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Journaux du Sénat

55 Elizabeth II, A.D. 2006, Canada

Journaux du Sénat
(non revisé)

1re session, 39e législature


Numéro 57 - Annexe

Le mercredi 6 décembre 2006
13 h 30

L'honorable Noël A. Kinsella, Président


Le mercredi 6 décembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

CINQUIÈME RAPPORT

Votre Comité, auquel a été déféré le Projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, le Code criminel, la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le casier judiciaire, a, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 22 juin 2006, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

DONALD H. OLIVER


Annexe

Projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale,
le Code criminel, la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le casier judiciaire

Observations du Comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles

Fournir à la police les outils permettant d'enquêter sur des crimes de nature sexuelle est un objectif louable. Votre comité appuie donc les méthodes et les objectifs généraux du projet de loi S-3. Nous avons cependant quelques préoccupations en ce qui concerne plusieurs de ses détails.

Nous nous soucions du grand pouvoir discrétionnaire octroyé au chef d'état-major de la défense (CEMD) quant à la suspension temporaire de l'obligation légale d'un délinquant de se conformer à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour des « raisons opérationnelles ». Aucun critère relatif à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire n'est présenté, et il n'y aucune limite à la période durant laquelle des « raisons opérationnelles » peuvent s'appliquer. Bien que le CEMD soit tenu de déclarer les décisions relatives à la suspension des droits et des obligations relatifs à l'enregistrement auprès du ministre de la Défense nationale, l'avis survient après les faits et l'approbation du ministre n'est pas requise.

Nous désirons également exprimer nos préoccupations à l'égard de la capacité du chef d'état-major de la défense d'accorder à un délinquant une dispense de se conformer à l'article 6 de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, qui exige que le délinquant sexuel avise le préposé à la collecte du bureau d'enregistrement s'il doit s'absenter de son lieu de résidence habituel durant plus de 14 jours. Le CEMD peut décider d'exempter une personne de cette obligation si la communication de renseignements concernant ses allées et venues risque de compromettre la sécurité nationale, les relations internationales ou la sécurité d'une opération. La question est de savoir si les autorités locales seraient un jour ou l'autre informées de la présence sur leur territoire d'un délinquant sexuel, susceptible d'être affecté à différents emplacements tout au long de sa carrière militaire. Si ce n'est pas le cas, l'objectif même du registre des délinquants sexuels, qui est de fournir aux forces policières locales un outil supplémentaire pour enquêter sur des crimes de nature sexuelle, serait miné.

Bien que cette question ne soit pas soulevée dans le projet de loi S-3 en tant que tel, votre comité souhaite souligner l'importance de prendre en considération l'expulsion des membres des Forces canadiennes (FC) accusés d'infractions sexuelles graves. Une telle possibilité devrait être envisagée, peu importe la valeur de leur contribution militaire. Votre comité cherche à éviter la situation dans laquelle un délinquant sexuel reconnu retourne dans la même unité où se trouve encore sa victime. Nous souhaitons rappeler au CEMD qu'une telle décision d'expulser ne devrait pas être influencée par l'intoxication volontaire d'un délinquant, qui ne constitue nullement une excuse pour toute atteinte à l'intégrité corporelle d'une autre personne. Le code pénal est clair à ce sujet.

Il semble y avoir un manque de clarté en ce qui concerne le moment où le fonctionnement du registre des délinquants sexuels doit être examiné par le Parlement. L'examen de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels doit débuter d'ici décembre 2006, tandis que le projet de loi S-3 stipule que certaines parties de la loi et certains articles de la Loi sur la défense nationale et du Code criminel portant sur l'enregistrement des délinquants sexuels doivent être examinés deux ans après l'entrée en vigueur de la loi. Il semble y avoir un chevauchement des efforts qui pourrait être éliminé par un examen unique de l'ensemble du registre des délinquants sexuels, qu'ils soient civils ou militaires.

Enfin, en ce qui concerne l'objet général du projet de loi, soit le système de justice militaire (bien que cela ne touche pas directement ses modalités), nous souhaitons attirer l'attention sur trois affaires récentes qui soulèvent de graves préoccupations au sujet d'aspects importants du système actuel. Votre comité est d'avis que ces affaires devraient être prises en compte par le ministre de la Défense nationale pour la prise de mesures ultérieures.

Dans l'affaire R. c. Nystrom (2005 CMAC 7), la Cour d'appel de la cour martiale a soulevé certaines préoccupations concernant l'article 165.14 de la Loi sur la défense nationale. Cet article stipule que, lors de la mise en accusation, le directeur des poursuites militaires détermine le type de cour martiale devant juger l'accusé. Les membres des FC ont toujours bénéficié de tous les droits normalement conférés aux citoyens canadiens qui font l'objet d'une poursuite criminelle. Toutefois, dans le contexte militaire, la poursuite a le choix du mode d'instruction, alors que si un membre des FC était poursuivi devant un tribunal civil pour la même infraction, le choix du mode d'instruction lui incomberait. Le droit de choisir le mode d'instruction est reconnu comme un principe de justice fondamental.

R. c. Parsons (2005 CM 16) est un contentieux d'une cour martiale sur une requête faite par un membre des Forces canadiennes lié à la nature inconstitutionnelle de certains aspects des dispositions obligatoires et réglementaires qui régissent la Cour martiale permanente créée par la Loi sur la défense nationale. Plus précisément, le caporal Parsons a plaidé que le cadre juridique lié aux juges militaires qui président la Cour martiale permanente ne respecte pas le principe d'indépendance judiciaire et devrait donc être annulé pour défaut de se conformer à l'article 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 11(d) stipule que tout inculpé a le droit d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable.

Dans cette affaire, la Cour a accepté qu'à certains égards, les dispositions ne passaient pas le test constitutionnel. Elle a donc annulé ou atténué certains aspects des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) en partant du fait que les dispositions compromettent l'inamovibilité des juges militaires.

L'affaire R. c. Joseph (2005 CM 41) (qui était semblable à trois autres requêtes) concernait également une vaste attaque des arrangements juridiques relatifs aux juges militaires et aux contraventions à l'article 11(d) de la Charte. La Cour a maintenu que le mandat fixe de cinq ans (renouvelable) stipulé dans la Loi sur la défense nationale ne constitue pas une inamovibilité suffisante pour garantir l'indépendance et l'impartialité nécessaires au rôle judiciaire moderne et étendu des juges militaires et que ces juges devraient demeurer en fonction jusqu'à l'âge de la retraite.

Dans les affaires Parsons et Joseph, la Cour a également conclu que le pouvoir des autorités militaires de relever un membre des FC de son service militaire s'appliquait aux juges militaires et affectait également leur inamovibilité en violation de la Charte. Les deux tribunaux ont déclaré que la disposition des ORFC ne n'appliquait pas aux juges militaires.

Les affaires susmentionnées renvoient au Rapport Lamer (2003), qui présente un examen du fonctionnement du projet de loi C-25. Ce projet de loi, entré en vigueur en 1999, portait sur plusieurs aspects du système de justice militaire. Dans son rapport, l'ancien juge en chef du Canada a fait plusieurs recommandations, dont certaines à l'égard des juges militaires. Entre autres recommandations, les juges militaires devraient obtenir une inamovibilité jusqu'à l'âge de leur retraite des FC, et leur salaire annuel devrait être établi dans la Loi sur la défense nationale, de même qu'une formule pour l'ajustement et la révision périodiques des salaires.

Votre comité a approuvé le projet de loi S-3, mais il a d'importantes préoccupations en ce qui concerne le fonctionnement du système de justice militaire. Il recommande que le ministre de la Défense nationale considère les recommandations faites dans le Rapport Lamer comme étant prioritaires.


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