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Journaux du Sénat

47 Elizabeth II, A.D. 1998, Canada

Journaux du Sénat


Numéro 63 - Appendice

Le mardi 26 mai 1998
14h00

L'honorable Gildas L. Molgat, Président


Comité sénatorial permanent des transports et des communications

Rapport minoritaire

des

sénateurs conservateurs

au sujet du

projet de loi C-9, Loi maritime du Canada

Introduction

Nous, sénateurs conservateurs membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, croyons que le projet de loi C-9, en l'occurrence la nouvelle Loi maritime du Canada proposée, pourrait avoir des effets tellement dévastateurs sur les ports canadiens que nous estimons nécessaire de faire connaître publiquement nos préoccupations à l'occasion de la troisième lecture du projet de loi C-9.

Le projet de loi C-9 répartit les ports canadiens en trois groupes : les grands ports, qui deviendront des administrations portuaires canadiennes; ceux de plus petite envergure, c'est-à-dire les ports communautaires, dont on se départira; et les ports éloignés, qui demeureront sous l'égide de Transports Canada. De même, le projet de loi C-9 prévoit la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent et des traversiers en plus de modifier la Loi sur le pilotage.

Le principal inconvénient du projet de loi tient au fait qu'il n'établit ni ne maintient de règles du jeu équitables en ce qui concerne les ports appartenant aux deux premières catégories, en l'occurrence les nouvelles administrations portuaires proposées et les ports de plus petite envergure devant faire l'objet d'une cession. Il est impossible de départager les ports actuellement en activité au Canada en deux groupes distincts puis de couper les liens que ceux-ci ont toujours entretenu avec le gouvernement fédéral par l'intermédiaire de Transports Canada. Les problèmes et les obstacles auxquels est confronté le port de Halifax ne sont pas les mêmes que ceux qui se posent au port de Prince Rupert ou à celui de Vancouver, même si tous sont des ports côtiers.

Le même argument peut s'appliquer aux petits ports visés par le programme de cession du gouvernement. Chacun d'entre eux est unique et répond aux besoins nombreux et variés de l'agglomération qu'il dessert. Leur survie dépend de l'amélioration de leurs installations et du dragage, qui est invariablement effectué aux frais du gouvernement fédéral. Si certains de ces ports réalisent effectivement des bénéfices annuels, ceux-ci ne sont pas suffisants pour leur permettre d'assumer le coût des améliorations qui doivent constamment être apportées à leurs installations. Ces dépenses sont nécessaires pour poursuivre l'exploitation des ports en question et permettre, du même coup, aux agglomérations voisines de prospérer.

De fait, le paragraphe 5 d) de la Loi sur les transports au Canada reconnaît cette nécessité :

Les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région.

La redistribution de la richesse en faveur des régions ayant des besoins économiques particuliers, par l'intermédiaire du gouvernement fédéral, constitue l'un des principes à l'origine de la création et de la prospérité de notre pays. Si les transports et le maintien de voies de communication ont joué un rôle déterminant dans l'adhésion de certaines provinces à la Confédération, l'avenir de bon nombre d'agglomérations côtières canadiennes et de celles situées à proximité de nos voies navigables intérieures dépend maintenant du maintien et de l'amélioration de ces voies de communication par l'intermédiaire du réseau portuaire canadien.

Nous, sénateurs conservateurs, sommes donc en désaccord avec la démarche actuelle du gouvernement en ce qui a trait aux ports canadiens, puisqu'elle fait complètement fi du caractère unique de chaque port et des défis qui les attendent à l'aube du nouveau millénaire. L'adoption d'une politique « unique » applicable à l'ensemble des ports canadiens ne tient pas compte des réalités propres à notre pays.

Préoccupations précises concernant le projet de loi C-9

Lors de leur témoignage devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, bien des représentants des ports visés par la PARTIE I portant sur les administrations portuaires canadiennes, et des petits ports assujettis aux dispositions de la PARTIE 2 relatives à la cession, ont fait état de nombreuses réserves.

Le point de vue du maire de la ville de Corner Brook, à Terre-Neuve, est représentatif des témoignages recueillis auprès des représentants des petits ports :

Comme je l'ai dit et répété tout au long du présent exposé, la ville de Corner Brook s'inquiète vivement des effets néfastes que la cession de notre port pourrait avoir sur notre ville et notre région. Du point de vue du fonctionnement, le port de Corner Brook est relativement viable, mais il n'est pas autonome en ce qui a trait aux immobilisations. Comme je l'ai mentionné précédemment, le gouvernement fédéral a dépensé environ 17 millions de dollars au cours des dix dernières années pour améliorer nos installations portuaires. Malgré ces importantes dépenses, d'autres travaux d'entretien doivent encore être effectués pour réparer le quai au bassin de Corner Brook. Il est fort peu probable qu'un exploitant du secteur privé aurait les moyens d'assumer des dépenses de cette ampleur ou serait prêt à investir autant.

Dans un mémoire écrit, un conseiller de la ville de Georgetown, à l'Île-du-Prince-Édouard, exprime des préoccupations semblables.

Ni moi ni le conseil municipal de Georgetown ne souhaite que le gouvernement fédéral se départisse du port.

Le fait qu'un fonds de 125 millions de dollars ait été mis à la disposition des ports dont les installations ont besoin d'être améliorées ne suffit pas à nous rassurer. Même si le ministre des Transports affirme qu'il sollicitera d'autre financement auprès du Conseil du Trésor si ce fonds vient à être épuisé, rien ne garantit que l'argent sera disponible au moment où on en aura besoin. De même, les dépenses faites à partir du fonds doivent être ponctuelles et ne peuvent servir qu'à rendre le port conforme aux normes minimales et non aux normes commerciales. Cet aspect préoccupe particulièrement les représentants du port de Sept-Îles.

Le problème posé par un fonds semblable est illustré dans un mémoire écrit de la Pugwash Village Commission de la Nouvelle-Écosse.

Un Fonds d'aliénation de 125 millions de dollars est à la disposition des associations communautaires qui souhaiteraient atténuer l'incidence du processus d'aliénation, mais notre petite localité n'est pas admissible à ce programme. Le quai de Pugwash n'y a pas droit du fait que c'est une installation rentable. Ce fonds ne nous sera d'aucun secours. Est-il juste d'exercer une discrimination à l'égard d'un petit village comme Pugwash parce que son quai a rapporté de l'argent au gouvernement fédéral?

Par conséquent, même si ce programme semble extraordinaire en théorie, son application pratique ne règle pas les problèmes qu'il est censé résoudre.

D'autres préoccupations au sujet du projet de loi ont été exprimées par la Commission portuaire de Port Alberni, qui soutient que l'effet conjugué des appointements que la nouvelle administration portuaire devra verser au gouvernement fédéral et qui seront calculés en fonction des revenus bruts, et des subventions que le port devra verser à la municipalité en compensation des impôts fonciers menacera la viabilité économique du port. Port Alberni est d'avis que les appointements destinés au gouvernement fédéral devraient être calculés en fonction des revenus bruts. Cette position est défendue par bon nombre d'autres témoins.

Au sujet des subventions versées en compensation des impôts fonciers, le port de Nanaïmo propose de retarder l'adoption du projet de loi C-9 jusqu'à ce que l'on ait mis au point une formule pour calculer le montant de ces subventions et que les ports connaissent la portée de leurs obligations.

De nombreux témoins se sont dits insatisfaits du mode de représentation des utilisateurs des ports au sein des conseils d'administration des administrations portuaires. En vertu du projet de loi C-9, ceux-ci en sont expressément exclus. Les témoins estiment que les utilisateurs devraient pouvoir faire partie de ces conseils et qu'en cas de conflit, il leur suffirait de déclarer leur intérêt dans le conflit en question.

La société Prince Rupert Grain et la ville de Prince Rupert ont porté à notre attention un vice particulier du projet de loi. Alors que les droits exigés par les ports doivent, en vertu du projet de loi C-9, faire l'objet d'un examen au moment de la création de la nouvelle administration portuaire, les baux ne sont assujettis à aucune exigence semblable. Les témoins en question estiment que le projet de loi devrait être modifié pour faire en sorte que cet examen s'applique de façon générale et, en particulier, au bail à long terme détenu par la société Prince Rupert Grain.

Le cas du port de Halifax illustre de façon on ne peut plus éloquente les conséquences injustes de la théorie de l'« application générale » dont s'est inspiré le gouvernement pour créer les administrations portuaires. Le projet de loi C-9 empêche les administrations portuaires d'obtenir des subventions gouvernementales à l'égard de la mise en oeuvre de projets et de solliciter des garanties gouvernementales pour obtenir les fonds nécessaires à l'amélioration de leurs immobilisations. Le port de Halifax s'est doté d'un plan d'aménagement qui, lorsqu'il aura été mené à terme, lui permettra de concurrencer efficacement tous les ports de la côte Est au chapitre du trafic maritime des conteneurs de la Post-Panamax. Selon le témoignage des représentants de la Halifax Port Development Corporation et de la Halifax Shipping Association devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, les revenus annuels du port sont insuffisants pour lui garantir l'obtention du prêt nécessaire à la réalisation du réaménagement en question.

Pour régler ce problème, il ne suffit pas de dire, comme l'a fait le ministre des Transports, que le port de Halifax n'a qu'à donner en gage ses immobilisations. Le ministre des Transports est incapable d'expliquer pourquoi la Voie maritime du Saint-Laurent pourra continuer à emprunter à même le Trésor pour améliorer ses immobilisations, alors que le port de Halifax n'y sera pas autorisé. La seule raison invoquée pour expliquer cette différence de traitement est que la Voie maritime du Saint-Laurent se compare à une autoroute et doit, à ce titre, être traitée différemment.

Il a également été question au cours de nos délibérations de la question de la protection de l'environnement. M. Franklin Gertler du Centre québécois du droit de l'environnement et Mme Marie Anne Bowder, vice-doyenne de la Faculté de droit de l'Université de la Saskatchewan, ont tous deux exprimé de graves réserves au sujet de ce projet de loi et de ses répercussions en matière d'environnement. Ainsi, en vertu du projet de loi C-9, il pourrait se produire un vide juridique si la Loi sur la protection des eaux navigables devait être abrogée avant que les règlements devant être pris en vertu de la Loi sur l'évaluation environnementale n'entrent en vigueur. Les ports et leurs utilisateurs se retrouveraient ainsi dans une position précaire étant donné l'absence de protection en matière environnementale.

Modifications proposées par les sénateurs conservateurs

Toutes les raisons susmentionnées expliquent pourquoi nous avons présenté 14 amendements lors de l'étude article par article du projet de loi C-9 par le Comité des transports et des communications. Pour plus de sûreté, nous les avons annexés au présent rapport.

Les amendements en question préconisent l'adoption de mesures pour élargir les objectifs du projet de loi de façon à inclure la promotion du transport maritime au nombre des éléments clés du développement économique régional et à assurer la protection économique voulue aux régions où des ports doivent être cédés.

Nous avons aussi recommandé une façon de procéder pour choisir les utilisateurs des ports appelés à faire partie des conseils d'administration des administrations portuaires. Nous avons proposé un amendement pour modifier les appointements versés au gouvernement fédéral par les administrations portuaires afin que leur montant soit calculé en fonction des revenus nets plutôt qu'en fonction des revenus bruts des ports.

Nous avons aussi tenté d'obtenir que les baux à long terme conclus entre les utilisateurs et les ports fassent l'objet d'un examen en vertu du projet de loi, au même titre que les droits.

Un autre proposition d'amendement vise à donner au ministre par voie de règlement le pouvoir de venir en aide aux administrations portuaires aux prises avec des difficultés économiques. De même, en ce qui a trait aux petits ports, nous proposons de retarder la cession tant que son impact économique sur le port et la région environnante n'aura pas été examiné et que les installations portuaires n'auront pas été rendues conformes aux normes commerciales et ce, aux frais du gouvernement fédéral.

Nous avons par ailleurs proposé un amendement pour obliger le ministre à consulter la province et les municipalités concernées lors de la modification de services de traversier.

Nous avons aussi proposé de retarder l'entrée en vigueur du projet de loi quatre semaines après le dépôt par le Comité sénatorial des transports et des communications de son étude sur l'impact financier de la cession des ports.

Enfin, nous avons proposé un amendement pour abroger le mécanisme de protection de l'environnement inefficace proposé dans le projet de loi C-9.

Tous les amendements proposés ont été défaits par la majorité libérale au sein du Comité sénatorial des transports et des communications.

Lettre du ministre des Transports en date du 13 mai 1998

Le lendemain de l'étude article par article du projet de loi C-9 par le Comité sénatorial, au cours de laquelle tous les amendements proposés par les sénateurs conservateurs ont été défaits, une lettre du ministre des Transports adressée au président du Comité sénatorial nous est parvenue. Cette lettre visait à rassurer les ports visés par le processus de cession.

Nous, sénateurs conservateurs membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, ne sommes pas rassurés par cette lettre. Le ministre et, à vrai dire, les sénateurs libéraux membres du Comité, ont eu l'occasion de modifier le projet de loi C-9 et d'inclure dans la loi des mécanismes pour protéger les ports canadiens. Or, ils ont choisi de rejeter les amendements en question. La lettre du ministre libéral, qui est celui-là même qui a parrainé le projet de loi C-9, n'a rien de rassurant. Nous estimons qu'en plus de n'offrir aucune garantie aux petites installations portuaires canadiennes, elle passe tout à fait outre aux enjeux auxquels sont confrontés certains des ports appelés à devenir des administrations portuaires, en particulier aux difficultés évoquées par le port de Halifax.

Conclusion

Les sénateurs conservateurs membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications sont amèrement déçus de l'attitude de la majorité libérale au sein du Comité. En rejetant des amendements constructifs qui auraient été grandement utiles à l'ensemble des ports canadiens et en se retranchant derrière une lettre du ministre des Transports, ils ont fait preuve d'un manque de respect envers le point de vue exprimé par les témoins venus comparaître devant le Comité.

Le projet de loi C-9 renferme une disposition d'examen automatique. Nous surveillerons de près les répercussions du projet de loi C-9 sur les ports canadiens de façon à pouvoir contribuer positivement à l'examen de ce projet de loi. Nous espérons qu'une fois terminé et déposé au Sénat, le rapport d'examen exigé par l'article 144 sera renvoyé au Comité sénatorial des transports et des communications pour fins d'étude.

Respectueusement soumis,

Le sénateur J. Michael Forrestall, vice-président, Comité des transports et des communications
Le sénateur John Buchanan
La sénatrice Janis Johnson
Le sénateur Fernand Roberge
La sénatrice Myra Spivak


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