Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 27
Le mardi 11 mai 2010
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- Les Nations Unies
- Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport national
- Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport sur l'examen périodique universel
- Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport sur l'examen périodique universel additif
- Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport de la onzième session
- Transports et communications
- Les Nations Unies
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mardi 11 mai 2010
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Lu Yongxiang, vice-président du Comité permanent du Congrès national du peuple de la République populaire de Chine, ainsi que des membres de la délégation qui l'accompagnent.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale également la présence à la tribune de M. Gifford Cooke, président de Cooke Aquaculture Inc. et de Mme Margery Cooke, de St. George, au Nouveau-Brunswick, ainsi que de M. Greg Dunlop et Mme Peggy Dunlop, de Quispamsis, au Nouveau-Brunswick.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je souligne également la présence à la tribune de M. Hans van Baalen, président de l'Internationale libérale et chef de la délégation libérale hollandaise au Parlement européen, ainsi que de M. James Patava, conseiller politique de l'Internationale libérale. Ils sont tous les invités de notre collègue, le sénateur Poulin.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président : Enfin, mais il ne s'agit certainement pas des moindres, je suis heureux de vous signaler la présence à la tribune de Mme Anne Keon et de membres de la famille Keon.
Des voix : Bravo!
[Français]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Hommages
L'honorable Wilbert J. Keon, O.C.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, en vertu de l'article 22(10) du Règlement du Sénat, le leader du gouvernement a demandé que la période des déclarations de sénateurs soit prolongée aujourd'hui afin de rendre hommage à l'honorable sénateur Wilbert Keon, qui prendra sa retraite le 17 mai 2010.
[Traduction]
Je rappelle aux sénateurs que, conformément au Règlement, les interventions des sénateurs ne peuvent dépasser trois minutes et que les sénateurs ne peuvent prendre la parole plus d'une fois.
Êtes-vous d'accord pour que nous consacrions la période des déclarations de sénateurs à nos hommages au sénateur Keon?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Nous disposerons donc de 30 minutes pour les hommages, sans compter le temps alloué à la réponse du sénateur Keon.
Le temps qu'il restera après ces hommages sera consacré à d'autres déclarations.
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, nous vivons une journée qui arrive bien trop tôt. Je crois que tous les sénateurs sont de cet avis.
Honorables sénateurs, après presque 20 années de service au Sénat du Canada, notre cher ami et éminent collègue, l'honorable sénateur et Dr Wilbert Keon, nous quitte et nous lui disons au revoir. Au nom de tous les sénateurs, je me permets de dire qu'il nous manquera énormément. Tout au long de sa carrière au Sénat et ailleurs, il s'est consacré à la cause de la santé et du bien-être non seulement des Canadiens, mais aussi de nos concitoyens de la planète.
On ne dira jamais assez ce que représente le sénateur Wilbert Keon pour la ville d'Ottawa et ses résidants. Il est né dans la vallée de l'Outaouais, à Sheenboro, au Québec. Il a obtenu son diplôme de l'école de médecine de l'Université d'Ottawa et, après des études à l'Université Mc Gill, à l'Université de Toronto, puis à Harvard, il est revenu à Ottawa en 1969 afin de créer l'Institut de cardiologie d'Ottawa. Fondé en 1976, l'institut est devenu le plus grand et le plus important établissement de santé voué au traitement et à la prévention des maladies cardiovasculaires au Canada.
Le rêve du Dr Keon est devenu réalité et son œuvre a permis d'améliorer la vie d'innombrables personnes — en fait, il est difficile d'en estimer le nombre exact. Il a apporté sa contribution non seulement à notre chère ville d'Ottawa, mais aussi aux quatre coins du Canada et de la planète.
Le Dr Keon a été un bâtisseur dans le domaine de la médecine cardiovasculaire. On lui a décerné de nombreux prix, notamment la plus haute distinction que l'Association médicale canadienne puisse décerner, le prix Starr. Il a également été reçu au Temple de la renommée médicale canadienne. La citation du Temple de la renommée médicale canadienne souligne entre autres :
Ses collègues le voient comme un modèle et pour ses patients, il est l'essence même de l'esprit de compassion de la médecine.
(1410)
Comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, notamment lors de la réception qui a eu lieu au siège de l'Association médicale canadienne, si le Dr Keon avait été Américain, il aurait été nommé Homme de l'année par le magazine Time et sa photo se serait retrouvée en page couverture.
En septembre 1990, le Dr Keon a été nommé au Sénat du Canada par l'ancien premier ministre conservateur, le très honorable Brian Mulroney. Au cours des deux décennies ou presque qu'il a passées au Sénat, notre collègue a contribué de façon importante et durable aux travaux du Sénat, plus particulièrement en tant que membre de longue date du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le sénateur Keon a fourni un apport précieux au rapport préparé par le comité en 2002 sur le rôle du gouvernement fédéral dans le système de soins de santé, rapport auquel bon nombre d'entre nous ont également participé. J'ai eu la chance d'être vice-présidente du comité au moment où cette étude approfondie a été effectuée et je suis persuadée que tous les sénateurs qui y ont participé reconnaissent qu'elle a eu une influence plus durable sur la politique publique canadienne que tout autre rapport publié avant ou depuis ce temps.
Le sénateur Keon a occupé le poste de vice-président du comité pendant la période de l'étude sur la santé mentale, la maladie mentale et les toxicomanies au Canada, qui a été suivie par un rapport publié en 2006 sous le titre De l'ombre à la lumière. Tous les sénateurs qui ont participé à cette étude sont fiers du rôle important qu'ils ont joué en attirant l'attention du public sur ce problème pénible et souvent caché auquel des familles de partout au pays doivent faire face. Le Dr Keon a joué un rôle de chef de file en voyant à ce que ce rapport soit publié. Ce rapport a été à la base de la création, sous l'égide de notre gouvernement conservateur, de la Commission de la santé mentale du Canada dont notre ancien collègue, l'honorable Michael Kirby, est actuellement président.
Malgré toutes ses impressionnantes réalisations, le sénateur Keon demeure un homme réfléchi et attentionné, un homme charmant, au rire communicatif, que nous sommes tous heureux de connaître. Je suis persuadée que tous ceux d'entre nous qui n'ont pu s'empêcher de rire avec lui regretteront son absence.
C'est avec une tristesse considérable que nous disons aujourd'hui au revoir au sénateur Keon, mais, comme il habite à Ottawa, nous savons qu'il ne sera jamais très loin de nous.
Sénateur Keon, je vous assure de mon affection sincère et je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour le Sénat, le caucus conservateur, notre ville et notre grand pays. Votre épouse Anne et vous avez bien mérité une retraite heureuse, et je vous souhaite à tous deux la santé pour en profiter pleinement.
Je profite également de l'occasion pour saluer votre fils, Ryan, et votre belle-fille, Cindy, qui sont à la tribune en compagnie de vos petits-enfants et, bien sûr, votre fille, Claudia, qui est au Royaume- Uni, et votre fils, Neil, qui vit à Dallas.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, Hippocrate, celui qu'on appelle le père de la médecine, a apparemment dit que là où on aime l'art de la médecine, on aime également l'humanité. Hippocrate a vécu au IVe siècle avant l'ère chrétienne, mais ses paroles auraient tout aussi bien pu avoir été inspirées par le Dr Keon parce qu'elles correspondent parfaitement au travail de ce dernier.
Pour le sénateur Keon, la pratique de la médecine n'a jamais été surtout une question de procédures médicales, quel qu'en soit le raffinement ou le caractère novateur, mais d'abord et avant tout une façon d'aider les gens.
Compte tenu de la détermination du sénateur Keon à aider autrui, personne ne sera étonné d'apprendre que, en 1990, lorsque le premier ministre Brian Mulroney lui a demandé de siéger au Sénat, il a accepté l'invitation. Bien qu'arrivé à la Chambre haute à une période tumultueuse, plus précisément en plein débat sur la TPS, le sénateur Keon s'est rapidement mérité le respect de ses collègues des deux côtés de cette enceinte.
J'ai déjà souligné à diverses occasions l'exceptionnelle mine de talents et d'expériences qu'on trouve au Sénat et qui enrichissent notre institution d'une myriade de façons et qui permettent aux sénateurs de participer à l'élaboration des politiques publiques de façon à aider les Canadiens. Il va sans dire que le sénateur Keon illustre de façon exemplaire ce qu'il y a de mieux dans cette enceinte.
J'ajoute que la présence du sénateur Keon au Sénat s'est révélée réconfortante pour nous et pour nos familles. Il est rassurant de savoir que l'un des cardiologues les plus renommés au monde se trouve parmi nous. On ne sait jamais quand l'aide d'un tel spécialiste pourrait être utile.
Le sénateur Keon a siégé pendant presque 20 ans au Sénat. Pendant ce temps, il s'est dévoué à la cause de la santé de tous les Canadiens. Comme le sénateur LeBreton l'a mentionné, il a été un instigateur important des deux rapports historiques du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à savoir, en 2001-2002, l'Étude sur le système de soins de santé au Canada et le rapport novateur de 2006, intitulé De l'ombre à la lumière — La transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada. Ces deux rapports figurent parmi les meilleurs jamais présentés dans cette enceinte. Dans la meilleure tradition sénatoriale, ils portaient sur des enjeux cruciaux pour le Canada et ont contribué à faire progresser le débat sur ces questions.
L'année dernière, le sénateur Keon assumait la vice-présidence du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, qui a présenté le rapport intitulé Le vieillissement de la population, un phénomène à valoriser. Un mois après avoir pris la parole dans cette assemblée pour parler de ce rapport, il reprenait la parole en qualité de président du Sous-comité sur la santé des populations du Comité des affaires sociales pour présenter un autre rapport intitulé Un Canada en santé et productif : Une approche axée sur les déterminants de la santé.
Comme le disait le Dr Keon en 2007 :
Le système de soins de santé est un des facteurs déterminants de la santé, mais il compte très peu dans l'état de santé global de la population. Pour avoir une population en santé, il est important d'éliminer la pauvreté, du moins la pauvreté qui a des répercussions sur la nutrition, et pour réduire la pauvreté, il faut des logements adéquats et des installations scolaires convenables.
Honorables sénateurs, vous comprenez maintenant pourquoi j'ai commencé mon exposé en citant Hippocrate. Voici un homme amoureux de l'art de la médecine du fait de son amour pour l'humanité.
Sénateur Keon, nous sommes tous fiers d'avoir siégé avec vous dans cette enceinte. Nous avons occupé des sièges opposés, nous avons eu nos désaccords de temps en temps, mais il est évident que nous partageons le même objectif : œuvrer dans le but de permettre aux Canadiens de vivre le mieux possible, en santé.
Vous serez remplacé, mais il est réconfortant de savoir que la tradition politique de la famille Keon se poursuivra après la prochaine élection. En effet, Ryan se joindra à notre caucus en qualité de nouveau député libéral de Nepean—Carleton.
Sénateur Keon, vous allez nous manquer. Nous vous adressons nos meilleurs vœux, ainsi qu'à Anne et à vos trois enfants, Claudia, Ryan et Neil, sans oublier vos six petits-enfants et celui qui est déjà en route.
Félicitations, et merci infiniment.
L'honorable Lowell Murray : Honorables sénateurs, pour un Canadien, être nommé sénateur est un honneur et un privilège sans pareils. Cependant, la nomination de certaines personnes apporte également honneur et renommée à notre Chambre et au Parlement. Nous pouvons tirer une grande fierté des succès de l'honorable Wilbert Keon. Il a commencé à siéger en septembre 1990. Le sénateur Cowan a décrit à juste titre cette période comme tumultueuse, même s'il ne siégeait pas encore dans cette enceinte à l'époque.
Les médias à Ottawa n'ont pas compris que la nomination était des plus judicieuses; motivés par leur méchanceté obsessive et parfois même pathologique à l'endroit du premier ministre de l'époque, ils ont épanché tout leur venin, toute leur amertume, sur le sénateur Keon, encourageant ainsi les éléments plus extrêmes de la société à en faire autant.
C'était un court et honteux chapitre de notre histoire politique. Notre nouveau collègue, qui a dû être secoué par une telle introduction à la vie politique, a enduré les critiques avec stoïcisme. Vingt ans plus tard, ces diatribes médiatiques délirantes semblent pitoyables et ridicules si on les compare à la contribution du sénateur Keon à la politique publique.
En examinant le bilan de ces deux dernières décennies, il m'est apparu clairement que la contribution du sénateur Keon n'a rien d'étonnant étant donné les grandes réalisations académiques et professionnelles dont il peut se vanter. Le plus étonnant, cependant, est le nombre et la portée inouïs des études et rapports du Sénat auxquels il a apporté une contribution considérable grâce à sa grande concentration et à sa grande minutie.
Soit dit en passant, le sénateur Keon a de nombreuses opinions non publiées — impossibles à publier, d'ailleurs, pour des raisons politiques — concernant diverses questions de politique publique. Je l'assure que celles-ci ont été soigneusement consignées mais ne seront pas divulguées ce soir; elles resteront dans les archives nationales du Canada pour le divertissement et l'édification des générations futures.
À la demande de notre ancien collègue, le sénateur Norman Atkins, je me dois également d'ajouter que celui-ci a une grande dette envers le sénateur Keon. En effet, selon lui, le prolongement considérable de son espérance de vie est entièrement attribuable aux soins professionnels du sénateur Keon; je me permets simplement d'ajouter que, si c'est vrai, le sénateur Keon a beaucoup de comptes à rendre.
Je suis certain que nous en connaissons tous beaucoup plus, et avons des opinions beaucoup plus tranchées, sur les nombreux enjeux de santé dont le sénateur Keon a parlé en cette enceinte — du tabac, le sujet d'une de ses premières déclarations, à la démence, plus récemment. Les exposés cliniques toujours concis et parfois impromptus sur ces questions et d'autres sont toujours très appréciés.
(1420)
Le sénateur Keon nous a impressionnés par ses connaissances et son expérience. Bien qu'il dise qu'il ne pratique plus activement sa profession, il nous fournit toujours les renseignements les plus à jour.
La contribution du sénateur Keon au Sénat, tout comme dans sa carrière professionnelle, a été d'une excellence incomparable. Ce fut un honneur de le compter parmi nous et de l'avoir comme collaborateur depuis 20 ans.
L'honorable W. David Angus : Honorables sénateurs, un jour, en septembre 1990, le premier ministre Brian Mulroney m'a confié ceci : « Je vais nommer Keon au Sénat. Qu'en penses-tu? »
« C'est une excellente idée », me suis-je exclamé. « Davey Keon a toujours été mon joueur préféré et a longtemps été un solide pilier des Maple Leafs. »
« Non, non, David », m'a-t-il répondu, « pas Davey Keon. Je parle de son cousin éloigné, le brillant chirurgien cardiaque d'Ottawa, reconnu dans le monde entier; il s'agira d'une véritable nomination non partisane et cela fera plaisir aux gens, ne crois-tu pas? Sans compter que c'est un remarquable Québécois d'origine irlandaise. »
Honorables sénateurs, M. Brian Mulroney avait tout à fait raison; cette nomination était une merveilleuse idée.
Depuis 20 ans, comme mes collègues l'ont déjà dit, la seule présence du Dr Wilbert Joseph Keon a vraiment enrichi le Sénat. Par sa dignité, sa sagesse, son intégrité, son professionnalisme et son affabilité, il a donné l'exemple aux sénateurs des deux côtés de cette enceinte. Le sénateur Keon a toujours travaillé avec diligence et ardeur et il a beaucoup contribué au Canada dans divers domaines, et pas seulement dans les domaines liés à la médecine et à la recherche.
De plus, le sénateur Keon est un ami, une source de réconfort, un médecin et, oui, même un chirurgien pour plusieurs d'entre nous au Sénat.
Honorables sénateurs, je suis certain que vous conviendrez que Willie Keon est un monsieur très spécial, le genre de personne que les Pères de la Confédération avaient certainement en tête en songeant à la nomination par un premier ministre lorsqu'ils ont créé cet endroit-ci. Oui, j'ai dit « nomination ».
J'ai travaillé très peu en comité avec le sénateur Keon, si ce n'est que très brièvement au Comité du Règlement durant la courte période au cours de laquelle il en a été président, il y a deux ans. Toutefois, nous avons été amis, voisins et complices au neuvième étage de l'édifice Victoria pendant plus d'une décennie. Certains de nos exploits doivent être tus, mais nous avons, ensemble, mené une vigoureuse campagne pour obtenir du gouvernement des fonds supplémentaires requis de toute urgence pour la recherche médicale au Canada. Malheureusement, les universitaires manquent cruellement de fonds. Hélas, nos résultats, jusqu'à maintenant, ont été mitigés et plutôt décevants. Nous avons sympathisé et nous nous sommes liés pour remplir cette mission capitale, mission qui demeurera une préoccupation centrale pour notre collègue, qui tire sa révérence, et je sais fort bien que sa retraite ne sera qu'apparente. En réalité, le sénateur Keon exercera dorénavant plus de pression que jamais pour que la recherche médicale au Canada soit mieux et suffisamment financée.
Honorables sénateurs, le Dr Keon croit ardemment — comme il l'a cru toute sa vie avec raison — que la santé et le bien-être de tous les Canadiens, surtout nos enfants et petits-enfants, sont en jeu. Par conséquent, souhaitons tous au sénateur Keon beaucoup de succès dans son travail pour cette noble cause et assurons-le de notre soutien indéfectible dans ses efforts pour atteindre son objectif.
Sénateur Keon, que Dieu vous bénisse, et merci pour ces 20 années mémorables de service public incomparable. Vous nous manquerez à tous.
[Français]
L'honorable Rose-Marie Losier-Cool : Honorables sénateurs, je voudrais à mon tour dire tout le bien que je pense du sénateur Keon, qui nous quittera lundi prochain pour une retraite que certains trouvent peut-être bien méritée, mais que je considère impensable.
En effet, je n'arrive pas à croire que cette sommité de la médecine, cet homme si affable, si raisonné et si engagé, puisse décider de rester chez lui à se tourner les pouces. Il a encore tellement à offrir, à contribuer à la société canadienne et nationale que je suis certaine qu'il cache quelque part une, sinon deux, ou même plusieurs activités professionnelles ou bénévoles qui le tiendront tout aussi occupé qu'au Sénat.
Sur une note plus personnelle, je vous remercie très sincèrement, sénateur Keon, de la gentillesse et de l'exquise courtoisie que vous m'avez toujours montrées et de votre disponibilité, tout particulièrement lorsque vous étiez vice-président du Comité sénatorial permanent des langues officielles et que vous avez pris la relève d'une présidente en convalescence, après deux chirurgies provoquées par une mauvaise chute.
[Traduction]
Sénateur Keon, ce fut pour moi un honneur de travailler et de rire avec vous. Votre courtoisie, votre impartialité et votre intelligence nous manqueront beaucoup dans cette enceinte, beaucoup plus que vous ne le croyez.
Merci d'être ce que vous êtes et d'avoir accompli tant de choses. Je vous souhaite une longue vie active, et prospère, et la santé pour en profiter après votre départ du Sénat.
L'honorable Ethel Cochrane : Honorables sénateurs, je tiens, moi aussi, à rendre hommage à un homme remarquable, mon ami, le sénateur Willie Keon.
Bien qu'il ait connu une carrière impressionnante en tant que chirurgien cardiologue et chercheur de renommée mondiale, je le considère d'abord et avant tout comme un pionnier en matière de soins de santé et comme un guérisseur. Tous ceux qui ont eu l'honneur de travailler avec lui au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie peuvent témoigner de sa passion et de sa volonté de bâtir un meilleur système de soins de santé pour tous les Canadiens. Il a aidé à guider le comité dans le cadre d'études marquantes sur la santé mentale et le système de soins de santé, et il est le visionnaire qui a inspiré l'étude novatrice sur la santé des populations.
La liste des réussites et des consécrations professionnelles du Dr Keon semble interminable. Au nombre de ses nombreuses innovations cliniques, on trouve la première greffe cardiaque à Ottawa et la première greffe du cœur chez un enfant au Canada. Il a été décoré, entre autres, de l'Ordre du Canada, de l'Ordre de l'Ontario et de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand par le pape Jean- Paul II.
En réfléchissant à ce que je voulais dire aujourd'hui au sujet de mon honorable collègue, je me suis rappelé les nombreux exemples qui illustrent bien l'engagement du Dr Keon envers la santé et envers tous ses semblables. Il était toujours prêt à aider, n'importe où, n'importe quand.
Je me souviens d'un cas en particulier où l'intervention du Dr Keon a permis à une mère de 39 ans de recevoir le diagnostic dont elle avait besoin et de subir la chirurgie appropriée. Cette femme souffrait d'une maladie rarement diagnostiquée. Je peux dire sans équivoque que plusieurs personnes sont vivantes et de nombreuses familles sont encore ensemble aujourd'hui grâce aux gestes posés par cet homme remarquable.
Honorables sénateurs, en lisant sur la carrière de notre estimé collègue, j'ai remarqué que les gens utilisaient souvent le mot « saint » pour le décrire. Je crois que l'homme d'affaires Rod Bryden a bien exprimé ce sentiment lorsqu'il a dit : « Ottawa n'a jamais été aussi près d'avoir un saint parmi ses citoyens. Il a fait des miracles pour la ville en général et, bien sûr, pour un grand nombre de personnes. »
Honorables sénateurs, malgré les réussites et les consécrations, le Dr Keon demeure l'une des personnes les plus humaines, les plus humbles et les plus pragmatiques qu'on puisse connaître.
Willie, je vous remercie d'avoir choisi de cultiver la compassion, la force morale et les qualités de meneur. Vous avez changé le cours des choses dans bien des vies, et nous en sommes tous plus riches. Nous avons été chanceux de vous compter parmi nous depuis 1990, et je ne sais pas ce que nous ferons sans vous. Je vous assure que vous nous manquerez énormément.
Je vous remercie de toute l'aide que vous m'avez apportée au fil des ans. Je vous souhaite, à vous, à Anne et à vos enfants, encore beaucoup de belles années en bonne santé.
L'honorable Lucie Pépin : Honorables sénateurs, nous soulignons aujourd'hui le départ prochain d'un collègue qui a beaucoup apporté à notre institution. Ces 20 dernières années, le sénateur Keon nous a fait bénéficier de sa vaste expérience et d'un sens élevé de l'engagement envers ses compatriotes.
(1430)
Il est évident que sa contribution va manquer énormément au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sein duquel j'ai travaillé avec lui depuis 1997. Au comité, comme du reste au Sénat, le sénateur a beaucoup contribué à notre compréhension des maladies.
Les rapports de comité auxquels le sénateur Keon a largement contribué ont amélioré des politiques portant sur le mieux-être des Canadiens et des Canadiennes. Comme d'autres l'ont dit, le sénateur Keon a joué un rôle énorme dans la production du rapport Kirby, dans celui sur la santé publique, mais également dans notre rapport sur la santé mentale.
Le sénateur Keon a dirigé l'étude du Sous-comité sur la santé des populations, qui proposait une approche axée sur les déterminants de la santé. Le rapport d'étude a été bien accueilli. J'espère que nos collègues parlementaires vont finir par s'approprier ses conclusions pour qu'on s'attaque enfin aux causes profondes de la maladie au Canada.
Je retiens du sénateur Keon l'image d'une personne d'une grande rigueur intellectuelle. Avec son sens de l'humour très feutré, le sénateur Keon a le don de recentrer le débat et de ramener tout le monde sur terre. Avec la précision et l'assurance du chirurgien qu'il a été, le sénateur allait droit au but et ne s'éloignait jamais de l'essentiel. Ce pragmatisme du sénateur est un exemple fort utile pour les politiques, qui veulent toujours tout régler d'un coup.
L'excellente disposition du sénateur Keon pour le travail en équipe lui permettait d'aller au-delà de nos différences politiques pour se concentrer sur notre but commun, soit d'améliorer le quotidien des Canadiens et des Canadiennes.
Sénateur Keon, nous perdons un grand joueur dans notre équipe. Merci encore pour toutes ces longues années que vous avez si loyalement consacrées à notre système de santé et à la médecine. Bonne chance dans la prochaine étape de votre vie, qui, j'en suis sûre, sera tout aussi occupée. Je suis convaincue que vous continuerez de vous consacrer à l'amélioration des services de soins de santé avec le même dévouement et la même efficacité. N'oubliez pas tout de même de prendre soin de vous. Bon vent, cher ami.
L'honorable Hugh Segal : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour contester l'idée même que le Dr Keon prenne sa retraite. Des sénateurs comme le Dr Wilbert Keon ne prennent jamais leur retraite. Ils ne s'effacent même pas. Ils vont simplement travailler ailleurs, et restent au service de la société. Il continuera toujours à nous garder vigilants.
J'étais au Sénat depuis deux ou trois jours à peine lorsque j'ai entendu le Dr Keon pour la première fois; il avait alors pris la parole pour nous rappeler l'existence d'une maladie dont c'était la journée nationale. C'est d'ailleurs une habitude qu'il a gardée. À l'époque où je m'assoyais dans la deuxième rangée, il était à ma droite, et le sénateur Murray était juste devant moi. Dès qu'il se levait pour prendre la parole, le sénateur Murray me disait : « Écoutez bien, Segal, car voici le bon docteur qui va nous apprendre l'existence d'une autre maladie à vous glacer le sang. »
Je me souviens bien sûr du fameux rire contagieux auquel le leader du gouvernement faisait allusion, et je dois dire que j'ai moi-même réussi à le provoquer à une occasion. Le Dr Keon nous faisait un exposé sur les gras trans, lorsque j'ai lancé : « Pourquoi est-ce qu'on ne se branche pas tous sur intraveineuse et qu'on ne renonce pas tous aux aliments solides, il me semble que ce serait plus simple, non? » Il a immédiatement éclaté de rire. Quel beau souvenir.
Le sénateur Keon est un homme de compassion. Lorsque les sans- cœur qui nous dirigent l'ont cavalièrement délogé de la place qu'il occupait dans la deuxième rangée, entre le sénateur Meighen et moi, pour le faire asseoir sur le banc de devant, il est revenu nous voir, le sénateur Meighen et moi, pour nous dire qu'il ne faisait plus aucun doute que notre carrière politique était dès lors terminée. En fait, non seulement nous pouvions dire adieu à notre carrière politique, mais c'en était également terminé des conseils médicaux gratuits. S'il suffit de se donner la peine de vérifier pour constater qu'il avait bien raison et que notre carrière politique est bel et bien derrière nous, je dois cependant dire que le sénateur Keon a généreusement offert de nous conseiller sur la marche à suivre pour lui redonner vie.
Le sénateur Keon n'est pas de la trempe de ceux qui prennent leur retraite. Pouvez-vous l'imaginer en train de se demander à quoi il pourrait consacrer son temps, et non son argent? J'en doute, car je vous rappelle qu'il a fait don de la totalité de son salaire à l'Institut de cardiologie d'Ottawa durant ses 16 premières années passées au Parlement, un précédent qui n'a — Dieu merci — pas fait de petits, mais qui nous donne une bonne idée de l'homme qu'il est.
Nul ne songerait à lui contester la paternité des Instituts de recherche en santé du Canada, qu'il partage chaleureusement avec le Dr Henry Friesen, du Conseil de recherches médicales, avec le premier ministre Brian Mulroney, qui a donné le coup d'envoi, et avec le premier ministre Chrétien et le ministre des Finances Paul Martin, qui étaient, en quelque sorte, les obstétriciens de garde au moment de la naissance.
Aujourd'hui, des milliers de personnes un peu partout dans le monde doivent la vie et la santé au cardiochirurgien réputé, au cardiologue innovateur et à l'éminent chercheur en cardiologie qu'est le sénateur Keon.
Chose certaine, je ne le vois pas mener une vie où les colloques de recherche céderaient la place aux siestes et où le golf supplanterait les nouvelles initiatives de recherche. Si je le connais bien, cela ne devrait prendre qu'une journée ou deux avant que son épouse lui dise ce que bien des épouses avant elle ont dit à leur réputé mari qui venait de prendre sa retraite : « Aimer, honorer et servir, mon chéri, ça ne comprend pas le lunch. »
Il va sans doute se retrouver à faire la promotion de recherches préventives et d'initiatives sur la santé de la population qui aident les gens à demeurer en bonne santé, contribuent à gérer les coûts des soins de santé et font la force du Canada et des Canadiens. Tous ceux qui sont rassemblés ici aujourd'hui sont à même de constater l'incroyable influence positive qu'il a exercée depuis maintenant cinq ans qu'il est mon entraîneur et mon nutritionniste personnel. Il va terriblement me manquer.
Quand je pense au conseil rassurant de Churchill — « ne courez pas si vous pouvez marcher, ne marchez pas si vous pouvez vous asseoir, ne vous asseyez pas si vous pouvez vous allonger » — conseil qui a sauvé la civilisation en fin de compte, je sais que je me souviendrai toujours du conseil que le Dr Keon m'a donné au cours des quelques mois où nous avons siégé ensemble : « Prenez des vitamines et buvez du vin rouge. »
Bonne chance, docteur Keon, et, surtout, ne pensez même pas à prendre votre retraite. Le Canada et les Canadiens ne peuvent pas se le permettre.
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je suis heureuse de me joindre aux autres intervenants pour rendre hommage au sénateur Keon. Peu après mon arrivée au Sénat, je suis devenue membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le sénateur Keon était membre de ce comité qui, à l'époque, se penchait sur le système de soins de santé au Canada. Il était et est toujours très respecté d'un bout à l'autre du pays et son salaire était une aubaine étant donné l'expertise qu'il a offerte au comité et au Sénat et, particulièrement, comme l'a mentionné le sénateur Segal, étant donné qu'il n'a pas encaissé ce salaire pendant 16 ans.
Évidemment, lorsque je parle des avantages de nommer les sénateurs, j'utilise très souvent l'exemple du sénateur Keon, car il s'agit d'une personne qui n'aurait probablement pas posé sa candidature, mais qui a apporté une contribution inestimable à la politique sociale du Canada grâce à sa présence au Sénat.
Au sein du Comité des affaires sociales, le sénateur Keon écoutait les propos des témoins et des sénateurs puis, calmement, il commençait à parler en disant : « Vous savez... », et il passait immédiatement au vif du sujet. Ses observations étaient rarement partisanes. Il voulait seulement que nos rapports contiennent des recommandations sérieuses afin d'aider les Canadiens.
Sénateur Keon, vous êtes un gentleman et vous m'avez enseigné énormément de choses sur l'élaboration des politiques sociales, surtout celles liées aux soins de santé. Je suis très heureuse d'avoir travaillé avec vous.
Je vous transmets mes meilleurs voeux, ainsi qu'à Anne — vous avez de la chance d'avoir épousé une enseignante — et à toute votre famille. Profitez de votre voyage en Irlande. Il est à espérer que, maintenant que vous êtes à la retraite, vous aurez davantage de temps pour participer aux prochaines élections fédérales. Cela serait probablement la première fois que vous seriez actif sur la scène politique et, comme l'a dit le sénateur Cowan, nous serions très chanceux d'avoir un autre Keon au Parlement.
[Français]
L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, pour toutes les raisons énumérées par mes collègues, je veux rappeler aux honorables sénateurs l'importance de compter des individus de la trempe du Dr Keon parmi nous.
Le sénateur Angus a fait référence aux Pères de la Confédération. Le départ du sénateur Keon m'inspire à remercier les Pères de la Confédération d'avoir imaginé une institution où des individus tels que notre collègue pouvaient servir leur pays et leurs concitoyens, non pas parce qu'ils sont populaires ou parce qu'ils sont élus dans un concours de popularité, mais plutôt parce qu'ils sont compétents.
(1440)
Nous avons besoin d'individus comme lui. Les plus anciens ici se souviendront de l'époque où le sénateur Keon est arrivé au Sénat. Ceux qui croient qu'il y a de l'acrimonie et de la partisanerie au Sénat en ce moment ne savent pas de quoi ils parlent. À cette époque, en 1990, c'était la guerre totale. Le Président était pris en otage par les sénateurs.
Un individu de la trempe du sénateur Keon, absolument non partisan, est arrivé dans cet enfer de partisanerie et a réussi à faire sa marque grâce à une institution qui permet à un premier ministre du Canada, quel qu'il soit, malgré la frayeur et l'acrimonie, de nommer un individu et de décider de le planter dans cette terre qui réclame la fertilité apportée par un individu aussi brillant que le sénateur Keon.
Je voulais profiter de cette occasion pour dire merci aux Pères de la Confédération et pour souhaiter au sénateur Keon tout le bonheur possible pour l'avenir. Je ne sais pas s'il sera possible pour lui de vivre un reste de vie calme, mais je le lui souhaite, à lui et à sa famille.
Sénateur Keon, merci beaucoup d'avoir servi si admirablement votre institution et votre pays.
L'honorable Pierre De Bané : Honorables sénateurs, je crois qu'il n'y a pas de façon plus éloquente de témoigner des valeurs d'une personne que de voir les actes qu'elle a posés.
Aux termes de sa spécialisation et de ses études aux États-Unis, le sénateur Keon a reçu les offres les plus alléchantes que l'on puisse faire à un chirurgien d'un talent exceptionnel. Il aurait pu toucher les revenus les plus mirobolants s'il avait accepté les offres qu'il a reçues de Harvard et de grands hôpitaux aux États-Unis, mais il les a refusées.
Il est venu au Canada. Il aurait pu se contenter de pratiquer sa profession dans un grand centre mais, là encore, son souci du bien commun l'a amené à consacrer toutes ses énergies à fonder un institut de cardiologie qui, aujourd'hui, est l'un des centres les plus prestigieux au monde.
C'est cette constance chez lui, de toujours poursuivre le bien de la collectivité, qui m'impressionne au plus haut point.
[Traduction]
Comme bien d'autres, j'ai eu la chance d'être soigné par le sénateur Keon lorsque j'ai eu ma crise cardiaque. Je me rappelle encore ce jour où, alors que j'étais à une réception avec trois ou quatre collègues qui avaient également été soignés par le Dr Keon — le chirurgien cardiaque —, celui-ci est arrivé à la réception et nous a vus ensemble, un verre de vin à la main, et a dit : « Ah, je vois que vous avez tous votre médicament. C'est bien. »
Je ne l'oublierai jamais, sénateur Keon. J'aimerais simplement vous dire, du fond du cœur, que je vous dois d'être en vie aujourd'hui. Vous êtes de ces personnes qui font honneur à toute institution dont elles deviennent membres, et non l'inverse.
L'honorable Gerry St. Germain : Honorables sénateurs, je saisis l'occasion de prendre la parole pour rendre hommage au meilleur homme qui ait siégé au Sénat depuis que j'y siège.
Des voix : Bravo!
Le sénateur St. Germain : Je connais le sénateur Willie — comme je l'appelle — parce que nous avons tous deux nos bureaux dans l'édifice Victoria — moi depuis 17 ans et lui depuis 20 ans. J'ai pu me rendre compte qu'il travaille d'arrache-pied, qu'il est extrêmement dévoué et d'une grande gentillesse. Il avait toujours du temps pour ceux qui venaient lui demander quelque chose.
Heureusement, je n'ai pas eu les problèmes de santé que d'autres ont connus, mais j'avais un petit problème cardiaque. Je savais que le sénateur Willie était occupé, mais il a néanmoins pris le temps de m'expliquer que mon problème de santé n'était vraiment pas grave et que je n'avais pas lieu de m'inquiéter. Or, le sénateur Willie a pris le temps, et c'est de cela qu'il est question. Nous sommes nombreux à ne pas prendre le temps qu'il faut pour écouter nos semblables. Pourtant, le sénateur Willie l'a toujours fait et je suis certain qu'il le fera toujours.
Je ne vais pas prolonger mon discours plus longtemps, car tout a été dit, et bien dit, avant que je prenne la parole. Je vais conclure en paraphrasant un président américain bien connu : il n'y a pas de grands hommes; seulement des hommes ordinaires qui se montrent à la hauteur de grandes occasions.
Vous, monsieur, êtes l'un de ces hommes. Que Dieu vous bénisse, ainsi que votre famille.
[Français]
L'honorable Jean Lapointe : Honorables sénateurs, vous ne m'en voudrez pas de commencer avec un extrait de chanson qu'il faut prendre au deuxième degré et qui a été popularisée par les Compagnons de la chanson il y a plusieurs années.
Et ça va comme suit :
Il était tellement tellement grand;
qu'on aurait pu croire un moment;
qu'il était pour atteindre le ciel.
À mes yeux, le sénateur Keon est non seulement un très grand sénateur, mais aussi un très grand humaniste. Au fil des ans, j'ai toujours apprécié l'importance de son apport à la Chambre haute, dans tout le pays et à l'étranger.
Ses talents de chirurgien cardiaque et sa vaste connaissance du milieu médical l'ont amené à présider la Fondation de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa et de l'Hôpital Civic d'Ottawa. Grâce au sénateur Keon, ces institutions jouissent aujourd'hui d'une renommée internationale dans le domaine de la cardiologie.
En travaillant pendant des décennies sur l'organe le plus vital du corps humain, avec le but ultime de sauver des vies, le sénateur Keon est l'un de ceux que je connais qui possède le plus généreux des cœurs.
Même si nous n'étions pas du même « bord » dans cette enceinte, nous recherchions le même « port ». Merci pour tout, cher ami. Meilleurs vœux pour vous et pour les vôtres.
[Traduction]
L'honorable Michael Duffy : Honorables sénateurs, je prends la parole pour endosser tout ce qui a été dit ici aujourd'hui au sujet d'un Canadien vraiment remarquable. Nous avons tous entendu parler des exploits du sénateur Keon en tant que brillant chirurgien, mais peu d'entre nous savent qu'il facilite également les mariages.
Le jour où le sénateur Keon a été assermenté au Sénat, il y a de cela 20 ans, j'étais assis à la tribune des journalistes et j'observais cet homme remarquable de Sheenboro, au Québec, dont j'avais abondamment entendu parler et qui était marié à une Ontarienne de Pembroke. Wilbert Keon était une véritable légende dans la vallée de l'Outaouais. Même à ce moment-là, on le considérait comme un saint. J'étais venu assister à la cérémonie d'assermentation.
(1450)
Cet homme a fait l'objet des attaques les plus virulentes, les plus infâmes et les plus mesquines de la part des médias. J'espère que les journalistes de l'Ottawa Citizen qui avaient alors réclamé sa démission ont honte, car, depuis 20 ans, M. Keon montre non seulement aux citoyens d'Ottawa, mais également au monde entier, ce qu'est un grand Canadien et un sénateur exceptionnel.
Le jour de son assermentation, il était d'humeur très grave. J'ai fait des pieds et des mains pour le rencontrer et discuter avec lui. Je lui ai dit que, depuis le temps où j'œuvrais dans les médias, j'avais vu de telles choses et que cela aussi passerait. J'ai été heureux de voir que, après un moment de réflexion, il a décidé de continuer. Il a continué et a eu la carrière émérite qu'on lui connaît.
Quelques années plus tard, soit trois jours avant la date prévue de mon mariage, j'ai été victime d'une crise cardiaque. On m'a transporté à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa qui, comme l'a souligné le sénateur De Bané, est connu dans le monde entier. J'y suis arrivé à 19 heures. Le lendemain matin, à 7 heures, le Dr Keon est venu me visiter. Ma compagne me réveille alors et me dit : « Chéri, le Dr Keon est ici. » Je lui réponds : « Ce n'est pas le Dr Keon, mais le sénateur Keon. » À son tour, il me dit : « On dirait que ça ne va pas trop mal, puisque vous commencez à faire des blagues à cette heure. »
Voilà le moment où ses qualités humaines entrent en jeu. Comme notre mariage est prévu dans trois jours, ma compagne me dit : « Annulons tout. Tu as été victime d'une crise cardiaque. » Alors que les membres de notre famille et nos amis commencent à arriver de partout, moi, je suis déjà en train de négocier. Tôt le matin, à 7 heures, je demande au Dr Keon : « Si ma situation ne s'aggrave pas, seriez-vous d'accord pour que je me marie à l'Institut de cardiologie samedi? » Willie, qui est toujours très humain, me répond : « Si votre état de santé ne s'aggrave pas, je suis d'accord, mais je ne veux pas que ce soit une grosse fête. » Je lui dis : « Non, non, seulement 10 minutes dans cette salle. Tout ira bien. »
Évidemment, j'ai suivi ses directives. Samedi, on m'a fait prendre une douche et on m'a mis un complet et une cravate. Ensuite, la télévision et les appareils photo sont arrivés, suivis de Peter Mansbridge, de Wendy Mesley et de tous les membres de ma famille. Nous étions dans le centre de documentation quand le sénateur Keon a dit : « Je croyais que ce serait une petite célébration. » Quoi qu'il en soit, nous nous sommes mariés, et c'est le sénateur Keon qui m'a pris sous son aile quand je suis arrivé à la Chambre haute.
Comme les sénateurs l'ont fait remarquer, c'est un homme exceptionnel, et il va nous manquer énormément. Nous remercions Anne et sa famille d'avoir bien voulu le partager avec nous. Il a fait beaucoup de choses pour un très grand nombre de personnes sans jamais rien demander en retour.
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour rendre hommage au sénateur Keon, au moment où il s'apprête à quitter la Chambre haute. La fin de la remarquable carrière du sénateur Keon au Sénat, qui s'est échelonnée sur une période de 20 ans, me donne l'occasion de saisir toute la grandeur de ce personnage cultivé, qui ne recule jamais devant le travail et qui nous manquera tant au Sénat.
Quand on pense au sénateur Keon, on pense au médecin, à l'homme politique et à une personne remplie de sollicitude. En tant que sénateur, le Dr Keon nous a toujours rappelé que la préparation est la meilleure façon de se protéger contre les maladies qui peuvent nous affliger. Comme il l'a dit dans une entrevue accordée à Innovation Canada en 2007 : « Ce que je prêche, c'est d'essayer de devancer le problème [...] les maladies [...] sont tragiques [...] parce qu'on peut les prévenir en grande partie. »
Lorsqu'il a reçu le prix F.N.G. Starr de l'Association médicale canadienne en 2007, prix qui a été décrit comme étant la Croix de Victoria de la médecine canadienne, le Dr Keon a fait la déclaration suivante : « Ce prix m'est très précieux, car j'ai consacré ma vie à la médecine et fait de nombreux sacrifices [...] .»
Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous nous rappelons les nombreuses contributions faites par le Dr Keon, tant à la science médicale qu'à la politique publique au Canada. Aujourd'hui, nous disons à l'un des nôtres que nous sommes tous les grands gagnants des sacrifices qu'il a consentis. Aujourd'hui, nous remercions sa famille et nous le remercions d'avoir aidé à sauver la vie de nos êtres chers.
Des sénateurs ont parlé avec beaucoup d'éloquence du sénateur Keon, le médecin et l'homme politique. Pour ma part, j'aimerais parler de lui comme étant mon voisin du neuvième étage de l'édifice Victoria. En tant que voisin, j'ai toujours pu compter sur lui. Lorsque j'ai eu des problèmes personnels, il est venu me voir dans mon bureau pour m'offrir son appui et sa compassion. Lorsque mon père a fait une crise cardiaque, le sénateur Keon m'a aidée à traverser l'épreuve. J'ai aussi pu compter sur sa sollicitude tout au long des maladies de ma mère.
Le Dr Keon et les membres de son personnel ont toujours été là pour moi. Diane Desrochers a toujours aidé mon personnel et, sans hésitation, elle s'est toujours montrée disponible en cas de demande.
[Français]
Sénateur Keon, votre présence parmi nous me manquera.
[Traduction]
Sénateur Keon, il existe dans ma langue maternelle une expression qui dit que nos voisins sont nos proches parents. Vous êtes un de mes parents. Quand vous partirez aujourd'hui, je perdrai un parent sur la Colline. Votre personnel et vous nous manquerez terriblement. Merci de votre amitié.
L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Honorables sénateurs, j'interviens moi aussi pour rendre hommage à une personne vraiment remarquable. Wilbert Joseph Keon est un chirurgien, un innovateur, un inventeur, un constructeur, un leader, un visionnaire, ainsi qu'un homme réfléchi et expérimenté qui a beaucoup contribué à la société canadienne.
J'aimerais rappeler brièvement aux sénateurs quelques statistiques montrant les nombreuses contributions du sénateur Keon à titre de scientifique et chirurgien sans égal : plus de 200 publications scientifiques, plus de 175 résumés scientifiques, des centaines de conférences spéciales et de nombreux chapitres dans des livres et des films. Ces contributions attestent des études scientifiques qu'il a effectuées pour le bien de l'humanité.
Le fait qu'il ait reçu plus de 40 prix prestigieux, y compris celui d'Officier de l'Ordre du Canada, montre l'influence de son travail et ses énormes bienfaits pour la société. En tout, quatre prix importants et événements permanents portent son nom.
Je connais depuis longtemps le sénateur Keon, qui est admiré et presque vénéré par tous les gens qui le connaissent et travaillent avec lui. Cependant, le fait d'avoir pu travailler avec lui au Sénat est un grand privilège et une expérience que je chérirai toujours. Je regrette que cette expérience se soit révélée si courte.
J'aimerais terminer mon intervention en rappelant aux sénateurs que peu de gens ont eu une influence aussi complète et positive dans leurs domaines de spécialité que le sénateur Wilbert Joseph Keon. Pensez aux vies qu'il a sauvées grâce à l'habileté de ses mains. Pensez à toutes les autres personnes qu'il a aidées grâce au travail dont j'ai parlé plus tôt. Pensez au leadership qu'il a apporté à la science médicale et à l'inspiration qu'il a fournie à des générations de nouveaux praticiens et chercheurs médicaux.
Je rappelle aux sénateurs que, si on adoptait son approche de gestion, qui a fait ses preuves, dans l'ensemble de notre système hospitalier, cela permettrait d'offrir de meilleurs services aux Canadiens à des coûts beaucoup moins élevés.
Sénateur Keon, alors que vous passez à la prochaine étape de votre vie remarquable, sachez que vos collègues au Sénat éprouvent une grande reconnaissance, admiration et affection pour vous.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je cède la parole au sénateur Keon.
L'honorable Wilbert J. Keon : Honorables sénateurs, à l'instar d'autres collègues, j'ai souvent dit que les hommages durent beaucoup trop longtemps et qu'il faudrait modifier le Règlement du Sénat pour les abréger. En fait, lorsque je présidais le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, nous avons discuté de cette question. Sénateur Fraser, lorsque nous avons abordé cette question, vous auriez dû exiger qu'il y ait des changements. Si vous l'aviez fait, vous n'auriez pas à subir aujourd'hui cette litanie!
Quoi qu'il en soit, c'est véritablement un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui en compagnie de ma famille. Je suis profondément touché par les magnifiques hommages qui m'ont été rendus. Qui aurait pu rester insensible?
(1500)
Ce fut pour moi un très grand honneur d'être nommé au Sénat. J'ai estimé qu'il s'agissait d'un honneur dès le moment où le premier ministre Mulroney m'a proposé cette nomination, même si je n'en avais pas été informé au préalable. Ce n'est qu'hier soir que j'ai appris comment les choses se sont passées, quand madame le sénateur LeBreton m'a raconté comment ma candidature avait été proposée. Je n'avais pas la moindre idée qu'on allait me faire cette proposition. Quoi qu'il en soit, j'estime vraiment qu'il s'agit d'un grand honneur. À l'époque, je ne croyais pas pouvoir m'acquitter de cette responsabilité mais, aujourd'hui, je suis extrêmement heureux de l'avoir acceptée.
Je dois souligner que les sénateurs des deux côtés et le personnel de l'Institut de cardiologie m'ont facilité la tâche. Jamais je n'aurais pu m'acquitter de mes responsabilités à l'Institut de cardiologie d'Ottawa et faire mon travail de sénateur sans l'appui de toutes les personnes qui m'entouraient.
Je suis extrêmement fier d'être l'un des vôtres. Vous formez un groupe exceptionnel tous autant que vous êtes, sans égard à votre allégeance politique. Le Sénat est une institution remarquable qui est malheureusement sous-estimée. On trouve dans cette enceinte une richesse intellectuelle extraordinaire.
J'ai eu le grand privilège de côtoyer des lauréats du prix Nobel, de grands chercheurs et d'autres personnes de ce genre, mais la sagesse qui émane de ces lieux est vraiment extraordinaire. On y retrouve une représentation exceptionnelle de la société canadienne. Si nous passons à une autre méthode de nomination — j'y reviendrai plus tard —, j'espère seulement que nous pourrons continuer d'avoir des représentants des divers éléments de la société canadienne comme ceux que j'ai eu le privilège de côtoyer ici ces 20 dernières années, parce que c'est vraiment impressionnant.
Je voulais aussi dire, Votre Honneur — Votre Honneur, vous devez porter attention.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Keon : Nous avons la chance d'avoir un Président vraiment merveilleux, n'est-ce pas?
La plupart d'entre vous croient probablement que le Président est nommé par le premier ministre. Eh bien, ce n'est pas le cas. Notre Président est arrivé ici grâce à l'intervention divine. C'est un curé, neveu de Mackenzie King, qui m'a appris sa nomination à l'église, après la messe du dimanche. S'il ne s'agit pas d'une sorte de continuité spirituelle, je ne vois pas ce qui peut l'être.
De toute façon, je tenais à féliciter le Président parce qu'il fait un excellent travail. Au moment de sa nomination, je lui ai dit qu'il était né pour occuper ce poste, et il fait un travail formidable pour nous.
Je tiens aussi à dire que je suis fier d'être un conservateur. Je n'avais pas choisi de parti politique avant ma nomination au Sénat. J'avais appuyé financièrement les libéraux et les conservateurs au fil des ans, car je croyais que ces deux partis étaient très importants pour notre pays.
J'ai toutefois été conquis par le premier ministre Mulroney. Je l'ai trouvé merveilleux. J'ai réellement cru en ce qu'il croyait. Lorsqu'il a remporté cette magnifique victoire qui a unifié le pays, alors que nous avions pour la première fois des députés partout au pays, j'ai cru qu'il s'agissait là d'un immense exploit.
Je croyais énormément au libre-échange. C'était ma philosophie. Dans les domaines de la recherche et de la médecine, si les subventions ne permettent pas d'être concurrentiel à l'échelle internationale, cela ne vaut pas la peine de continuer. Il faut essayer jusqu'à ce que ce soit possible de l'être. Voilà en quoi consiste le libre-échange. Cette initiative nous a vraiment été bénéfique.
Nous avons encore un premier ministre merveilleux à l'heure actuelle. Il nous représente bien dans le monde. Je comprends que mes collègues d'en face veuillent trouver un moyen de le défaire, mais je tiens à leur dire qu'ils auront du mal parce qu'il est vraiment formidable. Cela ne fait aucun doute. Il nous représente avec beaucoup de fierté sur la scène internationale.
Nous devrions être très fiers de chacun des premiers ministres que nous avons eus au Canada. Je disais justement hier soir combien nous étions privilégiés de faire partie du gouvernement du Canada. C'est un gouvernement extraordinaire, quel que soit le parti au pouvoir. Quand on regarde les premiers ministres, les chefs et les gouvernements qui se sont succédé depuis la Confédération, et qu'on les compare à ce qui se passe dans le reste du monde, on voit qu'ils ont tous été extraordinaires.
Nous devons faire mieux, je le reconnais, et je parlerai donc maintenant de la réforme du Sénat. La réforme du Sénat était le premier article à l'ordre du jour lorsque je suis arrivé au Sénat il y a 20 ans et elle le sera toujours lorsque je partirai et, comme je le disais hier soir, elle le sera sûrement encore lorsque chacun d'entre vous quittera le Sénat.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Keon : Le principal problème, de l'avis d'une personne qui n'a jamais fait de politique active, c'est le processus de nomination des sénateurs. C'est un système que l'on considère empreint de favoritisme et qui doit être amélioré.
La proposition actuelle, qui combine processus électoral et choix, pourrait, à mon avis, constituer une amélioration et s'avérer très profitable. Je ne crois pas que cela puisse se faire sans heurt, mais je suis persuadé que ceux d'entre vous qui seront toujours ici se pencheront soigneusement sur la question et en arriveront à une solution très positive.
Avant ma nomination au Sénat, je me fiais tout simplement à mon instinct en politique. Je devais tenir compte des considérations politiques pour obtenir l'argent dont j'avais besoin pour construire l'Institut de cardiologie, mais je n'étais pas réellement lié à aucun parti. Je présume que je faisais partie des 30 p. 100 de Canadiens qui n'ont pas de réel engagement politique.
Je tiens toutefois à dire à mes collègues des deux côtés du Sénat que j'admire tous ceux d'entre vous qui ont pris cet engagement, qui ont construit leurs partis, qui les ont appuyés et qui en ont assuré le bon fonctionnement, surtout quand les temps étaient moins favorables, parce qu'ils en ont assuré la survie afin que les électeurs canadiens puissent toujours avoir le choix.
À l'heure actuelle, je suis un conservateur engagé, mais, grâce à l'engagement de gens comme vous, les simples citoyens, dont j'étais, avaient la possibilité de faire un choix lorsqu'ils se rendaient aux urnes et cela permettait au système de fonctionner. Il y avait alors deux bons partis, solides et bien portants, toujours prêts à former le gouvernement. Je ne parlerai plus de politique parce que je suis intimidé par le sénateur Murray.
Le sénateur Murray était mon leader quand je suis arrivé au Sénat. C'était une période difficile.
Permettez-moi de vous raconter une anecdote. Nous siégions depuis longtemps, l'heure avançait et madame le sénateur Neiman parlait sans arrêt. Elle était une personne adorable et un remarquable sénateur, mais elle parlait en français et elle ne savait pas parler français. J'étais assis là-bas, à côté du sénateur Finlay MacDonald et en face du sénateur Nathan Nurgitz. Finlay s'est penché vers moi et m'a dit : « Ces Françaises me rendent fou. »
(1510)
Plus sérieusement, durant la majeure partie de mon mandat au Sénat, j'ai eu l'honneur de servir au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie. En fait, j'ai été obligé de siéger à plusieurs comités à un moment donné lorsque nous n'étions que 22 sénateurs de ce côté-ci. J'aimais vraiment siéger à ce comité-là. Le rapport Kirby/LeBreton sur la santé des Canadiens et le rôle du gouvernement fédéral à cet égard, produit en 2002, était un remarquable document. Le sénateur Kirby avait fait de l'excellent travail. Il a ensuite produit un rapport sur la santé mentale, qui a beaucoup contribué aux progrès dans ce domaine au Canada.
Dès le début, je voulais que le comité fasse une étude et produise un rapport sur la santé de la population parce que, à 75 ans et comptant plus de 40 ans d'expérience dans le domaine de la santé et des sciences, je crois sincèrement que la solution réside entièrement dans la santé de la population. Nous ne pouvons pas continuer de dépenser comme nous le faisons et obtenir le genre de résultats que nous obtenons pour la simple raison que la moitié des maladies que nous traitons actuellement dans le système de soins de santé peuvent être prévenues. En outre, environ 35 p. 100 de nos interventions sont inefficaces. Par conséquent, nous devons commencer à évaluer ce que nous faisons. Or, les Instituts de recherche en santé du Canada peuvent le faire et nous devrions utiliser leurs services. Tout devrait être évalué et ce qui n'est pas efficace ne devrait pas être financé. Nous devons insuffler de l'objectivité dans tout le système et, plus particulièrement, convaincre la population de prendre en main sa santé. Nous devons bâtir des collectivités en santé en nous fondant sur les déterminants de la santé tout au long de la vie.
Dans le cadre de cette étude, je suis allé à Cuba pour étudier le système cubain. Les Cubains dépensent pour la santé un quarante- septième de ce que nous y consacrons et ils obtiennent les mêmes résultats. Ils ont les mêmes taux de mortalité maternelle et de mortalité infantile et la même espérance de vie que nous. Comment y arrivent-ils? Ils y arrivent grâce à un système de polycliniques de soins primaires intégrant l'éducation, le sport, la nutrition, le logement et tous les autres déterminants de la santé. Nous avons publié notre rapport, intitulé La santé maternelle et le développement de la petite enfance à Cuba, et j'aime croire qu'il a eu une réelle influence sur le gouvernement quand il a choisi la santé maternelle et infantile comme priorité des conférences du G8 et du G20. Je sais que certains points prêtent à controverse, mais il ne peut y avoir de meilleure mission au monde que la santé des mères et des enfants.
Sénateur Mitchell, je vous dis ceci : vous utilisez une grande partie de votre temps de parole pour parler de l'environnement et j'adore les questions que vous posez sans prévenir à notre leader, quoique je ne pense pas qu'elle les aime. Le problème le plus grave auquel le monde et la société planétaire sont confrontés en ce moment est la surpopulation, et il n'y aura pas de régulation démographique tant que les femmes du monde n'y pourront rien. Nous devons clarifier nos priorités parce que c'est un grave problème. Nous devons donner ce pouvoir aux femmes du monde entier.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Keon : Je ne pourrais pas partir d'ici sans faire encore une fois la promotion de la recherche. La recherche est une partie intégrante de mon âme. Je crois que nous n'en faisons pas encore suffisamment à ce chapitre. Je reconnais que le gouvernement canadien a beaucoup de postes où investir son argent. Par contre, le secteur privé canadien pourrait faire beaucoup mieux. Chez nos amis américains, le secteur privé dépense huit fois plus que chez nous. Il est donc temps que l'industrie fasse un effort et qu'elle investisse dans la recherche. En combinant les autres initiatives du secteur privé, les programmes gouvernementaux et les efforts des ONG, nous pourrions devenir de véritables chefs de file dans le monde de la recherche. Nous ne pourrions certainement pas rattraper les Américains, car ils ont trop de chercheurs brillants et trop d'argent. Nous pourrions par contre occuper le deuxième rang mondial dans le secteur de l'innovation si nous nous préoccupions vraiment de la recherche.
Depuis mon arrivée au Sénat, l'une des expériences les plus satisfaisantes que j'aie vécues est ma contribution à la création des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC. J'avoue que j'aurais une histoire intéressante à raconter à ce sujet, mais je me retiendrai. J'ai aussi participé à la création de la Fondation canadienne pour l'innovation. La combinaison et l'intégration des IRSC et de la FCI sont un véritable trait de génie. Je suis au courant du petit problème qui est survenu il y a environ un an, en raison du surfinancement de la FCI par rapport au sous-financement des IRSC, mais l'équilibre va être rétabli. C'était une réalisation admirable.
À l'origine un projet du premier ministre Mulroney, les IRSC sont devenus un véritable complément à notre système politique. Les choses n'ont pas évolué beaucoup à partir du moment où M. Mulroney a été remplacé par le premier ministre Chrétien, mais celui-ci a tout de même poursuivi la mise en œuvre du projet et les IRSC sont nés. Je siégeais de l'autre côté lorsque, un 10 avril, le projet de loi a franchi l'étape de la troisième lecture au Sénat. C'est probablement l'une des plus importantes décisions que nous ayons prises au Canada du point de vue de la recherche et de la découverte. C'est tout à l'honneur de notre système politique qu'un tel projet n'ait pas été annulé pour la simple raison que le gouvernement avait changé.
J'ai également été associé à l'Agence de la santé publique du Canada. Après l'épidémie de SRAS, pour une raison ou pour une autre, j'ai fini par siéger à tous les comités qui se sont intéressés à la question. Tout le monde voulait une agence canadienne de la santé publique. Quand j'étais jeune, je répétais souvent que le Canada avait besoin d'un médecin-chef qui serait chargé de préparer un rapport annuel sur l'état de santé de notre pays. Aujourd'hui, nous disposons de tels rapports. Ils sont rédigés par l'Agence de la santé publique du Canada ou le Conseil canadien de la santé. Tout n'est pas encore parfait à cet égard, mais il y a certains progrès.
Les prix Canada Gairdner sont également un élément très important. Je suis reconnaissant au sénateur LeBreton de son implication dans ce dossier. Grâce aux 20 millions de dollars alloués, les prix Canada Gairdner ont acquis un statut international qui est presque équivalent à celui des prix Nobel. La Commission de la santé mentale du Canada représente également un progrès extraordinaire.
Je me soucie énormément du Conseil national de recherches, comme le sait le sénateur Ogilvie. Celui-ci dispose de toute l'expertise nécessaire pour régler les problèmes qui existent. J'espère que les comités sénatoriaux l'appuieront, qu'ils poursuivront leur travail et qu'ils redonneront au Conseil national de recherches le rôle qu'il devrait jouer.
(1520)
Enfin, ma vie ici me manquera beaucoup, ainsi que vous tous. Vous avez été formidables. J'ai beaucoup aimé le temps que j'ai passé ici, et j'espère que j'ai pu être utile. Je tiens en terminant à vous remercier, vous tous, des deux côtés.
Je remercie Anne, ma femme, qui est à la tribune. Nous célébrerons notre 50e anniversaire de mariage le 2 juillet. C'est Anne qui a subvenu à nos besoins pendant les 10 premières années de notre vie commune et qui m'a suivi d'une université à l'autre pendant que j'essayais de me faire connaître auprès de tous les évaluateurs de revues scientifiques et d'apprendre tout ce qu'il fallait pour ma vie future, ce que j'ai bien réussi à faire. Pendant que je m'occupais à cela, elle gagnait l'argent dont nous avions besoin. Par la suite, elle a élevé nos trois enfants et, pendant toutes ces années, elle m'a facilité la vie. Elle a encore la jeunesse d'une étudiante, vous ne trouvez pas?
Des voix : Bravo!
Le sénateur Keon : Nous avons trois enfants merveilleux. Claudia vit en Angleterre. Elle nous rejoindra en Irlande pour célébrer mon 75e anniversaire. Elle a trois fils : Jack, Chris et Ethan. Claudia est médecin de famille praticienne, et Mark, son mari, est cardiochirurgien. À notre grand désespoir, elle dit qu'elle a épousé son père — son mari et moi sommes tous deux cardiochirurgiens —, mais ils sont très heureux. Neil vit à Dallas avec sa charmante épouse et leur fils. Comme ils ne peuvent pas être présents aujourd'hui, ce sont Ryan et Cindy qui les représentent, accompagnés de Will et Emily, qui les soutiennent.
Je vous remercie tous chaleureusement. Je ne dois pas oublier mes collaboratrices, Diane et Gail, qui sont à la tribune. Comme de raison, elles sont vêtues de blanc car elles ont pris soin de moi. Elles ont été extraordinaires.
Vous me manquerez tous. Que Dieu vous bénisse, et à bientôt.
Des voix : Bravo!
[Français]
AFFAIRES COURANTES
Les Nations Unies
Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport national
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un document émanant des Nations Unies. Il s'agit du rapport national présenté conformément au paragraphe 15(a) de l'annexe à la résolution 5.1 du Conseil des droits de l'homme.
Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport sur l'examen périodique universel
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un document émanant des Nations Unies. Il s'agit du rapport du Groupe de travail sur l'examen périodique universel.
Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport sur l'examen périodique universel additif
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un document émanant des Nations Unies. Il s'agit du rapport du Groupe de travail sur l'examen périodique universel additif.
Le Conseil des droits de l'homme—Dépôt du rapport de la onzième session
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un document émanant des Nations Unies. Il s'agit du rapport du Conseil des droits de l'homme sur la 11e session.
Transports et communications
Avis de motion tendant à autoriser le comité à étudier les nouveaux enjeux du secteur canadien du transport aérien
L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à examiner, afin d'en faire rapport, les nouveaux enjeux qui sont ceux du secteur canadien du transport aérien, et, notamment :
a) sa santé et sa viabilité à long terme dans un marché mondial en évolution;
b) sa place au Canada;
c) ses relations commerciales avec les passagers;
d) son importance en tant que de moteur économique dans les collectivités canadiennes où les aéroports sont situés; et
Que le comité en fasse périodiquement rapport au Sénat et avec présentation d'un rapport final au plus tard le 28 juin 2012, et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour faire connaître ses conclusions pendant 180 jours après le dépôt du rapport final.
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
L'infrastructure
Le financement des projets dans le Nord
L'honorable Nick G. Sibbeston : Honorables sénateurs, aujourd'hui, ma question concerne le financement des projets d'infrastructure dans le Nord. Je suis convaincu que les sénateurs Lang et Patterson seront intéressés à entendre la réponse du leader du gouvernement.
La dernière année des dépenses de relance est en cours. Les ministres responsables de l'infrastructure ont répété que tous les projets qui ne sont pas terminés le 31 mars 2011 perdront leur financement fédéral. Ce sont les gouvernements municipaux, provinciaux et territoriaux qui devront absorber le coût total des projets qui dépassent la date limite.
Le Nord est loin de tout; certaines de ses régions sont dépendantes du transport par eau en été et des routes de glace en hiver et la saison de travail estivale est courte. Par conséquent, il est difficile et éprouvant de commencer et de terminer des projets. Quelles garanties le ministre peut-il nous donner que les projets prévus dans les territoires du Nord obtiendront les fonds promis et que les petites collectivités éloignées ainsi que les gouvernements territoriaux qui éprouvent des problèmes financiers ne seront pas pénalisés si les conditions climatiques dans le Nord les empêchent de terminer les projets dans les délais impartis par le gouvernement fédéral?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, le sénateur Sibbeston a tout à fait raison. Le programme d'infrastructure et le programme de relance ont été conçus pour faire face au ralentissement économique mondial et ils se termineront à la fin de l'actuel exercice, soit le 31 mars 2011. Il n'a pas tort lorsqu'il dit que tous les ordres de gouvernement qui ont participé au développement de ces projets avaient clairement compris ce que cela impliquait.
La question du sénateur concernait certains projets en particulier. Honorables sénateurs, certains projets réalisés dans le Nord sont financés par d'autres programmes gouvernementaux. Il faut donc que je prenne note de la question. Bien sûr, certains programmes qui relèvent du fonds de relance doivent être menés à terme dans le délai prescrit. Il y a également d'autres projets en cours qui ne relèvent pas de ce fonds. En conséquence, je fournirai un rapport de la situation au sénateur Sibbeston concernant les divers projets en cours dans le Nord, et l'état d'avancement de ceux-ci, et l'informerai de quels programmes ils relèvent.
(1530)
L'honorable Bill Rompkey : Honorables sénateurs, pour faire suite à la question du sénateur Sibbeston et revenir sur les points qu'il a soulevés, je signale que la saison de la construction est très courte dans le Nord. Elle se limite aux mois d'été. Quand un navire ne peut livrer des matériaux à temps à cause du mauvais temps, le projet de construction est retardé, sinon abandonné.
D'après mon expérience, les règles et règlements sont établis par des Canadiens du centre qui ne tiennent pas compte des conditions dans les extrémités du pays, notamment dans l'Arctique.
Madame le ministre serait-elle disposée à demander qu'on laisse une certaine latitude aux projets de construction dans le Nord, compte tenu des circonstances inhabituelles qui y sont inhérentes, afin que la région puisse profiter pleinement d'un programme qui se veut pancanadien?
Le sénateur LeBreton : Je remercie le sénateur de sa question. Le gouvernement comprend très bien les complexités et la diversité du pays et les difficultés liées au financement de projets, surtout dans le Nord et dans les régions éloignées où les conditions ne sont pas les mêmes qu'ailleurs.
Plusieurs des programmes que le gouvernement a négociés avec nos partenaires dans le Nord relèvent de différentes catégories de financement. Je suis certaine que tous les facteurs ont été pris en compte dans les négociations avec nos partenaires du Nord. Je suis sûre qu'on fait appel à d'autres programmes pour trouver des solutions quand un programme ne peut respecter à l'échéancier établi dans le cadre du programme de relance.
Comme je l'ai dit au sénateur Sibbeston, je vais obtenir un rapport complet des divers projets en cours, de leur état d'avancement et des programmes gouvernementaux qui permettent de les financer.
Les affaires indiennes et le Nord canadien
Le financement de l'Université des Premières nations du Canada
L'honorable Robert W. Peterson : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il n'a jamais été aussi évident combien le gouvernement tient la Saskatchewan et l'Ouest du Canada pour acquis. Dans le dossier de l'Université des Premières nations du Canada, le gouvernement refuse de répondre aux préoccupations des étudiants, du corps professoral et des employés, qui ignorent s'ils auront le financement nécessaire pour offrir des cours l'année prochaine. Cette incertitude est tout à fait fondée. Shauneen Pete, président de l'Université des Premières nations du Canada, a annoncé lundi dernier que l'université a été obligée de vendre son campus à Saskatoon.
La nouvelle administration de l'université a reçu l'appui de la collectivité, y compris le gouvernement de la Saskatchewan, l'Université de Regina, l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université, la Fondation canadienne pour l'innovation et la Chambre de commerce de la Saskatchewan. L'université fait des pieds et des mains pour régler les problèmes sérieux auxquels elle est confrontée, et tout ce que le gouvernement trouve à dire, c'est qu'il a reçu une proposition et qu'il l'étudie.
Le gouvernement de la Saskatchewan appuie totalement l'Université des Premières nations du Canada. Mardi dernier, il a annoncé la signature d'une entente de financement d'une valeur de 5,2 millions de dollars entre l'Université des Premières nations du Canada, l'Université de la Saskatchewan et Meyers Norris Penny Limited. En vertu de cette entente, Meyers Norris Penny se chargera d'administrer les fonds et de produire régulièrement des rapports financiers.
Le ministre Norris a déclaré ceci :
Cette entente est le fruit du travail de tous les partenaires pour respecter leurs obligations en vertu du protocole d'entente signé au mois de mars et je les félicite pour leurs efforts.
Honorables sénateurs, pendant que le gouvernement réfléchit, une collectivité entière est prise dans la tourmente et l'université vit dans l'angoisse et l'incertitude.
Madame le leader pourrait-elle nous confirmer que, à la lumière de ces nouveaux développements, son gouvernement accélérera les négociations dans le but de conclure une entente concernant la reprise du financement à long terme de l'université?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je remercie le sénateur Peterson de sa question.
Je dois m'inscrire en faux contre les propos qu'a tenus le sénateur au début de son intervention. Le gouvernement a montré à bien des égards qu'il comprend très bien les préoccupations de l'Ouest canadien, notamment celles du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.
En ce qui concerne l'Université des Premières nations du Canada, les sénateurs savent très bien que cette institution a connu des moments difficiles. Elle est en difficulté. Elle a connu des problèmes financiers incroyables. Il était clair que des décisions difficiles devaient être prises pour régler ces problèmes. Nous continuons d'encourager l'université à travailler avec ses partenaires, l'Université de Regina, la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan et le gouvernement provincial dans le cadre de sa restructuration.
Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises dans cette enceinte, le gouvernement est résolu à appuyer les étudiants des Premières nations, à les encourager et à s'assurer qu'ils complètent leurs études avec les compétences nécessaires pour joindre la population active et participer pleinement à la prospérité économique du Canada.
Les étudiants sont et demeureront notre priorité. Dans cet ordre d'idées, le 29 avril, nous avons annoncé un investissement de 3 millions de dollars afin d'aider les étudiants à terminer leur année universitaire, qui prendra fin le 31 août. Comme nous l'avons annoncé, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien travaillera en étroite collaboration avec l'Université de Regina pour parachever les détails et assurer la distribution rapide du financement.
Il a fallu plusieurs années avant d'en arriver là. Cette université a d'énormes problèmes. Le gouvernement a été appelé à la rescousse. Dans ce dossier, honorables sénateurs, nous avons deux priorités. La première, ce sont les étudiants; la deuxième, c'est l'utilisation appropriée des deniers publics.
Le sénateur Peterson : Les sénateurs savent que, faute du rétablissement d'un financement à long terme, l'université ne survivra pas. Je ne comprends vraiment pas l'entêtement du gouvernement à cet égard.
En Saskatchewan, ma province, la population des 18 à 25 ans est celle qui croît le plus rapidement, et elle est surtout composée d'Autochtones. Ces jeunes formeront la main-d'œuvre dans les décennies à venir. Pourquoi leur refuserait-on la possibilité d'accéder à l'éducation supérieure en refusant de financer cet établissement essentiel qu'est l'Université des Premières nations du Canada?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, nous ne refusons rien à personne. Je viens de décrire ce que le gouvernement a fait de même que ce qu'il est disposé à faire, c'est-à-dire encourager l'université à continuer de travailler en collaboration avec ses partenaires. Je ne peux pas m'imaginer que le sénateur en vienne à cette conclusion.
Cette université a éprouvé d'énormes difficultés au plan de la gestion et des finances. Le gouvernement a travaillé très fort en collaboration avec cet établissement et nos partenaires afin de trouver des solutions. Les étudiants sont notre priorité, et c'est pour eux que nous investissons des fonds additionnels, de manière à ce qu'ils puissent terminer leur année universitaire. Nous poursuivons notre travail de collaboration avec les divers partenaires.
Je le répète, les étudiants sont notre priorité. Le gouvernement a lancé plusieurs initiatives dans divers domaines, car nous croyons qu'il est essentiel que les collectivités autochtones participent à part entière — dans le Nord et au sein de leurs collectivités — à la prospérité économique du Canada.
Qu'on soit Autochtone ou pas, on doit comprendre que le gouvernement veut s'assurer que les investissements qu'il fait dans ces établissements sont administrés de façon appropriée et qu'ils aident ceux qui ont besoin de cette aide : les étudiants.
L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, comme le leader du gouvernement au Sénat le sait, 15 p. 100 de la population de la Saskatchewan est autochtone. Comme notre collègue l'a indiqué, cette population augmente rapidement et, dans quelques années, 50 p. 100 des personnes de moins de 25 ans seront des Autochtones.
Actuellement, 40 p. 100 des étudiants autochtones de la Saskatchewan qui poursuivent des études postsecondaires étudient à l'Université des Premières nations du Canada. Nous savons tous que les études postsecondaires sont un outil important pour se sortir de la pauvreté et contribuer socialement et économiquement au bien-être de toute la province. Il a récemment été démontré que les femmes autochtones diplômées gagnent autant ou plus que les femmes non autochtones diplômées. Il est extrêmement important que les femmes autochtones obtiennent des diplômes.
Si le gouvernement croit vraiment dans l'avancement des femmes — et s'il croit que nous devons renforcer leur autonomie, comme le sénateur Keon l'a dit auparavant —, comment peut-il refuser de financer la principale institution qui éduque les femmes autochtones et qui les aide à accroître leur autonomie?
(1540)
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, dans mes réponses précédentes, j'ai parlé spécifiquement de l'Université des Premières nations à Regina. Le gouvernement croit complètement à l'importance de l'éducation dans les collectivités autochtones. C'est pourquoi nous avons investi 395 millions de dollars depuis 2006 pour assurer l'achèvement de 94 projets touchant des écoles. Grâce au Plan d'action économique du Canada, 10 nouvelles écoles ont été construites et trois projets de rénovation d'envergure ont été réalisés. Le Fonds Chantiers Canada permettra la réalisation de huit nouveaux projets de construction ou de rénovation d'écoles. Je l'ai déjà dit au sénateur. L'année dernière, nous avons également investi plus de 100 millions de dollars sur trois ans dans le Partenariat pour les compétences et l'emploi des Autochtones et 75 millions de dollars dans le nouveau Fonds d'investissement stratégique pour les compétences et la formation des Autochtones.
Je ne comprends pas comment le sénateur peut dire que le gouvernement ne prend pas cette question au sérieux alors que clairement le contraire et que nous investissons des sommes d'argent considérables pour améliorer le système d'éducation des Autochtones.
[Français]
Le patrimoine
Le financement des festivals d'été
L'honorable Francis Fox : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et a trait au Programme des manifestations touristiques de renom. Elle fait suite à une question que je lui ai posée la semaine dernière.
Vendredi dernier, soit 33 jours avant l'ouverture de l'événement, les organisateurs d'un événement d'envergure internationale bien connu à Montréal et de tous les sénateurs du Québec qui siègent à vos côtés, madame le leader, les Francofolies de Montréal, apprenaient que leur demande d'aide de 1,5 million de dollars auprès d'Industrie Canada ne serait pas renouvelée cette année.
J'aimerais porter à l'attention de la ministre que cette décision pénalise les Francofolies, qui constituent le plus important événement de musique francophone au Canada et dans le monde et qu'elle ternit la réputation de Montréal comme ville de festivals.
Je me permets de lui suggérer de consulter ses collègues du Québec en Chambre aujourd'hui avant de prendre une décision définitive. Je vois ici les sénateurs Nolin, Angus, Seidman, Carignan et Brazeau. Après consultation, madame le leader serait-elle prête à recommander au ministre du Patrimoine canadien, qui comprend peut-être mieux les enjeux que le ministre de l'Industrie, de revoir cette décision à nouveau et d'essayer de trouver ce montant de 1,5 million de dollars qui a été bêtement annulé, encore une fois, par voie de communiqué de presse, avec un préavis de quelques jours?
[Traduction]
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, le gouvernement prend très au sérieux la question du financement des divers organismes intéressés. Nous avons augmenté de 8 p. 100 le financement des arts et de la culture. Le fait est que — et nous le comprenons tous — les organisations qui reçoivent du financement n'ont pas nécessairement droit à ce financement à perpétuité. Beaucoup d'organismes font des demandes de financement chaque année. Ni l'ancien gouvernement, ni celui-ci, ni les gouvernements futurs n'auront jamais assez d'argent pour financer tous les programmes pour lesquels une demande de financement a été présentée.
Je devrai m'informer au sujet du programme dont parle le sénateur mais, comme je le lui ai dit l'autre jour, nous avons augmenté le financement des arts et de la culture de 8 p. 100. Nous avions promis, au cours de la dernière campagne électorale, de maintenir ou d'accroître nos dépenses dans les arts, la culture et le patrimoine, et nous avons tenu parole.
Nous avons accru le soutien direct aux organismes artistiques et culturels en accordant un financement record de 181 millions de dollars au Conseil des arts du Canada. Nous avons doublé notre soutien au Programme national de formation dans le secteur des arts, à l'échelle du Canada. L'année dernière et cette année, nous avons galvanisé les industries culturelles en créant une infrastructure pour les arts, à l'intention des générations futures. Nous avons investi plus d'argent que jamais auparavant dans nos artistes, et nous faisons en sorte que chaque dollar soit investi fructueusement, pour eux et pour l'ensemble des Canadiens.
Notre gouvernement, dans le cadre du Plan d'action économique du Canada, a aussi investi plus de 500 millions de dollars dans les arts et la culture. Des programmes de formation artistique, des festivals, des théâtres, des musées, des programmes pour les jeunes et le programme d'infrastructure culturelle ont tous reçu plus de soutien que jamais auparavant de la part de notre gouvernement.
Chaque jour, au Sénat et à l'autre endroit, des parlementaires peuvent se plaindre qu'un programme n'a pas bénéficié de financement cette année, ou n'en a pas eu cette année alors qu'il en avait eu l'an dernier, ou qu'un programme qui bénéficiait de financement depuis dix ans a vu sa demande refusée cette année. C'est la triste réalité. Il reste que beaucoup d'organismes ont reçu du financement et qu'ils en sont reconnaissants. Malheureusement, personne ne prend la parole pour me poser des questions au sujet du financement qui a été accordé, ou pour remercier le gouvernement de ce financement. On m'interroge seulement au sujet d'organismes qui réclament ce qu'ils croient leur être dû, c'est-à-dire un financement perpétuel.
[Français]
Le sénateur Fox : Honorables sénateurs, j'ajoute que madame le leader devrait aussi consulter les sénateurs Champagne et Fortin- Duplessis, des membres de son caucus, avant de prendre une décision.
Je souligne tout simplement que cette décision de ne pas financer les Francofolies de Montréal cette année est surprenante puisqu'elle va à l'encontre des objectifs mêmes du Programme des manifestations touristiques de renom, selon lesquels le programme vise à aider des organismes existants qui gèrent des manifestations touristiques de renom à améliorer leurs services. Et l'on définit ensuite les « organismes de renom » comme étant « des organismes offrant une manifestation annuelle récurrente de renommée internationale bien établie et qui ont une tradition de longue date en matière d'excellence, de programmation et de gestion. »
Je dirais que le festival dont on parle remplit cette condition.
Je crois que les honorables sénateurs diront également que le festival international des Francofolies de Montréal respecte ce critère. J'ajouterais que cette décision va à l'encontre de l'engagement du gouvernement au Sommet culturel de Montréal, au cours duquel la ministre du Patrimoine de l'époque, Josée Verner, et le ministre des Travaux publics et responsable de Montréal de l'époque, Michael Fortier, avaient été délégués pour dire à quel point le gouvernement appuyait l'idée de faire de Montréal une métropole culturelle.
Honorables sénateurs, nous avons ici une manifestation culturelle d'envergure internationale — je le répète —, le plus grand événement de musique francophone et de chansons francophones dans le Canada et dans le monde, et le gouvernement est en train de dire non.
Je ne veux pas être partisan, je veux simplement encourager madame le leader à revisiter cette décision afin qu'elle puisse être renversée et que les Francofolies de Montréal puissent avoir lieu et continuent de contribuer à l'image de marque de Montréal en tant que ville de festivals.
[Traduction]
Le sénateur LeBreton : Le sénateur semble conclure qu'il n'y a pas eu de consultations. Je tiens à lui signaler que le ministère du Patrimoine mène toujours de vastes consultations lorsqu'il évalue les demandes qu'il reçoit.
Le fait est que bien des programmes qui ont déjà reçu du financement pour les aider à se faire connaître et à devenir ce qu'ils sont aujourd'hui ont désormais les reins assez solides pour se débrouiller seuls. Il y a de nombreux festivals bien établis, que les gens connaissent et auxquels ils participent. À partir du moment où un festival est établi au point de faire partie du paysage national, son succès est quasiment assuré. Certains des festivals dont je parle n'ont donc plus besoin de l'aide du gouvernement.
J'ai ici la longue liste des divers organismes culturels du Québec qui reçoivent du financement, et c'est avec plaisir que je la communiquerai au sénateur. Or, la liste des organismes qui ont besoin de financement pour être aussi connus que certains de ces autres organismes et connaître le même succès qu'eux est longue elle aussi. Pourquoi ne tenterions-nous pas d'amener d'autres organismes au même niveau et ne leur permettrions-nous pas d'attirer les gens chez eux, comme nous l'avons fait pour le festival dont parlait le sénateur?
(1550)
[Français]
Le sénateur Fox : Honorables sénateurs, j'aurais une question complémentaire à poser. J'aimerais souligner à la ministre que ce programme, le PMTR, fait partie du programme de relance économique du gouvernement du Canada et qu'il a pour objectif, comme le disent les lignes directrices du programme, d'aider des manifestations — on n'en exclut pas de nouvelles, cependant — annuelles récurrentes de renommée internationale. Ne venez pas me dire que vous les éliminez parce qu'elles sont récurrentes.
Ce n'est pas moi qui ai écrit ces lignes directrices mais le gouvernement, afin d'aider des organisations comme celles-là à traverser la crise économique et non seulement survivre, mais à s'épanouir pendant ce temps.
Je ne puis m'imaginer que le gouvernement du Canada donne un coup de Jarnac à l'image de Montréal, réputée comme étant une ville de festivals au Canada ou la métropole culturelle du Québec. S'il met cela en doute, j'aimerais bien le savoir.
[Traduction]
Le sénateur LeBreton : Le sénateur veut parler du Programme des manifestations touristiques. Il s'agit d'un programme d'une durée de deux ans. L'an dernier, 75 p. 100 des fonds provenant de ce programme ont été remis à des organismes situés dans les grands centres urbains. Tant mieux. Ils ont pu en profiter l'an dernier. Pourquoi le sénateur trouve-t-il injuste qu'on veuille soutenir d'autres activités cette année? C'est tout ce que dit le gouvernement.
Ce programme a une durée de deux ans, et, pour la seconde année, le gouvernement, par souci d'équité à l'égard des organismes qui n'ont rien reçu la première année, a voulu faire en sorte que le financement aille dans d'autres villes ou dans des villes de moindre envergure, afin que les activités qui s'y tiennent puissent elles aussi se faire connaître et devenir des incontournables pour les touristes qui visiteront un jour le Canada.
Le sénateur Comeau : Dans l'Ouest de la Nouvelle-Écosse, par exemple.
L'honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.
L'an dernier, le Centre de la Confédération de Charlottetown a reçu du financement dans le cadre de ce programme. En a-t-il reçu cette année ou est-ce que l'Île-du-Prince-Édouard a obtenu d'autres fonds? Si madame le leader ne connaît pas la réponse, pourrais-je la prier de s'informer?
Le sénateur LeBreton : Je l'ignore, mais je vais trouver la réponse à la question du sénateur Downe.
Je suis cependant convaincue qu'il y avait quelque chose pour l'Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Réponse différée à une question orale
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse à la question posée au Sénat par l'honorable sénateur Mercer, le 28 avril 2010, concernant l'agriculture et l'agroalimentaire — le revenu agricole.
L'agriculture et l'agroalimentaire
Le revenu agricole
(Réponse à la question posée le 28 avril 2010 par l'honorable Terry M. Mercer)
Le gouvernement fédéral participe à divers programmes, notamment les programmes de gestion des risques de l'entreprise (GRE), afin d'aider les agriculteurs aux prises avec des difficultés financières :
- Les programmes fédéraux-provinciaux-territoriaux de la GRE sont, entre autres, les suivants :
- Agri-investissement — comptes d'épargne des producteurs permettant de recevoir la contribution de contrepartie du gouvernement;
- Agri-stabilité — programme amélioré de stabilisation du revenu fondé sur la marge;
- Agri-protection — options de protection élargie et autres avantages;
- Agri-relance — cadre d'aide en cas de catastrophe qui permet d'intervenir rapidement et de façon coordonnée lors de catastrophes touchant les producteurs.
- Depuis le lancement des programmes de GRE en 2007, les producteurs ont reçu un soutien financier de près de 5 milliards de dollars par le truchement de ces programmes, y compris le Programme de démarrage d'Agri-investissement. De cette somme, les producteurs du Canada atlantique ont bénéficié de près de 131 millions de dollars. La part des paiements des programmes de la GRE des provinces de l'Atlantique (2,62 p. 100) représente bien la part des recettes agricoles de 2007 et 2008 de 2,68 p. 100 (non compris les produits soumis à la gestion des approvisionnements). Étant donné la protection offerte par la gestion des approvisionnements, ces derniers comptent moins sur les paiements de la GRE.
- Le Nouveau-Brunswick : 45,0 millions de dollars
- La Nouvelle-Écosse : 25,8 millions de dollars
- L'Île-du-Prince-Édouard : 58,9 millions de dollars
- Terre-Neuve-et-Labrador : 1,3 million de dollars
- Les programmes de GRE ont fourni, et continuent de le faire, des niveaux d'aide importants aux provinces et territoires du Canada, notamment aux provinces de l'Atlantique.
- Les paiements octroyés dans le cadre de ces programmes visent à répondre aux besoins financiers. Par conséquent, une partie considérable de ces fonds est versée aux éleveurs de bétail et de porcs en difficulté, et le sera aussi longtemps que ceux-ci subissent des pertes.
- Le gouvernement prévoit accorder plus d'un milliard de dollars aux éleveurs de bétail canadiens pour les pertes subies en 2008 et 2009.
- Les gouvernements s'efforcent de faire en sorte que les producteurs reçoivent cette aide le plus rapidement possible.
Comme les gouvernements travaillent vers la phase suivante de Cultivons l'avenir, ils entreprennent actuellement un examen détaillé des programmes de la GRE afin d'évaluer leur efficacité et de veiller à ce qu'ils continuent de fournir aux producteurs l'aide dont ils ont besoin. Les gouvernements consultent présentement, dans le cadre de ce processus, les producteurs et les groupes du secteur agricole au sujet de leurs objectifs à long terme, leurs défis et les possibilités que leur offre le secteur ainsi que d'explorer de quelle façon les gouvernements et l'industrie peuvent travailler ensemble afin d'assurer le succès a long terme du secteur. Ces sessions d'engagement offertes au niveau national et provincial feront aussi partie intégrante de la revue stratégique des programmes de la GRE qui a lieu présentement. Les résultats de ces consultations seront communiqués aux ministres lors de leur prochaine réunion cet été. Elles informeront aussi les gouvernements sur les prochaines phases du cadre national pour l'agriculture, y compris les programmes de la GRE.
Outre les programmes de GRE, le gouvernement fédéral apporte son soutien aux producteurs de la façon suivante :
- Changements apportés récemment au Programme de paiements anticipés (PPA) qui ont accru l'accès aux prêts garantis par le gouvernement, notamment un sursis de défaut jusqu'au 30 septembre 2010 pour les avances aux termes du PPA à l'intention des éleveurs de porcs et de bovins durant la période de production de 2008-2009.
- Annonce de trois nouveaux programmes afin d'aider l'industrie du porc, notamment le Fonds de commercialisation du porc à l'échelle internationale (17 millions de dollars) pour effectuer des études de marché, des programmes de promotion et d'accès dans le but de trouver de nouveaux clients pour les produits du porc canadien; le Programme de réserve pour pertes sur prêts dans l'industrie du porc afin d'aider l'industrie canadienne du porc en fournissant un crédit garanti par le gouvernement pour soutenir les exploitations viables à composer avec le climat d'incertitude économique actuel; et le Programme de transition des exploitations porcines (75 millions de dollars) destiné aux éleveurs en difficulté qui souhaitent quitter l'industrie.
- Le dernier budget fédéral comprenait plusieurs mesures visant à soutenir l'industrie du bœuf, notamment une somme de 10 millions de dollars ajoutée aux 50 millions de dollars du Programme d'amélioration de l'abattage, 25 millions de dollars aux usines de transformation des bovins de plus de trente mois et 40 millions de dollars pour les nouvelles technologies visant à réduire les coûts ou à ajouter de la valeur aux matières à risque spécifiées.
- Le gouvernement du Canada continue également à travailler sans relâche afin d'élargir l'accès au marché mondial des producteurs de produits de base pour les agriculteurs canadiens et de défendre les droits commerciaux du Canada auprès d'organismes comme l'Organisation mondiale du commerce.
Dépôt d'une réponse à une question inscrite au Feuilleton
Les finances—La Birmanie et les droits de la personne
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 9 inscrite au Feuilleton — par le sénateur Downe.
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L'honorable Bob Runciman propose que le projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, c'est pour moi un privilège de parrainer le projet de loi S-2 afin qu'il soit adopté à l'étape de la troisième lecture. Ce projet de loi permettrait d'apporter des réformes fondamentales et administratives au Registre national des délinquants sexuels afin que nos rues et nos cours d'école soient plus sûres pour tout le monde. Le projet de loi comprend des mesures importantes pour veiller à ce que les délinquants sexuels soient identifiés convenablement afin que la police dispose des outils nécessaires pour faire son travail. Il répond également à des préoccupations soulevées par le milieu de l'application de la loi et des groupes de victimes.
Comme bon nombre d'entre vous s'en souviennent peut-être, en vertu des principales modifications proposées, tous les délinquants sexuels seraient inscrits au registre, alors qu'à l'heure actuelle, la Couronne doit d'abord présenter une demande, et le juge peut refuser de délivrer l'ordonnance; les délinquants sexuels reconnus coupables à l'étranger ne pourraient plus échapper à l'inscription au registre; et tous les délinquants sexuels seraient enregistrés dans la Banque nationale de données génétiques. En outre, le projet de loi habiliterait la police à utiliser le registre non seulement pour enquêter sur des crimes sexuels, mais aussi pour prévenir les infractions de ce genre.
Honorables sénateurs, je suis persuadé que nous sommes tous conscients de l'importance de donner à la police un outil qui lui permettra d'empêcher la perpétration de ces crimes, ce qui est particulièrement utile dans le cas des infractions sexuelles.
En vertu des modifications proposées par le projet de loi S-2, les responsables du registre sauraient aussi à quel moment les délinquants sexuels sont libérés ou réincarcérés. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Les délinquants sexuels seraient tenus de donner un préavis s'ils prévoient s'absenter de leur domicile pendant sept jours ou plus, plutôt que 15 jours, comme c'est le cas actuellement. Les modifications proposées par le gouvernement permettraient également au service de police d'une région du Canada de communiquer des renseignements au service de police d'une autre région au pays ou d'un pays étranger si un délinquant sexuel inscrit se dirige vers cet endroit. Tout Canadien qui rentre au Canada après avoir été condamné pour une infraction sexuelle à l'étranger serait aussi tenu de s'inscrire au Registre national des délinquants sexuels.
Honorables sénateurs, toutes ces dispositions et plusieurs autres feront en sorte que nos enfants seront plus en sécurité. De plus, nous pourrons peut-être prévenir certaines des histoires tragiques dont nous avons tous entendu parler et qui mettent en cause des délinquants sexuels.
Au cours des audiences du comité, Jim Stephenson, dont le fils, Christopher, a été assassiné par un délinquant sexuel, a déclaré ce qui suit :
Les modifications contenues dans le projet de loi S-2 permettent d'améliorer grandement le Registre national des délinquants sexuels.
J'exhorte tous les sénateurs à appuyer ce projet de loi et à faire en sorte qu'il soit adopté rapidement.
[Français]
L'honorable Marie-P. Poulin : Honorables sénateurs, au cours de mon intervention sur le projet de loi S-2, Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels, à l'étape de la deuxième lecture, j'ai fait un certain nombre d'observations et de suggestions que moi et les autres sénateurs de ce côté-ci jugions valables, raisonnables et susceptibles même d'améliorer le projet de loi.
Pendant son étude, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entendu un nombre important de témoins experts, plus de 30, dont certains entretenaient des réserves au sujet de certaines dispositions du projet de loi. D'autres ont réclamé des mesures de surveillance plus strictes à l'endroit des délinquants sexuels. Beaucoup, cependant, étaient en faveur du projet de loi et adhéraient aux principes d'un registre efficace de délinquants sexuels. Je mets l'accent sur le mot « efficace ».
Les vertus du projet de loi sont telles que les libéraux ont décidé de l'appuyer, et ce, malgré quelques réserves concernant un élément central, soit l'inscription automatique au registre des personnes reconnues coupables de l'une ou l'autre des 18 infractions primaires définies au Code criminel.
[Traduction]
Honorables sénateurs, le problème avec l'inscription obligatoire au registre, c'est qu'elle ne laisse aucun pouvoir discrétionnaire aux juges. Toute personne condamnée ferait automatiquement l'objet d'une ordonnance d'inscription au registre, peu importe la gravité du crime commis. Or, cela n'augmenterait pas l'efficacité du registre. Au comité, on a donné l'exemple d'un homme de 19 ans en état d'ivresse qui ferait des attouchements inappropriés à une femme lors d'une fête de Noël. En ce qui concerne la disposition relative à l'ordonnance non discrétionnaire, cette infraction serait considérée sur le même pied d'égalité qu'une agression sexuelle grave, que la bestialité et que l'inceste.
À mon avis, honorables sénateurs, il y a une différence entre un attouchement inapproprié et une agression épouvantable et cette différence doit être prise en compte au moment de déterminer la peine. Toutefois, aux termes du projet de loi S-2, tous les crimes devraient faire l'objet d'une inscription au registre, et ce, sans que les juges puissent faire preuve de discernement. Si on enlève aux juges leur pouvoir discrétionnaire, on leur enlève toute latitude. Si on leur enlève leur pouvoir discrétionnaire, avec le projet de loi S-2, on laisse entendre que, même si on veut un système judiciaire qui rende justice et qui atteigne un équilibre, on appuie une approche globale.
Une nouvelle question pourrait également être soulevée. Les juges seraient-ils moins enclins à rendre un verdict de culpabilité en raison de la stigmatisation associée à l'inscription au registre? Il ne fait aucun doute que le registre aiderait les agents de police à trouver les délinquants sexuels et, peut-être, à empêcher qu'un crime soit commis. Cependant, comme certains se le sont demandé à l'étape de la deuxième lecture, la disposition sur l'ordonnance non discrétionnaire n'est-elle pas excessive?
[Français]
(1600)
Honorables sénateurs, je ne comprends pas le gouvernement lorsqu'il affirme qu'il irait à l'encontre de l'objectif du projet de loi S-2 d'autoriser une certaine discrétion. Rappelons-nous que le Registre des délinquants sexuels n'est pas un registre public, puisqu'il est réservé aux autorités judiciaires, que la personne condamnée doit se soumettre à certaines obligations, dont celle de signaler ses allées et venues à la police et que près de 40 p. 100 des personnes reconnues coupables de délit sexuel ne sont pas inscrites au registre.
[Traduction]
Honorables sénateurs, en examinant la politique de durcissement des peines que préconise le gouvernement, on découvre que les coûts d'incarcération et de supervision plus serrée des contrevenants sont en train d'atteindre des sommets inégalés. Ne serait-il pas plus juste et plus efficace de permettre aux juges d'exercer une certaine discrétion?
Dans cette enceinte, nous convenons tous que les crimes sexuels sont répugnants et que leurs auteurs doivent être pénalisés. Cependant, le projet de loi S-2 serait plus efficace pour protéger la société si on conférait aux juges une certaine discrétion à l'égard des contrevenants coupables d'infractions moins graves.
Cela dit, j'appuie le projet de loi S-2 sous certaines réserves — soit avec dissidence comme nous le disons dans cette enceinte.
L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots au sujet du projet de loi et des amendements proposés lors de l'étude au comité.
Le Sénat n'effectue pas un second examen, mais bien un premier examen objectif de ce projet de loi, après quoi il sera renvoyé à la Chambre des communes pour étude. Si cette dernière propose des amendements au projet de loi, celui-ci nous sera renvoyé pour un troisième examen objectif.
Je prends quelques minutes pour expliquer l'amendement que j'ai proposé, pourquoi je l'ai proposé et pour faire une autre suggestion sur la façon de resserrer cette mesure législative si c'est ce que souhaite le gouvernement. C'est peut-être ce que l'ensemble des sénateurs souhaitent faire lorsqu'ils en feront le second examen objectif. Je m'explique.
Le projet de loi ferait disparaître une échappatoire dans la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels au Canada, qui dispose que le procureur de la Couronne doit demander que le nom du délinquant soit inscrit au registre dès le moment où il a commis une infraction désignée. Depuis que cette loi est en vigueur, soit depuis cinq ans, plus de 40 p. 100 des délinquants trouvés coupables d'une infraction sexuelle désignée n'ont pas été inscrits au registre. Voilà le problème auquel le gouvernement est confronté. Le nom de 42 p. 100 des auteurs d'une infraction sexuelle désignée ne figure pas dans le registre.
Le sénateur Manning : C'est une honte!
Le sénateur Baker : Ce projet de loi supprime l'exigence voulant que le procureur de la Couronne fasse une demande au juge lors de la condamnation. Personne ne conteste ce fait. Autrement dit, dès la condamnation, le juge doit émettre une ordonnance pour faire inscrire au registre le nom de tout délinquant trouvé coupable d'une infraction sexuelle désignée.
Honorables sénateurs, un comité de la Chambre des communes a effectué l'examen quinquennal de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, entrée en vigueur le 15 décembre 2004. Le comité et le Barreau du Québec ont recommandé que l'on retire de la loi l'obligation faite au procureur de la Couronne de demander qu'on inscrive au registre des délinquants sexuels le nom du délinquant reconnu coupable d'une infraction grave aux termes du Code criminel. Il appartiendrait au juge de le faire systématiquement. Le comité de la Chambre des communes était présidé par le député Garry Breitkreuz. Le comité a indiqué que dans ce qu'il a appelé de rares circonstances il conviendrait que le juge puisse user de sa discrétion dans les cas où il est possible d'opter pour la procédure sommaire.
Comme les juristes d'en face le savent, il y a deux façons de poursuivre une personne. Dans le cas d'une infraction mixte, on choisit la procédure sommaire ou la procédure de mise en accusation. La procédure de mise en accusation vise les infractions graves, tandis que la procédure sommaire s'applique aux infractions moins graves.
Le Barreau du Québec a écrit une lettre au président du comité et au sénateur LeBreton afin de leur indiquer qu'il souhaitait qu'on apporte cette modification à la mesure. Autrement dit, dans les rares cas où les infractions pourraient être visées par la procédure sommaire, le juge pourrait procéder à sa discrétion. C'est pour cela que l'amendement a été proposé.
Les sénateurs d'en face ont rejeté l'amendement. Je ne leur reproche pas de l'avoir fait.
Voyons voir qui sont les sénateurs d'en face. Il y a le sénateur Wallace, un juriste bien connu et respecté comptant de nombreuses années d'exercice du droit au Nouveau-Brunswick. Il y a le sénateur Lang, qui a servi sous huit ou 10 gouvernements au Yukon à titre de ministre responsable de divers ministères. Il y a le sénateur Angus, qui a plaidé en français devant la Cour suprême du Canada à l'âge de 31 ans. Qui se trouvait aux côtés du sénateur Angus?
Le sénateur Segal : M. Stikeman.
Le sénateur Baker : La personne qui se trouvait aux côtés du sénateur Angus était M. H. Heward Stikeman — le célèbre H. Heward. Il se trouvait aux côtés de celui qui allait devenir le fameux W. David, comme on l'appelait. S'ils consultent les décisions de la Cour suprême du Canada, les sénateurs verront que, au cours des années qui ont suivi, dans le cas des appels émanant de la Cour de l'Échiquier, c'est le sénateur Angus, et non M. Stikeman, qui plaidait. Le sénateur Angus était un brillant juriste dès l'âge de 31 ans.
Le sénateur Carignan a plaidé devant la Cour supérieure du Québec à l'âge de 25 ans. Le sénateur Boisvenu est un expert en matière de registre des délinquants sexuels.
(1610)
À côté de lui siège le motionnaire, le sénateur Runciman, qui a été député à l'Assemblée législative de l'Ontario pendant 29 ans et qui a occupé sept postes au Cabinet de cette province. Le sénateur Runciman a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de la Loi de Christopher et dans son adoption à l'Assemblée législative de l'Ontario.
En toute honnêteté, les sénateurs ne verront pas pareille liste de candidats s'il y a un jour des élections au Sénat.
Je m'apprête à dire ce qui suit parce que les députés de la Chambre des communes liront ces délibérations avant d'examiner le projet de loi, s'ils étudient soigneusement la question, ce qu'ils feront sans doute. Le principe est simple. Dans le cadre des contestations judiciaires fondées sur la Charte dont le projet de loi initial a fait l'objet, cinq cours d'appel au Canada ont statué que le fait d'avoir son nom dans le registre des délinquants sexuels ne constitue pas une punition. Le sénateur Angus m'approuve, car il connaît bien la question. Les cours d'appel ont déclaré qu'il ne s'agissait pas d'une punition. On a interjeté appel auprès de la Cour suprême du Canada et l'appel a été rejeté. Il ne s'agit donc pas d'une punition, mais d'un inconvénient mineur. Voilà les jugements qu'ont rendus les cours d'appel d'un bout à l'autre du Canada. Par conséquent, c'est le raisonnement qu'ont fait les conservateurs lorsqu'ils ont refusé l'amendement.
Honorables sénateurs, j'aimerais soulever un autre point. Un amendement n'a pas été proposé, et il aurait peut-être dû l'être. Je crois que cela mérite un examen. Comment s'assurer que les noms des 42 p. 100 de condamnés actuellement en prison, parfois pour meurtre au premier degré, qui ne sont pas inscrits au registre y figurent?
J'ai une mémoire institutionnelle au sujet de ce projet de loi, qui remonte à la Chambre des communes et à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. J'aimerais parler aux sénateurs du paragraphe 490.019 du Code criminel, qui permet aux procureurs généraux du pays d'émettre une ordonnance d'enregistrement concernant ceux qui ont été condamnés parce que les infractions dont il est question ici sont initialement jugées dans les cours provinciales.
Les procureurs généraux des provinces ont donc fait adopter des réglementations après le débat sur le projet de loi en 2002-2003 et son adoption en 2004. Toutefois, une seule province a effectivement complété le processus d'enregistrement de ces peines, qui englobe non seulement les peines d'emprisonnement, mais aussi les peines avec sursis, les probations, etc.
Pourquoi une seule province? Nous avions malheureusement inscrit dans le projet de loi que la période de rétroactivité visant les peines prendrait fin un an plus tard. C'est au paragraphe 490.021 du Code criminel. C'est parce que le ministère de la Justice avait indiqué que cela pourrait être contesté en vertu de la Charte.
C'était là le principal argument contre ma suggestion. Il s'agissait toutefois d'un argument compliqué, sénateurs, et nous en avons débattu au comité sénatorial. Il y avait trois mots. Que signifient « rétroactif », « rétrospectif » et « progressif »?
On ne peut appliquer la loi de façon rétroactive et augmenter la peine d'un condamné après le fait. Toutefois, nos cours d'appel ont approuvé l'application rétrospective de cette loi. En d'autres mots, il serait possible d'inscrire une personne ayant reçu une peine au registre des délinquants sexuels parce qu'il ne s'agit pas d'une punition, mais d'un inconvénient.
Par conséquent, si la Chambre des communes accepter d'examiner la question, il suffit simplement d'omettre le paragraphe 490.021 du Code criminel. Cela permettrait d'appliquer la loi à tous ceux qui ont déjà reçu une peine pour ces infractions désignées.
Honorables sénateurs, en terminant, permettez-moi de dire que les comités du Sénat font un excellent travail. J'ai siégé à celui de la Chambre des communes pendant 29 ans et je suis encore émerveillé du travail remarquable que fait le Sénat si on le compare à celui de la Chambre des communes. C'est la raison pour laquelle, à l'heure actuelle, dans leurs décisions, nos tribunaux citent les comités du Sénat quatre fois plus souvent que ceux de la Chambre des communes. Merci.
L'honorable Suzanne Fortin-Duplessis (Son Honneur la Présidente suppléante) : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente suppléante : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L'honorable John D. Wallace propose que le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi S-10, la Loi sur les peines sanctionnant le crime organisé en matière de drogue.
Honorables sénateurs, vous vous souviendrez peut-être qu'il s'agit de la troisième tentative de la part de notre gouvernement pour faire adopter cette mesure législative très importante et la faire entrer en vigueur. Ce projet de loi s'attaque à un problème qui préoccupe tout particulièrement les Canadiens, le problème des crimes liés à la drogue, en particulier le trafic et la production de drogue, deux activités qui sévissent dans toutes les régions du Canada.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-10 dont nous sommes saisis est exactement le même que celui qui a été adopté à l'autre endroit au cours de la dernière session du Parlement. Il inclut les amendements qui avaient été adoptés au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles après que les membres eurent entendu le témoignage du ministre de la Justice, de fonctionnaires du ministère de la Justice et d'une multitude d'intervenants et d'experts, notamment des représentants des forces de l'ordre.
Les amendements présentés au comité ont ensuite été adoptés à l'autre endroit et il s'agit là du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui.
(1620)
Honorables sénateurs, j'estime qu'il est extrêmement important de signaler que le projet de loi doit être étudié dans le contexte de la Stratégie nationale antidrogue du Canada, annoncée par le premier ministre en octobre 2007. Qui plus est, le projet de loi s'inscrit dans le droit fil d'une des grandes priorités du gouvernement, nommément la lutte contre la criminalité, le crime organisé en particulier.
À cet égard, la Stratégie nationale antidrogue du Canada comprend trois plans d'action, notamment un plan pour combattre la production et la distribution de drogues illicites. On y trouve un certain nombre d'éléments, y compris le fait de veiller à infliger des peines sévères et suffisantes pour les infractions graves liées aux drogues.
Le projet de loi S-10 s'inscrit clairement dans le cadre de ce plan d'action. Il propose un certain nombre de peines d'emprisonnement minimales obligatoires, afin que des peines suffisamment lourdes soient infligées à ceux qui commettent des infractions graves liées aux drogues.
Honorables sénateurs, il est également important de comprendre que le projet de loi S-10 ne prévoit pas des peines d'emprisonnement minimales obligatoires pour toutes les infractions liées aux drogues, mais seulement pour les infractions graves liées aux drogues, et ce pour que ceux qui commettent de telles infractions purgent une peine proportionnelle à leur infraction.
Avant de parler des particularités du projet de loi S-10, j'aimerais prendre quelques instants pour expliquer la nature du problème que la mesure législative tente de régler.
Au cours des 10 dernières années, au Canada, les opérations liées à la production et à la distribution de marijuana et de drogues synthétiques ont considérablement augmenté, ce qui a causé de sérieux problèmes dans certaines régions, dépassant souvent la capacité des organismes d'application de la loi de faire leur travail. Ces installations constituent un grave danger pour la santé et la sécurité publique des gens qui y travaillent ou qui vivent à proximité. Elles présentent des risques environnementaux, posent des problèmes sur le plan du nettoyage et mettent en danger la vie et la santé des Canadiens et de leurs collectivités.
Ces entreprises sont lucratives et attirent divers groupes du crime organisé. Ceux qui les exploitent risquent peu et font d'énormes profits, qui servent à financer d'autres activités criminelles. Nombreux sont ceux qui considèrent que les sanctions et les peines actuelles liées à ces infractions sont trop clémentes et ne sont pas proportionnées au dommage que ces activités criminelles causent dans les collectivités.
Selon Statistique Canada, le nombre d'infractions liées à la culture de marijuana a plus que doublé, passant de 3 400 infractions en 1994 à 8 000 en 2004. Selon une étude menée sur les installations de culture de la marijuana en Colombie-Britannique, en 2003, environ 39 p. 100 de tous les cas rapportés de culture de marijuana se trouvaient en Colombie-Britannique, soit 4 514. Entre 1997 et 2000, le nombre de ces cas a augmenté de plus de 220 p. 100.
Même si le nombre d'installations individuelles en Colombie- Britannique est resté stable entre 2000 et 2003, on a évalué que la quantité de marijuana produite est passée de 19 000 kg en 1997 à 79 000 kg en 2003. Cette multiplication par quatre de la production résulte surtout de la taille des opérations individuelles et de leur niveau de perfectionnement.
Honorables sénateurs, j'ai fait ces observations pour que vous puissiez comprendre à quel point le crime lié à la drogue est un problème sérieux au pays.
Le gouvernement du Canada l'a reconnu. Il est conscient que les crimes sérieux liés à la drogue, comme les opérations de culture à grande échelle et les laboratoires clandestins, présentent une menace pour la sécurité de nos rues et de nos collectivités. Le projet de loi S- 10 fait partie de la stratégie du gouvernement pour lutter contre ce grave problème.
Ce projet de loi propose des modifications visant à renforcer les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances concernant les sanctions prévues dans les cas d'infractions graves liées aux drogues, notamment en imposant des peines minimales obligatoires. En proposant ce projet de loi, le gouvernement montre qu'il est résolu à améliorer la sécurité et la sûreté des familles et des collectivités canadiennes partout au pays.
Comme on l'a indiqué auparavant, le gouvernement reconnaît que les infractions liées à la drogue et leurs auteurs ne présentent pas tous le même risque de violence et le même danger. Le projet de loi S-10 tient compte de cette réalité. C'est pourquoi il propose une approche ciblée pour s'attaquer aux infractions graves liées à la drogue. Par conséquent, les nouvelles sanctions ne s'appliqueront pas aux infractions liées à la possession ni à tous les types de drogues. Le projet de loi cible les infractions les plus graves liées aux drogues les plus dures.
De manière générale, les modifications prévues dans le projet de loi S-10 représentent une approche sur mesure pour l'imposition de peines minimales obligatoires dans le cas d'infractions graves liées aux drogues, comme le trafic, l'importation, l'exportation et la production de drogues comme la cocaïne, l'héroïne, la méthamphétamine et le cannabis. Ce projet de loi propose une approche uniforme à l'égard des infractions graves liées à la drogue. À cette fin, il propose un certain nombre de modifications importantes à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Les infractions associées aux drogues illicites qui sont visées par le projet de loi S-10 sont le trafic, la possession à des fins de trafic, la production, l'importation, l'exportation et la possession à des fins d'exportation. Les drogues concernées sont les drogues inscrites à l'annexe I, qui comprennent la cocaïne, l'héroïne et la méthamphétamine, et les drogues inscrites à l'annexe II, comme la marijuana.
Le projet de loi S-10 ne s'applique pas aux infractions liées à la possession de drogue et aux infractions liées à des drogues moins importantes, comme le diazépam ou le Valium.
Dans le cas des substances inscrites à l'annexe I, c'est- à-dire les drogues telles que l'héroïne, la cocaïne ou la méthamphétamine, le projet de loi S-10 prévoit une peine minimale obligatoire d'un an d'emprisonnement pour le trafic ou pour la possession à des fins de trafic, quand il y a certaines circonstances aggravantes.
Parmi les circonstances aggravantes, on compte notamment : la personne a commis l'infraction au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec celle-ci; la personne a eu recours ou a menacé de recourir à la violence, ou a utilisé ou menacé d'utiliser une arme; la personne a déjà été reconnue coupable d'une infraction désignée liée à la drogue au cours des dix dernières années.
Si l'infraction est commise en présence de personnes mineures ou dans une prison, la peine minimale obligatoire passe à deux ans d'emprisonnement.
Dans les cas d'importation, d'exportation et de possession dans le but de l'exportation, la peine minimale obligatoire est d'un an si ces infractions sont commises à des fins de trafic.
Une peine minimale obligatoire d'un an d'emprisonnement est aussi imposée si le contrevenant a commis un abus de confiance ou un abus d'autorité, ou s'il avait accès à une zone réservée aux personnes autorisées et qu'il a utilisé cet accès pour perpétrer l'infraction.
La peine minimale obligatoire passe à deux ans si l'infraction concerne plus d'un kilogramme d'une substance inscrite à l'annexe I. La durée de la peine minimale obligatoire applicable à une infraction liée à la production d'une substance inscrite à l'annexe I est de deux ans.
La peine minimale obligatoire passe à trois ans en présence de circonstances aggravantes liées à la santé et à la sécurité. Ces circonstances sont, notamment : la production de la drogue illicite constitue un danger potentiel pour la sécurité ou la santé d'enfants se trouvant à l'endroit ou dans les environs de l'endroit où l'infraction a été commise, la production constitue un danger potentiel pour la sécurité du public dans un secteur résidentiel, ou l'accusé a tendu un piège.
Dans le cas des drogues inscrites à l'annexe II, dont la marijuana et la résine de cannabis, la peine minimale obligatoire proposée pour le trafic et la possession en vue du trafic est d'un an en présence de circonstances aggravantes telles que la violence, la récidive ou la collaboration avec le crime organisé. En présence de facteurs tels que la vente à des jeunes, la peine minimale obligatoire passe à deux ans.
(1630)
Pour l'importation ou l'exportation et la possession de marijuana en vue d'exporter, la peine minimale est d'un an si l'infraction est commise en vue d'un trafic. Une peine minimale d'un an sera également imposée si un délinquant profite de son autorité ou de sa position ou encore si, ayant accès à une zone réservée, il utilise cet accès pour commettre une infraction.
En cas de production de marijuana, le projet de loi S-10 propose des peines obligatoires fondées sur le nombre de plantes en cause. En cas de production de six à 200 plantes à des fins de trafic, la peine minimale est de six mois. À cet égard, il est important de noter que le nombre minimal de plantes a été porté de un à six à la suite d'un amendement proposé à l'autre endroit par le Comité de la justice. Pour la production de 201 à 500 plantes, la peine obligatoire est au minimum d'un an. Pour la production de plus de 500 plantes, la peine minimale est de deux ans. En cas de production de résine de cannabis à des fins de trafic, la peine minimale d'emprisonnement est d'un an.
Au minimum, la peine pour la production de drogues visées à l'annexe II augmenterait de 50 p. 100 si les circonstances aggravantes liées à la santé et à la sécurité que je viens de mentionner sont présentes. La peine maximale pour la production de marijuana doublerait et passerait de sept à 14 ans d'emprisonnement. Les amphétamines et les drogues du viol, comme l'acide gamma-hydroxybutyrique et le Rohypnol, seraient transférés à l'annexe I, ce qui permettrait aux tribunaux d'imposer des peines maximales plus lourdes pour les infractions impliquant ces drogues.
Honorables sénateurs, il est très important de souligner que le projet de loi S-10 laisse aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d'imposer des peines autres que la peine minimale obligatoire aux personnes ayant commis une infraction grave liée à la drogue, si celles-ci ont suivi et terminé avec succès un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie. Les sénateurs se rappelleront que lorsque le projet de loi C-15, dont s'inspire le projet de loi S-10, a été présenté au Sénat, l'année dernière, nous y avons apporté plusieurs amendements. J'aimerais parler de deux amendements en particulier.
Le projet de loi C-15 proposait également des peines minimales obligatoires fondées sur le nombre de plantes produites. Il prévoyait une peine d'emprisonnement obligatoire de six mois pour une infraction commise à des fins de trafic et impliquant la production de six à 200 plantes. Là encore, grâce à l'amendement adopté par le Comité de la justice, lequel a été adopté à l'autre endroit, le nombre minimal de plantes est passé d'une à six.
En vertu du projet de loi C-15, les personnes qui cultivaient cinq plantes ou moins n'auraient pas été assujetties à une peine minimale et la peine minimale ne serait entrée en jeu que lorsque le délinquant aurait cultivé plus de cinq plantes et moins de 201 plantes et que les plantes cultivées auraient été destinées au trafic. Ce n'est pas une infraction pour possession, mais pour production à des fins de trafic.
L'un des amendements proposés et adoptés par le comité sénatorial pour le projet de loi antérieur, le projet de loi C-15, changeait considérablement cette approche. Il supprimait en fait la peine minimale pour les personnes produisant entre cinq et 200 plantes si la production était destinée au trafic. Il supprimait la peine minimale obligatoire. Aux termes de cet amendement, n'importe qui aurait pu exploiter une installation de culture de marijuana et cultiver jusqu'à 200 plantes destinées au trafic sans risque d'écoper d'une peine minimale quelconque s'il avait été condamné pour avoir produit de la marijuana.
Honorables sénateurs, cet amendement équivaut à une incitation pour les criminels à se lancer dans la production de 200 plantes de marijuana ou moins dans le but d'en faire le trafic et ce, sans craindre l'emprisonnement. À mon avis, un tel amendement aurait envoyé un message indiscutablement mauvais et constituait une erreur qu'il ne faudrait absolument pas répéter.
J'attire l'attention des sénateurs sur un autre amendement au projet de loi C-15 qui a été proposé et adopté par le comité sénatorial. Il aurait permis aux juges d'imposer une peine inférieure au minimum obligatoire pour n'importe quelle infraction grave liée à la drogue prévue dans le projet de loi dans les cas où le tribunal aurait été d'avis que, la personne accusée étant un Autochtone, la peine serait excessivement dure dans les circonstances et qu'une autre sanction serait raisonnable et possible. Cet amendement particulier aurait signifié qu'un Autochtone qui a commis un crime grave lié à la drogue n'aurait pas encouru de peine d'emprisonnement, contrairement à tous les autres contrevenants dans des circonstances analogues. Je rappelle aussi aux sénateurs que le projet de loi S-10 donne aux tribunaux le pouvoir d'imposer une peine autre que le minimum obligatoire pour un crime grave lié à la drogue aux personnes qui s'inscrivent à un programme de traitement de la toxicomanie et le suivent jusqu'à la fin, que ce programme soit supervisé par un tribunal consacré en matière de drogues ou un tribunal ordinaire.
Notre gouvernement reconnaît que les contrevenants autochtones représentent un pourcentage élevé de la population carcérale. En outre, le gouvernement est au courant des dispositions du Code criminel qui permettent aux tribunaux d'accorder une attention particulière à la situation des délinquants autochtones lors de la détermination de la peine. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l'a stipulé dans l'arrêt R. c. Gladue, cela ne signifie pas que la peine infligée à un délinquant autochtone doit toujours être déterminée d'une manière qui accorde plus de poids aux principes de justice corrective qu'aux objectifs tels que la dissuasion, la dénonciation et la mise à l'écart. Il serait raisonnable de présumer que les Autochtones croient en l'importance de ces objectifs et croient que ce genre d'objectif devrait être envisagé, au besoin.
Même lorsqu'il s'agit d'une infraction grave, la durée de la peine d'emprisonnement doit être prise en considération, selon la Cour suprême du Canada. Dans certains cas, la durée de la peine pour un contrevenant autochtone pourrait être moins longue, et dans d'autres cas, elle pourrait être la même que pour tout autre contrevenant. Généralement, dans ce contexte, la Cour suprême du Canada a jugé que plus le crime est grave et violent, plus la peine d'emprisonnement risque d'être la même pour un crime de même nature, que le contrevenant soit un Autochtone ou non.
Dans cette optique, j'aimerais rappeler aux sénateurs que le projet de loi S-10 vise les auteurs d'une infraction grave en matière de drogue. Le projet de loi propose d'imposer des peines minimales lorsqu'on peut prouver l'existence de circonstances aggravantes sérieuses. Selon moi, dans ces circonstances, les contrevenants devraient être traités de la même façon, qu'ils soient Autochtones ou non, pour ce qui est de l'imposition d'une peine minimale. Les tribunaux auraient toujours le choix d'imposer des peines maximales moins sévères dans certains cas mettant en cause des délinquants autochtones. Ils auraient également le choix d'aiguiller, lorsque c'est indiqué et possible, le délinquant autochtone vers des programmes de désintoxication et d'imposer une peine autre que la peine minimale si celui-ci termine son traitement.
(1640)
Honorables sénateurs, le projet de loi S-10 est un élément essentiel de l'engagement continu de notre gouvernement à prendre les mesures qui s'imposent pour protéger les Canadiens et pour rendre nos rues et nos collectivités plus sûres. Les Canadiens veulent un système de justice doté de lois claires et rigoureuses qui dénoncent et découragent les crimes graves au pays, y compris, bien sûr, les infractions graves liées à la drogue. Les Canadiens veulent des lois qui imposent des peines proportionnelles à la gravité de ces crimes, et c'est exactement ce que propose le projet de loi S-10.
Merci, honorables sénateurs.
L'honorable Hugh Segal : Je me demande si le sénateur accepterait de répondre à une question.
Le sénateur Wallace : Certainement.
Le sénateur Segal : J'admire beaucoup le sénateur Wallace et le travail remarquable qu'il a fait dans certains dossiers difficiles concernant le Code criminel, la détermination de la peine et d'autres dossiers connexes. Je suis particulièrement impressionné par les arguments impartiaux et équilibrés qu'il a avancés au nom du gouvernement que nous appuyons tous les deux.
Je m'inquiète, cependant, de ces lois qui pourraient, en raison de leur spécificité, discréditer l'administration de la justice. Je ne suis pas un avocat, et je m'en remets à ceux de cette enceinte qui le sont. Je n'ai jamais fumé de marijuana. Craig Oliver, en 1998, m'a demandé si j'avais déjà fumé de la marijuana. Je lui ai répondu que je n'aimais pas beaucoup cela, que je n'étais pas un fumeur et que je préférais la viande fumée.
Cela dit, il y a une grande différence entre posséder 200 plants de marijuana et en posséder 6. Si on regarde les études qui ont été menées sur ce qui se passe dans les universités du pays, je crois comprendre, selon ce qu'en disent ceux qui comprennent cette situation mieux que moi, que l'on peut parfois trouver jusqu'à trois, quatre ou cinq plants dans la chambre d'un étudiant, et même six ou sept. Selon moi, la notion selon laquelle cela constitue un indice sérieux que l'étudiant en question prévoit faire le trafic de marijuana ajoute un fardeau indu sur les épaules de nos policiers. Aux dernières nouvelles, les policiers étaient suffisamment occupés avec de sérieux criminels, notamment les vrais trafiquants et ceux qui exploitent des cultures de marijuana semblables à celles que l'OPP et la GRC ont trouvées dans les régions rurales de l'Est et du Nord de l'Ontario, comme le sait le sénateur Runciman, où des gens complotent pour enfreindre sérieusement la loi.
Le sénateur Wallace ne croit-il pas qu'il y a une différence entre 200 plants, ce qui pourrait être excessivement généreux en ce qui concerne la protection, et six plants? Les agents du service local de police pourraient trouver que cette mesure est parfois difficile à appliquer. Les procureurs de la Couronne pourraient juger que cela les place dans la situation où ils auraient à prouver l'intention des contrevenants devant d'habiles avocats de la défense qui feront valoir que la présence de six plants pourrait être excessive, selon ce que prévoit précisément la loi, mais qu'elle ne constitue en aucun cas une preuve de l'intention de faire le trafic de marijuana ou de donner ces plants à d'autres personnes à des fins illégales.
Je pose la question au sénateur, sachant qu'il pourrait vouloir y réfléchir. J'espère toutefois qu'il songera à l'idée d'adopter une façon de faire légèrement moins contraignante.
Le sénateur Wallace : Je remercie le sénateur de sa question. La question de la production de marijuana est importante pour le pays. L'examen que nous avons fait du projet de loi C-15 et les faits qui nous ont été soumis alors nous ont révélé qu'il existe des différences d'opinion à ce sujet. Par contre, il ne fait pas de doute, pour le gouvernement, et pour moi qui suis fermement de cet avis, que la production de marijuana est un problème sérieux qui alimente dans une large mesure le crime organisé. Comme le sénateur le sait peut- être, la Colombie-Britannique est considérée aux États-Unis comme une importante région productrice et exportatrice de marijuana, ce qui est un grave sujet de préoccupation.
Pour ce qui est du nombre de plantes qui varie entre six et 200, il faut prouver que l'infraction liée à la production a été commise à des fins de trafic. La Couronne doit prouver cela. La question n'est pas prise à la légère. C'est du travail sérieux que de prouver que l'infraction a été commise à des fins de trafic. Si je me souviens bien de nos travaux lors de l'étude du projet de loi C-15, au sommet de l'échelle, la valeur en gros de 200 plantes équivaut à environ 350 000 $, ce qui est une somme considérable.
Au bas de l'échelle, comme je l'ai mentionné dans ma présentation, on avait d'abord pensé à fixer le seuil à une plante. Il y a eu beaucoup de discussion pour déterminer où devrait se trouver le seuil entre une et 200. On a discuté de cela en long et en large avec l'ensemble du milieu canadien de l'application de la loi. Les ministères de la Justice des provinces ont participé très activement à tout ce processus de consultation. Par conséquent, le seuil est passé d'une plante à cinq, soit n'importe quel chiffre inférieur à six. Nous n'en sommes pas arrivés à ce chiffre par hasard; nous avons pris très au sérieux l'exercice qui a mené à cette conclusion. Cela a été fait au moyen de consultations auprès des intervenants qui connaissent bien ces questions et, en particulier, les crimes graves liés à la drogue au pays, ce qui forme l'objet même de tout le débat. Nous mettons l'accent sur ces mesures pour que nos rues soient plus sûres et pour que nous puissions protéger nos enfants. Voilà ce dont il est question ici. Nous souhaitons nous attaquer aux problèmes graves que présente le crime organisé.
Cela dit, la question était de savoir s'il y avait une possibilité de changer cela, à cette étape, après la réalisation de tout ce processus. Je ne le crois pas.
L'honorable Joan Fraser : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Wallace : Oui.
Le sénateur Fraser : Je reviens sur le raisonnement intéressant du sénateur Segal. Je pense aussi que l'écart entre six et 200 est trop grand, mais c'est ce que la Chambre des communes nous soumet. C'est peut-être l'occasion pour nous de procéder à un second examen objectif.
Si l'on pense au nombre de plants minimum, que ce soit six, 10 ou peut-être 15 plants, je me souviens que, pendant les travaux du comité sénatorial, l'une de nos préoccupations était le fait que les plants devaient vraiment être produits aux fins d'en faire le trafic. Contrairement au sénateur Baker, je n'ai pas le Code criminel en main. Le sénateur Wallace peut-il nous confirmer que la définition du trafic inscrite dans le Code criminel est extrêmement vague? Le fait de donner ou même d'offrir de donner une drogue peut être considéré comme du trafic. Une personne vivant en banlieue qui fait pousser une vingtaine de plants afin de pouvoir offrir du pot quand elle invite ses voisins à une fête, une fois ou deux par année, pourrait être accusée de faire du trafic. Pourtant, il peut s'agir d'un bon banlieusard respectable n'ayant distribué cette substance qu'à trois ou quatre de ses voisins immédiats. Est-ce que je me souviens bien de la définition du trafic telle qu'on la trouve dans le Code criminel?
Le sénateur Wallace : Je remercie madame le sénateur de sa question. Je n'ai pas d'expérience personnelle dans ce domaine, mais j'ai cru comprendre que cinq plants, ce qui est la moyenne dont il est question, produisent une quantité importante de marijuana. Pour répondre plus précisément à la question du sénateur, il est vrai que le trafic englobe plus que la vente d'une substance. La distribution gratuite d'une substance pourrait aussi être considérée comme du trafic.
L'honorable Grant Mitchell : J'ai deux questions à poser, et je vais les poser une à la fois.
Le sénateur faisait valoir que cette initiative réduirait le crime organisé, pour qui le trafic de marijuana est une vache à lait. Peut-il me dire comment le crime organisé pourrait s'intéresser à six plants? Cette quantité ne me semble pas suffisante pour constituer une activité du crime organisé dont il faille s'inquiéter, alors pourquoi faudrait-il s'en inquiéter dans ce contexte?
(1650)
Le sénateur Wallace : Comme le sénateur le sait, le projet de loi porte sur une large gamme de drogues parmi les plus dures, y compris l'héroïne, la cocaïne, la méthamphétamine et le cannabis. Il est incontestable que la production et la vente de ces drogues représentent un apport financier vital pour le crime organisé. La police nous l'a dit et nous le croyons.
En réponse à la question du sénateur, nous pourrions débattre à l'infini du point à partir duquel la production des drogues devient profitable au crime organisé et du point où nous devons fixer la limite lorsqu'il est question d'enrayer ce genre d'activité. Donc, il faut établir une limite quelque part. La décision de fixer cette limite à six plants n'a pas été prise à la légère. Ce projet de loi a pour but de lutter contre les crimes graves liés à la drogue. Selon le gouvernement, la production de six plants et plus constitue un crime grave lié à la drogue.
Le sénateur Mitchell : Ma véritable crainte, c'est qu'un étudiant universitaire qui fait pousser quelques plants dans sa résidence ou dans une maison près du campus puisse voir sa vie entière gâchée par quelque chose qui, dans le fond, n'est pas bien méchant, n'est pas une voie d'accès au crime organisé et n'est probablement pas si loin de ce que bien des sénateurs ont pu eux-mêmes faire lorsqu'ils avaient 19 ou 20 ans. En établissant la limite à cinq ou six plants, c'est pourtant ce qui risque d'arriver. Nous allons revivre la scène à laquelle nous avons assisté aux États-Unis, où des gens qui commettent une erreur somme toute bénigne se retrouvent en prison durant cinq ou 10 ans — même s'il est vrai qu'on parle ici de six mois — et voient leur vie complètement gâchée. C'est le point que je voulais soulever.
Il ne fait aucun doute, et c'est ce que le gouvernement espère, que ce projet de loi va faire en sorte que beaucoup plus de gens seront envoyés en prison. C'est, en tout cas, l'objectif que poursuivent tous les projets de loi du gouvernement visant à durcir le ton à l'endroit des criminels, ce qui est plutôt paradoxal, car si ces mesures étaient vraiment efficaces, moins de gens iraient en prison puisqu'elles les dissuaderaient de commettre les crimes que l'on cherche ainsi à réprimer.
Le gouvernement a-t-il analysé la situation et calculé le nombre de personnes de plus qui iront en prison pendant on ne sait trop combien de temps, dans des établissements qui ne sont même pas encore bâtis mais qu'il nous faudra construire et faire fonctionner, tout cela parce que ce projet de loi fera accroître le nombre de personnes qui les occuperont? Rappelons-nous qu'une cellule coûte 100 000 $ à construire et qu'il faut encore 100 000 $ par année pour y faire vivre un détenu. Avez-vous estimé les coûts de ce projet de loi pour la population canadienne?
Le sénateur Wallace : J'aimerais faire quelques observations. Le sénateur laisse entendre que le gouvernement souhaite ou que je souhaite qu'un plus grand de personnes soient incarcérées à cause de cette mesure. En fait, j'espère que ce sera tout le contraire. Nous pouvons certes débattre de l'effet dissuasif de l'imposition de peines minimales obligatoires ou du resserrement des peines. J'aimerais certainement que ces mesures aient un effet dissuasif et que, par conséquent, moins de gens ne se livrent à des activités criminelles. Je me rends compte que ce débat ne finira jamais, mais il est faux de prétendre que nous souhaitons et que nous préconisons que davantage de gens se retrouvent derrière les barreaux.
Cela dit, l'activité criminelle constitue un problème considérable au Canada et j'estime nécessaire que les organismes d'application de la loi et les législateurs soutiennent les efforts visant à contrer de telles activités. Pour protéger nos citoyens et pour rendre nos rues plus sûres, il peut falloir, dans certains cas, mettre à l'écart et incarcérer des individus mêlés au trafic, à la production, à l'importation et à l'exportation de drogues dures. En toute franchise, si c'est ce qu'il faut faire, j'appuie entièrement une telle mesure.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question allant dans le même sens que celle du sénateur Mitchell.
Dans l'hypothèse que le projet de loi soit renvoyé au comité, le sénateur Wallace va-t-il faire en sorte que les fonctionnaires du ministère sachent que nous aimerions avoir accès aux études menées par le gouvernement relativement aux effets dissuasifs que pourrait avoir cette mesure, effets dissuasifs que le sénateur espère, en tout cas, et que nous aimerions savoir ce qu'il en coûtera pour mettre en œuvre le projet de loi, étant donné que les taux d'incarcération augmenteront? Le sénateur fera-t-il en sorte que les témoins appropriés puissent comparaître devant le comité à cet égard?
Le sénateur Wallace : Le comité se penchera sur toute la gamme des questions soulevées par ce projet de loi, comme ce fut le cas avec le projet de loi C-15. Je sais que des experts du ministère de la Justice, entre autres, livreront des témoignages sur la gamme de questions que couvre le projet de loi. Comme vous le savez, les questions que vous soulevez ont déjà été soulevées par le passé. Elles le seront de nouveau et je suis convaincu que le comité les abordera de façon adéquate.
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
[Français]
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L'honorable Linda Frum propose que le projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides), soit lu pour la troisième fois.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
La Loi sur la Cour suprême
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Tardif, appuyée par l'honorable sénateur Rivest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-232, Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des langues officielles).
L'honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je veux partager avec vous mes réflexions et répondre, à l'étape de la deuxième lecture, au projet de loi C-232, Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême, qui a pour objet d'ajouter, à son article 5, une condition d'admissibilité pour y accéder, à savoir comprendre le français et l'anglais sans l'aide d'un interprète.
Ce projet de loi risque d'avoir des répercussions importantes pour les minorités linguistiques des deux langues officielles. Honorables sénateurs, je me suis fait un point d'honneur d'approfondir très sérieusement l'étude de ce projet de loi et j'ose espérer amener le débat au-delà du débat partisan et ainsi permettre à notre Chambre d'exercer son rôle réel d'instance de deuxième analyse.
En guise d'introduction, j'aimerais vous citer la Cour suprême, dans le jugement Ford de 1988, qui traite de la langue. Elle affirme ceci :
La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l'expression qu'il ne peut y avoir de véritable liberté d'expression linguistique s'il est interdit de se servir de la langue de son choix. Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. C'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. C'est également le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité.
C'est de ce droit fondamental d'utiliser la langue de son choix dont il est question dans ce projet de loi.
(1700)
Tous conviendront que, dans un Canada moderne et respectueux de ses deux langues officielles, le bilinguisme constitue un objectif individuel souhaitable, voire idéal, qui doit être pris en considération lorsqu'une personne aspire, que ce soit au niveau politique, juridique ou social, aux échelons les plus élevés de notre société.
Un sondage effectué par le Centre de recherche Décima, en 2006, a conclu que sept Canadiens sur 10 sont d'accord avec le bilinguisme pour le pays tout entier et que huit Canadiens sur 10 croient qu'il est essentiel que leur enfant apprenne une nouvelle langue.
Cependant, il existe un immense fossé entre l'idéal d'une population bilingue et la réalité. En effet, le taux de bilinguisme au Canada s'établit à environ 17 p. 100 de la population. Si on analyse cette moyenne, on constate que le taux de bilinguisme le plus élevé se situe au Québec, à près de 40 p. 100, soit 66 p. 100 de bilinguisme chez les anglophones québécois et 36 p. 100 chez les francophones du Québec.
Le Nouveau-Brunswick se situe au deuxième rang, avec 34,2 p. 100. Toutes les autres provinces sont à moins de 12 p. 100, allant de l'Île-du-Prince-Édouard, à 12 p. 100, au Nunavut, à 3,8 p. 100. C'est donc dire que le bassin de personnes aptes à occuper des fonctions bilingues au Canada, sans le Québec, est réduit de 90 p. 100. Chez les francophones du Québec, le bassin de personnes aptes à accéder à des fonctions bilingues est réduit de près de 70 p. 100.
Au-delà de ces aspects démographiques, je me suis intéressé à la constitutionnalité du projet de loi et à ses répercussions sur l'interprétation future des droits linguistiques individuels. Un rappel historique et juridique des droits linguistiques s'impose afin d'évaluer les conséquences de ce projet de loi.
Avant 1867, il existait ce que certains auteurs ont appelé un « flottement institutionnel » où se sont succédé des obligations parfois contradictoires relativement aux droits linguistiques, et ce particulièrement dans le domaine judiciaire.
L'article 133, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est venu constitutionnaliser le droit fondamental d'utiliser la langue de son choix. Cet article s'applique toujours aujourd'hui et est l'une des pièces maîtresses de l'édification des droits linguistiques au Canada.
L'article 133 prévoit notamment que, dans les Chambres du Parlement du Canada et de la législature du Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise dans les débats sera facultatif. De plus, dans tous les tribunaux du Québec et du Canada, on pourra faire usage de l'une ou l'autre de ces langues.
Ainsi, l'article 133, garantit l'usage facultatif de la langue française ou anglaise au Parlement du Canada et à celui du Québec, devant les tribunaux du Canada relevant de la compétence fédérale et ceux de la province de Québec. Ainsi, ce droit que j'exerce aujourd'hui au Sénat de m'adresser à vous dans la langue de mon choix, la langue française, est un droit constitutionnel conféré par l'article 133. Les acteurs qui agissent à l'intérieur des cours de justice ont exactement le même droit constitutionnel que les membres du Parlement.
Au cours de l'histoire, l'article 133 a fait l'objet de plusieurs décisions de la Cour suprême qui ont façonné les droits linguistiques au Canada. L'article 133 a servi de fer de lance aux plus grandes victoires juridiques des minorités linguistiques et à la reconnaissance de leurs droits inaliénables d'utiliser la langue de leur choix.
Je citerai notamment l'arrêt Jones, en 1975, qui confirmait la compétence du gouvernement fédéral d'adopter la Loi sur les langues officielles. Cet arrêt précisait que l'article 133 donne des droits linguistiques qui ne peuvent être réduits, mais que l'État a le pouvoir d'accorder des droits et privilèges supplémentaires.
Quelques années plus tard, la Cour suprême, dans les arrêts Blaikie de 1979 et de 1981, utilisait une interprétation large et libérale de l'article 133 et déclarait inconstitutionnelle l'obligation d'unilinguisme législative au Québec, réitérant que cette faculté d'utiliser l'une des deux langues s'applique à toutes les procédures et plaidoiries et à tous les organismes ou cours exerçant un pouvoir de rendre justice.
En 1986, la Cour suprême, dans la trilogie des arrêts MacDonald, Bilodeau et Société des Acadiens, a précisé certains droits linguistiques. La Cour suprême, dans MacDonald, établit que le droit fondamental d'utiliser la langue de son choix s'applique aux plaideurs, aux avocats, aux témoins, aux juges et aux fonctionnaires de justice, qui prennent effectivement la parole au cours d'une instance. Le droit est celui d'employer l'une des deux langues officielles de son choix, mais ce droit ne comprend pas le droit d'être compris sans avoir recours à un interprète.
En 1986, la Cour suprême, sous la plume du juge Beetz, juge québécois bilingue, donnait une interprétation restrictive du droit. Il déclara de la même façon que l'accusé avait exercé son droit linguistique constitutionnel de s'adresser à la cour en anglais et que le juge, quant à lui, avait exercé son droit constitutionnel en rendant un jugement dans la langue de son choix, en partie en français et en partie en anglais.
Ainsi, les droits de l'un se terminent là où débutent ceux de l'autre. La juge Wilson, dissidente, adopte quant à elle une approche d'interprétation plus large et confirme que le droit de choisir sa langue s'applique également aux juges et que l'État manque à son obligation s'il ne tient pas compte de la langue employée par les parties.
Ainsi, la juge Wilson déclare que la loi :
[...] autorise l'utilisation des deux langues pour une raison. Et cette raison est que la cour doit communiquer avec la personne qui s'y présente dans la langue que cette personne comprend. Dire le contraire équivaut à tourner en dérision les droits linguistiques de la personne. Peu importe que le juge agissant en sa qualité officielle conserve le droit, comme personne, de rédiger des jugements dans la langue de son choix, cela ne peut, à mon sens, diminuer l'obligation de l'État de fournir une traduction dans la langue du justiciable.
Ainsi, pour la juge Wilson, l'État doit fournir une traduction et cette traduction permet de tenir compte des droits constitutionnels des parties et du juge, soit ceux de s'exprimer et d'être compris. Elle utilise une méthode d'interprétation fondée sur l'objet saluée par les auteurs et reprise en 1999 dans l'arrêt Beaulac, sous la plume du juge Bastarache.
Ainsi, actuellement, en cette Chambre, la traduction simultanée me permet d'exercer mon droit constitutionnel de m'exprimer, d'être compris par plusieurs d'entre vous dans la langue de mon choix, la langue française, et cette traduction permettra à mes collègues unilingues anglophones de me comprendre et de m'interpeller tout à l'heure en exerçant leur droit constitutionnel de s'adresser à moi dans la langue de leur choix.
D'autres garanties constitutionnelles ont été ajoutées aux compromis historiques et politiques de 1867, particulièrement en 1982, par l'adoption des articles 16, 17, 19, 20, 21 de la Charte canadienne des droits et libertés.
(1710)
Ces articles reprennent de façon plus explicite l'article 133 et étendent leur application au Nouveau-Brunswick. L'article 16 contient un principe de progression vers l'égalité du statut des deux langues officielles en obligeant l'État à faire progresser le statut de celles-ci.
L'article 20 crée l'obligation positive de rendre des services dans les deux langues officielles sous condition de certaines balises, notamment là où le nombre le justifie. L'article 21, quant à lui, maintient les droits linguistiques constitutionnels antérieurs, notamment ceux découlant de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
En 1988, le Parlement modernisait la Loi sur les langues officielles de 1969 en adoptant la Loi concernant le statut et l'usage des langues officielles du Canada. Les tribunaux ont accordé un statut quasi constitutionnel à cette loi, signifiant par là l'importance des droits linguistiques au Canada. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles précise qu'elle a pour objet d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, de leur statut, de l'égalité des droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, au Parlement et dans l'administration de la justice.
L'article 4 de la même loi reformule les principes de l'article 133 :
Le français et l'anglais sont les langues officielles du Parlement, chacun aura le droit d'employer l'une ou l'autre dans les débats et les travaux du Parlement.
Au paragraphe 14, on peut lire ceci :
Le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux. Chacun aura le droit d'employer l'une ou l'autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent.
L'article 15 prévoit le droit à l'interprétation devant les tribunaux fédéraux. L'article 16 crée l'obligation de compréhension des langues officielles de façon à s'assurer que, devant les tribunaux fédéraux, à l'exception de la Cour suprême, celui qui entend l'affaire puisse comprendre la langue de la partie en litige sans l'aide d'un interprète.
L'article 16 crée l'obligation pour l'institution judiciaire de veiller à ce que le juge qui entend l'affaire comprenne la langue de la partie. Il ne l'oblige pas à être bilingue. Il n'existe aucune condition préalable à une magistrature bilingue, puisque cela violerait les droits des juges, garantis par l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il est inexact de dire, comme certains l'ont prétendu, que tous les juges devraient être bilingues, sauf pour la Cour suprême. L'État a l'obligation d'assigner un juge qui comprenne la langue des parties. Ainsi, chacun des acteurs du procès voit son droit individuel constitutionnel d'utiliser la langue de son choix respecté.
Pourquoi une exception à la Cour suprême? Il faut rappeler que la Cour suprême n'est composée que de neuf juges, ce qui rendrait pratiquement impossible l'application de cette norme sans violer le droit constitutionnel du juge. D'ailleurs, des travaux parlementaires, au moment de l'adoption de la loi en 1988, ont confirmé cette interprétation. L'honorable Ray Hnatyshyn, ministre de la Justice de l'époque, déclarait ceci :
[...] toutefois, le projet de loi C-72 préserve l'immunité, les privilèges et les pouvoirs des juges.
En effet, les juges conservent leur droit, en tant que personne définie à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, de choisir de présider le tribunal en français ou en anglais.
Honorables sénateurs, est-il souhaitable que l'on accepte la violation du droit constitutionnel d'utiliser la langue de son choix prévu à l'article 133, fut-il le droit d'un juge?
Rappelons que l'article 133 est le fer de lance du développement des droits des minorités linguistiques au Canada. Il est la fondation qui a servi à construire l'édifice du droit linguistique au Canada et à forcer l'État à fournir des services dans les deux langues officielles. Accepter la violation du droit constitutionnel d'utiliser la langue de son choix est un pas en arrière pour les droits linguistiques. La seule façon d'assurer l'évolution constante des droits linguistiques est de trouver l'équilibre afin que les droits constitutionnels de chacun soient respectés. Ce droit constitutionnel d'utiliser la langue de son choix crée une obligation à l'État. L'individu qui entend une cause a un droit, et non une obligation.
À la Cour suprême, notamment, le législateur a créé un mécanisme d'équilibre des droits de chacun en s'assurant d'une traduction simultanée de haut niveau. De plus, la Cour suprême, comme institution bilingue, s'assure que toute communication avec le public soit bilingue et que tout justiciable puisse s'y adresser dans la langue de son choix tout en étant compris.
Permettez-moi de vous mettre en garde contre l'erreur de rejeter les mécanismes d'exercices concurrents de droits linguistiques comme la traduction simultanée, ce même mécanisme que nous utilisons tous les jours au Sénat pour exercer notre droit constitutionnel d'utiliser la langue de notre choix.
Je me permettrai de citer un exemple du danger de passer outre à un mécanisme d'équilibre entre des droits individuels constitutionnels considérés comme étant de même niveau.
En 1998, la Cour d'appel du Québec devait se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 530.1e) du Code criminel. Le Code criminel prévoit, à l'article 530 et dans ses sous-sections, une série de droits linguistiques afin de s'assurer du respect des langues officielles et du droit de l'accusé d'obtenir un procès dans la langue de son choix. L'article 530.1e) prévoit que le procureur de la Couronne assigné au procès doit parler la langue de l'accusé. À l'époque, le procureur général du Québec était l'actuel député du Bloc québécois Serge Ménard. Par la voix de ses avocats, M. Ménard soulevait l'inconstitutionnalité du droit de l'accusé prévu à l'article 530.1 en raison du non-respect de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et plaidait le droit du procureur de la Couronne d'utiliser la langue de son choix, en l'occurrence le français.
Pour Serge Ménard, même si l'article 530.1 sert à promouvoir les droits linguistiques, il n'est pas constitutionnellement possible, au moyen de l'article 530.1 de diminuer les droits garantis par l'article 133 sans une modification de la Constitution.
Le procureur général du Québec ajoute que, si un accusé ne comprend pas la langue du procès, ses droits pourront lui être assurés par l'assistance d'un interprète, comme le garantit spécifiquement l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d'appel résume l'état du droit, à savoir que l'article 133 garantit le droit de chacun, y compris des avocats, des juges et des accusés, de parler la langue officielle de leur choix; que le système ne peut être changé que par une modification constitutionnelle et qu'il serait illégal pour un juge d'interdire l'usage de l'une ou l'autre des langues officielles à l'intérieur du tribunal.
Heureusement, la cour s'assure d'une interprétation qui respecte les droits constitutionnels du procureur et de l'accusé et fait porter l'obligation linguistique sur l'État.
(1720)
Ainsi, dans cette cause, le procureur général du Québec de l'époque a invoqué le droit constitutionnel garanti à l'avocat par l'article 133, pour en violer un autre, également garanti par l'article 133, celui de l'accusé, en mettant de côté les mécanismes d'assignation des causes qui permettent pourtant de respecter le droit de chacun d'utiliser la langue de son choix.
Si le procureur général du Québec de l'époque, M. Ménard, par l'entremise de ses procureurs, avait réussi à faire déclarer inconstitutionnel l'article 530.1, il aurait peut-être fait quelques gains politiques à court terme auprès de sa clientèle souverainiste au Québec, mais ceci aurait constitué un recul désastreux pour les droits linguistiques au Canada. Cette décision fut citée en approbation par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Potvin, en 2004.
Honorables sénateurs, le droit d'utiliser la langue de son choix est la source de toutes les obligations constitutionnelles de bilinguisme de l'État. Nous ne pouvons accepter que les droits de l'un servent à violer les droits de l'autre, sans risquer à long terme d'affaiblir les fondations des droits linguistiques au Canada. Nous devons résister à entériner ce type de violation.
La cause des droits linguistiques des minorités au Canada est trop importante et fondamentale pour l'avenir de notre pays pour accepter que l'on affecte les droits linguistiques individuels. Existe-t- il d'autres mécanismes aussi efficaces et moins attentatoires aux droits individuels linguistiques que la traduction simultanée pour la Cour suprême du Canada, là où seules les questions de droit sont traitées sans l'audition de témoins?
Ensemble, nous pourrions peut-être identifier d'autres mécanismes d'équilibre entre les droits. L'État a l'obligation de les rechercher et de choisir ceux qui portent le moins atteinte aux droits individuels.
D'autres jugements de la Cour suprême ont continué de façonner le visage linguistique du pays pour les prochaines années. Que l'on pense à l'arrêt Beaulac, sous la plume du juge Bastarache, appuyé notamment par le juge unilingue Major, qui dit ceci :
Les droits linguistiques doivent, dans tous les cas, être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien de l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.
Je le répète. Cette règle d'interprétation unanimement adoptée par la Cour suprême, signée par le juge unilingue Major, est actuellement suivie dans toutes les décisions des cours inférieures interprétant les droits linguistiques de façon large et libérale, en fonction de leur objet.
Honorables sénateurs, plus le droit individuel d'utiliser la langue de son choix sera protégé contre tout empiètement, plus les obligations constitutionnelles de l'État de fournir des services aux communautés linguistiques minoritaires seront étendues.
D'autres nuances sont importantes afin de protéger le statut fondamental des droits linguistiques. Un passage important de la Cour suprême, dans l'arrêt Beaulac, résume les droits linguistiques et établit une subtile mais non moins importante distinction avec le droit à l'équité du procès. Dans ce passage, on dit :
Je tiens à souligner qu'un simple inconvénient administratif n'est pas un facteur pertinent. La disponibilité de sténographes judiciaires, la charge de travail des procureurs ou des juges bilingues et les coûts financiers supplémentaires de modification d'horaires ne doivent pas être pris en considération parce que l'existence de droits linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale.
Comme je l'ai dit plus tôt, dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de services dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s'il y avait une langue officielle principale et une obligation d'accommodement en ce qui concerne l'emploi de l'autre langue officielle. Le principe est celui de l'égalité des deux langues officielles.
Une autre considération importante dans l'interprétation des meilleurs intérêts de la justice tient au fait que les droits linguistiques sont totalement distincts de l'équité du procès. Malheureusement, cette distinction n'est pas toujours reconnue. Le droit à une défense pleine et entière est lié aux aptitudes linguistiques uniquement en ce que l'accusé doit être en mesure de comprendre son procès et de s'y faire comprendre.
Toutefois, ce droit est déjà garanti par l'article 14 de la Charte, une disposition qui prévoit le droit à l'assistance d'un interprète. Le droit à un procès équitable est universel et il ne peut pas être plus important dans le cas de membres de collectivités des deux langues officielles au Canada que dans celui des personnes qui parlent d'autres langues. Les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts. Ils visent à protéger les minorités de langues officielles du pays et à assurer l'égalité de statut du français et de l'anglais.
Notre cour a déjà tenté d'éliminer cette confusion à plusieurs occasions. Ainsi, dans l'arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, le juge Beetz dit :
Ce serait une erreur de rattacher les exigences de la justice naturelle au droit linguistique ou vice versa ou de relier un genre de droit à un autre. Ces deux genres de droit sont différents sur le plan des concepts. Les lier, c'est risquer de les dénaturer tous les deux plutôt que de les renforcer l'un et l'autre.
Honorables sénateurs, au risque de dénaturer les droits linguistiques et de les affaiblir, il convient d'éviter d'utiliser les arguments théoriques comme ceux soulevés par Me Doucet devant le comité de la Chambre des communes, qui a déclaré avoir perdu un procès en Cour suprême parce que le juge ne l'a pas compris.
Premièrement, aucun cas dans l'histoire ne semble s'être produit, mais si cela se produisait et si l'appelant démontrait que la traduction simultanée était déficiente, qu'elle lui a occasionné un préjudice, il pourrait, en vertu de l'article 76 des règles de la Cour suprême, obtenir une nouvelle audition de l'appel avant et même après que le jugement ait été rendu.
Deuxièmement, cette possibilité théorique est fondée sur l'équité du procès et non sur le droit linguistique. Cette accusation fait fi de tout le déroulement d'une audition de la Cour suprême où neuf juges, la plupart bilingues, assistés par trois analystes-recherchistes chacun, entendent un litige de droit en appel après un minimum de deux autres tribunaux. Il omet que les arguments ont été savamment rédigés dans des mémoires lus et relus, commentés par plusieurs avocats plaideurs, tout cela appuyé pour celui ou celle qui ne saisit pas les moindres particularités de la langue, par un système de traduction parmi les meilleurs au pays, qui devient un complément lorsque le juge risque de ne pas comprendre parfaitement la langue.
Enlevez la traduction, et vous ne pourrez jamais trouver neuf juges ayant des compétences linguistiques égales ou supérieures à celles des traducteurs. Combien de nuances seront échappées par le cerveau de neuf humains fonctionnellement bilingues? L'équité du procès serait-elle mieux servie? Le système actuel, où le bilinguisme est un critère important de sélection, avec l'appui de la traduction simultanée, n'est-il pas la meilleure garantie de l'équité du procès?
Si la traduction est déficiente et qu'une personne craint avoir été mal comprise, elle peut demander une nouvelle audition en s'appuyant sur la preuve de la transcription.
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En cas d'absence de traduction, et donc de transcription dans les deux langues, cette personne ne pourra jamais prétendre ou faire la preuve que le juge l'a mal interprétée en raison d'une erreur de traduction.
Honorables sénateurs, les droits linguistiques sont fondamentaux, inaliénables et se rattachent à l'individu et à son identité. La qualité de la traduction invoquée par Me Doucet vise le droit à l'équité du procès. Il appartient à l'État, en tant qu'institution, de s'assurer que la traduction simultanée soit une traduction de haut niveau qui respecte les principes de qualité et de justice fondamentale.
La Cour suprême, dans l'arrêt Tran, en 1994, précisait qu'une traduction optimale doit être caractérisée par la continuité, la fidélité, l'impartialité, la compétence et la concomitance. Si la traduction simultanée est déficiente, c'est le traducteur qu'il faut changer et non le juge. Cela n'a rien à voir avec les droits linguistiques.
En paraphrasant la Cour suprême, j'affirme que, en utilisant ce type d'argument, Me Doucet risque de dénaturer les droits linguistiques et d'affaiblir leur importance.
J'aimerais soulever d'autres points à caractère constitutionnel qui me font douter de la validité de ce projet de loi. En effet, la Cour suprême est instituée par la Loi sur la Cour suprême, qui prévoit que les juges sont choisis parmi les juges actuels ou anciens d'une cour supérieure provinciale ou parmi les avocats inscrits pendant au moins 10 ans au Barreau d'une province.
Au moins trois juges sont choisis parmi les juges de la Cour d'appel ou de la Cour supérieure du Québec ou parmi les avocats de celle-ci. Les six autres sont nommés par convention constitutionnelle, qui prévoit que trois juges doivent provenir de l'Ontario, deux de l'Ouest et un de l'Est du pays. Par conséquent, il est inexact de prétendre, comme certains l'ont fait, que l'effet de ce projet de loi sera d'augmenter la représentation du Québec.
La Cour suprême a vu son existence consacrée dans la Constitution par l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Il faut maintenant s'interroger sur l'effet de ce projet de loi sur la Cour suprême. Peut-on réduire le bassin des personnes aptes à être nommées de 90 p. 100 à l'extérieur du Québec et de près de 70 p. 100 au Québec francophone? Modifier les conditions de nomination à la Cour suprême constitue sûrement une question relative à la Cour suprême. Or, l'article de la Loi 41.1d) constitutionnelle de 1982 prévoit que toute modification à la Constitution du Canada portant sur la composition de la Cour suprême doit être adoptée unanimement par le gouvernement fédéral et les provinces. On pourrait prétendre qu'il ne s'agit que du nombre de juges et que cela ne vise pas les conditions de nomination. Alors que penser de l'article 42.1d), qui prévoit la formule dite 7/50, soit sept provinces représentant 50 p. 100 de la population pour les modifications à la Constitution du Canada portant sur la Cour suprême du Canada?
Puisque les conditions de nomination des juges aux cours supérieures sont prévues dans la Constitution de 1867, ajouter un critère de discrimination basé sur la langue n'est-il pas de nature à modifier le compromis historique et politique établi par l'article 133 et nécessiterait-il ainsi une modification constitutionnelle, conformément à la formule d'amendement? Je n'ai pas de réponse à cette question, mais elle exige certainement une étude plus approfondie qui, manifestement, n'a pas été effectuée jusqu'à maintenant par le comité de la Chambre des communes. Certains diront qu'il y a sûrement moyen de trouver des juges bilingues à l'intérieur de ces 10 p. 100 de personnes bilingues. Il faut pourtant pousser plus loin cette analyse. Notre système parlementaire repose sur le principe de la primauté du droit, soit le principe de la suprématie de la loi et de la légalité. Afin d'assurer une détermination optimale des droits, il est nécessaire que les personnes les plus compétentes soient nommées, et ce, sans discrimination.
Le juge Kelly, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, présentait une conférence aux Nations Unies sur les éléments importants de l'indépendance judiciaire comme principe de base à la primauté du droit. Après avoir discuté des critères de la primauté du droit en matière d'indépendance judiciaire, il a dit que le mode de sélection des juges devait être garant de motifs non pertinents ou discriminatoires, notamment ceux fondés sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'origine nationale ou sociale.
Bien qu'elle ne soit pas mentionnée dans l'élaboration du juge Kelly, la langue comme motif analogue de discrimination est reconnue par les auteurs comme un motif illégal, lorsqu'il y a absence de lien relationnel entre le motif et l'aptitude requise. Que penser lorsque, de plus, l'usage de la langue officielle de son choix est garanti par la Constitution? La primauté du droit consacrée dans la Constitution exige que les critères de sélection de juges ne soient pas discriminatoires et que la personne la plus compétente en droit soit nommée.
Le bilinguisme est un avantage important à considérer, mais il ne peut être une condition essentielle à l'admissibilité d'un juge.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, la Cour suprême se situe au sommet de la pyramide du système judiciaire où seuls les meilleurs juristes du pays doivent siéger. Cette cour est alimentée par un bassin d'avocats et de juges où, malheureusement, le bilinguisme a fait peu de progrès.
Je citerai le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, dans le discours qu'il a prononcé en 2007 devant l'Association du Barreau canadien. Il déclarait notamment ceci :
Je suis persuadé que depuis 40 ans nous avons beaucoup accompli pour l'accès à la justice. Cela ne veut pas dire que notre travail est terminé dans ce domaine. Au contraire, beaucoup reste à faire. Les membres des communautés de langues officielles en situation minoritaire éprouvent encore aujourd'hui des difficultés à avoir accès à des services juridiques dans leur langue ainsi qu'à exercer leurs droits linguistiques devant les tribunaux. S'ils décident d'exercer ces droits, ils sont confrontés à des obstacles et des retards administratifs nombreux ce qui peut décourager le plus tenace des plaideurs. Dans de nombreuses régions du pays, il y a pénurie d'avocats aptes à représenter leurs clients devant les tribunaux dans les deux langues officielles. La plupart des écoles de droit canadiennes ne sensibilisent pas assez leurs étudiants quant à l'existence des droits linguistiques et à leur importance.
La majorité des diplômés en droit ne connaissent que la moitié des lois qu'ils ont étudiées, celles qui sont en anglais ou celles qui sont en français. Une fois qu'ils ont été admis au Barreau, les avocats sont rarement informés de ces droits ni non plus de l'importance qu'ils ont pour leur client. Les obstacles institutionnels sont tout aussi nombreux.
Les juges en mesure d'instruire des affaires dans l'une ou l'autre des deux langues officielles se font encore trop rares surtout dans les tribunaux de première instance et d'appel des provinces et des territoires. Trop peu d'individus capables d'instruire des affaires dans les deux langues officielles sont nommés à la magistrature. Le bilinguisme a rarement la pondération qu'il faudrait dans le processus de sélection des juges même s'il a été prouvé que la langue est un aspect important de l'accès à la justice. Au nombre insuffisant de juges bilingues s'ajoute souvent une pénurie de personnel bilingue ainsi que de ressources administratives et juridiques.
Honorables sénateurs, nous devons faire le constat que, au-delà des arguments constitutionnels justifiant le rejet de ce projet de loi, le véritable travail de progression de l'égalité des deux langues doit se faire à la base de la pyramide.
(1740)
En effet, les constats du commissaire montrent que, à la base de la pyramide du système judiciaire, peu de juristes sont bilingues, les services dans les deux langues sont encore déficients et le bassin des personnes bilingues aptes à être nommées est trop faible pour assurer que les meilleurs juristes soient également bilingues. Le risque d'éliminer le meilleur juriste disponible est encore trop élevé. Lorsque le monde juridique aura fait ses devoirs, à la base, que l'État aura augmenté le nombre de procureurs et de juges bilingues des cours inférieures, le Parlement pourra alors, en s'assurant préalablement de la constitutionnalité de sa démarche, imposer une condition de bilinguisme sans risquer d'éliminer les meilleurs juristes du pays.
Nonobstant cette obligation de progrès vers l'égalité linguistique du monde juridique, l'État doit s'assurer de mesures efficientes afin de faire progresser la situation des minorités linguistiques menacées, surtout chez les francophones.
De 1996 à 2006, le poids relatif des francophones au pays a diminué de 23,5 p. 100 à 22,1 p. 100, alors que celui des allophones augmentait de 16,6 p. 100 à 20,1 p. 100. Le français comme langue parlée à la maison a diminué de 5 p. 100 depuis 1971, et se situe maintenant à 21 p. 100 de la population.
Le transfert linguistique, soit l'utilisation d'une langue autre que la langue maternelle à la maison, défavorise la langue française. Ainsi, en 2006, à l'extérieur du Québec, 42 p. 100 des francophones utilisaient l'anglais à la maison, comparativement à 39 p. 100 en 2001. Selon les experts, cette statistique est un signe avant-coureur que la situation des francophones ne s'améliorera pas pour la prochaine génération.
Honorables sénateurs, les communautés linguistiques minoritaires, francophones tout particulièrement, ont besoin de lois efficientes, de progrès réels, et pas seulement de symboles. Leurs droits constitutionnels doivent être déterminés par les meilleurs juristes au Canada. Certains ont prétendu que le fait de nommer uniquement des juges bilingues constituerait un symbole important pour les Canadiens.
Honorables sénateurs, il faut se méfier des arguments symboliques. Un symbole peut être un phare éclairant qui sert de guide, mais il peut également illuminer et aveugler les minorités francophones en leur faisant croire que tout va bien et que l'égalité est atteinte. Le statut minoritaire des communautés linguistiques exige une veille de tous les instants, une défense réelle des droits linguistiques et une promotion active et efficace de ses droits, non par des symboles, mais par des actions concrètes et réelles.
Nous ne pouvons bâtir et évoluer en violant les droits des autres, mais plutôt en revendiquant les nôtres. Nous devons baser nos actions sur le bilinguisme institutionnel tout en faisant la promotion du droit inaliénable de parler la langue de son choix. Il faut choisir ses batailles et ne jamais faire de gain en violant les droits individuels des autres.
Son Honneur le Président : Je regrette d'interrompre l'honorable sénateur, mais son temps de parole est écoulé.
Le sénateur Carignan : Puis-je avoir cinq minutes de plus?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Carignan : Merci. Il faut rappeler que la distinction entre le droit individuel d'utiliser la langue de son choix et l'obligation institutionnelle de bilinguisme sont à la source de l'épanouissement de nos droits linguistiques. Les gains des francophones se sont faits en obligeant l'État à rendre des services en français et non en violant les droits individuels. Traverser cette fine ligne risque de faire reculer les droits linguistiques individuels, qui ont été le moteur des revendications historiques des francophones. Violer les droits linguistiques et constitutionnels d'un unilingue anglophone, c'est accepter tacitement la violation ultérieure des droits individuels constitutionnels d'un unilingue francophone, et vice versa. Je ne crois pas que ce soit le meilleur chemin à suivre.
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : L'honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Carignan : Évidemment.
Le sénateur Tardif : Vous avez beaucoup fait référence à l'article 133 dans vos arguments. Maintenant, l'article 133 de la Constitution déclare simplement que l'usage de l'anglais et du français est facultatif dans les tribunaux établis sous l'autorité de la présente loi. Le projet de loi C-232 n'empêche donc pas un juge de la Cour suprême d'utiliser la langue de son choix lorsqu'il s'adresse aux avocats. Dans le projet de loi C-232, nous parlons de la compréhension des deux langues officielles sans l'aide d'un interprète. Alors, le juge ne perd aucunement le droit d'utiliser la langue de son choix.
Cependant, vous faites beaucoup référence à l'article 133, et ce sont des arguments qui ont été très forts il y a 20 ou 25 ans. Cela ne tient pas compte des changements apportés en 1988 à la Loi sur les langues officielles ni à la Charte canadienne des droits et libertés, où l'on a enchâssé les droits linguistiques dans les articles 16 à 23.
Aussi, lorsque vous parlez de cela, vous ne faites pas référence, par exemple, au jugement du juge en chef Dickson, qui dit qu'il y a une interprétation différente de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 19 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon son interprétation, l'article 19 accorde une interprétation beaucoup plus large. Si l'article 133 donne un droit individuel, l'article 19 donne un droit aux individus face à l'État. C'est cela qui est important : les droits des individus face à l'État.
Lorsqu'on parle de l'arrêt Beaulac, on parle de l'égalité réelle. Croyez-vous qu'on respecte l'égalité réelle lorsqu'un groupe de langue officielle doit passer par le filtre d'un interprète et que l'autre groupe n'a pas à le faire?
Le sénateur Carignan : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Premièrement, il est important de distinguer la Loi sur les langues officielles, qui a un statut de loi quasi constitutionnel, de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui a un statut de droit constitutionnel.
Deuxièmement, dans la Loi constitutionnelle de 1982, l'article 21 prévoit que la loi de 1982 n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges antérieurement reconnus dans d'autres dispositions de la Loi constitutionnelle, ce qui inclut l'article 133. Donc, la loi de 1982 n'a pas pour effet de diminuer l'importance de l'article 133.
Je n'ai malheureusement pas eu le temps, je ne dirais pas de plaider, mais de faire un discours en faisant référence aux nombreux jugements de la Cour suprême et de la cour d'appel avec leurs différentes nuances. Vous avez compris qu'en 45 minutes, on ne peut pas contester la constitutionnalité d'une loi, ce qu'un avocat fait normalement en quatre ou cinq heures devant le juge qui parle la langue de son choix.
(Sur la motion du sénateur Mitchell, le débat est ajourné.)
(Le Sénat s'ajourne au mercredi 12 mai 2010, à 13 h 30.)