et l’apport de connaissances traditionnelles et d’autres aspects. L’on constate l’importance de faire participer les communautés autochtones à un processus comme l’évaluation d’impact.
La présidente : Monsieur Ellis.
M. Ellis : Sénateur, je serai sans équivoque. La Chambre de commerce de St. John’s appuie fermement la consultation des Autochtones. Nous pensons qu’elle sera extrêmement importante pour tous les projets à venir. À l’instar de nos collègues ici présents, nous aimerions que les modalités et la façon dont tout est pondéré dans le processus d’examen soient claires. En ce qui concerne les changements climatiques, Terre-Neuve-et-Labrador est une province remarquablement verte. Nos émissions de gaz à effet de serre sont pratiquement au même niveau que celles de 1990, tout comme celles du Canada atlantique. Elles sont égales ou inférieures. Ce que nous voulons, c’est de la clarté.
Le sénateur Ravalia : Ce suivi porte sur les questions environnementales. Je viens d’une communauté de pêcheurs. Il est généralement admis que le pourcentage d’aires marines protégées doit être porté à 10 p. 100, ce qui est acceptable à l’échelle mondiale. On en parle beaucoup. À l’heure actuelle, l’expression à la mode est « l’économie bleue ». Historiquement et à l’avenir, la pêche continuera d’être extrêmement importante pour Terre-Neuve-et-Labrador. Croyez-vous qu’il pourrait y avoir des conflits entre la protection marine et l’exploration pétrolière et connaissez-vous des façons de procéder sans combustible?
M. Barnes : Chaque fois que deux grandes industries comme l’industrie de la pêche et l’industrie pétrolière et gazière travaillent dans le même espace océanique, il y a un risque de conflit. Nous avons réussi à éviter beaucoup de ces problèmes à Terre-Neuve-et-Labrador. Il y a plusieurs années, nous avons mis sur pied une entité appelée One Ocean, qui est une initiative entre l’industrie pétrolière et gazière et l’industrie de la pêche à Terre-Neuve. Nous avons formé un conseil ou un comité composé de représentants de l’industrie de la pêche, tant du côté syndical que du côté de la transformation, et de l’industrie pétrolière et gazière. Nous parlons de questions d’intérêt commun, comme l’activité sismique, où se déroule cette activité, les activités de forage et où elles se déroulent, et les problèmes susceptibles de survenir. Nous essayons d’éviter les conflits sur l’océan. Nous essayons de régler les problèmes autour de la table de la salle de réunion avant qu’elles ne prennent de l’ampleur. Cela a très bien fonctionné ici, à Terre-Neuve. Il y aura toujours un risque de conflits parce que nous partageons le même espace océanique, mais si nous communiquons bien les uns avec les autres, nous pouvons éviter une grande partie de ces conflits.
Mme Johnson : La zone extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador est vaste. Notre zone est environ 70 p. 100 plus grande que le bassin norvégien et une fois et demie plus grande que le golfe du Mexique. Notre zone océanique est immense. Les 49 milliards de barils de pétrole qui ont été évalués par Beicip-Franlab à Paris, cela ne représente que 7 p. 100 de nos ressources extracôtières ayant été évaluées. Presque 93 p. 100 n’ont même pas encore été évaluées. Il y a beaucoup de domaines dans lesquels Terre-Neuve-et-Labrador peut faire sa part, et nous l’avons fait. La cible de près de 8 p. 100 qui a été atteinte jusqu’à maintenant vient en grande partie de Terre-Neuve-et-Labrador.
C’est important de parler, la communication est essentielle, et quand le dialogue sur les aires marines protégées a eu lieu l’an dernier — quand le groupe d’experts est venu — il était évident dès le début que le ministère des Pêches et Nalcor, qui établit ces zones pour l’exploration ainsi que le conseil qui établit les ventes de terres, devaient entamer le dialogue dès le début. Lorsque cela s’est enfin produit, les choses se sont améliorées. J’ajouterais que nos exploitants actuels sont très conscients de la situation. Lorsqu’il y a eu des activités d’exploration, je ne me rappelle pas bien de l’endroit exact, mais l’on a déployé beaucoup d’efforts pour installer des véhicules télécommandés afin de repérer les endroits où se trouvent des oursins, des coraux et ainsi de suite. Je sais qu’une entreprise, en particulier, a dépensé beaucoup d’argent pour déplacer des ancres afin d’assurer la protection de l’environnement. Encore une fois, il s’agit de communiquer et de faire sa part.
One Ocean est une grande réussite que je vous encourage à examiner. Cette communication dure depuis des décennies. Terre-Neuve-et-Labrador peut certes beaucoup aider et, par la communication, je pense que nous pouvons tous deux atteindre nos objectifs.
La sénatrice McCallum : Le sénateur Ravalia a posé une partie de la question que j’allais poser. Ce qui me tient particulièrement à cœur, c’est la biodiversité de cette planète et l’évaluation environnementale, qui est menée pour examiner le degré de préjudice ou de dommage causé à l’environnement, qu’il s’agisse de la terre, de l’air, de l’eau ou, par extension, de n’importe lequel de ses habitants.
Comme sénateurs, nous nous sommes intéressés en partie à la question de savoir comment ce projet de loi pourrait atténuer les dommages passés et futurs associés à l’extraction des ressources, qu’elles soient terrestres ou extracôtières. Notre dialogue d’aujourd’hui tourne autour de l’économie, de l’extraction des ressources par opposition à la vie sur cette planète pour les humains, ainsi que pour les générations futures, et il faut reconnaître qu’il y a une crise environnementale qui sévit actuellement. Lorsque j’examine vos préoccupations, les délais, l’examen, le cycle de vie, les évaluations, l’exploration, tout cela a une incidence sur ce que nous faisons dans tout ce qui nous touche. Pour moi, tout cela est important, et ce projet de loi est essentiel à la vie sur cette planète, et il n’y a pas d’autre façon de le dire. La raison pour laquelle je soulève cette question, c’est que les gens diront que nous avons conclu des partenariats avec les peuples autochtones et que nous nous occupons de la terre, mais si l’on regarde l’Alberta et les barrages hydroélectriques au Manitoba, on réalise qu’ils ont dévasté des vies et des terres. Or, rien de tout cela n’a été réparé.
Y a-t-il quelque chose que nous devrions savoir au sujet des préoccupations ou des dommages concernant la biodiversité des océans? Avez-vous des exemples concrets de ce qui s’est passé autour de vos sites ou l’avez-vous fait en consultant les peuples autochtones, les pêcheurs ou les gens qui travaillent avec d’autres zones de biodiversité? Savez-vous quelque chose à ce sujet? Pouvez-vous nous en parler?
M. Sparkes : Je vous remercie de votre question. Je vais en fait demander à David de répondre dans un instant. Une chose que nous oublions souvent, c’est que l’évaluation environnementale n’est qu’une partie du processus. C’est loin d’être complet. Une fois qu’une évaluation est terminée, elle est remise à l’organisme de réglementation du cycle de vie pour qu’il assure la surveillance et la gestion continues d’un programme. Ce dont nous ne parlons pas beaucoup, probablement à notre grande honte, c’est de la surveillance continue des impacts environnementaux. Lorsque vous faites une évaluation, vous prévoyez ce que pourraient être les répercussions en vous fondant sur des données scientifiques solides, mais cela s’appuie maintenant sur des décennies de surveillance des impacts environnementaux au large des côtes. C’est une partie du travail que David fait. David, vous pourriez peut-être nous donner un aperçu de ce à quoi cela ressemble.
David Pinsent, conseiller principal en environnement, Husky Oil : Je vais vous donner plus de détails à ce sujet. Afin de valider les prévisions d’impact présentées dans l’évaluation environnementale, il faut effectuer une surveillance des impacts environnementaux et chacune des installations opérationnelles au large des côtes effectue une surveillance des impacts environnementaux depuis plus de 20 ans.
Une partie de cette surveillance porte sur la diversité benthique des invertébrés qui vivent dans les sédiments où nous travaillons. Il y a un impact autour de l’installation où nous forons, mais il se mesure en centaines de mètres. Nous pouvons déceler un changement dans la communauté benthique sur trois à cinq cents mètres. Une fois que le forage est terminé, il y a aussi un rétablissement qui se produit. Une fois que les hydrocarbures sont décomposés par les bactéries naturellement présentes, les niveaux d’hydrocarbures diminuent, la restauration d’un puits d’exploration se fait en l’espace de quelques années.
D’autres aspects de notre surveillance des impacts environnementaux comprennent l’innocuité chimique du poisson pour voir si les tissus des poissons sont contaminés. Nous évaluons la santé du poisson, sur les plans biochimique et hormonal, pour déterminer s’il y a des signes de stress. Nous examinons la composition chimique des sédiments de l’eau et plusieurs autres paramètres physiques pour vraiment valider les prévisions de l’évaluation environnementale. Si le ministre de l’Environnement se déclare convaincu qu’il n’y a probablement pas d’impacts environnementaux importants, quand seuls deux projets sont concernés, il nous incombe de surveiller et de valider ces prévisions. Nous avons été en mesure de le faire pour tous nos projets extracôtiers.
Mme Johnson : Je ne veux pas mettre des mots dans la bouche du MPO, mais je peux vous obtenir une citation. Des représentants du MPO ont témoigné devant un groupe d’experts, et ils m’ont dit personnellement qu’au cours des dernières décennies, le pétrole et le gaz n’ont pas eu d’impacts environnementaux importants connus dans nos zones extracôtières. C’est une citation que je peux obtenir pour vous du MPO, qui surveille les impacts environnementaux.
La sénatrice McCallum : Je ne sais pas grand-chose au sujet de l’exploitation extracôtière, mais quand vous en avez terminé avec les puits, qu’en faites-vous? En Alberta, il y a 15 puits orphelins abandonnés qui n’ont pas été remis en état. Qu’arrive-t-il à vos puits une fois que vous avez terminé ou après l’exploration?
M. Pinsent : Dans le cadre d’un programme d’exploration, le délai est généralement de 30 à 90 jours. Le puits, s’il est infructueux, est mis hors service de façon permanente et abandonné. Des bouchons de ciment sont placés dans le trou pour empêcher le suintement d’hydrocarbures. S’il y a un potentiel à cet endroit, on peut interrompre le forage d’un puits, l’intention étant d’y retourner pour forer un autre puits, peut-être au même endroit. Une surveillance est effectuée pour voir s’il y a un suintement d’hydrocarbures avant que nous ne retournions à ce site.
La sénatrice McCallum : Vous êtes à l’aise avec la façon dont vous laissez les puits?
M. Sparkes : Oui. L’autre chose que j’aimerais souligner, juste une différence par rapport à la situation dans l’Ouest canadien, c’est que le nombre de puits est fondamentalement différent. Il y a un nombre important de puits au large de Terre-Neuve, mais beaucoup moins que dans l’Ouest canadien, où il est difficile de faire baisser l’inventaire des puits abandonnés.
L’autre point à souligner en ce qui concerne la protection de l’intérêt public, l’organisme de réglementation et l’office ont des exigences en matière de responsabilité financière, afin de s’assurer que les sociétés ont les moyens financiers d’abandonner et de remettre en état les puits et les installations. Encore une fois, il faut protéger le public afin que cela ne soit pas la responsabilité des gens, mais plutôt celle des entreprises.
La sénatrice McCallum : Merci.
La présidente : J’ai une brève question. Il est vrai que dans le projet de loi C-69, les projets devront tenir compte des changements climatiques. Mais je suis sûre que vous avez constaté des changements dans l’eau, dans l’océan et dans les tempêtes, dans la glace, dans le nombre d’icebergs qui descendent. Tenez-vous compte de l’entretien des plates-formes et des puits et d’autres considérations? Cela vous inquiète-t-il?
M. Pinsent : Un organisme de réglementation international atteste que l’infrastructure en place peut fonctionner dans ces conditions environnementales et devrait résister à une tempête de 100 ans. Ces considérations sont donc prises en compte dans la conception des installations actuelles.
Mme Johnson : Il y a beaucoup d’expertise locale sur le terrain à cet égard. C-Core possède une infrastructure fascinante, si vous avez le temps de la visiter. Elle examine la glace et mène des études sur la glace. Sur une plus grande échelle, en ce qui concerne les changements climatiques, Carnegie Mellon a réalisé une étude portant sur environ 80 installations de production dans le monde, et Hibernia vient au deuxième rang mondial pour ce qui est du faible impact de son empreinte carbone. C’est Ekofisk, en Norvège, qui a la plus faible empreinte carbone.
Hibernia vient au deuxième rang mondial et le pétrole brut non sulfuré léger qui se trouve au large des côtes est de 30 % inférieur aux émissions de gaz à effet de serre, selon une perspective moyenne mondiale. Si l’on prend le dioxyde de carbone, il est rejeté dans l’atmosphère; il ne fait aucune discrimination quant à l’endroit où il va. Je crois que nous contribuons à la lutte contre les changements climatiques lorsque le pétrole vient de Terre-Neuve-et-Labrador, par opposition aux endroits où il a une empreinte plus importante. Le monde a besoin de pétrole. Si nous mettons fin à l’exploitation extracôtière demain, le pétrole sera remplacé et importé d’autres endroits, où l’empreinte carbone est plus importante. En ce qui concerne les changements climatiques, il est important de noter, et cela a été bien étudié, que le pétrole produit dans Hibernia a un impact carbone beaucoup moins important que dans d’autres pays.
La présidente : D’accord, merci.
Le sénateur Patterson : Madame la présidente, pourrions-nous demander ce rapport?
Mme Johnson : Le rapport de Carnegie Mellon?
Le sénateur Patterson : Le rapport de Carnegie Mellon.
Mme Johnson : Bien sûr.
La présidente : Oui, bien sûr.
Sénateur Manning.
Le sénateur Manning : Merci, madame la présidente.
Lorsque je regarde par la fenêtre de ma cuisine, dans ma ville natale, St. Bride’s, je vois beaucoup de bateaux de pêche et pétroliers qui vont et viennent. Je vis à moins de 15 minutes de la réserve écologique de Cape St. Mary’s, la deuxième colonie d’oiseaux au monde, la colonie de fous de Bassan. En passant, c’est la seule qui soit accessible par voie terrestre, si vous voulez la visiter. Mais vous savez, et nous nous en sommes occupés, il n’y a rien, aucune industrie qui sera sans risque. Nous avions de graves préoccupations dans 365 îles de la baie Placentia. Le rapport Brander-Smith de 1990 laissait entendre que c’était l’endroit le plus susceptible d’être touché par un déversement de pétrole au Canada, mais de nombreux efforts ont été déployés par des entreprises et d’autres pour remédier à la situation et, comme vous le savez, la pêche est la profession qui présente les risques les plus élevés dans le monde.
L’industrie pétrolière et gazière a collaboré avec l’industrie de la pêche au fil des ans pour répondre aux préoccupations, et je pense que One Ocean, dont j’ai déjà fait partie, est une organisation sur laquelle nous devrions tous nous renseigner davantage.
L’une des préoccupations à l’égard du projet de loi — quelque chose que nous avons abordé à plusieurs reprises et que j’aimerais que M. Sparkes ou quelqu’un d’autre m’explique — concerne les projets d’exploration extracôtière, les puits, et je pense que M. Pinsent vient de parler d’une période de 30 à 90 jours.
Si le projet de loi C-69 est adopté sous sa forme actuelle et qu’il est soumis à la commission d’examen, ce qui pourrait prendre énormément de temps, qu’en est-il du point de vue de l’industrie pétrolière en ce qui concerne l’exploration pour de nouveaux puits? Nous comprenons tous que nous devons continuer à explorer et, espérons-le, trouver de nouveaux puits, mais qu’est-ce que cet élément particulier fait à la possibilité pour une entreprise, comme la vôtre ou d’autres, de procéder à l’exploration d’un plus grand nombre de puits? Mme Johnson voudra peut-être en parler également.
M. Sparkes : Oui, c’est une préoccupation importante.
David et moi avons pris un café hier après-midi pour nous préparer à comparaître devant vous. David a très bien résumé la situation en disant que nous pouvons certainement éviter une situation où une activité de 30 jours serait assujettie à la même évaluation qu’un projet de 30 ans. Donc, un groupe d’experts pour la mise en valeur, un groupe d’experts pour un puits exploratoire. Il doit y avoir quelque chose entre les deux.
Vous avez raison en ce qui concerne l’expérience des entreprises quant au processus réglementaire, qu’il s’agisse des échéanciers, de l’efficacité, des coûts et de la certitude à laquelle on peut s’attendre. Cela a une incidence sur les décisions d’investissement. Une fois que vous passez par un appel d’offres et que vous soumissionnez, vous êtes passablement engagé parce qu’il y a des conséquences financières si vous ne le faites pas. Selon votre expérience d’un cycle dans le système de réglementation, cela aura certainement une incidence.
Nous parlons toujours de compétitivité mondiale. Husky n’est pas une grande entreprise. C’est gros, mais ce n’est pas énorme. Terre-Neuve-et-Labrador doit rivaliser pour obtenir des capitaux au sein de notre entreprise par rapport aux autres régions où nous exerçons nos activités, aux possibilités que nous avons en Saskatchewan, en Alberta, dans la région Asie-Pacifique et, comme entreprise, nous sommes très conscients de la situation réglementaire dans les régions où nous exerçons nos activités.
Mme Johnson : En termes simples, le capital ira là où on le veut. L’an dernier, l’Institut Fraser a participé à la conférence de la NOIA, tout comme l’année précédente, et en 2017, le rapport a classé Terre-Neuve-et-Labrador au quatrième rang mondial pour ce qui est des affaires, principalement en raison de notre « prospectivité ». On nous a alors prévenus que nous utiliserions notre classement si nous ne faisions rien au sujet de la réglementation. Dans le dernier rapport qui a été publié, nous sommes maintenant au 21e rang, et c’est uniquement en raison de la réglementation et des échéanciers, particulièrement en ce qui concerne les puits d’exploration.
Le potentiel de prospection à Terre-Neuve-et-Labrador est l’un des meilleurs au monde. Nous avons le plus ancien programme de sondage sismique continu au monde. Nous venons tout juste d’enregistrer des ventes record de terrains : jamais autant de lots n’ont été achetés à l’occasion d’une soumission. Nous le devons à BHP qui est également un nouveau venu. Quand on parle prospection, tous les regards se tournent vers Terre-Neuve-et-Labrador. Je peux vous dire que les entreprises à qui nous parlons, celles qui ont perdu les soumissions concernant certains de nos projets, surveillent de très près les activités d’exploration, parce qu’elles estiment être passées à côté d’une des meilleures occasions au monde. Nous avons 650 sites extracôtiers potentiels. L’un d’entre eux présenterait une réserve de 12 milliards de barils de pétrole, dont près de la moitié sont exploitables. C’est l’un des plus grands sites potentiels dans le monde à l’heure actuelle. Le forage commencera l’année prochaine. C’est ce qui est prévu. Partout dans le monde — et j’assiste à l’Offshore Technology Conference de Houston, je vais en Norvège, je serai bientôt en Écosse, à Londres et à Aberdeen —, partout, tous les yeux sont rivés sur Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons eu la chance d’attirer des investissements étrangers directs. Mais imaginez le potentiel que nous aurions si nous n’avions pas ces obstacles à l’entrée. Donc, la prospectivité n’est pas un problème. Nous avons fait beaucoup de choses. La province a fait beaucoup. Nalcor a beaucoup fait pour réduire les risques liés à l’exploitation sous-marine. Maintenant, tous les risques se situent à la surface.
M. Barnes : J’ai évidemment parlé à un certain nombre de membres qui ne sont pas actifs au large des côtes ici, et à un certain nombre d’intervenants mondiaux qui ne sont pas actifs au Canada. Bien que le projet de loi nous préoccupe évidemment, d’autres activités législatives qui se déroulent au Canada ont aussi une incidence sur l’investissement international. Si vous êtes une société pétrolière et gazière établie à Houston, à Londres ou ailleurs dans le monde, que vous voulez investir dans le pétrole et le gaz et que vous songez au Canada, vous constatez toutes sortes d’incertitudes en matière de réglementation. Non seulement à cause du projet de loi, mais aussi en raison de la capacité d’acheminer le pétrole de l’Ouest canadien vers les marchés au moyen de pipelines et l’interdiction des pétroliers sur la côte Ouest. Tous des problèmes qui causent de l’incertitude, et cet investissement ne vient pas au Canada; il va ailleurs. C’est donc une préoccupation.
La présidente : Dernière question, sénateur Neufeld.
Le sénateur Neufeld : J’ai quelques questions à poser.
Monsieur Sparkes, si le projet de loi était adopté tel quel, quelles seraient les conséquences pour l’investissement de Husky dans l’avenir? Je sais que vous êtes lié à ce sur quoi vous avez déjà soumissionné, à ce genre de processus, mais que penserait Husky pour ce qui est d’investir au Canada?
Madame Johnson, quand vous dites que le pétrole de Terre-Neuve-et-Labrador émet peu de gaz à effet de serre, c’est formidable. J’ai déjà lu cela. Mais il est bon de le dire publiquement. Où va ce pétrole? Est-il utilisé au Canada? Si c’est le cas, où et dans quelle proportion?
Mme Johnson : Je vais répondre à la deuxième partie en premier. Le mois dernier, le pétrole d’ici a été vendu à 14 pays différents.
Le sénateur Neufeld : Pas le Canada?
Mme Johnson : Oh, oui, le Canada aussi, les États-Unis, mais aussi 12 autres pays.
Le sénateur Neufeld : Quelle quantité est utilisée au Canada?
Mme Johnson : Je peux obtenir le tableau pour vous. Nalcor l’a. Elle l’a présenté lors de différents événements. La quantité pour le Canada est assez importante.
M. Barnes : Quatre-vingt pour cent.
Mme Johnson : Quatre-vingt pour cent pour le Canada.
Le sénateur Neufeld : Tout à fait.
Mme Johnson : Mais il y a un tableau, et nous veillerons à ce que vous l’obteniez.
M. Sparkes : Je vais vous donner deux réponses rapides à votre question sur l’incidence que cela pourrait avoir sur Husky. Nous avons clairement dit que les amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers peuvent améliorer la situation actuelle. Sans ces amendements, d’aucuns considéreraient que la situation du Canada va de mal en pis. Il est important que ce soit clair. Nous essayons d’être positifs. Nous essayons d’être constructifs, mais nous devons aussi être clairs sur ce point.
L’autre est l’incidence que cela a. De toute évidence, plusieurs facteurs influent sur les décisions d’investissement. Parfois, on a l’impression que les questions de réglementation influent vraiment sur les décisions d’investissement. Malheureusement, notre entreprise, Husky, a fait une offre pour un rival dans l’Ouest canadien à la fin de l’année dernière et a décidé par la suite de faire marche arrière. L’une des raisons pour lesquelles notre conseil a pris cette décision, c’est la situation de la réglementation au pays, en particulier l’incapacité du Canada de faire construire des pipelines et d’élargir l’accès aux marchés. On a parfois l’impression que nous parlons de façon théorique, mais ces questions — et je le sais parce que vous avez étudié cet aspect de si près au cours des derniers mois — se traduisent vraiment par de vraies décisions et des occasions perdues, pas seulement pour les entreprises, mais pour les gens.
Le sénateur Neufeld : Merci.
La présidente : Merci beaucoup, chers témoins, de vos témoignages et merci, chers collègues, de vos questions.
Nous accueillons maintenant, pour le deuxième groupe de témoins, Mme Roberta Frampton Benefiel, de Grand River Keeper Labrador Inc., garde-rivière et membre de Labrador Land Protectors; de Shared Value Solutions Limited, Erin Stapleton, spécialiste principale de l’évaluation d’impact; et de Total E&P Canada, Christine Healy, présidente et chef de la direction.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Madame Frampton Benefiel, si vous voulez commencer.
Roberta Frampton Benefiel, garde-rivière et membre de Labrador Land Protectors, Grand Riverkeeper Labrador Inc. : Merci de nous avoir permis d’être ici aujourd’hui. Nous avons accueilli favorablement la promesse électorale du premier ministre de rendre de nouveau les évaluations environnementales crédibles et, bien sûr, c’était après l’entrée en vigueur de la LCEE 2012. Il a également dit que le succès dépend de la reprise de la confiance du public, et c’est là-dessus que nous voulons nous concentrer le plus. Les Canadiens doivent pouvoir avoir l’assurance que le gouvernement exercera une surveillance réglementaire appropriée, notamment des évaluations environnementales crédibles, et qu’il respectera les droits des personnes les plus touchées, comme les collectivités autochtones. J’ajouterais les collectivités éloignées du Nord et nous représentons les deux dans notre région de Goose Bay, au Labrador.
Bien que les gouvernements délivrent les permis pour l’exploitation des ressources, et j’adore ceci, seules les collectivités peuvent délivrer la permission. Je suis désolée que cela ne se produise pas souvent dans le cadre des évaluations environnementales. Des membres d’organisations communautaires comme la nôtre, qui ont survécu à une évaluation environnementale massive telle que celle du projet de Churchill Falls, qui est finalement devenu le seul projet à Muskrat Falls, maintenant qualifié sans vergogne de gâchis... Il y avait tellement d’obstacles à franchir pour notre petit groupe que les formules toutes faites de la campagne nous semblaient trop belles pour être vraies, et c’était peut-être le cas. Le fait que Terre-Neuve-et-Labrador soit au beau milieu d’une enquête publique coûteuse de deux ans sur Muskrat Falls en dit long sur ce qu’est une mauvaise évaluation environnementale et sur les conséquences que cela peut entraîner. Malheureusement, cela ne se limite pas à Muskrat Falls. Il y a quelques mois, des experts sont venus à Goose Bay nous parler du projet du Site C en Colombie-Britannique et de ce qu’ils avaient expliqué au gouvernement de cette province-là, c’est-à-dire que les échéanciers et les coûts de ce projet ne seraient pas respectés et qu’il était temps de mettre fin à ce projet et que l’arrêt du projet sauverait de l’argent. Pourtant, le gouvernement nouvellement élu est quand même allé de l’avant. Je suis sûre que vous connaissez bien la teneur des reportages des médias sur le Site C et le projet de Muskrat Falls.
D’entrée de jeu, permettez-moi de dire que nous appuyons fermement l’adoption du projet de loi C-69 parce qu’il offre des avantages par rapport à la loi de 2012 qui doivent absolument être mis en œuvre si on veut commencer à regagner la confiance du public. Nous ne saurions trop insister sur le fait qu’en ce qui concerne l’article 392 de la nouvelle loi — qui dit que la loi fera l’objet d’un examen 10 ans après son entrée en vigueur — 10 ans, c’est beaucoup trop long. En raison des nombreux problèmes que pose une nouvelle loi, nous devons recommander fortement que cette loi fasse l’objet d’un examen au plus tard deux ans après son entrée en vigueur pour voir si elle fonctionne, pour voir si elle ne fonctionne pas. Sinon, dans 10 ans, les choses pourraient vraiment aller mal.
Étant donné que le projet de Muskrat Falls n’a pas été évalué en vertu de la loi de 2012, parce que les travaux étaient en cours, nous sommes heureux de ne pas avoir eu à nous occuper de cette loi de 2012. Cette nouvelle loi, la Loi sur l’évaluation d’impact, est meilleure à certains égards, et nous espérons que la loi de 2012 sera abandonnée parce que nous sommes convaincus que c’est plus l’industrie que toute préoccupation pour l’environnement qui a pesé. Toutefois, nous sommes plus que préoccupés par le fait que, dans la nouvelle loi, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire encore plus grand que dans les lois antérieures, ce qui signifie que les groupes de citoyens inquiets et la voix des collectivités locales pourraient être ignorés au profit du bien commun. Le bien commun, ce sont souvent les emplois et les retombées économiques qui aident les politiciens à se faire élire et réélire. C’est la proverbiale promesse électorale de construction de routes qui emporte la décision, pas les répercussions d’un projet sur l’environnement. C’est là l’opinion d’un groupe vraiment communautaire.
Aucun de nos membres n’est payé, surtout pas moi, et je travaille là-dessus depuis 20 ans. Nous sommes ici parce que nous sommes préoccupés par ce qui se passe sur notre fleuve, dans nos collectivités et partout au pays. Les changements climatiques se profilent à l’horizon et si nous ne prescrivons pas d’évaluations environnementales dans ce pays, dans celui qui est en bas et dans le monde entier, nous n’allons rien faire au sujet des changements climatiques.
Il y a une partie que j’ai incluse dans mon mémoire. Au cours de l’enquête sur le projet Muskrat Falls, le tout premier exposé a été fait par M. Bent Flyvbjerg; voici ce qu’il disait dans un de ses articles : « Il y a quelques années, j’ai été menacé par un haut responsable du gouvernement alors que je commençais mes recherches sur les dépassements de coûts dans les grands projets de travaux publics. Le fonctionnaire m’a dit sans ambages que si je présentais des résultats qui ternissaient l’image de son gouvernement et ses projets, il veillerait personnellement à ce que mes fonds de recherche se tarissent. Je lui ai répondu qu’il venait de démontrer que la recherche devait être faite et qu’elle allait probablement donner des résultats intéressants. Les résultats sont maintenant publiés et, si le fonctionnaire tient parole, je suppose que je ne recevrai jamais une autre subvention de recherche. »
Dans son exposé à la commission, il a parlé de biais d’optimisme, un terme que nous ne connaissions pas en ce début de processus, mais que nous comprenons maintenant qu’il correspond exactement à ce que nous ressentions lorsque nous avons commencé à lire l’énoncé des incidences environnementales du projet de Churchill Falls. Nous examinions un énoncé écrit et vu avec des lunettes roses, comme le dit le vieil adage. Selon M. Flyvbjerg, le biais d’optimisme désigne la tendance systématique démontrée des gens à être trop optimistes à l’égard du résultat de plans d’action, et notamment la surestimation de la probabilité d’événements positifs et la sous-estimation de la probabilité d’événements négatifs. Nous sommes convaincus que c’est exactement ce que les grands projets de notre pays ont fait : un biais d’optimisme.
Nous ne savions pas trop comment nous pourrions démontrer que cette EIE était entièrement factice et qu’elle avait très peu de rapport avec la réalité des effets négatifs de cet énorme projet. Nous trouvons que le titre de l’article mentionné ci-dessus est très à-propos : Design by deception: the Politics of megaproject Approval. Je serai heureuse de vous fournir les liens vers ces renseignements, si l’un d’entre vous souhaite s’y pencher. Cela nous a ouvert les yeux lors de l’enquête. Nous savions que c’était cela qui se produisait, mais nous n’avions aucune idée du nom que cela portait. Nous le savions, c’est tout. Nous avions d’instinct le sentiment que cette évaluation d’impact dressait un portrait tout simplement trop beau du projet, qu’il ne pouvait pas être aussi excitant que cela.
M. Flyvbjerg a examiné plus de 200 projets à l’échelle mondiale et il qualifie les barrages hydroélectriques d’aberrations, aussi appelés des cygnes noirs, et que ce sont ces projets qui affichent des dépassements de coûts très élevés. Les causes et les causes profondes de ces cygnes noirs sont les changements de leur ampleur en cours de réalisation, leur complexité, les retards, l’inflation, la géologie, la météo, les mauvaises données et les modèles, et les causes premières sont le biais d’optimisme et la fausse représentation d’un point de vue stratégique. Il divise ces causes et les causes profondes en trois catégories précises : le technique, c’est-à-dire les erreurs dans les données, le psychologique, qui est le biais d’optimisme, et le politique, qui est économique. Grand Riverkeeper et Labrador Land Protectors, les protecteurs de nos terres, croient que les trois sont en jeu à Muskrat Falls.
La loi sur l’évaluation, la nouvelle loi sur l’évaluation, doit prévoir des mesures législatives et des moyens pour prévenir ce genre de problèmes dans les projets futurs. Il est impossible que la population... Il se peut qu’elle ne sache pas comment appeler ce qu’elle lit. Elle ne sait peut-être pas qu’il s’agit d’un biais d’optimisme, mais elle sait, à la lecture de ces documents, que quelque chose cloche. Elle est sur le terrain. Elle vit dans le coin. Elle sait ce que représente le fleuve, Elle sait en quoi consiste cette mine. Elle ne connaît tout simplement pas le terme technique qui désigne tout cela.
La Loi sur l’évaluation d’impact pose de nombreux problèmes. Il n’y a pas moyen de les aborder tous dans le peu de temps dont je dispose, mais il y a deux points qui nous préoccupent vraiment et que je veux soulever. Le premier concerne une participation du public accrue et mieux financée. En tant que petit groupe, Grand Riverkeeper Labrador a reçu, je crois, 64 000 $ pour étudier l’évaluation environnementale. En fait, la plupart d’entre nous, sept ou huit d’entre nous, tous les jours, nous avons passé un mois complet dans les salles d’audience. Nous avons produit 18 documents différents et nous avons embauché 12 experts différents qui ont fait la majeure partie de leur travail gratuitement parce que nous n’avions pas les moyens de les payer. Mais nous l’avons fait avec 64 000 $ et nous avons équilibré le budget au sou près lorsque nous l’avons soumis à l’ACEE.
La deuxième chose qui est vraiment importante pour nous, c’est l’examen indépendant par les pairs de toutes les études des promoteurs. Je suis membre du comité d’évaluation environnementale et de planification. Je me suis impliquée peu après que nous ayons examiné les lignes directrices en lien avec le projet, simplement pour savoir en quoi consiste une évaluation environnementale. Nous étions tellement optimistes quant à l’issue de tout cela. Je ne peux vous dire à quel point j’avais perdu cet optimisme à la fin des audiences, lorsque le rapport de la commission a été publié et que le ministre a dit : « Nous allons le faire de toute façon », alors que la commission recommandait de ne pas aller de l’avant.
M. Flyvbjerg parle donc de points de vue extérieurs. Il parle d’améliorer les évaluations de la rentabilité et des risques afin de retirer tout biais aux projets dès le début et pendant leur réalisation. Planifiez les projets en adoptant un point de vue extérieur, dit-il. Utilisez toute l’information distributionnelle pour déterminer les coûts et les échéances. Fixez les objectifs en fonction de la propension au risque. Utilisez des prévisions basées sur une classe de référence pour adopter un point de vue extérieur sur le plan symptomatique. Permettez-moi de dire haut et fort que, pour les gens de la base, un point de vue extérieur signifie un examen indépendant par les pairs de toutes les études que fait un promoteur.
Un promoteur a un biais d’optimisme. Il va effectuer les études, et nous avons en fait l’exemple d’une étude qui montre que Nalcor a embauché ces gens, leur a montré et leur a dit dans les trois premiers paragraphes qu’il y aurait des effets au-delà de l’embouchure du fleuve, dans le lac Melville, du méthylmercure et d’autres effets. Ce document nous a été remis sous la table par la société qui a rédigé le rapport, et il a été caché. Ce document n’a jamais été présenté par Nalcor pendant l’évaluation environnementale. J’aimerais savoir comment le public peut avoir confiance dans ce qui se passe en matière d’évaluation environnementale lorsque ce genre de choses se produit.
Je n’ai que quelques exemples des choses qui ont mal tourné à Muskrat Falls, et je sais que j’ai largement dépassé le temps qui m‘était alloué. Je vais les passer brièvement en revue parce que je pense qu’ils doivent figurer au compte rendu. Au cours de l’enquête et de notre relation avec la commission, nous avons soulevé quelques-uns des problèmes environnementaux ou des problèmes liés à l’évaluation environnementale. Des effets cumulatifs n’avaient pas été étudiés adéquatement. Le seuil de signification était beaucoup trop élevé. La contamination au méthylmercure n’a pas été évaluée correctement. Le point de rupture du barrage a été calculé à l’aide de méthodes désuètes, et je dois vous dire que le barrage de Muskrat Falls se trouve à 36 kilomètres d’une collectivité de 50 personnes qui auront au plus une heure pour évacuer avant l’inondation — et elles n’ont aucun moyen de sortir de la localité. Il n’y a pas de route. Le seul moyen d’évacuation serait l’hélicoptère. Ils ne peuvent pas y arriver. Il y a eu des études d’expert faites gratuitement par le chercheur principal — je crois qu’il est venu ici, à St. John’s, et qu’on l’a qualifié de rock star de l’argile sensible — M. Stig Bernander, et ce dernier a dit ceci : « Vous n’avez pas fait les bonnes évaluations des risques. Faites-les. Vérifiez. » Et ils les ont ignorés; le gouvernement nous a ignorés. Nalcor ne nous a pas écoutés et nous cherchons toujours à savoir si la saillie nord qui compte des couches d’argile sensible va faillir lorsqu’on remplira le réservoir.
La présidente : Merci beaucoup.
Madame Healy, la parole est à vous.
Christine Healy, présidente et chef de la direction, Total E&P Canada : Bonjour, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et de vous faire part de mes commentaires au nom de Total E&P Canada.
J’ai grandi ici, à Terre-Neuve-et-Labrador, pas très loin d’ici, à St. John’s, et j’ai vu cet endroit se transformer à la suite de la découverte et de ‘exploitation du pétrole. Les répercussions sociales positives de l’exploitation responsable des ressources, c’est quelque chose que j’ai vécu personnellement et qui fait partie du tissu social de cet endroit et, en fait, du Canada.
Je suis maintenant le chef de la direction de Total E&P Canada, la branche canadienne de Total. Total est un leader mondial en énergie, la quatrième plus grande société pétrolière et gazière au monde, le deuxième producteur d’énergie solaire, le deuxième producteur de GNL, ou gaz naturel liquéfié. Nous formons une société intégrée à l’échelle mondiale. Nous menons des activités dans plus de 130 pays. Nous sommes un leader mondial en énergie à faibles émissions de carbone, et nous nous engageons à être la plus grande société énergétique responsable à l’échelle de la planète. Au Canada, nous détenons des actifs dans un permis de prospection au large de Terre-Neuve et nous sommes le sixième producteur de bitume en Alberta, avec une production quotidienne de plus de 100 000 barils à partir de deux projets de sables bitumineux.
À de nombreux égards, les possibilités et les défis du Canada sont semblables aux nôtres : exploiter les ressources de manière responsable. Le Canada a la chance de posséder des ressources naturelles abondantes qui peuvent être exploitées pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux et pour renforcer l’économie canadienne. Cette exploitation peut se faire de manière responsable. L’exploitation pétrolière et gazière à grande échelle exige des investissements de dizaines de milliards de dollars, ce qui, en toute franchise, n’est pas facile à réunir et met face à forte concurrence.
Le Canada pourrait et devrait remporter cette course aux capitaux. Nous sommes un pays riche en ressources naturelles. Nous avons le quatrième plus important gisement souterrain de la planète. Nous sommes riches en travailleurs qualifiés. Nous avons un système d’éducation de calibre mondial et des gens qui ont une éthique du travail incroyablement solide. Nous avons l’une des démocraties les plus stables au monde. Nous avons un système judiciaire qui fait l’envie du monde entier. Pourtant, nous ne gagnons pas la course aux investissements mondiaux.
Alors, que se passe-t-il? Pour donner une réponse complète à cette question, il me faudrait plus de temps que je n’en ai ce matin, mais le projet de loi C-69 à l’étude aura d’énormes répercussions. Si on procède bien, le projet de loi C-69 indiquera fortement aux investisseurs et au monde entier que le Canada est un pays transparent, efficace et responsable pour exploiter les ressources naturelles. Cependant, sous sa forme actuelle, le projet de loi rate la cible. Pour gagner du temps, je vais souligner deux points précis, mais je serai heureuse de répondre à vos questions sur n’importe quelle partie de notre mémoire ou sur le projet de loi en général.
Premièrement, les échéanciers des évaluations d’impact sont un facteur décisif pour la compétitivité du Canada. Dans le mémoire soumis, nous avons pris un projet extracôtier fictif et nous avons comparé le temps nécessaire à son exploitation au Canada selon le système en place, aux États-Unis et au Royaume-Uni, et ce qui, selon nous, se produirait selon la lecture que nous faisons du projet de loi C-69. Nous avons fait la comparaison avec deux pays de l’OCDE qui ne sont pas nécessairement les plus rapides, mais nous avons pensé qu’ils étaient deux comparables raisonnables.
Avec le processus en place, le Canada était déjà le plus lent des trois, dans certains cas de façon assez importante. Bien que le projet de loi C-69 vise à accélérer le processus, il offre de nombreuses occasions d’arrêter le temps ou de prolonger les délais, ce qui crée beaucoup d’incertitude. À notre avis, cela pourrait prolonger d’un à deux ans le calendrier d’évaluation du Canada. Donc, on rend potentiellement plus long un processus déjà long. Gardez à l’esprit que dans une course aux capitaux mondiaux, un retard d’un an peut réduire la valeur comparative d’un projet de près de 10 p. cent. C’est significatif. Nous recommandons fortement que le groupe de discussion examine les échéanciers du Canada dans un contexte interne afin de comprendre et d’apprendre d’autres administrations qui font une exploitation responsable des ressources dans des délais beaucoup plus courts et plus précis que ceux qui existent actuellement au Canada et ceux qui sont proposés dans le projet de loi C-69.
Je passe maintenant aux paramètres d’évaluation des projets. Nous considérons qu’il est impératif d’examiner rigoureusement un projet proposé afin de s’assurer qu’il est exécuté de manière acceptable sur le plan environnemental et social. Nous sommes pleinement alignés sur cet objectif. Toutefois, le projet de loi énumère 20 facteurs dont une évaluation d’impact doit tenir compte et, à mon avis, bon nombre de ces facteurs sont décrits en termes de politique sociale plutôt qu’en termes légaux. Cela crée de l’incertitude et un manque de clarté tant pour les promoteurs que pour les collectivités, qui, à juste titre, souhaitent être pleinement informés pendant toute la durée du processus.
Nous recommandons que les facteurs pris en compte dans le cadre de l’évaluation d’impact soient précis, mesurables et qu’ils se limitent aux considérations propres au projet. J’aimerais m’arrêter un instant sur les considérations propres au projet, car vous êtes actuellement au cœur de l’un des plus grands enjeux du monde moderne. Le monde a besoin d’énergie, il en exige, et cette énergie doit être fiable. Partout dans le monde, les gens veulent que cette énergie soit abordable et cette énergie doit être aussi responsable et propre que possible. Le pari d’être à la hauteur de ces attentes m’occupe tous les jours, un défi sur lequel ma société se concentre chaque jour. À l’heure actuelle, on ne connaît pas de solution facile à ce problème. Nous devons être très vigilants et veiller à ce que l’évaluation de l’impact d’un seul projet ne soit pas politisée par inadvertance pour servir de substitut à la résolution de cet important problème mondial. Fondamentalement, l’évaluation d’impact d’un seul projet ne peut et ne doit pas être utilisée à cette fin.
En tant que grande société énergétique responsable, Total appuie fermement la volonté du gouvernement du Canada de mettre en œuvre un solide régime d’évaluation des projets reposant sur des normes de classe mondiale et pertinentes. Fondamentalement, le projet de loi C-69 a une incidence importante sur la place du Canada dans l’avenir énergétique mondial. Les ressources énergétiques du Canada peuvent et doivent faire partie de l’approvisionnement énergétique responsable à l’échelle de la planète, et des politiques judicieuses ainsi que des lois claires sont essentielles à la réalisation de cet objectif.
J’invite les sénateurs et les sénatrices à examiner les recommandations que nous avons formulées par écrit et je serai heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie.
La présidente : Madame Stapleton, la parole est à vous.
Erin Stapleton, spécialiste principale de l’évaluation d’impact, Shared Value Solutions Ltd. : Merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui. J’aimerais reconnaître respectueusement que le territoire sur lequel nous sommes rassemblés fait partie des terres ancestrales non cédées des Béothuks, et que l’île de Terre-Neuve fait partie des terres ancestrales non cédées des Micmacs et des Béothuks. J’aimerais également reconnaître que les Inuits de Nunatsiavut et NunatuKavut et les Innus de Nitassinan, ainsi que leurs ancêtres, sont les premiers peuples du Labrador. Nous déployons tous nos efforts pour établir des partenariats respectueux avec tous les peuples de la province tout en nous engageant dans la voie d’une guérison collective et d’une véritable réconciliation et en honorant ensemble ces magnifiques terres.
Je me consacre à l’évaluation des répercussions environnementales depuis 11 ans et j’ai travaillé à des évaluations fédérales et provinciales pour des projets d’exploitation des ressources naturelles et d’énergie d’un bout à l’autre du pays, de la Colombie-Britannique jusqu’ici, chez moi, à Terre-Neuve-et-Labrador.
Shared Value Solutions, SVS, est une société d’experts-conseils en environnement dotée d’une équipe de 40 employés qui travaillent avec les gouvernements des Premières Nations, des Métis et des Inuits partout au Canada. Nous aidons nos clients à s’y retrouver en ce qui concerne les ententes sur les répercussions et les avantages, la négociation, les processus d’évaluation environnementale, les études sur les connaissances traditionnelles, l’aménagement du territoire et la surveillance environnementale. Notre travail consiste en grande partie à aider nos clients à participer aux processus fédéraux et provinciaux d’évaluation environnementale.
Au cours des 10 dernières années, nous avons travaillé avec nos clients à de nombreux grands projets de développement partout au Canada, y compris des mines, des centrales hydroélectriques, des lignes de distribution d’électricité, le prolongement de routes, des oléoducs et gazoducs, des installations nucléaires et des plateformes de forage pétrolier en mer.
Nous avons suivi l’examen fédéral des processus environnementaux et réglementaires et nous avons aidé nos clients à préparer des exposés à l’intention des groupes d’experts sur l’évaluation environnementale et la modernisation de l’Office national de l’énergie, ainsi que pour l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et Transports Canada. Les commentaires que je présente aujourd’hui portent sur le projet de loi sur l’évaluation d’impact et reflètent les opinions de SVS et des professionnels de l’évaluation à son emploi, qui ont l’insigne privilège de servir les gouvernements des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Or, ce n’est pas au nom de ces corps dirigeants autochtones que je m’adresse à vous aujourd’hui. Je vous fais part de nos réflexions sur le projet de loi C-69 simplement dans l’idée de rendre service à nos clients à l’égard des nombreux processus fédéraux d’évaluation des répercussions.
SVS estime que le projet de loi constitue une amélioration importante par rapport à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Parmi les changements positifs, mentionnons la disposition de la nouvelle loi concernant la coopération avec certaines instances, y compris les corps dirigeants autochtones, au moyen de la délégation de tout ou partie d’une évaluation d’impact, de la constitution conjointe d’une commission ou de la substitution d’un autre processus à l’évaluation d’impact; l’exigence de la nouvelle loi selon laquelle, lorsqu’il prend une décision en vertu de la loi, le ministre doit tenir compte de toute incidence négative que la décision pourrait avoir sur les droits des peuples autochtones au Canada; l’étape obligatoire de la planification et de la participation précoces prévue dans la nouvelle loi, qui comprend un plan de mobilisation et de participation des peuples autochtones élaboré en collaboration avec eux, décrivant la façon dont le promoteur entend travailler avec les collectivités tout au long de l’évaluation; l’ajout de tout changement que la nouvelle loi pourrait apporter aux conditions sanitaires, sociales ou économiques des peuples autochtones au Canada; et l’exigence selon laquelle les rapports d’évaluation d’impact doivent décrire la façon dont les connaissances autochtones ont été prises en compte.
SVS a également des recommandations pour de possibles ajouts à la loi. Par exemple, bien que le préambule renvoie à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, la loi ne contient aucune définition ni la moindre allusion au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il s’agit là d’un droit bien précis que la DNUDPA reconnaît aux peuples autochtones, le droit qui leur permet de donner ou de refuser leur consentement à un projet qui peut les toucher, eux ou leur territoire. Il leur permet également de négocier les conditions dans lesquelles le projet sera conçu, mis en œuvre, surveillé et évalué. La loi doit contenir un libellé explicite à l’égard du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, tel que défini dans la DNUDPA.
La loi ne contient aucune disposition voulant que les personnes et les collectivités autochtones touchées soient habilitées à exercer une influence sur la prise de décisions à l’égard des conditions d’approbation, des programmes de suivi et de la gestion adaptative. De plus, la loi exige un plan de gestion adaptative uniquement si le ministre le juge approprié. La planification de la gestion adaptative postérieure à l’approbation est la norme professionnelle pour les entreprises importantes et devrait être un élément essentiel des programmes de suivi mandatés par le gouvernement fédéral afin que les écarts par rapport aux hypothèses sur lesquelles la décision relative à l’évaluation d’impact a été fondée soient pris en compte adéquatement.
Bien que la liste des facteurs à prendre en considération dans l’évaluation d’impact tienne compte de la mesure dans laquelle le projet désigné contribue à la durabilité, tel qu’indiqué à l’alinéa 22(1)h), la loi ne fournit aucun autre détail sur la façon d’appliquer cette optique de durabilité. Le cadre législatif d’évaluation de la durabilité devrait être décrit dans la loi et tenir compte des points de vue et des intérêts des Autochtones.
Enfin, les espèces importantes sur le plan culturel devraient être ajoutées à l’alinéa 7(1)c). Ainsi, les projets proposés qui risquent d’être néfastes pour toute espèce importante sur le plan culturel devraient faire l’objet d’une évaluation. Ces espèces devraient être exclusivement désignées par les communautés autochtones et lors de la collecte des données sur les connaissances autochtones, et devraient être incluses en raison du lien avec l’article 35, Confirmation des droits existants des peuples autochtones, de la Loi constitutionnelle de 1982.
Nous sommes également préoccupés par d’autres témoignages de ces derniers mois qui accordent la priorité au développement économique en faisant abstraction de l’engagement du gouvernement du Canada à respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à favoriser la réconciliation. Par exemple, nous avons entendu des témoins de partout au pays dire qu’il fallait raccourcir la durée de l’évaluation d’impact. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous estimons que l’étape préparatoire obligatoire est un élément essentiel de la nouvelle loi. Bien que cette étape puisse ajouter jusqu’à 180 jours au processus d’évaluation, elle est indispensable si l’on veut faire participer de façon significative les gouvernements autochtones et instituer un climat de confiance entre les collectivités et les promoteurs. En définitive, nous croyons que cette phase de planification et de mobilisation ou étape préparatoire rendra le processus plus efficace, le projet sera mieux conçu et les promoteurs auront moins de risques à craindre.
Nous avons également entendu des témoins affirmer que le forage exploratoire en mer ne devrait pas faire l’objet d’une évaluation d’impact et que l’évaluation régionale actuelle de la zone extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador permettra d’évaluer adéquatement les répercussions potentielles de ces activités. L’évaluation régionale peut être une occasion de mobilisation et de collecte des connaissances autochtones et un moyen efficace de répondre aux préoccupations à l’égard des effets cumulatifs. Or, d’après ce que nous avons pu constater, le processus d’évaluation régionale s’est caractérisé par un manque de consultation, particulièrement en ce qui concerne l’offre d’un financement adéquat pour que les communautés autochtones puissent participer de façon significative. Non seulement le forage exploratoire extracôtier devrait-il demeurer assujetti à une évaluation d’impact, mais les articles de la loi portant sur l’évaluation régionale et stratégique doivent être révisés afin d’inclure des dispositions relatives à la consultation des peuples autochtones et au respect de leurs droits établis et revendiqués dans le domaine de l’évaluation, tout en prévoyant un soutien suffisant pour leur participation à ces processus.
Je vous remercie de m’avoir permis de vous faire part des opinions de SVS à titre de professionnels de l’évaluation d’impact au service des gouvernements des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Nous continuerons de suivre l’examen fédéral des processus environnementaux et réglementaires et nous appuierons nos clients dans leurs échanges avec le gouvernement du Canada afin qu’ils puissent formuler des commentaires sur les règlements, politiques et directives qui faciliteront la mise en œuvre de la nouvelle loi. Merci.
La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage.
Nous allons commencer par les questions de la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup pour ces trois excellents exposés. Je dois dire, madame Frampton Benefiel, que de ma vie antérieure où j’étais journaliste et où j’ai couvert la construction du réseau des trains légers, d’arénas de hockey et autres mégaprojets de ce genre, j’ai gardé le souvenir d’une très claire tendance à l’optimisme. J’ai une question pour vous et une autre pour Mme Stapleton. Je vais les poser toutes les deux rapidement.
Nous avons entendu beaucoup de promoteurs de projets qui s’opposent au pouvoir décisionnel du ministre de crainte que ce soit au détriment de leurs projets, mais vous soulevez un point très important. Un autre gouvernement pourrait faire avancer des projets malgré l’opposition de l’organisme de réglementation. Comment trouver le juste milieu entre confier la décision à quelqu’un qui doit rendre des comptes aux électeurs et laisser une certaine place à la réglementation par des experts? Ma question pour Mme Stapleton est la suivante : pourriez-vous préciser ce que l’on entend par planification de la gestion adaptative, et nous dire ce qu’elle doit comporter pour être considérée bonne?
Mme Frampton Benefiel : Nous comprenons qu’il est important que le ministre prenne une décision finale. Il a été élu pour cela, certes, mais il doit rendre des comptes. Lorsque le comité a posé des questions sur ce qu’il fallait faire au sujet de l’évaluation environnementale, nous avons recommandé l’adoption d’une liste de contrôle d’un ensemble de règles avec des cases qu’un ministre doit cocher pendant l’évaluation et qu’il ne puisse prendre une décision à moins d’avoir vérifié chacune des règles et d’avoir expliqué pourquoi il a pris telle ou telle décision et les données qu’il a utilisées pour la prendre. Je suis pas mal certaine que nous avons recommandé que toutes les décisions soient fondées sur des données scientifiques.
La sénatrice Simons : Merci. Je pense qu’il pourrait y avoir une entente pour les promoteurs aussi, alors ce n’est ni arbitraire ni politique.
Mme Frampton Benefiel : Oui, tout à fait.
Mme Stapleton : Pour ce qui est de votre question sur la planification de la gestion adaptative, je peux vous donner des exemples précis de mesures qui ont donné de bons résultats à ce qu’il nous a semblé comme professionnels dans ce domaine. Mais, en règle générale, nos clients ont tendance à préférer que la gestion adaptative fasse partie des mesures que le promoteur est tenu de prendre, tout comme pour l’évaluation d’impact et la surveillance environnementale.
La planification de la gestion adaptative dans ce contexte veut dire s’engager à surveiller les effets observés pendant la durée d’un projet donné et à avoir des paramètres en place pour vérifier constamment si les hypothèses de départ ayant servi à l’évaluation et à l’approbation subséquente du projet, demeurent valables. Plus tôt ce matin, les témoins nous ont parlé des changements climatiques et de leurs effets. Prenez par exemple un projet d’exploitation pluriannuel qui fonctionnerait au large du littoral pendant des décennies, la gestion adaptative est essentielle pour garantir à nos clients que les impacts environnementaux sont atténués. De plus, lorsque des mesures d’atténuation se sont avérées inefficaces — par exemple, face à une élévation du niveau de la mer ou à des phénomènes météorologiques extrêmes — il y a un mécanisme en place pour que le promoteur puisse en discuter avec le public et avec les communautés autochtones touchées afin de réévaluer la situation et d’envisager d’autres mesures à prendre pour atténuer tout nouvel impact ayant pu surgir au fil du temps.
La présidente : Vous avez la parole, sénateur Manning.
Le sénateur Manning : Merci beaucoup.
Madame Stapleton, pourriez-vous élargir votre optique de la durabilité et nous préciser ce qu’elle englobe?
Je pose cette question à qui veut bien y répondre. Nous avons entendu des exposés, ce matin même, au sujet de la Norvège et du délai d’exécution d’un processus d’évaluation environnementale; 79 jours. Pour peu que l’on connaisse la Norvège, on serait porté à croire qu’elle est très respectueuse de l’environnement, l’un des principaux pays au monde qui le sont, d’après mes informations. Puis, à Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons entendu ce matin que la moyenne est de 905 jours. Comment trouver un terrain d’entente à cet égard et donner aux gens qui se soucient de l’environnement et du développement la possibilité de s’exprimer?
Qui plus est, quel que soit le parti politique au pouvoir, c’est le ministre qui est responsable. Je crois comprendre que c’est lui qui prend la décision finale. Les cases à cocher dont il a été question tout à l’heure, c’est bien beau, mais nous avons déjà suivi cette démarche à maintes reprises, et elle a une dimension politique. Je me demande si cela nous convient?
Il y a là plusieurs questions. Sentez-vous libre d’y répondre, mais sachez que mon temps est limité. Les Terre-Neuviens nous aimons parler, alors j’essaie de tout dire en quelques mots. Je lance mes questions à tout hasard pour qui voudrait y répondre.
Mme Stapleton : Je vais répondre à votre question concernant l’optique de la durabilité.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, SVS croit qu’il faut mieux définir ce que signifie la durabilité. Dans le souci de servir nos clients, nous aimerions qu’il en soit ainsi et que l’on tienne compte des points de vue des peuples autochtones. Je suis descendante de colons, alors ma vision de la durabilité est très différente de celle d’une personne qui a vécu toute sa vie à Rigolet. Il est important, en général, que nous définissions plus clairement ce que cela signifie de mener une évaluation dans une optique de durabilité. Je pense que les promoteurs, le public et d’autres intervenants seraient tous d’accord pour dire que nous cherchons à mieux définir ce qu’est la durabilité dans le contexte de cette loi. Quant aux personnes que je représente ici aujourd’hui, nous aimerions que toute définition de la durabilité tienne compte des points de vue et des intérêts des Autochtones.
Mme Healy : Monsieur le sénateur, je vais essayer de répondre à la question qui, je crois, était inhérente à la question des délais que nous avons amplement abordée dans notre mémoire. Je commencerai par dire qu’au départ, j’ai été très heureuse d’apprendre que le gouvernement envisageait de mettre à jour le processus d’évaluation environnementale, car je pense qu’il comporte des lacunes et qu’il y a bien des façons de l’améliorer. Malheureusement, les changements actuellement proposés vont, à mon avis, dans la mauvaise direction.
Vous avez parlé de la Norvège avec un échéancier. Nous prenons l’exemple du Royaume-Uni et des États-Unis, à titre de comparaison. Si ma société découvre du pétrole dans le golfe du Mexique au large des États-Unis, où les normes environnementales et réglementaires sont extrêmement rigoureuses, elle aura 180 jours pour établir les investissements qu’elle compte faire et attirer pour mener à bien le projet. Si nous n’établissons pas cela à la satisfaction de l’organisme de réglementation, la licence peut nous être retirée et faire l’objet d’un appel d’offres afin que d’autres entreprises puissent profiter de notre découverte. Ainsi, il s’agit simplement d’une mentalité tout à fait différente en ce qui concerne l’exploitation de la ressource.
Vous avez parlé d’essayer de trouver un terrain d’entente. Je pense que c’est un objectif admirable, mais peut-être insuffisant. Il nous appartient, comme pays, de décider fondamentalement quelle est la place que ces exploitations doivent occuper dans notre avenir.
Pour Total, nous acceptons les changements climatiques comme une composante essentielle et un défi crucial pour l’humanité. Nous aspirons à respecter les engagements de Paris et le scénario des deux degrés. Même dans ce scénario, le monde continue d’utiliser du pétrole et du gaz, et le Canada en a en masse. Il a tout ce qu’il faut pour les produire de façon efficace et responsable, de quoi approvisionner le monde entier. Ce qui arrive, c’est que les investisseurs ont tourné le dos au Canada au profit d’autres pays qui ont des ressources souterraines inférieures et dont l’extraction est plus onéreuse pour l’environnement. C’est le résultat d’une série de choix que fait le Canada.
Les délais sont donc d’une importance capitale. La place qu’occupe le Canada dans le contexte international est très importante. Vous avez donné l’exemple de la Norvège. Les États-Unis et le Royaume-Uni prévoient quant à eux un délai d’un an pour l’échéancier environnemental. Il arrive que ce délai soit dépassé ou qu’il faille moins de temps, mais la cible ou la norme est différente pour ce qui est d’essayer de trouver un juste milieu entre les besoins des diverses collectivités et ceux des investisseurs.
La présidente : J’ai deux ou trois questions complémentaires à poser au sénateur Manning.
Le témoin précédent nous a dit que le pétrole des plateformes canadiennes est exporté dans 40 pays. J’aimerais savoir si la Chine fait partie de ces pays.
Ma deuxième question. Vous avez dit que les règlements et les contrôles de l’exploration sont extrêmement rigoureux aux États-Unis et dans le golfe du Mexique. Mais qu’est-il donc arrivé au Deep Water Horizon?
Ma troisième question. Quel est l’âge des plateformes au Royaume-Uni et en Norvège par rapport à celles de notre industrie?
Mme Healy : Sénateur, il y a plusieurs aspects à considérer. Tout d’abord, du côté des États-Unis, il ne fait aucun doute que le désastre du Deep Water Horizon a entraîné de grands changements au niveau de la réglementation. Et quand je parle de réglementation, je veux dire les mesures très pertinentes et opportunes que l’on a instituées à l’issue du désastre.
Quant à savoir où aboutit le pétrole produit au large de Terre-Neuve, je pense qu’il faudrait poser la question aux producteurs en question, et ma société n’en fait pas partie. En général, le pétrole transporté par les pétroliers est un marché mondial, alors le pétrole peut aller n’importe où. Ma société participe à des projets à l’échelle mondiale. Par exemple, l’exploitation de gaz naturel en Russie pour l’exporter en Chine afin de remplacer la production d’électricité à partir du charbon. Ces projets se déroulent sous le nom de Yamal LNG. C’est l’un des plus grands projets de gaz naturel liquéfié au monde, et Total est un des promoteurs. Des efforts sont déployés pour s’attaquer à ce qui est fondamentalement un problème mondial. Si une ressource canadienne peut remplacer d’autres sources d’énergie à plus forte intensité carbonique à l’échelle mondiale, alors le Canada offre un avantage net, une réduction des émissions de gaz à effet de serre qui bénéficie à la planète, même si ces émissions pourraient augmenter chez nous. Je peux me tromper, mais je crois avoir répondu à votre question.
Je crois que vous aviez une question sur les échéanciers, n’est-ce pas?
La présidente : Depuis quand existent les industries de la Norvège et du Royaume-Uni comparativement à la nôtre?
Mme Healy : Nous avons là différents niveaux de maturité. Je suppose que cela dépend de la zone. L’industrie du Royaume-Uni atteint maintenant sa maturité, donc elle produit depuis plus longtemps que celle des zones extracôtières du Canada. L’industrie de la Norvège produit depuis plus longtemps encore, mais on y ouvre continuellement de nouvelles zones d’exploitation.
Je dirais que pour notre industrie, l’une des mesures clés est le délai entre la découverte du gisement et la première extraction de pétrole. Ce délai n’est pas le même pour un bassin côtier existant que pour un bassin extracôtier situé en eau profonde. Pour ce dernier, ce délai devrait normalement être de huit ans, selon la juridiction qui le régit. Il comprend tous les processus nécessaires pour en arriver à cette première extraction. Au Canada, on n’a jamais réussi à accomplir des projets extracôtiers dans ce délai. Dans certains cas, au début, il nous manquait la technologie nécessaire. Cependant, les projets menés au Canada affichent des retards importants par rapport à ceux d’autres pays.
La présidente : Merci.
Sénateur Woo, vous avez la parole.
Le sénateur Woo : Merci, madame la présidente.
Ma première question s’adresse à Mme Healy. Elle a trait à l’arrêt des activités. En fait, ma question s’articule en trois parties. Bien entendu, le gouvernement peut suspendre l’échéancier, et cela vous préoccupe. Le promoteur peut aussi le faire, et cela ne semble pas vous préoccuper autant, parce que cela vous donne une certaine marge de manœuvre. Mais même si le gouvernement suspend l’échéancier, on peut se demander si cette décision relève du ministre ou de l’Agence. Vous sentiriez-vous moins inquiets si l’on confiait à l’Agence, et non au ministre, le soin de faire cesser les activités?
Mme Healy : Merci, monsieur le sénateur. Vous pouvez voir au tableau présenté dans notre mémoire qu’au Royaume-Uni, le délai d’approbation est d’environ deux ans, et il comprend l’exploration. Dans le cas de la côte du golfe des États-Unis, ce processus réglementaire est parfois fixé à neuf mois seulement. Dans le cadre du processus actuel au Canada, ce délai est d’environ quatre ans et demi. En y ajoutant les retards et l’arrêt des activités que prévoit le projet de loi C-69, nous constatons qu’il risque de s’étendre sur au moins six ans. Nous reconnaissons que l’arrêt des activités n’intéresse personne.
Le sénateur Woo : Personne du tout? Qu’on en confie la responsabilité à l’Agence ou au ministre?
Mme Healy : Le libellé du projet de loi — le nombre de fois qu’il permet aux parties de suspendre l’échéancier et la capacité illimitée qu’a le Cabinet de le faire — soulève d’autres préoccupations, non seulement sur la rapidité d’exécution du processus, mais sur les types d’éléments pris en compte pour entraîner cet arrêt. Le projet de loi exige qu’on en présente les raisons, mais en le lisant, nous trouvons que les paramètres de cette discrétion ne sont pas clairs. En outre, au Canada, le pouvoir discrétionnaire accordé aux ministres est très vaste. Cela ajoute à l’incertitude que crée déjà l’échéancier. Quel que soit le responsable chargé de faire cesser les activités, cette disposition nous préoccupe à cause du grand nombre de personnes qui ont l’autorité de le faire, et qui peuvent le faire très souvent.
Le sénateur Woo : Je comprends. Toutefois, j’ai aussi entendu des représentants de l’industrie et d’autres promoteurs affirmer qu’il faudrait accorder plus d’autonomie à la prise de décisions sur l’arrêt de l’échéancier. Comme l’Agence est considérée comme une instance indépendante sachant quand demander des renseignements supplémentaires, il serait préférable de lui accorder ce pouvoir au lieu de le confier au ministre.
Je vais passer à Mme Stapleton. J’ai une question au sujet des plans de gestion adaptatifs mis sur pied après l’approbation. Pourriez-vous nous décrire plus en détail la mise en œuvre de ces plans? Je me demande s’ils devraient figurer dans le projet de loi, puisqu’ils me semblent plutôt liés aux ententes sur les répercussions et sur les avantages ou au rôle qu’assume la Régie dans le processus de surveillance des projets. J’essaie de déterminer si cet enjeu s’insère vraiment dans la portée du projet de loi C-69. C’est un enjeu important parce que, comme vous l’avez souligné, il arrive que la situation change, et les parties touchées devraient disposer d’un moyen de demander une compensation ou de faire modifier le plan de gestion. Cet enjeu relève plutôt de la Régie ou alors, on devrait l’insérer dans l’entente sur les avantages que concluent le promoteur et la collectivité concernée.
Mme Stapleton : Merci. La loi actuelle mentionne la nécessité éventuelle d’établir une gestion adaptative, mais elle souligne que cette décision relève du ministre. Nous désirons que la gestion adaptative soit exigée en tout temps. Ensuite, pendant sa mise en œuvre, le promoteur pourrait consulter les parties touchées, les communautés autochtones et autres, pour modifier le plan en question. Le plan serait différent pour chaque projet. Nous désirons que la loi exige clairement que la gestion adaptative devienne la dernière phase cruciale de la gestion globale du projet.
Le sénateur Neufeld : Merci d’être venus aujourd’hui et merci pour vos présentations. J’ai plusieurs questions à vous poser.
Madame Frampton Benefiel, en ce qui concerne la participation du public prévue dans le projet de loi, je ne sais pas si je vous ai mal comprise, mais j’ai eu l’impression que vous affirmiez avec force que nous devrions écouter les personnes concernées ou les experts. Je vous demanderais de nous dire de qui vous parliez exactement, parce que l’amélioration de la participation du public nous oblige à nous ouvrir au reste du monde. Il ne sera pas nécessaire d’écouter tout le monde, mais il faudra tenir compte des commentaires reçus. D’une façon ou d’une autre, il faudra respecter les recommandations de la commission.
Mme Frampton Benefiel : Oui.
Le sénateur Neufeld : Comment s’y prendrait-on, en réalité? De qui parlez-vous, des personnes concernées ou de tout le monde?
Mme Frampton Benefiel : À notre avis, même les membres du Caucus de la planification et des évaluations environnementales, qui se trouvent dans tout le pays et ailleurs au monde, devront examiner les répercussions qui se feront sentir dans le monde entier. Pourquoi ne demanderions-nous pas l’opinion de personnes expertes des répercussions sur le monde entier pour éclairer une évaluation environnementale qui pourrait concerner le monde entier?
Je voudrais soulever une question concernant les projets hydroélectriques à laquelle personne ici ne semble avoir pensé. Il n’y a pas très longtemps, quelqu’un nous a fait remarquer que dans les Grands Bancs, le long du Labrador, dans le golfe du Maine et dans le Saint-Laurent, les stocks de poissons souffrent du fait que la silice est retenue derrière les barrages de la baie James, de la baie d’Hudson et du Labrador. La silice permet de produire les diatomées qui, elles, produisent le plancton végétal dont se nourrissent les poissons. Par conséquent, si un expert, une personne ou une communauté croit que cette situation est néfaste, on devrait lui permettre d’en parler.
Le sénateur Neufeld : D’accord. Vous pensez que l’opinion de ces personnes est aussi importante que celle des gens de la localité?
Mme Frampton Benefiel : Oui, absolument.
Le sénateur Neufeld : Merci.
Madame Healy, nous avons déjà beaucoup parlé de la liste des projets, alors je ne vais pas trop m’y attarder. Toutefois, il me semble bien étrange que le gouvernement, au bout de trois ans de consultations qu’il dit avoir menées auprès de tous les intervenants, n’ait pas dressé une liste de projets. Notre discussion sur les forages d’exploration aurait été bien moins longue. Je suppose que la société Total a participé à la consultation préliminaire, alors pourriez-vous me dire si, au cours de ce processus, on a parlé de dresser une liste de projets dont l’évaluation d’impact pourrait, ou non, être renvoyée à une commission d’examen?
Mme Healy : Merci d’avoir posé cette question.
La société Total a participé au premier processus de consultation sur ce projet de loi par l’entremise d’associations de l’industrie dont elle est membre. Elle n’a pas participé en son nom propre. Il est en fait assez rare que Total prenne directement part à ce genre de consultations, parce qu’elle possède des sites d’exploitation dans tellement de pays qu’elle s’efforce de rester neutre face aux ouvertures qui lui sont proposées. À Total, nous suivons cependant un processus d’évaluation des risques liés aux investissements qui s’appuie sur plus de 28 facteurs et que nous appliquons uniformément dans chaque pays. Dans sa version actuelle, ce projet de loi pourrait nuire à neuf de ces facteurs, ce qui déclasserait le Canada dans notre système d’évaluation globale des risques. Nous n’effectuerons cette évaluation qu’après l’adoption définitive du projet de loi. Alors, nous verrons s’il est possible d’y appliquer un processus différent ou si certains des problèmes signalés par le processus d’évaluation ont été résolus. De notre point de vue d’investisseurs étrangers, si l’on ne nous montre pas cette liste, nous craignons que, pour nous y faire inscrire, nous devions faire des promesses et tenir avec le gouvernement des discussions que d’autres pays ne nous imposeraient pas.
Nous nous trouvons un peu devant le mystère de l’œuf et la poule. Avant d’investir ou même d’envisager d’investir dans un pays, nous évaluons les risques globaux que présente ce pays. Si, en effectuant cette évaluation, nous constatons des lacunes, nos résultats ne seront pas très positifs. Une liste de projets claire et transparente, présentant quelques-unes des activités que nous comptons mener, pourrait nous aider. Je dirais que ce serait une solution partielle, mais pas complète.
Le sénateur Neufeld : Merci.
Madame Stapleton, vous avez mentionné la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en affirmant qu’elle constitue un veto direct de la part des groupes autochtones. À Fort McMurray, des témoins de groupes autochtones n’étaient pas de cet avis. En fait, au Sénat, j’ai entendu le sénateur Sinclair, qui est autochtone, affirmer avec force qu’elle n’impose pas de veto. Ne pensez-vous pas que nous devrions déterminer si elle impose ou non un veto avant de l’inclure? Je constate une certaine confusion. Je n’essaie pas de brouiller les cartes, mais je voudrais que nous définissions ce qu’elle signifie vraiment.
Mme Stapleton : Je reconnais que dans le contexte de ce projet de loi, il est difficile de comprendre exactement ce que signifie la définition de la Déclaration. Je suis sûre que la plupart de nos clients partageraient ce sentiment. Le mot « veto » me semble un peu fort. Dans mon rôle de représentante d’un cabinet d’experts-conseils qui sert principalement des gouvernements de Premières Nations, de Métis et d’Inuits, je dois souligner que, dans son préambule au projet de loi C-69, le gouvernement du Canada s’engage explicitement à respecter le processus de réconciliation et à obtenir avant toute chose un consentement libre et éclairé. Je ne parle pas au nom de nos clients, mais c’est l’impression qui m’est venue en travaillant avec eux. Ils désirent que nous leur garantissions que le gouvernement du Canada respectera cette promesse. En outre, ils tiennent à ce que le gouvernement investisse les fonds nécessaires pour tenir cette promesse. Je ne crois pas que nos clients se sentiraient à l’aise face à ce droit de veto, comme vous l’appelez. Ils veulent être sûrs que le gouvernement tiendra la promesse qu’il leur a faite.
Le sénateur Neufeld : Je vérifierai la transcription tout à l’heure, mais il me semble que vous avez dit que les Premières Nations veulent un droit de refus. Je crois que vous avez dit cela. Par définition, un consentement se solde par un oui ou par un non. À mon avis, il faut mener une consultation et tout ce genre de processus. Personne ne refuserait cela.
Le sénateur Ravalia : Ma première question s’adresse à Mme Healy. Votre société participe à un processus international. Vous traitez donc avec divers gouvernements étrangers sur l’exploration pétrolière et gazière. Avez-vous observé quelque part un excellent modèle d’extraction d’hydrocarbures et de gaz qui ne cause pas de dommages, qui soit rentable et qui respecte les vastes paramètres du projet de loi C-69? Ou alors, pensez-vous au contraire que dans sa version actuelle, ce projet de loi empêcherait l’application d’un tel modèle?
Mme Healy : Merci, monsieur le sénateur. En travaillant pour cette société, j’ai l’occasion d’observer ce qui se fait dans le monde. J’ai moi-même participé à des placements dans 14 pays et j’ai supervisé la prise de décisions sur des placements dans de nombreuses autres régions. Existe-t-il vraiment un modèle d’excellence dans le monde? Je vous dirai que de nombreux pays suivent d’excellents modèles. Du point de vue politique, à mon avis, il faudrait s’inspirer de ces modèles pour créer le processus.
Je pourrais vous envoyer une liste indiquant le point de vue de notre société, mais je vous dirai personnellement et d’expérience que le modèle du Royaume-Uni comporte d’excellents éléments. Les systèmes de la Norvège, des États-Unis et du Brésil contiennent eux aussi de bons éléments. Je crois que si quelqu’un relit la transcription de mon témoignage et n’y voit pas le nom de son pays, je ne ferai pas bonne figure dans ce pays, alors je vais m’arrêter ici et vous promettre de vous remettre une description écrite des endroits où notre société a observé certains excellents modèles. Il est sûr que les pays membres de l’OCDE partagent un même engagement environnemental et communautaire. Les lois de ces pays traitent cela de manières très diverses. J’ajouterais que nous devrions nous inspirer des façons de faire de plusieurs pays et non d’un seul.
Le sénateur Ravalia : Pensez-vous que les paramètres de ce projet de loi nous empêcheraient d’appliquer ces modèles? Réduiraient-ils notre position concurrentielle par rapport aux pays qui ont un excellent modèle?
Mme Healy : C’est une question très délicate. Dans notre industrie, j’entends divers points de vue à ce sujet. Je vous dirais que, de notre côté, nous respectons le droit et les obligations qu’a le gouvernement du Canada de prendre la décision qui convient le mieux au pays. Certains amendements à ce projet de loi pourraient nous rapprocher de la sphère que, nous pensons, le Canada désire atteindre, mais ce sont des amendements considérables. J’ai entendu des gens recommander qu’on apporte quelques amendements mineurs au projet de loi pour y parvenir. À notre avis, il ne s’agira pas d’un petit fignolage. Toutefois, il sera possible d’apporter des changements au cadre général du projet de loi.
Le sénateur Ravalia : Madame Stapleton, comme les communautés autochtones de notre pays sont souvent passablement différentes, avez-vous traité avec des populations dont les membres ne s’entendaient pas sur le fait d’autoriser ou de refuser le développement d’un projet? Dans de telles situations, que faites-vous pour atteindre un compromis?
Mme Stapleton : Vous avez tout à fait raison. Le seul fait de travailler auprès d’une communauté ou de la visiter ne donne pas une idée générale de ce qui se passe dans le reste du pays. Je tiens cependant à souligner qu’un grand nombre de nos clients ne s’opposent aucunement au développement. Ils désirent toutefois certaines assurances sur la manière d’exécuter ces projets. Lorsque nous nous trouvons dans une communauté dont les membres ne partagent pas les mêmes points de vue, nous entamons la conversation de manière à définir leurs préoccupations. Nous cherchons ensuite des mesures d’atténuation ou offrons d’aider le promoteur, la communauté autochtone ou la collectivité non autochtone à la table de négociation. Même ici, à St. John’s, les gens ont souvent des points de vue très différents sur l’autorisation ou le refus d’un projet. On ne peut pas plaire à tout le monde, on le sait bien. C’est la vie.
Notre rôle est d’aider nos clients. Comme le font tous les bons experts-conseils, nous nous efforçons de répondre à leurs besoins. Cela nous oblige bien souvent à travailler directement avec le chef et avec son conseil, qui ont été élus pour prendre des décisions au nom de leurs membres. Nous nous efforçons simplement de servir nos clients et de les soutenir de toutes les façons possibles. Parfois, il s’agit de les aider à collaborer de plus près avec le promoteur. D’autres fois, nous devons leur recommander de ne pas autoriser un projet tant qu’il ne respecte pas certains paramètres.
Le sénateur Massicotte : Pour reprendre l’observation du sénateur Neufeld à Mme Stapleton, cette question de consentement me tracasse aussi un peu. Par définition, un consentement est une approbation. Ainsi, quiconque doit obtenir une approbation fait face à l’éventualité d’un refus. On a le droit de refuser; cela fait partie de l’intention. Cependant, la Cour suprême a produit des décisions phénoménales définissant les droits respectifs de tous ceux qui vivent dans une même zone géographique.
Ces décisions de la Cour suprême affirment de façon très claire que dans les cas où les droits sont très importants, mais mal déterminés, il faut obtenir un consentement. Toutefois, dans bien d’autres cas, il faut partager ces terres communes en protégeant l’usage traditionnel des communautés autochtones. Tout cela est très vague. Mais l’article 262, auquel on fait référence au début du projet de loi C-69, énonce clairement qu’il faut obtenir un consentement pour tous les projets qui touchent ces terres d’une façon ou d’une autre. Vous semblez nous dire que ce n’est pas vraiment l’intention de cet article. Je suppose que vous seriez d’accord pour que nous amendions le projet de loi afin d’établir clairement que l’obtention d’un consentement ne serait requise que lorsqu’une exigence s’y applique — autrement dit, que si une décision de la Cour suprême l’exige. Seriez-vous d’accord de le faire?
Mme Stapleton : Je propose que le comité demande l’avis de plus de gouvernements et de communautés autochtones partout au Canada. Cela nous ramène tout simplement au gouvernement du Canada et à ce qu’il s’est engagé à faire avec cette nouvelle loi sur l’évaluation d’impact. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un volet important. Il s’agit d’obtenir certaines assurances que les promoteurs de projet mèneront des consultations sérieuses. Roberta a déjà parlé de son expérience à Muskrat Falls et corrigez-moi si je me trompe, ce n’était pas un programme de participation bien exécuté. C’est le genre de scénario que nous espérons éviter et c’est pourquoi nous sommes très heureux de constater que la planification et la participation précoces obligatoires ont été ajoutées dans la nouvelle loi. Il y a certainement des promoteurs que nous aimons qualifier d’éclairés. Si les choses sont bien faites, nous croyons que cet ajout sera particulièrement important pour notre clientèle et, surtout, utile pour les promoteurs qui s’en serviront comme une sorte de feuille de route sur la meilleure façon de travailler avec les communautés autochtones directement touchées par leur projet.
Le sénateur Massicotte : N’êtes-vous pas d’accord pour dire que la Cour suprême nous a déjà imposé à nous, les non-Autochtones, l’obligation de garantir la participation significative des peuples autochtones et de les consulter abondamment lorsque leurs droits sont si touchés?
Mme Stapleton : Je ne contesterai pas une décision de la Cour suprême. Ce que je dis, c’est que je suis ici comme consultante auprès des communautés autochtones et que la meilleure façon, pour vous, de savoir comment les communautés autochtones aimeraient que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause soit intégré à la loi et comment elles aimeraient que la DNUDPA soit mise en œuvre dans le cadre de la loi, c’est de communiquer directement avec ces gouvernements et ces communautés.
Le sénateur Massicotte : C’est de bonne guerre. Merci.
La sénatrice McCallum : J’aimerais revenir à la déclaration qui a été faite au sujet de la nécessité de fonder toutes les décisions sur des données scientifiques. Ce qui me préoccupe, c’est qu’un témoin précédent a recommandé que les connaissances autochtones soient subordonnées aux connaissances scientifiques. J’aimerais vous poser une question à ce sujet.
Dans les domaines de l’extraction des ressources et de la construction de barrages hydroélectriques, j’ai constaté que les méthodes utilisées ont tellement d’effets néfastes que la science devrait permettre d’éviter et pourtant, elle n’y parvient pas. Quand je regarde les pesticides, les BPC, les déchets toxiques, ce sont tous des dangers que la science a reconnus, mais personne dans le milieu scientifique ne conteste la sagesse du fait que l’on permet d’en utiliser et d’en produire encore davantage. La science s’est scindée en deux, soit le segment soutenu par l’industrie et l’autre par des fonds publics. L’industrie a toujours eu comme objectif primordial d’accroître ses bénéfices. C’est son objectif principal.
Quand je pense au barrage Muskrat et à ce qui s’est passé avec toutes les connaissances scientifiques qui auraient dû être prises en compte pour le construire, je pense à la pente et à l’instabilité le long de la rive, à l’érosion accrue en aval de Muskrat Falls, à la qualité de l’eau en raison de la capacité d’érosion accrue, à la contamination par le mercure, au risque d’affaissement des berges en aval et à la possibilité qu’un segment du barrage Muskrat qui a été construit sur de l’argile se rompe et cause des inondations.
C’est sans parler des puits orphelins qui ont été abandonnés et de tous les déchets toxiques partout au Canada. Avec les connaissances scientifiques, on aurait dû régler ces problèmes et pourtant ils ne cessent de prendre de l’ampleur. Alors, pourriez-vous nous expliquer un peu les connaissances scientifiques dont vous parlez et sur lesquelles vous voulez qu’on se fonde?
Mme Frampton Benefiel : Je pense que vous avez dit tout ce que j’aurais dit et je dois probablement faire marche arrière concernant cette ferme déclaration sur la science. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a deux segments et que les scientifiques en industrie font ce que l’industrie demande. Ce qu’ils produisent est grandement fonction de qui les paie. En ce qui concerne l’absence d’effets au-delà de l’embouchure de la rivière, cette entreprise scientifique a été courageuse et a dit à Nalcor qu’il y en aurait. Dans ce dossier, le rapport a disparu. Il a probablement échoué dans une corbeille à déchets. Heureusement, le scientifique qui a rédigé le rapport en avait une copie et je l’ai obtenue. Ce n’est qu’une des choses qui se sont produites.
En ce qui concerne les connaissances autochtones et les connaissances traditionnelles, je n’aurais pas été au courant, pas plus que Nalcor, du fait que les phoques remontent le cours inférieur du fleuve Churchill, la rivière Grand. Une fois les turbines en mouvement, elles génèrent beaucoup de morceaux de poisson et les phoques remontent pour venir les chercher. C’est un ami, un Inuit, qui m’a dit : « Ils sont fous. Les phoques remontent la rivière pour se nourrir et s’il y a des morceaux de poisson, il y aura plus de phoques ». Le taux de méthylmercure chez les phoques sera donc plus élevé.
Permettez-moi de retirer mes propos à savoir que tout doit être fondé sur la science et d’affirmer que je suis entièrement d’accord avec tout ce que vous venez de dire; la science doit être indépendante. Comment obtenir des données scientifiques indépendantes? C’est difficile. Parmi tous les scientifiques du pays, il n’y a pas tant d’experts dans divers domaines. Ils craignent de ne jamais trouver un autre emploi dans une optique gouvernementale s’ils disent quelque chose qui est... Comme une personne l’a dit à M. Flyvbjerg, s’il trouvait des problèmes qui allaient toucher son gouvernement, il n’obtiendrait jamais plus de financement. C’est un fait connu partout au pays.
Je pense donc qu’il nous incombe d’essayer de comprendre qu’un groupe de nos scientifiques n’a pas à avoir peur et que le savoir autochtone est important. Je n’aurais jamais entendu parler des phoques qui remontent la rivière Grand si un Inuit ne me l’avait pas dit. C’est devenu un énorme problème, puis Harvard a fait des études pour le territoire du Nunatsiavut qui ont révélé que le taux de mercure chez les habitants augmentera, pour passer de 300 à 1 500 p. 100 dans certains cas. Nous croyons Harvard. Harvard a mené des études sur le méthylmercure dans tout le Nord. Il ne s’agit pas de leur première incursion dans l’étude des problèmes liés au méthylmercure. Le gouvernement du Nunatsiavut a fait un travail fantastique. La situation des phoques est un exemple de la façon dont les connaissances autochtones ont été prises en compte.
Je retire donc mes propos, à savoir que tout doit être fondé sur la science, car la science, elle se trouve aussi dans nos communautés. Voici un autre exemple, celui du pont de glace entre Mud Lake et Goose Bay. Nalcor a dit qu’il allait le réparer parce qu’il était pour geler deux semaines plus tard et ouvrir deux semaines plus tôt. Or, les habitants de Mud Lake ont dit aux responsables qu’ils étaient insensés, qu’ils ne connaissaient pas la rivière, mais qu’eux, si. Alors, désolé.
La présidente : Merci beaucoup.
Dernière question, sénateur Patterson.
Le sénateur Patterson : J’aimerais adresser mes questions à Mme Stapleton et à Mme Benefiel. Je veux rendre hommage à votre dévouement à la cause que vous défendez, madame Benefiel, mais vous donner peut-être un autre point de vue. Madame Benefiel, vous avez peut-être bien décrit la situation, mais vous avez nié l’importance des emplois et des répercussions économiques qui, selon vous, préoccupent les politiciens et je crois, madame Stapleton, que vous avez mis en doute le fait que les répercussions économiques ont été prises en compte dans les critères qui nous ont été recommandés par de nombreux intervenants. Je devrais faire attention de ne pas dire que cette province n’est pas représentée par deux personnes compétentes, mais je crois comprendre qu’elle est aux prises avec des taxes élevées, des taxes sur l’essence, la taxe de vente provinciale, des déficits écrasants et des menaces à l’égard de problèmes sociaux. J’ai même eu vent, il y a quelques années, d’une possibilité de faillite. Nous avons entendu ce matin que l’industrie de l’énergie, en particulier, a sauvé Terre-Neuve-et-Labrador; elle représentait jusqu’au tiers du PIB de la province ces dernières années, maintenant environ le quart — 24 000 emplois prévus à court terme et plus du double d’ici 2045.
Tout cela est menacé, nous dit-on, par les dispositions du projet de loi. N’y aurait-il pas lieu, à tout le moins, de considérer le contexte d’investissement positif et de prendre en compte les impacts économiques potentiellement importants pour votre province?
Mme Frampton Benefiel : Je suis désolée. J’en ai parlé dans mon rapport et je n’ai pas pu le faire, parce que j’ai pris un peu trop de temps.
Le sénateur Patterson : Voici votre chance.
Mme Frampton Benefiel : Oui. Dans le cadre de l’évaluation environnementale du cours inférieur du Churchill, nous avons demandé à un expert d’examiner l’analyse de rentabilité, notamment. Autrement dit, nous lui avons demandé de chiffrer ce que la rivière et le réseau lui-même redonnaient aux collectivités, de comptabiliser les avantages de l’environnement pour les humains. Nous ne semblons pas avoir de problème, comme vous le dites, à tenir compte de tous les emplois et de tous les facteurs économiques qui découlent de ceci et de tout l’argent qui y est associé, mais nous rejetons constamment l’idée que nous devons examiner ce que ces rivières et ces écosystèmes nous apportent. On parle, par exemple, de poisson à manger, d’eau propre et d’air pur.
Rachel Notley a dit que les projets devraient être récompensés parce qu’ils créent de bons emplois pour les Canadiens, ce qui contribue à la croissance des économies provinciales et fédérale et à la création de familles et de collectivités résilientes. À mon avis, il est possible d’augmenter la résilience des familles et des collectivités — avec du financement, bien sûr, — si on les met en charge de déterminer comment elles veulent que leur région se développe. Ces mégaprojets débarquent et prennent les choses, toute une collectivité, en main.
Seules les collectivités peuvent accorder la permission. Donnons-leur au moins la chance de voir quels sont les avantages économiques d’avoir un bel endroit pour pagayer. Cela semble très simpliste, mais au cours de l’évaluation environnementale, j’ai fait un rapport sur le nombre de pourvoiries qui pourraient s’installer le long de la rivière. Nous, de Grand River Keeper, avons guidé les gens sur cette rivière au cours des 10 dernières années. Il y avait une entreprise du Maine qui avait l’habitude de faire venir 10 personnes, de leur facturer 6 000 $ chacune et de les nourrir aux fèves au lard et au bacon; elle a fait fortune et est rentrée au bercail avec tout cet argent. Pourquoi ne pouvons-nous pas suivre son exemple? Pourquoi notre communauté locale ne pourrait-elle pas faire ce genre de choses au lieu de prendre cette rivière et de la détruire — qui veut pagayer sur trois énormes réservoirs? Pas moi en tout cas. J’adore pagayer sur cette rivière, mais pas sur un grand réservoir. C’est tout simplement insensé. Voilà ce que je voulais dire au sujet des emplois. Les emplois doivent être tournés vers la collectivité. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des cycles de prospérité et de récession. Qu’arrivera-t-il à notre communauté lorsque Nalcor pliera bagage?
La présidente : Merci beaucoup de vos questions et de vos réponses.
(La séance est levée.)