LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 5 juin 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et apportant des modifications corrélatives à une autre loi, se réunit aujourd’hui, à 14 h 30, pour étudier ce projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, il m’est très agréable de vous souhaiter la bienvenue cet après-midi et d’accueillir le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable David Lametti.
[Traduction]
Nous sommes ravis de vous revoir, monsieur le ministre. Comme vous le savez, nous avons un programme chargé. Veuillez excuser mon retard. J’ai présenté un rapport et j’ai répondu aux questions ensuite. Je devais être présent pour intervenir au besoin. Je vois des visages familiers autour de vous.
[Français]
— M. François Daigle, sous-ministre délégué. Bonjour, monsieur Daigle. Nous accueillons également Mme Laurie Wright —
[Traduction]
Elle est également sous-ministre adjointe principale. Bonjour à vous tous.
Nous étudions le projet de loi C‑78, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.
La parole est à vous.
[Français]
L’honorable David Lametti, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, merci de m’avoir invité à participer à votre étude du projet de loi C-78.
Ce projet de loi représente la première refonte des lois fédérales sur la famille depuis 20 ans et il apportera des améliorations importantes à notre système de justice familiale.
Je suis fier de ce projet de loi et des objectifs qu’il permettra de faire progresser, soit promouvoir l’intérêt de l’enfant, aider à lutter contre la violence familiale, aider à réduire la pauvreté et améliorer l’accès à la justice.
Ce projet de loi a reçu le soutien de tous les partis politiques, de même que des universitaires, des praticiens et des organismes professionnels.
J’aimerais reconnaître le travail que nos prédécesseurs du Sénat et de l’autre endroit ont accompli il y a plusieurs années. En 1997, un comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants a tenu 55 réunions et a recueilli les points de vue de plus de 520 témoins.
[Traduction]
Le comité mixte spécial a formulé de nombreuses recommandations, dont plusieurs sont devenues des éléments essentiels du projet de loi C‑78. Il avait recommandé notamment que les décisions relatives aux responsabilités parentales reposent sur l’intérêt de l’enfant, compte tenu des facteurs énumérés, que les termes tirés du droit des biens comme « garde » et « accès » soient remplacés par une terminologie plus axée sur l’enfant et, enfin, que les actions en divorce se déroulent dans la langue officielle choisie par les parties.
Je suis fier de pouvoir dire que le projet de loi C‑78 apporte des modifications longuement attendues à la Loi sur le divorce. Il reconnaît que le lien entre l’enfant et chacun de ses parents est important et que le temps qu’il passe avec chacun doit être déterminé en fonction de son intérêt.
Des groupes militent pour qu’il y ait une présomption de partage égal du rôle parental dans la Loi sur le divorce. Toutefois, et c’est l’avis que partagent le comité mixte spécial, l’Association du Barreau canadien, le Barreau du Québec et de nombreux autres, une telle présomption risquerait de supplanter le principe voulant que les décisions concernant les responsabilités parentales soient fonction uniquement de l’intérêt de l’enfant.
Plutôt que de chercher à établir où se trouve l’intérêt de l’enfant dans chaque instance, les tribunaux seraient tenus à un modèle unique pour toutes les familles, à moins qu’un parent parvienne à faire la démonstration qu’une entente quelconque n’est pas dans l’intérêt de l’enfant.
[Français]
Il faut aussi souligner que, lorsqu’un parent est violent, une telle présomption pourrait être très dangereuse. L’autre parent pourrait manquer d’éléments de preuve pour démontrer qu’il y a eu maltraitance, ou bien il pourrait être trop effrayé pour les présenter.
Une présomption relative au rôle parental pourrait aussi nuire aux interactions de la Loi sur le divorce avec les lois provinciales et territoriales.
Le projet de loi a été rédigé en tenant compte des deux traditions juridiques du Canada, et les tribunaux ont déjà conclu que les dispositions actuelles de la Loi sur le divorce fonctionnent bien avec les lois provinciales.
Une présomption risque de nuire à cet équilibre et donnerait lieu à des règles différentes pour les enfants, fondées uniquement sur le fait que leurs parents sont mariés ou non.
[Traduction]
La plupart des parents n’ont pas besoin des tribunaux pour s’entendre sur un partage des responsabilités parentales qui convient à leur famille. Les tribunaux rendent déjà des ordonnances qui prévoient le partage des responsabilités à l’égard des enfants dans la plupart des affaires de divorce ou de séparation. Il serait donc non seulement malavisé, mais aussi inutile d’imposer une règle unique à tous les parents plutôt que de laisser les tribunaux et les familles trouver les modalités les plus appropriées dans chaque cas.
[Français]
L’inclusion de dispositions relatives à la violence familiale constitue un autre moyen important par lequel ce projet de loi vise à protéger et à promouvoir l’intérêt de l’enfant.
J’aimerais souligner quelques aspects de ces mesures qui, je le sais, sont particulièrement importants pour de nombreux sénateurs.
Le projet de loi prévoit que la considération première doit être la sécurité et le bien-être physique, affectif et psychologique de l’enfant. De plus, les tribunaux seraient obligés de prendre en compte aux antécédents en matière de violence familiale pour déterminer l’intérêt de l’enfant lorsqu’ils rendent des ordonnances relatives aux rôles parentaux, aux contacts et aux déménagements importants.
Pour aider les tribunaux à cet égard, le projet de loi établit une définition globale de la violence familiale fondée sur des données probantes qui englobent toutes les formes de violence familiale. Elle reconnaît aussi que le fait d’être exposé à la violence familiale, directe ou indirecte, constitue en soi une forme de maltraitance.
[Traduction]
Des spécialistes en matière de violence familiale ont souligné la nature essentiellement sexospécifique de la violence entre partenaires intimes. À ce propos, le projet de loi met l’accent sur les comportements coercitifs et dominants, une forme particulièrement dangereuse de violence familiale qui, selon les recherches, est principalement commise par des hommes contre des femmes.
[Français]
Permettez-moi maintenant de souligner quelques-uns des travaux du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit.
Sur la recommandation du comité mixte spécial, le comité a apporté un amendement important, qui vise à permettre aux parties de choisir la langue officielle dans laquelle leur procès en divorce sera entendu en première instance. Nous savons que les instances de divorce sont souvent difficiles, et cette mesure facilitera la procédure et permettra aux parties de s’exprimer plus librement. Dans le budget de 2019, 21,6 millions de dollars sur cinq ans ont été mis de côté à compter de 2020-2021 afin d’appuyer la mise en œuvre de ces modifications législatives. Ceci vient appuyer les investissements annoncés dans le budget de 2018 de 10 milliards de dollars sur cinq ans à compter de 2018-2019 et de 2 millions de dollars par année par la suite dans le fonds d’appui à l’accès à la justice dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Comme vous le savez, le projet de loi propose un cadre pour aider les familles à régler les différends liés aux déménagements importants, souvent complexes et sujets à contestations. Notamment, les parents devront donner un avis de 60 jours s’ils envisagent un déménagement important pour eux-mêmes ou leurs enfants. Le projet de loi autorise les tribunaux à lever ou à modifier l’obligation de donner un avis dans certaines circonstances — par exemple, s’il y a eu de la violence familiale.
Le comité de l’autre chambre, s’appuyant sur les avis d’experts, a fait valoir que le cadre offrirait une meilleure protection s’il y était précisé qu’une partie pourrait, dans certains cas bien balisés, solliciter la levée de l’obligation de donner un avis à l’insu de l’autre partie. Des témoins ont par ailleurs souligné qu’il pourrait s’avérer difficile pour certains parents, particulièrement ceux qui habitent dans des régions éloignées, de soumettre une requête en opposition à un déménagement dans le délai prescrit de 30 jours. En contrepartie, la prolongation du délai de réponse pourrait s’avérer injuste pour le parent qui envisage de déménager.
Le comité a donc opté pour un amendement du projet de loi qui donnera la possibilité aux parents de soumettre un formulaire d’opposition normalisé. Si les parents ne parviennent pas à s’entendre après que le parent qui ne déménage pas a manifesté son opposition, celui qui envisage de déménager devra soumettre une demande au tribunal.
[Français]
Avant de passer aux questions, je tiens à souligner un dernier point. Le projet de loi modifierait la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales, afin de permettre au gouvernement fédéral de transmettre à un tribunal des renseignements sur le revenu d’une partie qui ne respecte pas ses obligations en matière de divulgation.
Sans ces renseignements, il est difficile d’établir des montants de pension alimentaire qui sont équitables et exacts. Cela peut étirer les procédures judiciaires et causer de l’incertitude financière pour les familles.
En conclusion, j’ai eu l’occasion de tenir plusieurs conversations et réunions avec des citoyens et des experts dans le domaine. Je suis convaincu que ce projet de loi propose des modifications importantes, pratiques et nécessaires afin d’améliorer le système de justice familiale. J’espère qu’ensemble nous réussirons à adopter ce projet de loi avant la fin de la session parlementaire.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Il y a certainement beaucoup d’intérêt à l’égard de ce projet de loi autour de cette table. Je voudrais d’abord inviter madame la sénatrice Dupuis, vice-présidente du comité, à ouvrir le débat.
La sénatrice Dupuis : Merci. Monsieur le ministre, inutile de dire que nous vous sommes reconnaissants d’accepter les invitations que nous vous faisons, depuis que vous avez été nommé ministre de la Justice, pour nous aider à comprendre les projets de loi du gouvernement.
J’ai une première question qui concerne l’harmonisation entre le droit fédéral et le Code civil du Québec. Est-ce qu’une analyse a été faite par le ministère sur cette question, à savoir si le projet de loi C-78, qui modifie la Loi sur le divorce, s’harmonise dans les faits avec le Code civil du Québec?
M. Lametti : La réponse est oui et oui. Oui, une analyse a été faite et oui, le projet de loi s’harmonise très bien avec le Code civil. Évidemment, il y a une division des compétences conformément à la Constitution du Canada, une division des pouvoirs, mais les cours y sont déjà habituées, parce que la Loi sur le divorce existe depuis longtemps. Il y a donc déjà une manière de travailler et les Cours supérieures au Québec ont trouvé des façons très, très efficaces de les harmoniser.
La sénatrice Dupuis : Il y a des changements quand même majeurs dans la Loi sur le divorce par rapport à ce qu’elle était auparavant, dans ce cas. Si je peux me permettre d’attirer votre attention sur l’article 16, qui parle des ordonnances parentales, et sur l’article 16.1, qui traite des mécanismes de règlement des différends familiaux, où l’on dit, sous réserve du droit provincial, que l’ordonnance peut obliger les parties à avoir recours à des mécanismes de règlements des différends familiaux. Par exemple, au Québec, il y a déjà des mécanismes précis qui s’appliquent, et le tribunal serait tenu de respecter ces mécanismes provinciaux qui existent déjà. Est-ce que je me trompe?
M. Lametti : Oui, et surtout, ce que la loi fédérale légifère, ce sont les divorces. Donc, il y a évidemment les unions de fait au Québec qui ne sont pas touchées par certains aspects de la législation.
La sénatrice Dupuis : J’ai une deuxième question. Dans un des articles, si je peux attirer votre attention, dans la même partie de la loi, à l’article 16, au paragraphe 6, qui s’intitule « Maximum de temps parental », j’essayais de voir comment on peut réconcilier le principe général avec le paragraphe 16(1), qui dit ceci : « Le tribunal tient uniquement compte de l’intérêt de l’enfant lorsqu’il rend une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact ». C’est clairement indiqué dans le projet de loi. Il y a des facteurs qui sont énumérés. Si l’on tient uniquement compte de l’intérêt de l’enfant, quand on arrive au paragraphe 16(6), qui traite du maximum de temps parental, on peut lire que lorsqu’il attribue du temps parental, le tribunal applique le principe selon lequel l’enfant devrait passer avec chaque époux le plus de temps compatible avec son propre intérêt. J’aimerais que vous m’expliquiez comment on articule les deux concepts et comment on réconcilie le contenu du paragraphe 16(6) avec son titre. Autrement dit, je comprends dans l’intention, il me semble, que l’intention apparente est d’attribuer du temps parental à un parent ou à l’autre. On parle de maximum de temps parental — et il y a des témoins qui l’ont soulevé —, mais on semble faire des présomptions à cause d’un titre qui me paraît inapproprié. Pouvez-vous me rassurer par rapport à cette question?
M. Lametti : Avec plaisir. Il faut tenir compte du fait que la présomption de base que vous venez d’identifier, c’est exactement le fait que la sécurité et le bien-être de l’enfant doivent être pris en considération avant tout. C’est vraiment l’optique ou la philosophie qui transcende chaque article de la loi. Il y a une liste non exhaustive de critères. Les cours pourraient interpréter constamment, à la lumière de l’intérêt fondamental de l’enfant, les divers critères qui se trouvent dans la loi.
En ce qui a trait au temps maximal, c’est un facteur, c’est-à-dire que c’est important que l’enfant passe autant de temps que possible avec chaque parent, mais c’est toujours déterminé par l’intérêt fondamental de l’enfant, tout le temps, tout le temps. S’il y a une question de violence, s’il y a d’autres facteurs qui s’appliquent, un juge pourrait évidemment diminuer la portée de l’article, ou même l’écarter, car il n’est pas contraignant. La seule chose qui est primordiale, c’est l’intérêt fondamental de l’enfant.
La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien votre réponse, nous ne sommes pas en train d’exprimer une présomption.
M. Lametti : Pas du tout.
La sénatrice Dupuis : C’est ce que je voulais préciser.
M. Lametti : Exactement, ce n’est pas une présomption de base. J’ai évité le mot.
La sénatrice Dupuis : C’est important de le préciser, car c’est une préoccupation importante. Il n’y a pas de présomption en faveur d’un principe d’attribution d’un temps égal à un des époux ou à chacun des deux, ou autre chose comme ça.
M. Lametti : Exactement.
La sénatrice Dupuis : Merci.
Le sénateur Boisvenu : Je vais faire les mêmes salutations de ma collègue; merci d’être ici. Merci à vos collaborateurs de vous accompagner.
Il y a des aspects qui m’intéressent particulièrement dans le projet de loi, et c’est d’abord toute la question de violence conjugale, des cours qui sont débordées et des délais qui provoquent souvent une augmentation des incidents de violence dans le couple. Par rapport à la violence, beaucoup de divorces se règlent dans des circonstances très, très négatives, et c’est malheureux. Vous parlez d’effet cumulatif dans le projet de loi pour déterminer qu’il y a de la violence conjugale. La loi ne vient pas définir ce qu’est un effet cumulatif. Dites-moi, est-ce au juge de définir l’effet cumulatif, est-ce que cet effet va relier divers types de violence, comme les abus sexuels, ou l’effet cumulatif sera-t-il l’escalade de la violence, des épisodes de violence? Comment définir cette notion de violence?
M. Lametti : Si je comprends bien, cela peut être l’un ou l’autre. C’est au juge de le déterminer, et c’est un concept très flexible. Il peut s’agir d’incidents directs ou indirects, parce que les experts affirment maintenant que même la violence entre les parents peut avoir un impact sur l’enfant.
Donc, un juge doit prendre en considération tous ces facteurs pour déterminer l’effet cumulatif.
Le sénateur Boisvenu : Si je suis un juge et que je décide qu’il y a effectivement de la violence et qu’il y a donc un risque pour l’enfant, il y a ce lien que je peux faire. S’il y a de la violence dans le couple, il y a un risque de répercussions sur l’enfant.
M. Lametti : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Pourquoi parler de violence cumulative, et pas seulement de violence? J’ai de la difficulté; vous avez eu la même approche relativement au projet de loi C-75, qui suppose qu’il faut faire un renversement de la preuve si une femme est violentée deux fois, plutôt que de le faire immédiatement s’il y a violence. Pourquoi, dans ce projet de loi, parle-t-on encore de violence faite aux femmes, et pourquoi fait-on référence à l’effet cumulatif, qui comporte également un aspect de récidive? Pourquoi ne pas parler strictement de violence?
M. Lametti : Tout d’abord, c’est une bonne question. Je dirais que c’est un facteur important que l’on voulait identifier et qui avait été négligé ou oublié auparavant. Encore une fois, la philosophie est toujours de privilégier les droits de l’enfant ou d’encadrer l’analyse dans l’intérêt fondamental de l’enfant. Dans ce cas, on veut éviter les impacts négatifs de la violence pour l’enfant, soit la violence directe, soit la violence indirecte, et on voulait souligner que l’effet cumulatif pouvait être tout aussi important. Voilà. Il faut ajouter que c’est également un aspect particulier en ce qui a trait à la violence coercitive et dominante, qui peut être non physique, et dont l’effet cumulatif est important.
Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que, pour une femme, dans la notion de violence, il n’y a pas d’effet cumulatif. Il y a présence de violence ou non-présence de violence. Mon autre question a trait à l’augmentation que vous avez faite au budget en 2018, soit le montant de 77,2 millions de dollars qui a été ajouté pour 2019-2020. Malheureusement, 39 nouveaux juges ont été nommés dans 4 provinces, mais pas au Québec. Ce montant de 77,2 millions de dollars devait être dirigé vers les tribunaux, afin d’unifier les familles. Le Québec souffre énormément des délais dans le traitement de causes de divorce. Pourquoi le Québec n’a-t-il pas reçu une part de cette somme pour que nous ayons plus de juges dans nos cours?
M. Lametti : Comme ministre de la Justice, je travaille pour nommer des juges; j’en ai nommé d’autres hier pour le Québec.
Le sénateur Boisvenu : Ici, on parle de 39 nouveaux juges.
M. Lametti : On encourage l’instauration de cours unifiées. Je viens de rencontrer des experts en droit familial au Québec et ils sont unanimes : ils voudraient en avoir une. Je me suis dit ouvert à la suggestion, et je voudrais voir comment on peut mettre en branle une cour unifiée au Québec. J’ai une bonne relation avec mon homologue à Québec, et, vous avez raison, ce serait bien pour tout le monde. Pour l’instant, on attend, mais on donne des encouragements. Il y a l’Ontario, où j’ai nommé des juges; je vais aussi nommer des juges en Alberta dès que la province sera prête. Comme vous venez de le constater, ce sera une amélioration importante qui sera apportée au système.
Le sénateur Boisvenu : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : J’ai exercé le droit de la famille en Saskatchewan pendant de nombreuses années avant de siéger au Sénat. J’ai demandé à des juristes chevronnés de ce domaine du droit qui exercent encore en Saskatchewan ce qu’ils pensaient du projet de loi C‑78 et de ses répercussions pour les familles canadiennes.
Certains m’ont fait part de préoccupations majeures concernant le projet de loi. Entre autres, les dispositions que vous proposez sur le déménagement d’un enfant suscitent de vives inquiétudes. Vous en avez parlé brièvement dans vos observations préliminaires, mais le son de cloche que j’ai reçu d’avocats émérites dans le domaine du droit de la famille est qu’ils appréhendent les conséquences désastreuses de ces dispositions. Comment les gens ordinaires réagissent-ils à ces dispositions? Ils pensent qu’elles reposent sur la présomption. Que se passera-t-il si un parent ne reçoit pas l’avis, et comment la réception sera‑t‑elle prouvée? Ils pensent aussi que ces dispositions obligeront les parties à s’adresser aux tribunaux au lieu d’essayer de régler leurs différends hors cour, comme nous devrions les y aider la plupart du temps. Leur crainte est qu’un parent n’ait pas le choix de recourir au tribunal pour empêcher l’autre parent de déménager.
Comment réagissez-vous à ces inquiétudes, monsieur le ministre?
M. Lametti : Tout d’abord, je tiens à dire que la majorité des experts, des avocats, des personnes touchées par les processus et des parlementaires des deux chambres que nous avons consultés se sont dits très nettement favorables aux modifications proposées dans le projet de loi.
De manière générale, la plupart des praticiens en droit de la famille appuient ces modifications. En revanche, comme vous l’avez fait remarquer, je sais qu’une minorité n’est pas d’accord.
Pour ce qui a trait aux dispositions sur le déménagement, nous sommes conscients qu’elles touchent un domaine parmi les plus complexes et les plus litigieux. C’est souvent la décision la plus difficile au moment de la séparation ou du divorce, ou ultérieurement quand il y a un changement de situation et une décision de bouger.
Nous avons essayé d’harmoniser les dispositions sur le déménagement avec celles qui portent sur les responsabilités décisionnelles des parents afin que l’intérêt de l’enfant soit toujours la priorité. Nous avons essayé d’harmoniser les dispositions sur la notification d’un avis pour que le délai soit suffisant pour les deux parents. Nous avons ajouté des dispositions qui tiennent compte des situations dans lesquelles la violence familiale est en cause et qui peuvent exiger l’assouplissement de l’obligation de donner un avis. Nous avons également ajouté des dispositions pour permettre aux personnes qui vivent dans des régions éloignées, le Nord étant le parfait exemple, de manifester leur opposition de manière efficace et efficiente dans les délais prescrits.
Il nous était demandé de concilier des choses très différentes et je crois vraiment que nous avons réussi. Certaines dispositions encouragent la réconciliation et le recours à la médiation pour que les parents puissent régler leurs différends avant de faire intervenir les tribunaux. Les dispositions sur le fardeau présomptif en cas de procès visent aussi à faciliter la médiation. Si le cadre d’analyse sur lequel s’appuiera le tribunal est connu à l’avance, il est plus facile de faire avancer le processus de médiation avant le procès, et peut-être même d’éviter un procès.
Nous avons essayé de régler un certain nombre de choses. Je peux aller dans le détail si vous le voulez.
La sénatrice Batters : J’ai une autre question.
M. Lametti : Oui, je pensais bien.
La sénatrice Batters : Après l’arrêt Jordan de la Cour suprême concernant les délais dans les causes pénales, les ressources judiciaires disponibles au Canada ont été affectées principalement aux tribunaux pénaux pour éviter que des accusations pénales graves soient suspendues en raison d’un délai trop long avant le procès.
Malheureusement, et je ne vous apprendrai rien, les tribunaux de la famille se sont ensuite retrouvés avec un lourd fardeau dans un système judiciaire engorgé.
Actuellement, en date du 1er juin, il vous reste encore 45 postes de juge à combler au Canada, après 3 années et demie au pouvoir. Les délais d’attente avant la tenue des procès en droit de la famille sont colossaux. Même si tout le monde essaie de les éviter, ce n’est pas toujours possible. Ces longues attentes ont souvent pour effet de détériorer les relations entre les parties.
N’êtes-vous pas inquiets que les tribunaux de la famille reçoivent de plus en plus de demandes à cause du genre de problèmes que risque d’entraîner le projet de loi C‑75, dont je viens de parler, et particulièrement des demandes liées à des déménagements? Cette hausse ne risque-t-elle pas d’aggraver la crise des longs délais judiciaires?
M. Lametti : Tout d’abord, nous pensons que l’ensemble des modifications proposées dans le projet de loi désengorgeront le système du droit de la famille en augmentant le recours aux processus de médiation et de conciliation avant la judiciarisation. C’est ma réponse au premier volet de votre question.
Pour ce qui est du deuxième volet, celui des nominations à la magistrature, comme je l’ai dit, j’en ai fait d’autres hier, et d’autres sont à venir. Je suis tout à fait conscient de la nécessité de régler le dossier des nominations des juges et d’entendre les demandes des provinces concernant la nécessité d’augmenter le nombre de juges des cours supérieures.
Nous avons milité, comme je l’ai dit à votre collègue, en faveur des tribunaux unifiés de la famille, parce que nous y voyons un autre moyen d’améliorer la situation. Vous êtes nombreux ici à avoir participé de très près au projet de loi C‑75 afin d’améliorer l’efficience et l’administration de la justice pénale. Nous avons adopté une approche globale pour nous conformer à l’arrêt Jordan.
La sénatrice Batters : Avez-vous réalisé une analyse comparative entre les sexes pour ce projet de loi?
M. Lametti : Oui, nous en avons fait une.
La sénatrice Batters : Pouvons-nous la voir?
M. Lametti : Non, c’est impossible parce que c’est un document confidentiel du Cabinet. L’analyse comparative entre les sexes a été faite conformément au mémoire au Cabinet et elle est donc protégée par le secret du Cabinet.
Cela dit, je pourrais vous présenter quelques-uns des faits saillants de cette analyse.
La sénatrice Batters : Vous pourriez les transmettre au comité.
M. Lametti : Oui. C’est ce que nous ferons.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Je remarque qu’au cours des 5 à 10 dernières années, l’évolution la plus importante en matière de droit de la garde des enfants a été le renforcement de la protection juridique accordée aux parents et aux enfants contre la violence familiale.
Dans les années 1970, le Parlement australien a changé l’équilibre entre la protection et la participation parentale pour accroître la protection contre la violence. L’Australie n’a pas été le seul pays à prendre ce virage.
Avez-vous fait une analyse des réformes du droit de la famille opérées ailleurs dans le monde? Dans l’affirmative, quelles sont les différences et les ressemblances entre les tendances en matière d’arrangements parentaux en Australie et d’autres pays par rapport au Canada?
M. Lametti : Avant de demander à un de mes collègues de vous donner des détails — à cause du moment auquel le projet de loi est introduit... Je peux affirmer que nous avons pris le temps d’examiner ce qui s’est fait ailleurs, en particulier les pratiques exemplaires d’autres pays qui ont donné la priorité à l’intérêt de l’enfant.
Je vais demander à un de mes collègues de prendre la relève pour le détail.
Laurie Wright, sous-ministre adjointe principale, ministère de la Justice du Canada : Nous avons en effet étudié les réformes opérées dans le modèle australien, entre autres. Au Canada, et c’est l’un des avantages d’une fédération, il arrive que les provinces aient de l’avance sur nous. Par exemple, nous nous sommes inspirés des modifications apportées aux régimes de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie‑Britannique. Leurs réformes nous ont donné un bon exemple de ce qui pouvait être fait au fédéral. Leurs modèles nous ont donc aussi servi d’inspiration.
Le sénateur McIntyre : La question suivante portera sur les conventions internationales.
Si j’ai bien compris, l’Australie a signé et ratifié la Convention de La Haye sur la protection des enfants de 1996 en 2003, tandis que le Royaume‑Uni l’a signée en 2003 et l’a ratifiée en 2012. En revanche, le Canada n’a pas signé la convention avant 2017 et ne l’a toujours pas ratifiée.
Premièrement, quels obstacles, le cas échéant, ont empêché le Canada de signer la convention plus tôt. Deuxièmement, quels obstacles, le cas échéant, pourraient encore empêcher le Canada de ratifier la convention? Et, troisièmement, dans quelle mesure, le cas échéant, les provinces soutiennent-elles la mise en œuvre de la convention dans l’ensemble du Canada?
M. Lametti : Pour une question de conflit d’intérêts, je ne peux pas répondre à vos questions sur la question de la Convention de La Haye parce que ma femme travaille depuis longtemps dans ce dossier à titre de spécialiste du droit international privé. Je vais donc demander à Mme Wright de répondre.
Mme Wright : Volontiers. Ces conventions internationales de droit privé, comme vous l’avez mentionné, mettent en jeu plusieurs compétences provinciales. Pour établir un bon dossier national, nous avons besoin de l’appui des provinces et des territoires. Une partie de notre travail a été de faire des démarches pour recueillir ces appuis.
Par ailleurs, avant de signer et de ratifier ces conventions, nous préférons attendre que nos propres lois y soient conformes. Au fédéral, si le projet de loi C-78 est adopté, nous pourrons ratifier la convention.
Ces dispositions permettront aux provinces et aux territoires de se rallier à mesure qu’ils adapteront leurs propres lois à la convention.
Le sénateur McIntyre : La signature et la ratification sont deux choses différentes.
Le président : Je pense bien que le ministre le sait déjà. Il l’a peut-être même enseigné à ses étudiants.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je remercie le ministre et le représentant du ministère d’être venus aujourd’hui. En qualité de parrain du projet de loi, j’ai eu la chance de beaucoup travailler avec les gens du ministère et j’ai bien aimé la qualité des réponses que j’ai obtenues.
Ma question fait suite à celle de mon collègue, le sénateur Boisvenu, au sujet de la violence familiale. Il s’est interrogé sur la nécessité du caractère récurrent des manifestations de violence pour que s’applique la disposition. La définition française de la violence familiale est la suivante :
S’entend de toute conduite, constituant une infraction criminelle ou non [...] qui est violente ou menaçante, qui dénote, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif [...]
L’aspect cumulatif ne s’applique pas à l’événement de nature violente ou menaçante. Il ne s’applique qu’à un comportement coercitif ou dominant. Je me demandais si ma compréhension n’est pas confirmée par la version anglaise —
[Traduction]
Family violence means any conduct that is violent or threatening or that constitutes a pattern of cohersive and controlling behaviour.
[Français]
Contrairement au projet de loi C-75, où la récidive entraîne un renversement du fardeau de preuve pour obtenir une remise en liberté, ici, il n’y a pas de caractère répétitif requis pour conclure à la présence d’un acte violent.
M. Lametti : Oui, tout à fait. Avec la définition, nous tentons d’inclure l’ensemble des types de violence qui pourraient exister dans une famille et qui, évidemment, auraient un impact négatif pour l’enfant, et ce, de manière assez flexible pour ne pas exclure d’autres types de violence qui pourraient se produire.
La sénatrice Dupuis : Je comprends pourquoi on a rédigé en français de manière différente de l’anglais, mais, sans copier intégralement la version anglaise et sans la traduire littéralement, il y a un problème de compréhension. Je pense aux gens qui vont lire le projet de loi. Dans ce cas-ci, la version anglaise est très claire. Il y a trois possibilités. C’est soit la première, la deuxième ou la troisième.
Je comprends qu’on veut se démarquer dans la version française, parce que c’est une rédaction séparée de la version anglaise, mais on aurait pu faire un effort. Ce sont des questions sensibles et cela a trait à des conflits extrêmement importants et à des situations très dramatiques, soit la violence familiale. Dans ce cas-ci, on aurait eu intérêt à bien préciser le fait qu’il y a trois situations possibles, dont seulement la deuxième comporte un effet cumulatif. Merci.
M. Lametti : Nous en prenons note. Merci.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Ma deuxième question touche les ordonnances parentales, et notamment celles portant sur l’attribution du temps parental.
Vous avez dit dans votre mot d’ouverture que le gouvernement ou le ministère avait envisagé la possibilité d’inclure une présomption de ce qu’on appelait auparavant la garde conjointe, ou partage égal des responsabilités parentales. Vous avez écarté cette présomption au profit du concept de maximum de temps selon l’intérêt de l’enfant.
Soit dit en passant, je crois avoir fait une analyse de ce concept dans un jugement de la Cour d’appel. J’aimerais savoir s’il vous serait possible de faire une comparaison avec ce qui se fait aux États-Unis ou dans d’autres pays.
S’agit-il d’une idée nouvelle? Nous avons reçu des lettres et des mémoires dans lesquels on nous faisait valoir qu’il fallait inclure une présomption de partage égal des responsabilités parentales. Pour ma part, je ne pense pas que je suis prêt à appuyer cette proposition.
Cela dit, je ne crois pas que ce modèle a été adopté dans beaucoup d’autres pays. Il a peut-être été mis à l’essai, mais il n’a pas été retenu. Mais je peux me tromper.
M. Lametti : Pour rester dans les généralités, je dirai que nous ne tenions pas à ajouter une autre présomption. La présomption fondamentale est l’intérêt de l’enfant. L’ajout de la présomption de partage égal des responsabilités parentales lui aurait fait concurrence.
Cela ne cadre pas avec le projet de loi. Nous voulions éviter les conflits. Nous avons étudié la proposition puis, compte tenu des avis reçus, nous l’avons rejetée. Divers barreaux et experts nous ont déconseillé d’intégrer une présomption de partage égal des responsabilités parentales. Nous avons opté pour le concept du maximum de temps, qui est compatible avec l’ensemble du projet de loi. Les décisions sont toujours prises en fonction de l’intérêt de l’enfant, par souci de cohésion.
Je vais demander à un de mes collègues de prendre le relais pour ce qui est des autres pays.
Mme Wright : Je pense que vous aurez l’occasion dans la deuxième heure de vous entretenir avec d’autres fonctionnaires plus ferrés que moi pour vous faire des comparaisons internationales. Ils pourront peut-être vous renseigner un peu plus à ce sujet.
À ma connaissance, la priorité accordée à l’intérêt de l’enfant semble recevoir une adhésion générale.
La sénatrice Dasko : J’ai peut-être l’air de m’acharner, mais je vais quand même renchérir sur les échanges que vous avez eus avec le sénateur Dalphond et la sénatrice Dupuis.
Je reviendrai donc sur le thème du maximum de temps parental. Que vient faire le mot « maximum » ici? Je sais que différents groupes ont défendu cette cause, mais je trouve ce terme très contrariant parce qu’il semble mettre en cause le concept de temps parental égal et partagé, qui soulève tant de controverse.
Si ce mot était absent, il n’y aurait peut-être pas de problème. Pourquoi avoir utilisé ce mot? Pourquoi ne l’avez-vous pas supprimé? Pourquoi l’avoir gardé?
M. Lametti : Ce n’est pas la première fois que cette question est posée, et elle est tout à fait légitime. Toutefois, je le répète, l’intention est que toutes les dispositions tombent sous le couvert de l’intérêt de l’enfant.
Si je comprends bien, une partie de l’analyse consiste à accorder à chaque parent autant de temps que l’intérêt de l’enfant le commande. Et c’est ce à quoi renvoie le mot « maximum ».
Vous avez tout à fait raison de souligner qu’il s’agit d’un concept redondant.
La sénatrice Dasko : Ou d’un concept problématique.
M. Lametti : Nous voulons que ce soit le plus clair possible. Ce mot est employé dans une note marginale, pas dans le corps du projet de loi, pour bien marquer que l’intérêt de l’enfant est l’objectif fondamental.
À ce stade, les explications ont permis de bien comprendre qu’il ne s’agit aucunement d’une présomption. J’ai évité ce mot précisément en réponse aux questions précédentes. Il a été utilisé comme un facteur d’interprétation parmi d’autres.
Je maintiens que c’est la bonne tournure et qu’elle sera conservée. Je ne suis pas inquiet. J’entends vos préoccupations, mais je ne crois vraiment pas qu’il y aura de problèmes.
La sénatrice Dasko : Comme vous l’avez mentionné, les appuis au projet de loi sont nombreux. J’y vois pour ma part un énorme pas en avant.
Concernant ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet de la nature sexospécifique de la violence, des observateurs ont reproché au projet de loi de ne pas le mentionner par souci d’éliminer tout sexisme, ce qui est bien vu. Il n’en demeure pas moins que le projet de loi ne tient pas compte de cette réalité, qu’il n’accorde pas davantage d’attention à cet aspect de la violence.
J’aimerais savoir dans quel esprit vous recevez ces critiques, quelle est votre réaction.
M. Lametti : Je suis sensible à ces préoccupations. Je considère personnellement que c’est un enjeu d’une importance capitale. Le projet de loi intègre l’idée de la violence coercitive et de son aspect cumulatif, dont la nature sexospécifique a été statistiquement établie. Nous en avons tenu compte, même si nous avons tenté d’utiliser un langage non sexiste. Pour ce qui est de la nature sexospécifique de la violence, elle a été exprimée plus précisément dans la définition de la violence familiale.
Je comprends que cela soulève de l’inquiétude, mais je crois que la terminologie utilisée est assez large pour en rendre compte. Elle respecte à la fois le principe de la neutralité et la réalité du caractère très sexospécifique de la violence.
La sénatrice Dasko : Si des amendements sont proposés sur certaines de ces questions, comment allez-vous les accueillir?
M. Lametti : Je dois être honnête.
La sénatrice Dasko : Je vous en prie.
M. Lametti : Je comparais devant votre comité pour la quatrième fois à très court préavis. J’ai toujours fait preuve, je crois que je n’exagère pas, d’une grande ouverture à l’égard des amendements proposés, et je les examine toujours en toute bonne foi.
Cette fois-ci, le préavis a été le plus court que j’ai reçu. Nous arrivons à la toute fin, et ma réponse est conditionnée par le temps, rien d’autre. Personne n’est à blâmer. On ne peut rien y faire.
C’est la quatrième fois que je viens ici, et ce n’est pas le premier projet de loi dont je viens vous parler. Ma priorité est qu’il soit adopté. C’est un projet de loi fondamental. Encore une fois, permettez-moi d’être honnête. C’est le plus important que j’aie eu à piloter à travers toutes les étapes du processus législatif depuis mon arrivée en poste en janvier.
Si je me montre un peu plus frileux à y apporter des amendements, c’est tout simplement par souci d’efficacité. Je veux vraiment qu’il soit adopté avant l’ajournement de la session.
Le président : Merci de votre franchise, monsieur le ministre.
La sénatrice Pate : Le 22 mai de l’an dernier, et donc avant votre mandat, le ministère a indiqué dans un communiqué de presse que l’un des objectifs du projet de loi, ou l’un des problèmes principaux qu’il cherchait à régler était la pauvreté des enfants. Il visait en fait à réduire cette pauvreté en facilitant ou en renforçant l’exécution des ordonnances alimentaires.
J’ai une question en trois volets. Quel pourcentage de parents visés par des ordonnances alimentaires ne se conforment pas à leurs obligations? Combien des parents en défaut de paiement sont en fait aux prises avec leurs propres problèmes de pauvreté ou des ressources insuffisantes? Malgré mes efforts, je n’ai trouvé aucune autre mesure dans le projet de loi pour réduire la pauvreté chez les enfants. En contient-il d’autres?
M. Lametti : Je pense que la principale mesure a trait à la possibilité de réclamer un rapport financier. Revenu Canada fera en sorte que la non-divulgation de renseignements sera rendue plus difficile. La non-divulgation est en grande partie responsable de la pauvreté des enfants.
À ma connaissance, et mon équipe pourra me venir en aide pour les statistiques, le principal facteur de la non-divulgation n’est pas la pauvreté, mais la volonté de se soustraire aux obligations alimentaires ou de ne pas déclarer l’éventail complet de ses ressources financières pour obtenir une réduction de l’obligation.
Le projet de loi facilite le contrôle à cet égard. Notre gouvernement multiplie les initiatives de réduction de la pauvreté chez les enfants, et je m’en voudrais de ne pas le souligner. C’est une priorité absolue pour nous.
Mme Wright : Concernant les autres mesures prévues dans le projet de loi, je souligne les importantes modifications autorisant le recours à des services administratifs de calcul des aliments pour enfants, et pas seulement de nouveau calcul. Par conséquent, il ne sera plus nécessaire de passer par les tribunaux pour obtenir une entente de versement des aliments entre les époux.
Des modifications ont été apportées pour prolonger la durée d’application d’une ordonnance de saisie-arrêt pour éviter aux personnes visées d’avoir à retourner au tribunal après cinq ans. En effet, les données probantes révèlent que la durée moyenne de la saisie-arrêt est de 12 ans environ. Certaines modifications mineures améliorent l’efficience de la procédure à suivre par les parties pour obtenir le versement des aliments.
Sur le plan statistique, nous avons très peu de données précises sur la proportion de paiements en souffrance ou le nombre de personnes qui ont des arriérés, en partie parce que beaucoup de ces données sont détenues par les autorités provinciales. Le fédéral en a très peu.
Nous remettrons au comité toute l’information que nous avons à notre disposition, mais nous avons très peu de données détaillées à ce sujet.
M. Lametti : J’ajouterais que les services administratifs de calcul contribuent aussi à la lutte contre la pauvreté. Par exemple, si une personne perd son emploi, elle n’aura pas à attendre la fin de l’année pour qu’une autorité administrative modifie une ordonnance alimentaire, ce qui pourrait lui éviter de basculer dans la pauvreté.
[Français]
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, l’article 12 du projet de loi vient placer l’intérêt de l’enfant comme facteur prédominant dans l’ordonnance. Il vient ainsi modifier l’article 16 de la Loi sur le divorce et précise certains facteurs à considérer. Il vient notamment créer le paragraphe 16(5), qui stipule ce qui suit dans la partie qui traite des facteurs relatifs à la violence et à la conduite antérieure :
Pour déterminer l’intérêt de l’enfant, le tribunal ne tient pas compte de la conduite antérieure d’une personne, sauf si cette conduite est liée à l’exercice du temps parental des responsabilités décisionnelles ou de contacts avec l’enfant en vertu d’une ordonnance de contact.
De même, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale vient de nous recommander de modifier cet article de la manière suivante dans sa recommandation no 8 , en modifiant l’article 16(5) pour y ajouter le sous-point (a) comme suit :
« (5) Pour déterminer l’intérêt de l’enfant, le tribunal tiendra compte de toute conduite antérieure pertinente à l’exercice du temps parental de responsabilités décisionnelles ou de contacts avec l’enfant en vertu d’une ordonnance de contact. »
« (a) Dans l’application de l’article 16(5), les tribunaux doivent toujours considérer la violence familiale comme pertinente, quels que soient [sic] le moment où elle s’est produite, sa forme, sa fréquence et son schéma ».
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelle est la volonté de votre ministère à cet égard? Pourquoi ne tient-on pas compte de toute conduite antérieure? Que pensez-vous des recommandations formulées par le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale?
M. Lametti : Merci de la question, monsieur le sénateur. Nous croyons sincèrement avoir rédigé une définition de la violence familiale qui est assez large pour comprendre les comportements violents qui touchent directement ou indirectement l’enfant selon la situation familiale. Selon les experts et les personnes qui ont tenu des consultations, cette définition est non seulement adéquate, mais efficace. Cela dit, nous examinerons ce que vous nous présenterez et nous verrons par la suite.
Le sénateur Housakos : Ainsi, vous êtes ouvert à un amendement ou à des suggestions?
M. Lametti : Nous sommes toujours ouverts, mais nous devons tenir compte des délais assez serrés actuellement. Nous sommes le 5 juin. Je ne veux pas créer d’attentes, mais tout cela est important puisqu’il s’agit des enfants. Donc, si un problème a été identifié et si nous croyons que nous avons oublié quelque chose, nous examinerons le tout avec intérêt.
Le sénateur Housakos : Vous avez dit que vous êtes prêt à consulter des experts et des organisations comme le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Il s’agit d’une organisation très crédible qui se trouve en première ligne et qui connaît bien ce dossier.
M. Lametti : Le comité de l’autre endroit s’est penché de nouveau sur ces questions, souvent avec les mêmes intervenants et les mêmes arguments. Le comité a apporté quelques modifications. Toutefois, s’il s’agit des mêmes arguments, nous allons voir ce que nous pouvons faire.
Le sénateur Housakos : Merci, monsieur le ministre.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Le comité de l’autre chambre a fait du bon travail, je n’en doute pas, mais notre travail à nous est de faire un second examen objectif. C’est ce que nous allons faire, et je sais que vous êtes d’accord.
M. Lametti : Et vous ne trouverez pas de plus grand inconditionnel de votre travail que notre gouvernement. Ne vous inquiétez pas.
La sénatrice Batters : Contente de vous l’entendre dire. Dans le même esprit, votre gouvernement projette-t-il d’apporter ses propres amendements au moment de l’examen article par article du projet de loi, comme il l’a fait pour plusieurs autres projets de loi?
M. Lametti : L’échéancier serré me pousse à répondre que ce serait très surprenant, mais je ne sais pas encore. Je ne vais pas vous empêcher de tirer vos propres conclusions.
La sénatrice Batters : Vous ne prévoyez aucun amendement pour l’instant. Tout dépendra de l’issue de nos délibérations, c’est cela?
M. Lametti : Franchement, je ne prévois aucun amendement.
Le président : Avant d’entamer la seconde série de questions, j’aurais moi-même une question pour nos témoins, et je le ferai à titre de sénateur représentant le Québec.
La Loi sur le divorce et les lois sur le droit de la famille se recoupent à certains égards, comme vous le savez, parce qu’elles portent sur les liens familiaux. Votre ministère a-t-il réalisé une analyse des principes et des concepts juridiques énoncés dans le projet de loi qui fondent également d’autres lois fédérales et le système québécois actuel?
Le ministère a-t-il fait une analyse de l’applicabilité du projet de loi compte tenu des lois en vigueur au Québec? A-t-il cherché à savoir s’il pouvait y avoir des incompatibilités ou des zones d’incertitude par rapport au droit applicable?
M. Lametti : À ce que je sache, nous avons rédigé ce projet de loi en tenant compte non seulement des régimes des neuf provinces de common law et des territoires, mais également de celui du Québec. Nous avons veillé à ce que le projet de loi soit applicable partout.
Au Québec, les personnes qui ont choisi de ne pas se marier ne seront pas visées par certaines dispositions du projet de loi, mais tout a été pensé pour assurer la protection des enfants, surtout si les parents sont mariés. Bref, si j’ai bien compris, l’applicabilité des deux régimes sera parfaitement intégrée.
Le président : Avez-vous ces analyses? Vous serait‑il possible de nous les transmettre? Je suis certain que les sénateurs du Québec, qui sont nombreux ici... Je ne vais pas les compter et donner l’impression que nous formons une majorité, mais je suis certain qu’ils partagent tous cette préoccupation.
Comme vous le savez, dans l’arrêt Nadon, la Cour suprême a exprimé son inquiétude à l’égard des valeurs sociales fondamentales qui découlent du Code civil du Québec et des lois connexes adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. Quand le Parlement fédéral légifère sur des matières susceptibles d’être aussi de compétence provinciale, il doit anticiper les répercussions sur d’autres lois et la manière dont les tribunaux pourraient les interpréter.
Vous sera‑t‑il possible de nous communiquer ces études?
M. Lametti : Je ne peux pas m’engager à vous communiquer quoi que ce soit qui est protégé par le secret professionnel de l’avocat, ce qui est le cas d’un bon nombre de mémoires et d’analyses.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, je peux vous communiquer les éléments importants que nous avons pris en considération.
Le président : M. Daigle voudrait ajouter quelque chose.
[Français]
François Daigle, sous-ministre délégué, Ministère de la Justice Canada : Juste pour vous rassurer.
[Traduction]
Tout au long du processus de rédaction du projet de loi, nous nous sommes assurés d’avoir la collaboration de toutes les provinces, y compris le Québec. Notre comité fédéral-provincial-territorial de sous-ministres adjoints s’est réuni régulièrement pendant des années, et le Québec y a joué un rôle très important. Nous avons discuté de l’applicabilité du projet de loi dans toutes les provinces, y compris le Québec.
[Français]
La ministre LeBel est tout à fait au courant, car chaque province devra prendre des mesures pour assurer une conformité et s’assurer que, de leur côté, elles font les modifications nécessaires pour que nous puissions continuer de travailler ensemble. Il y aura donc nécessairement une période de temps, avant que la loi entre en vigueur, pour leur permettre de se préparer. Toutes ces discussions se tiennent continuellement depuis plusieurs années. Si cela peut vous rassurer, nous travaillons ensemble. Nous n’avons pas préparé une analyse pour ensuite la leur remettre en exigeant des réponses. C’était vraiment un travail d’équipe avec les provinces.
[Traduction]
Le président : Donc, le ministère n’a pas fait d’analyse.
[Français]
Il n’y a pas d’analyses précises sur les concepts qui sont à la base du projet de loi C-78, et ce qu’il y a comme fondement légal au Québec dans le contexte des lois qui traitent du droit familial?
M. Lametti : Si j’ai bien compris, il y a plusieurs analyses. Parfois, le Québec est traité dans un autre document plus général. Il y a peut-être aussi des analyses plus spécifiques.
M. Daigle : On peut voir ce que nous avons comme document.
Le président : Mes collègues seraient très intéressés, en particulier ceux du Québec, de prendre connaissance de ces analyses. C’est l’une des obligations que nous avons, comme législateurs du Québec, de nous assurer de l’exercice des compétences fédérales, et le divorce est une responsabilité fédérale, comme nous le savons tous. Toutefois, comme il y a un recoupement avec le droit civil et particulièrement avec le droit de la famille, notre responsabilité est de nous assurer, dans toute la mesure du possible, que les deux systèmes législatifs sont complémentaires et ne viennent pas en opposition l’un par rapport à l’autre. Nous attendrons ce que M. Daigle voudra bien nous faire parvenir.
La sénatrice Dupuis : Dans la même veine, je pense que notre préoccupation, en qualité de sénateur ou de sénatrice, est aussi de répondre à ce que je lis dans le préambule de la Loi d’harmonisation du droit fédéral avec le droit civil, au troisième paragraphe : « S’assurer qu’une interaction harmonieuse de la législation fédérale et de la législation provinciale s’impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec la tradition du droit civil et de la common law ». L’alinéa 16.1(1)b) concernant l’ordonnance parentale prévoit que l’on peut rendre une ordonnance qui va permettre l’exercice du temps parental à une personne autre qu’un époux, qui est l’un des parents des enfants ou qui en tient lieu ou a l’intention d’en tenir lieu. Donc, je pense que c’est le genre d’exercice où nous ne voulons pas nécessairement avoir des documents qui sont confidentiels, mais il est important de s’assurer que ce genre de concept est compatible avec ce que l’on trouve relativement à l’exercice de l’autorité parentale dans le droit civil du Québec.
M. Lametti : Pour répondre brièvement, nous croyons que oui, ce concept est compatible, et cela a été rédigé avec les civilistes ainsi que les personnes formées en common law.
Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, j’aimerais revenir sur la notion d’« aspect cumulatif ». Il faut faire en sorte que la façon dont est rédigé le projet de loi, la manière par laquelle il deviendra loi et les différences entre les versions française et anglaise ne deviennent pas une échappatoire pour la défense. Vous savez, je travaille beaucoup avec les victimes d’actes criminels, particulièrement les femmes victimes de violence conjugale, qui demandent depuis longtemps que le Code criminel soit adapté à leur situation pour les protéger, et non agir une fois qu’elles ont été assassinées. Cinquante femmes qui se font assassiner au Canada dans un contexte de violence conjugale, souvent dans des circonstances de séparation, et 15 femmes au Québec, cela équivaut à une Polytechnique par année. Il faut que vous soyez ouvert à des amendements pour faire en sorte que le projet de loi soit adapté au contexte de violence que subissent trop de femmes. Vous savez que beaucoup de femmes vont se présenter dans des affaires de divorce après avoir vécu précédemment des périodes de violence, mais sans avoir jamais porté plainte. Monsieur se présentera en cour tout innocent, mais madame aura connu des épisodes de violence conjugale pendant 5 ou 10 ans. Donc, la notion d’« effet cumulatif » devrait être prise en compte non seulement au moment du divorce, mais dans le passé du couple ou les antécédents de violence familiale. Sans quoi, l’individu dira : « Je n’ai pas eu de période cumulative, monsieur le juge, on est en procès de divorce depuis trois mois et je n’ai pas touché à ma femme. ». Il se peut qu’il y ait eu des épisodes de violence au cours des années précédentes, mais qu’il n’y ait pas eu d’accusations criminelles. Devant la cour, il sera blanc comme neige. Le mot « cumulatif » est un mot dangereux dans ce projet de loi. Je pense que vous devriez être prêt à trouver une définition mieux adaptée au contexte de la violence conjugale. Il ne l’est pas actuellement; il est rétrograde. C’est mon point de vue.
M. Lametti : Merci. Comme je viens de le dire à plusieurs sénateurs, nous tiendrons compte de vos suggestions.
Le sénateur Boisvenu : Merci.
M. Lametti : En fait, il s’agit d’une question technique de définition, surtout en ce qui a trait à la différence entre la version anglaise et la version française. Je souligne que si c’est un problème substantiel, surtout si c’est un dédoublement des analyses qui ont déjà été faites. Vous pourriez courir le risque de faire couler le projet de loi, et je crois sincèrement que c’est trop important. Lorsque j’ai fait mes études de droit, on était en 1985 et la Loi sur le divorce venait d’être promulguée; des amendements majeurs n’ont pas été apportés à la loi depuis 20 ans, et c’est le temps de le faire.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Un autre sujet qui préoccupe énormément les praticiens en droit de la famille de la Saskatchewan est l’instauration d’un système à deux niveaux. Le premier système s’applique aux parents qui ont été mariés et qui seront donc visés par la Loi sur le divorce et les modifications que vous y proposez. L’autre système s’appliquera aux parents qui ne sont pas mariés et qui sont visés par les lois provinciales comme la Children’s Law Act de la Saskatchewan.
Les droits des enfants doivent être la priorité. Leur protection ne devrait pas être fonction du fait que leurs parents ont été mariés ou non. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?
M. Lametti : C’est ce qui se passe au Québec depuis des années, mais nous collaborons avec les provinces, comme nous l’avons déjà dit. La Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse ont déjà intégré ces concepts dans leurs lois. Nous espérons que les autres provinces leur emboîteront le pas, parce que c’est dans l’intérêt des enfants.
La sénatrice Batters : La Saskatchewan a adhéré à ce concept il y a 20 ans déjà. Je suis heureuse de constater que le gouvernement fédéral nous rattrape.
[Français]
Le président : Monsieur le ministre, mes collègues vous ont fait part de leur reconnaissance en ce qui a trait à votre disponibilité pour participer aux audiences de ce comité, et nous vous en remercions.
[Traduction]
De toute évidence, vous avez beaucoup de pain sur la planche puisque nous avons renvoyé les projets de loi C‑58, C‑337 et C‑75.
M. Lametti : Merci.
Le président : Nous attendrons de vos nouvelles. Tous les sénateurs étudient ces questions de la plus haute importance avec diligence et dévouement.
Nous soulignons également la coopération des fonctionnaires du ministère. Ils sont professionnels et accessibles. Nous apprécions énormément leur soutien et leur aide dans l’exercice de nos fonctions de législateurs.
[Français]
Merci, monsieur le ministre, et merci, monsieur Daigle. Nous attendrons les informations que M. Daigle doit nous faire parvenir. Comme vous espérez que le projet de loi passe bientôt à l’étape de la Chambre des communes, je vais demander à M. Daigle de nous les fournir le plus rapidement possible.
M. Lametti : Merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Je vais suspendre la séance pendant quelques minutes, le temps de permettre au ministre de quitter la table et aux représentants du ministère de prendre place.
Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce et d’autres lois en conséquence.
Cet après-midi, nous recevons les représentants du ministère de la Justice. Je souris, car je ne vois que des femmes. Habituellement, il y a toujours des représentations de la part des deux groupes. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Elissa Lieff, avocate générale principale, Mme Claire Farid, avocate-conseil et gestionnaire, ainsi que Mme Andina Van Isschot, avocate-conseil et coordonnatrice par intérim.
[Traduction]
Bienvenue. Avez-vous une présentation? Vous avez entendu les sénateurs poser des questions au ministre et échanger avec lui.
Elissa Lieff, avocate générale principale, ministère de la Justice du Canada : Nous souhaitons vous aider du mieux possible en répondant à vos questions. Je vais demander à mes collègues de répondre à plusieurs de vos questions pour leur donner l’occasion de vous parler du travail que nous avons tous accompli, depuis des années, pour rédiger ce projet de loi.
Soit dit en passant, nous avons des collègues masculins dans notre bureau, mais aucun dans la direction.
Le président : Merci infiniment.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Mes questions seront techniques et très précises. Au paragraphe 6.3(1), il est question d’un enfant qui a sa résidence habituelle, et on utilise les termes —
[Traduction]
... notamment d’effectuer des travaux de recherche.
[Français]
Si je comprends bien, on a voulu ajuster les versions anglaise et française et parler de « ordinary » plutôt qu’« habituelle ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous aviez en tête du point de vue juridique concernant la résidence habituelle plutôt que la résidence ordinaire?
Claire Farid, avocate-conseil et gestionnaire, ministère de la Justice Canada : Dans le texte de la loi actuelle, on utilise en français le concept de « résidence habituelle », alors qu’en anglais, on dit plutôt « ordinary residence ». Il n’y a pas vraiment de différence substantielle entre les deux concepts. Le concept de résidence habituelle est utilisé dans les provinces et les territoires et à l’échelon international. C’est vraiment dans le but d’utiliser une terminologie plus uniforme.
La sénatrice Dupuis : Est-ce que je peux poser une deuxième question?
Le président : Bien sûr.
La sénatrice Dupuis : Au paragraphe 16(5), il est question de la conduite antérieure. On en a parlé au comité avec le ministre de la Justice. Pouvez-vous nous aider à comprendre? On parle du fait que le tribunal ne tient pas compte de la conduite antérieure, sauf si elle est liée à l’exercice du temps parental.
Pouvez-vous nous dire quel type de conduite antérieure n’entrerait pas dans la catégorie visée à l’article 16?
Mme Farid : La raison pour laquelle ce concept a été inclus dans la Loi sur le divorce il y a plusieurs années, c’est pour éviter que les tribunaux considèrent des cas où, par exemple, il y aurait eu adultère, ce qui n’est pas nécessairement lié à l’intérêt de l’enfant.
Par ailleurs, étant donné que le projet de loi a prévu plusieurs dispositions sur la question de la violence familiale, dans une perspective d’interprétation, nous estimons qu’il est clair que ce type de conduite serait pris en considération par le tribunal.
La sénatrice Dupuis : Ma dernière question concerne l’article 26, qui permet au ministère de la Justice mener des activités — « including undertaking research » —, y compris de la recherche. Il s’agit de l’article 26, qui ajoute un article 25.2 à la loi. Qu’est-ce qui vous amène à l’inclure nommément dans la loi?
Mme Farid : Le ministère fait beaucoup de recherche dans le domaine de la justice familiale et cela nécessite parfois la collecte d’informations personnelles. Cette disposition nous donne l’autorisation de faire la collecte de ce genre d’information dans le cadre de nos recherches.
La sénatrice Dupuis : Parfait, merci.
[Traduction]
Le président : J’aimerais revenir sur le concept très précis de « conduite antérieure » dans le projet de loi. Il y est prévu que la conduite antérieure d’une personne ne peut être prise en compte.
Je vais prendre un instant pour vous rapporter une histoire entendue à la radio hier soir — les thèmes des conditions de vie des enfants, de leur garde et des familles d’accueil sont sur toutes les lèvres actuellement. Dans cette histoire, l’un des parents d’une famille d’accueil consommait beaucoup de drogue. Le directeur de la protection de la jeunesse était d’avis que l’enfant ne devait pas être laissé dans cette famille parce que les parents d’accueil ou les tuteurs avaient des comportements qui lui étaient nuisibles.
Comment la disposition s’appliquerait-elle dans une telle situation?
Mme Farid : Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons pas nous prononcer sur un cas en particulier.
Le président : Je n’ai pas donné de nom. Je veux savoir comment un tribunal interpréterait cette disposition dans un cas semblable.
Mme Farid : Si la conduite d’un parent se répercute sur son rôle parental et sa capacité à remplir ce rôle à l’égard d’un enfant, le tribunal devrait en tenir compte. La règle relative à la conduite antérieure vise à éliminer la prise en considération par les tribunaux de conduites qui, à une autre époque, étaient jugées immorales. Par exemple, l’adultère était jugé comme un facteur défavorable dans l’évaluation de la capacité à exercer un rôle parental. C’est pourquoi cette disposition avait été intégrée à la première Loi sur le divorce.
Cette disposition n’aura aucune incidence sur l’examen que fera un tribunal de toute conduite qui se répercute directement sur la capacité d’une personne à exercer un rôle de parent et à s’occuper d’un enfant.
Le président : Autrement dit, il ne sera pas possible d’invoquer cette disposition pour faire valoir qu’un juge n’est pas habilité à tenir compte de telle ou telle conduite.
Mme Farid : Ce n’est pas l’objet de la disposition. Dans la liste des facteurs à considérer pour déterminer l’intérêt de l’enfant, il est prévu ce qui suit à l’alinéa 16(3)h) :
[...] la capacité et la volonté de chaque personne qui serait visée par l’ordonnance de prendre soin de lui et de répondre à ses besoins;
La toxicomanie serait certainement prise en considération dans l’examen du critère de la capacité d’exercer les responsabilités parentales.
Le président : Le tribunal pourrait examiner la conduite d’une personne selon un point de vue plus large s’il doit déterminer sa capacité à assumer ses responsabilités à l’égard de l’enfant.
Mme Farid : Tout à fait. Le concept de l’intérêt de l’enfant permet au tribunal de tenir compte de l’ensemble de sa situation pour rendre la meilleure ordonnance parentale pour lui.
Le président : Merci. Je sais que c’est une question de grand intérêt pour les sénateurs.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai une question technique très simple. Au paragraphe 16(4), à l’alinéa b), on dit en anglais : « a pattern of coercive » et en français, on dit : « un comportement coercitif ». Dans la jurisprudence ayant trait au divorce, le mot « coercitif » est rarement utilisé. On parle plutôt de « comportement abusif ». Est-ce que, à ce moment-là, au lieu d’utiliser en français « comportement coercitif », qui m’apparaît être une traduction du terme anglais, on ne devrait pas plutôt parler de « comportement abusif », qui est beaucoup plus utilisé dans la jurisprudence que le mot « coercitif? »
Mme Farid : Il y a quatre types de comportements qui sont inclus dans la définition de violence familiale. Je vais juste revenir à la définition française. Il y a le comportement violent, le comportement menaçant, le comportement coercitif et dominant — c’est cet aspect qui est cumulatif — et le comportement qui porte un membre de la famille à craindre pour sa sécurité ou celle d’un autre membre de la famille. Il y a quatre types de conduites qui constituent de la violence familiale.
Le sénateur Boisvenu : Pourquoi vous êtes-vous dissocié de la jurisprudence, qui fait davantage référence à une attitude abusive qu’à une attitude coercitive, surtout dans les affaires de divorce?
Mme Farid : Ce que la définition...
Le sénateur Boisvenu : Ma question n’est pas là. Pourquoi vous êtes-vous dissocié de la jurisprudence, qui a toujours parlé de comportement abusif? Le mot « abusif » est beaucoup plus simple à comprendre que le mot « coercitif », qui est beaucoup plus complexe dans son application. La coercition, ce n’est pas du tout un épisode d’abus. Ce sont des concepts de violence totalement différents. En violence conjugale, on parle bien davantage d’abus que de coercition.
Mme Farid : Si vous regardez la liste des exemples de types de violence familiale, on y trouve les mauvais traitements corporels et les abus sexuels. Ici, il y a un exemple où on utilise le concept de l’abus. La raison pour laquelle le concept de comportement coercitif et dominant est utilisé, c’est parce que c’est un concept important en sciences sociales relativement à la compréhension de la violence familiale et à comment elle se manifeste. C’est un type de violence très important dans un contexte de violence familiale.
Le sénateur Boisvenu : Donc, on se dissocie complètement de la jurisprudence dans ce domaine? On n’utilise plus le mot « abus » dans le projet de loi, et on utilise donc surtout le mot « coercition »?
Mme Farid : Non, mais ce n’est qu’un type de violence familiale.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends.
Mme Farid : Il y a plusieurs types de violence qui sont énumérés dans la définition et il y a des exemples précis, y compris, par exemple, les mauvais traitements corporels, l’abus sexuel et le harcèlement. Il y a plusieurs types d’abus qui sont inclus, et la liste de types de comportements n’est pas exhaustive.
Le sénateur Boisvenu : Merci.
[Traduction]
Le président : Sans vouloir plaider la cause du sénateur Boisvenu, je trouve néanmoins que son argument est valable. Il y a cœrcition quand une personne est forcée de faire quelque chose. C’est le sens normal donné au concept de cœrcition. L’abus est très différent. C’est une réalité très différente. Je crois que c’est ce que le sénateur Boisvenu a essayé de vous expliquer relativement à l’interprétation de la disposition.
Mme Farid : Nous essayons d’expliquer que la définition n’est pas centrée seulement sur le concept de comportement coercitif et dominant. Il existe quatre types de violence familiale, ou types de comportements. On trouve le comportement violent, le comportement menaçant. Un acte de violence, une menace constitueraient de la violence familiale. Un schéma de comportement coercitif et dominant existe quand il porte une personne à craindre pour sa sécurité ou celle d’une autre personne.
Une liste d’exemples de violence familiale est donnée ensuite, dans laquelle se retrouvent les abus envers les enfants ou les mauvais traitements corporels. Cette liste n’est pas exhaustive. Les concepts exposés dans la définition proposée doivent toujours être pris en considération.
[Français]
Le président : Sénatrice Dupuis, aviez-vous une question?
La sénatrice Dupuis : Me permettriez-vous rapidement de poser une question complémentaire? Vous avez fait référence au concept de la contrainte, de la coercition. Il me semble qu’il y a une grande différence entre la contrainte et l’excès, donc l’abus. Dans ce cas-ci, on fait allusion au concept que l’on retrouve en sciences sociales, qui signifie que l’on contraint quelqu’un à faire quelque chose sans nécessairement aller jusqu’à l’abus ou à l’excès. Ce sont donc deux concepts très différents.
[Traduction]
Le président : C’est exactement pour cela que j’ai posé cette question au ministre tout à l’heure. Je lui ai demandé si les principes ou les concepts juridiques sur lesquels repose le projet de loi sont compatibles avec les concepts juridiques applicables en droit québécois. C’est important puisqu’une bonne partie du droit de la famille est de compétence provinciale.
C’est un bon exemple d’un concept qui exige une harmonisation des deux systèmes.
Mme Farid : Je ne vois pas d’incompatibilité. Vous recevrez d’autres témoins, aujourd’hui ou demain, qui viendront vous parler du droit québécois et de ce qu’ils pensent du projet de loi.
Tout ce que je peux vous assurer, c’est que les types de comportements visés par la définition se retrouvent dans la jurisprudence partout au pays.
Mme Lieff : Comme l’a dit notre sous-ministre délégué précédemment — j’ai moi-même coprésidé, et c’est maintenant au tour de ma collègue de coprésider un comité fédéral-provincial-territorial de coordination de hauts fonctionnaires du domaine de la justice familiale. Ils ont été consultés abondamment au sujet du projet de loi.
C’est une autre des raisons qui nous donnent confiance dans la cohésion à l’échelle du pays. Nous avons fait attention notamment aux divergences éventuelles sur cet aspect entre la perspective du Code civil et celle que nous proposons dans la Loi sur le divorce.
Le président : Merci de cette réponse.
Le sénateur McIntyre : Merci de bien vouloir répondre à nos questions.
Le concept d’ordonnances parentales, remplaçant les ordonnances de garde, est proposé au nouvel article 16.1 de la Loi sur le divorce. Cette nouvelle disposition précise qui est en mesure de faire une demande d’ordonnance parentale — par exemple, une ordonnance concernant l’exercice des droits au temps consacré aux enfants ou de l’autorité des prises de décisions relativement à un enfant.
À qui le projet de loi fait‑il référence lorsqu’il mentionne une personne qui a l’intention de tenir lieu de parent et qui aurait droit à du temps parental ou à des responsabilités décisionnelles à l’égard de l’enfant?
Croyez-vous que cette disposition puisse mener à des conflits judiciaires entre plusieurs personnes revendiquant des droits relativement à un enfant?
Mme Farid : La disposition énonce diverses catégories de personnes qui pourraient revendiquer des droits parentaux à l’égard d’un enfant.
Je vais vous donner un exemple. Si, pour une raison quelconque, des parents ont des conflits après un divorce, mais qu’il existe un lien très fort entre l’enfant et un grand-parent, qui souhaite exercer un rôle parental, cette personne devra solliciter l’autorisation du tribunal. Ce type de demande sera exceptionnel, mais elle sera accueillie en raison des circonstances du cas.
C’est relativement conforme à l’approche préconisée dans la Loi sur le divorce actuelle, qui autorise d’autres personnes que l’un des époux à soumettre une demande de garde ou de droit de visite. Actuellement, il est possible à quiconque de soumettre ce genre de demande.
Le sénateur McIntyre : Il appartiendra aux tribunaux d’apporter les précisions voulues.
Mme Farid : Tout à fait. Ce sera traité au cas par cas.
Le sénateur McIntyre : J’ai une autre question au sujet de la définition des termes. Le projet de loi ajoute le nouvel article 16.93 de la Loi sur le divorce, qui attribue le fardeau de la preuve dans les affaires de déménagement en s’appuyant sur les périodes que le parent qui déménage passe avec son enfant.
Je remarque que les nouvelles dispositions emploient les termes « essentiellement équivalentes » et « très large majorité » pour qualifier le temps qu’un parent passe avec son enfant. Ces termes ont été décrits comme étant fondamentalement vagues. Pourquoi a‑t‑on préféré les termes « essentiellement équivalentes » et « très large majorité » aux termes plus précis « égal » et « majorité »?
Mme Farid : Les dispositions sur le déménagement visent essentiellement à cerner et à prendre en compte les tendances de la jurisprudence concernant les cas où le temps de garde est partagé relativement également entre les parents. Il est souvent plus difficile dans ces cas de justifier un déménagement. Par comparaison, si l’un des parents est le principal pourvoyeur de soins, il est plus probable que le déménagement soit autorisé. C’est pour cela que ces deux fardeaux de preuve ont été précisés.
Les expressions « essentiellement équivalentes » et « très large majorité du temps » ont été privilégiées à un pourcentage précis parce qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de préciser un temps de garde qui serait sujet à litiges. De plus, on perdrait de vue le plus important, soit l’intérêt de l’enfant et la recherche de la meilleure formule possible pour lui.
Le sénateur McIntyre : Là encore, il reviendra aux tribunaux de déterminer ce qui constitue des périodes « essentiellement équivalentes » ou la « très large majorité » du temps dans un cas donné.
Mme Farid : En effet. Si une affaire se retrouve devant un tribunal, il devra établir si les circonstances de ce cas en particulier font intervenir l’une de ces catégories.
Le président : La version française de cette disposition, et plus précisément du paragraphe 16.93(1), à la ligne 39, se lit comme suit :
[Français]
(7) L’ordonnance peut prévoir une autorisation ou une interdiction de déménagement important de l’enfant.
[Traduction]
Dans l’anglais, à la ligne 37, ce passage se lit « the party who intends to relocate the child ». Le mot « important » n’est pas utilisé pour qualifier la notion de « relocation » en anglais, contrairement à la version française.
Mme Farid : C’est un point très intéressant. Nous avons été incapables de trouver un équivalent législatif du terme « relocation » en français au Canada. Il a été déterminé que le terme déménagement important correspond à ce qui se rapproche le plus du concept de « relocation » en anglais, alors que ce n’est pas du tout le cas de « changement de résidence ». Il fallait trouver un moyen d’exprimer ces deux concepts différents, soit « relocation », rendu par déménagement important, et « change of residence », rendu par changement de résidence.
Le président : C’est plus qu’une notion de territoire. Les conditions de vie entrent aussi en jeu.
Mme Farid : Vous avez raison. La définition de « relocation » tient compte de l’importance des répercussions sur le lien d’un enfant avec une personne qui a des responsabilités parentales ou une personne visée par une ordonnance de contact. La définition repose sur la nature des relations.
Le sénateur Dalphond : La jurisprudence fait une distinction entre un déménagement dans une autre ville d’une autre province et un déménagement à trois ou cinq rues du domicile précédent.
C’est pourquoi il est difficile de traduire ce concept en français. Cesont deux notions différentes. Pour les juges, un déménagement dans une autre rue et un déménagement dans une autre province sont deux concepts différents.
Le président : Comme je l’ai dit, il existe un concept lié au territoire et un autre qui est lié aux conditions de vie. Le mot « relocate » englobe ces deux éléments, et il est difficile de trouver un mot français qui englobe les deux.
Le sénateur Dalphond : Le déménagement d’un enfant dans un environnement différent aura pour conséquence de bouleverser son environnement familier.
[Français]
Pour ce qui est de la question de l’intérêt de l’enfant, la sénatrice Dupuis a déjà posé une question sur l’harmonisation du droit québécois avec le droit fédéral. J’ai mentionné que j’étais agréablement surpris de voir que la législation fédérale reflétait exactement la terminologie francophone du Code civil, notamment à l’article 33, qui stipule que les décisions en matière de garde de l’enfant doivent être fondées sur l’intérêt fondamental de l’enfant et qui fournit une liste de facteurs à considérer qui sont repris au paragraphe 16(3) du projet de loi C-78, lequel est beaucoup plus détaillé que le Code civil, mais provient de la même source.
Ai-je raison de penser que, dans les deux cas, tant dans le Code civil que dans la loi fédérale, on s’inspire d’une convention internationale?
Mme Farid : Oui.
Le sénateur Dalphond : Est-ce qu’on peut expliquer aux membres du comité pourquoi exactement on a les mêmes concepts, et qu’il ne sont pas incompatibles?
[Traduction]
Mme Farid : Il s’agit de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, selon laquelle toute décision concernant un enfant doit être prise dans son intérêt.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai été un peu étonnée par le fait qu’il n’y a pas de référence à cette Convention internationale des droits de l’enfant dans le préambule. On semble tenir pour acquis que ces documents sont connus, qu’ils sont même maîtrisés par les gens dans le domaine du droit, surtout les spécialistes en matière de droit familial et la magistrature. C’est toujours surprenant de constater à quel point cet instrument est méconnu. Puisqu’il s’agit d’une source d’interprétation du droit canadien, pouvez-vous me dire ce qui a amené le ministère à décider de ne pas inclure un préambule à ce sujet dans le projet de loi? On met en œuvre deux conventions internationales, ce qui amène une perspective d’intégration du droit international dans le droit canadien. Avez-vous eu des discussions à ce sujet?
Mme Farid : La principale raison, c’est qu’il s’agit d’une loi qui apporte des amendements à des lois existantes. Cette loi n’existera pas par elle-même. Au moment où les amendements seront apportés aux trois autres lois, le préambule disparaîtra.
La sénatrice Dupuis : Je comprends.
[Traduction]
Le président : Lundi soir dernier, nous avons adopté le projet de loi C-337, dont le préambule contient neuf paragraphes sous l’énoncé « Attendu que ». L’objet principal du projet de loi est de modifier la Loi sur les juges et le Code criminel.
Selon ce que vous nous avez dit, c’était un bon exercice de rédaction, mais il ne faut pas s’attendre à ce que les tribunaux interprètent l’article en se fondant sur le préambule.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Mais vous pourriez nous dire que le projet de loi C-337 n’est pas passé par le ministère de la Justice.
Mme Farid : Oui, il y a une distinction entre les deux.
[Traduction]
Mme Lieff : Quand un domaine est régi par une loi existante, il n’y a pas lieu d’ajouter un préambule. Comme c’est une loi fédérale, nous faisons grand cas des responsabilités que nous confère la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vois que ma première question a suscité de l’intérêt. Avec votre permission, je vais passer à la deuxième. Un autre concept de droit qui existe bel et bien en droit civil québécois concerne la distinction entre la garde de l’enfant et l’autorité parentale. Au Québec, ce sont des concepts complètement distincts que les juges ont développés en rendant de beaux jugements, mais, dans les provinces de common law, ma compréhension est que « the custody brings the authority ». Donc, pour la première fois, la loi fédérale fait la distinction entre la garde de l’enfant et l’autorité parentale en établissant des ordonnances qui traitent, d’une part, du temps parental, c’est-à-dire du temps physique passé avec l’enfant, et des ordonnances décisionnelles qui sont traitées en vertu d’une autre disposition de la loi. Donc, désormais, des parents peuvent avoir une autorité décisionnelle précise sur certains sujets et une autorité commune sur certains autres, ce qui fait qu’on rejoint, dans le reste du Canada, ce qui se fait au Québec depuis longtemps.
[Traduction]
Mme Farid : Je ne suis pas certaine. Je pense ne pas me tromper en disant qu’aux fins des ordonnances parentales, on fait une distinction entre le concept d’autorité décisionnelle et celui du temps parental.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ce qui n’était pas dans l’ancienne loi.
Mme Farid : Non. C’est vrai. La loi qui existe réunit les deux concepts.
Le sénateur Dalphond : Ce que le Québec ne faisait pas à cause du Code civil.
Mme Farid : C’est vrai.
[Traduction]
Mme Lieff : Cela nous ramène aux remarques à propos de l’harmonisation des régimes.
Le président : Nous pourrons nous entretenir à ce sujet avec les témoins de cet après-midi.
[Français]
Le sénateur Dalphond : J’ai une dernière question sur le fait qu’on dit de ne pas tenir compte du comportement passé. On se rappellera que, au début, le divorce était basé sur la faute, et que, par la suite, ce concept a été modifié en 1985 pour devenir un divorce sans faute, sauf si les gens ne voulaient pas attendre un an; il fallait donc prouver soit l’adultère, soit la cruauté mentale ou physique, ou alors attendre une séparation de fait d’une année. En conséquence, les juges ne tiennent pas compte de l’adultère et des comportements passés, parce que certains hommes, en 1985, avaient plaidé que la pension devait être réduite ou ne pas être accordée à madame parce qu’elle était partie avec un autre homme. Les juges ont accepté cela au début, jusqu’à ce que les Cours d’appel cassent ce jugement et décident que le divorce devait être sans faute. Je comprends que c’est ce concept qui est repris ici et qu’il était bien connu des tribunaux.
Pour ce qui est de la cruauté mentale, c’est un concept utilisé par ceux qui ne veulent pas attendre une année. Ai-je raison de croire que les motifs que vous évoquez dans les facteurs à considérer afin de définir s’il y a un comportement coercitif et dominant correspondent à ceux que les tribunaux ont développés en matière de cruauté mentale?
Mme Farid : Les deux concepts sont compatibles. C’est vrai.
Le sénateur Dalphond : Donc, on ne réinvente rien, on codifie ce qu’a développé la jurisprudence.
Mme Farid : Oui.
[Traduction]
Le président : Avez-vous d’autres questions? Je suis désolé de vous interrompre, mais je surveille l’horloge du coin de l’œil...
[Français]
La sénatrice Dupuis : Dans la partie du projet de loi C-78 qui porte sur la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales, donc l’article 42, on parle de directeurs de fichier, donc de « toute personne désignée à ce titre par règlement pour un fichier donné », ce qui renvoie à la définition anglaise de l’information bank director. Pouvez-vous m’aider à clarifier cela? On prévoit en effet que cette banque, cette autorité désignée sera définie par règlement. Pouvez-vous me dire ce qu’on vise plus particulièrement ici?
Andina Van Isschot, avocate-conseil et coordonnatrice par interim, ministère de la Justice du Canada : Oui, certainement. Actuellement, dans la loi, on a une liste des directeurs de fichiers. En vertu de la partie 1 de la loi, c’est possible de faire une demande au ministère de la Justice pour localiser un débiteur. En faisant cette demande, on cherche des fichiers fédéraux, donc on travaille avec différents partenaires, comme l’Agence du revenu du Canada ou Emploi et Développement social Canada. Quand on parle des directeurs de fichiers, ce sont les directeurs de ces agences, de ces partenaires qui sont visés.
Ce que le projet de loi propose, c’est de transférer la liste des directeurs de fichier au règlement pour que, à l’avenir, on puisse ajouter d’autres partenaires fédéraux si on veut avoir plus d’informations à notre disposition quand on doit faire des recherches.
La sénatrice Dupuis : Merci de votre réponse. Si je vais un peu plus loin, dans le même projet de loi, à l’article 45, on prévoit remplacer l’article 5 de cette loi par un article qui se trouve à la page 57 du projet de loi, qui dit ceci :
5.1 (1) Le ministre peut conclure, au nom du gouvernement fédéral, un accord avec tout service de police au Canada en vue de la recherche et de la communication de renseignements au titre de la présente partie.
Mme Van Isschot : Oui. Ce que le projet de loi prévoit, c’est de conclure des accords avec des services policiers pour que ces derniers aient accès aux fichiers fédéraux pour localiser quelqu’un que l’on recherche dans le cas d’un enlèvement parental.
La sénatrice Dupuis : Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Ma question porte sur les enfants des Premières Nations.
Je veux m’assurer que nous avons vu juste pour ce qui est des facteurs énoncés à l’article 16 qui devront être pris en considération dans les ordonnances parentales visant des enfants des Premières Nations, et que c’est conforme au projet de loi C-92.
Mme Farid : Je dois me remettre le projet de loi C-92 en mémoire. Effectivement, parmi les critères énumérés au projet de loi C-78, il y a en un qui oblige le tribunal à tenir compte du patrimoine culturel, spirituel, linguistique et religieux de l’enfant, y compris son patrimoine et ses origines autochtones.
C’est assez conforme aux objectifs globaux du projet de loi C-92. Vous constaterez également que les critères énoncés dans le projet de loi C-92 reflètent en bonne partie ceux du projet de loi C-78, bien qu’ils soient adaptés au contexte de la protection des enfants.
Le sénateur Dalphond : Les deux projets de loi ont été rédigés en faisant attention à ne pas travailler en vase clos, mais dans un esprit de convergence.
Mme Lieff : Tout à fait, étant entendu que les deux mesures ont des champs d’application différents.
Le sénateur Dalphond : Et qu’il fallait les adapter en conséquence.
Mme Lieff : Nous ne nous occupons pas de la protection des enfants.
Le président : Le Canada a signé la Convention relative aux droits des enfants des Nations Unies. Toutefois, hors de la Loi sur le divorce et des lois connexes, sa mise en œuvre relève de la compétence des provinces, comme l’a évoqué la sénatrice Batters.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la mise en œuvre de la convention dans les provinces?
Mme Lieff : Nous ne sommes pas vraiment en mesure de dire ce qui en est dans les provinces. Je suis désolée.
Le président : Autrement dit, nous n’avons aucune idée de la mesure dans laquelle les principes énoncés dans la convention ont été inscrits dans les lois correspondantes dans les champs de compétence provinciaux.
Mme Lieff : Non.
Le président : Merci, mesdames Lieff, Farid et Van Isschot, d’avoir participé à nos délibérations. Vous pouvez rester si vous voulez tirer profit de la sagesse et de l’expérience de notre prochain groupe de témoins. Je suis certain qu’ils aborderont des questions sur lesquelles le ministre et vous-mêmes avez déjà eu à vous pencher. Je vous remercie infiniment.
[Français]
Je demanderais à nos prochains témoins de bien vouloir s’approcher de la table. Il s’agit des représentants de l’Association du Barreau canadien, du Barreau du Québec et de la Chambre des notaires du Québec. Veuillez vous avancer pour prendre place à la table.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-78, modifiant la Loi sur le divorce et d’autres lois en conséquence.
Cet après-midi, j’ai le privilège de souhaiter la bienvenue à des personnalités que nous avons eu le plaisir d’entendre à l’occasion de l’étude des différents projets de loi qui ont été renvoyés à notre comité. À tout seigneur, tout honneur, je vais commencer par les vétérans experts que nous entendrons à ce comité.
[Traduction]
Je vous présente Gaylene Schellenberg, qui représente l’Association du Barreau canadien. Bienvenue. Elle est accompagnée par Melanie Del Rizzo, qui en est la présidente. Bienvenue, madame Del Rizzo.
[Français]
Du Barreau du Québec, nous accueillons Mme Valérie Laberge, membre du Comité en droit de la famille, ainsi que M. Nicolas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques. Nous avons eu le plaisir de vous accueillir il y a quelques jours. De la Chambre des notaires du Québec, nous recevons M. Serge Bernier, vice-président, et M. Antoine Fafard, notaire, Services juridiques et relations institutionnelles. Bienvenue à tous.
Vous avez eu la chance d’entendre une partie des échanges plus tôt cet après-midi avec le ministre Lametti et les représentants du ministère. Vous comprenez sans doute le contexte de notre étude du projet de loi.
Je demanderais à Mme Schellenberg ou à Mme Del Rizzo de faire la première présentation.
[Traduction]
Gaylene Schellenberg, avocate, Défense des droits, Association du Barreau canadien : Merci d’avoir invité l’Association du Barreau canadien à vous présenter son point de vue sur le projet de loi C-78.
L’ABC est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 juristes, dont des avocats, des avocates, des étudiants et des étudiantes, des notaires, des professeurs et des professeures. L’un des aspects importants de notre mandat consiste à améliorer le droit et l’administration de la justice. C’est cet aspect qui a motivé notre présence ici aujourd’hui.
Le présent mémoire sur le projet de loi C‑78 a été préparé par la Section du droit de la famille et la Section du droit de l’enfant et de la jeunesse, avec la participation d’autres sections. La section du droit de la famille représente des spécialistes de partout au Canada, des avocats qui représentent toutes les parties dans les affaires de droit de la famille.
La Section du droit de l’enfant et de la jeunesse est constituée d’avocats qui exercent dans différents domaines du droit et qui se spécialisent surtout dans les droits des enfants et l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU dans les lois canadiennes.
Je suis accompagnée aujourd’hui de la présidente de la Section du droit de la famille, Melanie Del Rizzo, de St. John’s. Elle vous présentera les grandes lignes de notre mémoire et répondra à vos questions.
Melanie Del Rizzo, présidente, Section du droit de la famille, Association du Barreau canadien : Le mémoire original de notre section renferme 45 recommandations, qui sont en fait des suggestions pour améliorer le projet de loi du point de vue des avocats de ce domaine.
Nous avons beaucoup d’idées d’amélioration du projet de loi. Comme vous pouvez l’imaginer, si vous demandez à une ribambelle d’avocats d’examiner un projet de loi, ils vous arriveront avec une myriade de suggestions d’améliorations. Je tiens néanmoins à souligner que nous appuyons entièrement l’adoption du projet de loi C-78 dans sa forme actuelle.
Une bonne partie du projet de loi apporte des solutions à des préoccupations de longue date de l’ABC, et notamment la priorité absolue qui doit être accordée à l’intérêt de l’enfant quand vient le temps de trouver une entente sur les responsabilités parentales.
Nous nous réjouissons de constater que la Chambre des communes a pris en considération plusieurs de nos préoccupations dans les modifications qu’elle a apportées. Même si toutes nos recommandations n’ont pas été retenues, le projet de loi marque selon nous un grand pas en avant dans ce domaine du droit et nous appuyons son adoption rapide.
Notre mémoire souligne l’importance de reconnaître les obligations que confère au Canada la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU, ratifiée en 1992. La convention offre un fondement à un changement de vision du droit de la famille au Canada afin qu’il mette l’accent sur les droits et l’intérêt de l’enfant. Nous avons recommandé dans notre mémoire de faire expressément référence à la convention dans la Loi sur le divorce.
Le projet de loi C-78 offre au gouvernement une occasion en or de continuer à faire la démonstration de son engagement envers les droits internationaux des enfants. L’une des parties phares du projet de loi C-78 a trait à la confirmation de l’intérêt de l’enfant comme critère essentiel de toute décision en matière de responsabilités parentales. Nous nous sommes systématiquement opposés à toute présomption en matière de garde et de droit de visite pour éviter qu’elle n’embrouille notre vision et ne nous détourne de ce qui doit toujours demeurer la priorité, qui est bien sûr l’intérêt de l’enfant.
Le partage égal du rôle parental restera envisageable si c’est dans l’intérêt de l’enfant. L’intertitre « Maximum de temps parental » qui est proposé pourrait donner à penser que l’octroi du temps parental maximal à chaque parent est toujours le résultat recherché.
Ces dispositions et ces intertitres doivent indiquer clairement et très explicitement qu’il n’existe aucune présomption quant au partage du rôle parental, compte tenu particulièrement du nombre de parties non représentées dans les tribunaux de la famille.
Pour cette raison, nous recommandons de remplacer l’intertitre « Maximum de temps parental » qui précède l’article par une formule dénotant une attribution plus neutre du temps parental et ajouter au projet de loi une disposition exempte de toute présomption.
Nous sommes d’accord avec la liste de facteurs à considérer pour établir l’intérêt de l’enfant qui figure sous le paragraphe 16(3). Notre mémoire contient des propositions pour améliorer et préciser cette liste de facteurs. Nous souscrivons également à l’importance accordée dans le projet de loi au recours aux plans parentaux, mais nous pensons qu’il y aurait lieu de préciser qu’ils ne sont pas obligatoires.
Le texte du projet de loi pourrait aussi être plus précis quant à la manière dont les tribunaux pourront évaluer les plans parentaux pour s’assurer qu’ils sont dans l’intérêt de l’enfant, surtout si les deux parents ont été autorisés par le tribunal à présenter un plan.
La violence familiale est un facteur déterminant dans l’appréciation de l’intérêt de l’enfant. Nous saluons son inclusion dans la liste des facteurs à considérer. Notre mémoire comporte des suggestions visant à étayer les propositions liées au droit de la famille.
Nous adhérons en outre — en fait, c’est une revendication que nous avons depuis longtemps — à l’inclusion dans le projet de loi d’une liste de facteurs à considérer dans l’examen des demandes de déménagement. Nous avons recommandé quelques ajouts à cette liste.
Nous appuyons par ailleurs les modifications apportées au paragraphe 16.9(2) relativement au formulaire d’avis à joindre aux demandes de déménagement. Nous souscrivons au transfert du fardeau de la preuve prévu dans le projet de loi, et à la présomption comme quoi un déménagement sera dans l’intérêt d’un enfant qui a peu ou pas de lien avec le parent qui ne déménage pas.
Nous soulignons cependant qu’un enfant peut avoir des liens forts avec ses deux parents même si le temps parental n’est pas partagé également. Par conséquent, les sections de l’ABC recommandent qu’il soit demandé au parent qui déménage qu’il fasse la démonstration que le déménagement sera dans l’intérêt de l’enfant s’il existe un risque que la relation avec l’autre parent soit perturbée.
Enfin, il convient de souligner l’importance de prévoir un financement adéquat pour que les gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux puissent fournir les nombreux services promis dans le projet de loi, dont la médiation, les services d’accès surveillé et le soutien à la communication entre les différents paliers et ordres juridictionnels à l’égard des ordonnances de protection rendues en matière civile. Je répondrai volontiers à vos questions au sujet de notre mémoire. Merci.
Le président : Merci, madame Del Rizzo, pour cet exposé succinct et précis.
[Français]
Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, le Barreau du Québec vous remercie de l’avoir convié aujourd’hui à échanger avec vous au sujet du projet de loi C-78.
Je suis Me Nicolas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques du Barreau du Québec. Je suis accompagné de Me Valérie Laberge, membre du Comité consultatif en droit de la famille.
En tant qu’ordre professionnel, le Barreau du Québec a pour mission la protection du public et la primauté du droit. La réforme de la Loi sur le divorce implique des enjeux de promotion de l’intérêt supérieur de l’enfant et de protection des personnes vulnérables qui interpellent le barreau dans l’exercice de sa mission.
D’emblée, le Barreau du Québec tient à saluer la réforme de la Loi sur le divorce. Mettre l’enfant au cœur de la réflexion, adapter la terminologie, moderniser la Loi sur le divorce pour la rendre plus adaptée aux réalités familiales d’aujourd’hui, ce sont les défis que les législateurs se sont donnés dans le cadre de ce projet de loi.
De manière générale, le Barreau du Québec accueille favorablement le projet de loi et vous soumet certains commentaires dans l’optique de le bonifier.
Premièrement, le Barreau du Québec tient à souligner que certaines dispositions du projet de loi nous semblent être des accrocs au principe de l’autorité parentale, telle que définie par la législation québécoise.
En effet, le droit civil québécois prévoit que les parents exercent ensemble l’autorité parentale et que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une personne autre qu’un parent exerce entièrement les attributs de l’autorité parentale. Cela dit, un parent titulaire de l’autorité parentale peut déléguer certaines responsabilités, comme la garde, la surveillance et l’éducation de l’enfant à une tierce personne, mais il demeure néanmoins le titulaire de l’autorité parentale.
Nous estimons ainsi que les articles 16.1 à 16.5, qui prévoient la possibilité pour des tiers d’intervenir dans les décisions qui concernent l’enfant, constituent un accroc majeur au principe de l’autorité parentale conjointe. Nous considérons que ces pouvoirs décisionnels doivent continuer d’être exercés par les titulaires de l’autorité parentale, et que le fait de permettre une ingérence par des tiers à ce niveau est non seulement contraire au droit civil québécois, mais pourrait aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant dans certaines circonstances.
L’alinéa 16.1(1)b) est particulièrement problématique, puisque nous ne savons pas à qui le législateur fait référence lorsqu’il mentionne qu’une personne — autre qu’un des époux — qui a l’intention de tenir lieu de parent à l’enfant aurait droit à du temps parental ou à des responsabilités décisionnelles à l’égard de cet enfant.
Dans l’état actuel du droit, la personne qui a l’intention de tenir lieu de parent ne peut être une personne agissant in loco parentis, selon les critères de l’arrêt Chartier de la Cour suprême. En effet, pour être qualifié comme tel, il faut que cette personne agisse déjà comme le parent et que ce fait ressorte des interactions de l’enfant avec cette personne.
Par ailleurs, aux termes de l’arrêt Chartier, cette personne doit être un des époux, qui est spécifiquement exclu par le texte de du paragraphe 16.1(1). À qui donc fait-on référence dans cette disposition? Il convient au législateur de le préciser.
Je cède maintenant la parole à Me Valérie Laberge pour vous entretenir de la suite de nos réflexions.
Valérie Laberge, membre du Comité en droit de la famille, Barreau du Québec : Dans un autre ordre d’idées, le Barreau du Québec souscrit aux modifications qui sont apportées à la terminologie. En effet, les termes comme « ordonnances parentales » ou « temps parental » proposés dans le projet de loi C-78 nous paraissent moins péjoratifs que les précédents et sont vus comme une avancée par le Barreau du Québec.
De plus, nous réaffirmons que nous sommes également favorables au rappel du principe cardinal de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui se trouve à l’article 16 du projet de loi, notamment en ce qui touche les questions en matière de garde d’enfants.
Nous saluons également l’initiative visant à inclure au projet de loi une liste de facteurs à considérer, qui pourra très certainement permettre aux justiciables de mieux cerner les facteurs qui doivent définir cette notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est parfois considérée comme floue.
Par contre, nous sommes d’avis que le premier facteur énoncé à l’alinéa 16(3)a), c’est-à-dire les besoins de l’enfant, ne devrait pas, selon nous, être considéré comme un facteur parmi tant d’autres. Nous croyons qu’il devrait plutôt sous-tendre l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant aux termes de l’article 16. Nous suggérons donc qu’il soit incorporé au paragraphe 16(2), qui précède l’énumération des autres facteurs.
Un autre élément nous porte à nous questionner, soit l’obligation, pour le conseiller juridique, d’informer son client des possibilités de réconciliation, sans qu’il puisse conserver de discrétion à ce sujet. Le Barreau du Québec est préoccupé par la situation dans laquelle un conseiller juridique ferait, volontairement ou non, pression pour réconcilier les parties, croyant à tort répondre à une obligation de la loi. Il pourrait y avoir des situations pour lesquelles une discussion sur une potentielle réconciliation pourrait être malvenue, selon nous, notamment dans les cas de violence.
Finalement, le Barreau du Québec soulève une difficulté concernant l’article 22, qui fait référence au divorce prononcé à l’étranger. En effet, la disposition indique qu’un divorce prononcé par une autorité compétente serait reconnu au sens de la loi. Toutefois, dans certains pays, par exemple en France, depuis 2017, plutôt que de recourir aux tribunaux, les parties peuvent, lorsque les conditions de la loi sont respectées, signer une entente à l’amiable et la déposer auprès d’un notaire.
Le notaire français ne vérifiera pas si cette entente respecte l’ordre public ni si elle respecte l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon le Barreau du Québec, le droit canadien devrait permettre la reconnaissance des divorces qui respectent l’ordre public et les valeurs canadiennes, même s’ils ne sont pas prononcés par une autorité judiciaire, mais il faudrait exercer un certain contrôle pour s’assurer que ce soit effectivement le cas.
Nous vous remercions encore une fois de nous permettre de partager nos réflexions sur le projet de loi et nous sommes disponibles pour répondre à toute autre question par la suite.
Le président : Merci, maître Laberge. Maintenant, au nom de la Chambre des notaires du Québec, nous accueillons M. Serge Bernier. La parole est à vous.
Serge Bernier, vice-président, Chambre des notaires du Québec : Monsieur le président Joyal, madame la vice-présidente Dupuis, monsieur le vice-président Boisvenu, honorables sénatrices et sénateurs membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’aimerais d’abord vous remercier sincèrement d’avoir invité la Chambre des notaires du Québec à participer aux audiences concernant l’étude du projet de loi C-78.
Pour nous, il s’agit d’une première pour notre profession vieille de 350 ans. Nous représentons le plus vieil ordre professionnel juridique en Amérique du Nord.
Je suis Serge Bernier, vice-président de la Chambre des notaires du Québec et notaire à Matane, et je pratique toujours après 40 ans. Je suis parmi vous aujourd’hui pour remplacer notre président, Me François Bibeau, qui est actuellement à Bruxelles pour participer au 115e Congrès des notaires de France. Je suis accompagné de Me Antoine Fafard, notaire aux Services juridiques de la Chambre des notaires et principal juriste dans ce dossier. M. Fafard a été secrétaire de la Commission citoyenne du droit de la famille, que la Chambre des notaires a instituée au printemps 2018 et dont tout le monde a entendu parler.
C’est avec un immense plaisir que la Chambre des notaires participe aujourd’hui à cette séance afin de faire ses recommandations relativement au projet de loi C-78. Les notaires sont des professionnels du droit, des conseillers juridiques qui possèdent une expertise particulière en droit familial. Ils accompagnent un grand nombre de citoyens dans les différentes étapes de leur vie qui sont directement liées à ce domaine du droit. On peut penser notamment à la rédaction des contrats de mariage, à la célébration des mariages et, depuis très peu de temps, à la présentation de demandes conjointes sur un projet d’accord en vertu d’un divorce ou d’une séparation de corps.
Les notaires sont des juristes spécialisés en droit préventif, et ils agissent aussi à titre de médiateurs dans les dossiers de médiation familiale. Les notaires du Québec sont depuis longtemps témoins des différents problèmes vécus par les Québécois et les Québécoises en matière de droit de la famille. Cette situation a amené notre ordre professionnel à appuyer la réforme globale proposée par le Comité consultatif sur le droit de la famille, lancé par le gouvernement du Québec en 2013 et présidé par Me Alain Roy, notaire émérite et professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal.
Ainsi, dans un rapport étoffé et empreint d’une grande rigueur, le comité consultatif en est venu à la conclusion que notre droit familial n’est plus arrimé aux nouvelles réalités des citoyens. La Chambre des notaires du Québec a tout récemment mis sur pied la Commission citoyenne sur le droit de la famille. Cette commission a produit son rapport en septembre 2018, qui témoignait de l’urgence d’une réforme du droit de la famille au Québec, qui ne répond plus aux besoins et aux préoccupations des Québécoises et des Québécois.
D’entrée de jeu, la Chambre des notaires du Québec salue l’intention du législateur fédéral de placer l’intérêt de l’enfant au cœur des nouvelles dispositions contenues dans le projet de loi C-78. Ainsi, en venant établir des critères exhaustifs qui doivent être pris en considération par les tribunaux lorsqu’ils rendent une décision en matière de divorce, d’ordonnance de garde ou de pension alimentaire, le projet de loi fournit les outils nécessaires aux magistrats dans le but ultime de préserver l’intérêt de l’enfant. La Chambre des notaires du Québec appuie particulièrement les critères liés à la violence conjugale, puisque l’absence de tels critères a d’ailleurs été plusieurs fois décriée par des organismes et des particuliers lors des audiences de la Commission citoyenne sur le droit de la famille.
La Chambre des notaires du Québec salue aussi le remplacement du terme « avocat » dans la Loi sur le divorce par celui de « conseiller juridique ». Cette modification vient reconnaître le rôle que jouent tous les conseillers juridiques reconnus à cet effet par leur province dans les dossiers touchant au droit de la famille et, notamment, les notaires du Québec.
Nous croyons que ce changement terminologique s’inscrit également dans une volonté du législateur de faire la promotion des mécanismes de règlements des différends familiaux, notamment la médiation familiale. Les notaires étant des experts en droit préventif, notre ordre professionnel ne peut que saluer cette volonté d’aller vers un système de justice plus accessible et de favoriser l’entente à l’amiable entre les parties lorsque cette entente est possible.
Toutefois, nous sommes d’avis que, pour réellement atteindre cet objectif d’accessibilité, il est nécessaire de déjudiciariser la procédure de divorce lorsqu’il y a entente entre les parties. En effet, si elle considère très important que les parties soient conseillées par des professionnels compétents lors d’une séparation, les notaires du Québec croient que, lorsque la procédure se déroule à l’amiable, les parties ne devraient pas être obligées de comparaître devant le tribunal. À notre avis, des mesures permettant d’assurer la sécurité juridique des parties, qui seraient efficientes et à moindre coût pour les justiciables et pour le système de justice, doivent être envisagées.
En conclusion, je tiens à remercier encore une fois les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d’avoir invité notre ordre professionnel à faire part de ses commentaires et de ses recommandations sur le projet de loi C-78. Notre ordre professionnel est très actif sur la scène provinciale grâce à ses interventions auprès du législateur sur les enjeux sociétaux qui touchent la protection du public. De plus, notre ordre professionnel n’hésite pas à faire partie du débat public afin de défendre les valeurs sur lesquelles est fondé le système juridique québécois, à savoir l’égalité, l’équité et les responsabilités individuelles et collectives.
En ce sens, la Chambre des notaires du Québec entend continuer de jouer un rôle central dans le dossier du droit de la famille. Nous offrons donc notre pleine et entière collaboration au législateur fédéral afin de mettre en œuvre les recommandations proposées dans notre mémoire sur le projet de loi C-78.
Nous souhaitons également être invités à participer à l’élaboration et à la mise en place des futures mesures législatives instaurées par les autorités fédérales, qui auront un impact sur la protection du public et sur la pratique notariale.
Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir entendu. Je remarque que, vu mon âge vénérable, vous n’avez pas été forcés de me ralentir. Si vous avez des questions relativement à notre mémoire, Me Fafard est ici pour y répondre.
Le président : Merci beaucoup, maître Bernier. Comme on disait autrefois, je crois que vous teniez le pas. J’invite maintenant la sénatrice Dupuis, vice-présidente du comité, à débuter les échanges avec nos invités.
La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à l’Association du Barreau canadien. J’aimerais connaître votre position sur la question de la violence familiale. Je pense avoir compris que vous suggérez de modifier le paragraphe 15(2) afin de reconnaître les preuves de violence familiale en tant qu’élément à considérer dans l’évaluation du droit d’un époux à une pension alimentaire.
Pouvez-vous préciser quelle est votre position à ce sujet?
[Traduction]
Mme Del Rizzo : La documentation sur laquelle reposent nos commentaires sur le projet de loi indique que la capacité des époux à subvenir à leurs besoins peut être atteinte après une séparation. Je crois que c’est ce que démontre la recherche en sciences sociales.
S’il y a des antécédents de violence familiale dans une relation, une séparation peut nuire à la capacité des époux à subvenir à leurs besoins. Nous avons recommandé d’ajouter cet élément au projet de loi.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question concerne votre recommandation de réviser le paragraphe 16(5), pour ce qui est de la conduite antérieure. Vous proposez que l’on tienne compte de la conduite antérieure dans l’évaluation du risque de futur préjudice à l’enfant. Voulez-vous me préciser votre position à ce sujet?
[Traduction]
Mme Del Rizzo : Dans sa forme actuelle, la Loi sur le divorce ne tient compte de la conduite antérieure qu’en ce qui concerne l’aptitude à prendre soin d’enfants. Nous souhaitons que l’article 16.5 prévoie qu’un tribunal tiendra compte de la conduite de la personne dans la mesure où elle influe ou peut influer sur un facteur relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui renvoie au paragraphe 16(3) ou à la violence familiale.
Ce sont nos propositions à ce sujet. Encore une fois, nous souhaitions clarifier le fait que la conduite passée serait pertinente pour évaluer le risque qu’un enfant subisse par la suite un préjudice et prédire la capacité d’un parent de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une priorité.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, cela répond à ma question.
J’aurais une question pour le Barreau du Québec. On a demandé au ministre s’il y avait eu une analyse de la compatibilité, si l’harmonisation de la loi fédérale avait été examinée par rapport au concept de droit de la famille au Québec. Vous avez l’air de suggérer qu’il y a des incohérences par rapport à certains éléments du projet de loi, plus particulièrement concernant l’autorité parentale, mais aussi sur la question des divorces prononcés à l’étranger. Pouvez-vous revenir plus précisément sur votre préoccupation par rapport aux divorces prononcés à l’étranger?
Mme Laberge : Pour les divorces prononcés à l’étranger, ce qui était notre grande préoccupation, et c’est un peu ce que j’ai dit, ce sont les divorces qui sont prononcés sans la voie judiciaire dans certains États autres et qui ne sont pas soumis à un contrôle judiciaire. Donc, pour nous, il est souvent problématique d’exécuter ces décisions sans valider que celles-ci respectent l’ordre public et l’intérêt fondamental de l’enfant. Pour nous, c’est la plus grande préoccupation.
Je sais que, dans notre mémoire — je ne sais pas si c’est à cela que vous faites référence —, il y a un petit paragraphe à la fin qui dit : « Deuxièmement, soulignons qu’un conflit constitutionnel pourrait survenir... »; est-ce votre question?
La sénatrice Dupuis : C’est exactement cela. Vous avez bien compris ma préoccupation.
Je ne vois rien dans l’article 3167 du Code civil qui parle de cela ou qui fait référence au problème particulier de ce qu’est un divorce à l’amiable qui est déposé chez un officier de la loi — chez un notaire en France, dans cas-ci. J’essayais donc de voir quelle était la nature du conflit.
J’aurais une sous-question : avez-vous fait partie des consultations qui ont été menées dans le cadre d’un groupe de travail ou d’un groupe de comité de sous-ministres fédéraux et provinciaux sur la réforme de la loi? Est-ce que le Barreau du Québec a été consulté dans le cadre de cette opération?
Mme Laberge : Je vais laisser mon collègue répondre, puisqu’il travaille pour le Barreau du Québec.
M. Le Grand Alary : Je dirais nous n’avons pas été consultés par ce comité.
Pour revenir sur la question de la compétence constitutionnelle, nous voulons attirer l’attention sur le fait que tant la juridiction provinciale au Québec, dans le Code civil, que le gouvernement fédéral, dans la Loi sur le divorce, ont prévu des règles relativement à la reconnaissance de jugements étrangers en matière de divorce ou de décisions étrangères en matière de divorce, parce qu’on a conclu que ces jugements et décisions n’étaient pas forcément soumis à un contrôle judiciaire. Cela signifie donc que, dans la mise en œuvre et l’application, il pourrait y avoir des décisions contradictoires selon les mêmes faits, dépendamment si l’on se réfère à l’article 22 de la Loi sur le divorce ou à l’article 3167 du Code civil. Nous voulions seulement attirer l’attention là-dessus, ce n’est qu’un petit commentaire qui conclut le mémoire.
La sénatrice Dupuis : La formulation que l’on trouve tant dans la Loi sur le divorce que dans l’article 3167 du Code civil, qui se rejoignent finalement, est une question de l’interprétation de la compétence des autorités étrangères; cela a trait à l’autorité en question. L’autorité d’un notaire serait donc reconnue. Merci.
Mme Laberge : Je pense que vous aviez...
La sénatrice Dupuis : Pardon.
Le président : Allez-y, maître Laberge, si vous voulez ajouter quelque chose.
Mme Laberge : J’avais noté que vous aviez une autre question.
La sénatrice Dupuis : Oui, pour la Chambre des notaires.
Mme Laberge : Je pensais que vous aviez une autre question pour le barreau, pour mettre en évidence les incohérences par rapport à l’autorité parentale.
La sénatrice Dupuis : J’avais choisi d’insister davantage sur...
Mme Laberge : Ça va.
La sénatrice Dupuis : Aviez-vous quelque chose de particulier à mentionner sur l’autorité parentale?
Mme Laberge : Oui, si vous me laissez une petite minute.
La sénatrice Dupuis : Certainement.
Mme Laberge : Ce qu’il faut retenir en ce qui a trait à l’autorité parentale au Québec, c’est que le principe veut qu’elle soit partagée entre les deux parents en tout temps. Pour nous, cela pose un problème — peut-être même sur le plan constitutionnel —, parce que le concept de « tiers », soit la personne qui veut tenir lieu de parent à l’enfant, n’est pas, selon nous, bien défini. Cependant, à partir du moment où on confère à un tiers le droit d’exercer l’autorité parentale, cela vient, selon nous, très clairement en opposition avec le droit québécois. Peut-être que cela poserait également un problème constitutionnel.
La sénatrice Dupuis : J’avais l’impression d’avoir bien compris cet argument qui me semblait très clairement exprimé dans votre mémoire. Merci de le préciser.
Ma question pour la Chambre des notaires du Québec est la suivante : dans le projet de loi C-78, on parle d’un conseiller juridique qui représente un conjoint. Ai-je bien compris votre intervention? La Chambre des notaires du Québec peut représenter deux conjoints, parce qu’il y a une entente et que vous pouvez représenter les deux, pas seulement un des deux conjoints?
Antoine Fafard, notaire, Services juridiques et relations institutionnelles, Chambre des notaires du Québec : Donc, juste pour vous mettre en contexte, Me Bernier vous a parlé de la Commission citoyenne sur le droit de la famille. La Chambre des notaires réclame depuis longtemps une réforme du droit de la famille au Québec. Lors de la Commission citoyenne sur le droit de la famille qui s’est déroulée à l’été 2018, on a remarqué qu’il y avait des problèmes au niveau du droit de la famille, des règles de droit et de l’accès au système de justice. On s’est rendu compte que le justiciable ne se sent pas interpellé ni écouté et qu’il a de la difficulté à se retrouver dans les méandres du système judiciaire.
L’approche que la Chambre des notaires a choisie, étant donné l’expertise en matière de droit préventif des notaires, se rapporte à tout ce qui est un mode alternatif de règlement, y compris la médiation familiale. Nous sommes d’avis que le libellé du projet de loi donne l’impression que la médiation sert uniquement lorsque deux parties sont en situation de conflit et vont régler leur situation devant un tribunal, ce qui n’est pas toujours le cas et n’est pas toujours souhaitable non plus.
Nous croyons que le projet de loi C-78 précise lui aussi qu’il faut faire la promotion des modes alternatifs de règlement des différends familiaux.
Nous sommes d’avis que, en mettant l’accent sur le fait qu’un conseiller juridique prendra en charge la procédure entre les deux parties, on doit également mettre l’accent sur le caractère impartial de ce conseiller juridique. Donc, nous pensons que, en apportant des précisions au libellé, on ne donne pas nécessairement un meilleur accès à la justice, mais on met l’accent sur d’autres modes de règlement des litiges et d’autres modes de règlement des différends familiaux.
Nous avons l’impression que c’est l’esprit que législateur a respecté dans le projet de loi, et cela correspond également à ce que nous avons entendu sur le terrain et qui se trouve dans le rapport de la Commission citoyenne sur le droit de la famille relativement à l’accès à la justice. Nous avons remarqué également — il y a des statistiques à l’appui, mais je ne les ai pas avec moi — que les gens aiment la médiation familiale et voient que cela fonctionne.
Lorsqu’il y a une séparation ou un divorce, ce sont souvent des situations hautement émotives. Donc, le fait de mettre l’accent sur les modes alternatifs peut être bénéfique pour toutes les parties.
Nous avions également entendu parler du fait que le système de confrontation ou de « gagnant-perdant » du système judiciaire pouvait attiser cette émotivité et, par le fait même, les conflits qui sont liés à la séparation. C’est donc l’état d’esprit qui nous a motivés et c’est pour cela que nous proposons ces modifications au libellé.
M. Bernier : Sénatrice Dupuis, je voulais vous préciser que, depuis qu’il y a eu des amendements au nouveau Code de procédure civile, les notaires peuvent désormais présenter une demande conjointe en séparation de corps et en divorce. C’est maintenant permis.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à tous les gens qui sont ici aujourd’hui, particulièrement les gens de Québec. C’est toujours un plaisir de vous recevoir au Sénat. Ma première question s’adresse aux gens du barreau. Je vous réfère à la page 14 du projet de loi, à l’alinéa 16(4)b). Nous avons eu plus tôt avec le ministre une discussion portant sur l’écriture même du texte qui m’apparaît différente en français et en anglais, surtout par rapport au terme « aspect cumulatif » que l’on trouve dans le texte français, mais qui ne se trouve pas dans le texte anglais. Dans le texte, on parle de —
[Traduction]
b) ... le fait qu’une personne tende ou non à avoir, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant;
[Français]
Alors, qu’en français, on dit : « b) le fait qu’une personne tende ou non à avoir, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant [...] »
Les termes « son aspect cumulatif » ne sont pas dans le texte anglais. Si je suis l’accusé ou la personne qui a un passé de violence, mon avocat va jouer sur ces termes. Si je suis procureur de la Couronne, je vais peut-être utiliser plutôt le texte anglais. On a demandé au ministre s’il était ouvert aux propositions d’amendement, et il l’était relativement à des amendements de nature littéraire dans le but de préciser les choses. Êtes-vous d’accord avec ma lecture de ces deux textes? Je ne suis pas avocat, mais j’ai un peu de connaissances en linguistique et je me dis qu’il y a peut-être une distinction à faire entre les deux.
Mme Laberge : Je veux être bien certaine de vous comprendre. Avez-vous une version préférée?
Le sénateur Boisvenu : J’ai la version que me fournit le Sénat.
Mme Laberge : Entre la version anglaise ou française?
Le président : C’est la version française qui vous semble plus problématique?
Le sénateur Boisvenu : C’est la version française que je n’aime pas. Si j’étais une femme qui a un conjoint violent, que je portais des accusations, que je me retrouvais dans un procès pour divorce et qu’il y avait un événement de violence, je me demande bien comment on pourrait définir l’« aspect cumulatif ».
Mme Laberge : Ce que vous dites, c’est que, pour vous, un comportement qui serait coercitif et dominant à l’égard d’un membre de la famille est suffisamment préoccupant?
Le sénateur Boisvenu : De toute façon, toute forme de violence est préoccupante. Si je lis le texte en français et en anglais, les termes « aspect cumulatif » ne se trouvent pas dans le texte anglais.
Mme Laberge : Ce n’est pas l’équivalent de pattern. Je comprends ce que vous voulez dire.
Le sénateur Boisvenu : Exactement, un pattern, c’est quelqu’un qui a un comportement, qui peut être un comportement coercitif dominant, mais quand on parle d’aspect cumulatif, c’est comme s’il y avait une double valeur dans le texte anglais.
Mme Laberge : Le barreau préférerait que l’on trouve un terme qui soit davantage collé au mot pattern ou que l’on retire le concept d’aspect cumulatif, pour dire plutôt que le fait qu’une personne tente ou non d’avoir un comportement coercitif et dominant à l’égard d’un membre de la famille est, effectivement, un facteur dont le tribunal devrait tenir compte.
Le sénateur Boisvenu : C’est exactement mon point de vue, et je vous remercie de le confirmer.
M. Le Grand Alary : Dans son évaluation, le juge aura toujours la discrétion de considérer ou non qu’un événement coercitif ou contrôlant est un pattern ou un cas isolé. Donc, même si on ne trouve pas forcément un mot qui correspond à une traduction française du mot pattern, je pense que l’idée est là, comme le disait Me Laberge.
M. Fafard : Pour compléter ce que les représentants du Barreau du Québec ont mentionné, le mémoire de la Chambre des notaires fait également état des problèmes liés à l’emploi des termes « aspect cumulatif ». Nous sommes d’avis qu’une menace de mort ou un acte de violence commis une seule fois peut constituer de la violence familiale. Ce que nous proposons, c’est d’ajouter « ou non » au libellé. À ce moment-là, cela fait un lien avec ce que Me Le Grand Alary a dit par rapport à l’interprétation du tribunal, qui pourra décider si l’ensemble des faits qui lui ont été soumis correspondent bien à de la violence familiale.
Le sénateur Boisvenu : Lundi, lors de la réunion du comité, nous avons adopté un projet de loi très important qui traite de la formation des juges en matière d’agression sexuelle. Je vais vous lire la loi de la Colombie-Britannique sur le divorce. Le sous-alinéa 245.(1)(e)(ii) de la loi de la Colombie-Britannique qui dit ce qui suit:
[Traduction]
ii) exiger qu’un professionnel de la résolution des litiges familiaux qui n’a pas la formation, l’expérience et d’autres qualifications nécessaires aux termes de l’alinéa i) veille à ce qu’une personne ayant la formation, l’expérience et les autres qualifications requises soumette les parties au litige relevant du droit de la famille à une évaluation relative à la violence familiale...
[Français]
Donc, je me dis que la loi sera basée sur la résolution de différends en médiation. Est-ce que la loi ne devrait pas prévoir, comme on l’a fait dans le projet de loi C-337, une obligation pour les gens qui travaillent en médiation d’avoir une formation en matière de violence conjugale? Je trouve que les avocats qui vont embrasser cette carrière dans le domaine de la médiation ont plutôt une expérience en médiation commerciale ou institutionnelle. La médiation relativement à la violence conjugale est de nature complètement différente. Ces avocats n’ont pas de formation et, souvent, ils n’auront pas la compétence requise pour gérer un conflit de séparation ou une situation d’agression dans un couple. C’est très complexe à gérer.
Est-ce que la loi ne devrait pas prévoir une obligation d’avoir une formation spécifique? Je vais demander à M. Bernier, qui est notre doyen.
Le président : Me Laberge voulait répondre à cette question.
Mme Laberge : Nous allons probablement dire la même chose. Actuellement, au Québec, pour être médiateur familial accrédité, il faut suivre une formation qui dure 60 heures. C’est une formation de base, pendant laquelle on fait six heures de sensibilisation à la violence conjugale. C’est presque une journée complète que les médiateurs consacrent au dépistage.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que c’est obligatoire pour travailler dans la médiation?
Mme Laberge : Oui, c’est obligatoire; cela figure dans notre règlement pour faire de la médiation familiale au Québec.
Le sénateur Boisvenu : Il y a une loi sur le divorce au Québec?
Mme Laberge : Le Québec applique la Loi sur le divorce et aussi le Code civil du Québec.
Le sénateur Boisvenu : Dans le Code civil, est-ce qu’il y a une prescription à ce niveau? Est-ce que c’est davantage un règlement que s’est donné le barreau?
Mme Laberge : Le règlement découle du Code de procédure civile du Québec.
Le président : Monsieur Bernier, j’imagine que les mêmes dispositions s’appliquent à la Chambre des notaires?
M. Bernier : On encadre le titre de médiateur chez les notaires. C’est une formation très précise qui doit être suivie d’un nombre de cas pratiques et, lorsque les notaires ont terminé cette formation, ils sont accrédités.
Le sénateur McIntyre : Merci de vos présentations.
[Traduction]
Ma question porte sur le déménagement important et concerne les trois articles. J’attire votre attention sur les deux nouveaux paragraphes et le nouvel article de la Loi sur le divorce qui sont proposés, à savoir le paragraphe 16(3), le paragraphe 16.92(1) et l’article 16.93.
Le nouveau paragraphe 16(3) comprend des facteurs à prendre en considération dans la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant et le nouveau paragraphe 16.92(1) comprend des facteurs supplémentaires à prendre en considération dans les situations de déménagement important.
Ma question est la suivante : le cas échéant, dans quelle mesure le déplacement du fardeau de la preuve en ce qui concerne les déménagements importants s’éloigne-t-il du droit actuel établi par la Cour suprême du Canada dans Gordon c. Goertz?
Comme nous le savons, cette décision énonce les facteurs dont le tribunal peut tenir compte lorsqu’il évalue l’intérêt supérieur de l’enfant, mais elle n’établit pas de priorités parmi les facteurs énumérés et on lui reproche depuis des années de créer une incertitude dans les affaires relatives à un déménagement important.
Madame Del Rizzo, voulez-vous répondre?
Mme Del Rizzo : Oui. Il s’agit d’un aspect difficile du droit et c’est pourquoi l’ABC souhaite depuis longtemps que ce type de dispositions soit inscrit dans la Loi sur le divorce et dans différentes lois provinciales.
Nous avons des divergences d’opinions sur les délais d’attente et sur quelques autres points qui se trouvent dans notre mémoire, mais la décision Gordon c. Goertz ne donne vraiment aucune prévisibilité sur ce plan aux personnes qui veulent déménager. Elle impose, de plus, un lourd fardeau, notamment aux personnes qui veulent déménager avec leurs enfants dans le cas desquels un des parents ne participe peut-être pas du tout au soin de l’enfant, mais peut obliger l’enfant à rester à un endroit durant un très long processus judiciaire.
Nous sommes très favorables aux changements que propose le projet de loi pour ce qui est de donner aux juges un cadre qui leur permette d’appliquer certaines présomptions dans le cas de déménagements importants. Il fournit des directives aux tribunaux pour la suite et c’est ce que nous voulons.
Une fois encore, nous avons quelques divergences d’opinions par rapport aux délais d’attente, aux formulaires et à ce genre de choses, mais nous sommes très satisfaits de cet élément.
Le sénateur McIntyre : Le cas échéant, dans quelle mesure le nouvel article 16.93, qui fait évoluer le fardeau de la preuve dans les cas concernant un déménagement important, réduira-t-il les litiges?
Mme Del Rizzo : Il conférera une certaine prévisibilité. D’une part, si vous avisez la personne et qu’elle ne réagit pas, il sera possible de déménager sans avoir à entamer un long processus judiciaire. D’autre part, l’évolution du fardeau de la preuve fera que les personnes seront plus en mesure de régler les questions.
Si on sait que le déménagement sera présumé être dans l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple, les parties peuvent recourir à un mode alternatif de règlement des différends pour régler les détails de l’accès ou du temps parental pour le parent qui reste. Le nouvel article aidera beaucoup à réduire les litiges.
Le sénateur McIntyre : Il y a une évolution du fardeau. D’une part, nous avons l’intérêt supérieur de l’enfant. D’autre part, nous avons l’intérêt supérieur du parent dans les cas de déménagement important. Cela peut créer une certaine confusion à un moment donné, mais je crois que les tribunaux sauront tirer ces choses au clair d’une manière ou d’une autre.
Mme Del Rizzo : Je suis d’accord avec vous.
Le sénateur McIntyre : Le Barreau du Québec, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
[Français]
Mme Laberge : Brièvement, je voudrais ajouter que la décision Gordon c. Goertz a été rendue en 1996 par la Cour suprême. À cette époque, il y avait peut-être moins de gardes partagées qu’il y en a aujourd’hui. C’est comme si le cadre d’analyse correspondait à une réalité plus ancienne. Pour nous, au Barreau du Québec, cette idée de présomption rend la chose peut-être un peu plus claire, mais cela correspond à ce que l’on voit quand on étudie la jurisprudence, c’est-à-dire que le parent qui a la garde de l’enfant, dans la majorité des cas, sera autorisé à emménager avec lui. Dans le cas de la garde partagée, en revanche, puisque le lien de l’enfant avec ses deux parents est aussi fort, théoriquement, on va plus souvent tenir compte de son milieu et de son lien d’attachement qu’à tout le reste. Donc, pour nous, c’est assez conforme aux résultats que l’on observe dans la jurisprudence, et ça a le mérite de préciser les choses.
Le sénateur Dalphond : Merci aux gens du Barreau du Québec, du Barreau canadien et de la Chambre des notaires d’être parmi nous. J’ai noté que le Barreau du Québec avait essentiellement trois points, dont deux se recoupaient, à savoir la définition du tiers qu’on veut ajouter au tableau.
Ma question la plus facile porte sur la Loi sur le divorce, à l’article 22, et sur l’article 3167 du Code civil du Québec, que vous mentionnez à la fin de votre mémoire. N’est-il pas exact que la Cour d’appel a statué en 2017, sous la plume du juge Dufresne, qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre l’article 3167 du Code civil du Québec et l’article 22 de la Loi sur le divorce, en citant notamment un jugement que j’avais rendu précédemment? C’est pour cela que je connais la décision.
Le président : On ne pense pas du tout que vous essayez de nous impressionner...
Le sénateur Dalphond : Je me demandais si la difficulté que vous perceviez n’a pas été tranchée, pour l’instant, par la Cour d’appel.
Mme Laberge : C’est une excellente question.
Le sénateur Dalphond : Il me semblait que la difficulté, pour l’instant, n’existe peut-être que théoriquement.
Mme Laberge : Ce qui serait très bien; tant mieux.
Le président : Est-ce que je peux intervenir sur le même sujet, sénateur? C’est moi qui vous demande l’autorisation, maintenant. Est-ce que, dans le rapport de Me Alain Roy sur la révision du droit de la famille, cette question n’a pas été traitée? Est-ce qu’il a fait une recommandation ou une observation sur la définition d’autorité parentale, dans le sens de la révision de la notion d’autorité parentale? Je ne voulais pas vous prendre pas surprise avec cette question, mais, sénateur Dalphond, je lis le bulletin de la Chambre des notaires.
Mme Laberge : C’est une question très intéressante à laquelle je n’ai pas de réponse. Pour l’avoir lu et étudié, cela ne me dit rien, mais j’ai pu oublier.
Le président : Vous comprenez toutefois le sens de ma question; s’il avait déterminé qu’il y avait une définition trop étroite par rapport à la réalité sociale évolutive à laquelle nous faisons face, il aurait pu commenter en disant que l’interprétation qu’il faut donner à l’autorité parentale doit recevoir une définition extensive qui peut être plus large que celle des deux parents biologiques, des parents légaux.
M. Le Grand Alary : De mémoire, selon ce que nous avons compris du rapport du comité ministériel présidé par Alain Roy quand nous l’avons étudié et quand nous avons rédigé des commentaires à ce sujet, je dirais qu’il y a quand même une volonté de la part du comité, et de la part du barreau également, de reconnaître un certain caractère aux beaux-parents, comme on dit en français, autrement dit, d’introduire une certaine notion de personne qui agit in loco parentis. Cela avait été considéré dans le rapport, mais peut-être la Chambre des notaires voudra-t-elle apporter un complément à mes remarques. Il y avait une ouverture. Le Québec était plus fermé, et c’était plutôt les parents qui figuraient sur l’acte de naissance qui exerçaient l’autorité parentale. Je pense que, dans le rapport Roy, on réclamait une certaine ouverture à l’égard du beau-parent, de la personne qui agit in loco parentis.
Mme Laberge : Pas au niveau de l’exercice de l’autorité parentale, mais plutôt au niveau des contacts, parce que, du point de vue de l’intérêt de l’enfant, on ne souhaite pas que l’enfant n’ait plus de contact avec cette personne significative. Je serais extrêmement étonnée qu’ils aient recommandé qu’un tiers puisse exercer l’autorité parentale.
La sénatrice Dupuis : Je me demandais si Me Le Grand Alary se souvient de la comparution du barreau devant notre comité au sujet du projet de loi S-202, il y a environ un an. Vous aviez comparu comme témoin et le professeur Roy aussi. Il me semble me rappeler qu’on avait parlé de cette question, mais surtout dans la perspective de maintenir un droit de contact et de l’élargir.
Le président : C’est à vous, sénateur Dalphond; votre réponse à cette question ne sera pas imputée au temps qui vous est alloué.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Je ne m’en fais pas à ce sujet. Je sais que vous êtes juste, monsieur le président.
[Français]
Je reviens à la deuxième question que le sénateur Joyal a finalement abordée avant moi, qui portait sur votre deuxième point, l’autorité parentale, qui est traitée aux articles 16.1 à 16.5, et qui, en réalité, découlent de l’alinéa 16.1(1)b). Si j’ai bien compris, et je ne veux pas être trop technique pour ceux qui nous écoutent, s’il y en a, l’article 16.1(1) dit ceci :
16.1 (1) Le tribunal compétent peut rendre une ordonnance prévoyant l’exercice du temps parental ou des responsabilités décisionnelles à l’égard de tout enfant à charge, sur demande :
a) des époux ou de l’un d’eux;
b) d’une personne — autre qu’un époux — qui est l’un des parents de l’enfant, lui en tient lieu ou a l’intention d’en tenir lieu.
Si je regarde les notes explicatives du ministère de la Justice, elles mentionnent que de plus en plus d’enfants canadiens grandissent dans des familles reconstituées.
C’est ce à quoi nous avons fait allusion il y a quelques minutes, en parlant du beau-papa ou de la belle-maman, faute de terme qui correspond à la réalité. Le beau-père et la belle-mère, selon le Code civil, étaient des gens mariés et les parents de l’autre conjoint, mais, aujourd’hui, ce sont les termes utilisés pour décrire les nouvelles relations familiales. L’article ne fait que permettre au tribunal d’accueillir une demande d’une personne qui aurait développé un lien affectif particulier avec l’enfant d’obtenir des droits, notamment à l’égard de l’exercice du temps parental. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous voyez un problème quant à cet aspect.
Mme Laberge : La première difficulté, c’est la personne qui a l’intention de tenir lieu de parent. Vous l’avez dit vous-même, l’enfant aurait pu développer un certain lien avec cette personne; il s’agit là d’une première interrogation. Peut-être cela vise-t-il un bébé non encore né et on voudrait préserver les droits de quelqu’un dans ce cas-là. Le projet de loi indique : « une personne autre qu’un époux ». Nous avons de la difficulté à envisager à qui cela s’adresse.
Le sénateur Dalphond : Si l’on se fie aux notes du rédacteur, on nous dit qu’on vise les personnes qui jouent le rôle de nouveau parent dans les familles reconstituées.
Mme Laberge : Qui interviendrait dans le divorce?
Le sénateur Dalphond : Voilà un exemple : le conjoint de madame, qui vit avec madame depuis 10 ans et qui a développé avec l’enfant des liens intenses, se sépare de madame; pourrait-il avoir un droit d’accès à l’enfant pour garder contact avec lui? C’est ce qui est visé par la disposition; est-ce que cela pose un problème au Barreau du Québec? Dans l’affirmative, pourquoi? J’essaie de comprendre pourquoi, dans les familles reconstituées, la séparation des deux conjoints, l’un qui est le parent biologique de l’enfant et l’autre qui est le parent d’affiliation affective — le parent affectif — ne pourrait pas demander un droit d’accès à l’enfant.
Mme Laberge : Nous n’avons aucun problème avec cela. Le barreau n’a aucun problème avec l’idée que le beau-parent, qui est une tierce personne, ait développé des liens et puisse avoir un droit d’accès à l’enfant. Cela dit, le projet de loi dit quand même « lui tient lieu de parent », donc on tient pour acquis qu’il peut y avoir triparentalité, parce que « tient lieu », c’est un peu le synonyme de « à la place de ».
Le sénateur Dalphond : Dans les notes explicatives du ministère, je pense qu’on fait référence à celui qui s’est impliqué dans la vie de l’enfant et qui est l’équivalent du parent, celui que l’enfant appellerait peut-être « beau-papa » ou « papa ».
Mme Laberge : Pour le Barreau du Québec, il y a une ouverture dans la jurisprudence à cet effet. Il n’y a aucun problème, cela dit, peut-être que ce texte n’est pas le plus heureux. Pour nous, la question de l’intention de « tenir lieu de parent » était très préoccupante également.
Le sénateur Dalphond : Pour vous, c’est surtout une préoccupation, non au niveau du concept, mais plutôt dans la façon dont il est rédigé.
Mme Laberge : C’est un problème au niveau du concept, pas du concept pour l’exercice du temps parental, mais, quand je lis le paragraphe 16.1(1), je vois « le tribunal compétent peut rendre une ordonnance prévoyant l’exercice du temps parental ou des responsabilités décisionnelles », et c’est là que le barreau a un problème.
Le sénateur Dalphond : Je ne veux pas argumenter, mais j’ai beaucoup lu là-dessus, et j’ai les mêmes questions que vous. Par exemple, le beau-papa qui va toujours faire du ski avec l’enfant les fins de semaine et, après la séparation, qui continue de faire du ski avec l’enfant, ce qui est envisagé ici, c’est que le juge pourrait dire que c’est lui qui exercera l’autorité parentale pendant la fin de semaine pendant qu’il fait du ski avec l’enfant. Alors, si l’enfant se blesse, c’est lui qui l’amènera à l’hôpital...
Mme Laberge : Prendre des décisions quotidiennes.
Le sénateur Dalphond : Exactement.
Mme Laberge : C’est logique, mais, en même temps, je pense qu’il faut être prudent. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire à tout prix, parce que je pense que la situation, de la manière dont vous l’expliquez, est fort sympathique. Le beau-papa, à qui on a octroyé des droits d’accès prévus par jugement, appellera-t-il les parents chaque fois qu’il veut amener l’enfant en ski ou au cinéma? Il faut être prudent. Il faut bien réfléchir à cette question, parce qu’il y a des risques dans les dossiers litigieux; si l’enfant va se faire couper les cheveux avec le beau-père et que ce n’était pas prévu, on peut imaginer des scénarios qui pourraient devenir problématiques.
Le sénateur Dalphond : Ou si on change la couleur des cheveux.
Le président : C’est la sagesse populaire, mais ça repousse toujours.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je vais poser une seule question.
Monsieur Bernier, je vous remercie infiniment de vos observations sur la loi. Il me semble que vous avez dit qu’elle ne correspond plus à la réalité de nos vies, de nos situations ou quelque chose comme cela. C’est, selon moi, une très bonne observation.
Je voudrais poser une question à tout le monde. La loi n’a pas été modifiée depuis 1985. La société a évolué. Elle évolue toujours. Notre monde change. Nos valeurs et nos situations changent. Nous ne devrions plus jamais nous trouver dans une situation où nous attendons si longtemps pour modifier une loi parce que les problèmes s’accumulent et nous nous retrouvons avec un projet de loi. Nous arrivons à la toute fin d’un processus et nous n’avons pas le temps d’apporter certains changements qui nous paraissent importants.
À votre avis, combien de temps devrions-nous attendre? Étant donné l’immense expérience que vous avez accumulée dans ce domaine sur de nombreuses années, et en étant réaliste, car les législateurs ne peuvent pas revenir sur ces questions tous les ans, quel est le délai raisonnable? Étant donné l’évolution sociale, les circonstances et votre expérience, quand le Parlement du Canada devrait-il examiner de nouveau la loi?
Est-ce qu’on parle en nombre d’années? Est-ce que c’est une question de décisions? Est-ce les deux? Qu’en pensez-vous? Je demanderai d’abord à l’Association du Barreau canadien.
Mme Del Rizzo : Je peux vous donner mon avis personnel, mais je ne parlerai pas au nom de l’ABC.
La sénatrice Dasko : C’est ce que je recherche.
Mme Del Rizzo : Je ne peux parler que du mémoire, mais il s’agit d’un changement important dont nous nous réjouissons. C’est pourquoi nous souhaitons qu’il se produise. J’imagine qu’on modifiera le texte avec le temps, et il devrait l’être. On devrait l’examiner au fil du temps et le réévaluer. Je prends bonne note de ce que vous disiez et je suis entièrement d’accord.
Peut-être un examen approfondi tous les cinq ans ou tous les dix ans, au plus. La décision Gordon c. Goertz, qui remonte à 1997, ne me semble pas très loin dans le temps, alors qu’elle l’est.
La sénatrice Dasko : Je pensais à cette année, 1997, et c’est loin.
Mme Del Rizzo : En effet. Nous n’aurions pas dû, selon moi, attendre aussi longtemps pour apporter ces changements.
La discussion sur le temps parental et même rien que la terminologie mérite de changer. L’accent mis sur les enfants et le respect des obligations aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU sont très importants pour nos sections et pour nous en tant qu’avocats spécialisés dans ce domaine.
Le projet de loi fera beaucoup. Nous disons que nous voudrions modifier ce point et cet autre, mais les changements peuvent se faire au fil du temps. Peut-être que nous pourrions examiner la loi tous les cinq ans ou un peu plus tard.
La sénatrice Dasko : Y a-t-il d’autres avis?
[Français]
M. Le Grand Alary : Rapidement, je dirais que, de manière générale, le barreau ne s’est pas prononcé sur cette question dans son mémoire. Sans vouloir imposer un délai, des dossiers importants comme la Loi sur le divorce et les projets de loi C-78 ou C-75 sur la réforme du Code criminel sont de grands dossiers de société qui devraient faire l’objet de révision non partisane de manière périodique. Il faut comprendre que le projet de loi C-78, s’il est adopté, évoluera au fil de la jurisprudence; les avocats, les juges et les notaires continueront d’en parler, tout cela évoluera.
Toutefois, je pense que l’important pour le barreau est de s’assurer qu’il y ait des réformes appropriées et variées. L’idée d’amorcer une révision de ces dossiers par un organisme non partisan ou par d’autres organismes peut être intéressante.
M. Bernier : Sénatrice Dasko, il est amusant de constater combien nos systèmes juridiques sont parfois de connivence et parfois différents. J’aimerais souligner — peut-être que certains d’entre vous ne sont pas au courant — qu’il existe au Québec une institution qui ressemble au mariage qu’on appelle l’union civile. Cette institution est un copier-coller du mariage et elle peut être dissoute par consentement commun sans passer devant un juge, mais en se présentant devant un notaire.
Le droit avance à une vitesse variable. Au Québec, étant donné que notre système est différent en vertu du Code civil, on a trouvé des moyens originaux d’alléger le système judiciaire. Je suis le plus vieil administrateur de la Chambre des notaires du Québec, et cela fait 20 ans qu’on offre notre aide au législateur pour simplifier les processus, surtout lorsqu’il y a une entente. Nous sommes heureux d’avoir assisté à cette séance aujourd’hui et nous souhaitons que la rapidité soit de mise. Merci.
M. Fafard : J’aimerais revenir sur une question qui a déjà été posée. J’aimerais faire un parallèle avec la situation au Québec, où une réforme est réclamée depuis très longtemps. Tout le monde dit que le droit de la famille est anachronique. Il n’a pas changé depuis 1980. La réalité au Québec, c’est que les conjoints de fait représentent presque la moitié des conjoints. C’est ainsi qu’ils vivent leur conjugalité. On constate des inégalités parce que leur situation n’est pas reconnue dans le Code civil du Québec. À l’avenir, je crois que la Chambre des notaires souhaite qu’on n’ait plus à se rendre jusque-là, étant donné que le notaire est un expert en droit préventif. Il faudrait peut-être créer un comité non partisan, sans nécessairement avoir une date ou une période précise pour la révision. Il serait aussi important de faire un exercice démocratique pour déterminer quels sont les enjeux sur le terrain, comment les gens voient la question et de quelle façon la loi s’applique à leur situation réelle afin d’avoir le pouls des citoyens. Par la suite, on pourrait entreprendre les réformes nécessaires. Je pense qu’il y a une espèce d’interconnexion qui doit être mise en place pour s’assurer que le droit canadien — tout comme le droit des provinces — reflète réellement les besoins et les réalités, sans provoquer des situations d’inégalité ou d’injustice comment peuvent en vivre les justiciables. Il ne faut surtout pas que ce soit le justiciable qui porte le fardeau de ces réformes en allant devant les tribunaux et en engageant des sommes d’argent pour faire valoir ses droits. Nous sommes d’avis que le législateur doit être proactif dans le contexte de ces réformes fondamentales pour la vie démocratique.
[Traduction]
Le président : Avez-vous une question, sénatrice Dasko?
La sénatrice Dasko : C’est tout pour le moment, monsieur le président.
[Français]
Le président : Je vois que le temps file. J’aimerais poser la même question que j’ai posée au ministre Lametti plus tôt cet après-midi. Est-ce que le barreau a fait une analyse — par rapport aux principes et aux concepts juridiques qui sous-tendent le droit de la famille au Québec — qui identifierait, dans le projet de loi C-78 tel qu’il est rédigé en ce moment, des situations juridiques qui seraient susceptibles de représenter des conflits éventuels? Comme le disait plus tôt Me Fafard, cela permettrait d’éviter que les citoyens aient à porter sur leurs épaules le besoin de préciser des concepts qui, au départ, semblent venir contradiction avec les principes et la fonctionnalité du droit de la famille au Québec.
Mme Laberge : Vous nous avez très bien compris sur toutes les réserves que nous avons en ce qui a trait à l’autorité parentale.
Le président : Je comprends. Y en a-t-il d’autres?
Mme Laberge : C’est la seule chose à laquelle nous pensons.
Le président : D’accord. Maître Bernier, avez-vous des commentaires? Non. D’accord. Y a t-il eu plusieurs causes dans la jurisprudence depuis 1980? C’est à cette époque que s’est effectuée la dernière révision de la Loi sur le divorce ou l’adoption de la Loi sur le divorce. Est-ce qu’il y a eu des situations conflictuelles par rapport à l’interprétation du droit au Québec et la Loi sur le divorce fédérale?
Mme Laberge : Non. La Cour d’appel a précisé cet aspect assez tôt. À ma connaissance, les deux s’harmonisent assez bien. Sincèrement, je pense qu’il n’y a pas eu tellement de problèmes à cet égard. Les deux ont été assez compatibles jusqu’à présent.
Le président : Très bien. Merci beaucoup de votre témoignage.
[Traduction]
J’ai le plaisir de remercier Mme Schellenberg et Mme Del Rizzo d’avoir comparu devant le comité aujourd’hui au nom de l’Association du Barreau canadien. Je vous remercie de vos observations.
[Français]
Messieurs Le Grand Alary, Bernier et Fafard ainsi que madame Laberge, nous vous remercions et nous espérons avoir le plaisir de vous entendre de nouveau à ce comité.
Nous allons poursuivre notre séance dans le cadre de notre étude du projet de loi C-78.
[Traduction]
J’ai le plaisir cet après-midi d’accueillir une personne que nous apprécions beaucoup pour sa contribution à nos travaux, le professeur Nicholas Bala, de la faculté de droit de l’Université Queen’s. Je crois comprendre, professeur, que vous comparaissez au nom de l’Ontario Chapter of the Association of Family and Conciliation Courts, mais nous ne ferons pas la distinction entre cela, vos compétences et votre maîtrise du droit de la famille. En fait, nous gagnerons aux deux aspects de votre longue expérience. C’est avec beaucoup d’intérêt que le comité vous écoutera.
Nous avons également, par vidéoconférence, Linda C. Neilson, professeure émérite, de l’Université du Nouveau-Brunswick. Soyez la bienvenue, professeure. Merci de vous être rendue disponible cet après-midi.
Plus tard dans la séance, nous aurons John-Paul E. Boyd, directeur, John-Paul Boyd Arbitration Chambers, que nous essaierons de joindre par vidéoconférence.
Je ne veux pas retarder la séance. J’invite donc Nicholas Bala et, ensuite, Mme Nielson à présenter leur exposé.
[Français]
Nicholas Bala, professeur, faculté de droit, Université Queen’s, Ontario Chapter of the Association of Family and Conciliation Courts : C’est un plaisir d’être ici avec vous.
[Traduction]
Je suis professeur de droit depuis près de 40 ans et je travaille depuis longtemps sur des questions relatives au droit de la famille. En fait, je me trouvais ici à votre audience sur le projet de loi S-202. Il était très encourageant de voir à l’époque qu’on se préoccupait du fait que le gouvernement et le Parlement se penchaient de nouveau sur ces questions.
Comme je l’ai mentionné, je suis ici à titre personnel, mais aussi comme membre et au nom de l’Ontario Chapter of the Association of Family and Conciliation Courts, l’AFCC.
L’organisation internationale, l’AFCC-O, compte 5 000 membres dans le monde, y compris des juges, des médiateurs, des professionnels de la santé mentale, des avocats, des universitaires et des conseillers. Nous avons également une section ontarienne de plus de 400 membres, et je siège au conseil. Nous avons discuté et préparé un mémoire qui vous a été soumis, me semble-t-il. Je tiens à souligner que l’organisation compte parmi ses membres des juges et des fonctionnaires qui n’ont nullement participé à cette discussion.
Aujourd’hui, je me concentrerai sur les questions relatives au rôle parental. Comme vous l’avez sans doute remarqué, d’autres parties du projet de loi portent essentiellement sur des questions économiques et sur la Convention relative aux droits de l’enfant qui sont également très importantes.
Certaines questions ont été soulevées au sujet de la coopération fédérale-provinciale. Je sais le travail qu’accomplissent ensemble le gouvernement fédéral et les provinces. Les provinces sont très enthousiastes à l’idée de la mise en œuvre de ce projet de loi, non seulement en raison des parties relatives au rôle des parents, mais aussi en raison des parties qui faciliteront l’exécution du soutien et réduiront le coût de l’exécution du soutien.
En général, l’AFCC-O et moi-même demandons instamment qu’on agisse rapidement, à commencer par le ministre, comme il a été souligné dans nombre des observations formulées ici. Il y a beaucoup trop longtemps que nous n’avons pas examiné la Loi sur le divorce. Elle est complètement dépassée. On s’entend généralement pour dire qu’un changement s’impose. Malheureusement, c’est un peu comme une équipe de basketball professionnelle. Il y a longtemps que nous jouons et il ne reste que quelques minutes de jeu. J’exhorte le Parlement de manière générale à adopter ce projet de loi, quelque effort que cela demande.
Le projet de loi, comme on l’a dit plus tôt aujourd’hui, porte sur de nombreuses questions. L’une d’elles est d’essayer d’encourager les gens à régler les affaires à l’amiable. C’est très important, par la médiation et aussi par la négociation par l’intermédiaire d’avocats. Il faut reconnaître que le tribunal de la famille a un rôle important. En fait, comme il a été mentionné plus tôt, nos juges du tribunal de la famille passent à des cours unifiées de la famille. Beaucoup de juges qui s’occupent maintenant de ces affaires sont des avocats expérimentés spécialisés dans le droit de la famille. Ils savent résoudre les problèmes. Il leur arrive souvent, en fait, de servir de médiateurs dans des affaires qui sont devant les tribunaux et ils jouent un rôle important sur ce plan.
Par ailleurs, sur la question de la violence familiale, les cours jouent un rôle essentiel dans les affaires où il y a de la violence familiale en fournissant les protections voulues. La question de la Convention relative aux droits de l’enfant a été mentionnée. Il est très important que ce projet de loi reconnaisse spécifiquement l’importance du point de vue des enfants.
Lorsqu’on examine ce projet de loi, il est important de ne pas tendre à la perfection, mais de le comparer à ce que nous avons à présent parce que, s’il n’est pas adopté, nous revenons à ce que nous avons et qui ne mentionne pas la violence conjugale, le point de vue de l’enfant ou le déménagement important. Ce serait dommage qu’il ne soit pas adopté.
Je serai heureux de répondre à vos questions. J’ai écrit plusieurs articles sur le déménagement important, comme d’autres, qui encouragent vivement à apporter les changements prévus dans le projet de loi. On peut discuter précisément de ce qu’on aimerait voir. Est-ce que le libellé est parfait? Peut-être pas. À mon avis du moins, il n’est pas parfait, mais il est bien meilleur que ce que nous avons à présent.
Je sais que vous recevez demain d’éminents témoins. Je tiens à souligner deux points en réponse à cela. Tout d’abord, il y a des groupes favorables au partage à égalité du rôle parental. Je devrais dire que des questions ont été posées sur le contexte international. Peu de pays ont des dispositions qui prévoient le partage à égalité du rôle parental. Certains, comme l’Australie, qui allaient dans ce sens ont fait marche arrière. Ce genre de disposition est très problématique en ce qui concerne la violence familiale et il est très susceptible, dans ce cas, de provoquer des litiges.
Le projet de loi encourage plus de participation des deux parents. Nous parlons de partage des responsabilités parentales, mais pas à parts égales. La violence conjugale pose des problèmes. Je sais que la professeure Neilson en parlera.
Je le répète, ce projet de loi représente une nette amélioration par rapport à ce que nous avons. Il reconnaît que la sécurité des enfants est la principale considération. Nous reconnaissons certes que la violence familiale est un problème social fortement sexospécifique. Cependant, nous aurions des réserves à le mentionner de manière explicite dans la loi, étant donné que tout le message ici est que chaque cas doit être évalué objectivement, en tenant compte de la nature particulière de la vie de l’enfant et de la famille.
En réalité, certaines mères sont violentes. Elles le sont plus que les pères ou sont les seules à être violentes. D’un point de vue social, pour ce qui est des services, nous n’avons presque que des refuges pour femmes. Il existe, au fait, quelques refuges pour les hommes qui viennent avec leurs enfants. C’est pourquoi il serait problématique de l’inscrire dans la loi.
Un dernier sujet de préoccupation qui a été soulevé concerne la note marginale à l’article 16.6 du projet de loi, la disposition sur le maximum de temps parental. Je n’ai jamais entendu de très bonne explication de ce choix de termes, « maximum de temps parental », autre qu’une raison historique. Le paragraphe 16(10) actuel de la Loi sur le divorce contient les mots « maximum de communication ». Je crois que quelqu’un s’est dit, « Oh, nous passons du concept de communication au concept de temps parental. Glissons les termes temps parental. » Premièrement, je trouve que les termes « maximum de temps parental » ne rendent pas fidèlement l’idée du tout. Deuxièmement, ils sont très trompeurs et potentiellement dangereux, selon l’interprétation qu’on en fera.
L’Arizona utilise les termes « maximum parenting time » dans sa loi. Cela l’a fortement poussé vers une présomption de temps parental égal, ce qui n’est pas l’intention. Il n’y a pas de présomptions, mais il y a le titre. Heureusement, nos juges auront la sagesse de ne pas aller dans cette direction, mais le titre est, à mon sens, très problématique.
Ce qui amène une question intéressante : pouvons-nous modifier le titre? Il me semble qu’on vous a dit que le titre ne fait pas partie du projet de loi. Qui le modifie? D’où vient-il? Vous avez des conseillers législatifs qui peuvent régler cette question. Franchement, on pourrait abandonner complètement l’article 16.6. Il n’ajoute rien au projet de loi qui met déjà l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
Si vous vouliez amender le projet de loi afin d’ouvrir la question du titre, de « maximum de temps parental », vous pourriez remplacer « allocating » dans l’anglais par « scheduling ». C’est une question intéressante.
Je crois comprendre que les conseillers législatifs ne modifient le titre qu’en cas de changement de fond, même si on peut se demander où et pourquoi il en est ainsi. Pouvez-vous écrire une lettre disant qu’on a le mauvais titre? Comme je le dis, je n’ai pas entendu d’explication convaincante du choix du terme « maximum » dans ce titre. J’ai entendu une bonne défense de la disposition de fond. C’est une chose dont vous devez vous occuper. J’aimerais, en fait, voir le projet de loi retardé à cause de cela.
Le titre me semble problématique. J’ai toute confiance que la justice examinera une affaire tranchée il y a plusieurs années, Young c. Young, qui porte sur le sujet.
En conclusion, nous appuyons certainement le projet de loi. Nous avons vu beaucoup de changements dans le système de justice familiale. Le projet de loi prend en compte, d’une certaine manière, la façon dont les juges et les avocats traitent ces affaires. Il contient des changements importants. Il a sans doute été mentionné qu’une recherche en vue d’examens est nécessaire. Le ministère de la Justice devrait, et j’espère qu’il le fera, surveiller la mise en œuvre afin d’en rendre compte au Parlement.
Des contradictions entre les lois fédérale et provinciales ont été mentionnées. Les provinces devront changer leurs lois et modifier les règles. Certaines des questions soulevées au sujet de la mise en œuvre du projet de loi sont de bonnes questions. Elles relèvent dans une large mesure de la compétence provinciale. En Ontario, il faudra des changements. Les gouvernements en sont bien conscients, à mon avis.
Le projet de loi n’est pas la panacée. Ce n’est pas comme si les gens allaient arrêter d’appeler leur sénateur et leur député pour leur dire qu’ils n’auront pas de problème avec le système judiciaire s’il est adopté. Il continuera d’y avoir des problèmes, mais c’est une nette amélioration. Nous demandons instamment au Parlement d’adopter ce projet de loi avant les élections. Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Bala. Nous allons demander à Mme Neilson du Nouveau-Brunswick de nous faire part de ses observations sur le projet de loi C-78.
Linda C. Neilson, professeure émérite, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : J’analyse les changements proposés à la Loi sur le divorce du point de vue de la violence familiale et du droit de la famille. J’ai consacré une grande partie de ma carrière à essayer d’améliorer les réponses juridiques dans ces cas. C’est véritablement le contexte de mes observations.
J’ai adressé un mémoire au Sénat sur le projet de loi C-78. Je pense que vous en avez une copie. J’y souligne, et je souligne encore, que le projet de loi apporte des changements positifs qui seront bénéfiques pour les familles canadiennes. J’y indique aussi, toutefois, qu’il pourrait être amélioré à trois égards, c’est-à-dire en ce qui concerne l’égalité homme-femme, la protection des femmes contre la violence sexiste et les obligations envers les enfants aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies.
Tous ces problèmes pourraient parfaitement être réglés, et je propose des solutions dans mon mémoire. Cependant, mes observations aujourd’hui portent sur quelques changements : premièrement, des changements à la disposition sur l’intérêt supérieur de l’enfant à l’alinéa 16(3)c); deuxièmement, la reformulation des facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant à prendre en compte dans les cas de violence familiale à l’alinéa 16(3)j); troisièmement, l’inclusion dans la définition d’un énoncé disant clairement que la violence familiale dans le foyer d’un enfant est une forme de maltraitance de l’enfant; et quatrièmement, une reformulation mineure de la disposition relative au point de vue de l’enfant afin qu’elle soit conforme à la Convention de l’ONU.
Commençons, tout d’abord, par l’alinéa 16(3)c), qui est ainsi libellé :
... la volonté de chaque époux de favoriser le développement et le maintien de relations entre l’enfant et l’autre époux;
Nous sommes tous d’accord qu’aucun parent ne devrait compromettre la relation positive d’un enfant avec l’autre parent. Le problème est que cette disposition, dans sa formulation actuelle, peut porter préjudice aux femmes et aux enfants dans les cas de violence familiale et dans d’autres cas où l’enfant n’entretient pas de relation fiable et favorable avec l’autre époux.
Favoriser le développement de la relation d’un enfant avec l’autre époux après le divorce n’est pas toujours dans l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple, lorsque l’époux n’a pas joué de rôle dans la vie de l’enfant, s’il est violent, agressif ou adopte des pratiques parentales qui nuisent à l’enfant. La disposition encourage une non-acceptation de responsabilité ou l’idée que « si je ne réussis pas à développer une relation positive avec mon enfant, ça doit être la faute de mon époux ».
L’autre crainte est que ce libellé incite les femmes et les enfants victimes de violence à se taire et les empêche de solliciter des restrictions quand la relation n’est pas bénéfique. Les conséquences négatives lorsque des tribunaux punissent les femmes et les enfants si ces derniers s’opposent au contact avec l’autre parent sont maintenant documentées.
Je préférerais la suppression de cette disposition. Sinon, on peut, selon moi, la reformuler ainsi :
... la volonté de chaque époux de favoriser le développement de relations entre l’enfant et l’autre époux, dans la mesure où la relation est dans l’intérêt supérieur de l’enfant;
Ce changement protégerait les enfants, tout en réduisant certaines des conséquences négatives possibles de cette disposition.
Deuxièmement, l’alinéa 16(3)j) est formulé de façon inappropriée. Il est contre-indiqué dans un contexte de violence familiale de tenir compte de la volonté d’un agresseur de prendre soin de l’enfant comme étant un facteur relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les auteurs de violences sont très disposés à solliciter une large responsabilité parentale. Pourquoi? Parce que le contrôle des responsabilités permet de contrôler la famille.
D’un point de vue éclairé par la recherche, la principale préoccupation est ce que la violence familiale nous dit des compétences parentales de l’agresseur. Les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant dans un contexte de violence familiale devraient être formulés par rapport à l’intérêt de l’enfant, pas par rapport à la volonté de l’auteur de violences. Vous trouverez aux pages 7 et 8 du mémoire une reformulation possible.
Troisièmement, une disposition dans la définition précisant que la violence familiale est une forme de maltraitance de l’enfant aiderait à corriger les hypothèses erronées du système juridique selon lesquelles la violence conjugale cause des préjudices aux femmes sans nuire directement aux enfants. L’ajout de cette simple disposition contribuerait beaucoup à corriger des idées fausses et à faire en sorte que l’accent soit mis comme il convient sur les besoins et l’intérêt des enfants dans les cas de violence familiale.
Quatrièmement, l’alinéa 16(3)e) devrait être révisé afin que son libellé soit conforme à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies. Le projet de loi C-78 demande de prendre dûment en considération l’opinion de l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité.
Autrement dit, le projet de loi C-78 édulcore le droit de l’enfant de voir son point de vue dûment pris en considération. Il suffirait de changer légèrement le libellé de la disposition pour qu’elle soit conforme à celui de la convention.
Je tiens à vous remercier de votre temps et à vous adresser mes meilleurs vœux dans le travail important que vous accomplissez.
Le président : Merci beaucoup, professeure Neilson. Restez des nôtres. Je suis certain que mes collègues voudront échanger des points de vue sur vos propositions également.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse au professeur Bala. J’aimerais revenir sur un des éléments que vous avez soulevés ainsi que sur votre recommandation concernant le titre du paragraphe 16(6). Je crois que plusieurs personnes ont un problème avec le temps parental maximum. Je vous remercie de votre mise en contexte, qui découle de la disposition actuelle et qui introduit une nouvelle réalité, et peut-être même un nouveau concept de temps parental maximum.
J’aimerais que vous précisiez davantage l’autre possibilité que vous avez évoquée, c’est-à-dire le retrait complet du paragraphe 16(6), et pas seulement son titre. Vous avez dit que cela ne changeait ni n’ajoutait rien, et que, selon vous, on pouvait même le retirer complètement sans compromettre l’objectif de la loi. Ai-je bien compris?
[Traduction]
M. Bala : Je vous remercie de poser cette question. À partir, en particulier, de l’article 16.1 et dans tout le projet de loi, le seul facteur qui devrait être pris en considération est l’intérêt supérieur de l’enfant. Je ne pense pas que ce paragraphe ajoute quoi que ce soit.
Je remercie vivement la professeure Neilson de ce qu’elle a dit. Je suis probablement d’un avis légèrement différent, mais c’est intéressant parce que le paragraphe 16(10) actuel lie le fait que « l’enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt » à la volonté de chaque personne de favoriser cette relation en déterminant l’intérêt supérieur.
Le projet de loi sépare cela en deux. En fait, il réduit sensiblement le poids de cette deuxième disposition dite de l’approche amicale du rôle de parent. La professeure Neilson propose, en fait, de très bons termes pour amender l’alinéa 16(3)c) afin de renvoyer de nouveau spécifiquement à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il me semble approprié d’avoir quelque chose comme l’alinéa 16(3)c) dans le projet de loi pour favoriser la relation avec l’autre parent. Il y a toujours des compromis en ceci qu’il existe des cas manifestes où la violence et la menace sont telles qu’il faut suspendre la relation.
Inversement, dans de nombreuses situations, il n’y a pas de menace de violence et les parents s’escriment à compromettre la situation de l’autre. La tension tient au fait que nous avons l’aliénation, les mauvais traitements et la violence. S’il n’y avait qu’un élément, il serait facile de dire d’aller tous d’un côté. Il faut trouver un équilibre.
C’est une bonne chose que le projet de loi tel qu’il est parle de la préoccupation au sujet des conflits et du danger des conflits. Il dit aussi que les conflits et la violence sont deux choses différentes. Certes, les conflits peuvent être pour quelque chose dans la violence, mais il existe aussi des conflits sans violence. Il incombe d’une certaine manière aux deux parents, à leurs conseillers professionnels et aux juges d’essayer de les aider à réduire les conflits qui les opposent et à se concentrer sur l’intérêt de l’enfant.
Le projet de loi va nettement dans ce sens. Comme je le dis, l’article 16.5 ne me paraît pas ajouter quoi que ce soit à l’article 16.1.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’aimerais poser la même question à la professeure Neilson, mais formulée différemment. Professeure Neilson, pour ce qui est de l’alinéa 16(3)c), vous recommandez d’ajouter « to the extent that the relation is in the interest of the child ». Est-ce que vous voyez un problème potentiel entre l’alinéa 16(3)c), et le paragraphe 16(6) dont nous venons de parler?
[Traduction]
Mme Neilson : J’approuve, dans l’ensemble, les commentaires du professeur Bala sur l’article 16.6. Une des difficultés que nous rencontrons dans la recherche est que, souvent, l’article est interprété d’une manière qui n’est pas prévue. On l’interprète souvent comme une présomption.
Les tribunaux doivent tenir compte de la situation individuelle de chaque enfant et parvenir à la meilleure issue possible pour l’enfant sans aucune présomption. Du moment que nous avons dans le projet de loi des directives indiquant ce que les juges et les avocats doivent prendre en considération lorsqu’ils réfléchissent à la solution optimale pour les enfants, je suis d’accord avec le professeur Bala que la suppression de l’article ne serait pas un problème négatif.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’aimerais poser une question complémentaire, monsieur le président.
Au paragraphe 16(6), il est question de la présomption qui, à mon avis, représente un problème. Si on dit, au paragraphe 16(1), que le critère dominant est l’intérêt de l’enfant et que l’on tient uniquement compte de l’intérêt de l’enfant, est-ce que, en proposant le paragraphe 16(6), on ne crée pas une garantie relativement aux droits des parents qui n’est pas nécessairement compatible avec l’intérêt de l’enfant?
Autrement dit, au paragraphe 16(6) on crée une garantie indiquant que chaque époux dispose d’un miminum de temps. Est-ce que l’intérêt de l’enfant garantit à chacun des époux un minimum de temps avec l’enfant, particulièrement dans un contexte de violence familiale? On peut même imaginer qu’il soit impossible d’assurer une relation avec un parent violent.
[Traduction]
Mme Neilson : En effet, cette disposition est problématique dans les cas de violence familiale. Souvent, les tribunaux examineront la violence familiale lorsqu’ils décident de la garde. Cependant, le projet de loi cherche davantage à maximiser le temps parental. Ce qui peut arriver, c’est que les tribunaux ne prêtent pas suffisamment attention aux besoins en matière de sécurité et de bien-être de l’enfant en ce qui concerne l’accès.
En effet, la disposition pose des problèmes dans les cas de violence familiale.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous souhaite la bienvenue. Ma question s’adresse à M. Bala. Tout le monde sera d’accord pour dire que le cadre légal des unions, que ce soit entre deux personnes de même sexe ou de sexe différent, a évolué à grande vitesse depuis 20 ans. Le mariage conventionnel tel qu’on le connaissait au début du siècle est de moins en moins la voie que choisissent deux personnes pour former un couple.
Au Québec, les mariages conventionnels sont maintenant minoritaires lorsqu’on les compare aux unions libres et aux unions civiles. Cela cause beaucoup d’iniquité lors de la séparation du couple, surtout pour les femmes. Nous avons vu des cas assez dramatiques au Québec où, après 20 ou 30 ans de vie commune sans légalisation formelle de l’union par mariage, ces femmes se retrouvent dans des situations très pénibles sur le plan économique. On pense que, d’ici 20 ou 30 ans, une très petite minorité de gens vont choisir le mariage pour former une union.
La Loi sur le divorce va donc peut-être toucher une minorité de gens. Va-t-on laisser aux provinces, par l’intermédiaire de la common law ou du Code civil, la responsabilité de légiférer dans le domaine des unions, qu’elles soient libres ou civiles? Le gouvernement fédéral ne devrait-il pas revoir de manière beaucoup plus approfondie la Loi sur le divorce et l’appeler plutôt la Loi sur la séparation, afin que l’ensemble des couples qui vivent ensemble pendant 10, 15 ou 20 ans aient un cadre légal pour protéger leurs droits et ceux de leurs enfants?
[Traduction]
M. Bala : Vous avez soulevé deux questions importantes. Premièrement, il existe une tension entre la façon dont les provinces traitent les couples qui ne sont pas mariés et ceux qui sont mariés et divorcent. Cela existe et a existé au Canada dans beaucoup de provinces, sauf au Québec. On reconnaît bien les droits et obligations des partenaires non mariés. En fait, dans plusieurs provinces, ils sont traités de manière identique.
Le Québec est un cas particulier. Je connais le Rapport Roy et d’autres auxquels il a été fait référence, et d’autres parlent de changer cette situation. Dans un cas qui lui était soumis, la Cour suprême du Canada a confirmé de justesse la distinction faite au Québec entre les couples mariés et non mariés. La décision a été rendue par cinq voix contre quatre. La Cour suprême était d’avis qu’il appartient à la province du Québec, à son assemblée législative, de décider dans ce domaine. J’ai écrit quelque chose à ce sujet. Je suis tout à fait favorable au type de changements préconisés par le professeur Roy.
Je ne crois pas que nous assisterons jamais à la disparition du mariage dans ce pays, mais nous verrons bien. Il est certain que le taux de mariages baisse considérablement. À ce stade, le gouvernement fédéral se trouverait face à un problème constitutionnel relatif aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle, s’il essayait de légiférer au sujet des couples non mariés.
Ce serait assurément incompatible avec une modification de cet amendement important mais relativement mineur. Si on décidait de s’occuper des couples non mariés à ce stade, je crois qu’on soulèverait énormément de problèmes. La question est importante, mais je ne pense pas que ce soit la façon de la régler.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je pense que ce projet de loi va rafraîchir une loi qui ne l’a pas été depuis 40 ans. C’est presque mon âge, comme je le disais. Ne devrait-on pas inscrire un amendement dans la loi actuelle afin qu’elle soit révisée aux 5 ans plutôt que dans 30 ans? Il y a une évolution rapide dans notre société. Des changements qui, autrefois, prenaient 50 ans se font maintenant en 3 à 5 ans. Les changements sociaux sont très rapides. Ne devrait-on pas dire que, tous les cinq ans, on va réviser la Loi sur le divorce?
[Traduction]
M. Bala : Oui. Une des choses qui m’inquiètent, et vous y avez fait allusion tout à l’heure, c’est que le droit de la famille est un domaine du droit extrêmement important. Beaucoup de gens sont concernés. Le droit pénal est également très important, mais si vous le considérez par rapport au nombre de personnes réellement concernées, on parle de moins de Canadiens que dans le cas du droit familial.
Naturellement, sans doute pour des raisons politiques, le Parlement se concentre sur le droit pénal et le droit de la famille est mis de côté, y compris les questions de ressources, la recherche et l’attention parlementaire. Quand le comité sénatorial étudiait le projet de loi S-202, il est appréciable qu’il ait eu une incidence positive considérable. Je serais personnellement favorable à ce qu’on le précise. La loi devrait être révisée au moins tous les cinq ans. C’est, à mon avis, très sain, notamment pour une loi qui touche beaucoup de citoyens de manière si profonde.
Je suis très sensible au fait que le ministre ait déclaré que, de tous les projets de loi qui vous sont soumis, celui-ci est prioritaire. Du point de vue du nombre de personnes et de l’incidence sur les enfants et sur notre avenir, c’est probablement vrai. C’est injuste parce que c’est important, mais par rapport au nombre de personnes concernées, c’est cela qui aurait la plus grande incidence.
Le sénateur Dalphond : Je n’ai pas de question. Je suis très heureux des réponses.
J’allais poser une question constitutionnelle. Malheureusement, le droit civil relève de la compétence provinciale. À titre d’exception, les Pères de la Confédération estimaient que le mariage et le divorce devraient être fédéraux. C’était l’exception et le reste était provincial.
Le président : Comme vous êtes l’auteur du projet de loi, puis-je vous inviter à commenter les propositions faites par la professeure Neilson au sujet de certains articles de la loi?
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de nouveau de votre présence. Il me semble que nous avons organisé en mars une conférence où vous vous êtes adressée à quelques sénateurs. Vos observations sont très appréciées.
Je comprends que nous pourrions améliorer le texte, mais je crois comprendre à lire votre mémoire que si cela compromet le projet de loi, nous devrions le faire adopter, au lieu de jouer à la roulette. C’est le message que je retiens de la première page de votre mémoire.
Le président : Professeure Neilson, avez-vous entendu les commentaires du sénateur Dalphond?
Mme Neilson : Me demandiez-vous d’y répondre?
Le sénateur Dalphond : Oui. Je me demandais si j’ai bien résumé votre point de vue.
Mme Neilson : J’aimerais que quelques amendements soient apportés au projet de loi. Il est important de saisir maintenant l’occasion de l’améliorer. En revanche, je ne veux pas qu’il soit rejeté.
Il y a là une tension qui peut être résolue. Je préférerais, comme je le dis, modifier le texte pour remédier à certaines faiblesses du projet de loi, en partie parce qu’il se passe tellement de temps entre les moments où nous l’examinons. Si nous n’apportons pas les changements maintenant, nous risquons de nous retrouver avec des problèmes pendant de nombreuses années. C’est une tension pour moi.
Le sénateur Dalphond : Peut-être que cela montre une fois de plus que nous avons besoin de commissions de réforme du droit pour que les choses bougent. Malheureusement, nous en avions une qui faisait du bon travail, mais qui a été abolie pour économiser quelques dollars.
M. Bala : Nous avons dissous deux commissions de réforme du droit au niveau fédéral. Je ferai observer que nous sommes à un moment très intéressant de la démocratie canadienne en ceci qu’il est évident que le Sénat a un rôle. Sur certaines questions, je crois que cela nous place, la professeure Neilson et moi-même, dans une situation peu enviable, car nous ne savons pas quel genre de discussions vous avez avec vos collègues de l’autre Chambre, comme on dit.
Nous sommes à un moment où il peut être possible d’arriver à quelques amendements dans ce projet de loi et dans d’autres. Le Sénat y est déjà parvenu dans quelques projets de loi, mais cela nécessite une analyse qui dépasse certainement ma compétence pour vous dire quelle direction il prendra.
La sénatrice Dasko : Il me semble que notre problème est un manque de volonté d’apporter des changements dans les délais qui nous sont actuellement impartis. Certains d’entre nous souhaiteraient des changements. Même si nous parvenions à adopter des amendements au comité, le texte doit retourner à l’autre Chambre, puis revenir ici et, malheureusement, étant donné le temps qui nous reste, nous sommes pris entre l’arbre et l’écorce.
J’aimerais revenir à la question que j’ai posée à des témoins précédents. Je voudrais être un peu plus précise au sujet de la révision éventuelle de la loi, car nous ne l’avions pas examinée depuis 1985. La société évolue rapidement. Ces dispositions ont considérablement changé. J’essayais de comprendre en parlant avec le groupe précédent.
Vous avez tous deux beaucoup d’expérience dans ce domaine. Quel serait un délai raisonnable et adapté à l’évolution sociale à venir? Je ne sais pas si vous avez des commentaires sur le processus d’amendement. Je crois que c’est vraiment notre problème, mais nous devons essayer de le juger aussi parce que nous ne voulons pas le perdre non plus.
M. Bala : Il y a eu plusieurs tentatives et des projets de loi déposés pour modifier les dispositions de la Loi sur le divorce. Il me semble qu’on a mentionné qu’il y a eu quelques problèmes dans la principale étude du comité en 2018. En fait, des projets de loi ont été déposés deux ou trois fois.
Beaucoup de professionnels, qu’il s’agisse de juges, d’avocats, de médiateurs ou de conseillers, déclarent être déjà passés par là. En fait, tout le monde à l’extérieur dit que le Parlement n’en viendra jamais à bout, qu’il manque de temps.
On a essayé avant. C’est pourquoi les gens disent que si le choix est entre ce texte et rien, qu’on prenne ce texte. Tout comme les lecteurs des journaux, il semble qu’il y ait un peu de latitude. C’est comme un match de basketball, comme je le disais. On est dans les 15 dernières secondes, mais la partie est très serrée. Je ne sais pas quelles sont vos options.
Quant à savoir quand on devrait réviser les lois, bien des projets de loi prévoient un examen quinquennal. En fait, les lignes directrices relatives au soutien des enfants adoptées en 1997 étaient révisées tous les cinq ans, ce qui est très logique. C’est plus qu’une législature, mais ce n’est pas un temps infini. La bonne chose avec un examen, c’est que s’il est prévu par la loi, le ministère de la Justice doit commencer à l’étudier dès le premier jour.
Il n’est pas présent ici. Je tiens à souligner que Justice Canada travaille d’arrache-pied et ainsi de suite. Si nous ne devons rien ajouter et qu’il n’y a pas de disposition prévoyant un examen, ce ne sera pas une priorité. Si on regarde en arrière, le droit de la famille est toujours le parent pauvre du système judiciaire. Heureusement, il y a des progrès. Les cours unifiées de la famille représentent un enjeu majeur.
Pour être juste avec le gouvernement ou avec les responsables, les questions familiales peuvent être très litigieuses. Il arrive qu’on ne s’en occupe pas parce qu’elles le sont trop, et alors, on choisit quelque chose de moins litigieux. Heureusement, je vivrai assez longtemps pour voir une autre série d’examens et voir comment ils se déroulent.
Bon nombre des questions soulevées sont valides, mais nous devrons voir comment les tribunaux appliqueront les dispositions. Nous devrons voir comment les provinces les mettent en œuvre, quel genre de ressources seront attribuées et quel type de loi elles auront. Un examen quinquennal serait approprié.
Le président : Professeure Neilson et professeur Bala, voici une question qui s’adresse peut-être à vous deux.
En ce qui concerne la question que vous avez soulevée, professeure Neilson, nous nous trouvons dans une situation pénible où quoi que nous fassions, ce sera mauvais. Pourrions-nous exprimer dans des observations les préoccupations que vous avez exprimées en ce qui a trait aux alinéas 16(3)j et 16(3)e)? Nous pourrions demander au ministère de nous donner sa position par rapport à votre interprétation.
Le comité pourrait ajouter quelques observations pour indiquer que si l’interprétation doit être donnée de ces alinéas, voici l’intention des législateurs et, au moins, votre question ne serait pas perdue. Les parties qui se retrouvent devant un tribunal, un médiateur ou un arbitre auraient au moins une base sur laquelle contester ou lever une partie de l’incertitude que vous mentionniez. Cela pourrait aider et être gardé en référence dans toute autre initiative visant à réviser la loi.
Autrement dit, ce que le comité pourrait ajouter ou annexer à ses remarques pourrait être utile et être examiné par les tribunaux et ultérieurement par ceux qui sont chargés de la loi au ministère.
Comme vous le savez, professeure Neilson et professeur Bala, vous pourriez même être associés dans vos provinces respectives quand il y aura une réunion des ministres ou des sous-ministres de la Justice fédéraux et provinciaux à ce sujet. Ce pourrait être une question soulevée par le Sénat et les législateurs.
Ce serait utile pour régler cette situation difficile. Dans ce cas, le mieux est l’ennemi du bien. J’essaie de voir avec vous ce que nous pouvons faire pour être certain que les honorables sénateurs réunis autour de cette table prennent en compte des préoccupations valides que vous avez exprimées.
M. Bala : Je suis sûr que je vais dire la même chose que la professeure Neilson, ou peut-être pas. Encore une fois, il s’agit d’une avancée reposant sur un bon compromis. Force est de souligner que les tribunaux canadiens ont toujours déclaré se moquer de ce que les politiciens disent. Certes, ce que dit le comité peut être important dans vos conclusions, dans la mesure où vous pouvez citer le ministre. D’ailleurs, à beaucoup d’égards, il disait comment ce projet de loi devrait être interprété, par exemple au sujet du maximum de temps parental. Ces citations pourraient se révéler très importantes. Vous avez une transcription et ainsi de suite. Je vous encourage donc à penser à cette possibilité.
Le président : Je suis certain que les représentants du ministère de la Justice sont dans la salle. Je leur ai demandé de rester afin de pouvoir les appeler à la table pour réagir aux propositions et aux observations que vous formulez en tant que spécialistes du domaine.
Mme Neilson : Je pense que ce serait utile. Ce n’est pas aussi idéal qu’un changement au libellé de certains articles, mais je crois qu’il serait bon d’adopter cette approche.
Le président : Surtout parce que vous avez proposé un autre libellé qui pourrait éclaircir l’intention des législateurs. C’est ce que nous essayons de faire au comité. Nous essayons d’inscrire dans la loi une façon de tenir compte du principe de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies.
C’est de cela que nous voulons nous assurer, que le projet de loi en tienne clairement compte. C’est fondamental pour le libellé du projet de loi ou son principe conceptuel. Peut-être qu’en annexant vos propositions en ce qui concerne la manière dont le projet de loi devrait être interprété conformément à la convention internationale, cela pourrait aider les personnes qui l’utiliseront ou s’y référeront pour résoudre la situation qu’il est censé aider à résoudre.
Mme Neilson : En effet, je pense que cela pourrait être utile.
Le président : Je vous remercie. À moins que le professeur Bala souhaite ajouter quelque chose.
M. Bala : Non. C’était un privilège d’être parmi vous et de partager le temps de parole avec la professeure Neilson. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Professeure Neilson et professeur Bala, j’espère que le Sénat pourra poursuivre dans un très proche avenir son étude, sa réflexion et sa contribution à l’amélioration du droit de la famille. L’intérêt ne manque pas des deux côtés de la Chambre à ce sujet.
Comme vous le disiez, il s’agit probablement d’un domaine du droit dans lequel chacun de nous a un intérêt, à moins de vivre seul sur une île comme Robinson Crusoé. Même lui a trouvé Vendredi. Nous sommes tous confrontés à cette situation à un moment dans notre vie. Je vous remercie d’avoir pris le temps aujourd’hui de contribuer à notre réflexion.
Mme Neilson : Je remercie infiniment le Sénat d’étudier attentivement cette question.
Le président : Je vous remercie
(La séance est levée.)