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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 153

Le mardi 16 juin 2015
L'honorable Leo Housakos, Président

LE SÉNAT

Le mardi 16 juin 2015

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Le Sénat

Hommage aux pages à l'occasion de leur départ

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je souhaite saluer quelques pages qui nous quittent.

Tout d'abord, Savannah Dewolfe. Savannah vient de compléter un baccalauréat spécialisé en affaires publiques et en gestion de politique avec concentration en droits de la personne et en droit. Elle n'a pas dit son dernier adieu à la Nouvelle-Écosse. Elle espère étudier plus tard à l'École de droit Schulich de Dalhousie. D'ici là, elle envisage diverses activités professionnelles sur la Colline du Parlement et dans la région de la capitale nationale.

Félicitations à vous, Savannah. Nos meilleurs vœux vous accompagnent.

[Français]

Je vous présente également Yves Dushimimana, qui vient d'obtenir son diplôme en économie et en science politique. Il a pour projet de passer la prochaine année à explorer divers débouchés et à lire Shakespeare, Molière et les classiques, après quoi il entamera des études supérieures en politique publique. Félicitations et bonne chance!

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Enfin, nous avons Marc Lussier. L'an prochain, Marc terminera sa dernière année de baccalauréat en musique, avec spécialisation en musicologie et en théorie, ainsi qu'en interprétation vocale. Je crois comprendre qu'il a toute une voix.

Il envisage avec enthousiasme de poursuivre ses diverses activités universitaires, dont la rédaction d'Intermezzo, publication musicale dirigée par les étudiants de l'Université d'Ottawa, et il aborde avec plaisir un nouveau poste, celui de vice-président aux communications de l'Association des étudiants de premier cycle en musique, l'ADEMSA.

Marc avoue que nous ne pouvons jamais savoir ce que l'avenir nous réserve, mais il espère un jour enseigner la musique au niveau universitaire et il adorerait posséder un petit restaurant ou une boutique de fleuriste.

Bonne chance et félicitations.

Des voix : Bravo!


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Des règles communes pour la Chambre des communes et le Sénat

L'honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, comme nous le savons tous, la Chambre des communes a refusé de suivre l'exemple du Sénat et d'inviter le vérificateur général à examiner ses dépenses. Malgré les demandes de plusieurs vérificateurs généraux, les députés ont refusé de faire preuve de la même ouverture et de la même transparence que le Sénat du Canada.

Les recommandations du vérificateur général tracent toutefois la route aux députés pour que, si récalcitrants qu'ils soient, ils apportent des changements qui s'appliquent à tout le Parlement.

Nous savons tous que, si le vérificateur général faisait un audit des dépenses des députés semblable à celui qu'il a réalisé au Sénat, il obtiendrait des résultats au moins semblables, voire pires. Comment le savons-nous? Nous le savons parce que plusieurs anciens députés siègent au Sénat et que certains d'entre eux ont réclamé un audit semblable.

J'espère que nous nous inspirerons des recommandations du vérificateur général pour améliorer le Sénat et demanderons aux députés quelles recommandations ils veulent retenir pour les appliquer, de concert avec nous.

Nous ne devrions pas admettre deux séries de règles différentes au Parlement. Voyons si les députés néo-démocrates veulent vraiment apporter des changements ou s'ils continueront de se répandre en vains discours, en faisant tout sauf prendre des mesures sérieuses.

Étant donné le coût élevé de l'audit réalisé au Sénat — c'est-à-dire 23,5 millions de dollars pour repérer des remboursements douteux de moins de 1 million de dollars, ce qui représente, sauf erreur, 0,4 p.100 de notre budget pendant ces deux années —, je vous informe, honorables sénateurs, que j'entends retirer ma motion no 55 dont le Sénat est maintenant saisi et qui demande un audit pour tous les députés. Après tout, si

l'expérience peut nous enseigner quelque chose, nous pouvons dire que confier pareil travail au vérificateur général risque d'entraîner des coûts supérieurs à 100 millions de dollars aux Communes, des coûts que je ne veux pas tenter de justifier.

Profitons de ce que l'audit du Sénat nous a appris pour adopter à l'intention du Sénat et des Communes des règles communes. En collaborant, nous pourrons rétablir la confiance des Canadiens envers leur Parlement.

L'investissement étranger direct

L'honorable Don Meredith : Honorables sénateurs, j'interviens pour vous parler du leadership dont l'Ontario fait preuve dans le domaine de l'investissement étranger direct. Le rapport de 2015 sur l'IED, portant sur les investissements en installations nouvelles dans le monde, montre que, pour la deuxième année de suite, l'Ontario arrive en tête pour l'investissement de capitaux étrangers, ayant reçu 7,1 milliards de dollars américains. La province est également arrivée au premier rang pour l'investissement étranger dans les secteurs de l'automobile et des sciences de la vie et au deuxième pour le nombre d'emplois attribuables à l'IED dans le secteur des services financiers. L'Ontario a mieux fait que certains États américains et que certaines autres provinces canadiennes dans d'autres domaines également.

L'impact de l'Ontario dans le monde est appréciable, car il renforce le rôle du Canada comme chef de file mondial dans le monde des affaires et la création d'emplois. Les conclusions du même rapport montrent en outre que la province a gagné deux rangs et se trouve maintenant en troisième place pour la création d'emplois par l'investissement étranger direct, avec 13 000 emplois créés en 2014, soit plus du double des 6 102 emplois créés en 2013.

Honorables sénateurs, l'investissement étranger direct est essentiel à la viabilité de l'économie canadienne. Depuis 2012, j'ai participé à diverses délégations dans les Antilles et en Afrique et je suis heureux de dire que bien des entreprises s'intéressent à brasser des affaires avec le Canada.

Au cours de mon voyage en Éthiopie, en février dernier, il a été instructif de constater directement les occasions d'affaires qui existent dans les secteurs de l'agriculture et de la transformation des produits agricoles, de l'énergie, des finances, des mines, du logement et des TIC. En rencontrant divers ambassadeurs et hauts-commissaires, j'ai appris que plusieurs pays, dont le Bangladesh, le Rwanda et l'Éthiopie, souhaitent établir des partenariats avec des entreprises canadiennes pour soutenir des projets dans les secteurs des infrastructures et de l'énergie, projets dont ils ont cruellement besoin.

Le rapport montre que, en 2014, le secteur du charbon, du pétrole et du gaz naturel, venant derrière l'immobilier, a représenté 79 milliards de dollars en investissement étranger direct, ce qui le place au deuxième rang.

Selon Statistique Canada, les secteurs manufacturier et minier sont à l'origine de plus de la moitié de la croissance de l'investissement étranger direct au Canada en 2014. Les secteurs des mines et de l'extraction du pétrole et du gaz sont passés de 10,9 milliards à 152 milliards de dollars. Depuis 1999, ces deux secteurs représentent à eux deux environ la moitié de l'investissement étranger direct au Canada.

L'étude a aussi montré que l'investissement étranger direct au Panama avait quadruplé pour atteindre 8 milliards de dollars grâce à un investissement de 6 milliards de dollars réalisé par une entreprise canadienne dans un projet de mine de cuivre.

Honorables sénateurs, les investissements étrangers directs offrent la possibilité à des entreprises ontariennes d'ouvrir des établissements dans le monde, de créer des emplois et de stimuler l'économie ici et à l'étranger.

Je vais continuer de collaborer avec les principaux intéressés, les groupes communautaires et le gouvernement pour faire lever les obstacles qui empêchent les entreprises canadiennes d'offrir leurs services à l'étranger. Le moment est venu pour le Canada de prendre les devants sur le marché mondial, de créer des emplois, de stimuler notre économie et de favoriser les communautés mondiales.

Le 26e Bataillon du Nouveau-Brunswick

Le centenaire de son départ en vue de participer à la Première Guerre mondiale

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, samedi, nous avons été plusieurs à nous rassembler au pied d'un monument dans le port de Saint John pour souligner le centenaire du départ de Saint John, au Nouveau-Brunswick, du 26e Bataillon pour aller prêter main-forte à nos alliés durant la Première Guerre mondiale. Ce bataillon faisait partie de la 5e Brigade d'infanterie de la 2e Division canadienne.

On estime que, ce jour-là, 10 000 à 20 000 proches et sympathisants sont venus dire adieu aux soldats qui partaient sur le navire Caledonia.

Peu après leur arrivée en France, à Saint-Lazare, où le débarquement a eu lieu — et je suis sûr que le tableau au mur ici, au Sénat, illustre bien la situation —, ils ont été accueillis par le Black Watch Regiment. Ils ont participé à plusieurs des grandes batailles de la Première Guerre mondiale, dont celles de Passchendaele, de la Somme et de la Crête de Vimy. C'est durant ces batailles que le bataillon a été surnommé « The Fighting 26th ».

(1410)

Parmi les quelque 17 000 soldats du Nouveau-Brunswick qui ont participé à la Première Guerre mondiale, 6 000 sont passés par le 26e Bataillon. Malheureusement, comme c'est souvent le cas en temps de guerre, beaucoup de ces hommes sont morts en servant le Canada. Environ 2 400 Néo-Brunswickois ont péri pendant la guerre, dont beaucoup au sein du 26e Bataillon.

Des 1 250 hommes qui ont été déployés ce jour-là, seulement 44 seraient retournés chez eux en 1917. Beaucoup de soldats ont été tués ou blessés pendant les combats. Le 26e Bataillon a obtenu de nombreux honneurs de guerre, qui sont tous exposés sur le monument du port de Saint John. Le successeur du 26e Bataillon, le régiment de la Réserve appelé Royal New Brunswick Regiment, existe toujours à Fredericton et continue d'arborer ces honneurs.

Le lieutenant-colonel Walter Brown, l'un des six commandants du bataillon, décrit ainsi son retour :

Oui, nous sommes contents d'être de retour. Pendant que la guerre faisait rage, nous ne pensions pas beaucoup à notre retour, car il y avait du travail à faire, mais depuis l'Armistice — et je devrais peut-être dire depuis la fin de notre incursion en sol allemand —, chaque semaine nous paraissait un mois, et ce, jusqu'au grand jour, enfin, où nous avons dit au revoir à l'Angleterre avant de revenir au Canada.

Il poursuit en disant ceci :

[...] on comprend mieux que jamais les paroles de la vieille chanson, qui dit qu'il n'y a pas de meilleur endroit que chez soi.

Honorables sénateurs, l'apport des Néo-Brunswickois à la Première Guerre mondiale est énorme. Nous ne devons pas l'oublier et nous ne l'oublierons jamais.

Le Bangladesh

L'industrie du vêtement et la responsabilité sociale des entreprises

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est récemment penché sur la responsabilité sociale des entreprises dans l'industrie du vêtement au Bangladesh, et il rédigera un rapport fondé sur ses conclusions.

Hier, nous avons tenu notre quatrième séance sur le sujet. Nous avons entendu des représentants de Loblaw, Gildan et Human Rights Watch, ainsi qu'un professeur de l'École de développement international et de mondialisation de l'Université d'Ottawa, M. Syed Sajjadur Rahman.

Nous nous sommes également entretenus avec des représentants d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, de l'Organisation internationale du Travail, d'Exportation et développement Canada, de Fairtrade Canada, de Radical Design Ltd., de la Fédération canadienne du vêtement, de Maquila Solidarity Network, de Solidarity Center, ainsi qu'avec plusieurs universitaires dans le domaine. Ces audiences se sont avérées extrêmement éclairantes. D'après les témoignages des représentants du gouvernement du Canada et des organisations de la société civile, nous en sommes arrivés à la conclusion que, même si le gouvernement du Canada et les entreprises canadiennes ont pris un certain nombre de mesures pour protéger les droits des travailleurs de l'industrie du vêtement, il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Honorables sénateurs, nous nous souvenons tous du 24 avril 2013, lorsque cinq fabriques de vêtements situées au Rana Plaza, à Dhaka, au Bangladesh, se sont effondrées. Plus de 1 100 travailleurs ont perdu la vie et 2 500 autres ont été blessés. Par contre, les gens sont moins nombreux à se souvenir d'un incident similaire et tout aussi déchirant, survenu à peine quelques mois auparavant. Un incendie avait ravagé une manufacture de vêtements à Dhaka, en novembre 2012, causant plus de 120 morts et plus de 200 blessés. Ce qui est vraiment tragique, c'est que de nombreux travailleurs étaient coincés à l'intérieur du bâtiment en flammes, sans moyen de s'échapper. Ils ne pouvaient pas utiliser les sorties habituelles, parce qu'elles étaient trop étroites, et il n'y avait pas assez de sorties de secours. Certains employés aux étages supérieurs ont sauté par la fenêtre pour tenter de s'échapper, mais en vain. Ils sont morts de l'impact de la chute.

Il est désolant de savoir que tous ces décès auraient pu être évités si quelques précautions simples avaient été prises durant la construction de la manufacture.

Honorables sénateurs, le Canada doit faire tout en son pouvoir pour s'assurer que de telles tragédies ne se reproduisent plus. Nous devons être des chefs de file mondiaux dans la protection des droits des citoyens les plus vulnérables de la planète.

Honorables sénateurs, je sais que le Canada peut donner l'exemple en montrant les précautions à prendre pour sauver des vies, et que nous avons nous aussi un rôle à jouer.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La commissaire à l'information

La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels—Dépôt des rapports annuels de 2014-2015

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports annuels de 2014-2015 de la commissaire à l'information, conformément à l'article 72 de la Loi sur l'accès à l'information et à l'article 72 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le Président intérimaire du Sénat

La délégation parlementaire à Trinité-et-Tobago, du 15 au 17 mars 2015—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, j'aimerais déposer un document intitulé Visite de l'honorable Leo Housakos, président intérimaire du Sénat, et d'une délégation parlementaire, à Trinité-et-Tobago, du 15 au 17 mars 2015.

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

L'étude sur les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique

Dépôt du sixième rapport du Comité des langues officielles

L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le sixième rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles, intitulé Viser plus haut : Augmenter le bilinguisme de nos jeunes Canadiens.

(Sur la motion de la sénatrice Tardif, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

Le Sénat

Préavis de motion tendant à autoriser la photographie et l'enregistrement vidéo de la cérémonie de la sanction royale

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que des photographes et caméramans soient autorisés à avoir accès à la salle du Sénat pour photographier et enregistrer sur vidéo la prochaine cérémonie de la sanction royale, d'une manière qui perturbe le moins possible les travaux.

[Français]

L'Association parlementaire Canada-Europe

La mission parlementaire auprès des deux prochains pays à assumer la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne et la deuxième partie de la session ordinaire de 2015 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, tenues du 13 au 24 avril 2015—Dépôt du rapport

L'honorable Michel Rivard : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire Canada-Europe concernant sa mission parlementaire auprès des deux prochains pays à assumer la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne et concernant sa participation à la deuxième partie de la session ordinaire de 2015 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, tenues à La Haye, au Royaume des Pays-Bas, au Luxembourg, au Grand-Duché de Luxembourg, et à Strasbourg, en France, du 13 au 24 avril 2015.

[Traduction]

Le Sénat

Préavis de motion exhortant le gouvernement à prendre note des relations commerciales qu'entretiennent le Canada et le Vietnam, à dénoncer les violations des droits de la personne par le gouvernement du Vietnam et à envisager de lui imposer des sanctions pour qu'il cesse ces violations

L'honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Sénat prenne note des faits suivants :

a) les relations entre le Canada et la République socialiste du Vietnam se sont considérablement accrues au cours des dernières années, les échanges commerciaux annuels entre les deux pays atteignant près de 3,5 milliards $ en 2014;

b) le Vietnam bénéficie d'une aide internationale substantielle du gouvernement du Canada, qui a atteint près de 88 million $ en 2014;

c) le Vietnam a fait d'importants progrès économiques au cours des dernières années, mais ce progrès ne s'est pas accompagné d'un plus grand respect des normes internationales en matière de droits de la personne;

d) le Vietnam est un État à parti unique dont le gouvernement, contrôlé par le Parti communiste vietnamien, prive les Vietnamiens des droits fondamentaux de la personne, notamment la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté d'association et la liberté de religion;

e) le Vietnam est membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies et devrait être tenu de respecter les normes internationales les plus élevées en matière de droits de la personne.

Que le Sénat demande au gouvernement :

a) de dénoncer la violation des normes internationales en matière de droits de la personne par le gouvernement du Vietnam;

b) d'envisager de réduire, de geler ou de couper l'aide au développement international accordée au Vietnam et d'imposer d'autres sanctions à ce pays, s'il y a lieu, pour qu'il cesse de violer les normes internationales en matière de droits de la personne.

(1420)

Affaires étrangères et commerce international

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur l'étude des conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur l'étude des conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique durant la période allant du 22 juin 2015 au 4 septembre 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Droits de la personne

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à se réunir pendant l'ajournement du Sénat, à reporter la date de son rapport final sur l'examen de la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains et à déposer son rapport auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant les ordres du Sénat adopté le mardi 6 mai 2014, et le jeudi 11 décembre 2014, le dépôt du rapport final du Comité sénatorial permanent des droits de la personne relativement à son examen de la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains, en prêtant une attention particulière à la crise qui secoue actuellement la Syrie, soit reporté du 30 juin 2015 au 31 décembre 2015;

Qu'en conformité avec l'article 12-18(2)b)(i) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à se réunir du lundi 22 juin 2015 au vendredi 4 septembre 2015, inclusivement même si le Sénat est ajourné à ce moment pour une période de plus d'une semaine;

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé durant la période entre le 22 juin 2015 et le 4 septembre 2015 et nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Sécurité nationale et défense

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les menaces à la sécurité nationale auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Daniel Lang : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur les menaces à la sécurité nationale durant la période allant du 22 juin 2015 au 31 août 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à se réunir pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Daniel Lang : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Qu'en conformité avec l'article 12-18(2)b)(i) du Règlement, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à se réunir du lundi 22 juin 2015 au vendredi 31 juillet 2015, inclusivement même si le Sénat est ajourné à ce moment pour une période de plus d'une semaine.

L'honorable Marjory LeBreton, C.P.

Préavis d'interpellation

L'honorable Marjory LeBreton : Honorables sénateurs, je donne préavis que, dans deux jours :

J'attirerai l'attention du Sénat sur les 22 années de ma carrière au Sénat du Canada, qui s'achèvera officiellement le jour de mon anniversaire, le 4 juillet prochain.

La Table ronde sur le conflit territorial en mer de Chine méridionale

Préavis d'interpellation

L'honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, je donne préavis que, dans deux jours :

J'attirerai l'attention du Sénat sur la Table ronde sur le conflit territorial en mer de Chine méridionale et l'Accord de paix final de 1973 sur le Vietnam, tenue à Ottawa le 5 décembre 2014 et sur les résultats de cette table ronde.


PÉRIODE DES QUESTIONS

L'industrie

La compétitivité du secteur secondaire

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Au cours des derniers jours, nous avons reçu des nouvelles surprenantes concernant les exportations du Canada. Compte tenu de la baisse récente de la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain, de nombreux fonctionnaires ou technocrates prévoient une hausse des exportations du Canada dans le secteur secondaire. Pourtant, cette semaine, Statistique Canada nous apprend que les ventes du secteur secondaire ont diminué de 2,1 p. 100, ce qui représente une grosse somme d'argent. Cette diminution est quatre fois plus importante que ce qu'on avait précédemment estimé.

Monsieur le leader, le gouvernement pourrait-il nous expliquer pourquoi le secteur secondaire canadien continue d'avoir un rendement anémique, malgré la diminution du taux de change?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénatrice, vous savez que notre engagement en faveur du secteur économique et du commerce est entier et se traduit par une ouverture sur de nouveaux marchés, notamment par le libre-échange, qui crée des emplois et des occasions d'affaires.

Comme je crois vous l'avoir déjà dit, c'est la raison pour laquelle nous avons lancé le plus ambitieux programme de l'histoire en matière de commerce et de négociation d'accords de libre-échange. En fait, depuis 2006, nous avons conclu des accords de libre-échange avec 38 pays, y compris deux accords de libre-échange historiques, l'un avec l'Union européenne, et l'autre, avec la Corée.

Nous allons continuer, dans le cadre de notre Plan d'action économique de 2015, d'appuyer le développement à l'international.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous parlais en particulier des États-Unis. Effectivement, il y a un accord de libre-échange qui date d'un bon moment.

[Traduction]

Un reportage récent d'Amanda Lang, à la CBC, relève le même problème, mais dans une perspective plus alarmante encore. Apparemment, le secteur de l'automobile du Mexique est en train de supplanter le nôtre. Des entreprises comme Volkswagen construisent des usines là-bas, et non ici, et le font bien entendu avec de l'argent canadien. Le secteur de l'automobile du Mexique a doublé de taille au cours des 10 dernières années et, selon un rapport de DesRosiers Automotive Consultants, de Toronto, sa production devrait non seulement rattraper celle du même secteur au Canada, mais même la dépasser au cours des dix prochaines années.

Dans mon propre rapport, nous avons mis le doigt sur la cause profonde de ces problèmes, soit le fait que l'économie canadienne subit une transformation structurelle dans laquelle on délaisse les activités de fabrication pour se tourner vers les services. Nous avons également cerné deux domaines qui nécessitent des améliorations afin que le Canada soit compétitif : le premier est la science et la technologie, et le second, l'éducation.

Monsieur le leader, quels plans d'investissement M. Harper a-t-il réalisés afin d'améliorer la compétitivité du Canada grâce à la technologie et à l'éducation?

[Français]

Le sénateur Carignan : Madame la sénatrice, vos questions comportent toujours plusieurs sujets. Toutefois, si nous traitons du secteur manufacturier, en 2007, nous avons créé la déduction pour amortissement accéléré, qui a pour but de favoriser les investissements à l'égard de la machinerie et du matériel dans le cadre des activités de fabrication.

Le Plan d'action économique de 2015 propose d'ailleurs d'offrir aux fabricants ce qu'on appelle une déduction pour amortissement accéléré à un taux de 50 p. 100, selon la méthode de l'amortissement dégressif, au titre des dépenses admissibles pour les équipements acquis avant 2026. Cette mesure apportera un soutien concret à long terme au secteur manufacturier et permettra la planification des investissements nécessaires pour relever la concurrence mondiale.

La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur le leader du gouvernement, d'abord, je dois vous dire que j'appuie amplement les dégrèvements fiscaux accélérés permettant de moderniser les équipements dans les entreprises. Il s'agit d'une bonne voie à prendre. Lorsque je parle d'éducation, je ne parle pas nécessairement du secteur universitaire, car, dans ce domaine, le Canada occupe une très bonne position parmi les pays de l'OCDE. Non, je parle des gens qui devraient être en mesure de lire les instructions liées aux équipements modernes. Je parle de recycler la main-d'œuvre et de recruter les jeunes qui ont perdu leur emploi.

[Traduction]

Depuis le début de l'année, le Canada enregistre un déficit commercial. Selon Manufacturiers et Exportateurs du Canada, la performance commerciale du Canada a été qualifiée de désolante. Le rapport mentionne des baisses dans le secteur manufacturier et dans huit des dix provinces; il soulève également des préoccupations au sujet de l'avenir des exportations canadiennes.

Le déficit commercial du Canada n'est pas uniquement attribuable à la baisse du prix du pétrole. Il y a encore d'importants problèmes structurels concernant la capacité du Canada d'exporter et de créer des emplois dans d'autres secteurs. Les problèmes structurels ne peuvent pas être résolus seulement en signant des accords de libre-échange. Des réformes s'imposent et des ressources doivent être investies.

(1430)

Dans le rapport que j'ai préparé avec le personnel de mon bureau, nous avons relevé sept réformes nécessaires pour relancer les exportations du Canada. Nous pourrions notamment fusionner les ministères de l'Industrie et du Commerce. Nous pourrions aussi privatiser les services d'exportation à l'étranger au moyen de bureaux exploités par le secteur privé.

Quand votre gouvernement sera-t-il prêt à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour améliorer la compétitivité du Canada et à s'attaquer au problème au sein de cet appareil afin de faire en sorte que nous soyons concurrentiels dans tous les accords commerciaux?

[Français]

Le sénateur Carignan : Ce sont les mesures que nous prenons actuellement, et nous allons continuer sur notre lancée dans le cadre de notre plan d'action. Vous avez parlé d'emploi et de formation. Dans le cadre de ce plan d'action, nous élargirons l'accès au Programme canadien de prêts et bourses à 22 000 étudiants. De plus, nous retirerons les revenus en cours d'étude du processus d'évaluation des besoins afin d'octroyer des prêts plus élevés à 87 000 étudiants et d'apporter ainsi un meilleur soutien à plus de 92 000 étudiants. Il s'agit donc d'investissements en faveur de la formation de jeunes étudiants. Nous allons poursuivre nos efforts au chapitre de la formation pour veiller à créer une main-d'œuvre qualifiée et mieux formée, ce qui permettra d'augmenter la compétitivité de nos entreprises.

[Traduction]

La justice

L'identité sexuelle—L'état du projet de loi C-279

L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, contrairement au gouvernement qui n'a pas réussi à faire adopter le projet de loi C-279 sur les droits des transgenres, le département américain du Travail a récemment émis des lignes directrices à l'intention des entreprises privées pour établir que les employés transgenres doivent pouvoir décider eux-mêmes s'ils utilisent les toilettes des hommes ou des femmes. Je cite :

Ces politiques reposent sur la croyance fondamentale selon laquelle tous les employés devraient pouvoir utiliser les toilettes qui correspondent à leur identité sexuelle [...] L'employé devrait choisir l'option la plus appropriée et sécuritaire pour lui.

Puisque le gouvernement américain a mis en œuvre la politique en matière d'équité, de justice et des droits de la personne pour les transgenres, est-ce trop demander aux leaders du gouvernement au Sénat de simplement tenir un vote sur le projet de loi C-279 avant que nous ajournions pour l'été?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, comme vous le savez, le projet de loi fait actuellement l'objet d'un débat. Je vous invite, lorsque l'occasion se présentera, à demander la tenue d'un vote.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Fait intéressant, ces lignes directrices sont très réfléchies. Voici ce que le département américain écrit dans la section du document qui porte sur l'importance de l'accès aux toilettes du point de vue de la santé et de la sécurité :

L'identité sexuelle fait partie intégrante de l'identité et de la vie quotidienne d'une personne. [...] il est essentiel que les employés puissent travailler dans un environnement compatible avec leurs habitudes de vie quotidiennes, en fonction de leur identité sexuelle.

Compte tenu de ces observations avisées du gouvernement américain, serait-ce trop demander de tenir un vote sur le projet de loi C-279 avant que nous ajournions pour l'été? C'est vous qui voulez voter sur le projet de loi de M. Chong parce qu'il a été adopté à l'autre endroit. Celui-ci y a également été adopté. Par conséquent, pourriez-vous simplement forcer la tenue d'un vote, demander aux sénateurs de votre côté de tenir un vote, monsieur le leader? Vous avez certainement le pouvoir de le faire, non?

[Français]

Le sénateur Carignan : Hier, nous avons reçu un courriel de la part de notre greffier, M. Robert, au sujet d'un nouveau guide pratique sur la procédure du Sénat. Il s'agit d'un ouvrage complet qui explique en détail les procédures qui régissent les délibérations du Sénat et de ses comités. La procédure du Sénat en pratique est le premier manuel de procédures qui traite uniquement des procédures du Sénat. Le livre fournit un guide pratique des procédures qui sont en vigueur et tient compte des événements qui ont lieu jusqu'en mars. En consultant ce guide, vous verrez qu'il est possible de demander la tenue d'un vote lors de l'appel d'un article à l'ordre du jour.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Je demande la tenue d'un vote et le leader ne me donne pas de réponse. Pourquoi ne pouvons-nous pas tout simplement tenir un vote?

Voici un scénario intéressant.

Supposons qu'un député ou un sénateur invite Caitlyn Jenner à venir au Canada. Nous savons qu'elle est une athlète exceptionnelle. Disons que le sénateur ou le député décide d'aller courir ou de s'entraîner avec elle. Où Caitlyn Jenner se changerait-elle? Le ferait-elle dans le vestiaire des hommes ou lui permettrait-on de se changer dans celui des femmes sur la Colline?

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout simplement voter sur le projet de loi C-279 pour clarifier cette question au Parlement fédéral, à la Chambre et au Sénat?

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous pourrez proposer à votre leader de faire passer au vote le projet de loi C-279 et le projet de loi C-377 en même temps. Je n'y vois aucun problème.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Il ne s'agit pas d'une question de négociations, mais plutôt de droits. Pourquoi ne demandez-vous pas simplement la tenue d'un vote? Nous sommes censés voter sur le projet de loi de M. Chong parce qu'il a été adopté à l'autre endroit. Pourquoi ne pourrions-nous pas voter sur ce projet de loi parce qu'il a été adopté à l'autre endroit? Pourquoi établissez-vous une telle différence entre les deux? Qu'y a-t-il de différent entre ces deux projets de loi, puisqu'ils ont été adoptés tous les deux à l'autre endroit?

Je demande qu'il soit mis aux voix. Je ne sais pas s'il sera adopté, mais je demande qu'on procède à un vote. Est-ce trop demander? Pourquoi, en tant que leader, ne pouvez-vous pas simplement dire : « Bien entendu, nous allons voter sur le projet de loi »? Ce n'est pas compliqué, faites-le donc.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, je vous invite à consulter le guide pratique des règles du Sénat qui a été déposé par le Président hier. Vous constaterez que, lorsque l'article est appelé à l'ordre du jour, il est possible de demander la tenue d'un vote.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Je peux consulter un guide pratique, comme vous dites, mais je préfère consulter une personne pratique — vous. Pourquoi ne demandez-vous pas simplement la tenue d'un vote? Quel est le problème? Vous avez le pouvoir de le faire. Vous êtes le leader. Pourquoi ne pas faire preuve d'un peu de leadership et demander la tenue d'un vote sur un projet de loi qui est extrêmement important pour les droits de la personne au Canada?

Nous sommes Canadiens; nous croyons aux droits de la personne, et l'un des droits des Canadiens est de voir leur Assemblée législative — les Chambres — voter sur une mesure qui les touchera dans leur vie quotidienne. Pourquoi ne demandez-vous pas simplement la tenue d'un vote?

[Français]

Le sénateur Carignan : C'est ce que l'on fera. Lorsque viendra le temps de voter sur le projet de loi C-377, je réclamerai un vote, et lorsque nous passerons au projet de loi C-279, vous demanderez un vote.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Et ça recommence. N'est-ce pas une juxtaposition intéressante? Vous êtes prêt à mettre aux voix le projet de loi C-377, qui brime les droits des gens et qui érode, de façon disproportionnée, les droits des syndicats, mais vous n'êtes pas prêt à faire la même chose pour un projet de loi qui accorde des droits aux particuliers. N'est-ce pas une illustration parfaite de la conception des droits que se fait le gouvernement?

[Français]

Le sénateur Carignan : Voilà plusieurs fois que vous répétez la même question. Mon fils aîné a 23 ans, et j'ai l'impression de retourner 20 ans en arrière, lorsqu'il me posait toujours la même question et que je lui donnais toujours la même réponse. Vous pourrez demander la tenue d'un vote lorsque l'article du projet de loi C-279 sera appelé, et nous verrons par la suite.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Vous ne lui avez peut-être jamais donné de réponse claire?


(1440)

ORDRE DU JOUR

Projet de loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'honorable Lynn Beyak propose que le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu et le Code criminel et apportant une modification connexe et corrélative à d'autres lois, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-42, Loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu.

À l'heure actuelle, au Canada, l'industrie de la chasse, du tir sportif, de la pêche à la ligne et du piégeage rapporte des milliards de dollars et génère, de façon directe et indirecte, des dizaines de milliers d'emplois bien rémunérés. J'ai été directrice et propriétaire d'un centre touristique pendant plusieurs années et je suis aussi une chasseuse et une tireuse sportive. En cette qualité, je peux témoigner personnellement des retombées économiques de cette industrie. Elle représente une partie importante de notre patrimoine national commun, que nous sommes tous fiers de promouvoir.

C'est dans cet esprit que le ministre de la Sécurité publique a présenté la mesure législative dont nous sommes saisis aujourd'hui. La Loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu est un pas important dans la bonne direction. Je crois qu'elle protégera davantage la sécurité publique, tout en éliminant la paperasse inefficace et inutile pour les propriétaires d'armes à feu respectueux des lois comme moi. Elle élimine les tracasseries administratives inutiles, mais elle propose aussi plusieurs mesures importantes pour améliorer la sécurité publique. Il y en a plusieurs qui divisent le projet de loi en deux parties : celle sur la sécurité et celle sur le bon sens.

J'aimerais commencer par expliquer de quelle manière ce projet de loi améliore la sécurité des Canadiens. Premièrement, il renforcera les dispositions relatives aux ordonnances d'interdiction de possession d'armes pour ceux qui ont été reconnus coupables d'actes de violence familiale. Deuxièmement, il permettra un échange d'informations accru entre l'ASFC et la GRC en ce qui concerne l'importation d'armes à feu à autorisation restreinte. Troisièmement, il rendra obligatoire la formation sur la sécurité entourant les armes à feu pour ceux qui font l'acquisition de leur première arme à feu. J'estime que c'est une disposition très importante.

Le projet de loi propose également plusieurs mesures pour rendre nos lois sur les armes à feu plus rationnelles. Il propose notamment d'éliminer les permis de possession seulement et de retenir le seul permis de possession et d'acquisition qui donne à près de 600 000 propriétaires d'armes à feu chevronnés le droit d'acheter des armes à feu et de les mettre à niveau.

Il crée une période de grâce de six mois à l'expiration d'un permis de cinq ans afin que les gens ne soient pas criminalisés du jour au lendemain pour un oubli administratif. Il vise également à uniformiser à l'échelle nationale les pouvoirs des contrôleurs des armes à feu en les assujettissant à un règlement. Il élimine la paperasse sans fin qui accompagne le processus d'obtention d'une autorisation de transport d'arme à autorisation restreinte et permet au gouvernement de revenir sur la décision erronée de la GRC de reclassifier les familles d'armes à feu Swiss Arms et CZ858.

Le projet de loi jouit d'un grand appui de la part de Canadiens de tous les horizons. Tony Rodgers, directeur exécutif de la Nova Scotia Federation of Anglers and Hunters, a dit ceci :

Nous appuyons fermement l'adoption du projet de loi C-42, Loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu, et nous nous réjouissons à l'avance de sa mise en œuvre. [...]

[...] Le projet de loi modifie le Code criminel afin de renforcer les dispositions relatives aux ordonnances d'interdiction de possession d'armes à feu, en cas de condamnation pour une infraction avec violence conjugale; c'est un pas dans la bonne direction. [...]

Il est important que l'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC se communiquent des renseignements sur les armes à feu, à autorisation restreinte ou non, nouvellement importées au Canada. Le projet de loi autorise l'échange de renseignements concernant l'importation d'armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte par des entreprises canadiennes; ce changement est donc bénéfique.

[...] ces changements vont faire énormément de bien aux relations entre les propriétaires d'armes à feu, le gouvernement et la police.

M. Gary Mauser, de l'Université Simon Fraser, a dit ceci :

[...] je ne pense pas qu'aucune des modifications prévues dans le projet de loi C-42 augmenterait le danger pour les femmes ou les enfants du point de vue des armes à feu. Actuellement, seulement 2 p. 100 des personnes accusées de meurtre possèdent un quelconque permis d'armes à feu — c'est-à-dire un PPA, un PPS ou l'ancienne AAAF; il s'agit donc d'un très petit groupe de personnes, et rien ne changerait.

En tant que propriétaire d'arme à feu, chasseuse et tireuse respectueuse des lois, je crois que cette mesure législative profitera à l'ensemble des Canadiens, tout en assurant la sécurité publique et en imposant des exigences fondées sur le bon sens aux propriétaires d'arme à feu. Par conséquent, j'espère que vous allez appuyer le projet de loi.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi C-42 sur les armes à feu.

Honorables sénateurs, depuis que je suis ici, et cela fait bien des années, j'ai appris que rien ne divise autant les gens, ou ne suscite autant les passions, que le dossier des armes à feu et de leur contrôle.

Lorsque je suis arrivée au Sénat, je ne comprenais pas pourquoi il en était ainsi parce que j'avais une certaine connaissance des armes à feu. Je respecte maintenant le point de vue de mon amie, la sénatrice Beyak, et je comprends que les gens puissent vouloir se servir de leurs armes à feu sans être entravés par toutes sortes de formalités administratives. Toutefois, je veux vous dire que je viens d'un endroit où, lorsque j'étais toute jeune, des armes à feu ont été utilisées contre ma famille. Des armes ont été utilisées contre ma collectivité. J'ai toujours eu un gros préjugé en faveur du contrôle des armes à feu, pensant que cette mesure sauve des collectivités et des familles. J'aimerais que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue.

En tant qu'avocate, j'ai gagné beaucoup de causes liées au droit de la famille et au divorce mais, malheureusement, j'ai perdu des clientes parce que leurs maris avaient facilement accès à des armes à feu.

Au cours des années 1990, le premier ministre Mulroney m'avait nommée à un comité chargé d'étudier le dossier de la violence faite aux femmes. C'était un comité national qui s'est déplacé d'un bout à l'autre du pays. La sénatrice Marjory LeBreton avait joué un rôle de premier plan dans la constitution de ce groupe. Elle se souvient que celui-ci s'est rendu dans toutes les régions du Canada.

Honorables sénateurs, nous avons rencontré un grand nombre de jeunes filles et de femmes qui avaient été blessées par des armes à feu. Toutefois, l'image qui restera gravée dans ma mémoire est celle d'une femme de Terre-Neuve qui avait été défigurée par une arme à feu. Je ne vais pas vous décrire son visage, parce que je ne serais pas capable de terminer mon discours. Je ne peux pas non plus vous décrire les souffrances et les chirurgies endurées par cette femme. Elle nous répétait sans cesse : « Si seulement des restrictions avaient été imposées à mon mari, je ne souffrirais pas de la sorte. »

Lorsque je suis devenue membre du Comité sur la violence faite aux femmes, j'ai rencontré Mme Edward. Mme Edward venait tout juste de perdre sa fille à l'École Polytechnique, et j'ai été frappée de voir à quel point elle était déterminée à changer la vie d'autres personnes. Je n'oublierai jamais ce qu'elle m'a dit la première fois que je suis allée à Montréal.

Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle luttait avec autant d'acharnement, compte tenu qu'elle avait déjà perdu sa fille, elle m'a regardée dans les yeux et elle a dit : « Je ne veux pas qu'une autre mère souffre comme je souffre tous les jours. »

Honorables sénateurs, la mesure législative proposée modifie la Loi sur les armes à feu et le Code criminel. Les changements apportés à la Loi sur les armes à feu simplifient le régime de licences en éliminant les permis pour possession seulement et en les convertissant en permis de possession et d'acquisition. Les modifications prévoient aussi une période de grâce de six mois à compter de la date d'expiration d'un permis valide. Cette mesure permet aux détenteurs de permis de respecter les conditions fixées tout en continuant de posséder légalement des armes à feu sans crainte de se voir imposer des sanctions pénales.

Le projet de loi stipule que les demandeurs d'un premier permis d'arme à feu devront suivre une formation obligatoire. En outre, les préposés aux armes à feu devront automatiquement délivrer une autorisation de transport lorsqu'ils approuveront la cession, par exemple dans le cas d'un changement de propriétaire.

Par ailleurs, lorsque des entreprises importeront des armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte, elles devront en informer à l'avance les responsables du Programme canadien des armes à feu de la GRC.

(1450)

Les changements apportés au Code criminel visent à renforcer les dispositions relatives aux ordonnances d'interdiction de possession d'armes à feu, en cas de condamnation pour une infraction avec violence familiale. Le projet de loi définit l'expression « arme à feu sans restriction » et confère au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner par règlement une arme à feu comme étant une arme à feu sans restriction ou une arme à feu à autorisation restreinte.

Honorables sénateurs, je tiens à féliciter le ministre d'avoir inclus une interdiction obligatoire dans les cas de violence familiale. C'est une mesure que les gens comme moi qui se sont penchés sur ce dossier demandent depuis des années. Par conséquent, je le remercie d'avoir inclus cette interdiction.

Je pense que vous connaissez les préjugés que j'entretiens. J'en ai déjà parlé et je les affiche clairement. Étant donné que plusieurs d'entre vous ont des expériences différentes de la mienne, vous sondez les gens relativement à des dossiers qui sont importants pour vous. Je fais de même auprès de la population que je sers à Vancouver, afin que celle-ci soit entendue. C'est pour cette raison que je suis en faveur d'un contrôle des armes à feu.

Nous avons reçu des mémoires. Dans le document qu'elle a présenté, la Coalition pour le contrôle des armes fait valoir que le projet de loi C-42 propose des modifications importantes à la Loi sur les armes à feu et au Code criminel, notamment en assouplissant les contrôles sur les armes de poing et les armes à autorisation restreinte; en diminuant les pouvoirs du contrôleur provincial des armes à feu, ce qui empêche les provinces d'établir des normes différentes des normes fédérales relativement à l'application de la mesure législative; en permettant au gouvernement plutôt qu'à la GRC de déterminer quelles armes sont prohibées ou restreintes, ce qui accroît l'influence des groupes de pression et des programmes politiques dans la prise des décision liées à la sécurité publique; et, enfin, en assouplissant les contrôles sur les permis pour la possession d'armes, y compris les permis visant les armes de poing.

Les membres de la coalition ont expliqué comment le projet de loi affaiblira les contrôles existants et fera ainsi courir au public des risques plus grands liés à la violence armée et à d'autres crimes. Ils ont fait valoir que l'enregistrement est le processus qui fait en sorte que les propriétaires d'armes à feu agissent de manière responsable, puisque la seule façon de rendre les propriétaires d'armes à feu vraiment responsables consiste à associer chaque arme à feu à son propriétaire légal.

Avec une telle responsabilité, les propriétaires sont plus susceptibles d'entreposer leurs armes à feu conformément aux règles et sont surtout moins susceptibles de les prêter ou de les vendre à des gens qui ne sont pas autorisés à en posséder.

L'enregistrement donne également aux policiers les meilleurs renseignements disponibles concernant la présence possible d'armes à feu dans une résidence et leur permet de savoir quelles armes ils doivent confisquer aux personnes qui font l'objet d'une ordonnance leur interdisant de posséder des armes à feu pour des raisons de sécurité.

La coalition nous a demandé, honorables sénateurs, de rejeter le projet de loi C-42.

Honorables sénateurs, en rédigeant mon discours, j'en suis arrivée à la conclusion que je ne serais pas capable d'exprimer les mots qui ont été prononcés par des témoins devant le comité. Je vais donc lire ce que certains témoins ont dit.

Le sénateur Baker, qui est vice-président du comité, a demandé aux témoins ce qu'ils aimeraient voir au Canada, étant donné qu'ils avaient des opinions complètement différentes, qui allaient de l'interdiction de toutes les armes à feu au système que nous avons en place actuellement. « Qu'aimeriez-vous voir? » Mme Rathjen, une survivante des événements de Polytechnique, a dit ceci :

En ce qui a trait au projet de loi C-42, je ne vois aucune modification qui pourrait être apportée pour justifier son adoption, d'après nous. Notre groupe ne préconise pas l'interdiction de toutes les armes à feu. Nous en préconisons plutôt un contrôle raisonnable. La loi adoptée en 1995, à savoir le projet de loi C-68, en combinaison avec le projet de loi C-17, qui avait été adopté avant, représente assez bien le système raisonnable de contrôle des armes à feu que nous soutenons en ce qui concerne l'interdiction des armes d'assaut. À l'époque, les règlements étaient actuels, mais ils n'ont pas été modernisés depuis. Voilà pourquoi beaucoup d'armes d'assaut sont toujours considérées comme légales. Pour ce qui est des lois que nous aimerions avoir, ce serait en gros ce que nous avions avant que le présent gouvernement mette la hache dans le registre et dans bien d'autres mesures.

La professeure Cukier a déclaré ce qui suit :

La question comporte deux volets. Sur le plan législatif, en ce qui concerne les permis d'armes à feu, les difficultés ne sont pas de nature réglementaire. Elles sont plutôt liées à l'application. Nous avons constaté une détérioration de l'application des dispositions relatives à la délivrance de permis en raison des amnisties et, pour être honnête, de l'application inégale de la loi. Un système solide de délivrance des permis est la clé.

Lorsque l'enregistrement des armes à feu a été éliminé, cela a donné lieu non seulement à l'élimination de données sur plus de 6 millions d'armes à feu qui avaient été enregistrées, mais cela a aussi éliminé une disposition qui était en vigueur depuis 1977 et qui faisait en sorte que la vente d'une arme soit enregistrée au point de vente. À l'heure actuelle, nous exerçons un moins grand contrôle sur la vente d'armes à feu au Canada que ne le font la plupart des États américains. Nous ne respectons plus un grand nombre de règles internationales en matière de trafic d'armes à feu. Il s'agit d'une lacune importante à laquelle il faut remédier.

J'aimerais répéter ce que Mme Rathjen a dit au sujet de la mise à jour de la liste des armes prohibées. C'est quelque chose que la police réclame depuis au moins 10 ans. La liste des armes prohibées établie en 1995 n'a pas réellement été mise à jour depuis ce temps-là, sauf de façon sporadique. Certains États ont des listes d'armes autorisées, qui permettent d'éviter que les fabricants modifient de petites caractéristiques et créent ainsi des échappatoires. Le dossier au complet doit faire l'objet d'un examen. Il faut maintenir des restrictions sévères relativement aux armes de poing et aux autres armes à autorisation restreinte. On soulignerait ainsi l'importance de lois qui sont conformes aux normes internationales et aux mesures établies dans la plupart des pays du monde.

Quant à Mme Rathjen, elle a mentionné ce qui suit :

J'ajouterais que, lorsque les lois sur le contrôle des armes à feu fonctionnent, il n'y a pas de gros titres, et il y a moins de fusillades. On ne peut voir aucun signe se rapportant à la prévention. Ce qu'il est possible de voir, toutefois, ce sont des collectivités sûres, et cela ne fait pas les manchettes. Investir dans le contrôle des armes à feu, c'est investir dans la sécurité de nos collectivités. On ne veut pas s'engager sur la même voie que nos voisins du Sud. Chaque fusillade constitue une tragédie. Chaque coup de feu tiré par un policier est une tragédie, et la plupart des policiers qui sont tués dans l'exercice de leurs fonctions sont tués d'un tir d'arme à feu. Investir dans le contrôle des armes à feu ne comprend pas uniquement les sommes investies par rapport au nombre de décès. Il faut établir une comparaison entre ce que nous investissons et la sécurité de nos collectivités. Lorsque nos collectivités sont en sécurité, alors les investissements ont valu la peine.

Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que depuis qu'on a mis en œuvre de nouvelles mesures à la suite de la fusillade de la Polytechnique, le nombre de décès et de crimes liés aux armes à feu a diminué progressivement, au point où, en 2011, qui est l'année où la loi a entièrement été mise en œuvre — même si on a accordé des amnisties qui allaient à l'encontre de certaines mesures, la loi était en place —, on a observé le plus faible taux d'homicides commis à l'aide d'armes à feu en 50 ou en 60 ans.

J'ai posé une question à Mme Rathjen au sujet des permis. Voici ce qu'elle a répondu :

Les permis sont importants, et il est tout aussi important de présenter son permis et faire l'objet d'une vérification avant de pouvoir obtenir un permis. C'est un problème qui comporte deux aspects.

Premièrement — faisons abstraction du projet de loi C-42 —, lorsque le gouvernement a aboli le registre en adoptant le projet de loi C-19, il n'a pas seulement éliminé le registre; il a aussi éliminé l'obligation, pour le vendeur, de vérifier la validité du permis de l'acheteur. Donc, même s'il existe un excellent système de vérification en ce qui concerne les permis, si les transactions sont effectuées indépendamment de ce système, il est impossible de vérifier si le permis d'une personne qui achète une arme est expiré ou a été révoqué, s'il s'agit d'un faux permis ou si la personne possède bel et bien un permis, car il se pourrait qu'elle n'en ait tout simplement pas. Si le vendeur n'est pas tenu de vérifier le permis et que l'appel n'est consigné nulle part, à mon avis, cela compromet sérieusement tout le système de permis de possession d'arme à feu.

Deuxièmement, comme je le disais, le registre est utile entre autres parce qu'il permet de fournir plus de renseignements aux policiers qui arrivent sur la scène d'une querelle de ménage, arrêtent un suspect ou se trouvent dans une situation d'urgence. Il leur donne plus de renseignements sur le nombre et le type d'armes qui peuvent se trouver sur les lieux. Le gouvernement affirme que sans le registre, tout ce dont on aura besoin, c'est un permis, car on saura ainsi si un propriétaire d'armes à feu habite ou non à cet endroit, et on pourra donc supposer qu'il y a ou non des armes à feu sur les lieux.

Le projet de loi C-42 compromet ce mécanisme, car il accorde une période de grâce de six mois. Le système comporte donc une lacune. Il est possible qu'une personne déménage et ne mette pas son permis à jour. Dans un tel cas, lorsque les policiers se rendent sur la scène du crime et consultent le système, ils disposent d'informations partielles ou même fautives, ce qui mine sérieusement l'utilité du permis de possession. Celui-ci demeure important, mais, étant donné la façon dont la loi est mise en œuvre, il existe des brèches à travers lesquelles un camion pourrait passer.

(1500)

Honorables sénateurs, je veux maintenant vous lire une lettre de Mme Edward qui, pour autant que je sache, a témoigné à plusieurs reprises devant le Sénat. Malheureusement, pour des raisons que j'ignore, Mme Edward n'a pas été en mesure de témoigner devant notre comité cette fois-ci. Je lui ai parlé par la suite. En larmes, elle m'a dit qu'il fallait que sa voix soit entendue. Honorables sénateurs, je lui ai promis de lire sa déclaration devant tous mes collègues du Sénat. C'est pourquoi je vous lis sa lettre, que voici :

Je me nomme Suzanne LaPlante Edward. Je suis la mère d'Anne-Marie Edward, une fille magnifique et pleine de talent qui a été assassinée à l'École Polytechnique, où elle étudiait afin de devenir ingénieure. Sa mort a eu lieu le 6 décembre 1989, il y a 25 ans.

Depuis, mon mari Jim, notre fils Jimmy et moi-même, ainsi que d'autres familles, des survivants et des centaines de bénévoles nous efforçons de faire du Canada un endroit plus sûr. Nous voulons faire en sorte que notre pays n'emprunte jamais la même voie que celle de nos voisins du Sud.

Nous nous sommes rendus à Ottawa à maintes reprises dans le but de convaincre les législateurs de l'importance de bien contrôler les armes à feu. Notre plus récente visite remonte au jeudi 11 juin dernier. Nous tenions à assister aux audiences du Sénat sur le projet de loi C-42, où les représentants de PolySeSouvient et de la Coalition pour le contrôle des armes ont expliqué en quoi le projet de loi affaiblirait les mesures de protection et exposerait la population à un risque accru de violence liée aux armes à feu et d'autres actes criminels.

Ensemble, au cours des six longues années qui ont suivi la perte de notre fille, nous sommes parvenus à faire proposer des mesures de contrôle des armes à feu exhaustives et efficaces, à savoir l'interdiction des armes d'assaut et des chargeurs grande capacité, l'instauration de permis de possession pour tous les propriétaires d'arme à feu et l'obligation d'enregistrer tous les fusils.

L'enregistrement est le processus qui fait en sorte que les propriétaires d'armes à feu agissent de manière responsable, puisque la seule façon de rendre les propriétaires d'armes à feu vraiment responsables consiste à associer chaque arme à feu à son propriétaire légal. Avec une telle responsabilité, les propriétaires sont plus susceptibles d'entreposer leurs armes à feu conformément aux règles et sont surtout moins susceptibles de les prêter ou de les vendre à des gens qui ne sont pas autorisés à en posséder. L'enregistrement donne également aux policiers les meilleurs renseignements disponibles concernant la présence possible d'armes à feu dans une résidence et leur permet de savoir quelles armes ils doivent confisquer aux personnes qui font l'objet d'une ordonnance leur interdisant de posséder des armes à feu pour des raisons de sécurité.

L'adoption de la loi relative au contrôle des armes à feu, en décembre 1995, a concrétisé les mesures qui s'imposaient, de l'avis des experts en sécurité publique, afin de réduire au minimum le risque que les armes à feu soient employées à mauvais escient, dans un but de commettre un acte criminel ou violent. Ces experts — des associations de policiers, des chefs de police, des intervenants en prévention du suicide, des groupes de défense des intérêts des femmes victimes de violence familiale ainsi que des services de santé publique — ont affirmé que le Canada disposait enfin des outils nécessaires pour bien protéger les Canadiens.

Malheureusement, depuis qu'il est arrivé au pouvoir, le gouvernement [...] se range du côté du lobby des armes à feu. À sa demande, le gouvernement [...] a détruit le registre des armes d'épaule, ce qui fait qu'il n'est plus possible de retrouver le propriétaire d'une arme d'épaule. Le gouvernement a également permis la commercialisation d'une foule de nouvelles armes d'assaut. Il a éliminé l'obligation des particuliers ou des commerçants de vérifier la validité du permis d'un acheteur potentiel avant de lui vendre une arme, ce qui facilite les ventes illégales. Il a éliminé l'obligation des entreprises qui vendent des armes à feu de tenir un registre des ventes ou de tenir un inventaire à jour. Sans ces mesures de contrôle des stocks, les policiers ne peuvent pas s'assurer qu'il n'y a pas de vendeurs malhonnêtes qui détournent leur arsenal vers le marché noir. Ils ne peuvent plus retracer une arme à feu trouvée sur les lieux d'un crime jusqu'au magasin qui l'a vendue comme les policiers peuvent le faire aux États-Unis. C'est d'ailleurs de cette façon qu'ils ont pu identifier le meurtrier de ma fille. Ils ont examiné le registre des ventes d'un magasin d'armes à feu situé à Montréal. À cause des conservateurs, les policiers ne peuvent même plus faire cela.

Nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi ce gouvernement qui prétend défendre la loi et l'ordre voudrait rendre la tâche plus difficile aux policiers qui cherchent à déceler les ventes illégales ou à déterminer la provenance des armes à feu dans le cadre de leurs enquêtes. En éliminant les outils efficaces dont les policiers ont besoin pour protéger la population, je crois qu'on exerce le pouvoir législatif de la façon la plus irresponsable que l'on puisse imaginer, puisqu'on met en danger la vie de la population par intérêt politique.

Les familles comme la mienne qui ont perdu un proche assassiné au moyen d'une arme à feu se sentent impuissantes devant un gouvernement qui continue d'affaiblir nos lois en matière de contrôle des armes à feu. Les gens du parti au pouvoir mentent lorsqu'ils disent se porter à la défense des victimes. Les victimes veulent effectivement obtenir justice, mais pour cela, il faut que les policiers puissent arrêter les contrevenants, ce qu'ils sont moins en mesure de faire lorsqu'on leur enlève les outils dont ils ont besoin pour mener leur enquête. Nous voulons également que la perte de nos proches ne soit pas en vain. Nous voulons que la société tire des leçons de notre souffrance afin que d'autres n'aient pas à souffrir comme nous. Nous voulons des mesures de prévention et non des peines plus sévères, puisque les experts disent que cela n'a aucun effet dissuasif. Le meurtrier de notre fille s'est enlevé la vie après la tuerie. Des peines plus sévères n'auraient servi à rien. Habituellement, les criminels ne prévoient pas se faire prendre. La plupart des meurtres, en particulier ceux commis en milieu familial, sont commis de façon impulsive, sous le coup de l'émotion, dans des circonstances où la possibilité de devoir purger une peine n'est habituellement pas prise en compte par le meurtrier. La prévention est essentielle.

Depuis le jour funeste de la tragédie de l'École Polytechnique, nous nous sommes donné pour mission de sensibiliser les politiciens aux préjudices qu'une seule arme à feu peut causer et à la nécessité d'établir un cadre juridique et de définir des règles et des responsabilités appropriées. Nous continuerons à réclamer des lois sensées qui assureront la sécurité de nos rues et de nos quartiers et qui nous permettront de retrouver notre pays, un pays dont les assises sont le droit, l'ordre et le bon gouvernement. Nous faisons cela à la mémoire d'Anne-Marie, mais surtout pour tous les Canadiens qui se soucient de la sécurité du public.

Honorables sénateurs, je vous supplie de montrer à la population que le Sénat ne sert pas uniquement à approuver automatiquement [...] le gouvernement, qu'il a encore sa raison d'être et qu'il peut jouer le rôle de Chambre de second examen objectif. Je vous prie de faire votre travail et de protéger les Canadiens contre [...] des intérêts égoïstes [...].

Honorables sénateurs, ce sont là les mots d'une mère que je connais maintenant très bien et qui a, je crois, passé chaque minute de sa vie à essayer de sauver nos filles.

Honorables sénateurs, au début de mon allocution, j'ai dit que, depuis mon arrivée ici, j'en suis venue à éprouver beaucoup de respect pour le point de vue des autres sur le contrôle des armes à feu et sur la réduction des formalités administratives au minimum.

Je m'adresse à vous tout en sachant que ce projet de loi sera adopté. Je prends la parole pour dire qu'il est peut-être temps de concilier les positions diamétralement opposées que nous soutenons pour arriver à une position qui, tout en garantissant absolument le droit de posséder des armes à feu, assure également la sécurité de nos filles. Je vous remercie.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui

Des voix : Non

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.

La sénatrice Fraser : Avec dissidence.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois des sénateurs se lever. Les deux whips se sont-ils entendus au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Marshall : Trente minutes?

Son Honneur le Président : Ce sera donc 30 minutes. Convoquez les sénateurs pour 15 h 40.

(1540)

La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk McIntyre
Ataullahjan Meredith
Batters Mockler
Bellemare Nancy Ruth
Beyak Neufeld
Black Ngo
Carignan Ogilvie
Dagenais Oh
Doyle Patterson
Eaton Plett
Enverga Poirier
Frum Raine
Gerstein Rivard
Greene Runciman
Johnson Seidman
Lang Sibbeston
LeBreton Stewart Olsen
MacDonald Tannas
Maltais Tkachuk
Manning Wallace
Marshall Watt
Martin Wells
McInnis White—46

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Campbell Hubley
Chaput Jaffer
Cordy Joyal
Cowan Lovelace Nicholas
Dawson Massicotte
Day Merchant
Dyck Mitchell
Eggleton Moore
Fraser Munson
Furey Ringuette
Hervieux-Payette Smith (Cobourg)—22

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucun.

Projet de loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015

Déclaration d'intérêts personnels

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le sénateur Tannas a fait une déclaration écrite d'intérêts personnels au sujet du projet de loi C-59. Conformément à l'article 15-7 du Règlement, la déclaration sera inscrite dans les Journaux du Sénat.

[Français]

Projet de loi concernant le Règlement sur les mammifères marins

Troisième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Doyle, appuyée par l'honorable sénateur Dagenais, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-555, Loi concernant le Règlement sur les mammifères marins (permis d'observation pour la pêche du phoque).

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, il est évident que j'appuierai le projet de loi C-555, qui constitue un pas dans la bonne direction. J'aimerais toutefois rappeler à mes collègues que nous aurions pu faire deux ou trois pas de plus afin d'augmenter la distance d'observation permise pour mieux protéger nos chasseurs de phoque et d'interdire les bruits d'hélicoptère, qui perturbent l'activité de la pêche.

J'aurais également aimé que nous ajoutions au projet de loi des dispositions liées aux aspects suivants : la question des caméras et appareils photo qui servent à diffuser une publicité négative sur le Canada et sur la chasse au phoque à travers le monde; la nécessité de prévoir la présence d'un inspecteur à bord de chaque bateau; l'augmentation du prix du permis d'observation à 200 $, montant plus approprié que les 25 à 50 $ actuels; la mise en œuvre d'un programme qui permettrait de lutter continuellement contre la diffamation par l'utilisation des images des chasseurs de phoque; et, finalement, l'interdiction de toute observation en décrétant un périmètre de zone de chasse réservée durant la période de chasse.

Malgré tout, j'appuierai le projet de loi, et j'invite mes collègues à voter en sa faveur également. Nous sommes un peu timides. Le fait que ces gens continuent d'éprouver des difficultés dans l'exercice de leur métier ne nous empêche pas de fermer l'œil.

J'espère que l'étape suivante nous apportera une meilleure protection et que le gouvernement consentira à délivrer un plus grand nombre de permis, parce que, à l'heure actuelle, les permis sont trop restrictifs. C'est pourquoi je conclus en affirmant que je voterai en faveur du projet de loi C-555, et je vous invite à faire de même.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(1550)

[Traduction]

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d'amendement—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénateur Doyle, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières);

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Bellemare, appuyée par l'honorable sénateur Black, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 1, à la page 5, par adjonction, après la ligne 45, de ce qui suit :

« c) aux organisations ouvrières dont les activités de relations de travail ne relèvent pas de la compétence fédérale;

d) aux fiducies de syndicat dans lesquelles aucune organisation ouvrière dont les activités de relations de travail relèvent de la compétence fédérale ne possède d'intérêt juridique, bénéficiaire ou financier;

e) aux fiducies de syndicat qui ne sont pas constituées et administrées en tout ou en partie au bénéfice d'une organisation ouvrière dont les activités de relations de travail relèvent de la compétence fédérale, de ses membres ou des personnes qu'elle représente. »

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, il y a sept mois, plus précisément le 4 novembre 2014, lorsque j'ai pris la parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-377, j'ai commencé en disant : « J'espérais que nous en ayons terminé avec ce débat. » Je sais que bien d'autres sénateurs, des deux côtés de cette enceinte, partagent ce sentiment. Il s'agit d'un projet de loi qui est mal rédigé, qui violerait la vie privée de millions de Canadiens peut-être, qui ferait régresser les relations de travail partout au pays et qui est fort probablement inconstitutionnel, parce qu'il ne respecte pas le partage des pouvoirs et parce qu'il n'est pas conforme à la Charte. En outre, les gouvernements de six provinces, qui représentent 70 p. 100 de la population canadienne, nous ont demandé, de la façon la plus péremptoire possible, de ne pas adopter ce projet de loi.

Permettez-moi de rappeler à mes honorables collègues, et aux nombreux Canadiens qui suivent le débat, l'historique de cette mesure législative.

Le projet de loi C-377 est un projet de loi d'initiative parlementaire qui a été déposé à l'autre endroit le 5 décembre 2011 par M. Russ Hiebert. Les dispositions qu'il renferme sont sans précédent dans le droit canadien. Toutefois, étant donné que cette mesure est un projet de loi d'initiative parlementaire, elle n'a fait l'objet d'aucune approbation sur le plan constitutionnel par le ministre de la Justice ou par les constitutionnalistes de son ministère. Cette mesure n'a pas non plus bénéficié de l'expertise en rédaction législative du ministère de la Justice. En outre, toujours parce qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, et compte tenu du Règlement à l'autre endroit, cette mesure a été examinée de façon très limitée lors du débat à la Chambre des communes.

Le projet de loi a été adopté à l'autre endroit, de même qu'un certain nombre d'amendements proposés par son parrain à l'étape du rapport. Or, ces amendements n'ont pas du tout été débattus.

D'aucuns pourraient dire que toutes les conditions étaient réunies.

Le projet de loi est arrivé au Sénat le 13 décembre 2012 et nous nous sommes acquittés de notre responsabilité à titre de Chambre de second examen objectif. Premièrement, nous avons eu un débat de fond sérieux à l'étape de la deuxième lecture. Un certain nombre de sénateurs des deux côtés y ont participé. Ils ont examiné le projet de loi et ils ont soulevé des questions importantes à son sujet, notamment quant à sa constitutionnalité et à ses répercussions sur le droit fondamental à la vie privée et sur les relations de travail au pays. Ils ont aussi fait ressortir de nombreux problèmes graves dans le libellé, y compris dans les amendements adoptés à toute vapeur à l'autre endroit.

Le projet de loi a ensuite été renvoyé à notre Comité des banques et du commerce, qui a entendu 44 témoins au cours des trois semaines d'audiences. Honorables sénateurs, ces audiences étaient un exercice sérieux. Les témoins ont eu la possibilité de présenter clairement leurs points de vue et leurs préoccupations face au projet de loi. Les sénateurs ont pu discuter avec les témoins et leur poser des questions sur les points soulevés. Personne n'a été interrompu. Les Canadiens qui sont venus devant le comité sont repartis en ayant le sentiment d'avoir vraiment eu l'occasion de se faire entendre.

Les membres du comité ont ensuite discuté des témoignages entendus et de ce dont ils voulaient faire rapport au Sénat. Permettez-moi de lire les observations qu'ils ont annexées au rapport. Honorables sénateurs, je rappelle que le projet de loi qui nous occupe est exactement le même que celui dont le Comité des banques et du commerce a été saisi. Les membres ont fait les observations suivantes :

Bien que le Comité adopte le projet de loi C-377 sans amendement, il tient à noter qu'à la suite de trois semaines d'étude — après avoir entendu le témoignage de 44 témoins et reçu de nombreux mémoires de la part de gouvernements, d'organisations syndicales, d'universitaires et d'associations professionnelles, entre autres — on a soulevé dans la grande majorité des témoignages et mémoires d'importantes préoccupations au sujet de cette mesure législative.

L'une de ces principales inquiétudes concerne la validité constitutionnelle du projet de loi en ce qui a trait à la répartition des pouvoirs et la Charte. On a également soulevé d'autres points portant sur la protection des renseignements personnels, le coût et l'importance d'une plus grande transparence et le manque de précision quant aux entités visées par le projet de loi.

Le Comité partage ces préoccupations.

Le Comité n'a proposé aucun amendement car il est préférable que ces questions importantes soient débattues par l'ensemble du Sénat.

Le Sénat a ensuite discuté du projet de loi à l'étape de la troisième lecture. Cette mesure législative a, encore une fois, fait l'objet d'un débat de fond sérieux, pendant lequel les sénateurs de ce côté-ci et d'en face ont fait d'excellentes allocutions. Les deux côtés de notre assemblée ont présenté des amendements. Finalement, dans un bel exemple de collaboration exempte de considérations partisanes, nous avons convenu, à l'issue d'un vote, d'amender le projet de loi.

Ce fut un grand moment pour le Sénat. Nous avons mis de côté nos divergences politiques et nous avons fait ce que le Sénat est censé faire : après avoir étudié le projet de loi, écouté les témoins et examiné les questions soulevées au comité et au Sénat, nous avons convenu d'amender le projet de loi.

La sénatrice Eaton, qui avait parrainé la première version du projet de loi au Sénat, nous avait applaudis. Le 26 mars 2014, elle a pris la parole pour discuter du rôle essentiel du Sénat à titre de Chambre de second examen objectif — il s'agissait, vous vous en souvenez, de l'une des excellentes interpellations sur le rôle du Sénat lancées par notre ancien Président, le regretté sénateur Nolin. Voici ce qu'elle a dit :

Nous ne devons, et ne pouvons, pas permettre que le Sénat se contente d'approuver automatiquement les projets de loi que lui renvoie la Chambre des communes. Nous avons constaté l'indignation tacite qui éclate lorsque le Sénat décide d'exercer sa prérogative et de rejeter des projets de loi.

Cette situation s'est produite l'an dernier, lorsque nous avons étudié le projet de loi d'initiative parlementaire C-377, qui portait sur la transparence des syndicats. L'autre endroit avait adopté ce projet de loi sans amendement. Toutefois, après avoir étudié les dispositions de cette mesure législative, nous avons conclu qu'il existait des préoccupations importantes sur sa validité constitutionnelle, tant au chapitre du partage des pouvoirs que du point de vue de la Charte. Parmi les autres questions soulevées, mentionnons la protection des renseignements personnels, la nécessité d'une plus grande transparence et les coûts qui en découleraient, ainsi que le manque de précisions quant aux personnes auxquelles s'appliquerait la mesure législative.

Compte tenu de ces préoccupations et de la considération portée à celles-ci en cet endroit, nous n'avons pas adopté la législation. Elle a été renvoyée à l'autre Chambre, comme il se doit.

Chers collègues, l'autre endroit n'a même jamais eu le temps d'étudier nos amendements, puisque le premier ministre Harper a prorogé le Parlement. Nous sommes donc revenus à la case départ. C'est comme si les longues séances du comité, les débats approfondis et les amendements réfléchis n'avaient jamais eu lieu ou n'avaient jamais existé. Nous avons tout repris à zéro.

Tout cela n'a évidemment rien changé au fait, comme nous l'a rappelé notre ancien collègue, le sénateur Segal, qui avait su trouver les mots pour s'opposer avec éloquence au principe du projet de loi, que, en soi, le texte était le même que celui que nous avions étudié la première fois. Pour reprendre les mots du sénateur Segal, le projet de loi C-377 était :

[...] mal rédigé, imparfait, inconstitutionnel et mal conçu sur le plan technique lorsqu'il a été amendé la dernière fois. Sans amendement, il n'est pas devenu parfait simplement parce qu'un sénateur a pris sa retraite pour faire autre chose [...]

Comme bien souvent, le sénateur Segal avait tout à fait raison. Le projet de loi n'avait pas changé. C'était la même mesure législative qui, d'après notre comité, comportait de graves lacunes. Le Sénat partageait évidemment cet avis puisqu'il a voté en faveur d'amendements importants à ce projet de loi.

Compte tenu de cela, j'aurais cru que la mesure qui s'imposait, au retour de la prorogation, était d'adopter les mêmes amendements que nous avions adoptés en juin 2013 afin que les représentants élus de la Chambre aient la chance d'examiner nos amendements, nos conseils éclairés, puis d'accepter ou de rejeter une partie ou la totalité d'entre eux.

À la lumière des témoignages que nous avons entendus et de nos longs débats sur le projet de loi, je crois toujours que les députés élus méritent de pouvoir examiner nos amendements antérieurs. Ce n'est évidemment pas ce qui s'est produit. Au lieu de cela, nous avons renvoyé le projet de loi au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.

Étant donné les nombreux témoignages qui avaient été entendus la dernière fois, le comité a choisi de tenir seulement trois réunions et de les organiser de façon à entendre très rapidement les témoins convoqués. Je ne vais pas prétendre que j'approuvais cette approche. Nous avons appris par la suite que 75 organisations et 249 personnes avaient demandé officiellement d'être entendues par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et avaient vu leur demande refusée. L'une de ces organisations était le Syndicat canadien de la fonction publique, ou SCFP.

(1600)

Le SCFP, qui représente plus de 600 000 Canadiens, est le plus grand syndicat du pays. La décision de l'exclure est d'autant plus difficile à comprendre que le comité a accepté d'entendre un particulier, M. Marc Roumy, qui est agent de bord et qui a fait un certain nombre d'allégations au sujet de difficultés qu'il aurait eues avec le SCFP. M. Roumy avait également comparu devant le Comité des banques en 2013.

Le SCFP lui-même a demandé à plusieurs reprises le droit de comparaître devant notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Sa demande a été rejetée. Autrement dit, collègues, notre comité a entendu une partie, un particulier, mais a privé le SCFP du droit que j'estime fondamental de comparaître pour présenter sa version. Bref, le comité a entendu un mécontent, mais a refusé au représentant de 600 000 Canadiens l'autorisation de venir témoigner.

Les audiences tronquées ont également eu pour conséquence que les membres du comité n'ont pas eu la possibilité d'entendre des témoins sur un certain nombre de points d'une importance critique. Même dans le cas des témoins qui ont été autorisés à comparaître, j'ai été déçu de constater que, pour respecter le programme serré que le comité s'était lui-même imposé, les témoins — même quand il s'agissait de ministres provinciaux et du commissaire à la protection de la vie privée du Canada — ont été limités à des exposés de cinq minutes et ont été invités comme membres de panels plutôt nombreux. Souvent, les témoins ont été interrompus en plein milieu d'une phrase. Cela se produit peut-être couramment à la Chambre des communes, mais pas chez nous, au Sénat.

Honorables collègues, le Sénat a toujours été fier de permettre aux Canadiens de se faire entendre sur la Colline du Parlement. Les témoins que les comités de l'autre endroit rejettent savent qu'ils peuvent s'exprimer ici. Cela a toujours constitué un élément fondamental et essentiel de notre Chambre de second examen objectif, un principe que nous avons défendu ici pendant des décennies, une partie de la « valeur ajoutée » du Sénat que plusieurs d'entre nous mentionnent fièrement. Par conséquent, il est vraiment troublant de constater que notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a privé tant de Canadiens du droit de se faire entendre sur un projet de loi qui aura de profonds effets sur leur vie.

Cependant, comme nous l'a rappelé l'autre côté, nous avons tous accès aux nombreux témoignages entendus par notre Comité des banques. Ils font partie de ce qui a été soumis à notre assemblée dans le cadre de nos délibérations concernant ce que nous devons faire avec ce projet de loi. Un très grand nombre de Canadiens et d'organismes préoccupés et bien renseignés ont présenté des mémoires sérieux, qui sont à notre disposition.

Chers collègues, pourquoi y a-t-il tant de Canadiens profondément préoccupés par ce projet de loi? Le projet de loi impose, en matière de divulgation de renseignements, des obligations extraordinaires à ce qu'on appelle les « organisations ouvrières » et les « fiducies de syndicat ». Dans nos lois, il n'existe tout simplement aucun précédent du genre d'obligations en matière de divulgation que ce projet de loi imposera.

Il faudra procéder à la publication — sur Internet, où tout le monde y aura accès — d'états financiers indiquant tous les versements et opérations dont la valeur cumulative est supérieure à 5 000 $, et précisant le nom du payeur et du bénéficiaire, l'objet et la description de l'opération, et le montant précis payé ou reçu.

Le projet de loi rendrait obligatoire la publication — encore une fois sur Internet, où tout le monde y aurait accès — des versements effectués au bénéfice des cadres, des administrateurs et des fiduciaires, des employés dont la rémunération est supérieure à 100 000 $ et — c'est un groupe distinct :

[...] des personnes exerçant des fonctions de gestion dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elles aient, dans la pratique normale, accès à des renseignements importants relatifs à l'entreprise, aux activités, aux actifs ou aux revenus de l'organisation ouvrière ou de la fiducie de syndicat [...]

Le paragraphe précise ce qui doit être affiché sur Internet pour toutes ces personnes, en stipulant que cela comprend le salaire brut, les allocations et les avantages sociaux, y compris les obligations de prestations de retraite, les primes et les dons, entre autres choses.

Par conséquent, chers collègues, la déléguée syndicale d'un atelier dans une petite collectivité, même si elle gagne peut-être beaucoup moins que 100 000 $, pourrait malgré tout être considérée comme « une personne exerçant des fonctions de gestion », et son salaire brut, ses prestations de retraite et tout autre paiement reçu seraient donc divulgués à ses parents, à ses voisins et à toute la collectivité, simplement parce qu'elle travaille pour une organisation ouvrière ou une fiducie de syndicat.

Étant donné que ces organismes privés profitent d'exemptions d'impôt aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu et que ce sont les contribuables qui soutiennent ces déductions, M. Russ Hiebert, parrain du projet de loi à l'autre endroit, estime que les contribuables ont le droit de savoir à quoi servent leurs impôts.

Cependant, distingués collègues, les fonctionnaires qui travaillent pour le gouvernement fédéral ne sont pas tenus d'afficher leurs salaires sur Internet, et leurs salaires sont payés entièrement et directement par l'argent des contribuables. Les membres du personnel du premier ministre — dont les salaires sont payés par les contribuables — ont le droit de garder leurs salaires confidentiels.

En fait, une question a été inscrite au Feuilleton de l'autre endroit pour demander combien de membres du personnel du cabinet du premier ministre gagnaient plus de 150 000 $ par année, plus de 200 000 $, plus de 250 000 $ et plus de 300 000 $. On voulait aussi savoir combien de personnes recevaient des primes de rendement. La question ne cherchait pas à obtenir des noms ou les montants de salaires individuels. On cherchait seulement à savoir combien de personnes sont dans chaque catégorie, ce qui est passablement moins d'information que ce qui est demandé aux termes du projet de loi C-377. Le 6 mars 2014, le secrétaire parlementaire du premier ministre, M. Calandra, a présenté la réponse suivante :

Monsieur le Président, lorsqu'il traite des documents parlementaires, le gouvernement applique la Loi sur la protection des renseignements personnels et les principes de la Loi sur l'accès à l'information. Les renseignements demandés n'ont pas été communiqués, car il s'agissait de renseignements personnels.

Alors, si vous travaillez pour le premier ministre, il s'agit de renseignements personnels qui doivent demeurer confidentiels, mais si vous êtes un Canadien ordinaire au service d'une organisation ouvrière ou d'une fiducie de syndicat, la confidentialité ne s'applique pas à vous. En lieu et place, ces renseignements seront affichés sur Internet, et tout un chacun de partout dans le monde pourra aller les voir, pour peu qu'il ait accès au Web.

Le projet de loi contient une longue liste d'exigences pour le moins troublante en matière de divulgation. Ce n'est pas la première fois que j'en parle et d'autres l'ont fait aussi. J'espère que nous aurons la chance d'en examiner quelques-unes durant le présent débat. Je vais d'ailleurs limiter mes observations à certaines d'entre elles.

Il y a tout d'abord la question des contrats avec des tiers, pour lesquels il est prescrit de divulguer « les opérations et versements » dont la valeur cumulative est supérieure à 5 000 $. Ces opérations et versements doivent être communiqués séparément, avec le nom du payeur et du bénéficiaire, l'objet et la description de l'opération ou du versement et le montant précis payé ou reçu.

Chers collègues, cela signifie que chaque contrat de chaque syndicat local du pays — qu'il ait été conclu avec une société de photocopieurs, un service de nettoyage ou une entreprise d'approvisionnement en café — devra être divulgué et affiché sur Internet. Imaginez ce que ces sociétés penseront d'une telle disposition qui imposerait de divulguer à leurs concurrents les conditions de leurs contrats, sans aucune réciprocité, simplement parce qu'elles ont fourni des services à une organisation ouvrière ou à une fiducie de syndicat.

Chers collègues, est-ce là le plan conçu par le gouvernement pour favoriser l'épanouissement du secteur privé, la création d'emplois et la croissance des petites entreprises? Veut-il vraiment obliger quelques entreprises, mais pas toutes, à publier leurs renseignements confidentiels sur Internet?

Le Canada a fait des efforts pendant des dizaines d'années pour se bâtir une réputation d'endroit propice aux affaires. Pour que le marché libre puisse s'épanouir, les entreprises doivent être sûres de l'existence de lois énergiques protégeant leurs renseignements confidentiels. En fait, en vertu des lois fédérales et provinciales d'accès à l'information, les gouvernements doivent empêcher la divulgation de tels renseignements. La Loi fédérale sur l'accès à l'information — qui vise essentiellement la transparence et la responsabilité — a pour but d'assurer aux Canadiens l'accès à l'information concernant la façon dont leur gouvernement dépense l'argent des contribuables. Cette loi interdit au gouvernement de communiquer « des renseignements financiers, commerciaux [...] fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers ».

Par conséquent, je répète que le gouvernement fédéral — institution la plus publique de toutes les institutions publiques du pays — est tenu de ne pas divulguer l'information que ce projet de loi imposerait à des entités privées de communiquer. Je vous demande encore une fois comment une telle chose peut être justifiée.

Il n'y a pas à se leurrer : les entreprises prendront ce projet de loi pour ce qu'il est vraiment, c'est-à-dire un signe de danger avertissant les gens qu'ils ne peuvent pas se fier au Canada pour protéger leurs renseignements commerciaux confidentiels. Ce projet de loi cible aujourd'hui les organisations ouvrières, mais, collègues, qui sera ensuite ciblé? Quel précédent établissons-nous? Quel message envoyons-nous aux entrepreneurs du secteur privé tant chez nous qu'à l'étranger au sujet du Canada, comme endroit sûr pour établir une entreprise? Est-ce vraiment là ce que nous voulons faire? Est-ce vraiment ce que l'on souhaite?

(1610)

Ainsi, chers collègues, il faudra divulguer les détails des contrats liant une organisation ouvrière ou une fiducie de syndicat à une tierce partie. Voilà qui est incompatible avec une économie fondée sur des principes d'équité et de libre marché, mais ce n'est pas tout. Permettez-moi de vous lire l'un des amendements qui a été adopté plutôt rapidement par l'autre endroit :

Il est entendu que les déboursés visés aux sous-alinéas (3)b) (viii) à (xx) comprennent ceux effectués par l'intermédiaire d'un tiers ou d'un entrepreneur.

Chers collègues, au titre de cet amendement qui peut sembler inoffensif à première vue, une grande partie des obligations de déclaration contenues dans le projet de loi s'appliqueront également aux tiers et aux entrepreneurs. Elles ne s'appliqueront pas seulement aux contrats conclus avec une organisation ouvrière ou une fiducie de syndicat, elles viseront aussi les activités des tiers et des entrepreneurs.

À titre d'exemple, une de ces obligations — qui me trouble grandement — prévoit que certaines personnes doivent déclarer leurs activités politiques. Les personnes visées par cette obligation sont les mêmes que celles que j'ai énumérées plus tôt, c'est-à-dire les cadres, les administrateurs, les fiduciaires, les employés dont la rémunération est supérieure à 100 000 $ et les personnes exerçant des fonctions de gestion — difficile de trouver une expression plus vague. Dans sa forme actuelle, le projet de loi exige que chacune de ces personnes présente un état indiquant le pourcentage de temps qu'elle consacre à « la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail ».

Chers collègues, rien dans cet article ne précise que l'on fait référence aux activités menées pendant les heures de travail. En d'autres mots, le projet de loi vise à savoir ce que certaines personnes font en dehors des heures de travail, y compris le temps qu'elles consacrent à des activités politiques, et à publier le tout sur Internet.

Voilà qui a choqué un grand nombre de membres du comité et des témoins, comme la commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui ont comparu devant nous. Le Canada est un pays libre et démocratique. Quelle apparence de droit nous permet de demander à quelqu'un de déclarer publiquement sur Internet toutes les activités politiques auxquelles il ou elle se livre dans ses temps libres? Qu'y a-t-il de plus sacro-saint, dans une démocratie libre, que le droit de garder pour soi ses opinions et ses activités politiques? C'est pourtant ce droit que l'on bafouerait de façon catégorique en adoptant le projet de loi C-377 qui, je le répète, vise toutes les personnes exerçant des fonctions de gestion au sein d'une organisation ouvrière ou d'une fiducie de syndicat.

Pourquoi imposerions-nous à quelqu'un de déclarer publiquement ses activités non liées aux relations de travail, y compris les activités menées en dehors des heures de travail? Faire la cuisine, nettoyer la maison, aider les enfants à faire leurs devoirs, bavarder avec un voisin, aller prier à l'église, à la synagogue ou à la mosquée, ce sont là des activités non liées aux relations de travail que le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourrait imposer de divulguer et d'afficher sur Internet.

Si cela semble ridicule, c'est que c'est vraiment ridicule, mais c'est bien ce que dit le projet de loi.

Je l'ai déjà dit, mais le gouvernement avait considéré que les renseignements confidentiels à fournir dans le questionnaire détaillé du recensement constituaient une intrusion intolérable dans la vie privée des Canadiens. Comment peut-on affirmer maintenant que la publication sur Internet de ce que certains Canadiens font de leurs heures de loisirs est acceptable?

Je ne suis pas sûr que c'est à cela que pensait M. Hiebert lorsqu'il a rédigé son projet de loi, mais c'est bien ce que cette mesure semble exiger dans sa forme actuelle. Il n'y a pas à en douter : quiconque se prononcera en faveur de ce projet de loi affirmera qu'il appuie l'imposition de ces exigences à certains de ses compatriotes canadiens.

Le projet de loi exige aussi la publication d'un état des déboursés relatifs aux activités politiques. Chers collègues, comme l'a signalé l'Association du Barreau canadien, lorsque l'autre endroit a amendé le projet de loi, les députés ont inséré les mots « le total de » dans un certain nombre de ces paragraphes. D'après les règles fondamentales de l'interprétation législative, cela signifie que les paragraphes ne comprenant pas les mots « le total de » imposent de présenter des états détaillés relatifs à chaque déboursé. Or, la disposition exigeant la publication des déboursés relatifs aux activités politiques ne contient justement pas ces mots. Elle impose donc de publier un état détaillé de chaque déboursé.

Cela me ramène à l'amendement que j'ai mentionné il y a quelques instants, relativement à la divulgation sur Internet des versements effectués par l'entremise de tiers ou d'un entrepreneur. Ma collègue, la sénatrice Fraser, a demandé à Michael Mazzuca, de l'Association du Barreau canadien, quelles étaient les conséquences de cette disposition. M. Mazzuca a pris l'exemple d'une entreprise chargée d'entretenir à contrat le photocopieur d'une organisation ouvrière. Il a confirmé que le projet de loi imposerait de divulguer non seulement les conditions du contrat d'entretien, si son montant est supérieur à 5 000 $, mais aussi le temps consacré à des activités politiques par le technicien chargé de l'entretien.

Multipliez le nombre de contrats passés avec des tiers par les milliers de sections locales de syndicat au pays, et vous aurez une idée des effets monumentaux qu'aurait le projet de loi s'il était adopté.

Soit dit en passant, la définition du terme « organisation ouvrière » contenue dans le projet de loi est beaucoup plus large que ce que l'on entend traditionnellement par le mot « syndicat ». Voici la définition du terme « organisation ouvrière » contenue dans le projet de loi :

Association syndicale ou autre organisation ayant notamment pour objet de régir les relations entre les employeurs et les employés. Y sont assimilés les groupes ou fédérations, congrès, conseils du travail, conseils mixtes, assemblées, comités centraux et commissions mixtes dûment constitués sous l'égide d'une telle organisation.

Je répète : « organisation ayant notamment pour objet de régir les relations entre les employeurs et les employés ». Une telle définition englobe beaucoup d'organisations qui ne sont pas considérées comme des syndicats, au sens traditionnel du mot.

Doctors Nova Scotia est l'association professionnelle qui représente la majorité des médecins de la Nouvelle-Écosse. C'est d'ailleurs la plus ancienne association médicale au Canada. Elle a présenté au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles un mémoire très convaincant où elle indique en détail pourquoi les définitions des termes « organisation ouvrière » et « activités de relations de travail » pourraient très bien avoir ensemble comme conséquence que Doctors Nova Scotia soit obligée de se plier aux obligations prévues dans le projet de loi quant aux renseignements à fournir, même si les médecins membres de cette association sont des travailleurs indépendants, et non des employés.

Je ne vous lirai pas l'analyse faite par cette association, mais je vous recommande de consulter son mémoire. Nous conviendrons tous, je crois, que M. Hiebert n'a jamais eu l'intention de prévoir une telle obligation. Cependant, si nous adoptons le projet de loi sans amendement, cette obligation deviendra réalité. L'association Doctors Nova Scotia dit que les obligations de communication de renseignements contenues dans le projet de loi sont très lourdes, et je dirais que c'est un euphémisme. Elle constate que, pour se conformer aux exigences prévues, elle devra procéder à un remaniement complet de sa mécanique de production de rapports financiers. Elle dit encore ceci :

Pour être conforme au projet de loi, DNS serait forcée de réaffecter aux services financiers de précieuses ressources dirigées vers ses mandats de promotion de la santé, parce que la portée du projet de loi n'est pas assez précise et peut être interprétée de façon trop large.

Est-ce sur cela que les Canadiens veulent que leurs médecins portent leur attention, en cette période de restrictions budgétaires, c'est-à-dire non pas sur les soins de santé, mais sur les détails de la déclaration des contrats avec les entreprises de photocopieurs et d'entretien?

Dans son mémoire, Doctors Nova Scotia a également mis l'accent sur le fait que, en vertu du projet de loi, elle doit fournir une estimation du temps consacré par chacun de ses membres à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations de travail.

Chers collègues, ne voulons-nous pas que les membres de la profession médicale soient engagés, que les médecins se sentent libres de se servir de leurs connaissances et de leur expérience pour apprendre aux Canadiens et aux décideurs ce qui leur permettra d'améliorer leur santé et leur bien-être? Bien entendu, Doctors Nova Scotia ne s'est pas même concentrée sur les tentacules du projet de loi; il impose la déclaration des déboursés relatifs aux activités politiques effectués par l'intermédiaire de tiers ou d'entrepreneurs.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi peut engendrer bien des conséquences imprévues et problématiques, mais compte tenu du temps dont nous disposons, je vais mettre l'accent sur un seul autre élément : les dispositions concernant les fiducies de syndicat.

En bref, les obligations de déclaration prévues dans le projet de loi ne s'appliquent pas uniquement aux organisations ouvrières, mais aussi aux fiducies de syndicat. Voici la définition de « fiducie de syndicat » qui figure dans le projet de loi :

« fiducie de syndicat » Fiducie ou fonds dans lesquels une organisation ouvrière possède un intérêt juridique, bénéficiaire ou financier, ou qui sont constitués et administrés en tout ou en partie au bénéfice d'une organisation ouvrière, de ses membres ou des personnes qu'elle représente.

(1620)

Autrement dit, la « fiducie de syndicat » comprend les « fonds [...] constitués ou administrés en tout ou en partie au bénéfice » des membres d'une organisation ouvrière ou des personnes qu'elle représente.

Plusieurs témoins qui ont comparu et qui nous ont fait parvenir des mémoires nous ont prévenus au sujet des répercussions de cette définition. Par exemple, elle imposerait une obligation de divulgation au sujet des fonds communs de placement dans des REER et des CELI notamment, advenant qu'une seule personne qui cotise au fonds commun de placement est membre d'une organisation ouvrière. Je vais le répéter, car c'est important : si une seule personne qui cotise au fonds commun de placement, que ce soit à un REER ou à un CELI, est membre d'une organisation ouvrière, alors le fonds commun de placement devient une fiducie de syndicat en vertu du projet de loi C-377.

Bien entendu, comme je l'ai décrit plus tôt, la définition d'« organisation ouvrière » est beaucoup plus vaste que celle des syndicats. Donc, pour déterminer si une personne qui détient des parts d'un fonds commun de placement est membre d'une organisation ouvrière, il faudra envisager la question sous un angle beaucoup plus large, et non pas se limiter aux syndiqués traditionnels.

Qu'est-ce que cela signifie? Permettez-moi de vous lire un extrait du mémoire de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, ce qui correspond à la mise en garde écrite que nous avons reçue de plusieurs institutions financières :

En effet, si un membre d'un syndicat achète des unités d'un fonds commun de placement au détail, ce fonds tombe sous la définition de « fiducie de syndicat » et les exigences de déclaration et d'accès publics s'y rattachant s'appliquent alors à tout détenteur d'unités dudit fonds, qu'il ait ou non un lien personnel avec une organisation ouvrière.

Autrement dit, chers collègues, si nous adoptons ce projet de loi sans amendement, tous les Canadiens qui détiennent des parts dans un fonds commun de placement — ce peut être un REER ou un CELI — devront se conformer à toutes les obligations de déclaration des renseignements prévues dans le projet de loi C-377, ce qui comprend toute l'information à leur sujet affichée sur Internet, si un seul autre cotisant à ce fonds commun de placement est membre d'une « organisation ouvrière » telle que définie dans le projet de loi, ce qui pourrait inclure un médecin, comme je l'ai montré. Combien de millions de Canadiens seraient touchés par cette mesure?

Est-ce assez ridicule pour quiconque? Est-ce ce qu'on prévoyait comme conséquence d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui visait à assurer une plus grande transparence et une meilleure reddition des comptes dans les organisations ouvrières? Nous sommes tous conscients des graves préoccupations que suscite le fait que les Canadiens n'économisent pas assez en prévision de la retraite. Le gouvernement essaie maintenant de relever le montant que chacun peut placer dans un CELI. Qui voudra placer de l'argent dans un CELI ou un REER si, en le faisant, il risque de voir ses renseignements financiers et autres affichés sur Internet? Comment pouvons-nous, de façon responsable, adopter le projet de loi dans sa forme actuelle?

Soit dit en passant, le commissaire à la protection de la vie privée a dit très clairement, au cours de son témoignage, que ces renseignements pourraient être communiqués sans que le fonds n'obtienne le consentement des personnes dont les données seraient rendues publiques. La Loi sur la protection des renseignements personnels exige ce consentement, mais, si nous adoptons le projet de loi C-377 sans amendement, cette exigence ne s'appliquera pas dans ce cas-ci.

M. Cameron Hunter, actuaire consultant spécialisé dans les régimes de retraite et d'avantages sociaux, s'inquiétait tellement de la portée du projet de loi C-377 qu'il a communiqué avec mon bureau et a pris le temps de témoigner au cours de l'étude de cette mesure. Il a expliqué au comité que le projet de loi exigerait une communication complète de très nombreux régimes qu'il connaît, y compris des fiducies mises sur pied pour percevoir la paie de vacances ou fournir des services juridiques, et peut-être même des fiducies qui financent des programmes de lutte contre la toxicomanie. Il a ajouté qu'il connaissait un programme de logement sans but lucratif qui pourrait être soumis aux exigences de communication qui figurent dans le projet de loi. Même le programme Du régiment aux bâtiments, qui propose des carrières dans le secteur de la construction à des anciens combattants de retour à la vie civile, est un partenariat qui allie gouvernement, employeurs et syndicats des métiers de la construction. Ce programme aussi pourrait être visé par la définition de « fiducie de syndicat ».

M. Hunter a fait remarquer que, compte tenu des définitions, les régimes d'indemnisation des victimes d'accidents du travail seraient peut-être assujettis au projet de loi. Comme il l'a expliqué, la Commission ontarienne de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail, par exemple, est maintenue en place au moins en partie dans l'intérêt des syndiqués et répondrait donc à la définition de « fiducie de syndicat ».

Il a affirmé dans son témoignage qu'aucune de ces entités n'est visée pour l'instant par les amendements que l'autre endroit a apportés au projet de loi pour tenter d'en limiter la portée en ce qui concerne les fiducies de syndicat.

L'un des problèmes, comme M. Hunter l'a expliqué, c'est que les exceptions se présentent comme une longue liste, et de nombreux fonds qui répondent à la très large définition de « fiducie de syndicat » ne se trouvent pas dans cette liste. Il a dit au comité : « En fait, étant donné la grande variété de dispositions qui existent aujourd'hui, il n'est pas possible de dresser la liste complète de toutes les exceptions possibles. »

Il y a un autre problème, et c'est que, dans sa forme actuelle, l'exception s'applique seulement aux fiducies de syndicat dont « les activités ont trait exclusivement à l'administration, à la gestion ou aux placements » d'une liste de fonds. Par conséquent, tout fonds qui fait une chose en plus, une seule chose en plus, par rapport aux éléments de la liste, ne serait pas visé par l'exception. Étant donné le mode de fonctionnement du monde des services financiers, cela veut dire que bien des fonds ne seraient pas protégés par l'exception.

Comme M. Hunter l'a expliqué, cela présente un problème pour les conventions de fiducies principales, au sein desquelles des fiducies distinctes sont combinées en une seule fiducie plus importante. Chaque fiducie peut fournir des avantages sociaux différents. Si l'un ou l'autre de ces avantages sociaux est omis de la liste d'exceptions, il semble que tous les autres avantages sociaux, comme l'assurance-maladie, l'assurance-vie et d'autres types d'avantages exemptés pourront être assujettis à l'obligation de communication.

Chers collègues, permettez-moi de préciser que même si M. Hunter était le seul témoin que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a invité à venir témoigner au sujet de ce projet de loi, il n'était, et de loin, pas le seul à soulever ces très graves préoccupations. J'ai mentionné l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, qui a tiré la sonnette d'alarme au sujet de la portée de ces dispositions. L'Institut des fonds d'investissement du Canada a également présenté un mémoire — en fait, plus d'un — pour attirer l'attention sur les très graves répercussions des dispositions relatives aux « fiducies de syndicat ». Ces organismes ont signalé que, du point de vue opérationnel, les gestionnaires de fonds mutuels publics n'ont aucun moyen de déterminer si un investisseur dans un fonds est membre d'une « organisation ouvrière » et, bien entendu, j'ai démontré que cette définition est si large qu'elle inclut beaucoup de personnes qui, d'ordinaire, ne se qualifient pas comme membres d'un syndicat.

Permettez-moi de lire un bref extrait du plus récent mémoire présenté par l'Institut des fonds d'investissement du Canada :

Il y a actuellement au Canada plus de 9 000 séries de fonds communs de placement, et tous peuvent être considérés comme une fiducie de syndicat selon la définition contenue actuellement dans le projet de loi et l'interprétation évidente dont nous en faisons dans la présente lettre. Par conséquent, chacun de ces 9 000 fonds pourrait être assujetti à cette exigence de déclaration. Il s'agit d'un fardeau administratif très lourd et très coûteux que l'on risque d'imposer à l'industrie et, au bout du compte, aux millions de détenteurs de titres dans ces fonds.

Chers collègues, il y a 9 000 fonds mutuels au Canada et, d'après l'Institut des fonds d'investissement du Canada, ils pourraient tous être assujettis aux dispositions du projet de loi C-377, ainsi que tous les Canadiens qui ont investi dans un fonds mutuel canadien.

De plus, chers collègues, n'oubliez pas que toutes les dispositions que j'ai mentionnées plus tôt — l'exigence de divulguer publiquement les salaires, les prestations de retraite, les activités politiques, les contrats passés avec des tiers et les activités politiques de ces tiers —, toutes ces dispositions s'appliquent à toutes les entités correspondant également à la définition de « fiducie de syndicat », autrement dit elles s'appliquent aux fonds mutuels, aux REER et aux CELI.

Donc, on nous demande ni plus ni moins de faire vivre un véritable cauchemar aux Canadiens.

Pensons aux sommes que l'industrie financière devra débourser pour tenter de se conformer à cette mesure, de même qu'aux sommes que l'ARC devra elle aussi débourser pour essayer de la faire respecter. Et ce n'est pas tout, chers collègues : n'oublions pas non plus que ce projet de loi donnerait lieu à des violations des droits à la vie privée les plus fondamentaux.

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a témoigné devant le comité pour exprimer ses profondes inquiétudes à propos du projet de loi. M. Therrien est le deuxième commissaire à la protection de la vie privée du Canada à le faire. Sa prédécesseure, Jennifer Stoddart, avait témoigné devant le Comité des banques en 2013. Elle avait alors dit au comité que le fait que le projet de loi propose de nommer ces personnes constituait « une atteinte considérable à leur vie privée ». Elle avait également dit : « Je crois que ce projet de loi pourrait poser problème. »

M. Therrien, quant à lui, a été encore plus direct. Le sénateur Joyal lui a demandé si, à son avis, le projet de loi outrepassait ce qui est acceptable du point de vue de la protection de la vie privée.

(1630)

Voici la réponse de M. Therrien :

Je pense qu'il va trop loin. La reddition de comptes est un principe important qui peut justifier la divulgation de certains renseignements tels que les salaires des dirigeants les mieux rémunérés, mais je pense qu'il va trop loin en exigeant la divulgation d'activités non syndicales, comme ce que vous avez mentionné, et les activités politiques ou de lobbying. Je pense qu'il va beaucoup trop loin.

Chers collègues, cette atteinte à la vie privée aura des conséquences. Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, a témoigné en 2013 devant le Comité des banques et, tout récemment, devant le Comité des affaires juridiques. Il a dit que les membres de l'association craignaient pour leur sécurité si, comme l'exigerait le projet de loi C-377, des renseignements à leur sujet, notamment leur nom, étaient divulgués.

Il a déclaré devant le comité que, à l'Association canadienne des policiers, la plupart des dirigeants syndicaux élus sont aussi des policiers. Quand ils quittent leur association locale, ils retournent à leur carrière de policier. Ils sont profondément inquiets du fait que leur nom et d'autres renseignements personnels puissent être rendus publics et affichés sur Internet. On ne sait pas combien d'individus ou d'organisations qui s'adonnent à des activités criminelles pourraient utiliser ces renseignements.

Chers collègues, permettez-moi de citer un extrait du témoignage de M. Stamatakis devant le Comité des banques. Le temps était si limité que le président a dû l'interrompre au beau milieu d'une phrase, alors qu'il faisait valoir son point de vue.

Voici ce qu'il a dit au Comité des banques en 2013 :

Je peux vous donner un bon exemple. Un membre de mon conseil exécutif, à Vancouver, est sergent au sein de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé de la Colombie-Britannique. L'unique fonction de cette unité est de cibler les groupes criminels organisés, les gangs de motards criminels, et d'identifier les gangs qui participent à des activités criminelles graves. Leur principale fonction est de surveiller les membres des gangs et leurs activités en vue d'engager des poursuites contre eux. Le projet de loi C-377 mettrait cette personne dans une situation où, à tout le moins, son nom serait publié. Avec la technologie, de nos jours, il ne faudrait pas grand-chose pour que quelqu'un fasse quelque chose.

Chers collègues, pourquoi ferions-nous cela? Pourquoi exiger une divulgation qui, nous le savons, risquerait fort de mettre en danger les femmes et les hommes qui assurent notre sécurité? Ces personnes s'exposent déjà à de nombreux dangers dans leur travail. Nous devons faire notre possible pour réduire les dangers auxquels ils font face, et non pas adopter des lois inutiles qui, selon ce qu'on nous a dit, ne feront qu'accroître ces dangers.

Comme vous pouvez le constater, le projet de loi dont nous sommes saisis pose bien des problèmes. Toutefois, ce qui est encore plus important, c'est de savoir s'il est constitutionnel et si le Parlement a le pouvoir de l'adopter.

M. Hiebert a déclaré au comité que son but, en présentant le projet de loi C-377, était d'améliorer la transparence des organisations syndicales. Il a dit que le projet de loi visait à « mieux évaluer l'efficacité ainsi que l'intégrité et la santé financières des syndicats canadiens ».

Honorables sénateurs, soyons clairs. Nous prônons tous la transparence et la responsabilité, mais nos lois du travail veillent déjà à ce que les syndicats soient transparents et responsables. Par ailleurs, exception faite d'un nombre relativement restreint de syndicats assujettis à la réglementation fédérale, le droit du travail relève de la compétence provinciale en vertu de notre Constitution. Bref, nous n'avons pas le pouvoir constitutionnel d'adopter le projet de loi C-377.

C'est une question au sujet de laquelle le Comité des banques a entendu beaucoup de témoignages. Elle a aussi été examinée par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je pense qu'on peut dire sans se tromper qu'un grand nombre de constitutionnalistes sont d'avis que, si le projet de loi C-377 est adopté, il sera jugé inconstitutionnel au motif qu'il ne respecte pas le partage des pouvoirs. Le seul constitutionnaliste qui a dit que nous avions le pouvoir d'adopter le projet de loi est Michel Bastarache, l'ancien juge de la Cour suprême.

L'ancien juge Bastarache est actuellement avocat dans un cabinet privé. Il a dit ouvertement au comité que Merit Canada est un client de son cabinet et que l'organisme a demandé que l'un des avocats de la firme formule une opinion sur la constitutionnalité du projet de loi. La tâche a été confiée à l'ancien juge Bastarache.

Au cas où quelqu'un ne serait pas au courant, il est bien connu que Merit Canada est l'un des principaux défenseurs du projet de loi C-377. En effet, certains croient que Merit Canada a exercé des pressions en faveur du projet de loi et qu'il aurait même participé à sa préparation.

L'ancien juge Bastarache soutient que le projet de loi C-377 modifie la Loi de l'impôt sur le revenu et que cette loi relève de la compétence fédérale. Il admet que le projet de loi a pour but d'assurer la transparence et la reddition de comptes relativement aux avantages fiscaux accordés aux organisations ouvrières.

Je le cite :

Je ne vois pas de raison de [remettre en question le fait] que la teneur du projet de loi soit liée au « prélèvement de deniers », qui figure au paragraphe 91(3) de la Constitution.

Il reconnaît que les organisations ouvrières sont touchées par le projet de loi, mais il a dit que « en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires, aussi longtemps que le projet de loi relève suffisamment du cadre fédéral, il est constitutionnel. »

Selon l'ancien juge Bastarache, il n'y a « pas d'empiétement majeur sur les compétences des provinces. L'objet du projet de loi est rationnellement et fonctionnellement relié à l'impôt. »

D'autres constitutionnalistes qui ont témoigné devant le comité étaient beaucoup moins optimistes quant à la constitutionnalité du projet de loi. Bruce Ryder enseigne le droit constitutionnel à l'école de droit Osgoode Hall depuis 1987, donc depuis près de 30 ans. Comme il a témoigné devant le comité après l'ancien juge Bastarache, il a eu la chance de réfléchir à l'opinion de ce dernier avant de comparaître.

Le professeur Ryder a été très clair. Je cite :

[...] il est évident que le caractère véritable de cette loi vise à promouvoir la transparence et la reddition de comptes des organisations ouvrières, une question qui ne relève tout simplement pas des compétences fédérales et est donc ultra vires.

Il n'a pas mâché ses mots.

Voici ce qu'a dit le professeur Ryder au sujet des observations de M. Bastarache sur la doctrine des pouvoirs accessoires :

[...] les dispositions en matière de divulgation financière telles que proposées par le projet de loi C-377 jouent-elles un rôle important et substantiel dans l'accomplissement des objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu? Ces dispositions sont-elles liées d'un point de vue rationnel et fonctionnel aux objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles améliorent les dispositions existantes?

Je réponds qu'il est manifeste, encore une fois, que le projet de loi n'est pas lié aux dispositions existantes de la Loi de l'impôt sur le revenu, qu'il n'a pas de lien étroit avec les objectifs de la loi et qu'il sera ainsi déclaré inopérant par les tribunaux.

Il signale qu'aucune disposition du projet de loi C-377 n'établit de lien entre les obligations découlant du projet de loi et le statut fiscal des organisations syndicales, ou encore les conséquences fiscales des activités des organisations syndicales ou de l'adhésion à ces organisations.

Selon lui, l'argument des partisans du projet de loi équivaut à soumettre les organisations syndicales au même traitement que les organismes de bienfaisance et les associations sportives aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il fait remarquer que, selon cette loi, le traitement des organismes de bienfaisance et des associations sportives découle de leur statut en tant qu'organisations exonérées d'impôt. Par contraste, il n'existe aucun lien de la sorte avec les organisations syndicales.

Les organisations syndicales, du moins provinciales, sont créées en vertu des lois provinciales sur le travail, et ce sont ces lois qui déterminent si elles peuvent continuer d'exister. Aucune disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu ne donne le pouvoir de créer une organisation syndicale ou bien d'en priver une de son statut, et le projet de loi C-377 ne changerait rien à cela.

Comme l'a dit le professeur Ryder :

Il n'y a [...] aucune conséquence fiscale suite à une violation des dispositions de divulgation prévues par le projet de loi C-377. Voilà pourquoi dans mon mémoire, je fais valoir que l'analogie avec le traitement fiscal des organismes de bienfaisance et des associations sportives, ainsi que les exigences de divulgation qu'on leur impose, est plutôt spécieuse à la lumière des dispositions détaillées pertinentes incluses dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le sénateur Dagenais a demandé à M. Ryder ce qu'il pensait de l'avis juridique de l'ancien juge Bastarache. Voici ce qu'il a répondu :

Il est clair que d'autres constitutionnalistes et moi-même n'avons pas la même opinion que celle de l'ancien juge Bastarache. Je dirais brièvement que le juge Bastarache et M. Hiebert croient qu'il est suffisant de placer le projet de loi C-377 sous l'autorité du Parlement pour la création de mesures législatives fiscales étant donné que les syndicats profitent de certains avantages publics sous forme d'exemptions fiscales et de déduction des cotisations fiscales. C'est pour eux une bonne raison d'exiger des informations financières détaillées simplement parce qu'ils profitent d'un avantage public et cela suffit pour faire en sorte que ces mesures relèvent de l'autorité fiscale du Parlement.

Honnêtement, j'estime que le lien avec la Loi de l'impôt sur le revenu est plutôt mince. Si c'était le cas, on pourrait exiger une masse d'informations d'à peu près toutes les institutions au pays qui profitent d'une certaine forme d'avantage fiscal, et il y en a beaucoup.

Je suis d'avis, et je pense que c'est aussi l'avis d'autres constitutionnalistes qui ont présenté des mémoires dans le cadre de l'étude de ce projet de loi au Parlement, qu'il faut établir un lien plus étroit entre la loi et le traitement fiscal des syndicats ou les conséquences fiscales de transactions mettant en jeu les syndicats pour justifier l'exercice du pouvoir fiscal du Parlement.

(1640)

Honorables collègues, considérez à quel point nous créerions un dangereux précédent si nous nous donnions le droit de réglementer toute industrie ou tout particulier, tout simplement parce qu'ils sont admissibles à un crédit d'impôt ou à un autre avantage en vertu de la Loi sur l'impôt sur le revenu. Cela aurait pour effet d'éliminer la séparation des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral. Nous pourrions annuler les décisions des gouvernements provinciaux en faisant tout simplement valoir notre pouvoir en vertu de la Loi sur l'impôt sur le revenu, parce que toutes les organisations et tous les particuliers profitent, dans une certaine mesure, de déductions prévues dans la Loi sur l'impôt sur le revenu.

À l'heure actuelle, 8 des 10 provinces ont déjà adopté des lois sur la divulgation qu'elles jugent appropriées d'exiger des organisations ouvrières. Le témoin a très clairement dit que le projet de loi a été mis de l'avant, parce que ses partisans considèrent que les provinces n'ont pas été suffisamment loin. Ils ne souscrivent pas aux choix des provinces.

Le sénateur Runciman l'a très clairement dit lorsqu'il a pris la parole à l'étape de la deuxième lecture. Il n'aime pas les lois ontariennes qui régissent la participation des syndicats aux élections provinciales. Il a justement été ministre durant huit ans en Ontario, et il a donc eu l'occasion à l'époque de proposer une loi en vue de combler ce qu'il considère comme une lacune. Son gouvernement a été battu — et il l'a été à répétition au cours des élections qui ont suivi —, et il n'est naturellement pas d'accord avec les choix législatifs du gouvernement libéral élu.

Par contre, ce n'est pas du tout une raison pour lui ou pour nous, à titre de législateurs fédéraux, d'user de nos fonctions au Parlement fédéral pour adopter des lois que nous aurions voulu voir adopter par des provinces. Dans son cas, il s'agirait d'une loi qu'il aurait souhaité voir le gouvernement de l'Ontario adopter.

Nous avons une Constitution qui répartit les pouvoirs législatifs. Dans cette affaire, et avec le plus grand respect pour l'ancien juge Bastarache, les autorités sont presque unanimes à affirmer que le Parlement n'a pas le pouvoir constitutionnel d'adopter le projet de loi C-377.

Paul Cavalluzzo est un constitutionnaliste et un avocat spécialisé dans le droit du travail. Il a dit que le pouvoir fédéral de taxation est défini au paragraphe 91(3) de la Loi constitutionnelle. Cette disposition parle du « prélèvement de deniers ». Plus précisément, elle confère au Parlement le droit de « prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation ».

Le projet de loi C-377 n'a rien à voir avec le prélèvement de deniers, par taxation ou autrement. Il vise à réglementer la divulgation de renseignements par les syndicats, ce qui relève du droit des relations de travail, droit qui, sauf pour les très rares employeurs sous réglementation fédérale, relève de la compétence provinciale.

Le Comité des banques du Sénat a entendu plusieurs constitutionnalistes exprimer le même point de vue : M. Alain Barré, M. Henri Brun et M. Robin Elliot conviennent tous que le projet de loi C-377, s'il était adopté, serait jugé inconstitutionnel ou, aux dires de M. Barré, « totalement inconstitutionnel ».

Chers collègues, j'ai le plus grand respect pour l'ancien juge Bastarache. Toutefois, comme nous le savons et comme nous l'a montré récemment la malheureuse tentative de nommer le juge Nadon à la Cour suprême, il arrive que les anciens juges de la Cour suprême se trompent. Compte tenu du poids des preuves présentées à nos comités sénatoriaux, j'ai conclu que c'était probablement ce qui s'était produit dans ce cas.

Plusieurs témoins, y compris M. Cavalluzzo et l'Association du Barreau canadien, ont indiqué que le projet de loi C-377 risquait d'aller à l'encontre de la Charte à plusieurs égards. Selon eux, le projet de loi présente de sérieuses lacunes, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression et la liberté d'association, telles que prévues, respectivement, aux paragraphes 2b) et 2d) de la Charte.

Selon M. Therrien, le commissaire à la protection de la vie privée, le projet de loi C-377 pourrait être contesté en vertu de la Charte. Il a parlé des articles 7 et 8 de la Charte, qui sont pertinents à la protection de la vie privée, et a ajouté que les syndicats ou d'autres organisations pourraient invoquer l'argument de la liberté d'expression et d'association.

Là encore, l'ancien juge Bastarache n'a pas exprimé de telles préoccupations. Voici ce qu'il a dit :

En ce qui a trait au droit d'association, je ne vois pas de problème. On doit comprendre les limites de ce droit et faire la distinction entre ce qui est protégé par la Constitution et ce qui est visé par la loi.

Le droit d'association est un droit procédural, qui ne protège pas les activités. C'est un droit qui protège le pouvoir de s'unir, de faire des représentations et de recevoir des réponses de bonne foi. La Cour suprême a statué à cet effet dans les arrêts Dunmore, Health Services et Fraser.

Chers collègues, l'opinion du juge Bastarache est pour le moins surprenante. Ce sont là des causes importantes dans l'évolution de la liberté d'association — qui, soit dit en passant, est une liberté et non un droit, contrairement à ce qu'a affirmé le juge Bastarache.

Soulignons toutefois que l'arrêt Dunmore a été rendu en 2001, l'arrêt Health Services en 2007 et l'arrêt Fraser en 2011. L'ancien juge Bastarache a, notamment, omis toute référence aux décisions marquantes rendues il y a quelques mois, en janvier 2015, par la Cour suprême, où celle-ci présente une étude et une interprétation fouillées de la liberté d'association, aux termes de la Charte. Ces décisions ont étendu de façon considérable et profonde la portée des protections que confère la liberté d'association. Loin de la décrire comme relevant du « droit procédural », la cour a soutenu que la liberté d'association, aux termes du paragraphe 2d), doit faire l'objet d'une « interprétation téléologique, généreuse et contextuelle ». En fait, la cour a profité de l'occasion pour annuler expressément une décision antérieure basée sur une interprétation plus étroite de la liberté d'expression — une décision rendue par l'ancien juge Bastarache.

Comme je l'ai dit, j'ai énormément de respect pour l'ancien juge Bastarache mais, dans ce cas-ci, je dois conclure, à contrecœur et à regret, que son opinion est, au mieux, une opinion dissidente.

Les données très probantes dont dispose le Sénat indiquent qu'il est fort probable que le projet de loi C-377 serait jugé inconstitutionnel, sûrement en ce qui a trait au partage des pouvoirs et très probablement en vertu de la Charte. Comme les sénatrices Andreychuk et Frum l'ont souligné dans un autre contexte, la constitutionnalité est une question fort importante. Pour citer la sénatrice Frum : « Dans ce cas, pourquoi adopter un projet de loi dont certaines des dispositions seraient très probablement déclarées inconstitutionnelles? Je crois que nous ne devrions pas le faire. »

Chers collègues, quelle que soit votre opinion sur le rôle du Sénat pour ce qui est d'évaluer la constitutionnalité d'un projet de loi, je pense que nous convenons tous que le Sénat a l'obligation de prendre très au sérieux le point de vue des provinces relativement à un dossier particulier.

Six provinces ont écrit pour dire qu'elles n'appuient pas le projet de loi C-377. Trois ministres provinciaux du Travail sont venus témoigner et ont exprimé la vive opposition de leur gouvernement au projet de loi.

Il ne s'agit pas d'une question partisane. Ces objections ont été formulées par des gouvernements de toutes les allégeances. Dans certains cas, des gouvernements provinciaux ont été remplacés après les démarches faites en 2013 et le nouveau gouvernement a réitéré le point de vue de son prédécesseur. C'est le cas dans ma province, la Nouvelle-Écosse.

Autrement dit, il existe un fort consensus relativement à ce dossier : le projet de loi C-377 est une mauvaise mesure publique. Il aurait des répercussions négatives sur les relations de travail et sur l'économie des provinces en question. En outre, il traite d'une question qui relève de la compétence des provinces.

Une seule province a exprimé un point de vue différent. C'était il y a deux ans, à la fin de juin 2013. Le gouvernement de la Colombie-Britannique avait écrit à la sénatrice LeBreton — qui était alors leader du gouvernement au Sénat — et m'avait fait parvenir une copie de la lettre. Fait intéressant, cette lettre exprimait ce que j'appellerais un « appui tiède ». Le gouvernement disait qu'il appuyait « les principes qui sous-tendent le projet de loi C-377 », à savoir que les syndicats « devraient faire preuve d'une plus grande transparence et être plus responsables de leurs décisions en matière de dépenses. »

Toutefois, il est très intéressant de noter que, même si le gouvernement de la Colombie-Britannique appuyait ce principe théorique, il n'a pris aucune initiative législative pour modifier ses propres lois du travail en vue d'assurer une plus grande transparence de la part des syndicats qui relèvent de son autorité. C'est pour cette raison que j'ai parlé d'un appui tiède.

(1650)

Honorables sénateurs, tout le monde convient de l'importance de la transparence et de la reddition de comptes. Le problème réside dans la manière dont le projet de loi C-377 tente de concrétiser ces objectifs.

Kelly Regan, ministre du Travail et de l'Éducation postsecondaire de ma province, la Nouvelle-Écosse, a témoigné au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles en expliquant que le gouvernement provincial redoute que le projet de loi C-377 « n'empiète sur les compétences des provinces en matière de travail et qu'il ait des conséquences inattendues sur les relations patronales-syndicales ».

Voici ce qu'elle a déclaré :

La province de la Nouvelle-Écosse s'inquiète du caractère unilatéral de ce projet de loi qui exige des seuls syndicats la divulgation d'informations très détaillées dont on pourrait se servir contre eux. Nous aimerions qu'il tienne compte des principes fondamentaux d'équité.

La province de la Nouvelle-Écosse a déjà adopté des dispositions qui exigent des syndicats qu'ils fournissent les états financiers à leurs membres. Selon la Trade Unions Act, les syndiqués peuvent obtenir gratuitement des copies de tous les états financiers. Au cours des cinq dernières années, cette disposition n'a fait l'objet d'aucune plainte.

Mme Regan a conclu son mot d'ouverture comme suit :

D'autres témoins estiment qu'il s'agit simplement d'un projet de loi fiscal qui n'empiète pas du tout sur les compétences provinciales. Je comprends que le gouvernement fédéral ait le pouvoir d'ordonner des vérifications afin d'assurer le respect de la Loi sur l'impôt, mais les dispositions concernant la divulgation publique ont comme conséquence imprévue de ne pas traiter les syndicats sur un pied d'égalité.

Mon dernier point a trait aux efforts que déploient toutes les administrations au Canada pour éliminer les doubles emplois et la paperasse. La Nouvelle-Écosse, par exemple, vient de conclure un accord avec le Nouveau-Brunswick à cet égard. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fédéral s'immiscerait dans ce domaine de compétence provinciale. C'est une intrusion qui se soldera par des poursuites devant les tribunaux.

Voilà ce que la ministre Regan avait à dire à notre comité.

Chers collègues, quand une ministre de la Couronne d'une province déclare qu'un projet de loi fédéral constitue une intrusion dans un domaine de compétence provinciale et que cette intrusion « se soldera par des poursuites devant les tribunaux », il faut la prendre au sérieux.

Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse n'est certes pas le seul à s'opposer au projet de loi C-377. Les ministres du Travail de l'Ontario et du Manitoba ont témoigné, eux aussi.

L'honorable Kevin Flynn, ministre du Travail au sein du gouvernement de l'Ontario, a demandé au Sénat de rejeter le projet de loi C-377 pour cinq raisons. Premièrement, cette mesure législative est inutile, parce que l'Assemblée législative de l'Ontario — comme celles de presque toutes les autres provinces — oblige déjà les syndicats à fournir à leurs membres leurs états financiers selon ce que la province juge approprié.

Deuxièmement, le gouvernement de l'Ontario craint que les obligations de divulgation financière prévues dans le projet de loi « créent un fardeau inutile et augmentent les coûts pour les membres des syndicats ».

Troisièmement, le projet de loi soulève de sérieuses craintes quant au respect de la vie privée.

Quatrièmement, l'Ontario craint que le projet de loi fragilise les relations de travail en Ontario « en attaquant indûment un parti et en nuisant à l'équilibre délicat entre les employeurs et les syndicats ».

Enfin — et surtout —, l'Ontario s'inquiète de la constitutionnalité du projet de loi. Pour reprendre les mots du ministre, si le projet de loi était adopté, « le gouvernement fédéral outrepasserait ses frontières constitutionnelles et empiéterait sur les compétences provinciales ».

Les gouvernements du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et du Québec ont exprimé des points de vue semblables. Les gouvernements dûment élus de six provinces ont exprimé leur opposition à l'adoption du projet de loi C-377 par le Sénat. Ensemble, ils représentent 70 p. 100 de la population canadienne. Pas un seul gouvernement provincial ne nous a demandé d'adopter le projet de loi C-377, pas même l'ancien gouvernement conservateur de l'Alberta.

Chers collègues, nous savons tous que l'un des rôles premiers du Sénat était de protéger et de défendre les intérêts des régions et des provinces. Si nous ne nous rangeons pas résolument du côté de toutes ces provinces qui se sont tournées vers nous pour nous demander de ne pas adopter le projet de loi C-377, que faisons-nous? Les intérêts de qui protégeons-nous? Merit Canada veut cette mesure législative. Six gouvernements provinciaux n'en veulent pas. Allons-nous sérieusement envisager de donner à Merit Canada ce qu'il veut en disant aux six provinces qui représentent 70 p. 100 de la population que leur point de vue est intéressant, mais non pertinent?

Le projet de loi C-377 est tout simplement un mauvais projet de loi. De plus, je crois que nous excéderions notre pouvoir constitutionnel si nous l'adoptions.

En 2013, le Sénat est parvenu à un consensus qui transcendait les considérations partisanes et s'est prononcé en faveur d'importants amendements au projet de loi C-377. Nous avons donné les meilleurs conseils possibles aux élus de l'autre endroit quant à la façon dont il fallait donner suite, selon nous, au projet de loi C-377. L'autre endroit, en raison de contraintes de temps inhabituelles, n'a jamais eu l'occasion d'examiner ces conseils.

Le projet de loi n'a pas changé. Les préoccupations que nous avons exprimées à l'époque sont tout aussi valables aujourd'hui.

Le premier ministre Harper n'a pas nommé de nouveaux sénateurs, ce qui veut dire qu'il n'y a personne ici aujourd'hui qui n'était pas là à l'époque. J'avais donc l'intention de profiter de mon intervention pour demander que nous fassions encore une fois front commun en adoptant le même amendement que nous avons adopté il y a deux ans, ce qui donnerait aux élus l'occasion qu'ils n'ont pas eue à l'époque d'examiner nos conseils et de profiter des nombreux témoignages qu'ils n'ont pas entendus, contrairement à nous.

Cependant, compte tenu de l'excellent amendement de la sénatrice Bellemare, que j'appuie sans réserve, j'ai plutôt l'intention de proposer un sous-amendement au paragraphe 149.01(6). Si l'amendement de la sénatrice Bellemare est rejeté — j'espère que ce ne sera pas le cas — et que nous reprenons le débat sur le projet de loi C-377 à l'étape de la troisième lecture, je prévois alors revenir à mon plan initial et présenter l'amendement de 2013, de sorte que nous puissions donner aux députés l'occasion qu'ils n'ont jamais eue de l'examiner. C'est pour plus tard, dans le cas peu probable où nous n'accepterions pas l'amendement très raisonnable de la sénatrice Bellemare.

Mon sous-amendement porte sur la portée extraordinaire de la divulgation que le projet de loi C-377 demande à ce qu'on appelle les « fiducies de syndicat. » L'amendement de la sénatrice Bellemare serait utile pour ce qui est de la répartition constitutionnelle des pouvoirs, mais il resterait encore la question des nombreux plans et produits d'investissements qui n'étaient pas censés être visés par les exigences en matière de divulgation du projet de loi.

À l'autre endroit, les députés s'en sont rendu compte et ont tenté de limiter la portée du projet de loi en incluant l'alinéa (6)b) dans le but de soustraire certains de ces régimes aux dispositions du projet de loi. Cependant, comme je l'ai expliqué plus tôt, les amendements n'ont jamais fait l'objet d'un débat, alors personne n'a pu indiquer que l'inclusion du mot « exclusivement » empêchait l'amendement d'atteindre son objectif. Mon sous-amendement permettrait d'y remédier en éliminant le mot « exclusivement ».

Motion d'amendement

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Par conséquent, je propose :

Que la motion d'amendement ne soit pas maintenant adoptée, mais qu'elle soit modifiée par adjonction, dans le paragraphe introductif, suivant les mots « à la page 5 », de ce qui suit :

« :

a) par substitution de la ligne 35 par ce qui suit :

"ont trait à l'administration, à la";

b) ».

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cowan, accepteriez-vous de répondre à quelques questions?

Le sénateur Cowan : Bien sûr.

[Français]

L'honorable Jean-Guy Dagenais : Ma première question est la suivante. Je vous ai écouté attentivement, et j'ai trouvé votre exposé intéressant.

J'ai produit les états financiers de mon syndicat pendant huit ans, et ces états financiers rassemblaient plusieurs fonds. Il y avait un fonds d'administration général qui touchait les dépenses générales du syndicat, et il y avait aussi des fonds d'assurance-vie et d'assurance maladie.

En outre, il y avait un fonds de REER collectif où chaque policier membre du syndicat pouvait investir. Vous me corrigerez si j'ai mal compris, mais ma question est la suivante : vous dites que nous retrouvons les noms des syndiqués et les montants de leurs cotisations. Dans le REER collectif des policiers provinciaux de l'époque, il y avait des investissements d'une valeur d'environ 200 millions de dollars. Nous avions un fiduciaire qui nous soumettait des états financiers où les sommes investies étaient détaillées, mais jamais nous n'y avons retrouvé les détails des cotisants ni les montants de leurs cotisations. Je sais que vous avez mentionné le CELI, et je vais vous laisser répondre.

(1700)

Cependant, avant de terminer, vous avez fait allusion à mon ami, le président de l'Association canadienne des policiers, Tom Stamatakis, qui a prétendu que l'un de ses vice-présidents s'était retrouvé, ou aurait pu se retrouver, en condition d'insécurité, parce que son nom pouvait se retrouver dans les états financiers. Je porte à votre attention le fait que la plupart des syndicats policiers ont un site web où l'on retrouve le nom des dirigeants, accompagné d'une photographie. D'ailleurs, j'ai conseillé à M. Stamatakis de retirer ces renseignements du site web de l'association avant de parler d'insécurité.

Je vais vous laisser répondre à la question des cotisants et du montant de leurs cotisations, tout en vous affirmant que, dans les états financiers concernant les REER collectifs ou les CELI, on retrouve le nom des compagnies où les montants sont investis, mais on n'y retrouve pas les noms. Je vous laisse répondre à ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Tout ce que je dis, c'est que, en vertu du projet de loi, si nous l'adoptons, tous ces renseignements devront être rendus publics. Je ne vois pas de bonnes raisons pour le faire. Je ne vois pas en quoi l'intérêt public est servi lorsqu'on exige un tel niveau de divulgation.

En ce qui concerne M. Stamatakis, il est malheureux que vous n'ayez pas eu l'occasion de lui poser la question puisque vous étiez vous-même présent au comité. Je parlais simplement des préoccupations qu'il a exprimées lorsqu'il a comparu. Je ne peux pas affirmer qu'elles étaient exactes. Comme vous le savez sûrement, il a comparu deux fois, d'abord devant notre Comité des banques, puis devant notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et a exprimé les mêmes préoccupations à deux ans d'intervalle. Quant à savoir si elles sont justifiées ou non, je crois que vous devriez en parler avec lui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur le sénateur. Avec votre permission, madame la présidente, j'aurais une autre question. Vous avez mentionné le caractère privé et libre des syndicats en ce qui concerne leurs contributions ou leurs activités politiques. Je trouve cela étonnant. Je peux comprendre que les syndicats veuillent garder le caractère privé de leurs activités politiques, mais lorsqu'on apprend par les journaux — entre autres, les journaux du Québec — que la FTQ et la CSN ont l'intention de participer à une campagne anticonservatrice, je ne vois pas où est le caractère privé de ce dossier, d'autant plus qu'elles décident de faire une campagne politique. Je ne suis pas certain que la FTQ et la CSN en aient parlé à leurs membres. C'est public. Les dirigeants syndicaux et même des débardeurs ont annoncé publiquement à leurs membres, par la voix des journaux, qu'ils feraient campagne contre le gouvernement conservateur. J'aimerais entendre votre opinion sur la notion de caractère privé et libre.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Je ne découragerai certainement personne de faire campagne contre le gouvernement conservateur. J'ai l'intention de le faire moi-même.

Sérieusement, sénateur Dagenais, si les membres et les responsables des syndicats causent des problèmes au Québec, s'ils utilisent leurs fonds d'une façon déplacée, il appartient à l'Assemblée nationale du Québec de s'en occuper. Si vous avez ce genre de préoccupations, j'estime que vous devriez en parler à vos collègues de Québec. L'Assemblée nationale est en mesure, si elle le souhaite, de modifier la législation sur les relations de travail de façon à interdire aux syndicats d'intervenir dans les campagnes politiques et de faire des dons aux partis. Je regrette, mais je ne connais pas bien le régime des dons du Québec. Dans ma province, les syndicats ne sont pas autorisés à mener directement des activités politiques ou à se servir des fonds syndicaux pour orchestrer des campagnes. S'il y a des activités telles que la publicité par des tiers, qu'il conviendrait de restreindre, l'adoption de mesures législatives provinciales constitue le moyen le mieux indiqué de le faire.

Ce que nous avons ici va plus loin, en imposant à des catégories prescrites de personnes qui s'inscrivent dans la définition — je ne prétends pas que c'était là l'intention de M. Hiebert, mais le caractère très général du projet de loi et des définitions est tel que les gens qui s'inscrivent dans ces catégories seraient tenus de déclarer les activités qu'ils ont pendant leurs heures de loisirs. Nous avons tous le droit de faire ce que nous voulons dans notre temps libre, que nous travaillions pour des syndicats, pour le gouvernement ou pour n'importe qui d'autre. Si nous souhaitons avoir des activités politiques ou appuyer certains partis, sans nous porter candidats pour eux, nous avons le droit de le faire pendant nos heures de loisirs. Nous ne pouvons pas agir ainsi pendant nos heures de travail, mais nous devrions pouvoir faire ce que nous voulons de notre temps libre sans avoir à publier des rapports détaillés sur Internet.

Le problème réside dans la portée déraisonnable de ces dispositions, qui exigent de rendre publics toutes sortes de renseignements qui n'ont rien à faire sur Internet, vous en conviendrez avec moi, j'en suis sûr. Toutefois, la façon dont le projet de loi est rédigé, peut-être à cause du manque d'expérience et de vérification, donne lieu à tant d'effets pervers que nous devons, je crois, le rejeter ou, pour le moins, le modifier.

L'honorable Bob Runciman : Le sénateur Cowan accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Cowan : Très volontiers.

Le sénateur Runciman : Je deviens peut-être trop sensible avec l'âge, mais j'ai eu l'impression que vous avez laissé entendre, sénateur Cowan, que, à titre de président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, je n'ai pas été impartial dans le traitement des témoins. Vous avez mentionné à deux reprises que je les avais interrompus en plein milieu d'une phrase. Je n'ai jamais cru que les audiences des comités constituaient un moyen de donner une tribune à quiconque. Tous les témoins connaissent les délais dont ils disposent. Je fais tous les efforts possibles pour les traiter tous équitablement et de la même façon, qu'ils soient en faveur ou contre la question à l'étude. Je tenais à ce que ce soit dit clairement, Votre Honneur.

J'ai une question à poser. L'un des thèmes de vos observations était, je crois, l'examen insuffisant du projet de loi. Je tiens à souligner que 72 témoins ont comparu à ce sujet devant les Comités des banques et des affaires juridiques et constitutionnelles, qu'il y a eu 21 heures d'audiences en comité et près de 14 heures de débat aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture au cours de cette session et de la précédente. Et tout cela, c'est jusqu'à maintenant, puisque le débat se poursuit.

Pouvez-vous nous dire si n'importe quel autre projet de loi d'initiative parlementaire a fait l'objet d'un examen aussi intense?

Le sénateur Cowan : Tout d'abord, sénateur Runciman, je n'ai certainement pas voulu mettre en cause votre impartialité, à titre de président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai eu la chance d'être là à plusieurs reprises. Vous avez été scrupuleusement équitable en faisant respecter les délais impartis. Peu importe qui parlait, le micro était coupé à la fin du temps de parole. Je n'ai rien voulu insinuer. Je me plaignais cependant du fait que tant de témoins aient été entendus pendant une période très limitée. Cela vous a obligé à agir comme vous l'avez fait. Je ne voulais rien dire d'autre.

Pour moi, le problème n'a rien à voir avec le nombre total de témoins qui ont été entendus et le nombre de jours consacrés au projet de loi, aussi bien au Comité des banques qu'au Comité des affaires juridiques. Ce n'est pas cela. Le problème, c'est que, pour une raison ou une autre, le Sénat est sur le point de faire abstraction d'une très forte prépondérance de la preuve, comme j'ai essayé de l'expliquer dans mon discours, particulièrement en ce qui concerne la constitutionnalité du projet de loi. J'avais espéré que cette mesure ne serait jamais reprise, mais quand elle est revenue et a été transmise au Comité des affaires juridiques, ce qui est un excellent choix, je m'attendais à ce qu'on dise : « Très bien, c'est le même projet de loi. Nous n'avons pas affaire à une mesure législative différente. » Le projet de loi a été longuement examiné en 2013. Le comité avait alors produit un rapport unanime très énergique.

J'avais espéré que nous dirions alors : « Deux ans ont passé. Qu'est-ce qui a changé? » Nous aurions voulu inviter ces gens à revenir, pas vraiment pour leur demander de répéter le même témoignage qu'en 2013, mais pour leur dire que nous les avions écoutés et avions abouti à une certaine conclusion. Nous leur aurions demandé : « Avez-vous changé d'avis? Y a-t-il quelque chose qui s'est produit depuis qui vous ait amené à avoir un point de vue différent? » Voilà mon objection. Il n'était pas nécessaire de faire comparaître tous ces gens à nouveau pour les entendre dire la même chose qu'en 2013.

(1710)

J'aurais cru que nous aurions aimé vérifier si certains qui avaient comparu en 2013 voyaient la chose différemment en 2015 et, le cas échéant, pourquoi ils avaient changé d'idée. C'était l'objectif de mon observation. Je ne me rappelle pas avoir vu un projet de loi faire l'objet d'un examen aussi complet. Ce n'est pas la durée de l'examen et le nombre de témoins entendus qui me posent problème. Ce que je crains — et j'espère que mon appréhension n'est pas justifiée —, c'est que la majorité de notre assemblée va faire fi de tous les excellents témoignages qui ont été entendus par notre comité et par celui des banques. Voilà ce qui me préoccupe.

(Sur la motion de la sénatrice Ringuette, le débat est ajourné.)

Projet de loi de 2014 instituant des réformes

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Tannas, appuyée par l'honorable sénateur Oh, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires).

L'honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour parler du projet de loi C-586. Comme j'ai travaillé en politique pendant la majeure partie de ma vie — et, assurément, durant toute ma vie adulte, qui a commencé lorsque j'avais 15 ans —, j'appuie toute initiative qui a pour objet d'améliorer le processus démocratique. Je respecte Michael Chong et je suis d'accord avec à peu près tout ce qu'il défend. Cependant, M. Chong nous a présenté un projet de loi sous le couvert d'une réforme démocratique qui, selon moi, va à l'encontre du processus démocratique.

Ma principale préoccupation concerne les paragraphes (1) à (4) de l'article 49.5, qui fixent un nouveau processus pour l'examen de la direction d'un parti et pour le remplacement d'un chef de parti. Au Canada, nous avons une tradition de longue date selon laquelle les membres d'un parti ont le droit de choisir leur chef et de le démettre de ses fonctions.

Lorsque j'étais président du Parti conservateur du Canada, nous avons adopté un système dans lequel chaque membre avait une voix et un système de points attribués à chaque circonscription électorale pour garantir l'équilibre régional. Depuis, tous les autres partis fédéraux et certains partis provinciaux ont opté pour un système semblable pour élire leurs chefs respectifs. Les partis politiques au Canada ont décidé de faire confiance à leurs membres pour choisir et destituer leur chef.

De propos délibéré, nous avons renoncé aux votes par des délégués, car il arrivait souvent que les députés en poste contrôlent tous les délégués. Comme vous le savez, si le projet de loi C-586 s'appliquait, un chef choisi par des dizaines de milliers de membres pourrait être destitué selon les caprices d'un petit groupe de mécontents, dans un groupe parlementaire, qui n'ont pas obtenu un poste au Cabinet ou la présidence d'un comité.

Alors que M. Chong tente de faire accepter son projet de loi comme une mesure de réforme démocratique pour rééquilibrer le pouvoir dans les groupes parlementaires, le projet de loi donne en fait aux députés plus de pouvoir au détriment des membres du parti. Cela forcerait souvent un chef à faire campagne dans son propre groupe parlementaire.

Prenons l'exemple du chef libéral, Justin Trudeau. Il a été élu par 81 000 partisans du Parti libéral. Aux termes du projet de loi C-586, avec un groupe parlementaire de seulement 36 députés, il suffirait de huit députés pour déclencher un réexamen de la direction et de 19 pour destituer le chef. En somme, 19 personnes feraient fi de la volonté de 81 000 personnes.

Les partisans du projet de loi ont avancé qu'il est peu probable qu'il y ait une disparité aussi marquée entre le soutien des membres et celui du groupe parlementaire. Qu'il me suffise de rappeler à mes honorables collègues l'affrontement entre les partisans de Martin et ceux de Chrétien, ou les « célèbres cinq » de Greg Selinger, au Manitoba, ou encore une révolte semblable du groupe parlementaire en Alberta contre Alison Redford. Tous ces incidents se sont produits après que les chefs eurent obtenu un solide mandat pour gouverner.

Considérons encore l'exemple récent de Patrick Brown, le nouveau chef élu du Parti conservateur de l'Ontario. Il a été élu par plus de 76 000 membres, et il a remporté la victoire avec une imposante majorité. Des 28 députés membres du groupe parlementaire conservateur, 23 n'ont pas appuyé Patrick Brown. Ces députés pourraient annuler les votes et les efforts infatigables de milliers de membres du PC. Chers collègues, c'est faire injure aux membres de la base.

Certains partisans du projet de loi, notamment son parrain, ont fait valoir que nous élisons les députés pour qu'ils agissent en notre nom dans les dossiers qui concernent le parti, mais nous n'élisons pas les députés pour qu'ils choisissent les chefs, ni pour prendre en notre nom des décisions sur les affaires du parti. Nous les élisons pour qu'ils représentent au Parlement les électeurs d'une circonscription électorale.

Michael Chong a été élu pour représenter les bonnes gens de Wellington—Halton Hills, non pour représenter les membres du Parti conservateur du Canada. Que se passerait-il si vous étiez membre du Parti libéral dans une circonscription conservatrice ou un membre du Parti conservateur dans une circonscription néo-démocrate? Si on appliquait cette logique et si le député était votre représentant dans les affaires parlementaires, vous seriez complètement sous-représenté dans un processus de destitution. Il ne faut pas oublier que, lorsque nous éjectons un chef de parti, qui pourrait être aussi un premier ministre en poste, nous faisons abstraction non seulement de la volonté de milliers de membres du parti, mais aussi de celle de millions d'électeurs canadiens.

Par exemple, les statistiques montrent, et le fait a été vérifié tant et plus, que 50 p. 100 des électeurs qui votent dans n'importe quelle circonscription et n'importe quelle élection votent pour les chefs de parti, 40 p. 100 pour le parti et seulement entre 8 et 10 p. 100 pour le candidat de leur choix.

Donc, dans le cas de Michael Chong, parmi les 35 000 électeurs qui ont voté pour Michael Chong, environ 18 000 ont voté pour Stephen Harper, 14 000 ont voté pour le Parti conservateur du Canada et à peu près 3 000 seulement ont voté pour Michael Chong.

Plusieurs d'entre nous se rappelleront les dernières élections fédérales, lorsque la vague orange de Jack Layton a balayé le Québec et que des candidats du NPD ont été élus alors qu'ils n'avaient jamais mis le pied dans leur circonscription et qu'ils faisaient campagne à Las Vegas. Ces candidats, qui étaient des inconnus dans leur collectivité, auraient eu le droit de renverser Jack Layton sans qu'il soit tenu compte de l'avis des autres membres du parti.

En outre, il est très rare qu'un candidat qui change d'allégeance soit réélu, et cela est encore plus rare lorsqu'il choisit de siéger comme indépendant. Prenons par exemple la défaite de Jack Horner, en Alberta, qui a perdu son siège il y a quelques années lorsqu'il a quitté le Parti conservateur pour se joindre au Parti libéral, ou Garth Turner, d'Halton, qui a quitté les conservateurs pour se joindre aux libéraux et qui s'est fait battre par Lisa Raitt, ou Helena Guergis, qui a quitté le camp conservateur et a siégé comme indépendante, puis qui s'est fait battre par Kellie Leitch, ou encore la défaite prochaine d'Eve Adams.

Ce que j'essaie de dire, chers collègues, c'est que la plupart des députés sont élus en fonction de leur chef, et les souhaits de quelques députés insatisfaits ne devraient pas l'emporter sur les désirs de l'électorat.

De plus, cela aurait des répercussions importantes sur des régions entières du pays, qui seraient laissées pour compte si le projet de loi C-586 est adopté. Comme le sénateur Wells l'a déclaré récemment dans une lettre d'opinion :

[...] au titre de ce projet de loi, des provinces et des territoires seraient exclus du processus de désélection. Aucun député de Terre-Neuve-et-Labrador à la Chambre des communes n'est conservateur. Par conséquent, personne de ma province n'aurait son mot à dire quant à savoir si un chef de parti — un premier ministre, dans le cas qui nous occupe — serait démis de son poste.

Les habitants de l'Alberta, qui ne sont représentés par aucun député libéral à la Chambre des communes, ne pourraient pas se faire entendre non plus, et les territoires, qui n'ont qu'un député chacun, seraient pour ainsi dire ignorés.

(1720)

Encore une fois, honorables sénateurs, nous ne pouvons pas être plus éloignés de la base.

En outre, M. Chong tente d'inscrire des affaires de son parti dans la législation canadienne. M. Chong sait pertinemment que ce sont des affaires de parti. C'est pour cette raison qu'il a essayé de faire adopter cette politique au cours de trois congrès du Parti conservateur du Canada et qu'il a échoué chaque fois. Le Parti conservateur s'est exprimé et il est clair que les militants ne veulent pas perdre leurs droits à titre de membres payants. J'irais jusqu'à dire que les membres des autres partis seraient vexés eux aussi s'ils apprenaient que leur droit de choisir ou de rejeter leur chef était compromis.

M. Chong s'y prend maintenant d'une autre façon qui, selon moi, est inappropriée. Au cours de notre débat sur cette mesure législative, j'ai trouvé choquant que M. Chong dise que le Sénat devrait approuver automatiquement le projet de loi, en se fondant sur la Constitution pour étayer son point de vue. Il dit que l'article 18 de la Loi constitutionnelle consacre le principe selon lequel chacune des deux Chambres de notre Parlement bicaméral est indépendante de l'autre pour ce qui est de ses propres affaires, y compris les affaires de son caucus.

Premièrement, le caucus n'est mentionné nulle part dans la législation canadienne. Avec cette mesure législative, M. Chong tente de définir le terme « groupe parlementaire » pour la première fois dans le droit canadien. Le terme « groupe parlementaire » fait référence à un concept lié au parti. Il n'est absolument pas reconnu sur le plan constitutionnel.

Deuxièmement, les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat sont indépendants des privilèges, immunités et pouvoirs de l'autre endroit. Toutefois, les changements aux règles et aux procédures de l'autre endroit ne sont pas effectués au moyen d'une modification législative, mais plutôt d'une motion. Le Sénat ne pourrait intervenir relativement aux motions débattues à l'autre endroit, et vice-versa. Cela dit, dans ce cas-ci il ne s'agit pas d'une motion, mais d'une mesure législative, d'une politique publique. Cette mesure ne touche pas uniquement les travaux de la Chambre : elle touche aussi les Canadiens, c'est-à-dire tant les membres du parti que l'électorat.

Par conséquent, il convient non seulement que nous examinions attentivement cette mesure législative, mais nous avons aussi l'obligation constitutionnelle de le faire. Un collègue conservateur a dit qu'il croyait en « une application mesurée et appropriée du devoir constitutionnel du Sénat d'agir comme Chambre de second examen objectif ».

Honorables sénateurs, c'est Michael Chong qui a tenu ces propos lorsqu'il nous encourageait, moi et d'autres sénateurs, à rejeter le projet de loi C-290 sur les paris sportifs. Le stratège libéral Rob Silver a récemment écrit sur Twitter que ce n'est pas un argument convaincant que de dire : « Je veux que le Sénat rejette les projets de loi avec lesquels je ne suis pas d'accord, mais c'est une atrocité démocratique s'il rejette MON projet de loi. »

Chers collègues, l'établissement d'un rapport de force dans un système électoral démocratique est un objectif louable, mais le projet de loi n'atteint pas cet objectif. Il tente plutôt de rééquilibrer le caucus et de donner des pouvoirs accrus aux députés d'arrière-ban, au détriment des membres de la base du parti et, en fait, des électeurs. À mon avis, cette approche est un affront à la démocratie, et j'invite mes collègues du Sénat à s'acquitter de leur rôle constitutionnel et à assujettir cette mesure législative mal conçue à un second examen objectif très nécessaire.

Honorables sénateurs, je termine en disant que nous avons la responsabilité et l'obligation démocratiques de tenir un vote avant l'ajournement sur toutes les mesures législatives qui ont été étudiées en comité et renvoyées ici.

L'honorable Percy Mockler : L'honorable leader adjointe de l'opposition me permet-elle de poser quelques questions avant l'ajournement?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, acceptez-vous de répondre à quelques questions?

Le sénateur Plett : Certainement.

Le sénateur Mockler : Merci.

Je vais vous raconter que ma première rencontre dans la vie publique a eu lieu en 1967, lorsque j'ai rencontré le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis Robichaud.

[Français]

Rappelons-nous le leadership du premier ministre Robichaud, qui voulait faire de ces régions des régions fortes afin que chacun et chacune puisse participer à la démocratie.

[Traduction]

Je veux aussi vous dire que lorsque j'ai été élu en 1982 — et mon collègue, le sénateur Wallace, y a fait allusion dans son allocution —, nous avons connu des années de turbulence au Nouveau-Brunswick en 1986 et 1987. Je ne veux pas revenir sur ces années, mais nous nous souvenons des défis auxquels nous avons été confrontés en 1986 et 1987 avec le premier ministre provincial de l'époque, pour qui j'éprouve encore beaucoup de respect. Il n'est pas ici, mais il sait à quelle enseigne Percy logeait. Au cours de mes années en politique, j'ai constaté que, parfois, nous n'avons pas de députés fédéraux ou provinciaux d'un côté ou de l'autre du Sénat, alors que nous en avons à d'autres moments.

Lorsque je regarde le projet de loi C-586 de M. Chong, plusieurs questions me viennent à l'esprit. Je vais vous dire ce que j'ai fait. Même au cours du week-end, lorsque j'étais à la maison, j'ai parlé à des bénévoles et à des membres du parti qui ont travaillé durant nos sept campagnes électorales au Nouveau-Brunswick, et j'ai toujours dit très clairement que je défendrais les gens de ma collectivité à l'assemblée législative provinciale et aussi ici, notamment les minorités au Nouveau-Brunswick.

Sénateur Plett, vous avez beaucoup d'expérience. Par conséquent, je vous pose la question suivante : si le projet de loi est adopté, y a-t-il un mécanisme en place afin qu'une circonscription qui n'est pas représentée par un député puisse être entendue?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, avant que vous répondiez, je vous signale qu'il ne vous reste presque plus de temps. Avez-vous besoin de cinq minutes de plus?

Le sénateur Plett : Non. Je dois partir. Je vais répondre rapidement.

Le sénateur Campbell : J'ai une question.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Plett : Non, sénateur Mockler. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il est très peu probable que les gens de Terre-Neuve-et-Labrador aient leur mot à dire dans le choix d'un chef conservateur.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, sénateur Plett.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom du sénateur Cowan, le débat est ajourné.)

(1730)

Droits de la personne

Budget et autorisation d'embaucher du personnel—L'étude sur les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières—Adoption du douzième rapport du comité

Le Sénat passe à l'étude du douzième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne (budget—étude de la convention de La Haye sur l'enlèvement—autorisation d'embaucher du personnel), présenté au Sénat le 11 juin 2015.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, le comité demande 1 000 $. Nous présentons cette demande parce qu'il nous faut des ressources supplémentaires pour présenter un rapport dont le graphisme sera adéquat et qui sera lisible et facile à consulter.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Règlement, procédure et droits du Parlement

Cinquième rapport du comité—Motions d'amendement et de sous-amendement—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur White, appuyée par l'honorable sénatrice Frum, tendant à l'adoption du cinquième rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement (modifications au Règlement du Sénat), présenté au Sénat le 11 juin 2014;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié :

1. par substitution, à l'alinéa 1.j), de ce qui suit :

« Que le débat sur une affaire autre qu'une affaire du gouvernement qui n'est pas un projet de loi d'intérêt public des Communes ne soit plus ajourné; »;

2. par substitution, au titre principal précédant le nouvel article 6-13, de ce qui suit :

« Fin du débat sur une affaire autre qu'une affaire du gouvernement qui n'est pas un projet de loi d'intérêt public des Communes »;

3. par substitution, à l'intertitre précédant le nouvel article 6-13, de ce qui suit :

« Préavis de motion proposant que le débat sur une affaire autre qu'une affaire du gouvernement qui n'est pas un projet de loi d'intérêt public des Communes ne soit plus ajourné »;

4. au paragraphe 2.6-13 (1), par adjonction, après les mots « affaire autre qu'une affaire du gouvernement », des mots « qui n'est pas un projet de loi d'intérêt public des Communes »;

5. au paragraphe 2.6-13 (3), par adjonction, après les mots « affaire autre qu'une affaire du gouvernement », des mots « qui n'est pas un projet de loi d'intérêt public des Communes »;

6. au paragraphe 2.6-13 (5) de la version anglaise, par adjonction, après les mots « Other business », des mots « that is not a Commons Public Bill »;

7. à l'alinéa 2.6-13 (7) c) de la version anglaise, par adjonction, après les mots « Other business », des mots « that is not a Commons Public Bill »;

8. Et à la dernière ligne du paragraphe 2.6-13 (7) de la version anglaise, de ce qui suit :

« This process shall continue until the conclusion of debate on the item of Other Business that is not a Commons Public Bill »;

Et sur le sous-amendement de l'honorable sénateur Mitchell, appuyé par l'honorable sénateur Day, que l'amendement ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié par l'ajout, immédiatement après le paragraphe 8, de ce qui suit :

9. Et que les modifications du Règlement proposées dans ce rapport entrent en vigueur à la date où le Sénat commencera à offrir sur une base régulière la télédiffusion audiovisuelle en direct de ses délibérations quotidiennes.

L'honorable Stephen Greene : Honorables sénateurs, le temps que nous avions pour examiner cette question tire à sa fin. J'aimerais ajourner le débat pour le temps de parole qu'il me reste.

(Sur la motion du sénateur Greene, le débat est ajourné.)

L'Université Trinity Western

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Plett, attirant l'attention du Sénat sur la décision prise par certains barreaux provinciaux de refuser de reconnaître la nouvelle école de droit de l'Université Trinity Western.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole au sujet de l'interpellation du sénateur Plett qui concerne la faculté de droit proposée par l'Université Trinity Western. Comme je suis une sénatrice britanno-colombienne et que je suis l'unique membre de la Law Society of British Columbia au Sénat, je sens qu'il est de mon devoir de participer à ce débat.

Je tiens à remercier le sénateur Plett d'avoir proposé cette interpellation. Jusqu'à maintenant, les sénateurs Doyle, Runciman et Meredith se sont prononcés en faveur de la proposition du sénateur Plett.

Honorables sénateurs, les droits de la personne devraient être comme les arbres : toujours en croissance. Comme nous apprenons à comprendre et à apprécier nos différences et à devenir plus tolérants à l'égard de ce qui fait notre unicité, notre société devrait croître et transformer ses racines en branches et ses branches en feuilles représentant la société diverse et multiculturelle du Canada d'aujourd'hui. Notre société ne devrait pas être à l'image de l'accordéon qui s'étend et se comprime selon les besoins pour produire le son qui lui plaît. Nous devrions être des arbres en constante croissance.

J'appuie et j'appuierai toujours le droit des collectivités d'avoir des écoles et des universités religieuses au Canada. J'estime qu'elles ont un rôle essentiel à jouer pour aider à développer les valeurs des enfants.

Honorables sénateurs, j'ai deux enfants, Azool et Farzana. Ils ont tous les deux fréquenté des écoles catholiques. Azool est allé à St. Patrick's et à St. Thomas Aquinas, et ma fille, Farzana, a fréquenté St. Thomas Aquinas. En Ouganda, mon père a joué un grand rôle dans la construction d'écoles catholiques.

Comme vous le savez tous, il est très difficile de trouver une place dans une école catholique à Vancouver, surtout si on n'est pas de confession catholique. Mon mari, Nuralla, et moi avons dû mener une dure lutte pour que nos enfants fréquentent des écoles catholiques.

Le jour de son entrevue avec le directeur de St. Thomas Aquinas, ma fille m'a étonnée par les réponses qu'elle a faites aux questions. Le directeur lui a demandé si elle était forcée de fréquenter St. Thomas Aquinas et elle a répondu : « Mes parents aiment les valeurs que vous inculquez aux élèves et je voudrais tout apprendre sur la foi catholique et la chrétienté, puisque je vis dans un pays majoritairement chrétien. » Heureusement, elle a obtenu une place à St. Thomas Aquinas.

Farzana était une si bonne élève en classe de religion que, dans ses dernières années du secondaire, elle suivait les cours avancés en religion catholique, avec des jeunes filles qui aspiraient à devenir des religieuses. L'une de ses très bonnes amies est effectivement devenue religieuse.

Un jour, je lui ai demandé pourquoi elle avait décidé de suivre des cours avancés en religion catholique. Elle a répondu : « Maman, les catholiques ont les mêmes valeurs que nous et beaucoup de leurs rituels sont semblables aux nôtres. Le samedi, en classe de religion, j'apprends presque les mêmes choses qu'à l'école. »

Honorables sénateurs, si nous prenions le temps de comprendre la foi les uns des autres, ce serait enrichissant. La religion ne nous divise pas; c'est notre ignorance de la foi des autres qui nous divise, comme me l'a appris mon incroyable fille, Farzana.

Comme parent et comme mère, je souscris aux institutions religieuses et je les appuie. Comme avocate de la Colombie-Britannique, je trouve qu'un passage de la convention de l'Université Trinity Western fait problème. Il s'agit d'une exigence que tous les étudiants doivent respecter : ils doivent s'abstenir de toute intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme.

Ne peuvent fréquenter l'université que ceux qui acceptent de se plier aux attentes expliquées dans le document. Il faut respecter ces règles sur le campus et en dehors du campus. Toute violation peut entraîner des mesures disciplinaires qui peuvent aller jusqu'à la suspension et à l'expulsion.

Honorables sénateurs, le Canada est un pays qui s'enorgueillit de sa diversité. Il est fermement ancré dans la préservation et la protection des droits de la personne. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les libertés fondamentales de conscience et de religion, de pensée, de croyance, d'opinion, d'expression et d'association. Elle garantit aussi à tous la même protection et le même bénéfice de la loi sans discrimination aucune.

La Loi canadienne sur les droits de la personne dit que :

[...] le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience...

La loi précise que toute pratique fondée sur un ou plusieurs de ces motifs de discrimination est une pratique discriminatoire.

Honorables sénateurs, la partie de la convention de l'Université Trinity Western que j'ai citée viole les droits canadiens de la personne, plus particulièrement ceux des couples de même sexe. Bien entendu, comme parent, j'accepte la partie de la convention sur le caractère sacré du mariage, mais je n'accepterai jamais qu'on nie des droits aux couples de même sexe. Si la convention disait que seuls les gens mariés peuvent avoir des relations intimes, je serais d'accord, mais, du fait qu'elle précise « entre un homme et une femme », la convention est discriminatoire en apparence et de par sa signification et se traduit par un déni de droits aux couples de même sexe.

En ce qui a trait à la convention, la position de mon barreau est différente de celle du British Columbia College of Teachers contre l'Université Trinity Western, puisque le barreau a différentes obligations et responsabilités.

Dans l'affaire Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, le tribunal était saisi d'une question semblable concernant l'effet discriminatoire de la convention et l'approbation d'un programme de formation des enseignants par le British Columbia College of Teachers, mentionnant que ce dernier « ne possède pas non plus l'expertise nécessaire pour interpréter la portée des droits de la personne ou pour concilier des droits opposés. [...] Il s'agit d'une question de droit qui touche le domaine des droits de la personne et non pas essentiellement celui de l'enseignement. »

(1740)

La cour a ajouté ceci :

Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ne sont absolues. Il convient généralement de tracer la ligne entre la croyance et le comportement. La liberté de croyance est plus large que la liberté d'agir sur la foi d'une croyance. En l'absence de preuve tangible que la formation d'enseignants à l'UTW favorise la discrimination dans les écoles publiques de la Colombie-Britannique, il y a lieu de respecter la liberté des individus d'avoir certaines croyances religieuses pendant qu'ils fréquentent l'UTW. Cependant, il en va autrement si quelqu'un agit sur la foi de ces croyances.

Contrairement au College of Teachers, le Barreau de la Colombie-Britannique protège l'intérêt public dans l'administration de la justice et, à ce titre, il est tenu par la loi « de préserver et de protéger les droits et libertés de l'individu et de sauvegarder l'intégrité et l'honneur de la profession juridique. »

Les écoles de droit jouent un rôle essentiel dans la société canadienne et le système juridique canadien. Elles constituent la première étape dans la formation des avocats et des juges, qui sont au cœur de l'administration de la justice. Les avocats sont censés faire prévaloir la primauté du droit et les valeurs fondamentales sur lesquelles repose notre société démocratique. L'honneur et l'intégrité de la profession et la confiance du public dans le système de justice dépendent de la capacité des juristes de remplir ce devoir. À cet égard, le barreau a l'obligation d'établir des règles et des exigences qui préserveront et protégeront l'intérêt public dans l'administration de la justice.

Les lesbiennes, les gais et les bisexuels ne seront admis à la nouvelle école de droit de l'Université Trinity Western que s'ils s'abstiennent d'adopter ce que la convention qualifie de comportements sexuels immoraux. Par conséquent, ils doivent renoncer à leur identité sexuelle et considérer leur droit au mariage comme étant annulé tout au long de leurs études à la nouvelle école de droit. Le Barreau de la Colombie-Britannique a déclaré que « cette renonciation ne se ferait qu'au prix de sacrifices personnels inacceptables, empêchant ainsi les lesbiennes, les gais et les bisexuels du Canada de fréquenter l'école. »

C'est à ces conséquences discriminatoires que s'oppose le barreau.

Le Barreau de la Colombie-Britannique dit, à propos de sa décision de ne pas admettre les diplômés de la faculté de droit de l'Université Trinity Western en son sein, que « le milieu juridique de la Colombie-Britannique ne cautionne pas l'exclusion des lesbiennes, des gais et des bisexuels de la pratique du droit ».

Il poursuit en disant ceci :

Cette décision n'a pas été prise pour punir l'Université Trinity Western ou les gens qui voudraient étudier dans une faculté de droit se fondant sur les valeurs chrétiennes évangéliques, mais plutôt pour signaler que le Barreau juge qu'il n'est pas dans l'intérêt de l'administration de la justice que son propre programme d'admission admette d'éventuels diplômés d'une faculté de droit dont les politiques d'admission sont discriminatoires.

Honorables sénateurs, la situation se résume à la façon dont les personnes sont traitées. Comment les jeunes perçoivent-ils le fait d'étudier dans cette université?

J'aimerais vous parler de Trevor Loke. Trevor est un chrétien de 25 ans qui se définit comme gai. Il a un conjoint de fait depuis quatre ans et considère la Colombie-Britannique comme sa province. Il compte s'inscrire à une faculté de droit de sa province et il se sent humilié par la convention de l'Université Trinity Western. Il a déclaré ceci :

Je ne suis pas le bienvenu dans une école à cause de ce que je suis. Si mon conjoint était une femme, je serais tout à fait le bienvenu.

Je n'ai pas choisi d'être homosexuel. J'essaie toujours d'être au service des autres et je suis même chrétien, mais il y a une condition à laquelle je ne réponds pas. Je ne suis donc pas le bienvenu.

Trevor se sent lui-même victime de discrimination et estime que ses droits sont lésés parce qu'il ne veut pas renier son orientation sexuelle. Voici ce qu'il espère :

J'espère que nous n'aurons pas à vivre dans une société où nous isolons les gens en raison de qui ils sont. La ségrégation appartient au passé.

Honorables sénateurs, Trevor n'est pas le seul à s'être senti discriminé et restreint par la convention de l'Université Trinity Western. Le juge en chef Hinkson, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a indiqué que le cas de Trevor était dans l'intérêt public. Le code des droits de la personne de cette province vise les objectifs suivants :

[...] favoriser un climat de compréhension et de respect mutuel où tous ont la même dignité et les mêmes droits;

[...] prévenir la discrimination [...]

[...] déceler et éliminer les formes d'inégalité persistantes liées à la discrimination interdite [...]

Comme nous pouvons le voir grâce à l'histoire de Trevor, la convention de l'Université Trinity Western est contraire au code des droits de la personne de la Colombie-Britannique et à la Charte canadienne des droits et des libertés, et c'est pour cette raison que le Barreau de la Colombie-Britannique, ainsi que les Barreaux du Haut-Canada et de la Nouvelle-Écosse, s'y opposent.

Il y a 10 ans, le Parlement du Canada a adopté le projet de loi C-38, Loi sur le mariage civil, faisant du Canada le quatrième pays, le premier de l'Amérique du Nord, à légaliser dans tout le pays le mariage entre personnes de même sexe. En 2009, toutes les provinces et tous les territoires avaient inclus l'orientation sexuelle dans leurs lois sur les droits de la personne. Je ne peux pas croire que nous affirmons maintenant, en 2015, que ces droits ne méritent pas notre appui et notre protection. Je ne pourrai jamais accepter une institution qui nie les droits des couples de même sexe. En tant que sénateurs, c'est notre devoir et notre responsabilité de défendre les droits d'autrui, et je lutterai toujours pour le respect des droits de la personne.

Honorables sénateurs, quand on joue de l'accordéon, le soufflet de l'instrument s'étend, puis se comprime, afin de permettre à l'air de produire le son désiré. Ce n'est pas comme cela que nous devrions traiter les droits de la personne. Nous ne pouvons pas élargir ces droits, puis décider soudainement de les restreindre comme nous l'entendons.

Le Canada fait partie des pays qui défendent le plus vigoureusement les droits de la communauté des lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres. Il serait donc malavisé de vouloir restreindre ces droits comme bon nous semble alors que nous en célébrons l'existence. La discrimination n'a pas sa place dans notre société. Les droits de la personne devraient constamment évoluer, comme un arbre en pleine croissance qui exhibe fièrement son feuillage.

Honorables sénateurs, après tout ce qui est arrivé à notre institution, je suis toujours très fière de siéger comme sénatrice, et je suis très fière aujourd'hui de pouvoir vous parler ce qui est arrivé à Trevor. Je lutterai très énergiquement pour que les droits de Trevor soient protégés.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La réforme du Sénat

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Mercer, attirant l'attention du Sénat sur la réforme du Sénat et la façon dont le Sénat et ses sénateurs peuvent réaliser des réformes et améliorer la raison d'être du Sénat par l'examen du rôle des sénateurs dans leurs régions.

L'honorable Elizabeth Hubley : Je voudrais ajourner le débat sur cette interpellation à mon nom pour le reste de mon temps de parole.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(Sur la motion de la sénatrice Hubley, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Adoption de la motion portant que le Sénat prenne note de la résolution de l'Association parlementaire Canada-Afrique au sujet des droits des personnes atteintes d'albinisme

L'honorable A. Raynell Andreychuk, conformément au préavis donné le 11 juin 2015, propose :

Que le Sénat :

a) prenne note de la résolution adoptée par l'Association parlementaire Canada-Afrique le 3 juin 2015, et déposée au Sénat le 11 juin 2015, au sujet des droits des personnes atteintes d'albinisme, qui sont victimes de discrimination générale et dont les parties du corps ont été utilisées en sorcellerie, ce qui a augmenté les risques qu'elles soient tuées ou mutilées;

b) incite tous les parlementaires :

(i) à exercer leur influence au sein de leurs communautés pour lutter contre les préjugés et la désinformation en ce qui a trait à l'albinisme et aux personnes qui en sont atteintes,

(ii) à sensibiliser leurs concitoyens quant aux multiples défis en matière de droits de la personne auxquels sont confrontées les personnes ayant l'albinisme, notamment la marginalisation sociale, les problèmes médicaux et psychologiques, et le confinement dans la pauvreté,

(iii) à militer pour la tolérance et le respect de la primauté du droit pour défendre les droits et la sécurité des personnes ayant l'albinisme et à exercer une vigilance accrue en prévision des élections.

— Honorables sénateurs, l'albinisme est une condition congénitale. Il touche tant les hommes que les femmes de toutes les origines ethniques et dans tous les pays du monde. Les personnes atteintes d'albinisme n'ont pas de mélanine, ce qui fait qu'elles ont une dépigmentation de la peau, des cheveux et des yeux. Les personnes atteintes d'albinisme sont vulnérables au soleil et à la lumière vive et souffrent presque toujours d'une déficience visuelle.

Je vais discuter seulement brièvement de cette motion aujourd'hui puisque j'en ai déjà parlé dans une déclaration de sénateur.

Plusieurs sénateurs des deux côtés ont déjà fait leur déclaration sur le meurtre et la mutilation de personnes atteintes d'albinisme, surtout en Afrique de l'Est.

Jeudi dernier, au Sénat, j'ai déposé cette résolution visant à défendre les droits des personnes atteintes d'albinisme. Des collègues ont également souligné le sort des personnes atteintes d'albinisme et notre résolution à l'autre endroit. Nos travaux dans ce dossier font partie d'une prise de conscience croissante des violations des droits de la personne que les albinos subissent dans le cadre d'un appel à l'action lancé à l'échelle internationale.

(1750)

Ces dernières années, les cas de meurtres, de viols, d’infanticides et de démembrement de personnes atteintes d’albinisme ont été largement condamnés. En février 2015, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a publié un rapport qui révèle qu’en octobre 2014, plus de 340 attaques contre des personnes atteintes d’albinisme, dont 134 meurtres, avaient déjà été signalées dans 25 pays. Plusieurs de ces meurtres sont liés au commerce lucratif des parties du corps, utilisées en sorcellerie, des personnes atteintes d’albinisme. Ces pratiques sont particulièrement fréquentes dans les régions pauvres entourant le lac Victoria.

Comme l’a expliqué Josephat Torner, militant tanzanien en faveur des droits des personnes atteintes d’albinisme :

Les personnes atteintes d’albinisme se font tuer à cause de superstitions.

On utilise les parties de leur corps; les gens croient qu’ainsi, ils deviendront riches.

Les gens ont donc commencé à nous chasser comme si nous étions des animaux. Les gens ont commencé à couper nos membres parce qu’ils veulent devenir riches.

Isaac Timothy, un autre militant atteint d’albinisme, a indiqué ce qui suit :

Quand on apporte un membre — un bras, une jambe ou un doigt — à [un sorcier], il en fait une potion. Un mineur la versera sur le sol, là où il veut trouver du minerai; un pêcheur la versera dans son bateau.

Selon les chiffres officiels, seulement en Tanzanie, au moins 75 personnes atteintes d’albinisme ont été assassinées ces 10 dernières années. Les militants croient que le chiffre réel est beaucoup plus élevé. Je pourrais vous raconter l’histoire de nombreux militants, mais je crois que cela figure dans le compte rendu. Je pense que le Sénat devrait commencer à soutenir les personnes atteintes d’albinisme et à veiller à ce que le Canada joue un rôle de premier plan pour favoriser la sensibilisation et inciter les gens à mettre fin à la pratique consistant à utiliser les parties du corps des personnes atteintes d’albinisme — pratique à laquelle se livrent des politiciens, en particulier, à l’approche des élections dans certains pays, paraît-il.

À Vancouver, il y a un organisme nommé Under the Same Sun. Il a été fondé par Peter Ash, avec l’aide de son frère Paul, et ils sont tous deux atteints d’albinisme. Peter explique sa vision en ces termes simples :

Mon rêve, c’est que les personnes atteintes d’albinisme prennent la place qui leur revient dans toutes les couches de la société et que l’époque où ces personnes étaient victimes de discrimination devienne un lointain souvenir, et ce, PARTOUT DANS LE MONDE!

Peter, Paul et les intervenants qui œuvrent au Canada, en Afrique et ailleurs dans le monde font un travail important. Grâce à la sensibilisation et à l’éducation, ils assurent la sécurité et le bien-être des personnes atteintes d’albinisme.

Grace Wabanhu, une albinos de 26 ans du Nord de la Tanzanie qui travaille avec le groupe Under the Same Sun, explique les effets de cette approche :

Les gens ne savaient pas ce qu’est l’albinisme. Une fois qu’on leur a expliqué, ils en viennent à se dire qu’un albinos est une personne normale comme les autres. Le problème, c’est l’ignorance. Les gens ne savent pas de quoi il s’agit.

Il reste encore beaucoup de travail à faire et la participation active des parlementaires est au centre de ces efforts. Pourtant, il y a lieu de croire que des politiciens font partie de ceux qui alimentent le commerce illicite des parties du corps d’albinos.

À la fin du mois dernier, la sous-ministre des Affaires intérieures de la Tanzanie, Pereira Silima, a déclaré à l’Assemblée nationale de la Tanzanie que les statistiques révèlent une augmentation des attaques contre des albinos pendant les élections. Elle a dit ceci :

Je tiens à garantir à mes collègues politiciens que l’utilisation de parties du corps d’albinos ne permettra à personne de remporter un siège au Parlement.

Vicky Ntetema est une ancienne journaliste primée de la BBC qui, il y a huit ans, a parlé pour la première fois de l’utilisation de parties du corps d’albinos en sorcellerie par des politiciens en Tanzanie, s’exposant elle-même à de grands risques, je dois dire. Aujourd’hui, elle est directrice exécutive de l’organisme Under the Same Sun. Tout récemment, elle a lancé l’appel suivant dans une publication sur Facebook :

Je demande aux dirigeants africains de sécher les larmes des mères des personnes atteintes d’albinisme, qui sont victimes de préjugés et de discrimination parce que leurs enfants sont aux prises avec ce problème génétique!

Je demande aux dirigeants africains de consoler les mères en deuil parce que leurs enfants ont été mutilés ou assassinés pour que des sorciers puissent utiliser leurs parties du corps pour garantir le succès de leurs clients!

La Tanzanie a interdit la sorcellerie pour tenter de mettre fin à la pratique consistant à prélever des parties du corps des albinos, qui sont utilisées pour créer des amulettes ou encore pour jeter des sorts. Environ 30 sorciers ont été arrêtés. D’autres administrations, notamment les gouvernements du Malawi et de la Namibie, adoptent également des mesures pour mettre fin aux attaques perpétrées contre les personnes atteintes d’albinisme, mais il faut déployer encore plus d’efforts pour changer la mentalité des gens.

Les parlementaires doivent exercer leur influence dans leurs collectivités pour lutter contre les préjugés et la désinformation. Ils doivent se renseigner et renseigner leurs concitoyens au sujet des nombreux problèmes de respect des droits de la personne qui touchent les albinos. Ils doivent préconiser la tolérance et le respect de la primauté du droit, plus particulièrement en période préélectorale.

C’est l’essence même de la motion dont le Sénat est saisi aujourd’hui. Elle est à l’image de la diplomatie parlementaire qui est au cœur du travail que nous accomplissons à titre de sénateurs et de parlementaires canadiens.

Les attaques et la discrimination visant les personnes atteintes d’albinisme se produisent non seulement en Afrique, mais aussi partout dans le monde. À titre de parlementaires, nous devons inciter nos collègues des autres Parlements ailleurs dans le monde à lutter contre l’ignorance. Les parlementaires doivent sensibiliser la population à ce problème et défendre les droits des personnes atteintes d’albinisme.

J’invite tous les sénateurs à appuyer cette motion. Elle découle du travail accompli par l’Association parlementaire Canada-Afrique, qui a soulevé ce problème dans le cadre des travaux qu’elle a menés en Afrique. Nous savons très bien, grâce à l’expérience concrète que nous avons acquise, qu’il est absolument nécessaire de travailler en collaboration avec nos collègues pour aider les personnes atteintes d’albinisme à se réapproprier la place qui leur revient de droit, comme êtres humains et membres à part entière de la société, et leur offrir le respect et la dignité qu’elles méritent.

L’honorable Jim Munson : J’ai dit ce que j’avais à dire la semaine dernière, mais je suis encore hanté par le visage d’un jeune homme que la sénatrice Andreychuk et moi, de même que d’autres membres de notre délégation, avions rencontré près d’un marché de Dar es Salaam, en Tanzanie, par une belle journée. Il essayait de distribuer un tract et avait la physionomie d’un homme traqué. Il était très difficile de le regarder. Il essayait de nous dire qu’une réunion ou un rassemblement avait lieu pour parler de sa cause et de celle de beaucoup d’autres. C’était l’un de ces voyages dans une autre région du monde où on se rend compte du degré de désespoir que peuvent éprouver certains êtres humains et du mépris dans lequel sont tenus leurs droits.

Imaginez le meurtre d’un nouveau-né ou d’un enfant, imaginez ce qu’on fait à ces êtres qu’on tue littéralement. Il est inimaginable que cela se produise encore en 2015. Pourtant, ce sont des pays fort dynamiques où se manifestent beaucoup de nouvelles attitudes, tant sur le plan des droits de la personne qu’au niveau économique. Il est incroyable que des choses pareilles se produisent dans l’ombre.

Les journaux de langue anglaise de Dar es Salaam parlaient de rassemblements dans les stades de soccer, au cours desquels les gens exprimaient leur indignation face à ce qui arrivait. Pouvez-vous imaginer, comme la sénatrice Andreychuk l’a dit, qu’il y a des gens qui prennent ces potions en pensant qu’elles leur porteraient chance dans une campagne électorale? Nous ne pouvons pas catégoriser les gens. Ce sont les gens dits riches et célèbres de Tanzanie, les dirigeants du pays ou ceux qui veulent en prendre les rênes, qui semblent être impliqués dans l’acceptation de cette forme de sorcellerie.

Ce qui m’a frappé, c’est que, en fin de compte, il y a cette devise exprimée dans la langue du pays qui signifie « Ça suffit! »

(1800)

Nous sommes sénateurs, nous sommes loin, mais nous pouvons parler de cette question. Je me rends compte qu'il est 18 heures...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l'article 3-3 du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu'à 20 heures, heure à laquelle la séance reprendra, à moins que vous ne souhaitiez, honorables sénateurs, ne pas tenir compte de l'heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l'heure?

Des voix : D'accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : D'accord.

Le sénateur Munson : Madame la Présidente, il est justifié de faire abstraction de l'heure quand la discussion porte sur une question aussi importante.

Ça suffit! Même si nous sommes loin, nous vivons en démocratie. Nous vivons dans une société où nous respectons tous et chacun. Nous en avons vu assez de cette question particulière. Nous devons parler de plus en plus fort et exhorter les parlementaires des autres pays à mettre fin à ces atrocités.

Merci, madame la Présidente.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je voudrais, moi aussi, participer au débat sur la motion concernant l'albinisme. J'appuie la motion de la sénatrice Andreychuk. Je la remercie de l'avoir présentée. Je voudrais également profiter de l'occasion pour la remercier d'avoir coprésidé l'Association parlementaire Canada-Afrique pendant si longtemps et pour le travail qu'elle a accompli au sein de l'association. Je tiens également à remercier le sénateur Munson pour le travail qu'il a fait au sein de l'association.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, je suis une fière Africaine de l'Est. Quand j'allais à l'école en Ouganda, j'ai pu me rendre compte de la honte qu'éprouvaient mes camarades albinos. À l'école, on nous a appris très tôt ce qu'était l'albinisme.

Comme vous le savez, l'albinisme est un problème génétique qui se manifeste par une absence complète ou partielle de pigment dans la peau, le système pileux et les yeux. C'est ordinairement parce que l'organisme est incapable de produire une quantité suffisante de mélanine, produit chimique responsable de la pigmentation.

Honorables sénateurs, nous avons tous entendu les abominables déclarations que nos collègues ont lues la semaine dernière et aujourd'hui. Nous avons tous ressenti de l'indignation et de la peine. Nous avons tous été troublés par les souffrances éprouvées par les personnes atteintes d'albinisme, les enfants albinos, simplement à cause d'un problème génétique.

Les sévices que subissent ces gens sont effroyables. Mes collègues vous ont parlé des défis que doivent affronter les Africains de l'Est à cause de l'albinisme.

L'une des raisons pour lesquelles le problème a évolué aussi rapidement et d'une manière aussi atroce partout en Afrique réside dans le manque de compréhension des causes de l'albinisme. C'est pour cette raison que je demande à chacun d'entre vous de s'engager à participer à la sensibilisation de nos collègues parlementaires d'Afrique de l'Est. Les politiciens de cette région doivent se sentir appuyés dans le travail qu'ils accomplissent sur le terrain. C'est un travail important qui doit être fait immédiatement.

Nous avons tous connu le processus d'évolution des attitudes qui se produit lorsqu'on est sensibilisé à une question particulière. Le VIH-sida est un exemple parfait d'une question difficile à comprendre qu'il a fallu affronter ici et en Afrique. Au début de l'épidémie, les politiciens se sont montrés sceptiques et ont cherché à éluder le problème. Aujourd'hui, même si les choses ne sont pas parfaites, nous comprenons mieux le sida par suite d'efforts de sensibilisation à grande échelle. Cela a permis à davantage de gens de cesser de se cacher pour obtenir les traitements nécessaires. Les victimes du sida ont maintenant accès à plus d'aide et éprouvent, nous l'espérons, moins de honte.

Honorables sénateurs, je vous prie de vous attacher à conscientiser les politiciens de l'Afrique de l'Est. Nous faisons tous partie d'associations parlementaires, alors je réclame que nous, sénateurs canadiens, contribuions à la conscientisation des parlementaires de manière à les aider à éradiquer la persécution menée à l'endroit des enfants atteints d'albinisme. Pourquoi? Laissez-moi vous raconter une histoire.

En décembre dernier, Sabina Namigambo a raconté l'histoire de son fils à la BBC. Son fils, May, n'avait que 4 ans lorsqu'il a réussi à échapper à une tentative d'enlèvement. Le mari de Sabina était parti pêcher lorsque les ravisseurs ont frappé. Sabina a fui par la fenêtre avec May, mais ils l'ont poursuivie, abandonnant seulement lorsque ses cris ont réveillé les voisins. Pourquoi les ravisseurs voulaient-ils s'en prendre à May? Parce qu'il est atteint d'albinisme et que les sorciers locaux affirment pouvoir fabriquer, avec les parties du corps d'albinos, des potions qui apportent chance et richesse.

Une autre femme atteinte d'albinisme a parlé de ses craintes en disant : « On nous abat comme si nous étions des animaux. Priez pour nous. »

C'est toutefois M. Namigambo qui m'a le plus frappée, lorsqu'il a rapporté ceci :

Le gouvernement a déjà donné des séminaires sur l'albinisme. Ils faisaient toute la différence, sauf qu'il n'y en a plus. Il faut exhorter le gouvernement à en faire davantage pour conscientiser la population.

Honorables sénateurs, les administrations locales ne peuvent pas lancer d'initiatives de conscientisation si elles n'ont pas d'abord été elles-mêmes sensibilisées aux problèmes en cause. Nous avons des ressources, nous connaissons l'information médicale et nous disposons de chaînes de communication avec les parlementaires. Ne restons pas sans rien faire. Contribuons à accroître la sensibilisation vis-à-vis l'albinisme. Mettons un terme à ce carnage insensé. Agissons maintenant en conscientisant nos homologues parlementaires.

J'exhorte le gouvernement du Canada et vous tous ici présents à jouer un rôle primordial en vue de conscientiser les autorités scolaires, surtout en Afrique de l'Est. Sensibilisons la population au fait que l'albinisme est une maladie, et non le fruit de la sorcellerie. Faisons-en un précepte à suivre : l'albinisme est une maladie, et les personnes qui en sont atteintes sont dignes d'être protégées.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

Banques et commerce

Autorisation au comité de déposer son rapport sur l'étude de l'utilisation de la monnaie numérique auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Irving Gerstein, conformément au préavis donné le 15 juin 2015, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur l'étude de l'utilisation de la monnaie numérique durant la période allant du 22 juin au 30 juin 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

Pêches et océans

Autorisation au comité de reporter la date du dépôt de son rapport final sur l'étude de la réglementation de l'aquaculture, des défis actuels et des perspectives d'avenir de l'industrie et de le déposer auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Fabian Manning, conformément au préavis donné le 15 juin 2015, propose :

Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le lundi 9 décembre 2013, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans relativement à son étude sur la réglementation de l'aquaculture, les défis actuels et les perspectives d'avenir de l'industrie au Canada soit reportée du 30 juin 2015 au 31 juillet 2015;

Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport relativement à son étude sur la réglementation de l'aquaculture, les défis actuels et les perspectives d'avenir de l'industrie au Canada entre le 22 juin et le 31 juillet 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

La Table ronde nationale sur les femmes et les jeunes filles autochtones disparues ou assassinées

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Lillian Eva Dyck, ayant donné préavis le 25 mars 2015 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur la table ronde nationale sur les femmes et les jeunes filles autochtones disparues ou assassinées et sur le Plan d'action pour contrer la violence familiale et les crimes violents à l'endroit des femmes et des filles autochtones du gouvernement du Canada.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de mon interpellation concernant la table ronde nationale sur les femmes et les jeunes filles autochtones disparues ou assassinées et le Plan d'action pour contrer la violence familiale et les crimes violents à l'endroit des femmes et des filles autochtones du gouvernement du Canada.

Les trois intervenants précédents ont parlé de questions liées aux droits de la personne. En fait, mon intervention concerne également les droits de la personne, tout simplement parce que, selon l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte sur les droits à l'égalité, « la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination [...] ».

Nous sommes évidemment au courant du problème des femmes autochtones portées disparues ou assassinées, qui ne reçoivent pas la même protection de la loi. Il s'agit donc d'une question liée aux droits de la personne.

Une table ronde historique réunissant des chefs autochtones, des dirigeants provinciaux et territoriaux, deux ministres fédéraux ainsi que des membres des familles de femmes et de jeunes filles autochtones portées disparues ou assassinées a eu lieu le 27 février. En mai 2014, la GRC a établi que près de 1 200 femmes et jeunes filles autochtones ont été assassinées ou sont disparues depuis 1980. Les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles d'être assassinées et quatre fois plus susceptibles de disparaître que les autres femmes canadiennes.

(1810)

Fait incroyable, même si presque tous les dirigeants provinciaux et territoriaux ont réclamé une commission nationale d'enquête sur la disparition et le meurtre de femmes et de jeunes filles autochtones, le premier ministre a dit à plusieurs reprises que son gouvernement ne créerait pas de commission. Après cette table ronde historique, les ministres Leitch et Valcourt ont tenu une conférence de presse distincte pour réaffirmer que leur plan d'action publié en septembre dernier était tout ce dont on avait besoin.

Après la table ronde, la ministre Leitch a déclaré ce qui suit :

Aucune collectivité, aucun particulier, aucune organisation, aucun gouvernement ne peut à lui seul mettre un terme à la violence contre les femmes et les filles autochtones. Nous avons tous une responsabilité commune... et le gouvernement fédéral est déterminé à participer.

Honorables sénateurs, s'il est vrai que le problème des femmes autochtones disparues et assassinées relève d'une responsabilité commune, il semble que, en tenant une conférence de presse distincte et en refusant d'affecter des fonds à toute nouvelle initiative, les ministres fédéraux se sont en fait déchargés de leur responsabilité principale sur les dirigeants provinciaux, territoriaux et autochtones.

Honorables sénateurs, après la table ronde, la ministre Leitch a déclaré que le gouvernement fédéral ne déclencherait pas de commission royale d'enquête sur les femmes et les jeunes filles autochtones disparues et assassinées. Les ministres sont d'avis que leur plan d'action national suffit. Mais que vaut ce plan d'action national? Hélas, sa portée est trop étroite et la plupart des mesures interviennent trop tard, après le meurtre ou la disparition de la victime.

Pis encore, le plan d'action national repose sur une prémisse qui n'a pas encore été vérifiée, soit que les hommes autochtones sont les principaux responsables. Voilà qui limite beaucoup l'efficacité du plan national comme moyen de prévenir la disparition et le meurtre de femmes et de jeunes filles autochtones.

Honorables sénateurs, examinons le plan d'action national du gouvernement conservateur. On y distingue quatre grands postes budgétaires qui totalisent 25 millions de dollars sur cinq ans : 8,6 millions de dollars sur cinq ans pour réaliser des plans de sécurité au niveau local; 2,5 millions de dollars sur cinq ans pour des projets visant à rompre le cycle intergénérationnel de la violence; 5 millions de dollars sur cinq ans pour des programmes de répression de la violence; 7,5 millions de dollars sur cinq ans pour les services aux victimes.

Le budget annuel du plan d'action national est d'environ 5 millions de dollars. Même si les ministres fédéraux laissent entendre que c'est un budget important, ce montant n'est pas élevé comparé aux 100 millions de dollars qui sont dépensés annuellement par les Affaires autochtones pour affronter les Premières Nations devant les tribunaux, sans parler du montant de plus de 100 millions de dollars qui a été consacré à la publicité sur le Plan d'action économique du Canada depuis 2009.

Nous venons d'apprendre que, au cours des cinq dernières années, les Affaires autochtones n'ont même pas dépensé tous leurs budgets. Au total, un milliard de dollars est resté dans les coffres de l'État. Je dis bien un milliard de dollars. Chaque année, depuis cinq ans, 200 millions de dollars n'ont pas été dépensés. Pouvez-vous imaginer ce que nous aurions pu faire avec ce milliard de dollars?

Jetons un coup d'œil aux quatre éléments du plan d'action des conservateurs. Lorsque nous examinons ces programmes et leur efficacité relativement au dossier des femmes et des jeunes filles autochtones disparues ou assassinées, nous constatons que le plan d'action national est loin d'avoir les effets espérés.

Les représentants du gouvernement conservateur ont dit à plusieurs reprises que les recherches menées relativement aux femmes disparues ou assassinées étaient suffisantes, et que le moment était venu de prendre des mesures concrètes pour améliorer cette situation tragique. Après avoir tenu de tels propos, nous aurions cru que les autorités gouvernementales responsables du dossier auraient lu les 40 rapports auxquels elles font allusion. Nous aurions cru qu'elles auraient examiné attentivement les résultats des recherches menées par la GRC et l'Association des femmes autochtones du Canada. Or, il est évident que cela n'a pas été le cas.

Honorables sénateurs, le gouvernement conservateur a élaboré un plan d'action national qui se fonde sur son hypothèse selon laquelle la majorité des cas de disparition ou d'assassinat de jeunes filles et de femmes autochtones sont attribuables à des gestes posés par les hommes autochtones qui vivent dans des réserves des Premières Nations.

Lors d'une rencontre privée avec les chefs des Premières Nations des traités nos 7 et 8, le ministre Valcourt a déclaré que les hommes autochtones étaient responsables de 70 p. 100 des cas de femmes autochtones disparues ou assassinées. Dans un premier temps, la GRC a dit qu'elle ne vérifierait pas les dires du ministre parce qu'elle ne fait pas d'analyses fondées sur la race. Toutefois, le commissaire Paulson de la GRC a par la suite mentionné que ce pourcentage, 70 p. 100, était exact et qu'un autre rapport comportant des chiffres serait publié en mai.

J'attendais ces chiffres afin de les inclure dans mon discours, mais la GRC n'a pas encore diffusé de nouvelles informations. Aujourd'hui même, le réseau de télévision des peuples autochtones a dit que la GRC présenterait une mise à jour demain, mais il n'y aura pas de données sur l'identité raciale des auteurs de ces crimes.

Revenons-en au plan. D'abord, 8,6 millions de dollars sur cinq ans ont été promis pour l'élaboration de plans de sécurité au niveau local dans les réserves au Canada. L'idée semble excellente, mais ce n'est pas une nouvelle initiative. Le programme de la Politique des plans de sécurité autochtones a été lancé en 2010. Assurément, le gouvernement conservateur aurait pu proposer quelque chose de nouveau. Après tout, il a reçu 40 rapports et plus de 700 recommandations qui peuvent l'aider à préparer son action. Le programme des plans de sécurité a des lacunes, puisqu'il est axé seulement sur les réserves des Premières Nations. Il ne tient aucun compte des problèmes de sécurité de la majorité des femmes autochtones qui habitent en zone rurale ou en ville. Les Métis et les Inuits n'habitent pas dans des réserves, pas plus que la majorité des membres des Premières Nations.

Honorables sénateurs, la police est également englobée dans les plans de sécurité communautaire. Le Programme des services de police des Premières Nations a reçu des fonds de 612,4 millions de dollars sur cinq ans en 2013. Cela peut sembler bien, mais, en fait, ces services sont sous-financés. Où ce milliard de dollars aurait-il pu être utile ici?

En 2014, par exemple, les services de police Nishnawbe Aski et Anishinabek, en Ontario, et un programme de police de bande au Manitoba étaient aux prises avec un problème criant de manque de fonds. Dans le cas du Manitoba, le gouvernement fédéral a décidé unilatéralement de retirer le financement de ce programme de police. Heureusement, le gouvernement provincial est intervenu et a fourni des fonds : deux fois plus que ce que versaient les autorités fédérales.

Chers collègues, assurément, si le gouvernement conservateur tenait vraiment à garantir la sécurité des collectivités autochtones, il aurait versé des fonds suffisants aux services de police des réserves, plus spécialement au Manitoba, qui, avec la Saskatchewan, forme le territoire où les femmes et les jeunes filles autochtones courent le plus grand risque d'être assassinées ou de disparaître.

Si les représentants du gouvernement conservateur pensent que le problème principal est la violence qui sévit dans les réserves des Premières Nations, pourquoi ont-ils réduit les ressources accordées aux services de police dans les réserves, dans une des régions les moins sûres du Canada? Cela ne tient pas debout.

Honorables sénateurs, voyons maintenant le deuxième volet du plan d'action du gouvernement : 2,5 millions de dollars sur cinq ans pour rompre le cycle intergénérationnel de la violence découlant des agressions commises dans les pensionnats autochtones. On compte également dans ce deuxième volet du plan d'action national les programmes de prévention de la violence familiale. Certes, c'est une bonne initiative, mais, là encore, elle est axée surtout sur les réserves. Comme je l'ai déjà dit, les Inuits, les Métis et les familles des Premières Nations qui habitent hors des réserves sont négligés.

Il importe de signaler que la violence intergénérationnelle qui sévit dans les réserves découle des actes et des politiques délibérés du gouvernement visant les Autochtones. Le réseau des pensionnats, la Loi sur les Indiens et la marginalisation politique des Autochtones au Canada sont autant de facteurs qui ont fait apparaître ce cycle intergénérationnel de violence dans les réserves indiennes. L'actuel gouvernement du Canada ne devrait pas oublier que ce cycle de violence, nous le devons à des gouvernements fédéraux du passé.

Il y a quatre mois, le ministre Valcourt a affirmé que les hommes autochtones étaient responsables de 70 p. 100 des meurtres de femmes autochtones. Cette déclaration a indigné les chefs autochtones à qui il s'adressait. C'était une déclaration scandaleuse. Le ministre ne tenait aucun compte des causes profondes des taux élevés de violence familiale, du legs intergénérationnel de violence et de la dévalorisation des femmes inculquée dans les pensionnats indiens. Comment le ministre peut-il reprocher à des garçons et à des hommes autochtones des comportements violents sans tenir compte du fait que les lois et les politiques fédérales ont créé les pensionnats et ont donné aux femmes autochtones moins de droits qu'aux hommes?

Comment le ministre Valcourt peut-il dire que les hommes des Premières Nations manquent de respect envers les femmes dans les réserves sans admettre que cela fait partie de la norme culturelle de tous les Canadiens? Il devrait savoir que cet enseignement faisait partie du programme d'assimilation imposé aux Autochtones au moyen des pensionnats, qui ont éradiqué le respect traditionnel auquel les femmes avaient droit avant la colonisation.

Il y a tout juste deux semaines, la Commission de vérité et réconciliation a tenu sa dernière activité publique ici même, à Ottawa. Ses travaux ont montré on ne peut plus clairement qu'il existe un lien entre les pensionnats autochtones, les traumatismes intergénérationnels et la violence familiale, et le phénomène des disparitions et des meurtres de femmes et de jeunes filles autochtones. Ce qui est de la plus grande importance, c'est que les commissaires ont indiqué clairement que les Canadiens non autochtones ont appris à dévaloriser et à dénigrer les Autochtones.

(1820)

Chers collègues, le troisième élément du plan d'action national des conservateurs est le versement de 5 millions de dollars sur cinq ans pour les programmes de lutte contre la violence. En dépit du fait qu'un nouveau programme de sensibilisation visant à dénoncer la violence commise contre les femmes autochtones sera élaboré en collaboration avec l'Association des femmes autochtones du Canada, une fois de plus, l'accent est mis sur la violence familiale, ainsi que sur les garçons et les hommes autochtones qui vivent dans les réserves. Il s'agit d'un aspect important, mais les Autochtones savent qu'une campagne de sensibilisation à l'intention de l'ensemble de la population canadienne pour mettre fin à la violence contre les jeunes filles et les femmes autochtones est également nécessaire. De plus, comme on l'a souligné plus tôt, le rapport de la Commission de vérité et réconciliation indique clairement que les communautés non autochtones ont aussi appris à dévaloriser les femmes autochtones.

Chers collègues, le quatrième élément dont fait état le plan d'action national est le versement de 7,5 millions de dollars sur une période de cinq ans au Programme pour la prévention de la violence familiale, qui offre des services aux femmes, aux enfants et aux familles qui vivent dans les réserves et qui sont victimes de violence familiale. Le programme finance également 41 maisons d'hébergement pour femmes dans des réserves.

Selon un reportage diffusé sur la chaîne APTN, toutefois, les fonds versés pour les nouveaux programmes de protection contre la violence familiale ne sont pas nouveaux, mais ont plutôt été puisés dans le budget des maisons d'hébergement pour femmes dans les réserves. Bien que de nouvelles sommes soient disponibles pour de nouveaux programmes, il y a moins d'argent disponible pour les maisons d'hébergement. Cela n'a aucun sens, puisque les deux actions sont contradictoires. En fait, le plan d'action national augmente les risques de violence contre les femmes autochtones puisqu'il diminue le financement prévu pour les maisons d'hébergement.

Honorables sénateurs, manifestement, les quatre mesures contenues dans le plan d'action national sont insatisfaisantes.

La prémisse selon laquelle les hommes autochtones vivant dans les réserves sont responsables du meurtre ou de la disparation de jeunes filles et femmes autochtones a d'abord été formulée en 2010 par le sénateur suspendu Patrick Brazeau, dans le cadre de l'étude du projet de loi relatif au droit des femmes aux biens matrimoniaux. Malheureusement, le ministre Valcourt suit le même raisonnement que le sénateur Brazeau.

Le ministre Valcourt a déclaré ce qui suit :

Il est clair qu'il y a un manque de respect envers les femmes et les jeunes filles sur les réserves [...] [comme] les garçons grandissent en croyant que les femmes n'ont aucun droit, c'est ainsi qu'ils les traitent.

Le ministre devrait pourtant savoir mieux que quiconque que c'est en raison de la Loi sur les Indiens que les femmes autochtones qui vivent dans les réserves ont moins de droits que les autres. Le ministre jette le blâme sur les hommes autochtones parce que ce sont eux qui manquent de respect aux femmes autochtones, mais, en réalité, il devrait blâmer les hommes blancs de l'époque des traités qui ont rédigé la Loi sur les Indiens, en 1876. En effet, ce sont eux qui ont accordé moins de droits aux femmes qu'aux hommes autochtones.

Contrairement à ce qu'ont affirmé M. Brazeau et M. Valcourt, les femmes et les jeunes filles autochtones risquent davantage d'être assassinées ou enlevées lorsqu'elles ne se trouvent pas dans une réserve, selon l'Association des femmes autochtones du Canada. Un rapport de recherche publié en 2010 montre que seulement 7 p. 100 des femmes et des jeunes filles autochtones disparues habitaient dans une réserve et que seulement 13 p. 100 de celles qui ont été assassinées habitaient dans une réserve. À titre de comparaison, 70 p. 100 des femmes et des jeunes filles autochtones disparues se trouvaient dans une zone urbaine, et 60 p. 100 de celles qui ont été assassinées se trouvaient dans une zone urbaine.

Pourrais-je avoir cinq minutes de plus, s'il vous plaît?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Dyck : En outre, les données recueillies par l'Association des femmes autochtones du Canada montrent que les femmes et les jeunes filles autochtones sont trois fois plus susceptibles d'être assassinées par un étranger. Il est clair que le gouvernement Harper a fait fi de ces conclusions. Il a commis une grave erreur en prenant des mesures axées sur la violence familiale dans les réserves autochtones.

Honorables sénateurs, le plan d'action national des conservateurs ne tient absolument pas compte du rôle joué par les non-Autochtones dans les meurtres et les disparitions de femmes et de jeunes filles autochtones — il s'agit là sans doute de son aspect le plus condamnable. Or, la plupart des gens ont entendu parler d'hommes qui ne sont pas d'origine autochtone qui ont tué des femmes autochtones. Il y a beaucoup de cas célèbres, je pense notamment aux tueurs en série Willie Pickton et John Crawford.

En 2010, l'AFAC a publié un rapport de recherche, intitulé « Ce que leurs histoires nous disent : Résultats de recherche de l'initiative Sœurs par l'esprit », qui indique clairement que ce sont les hommes, autochtones ou non, qui assassinent les femmes autochtones. Les données de l'AFAC montrent qu'au moins 23 p. 100 des meurtriers étaient non autochtones, 36 p. 100 étaient autochtones, et 41 p. 100 étaient de race inconnue. Il est très difficile de déterminer avec certitude l'appartenance raciale. C'est pourquoi le pourcentage est si élevé.

Toutefois, le 20 mars dernier, le ministre Valcourt a affirmé que des données non divulguées de la GRC révèlent que 70 p. 100 des meurtres de femmes autochtones sont commis par des hommes autochtones. Il a indiqué que ces données seraient rendues publiques. La GRC avait d'abord dit qu'elle ne recueillait pas ce type de données et qu'elle ne divulguerait pas d'information au sujet de l'identité raciale. Puis, comme on l'a souligné tout à l'heure, le commissaire Paulson a indiqué que les données seraient divulguées le mois dernier, mais jusqu'à maintenant, rien n'a été rendu public. Aujourd'hui, le réseau de télévision des peuples autochtones dit que la GRC va publier un rapport demain, mais que le rapport de mise à jour ne contiendra pas de renseignements sur l'origine ethnique des auteurs des meurtres. Nous revenons à la case départ. La crédibilité du ministre Valcourt et la véracité de sa déclaration sont donc fort discutables.

Honorables sénateurs, les mesures prises par le gouvernement pour prévenir le meurtre ou la disparition de femmes et de jeunes filles autochtones auraient dû être plus réfléchies et fondées sur l'ensemble des faits connus. Même si le plan d'action contient de bons programmes, il est évident qu'il vise à s'attaquer à la violence familiale intergénérationnelle dans les réserves, et non au problème des femmes et des jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. Bien que la violence familiale fasse partie des causes profondes, il y a d'autres causes profondes et d'autres facteurs qui expliquent que les femmes autochtones risquent davantage d'être portées disparues ou assassinées. Le gouvernement fédéral n'a pas élaboré de plan d'action pour se pencher expressément sur le problème des femmes et des jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. Même les mots « femmes et jeunes filles autochtones disparues ou assassinées » ne figurent pas dans le titre de son plan d'action.

Honorables sénateurs, la seule façon d'obtenir un plan d'action national efficace pour empêcher la disparition ou l'assassinat de femmes et de jeunes filles autochtones, c'est de lancer une commission d'enquête indépendante. Une commission d'enquête indépendante ne serait pas indûment influencée par des idées préconçues au sujet des femmes et des hommes autochtones, et une telle commission reconnaîtrait, à tout le moins, que les hommes non autochtones jouent un rôle important dans l'assassinat et la disparition de femmes et de jeunes filles autochtones. Nous pourrions accéder aux données disponibles, y compris celles dont dispose la GRC et qu'elle ne publie pas.

Chers collègues, au cours des deux dernières années, la population a vraiment pris conscience du nombre considérable de femmes et de jeunes filles autochtones disparues et assassinées. Il ressort d'un sondage Angus Reid réalisé en octobre dernier que trois quarts des Canadiens sont pour la tenue d'une enquête nationale. Il y a deux semaines à peine, les commissaires de la Commission de vérité et réconciliation ont également recommandé la tenue d'une enquête publique.

Voici ce que dit la recommandation 41 du sommaire :

Nous demandons au gouvernement fédéral, en consultation avec les organisations autochtones, de lancer une enquête publique sur les causes de la victimisation disproportionnée des femmes et des filles autochtones et les solutions pour y remédier. L'enquête aurait, entre autres, pour mandat :

i. d'enquêter sur les femmes et les filles disparues et assassinées;

ii. de faire la lumière sur les effets intergénérationnels des pensionnats indiens.

Honorables sénateurs, il y a sept ans, en juin 2008, le premier ministre Harper a présenté des excuses pour la création des pensionnats indiens et pour les préjudices qu'ils ont causés à plusieurs générations. Pourtant, aujourd'hui encore, il refuse de mettre sur pied une commission d'enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Chers collègues, c'est inacceptable, tout simplement inacceptable. Il faut faire quelque chose.

(Sur la motion de la sénatrice Lovelace Nicholas, le débat est ajourné.)

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur le mariage civil
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Message des Communes

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu'elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d'autres lois en conséquence, accompagné d'un message informant le Sénat qu'elle a adopté le projet de loi sans amendements.

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mercredi 17 juin 2015, à 13 h 30.)

© Sénat du Canada

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