Journaux du Sénat
2e Session, 41e Législature
Numéro 76 - Annexe
Le mardi 16 septembre 2014
14 heures
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
Le lundi 25 août 2014
Le Comité permanent sur les conflits d'intérêts des sénateurs a l'honneur de présenter son
SIXIÈME RAPPORT
Le comité, qui a examiné un rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique reçu le 25 juin 2014, conformément au paragraphe 46(1) du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, fait rapport de ce qui suit :
Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs
Le Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, renommé Code régissant l'éthique et les conflits d'intérêts des sénateurs depuis le 16 juin 2014, a été adopté le 18 mai 2005 et a été modifié le 29 mai 2008, le 1er mai 2012, le 1er avril 2014 et le 16 juin 2014.
Le Code tel que modifié en 2014
Le comité fait observer que le rôle qu'il joue dans le processus d'enquête a récemment été modifié, soit en avril 2014. Le rôle du comité se limite dorénavant à recommander une sanction ou une mesure corrective appropriée et n'a plus le pouvoir d'entreprendre sa propre enquête ou de renvoyer une affaire au conseiller sénatorial en éthique.
De plus, le Sénat a récemment confirmé et renforcé son engagement envers les normes de conduite les plus rigoureuses en modifiant le Code, le 16 juin 2014, pour, entre autres choses, exiger des sénateurs qu'ils adhèrent aux normes les plus élevées de conduite personnelle et professionnelle dans l'exécution de leurs fonctions, en allant au-delà d'un simple régime de conflit d'intérêts. L'effet de cette modification était de préciser qu'on s'attend à ce que les sénateurs exercent leurs fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité. Ainsi, la modification articule clairement l'obligation qu'ont les sénateurs de s'abstenir d'agir de manière qui pourrait nuire à la réputation des sénateurs ou du Sénat en tant qu'institution.
Le comité est convaincu que le Code doit continuer d'évoluer afin de s'adapter aux besoins du Sénat et des sénateurs, de même qu'aux attentes du public que nous sommes chargés de servir. C'est pourquoi nous continuerons de surveiller l'efficacité du Code et de proposer des modifications lorsque le besoin s'en fera sentir. En veillant à ce que le Code demeure actuel et efficace face aux changements de normes sociales et aux attentes, nous contribuerons à maintenir la capacité du Sénat de s'acquitter de ses fonctions constitutionnelles.
Le Code en 2012
Conformément au troisième rapport du comité, adopté par le Sénat le 1er avril 2014, l'examen du rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique obéit au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs tel qu'adopté par le Sénat le 1er mai 2012, qui est entré en vigueur le 1er octobre 2012. À moins d'indication contraire, toutes les références au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs ou au Code renvoient au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs tel qu'il a été adopté par le Sénat le 1er mai 2012.
Le rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique
Le 25 juin 2014, le comité a été saisi d'un rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique concernant les obligations de l'honorable sénateur Pierre-Hugues Boisvenu en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs. Le même jour, le rapport a été remis au greffier du Sénat et est devenu public, conformément à l'article 45 du Code.
Le rapport est le résultat d'une enquête menée par la conseillère sénatoriale en éthique faisant suite à une demande de l'honorable sénatrice Céline Hervieux-Payette dans une lettre datée du 19 juin 2013. Après un examen préliminaire de la question, la conseillère sénatoriale en éthique a décidé d'entreprendre une enquête et, une fois son enquête terminée, elle en a fait rapport au comité le 25 juin 2014.
Dans son rapport d'enquête, la conseillère sénatoriale en éthique a conclu que le sénateur Boisvenu avait agi irrégulièrement de manière à favoriser les intérêts personnels d'une personne en renouvelant deux fois le contrat d'emploi d'une employée avec qui il avait ou avait eu une relation personnelle. La conseillère sénatoriale en éthique a de plus conclu que le sénateur Boisvenu avait tenté de se prévaloir de façon irrégulière de sa charge pour influencer la décision d'une autre personne dans le but de favoriser de façon irrégulière les intérêts personnels d'une personne lorsqu'il a tenté de négocier avec l'Administration du Sénat des conditions favorables pour une ancienne employée avec qui il avait ou avait eu une relation personnelle. En raison de ces actes, la conseillère sénatoriale en éthique a conclu que le sénateur Boisvenu avait manqué aux obligations que lui imposent les articles 8 et 9 du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs.
La conseillère sénatoriale en éthique n'a pas recommandé de sanction contre le sénateur Boisvenu pour ces manquements. Elle a relevé des circonstances atténuantes relativement aux gestes du sénateur après la fin de la relation d'emploi dans son bureau. Premièrement, elle a déclaré que le fait que le sénateur Boisvenu était l'ancien superviseur était ce qui l'avait amené à tenter de négocier des conditions favorables pour son ancienne employée. Deuxièmement, le sénateur Boisvenu est intervenu pour s'assurer que les conditions d'emploi de son ancienne employée, telles que lui- même les comprenait, seraient respectées une fois que celle-ci avait quitté son bureau. Troisièmement, la conseillère sénatoriale en éthique a constaté que le sénateur Boisvenu avait contacté l'Administration du Sénat à la suggestion de celui qui était à l'époque le président du Comité de la régie interne, l'honorable sénateur David Tkachuk. Ainsi, elle a conclu que c'était en raison d'une erreur commise de bonne foi que le sénateur Boisvenu avait contrevenu au Code, et elle n'a donc pas recommandé de sanction.
Le processus
Comme nous l'avons mentionné plus haut, le processus applicable à l'examen du rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique par le comité relève du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs tel qu'adopté par le Sénat le 1er mai 2012, qui reflète l'état du Code au moment où on a allégué que le sénateur Boisvenu avait enfreint le Code.
Dans ce processus, le rôle du comité consiste à examiner un rapport d'enquête provenant de la conseillère sénatoriale en éthique et à en faire rapport au Sénat (Code, paragraphes 46(1) et (4)). Dans le cadre de cet examen, le comité doit donner au sénateur qui fait l'objet de l'enquête l'occasion d'être entendu (paragraphe 46(2)). Le comité peut, dans le cadre de son examen du rapport, décider d'effectuer une enquête ou de renvoyer la question à la conseillère sénatoriale en éthique pour qu'elle poursuive sa propre enquête (paragraphe 46(3)). Une fois son examen terminé, le comité fait rapport de ses conclusions, de ses motifs et de ses recommandations au Sénat (paragraphe 46(5)). Dans son rapport, le comité peut recommander que le sénateur visé soit contraint de prendre des mesures précises ou fasse l'objet d'une sanction (paragraphe 46(6)). Le Sénat prend la décision finale lorsqu'il dispose du rapport.
L'examen du comité
Le 28 juillet 2014, le sénateur Boisvenu s'est prévalu du droit de comparaître devant le comité, comme le prévoit le paragraphe 46(2) du Code. Lors de sa comparution, le sénateur Boisvenu a passé en revue les événements qui ont mené au rapport et a confirmé la position qu'il avait prise auprès de la conseillère sénatoriale en éthique. Il a informé le comité qu'il acceptait les faits tels qu'ils étaient énoncés dans le rapport d'enquête. Il était déçu, toutefois, que certaines personnes ne se souvenaient pas de certaines discussions ou rencontres qui, à son avis, étaient pertinentes aux fins de l'enquête.
Premièrement, il a déclaré qu'à un moment donné, au printemps 2012 et à sa propre demande, il avait rencontré, afin de lui demander conseil, le conseiller sénatorial en éthique précédent, M. Jean T. Fournier. Le sénateur Boisvenu a déclaré que M. Fournier lui avait dit que la relation personnelle qu'il entretenait avec une employée n'était pas gouvernée par le Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs. Selon le sénateur Boisvenu, M. Fournier lui avait néanmoins conseillé d'être prudent en ce qui concerne cette relation, car elle pouvait donner l'impression d'un conflit d'intérêts. (Le sénateur Boisvenu a confié à la conseillère sénatoriale en éthique, au cours de l'enquête, que M. Fournier lui avait dit de mettre fin à la relation.) Lorsque la conseillère sénatoriale en éthique a interrogé M. Fournier à ce sujet, celui-ci a répondu qu'il ne se souvenait pas de cette discussion. Le comité souligne que le sénateur Boisvenu n'a pas, en tout état de cause, demandé une opinion écrite, ce à quoi il avait droit selon l'article 42 du Code.
Deuxièmement, le sénateur Boisvenu s'est aussi dit déçu que le sénateur Tkachuk ne se rappelait pas l'avoir référé au greffier du Sénat lorsqu'il avait soulevé la question des conditions d'emploi de son ancienne employée. Le comité prend acte du fait que, dans le rapport d'enquête, il est précisé que le sénateur Tkachuk reconnaît avoir pu faire une telle suggestion, sans toutefois en avoir le souvenir direct.
Par ailleurs, en ce qui concerne les discussions officieuses qu'il a eues avec le sénateur Tkachuk et le greffier du Sénat, le sénateur Boisvenu a déclaré qu'il aurait aimé que le sénateur Tkachuk ou le greffier du Sénat l'informe plus tôt du caractère inapproprié de sa conduite.
Le sénateur Boisvenu a déclaré devant le comité que durant la majeure partie de sa relation avec son employée, il n'avait pas l'impression d'être en conflit d'intérêts. Toutefois, il a précisé qu'il avait commencé à s'inquiéter de la question au printemps 2012, ce qui l'a amené à consulter le conseiller sénatorial en éthique d'alors, M. Fournier. Malgré le conseil qu'il nous a dit avoir reçu de M. Fournier, le sénateur Boisvenu a néanmoins renouvelé le contrat de son employée en mars 2012. Le sénateur Boisvenu a informé le comité qu'à l'été 2012, il avait décidé de résoudre la question en informant son employée qu'elle devrait quitter son bureau, mais il trouvait difficile de prendre les dispositions nécessaires pour ce faire. Le sénateur Boisvenu a reconnu qu'il aurait dû agir plus rapidement et il a entièrement assumé la responsabilité de cette erreur.
Après sa comparution, le sénateur Boisvenu a envoyé une lettre au comité pour lui faire part de ses réflexions sur le processus et donner des renseignements supplémentaires.
Constatations
Comme nous l'avons indiqué plus haut, après avoir examiné le rapport d'enquête de la conseillère sénatoriale en éthique, le comité doit faire rapport de ses conclusions, de ses motifs et de ses recommandations au Sénat.
Le comité aurait pu décider, dans le cadre de son examen, de mener sa propre enquête ou de renvoyer la question à la conseillère sénatoriale en éthique pour qu'elle poursuive son enquête. Une enquête ou un renvoi aurait été justifié, par exemple, s'il était resté des incertitudes quant aux faits présentés au comité. Toutefois, tel n'est pas le cas.
Le comité est d'accord avec la conclusion de la conseillère sénatoriale en éthique selon laquelle le sénateur Boisvenu a manqué aux obligations que lui imposent les articles 8 et 9 du Code. Le comité convient qu'il y a des circonstances atténuantes, comme l'a relevé la conseillère sénatoriale en éthique, en ce qui concerne les actes du sénateur relatifs aux conditions de travail de l'employée au sein de l'Administration du Sénat. Toutefois, le comité fait observer qu'aucune circonstance atténuante n'a été relevée dans le rapport d'enquête pour l'infraction au Code ayant résulté des deux renouvellements du contrat d'emploi.
Le comité tient à préciser que le sénateur Boisvenu a fait preuve de franchise lors de sa comparution et qu'il a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées.
Conclusions
L'objet premier du Code est de préserver et d'accroître la confiance du public dans l'intégrité des sénateurs et du Sénat (Code, paragraphe 1a)). On s'attend à ce que les sénateurs remplissent leur charge publique selon les normes les plus élevées de façon à éviter les conflits d'intérêts et à préserver et à accroître la confiance du public dans l'intégrité de chaque sénateur et envers le Sénat (Code, alinéa 2(1)c)). Les sénateurs sont responsables non seulement de leur propre réputation, mais aussi de celle du Sénat en tant qu'institution. Par conséquent, tout comportement qui n'est pas à la hauteur de ces normes doit être examiné.
Lors de sa comparution devant le comité, le sénateur Boisvenu a expliqué que lorsqu'il est arrivé au Sénat, il avait, au mieux, une connaissance très superficielle des règles concernant ses responsabilités de superviseur. Il était d'avis que la nature d'une institution politique signifiait que des normes différentes s'appliquaient, par rapport à ce qui s'applique dans un organisme du secteur public. Avec le recul, le sénateur Boisvenu a confié au comité qu'il aurait traité la situation autrement.
Comme aucune circonstance atténuante n'a été identifiée concernant ses infractions au Code pour les renouvellements du contrat d'emploi, le comité estime que le fait de ne pas avoir pris de dispositions pour résoudre un conflit d'intérêt réel ou apparent ou l'empêcher de survenir en raison de l'évolution de sa relation avec son ancienne employée exige des mesures correctives appropriées.
En outre, le comité trouve préoccupant que le sénateur Boisvenu ait commencé à prendre des dispositions pour résoudre la question presque un an après avoir parlé à M. Fournier de la situation. Toute personne en position d'autorité se trouvant dans une relation personnelle avec un subordonné doit prendre des mesures immédiates pour modifier la relation hiérarchique. Dans ce cas, c'est uniquement lorsque l'affaire a attiré l'attention des médias, en mars 2013, que des mesures ont enfin été prises pour modifier la relation d'emploi avec le sénateur Boisvenu.
Dans un milieu de travail se voulant moderne, il importe de remédier promptement à tous les gestes qui pourraient nuire à la réputation d'une organisation et de ses membres et d'une façon qui respecte tous les droits des parties concernées. Nous savons que des questions liées aux relations entre employeurs et employés peuvent surgir à la fois dans des organisations du secteur public et privé, mais, dans l'intérêt du public, nous devons prêcher par l'exemple.
Le comité conclut que les infractions au Code commises par le sénateur Boisvenu et le fait qu'il ait négligé de prendre des dispositions correctives immédiates devraient entraîner des mesures correctives et des sanctions.
Recommandation
Par conséquent, le comité recommande : Que, le premier jour de séance suivant l'adoption du présent rapport, à partir de son siège dans la salle du Sénat, pendant la période réservée aux déclarations des sénateurs, le sénateur Boisvenu présente des excuses pour :
- les infractions commises au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs relevées par la conseillère sénatoriale en éthique;
- ne pas avoir promptement remédié à la situation de conflit d'intérêts réel ou apparent;
- avoir omis de prévenir un conflit d'intérêts réel ou apparent et l'impact subséquent sur la confiance du public envers l'intégrité de chaque sénateur et du Sénat;
Et que, dans les 60 jours suivant l'adoption du présent rapport, le sénateur Boisvenu suive, à ses propres frais, une formation préapprouvée par le comité qui lui permettra de bien comprendre les fondements d'une gestion contemporaine des relations employeur-employé dans une institution publique.