Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 43e Législature
Volume 151, Numéro 21

Le vendredi 15 mai 2020
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le vendredi 15 mai 2020

(Conformément à l’article 3-6(1) du Règlement, le Sénat a été rappelé pour se réunir en ce jour, au lieu du 2 juin 2020 tel qu’ordonné antérieurement.)

La séance est ouverte à 11 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Question de privilège

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le 1er mai, le sénateur Plett a soulevé une question de privilège concernant une réunion du Comité de sélection tenue plus tôt ce jour-là. Depuis lors, j’ai reçu une demande de la part du sénateur Dalphond en vue d’autoriser un examen plus approfondi de la question. Bien que ce ne soit pas commun, ce n’est pas sans précédent. Normalement, je m’attendrais à ce que les sénateurs soient prêts à discuter d’une question de privilège ou d’un rappel au Règlement au moment où ils sont soulevés, mais deux facteurs ne peuvent pas être ignorés.

Premièrement, dans le respect de nos règles, la question de privilège a été soulevée sans préavis conformément à l’article 13-4 du Règlement. Deuxièmement, les circonstances actuelles en matière de santé publique empêchent un grand nombre de nos collègues d’assister à nos séances. Vu les circonstances, je vais, exceptionnellement, autoriser l’expression d’autres arguments dans le cas actuel.

Par conséquent, au début de l’ordre du jour de la prochaine séance du Sénat, je serai prêt à entendre de nouveaux arguments sur la question de privilège. Permettez-moi d’être clair, cependant, honorables sénateurs, en vous disant que je souhaite seulement entendre de nouvelles informations, et que les sénateurs devront être brefs.

Les sténographes du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, vous avez peut-être constaté que les sténographes qui sont normalement avec nous dans la salle ne sont pas ici aujourd’hui. Nous avons pris des dispositions leur permettant de travailler à distance, afin de favoriser la distanciation physique dans la salle du Sénat tout en protégeant leur santé.

[Français]

Adoption de la motion tendant à prolonger la séance d’aujourd’hui et à autoriser les sénateurs à prendre la parole ou à voter à partir d’un autre siège que leur place désignée

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant l’article 3-4 du Règlement, la séance continue au-delà de l’heure fixée pour la clôture de la séance aujourd’hui;

Que l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendu aujourd’hui;

Que, nonobstant les articles 6-1 et 9-8(1)b) du Règlement, les sénateurs puissent prendre la parole ou voter à partir d’un siège autre que la place qui leur est attribuée au cours de la séance d’aujourd’hui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-16—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait.

La vérificatrice générale

Dépôt du certificat de nomination

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le certificat de nomination et les notes biographiques de Karen Hogan, candidate proposée au poste de vérificatrice générale du Canada.

[Français]

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-16

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou procédure ordinaire :

1.le Sénat se forme en comité plénier au début de l’ordre du jour aujourd’hui afin d’étudier la teneur du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait;

2.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-16 reçoive l’honorable Marie-Claude Bibeau, c.p., députée, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, accompagnée de deux fonctionnaires;

3.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-16 lève sa séance au plus tard 125 minutes après le début de ses travaux;

4.les remarques introductives des témoins durent un total maximal de cinq minutes;

5.si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin de recevoir Karen Hogan, candidate au poste de vérificatrice générale

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, à la fin de l’étude des projets de loi du gouvernement aujourd’hui, le Sénat se constitue en comité plénier afin de recevoir Karen Hogan relativement à sa nomination à titre de vérificatrice générale du Canada;

Que le comité plénier fasse rapport au Sénat au plus tard 100 minutes après le début de ses travaux;

Que les remarques introductives de la témoin durent un maximum de cinq minutes;

Que, si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses de la témoin y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(1110)

[Traduction]

La vérificatrice générale

Préavis de motion tendant à approuver sa nomination

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je donne préavis que, plus tard aujourd’hui, je proposerai :

Que, conformément au paragraphe 3(1) de la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, le Sénat approuve la nomination de Karen Hogan à titre de vérificatrice générale du Canada.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Français]

La Loi sur la Commission canadienne du lait

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-6(1)f) du Règlement, je propose que la deuxième lecture du projet de loi soit inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

Le remboursement de l’aide financière pour la COVID-19 demandée indûment

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, comme d’habitude, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, selon certaines sources, on aurait dit aux fonctionnaires fédéraux traitant les demandes de prestation d’urgence d’ignorer les cas potentiels de fraude et de ne pas demander de complément d’enquête, sauf en cas d’urgence.

Pas moins de 200 000 demandes ont été signalées comme possiblement frauduleuses. Hier, le député libéral Wayne Easter a dit ceci au ministre Morneau :

Le gouvernement doit faire comprendre aux gens qu’il ne tolérera pas ce qui équivaut à de la fraude et que l’argent versé indûment sera récupéré. Il faut que quelqu’un fasse passer le message.

Il a poursuivi ainsi :

La réponse [...] du ministre et du premier ministre là-dessus n’était pas très claire.

Monsieur le leader, certaines petites entreprises qui ont véritablement besoin d’aide se retrouvent les mains vides, mais le gouvernement n’a aucun scrupule à dépenser l’argent des contribuables même lorsqu’il y a des soupçons de fraude. Pourquoi le gouvernement ne dénonce-t-il pas plus vigoureusement ceux qui fraudent le système? Pendant qu’on y est, pourriez-vous nous dire, sur les 200 000 demandes potentiellement frauduleuses, combien ont été approuvées?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Le premier ministre a été très clair à ce sujet, tout comme le gouvernement : en cette période sans précédent, le gouvernement se doit d’abord et avant tout de tenter de verser le plus rapidement possible de l’argent aux Canadiens qui en ont besoin.

Il pourrait y avoir des cas de fraude ou des erreurs, qui font en sorte que certaines personnes auront reçu des prestations auxquelles, en réalité, elles n’avaient pas droit. Le gouvernement a dit bien clairement que sa priorité est de s’assurer que les processus en place pour verser l’argent aux Canadiens ne soient pas retardés ou ralentis inutilement. Plus tard — et le gouvernement est bien déterminé à y veiller —, au moment de la production des déclarations de revenus l’an prochain, on s’occupera de tous les cas d’argent versé à des personnes non admissibles, à la suite d’une erreur de bonne foi ou d’une fraude. Cet argent devra être remboursé. Des sanctions seront imposées dans les cas de fraude.

Le sénateur Plett : Je n’arrive pas à croire qu’on puisse carrément accepter la fraude et dire qu’on s’en occupera plus tard.

La sécurité publique et la protection civile

Le financement destiné aux victimes de la traite des personnes et aux femmes maltraitées

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma prochaine question porte sur la décision du gouvernement de mettre fin au financement d’un programme d’aide aux femmes et aux filles victimes d’exploitation sexuelle et de la traite des personnes d’un bout à l’autre du Canada. À cause de cette perte de financement, par exemple, le Centre pour femmes maltraitées de London devra annuler des programmes permettant d’aider plus de 600 femmes et jeunes filles victimes de la traite des personnes. Cet organisme a fait un travail extraordinaire pour venir en aide aux femmes et aux jeunes filles au fil des ans. Le gouvernement aime parler de féminisme. Pourtant, en cette période de crise mondiale, alors que ces femmes et ces jeunes filles sont particulièrement vulnérables, le gouvernement leur coupe les vivres. Je ne peux concevoir comment un gouvernement qui se dit féministe pourrait faire une telle chose.

Monsieur le leader, pourquoi votre gouvernement a-t-il choisi de mettre fin à ce programme très important, en particulier en ce moment? Va-t-il admettre son erreur et rétablir le financement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Elle concerne un segment important et très vulnérable de notre communauté.

Le gouvernement demeure déterminé à lutter contre l’exploitation des femmes et d’autres groupes vulnérables ainsi que contre la traite des personnes, et à mieux protéger les victimes qui comptent parmi les personnes les plus vulnérables de la société. Le programme dont parle le sénateur est l’initiative Mesures pour lutter contre la prostitution. Il s’agissait d’un programme quinquennal qui avait été créé par le gouvernement précédent en lui donnant comme date de fin la fin de mars 2020.

Le gouvernement est parfaitement au fait des répercussions que la fin prévue de ce programme a eues pour certains organismes, dont le Centre pour femmes maltraitées de London, qui fait effectivement un travail important. Le gouvernement travaille avec diligence afin de trouver des solutions qui permettront à ces organismes de poursuivre leur important travail.

Les affaires étrangères et le commerce international

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader du gouvernement, vous vous souvenez peut-être que, en 2014, des pirates informatiques parrainés par l’État chinois se sont infiltrés dans des ordinateurs du Conseil national de recherches du Canada, ce qui a coûté des centaines de millions de dollars au gouvernement fédéral d’alors. Comme le régime communiste chinois a déjà tenté de voler de la propriété intellectuelle, des secrets industriels et d’autres biens de nature délicate, pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il décidé, par l’entremise du Conseil national de recherches, de conclure une autre entente avec la Chine pour mettre au point un vaccin avec le soutien d’une entreprise chinoise et en partenariat avec l’académie chinoise des sciences médicales militaires?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Nos relations avec la Chine sont très compliquées. Je remercie l’honorable sénateur de sa question et de son intérêt soutenu à l’égard de cet enjeu important des relations sino-canadiennes.

L’ensemble de la communauté internationale s’emploie à trouver un vaccin pour faire face à cette pandémie mondiale. Il serait irresponsable pour le Canada — ou pour tout autre pays — de ne pas s’intéresser aux efforts déployés par d’autres pays pour mettre au point des vaccins prometteurs, qu’il vaut la peine d’examiner et de tester.

Le gouvernement du Canada et les agences responsables de ces questions à l’échelle fédérale collaborent avec de nombreux laboratoires et pays, ainsi qu’avec l’éminent milieu de la recherche canadien pour veiller à ce que les protocoles liés aux tests et aux évaluations soient conformes aux normes les plus élevées afin de protéger la santé des Canadiens.

(1120)

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, le gouvernement Trudeau ne cesse de dire à quel point les relations entre le Canada et la Chine sont compliquées. En réalité, la relation semble très compliquée pour le gouvernement, mais elle est très simple pour les Canadiens. La Chine ne respecte ni la démocratie ni les droits de la personne, ni la primauté du droit, mais nous, oui.

Monsieur le leader du gouvernement, le gouvernement prétend être très préoccupé par les Canadiens d’origine chinoise qui sont victimes de racisme et d’intimidation en cette ère de COVID-19. Toutefois, vous semblez moins inquiet quand ce sont des émissaires de Pékin qui sont à l’origine de cette intimidation, voire de cette violence, qui ciblent des militants pro-démocratie d’origine chinoise ici même au Canada. La semaine dernière, CBC/Radio-Canada, le radiodiffuseur d’État, s’en est pris au Epoch Times, un organe de presse indépendant dirigé par des Canadiens pro-démocratie d’origine chinoise. Est-ce que le gouvernement et vous comptez condamner ce geste?

Le sénateur Gold : Tout cas de harcèlement et d’intimidation au Canada est profondément troublant et devrait l’être pour tous les Canadiens. Le gouvernement prend très au sérieux le fait que des agents étrangers commettent de tels actes au pays.

Au titre des lois internationales et des lois canadiennes, tous les représentants étrangers qui se trouvent au pays, y compris les représentants chinois, ont la responsabilité et le devoir de respecter les lois et les règlements du Canada. Le gouvernement saisira toutes les occasions pour demander à la Chine d’honorer ses obligations internationales, y compris de respecter l’attachement des Canadiens à la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de religion et la liberté de croyance.

Les affaires autochtones et du Nord

Le soutien aux femmes et aux enfants victimes de violence

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, la sénatrice Boyer et moi-même avons une question pour le représentant du gouvernement.

La violence faite aux femmes autochtones dans notre pays a été documentée en détail dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, lancée à la demande du gouvernement fédéral et dont le rapport a été rendu public il y a près d’un an.

Le cycle de la violence qui se perpétue de génération en génération à la suite du traumatisme des pensionnats et des mesures législatives coloniales axées sur la coercition n’est un secret pour personne aujourd’hui. Nous savons que la pandémie de COVID-19 a augmenté les risques pour des populations qui étaient déjà vulnérables. Le gouvernement a promis de mettre en œuvre un plan d’action pour donner suite à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées d’ici le mois de juin.

Sénateur Gold, compte tenu des pressions occasionnées par la pandémie de COVID-19, quelles mesures additionnelles le gouvernement mettra-t-il en œuvre?

De plus, le gouvernement agira-t-il plus rapidement étant donné la gravité de la situation dans laquelle de nombreuses femmes et de nombreux enfants autochtones se trouvent?

Finalement, quand verrons-nous le plan d’action qui a été promis? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie toutes les deux de cette question. Elle porte sur un enjeu important que le gouvernement prend au sérieux.

Le gouvernement m’a assuré qu’il demeure déterminé à faire tout en son pouvoir pour mettre un terme à la tragédie nationale des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées. Si j’ai bien compris, le gouvernement collabore avec des organisations autochtones et les administrations provinciales et territoriales pour élaborer le plan d’action national dont vous avez fait mention, lequel établira une feuille de route pour faire cesser la violence systématique contre les femmes et les filles autochtones, les membres de la communauté LGBTQ2 et les personnes bispirituelles et pour s’attaquer aux causes systémiques qui en sont à l’origine.

Cette tâche demeure prioritaire pour le gouvernement. Cependant, comme vous le savez et comme vous l’avez signalé, au cours des dernières semaines, le gouvernement s’est plutôt employé à ralentir et stopper la propagation de la COVID-19 au Canada et en particulier dans les communautés autochtones. Il a veillé à ce que ces communautés reçoivent l’appui dont elles ont besoin parce qu’un grand nombre d’entre elles — étant donné leur éloignement des grands centres — sont particulièrement vulnérables à la transmission communautaire si elles sont exposées au coronavirus.

Dans le cadre de cet engagement, le gouvernement investit 50 millions de dollars pour appuyer les refuges et les centres qui accueillent des femmes et des enfants qui fuient la violence. Cet investissement comprend un financement ciblé pour des établissements au service des communautés autochtones.

Par ailleurs, je ne sais pas exactement quand le plan d’action sera prêt. Je vais me renseigner. Je ne veux pas m’avancer. Tout ce que je peux dire c’est que, pour l’instant, le gouvernement se concentre naturellement sur les répercussions de la pandémie sur ces communautés.

La santé

La collecte de données désagrégées selon la race—Les disparités économiques

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat et elle comporte deux volets. Je pose le premier en collaboration avec la sénatrice Bernard.

En raison de problèmes de santé préexistants et de nombreux écarts entre les déterminants sociaux de la santé, mais aussi parce que le virus est particulièrement présent dans les milieux de travail dits essentiels, les Afro-Canadiens sont plus touchés que les autres par la COVID-19. Personnalités publiques, chercheurs et organismes en tous genres, dont les Nations unies et l’Institut canadien d’information sur la santé, réclament depuis longtemps que le Canada recueille des données désagrégées selon la race, qui peuvent servir à l’élaboration d’à peu près toutes les politiques, de la santé à l’emploi en passant par le logement et l’éducation.

L’Ontario, le Manitoba et le Québec peuvent déjà compter sur des organismes dans le domaine de la santé qui recueillent chacun de leur côté des données désagrégées selon la race, aidant ainsi les autorités publiques à mieux adapter leurs services selon les besoins des membres les plus démunis de la population noire et à mieux saisir à quel point la pandémie actuelle a eu des conséquences dévastatrices sur eux. S’abstenir de recueillir ce type de données équivaut à de la discrimination systémique.

De son côté, la ministre Hajdu a dit cette semaine que le temps est venu de laisser tomber les lignes directrices pour faire place aux normes et elle a sollicité la collaboration des autorités provinciales et territoriales en ce sens. Je félicite le gouvernement d’avoir adopté cette position, car il montre ainsi qu’il est conscient que, depuis des dizaines d’années, nous assistons à l’érosion des filets sociaux, économiques et sanitaires et qu’il faut remédier à la situation.

Comme nous en avons tous été témoins depuis le début de la pandémie, de trop nombreux Canadiens se sont retrouvés quasi instantanément en position de vulnérabilité, alors que de trop nombreux proches aidants ont dû se débrouiller tout seuls pour survivre tout en continuant de prodiguer des services on ne peut plus essentiels.

Voici les deux questions auxquelles j’aimerais que vous répondiez : primo, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas demandé dès le début de la pandémie, c’est-à-dire dès que l’on a commencé à recueillir des données, que celles-ci soient désagrégées selon la race et quand a-t-il l’intention d’ordonner la collecte de ce type de données dans l’ensemble du pays?

Secundo, que fera le gouvernement pour se doter, en collaboration avec les provinces et les territoires, des normes nationales que nous savons tous désormais être nécessaires afin que tous les Canadiens disposent des ressources requises pour assurer leur bien-être et répondre à tous leurs besoins économiques, sanitaires et sociaux, que ce soit dans le domaine de la santé, du logement, des services à l’enfance, aux aînés et aux personnes handicapées ou de la rémunération et des avantages sociaux? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de poser ces questions. Il n’y a pas de réponse simple et unique à ces questions, qui comportent beaucoup d’éléments. Permettez-moi de commencer par la dernière des deux.

Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a constamment collaboré avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans tous les domaines touchés par la crise qui nous frappe. On m’informe qu’il discute avec les provinces et les territoires de la situation tragique dans laquelle se trouvent les personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée. Cette situation revêt une importance particulière pour nous tous, et en particulier pour moi, qui viens de la province de Québec, très durement touchée à ce chapitre.

Comme nous le savons, la Loi canadienne sur la santé ne s’applique pas aux soins de longue durée. Je ne doute pas qu’il s’agisse d’un sujet qui fait l’objet de discussions intensives entre les homologues fédéral, provinciaux et territoriaux. Toutefois, je ne sais pas vraiment ce qui ressortira de ces consultations. Bien que la question soit importante et opportune, il est trop tôt pour avoir des réponses, les discussions étant en cours.

En ce qui concerne votre première question, j’ai été en contact avec la sénatrice Bernard à ce sujet. Il est clair que le fait de conserver une image précise et claire de la situation dans nos communautés est essentiel du point de vue de la santé publique. Le gouvernement reconnaît que certaines populations, notamment les Afro-Canadiens et les communautés autochtones, pourraient très bien être touchées de façon disproportionnée par la COVID-19 et cela semble être le cas.

(1130)

Le gouvernement reconnaît en outre la valeur ajoutée qu’apporteraient des données précises et ventilées pour soutenir toutes les communautés au Canada. On m’informe que Statistique Canada coordonne les efforts qu’il déploie avec les provinces et les territoires pour combler toute lacune dans les données, y compris celles-ci.

Mon personnel a travaillé avec celui de la sénatrice Bernard pour organiser une rencontre avec la ministre de la Santé afin de lui faire part directement des considérations et des préoccupations importantes de la sénatrice.

[Français]

L’emploi, le développement de la main-d’œuvre et le travail

Les niveaux d’emploi

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le nombre de chômeurs au Canada a atteint des niveaux records la semaine dernière. Depuis le début de la pandémie, le nombre de Canadiens sans emploi a augmenté de 1,285 million de personnes. Quand cette crise sera terminée, la situation de l’emploi au Canada aura complètement changé. En plus de distribuer des chèques de compensation, tout gouvernement sérieux devrait avoir une vision du marché de l’emploi pour les prochaines années qui tient compte de la disparition de nombreuses entreprises et de commerces.

L’immigration a été, depuis plusieurs années, une ressource importante pour remédier au manque de main-d’œuvre au pays, mais, dorénavant, il n’y aura probablement pas assez d’emplois pour ceux et celles qui veulent venir travailler ici. Est-ce que votre premier ministre a l’intention de revoir les programmes d’accueil en matière d’immigration afin de donner une chance aux chômeurs d’ici de retourner sur le marché du travail?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le Canada a été édifié — et demeure un pays prospère — grâce à la contribution de tous les Canadiens, y compris les Autochtones, les nations fondatrices et les immigrants. Pour le moment, en pleine crise économique et sanitaire, le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour aider les Canadiens et l’économie canadienne. C’est une période sans précédent dans notre histoire. Il est beaucoup trop tôt pour prédire les changements structurels que subira notre économie dans les mois et les années à venir. Je n’ai aucune information quant à une décision du gouvernement de revoir les taux d’immigration. Toutefois, comme les sénateurs et les sénatrices doivent le savoir, le gouvernement révise régulièrement ses chiffres et ses attentes en ce qui concerne l’immigration, tout en tenant compte des besoins des Canadiens et de la croissance économique et sociétale. Le gouvernement continuera donc dans cette voie.

Le sénateur Dagenais : Est-ce que je dois comprendre que vous me dites, sénateur Gold, que le gouvernement, pour l’instant, n’a pas de vision pour l’avenir en ce qui concerne les emplois pour les Canadiens et Canadiennes?

Le sénateur Gold : Avec respect, pas tout à fait. Chaque gouvernement a le défi de faire ce qu’il doit faire face aux enjeux et aux problèmes actuels en proposant une vision pour l’avenir. Ce n’est pas le cas uniquement pendant une pandémie; c’est toujours le cas, et c’est ce que fait le gouvernement actuel. Toutefois, il faut admettre que, dans cette période sans précédent où des millions de Canadiens et Canadiennes souffrent, le gouvernement doit mettre l’accent sur l’aide qu’il peut leur apporter. Il doit aider les entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes, afin que, une fois cette période terminée, nous puissions profiter d’une économie et d’une société saines et robustes. Nous avons une vision pour l’avenir, mais il faut dire qu’en pleine crise, les détails de cette vision ne sont pas toujours faciles à dessiner.

[Traduction]

La famille, les enfants et le développement social

La santé et le bien-être des enfants

L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, je croyais que j’allais suivre la sénatrice Moodie sur la question concernant les enfants — mais pourquoi pas? Nous voilà vendredi. C’est bien que des sénateurs se réunissent tous les deux vendredis. J’ai une question sérieuse à poser à propos des enfants du Canada.

La sénatrice Moodie et moi avons travaillé très fort pour donner suite à un rapport du Sénat où on recommandait la création d’un commissariat aux enfants, une proposition qui semble avoir été abandonnée. Il y a eu des rapports de sénateurs — la sénatrice Andreychuk, entre autres — et de députés qui réclamaient un commissaire aux enfants. Jamais la pertinence d’un tel poste n’a été aussi évidente que maintenant, en pleine pandémie. Nous avons un grave problème de violence familiale envers les enfants.

Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Un demi-million d’enfants au pays vivent dans la pauvreté et la pandémie intensifiera probablement les difficultés des familles dans cette situation. Par surcroît, la routine scolaire des familles est interrompue et les effets de la distanciation sociale se font sentir. Beaucoup d’enfants ne peuvent pas aller dehors et jouer comme ils en ont l’habitude, ce qui entraîne aussi des problèmes de santé mentale.

Je salue le gouvernement d’avoir accordé un financement à Jeunesse, J’écoute. Toute aide est utile, mais il semble qu’on n’en fait pas assez. Beaucoup d’organismes de bienfaisance, d’hôpitaux et d’organisations de première ligne utilisent déjà leurs ressources au maximum tandis que la demande pour leurs services augmente. Le gouvernement a-t-il l’intention de financer d’autres groupes maintenant? J’ai une brève question complémentaire à poser.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour votre question, et j’en profite pour saluer vos efforts constants en faveur de cette cause importante. Le gouvernement continue d’évaluer les programmes qu’il a mis en place et s’est montré prêt à réajuster le tir là où on constate certaines lacunes. Cela étant dit, plusieurs programmes mis sur pied par le gouvernement profitent de manière directe et indirecte aux enfants, notamment les enfants dont la famille connaît des difficultés économiques ou de la violence conjugale. Comme vous le savez, des fonds ont été alloués aux refuges. De plus — et c’est tout aussi important —, le financement accordé aux personnes qui ont perdu leur emploi permet aux familles de continuer à se débrouiller, à payer l’épicerie et le loyer. Ces mesures sont donc avantageuses pour chaque famille et chaque enfant dans le besoin.

Pour revenir à votre question, le gouvernement continue de chercher des façons d’aider les membres les plus vulnérables de notre société et continue d’examiner soigneusement ses programmes pour y déceler d’éventuelles lacunes.

Le sénateur Munson : J’ai une brève question complémentaire. Récemment, Sara Austin, une défenseure des enfants et la fondatrice et PDG de l’organisme Les enfants d’abord Canada, a dit ceci :

Nous savons qu’un grand nombre d’enfants dont la famille vit déjà dans la pauvreté subissent les répercussions des pertes d’emploi. Les pressions économiques que subissent les parents et les familles mettent en péril la sécurité alimentaire des enfants et nuisent énormément à leur santé mentale et à leur bien-être.

Je pense que c’est le point sur lequel nous devons nous concentrer aujourd’hui. En ce qui concerne les enfants vulnérables, les enfants autistes et les enfants ayant une déficience intellectuelle, j’ai été heureux de voir que la ministre Qualtrough avait inclus un représentant de la communauté autistique dans son conseil consultatif après avoir comparu ici. La communauté autistique n’était pas représentée, mais maintenant, elle l’est.

Sénateur Gold, à votre connaissance, le gouvernement prévoit-il annoncer des plans précis pour prendre soin de tous les enfants du Canada pendant cette crise?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas au courant de programmes précis en cours d’élaboration. En tant que Canadiens, nous recevons régulièrement des annonces du gouvernement. Je répète que le gouvernement reste déterminé à mettre en place des programmes qui répondent aux besoins des plus vulnérables. Je suivrai ce dossier avec intérêt pour voir quelles autres annonces pourraient être faites.

[Français]

La justice

L’aide médicale à mourir

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le délai accordé au gouvernement pour présenter un nouveau projet de loi à la suite de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon a été prolongé jusqu’au 11 juillet. Or, comme vous le savez, il est très peu probable que le Parlement reprenne ses activités régulières avant l’automne.

(1140)

Ma question est donc la suivante : le gouvernement a-t-il demandé une prolongation à la Cour supérieure en raison de la pandémie? Sinon, comment entend-il procéder?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Selon les renseignements dont je dispose, le gouvernement n’a pas demandé de prolongation jusqu’à maintenant. Cependant, je partage l’opinion de l’honorable sénateur selon laquelle il est fort probable que le gouvernement soit obligé d’en demander une à la cour, puisque le Parlement ne siège pas de façon régulière et que le projet de loi doit faire l’objet d’un débat. C’est un enjeu extrêmement important, délicat et controversé. Dès que je connaîtrai les prochaines étapes, j’en informerai les honorables sénateurs et la Chambre.

Le sénateur Carignan : Merci de votre réponse. Évidemment, cette question touche de nombreux Canadiens et Canadiennes dans leurs valeurs profondes. Je suis d’accord avec vous pour dire que c’est important.

Pouvez-vous nous assurer que le gouvernement débattra de ce projet de loi devant un Parlement qui siège de façon régulière et non pas devant une assemblée qui fonctionne à effectifs réduits?

Le sénateur Gold : Les Canadiens, les Canadiennes et le Parlement du Canada ont le devoir de traiter ce projet de loi avec diligence et sérieux. Je m’opposerai à une approche qui ferait en sorte qu’on traite ce projet de loi d’une façon —

[Traduction]

...qui est tout sauf complète.

[Français]

Excusez-moi, j’en ai perdu mon français.

Il est important que cela soit discuté, débattu et étudié dans les deux Chambres du Parlement avec diligence, comme on l’a fait récemment; le Sénat a bien répondu aux attentes constitutionnelles, il a fait son travail et il doit continuer à le faire.

Son Honneur le Président : Il nous reste une minute.

Les finances

Le Plan d’intervention économique pour répondre à la COVID-19

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Avant la crise de la COVID-19, le programme des prêts de la Banque de développement du Canada excluait les entreprises qui offrent des services sexuels. Or, étrangement, ces exclusions ont tout simplement disparu des critères d’admissibilité au Programme de crédit aux entreprises, mis sur pied pour faire face à la crise de la COVID-19. Ma question est la suivante : est-ce que cela veut dire que les programmes gouvernementaux autorisent les banques à consentir des prêts ou même des prêts sans intérêt à des entreprises de pornographie ou à des salons de massage, où des clients peuvent acheter des services sexuels, et ce, au moment même où des groupes, notamment la CLES, à Montréal, mais aussi le London Abused Women’s Centre, subissent des coupes et ne peuvent offrir de programmes pour continuer d’aider les femmes à sortir de la prostitution? Tout cela me semble paradoxal.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Comme je l’ai déjà mentionné au sénateur Plett, c’est un enjeu qui préoccupe le gouvernement. Les décisions des banques sont prises par les banques elles-mêmes, mais ce n’est pas cela que je voulais dire. Ce que je veux dire, c’est que le gouvernement prend au sérieux cet enjeu et qu’il continuera à travailler pour faire en sorte que les programmes visés ou dirigés vers les plus vulnérables soient appliqués de façon appropriée.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Conformément à l’ordre adopté plus tôt aujourd’hui, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier sur la teneur du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait. L’honorable sénatrice Ringuette présidera le comité.

La Loi sur la Commission canadienne du lait

Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

L’ordre du jour appelle :

Le Sénat en comité plénier afin de recevoir l’honorable Marie-Claude Bibeau, c.p., députée, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, accompagnée de deux fonctionnaires, relativement à la teneur du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait.

(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable Pierrette Ringuette.)


La présidente : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait.

Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidente, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises. Cependant, tel qu’ordonné plus tôt aujourd’hui, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur. Comme l’a ordonné le Sénat, le comité accueillera la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire. Je l’invite maintenant à entrer, accompagnée de ses fonctionnaires.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable Marie-Claude Bibeau et les fonctionnaires qui l’accompagnent prennent place dans la salle du Sénat.)

[Français]

La présidente : Madame la ministre, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes.

L’honorable Marie-Claude Bibeau, c.p., députée, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire : Merci, madame la présidente. Je suis accompagnée de M. Chris Forbes, sous-ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, et de Mme France Pégeot, première vice-présidente de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

Merci, honorables sénateurs, de me recevoir aujourd’hui.

Je suis heureuse de présenter ce projet de loi qui propose une modification à la Loi sur la Commission canadienne du lait. C’est avec empressement que je vous invite, honorables sénateurs, à l’appuyer également. C’est une mesure dont le secteur laitier canadien a besoin. Elle fait partie de l’ensemble des mesures annoncées par le premier ministre la semaine dernière pour répondre aux besoins urgents des producteurs agricoles et des transformateurs alimentaires canadiens durant cette période difficile.

La pandémie de la COVID-19 a des répercussions énormes sur notre industrie laitière, qui est un pilier de la vitalité de nos communautés rurales. Elle stimule notre économie en générant des milliards de dollars de revenus et en soutenant des dizaines de milliers d’emplois.

Au cours des deux premières semaines de la crise, lorsque les mesures de distanciation sociale ont été imposées, la demande de lait liquide a augmenté subitement, puis elle a diminué tout aussi rapidement quand les familles canadiennes ont fait leurs provisions. Puis, avec la fermeture des écoles, de nombreux restaurants et d’entreprises de l’industrie hôtelière, la demande de produits laitiers a encore diminué, surtout en ce qui concerne le fromage et la crème.

Les Producteurs laitiers du Canada ont déclaré n’avoir jamais vu une telle fluctuation de la demande d’une semaine à l’autre.

[Traduction]

Les vaches n’ont pas de robinet qu’on peut ouvrir ou fermer à volonté. La situation a créé des problèmes de logistique et des goulots d’étranglement dans toute la chaîne d’approvisionnement.

(1150)

L’industrie n’a ménagé aucun effort pour aligner la production sur la demande des consommateurs. Les offices de commercialisation provinciaux ont adopté des mesures pour réduire la production, y compris une diminution des quotas. Des producteurs et des transformateurs de l’industrie laitière ont fait de généreux dons de produits laitiers aux banques alimentaires partout au pays.

Malgré tous ces efforts, entre la fin du mois de mars et la première moitié du mois d’avril, les producteurs ont dû jeter le lait excédentaire dans leurs exploitations.

Honorables sénateurs, nous devons apporter notre contribution pour trouver une solution efficace à cette situation difficile. L’industrie s’est adressée au gouvernement et a demandé que la Commission canadienne du lait élargisse les programmes de stockage des produits laitiers qu’elle utilise pour établir un équilibre entre l’offre et les fluctuations de la demande.

[Français]

La Commission canadienne du lait achète directement des transformateurs des produits laitiers comme le beurre pour les écouler plus tard au cours de l’année, lorsque la demande reprend, pendant le temps des Fêtes, par exemple.

Avec ses capacités d’emprunt actuelles, la commission a déjà pu reprendre la maîtrise de la situation, mais il lui faudrait une plus grande marge de manœuvre pour continuer à répondre aux besoins de l’industrie, notamment en achetant aussi du fromage, comme elle le fait pour le beurre.

Ainsi, je vous demande d’appuyer ce projet de loi qui vise à modifier la Loi sur la Commission canadienne du lait pour faire passer sa capacité d’emprunt de 300 à 500 millions de dollars.

[Traduction]

J’exhorte les honorables sénateurs à appuyer ce projet de loi, qui vise à modifier la Loi sur la Commission canadienne du lait pour faire passer sa capacité d’emprunt de 300 millions de dollars à 500 millions de dollars.

Cette mesure répond directement aux recommandations faites par l’industrie pour résoudre cette crise. Les Producteurs laitiers du Canada ont accueilli favorablement cette mesure visant à renforcer efficacement notre chaîne d’approvisionnement alimentaire. C’est une autre preuve du soutien du gouvernement au système de gestion de l’offre du Canada, un modèle de stabilité qui permet à nos entreprises agricoles de se développer et de prospérer depuis près de 50 ans déjà.

Ces dernières années, nombre de producteurs m’ont reçue dans leur exploitation agricole, dans leur fromagerie ou dans leur usine de transformation pour me parler de leur métier, de leurs réalisations et de leurs aspirations pour l’avenir.

[Français]

Ils ont gagné depuis longtemps mon admiration, et je sais que nous avons tous leur bien-être à cœur. Alors, soutenons-les. Allons de l’avant avec ce projet de loi. Tandis que nous commençons à relancer l’économie, continuons à travailler avec l’industrie, les provinces et les territoires pour soutenir toutes les entreprises agricoles et agroalimentaires au Canada. Merci.

La présidente : Merci, madame la ministre.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame la ministre, merci d’être ici ce matin. Je tiens à vous assurer que le Parti conservateur du Canada, tant à la Chambre des communes qu’ici au Sénat, appuie pleinement le projet de loi. Nous sommes d’avis qu’il est nécessaire. Il n’est pas allé assez loin, mais je vous assure que vous avez notre appui concernant le projet de loi.

Je comprends que le projet de loi C-16 aidera la Commission canadienne du lait à entreposer temporairement les produits laitiers, mais il y a d’autres problèmes auxquels le secteur est confronté et qui méritent votre attention. L’industrie laitière dit avoir été induite en erreur par votre gouvernement concernant la date de mise en œuvre du nouvel ALENA. Votre gouvernement lui a promis qu’il n’entrerait en vigueur qu’après le 1er août. Il n’a pas tenu parole, et l’accord entrera en vigueur le 1er juillet, ce qui entraînera des pertes évaluées à 100 millions de dollars pour l’industrie laitière canadienne.

Madame la ministre, on nous dit maintenant que le premier ministre a promis d’indemniser l’industrie laitière pour la mise en œuvre précoce de l’accord. Combien allez-vous accorder à l’industrie laitière pour avoir rompu la promesse que vous lui avez faite, ce qui lui coûtera 100 millions de dollars? Allez-vous lui accorder des miettes comme vous l’avez fait à l’ensemble du secteur agricole la semaine dernière et même avec le projet de loi aujourd’hui, ou allez-vous lui offrir une compensation équitable?

Mme Bibeau : Je vous remercie, sénateur, et je tiens à vous remercier tous d’appuyer la modification apportée dans la présente mesure législative. Votre appui est important, et je vous en sais gré.

Nous n’avons pas fixé une date définitive pour la mise en œuvre du nouvel ALENA. En tant qu’Équipe Canada, nous avons travaillé très fort avec beaucoup de nos partenaires de l’industrie et des provinces partout au pays afin d’obtenir le meilleur accord pour l’ensemble de l’économie canadienne. Cet accord entrera en vigueur au mois de juillet.

Pour ce qui est de l’indemnisation, nous nous sommes engagés à verser 1,75 milliard de dollars au secteur laitier sur huit ans en vue d’indemniser ses travailleurs pour l’accord de libre-échange avec l’Europe et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. Le processus d’indemnisation est déjà en cours. Les travailleurs ont reçu leur premier versement, et nous poursuivrons nos discussions avec eux maintenant que l’Accord Canada—États-Unis—Mexique est sur le point d’être ratifié.

Le sénateur Plett : Avez-vous dit 1,75 million de dollars ou 1,75 milliard de dollars?

Mme Bibeau : Milliard.

Le sénateur Plett : Merci, madame la ministre. Je veux également aborder avec vous la question des contingents tarifaires pour les producteurs laitiers, ainsi que l’importance de s’assurer qu’ils avantagent surtout les producteurs et les transformateurs laitiers qui ont souffert davantage des récents accords commerciaux internationaux que les détaillants ou les distributeurs. Comme vous le savez, madame la ministre, on a suspendu l’examen par Affaires mondiales Canada de l’administration des contingents tarifaires pour les producteurs de lait, de volaille et d’œuf, ainsi que de leur allocation. Que ferez-vous pour garantir que les producteurs et les transformateurs laitiers sont ceux qui bénéficieront des contingents tarifaires? En terminant, madame la ministre, est-ce que la ministre Freeland vous a dit quand l’examen reprendra, et est-ce que vous l’avez informée que cela devrait se faire le plus tôt possible?

Mme Bibeau : Merci, monsieur le sénateur. En ce qui concerne les contingents tarifaires, je collabore étroitement avec la ministre Ng. De plus, je ne ménage aucun effort pour que les fonctionnaires du ministère dont je suis chargée et les parties prenantes de ce dossier puissent parler avec les responsables. Je peux vous assurer que nous défendons les intérêts des producteurs canadiens.

Le sénateur Plett : Pouvez-vous insister sur l’urgence de ce dossier auprès de la ministre Freeland?

Mme Bibeau : Bien sûr. Je peux le faire auprès des ministres Ng et Freeland.

Le sénateur Plett : Nous sommes aujourd’hui saisis d’une mesure législative modifiant une loi sur le secteur laitier. Toutefois, c’est le secteur agricole de tout le pays qui a été durement touché avant la pandémie et qui continue à l’être pendant la crise. Permettez-moi de parler quelques instants des producteurs de grains. Depuis environ un an, leur parcours est semé d’embuches : une grève du rail, des conditions météorologiques exécrables dans les provinces des Prairies pendant la période des récoltes — je crois qu’ils l’ont qualifié d’été infernal —, des barrages ferroviaires et une augmentation punitive du coût du séchage du grain à cause de la taxe sur le carbone imposée par le gouvernement actuel.

Si l’annonce que le gouvernement a faite la semaine dernière est évidemment insuffisante, il est carrément honteux que les producteurs de grains canadiens n’aient même pas été mentionnés. La pandémie de COVID-19 met ces entreprises agricoles en péril. Selon l’organisation Grain Farmers of Ontario, plus de la moitié des producteurs de grains ont déjà constaté une baisse des ventes, et un quart d’entre eux sont touchés par l’annulation ou le report de contrats existants. L’organisation a lancé une campagne publicitaire pour enfin réussir à attirer l’attention du gouvernement avant qu’il soit trop tard.

Madame la ministre, pouvez-vous expliquer pourquoi le gouvernement abandonne les producteurs de grains? Que ferez-vous pour répondre à leurs préoccupations? J’aimerais avoir une réponse précise, surtout à propos du financement des programmes de gestion des risques de l’entreprise.

Mme Bibeau : Merci, monsieur le sénateur. Parlons des programmes de gestion des risques de l’entreprise, qui comportent divers types de programmes. Certains procurent du soutien en cas de baisse des revenus. D’autres appuient les agriculteurs lorsqu’ils sont aux prises avec une hausse considérable des coûts. Il y a aussi des programmes pour les aider lorsqu’ils sont affectés par des catastrophes naturelles, ou encore, lorsqu’ils ont besoin d’aide pour économiser de l’argent en prévision d’une année difficile. Tous ces programmes sont à leur disposition et ils en retirent, pour une année moyenne, 1,6 milliard de dollars. Ces programmes sont conçus de manière à répondre à la demande. Par conséquent, la somme pourrait être plus élevée — peut-être même doublée — cette année, si cela était nécessaire.

Nous travaillons sans relâche pour ces programmes en collaboration avec nos homologues provinciaux. Comme vous le savez, ce sont des programmes à frais partagés dont 60 % des frais sont payés par le gouvernement fédéral et 40 %, par les provinces. Depuis que ces programmes ont été modifiés par l’ancien gouvernement, en 2013 — leur budget a été réduit d’environ 400 millions de dollars à l’époque —, il est plus difficile maintenant, en période de crise, d’obtenir le soutien de toutes les provinces quand on veut y apporter des changements importants.

(1200)

Cependant, ils existent, ils fonctionnent, et nous sommes prêts et disposés à les bonifier et à contribuer à certains programmes spéciaux pour soutenir les secteurs qui souffriront le plus à cause de la crise de la COVID-19. C’est ce que nous avons annoncé récemment.

Je donnerai l’exemple de la somme que contient le compte Agri-investissement du secteur céréalier; c’est le plus important. Je pense que la moyenne dépasse les 100 000 $. C’est important pour les exploitations céréalières. Je les encouragerais fortement à se servir de cet argent, dont 50 % ont été fournis par le gouvernement au fil des ans pour aider lors des années difficiles. Les exploitants ont aussi accès au Programme de paiements anticipés, et ils ont tous accès à un prêt pouvant aller jusqu’à 1 million de dollars, selon ce qu’ils produisent. La première tranche de 100 000 $ est sans intérêt; pour les producteurs de canola, les premiers 400 000 $ sont sans intérêt.

Les producteurs sont aussi admissibles au programme Agri-stabilité. Pour les aider, nous avons repoussé au 3 juillet la date limite pour présenter une demande. Dans les provinces qui y ont consenti, les agriculteurs peuvent rapidement obtenir un paiement anticipé allant jusqu’à 75 %; c’est soit 50 % ou 75 %, selon la province. Nous avons mis en ligne une calculatrice pour permettre aux agriculteurs d’estimer le montant auquel ils pourraient avoir droit. Avant de dire que cela ne fonctionne pas, je les invite à l’essayer, car certains ont été assez surpris de constater que le programme fonctionne. Je comprends qu’ils souhaitent qu’il soit plus généreux, mais ils peuvent obtenir de l’argent assez rapidement grâce à ces programmes, dès maintenant.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bienvenue, madame la ministre. Dans votre présentation, vous avez souligné que la hausse de ce plafond, de 300 millions de dollars à 500 millions de dollars pour la marge de crédit de la Commission canadienne du lait, lui donnait une plus grande marge de manœuvre, ce qui est souhaitable dans les circonstances.

Ma question se divise en deux parties. Dans un premier temps, j’aimerais savoir si les conditions d’emprunt, par conséquent, seront assouplies. Une plus grande marge de manœuvre pour la commission est un élément positif. Toutefois, pour les emprunteurs, y aura-t-il un assouplissement, compte tenu du contexte?

La deuxième partie de ma question concerne la consultation avec les provinces. Nous sommes, vous et moi, originaires du Québec. Les intérêts de l’industrie laitière du Québec, plus grand producteur laitier au Canada, sont à l’avant-plan. Comment la consultation avec les provinces s’est-elle déroulée? Quels constats en avez-vous tiré?

Mme Bibeau : Merci, madame la sénatrice, de votre question. La Commission canadienne du lait devra emprunter pour pouvoir acheter. Elle le faisait pour le beurre, et elle pourra désormais acheter plus de beurre et de fromage, entreposer ces produits, puis les revendre à ceux à qui elle les avait achetés. Cette mesure donnera une plus grande marge de manœuvre et plus de liquidités aux transformateurs. C’est ainsi que les marges sont gérées. Les conditions d’emprunt ne s’appliquent pas en termes d’intérêt. Les produits sont achetés puis revendus aux transformateurs au même prix. Voilà en quoi consiste l’entente.

La sénatrice Saint-Germain : Qu’en est-il des consultations auprès des provinces?

Mme Bibeau : Tout s’est bien déroulé. La demande de la Commission canadienne du lait a fait l’unanimité. Qu’il s’agisse de la commission, des provinces ou de l’industrie, toutes les parties ont affirmé que c’était ce dont elles avaient besoin.

La sénatrice Saint-Germain : J’ai posé des questions qui suscitaient des réponses courtes, parce que je souhaite laisser le reste de mon temps de parole au sénateur Boehm.

Mme Bibeau : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Boehm : Merci beaucoup, madame la ministre. C’est un plaisir de vous voir. Merci à vos talentueux sous-ministres d’être ici également.

Je m’interroge au sujet de l’aide accordée aux producteurs laitiers et de la manière dont cette aide s’inscrit dans la question plus générale des accords commerciaux internationaux.

Les trois accords consécutifs qui ont été conclus, à savoir l’AECG, le PTPGP et l’ACEUM, aussi appelé le nouvel ALENA, ont accordé aux producteurs étrangers un accès modérément accru à notre marché intérieur tout en nous permettant de conserver notre système de gestion de l’offre. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. À cela s’ajoutent deux autres problèmes pour les producteurs laitiers : la date de mise en œuvre de l’ACEUM et la baisse de la demande créant une offre excédentaire en raison de la crise de la COVID-19.

Au titre du Programme de paiements directs pour les producteurs laitiers, le gouvernement fédéral a promis de verser 1,75 milliard de dollars aux 11 000 producteurs de lait de vache soumis à la gestion de l’offre afin de les compenser pour la perte d’une part de marché engendrée par l’AECG et le PTPGP ainsi que celle qu’ils subiront après la mise en œuvre de l’ACEUM. Tous les producteurs de lait de vache qui ont présenté une demande d’indemnisation avant le 13 décembre dernier ont reçu leurs paiements avant le 31 décembre, et la somme totale qui leur a été versée pour la première série de paiements est de 345 millions de dollars. Cela leur a été très utile, surtout dans le contexte des accords commerciaux. La Commission canadienne du lait et l’industrie laitière sont toutes deux favorables à la modification de la Loi sur la Commission canadienne du lait visant à faire passer le plafond des prêts consentis de 300 millions à 500 millions de dollars comme moyen de s’attaquer directement aux conséquences de la pandémie.

La prochaine série de paiements d’indemnisation promis aux termes du Programme de paiements directs pour les producteurs laitiers aura-t-elle lieu comme prévu en dépit de la crise? Le cas échéant, dans combien de temps les producteurs laitiers recevront-ils l’argent, et à quelles autres mesures de soutien l’industrie laitière du Canada peut-elle s’attendre?

Mme Bibeau : Comme vous le dites si bien, nous nous sommes engagés très clairement à offrir une indemnisation pour les concessions faites dans l’AECG et le PTPGP, soit une somme totale de 1,75 milliard de dollars, dont 340 millions ont déjà été versés.

À l’heure actuelle, nous concentrons nos efforts sur un soutien d’urgence plus large à tous les secteurs de l’agriculture, mais nous demeurons résolus à indemniser les producteurs laitiers, avicoles et agricoles pour les concessions faites dans les trois accords de libre-échange. Il est un peu trop tôt pour révéler plus de détails, mais sachez que notre engagement demeure ferme.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Madame la ministre, merci d’être avec nous aujourd’hui. Si je comprends bien, grâce à ce projet de loi, la Commission canadienne du lait pourra subventionner les transformateurs pour leur permettre de stocker les surplus de lait sous forme de fromage. Toutefois, est-ce qu’il ne s’agit pas là d’une solution à très court terme? Quand la crise sera passée, il y aura toujours autant de lait sur le marché. Comme vous l’avez dit, on ne peut pas fermer une vache comme un robinet. Or, nous devrons écouler tous ces fromages. Vous le savez, ces fromages sont fabriqués en grande partie au Québec, et on vend de moins en moins de fromages fins. Que fera-t-on de tous ces fromages supplémentaires et de tous ces surplus de lait pendant que les fermes continueront d’en produire autant? Il me semble que les surplus seront ingérables.

Mme Bibeau : Merci, madame la sénatrice. Il ne s’agit pas tout à fait de subventions, mais plutôt de permettre aux entreprises de mieux gérer leurs stocks et leurs liquidités, car on achètera les produits au même prix qu’on les revendra le moment venu. On ne peut pas diminuer ou augmenter la production laitière du jour au lendemain. Cet ajustement doit se faire sur quelques semaines au gré des troupeaux. C’est justement la beauté du système de gestion de l’offre. Comme la Commission canadienne du lait est une organisation forte, organisée, structurée et expérimentée, elle sera en mesure de se réorganiser et de faire en sorte que l’offre réponde à la demande au cours des prochains mois. La plus grande disponibilité des fonds lui donnera le temps d’ajuster sa production en fonction de la nouvelle réalité.

(1210)

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question complémentaire à celle du sénateur Boehm. Les producteurs de lait du Québec à qui j’ai parlé sont anxieux, ils vivent beaucoup grâce à leur marge de crédit, et certains d’entre eux ont peur de contracter la COVID-19 parce qu’ils n’ont pas forcément quelqu’un pour les remplacer à la ferme. Ils subissent un double choc, soit celui de la COVID-19 et l’entrée en vigueur de l’ACEUM, le 1er juillet.

Pouvez-vous leur dire à quel moment ils recevront la deuxième tranche d’aide financière liée aux accords de libre-échange? Ils m’ont demandé de vous poser la question et je vous la pose, car les producteurs ont besoin de certitude en ce moment.

Mme Bibeau : Je comprends très bien votre intervention, et je suis moi aussi en contact constant avec ces producteurs. J’habite un comté qui compte près de 500 producteurs laitiers. Je comprends leur anxiété, et la santé mentale de nos producteurs me préoccupe pour l’ensemble du secteur en général. L’aide en matière de santé est de compétence provinciale, mais, par le truchement de Financement agricole Canada, on a mis en place certains programmes pour essayer de les aider à gérer ce stress.

Pour répondre précisément à votre question, je n’ai pas de date à vous donner pour l’instant. Comme je l’ai dit au sénateur Boehm, en ce moment, tous nos efforts sont consacrés aux programmes d’urgence. Nous essayons de mettre en place des programmes très vastes qui pourront aider le maximum de gens qui ont perdu leur emploi ou leurs revenus, des programmes qui permettront d’aider le maximum d’entreprises, les petites, les moyennes et les grandes. Ensuite, nous procéderons par secteur. Dans le secteur de l’agriculture, il y a déjà des programmes de gestion de risque, que nous sommes prêts à compléter et à bonifier, au besoin.

Ainsi, mon message aux producteurs, c’est de leur recommander d’utiliser au maximum les programmes existants, comme Agri-investissement, dont j’ai parlé plus tôt. Le secteur laitier a la chance d’avoir une organisation aussi solide que la Commission canadienne du lait pour l’aider à gérer les défis et à ajuster la production.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie, madame la ministre.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Je vais partager mon temps de parole avec le sénateur Dagenais et le sénateur White, s’il reste assez de temps.

Madame la ministre, comme je l’ai mentionné dans cette enceinte au cours des dernières semaines, beaucoup de villages et de collectivités rurales ne pourront pas tenir des foires et des expositions agricoles cette année comme elles le feraient en temps normal. Ma propre société agricole, celle de Fergus, en Ontario, qui est vieille de 183 ans, ne tiendra pas de foire en 2020. Selon l’Association canadienne des foires et expositions, le fait de sauter une année entraînera des difficultés financières telles que l’on s’attend à ce qu’une foire agricole sur dix disparaisse définitivement et que l’avenir est incertain pour cinq foires sur dix.

Ces événements sont des moteurs économiques importants dans les collectivités agricoles et rurales, et elles représentent 2,9 milliards de dollars par année dans le PIB du Canada. Le gouvernement envisage-t-il d’offrir de l’aide à cette industrie, comme un fonds de stabilisation financière pour les foires, les expositions et les sociétés agricoles?

Mme Bibeau : Merci, sénateur. Dans ma circonscription, qui compte 36 municipalités, il y a aussi de nombreuses expositions. Hatley préparait une grande exposition cette année pour le 150e anniversaire.

L’aide pour les expositions est plutôt du ressort du ministère du Patrimoine, par le volet tourisme, voire le volet culture, selon les occasions qui se présentent lorsqu’un anniversaire du genre est souligné. Pour l’heure, je leur suggérerais surtout d’accéder aux mesures d’aide générales pour les ONG que nous avons annoncées. Certains programmes de Patrimoine Canada pourraient peut-être aussi leur venir en aide.

Ceux qui devaient déjà recevoir des fonds cette année ont pu s’en servir pour couvrir certaines dépenses exceptionnelles entraînées par la COVID-19.

Le sénateur R. Black : Un sondage mené auprès des producteurs de grains récemment indiquait que 61 % d’entre eux craignaient de ne pas pouvoir traverser la crise, alors que 55 % affirmaient qu’ils ne feraient aucun profit ou qu’ils perdraient de l’argent et que 84 % étaient d’avis que leur marge de profit serait plus basse que d’habitude.

Le gouvernement entend-il apporter des changements à la série de programmes de gestion des risques afin de mettre en place le filet de sécurité que demandent les agriculteurs, qui ont commencé les semences et qui ne savent pas s’ils auront un marché pour écouler leurs récoltes?

Mme Bibeau : Merci. Les programmes de gestion des risques de l’entreprise sont là et prêts à apporter un secours. Je suis consciente que les agriculteurs aimeraient une aide plus généreuse. Toutefois, je les encourage fortement à présenter une demande. Ils peuvent se servir de l’estimateur en ligne pour calculer, moyennant un certain effort de leur part, combien ils pourraient obtenir par l’entremise d’Agri-stabilité. Nul besoin de connaître les chiffres définitifs de 2019. Ils peuvent saisir leur meilleure estimation et découvrir combien ils pourraient obtenir. Ils peuvent également essayer différents scénarios et demander une avance, qui peut atteindre jusqu’à 75 % du paiement final, selon leur province.

Je dirais que c’est la première étape. Évidemment, j’encourage les agriculteurs qui ont des fonds dans leur compte Agri-investissement à les utiliser. En ce moment, environ 2,3 milliards de dollars sont disponibles dans le cadre d’Agri-investissement au pays. La moitié de ces fonds proviennent du gouvernement, et ils ont été accumulés en prévision d’une année difficile.

Le sénateur R. Black : Merci. Je pose la prochaine question au nom de la sénatrice Paula Simons. Selon le syndicat qui représente les inspecteurs des viandes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, en date de cette semaine, 40 inspecteurs fédéraux ont contracté la COVID-19, dont 21 uniquement en Alberta. Puisque autant d’inspecteurs sont en congé de maladie ou en quarantaine, on manque maintenant de personnes formées pour faire le travail et, d’après le syndicat, on fait appel à des personnes qui n’ont pas la formation ou l’expérience requises. Pouvez-vous nous assurer que les inspecteurs ont les compétences, la formation et l’expérience requises pour s’acquitter efficacement de leurs fonctions? Quelles mesures prenez-vous pour protéger l’ensemble du personnel de l’Agence canadienne d’inspection des aliments? Merci.

Mme Bibeau : Je vous remercie. Je dirais qu’il y a trois semaines, ou peut-être un mois — on perd la notion du temps ces jours-ci —, nous avons annoncé une hausse de 20 millions de dollars pour le budget de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’objectif étant de lui permettre d’embaucher davantage de personnel. Jusqu’à présent, l’agence a été en mesure d’embaucher 70 inspecteurs de plus, de même que 20 vétérinaires additionnels. Il s’agit de nouveaux effectifs disponibles pour effectuer des inspections.

Nous avons également conclu des accords avec certaines provinces. Cela se fait actuellement de manière informelle. La collaboration est bonne. Nous pourrions même former des inspecteurs provinciaux afin de mettre en commun nos ressources et d’élargir notre marge de manœuvre. Si vous souhaitez obtenir d’autres précisions, je peux aussi m’adresser à la vice-présidente de l’agence, si nécessaire. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, madame la ministre. Je suis toujours étonné de voir à quel point votre gouvernement manque de vision en ce qui concerne l’industrie agricole.

Depuis que vous êtes en poste, tout ce qu’on entend de votre part, c’est que le gouvernement indemnisera les producteurs et les agriculteurs pour compenser les pertes qu’ils subiront à la suite des ententes internationales qui ont été conclues.

Aujourd’hui, nous sommes saisis d’un projet de loi que j’ai l’intention d’appuyer parce que les agriculteurs ont vraiment besoin de cette aide, si incomplète soit-elle. Cependant, on ne peut pas bâtir une industrie agricole solide avec des aides financières et des congés de paiement de six mois.

Je porte à votre attention le fait que le gouvernement américain aidera ses agriculteurs à hauteur de 19 milliards de dollars. La Fédération canadienne de l’agriculture réclame 2,6 milliards de dollars, et votre premier ministre arrive avec un projet de loi qui représente à peine 10 % de la demande, soit 252 millions de dollars.

J’aimerais que vous alliez au-delà des annonces quotidiennes du premier ministre et que vous nous disiez quelle est l’enveloppe globale que votre gouvernement consacrera aux secteurs de l’agriculture, de l’alimentation et des pêches afin de les aider à se sortir de la crise actuelle.

(1220)

Mme Bibeau : Il est toujours difficile de se comparer aux États-Unis, parce que notre approche est complètement différente. Ici, nous avons mis en place des programmes de gestion de risques qui sont disponibles et qui ont été approuvés afin de répondre à la demande.

Donc, d’une part, au cours des cinq dernières années, la moyenne représentait 1,6 milliard de dollars. On peut facilement s’imaginer que cette année ce sera beaucoup plus, peut-être même le double.

D’autre part, il existe des programmes, comme Agri-investissement, qui permettent aux producteurs de déposer 10 000 $ dans un compte bancaire auquel le gouvernement ajoute également 10 000 $. Cela a pour but de créer un coussin pour les années difficiles. En ce moment, il y a 2,3 milliards de dollars dans ces comptes, et nous constatons que les producteurs ne s’en servent pas. Mon message aux producteurs, c’est qu’il faut absolument y adhérer. Contrairement aux Américains qui doivent réagir lorsqu’il y a des chocs, nous avons des programmes en place, soit quatre différents programmes pour répondre à quatre différents types de risques. Il faut utiliser ces programmes, et nous sommes prêts à en prévoir davantage.

Vous avez mentionné l’annonce de 252 millions de dollars. En moyenne, dans les années passées, le programme Agri-relance, par exemple, était doté d’une enveloppe de 15 millions de dollars. Nous avons déjà annoncé qu’elle se montera maintenant à 125 millions de dollars. C’est pour vous dire à quel point nous sommes prêts à en faire davantage qu’en temps normal. Cette enveloppe est passée de 15 à 125 millions de dollars, et je suis certaine que le programme ne s’arrêtera pas là. Nous discutons beaucoup avec les provinces en ce moment parce qu’à la base, Agri-relance est un programme qui répond aux demandes des provinces et non directement aux demandes des producteurs. Il s’agit simplement d’un exemple qui démontre notre volonté d’en faire plus.

La somme de 77,5 millions de dollars que nous avons annoncée en faveur des transformateurs ne s’inscrit absolument pas dans les programmes de gestion de risques, car elle s’étend au-delà de ces mesures. L’enveloppe de 50 millions de dollars en faveur du rachat de surplus alimentaires pour les diriger vers nos banques alimentaires ou encore vers nos collectivités nordiques, par exemple, représente aussi des fonds supplémentaires. Il y a aussi 20 millions de dollars destinés à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, et 5 milliards de dollars de prêts additionnels offerts au moyen de Financement agricole Canada.

La présidente : Merci, madame la ministre.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Madame la ministre, je vous remercie d’être parmi nous.

Pourriez-vous donner des précisions sur les motifs qui sous-tendent la décision du gouvernement d’augmenter la capacité de prêt de la Commission canadienne du lait de 200 millions de dollars plutôt que d’offrir un programme d’aide aux producteurs de lait, comme cela a été fait pour de nombreuses autres industries? Vous avez parlé et discuté de divers programmes, mais certains craignent que de nombreux agriculteurs ne soient toujours pas admissibles aux mesures de soutien proposées. Merci.

Mme Bibeau : Je vous remercie, monsieur le sénateur. L’explication, c’est que le gouvernement a tout simplement accédé à la demande du secteur laitier et de la Commission canadienne du lait. C’est exactement ce qu’ils ont demandé. Grâce à la commission, le secteur laitier est très bien structuré et possède une solide expérience. Les producteurs savent comment gérer leurs stocks, ce qu’ils ont commencé à faire grâce à la marge de 300 millions de dollars dont ils bénéficiaient précédemment. Néanmoins, comme la situation est hors de l’ordinaire, les producteurs ont demandé au gouvernement d’augmenter leur marge de manœuvre parce qu’ils sont confiants de pouvoir gérer leurs stocks avec cette capacité additionnelle de 200 millions de dollars.

Pour ce qui est de l’admissibilité des agriculteurs aux divers programmes que nous avons annoncés, nous avons été mis au fait d’un enjeu important : de petits producteurs qui ne sont pas nécessairement constitués en société commerciale ne sont pas admissibles à la subvention salariale ou au prêt de 40 000 $. Dorénavant, ils auront accès à un soutien financier similaire par l’entremise des organismes de développement locaux.

[Français]

Au Québec, entre autres, on parle des SADC.

[Traduction]

Cela fait une grande différence pour les petits producteurs.

Il y a en effet un très grand nombre d’entreprises dans cette catégorie qui ne produisent rien. Elles ont été créées à des fins administratives, par exemple. Nous ne pourrions remettre une subvention de 10 000 $ à une entreprise qui n’est pas réellement en affaires, mais qui a plutôt un rôle de soutien administratif. Le fait de travailler avec les agences de développement régional nous offrira ce contact direct avec les entreprises et les agriculteurs, et nous saurons ainsi que nous aidons ceux qui en ont vraiment besoin.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

Comme vous pouvez l’imaginer, nous avons été nombreux à être bouleversés par les articles sur le lait jeté ou déversé; je vous remercie donc d’avoir présenté cette mesure législative. Ce lait a été jeté ou déversé à cause des limites de capacité, des arriérés dans la transformation et d’autres contraintes.

À votre avis, est-ce que ce projet de loi va régler cette situation et éliminer le gaspillage à toutes les étapes? Je songe aussi à la fabrication supplémentaire de fromage et de beurre.

Mme Bibeau : Je suis persuadée que ce sera le cas. En fait, personne n’a jeté de lait depuis la mi-avril car la Commission canadienne du lait, en collaboration avec les producteurs, a eu le temps de réorganiser et de gérer les stocks grâce à la capacité d’emprunt de 300 millions de dollars déjà disponible. Voilà pourquoi j’ai confiance qu’elle pourra poursuivre sur cette lancée au cours des prochains mois grâce à cette capacité financière accrue.

Le sénateur Loffreda : En attendant que tous les détails soient mis en place, avez-vous travaillé avec l’industrie pour mettre au point un plan de commercialisation et de distribution robuste qui pourrait inclure les banques alimentaires de tout le pays? Qu’avez-vous fait? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Bibeau : Je dirais que le secteur laitier est déjà très bien organisé pour promouvoir ses produits, et j’encourage tous les Canadiens à rechercher le logo de la vache bleue.

Dans le cadre de la politique alimentaire, nous avons la campagne « Achetez canadien », dont l’un des objectifs est évidemment de promouvoir nos producteurs. Je dois admettre qu’à l’heure actuelle, nous nous concentrons sur des programmes d’urgence, mais différents volets de la politique alimentaire vont également progresser dans un avenir proche.

Le sénateur Loffreda : Compte tenu de ce dont parlait mon collègue, le sénateur Boehm, notre souveraineté alimentaire suscite-t-elle des inquiétudes? Celui-ci faisait en effet allusion à l’Accord États-Unis—Mexique—Canada. Étant donné par ailleurs que l’aide internationale a été beaucoup plus conséquente que l’aide canadienne à de nombreux intervenants du secteur agricole, notre souveraineté alimentaire suscite-t-elle des inquiétudes? Les agriculteurs estiment-ils qu’on a comblé leurs besoins?

Mme Bibeau : Je n’ai pas d’inquiétude à propos de notre souveraineté alimentaire. Nous veillons à entretenir une bonne collaboration avec nos partenaires commerciaux internationaux, en commençant évidemment par les États-Unis.

Tout comme le Canada, ils souhaitent que la frontière reste ouverte aux échanges commerciaux dans différents secteurs, dont le secteur alimentaire, qui est très intégré. Un très grand nombre de produits proviennent du Canada, sont transformés aux États-Unis et reviennent ensuite chez nous, et vice versa. Je m’entretiens en outre régulièrement avec le secrétaire Perdue pour veiller à protéger la circulation des produits alimentaires à la frontière.

Comme je l’ai expliqué un peu plus tôt, il est difficile de faire une comparaison avec les États-Unis en matière de soutien. Le Canada a toujours préféré avoir des programmes de gestion des risques de l’entreprise qui sont déjà en place et prêts à être utilisés quand survient une situation difficile. Je sais que les agriculteurs aimeraient des mesures plus généreuses, mais ces programmes sont là pour les aider. Nous essayons aussi de simplifier les choses et nous sommes prêts à ajouter des programmes pour combler les lacunes, ce que nous avons d’ailleurs déjà commencé à faire.

Le sénateur Loffreda : Donc, les agriculteurs aimeraient que le gouvernement soit plus généreux. Y aura-t-il d’autres mesures d’aide ou pensez-vous qu’il y en aura d’autres?

Mme Bibeau : Oui, je pense qu’il y en aura d’autres, et c’est pourquoi je leur demande d’utiliser les programmes en place pour que nous puissions déterminer quels sont les besoins, quelles sont les lacunes. Nous voulons concentrer nos mesures d’urgence sur ceux qui en ont le plus besoin.

(1230)

Le sénateur Loffreda : Les Canadiens n’ont donc pas à s’inquiéter de problèmes liés à la souveraineté alimentaire et au gaspillage, et nos agriculteurs sont satisfaits présentement. Je vous remercie.

Le sénateur Smith : Merci de votre présence, madame la ministre.

Le gouvernement a annoncé une aide de 252 millions de dollars pour le secteur agroalimentaire et prévoit consacrer environ 50 millions de dollars de cette enveloppe à l’achat de quantités excédentaires de nourriture qui auraient autrement été détruites. Ces denrées seront ensuite distribuées dans les régions du pays où l’insécurité alimentaire est répandue. Les États-Unis, bien sûr, se sont engagés à débloquer 3 milliards de dollars pour l’achat de surplus alimentaires, mais je suis conscient que les économies d’échelle diffèrent énormément entre nos deux pays.

Pourriez-vous nous dire comment le gouvernement est parvenu à ce montant de 50 millions de dollars, et comment s’effectuera la distribution de ces denrées partout au pays? Qu’en est-il du Nord? Les Canadiens qui habitent dans le Nord doivent payer leur épicerie plus cher en raison des coûts liés au transport et à la distribution, et cela les touche durement.

Mme Bibeau : Merci. Dans un premier temps, nous avons versé 100 millions de dollars aux banques alimentaires du Canada par l’entremise de cinq partenaires principaux. Plus récemment, la semaine dernière, nous avons versé 50 millions de dollars de plus afin d’acheter des surplus alimentaires et de les acheminer à la population par l’intermédiaire des banques alimentaires du pays, y compris celles dans les collectivités du Nord.

J’aurais dû dire que, en plus du financement initial de 100 millions de dollars, il y avait aussi un fonds supplémentaire de 25 millions de dollars pour les collectivités nordiques et autochtones.

À l’heure actuelle, nous déterminons quels secteurs agricoles ont des surplus — comment ils sont disponibles —, ainsi que leur quantité, leur format, leur emballage et l’endroit où ils se trouvent, et nous communiquons également avec les collectivités du Nord et les réseaux de banques alimentaires pour nous informer sur leur capacité, c’est-à-dire la quantité de surplus qu’ils peuvent obtenir, distribuer et entreposer. Nous nous renseignons sur les difficultés liées au transport ou à l’emballage, par exemple.

Il ne s’agit donc pas seulement d’acheter de la nourriture, mais aussi de tisser les liens nécessaires pour régler tous les problèmes logistiques qui existent.

Le sénateur Smith : Pensez-vous qu’il existe suffisamment d’informations fiables pour vous permettre d’élaborer un plan stratégique qui aidera véritablement le Nord? Il y a des histoires et des reportages sur le coût et la qualité des aliments et sur la façon de faire en sorte que les bons aliments sont envoyés pour répondre aux besoins des communautés. Je ne suis pas sûr que vous ayez dit quoi que ce soit de concret. Avez-vous une idée d’un plan que les fonctionnaires de votre ministère pourront mettre en œuvre? Sera-t-il exécuté immédiatement ou à court terme afin que les gens puissent bénéficier de certaines prestations et d’un allègement des prix exorbitants?

Mme Bibeau : Je ne prétends pas être une spécialiste du Nord, mais je travaille en étroite collaboration avec le ministre Vandal sur ce dossier. J’ai des conversations hebdomadaires avec mes homologues provinciaux et territoriaux, et c’est une question qui est soulevée chaque semaine. Il m’a été confirmé directement hier que des conversations sont aussi en cours avec les gouvernements des territoires afin de trouver la meilleure façon d’utiliser ces 50 millions de dollars pour répondre aux besoins de la population.

Je travaille avec des gens qui connaissent le sujet mieux que moi.

Le sénateur Smith : Je vous remercie.

Le sénateur Ngo : Merci d’être ici, madame la ministre.

Les nouvelles mesures financières qu’a annoncées le gouvernement, la semaine dernière, pour les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire ont reçu un accueil mitigé, et à juste titre. Nous avons appris que certaines d’entre elles ne sont même pas de nouvelles mesures. Le plus troublant, c’est que certaines ne sont même pas liées à la COVID-19, puisqu’elles figuraient déjà dans le budget ou qu’elles comptaient parmi les promesses électorales du gouvernement. Je parle des 125 millions de dollars qui ont été annoncés une deuxième fois, mais qui avaient déjà été prévus pour le programme Agri-relance, ainsi que des 5 milliards de dollars de financement pour Financement agricole Canada, qui constituaient une promesse électorale.

Pourriez-vous expliquer aux agriculteurs, aux citoyens, aux entreprises et aux travailleurs canadiens des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire qui ont du mal à joindre les deux bouts pourquoi le gouvernement annonce une deuxième fois des mesures qu’il s’était déjà engagé à mettre en place avant même le début de la pandémie?

Mme Bibeau : Merci, monsieur le sénateur. Comme je l’ai dit plus tôt, au Canada, nous avons décidé il y a plusieurs années de mettre en place des programmes de gestion des risques de l’entreprise. Les agriculteurs peuvent avoir recours à ces programmes lorsqu’ils traversent une période difficile. C’est ainsi que nous avons décidé de procéder, et je crois que c’était la bonne chose à faire. Les producteurs et les agriculteurs savent qu’ils peuvent compter sur ces programmes en cas de coup dur.

Les programmes de gestion des risques de l’entreprise comptent quatre éléments principaux : Agri-stabilité, qui soutient les agriculteurs qui subissent une baisse de revenus considérable; Agri-investissement, qui offre des comptes d’épargne en cas de mauvaise année; Agri-protection, qui appuie les agriculteurs en cas de catastrophe naturelle; et Agri-relance, qui soutient les agriculteurs aux prises avec des coûts exceptionnels. Au cours des cinq dernières années environ, le montant moyen du soutien destiné aux producteurs par l’entremise d’Agri-relance s’est élevé à 15 millions de dollars.

Dans le cadre de ce programme, nous avons annoncé le versement de 125 millions de dollars, mais ce n’est que le début. Je m’attends à ce que les provinces présentent d’autres demandes. Je pense qu’il s’agit bel et bien d’argent frais. Le gouvernement engage ainsi une somme considérable, et nous avons pris les devants alors que, en temps normal, nous attendons que les provinces nous demandent de l’aide dans le cadre du programme Agri-stabilité.

Partout au pays, nous apporterons notre contribution, qui équivaut à 60 %, et ce, peu importe si les provinces décident d’avancer les 40 % restants ou non. En temps normal, le plafond des dépenses admissibles est fixé à 70 %; nous l’avons fait passer à 90 %.

Le sénateur Ngo : Merci de votre réponse. Je tiens à revenir sur la question du sénateur Dagenais.

Le gouvernement a demandé aux secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire le montant de l’aide financière dont ils avaient besoin pour traverser la crise. Ils ont répondu 2,6 milliards de dollars, mais le gouvernement a annoncé seulement 252 millions de dollars, ce qui est très loin de répondre à leur demande et à ce dont ils ont désespérément besoin. Vous leur avez demandé ce dont ils avaient besoin, mais vous n’avez pas écouté ou respecté ce qu’ils vous ont dit.

Mme Bibeau : J’écoute les agriculteurs tous les jours. Je le répète, nous ne pouvons pas tourner le dos au Programme de gestion des risques de l’entreprise. Chaque année, en moyenne, on accorde 1,6 milliard de dollars dans le cadre de ce programme. Je m’attends à ce que le montant soit beaucoup plus élevé cette année. Le compte d’Agri-investissement contient déjà 2,3 milliards de dollars. La semaine dernière, nous avons augmenté de 100 millions de dollars le financement accordé aux producteurs de porc et de bœuf. Nous avons également versé 77,5 millions de dollars aux transformateurs d’aliments, alors nous prenons différentes mesures.

Je le répète, j’encourage les producteurs à utiliser ces programmes pour que nous puissions cibler où sont les lacunes et qui sont ceux qui sont le plus dans le besoin.

La présidente : Vous avez 30 secondes.

Le sénateur Ngo : Dans ce cas, je cède mon temps de parole.

Le sénateur Munson : Merci, madame la ministre. Merci de ce que vous faites. C’est parfois difficile, la vie de ministre de l’Agriculture. Je me souviens encore du visage de celui qui était à votre place, Eugene Whelan, quand on lui a versé du lait sur la tête. En tout cas, il semblait en aimer le goût. C’était en 1976, je venais d’avoir 30 ans, je débutais ma carrière de journaliste sur la Colline et les producteurs laitiers du Québec faisaient les manchettes parce qu’ils ne décoléraient pas. C’est un poste difficile, mais je crois que vous avez la personnalité, et la détermination — enfin j’ose croire —, pour bien vous en sortir.

(1240)

Il a été brièvement question des producteurs obligés de jeter une partie de leur lait cru. Ce type de situation ne réjouit personne, mais vous semblez dire que cela ne se reproduira plus d’ici la fin de la pandémie.

Vous avez aussi parlé d’argent pour distribuer les produits laitiers par l’entremise des banques alimentaires. Un demi-million d’enfants canadiens vivent dans la pauvreté. À part les banques alimentaires, pouvez-vous nous dire précisément comment se fera la distribution de lait, de beurre et de fromage, toutes choses que nous considérons comme faisant partie de notre quotidien, aux gens qui vivent dans la pauvreté?

Mme Bibeau : Merci, sénateur. Je tiens à remercier les producteurs et les transformateurs laitiers, qui ont fait des dons importants aux banques alimentaires lorsqu’ils se sont vus obligés de se débarrasser de leur lait. Un gros merci.

Les banques alimentaires peuvent accepter une quantité limitée. Selon moi, ces dons les ont beaucoup aidées. Nous avons créé deux fonds distincts pour appuyer les banques alimentaires. Tout d’abord, il y a le fonds de 100 millions de dollars qui a été réparti par l’intermédiaire de cinq partenaires importants : Banques alimentaires Canada, l’Armée du Salut, Second Harvest, le Club des petits déjeuners et la Federation of Community Organizations. Nous avons collaboré très étroitement avec eux pour que tout le pays soit couvert et nous avons mis de côté 30 millions de dollars afin d’avoir la marge de manœuvre nécessaire pour combler les manques.

Puis, nous avons ajouté 50 millions de dollars pour acheter des surplus. En plus d’acheter des surplus, nous avons aussi établi des relations et trouvé les bons partenaires afin de régler d’éventuels problèmes de transport ou d’emballage et nous assurer que ce que nous achetons répond véritablement aux besoins des gens que nous voulons aider dans diverses régions. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les collectivités nordiques.

Le sénateur Munson : Merci de votre réponse. J’aimerais maintenant parler des travailleurs étrangers temporaires. Nous avons tenu notre première séance du Comité des affaires sociales hier, et nous avons entendu des témoignages de représentants d’Agriculture Canada. J’ai été frappé par la décision du premier ministre du Nouveau-Brunswick d’interdire aux travailleurs étrangers d’entrer dans la province. Année après année, l’expérience a montré qu’il manque toujours de travailleurs étrangers.

Lorsque M. Forbes, votre sous-ministre, était ici, il a abordé cette question. De plus, lors de la séance du Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire du 5 mai, il y a quelques jours à peine, M. Forbes a parlé de l’arrivée des travailleurs étrangers au Canada. Est-il garanti que le Canada pourra combler ce vide? Étant donné l’argent qui a été distribué aux jeunes Canadiens, y a-t-il une garantie qu’eux ou d’autres remplaceront temporairement ces travailleurs étrangers pour se faire une idée de ce que c’est de travailler dans leur propre pays et de les motiver à le faire en leur offrant une expérience sur le terrain? Aux États-Unis, le Corps des volontaires de la paix exerce des activités partout dans le monde. Cependant, demander à des jeunes Canadiens de travailler dans leur pays, bien que temporairement, pourrait valoriser leur identité nationale. C’est la seule solution qui me vient à l’esprit pour combler le vide laissé par les travailleurs étrangers.

Mme Bibeau : La pénurie de main-d’œuvre est sans contredit un énorme défi. C’était déjà le cas avant la pandémie de COVID-19. En temps normal, nous accueillons 60 000 travailleurs étrangers temporaires. Même avec leur apport, quelque 15 000 emplois restaient en général vacants. Il ne fait donc aucun doute qu’il s’agit d’un défi de taille.

C’est pourquoi nous travaillons très fort avec le ministre de l’Immigration et le ministre des Affaires étrangères pour simplifier le processus au maximum et ainsi accueillir le plus grand nombre de travailleurs temporaires possible. En avril, les efforts ont plutôt bien fonctionné : les résultats ont été supérieurs à nos attentes. Nous sommes parvenus à accueillir 11 200 travailleurs par rapport à 13 000 l’an dernier. Nous avons donc bon espoir que la situation sera meilleure que ce à quoi nous nous attendions il y a un mois.

À ce sujet, je peux ajouter que nous offrons 1 500 $ aux employeurs — principalement des agriculteurs, mais également des transformateurs d’aliments — qui embauchent des travailleurs étrangers temporaires. Ils reçoivent donc 1 500 $ par travailleur pour les aider à assumer les coûts supplémentaires associés à la période d’isolement de 14 jours.

Nous avons aussi lancé le programme Mettez la main à la pâte, un portail réunissant tous les emplois vacants en agriculture partout au pays. Nous tentons de faire la promotion de ces emplois de différentes façons avec l’ensemble des intervenants.

Dans le cadre du programme Emplois d’été Canada, nous avons déjà inclus les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire dans les services essentiels. Maintenant, les agriculteurs peuvent trouver des travailleurs — qui sont des jeunes, pas nécessairement des étudiants — par l’entremise de ce programme qui couvre 100 % de leur salaire.

Je peux peut-être aussi en profiter pour rappeler à tous que nous avons convenu de transférer 3 milliards de dollars aux provinces afin qu’elles puissent bonifier le salaire des travailleurs essentiels, y compris ceux des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Le sénateur Munson : Que diriez-vous aujourd’hui aux jeunes pour les inciter à aller travailler dans une exploitation agricole ou laitière, à se salir un peu les mains pendant cette période particulière, à faire un assez bon salaire et à contribuer au processus de relance de leur pays? Que diriez-vous aux jeunes Canadiens?

Mme Bibeau : J’en ai trois à la maison, ils ne sont pas tous les miens, mais j’ai quand même trois jeunes sous mon toit et nous en avons discuté. Je crois que de nombreux parents ont ce genre de discussions avec leurs enfants présentement.

J’ai beaucoup entendu parler de la prestation d’urgence pour les étudiants, parce que certains craignent que les étudiants préfèrent rester à la maison plutôt que d’aller travailler. Ils devront prouver qu’ils ont cherché du travail, mais je crois que c’est l’occasion parfaite pour enseigner à nos jeunes les valeurs canadiennes et l’importance de soutenir sa collectivité, particulièrement lors de périodes comme celle que nous vivons.

Si on revient à l’expérience de travail qu’ils pourraient acquérir à la ferme, ils apprendraient certainement des choses qu’aucun autre emploi d’été ne pourrait leur apprendre. Que voudront-ils raconter à leurs enfants lorsqu’ils leur demanderont comment c’était? Aimeraient-ils mieux leur répondre qu’ils ont profité du système ou qu’ils ont appris à faire un potager? Plus tard, quand ils parleront de 2020, ils pourront dire : « C’est grâce à la COVID-19 que j’ai appris à cultiver la terre. » Je crois que c’est une question d’éducation dans chaque famille.

Le sénateur Munson : Madame la ministre, je vous remercie énormément de ces observations. Bien que nous ayons des questions concernant les chiffres, les statistiques, les échéances et d’autres détails de cette nature, je crois qu’il faut aborder ce problème avec humanité, et nous avons vu toutes ces annonces. Derrière chaque statistique, il y a un être humain ou une personne qui est décédée. Lorsque je songe aux familles et à la façon de résoudre cette crise, je crois que le pays a une occasion à saisir pour assurer sa relance. Je crois vraiment que nous pouvons en tirer d’importantes leçons, et c’est pour cela que je tenais à souligner qu’il n’y a pas de meilleur endroit où travailler qu’une ferme. Merci beaucoup.

(1250)

Mme Bibeau : Merci.

Le sénateur Dean : Madame la ministre, d’abord, je vous remercie de vous joindre à nous et de tout le travail que vous faites. Je sais que vous travaillez très fort pour soutenir la communauté agricole au pays.

Je saisis également l’occasion pour remercier le personnel politique et les fonctionnaires fédéraux qui vous appuient, deux groupes qui se démènent ces derniers mois pour aider les Canadiens pendant cette situation d’urgence et qui accomplissent leur travail avec brio. Cela vaut notamment pour les inspecteurs des aliments du Canada, en particulier les inspecteurs des viandes.

J’ai deux questions à vous poser. Premièrement, les sénateurs sont convaincus que la modification législative à l’étude aujourd’hui correspond à ce que les producteurs et les transformateurs laitiers réclament. Elle permettra d’éviter le gaspillage. Ma première question porte sur ce que fait le gouvernement plutôt que sur ce qu’il ne fait pas. Pourriez-vous nous parler brièvement des programmes, nouveaux et existants, qui peuvent aider les producteurs et transformateurs laitiers en ces temps difficiles?

Ma deuxième question nous ramène aux inspecteurs des viandes. Je reviens sur la question du sénateur R. Black concernant les 40 inspecteurs atteints de la COVID-19. Il est utile que notre collègue de l’agence d’inspection soit ici avec nous aujourd’hui. Vous avez adéquatement remédié aux problèmes de dotation dans la chaîne d’approvisionnement. Je sais que nous disposons de ressources très compétentes à l’échelle provinciale et que celles-ci ont pris le relais. Revenons toutefois à la santé et à la sécurité. Puisque nous parlons d’un bon employeur responsable, quelles mesures supplémentaires prend-on précisément pour promouvoir le plus possible la santé et le bien-être des inspecteurs canadiens des aliments, en particulier ceux qui inspectent les établissements de transformation de la viande?

Mme Bibeau : Merci. Je vais commencer par les programmes de gestion des risques. Je reviendrai encore et toujours à ces programmes parce que ce sont les plus importants. Je pourrais parler d’un plus grand nombre de programmes, mais je vais mettre l’accent sur ceux qui concernent la gestion des risques. Même si les programmes existent déjà, cela ne veut pas dire que l’argent est automatiquement versé. Il doit y avoir un besoin. Une année, la somme provenant d’un programme peut être plus élevée que celle qui provient d’un autre. Puis, l’année suivante, ce peut être l’inverse.

Le meilleur exemple, c’est le programme Agri-relance. Une année moyenne, ce programme accorde un total de 15 millions de dollars aux producteurs. Cette année, les montants à leur verser atteignent déjà 125 millions de dollars. Je suis persuadée que la somme sera encore plus élevée parce que nous discutons actuellement avec les provinces au sujet de ce programme.

Pour ce qui est des nouveaux programmes, notons l’aide de 77,5 millions de dollars pour les producteurs d’aliments, la somme de 50 millions de dollars pour acheter les surplus agricoles et les 20 millions de dollars pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Ce sont toutes de nouvelles mesures. Nous avons également augmenté la capacité de prêt de Financement agricole Canada et nous avons assoupli les critères pour obtenir un prêt.

Vous avez raison de dire que les agents chargés de l’inspection des aliments font en ce moment un travail incroyable dans un contexte très difficile. De nombreux Canadiens se rendront compte de ce que signifie être un travailleur essentiel. C’est évident dans le secteur de la santé, mais les Canadiens constatent maintenant que le secteur alimentaire constitue aussi un système essentiel qui repose sur les travailleurs de l’alimentation, des inspecteurs aux scientifiques, en passant par les travailleurs des usines de transformation, les agriculteurs sur le terrain, les jeunes qui travaillent dans les épiceries et les camionneurs. Il faut veiller au bien-être de ces travailleurs essentiels. Vous avez évidemment vu les efforts que déploie le gouvernement pour fournir de l’équipement de protection individuelle au personnel du secteur médical. Nous mettons actuellement en place — et je suis membre du comité responsable — des ressources pour soutenir les autres secteurs essentiels, notamment ceux de l’alimentation et du transport, afin de les aider à trouver les bonnes filières pour se procurer de l’équipement de protection individuelle.

Je reviens en particulier à la situation des usines de produits alimentaires. En pratique, ce sont les autorités sanitaires provinciales ou locales qui doivent donner des directives aux propriétaires d’usine en ce qui concerne les mesures à mettre en place pour assurer la protection des employés et créer un milieu de travail sûr. L’Agence canadienne d’inspection des aliments a pour mission d’assurer la salubrité des aliments, mais elle travaille également en étroite collaboration avec les services de santé publique locaux et les entreprises pour protéger les travailleurs, y compris les inspecteurs.

Si vous souhaitez davantage d’information, je cède la parole à Mme Pégeot.

Le sénateur Dean : Brièvement peut-être, si vous le voulez bien.

France Pégeot, première vice-présidente, Agence canadienne d’inspection des aliments : Merci beaucoup de votre question, sénateur, et merci de souligner le travail de nos inspecteurs des viandes. Je conviens certainement que l’agence en général et nos inspecteurs des viandes en particulier travaillent très fort depuis le début de la crise pour s’acquitter de leur mandat. Ils ont vraiment été à la hauteur compte tenu des défis à relever. Il faut leur rendre hommage et les remercier de ce qu’ils font. Je vous remercie de l’avoir souligné, et j’aimerais joindre ma voix à la vôtre.

En tant que dirigeants et gestionnaires de cette agence, la santé et la sécurité de nos inspecteurs sont primordiales depuis le début de cette crise. Nous n’avons fait aucun compromis à ce sujet. Dès le départ, nous avons collaboré avec les directeurs des usines. Nous considérons que chaque usine est différente et nécessite des solutions qui lui sont propres. Nous avons donc collaboré avec les directeurs des usines, les syndicats, notre propre personnel bien entendu, et avec les experts en santé publique afin que chaque usine possède ses propres mesures préventives. Nous souhaitons offrir des conseils sur la manière de transmettre les rapports et de signaler l’apparition de cas de COVID-19 dans les usines, et de faire face à la situation afin de maintenir un milieu de travail sécuritaire. C’est ce que nous avons fait. Nous avons veillé à ce qu’on prenne les mesures appropriées pour offrir un environnement sûr à nos inspecteurs et qu’ils se sentent à l’aise de travailler dans ces usines, de contribuer à l’économie et d’aider à nourrir les Canadiens.

Encore une fois, merci beaucoup, sénateur.

La sénatrice Pate : De rien. Merci beaucoup pour le travail que vous et vos collègues accomplissez. Je tiens également à remercier nos collègues, les sénatrices Griffin et Lankin, qui ont contribué à susciter cette question.

Le projet de loi C-16 nous rappelle que les difficultés du secteur liées aux chaînes d’approvisionnement alimentaire ont également de graves répercussions pour les Canadiens, tant sur le plan de l’insécurité alimentaire que sur celui de l’augmentation du coût des aliments. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les membres des communautés les moins favorisées subissent ces conséquences de façon disproportionnée et sont donc plus vulnérables et plus démunis. Même si certaines provinces sont sur le point de rouvrir leur économie, les réactions ne sont pas nécessairement cohérentes, d’où la persistance des problèmes liés à la main-d’œuvre et à l’approvisionnement alimentaire. Quelles mesures le gouvernement prend-il — ou compte-t-il prendre — pour maintenir et élargir le soutien direct au revenu des particuliers, comme la Prestation canadienne d’urgence ou une autre type de soutien au revenu, pendant la période de reprise économique?

La présidente : Votre temps de parole de 10 minutes est écoulé.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à la ministre. Madame la ministre, il y a beaucoup de producteurs de sirop d’érable dans ma circonscription. Il semble qu’ils soient les grands oubliés de l’ensemble de cette aide offerte par votre gouvernement. Je vous décris l’exemple des producteurs de sirop d’érable, qui ont été frappés de trois façons. Ils sont touchés, parce qu’il s’agit aussi d’une activité commerciale. La pandémie s’est déclarée au début de la saison, et ils ont dû fermer leurs portes immédiatement. La perte des activités liées aux réceptions, au tourisme et aux repas offerts en salle à manger a eu pour eux un impact économique important. Aussi, comme le début de la saison de production du sirop d’érable a coïncidé avec la pandémie, ils ont souffert d’une pénurie de main-d’œuvre. Enfin, les producteurs accusent des retards dans le classement du sirop d’érable en raison des réductions du personnel, ce qui entraîne des délais de paiement.

(1300)

Le gouvernement a-t-il tenu compte des besoins des producteurs de sirop d’érable? Quelle partie de vos récentes annonces en faveur du secteur agricole s’applique-t-elle aux producteurs de sirop d’érable?

Mme Bibeau : Vous avez raison, ils ont été touchés de plein fouet au cœur de la saison de production. Les producteurs de sirop d’érable, comme tous les producteurs, sont des entrepreneurs. Ils ont accès aux programmes généraux qui ont été mis en place. Je pense entre autres au programme de prêt de 40 000 $ sans intérêt avec 10 000 $ non remboursables. Pour les petits...

Le sénateur Carignan : Chez nous, la plupart des entrepreneurs ne sont pas admissibles à ce programme.

Mme Bibeau : J’y arrive. Ils seront maintenant admissibles en passant par les SADC. Comme il a été annoncé plus tôt cette semaine, 211 millions de dollars seront octroyés aux agences de développement régional. Une bonne partie de cette somme, je crois qu’il s’agit de 71 millions de dollars, sera distribuée par l’entremise des SADC. Ainsi, nous voulions faire en sorte que tous les petits entrepreneurs aient accès au fonds de 40 000 $.

Nous cherchions toutefois la bonne façon de le faire pour éviter d’inclure les entreprises qui ne produisent pas nécessairement, mais qui ont des fonctions plus administratives. En passant par le réseau des SADC, nous veillons à ce qu’il y ait un contact humain direct entre nos agents et les producteurs. Cette annonce est très récente, elle a été faite il y a deux jours. J’encourage donc les petits producteurs à rencontrer leur administrateur dans les SADC, les CAE ou à DEC.

Le sénateur Carignan : Il risque de ne rester que des miettes pour ces gens. Un montant de 210 millions de dollars, c’est très peu pour les producteurs de l’ensemble du territoire canadien. C’est rêver en couleur que de dire que cette mesure réglera le problème des cabanes à sucre. Je pense à la famille Constantin, dans ma région, qui est durement frappée. Il est clair que votre programme, par l’entremise des SADC, ne sera pas suffisant.

Un autre problème, pour les producteurs du Nouveau-Brunswick, est la perte d’acheteurs. Les États-Unis ont décidé de cesser d’acheter le sirop d’érable ou de le négocier à la baisse. Êtes-vous au courant de ce problème? Qu’entendez-vous faire, encore une fois, pour soutenir ces producteurs du Nouveau-Brunswick?

Mme Bibeau : Tous les producteurs ont accès aux programmes de gestion de risques. Dans le cas d’une diminution de revenu significative, c’est le programme Agri-stabilité qui est peut-être le plus approprié. On a mis en ligne une calculatrice qui permet d’évaluer ce à quoi les entreprises ont droit. On a aussi augmenté la marge pour qu’elles puissent faire une demande de paiement anticipé. En fonction des provinces, la marge est passée de 50 à 75 %. On leur donne jusqu’au 3 juillet pour en faire la demande. Pendant cette période, elles peuvent envisager différents scénarios et voir ce à quoi elles pourraient avoir droit avant de présenter une demande dans le cadre de ce programme. Certaines d’entre elles ont peut-être contribué au programme Agri-investissement. Ce sont toutes des mesures qui leur sont offertes.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, dans une interview publiée début janvier, vous avez déclaré que vous aviez besoin de preuves pour, de concert avec vos collègues du Cabinet, monter un dossier sur les effets négatifs de la taxe sur le carbone sur les agriculteurs. Vous avez dit que vous étiez tout à fait disposée à plaider leur cause dès lors que vous auriez davantage de preuves de la portée de la taxe sur le carbone sur les exploitations agricoles et les agriculteurs.

Grâce à Blacklock’s, nous avons découvert la semaine dernière que vous déteniez ces preuves, mais que vous n’étiez pas disposée à les communiquer aux Canadiens. Vous avez dit à vos collègues de la Chambre des communes que les informations qu’elles contiennent sont « secrètes ».

Madame la ministre, avez-vous jamais eu l’intention de prévoir une exemption pour les agriculteurs qui sont injustement accablés par cette terrible taxe sur le carbone? Ou était-ce simplement de votre part une stratégie pour gagner du temps puisqu’il ne s’agit pas vraiment d’aider les Canadiens, mais plutôt de mettre en place une stratégie de relations publiques visant à obtenir des votes?

Mme Bibeau : Merci, sénateur. Non, j’ai toujours été très franche avec les agriculteurs canadiens. Les chiffres que je recevais des diverses parties prenantes et du ministère étaient très différents. Les différences étaient considérables.

C’est pourquoi, en décembre dernier, quand nous avons tenu notre rencontre fédérale-provinciale-territoriale des ministres de l’Agriculture, j’ai dit à mes collègues : « Fournissez-moi les données. Aidez-moi à monter un dossier et je le défendrai si l’incidence sur eux est importante. »

Comme vous le savez, nous avons déjà exempté les carburants agricoles et les carburants des installations fonctionnant avec une carte-accès et nous avons accordé un remboursement partiel pour le propane et le gaz naturel employés dans les serres commerciales. J’étais donc vraiment prête à conclure une entente.

Je vais vous donner les chiffres finaux, mais, soit dit en passant, le rapport dont vous faites mention est un rapport public. Certains chiffres étaient confidentiels en raison de la confidentialité du budget, mais le rapport est publié. Je peux vous le transmettre si vous le souhaitez.

Pour arriver à ces estimations, Agriculture et Agroalimentaire Canada a utilisé les données du Programme des données fiscales agricoles afin de déterminer l’incidence par exploitation agricole en pourcentage des coûts d’exploitation totaux. Les estimations variaient entre 210 $ et 819 $ par exploitation agricole et entre 0,05 % et 0,42 % des dépenses d’exploitation totales.

[Français]

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, chaque fois que votre gouvernement fait une annonce de financement durant cette pandémie, vous ne nous donnez que peu ou pas de détails. Est-ce, oui ou non, parce qu’il ne s’agit pas d’ententes qui visent à aider les Canadiens, mais plutôt de mesures vous permettant d’améliorer vos relations publiques et d’obtenir plus de votes?

Mme Bibeau : Non, monsieur le sénateur, je vous l’assure. Je crois que les producteurs avec lesquels j’ai l’occasion de travailler tous les jours — et ils sont nombreux — pourront témoigner de mon authenticité, de mon honnêteté et de mon intégrité.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, jusqu’ici, le gouvernement n’a pas annoncé son intention de déposer un budget dans un proche avenir, ni même de produire une mise à jour financière. Est-ce parce que vous ne voulez pas que les Canadiens connaissent l’ampleur de l’abîme dans lequel vous avez plongé le pays? Ne pensez-vous pas qu’il serait prudent et nécessaire que, à court terme, le gouvernement présente une mise à jour financière au Parlement?

[Français]

Mme Bibeau : Je crois que nous faisons preuve d’une grande ouverture et de transparence au fur et à mesure que nos engagements financiers sont déployés. Nous avons tenu l’équivalent de sept périodes des questions en trois jours, de façon virtuelle et en personne. Je suis tout à fait persuadée que le ministre des Finances et le premier ministre présenteront un budget ou un rapport budgétaire au moment opportun.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, en tout respect, le Parlement ne siège pratiquement jamais, et le gouvernement n’a guère fait preuve de transparence. Nous savons qu’il sera très difficile de gérer le gouffre financier causé par la pandémie. Il se peut même que cette tâche soit plus ardue que la lutte contre la pandémie elle-même.

Mon temps de parole est écoulé, madame la ministre. Je vous remercie de vos réponses.

La sénatrice Galvez : Ma question provient de la sénatrice Ratna Omidvar. Elle est semblable à la question posée par le sénateur Munson.

(1310)

J’aimerais que vous me parliez de ce qui s’en vient. Vous avez mentionné que les agriculteurs et les producteurs laitiers n’ont pas recours à certains fonds mis à leur disposition. Après la crise, et une fois les mesures d’aide mises en œuvre, d’autres fonds seront probablement consacrés à la relance.

Pensez-vous qu’il y aurait lieu de réfléchir à des correctifs qui pourraient être apportés au secteur agricole et qui permettraient d’assurer une production agricole et laitière plus efficace et plus durable?

Mme Bibeau : Toujours. Nous pouvons toujours faire mieux. Nous nous concentrons actuellement sur des mesures d’urgence pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Cependant, nous tournerons rapidement notre attention vers notre vision de l’avenir et de l’avenir du secteur agricole.

Beaucoup de gens se demandent si nous pouvons accroître notre souveraineté alimentaire. Le Canada demeure un pays commerçant très important. Notre industrie alimentaire est fortement intégrée au marché américain. Je pense que certaines régions jouiront d’une plus grande souplesse et que d’autres sont plus liées à l’exportation. Ce sera très intéressant et il s’agit d’un moment palpitant pour réfléchir à l’avenir de chaque industrie et à sa viabilité sur le plan de la souveraineté et de l’environnement.

C’est un exercice que j’ai hâte d’entreprendre et de faire avancer, car nous pensions évidemment déjà à l’avenir. Toujours est-il qu’il changera probablement la vision de l’avenir.

La sénatrice Galvez : Merci.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie, ainsi que votre équipe, d’être ici aujourd’hui. Il s’agit d’un projet de loi important que nous avons certainement hâte d’appuyer.

Ma question, que je vais écourter à la lumière des propos de mes collègues, a certains points communs. De toute évidence, le projet de loi dont nous discutons prévoit une mesure nécessaire pour protéger l’industrie laitière.

Le gouvernement a également annoncé 250 millions de dollars pour d’autres programmes d’aide à l’industrie agricole destinés aux secteurs du bœuf et du porc, à des mesures de sécurité, aux transformateurs et à un programme de rachat.

Cependant, nous avons reçu des commentaires d’agriculteurs et de transformateurs dans l’ensemble du secteur agricole qui éprouvent des difficultés et qui ne bénéficient pas de ces mesures. Une aide directe est-elle prévue pour d’autres secteurs? Dans l’affirmative, quand pouvons-nous nous attendre à ce qu’elle arrive; pour quand est-elle prévue? Pouvez-vous nous donner une petite idée et, dans la négative, pourquoi n’y en a-t-il pas?

Mme Bibeau : Merci, sénatrice. Oui, nous avons mis en place deux programmes expressément pour les producteurs de porc et de bœuf. L’idée derrière ces programmes est d’aider les producteurs à couvrir les coûts supplémentaires qu’ils doivent assumer à cause des difficultés que connaissent actuellement les usines de transformation, que ce soit à cause d’un manque de main-d’œuvre parce que trop d’employés sont touchés par la COVID-19, ce qui entraîne la fermeture de l’usine pendant quelques jours, voire des semaines, ou parce qu’ils doivent mettre en place des mesures de protection dans les usines et que cela ralentit la production.

Pour ces raisons, les agriculteurs doivent retenir leur bœuf et leur porc, ce qui signifie des coûts supplémentaires pour eux. Pensez-y. Ils doivent nourrir leurs bêtes plus longtemps. De plus, nous voulons faire tout en notre pouvoir pour éviter que les bêtes soient euthanasiées. Ces deux programmes visent à aider les agriculteurs à couvrir ces coûts supplémentaires. Les 77,5 millions de dollars qui restent sont destinés aux transformateurs afin qu’ils fassent des rénovations et mettent en place toutes les mesures possibles, en premier lieu, pour protéger leurs employés, y compris nos inspecteurs, et, en second lieu, pour optimiser leur chaîne de production, leur capacité de production dans ce nouveau contexte.

D’autres mesures d’aide seront-elles proposées? Oui. Lesquelles? Je ne peux pas vous le dire pour l’instant, mais je peux vous dire que nous discutons actuellement avec de nombreuses provinces dans le cadre du programme Agri-relance parce que ce programme a pour but de couvrir les coûts supplémentaires. Voici comment le programme fonctionne normalement : une province dit au gouvernement fédéral qu’elle a analysé un secteur en particulier et qu’elle souhaite lancer une initiative sous Agri-relance. La province contribuera à hauteur de 40 % des coûts, et le gouvernement fédéral, lui, en couvrira 60 %.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice Moodie : Monsieur le sous-ministre Forbes et chers membres de l’équipe, je vous remercie d’être parmi nous. Nous avons beaucoup entendu parler aujourd’hui des conséquences économiques de la COVID-19 sur les collectivités rurales et urbaines ainsi que de ses effets sur la sécurité alimentaire.

Dans un rapport publié plus tôt cette année, PROOF, un groupe de recherche sur l’insécurité alimentaire, indiquait qu’un ménage canadien sur huit, dont plus d’un million d’enfants, souffrait d’insécurité alimentaire. C’était avant les conséquences de cette pandémie sans précédent.

Les banques alimentaires canadiennes sont désormais très sollicitées. Nous le savons. Un centre à Toronto a constaté une hausse de 53 % de la demande depuis le début de la pandémie. Le problème ici, c’est le manque de données. Lors d’une réunion du Comité des affaires sociales du Sénat en début de semaine, des fonctionnaires de Statistique Canada ont indiqué que le ministère avait entrepris une collecte très limitée de données, ou n’avaient même pas commencé à en recueillir, concernant les enfants et les jeunes. Il semble que nous ignorions la situation actuelle des enfants au Canada.

Le gouvernement dispose-t-il de statistiques à jour ou a-t-il un plan pour recueillir des informations et collecter des statistiques afin d’orienter sa politique visant à assurer la sécurité alimentaire des enfants et de leur famille?

Quel est le plan du gouvernement pour mettre en contact les banques alimentaires et d’autres organismes communautaires afin de distribuer les denrées alimentaires excédentaires aux familles qui en ont cruellement besoin aujourd’hui et dans l’avenir? Je vous remercie.

Mme Bibeau : Je vous remercie, monsieur le sénateur. La Prestation canadienne d’urgence de 2 000 $ par mois vise à fournir un soutien rapide aux familles canadiennes qui ont perdu leur gagne-pain. La grande priorité du gouvernement consistait à mettre en place très rapidement ce filet de sécurité. Je pense que cette mesure a donné de bons résultats.

Nous avons également fourni 100 millions de dollars à des réseaux de banques alimentaires d’un bout à l’autre du pays. Nous avons principalement collaboré avec cinq grands réseaux, notamment Banques alimentaires Canada, l’Armée du Salut, Second Harvest, le Club des petits déjeuners, qui vise précisément les enfants, et la Fédération des organismes communautaires. C’est une mesure importante que nous avons prise. Par ailleurs, nous avons également investi 50 millions de dollars pour l’achat de surplus dont nous veillons à la livraison aux banques alimentaires et aux communautés du Nord. Voilà un autre engagement et une autre mesure importante que nous avons pris.

Je pourrais peut-être également parler de la Politique alimentaire pour le Canada, que nous avons lancée il y a presque un an. Cette initiative comprend un programme alimentaire scolaire dont la mise en place repose sur la collaboration avec les provinces, parce que l’école est le meilleur moyen d’atteindre les enfants et que l’éducation est une responsabilité de compétence provinciale. Nous devons donc aborder la question avec les provinces et collaborer avec elles dans ce dossier.

Le sénateur Campbell : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui madame la ministre et monsieur le sous-ministre.

La question suivante avait à l’origine été posée par le sénateur Black de l’Alberta mais je vous la pose aujourd’hui à titre personnel. Une raison en particulier explique la très faible participation des producteurs de bœuf au programme Agri-stabilité. Ils ne participent pas à ce programme parce qu’il n’est pas équitable pour eux.

(1320)

L’industrie a recommandé qu’on modifie le programme, notamment en éliminant le plafond de paiement de 3 millions de dollars, en supprimant la limite de marge de référence et en portant le seuil à 85 % pour l’exercice 2019-2020. Comme nous avons entendu que le gouvernement tient à ce que les producteurs se tournent vers les programmes existants de gestion des risques de l’entreprise, est-ce que la ministre compte apporter ces modifications afin que les producteurs puissent avoir accès à l’aide nécessaire?

Mme Bibeau : Le programme fonctionne. Il n’est simplement pas aussi généreux qu’ils le souhaiteraient.

Vous vous souviendrez peut-être que le programme a été amputé d’environ 400 millions de dollars en 2013 pour une année normale. Si ces règles étaient toujours en vigueur et que le gouvernement précédent n’avait pas fait de compressions, tout le monde serait heureux. Toutefois, comme le programme a été amputé et modifié, il nous faut l’assentiment de toutes les provinces. Le gouvernement fédéral doit s’entendre avec chacune des provinces avant de rétablir le financement de ces programmes. Manifestement, une crise n’est pas le moment idéal pour établir des programmes d’assurance. C’est pourquoi nous avons essayé de rendre ce programme plus facile à comprendre. Nous avons repoussé la date limite de présentation d’une demande au 3 juillet. Nous avons augmenté le montant des paiements anticipés qu’il est possible d’obtenir. Nous avons mis un estimateur en ligne afin qu’ils puissent établir des scénarios et voir combien ils pourraient recevoir s’ils présentent une demande et obtiennent très rapidement une avance pouvant atteindre 75 %. Selon la province, ce pourrait être 50 % ou 70 %.

Nous faisons vraiment de notre mieux pour rendre le programme plus accessible. Nous tenons des discussions hebdomadaires, et nos représentants ont des discussions approfondies avec mes homologues provinciaux afin de déterminer comment nous pouvons nous entendre sur la façon d’améliorer ce programme.

Le sénateur Campbell : Le Programme d’assurance des prix du bétail dans l’Ouest a connu un grand succès, surtout pour les jeunes producteurs de viande bovine des provinces de l’Ouest. Il est évident que la région de l’Atlantique n’a pas de programme de ce type et en réclame un. En collaboration avec l’industrie, la ministre va-t-elle tirer les leçons de l’expérience et mettre en œuvre ce programme afin de favoriser l’équité et la croissance du secteur canadien du bœuf, en particulier pour les jeunes producteurs qui se lancent en agriculture?

Mme Bibeau : Oui, nous avons des discussions dans le cadre de ce programme. Il n’est pas facile à mettre en œuvre au niveau national, car il privilégie l’approche régionale. Les ministres des provinces des Prairies m’en ont parlé et nous examinons différentes façons d’atteindre l’objectif souhaité, qui est principalement de soutenir les producteurs de viande bovine. Je suis ouverte à toutes les options. Je ne peux pas être beaucoup plus précise. Si vous voulez en savoir plus sur ce programme, veuillez vous adresser à mon sous-ministre.

Le sénateur Campbell : Je sais qu’il s’agit d’un programme régional, mais je voulais, en posant la question, trouver un moyen de permettre à toutes les régions de participer à un programme performant. Je crois savoir que vous y travaillez, même si le fait que l’approche régionale pose problème. Voilà où je voulais en venir. Si le programme fonctionne dans l’Ouest, il serait bon de l’importer pour aider les agriculteurs de l’Est. Je vous remercie de votre réponse.

[Français]

La sénatrice Verner : Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que vos collaborateurs, de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Madame la ministre, la majorité des fermes laitières canadiennes sont situées au Québec et en Ontario. Pourtant, la production laitière est cruciale pour la sécurité agroalimentaire et constitue un levier économique important dans toutes les régions du pays. Comment les avantages découlant de l’augmentation de la capacité d’emprunt de 200 millions de dollars prévue par le projet de loi seront-ils répartis au Canada? Avez-vous examiné la façon dont cette somme sera distribuée par région et, si oui, en fonction de quels critères?

Mme Bibeau : Merci de votre question. Le secteur laitier bénéficie d’une organisation expérimentée, compétente et bien outillée grâce à la Commission canadienne du lait. Le système de la gestion de l’offre ne fait pas de distinction entre les régions. Par exemple, un producteur laitier qui est à Terre-Neuve et un producteur laitier situé à La Prairie paieront les mêmes coûts de transport. C’est partagé de façon équitable parmi les différentes provinces, et cette équité est un des points forts du système de gestion de l’offre. Elle permet de favoriser la vitalité de nos régions, car les exploitations laitières, de volaille et d’œufs sont plus stables grâce à ce système, et cela fait vivre nos régions. Je suis persuadée que la méthode selon laquelle la Commission canadienne du lait met en place l’achat de produits sera absolument équitable à travers toutes les régions du pays.

La sénatrice Verner : Je vous remercie. Ma prochaine question est la suivante : le 17 avril 2020, le gouvernement américain a annoncé une aide financière de 19 milliards de dollars par l’entremise de son initiative intitulée Coronavirus Food Assistance Program. Cela représente 16 milliards de dollars d’aide financière directe pour les producteurs agricoles et 3 milliards de dollars pour le rachat de produits laitiers et de viande, comme vous le savez. En comparaison, bien que le gouvernement du Canada ait augmenté la capacité d’emprunt des producteurs agricoles de 5 milliards de dollars le 23 mars dernier, il n’a accordé que 252 millions de dollars en aide directe. De plus, ces mesures ont été annoncées plus de deux semaines après celles du gouvernement américain, qui sont beaucoup plus généreuses pour les producteurs situés au sud de la frontière. Compte tenu des pressions importantes sur le marché agroalimentaire nord-américain et de notre chaîne d’approvisionnement alimentaire, pourquoi y a-t-il eu un délai entre l’annonce des États-Unis et le moment où l’aide financière directe aux producteurs canadiens a été annoncée?

Mme Bibeau : Merci de votre question. Il est difficile de se comparer aux États-Unis parce qu’on fonctionne de manière totalement différente. Ici, au Canada, on a fait le choix depuis plusieurs années de mettre en place un système de gestion des risques, et ces programmes font en sorte de nous donner une avance sur les Américains, parce que nos producteurs connaissaient déjà les programmes mis à leur disposition. Il y a quatre programmes principaux qui les aideront en cas de pertes de revenus, de catastrophes naturelles ou de coûts additionnels, ou qui leur permettront d’épargner pour faire face aux périodes de vaches maigres.

Ces programmes existent déjà, mais nous allons les bonifier. Nous cherchons à cerner les secteurs qui ont les plus grands besoins et auxquels les programmes actuels ne suffiraient pas. C’est ainsi que nous pourrons cibler les secteurs qui auront besoin d’une aide ponctuelle d’urgence.

Au cours d’une année normale, il s’agit de 1,6 milliard de dollars, mais les programmes de gestion de risques répondent à la demande. S’il faut en prévoir davantage, nous le ferons, et nous nous attendons à ce que la demande soit beaucoup plus importante cette année. Par exemple, le programme Agri-relance, durant une année normale, représente une aide de 15 millions de dollars, mais, cette année, elle se monte à 125 millions de dollars. Il y a des programmes que nous élaborons en ce moment avec les provinces grâce à ce même canal pour aider les secteurs où les besoins sont les plus grands.

La sénatrice Verner : D’accord, je vous remercie.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre, d’être au Sénat aujourd’hui. Je dois dire que j’endosse pleinement la proposition qui nous est présentée aujourd’hui d’augmenter la capacité d’emprunter de la Commission canadienne du lait pour mieux gérer une fluctuation anormale du marché. Je comprends que la production est planifiée annuellement selon les besoins anticipés. Cette année, la pandémie provoque une distorsion du système. Je comprends que nous achèterons plus de produits que nous n’en aurons besoin temporairement pour les mettre sur le marché plus tard, ce qui permettra au marché de continuer à fonctionner normalement.

(1330)

Donc, je n’ai pas vraiment de question à vous poser sur le projet de loi; je le comprends bien et vos explications sont très claires. Cependant, je profite de votre présence pour vous poser deux questions à titre de sénateur québécois.

La première porte sur le manque de travailleurs temporaires dans les exploitations agricoles du Québec. Une bonne part de cette main-d’œuvre provient de l’étranger, mais la main-d’œuvre étrangère sera réduite cette année. Le gouvernement du Québec a mis en place un programme qui vise à inciter les étudiants à remplacer ces travailleurs étrangers qui ne seront pas là. Depuis, le gouvernement fédéral a annoncé un programme pour venir en aide aux étudiants qui ne pourraient pas se trouver d’emploi. On constate certains effets pervers de la mesure et certaines mesures qui n’incitent pas les étudiants à travailler dans les fermes. Lorsque la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées s’est présentée au Sénat, je lui ai demandé s’il était possible que les 100 $ par semaine offerts par le gouvernement du Québec ne soient pas considérés comme un revenu aux fins du seuil de 1 000 $, car cela mènerait à la perte de l’octroi. Est-ce qu’il y a du nouveau à ce chapitre?

Mme Bibeau : Les travailleurs temporaires étrangers sont des travailleurs essentiels dans le secteur de l’alimentation. Pour faciliter leur embauche malgré la COVID-19, nous leur permettons d’entrer au pays et nous avons mis en place des mesures exceptionnelles pour accélérer le traitement de leur documentation. Il y avait des défis dans le pays d’origine de certains travailleurs, ne serait-ce qu’en matière de transport local pour obtenir un visa et des documents. Nous travaillons le plus efficacement possible en ce moment. Au mois d’avril, nous avons accueilli 11 200 travailleurs, alors que l’année passée, nous en avons accueilli 13 000. Nous croyons tout de même pouvoir en accueillir beaucoup plus que ce qui était prévu dans les scénarios inquiétants du début de la crise.

Nous essayons aussi de mettre en place des mesures qui encourageront les Canadiens à travailler dans le secteur alimentaire et dans les fermes cette année. Nous avons mis en œuvre la plateforme Mettez la main à la pâte pour rassembler sur un même portail toutes les offres d’emploi du secteur agricole afin de faciliter la vie aux gens. Vous remarquerez, en ce qui concerne les différentes mesures mises en place, que nous tentons de les adapter en fonction de la réalité. Nous construisons l’avion en plein vol. C’est notre réalité en ce moment.

Je prends l’exemple de la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants, que vous avez mentionnée. Nous avons précisé que les étudiants doivent avoir fait l’effort de chercher un emploi et être en mesure de le prouver si nous le leur demandons. Des suivis seront faits dans les prochains mois. C’est une précision importante.

Nous avons transféré 3 milliards de dollars aux provinces pour qu’elles puissent bonifier les salaires des travailleurs essentiels du secteur de la santé, bien sûr, ainsi que ceux du secteur alimentaire. Le Québec a été parmi les premiers à mettre en place des mesures comme la prestation de 100 $. Il est difficile en ce moment d’apporter de petites modifications. Quand nous le faisons, nous tentons de nous assurer qu’elles s’adressent à tout le monde. Dans la situation actuelle où nous voulons mettre en place des programmes qui s’adresseront au plus grand nombre de personnes, nous savons que ces programmes sont imparfaits. Nous avons privilégié la rapidité pour être sûrs de créer un filet social de la meilleure façon possible dans les circonstances. Pour la demande très spécifique que vous faites, je n’ai pas de suivi particulier à vous donner encore. Merci.

Le sénateur Dalphond : J’ai une deuxième question. Les étudiants qui feront partie de la main-d’œuvre temporaire cet été retourneront aux études à la fin août ou en septembre, on l’espère, mais les récoltes ne seront pas finies. Il y aura encore des besoins — au Québec, en particulier — en septembre et même au début d’octobre. Le ministère a-t-il songé à établir un programme qui encouragerait les gens impliqués dans la restauration, qui, apparemment, ne reprendra pas bientôt, à travailler dans les exploitations agricoles et à se familiariser ainsi avec ce qui se passe en amont, avant que les plats soient servis sur les tables? Plusieurs jeunes travaillent dans la restauration, soit dans les cuisines ou en faisant le service. Cette main-d’œuvre n’est pas utilisée à l’heure actuelle puisque les restaurants sont fermés ou fonctionnent à capacité minimale. N’y a-t-il pas lieu de mettre en place un programme qui pourrait inciter ces gens à remplacer temporairement les étudiants ou à se joindre à eux cet été? Ils pourraient se familiariser avec la chaîne alimentaire.

Mme Bibeau : C’est une belle idée. Quant au transfert de 3 milliards de dollars aux provinces, on leur laisse la liberté et la flexibilité de créer, avec cet argent, les programmes qu’elles jugeront les plus appropriés dans leur contexte.

Pour ce qui est des travailleurs étrangers temporaires, j’espère que même si certains d’entre eux arrivent avec un peu de retard, nous aurons le nombre de travailleurs nécessaires dans nos champs d’ici l’automne.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre.

Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, bienvenue à vous et à vos collaborateurs. Dans mon ancienne vie, lorsque j’étais au gouvernement du Québec, j’ai travaillé très étroitement avec plusieurs fermes québécoises et avec leur fédération. L’agriculture, contrairement à d’autres types d’industries, est plus qu’une production végétale et animale. C’est l’occupation du territoire, c’est le gagne-pain de milliers de familles, mais c’est surtout la base de l’économie rurale dans plusieurs régions du Québec et du Canada.

Avec la crise que nous vivons à l’heure actuelle, si l’aide financière apportée par votre gouvernement n’est pas suffisante, plusieurs de ces entreprises verront la fin de leur production et nous risquons de revivre ce que nous avons vécu avec le BAEQ — pour les gens de mon âge —, où l’on a fermé des dizaines de fermes dans l’Est du Québec. Des paroisses entières ont fermé. Donc, l’aide du gouvernement est très importante dans le cas de cette industrie qui ne peut se déplacer, car ces travailleurs occupent le territoire, contrairement à des industries qui peuvent être déplacées et relocalisées.

Je vais poursuivre mes questions dans le sens de celles de mes collègues. Vous avez mis plusieurs mesures en place depuis quelques mois. Certaines sont très généreuses, comme la PCUE, qui est très critiquée par plusieurs industries, surtout celle de la restauration, où l’on voit arriver le déconfinement, mais où il sera difficile de ramener le personnel au restaurant. Il est souvent plus avantageux d’obtenir la prestation que d’aller travailler dans ces conditions. De plus, vous avez investi presque 7 milliards de dollars dans ce programme. Cela correspond à 12 fois plus que ce que vous avez investi ou allez investir pour soutenir l’industrie agricole.

Cette semaine, je lisais dans un journal de mon coin, à La Prairie, que votre ancien secrétaire parlementaire, Jean-Claude Poissant, jette quotidiennement entre 700 et 800 litres de lait. C’est énorme. M. Poissant affirme que le transfert de la production laitière — puisque le lait est un produit périssable à court terme — vers d’autres types de production, comme le fromage, ne se fera pas à court terme. Cela demande des investissements majeurs, de la formation et de l’équipement. C’est presque rêver en couleur que de dire qu’on va transformer les producteurs laitiers actuels en producteurs d’autres produits moins périssables.

J’essaie de comprendre la philosophie de votre gouvernement. D’un côté, vous avez investi 258 millions de dollars dans une industrie qui revêt une grande importance pour le tissu régional, alors que cette industrie vous demandait presque 2 milliards de dollars; d’autre part, peu de gens vous demandaient de venir au secours des étudiants de façon urgente. On aurait pu attendre en septembre pour bonifier les programmes de prêts et bourses pour les étudiants qui n’auraient pas travaillé. Quelle est l’idée d’appuyer les étudiants de façon aussi majestueuse et de ne répondre que partiellement aux besoins des producteurs agricoles? M. Poissant m’a dit qu’il a perdu 10 000 $ à lui seul dans son exploitation agricole. Si l’on calcule les pertes des fermes au Canada, le besoin ne se chiffre pas à 258 millions de dollars, mais plutôt à 2 milliards.

Mme Bibeau : Merci, sénateur Boisvenu. Il y a des milliards de dollars qui sont offerts grâce aux programmes de gestion de risques. Comme je vous le disais, une année normale correspond à 1,6 milliard de dollars. Il est clair que, cette année, ce chiffre sera beaucoup plus élevé. C’est évident. C’est pour cela qu’on le rappelle. Ces programmes sont mis en place d’année en année pour que les producteurs sachent à quoi s’attendre et de quelle façon ils peuvent anticiper les mauvais coups.

(1340)

Dans le programme Agri-investissement, il y a 2,3 milliards de dollars qui sont en attente. La philosophie derrière la mise en œuvre de nos programmes est d’aider les personnes qui en ont le plus besoin. Je mets l’accent sur le mot « personnes », sur les travailleurs et sur les individus. En offrant la Prestation canadienne d’urgence, on visait les gens qui avaient perdu leur revenu et on voulait être sûr d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes. Les étudiants ont aussi besoin d’aide.

Il est plus difficile en ce moment que pendant une année normale de se trouver un emploi quand on est jeune, et tous n’ont pas la chance de se tourner vers leurs parents pour subvenir à leurs besoins et à leurs études. Il est donc important de leur donner tout de même accès à une prestation. Ce n’est pas un choix qu’ils font en se demandant s’ils vont travailler ou toucher la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants. Ce n’est pas un choix, c’est une alternative qui leur est offerte s’ils n’ont pas trouvé d’emploi. Ils ont le devoir de faire l’effort de chercher un emploi. En même temps, on ne peut pas les laisser tomber sans rien leur offrir durant l’été, sans qu’ils puissent accumuler l’argent nécessaire pour poursuivre leurs études.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends très bien, mais pourquoi ne pas avoir répondu aux demandes de la Fédération canadienne de l’agriculture, qui s’élevait à 2,6 milliards de dollars?

Mme Bibeau : Je reviens à ces programmes qui existent et qui sont offerts. Les producteurs peuvent demander cet argent. L’enveloppe de 1,6 milliard qui est prévue pour les producteurs au cours d’une année typique est beaucoup plus importante en ce moment. Mon message est d’aller chercher cet argent. Nous mettrons en place d’autres programmes pour combler les lacunes et pour secourir les secteurs ou les régions où les besoins se feront ressentir le plus. Nous tentons de favoriser l’accès à ce programme, et je sais que les gens souhaiteraient qu’il soit plus généreux et plus simple. Ainsi, pour le rendre plus accessible, nous avons reporté la date d’adhésion, nous avons augmenté le montant des avances que les producteurs peuvent recevoir et nous avons mis une calculatrice en ligne pour qu’ils puissent évaluer le montant auquel ils ont droit.

Il y a 2,3 milliards de dollars qui dorment dans les comptes d’Agri-investissement. Les producteurs ne retirent pas cet argent. Pourtant, il est là, et il leur appartient à tous, non pas dans des comptes particuliers, parce que chacun le gère à sa façon, mais il y a toujours 2,3 milliards de dollars dans les comptes d’Agri-investissement qui sont à la portée d’un très grand nombre de producteurs en ce moment.

Le sénateur Boisvenu : Allez-vous adopter la même philosophie pour les industries que vous allez aider en leur demandant de sortir l’argent qu’ils ont dans leur bas de laine avant de les appuyer?

Mme Bibeau : Absolument.

Le sénateur Boisvenu : Vous allez avoir la même approche.

Mme Bibeau : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Comment allez-vous faire pour contrôler cela, alors qu’on sait qu’à l’heure actuelle, en ce qui a trait aux demandes de la PCU, il y a des dizaines de milliers de personnes qui l’ont demandée sans raison et qu’il semble y avoir une directive selon laquelle on ne refuse rien, car on donne de l’aide?

J’ai posé la question à la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées ainsi qu’à son haut fonctionnaire lorsqu’ils sont venus nous rencontrer il y a deux semaines. Je leur ai demandé ceci : comment allez-vous faire pour exercer un contrôle? Ils ont répondu qu’ils n’avaient pas le temps de le faire. Leur priorité en ce moment, c’est d’émettre des chèques, et le contrôle se fera dans un ou deux ans. Comment allez-vous contrôler les industries que vous allez aider, alors que vous dites aux producteurs agricoles de retirer de l’argent et que vous les aiderez plus tard?

Mme Bibeau : Je vous invite à consulter les différents programmes d’aide mis en place en ce moment pour les différents types d’industries. Nous cherchons à sauver les entreprises qui seraient viables en temps normal. Nous tentons de leur donner les moyens de faire le pont avec des prêts, des reports de paiement et des subventions salariales. Encore une fois, nous nous concentrons beaucoup sur l’aide aux travailleurs, c’est notre priorité.

Nous préférons en donner un peu plus en ce moment, quitte à recouvrer cet argent dans quelques mois, au lieu de laisser des gens dans le besoin qui n’auront rien à manger à la fin du mois et qui devront s’adresser à la banque alimentaire. Nous serons en mesure de repérer ceux qui auront abusé du système un peu plus tard. En ce moment, on ne veut pas que les gens crèvent de faim.

Le sénateur Boisvenu : Le 23 mars, vous avez annoncé aux transformateurs et aux producteurs alimentaires une aide de 5 milliards de dollars sous forme de prêts qui seraient gérés par Financement agricole Canada. Ces 5 milliards faisaient partie de vos promesses électorales, ce n’est pas de l’argent frais. C’est de l’argent que vous aviez déjà, car vous l’aviez annoncé pendant la campagne électorale.

Mme Bibeau : Nous avions effectivement prévu d’augmenter la capacité de Financement agricole Canada. Nous l’avons fait beaucoup plus rapidement que prévu. Nous avions quelques années pour le faire. Il est vrai que ce n’est pas de l’argent frais, mais c’est tout de même de l’argent.

Le sénateur Boisvenu : On ne peut pas traiter cette enveloppe comme une mesure spécifique visant à faire face à la pandémie, car c’est quelque chose que vous aviez planifié avant son apparition. C’est une promesse électorale que vous avez mise en place.

La présidente : Sénateur Boisvenu, je regrette, mais les 10 minutes qui vous sont accordées sont écoulées.

Le sénateur Boisvenu : Déjà?

La présidente : Déjà. Le temps passe vite quand on s’amuse.

Le sénateur Boisvenu : Cela fait deux fois que ça m’arrive, et j’ai l’impression qu’on n’a pas le même chronomètre.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Quel plaisir de vous avoir parmi nous encore une fois, madame la ministre. Au nom de tous les Canadiens, je tiens à vous dire merci pour tout le travail que vous et vos collègues faites pendant cette période très difficile pour le pays et le monde entier.

Nous sommes heureux de voir que le gouvernement a accédé à la demande de l’industrie laitière, qui souhaitait voir augmenter le pouvoir d’emprunt de la Commission canadienne du lait. Cette mesure sera utile et j’espère que nous pourrons adopter le projet de loi C-16 aujourd’hui. On permettra ainsi à la Commission canadienne du lait d’augmenter sa capacité d’acheter et de stocker de plus grandes quantités de fromage et de beurre ce qui atténuera les blocages dans la chaîne d’approvisionnement de l’industrie et empêchera d’autres gaspillages alimentaires, chose que nous voulons absolument éviter.

On dit que l’ensemble de mesures de soutien annoncé jusqu’ici pour le secteur agricole est un début et vous-même avez dit aujourd’hui qu’il y en aura d’autres. Vous n’avez pas donné de détails à ce sujet, mais cela ne pose pas de problème.

Sur une autre question connexe, pourriez-vous nous dire si votre ministère a collaboré avec d’autres ministères pour analyser l’utilisation que le secteur agroalimentaire canadien en général, y compris l’industrie laitière, pourrait faire ou a fait des diverses autres mesures de soutien d’urgence liées à la pandémie mises en place par le gouvernement à l’intention des entreprises canadiennes en général, indépendamment de leur secteur d’activité?

Mme Bibeau : Je vais laisser au sous-ministre le soin de répondre à cette question.

Chris Forbes, sous-ministre, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vous remercie de votre question. C’est certainement quelque chose que nous sommes en train d’examiner. La ministre a mentionné un certain nombre d’initiatives plus vastes. Il est probablement trop tôt pour obtenir des données, mais nous souhaitons suivre la situation. Le secteur nous fait part de ses commentaires sur l’utilité des mesures, et nous souhaitons déterminer leur efficacité. C’est donc quelque chose que nous examinons de près avec nos collègues.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. J’aimerais en savoir plus à ce sujet, car c’est une grande industrie. J’imagine que certains de ces programmes sont très populaires.

J’aimerais céder le reste de mon temps de parole à la ministre pour qu’elle puisse répondre à la question que lui a posée la sénatrice Pate au sujet du soutien direct du revenu.

Mme Bibeau : Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire? Je suis désolée.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénatrice Coyle. Quelles mesures le gouvernement prend-il, ou prendra-t-il, pour maintenir et bonifier le soutien direct du revenu des particuliers, comme la Prestation canadienne d’urgence ou toute autre version de ce plan de soutien du revenu, au cours de la période cruciale de reprise économique?

Mme Bibeau : Merci. Évidemment, nous suivons la situation. Il y a quelques jours, nous avons annoncé que la subvention salariale se poursuivra après le mois de juin. Je pense qu’on devait en préciser les détails aujourd’hui.

Pour ce qui est de la Prestation canadienne d’urgence, nous examinons très certainement la situation à l’heure actuelle, mais il est trop tôt pour faire une annonce. Merci.

(1350)

La présidente : Il nous reste trois minutes. Le sénateur White a demandé la permission de poser des questions. Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur White : Je vous remercie d’être ici, madame la ministre. Je veux revenir sur des commentaires précédents concernant la transformation du fromage et du beurre. Depuis que la Commission canadienne du lait a approuvé le programme, il n’inclut pas les fromages en stock chez les fromagers. Je veux maintenant savoir si ces fromagers pourront vendre leur fromage dans le cadre du programme d’achat des aliments excédentaires de 50 millions de dollars.

Mme Bibeau : Ils sont admissibles. Il s’agit d’une discussion que nous menons actuellement avec les différents secteurs de l’industrie agricole pour cerner les types de produits disponibles, leur format et les régions où ils se trouvent afin de déterminer dans quelle mesure cela répond aux besoins des banques alimentaires et des collectivités du Nord et s’il existe des problèmes logistiques sur le plan du transport et de l’emballage.

Le sénateur White : Merci. J’ai également cru comprendre que vous avez discuté des 1,75 milliard de dollars relativement à l’AECG et au PTPGP. Ce montant inclut-il les indemnités pour l’Accord Canada—États-Unis—Mexique ou s’agit-il d’une somme distincte qui s’y ajoute?

Mme Bibeau : C’est une somme distincte. Les 1,75 milliard de dollars visent seulement à indemniser les agriculteurs pour l’AECG et le PTPGP.

Le sénateur White : Quel est le montant des indemnités pour l’Accord Canada—États-Unis—Mexique?

Mme Bibeau : Il n’a pas encore été annoncé.

Le sénateur White : Quand pouvons-nous nous attendre à cette annonce?

Mme Bibeau : Nous attendions que l’accord soit ratifié. Nous nous concentrons actuellement sur l’urgence, mais l’annonce viendra peu après la ratification.

Le sénateur White : Merci.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, le comité siège maintenant depuis 125 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, je suis obligée d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.

Madame la ministre, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être jointe à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires qui vous ont accompagnée.

Des voix : Bravo!

La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?

Des voix : D’accord.


Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

Rapport du comité plénier

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait, signale qu’il a entendu lesdits témoins.

[Traduction]

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Robert Black propose que le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait, soit lu pour la deuxième fois.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Français]

Le sénateur R. Black : Honorables collègues, bon après-midi. Je suis heureux de vous voir tous en bonne santé.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait. Comme le savent les honorables sénateurs, cette mesure a été annoncée le 5 mai en plus d’autres mesures visant à venir en aide aux agriculteurs et aux transformateurs d’aliments du Canada qui vivent des pressions immenses en raison de la COVID-19.

Parmi les autres mesures, il y a 77 millions de dollars pour aider les transformateurs d’aliments à acheter de l’équipement de protection individuelle et à mettre en place d’autres mesures de santé et sécurité, 125 millions de dollars pour les producteurs de bœuf et de porc afin qu’ils puissent s’adapter à la transformation du marché, et 50 millions de dollars pour le programme d’achat d’aliments excédentaires.

De toutes ces mesures, seule l’augmentation de la limite de crédit de la Commission canadienne du lait nécessitait l’adoption d’un projet de loi, alors, même si j’aimerais bien parler de l’ensemble des mesures d’aide pour l’industrie agricole, je me limiterai à cette mesure en particulier.

Le projet de loi C-16 a pour objet de répondre aux besoins les plus criants du secteur laitier et d’apporter aux producteurs agricoles l’aide dont ils ont tellement besoin. Ces derniers sont essentiels dans la chaîne alimentaire canadienne et ils méritent toute l’aide que nous pouvons leur offrir.

Un des principaux défis auxquels l’industrie agricole doit faire face présentement est la volatilité de la demande pour ses produits. Au début de la crise, sous le coup de la panique, les consommateurs ont fait des réserves, et les tablettes des épiceries se sont vidées rapidement. Or, en quelques semaines à peine, une fois que les réfrigérateurs des consommateurs ont été remplis, la demande a chuté.

Les producteurs laitiers ont été durement touchés. La demande de lait et de produits laitiers a considérablement chuté à la suite de la fermeture massive des restaurants, des hôtels et des écoles, qui étaient d’importants acheteurs de crème, de fromage et d’autres produits laitiers.

Par ailleurs, au-delà de la ferme, des défis logistiques se sont posés à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. À la fin mars et pendant la première moitié d’avril, après que les écoles aient renvoyé les élèves chez eux, que les restaurants aient fermé leurs portes et que les hôtels se soient vidés, les producteurs laitiers ont constaté qu’ils n’avaient plus d’autre choix que de se débarrasser des excédents de lait cru.

Honorables collègues, comme vous pouvez l’imaginer, c’est déchirant pour un producteur laitier de devoir jeter le lait pour lequel il a travaillé si fort, en passant de longues heures à l’étable et dans les champs, et je suis sûr que de nombreux Canadiens sont aussi attristés par la situation. Bon nombre de ces fermes appartiennent à la même famille depuis des générations. La ferme n’est pas seulement leur gagne-pain, c’est leur maison et leur vie. Partout au Canada, les producteurs ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour trouver preneur pour leur lait et leurs produits laitiers.

Les agriculteurs redistribuent généreusement leurs produits à la collectivité. Au Québec, les producteurs laitiers ont donné un million de litres de lait aux banques alimentaires. En Saskatchewan, ils ont donné aux banques alimentaires de la province l’équivalent de 175 000 litres de lait en produits laitiers; c’est assez pour obtenir 38 000 livres de fromage, de yogourt et de lait. À Terre-Neuve, deux producteurs laitiers ont uni leurs forces à celles d’un distributeur local pour donner du lait en aménageant un service à l’auto dans le stationnement d’un aréna. À l’Île-du-Prince-Édouard, des agriculteurs ont donné des meules de fromage et des cartons de lait. En Ontario, les producteurs laitiers ont remis 200 000 litres de lait de plus aux banques alimentaires de la province. Comme je l’ai dit, les agriculteurs redistribuent généreusement leurs produits à la collectivité.

Au nom de beaucoup de Canadiens, je remercie tous ces agriculteurs ainsi que les personnes qui ont saisi l’occasion pour aider leur prochain en cette période de crise, et ce, même s’ils s’inquiétaient peut-être pour leur propre gagne-pain.

Qui plus est, les offices provinciaux de commercialisation des produits laitiers ont mis en place des mesures pour réduire la production de lait cru et empêcher que l’on jette du lait en réduisant le nombre mensuel de journées non produites accumulées et les quotas.

Honorables sénateurs, les difficultés qui résultent d’une fluctuation de la demande n’ont rien de nouveau pour l’industrie laitière canadienne. En réalité, si on a mis en place le système de la gestion de l’offre il y a 50 ans, c’était en particulier pour stabiliser la demande et les surplus, dont la volatilité causait des ravages dans les revenus des producteurs laitiers.

Au fil des ans, grâce en grande partie à l’excellent travail de la Commission canadienne du lait, l’industrie a réussi à stabiliser les marchés. Cette commission joue un rôle important dans la stabilisation de la production laitière grâce à l’établissement d’un quota national. Tout aussi important, elle lisse les fluctuations saisonnières de l’offre et de la demande grâce à un éventail de programmes.

(1400)

Pendant des périodes où la demande est faible, mais où la production est élevée, comme c’était le cas en avril et en mai, la commission achète le beurre des producteurs laitiers, puis le revend quand la demande reprend. Pour administrer ces programmes, la commission emprunte au gouvernement, les coûts d’emprunt étant couverts par les producteurs laitiers et le marché.

La Loi sur la Commission canadienne du lait limite actuellement la ligne de crédit de la commission à 300 millions de dollars. Le projet de loi dont nous sommes saisis propose de faire passer la limite à 500 millions de dollars. J’ai déjà expliqué les graves répercussions des fortes fluctuations de l’offre et de la demande sur les producteurs canadiens, mais personne n’a vu venir la crise actuelle. Il y a trois mois, ni la Commission canadienne du lait ni les agriculteurs n’auraient pu prévoir la fermeture de leurs grands acheteurs.

Pour rétablir la stabilité sur le marché, la Commission — avec l’appui des producteurs laitiers, des transformateurs et des offices provinciaux de mise en marché du lait — a demandé à la ministre de l’Agriculture d’augmenter sa limite de crédit, de bonifier les programmes existants et d’en créer de nouveaux, notamment sur l’entreposage du fromage. Grâce à cette rentrée de fonds, la Commission pourra augmenter sa capacité d’entreposage, bonifier ses programmes et aider l’industrie à s’adapter aux variations de l’offre et de la demande. Elle pourra acheter du fromage aux transformateurs, comme elle le faisait déjà avec le beurre, et ces derniers pourront conclure des ententes leur permettant de racheter leurs stocks lorsque la demande sera suffisante pour les écouler sur le marché.

La nouvelle limite de crédit permettra à l’industrie de souffler un peu, du moins jusqu’à ce que la crise commence à ralentir, et de réduire le gaspillage alimentaire. La Commission canadienne du lait, elle, aura dorénavant les moyens de réagir si une nouvelle crise devait survenir. Quant à nous, nous pourrons continuer de savourer les fruits du labeur des producteurs laitiers du pays.

Je signale au passage qu’il faudra une autre mesure législative pour ramener la limite de crédit à 300 millions de dollars. Il faut dire que le ministre des Finances doit approuver chaque année le budget de la Commission, ce qui comprend sa capacité d’emprunt. Le projet de loi à l’étude fait passer la limite à 500 millions de dollars, mais cela ne veut pas dire que la Commission pourra emprunter autant du jour au lendemain.

Les producteurs laitiers du Canada ont accueilli favorablement l’annonce et déclaré que les mesures contribueront à atténuer l’effet des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement et qu’elles permettront l’acheminement rapide des produits laitiers de la ferme à l’épicerie, aux écoles, aux restaurants et aux hôtels lorsque la demande augmentera. Le projet de loi répond aux besoins de l’industrie laitière en cette période difficile.

Les producteurs laitiers vous le diront, comme nous l’avons entendu plus tôt aujourd’hui, on ne contrôle pas la production de lait d’une vache avec un robinet. L’industrie canadienne du lait contribue beaucoup à l’économie : des ventes de plus de 6 milliards de dollars à la ferme, des ventes de produits transformés de presque 15 milliards de dollars, sans compter des dizaines de milliers d’emplois. J’appuie le projet de loi à l’étude afin de manifester mon appui ferme envers les producteurs laitiers.

Honorables collègues, beaucoup de mesures ont été prises pour aider les particuliers et les entreprises en cette période sans précédent. Le projet de loi C-16 vise à aider les producteurs et les transformateurs laitiers. Comme je l’ai mentionné, il augmente à 500 millions de dollars le plafond d’emprunt de la Commission canadienne du lait et fournit un filet de sécurité aux producteurs laitiers jusqu’au moment où ils pourront de nouveau offrir leurs produits aux clients, qui ne sont pas en mesure de les acheter actuellement.

Honorables sénateurs, je vous demande d’adopter le projet de loi C-16 sans tarder, afin que les producteurs laitiers du pays aient l’assurance de pouvoir bénéficier d’une aide d’ici la résolution de cette crise et le passage inévitable à une nouvelle normalité.

J’ai souligné d’entrée de jeu que mes observations allaient porter seulement sur le projet de loi à l’étude, qui concerne la Commission canadienne du lait, et non sur les autres mesures qui ont été annoncées à l’égard du secteur agricole et des problèmes que l’industrie éprouve actuellement. Cependant, je tiens à dire que, bien que je sois heureux que le gouvernement aide le secteur agricole canadien, il faut en faire beaucoup plus. Les secteurs des produits laitiers, du porc et du bœuf obtiennent de l’aide, mais pour d’autres secteurs qui connaissent des difficultés, notamment le secteur des grains et oléagineux, le secteur horticole et bien d’autres, aucune aide n’a été annoncée le 5 mai. Je suis heureux de parrainer le projet de loi et de l’appuyer, tout en sachant que c’est une aide modeste comparativement à l’ampleur des besoins de l’industrie agricole canadienne.

À la fin du discours que j’ai prononcé, le 1er mai, au sujet du projet de loi C-15, j’ai dit espérer que les sénateurs reviennent rapidement dans cette enceinte pour adopter un projet de loi afin d’aider le secteur agricole. Ce moment est venu. Je tiens cependant à renouveler mon souhait que nous revenions très bientôt pour débattre d’autres mesures législatives afin d’aider l’ensemble des agriculteurs et des transformateurs canadiens.

Merci, meegwetch.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Chers collègues, c’est avec plaisir que j’annonce que l’opposition officielle appuiera ce projet de loi.

Cette mesure constitue un petit pas dans la bonne direction; petit, mais quand même. Je vous rappelle que le gouvernement Trudeau a annoncé la semaine dernière des mesures de soutien au monde agricole, qui ne représentent que 10 % de ce que la Fédération canadienne de l’agriculture avait réclamé. C’est mieux que rien, mais force est de constater qu’il reste un gouffre à combler.

Au cours des dernières semaines, les producteurs et les transformateurs agricoles ont été assimilés aux autres services essentiels, à ces anges gardiens qui assurent notre sécurité et notre bien-être. Je veux d’ailleurs profiter de cette occasion pour remercier tous ces travailleurs et travailleuses qui sont en première ligne, que ce soit dans le domaine de la santé, de la protection civile, des transports ou du commerce de détail, qui se sont assurés que nous ne manquions de rien, que nous étions en sécurité et que nos malades étaient bien soignés.

Cette crise de la COVID-19 nous a permis de nous rendre compte que des milliers de personnes travaillent souvent dans l’ombre, dans des conditions parfois difficiles, mais toujours avec dévouement et courage afin de nous faciliter la vie. Lorsque la crise sera terminée et que nous retournerons à nos habitudes, il ne faudra pas oublier ces héros de l’ombre.

À ce sujet, le projet de loi C-16 et la visite de la ministre de l’Agriculture nous permettent aujourd’hui de réfléchir sur le sort de nos producteurs agricoles. Il est grand temps de ramener à l’avant-plan les questions agricoles, qui sont trop souvent négligées. Je profite donc de l’occasion qui m’est offerte pour présenter quelques faits dont nous devrons tenir compte dans cette réflexion sur l’avenir de nos producteurs.

Fait no 1 : les producteurs agricoles sont des entrepreneurs. Tout d’abord, nous ne devons jamais oublier que les producteurs agricoles sont des propriétaires de PME et qu’ils gèrent les défis propres aux PME. L’agriculture est, depuis longtemps, devenue une vraie business. Les citadins ont tendance à avoir une vision bucolique et romantique du travail agricole, mais ceux qui côtoient ces producteurs le savent : ils sont d’abord et avant tout des entrepreneurs qui sont à la tête d’opérations plus ou moins grandes et complexes. Être producteur agricole, c’est être propriétaire d’actifs de plusieurs centaines de milliers, voire de millions de dollars, mais c’est aussi jongler avec des dettes en conséquence. Être producteur agricole, c’est souvent être un employeur, avec ce que cela comporte de défis d’embauche, de gestion, de rémunération et de rétention du personnel. Être producteur agricole, c’est devoir s’occuper de la comptabilité, de la paperasse administrative, des achats de matériel, des ventes, c’est faire le suivi des marchés et des innovations et des flux de trésorerie et c’est accomplir toutes les autres tâches connexes. C’est avoir des connaissances en agronomie, en biologie, en mécanique, en météorologie et en ingénierie. Être producteur agricole, c’est devoir gérer les aléas de la météo, les maladies des animaux et des plantes. C’est lutter contre et avec mère Nature. Enfin, être producteur agricole, c’est aussi faire face aux charges sociales, aux taxes et aux impôts qui peuvent parfois peser lourd sur les finances d’une exploitation.

La plupart des exploitations agricoles sont familiales. Les questions de transferts de propriété et les versements aux conjoints et aux autres membres de la famille affectent grandement les producteurs. Il est grand temps de réfléchir à des solutions pour alléger le fardeau fiscal de nos exploitants agricoles. Il faut également réduire la réglementation et la paperasse. Il n’est pas normal que les producteurs doivent passer de plus en plus de temps à remplir des formulaires, et de moins en moins de temps à s’occuper de leur bétail ou de leurs champs.

La mise en œuvre des programmes destinés aux entreprises dans le cadre de la pandémie de COVID-19 illustre bien mon propos. Plusieurs exploitants agricoles ne sont pas couverts par les programmes mis en place par le gouvernement Trudeau, parce que leurs structures corporatives ou certaines décisions relatives au versement des salaires ou des dividendes les ont exclus de ces programmes. Comme trop souvent, les programmes imaginés dans les bureaux d’Ottawa ne résistent pas à la réalité sur le terrain. On aurait dû penser à nos agriculteurs avant de créer ces programmes, et non pas après, comme si ces agriculteurs n’étaient qu’une arrière-pensée.

(1410)

Fait no 2 : les producteurs agricoles ne doivent plus être une monnaie d’échange dans les ententes commerciales et les conflits internationaux. Il est grand temps de mettre fin à ce jeu.

Après la conclusion de l’entente de libre-échange avec l’Union européenne et du Partenariat transpacifique, le gouvernement a dû faire d’autres concessions en vue de conclure un accord avec le Mexique et les États-Unis. Pour comble d’insulte, la décision du gouvernement de ratifier l’accord avant le 1ermai coûtera aux transformateurs laitiers plus de 100 millions de dollars.

Évidemment, il est primordial que les producteurs et transformateurs soient adéquatement compensés pour les ententes qui ont été conclues récemment. Toutefois, le monde agricole canadien ne peut croître sur la base de compensations obtenues pour les parts de marché perdues.

Malgré les belles paroles des politiciens, les agriculteurs sont nerveux : sont-ils menacés par les futurs pactes commerciaux avec le Royaume-Uni et le Mercosur? Auront-ils, encore une fois, une mauvaise surprise à la dernière minute?

Le gouvernement fédéral doit être clair : l’agriculture canadienne ne doit plus être un enjeu dans les négociations commerciales.

En plus, les agriculteurs font souvent les frais des guerres commerciales et autres conflits diplomatiques. J’en veux pour exemple les décisions de la Chine relativement au canola et au porc, celles de l’Inde par rapport aux légumineuses, ou encore celles des États-Unis sur le bœuf, l’agneau ou le bois d’œuvre. Les agriculteurs payent trop souvent pour des manœuvres diplomatiques qui n’ont absolument rien à voir avec eux.

Enfin, nous ne devons plus accepter que nos partenaires commerciaux agissent de mauvaise foi, en utilisant des barrières non tarifaires pour refuser ou ralentir l’entrée des produits agricoles canadiens. Nous devons être plus agressifs dans la défense des droits de nos exportateurs. Au Canada, les règles doivent être les mêmes pour les produits importés et pour les produits canadiens. Nous devons être aussi exigeants vis-à-vis des importations que nous le sommes à l’endroit de nos produits locaux. D’ailleurs, on ne peut qu’être déçu du refus de la ministre Bibeau d’accepter le principe de réciprocité dans l’application des règles en matière de produits alimentaires.

Fait no 3 : les producteurs agricoles ont besoin de main d’œuvre et de relève. La présente crise l’a démontré : il manque de bras dans nos exploitations agricoles.

Plusieurs producteurs agricoles doivent avoir recours aux travailleurs étrangers temporaires. Cependant, la bureaucratie est lourde. Il arrive parfois, comme avec la pandémie actuelle, que les événements ne permettent pas d’embaucher toute la main-d’œuvre nécessaire. De toute façon, ce programme ne répond pas aux besoins à long terme, puisqu’il faut recommencer chaque année.

Il faut revoir le programme des travailleurs étrangers. On ne doit plus traiter le recours à ces travailleurs comme une solution temporaire. La crise actuelle le montre clairement; cette main-d’œuvre fait partie de la solution à long terme.

Les permis de travail devraient durer plus d’une saison et les travailleurs temporaires devraient avoir une voie vers la résidence permanente. Enfin, il faut que de plus en plus d’immigrants économiques soient sélectionnés pour travailler dans le secteur agricole.

Les producteurs sont aussi préoccupés par la relève, et plus particulièrement par le transfert de leur exploitation à leurs enfants. Il faut encourager les jeunes à choisir l’agriculture comme future profession. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à cet égard.

La question de la fiscalité des transferts d’entreprises est complexe, comme tout ce qui touche la Loi sur les impôts, mais il faut examiner des façons de ne pas pénaliser ceux qui veulent transférer leur entreprise à leurs descendants plutôt qu’à des tiers.

Fait no 4 : il faut apporter des changements aux programmes de gestion des risques.

Les divers programmes de gestion des risques ne sont plus adaptés aux réalités vécues par le monde agricole. Il faut les revoir, notamment afin de tenir compte des risques politiques. Plusieurs des difficultés expérimentées par les exploitants agricoles sont attribuables à des décisions politiques, comme je l’ai dit plus tôt. Il faut que les programmes d’aide soient adaptés.

D’autre part, il faut être bien conscient du fait qu’il ne peut plus y avoir de programme universel. Chaque secteur agricole a ses propres particularités. Les risques associés à la production et les façons d’indemniser les producteurs ne sont pas les mêmes si on élève des poulets ou si on fait pousser des champignons.

Fait no 5 : il faut associer les producteurs agricoles à la lutte aux changements climatiques.

La taxe fédérale sur le carbone présentée par les libéraux n’aura aucun impact sur les changements climatiques. Cette taxe ne fait que rendre la vie plus chère pour les Canadiens et elle rend nos producteurs agricoles moins compétitifs.

Les agriculteurs sont les plus grands intendants de notre terre. Au Canada, nos agriculteurs ont séquestré des millions de tonnes de CO2 en améliorant les pratiques d’utilisation des terres, comme l’ensemencement sans labour. Nous devrions reconnaître leur contribution à la séquestration du carbone au lieu de leur imposer des coûts supplémentaires comme la taxe sur le carbone.

Fait no 6 : les producteurs agricoles font face à des défis liés à la santé mentale.

Les statistiques le prouvent : les agriculteurs sont de plus en plus aux prises avec des problèmes de santé mentale et peuvent souffrir de toxicomanie, de dépression ou penser au suicide.

Ces problèmes sont causés par le stress inhérent à la gestion d’une PME, mais aussi aux facteurs propres à l’agriculture. De plus, les agriculteurs vivent souvent isolés, ce qui les rend vulnérables non seulement à la criminalité, mais aussi à la solitude.

Il faut améliorer l’accès à des ressources spécialisées et favoriser les projets visant à donner du répit aux producteurs. Par exemple, les programmes de travailleurs de rang mis en place au Québec me semblent une avenue qu’il faut privilégier.

Le gouvernement fédéral doit le dire haut et fort : nos agriculteurs ne sont pas des criminels ou des tortionnaires. Il faut les défendre face aux attaques vicieuses des activistes. Les agriculteurs devraient pouvoir se sentir en sécurité chez eux.

Fait no 7 : l’agriculture doit reprendre sa place au Canada.

Les Canadiens sont fiers de leur secteur agricole, mais l’industrie n’est pratiquement plus entendue à Ottawa. Le ministre de l’Agriculture est maintenant un joueur mineur. Trop souvent, les décisions touchant l’agriculture sont laissées aux fonctionnaires et aux politiciens, qui ont peu de connaissances ou de considération pour le secteur agricole.

Il faut redonner de l’importance au poste de ministre de l’Agriculture. Il faut que les décisions comme les règlements en matière d’agriculture, les règles sur l’affichage ou le contenu du guide alimentaire soient prises en tenant compte de la science et de l’équité envers nos producteurs. Le gouvernement doit se fier aux études, et non simplement aux perceptions répandues par des lobbys anti-fermiers.

Fait no 8 : les producteurs agricoles sont la colonne vertébrale de la ruralité et ils ne veulent pas être des citoyens de seconde zone.

Depuis quelques années, les régions rurales ont été laissées pour compte. Il faut s’assurer que toutes les régions reçoivent leur juste part des sommes consacrées aux infrastructures. C’est très bien, les annonces sur le transport en commun et le logement social, mais, au cas où certains l’auraient oublié, nous ne vivons pas tous dans une grande ville. Il faut donc s’assurer que toutes les décisions du Cabinet et tous les programmes du gouvernement intègrent une perspective rurale.

Enfin, il faut s’assurer que les habitants des régions rurales aient accès à l’Internet haute vitesse, parce qu’on est aussi en 2020 sur une ferme.

Chers collègues, je voulais partager avec vous ces quelques réflexions. Nous tenons trop souvent pour acquise notre sécurité alimentaire. Nous avons tendance à oublier que le lait ne vient pas du magasin, mais qu’il y a des milliers de familles qui travaillent fort pour que nos réfrigérateurs et nos garde-manger soient bien remplis.

Il faut écouter nos producteurs agricoles, non seulement en ce qui a trait à ce qui touche directement l’agriculture, mais également sur des questions aussi diverses que la gestion et la fiscalité des PME, la lutte aux changements climatiques et les défis de la ruralité.

(1420)

Avant de terminer, je tiens à saluer également la contribution des travailleurs du secteur de la transformation alimentaire. Ils travaillent souvent dans des conditions difficiles et pour une faible rémunération. De plus, les usines de transformation de la viande ont été particulièrement touchées par l’épidémie de COVID-19. À tous ces hommes et à toutes ces femmes du monde agricole, des secteurs de la production et de la transformation, je dis merci. Merci pour tout ce que vous faites en ce moment.

Enfin, à vous, chers collègues, je dis ceci : ne les oublions pas lorsque cette crise sera terminée.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, avec un peu de chance, à partir de demain, nous n’aurons plus à nous désoler que du lait soit jeté. Nous avons tous été bouleversés d’apprendre le gaspillage de 30 millions de litres de lait canadien à cause de la pandémie de COVID-19 et du déséquilibre qu’elle a causé entre l’offre et la demande dans le secteur laitier.

Aujourd’hui, le Sénat du Canada étudie le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait, afin que les producteurs laitiers d’ici ne soient plus obligés de jeter du lait. Tous les Canadiens, y compris ces producteurs, seront soulagés de voir cette situation déplorable et scandaleuse prendre fin.

L’industrie laitière canadienne, comme l’a dit notre collègue le sénateur Rob Black, est très importante pour la sécurité alimentaire et l’état nutritionnel au pays, en plus de jouer un rôle crucial dans notre économie, en particulier dans les régions rurales, comme notre collègue le sénateur Carignan vient tout juste de le souligner.

Le Canada a plus de 10 000 fermes laitières, un cheptel de 1,4 million de vaches laitières et 514 transformateurs laitiers. Le secteur représente environ 220 000 emplois à temps plein au pays. Sa contribution au PIB du Canada s’élève à 20 milliards de dollars, et il verse 3,8 milliards de dollars annuellement en recettes fiscales. C’est un apport considérable.

Avant cette catastrophe du lait jeté à cause de la COVID-19, le secteur laitier canadien — une industrie névralgique — traversait déjà une crise provoquée par trois accords commerciaux internationaux récents : l’Accord économique et commercial global avec l’Europe, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et le tout dernier Accord Canada—États-Unis—Mexique. Lorsque ces accords seront pleinement mis en œuvre, les pays signataires obtiendront un accès qui représentera 18 % du marché canadien. Les producteurs laitiers d’ici enregistreront donc des pertes annuelles de 328 millions de dollars, dont 154 millions de dollars à cause de l’accord avec les États-Unis et le Mexique seulement.

En plus des concessions concernant l’accès au marché, l’Accord Canada—États-Unis—Mexique impose des plafonds à l’exportation dans le monde — j’insiste sur le fait qu’on ne se limite pas aux États-Unis — de certains produits laitiers canadiens. Comme cet accord doit entrer en vigueur le 1er juillet au lieu du 1er août prochain, les répercussions négatives seront plus importantes et plus rapides. Ces plafonds à l’exportation entraîneront aussi de lourdes pertes annuelles pour les producteurs laitiers.

Donc, en termes clairs, nous étudions aujourd’hui une mesure qui vise à répondre aux répercussions négatives de la crise de la COVID-19 sur un secteur déjà meurtri. Les trois projets de loi précédents sur les mesures d’urgence dont nous avons été saisis visaient à combler les besoins des Canadiens victimes des répercussions de la pandémie de COVID-19. Le premier a établi une allocation de soutien du revenu, la Prestation canadienne d’urgence, pour les personnes qui ne pouvaient plus travailler en raison de la COVID-19. Le deuxième a créé la Subvention salariale d’urgence du Canada pour les entreprises et les organismes sans but lucratif qui ont perdu une part importante de leurs revenus à cause de la COVID-19 afin qu’ils puissent payer leurs employés qui restent ainsi prêts à reprendre le travail. Le troisième projet de loi a créé la Prestation canadienne d’urgence pour étudiants, c’est-à-dire un soutien au revenu pour les étudiants qui ne parviendront pas à trouver du travail cet été. Il est possible de présenter des demandes dans le cadre de ce programme à partir d’aujourd’hui.

En raison de la pandémie de COVID-19, nous découvrons et remarquons toutes sortes de vulnérabilités dans divers segments de la population et différents secteurs de l’économie au Canada. Nous tentons ensuite de les corriger.

Depuis la création de la Commission canadienne du lait et l’instauration du système de gestion de l’offre par le secteur laitier canadien dans les années 1970, tant les producteurs que les consommateurs ont pu compter sur la grande fiabilité de la gestion de ce secteur. Toutefois, depuis l’éclosion de la COVID, cette machine bien huilée a développé des vulnérabilités auxquelles nous n’aurions jamais pu nous attendre. Pour combattre la pandémie de COVID, l’une des principales mesures de santé publique mises en place a été la distanciation sociale. Or, cette mesure a mené à la fermeture du secteur de la restauration, ainsi que de nombreux autres établissements comme les écoles et les universités.

Tout cela a entraîné une baisse de la demande de produits laitiers, y compris le fromage et la crème, ce qui a causé les goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement ayant malheureusement forcé les producteurs à jeter du lait.

La Commission canadienne du lait est une société d’État canadienne, qui a pour mandat d’offrir aux producteurs de lait et de crème la possibilité d’obtenir une juste rétribution pour leur travail et leurs investissements et d’assurer aux consommateurs un approvisionnement suffisant et continu de produits laitiers de qualité.

Elle est donc bien placée pour aider le secteur laitier à résoudre le problème d’offre excédentaire causé par la COVID. En fait, le projet de loi C-16 fait suite à une demande du secteur laitier, qui souhaite que la commission bonifie ses programmes d’achat et de stockage pour aider l’industrie à s’adapter aux variations de l’offre et de la demande qui sont devenues imprévisibles à cause des effets de la COVID-19 sur le comportement des consommateurs.

En gros, le projet de loi C-16 modifie la Loi sur la Commission canadienne du lait en vue d’augmenter son plafond d’emprunt de 200 millions de dollars, le faisant ainsi passer à 500 millions de dollars. Par conséquent, la Commission canadienne du lait sera en mesure d’acheter plus de fromage et de beurre des transformateurs laitiers et de l’entreposer jusqu’à ce que ces derniers soient prêts à le racheter pour répondre aux exigences du marché.

Cette mesure, qui accordera à la Commission canadienne du lait une capacité d’emprunt suffisante dès maintenant et pour longtemps, procure un répit aux producteurs et aux transformateurs laitiers et réduit le gaspillage. Nous espérons qu’il ne sera plus nécessaire de jeter du lait.

Chers collègues, c’est une excellente nouvelle pour le secteur et pour tous les Canadiens. Heureusement, les producteurs laitiers ont généreusement offert une partie de leur lait excédentaire aux banques d’alimentation. Nous espérons que le programme d’achat des aliments excédentaires de 50 millions de dollars annoncé récemment par le gouvernement — qui fait partie de l’investissement de plus de 252 millions de dollars visant à soutenir les agriculteurs, les entreprises alimentaires et les transformateurs d’aliments — permettra aux producteurs laitiers d’acheter et de revendre tout le lait qu’ils produiront en trop.

J’habite une région principalement rurale dans le nord-est de la Nouvelle-Écosse qui compte de nombreuses exploitations laitières bien gérées. Certaines d’entre elles appartiennent à des familles néerlandaises qui se sont installées dans notre région après la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre de notre examen du projet de loi, nous avons communiqué avec Chris van den Heuvel, un producteur laitier du comté d’Inverness, l’ancien président de la Nova Scotia Federation of Agriculture et l’actuel deuxième vice-président de la Fédération canadienne de l’agriculture.

Chris van den Heuvel nous a dit : « Les temps sont difficiles. En dépit du système de gestion de l’offre, les producteurs laitiers sont durement touchés. Les ventes du côté des services d’alimentation ont tellement diminué qu’on jette au-delà d’un million de litres de lait par semaine. Nous avons eu deux baisses de quota consécutives en autant de mois, ce qui signifie moins de lait à expédier et donc, évidemment, moins de revenus. Tout cela ajoute au stress des producteurs laitiers, qui composent déjà avec une industrie où la marge de profit est très mince, et nuit à leur santé mentale. Sans compter la question du bien-être des animaux, les producteurs étant forcés de tarir des vaches de manière précoce ou d’en abattre. Bref, la situation est loin d’être idéale, mais n’oublions pas que les autres secteurs, tels que l’horticulture, l’élevage de bœuf, de porc, de volaille et de chevaux, l’aquaculture et la culture de champignons, pour ne nommer que ceux-là, ne sont pas non plus épargnés. »

En réponse à nos communications, Brian Cameron, directeur général des Producteurs laitiers de la Nouvelle-Écosse, a dit ceci : « Les producteurs laitiers se réjouissent de l’annonce de soutien fédéral pour le secteur agricole. Partout au pays, les producteurs laitiers travaillent sans relâche pour alimenter les Canadiens en cette période de grande incertitude, et nous accueillons volontiers des mesures visant à stabiliser notre secteur. L’importante réduction des quotas en avril et en mai, où la production de lait est habituellement supérieure, diminue directement les liquidités à un moment de l’année où les dépenses sont élevées en raison de la préparation des champs et de l’ensemencement. »

M. Cameron ajoute ce qui suit : « J’ai parlé à de nombreux producteurs et je pense que les événements tragiques survenus au début avril en Nouvelle-Écosse, combinés à la distanciation sociale et aux autres restrictions, ont un effet néfaste tant sur le plan mental que sur le plan social. » La mauvaise nouvelle selon laquelle le gouvernement a accepté le 1er août comme date d’entrée en vigueur de l’ACEUM nuit encore plus aux producteurs laitiers. Nous avons été déçus trop souvent.

(1430)

Malgré ces revers, M. Cameron affirme que les producteurs sont forts et résilients et qu’ils produiront un lait de grande qualité.

Honorables collègues, les producteurs laitiers canadiens sont peut-être forts et résilients, comme M. Cameron les a décrits, mais je sais que cela leur a brisé le cœur et le moral de devoir se débarrasser du précieux lait qu’eux et leurs vaches ont travaillé si dur pour produire. Honorables collègues, ne laissons pas ces agriculteurs tomber. Adoptons le projet de loi C-16 et pensons tous aux producteurs laitiers qui travaillent fort lorsque nous dégusterons nos laits frappés, nos Frappuccinos et nos cornets de crème glacée en famille cet été. Wela’lioq. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé déclarait que l’épidémie de coronavirus était devenue une pandémie. Dans sa déclaration aux médias ce jour-là, le directeur de l’OMS a dit ce qui suit :

Ces deux dernières semaines, le nombre de cas de COVID-19 hors de ‎Chine a été multiplié par 13 et le nombre de pays touchés a triplé.

On compte désormais plus de 118 000 cas dans 114 pays et 4 291 décès.

Des milliers de personnes sont hospitalisées entre la vie et la mort.‎

Dans les jours et les semaines à venir, le nombre de cas, de décès et ‎de pays touchés devrait encore augmenter.

Chers collègues, nous le savons, c’est exactement ce qui s’est produit. Mercredi marquait la 9e semaine depuis le 11 mars. Il y a 9 semaines, il y avait 118 000 cas de COVID-19. Aujourd’hui, il y a plus de 4,5 millions de cas à l’échelle de la planète.

Il y a 9 semaines, 4 291 personnes avaient été emportées par le virus. Le taux de mortalité de la COVID-19 atteignait 3,6 %. Aujourd’hui, le virus a tué plus de 300 000 personnes dans 177 pays et le taux de mortalité atteint les 6,7 %. Au Canada, le taux de mortalité est encore plus élevé, à 7,5 %. Plus de 73 000 Canadiens ont reçu un résultat positif au test de dépistage du virus et plus de 5 400 ont perdu la vie.

Cela représente plus de 5 400 familles et un nombre incalculable d’êtres chers qui ont été directement touchés par la mort prématurée d’un parent ou d’un ami à cause du virus. Ces personnes étaient des mères et des pères, des sœurs et des frères, des grands-mères et des grands-pères qui, il y a à peine quelques semaines, s’étaient réunis autour d’un repas ou dans un foyer pour personnes âgées pour rire ensemble et partager des moments remplis d’amour. Maintenant, ils ne sont plus parmi nous. La douleur causée par ce virus est incommensurable, et nos pensées et nos prières accompagnent toutes les personnes qui ont été touchées.

Chers collègues, beaucoup d’entre vous ignorent peut-être que, il y a deux jours à peine, l’une des nôtres a perdu son père après que ce dernier a succombé à la maladie. Madame la sénatrice Saint-Germain, nous sommes de tout cœur avec vous.

Elle a pu parler avec son père sur FaceTime lors de ses derniers moments. Malheureusement, rien ne permettra de faire un retour en arrière; rien ne permettra de remplacer ce qui a été perdu. Ce n’est pas comme un jeu vidéo où on peut recommencer les niveaux ratés. Nous sommes dans la vraie vie, et la vraie vie est remplie de peines et de joies, certaines évitables et d’autres inévitables. C’est la grande tragédie de la pandémie de la COVID-19 : elle nous plonge à la fois dans des situations qui peuvent être évitées et dans des situations qui ne le peuvent pas.

Le Canada ne pouvait pas prévenir l’éclosion du coronavirus, mais il aurait pu en faire davantage et aurait pu agir plus rapidement pour éviter sa propagation. Il était inévitable que nous serions touchés par la pandémie et que des vies seraient perdues. Cependant, on aurait pu éviter que le virus ravage sans relâche tant de résidences pour personnes âgées. Nous aurions pu, et nous aurions dû, en faire davantage pour protéger les personnes âgées et les membres les plus vulnérables de notre société.

Il était également inévitable qu’une pandémie mondiale aurait des conséquences économiques majeures. Or, il est indéniable que la gestion maladroite par le gouvernement de la crise de santé a amplifié la crise économique actuelle. Personne ne s’attend à ce que le gouvernement soit parfait ou à ce qu’il fasse tout correctement. Toutefois, en temps de crise nationale, le gouvernement devrait au moins faire tout en son pouvoir pour être plus efficace en adoptant une approche coopérative plutôt que combative, collégiale plutôt qu’exclusive, et réfléchie plutôt que politique.

Or, ce n’est pas ce que nous avons vu de la part du gouvernement. D’ailleurs, dans son approche à l’égard de la COVID-19, le gouvernement commence à ressembler à un hamster dans sa roue : il travaille très fort, mais il ne va pas bien loin. La même situation se reproduit sans arrêt : on annonce des dépenses, puis c’est la confusion et l’incertitude. Qui est admissible? Comment peut-on présenter une demande? Pourquoi le programme ne s’applique-t-il pas à telle situation ou à telle personne? Pourquoi y a-t-il autant de lacunes dans le filet de sécurité? Pourquoi fait-on une annonce sans fournir de détails sur le fonctionnement du programme?

Neuf semaines se sont écoulées depuis le début de la pandémie, mais certaines personnes en difficulté n’ont toujours pas de bouée de sauvetage. Le gouvernement vient en aide de façon sélective à certaines personnes, tandis que d’autres peinent à subsister.

Lorsque l’on veut annoncer des dépenses d’urgence de plusieurs milliards de dollars en fonds publics, il vaut mieux le faire dans l’enceinte de la Chambre des communes que sur les marches du chalet du premier ministre. On dirait que les libéraux ne considèrent pas le Parlement comme un service essentiel. Honorables collègues, les magasins Walmart et Costco et même les restaurants Tim Hortons sont ouverts, alors comment se fait-il que le Parlement ne le soit toujours pas? On dirait que, moins les libéraux ont à rendre des comptes à Ottawa, mieux ils se portent.

Chers collègues, aujourd’hui, nous avons été convoqués pour étudier le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait.

Chers collègues, je trouve pour le moins intéressant de voir qu’après avoir fait des annonces de dépenses de plusieurs milliards de dollars et avoir empêché le Parlement de siéger plus fréquemment — ce qui aurait assuré une reddition de comptes appropriée et l’examen des politiques proposées —, le premier ministre nous rappelle maintenant au Parlement pour changer un mot dans une loi.

Dans l’esprit du premier ministre, il est trop dangereux que le Parlement siège régulièrement et exige que le gouvernement rende compte des dépenses extraordinaires de fonds publics pendant cette crise nationale, mais il n’hésite pas un seul instant à convoquer le Parlement pour remplacer un « trois » par un « cinq ».

Qu’on me comprenne bien. Je ne laisse pas entendre que cette modification est sans importance et je précise que nous avons la ferme intention de l’appuyer.

Le 5 mai, le premier ministre a annoncé de nouvelles dépenses de 252 millions de dollars pour soutenir les agriculteurs et les entreprises alimentaires, notamment dans le secteur de la transformation. Dans le cadre de ce train de mesures, le gouvernement a fait connaître son intention d’augmenter de 200 millions de dollars le plafond d’emprunt de la Commission canadienne du lait pour couvrir les coûts liés à l’entreposage des surplus de fromage et de beurre. Les producteurs laitiers n’ont jamais vu une fluctuation hebdomadaire de la demande de lait comme à l’heure actuelle.

Par surcroît, la fermeture soudaine des restaurants et des hôtels à l’échelle du pays a entraîné un excédent de production très difficile à gérer. On ne peut pas tout simplement arrêter de traire une vache pendant une semaine parce que la demande est faible — la ministre a bien expliqué que ce n’est pas comme fermer un robinet — pour ensuite recommencer la semaine suivante lorsque la demande est plus forte. La situation est légèrement plus compliquée.

(1440)

L’industrie laitière s’est efforcée tant bien que mal de composer avec ces difficultés, notamment en faisant don de plus de 10 millions de dollars en produits laitiers aux banques alimentaires partout au pays, et en réduisant ses quotas de 2 à 5 %, selon les provinces. Malgré ces efforts, les producteurs laitiers ont été obligés de jeter 30 millions de litres de lait, en raison du manque pur et simple de débouchés. Personne ne souhaite une telle chose.

Les producteurs laitiers nous disent que cette modification contribuera à « compenser les répercussions des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement qui ont empêché les produits laitiers de se rendre de la ferme à l’épicerie. »

La nécessité de la modification présentée aujourd’hui ne fait donc pas débat. Elle est nécessaire, car elle va permettre d’aider l’industrie laitière à traverser cette période difficile.

Mais ce dont le pays n’a pas besoin, c’est d’un premier ministre qui accepte que le Parlement siège uniquement lorsque cela lui convient et qui ne semble pas comprendre l’importance que revêt la surveillance parlementaire dans les circonstances actuelles. Qu’il en soit conscient ou non, il déprécie la valeur de l’institution la plus précieuse au pays, tout en cherchant à rehausser sa propre valeur.

Rex Murphy a très bien décrit la situation dans sa chronique publiée le 27 avril dans les pages du National Post:

Hélas, pour reprendre les paroles mémorables de sir Thomas Browne, en temps de crise nationale, la notion de Parlement habilité n’est que rêves et folies. L’idée d’une tribune nationale destinée à surveiller nos dirigeants, à garder un œil sur la distribution massive de deniers publics, à remettre en question les décisions que notre premier ministre nous présente quotidiennement n’est, semble-t-il, qu’une simple distraction, une perte de temps, une étape inutile dans le fonctionnement impeccable de ce gouvernement minoritaire.

On ne saurait mieux dire que Rex Murphy.

Toutefois, le Parlement n’est pas la seule cible de l’indifférence du premier ministre. Le secteur agricole du pays semble aussi très bas dans sa liste de priorités. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Je vais en énumérer quelques-uns.

Premièrement, le soutien que le gouvernement accorde au secteur agricole pendant cette pandémie est ridiculement inadéquat. Voici quelques chiffres : nous en sommes au 65e jour de la pandémie et, jusqu’à présent, le gouvernement a annoncé 156 milliards de dollars en paiements de soutien directs, ce qui représente 2,4 milliards de dollars par jour depuis le début de la pandémie.

Si ces dépenses étaient réparties de manière égale dans la population, cela correspondrait à un chèque d’un peu plus de 4 100 $ pour chaque homme, femme et enfant du pays ou de 16 400 $ pour une famille de quatre. Nous savons bien que l’argent n’est pas versé de cette façon, mais cela nous donne une idée de l’ampleur des sommes dépensées. Dans la pratique, l’argent est versé dans le cadre de programmes précis et va à des personnes et à des industries précises.

Le mois dernier, la Fédération canadienne de l’agriculture a établi à 2,6 milliards de dollars les besoins de l’industrie agricole découlant de la pandémie. Le gouvernement a répondu en annonçant 252 millions de dollars pour l’industrie.

Chers collègues, cela représente moins de 10 % des besoins de l’industrie et moins de 0,17 % des dépenses directes totales du gouvernement pour la crise du coronavirus jusqu’ici. Cela n’a aucun sens.

Deuxièmement, en plus d’être tout à fait insuffisant, ce soutien financier se fera en partie attendre pendant des mois.

Une partie des 252 millions de dollars annoncés doit servir à créer un Fonds d’urgence pour la transformation de 77,5 millions de dollars. Ce fonds aidera les producteurs d’aliments à avoir accès à davantage d’équipements de protection individuelle, à s’adapter aux protocoles sanitaires, à automatiser ou à moderniser leurs installations, leurs processus et leurs opérations, et à répondre aux nouvelles pressions issues de la COVID-19. Ils pourront ainsi approvisionner plus efficacement les Canadiens pendant cette période. Or, selon Global News, ce financement ne sera probablement pas disponible avant la fin du mois de septembre, et il n’y a toujours pas de détails sur les conditions à remplir pour bénéficier de ce financement.

Les usines de transformation de la viande ont été durement touchées par le coronavirus. L’usine Cargill de High River, en Alberta, a été fermée après que 350 cas de COVID-19 y aient été signalés. Dimanche, une autre usine Cargill près de Montréal a annoncé qu’elle fermerait temporairement ses portes après qu’au moins 64 travailleurs aient obtenu un résultat positif au test de dépistage.

Ce montant de 77,5 millions de dollars est censé aider les usines à améliorer leurs conditions de travail afin de prévenir de telles épidémies. Pourtant, comme l’a rapporté Global News : « Pour ce qui est de la date à laquelle l’argent devrait être distribué, le ministère a déclaré que cela se ferait « au plus tard » le 30 septembre. »

Le 30 septembre, c’est dans 139 jours. D’ici là, la pandémie aura duré 204 jours. Comment cette annonce aide-t-elle l’industrie à relever les défis liés à la COVID auxquels elle est confrontée en ce moment? Et pourquoi diable cette mesure est-elle annoncée en mai comme un financement imminent, alors qu’elle ne sera pas appliquée avant des mois?

Troisièmement, non seulement l’aide gouvernementale au secteur agricole est ridiculement insuffisante et ne sera pas complètement versée avant des mois, mais elle est aussi nettement inférieure à l’aide fournie aux autres secteurs.

Les 252 millions de dollars promis par le gouvernement incluent des fonds pour aider les éleveurs de bétail qui font face aux coûts supplémentaires engendrés par la COVID-19. Cela comprend des fonds mis de côté pour des programmes de gestion des bovins et des porcs afin de gérer le bétail en réserve dans les fermes en raison de la fermeture temporaire des usines de transformation des aliments.

Le montant prévu à cet effet est de 125 millions de dollars. Il y a toutefois un problème : l’on estime qu’il y a actuellement 14 millions de porcs et 11 millions de bovins. Cela représente 25 millions de têtes de bétail. Si l’on répartit ces 125 millions de dollars en fonction du nombre de têtes de bétail, cela reviendra à 5 $ par animal. À quel point ces 5 $ par bête vont-ils aider? Que permettront-ils de payer?

Les coûts de production quotidiens peuvent varier considérablement d’un bout à l’autre du Canada. Cependant, dans le secteur du bœuf du Manitoba, ce coût s’élève à environ 3 $ par animal par jour pour une exploitation de naissage, et à 5,75 $ par animal par jour pour un parc d’engraissement. Les porcs sont encore plus chers à élever, et coûtent environ 11 $ par animal par jour. Cela signifie que la grande annonce du gouvernement de 125 millions de dollars pour les producteurs de porcs et de bovins couvrira l’équivalent des coûts de production d’une exploitation d’élevage pour une période de 12 à 24 heures.

Les éleveurs de porcs et de bovins contribuent à hauteur de 13 milliards de dollars par année à l’économie canadienne, mais ne reçoivent que 125 millions de dollars en aide lorsque la planète est frappée d’une crise sanitaire. Cela représente un peu moins de 1 % de leur contribution annuelle totale à l’économie.

Comparons cela à ce que le gouvernement a fait pour les étudiants. Le gouvernement a annoncé une aide de 9 milliards de dollars pour les étudiants. Selon Statistique Canada, le Canada compte environ deux millions d’étudiants de niveau postsecondaire, ce qui revient à 4 500 $ par étudiant, sans compter l’argent qui a été affecté au programme Emplois d’été Canada.

Ces 9 milliards de dollars sont destinés à aider les étudiants dans le cadre de la Stratégie emploi et compétences jeunesse et à appuyer ceux qui ne trouvent pas de travail, qui font du bénévolat ou qui ont besoin d’aide pour leurs prêts étudiants. La Prestation canadienne d’urgence pour étudiants les aidera pendant une période pouvant atteindre 112 jours, du début mai jusqu’à la fin août.

Autrement dit, les étudiants sont couverts pendant 112 jours, mais les producteurs de porc et de bœuf sont couverts pendant 12 à 24 heures.

(1450)

J’ose croire que personne n’aura l’idée d’insulter les agriculteurs en prétendant que cette comparaison revient à critiquer les étudiants. Ce serait absurde. Il faut offrir de l’aide aux étudiants dans le besoin et personne ne devrait leur reprocher cette assistance.

Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut se demander pourquoi l’aide du gouvernement est si faible pour l’agriculture, toutes proportions gardées, alors que ce secteur est celui qui met de la nourriture sur nos tables? Cela n’a aucun sens.

Quatrième exemple qui montre que l’agriculture n’est pas une grande priorité pour le gouvernement : une grande partie de l’aide annoncée pour l’agriculture n’est qu’un ramassis d’anciens engagements. Il ne s’agit pas d’argent frais dégagé pour répondre aux difficultés causées par la COVID-19. Le gouvernement s’est bien gardé de dire que la moitié des 252 millions de dollars annoncés pour l’agriculture n’est pas de l’argent frais et que ce montant faisait déjà partie de l’enveloppe consacrée à l’agriculture et l’agroalimentaire cette année. Il en va de même pour les mesures visant à augmenter les liquidités par l’intermédiaire de Financement agricole Canada. Au lieu d’offrir un nouveau programme d’aide lié à la COVID-19, les libéraux ont simplement annoncé de nouveau une promesse électorale de 2019. Cette tendance du gouvernement à annoncer des mesures d’aide existantes pour le secteur agricole montre qu’il ne considère pas l’agriculture comme une priorité. Si c’était une priorité, les décisions du gouvernement et les ressources qu’il consacre à ce secteur ne seraient pas les mêmes.

On estime que 15 % des exploitations agricoles, soit environ 30 000 d’entre elles, feront faillite si on ne fournit pas immédiatement une aide véritable au secteur canadien de l’agriculture et de l’alimentation. La situation est grave. La nature sans précédent de la pandémie exige des mesures sans précédent, et non des programmes recyclés par un gouvernement qui ne prend pas le secteur agricole au sérieux.

Cinquième exemple qui montre à quel point le gouvernement fait peu de cas du secteur agricole : la manière dont il traite l’industrie laitière.

Posez-vous la question suivante : qu’a fait le gouvernement pour l’industrie laitière depuis que la pandémie a forcé l’arrêt de pratiquement toute l’économie? Eh bien, la première chose qu’il a faite, comme je l’ai dit la dernière fois que nous nous sommes réunis dans cette enceinte, a été de poignarder l’industrie laitière dans le dos. Il avait promis aux Producteurs laitiers du Canada et à l’Association des transformateurs laitiers du Canada que le nouvel Accord Canada—États-Unis—Mexique ne serait pas mis en vigueur avant le 1er août, afin que le secteur puisse profiter de 12 mois complets pour exporter d’importants produits laitiers en profitant du seuil d’exportation prévu pour la première année de l’accord, avant de devoir se conformer au seuil beaucoup moins élevé que le gouvernement a concédé et qui entrera en vigueur à la deuxième année. Au lieu de tenir cette promesse faite aux agriculteurs et aux producteurs laitiers canadiens, le gouvernement libéral a été le premier à aviser les autres partis qu’il était prêt à mettre l’accord en œuvre un mois avant la date qu’il avait promise. En ratifiant l’accord un mois plus tôt, le gouvernement a privé l’industrie laitière de 11 mois d’exportations avec un seuil préférentiel. Cela coûtera 100 millions de dollars à l’industrie. Maintenant, le gouvernement dit qu’il remboursera ces pertes à l’industrie, mais la confiance perdue avec cette bourde monumentale ne sera pas rétablie. Tout ce que le gouvernement aura réussi à faire, c’est de refiler aux contribuables canadiens la facture à payer en raison son incompétence.

Qu’en est-il de la mesure législative dont nous sommes saisis aujourd’hui? Le projet de loi hausse de 200 millions de dollars la capacité d’emprunt de la Commission canadienne du lait pour couvrir les coûts de stockage des excédents de fromage et de beurre. Cette mesure montre sûrement l’attachement du gouvernement à l’industrie laitière? Pas vraiment. Voici ce qu’il en est. Il s’agit d’une mesure nécessaire, mais elle ne coûtera probablement rien au gouvernement fédéral. Le directeur parlementaire du budget a confirmé que, presque chaque fois que le gouvernement annonce un nouveau programme de prêts ou une autre mesure visant à injecter des liquidités, ce dernier en tire des revenus; il n’y consacre pas d’argent.

Prenons le programme de prêts de 5,2 milliards de dollars de Financement agricole Canada, que le gouvernement a annoncé le 18 mars dernier. Ce programme d’aide aux agriculteurs rapportera 96 millions de dollars à l’État. Le programme de prêt et de garantie pour les PME de 20 milliards de dollars d’Exportation et développement Canada rapportera 3 millions de dollars au Trésor. Le Programme de garantie de prêt pour les petites et moyennes entreprises de 20 milliards de dollars de la Banque de développement du Canada rapportera 389 millions de dollars à l’État. L’aide au crédit et aux liquidités de 150 milliards de dollars dans le cadre du programme de protection de l’assurance hypothécaire rapportera quant à lui 428 millions de dollars à l’État.

L’augmentation de 200 millions de dollars de la capacité d’emprunt prévue dans le projet de loi C-16 est aussi nécessaire que bienvenue, mais il ne faut pas croire que cette mesure coûtera un sou au gouvernement. Nous devrons attendre que le directeur parlementaire du budget procède à l’évaluation des coûts, mais il est fort probable que l’État tirera également des revenus de ce programme.

Un autre point que vous devez comprendre à propos de la façon dont le gouvernement traite l’industrie laitière est comment il suggère de gérer les contingents tarifaires. L’Association des transformateurs laitiers du Canada explique l’importance des contingents tarifaires pour l’industrie laitière comme suit : « Les contingents tarifaires, ou licences d’importations de produits laitiers, ont pour but de protéger les industries canadiennes qui ont subi les contrecoups économiques des accords commerciaux internationaux, notamment l’Accord économique et commercial global, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste ou l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Traditionnellement, ils procurent une stabilité à long terme aux industries comme la nôtre. Les contingents tarifaires nous permettent d’importer des produits selon des tarifs bas ou sans tarifs, ce qui nous permet d’offrir ces produits aux Canadiens à des prix concurrentiels par l’intermédiaire des détaillants. Le profit aide notre industrie à compenser les pertes encourues en raison des accords commerciaux internationaux. »

Le problème est que le premier ministre s’apprête à donner 100 % de ces contingents tarifaires aux détaillants plutôt qu’aux transformateurs laitiers. Ces derniers sont très inquiets, car les détaillants n’ont subi aucun contrecoup économique à la suite des signatures de ces accords commerciaux, contrairement à l’industrie laitière. C’est inconcevable, sauf que je me rappelle que le gouvernement a pensé qu’il devait refiler aux contribuables la facture de 12 millions de dollars pour des réfrigérateurs destinés à Loblaws l’année dernière. Il veut probablement remplir ces réfrigérateurs aux dépens de l’industrie laitière.

Voici pourquoi les transformateurs laitiers estiment qu’ils devraient avoir droit aux contingents tarifaires, mais pas les détaillants : en deux mots, c’est parce que les détaillants et les distributeurs n’ont pas souffert des récents accords commerciaux. Ils ne produisent rien, ils offrent simplement les produits des autres aux consommateurs canadiens, avec profit à la clé. Les transformateurs laitiers, de leur côté, ont investi des sommes importantes dans leur équipement de production afin de créer de nouveaux produits et de les mettre en marché. Pour les entreprises de ce secteur, les contingents tarifaires constitueraient un gage de stabilité qui les aiderait à mieux prévoir leurs affaires et à continuer d’investir, en plus de leur fournir un rendement des investissements raisonnable.

L’association demeure persuadée que les contingents tarifaires liés à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et à l’Accord Canada—États-Unis—Mexique doivent impérativement être accordés aux transformateurs laitiers afin de les dédommager pour les pertes que leur causera immanquablement l’ouverture du marché canadien des produits laitiers. Or, pour une raison qu’on ne saurait expliquer, le gouvernement fait la sourde oreille. Il faut dire qu’on commence à avoir l’habitude parce que c’est ainsi qu’il traite désormais le milieu de la production laitière et le secteur agricole en général.

Le traitement réservé à l’industrie céréalière constitue le sixième exemple montrant à quel point le secteur agricole est loin sur la liste des priorités du gouvernement. Les producteurs du pays n’ont pas manqué de remarquer qu’ils étaient tout simplement exclus du programme d’aide de 252 millions de dollars destiné au secteur agricole et agroalimentaire.

Les Producteurs de grains du Canada ont réagi ainsi à l’annonce du gouvernement :

Ce programme d’aide ne permet de résoudre aucun des problèmes qui nous affligent depuis longtemps déjà, comme l’accès au marché, le blocage des voies ferrées et la récolte pitoyable de 2019.

Alors que les revenus agricoles nets continuent à dégringoler, le gouvernement fédéral n’a offert que des programmes d’aide qui ne sont pas accessibles à la majorité des exploitations agricoles ou qui se concentrent sur l’accès au capital d’emprunt pour des agriculteurs déjà fortement endettés. Ce programme d’aide renforce malheureusement la tendance.

(1500)

Encore et encore, le gouvernement libéral laisse tomber les producteurs de grains du Canada. Ce n’est là que l’exemple le plus récent.

Sans exagérer, je pourrais probablement continuer à vous donner des exemples du mépris du gouvernement envers le secteur agricole canadien jusqu’à minuit — je pense que la motion nous permet de prolonger la séance jusqu’à cette heure. Je ne suis toutefois pas certain que j’arriverais à conserver votre attention aussi longtemps. Permettez-moi donc d’ajouter un septième et dernier exemple : la taxe fédérale sur le carbone.

Il est difficile de trouver une mesure qui nuira davantage à l’industrie agricole que la taxe sur le carbone. L’agriculture a grandement besoin de combustibles fossiles parce que les tracteurs ne sont plus tirés par des chevaux. Ils fonctionnent au diésel.

Les grains ne sont plus asséchés au soleil comme on le faisait il y a des centaines d’années. Les agriculteurs utilisent plutôt la chaleur produite avec du propane.

Il faut aussi tenir compte du transport ferroviaire, du chauffage, de l’électricité et du camionnage, qui sont essentiels pour de nombreux aspects des activités agricoles. Tous nécessitent des combustibles fossiles. Il n’y a en ce moment aucune solution de rechange fiable.

Et contrairement à ce qu’Elizabeth May, du Parti vert, et le Bloc québécois tentent de nous faire croire, il est plutôt difficile d’installer des panneaux solaires ou des éoliennes sur un tracteur.

C’est le premier problème que pose la taxe sur le carbone : les agriculteurs utilisent beaucoup de combustibles à base de carbone.

Le deuxième problème, c’est que les agriculteurs sont des preneurs de prix et que, contrairement à de nombreuses autres industries, ils ne peuvent pas refiler le coût de la taxe sur le carbone aux consommateurs.

Selon les recherches effectuées par l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, le résultat net de ces deux facteurs est le suivant :

[...] les agriculteurs peuvent s’attendre à perdre 8 % de leur revenu net total en 2020 à cause de la taxe sur le carbone. Pour un ménage qui gère une ferme céréalière de 5 000 acres en Saskatchewan, le montant de la facture variera entre 8 000 et 10 000 $.

Dans moins de deux ans, lorsque la taxe sur le carbone passera à 50 $ la tonne en 2022, le montant de la facture variera entre 13 000 et 17 000 $ pour le même ménage, soit l’équivalent d’une diminution de 12 % de son revenu net.

Partout au pays, les producteurs sont très préoccupés par la taxe sur le carbone, et ce, à juste titre. Je remarque que la sénatrice Griffin a attiré l’attention du Sénat sur cette situation en présentant le projet de loi S-215, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (exemptions pour les activités agricoles).

Tandis que les agriculteurs sont très inquiets des répercussions de la taxe sur le carbone sur l’industrie agricole et que les sénateurs suivent de près ces préoccupations, le gouvernement n’y porte aucune attention. Comment expliquer tout cela?

D’une part, nous avons la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, qui était ici aujourd’hui, qui fait des déclarations comme celle-ci :

Je tiens à rassurer tous nos agriculteurs et propriétaires d’entreprises agroalimentaires que notre gouvernement reconnaît à quel point ils sont essentiels à nos communautés. Nous sommes là pour les aider à traverser cette crise.

D’autre part, ces belles paroles ne se traduisent jamais en actions concrètes.

Que sont censés en conclure les agriculteurs?

Si le gouvernement était à tout le moins cohérent dans sa façon de traiter les Canadiens, peut-être que nous pourrions conclure qu’il fait de son mieux. Or, il est loin d’être cohérent.

Il fait fi des besoins et des préoccupations de l’industrie agricole tout en envoyant de l’argent sans discernement aux personnes qui n’y sont même pas admissibles.

Je suis certain que vous avez tous vu le grand titre du National Post, dont nous avons parlé ce matin : « “Pas d’arrêt de paiement” : les fonctionnaires fédéraux chargés de traiter les demandes de Prestation canadienne d’urgence et d’assurance-emploi reçoivent l’ordre de fermer les yeux sur l’abus ».

C’était le titre de l’article du National Post.

Il semblerait que les employés d’Emploi et Développement social Canada et de Service Canada auraient reçu une note de service disant ceci :

À compter de maintenant, dans le traitement des demandes, si un agent relève des informations qui semblent indiquer une fraude possible du système d’assurance-emploi par un client, un employeur ou un tiers, il ne doit pas imposer un arrêt de paiement ni transmettre la demande aux Services d’intégrité, à moins qu’il considère que la situation nécessite d’entreprendre une enquête urgente.

La raison est que la Direction des Services d’intégrité a suspendu toutes les enquêtes qui ne sont pas urgentes. En plus de la suspension des Séances d’information à l’intention des prestataires, des rencontres en personne et des visites sur place, la Direction a suspendu toutes les activités des Opérations d’intégrité relatives à la conformité et à l’application du programme d’assurance-emploi.

Je trouve cela incroyable. Comment peut-on d’une main refuser aux agriculteurs canadiens l’aide dont ils ont désespérément besoin et, de l’autre, balancer de l’argent par les fenêtres pour des gens qui n’y ont même pas droit? Et il n’y a même pas de mécanisme permettant de récupérer cet argent.

Comment peut-on fermer les yeux face à des demandes visiblement frauduleuses et insister pour que l’argent soit tout de même versé, puis tourner le dos de façon cavalière au secteur agricole alors qu’il a des besoins financiers critiques?

Cela en dit long sur l’attitude déplorable du gouvernement face au secteur agricole et sur l’incompétence dont il fait preuve dans la gestion de la pandémie.

Chers collègues, en terminant, permettez-moi de dire ceci : j’ai été troublé d’apprendre que le Bureau du vérificateur général a été contraint de suspendre la plupart de ses travaux en raison d’un manque de financement.

Permettez-moi de citer un article paru sur i Politics.

Le vérificateur général du Canada déclare qu’un manque de financement ne lui a laissé d’autre choix que de retarder la plupart des travaux de vérification, puisque la pandémie de la COVID-19 exerce de nouvelles pressions sur son bureau, qui est déjà en manque de ressources.

Le vérificateur général intérimaire, Sylvain Ricard, a déclaré mardi au Comité des finances de la Chambre des communes que son bureau a dû interrompre toutes les vérifications, à l’exception de trois.

Nous pourrions peut-être interroger la candidate à ce sujet un peu plus tard.

Honorables sénateurs, c’est incroyable et inacceptable. Au moment où le gouvernement dépense des sommes record et où le premier ministre se vante d’avoir présenté « les mesures économiques les plus importantes de notre époque », la seule chose pour laquelle il semble incapable de trouver de l’argent est le bureau responsable de lui demander des comptes sur ses dépenses.

Cela ne vous paraît-il pas plutôt curieux?

D’abord, le premier ministre ne veut pas que le Parlement siège trop souvent pour ne pas qu’on pose trop de questions. Ensuite, il refuse de financer le Bureau du vérificateur général pour que celui-ci puisse faire son travail de chien de garde des dépenses publiques.

Chers collègues, je dois avouer que le gouvernement fournit tous les éléments nécessaires à une bonne théorie du complot. Comme vous, je reçois d’innombrables courriels de la part de gens qui sont convaincus que le gouvernement participe à une sorte d’infâme complot et qu’il travaille en catimini, dans les coulisses, pour mettre en place les composantes de son programme secret.

Eh bien, permettez-moi d’en douter. Non pas parce que je suis persuadé d’avoir débusqué les intentions du premier ministre, mais bien car je suis presque certain que toute conspiration réussie nécessite un certain degré de compétence. Ce n’est manifestement pas le cas du gouvernement.

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont entendu à la Chambre des communes hier — ou peut-être était-ce avant-hier — le député Pierre Poilievre poser au ministre des Finances une série de questions fondamentales sur l’état des finances du pays. La première question était la suivante :

Quelle est la valeur en dollars des actifs totaux du gouvernement du Canada?

La deuxième question était :

Quel est le total des passifs du gouvernement du Canada?

La troisième question était :

Je sais que nous ne devrions pas interroger le ministre sur les chiffres. Il n’est que le ministre des Finances, après tout, mais à combien s’élèvent les capitaux dans le bilan financier du gouvernement du Canada?

La quatrième question était :

Le ministre peut-il, s’il connaît ces chiffres, nous dire s’il est possible que son gouvernement atteigne un endettement de 1 billion de dollars cette année?

La dernière question était :

À combien s’élève notre dette nationale actuelle?

Chers collègues, le ministre des Finances n’a pas su répondre à une seule de ces questions. Pas une seule. Par conséquent, soit il n’a pas voulu répondre, ce qui est honteux dans le contexte actuel, où on ne le voit qu’une seule fois par semaine au Parlement, soit il est incompétent s’il ne le sait pas.

Chers collègues, imaginez un instant être propriétaire d’entreprise. Vous faites venir votre chef des opérations à votre bureau pour lui demander quel est le bilan financier de l’entreprise, et il ne sait pas quoi répondre. Comment réagiriez-vous? Vous le congédieriez.

(1510)

Lorsque le ministre des Finances ne semble pas connaître les données fondamentales des finances du pays, on sait que le gouvernement en place est incompétent.

Chers collègues, aujourd’hui, le caucus conservateur appuiera l’adoption du projet de loi C-16 à l’unanimité, et non avec dissidence, car les producteurs laitiers et leur industrie ont besoin de cette aide en cette période critique. Toutefois, nous ne pouvons pas et nous n’allons pas sanctionner l’indifférence dont le gouvernement fait preuve à l’endroit du secteur agricole.

J’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour exhorter le gouvernement non seulement à reconnaître que le secteur agricole fournit des services essentiels, mais aussi à en faire la preuve en accordant le soutien et les services dont ce secteur a besoin au cours de cette période difficile. Je vous remercie.

L’honorable Jim Munson : C’est difficile de faire mieux, monsieur le sénateur.

C’est le milieu de l’après-midi et la question est très importante. Je vous félicite. Comme vous l’avez déjà dit, Jean Chrétien avait mentionné que dans le mot « opposition », il y a un beau grand « O ». Cela signifie que vous vous opposez et vous l’avez très bien fait.

Donc, vous avez le choix, monsieur.

Avant que je ne vous présente mon bref discours, j’ai pensé à ce que la sénatrice Coyle avait mentionné au sujet des laits frappés, de la crème glacée et ainsi de suite. J’ai eu le temps durant votre allocution de faire un peu de recherche. J’ai découvert un fait intéressant pour une personne originaire des Maritimes comme moi. Il y a une nouvelle boisson là-bas qui porte le nom de Rum Cow et qui est faite à partir d’une variété d’ingrédients. Je pense qu’en guise de soutien aux exploitants de fermes laitières, je vais être solidaire et appuyer le Rum Cow. Je ne vais pas lire toute la liste des ingrédients, mais il y a entre autres beaucoup de lait, six onces en tout, et un peu de rhum. Il est seulement 15 h 15, mais c’est l’heure où il faut faire attention si vous venez du Canada atlantique.

Je prends la parole au nom du groupe des sénateurs progressistes. J’ai l’honneur de formuler des commentaires à propos du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait. D’autres avant moi ont également passé en revue le projet de loi, alors je serai bref.

J’ai parlé avec mon bon ami, le sénateur Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Il est 16 h 15 maintenant, alors Dieu sait ce qu’il fait. Il voulait que je formule quelques commentaires en son nom au sujet du projet de loi. Bien entendu, il est un membre distingué du comité de l’agriculture en plus d’être un allié et un ami des agriculteurs du Canada.

Je cite donc le sénateur Mercer : le monde d’aujourd’hui est différent. Les restaurants sont fermés et d’autres entreprises le sont aussi, et la consommation de lait et de produits laitiers a considérablement diminué. Même si nous commençons à voir la lumière au bout du tunnel à travers le pays alors que nous redémarrons tranquillement nos économies, nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Le secteur agricole et agroalimentaire n’a pas échappé aux conséquences de la COVID-19. Les agriculteurs canadiens ont maintenant besoin d’aide et le projet de loi dont nous sommes saisis constitue une partie de la solution.

Honorables sénateurs, personne ne se réjouit d’entendre que les producteurs laitiers doivent se débarrasser de leur lait. Comme la ministre nous l’a dit plus tôt, ces derniers ont toujours donné leur lait excédentaire aux banques alimentaires lorsqu’ils le pouvaient, et nous saluons leur initiative. Toutefois, nos producteurs laitiers ne peuvent pas donner du lait cru. Ils peuvent uniquement donner les produits fabriqués à base de lait.

C’est pourquoi ce projet de loi est aussi important : il accroît la capacité de la Commission canadienne du lait à acheter des produits laitiers en grosse quantité et à les entreposer pour éviter le gaspillage de lait cru. Cela apportera ainsi une aide financière fort nécessaire aux producteurs et aux transformateurs laitiers.

Nous devrions être reconnaissants d’avoir notre système de gestion de l’offre. En effet, la capacité de s’adapter à des changements majeurs de la production et de la demande est essentielle. La crise de la COVID-19 a exercé des pressions supplémentaires sur le système. Nous espérons donc que le projet de loi à l’étude l’aidera à tenir le coup.

Finalement, il convient aussi de souligner que le financement annoncé par le gouvernement fédéral pour l’ensemble du secteur agricole est très loin du montant demandé par la Fédération canadienne de l’agriculture, mais c’est un début.

Aujourd’hui, nous nous penchons sur la production laitière mais, demain, nous nous intéresserons à d’autres activités du secteur agricole et agroalimentaire.

Les agriculteurs constituent l’épine dorsale du Canada rural. En fait, ils constituent l’épine dorsale du pays. N’oublions pas qu’ils assurent la subsistance de l’ensemble de la population canadienne.

Merci.

[Français]

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, je veux vous faire part de quelques réflexions sur le projet de loi C-16 dont nous sommes saisis. En premier lieu, je dois dire que je suis particulièrement outré de voir le gouvernement en place distribuer de l’aide aux citoyens et aux entreprises en faisant des annonces quotidiennes, comme s’il était en campagne électorale, et nous forcer ainsi à approuver à la pièce des actions qui pourraient être davantage concertées et concentrées dans un même projet de loi. Ce genre de spectacle politique ne confirme qu’une chose, soit que ce gouvernement est incapable, après deux mois de pandémie, de faire une analyse sérieuse et d’avoir une vision globale des gestes qui doivent être posés pour sauver les Canadiennes et les Canadiens, tant sur le plan de la santé que sur le plan économique.

Avoir une vision politique de ce dont notre pays a besoin en ces temps de crise, ce n’est pas annoncer chaque jour, au compte-gouttes, une distribution sélective de chèques. Quand j’écoute le premier ministre et les ministres de ce gouvernement, j’ai aussi la nette conviction que personne n’a encore réfléchi à l’après-COVID-19. En seront-ils capables un jour? Permettez-moi d’en douter.

Le spectacle quasi théâtral que pose M. Trudeau chaque matin n’a rien de rassurant. Si la raison pour endetter le pays et les Canadiens est valable, l’absence d’explication sur le total de la note et sur la façon dont les Canadiens vont la payer est un élément inquiétant, surtout avec un gouvernement qui ne sait rien faire d’autre que des déficits depuis qu’il est en poste. Nous n’avons pas le droit, à titre de sénateurs, de rejeter aujourd’hui le projet de loi C-16. En cette période de crise, l’aide aux producteurs que contient ce projet de loi doit obtenir notre aval, aussi incomplète soit-elle. Cependant, donner notre aval au projet de loi C-16 ne devrait en aucun temps signifier que les sénateurs ici présents, du moins c’est mon cas, approuvent les politiques à courte vue du gouvernement libéral face aux problèmes que nos agriculteurs et nos producteurs devront affronter au cours des prochaines années. Je parle ici seulement de ceux qui réussiront à se sortir de cette crise, parce qu’il ne faut pas être devin pour affirmer que certains vont tout perdre.

En tant que sénateurs, nous devons nous demander comment nous pouvons tolérer que le gouvernement actuel annonce de nouvelles mesures financières pour aider le secteur agricole, des mesures qui auraient très bien pu être intégrées au projet de loi C-16 avant même que nous ayons adopté ce projet de loi. Politiquement, je vous le dis, tout cela fait pitié.

L’agriculture, l’agroalimentaire, les pêcheries, à mon avis, forment un tout, et ces secteurs représentent avant tout une partie importante et névralgique de l’économie de notre pays. Il suffit de prendre quelques instants pour écouter les représentants de l’industrie et les agriculteurs pour constater que des projets de loi comme le projet de loi C-16, et d’autres qui viendront probablement au cours des prochaines semaines, ne sont pas et ne seront pas à la hauteur des attentes et des besoins de nos producteurs. Je vais vous en donner la raison. Le gouvernement actuel ne comprend pas l’agriculture et, surtout, il n’écoute pas ceux qui sont en mesure de proposer des solutions.

C’est avec grand plaisir que j’ai été membre du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts au cours des huit dernières années. J’ai posé à maintes reprises la même question à des intervenants et des experts du monde agricole qui venaient nous exposer leurs points de vue sur les décisions du gouvernement. Je leur demandais s’ils avaient été consultés avant l’annonce des décisions politiques qui les concernaient directement. La réponse était toujours la même : non. Toujours non. C’est inacceptable.

Chers collègues, l’agriculture est un vecteur économique de la plus haute importance pour le Canada, autant sinon plus que l’automobile, l’aéronautique et les nouvelles technologies. Cependant, les libéraux sont des urbains qui pensent que les tomates poussent dans les épiceries. J’exagère peut-être un peu. Si les libéraux s’étaient déjà vraiment intéressés à l’agriculture, il n’aurait pas fallu deux mois de pandémie pour accoucher de ce maigre et incomplet projet de loi C-16.

(1520)

Au pays, il y a des producteurs de porc et de bœuf qui devront euthanasier du bétail. Il y a des producteurs maraîchers qui perdront leur récolte. Il y a des transformateurs qui devront faire des mises à pied et des camionneurs qui n’auront rien à transporter. Sans compter que le prix de nos aliments grimpera au cours des prochaines années. C’est tout cela, l’agriculture au Canada. Cependant, je dois constater aujourd’hui que notre chaîne alimentaire est menacée et que les consommateurs en paieront le prix. Sur un plan plus politique, permettez-moi de vous dire ceci. On ne développe pas l’agriculture avec des chèques de compensation.

Les chèques de compensation, c’est pour réparer les erreurs qui ont été commises, comme celles que l’on trouve dans les accords internationaux négociés par ce gouvernement qui ne cessent de faire perdre du terrain à certains de nos producteurs. Pour que notre industrie agricole survive, il faut bien plus que des chèques de compensation, il faut une vision, et c’est ce qui manque à ce gouvernement. Il faut une vision pour amener notre agriculture plus loin et pour maintenir la capacité du Canada d’être un producteur mondial en alimentation.

Notre blé des Prairies, les pommes de terre des Maritimes, le lait du Québec et de l’Ontario, nos fruits, nos légumes, notre porc et notre bœuf, voilà la base d’une agriculture forte et compétitive. Nos voisins américains ont débloqué 19 milliards de dollars pour aider leurs producteurs agricoles, avec lesquels les nôtres sont souvent en compétition. Pendant ce temps, nos fermiers et nos producteurs ont réclamé une aide de 2,6 milliards de dollars, mais le gouvernement accouche du projet de loi C-16, qui leur offre 252 millions de dollars.

C’est à peine 10 % de ce qui était réclamé et de ce qui sera, de toute évidence, nécessaire pour sauver cette industrie. Évidemment, le gouvernement fera d’autres annonces. J’ai écouté la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire nous faire la liste de tout ce qui était disponible pour nos agriculteurs. Je vous dirais bien sincèrement qu’une chatte en perdrait ses chatons. Des chiffres, des programmes, du nouveau dans du vieux, du nouveau bien nouveau et sûrement du vieux que l’on recycle pour nous faire croire qu’il y a du nouveau.

On assiste à une séance de rapiéçage où les libéraux font clairement la démonstration de ce que je viens de vous dire. Ils n’ont aucune vision globale de l’agriculture au pays. Quand la distribution des chèques aux étudiants qui n’auront peut-être pas d’emploi cet été passe avant la mise en place d’une aide cohérente à l’agriculture, cela prouve clairement où se situent les priorités de ceux qui nous gouvernent.

Je suis heureux de voir que, pas plus tard qu’hier, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, éprouvait les mêmes inquiétudes que moi. Ce gouvernement semble incapable d’accoucher d’un plan économique pour l’après-COVID-19. Il concentre toute son énergie à faire des chèques, sans rendre de comptes à ceux qui devront un jour payer la note. Je reviens donc au projet de loi C-16 dont nous sommes saisis.

Encore une fois aujourd’hui, les libéraux pourront bénéficier de la tolérance dont nous sommes tous obligés de faire preuve afin de permettre aux agriculteurs d’avoir accès à une certaine aide financière. Cependant, je suis encore bouleversé de constater que personne, dans ce gouvernement, n’est en mesure de voir plus loin que six mois pour notre industrie agricole et agroalimentaire. Il faudra bien plus de temps, bien plus d’imagination et bien plus d’argent que ce dont nous disposons actuellement pour nous remettre de cette pandémie. Il y aura même des choix à faire, des choix difficiles, mais l’agriculture, ce n’est pas un choix, c’est une obligation que nous devons tous collectivement appuyer. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’aimerais prendre quelques instants pour transmettre mes plus sincères condoléances aux proches des victimes trop nombreuses de la COVID-19, et plus particulièrement à notre chère collègue la sénatrice Raymonde Saint-Germain, qui a perdu son père. Je vous transmets mes condoléances, Raymonde. Je vis sur l’île de Montréal où, hier, on a annoncé le décès d’une jeune femme de 27 ans qui n’avait apparemment aucun problème de santé auparavant. C’est la plus jeune victime jusqu’à maintenant. Bien des travailleurs de la santé sont épuisés et ils comptent pour la moitié des cas de COVID-19 chez les moins de 60 ans. Je leur rends hommage. On ne peut qu’espérer que les choses s’améliorent à Montréal, car les temps sont durs.

Je prends la parole à propos du projet de loi C-16 sur la Commission canadienne du lait, car la crise sanitaire fait mal à cette industrie très importante au Québec. Le Québec abrite la moitié des fermes laitières canadiennes, produit 36 % du lait et, fait à noter, 60 % à 70 % du fromage au pays. La COVID-19, combinée à l’entrée en vigueur plus tôt que prévu de l’Accord Canada—État-Unis—Mexique, déstabilise les producteurs de lait, qui ne comptent pas leurs heures sur leurs exploitations.

Je veux profiter de cette occasion pour dissiper quelques préjugés sur cette industrie qui est décrite par certains comme un enfant gâté, car elle bénéficie d’un système de gestion de l’offre. Ce système n’est pas sans défaut, j’en suis consciente. Les consommateurs paient leur lait plus cher, mais comparons un peu ce qui se passe des deux côtés de la frontière. Au début de la crise, comme on l’a dit, il y a eu une hausse fulgurante de la demande de lait pendant deux semaines, une hausse qui a été suivie d’une chute vertigineuse attribuable à la fermeture des restaurants et des écoles. Résultat : au pays, près de 30 millions de litres de lait frais qui n’ont pas trouvé preneur ont été jetés à la fosse.

Pourtant, au sud de la frontière, où il n’y a pas de gestion de l’offre, on estime que, chaque jour depuis le début de la crise, les fermes laitières américaines jettent 14 millions de litres de lait invendu dans les fosses à fumier. Ils en jettent aussi en temps normal.

Revenons chez nous. Pour limiter le gaspillage, notre système de gestion de l’offre, qui se caractérise aussi par une centralisation des décisions, a montré ses forces en ces temps de crise, selon un professeur de l’Université Laval, Maurice Doyon, qui est un expert en la matière.

En effet, selon M. Doyon, une réduction obligatoire de la production de 2 % a été décrétée. Les jours de tolérance — j’ai appris ce que c’était, c’est ce qui permet à un producteur de dépasser son quota en période de lactation — ont été carrément éliminés. On a donc réduit de 4 % le volume de lait produit. Les pertes ont donc été distribuées équitablement entre les producteurs, selon leurs quotas.

L’industrie a aussi fait, comme on l’a mentionné plus tôt, des dons importants aux banques alimentaires, soit 4 millions de litres, ce qui est un défi logistique, car il faut tout de même emballer ou transformer le lait destiné aux dons. Contrairement à ce que l’on croit, les producteurs sont seulement payés pour le lait qui est vendu, pas pour le lait qui est jeté.

Les revenus des producteurs ont donc baissé de 10 % à 15 %, en raison notamment de la chute du prix mondial. Cela semble peu par rapport à d’autres industries, mais les producteurs laitiers sont très endettés, ils ont des troupeaux qu’il faut nourrir et soigner. J’ai discuté avec l’un d’entre eux hier, et il m’a parlé du stress, de l’incertitude et de l’utilisation croissante de la marge de crédit, car les dépenses ne diminuent pas. De plus, ceux qui sont seuls ou en couple à la tête de leur ferme vivent dans la peur de contracter la COVID-19, car personne ne peut les remplacer.

Le projet de loi C-16 n’est pas miraculeux, il représente une mesure à court terme pour écouler le lait. Aurait-on dû réduire davantage la production? Peut-être, mais, à ce moment-là, il faudrait sacrifier des vaches, et si la demande reprenait dans 6 mois, on ne pourrait y répondre, car il faut compter 18 mois pour repeupler un troupeau.

Ce qui complique les choses, c’est que, à la faveur de la COVID-19, les habitudes alimentaires ont changé. On mange à la maison, les restaurants et les cafés sont fermés. On consomme davantage de lait de vache, soit 7 % de plus, mais beaucoup moins de crème, de yogourt et moins de fromage. Dans le cas des fromages fins, la demande s’est effondrée de 50 %, et même de 90 % pour certaines fromageries artisanales, qui distinguent notre industrie au Québec. La province est donc plus touchée que les autres à cause des caractéristiques de production.

L’autre mauvaise nouvelle pour l’industrie du lait, c’est que l’Accord Canada—États-Unis—Mexique entre en vigueur non pas le 1er août, comme on l’espérait, mais le 1er juillet. Cela veut dire que, en seulement un mois, les exportations canadiennes de poudre de lait écrémé et de concentré de protéines de lait devront être coupées de moitié, sans période de transition pour s’ajuster.

(1530)

Malgré les compensations promises à venir, des fermes disparaîtront, c’est inévitable, d’autant plus que la crise sanitaire risque d’achever celles qui étaient déjà au bord du gouffre. Près de 83 000 emplois, surtout en région, dépendent du secteur laitier québécois. Alors que la crise sanitaire renforce l’importance de l’achat local et de la production locale, notre industrie laitière fait partie de cette tendance.

Est-ce que, une fois la crise passée, le secteur laitier devrait réfléchir aux assouplissements nécessaires au système de gestion de l’offre et à la nécessité d’innover encore davantage? Sans doute. J’ai été frappée, l’an dernier, en assistant à des témoignages en comité parlementaire, par l’absence de projets d’exportation novateurs des secteurs soumis à la gestion de l’offre.

Cela étant dit, j’appuierai sans hésitation le projet de loi C-16 à l’étude.

Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Encore une fois aujourd’hui, avant de traiter du projet de loi C-16 dont nous sommes saisis, je me dois de dire quelques mots sur la situation dans les centres de soins de longue durée de la région montréalaise, mon coin de pays. J’en profite pour offrir toutes mes condoléances à la sénatrice Saint-Germain, qui a perdu son père, emporté par la COVID-19, comme des centaines d’autres personnes chaque jour.

La pandémie a mis en lumière non seulement l’importance du système de santé publique au Canada, qui nous permet de combattre la COVID-19 bien mieux que nos voisins du Sud, mais aussi les faiblesses des modèles d’intervention retenus relativement aux personnes âgées, aux personnes souffrant de problèmes cognitifs sérieux et aux personnes à mobilité réduite.

Dans une entrevue télédiffusée mercredi, Mme Pauline Marois, ancienne première ministre du Québec, a déclaré ce qui suit :

Je pense qu’on a fait fausse route. Et quand je dis qu’on a fait fausse route, ce n’est pas le gouvernement actuel. C’est l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé. On a fait fausse route et aujourd’hui on en paie le prix. Ce sont nos parents et grands-parents [qui paient].

Elle a ajouté ceci :

Concentrer [les aînés ensemble], même dans les résidences privées où les gens se paient des appartements souvent très coûteux, est-ce que c’est une bonne idée? Est-ce qu’on n’est pas en train de faire des ghettos? Ce serait normal de vivre avec nos enfants, avec les petits-enfants, des gens d’un âge différent.

Voilà des questions fort pertinentes qui interpelleront la société québécoise et, dans une moindre mesure, la société ontarienne au cours des mois et des années à venir. J’espère que le gouvernement fédéral sera attentif et prêt à collaborer par l’intermédiaire de diverses mesures, comme des incitatifs fiscaux pour encourager les ménages multigénérationnels et un meilleur financement en santé dirigé vers les soins à domicile.

L’importance du projet de loi C-16 n’est pas divulguée par sa longueur. En effet, il contient à peine un petit article de quatre lignes, un seul et court article qui augmente la capacité d’emprunt de la Commission canadienne du lait de 200 millions de dollars afin de la faire passer à un demi-milliard de dollars. Cette augmentation du pouvoir d’emprunt de la commission permettra à cette dernière d’acheter et d’entreposer temporairement davantage de produits laitiers afin de stabiliser le marché canadien du lait, qui en a bien besoin actuellement.

Comme sénateur québécois, je ne peux passer sous silence l’importance de l’industrie laitière, puisque j’ai grandi à la campagne, entouré de fermes laitières.

J’aimerais maintenant reprendre certaines des idées que la sénatrice Miville-Dechêne a explorées. Comme vous le savez sans doute, le Québec est le plus grand producteur de lait au Canada, puisque les vaches québécoises produisent en moyenne 40 % du lait canadien. En d’autres mots, on produit au Québec plus de 40 % des 92 millions d’hectolitres de lait canadien. Cela en fait des pintes de lait, comme on disait dans le temps!

Parmi les 18 805 emplois canadiens reliés à la production de lait et de crème, 9 425 se trouvent dans les 5 050 fermes laitières québécoises. C’est aussi au Québec que l’on trouve les plus grands transformateurs de lait au pays. On peut penser à la société Saputo et à la coopérative Agropur, deux entreprises qui appartiennent à des intérêts canadiens.

Le Québec est reconnu pour la qualité de ses fromages industriels et surtout artisanaux. C’est un réel plaisir de voyager à travers le Québec et de découvrir les fromages de chaque région. Ce secteur important de l’économie québécoise doit cependant s’adapter à un contexte nouveau, soit l’ouverture du marché canadien aux produits laitiers provenant de l’extérieur, notamment de l’Europe, de la région transpacifique et, bientôt, des États-Unis. En tout, c’est près de 10 % du marché canadien qui ne sera plus protégé. De plus, l’accès au marché pour les Américains augmentera, au cours des 13 prochaines années, de 1 % chaque année.

En parallèle, les exportations canadiennes connaissent une croissance assez lente. En 2019, la valeur des importations canadiennes a augmenté d’un peu plus de 20 %, alors que les exportations ont diminué d’à peu près 6 % par rapport à 2018. En somme, en 2019, la valeur des produits laitiers importés a atteint pratiquement un milliard de dollars, alors que nos exportations n’ont même pas atteint 500 millions de dollars. L’écart, depuis quelques années, semble donc se creuser.

Avec l’entrée en vigueur de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, qui limite les exportations canadiennes de poudre de lait écrémé et de lait maternisé, on ne risque pas de réduire cet écart. Après la signature des derniers accords de libre-échange, le gouvernement canadien s’est engagé à indemniser les pertes de parts de marché de l’industrie, à l’aider financièrement à devenir plus compétitive et à mieux tirer son épingle du jeu en ce qui a trait à l’exportation. Je crois comprendre que les premières formes d’aide financière ou d’indemnités ont commencé à être versées. Il reste toutefois beaucoup à faire.

Alors que l’industrie fait face à des défis importants, voilà que la pandémie frappe. Les écoles ferment, et c’est la fin des petits déjeuners pour les enfants défavorisés, qui comprennent des produits laitiers. Les restaurants et les hôtels ferment leurs portes, et c’est la fin de l’utilisation de divers produits laitiers pour les plats, les desserts, sans parler des fameuses assiettes de fromage. En d’autres mots, la pandémie frappe à un bien mauvais moment. On voit des producteurs laitiers obligés de jeter des millions de litres de lait aux égouts. Près de 30 millions de litres auraient été jetés ainsi entre la fin mars et la mi-avril. Aucun producteur ne veut gaspiller du lait de cette manière. Nombreux sont ceux qui, au Québec et ailleurs, ont multiplié leurs dons de produits laitiers aux banques alimentaires. Toutefois, cela ne suffit pas à éliminer l’excédent de lait, et surtout de produits laitiers.

Aujourd’hui, on peut se réjouir du fait que la Commission canadienne du lait sera en mesure d’acheter plus de produits laitiers pour les entreposer temporairement pour ainsi stabiliser le marché et, ultimement, le prix du lait et du gras payé aux producteurs. On évite donc une dégringolade des revenus pour les producteurs laitiers, qui pourrait même entraîner leur faillite.

La production laitière n’est pas facile et requiert des investissements importants. Les fermes d’antan que j’ai connues, qui comptaient une quarantaine de vaches, n’existent plus. Aujourd’hui, ce sont des fermes de centaines de têtes.

Il ne faut pas décourager la relève en ouvrant toutes grandes les vannes de la compétition étrangère et de la déréglementation. Les producteurs de lait du Québec ont accueilli positivement cette modification au pouvoir d’emprunt de la Commission canadienne du lait. Par contre, ils ont fait valoir que cette mesure, à elle seule, est insuffisante pour le secteur laitier, comme les autres mesures mises en place pour l’ensemble du secteur agricole. C’est un pas dans la bonne direction, mais rien de plus. D’autres gestes doivent être posés.

Les producteurs laitiers du Canada ont, eux aussi, accueilli favorablement la mesure que nous allons adopter aujourd’hui, de même que le financement supplémentaire, grâce au cadre Agri-relance, accordé pour mettre sur pied un programme de mise en retrait qui inclurait les vaches de réforme laitières. Il s’agit d’un projet qui permettrait de retirer du marché les vaches qui ne sont plus productives pour les transformer en viande. Le marché actuel n’étant pas très bon, il faut les garder plus longtemps sur les fermes, et donc subventionner les agriculteurs. Le programme indemnisera les producteurs pour les coûts associés au maintien de vaches moins productives dans le cheptel pendant une plus longue période. Cependant, je le répète, cela ne suffira pas.

En terminant, j’invite le gouvernement à aller plus loin dans le soutien à l’adaptation des producteurs laitiers. J’invite aussi mes concitoyens d’un océan à l’autre à consommer des produits laitiers canadiens, qui n’ont rien à envier et qui sont produits dans des conditions supérieures à ce que l’on voit dans beaucoup d’autres pays. Ce sont des produits de grande qualité et ils sont bons pour la santé. Je bois mon litre de lait presque tous les jours et je m’en porte très bien.

Merci, meegwetch.

(1540)

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous présenter mes sincères condoléances, chère collègue, pour la perte votre père, M. Joseph-Louis Saint-Germain.

Honorables collègues, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-16, qui modifie la Loi sur la Commission canadienne du lait afin d’augmenter le plafond du total non remboursé des prêts consentis à la commission par le ministre des Finances et des sommes obtenues par celle-ci grâce à une ligne de crédit de 500 millions de dollars.

En effet, il est temps de venir en aide à l’industrie laitière canadienne, qui a vu diminuer la demande de produits laitiers, notamment celle du fromage et de la crème, et qui a obligé les producteurs laitiers à se débarrasser de volumes sans précédent de lait cru excédentaire.

Chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur des aspects essentiels et plus globaux qui devront être examinés à moyen terme, et au fur et à mesure que nous avançons et que nous nous sortons de cette pandémie.

[Traduction]

Parallèlement à cette crise sanitaire sans précédent, nous devons aussi faire face à une crise économique sans précédent. Le projet de loi C-16 fait partie du plan de gestion de la crise économique proposé par le gouvernement. Idéalement, le plan se déclinera en trois étapes. La première consiste à maintenir l’économie à flot pendant la situation d’urgence. La deuxième consiste à offrir une aide aux travailleurs et aux secteurs économiques essentiels. La troisième consiste à stimuler l’économie pour la relancer de façon durable.

Selon les leçons que nous avons tirées des crises précédentes, la dernière étape devra comprendre la restructuration et le renouvellement des bases de notre économie pour que celle-ci soit véritablement robuste, résiliente et prospère, mais aussi pour répartir équitablement les retombées sociales tout en respectant les limites écologiques des régions que nous habitons.

La mise en œuvre des première et deuxième étapes fera augmenter le déficit budgétaire que le directeur parlementaire du budget a prévu pour cette année, le faisant passer à 252,1 milliards de dollars. Pour ce qui est de l’étape de la relance économique, il faudra probablement investir plus de fonds publics, ce qui alourdira considérablement la dette nationale, qui était évaluée à 685 milliards de dollars avant la pandémie de COVID-19. Cette dette appartient à 70 % aux Canadiens, et à 30 % aux prêteurs internationaux. Elle sera remboursée par les Canadiens des générations actuelles et futures, et nous devons agir de façon responsable en leur nom. Si nous voulons éviter un terrible effondrement économique, nous devons planifier la reprise et la relance de manière à faire des gains durables au fil du temps. Nous devrions essayer d’éviter de régler cette dette au moyen de mesures d’austérité restrictives comme celles adoptées à la suite de la crise financière de 2008, puisque les compressions imposées pendant ces années sont en partie responsables du fait que nos systèmes de santé étaient mal préparés à lutter contre la COVID-19. Nous devons donc agir de façon stratégique en fonction des priorités. Premièrement, nous devons adopter des mesures afin d’accroître l’emploi le plus possible, surtout dans les petites et moyennes entreprises. Deuxièmement, nous devons soutenir les organisations qui amélioreront notre qualité de vie et qui produiront des revenus pour le Canada. Troisièmement, nous devons revoir notre approche stratégique et renouveler le mode de développement des secteurs de la santé et de l’alimentation, ainsi que des secteurs industriel et manufacturier.

Il nous faut une politique industrielle pour revoir la chaîne de production des produits essentiels et pour réexaminer notre secteur agricole en fonction de la sécurité alimentaire. Était-il normal que les courtiers intermédiaires fassent des millions de dollars sur le dos des exploitations agricoles canadiennes? Était-il normal que 60 % des semences destinées aux producteurs de grains soient contrôlées par seulement trois multinationales? Nous devons nous pencher sur ces problèmes tout en cherchant des solutions à d’autres crises, comme celle des changements climatiques, qui pourrait accroître le risque de voir apparaître d’autres pandémies.

Nos travailleurs dans le domaine de la santé, de la sécurité et des services sont déjà épuisés et très mal payés compte tenu du risque énorme auquel ils s’exposent chaque jour. Nous étions déjà très mal préparés et nous le serons encore pour les vagues secondaires qui pourraient frapper. Vous n’êtes pas sans savoir, par exemple, que l’automne prochain, la COVID-19 et la grippe saisonnière nous frapperont en même temps.

Heureusement, les experts réfléchissent sur ces sujets et nous ferions bien de les écouter. Par exemple, des chercheurs des universités d’Oxford, de la London School of Economics, de Columbia et de Cambridge ont interrogé 231 responsables de banques centrales, de ministères des Finances et d’autres experts économiques des pays du G20 sur la performance relative de 25 grandes mesures de relance budgétaire, en les étudiant sous quatre angles : la rapidité de mise en œuvre, le multiplicateur économique, le potentiel d’impact climatique et les avantages globaux.

Les chercheurs ont ciblé cinq politiques présentant un potentiel élevé d’effet multiplicateur sur le plan économique et d’incidence sur le plan climatique : investissements dans les infrastructures axées sur l’énergie propre; amélioration du rendement énergétique des immeubles; autosuffisance en matière d’aliments et de produits essentiels; éducation et formation; capital naturel; recherche-développement en matière d’énergie propre.

Les politiques les moins bien cotées étaient les sauvetages de compagnies aériennes, les sauvetages d’infrastructures de transport traditionnelles et les baisses d’impôt sur le revenu. Le rapport déconseille les sauvetages d’industries à forte intensité d’émissions comme les compagnies aériennes et les combustibles fossiles. À tout le moins, de tels sauvetages devraient être conditionnels à l’élaboration de plans d’action mesurables prévoyant une transition vers un avenir à émissions nettes nulles.

Chaque pays a ses particularités. Au Canada, comme l’industrie laitière représente un secteur économique important qui contribue à la sécurité alimentaire, elle est jugée essentielle. Toutefois, très peu de revenus seraient récupérés de nombreuses autres industries; il faut donc choisir avec soin. Prenons par exemple le secteur pétrolier, grand émetteur de gaz à effet de serre. Ses coûts directs élevés ne comprennent ni les effets des changements climatiques ni les coûts associés à l’assainissement des puits et des étangs de résidus, qui pourraient atteindre 260 milliards de dollars. Cela pourrait être très dangereux.

Comme l’OCDE, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international préconisent des mesures financières durables pour stimuler l’économie après la crise de la COVID-19, on n’a pu s’étonner d’apprendre hier que le fonds souverain de la Norvège n’investira plus dans 4 des 10 plus importants producteurs canadiens de sables bitumineux après avoir conclu que leurs émissions de gaz à effet de serre atteignaient des niveaux inacceptables. En plus de faire ressortir le manque d’intérêt des investisseurs étrangers, cela montre que la propriété étrangère des entreprises exploitant les sables bitumineux cotées en bourse pourrait atteindre 70 %, ce qui veut dire que la majeure partie des profits sort du pays.

Chers collègues, le principe précaution nous oblige à bien réfléchir à un avenir complexe et périlleux où des crises interreliées — des crises sanitaires, des crises liées aux inégalités sociales et des crises climatiques — se feront plus nombreuses. Nous devons redoubler d’efforts dans la lutte contre les changements climatiques pour nos enfants et nos petits-enfants afin de réduire les risques de nouvelles pandémies, réduire le nombre de décès prématurés et de maladies découlant de cette même pollution qui nuit à la planète et bâtir une nouvelle économie qui favorise la concrétisation de ces objectifs.

Les mesures à venir pour stimuler l’économie doivent favoriser les industries et des projets qui contribuent à la diminution des gaz à effet de serre, augmentent la résilience de l’économie grâce à la diversification et offrent aux travailleurs des occasions de rééducation professionnelle, ce qui nous permettra d’acquérir une plus grande autonomie en matière de produits et de services essentiels.

Certaines personnes veulent que les choses reviennent à la normale. Or, la normale tuait des gens; la normale rendait les agriculteurs et les autres gens malades physiquement et mentalement; la normale perturbait le climat de la planète dont nous dépendons tous.

(1550)

Chers collègues, au lieu de revenir à la normale, allons de l’avant et bâtissons un avenir prospère. Les décisions que nous prenons ces jours-ci sont historiques. On se souviendra de nos paroles et de nos débats. Je vous remercie.

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait. Cette mesure législative vise à hausser les limites d’emprunt de la Commission canadienne du lait et à fournir une aide immédiate à l’industrie laitière pour qu’elle puisse composer avec l’important excédent de lait causé par la COVID-19. Ces mesures répondent aux demandes de l’industrie et reçoivent l’appui de la Commission canadienne du lait et des Producteurs laitiers du Canada.

Comme bien d’autres industries, le secteur agricole a encaissé des pertes économiques considérables à cause de la COVID-19. Nous savons que la demande de lait subit des fluctuations importantes depuis le début de la pandémie. Même si les consommateurs continuent d’acheter régulièrement du beurre et du fromage, la fermeture des restaurants et des hôtels a eu pour effet de réduire considérablement la demande de produits laitiers. Malgré les efforts déployés pour aligner la production sur la demande des consommateurs, il y a eu des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement. En conséquence, de nombreux producteurs ont dû jusqu’ici jeter environ 30 millions de litres de lait cru, soit 4 % de leur production.

Comme vous l’avez déjà entendu, le projet de loi proposé vise à remédier à cela. Les mesures dont nous sommes saisis contribueront à atténuer le problème en augmentant le plafond du total non remboursé des prêts consentis à la Commission canadienne du lait par le ministre des Finances et des sommes obtenues par celle-ci. L’augmentation de 200 millions de dollars fait passer la capacité d’emprunt maximale de 300 à 500 millions de dollars. Lors d’une séance d’information par téléconférence qui a eu lieu en début de semaine, des fonctionnaires ont confirmé que de 100 à 110 millions de dollars seront versés dès que possible pour apporter une aide immédiate au secteur. Un financement supplémentaire de 70 à 80 millions de dollars sera mis de côté pour être utilisé ultérieurement lorsque l’industrie aura adapté sa demande aux besoins des consommateurs dans cette nouvelle réalité.

Tout à l’heure, j’ai demandé à la ministre Bibeau de parler des autres programmes destinés aux producteurs et aux transformateurs de lait et je voudrais y revenir brièvement maintenant.

Cette modification vient à la suite de l’annonce, la semaine dernière, d’un montant de 252 millions de dollars pour un ensemble plus large de mesures visant le secteur agricole pour aider les agriculteurs ainsi que les entreprises de produits alimentaires et de transformation des aliments qui fournissent des services essentiels aux Canadiens. L’augmentation de la limite d’emprunt proposée sera mise en œuvre parallèlement à plusieurs programmes gouvernementaux existants, tels qu’un programme qui aide les producteurs à transformer leurs produits. La capacité d’emprunt supplémentaire prévue par la présente modification aidera les agriculteurs à accéder aux moyens nécessaires pour transformer leur lait en d’autres produits laitiers comme le fromage et le yogourt. La mesure permettra de compenser les excédents de lait et de conserver les produits plus longtemps, ce qui aidera à la fois les agriculteurs et les organisations telles que les banques alimentaires qui sont aux prises avec des problèmes d’entreposage.

Certains agriculteurs ont déjà pris des dispositions en ce sens et aideront les banques alimentaires locales dans le cadre du processus. Lundi dernier, les producteurs laitiers du Manitoba et la fromagerie Bothwell ont annoncé qu’ils transformaient le lait excédentaire en milliers de kilogrammes de fromage pour Winnipeg Harvest, un organisme sans but lucratif qui collecte et distribue les surplus de nourriture aux personnes qui souffrent de la faim. Le partenariat devrait permettre de produire 6 000 kilogrammes de fromage au cours des prochains mois, ce qui équivaut à près de 60 000 litres de lait.

Les agriculteurs et les travailleurs de l’agroalimentaire peuvent aussi profiter de plusieurs autres programmes de prestations d’urgence pour recouvrer leurs pertes, comme le Programme de subventions salariales, qui couvre jusqu’à 75 % du salaire d’un employé pour un maximum de 12 semaines, rétroactivement au 15 mars 2020. Le programme permet aux entreprises de réembaucher les travailleurs qui ont été précédemment mis à pied à cause de la COVID-19 et il vise à prévenir d’autres pertes d’emplois et à mieux préparer les entreprises à reprendre leurs activités normales après la crise.

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes aidera aussi les petites entreprises, y compris les travailleurs de l’agroalimentaire et les producteurs laitiers admissibles, en leur fournissant les capitaux dont elles ont besoin pour couvrir les coûts d’exploitation au cours des périodes où leurs revenus ont diminué temporairement à cause de la COVID-19. Ce programme de 25 milliards de dollars offre aux petites entreprises des prêts sans intérêt pouvant atteindre 40 000 $ afin de les aider à affronter cette tempête.

De plus, le gouvernement a annoncé, au début de la semaine, des détails supplémentaires sur le Fonds d’aide et de relance régionale. On injectera 1 milliard de dollars dans six agences de développement régional qui connaissent bien les réalités économiques de leurs régions et qui sont souvent le premier point de contact des gens à l’échelle locale. Le programme vise à atténuer la pression financière que subissent les entreprises et les organismes. Il leur permet de continuer leurs activités et de payer leurs employés. Il appuie également des projets d’organismes gouvernementaux et de collectivités pour leur permettre de préparer une relance efficace après la pandémie; il prévoit notamment 287 millions de dollars pour appuyer le Réseau de développement des collectivités, des sociétés d’aide au développement qui ciblent particulièrement les petites entreprises et les collectivités rurales du Canada.

Le secteur de l’agroalimentaire continuera de bénéficier d’un éventail de programmes existants qui ne relèvent pas des programmes d’aide d’urgence liés à la COVID-19, dont le Partenariat canadien pour l’agriculture, un investissement de 3 milliards de dollars sur cinq ans des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, qui a été lancé il y a quelques années et qui vise à renforcer le secteur agricole et agroalimentaire en offrant des programmes simplifiés et plus faciles d’accès. Il prévoit aussi des améliorations aux programmes qui aident les agriculteurs à gérer les risques importants qui menacent la viabilité de leur exploitation et qui dépassent leurs capacités de gestion. C’est d’autant plus important dans le contexte actuel où les agriculteurs doivent composer avec les répercussions économiques de la pandémie.

Afin de garantir la stabilité de la chaîne d’approvisionnement alimentaire au Canada, le gouvernement offre également un soutien aux agriculteurs qui se prévalent de l’actuel Programme des travailleurs étrangers temporaires. Le gouvernement accorde 50 millions de dollars pour permettre aux agriculteurs d’accueillir en toute sécurité des travailleurs étrangers temporaires tout en se conformant à la Loi sur la mise en quarantaine. Afin de garantir que les agriculteurs puissent embaucher ces travailleurs pendant la saison de production, le gouvernement fédéral fournira aux employeurs ou à ceux qui travaillent avec eux une aide de 1 500 $ pour chaque travailleur étranger temporaire, afin de s’assurer que les exigences sont pleinement respectées.

La ministre a mentionné aujourd’hui qu’en avril, 22 000 travailleurs étrangers temporaires étaient arrivés au Canada, soit 80 % du nombre enregistré à la même époque l’année dernière. C’est un grand succès en ces temps incertains et imprévisibles.

Chers collègues, la gamme de programmes offerts aux agriculteurs admissibles assurera la stabilité du secteur tout en mettant l’accent sur la santé et la sécurité publiques. À l’instar de la plupart des autres pays, le Canada est confronté à de sérieux problèmes sanitaires, sociaux et économiques découlant de la COVID-19. Le gouvernement fédéral, l’Agence de la santé publique du Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada et les fonctionnaires fédéraux ont répondu à l’appel. Il y a encore beaucoup à faire, mais le Canada fait figure de chef de file sur la scène mondiale pour ce qui est de l’appui aux citoyens et aux entreprises, ce qui est précisément ce que nous attendons de notre pays dans le présent contexte de crise.

Notre gouvernement a procédé avec une collaboration absolument sans précédent de la part des provinces et des territoires. On peut en dire autant de la consultation auprès des secteurs économiques, et je n’ai aucun doute que les secteurs de l’agriculture ont été inclus.

Je vais terminer en remerciant le sénateur Robert Black d’avoir parrainé ce projet de loi et de diriger de main de maître les dossiers portant sur l’agriculture. De plus, je tiens à remercier les agriculteurs et les travailleurs du secteur agroalimentaire. Leurs efforts soutenus pour maintenir le fonctionnement de notre chaîne d’approvisionnement alimentaire sont appréciés par tous les Canadiens, d’un bout à l’autre du pays. J’invite mes collègues à se joindre à moi pour voter en faveur de ces mesures législatives. Notre secteur laitier et tous les Canadiens comptent sur nous durant cette période hors de l’ordinaire.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(1600)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Conformément à l’ordre adopté plus tôt aujourd’hui, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier afin de recevoir Karen Hogan relativement à sa nomination à titre de vérificatrice générale du Canada. L’honorable sénatrice Ringuette présidera le comité.

[Français]

La vérificatrice générale

Réception de Karen Hogan en comité plénier

L’ordre du jour appelle :

Le Sénat en comité plénier afin de recevoir Mme Karen Hogan relativement à sa nomination à titre de vérificatrice générale du Canada.

(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable Pierrette Ringuette.)


La présidente : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier afin de recevoir Karen Hogan relativement à sa nomination à titre de vérificatrice générale du Canada.

Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidente, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises. Cependant, tel qu’ordonné plus tôt aujourd’hui, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur. J’invite maintenant la témoin à entrer.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, Karen Hogan prend place dans la salle du Sénat.)

La présidente : J’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes.

[Traduction]

Karen Hogan, vérificatrice générale adjointe, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci, madame la présidente. Bonjour à vous tous.

C’est un grand honneur pour moi d’être ici aujourd’hui et de penser qu’on pourrait me donner la possibilité de servir mes concitoyens canadiens en tant que vérificatrice générale du Canada. À mon avis, le rôle du vérificateur général est essentiel pour assurer la reddition de comptes, qui est l’un des fondements de notre système de gouvernement démocratique.

Le titulaire de ce poste fournit au Parlement et aux trois assemblées territoriales des renseignements indépendants, objectifs et crédibles, et il donne des assurances concernant la gestion des fonds publics. Autrement dit, les sénateurs et les élus peuvent compter sur lui pour leur fournir des renseignements indépendants sur la façon dont les organismes gèrent les programmes pour les Canadiens.

[Français]

La relation entre le vérificateur général et les institutions parlementaires est fondée sur la confiance. L’éthique, l’intégrité et l’indépendance sont le point d’ancrage de mes valeurs personnelles, en plus d’être au cœur du travail du vérificateur général. Si je suis nommée vérificatrice générale, je m’efforcerai de servir le Parlement dans toute la mesure de mes capacités.

Je suis née à Montréal et j’y ai commencé ma carrière. Je suis comptable professionnelle agréée depuis plus de 25 ans. Ma carrière a été partagée presque également entre le secteur privé et le secteur public. Je travaille au Bureau du vérificateur général depuis 14 ans. J’ai été attirée au bureau par les personnes qui le dirigent, celles qui y travaillent, et le travail qu’ils accomplissent. Je tiens à souligner la contribution des vérificateurs généraux passés et celle de l’actuel vérificateur général par intérim, Sylvain Ricard.

[Traduction]

Je crois fermement à l’importance de cette institution et à l’utilité de son travail. Ce travail touche presque tous les volets des programmes, des dépenses et des services gouvernementaux et, par conséquent, la plupart — voire la totalité — des groupes, petits et grands, qui composent notre merveilleux pays.

Dans le passé, le Bureau du vérificateur général a mis l’accent sur des enjeux nationaux et régionaux revêtant de l’importance pour les parlementaires et les Canadiens, que ce soit sur le plan économique, environnemental ou social. Certaines questions sont si complexes qu’elles font l’objet de maintes vérifications. Je pense notamment aux questions autochtones et aux changements climatiques.

Si je suis nommée vérificatrice générale, je me concentrerai sur des questions d’intérêt national, telles que les investissements du gouvernement dans les infrastructures et les dépenses liées à la COVID-19. Je me concentrerai aussi sur les questions de portée régionale, comme les pêches et le secteur pétrolier et gazier.

Puisque je reconnais le rôle unique du Sénat consistant à donner aux groupes sous-représentés la possibilité de se faire entendre, je choisirais d’effectuer des vérifications visant essentiellement à soutenir le travail de tous les parlementaires.

[Français]

J’ai dirigé des audits de performance à l’échelle du gouvernement pendant plusieurs années avant de passer surtout au côté financier. Pendant près de sept ans, j’ai été responsable de l’audit des états financiers consolidés du gouvernement du Canada, qui est le plus vaste des audits financiers du pays. À ce titre, j’ai collaboré de près avec les hauts dirigeants de sociétés d’État et de ministères pour régler des problèmes d’audit délicats et complexes.

Comme j’ai pu vivre l’audit du point de vue du vérificateur et de celui de la personne chargée de préparer les états financiers, je crois que j’étais particulièrement bien placée pour comprendre les défis de ces organisations. Même si nous n’avons pas toujours été d’accord — notamment en ce qui concerne l’approche du gouvernement pour estimer ses passifs à long terme —, j’estime que mon analyse était juste et rigoureuse. Après plusieurs années de discussions avec les hauts dirigeants, des changements ont été apportés qui, selon moi, améliorent la transparence et la reddition de comptes en lien avec les obligations relatives aux pensions.

J’ai été inspirée par les personnes qui travaillent au bureau, et je continue de l’être. Ce sont des personnes attentionnées, ingénieuses, compétentes, hautement intelligentes et professionnelles, toujours soucieuses de respecter des normes élevées tout en contribuant à un gouvernement bien géré et responsable.

[Traduction]

Ce fut pour moi un privilège de travailler avec ces personnes et d’avoir contribué à déterminer l’orientation stratégique du bureau et à amener un changement organisationnel. Ce serait pour moi un honneur plus grand encore d’avoir l’occasion de poursuivre ce travail et d’orienter l’amélioration continue de l’organisation.

Si je suis nommée vérificatrice générale, je dirigerai le bureau avec compréhension et bienveillance, en apportant une attention particulière au bien-être des employés tout en les encourageant à concrétiser la vision et la mission du bureau. Je mettrai également l’accent sur la modernisation de nos façons de travailler pour que nous puissions suivre les importants changements dans le domaine de l’audit et dans le contexte gouvernemental.

[Français]

Pour terminer, je tiens à souligner les efforts des nombreux travailleurs et travailleuses de première ligne et à les remercier de leur dévouement envers les Canadiens durant cette crise mondiale. Je veux aussi souligner le dévouement soutenu des fonctionnaires qui soutiennent le pays en cette période difficile.

[Traduction]

Voilà qui conclut mon allocution préliminaire, madame la présidente.

[Français]

Je serai heureuse de répondre aux questions des honorables sénateurs et sénatrices.

La présidente : Merci, madame Hogan.

Le sénateur Housakos : Bienvenue au Sénat du Canada, madame Hogan.

Ma première question concerne le processus entourant votre nomination. Pourriez-vous nous résumer le processus par lequel vous êtes passée avant de vous retrouver devant nous aujourd’hui? Quand et de quelle façon avez-vous postulé? Quels tests et entrevues avez-vous passés, et qui a mené ces entrevues?

Mme Hogan : J’ai postulé par l’intermédiaire du site Web du Bureau du Conseil privé. Je savais évidemment que le poste devait être pourvu, car je travaillais au bureau. J’ai postulé au moyen du site Web au mois de janvier.

(1610)

J’ai été invitée à passer une entrevue le 19 février. Le comité de l’entrevue était composé de six personnes. À la suite de l’entrevue, quelques jours plus tard, j’ai été invitée à passer des tests psychométriques. De temps en temps, un représentant du Bureau du Conseil privé m’appelait pour m’expliquer où on en était rendu dans le processus. Nous avons confirmé au début de mars que je m’intéressais toujours au poste. Quelques semaines plus tard, à cause de la pandémie de COVID-19, on m’a informée que le processus était suspendu puisqu’il était important que le Parlement soit impliqué. Par la suite, j’ai reçu un appel du ministre vers le 29 avril qui m’a informée que j’étais la candidate nommée au poste de vérificatrice générale.

Le sénateur Housakos : C’est bien.

[Traduction]

Ma question suivante porte sur l’utilisation judicieuse de l’argent des contribuables. En tant que vérificatrice, vous savez que votre obligation principale est d’assurer aux contribuables canadiens un bon rendement sur investissement. On pourrait dire que c’est aussi l’objectif final de la surveillance exercée par le Parlement.

À votre avis, quel serait un bon rendement sur investissement dans le cas d’un audit? Si, par exemple, on consacrait 26 millions de dollars ou 27 millions de dollars à l’audit d’un ministère ou d’un organisme, est-ce qu’un rendement de 150 000 $ serait considéré comme suffisant?

Mme Hogan : Le retour sur investissement est une mesure qui est souvent utilisée pour déterminer si une société a réalisé ou non un investissement judicieux.

Toutefois, les avantages qui peuvent découler d’une vérification, c’est-à-dire le résultat du temps qu’on prend pour procéder sérieusement à un examen en profondeur, ne se manifestent pas simplement sous la forme d’un retour sur l’investissement calculé avec des montants d’argent. À mon avis, une preuve de reddition de comptes et de transparence n’a pas de prix. Chaque fois que nous pouvons améliorer la reddition de comptes et la transparence, nous devrions tout mettre en œuvre pour y arriver.

Si j’étais nommée vérificatrice générale, je voudrais faire en sorte que les recommandations formulées dans le cadre de toutes nos vérifications, qu’il s’agisse de vérifications financières ou de rendement, visent à améliorer les résultats et à garantir que le gouvernement continue de rendre des comptes et d’être transparent.

Le sénateur Housakos : Je pense que c’est très bien, mais ne croyez-vous pas que l’argent compte? Ultimement, l’argent n’est pas illimité. S’il l’était, il n’y aurait évidemment pas de problème.

Mme Hogan : Absolument. Il faut trouver le juste équilibre pour à la fois prendre le temps voulu et obtenir de bons résultats.

Bien franchement, une fois qu’on a commencé une vérification, il est important d’aller au fond des choses. Tout bon vérificateur vous dira que si on lui dit quelque chose, il ne peut pas en faire fi et il en tiendra compte lorsqu’il pèsera le pour et le contre et formulera des recommandations.

Le sénateur Housakos : Voici ma troisième question, madame Hogan. Plus tôt cette semaine, Sylvain Ricard, vérificateur général par intérim, a témoigné devant le Comité des finances de la Chambre des communes, où il a indiqué que le Bureau du vérificateur général ne pourra pas effectuer de vérifications de rendement cette année en raison du refus du gouvernement actuel de lui assurer un financement adéquat.

Le vérificateur général effectue normalement environ 27 audits chaque année. Des contraintes budgétaires avaient déjà fait passer le nombre d’audits à 14 par année, et, maintenant, le vérificateur général par intérim affirme qu’il n’y en aura aucun cette année. Essentiellement, le vérificateur général a le mandat prescrit par la loi de réaliser des vérifications de rendement, mais il n’a pas d’argent pour le faire, ce qui nous ramène à mon point, bien sûr, selon lequel il vous faut un incitatif pour avancer, sinon vous ne pouvez pas faire de vérification.

Pouvez-vous nous dire comment vous prévoyez régler ce problème? Quel est le rôle du Bureau du vérificateur général si le gouvernement ne vous accorde pas de fonds pour effectuer vos travaux cette année?

Mme Hogan : Je crois fermement qu’il est très important que le Bureau du vérificateur général soit bien financé et doté de ressources suffisantes. Ce bureau joue un rôle clé dans le mécanisme de reddition de compte des institutions démocratiques du pays.

Lorsque M. Ricard a comparu devant un comité au début de la semaine, il a évoqué la nécessité de retarder les vérifications. Il a également mentionné — et je vous le rappelle — que nous avons trois chapitres qui sont prêts à être déposés en mars. Malheureusement, nous n’avons pas pu le faire. Il y a donc des documents qui seraient prêts à être présentés au Parlement.

Au cours de l’année à venir, les efforts se concentreront sur l’investissement au Canada et sur la COVID-19. Il y aura quelques vérifications. Si je deviens vérificatrice générale, ce seront mes deux grandes priorités. Je m’engage à faire de mon mieux pour transmettre rapidement de l’information au Parlement au sujet de ces deux initiatives.

Le sénateur Housakos : Bien sûr, nous ignorons combien de temps les programmes liés à la COVID seront en place et, inévitablement et invariablement, les vérifications auront lieu à la fin des programmes.

Si on considère le problème actuel de financement auquel le Bureau du vérificateur général est confronté, est-ce qu’une situation de ce genre s’est déjà produite par le passé?

Mme Hogan : À ma connaissance, ce n’est pas le cas. Je travaille pour le Bureau du vérificateur général depuis 14 ans et je ne me souviens d’aucune situation semblable.

En ce qui concerne la question du financement, je pense qu’il est important de poursuivre nos discussions et je suis prête à en parler avec les membres du Bureau du Conseil privé et du gouvernement afin d’obtenir ces fonds. Le financement à court terme est important, mais ce qui est encore plus important, à mon avis, c’est de mettre en place pour notre bureau un mécanisme indépendant de financement prévisible et à long terme. Je pense aussi que ce mécanisme devra bien sûr prévoir un rôle pour le Parlement afin que nous rendions des comptes sur ce que nous dépensons.

Le sénateur Housakos : M. Ricard a aussi dit ceci au Comité des finances de la Chambre des communes :

Vu la nature et l’étendue des travaux que nous estimons devoir réaliser pour les audits du plan « Investir dans le Canada » et de la réponse à la COVID-19, et vu nos ressources qui sont limitées, nous avons dû revoir le calendrier des travaux d’audit de performance actuels et futurs et de présentation des rapports connexes.

Pouvez-vous expliquer l’incidence de ces retards sur la capacité de votre bureau d’assurer la responsabilité financière, ce qui est évidemment votre priorité absolue au sein du gouvernement du Canada? À quel point ces retards entravent-ils votre bureau dans l’exécution de son mandat?

Mme Hogan : À court terme, et probablement à moyen terme, bien sûr, notre bureau se concentrera sur les vérifications relatives à la COVID-19 et au plan Investir dans le Canada.

Les vérifications que nous comptions initialement faire à l’automne, je crois, sont reportées indéfiniment pour le moment, car nous avons jugé très important de concentrer nos ressources sur ces deux vérifications particulièrement importantes pour le Parlement et pour les Canadiens.

Évidemment, le fait de ne pas pouvoir travailler davantage nuit à la capacité du bureau de s’acquitter de son mandat d’aider le Parlement à demander des comptes au gouvernement. Nous ferons donc de notre mieux pour que nous puissions continuer d’avoir accès à ce financement, et c’est une responsabilité que je prendrai très au sérieux si je suis nommée à ce poste.

Le sénateur Housakos : L’opposition officielle est votre alliée dans cette enceinte et dans l’autre endroit; nous convenons que la reddition des comptes et la transparence sont importantes, peu importe le gouvernement au pouvoir.

Quand la Chambre des communes a demandé au vérificateur général de vérifier les dépenses occasionnées par la pandémie de la COVID-19, elle a aussi demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que le Bureau du vérificateur général ait suffisamment de ressources pour effectuer cette vérification ainsi que les vérifications relatives aux infrastructures et aux mandats spéciaux. La vérification du programme d’infrastructure de 187 milliards de dollars doit être terminée avant le 29 janvier 2021. Les vérifications des mandats spéciaux et des programmes liées à la COVID-19 sont prévues pour le 1er juin.

Vu le refus du gouvernement actuel de financer...

La présidente : Sénateur Housakos, je suis désolée, votre temps est écoulé.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bienvenue, madame Hogan. Je vous adresse des questions qui préoccupent aussi la sénatrice Renée Dupuis, du Québec, avec qui je me suis concertée.

Comme vous l’avez dit, vous postulez pour une fonction d’agente du Parlement. C’est une fonction extrêmement importante. Ma première question portera donc sur votre compréhension du contexte parlementaire. Quelle est l’autorité du Sénat en en ce qui a trait à sa propre gouvernance et à l’exercice de son privilège parlementaire?

(1620)

Mme Hogan : Le Sénat est responsable de sa propre gouvernance et de la surveillance de toutes ses dépenses. Notre bureau peut faire des vérifications seulement si le Sénat l’invite à le faire. Je serai toujours très heureuse de vous aider à améliorer la surveillance de vos dépenses et votre reddition de comptes.

La sénatrice Saint-Germain : Merci. Je vais vous en donner l’occasion immédiatement avec la deuxième question que la sénatrice Dupuis et moi vous posons, qui porte sur le suivi de vos recommandations à la suite du rapport que le vérificateur général a publié en 2015 sur les dépenses du Sénat entre le 1er avril 2011 et le 31 mars 2013. Vous aviez constaté des problèmes et des lacunes significatives quant à la surveillance, à la reddition de comptes et à la transparence.

Ma question comporte deux volets. Dans un premier temps, êtes-vous au courant des mesures de redressement que le Sénat a prises depuis pour améliorer sa gouvernance? Deuxièmement, une de vos recommandations portait sur la création de ce que le vérificateur général a appelé un organisme externe indépendant qui procéderait à l’audit et à la vérification du Sénat. Est-ce que vous êtes d’avis, à la lumière des suivis que le Sénat a apportés par suite du rapport de 2015, qu’un comité d’audit et de vérification composé de sénateurs et de membres externes, qui siégerait principalement en public, serait mieux adapté au contexte qu’un organisme totalement externe, tel qu’il a été proposé, si l’on tient compte du privilège parlementaire?

Mme Hogan : Je vous remercie de cette précision. Je n’étais pas du tout impliquée dans l’audit du Sénat. En me préparant pour ma comparution d’aujourd’hui, j’ai pris le temps de lire le rapport et j’ai noté que le Sénat a commencé à faire des changements à la suite de nos recommandations. En ce qui a trait au comité indépendant, en tant que vérificateur externe pour qui l’indépendance est un aspect très important, oui, pour qu’un audit soit objectif, je crois que des membres indépendants permettraient à n’importe quelle organisation de faire une bonne surveillance et d’assurer l’objectivité et l’indépendance du processus décisionnel.

La sénatrice Saint-Germain : Dans le contexte du privilège parlementaire, est-ce que vous croyez qu’une formule qui serait mieux adaptée au Sénat pourrait être un comité formé de sénateurs et de membres externes, dans le contexte d’un comité qui siège principalement en public? Est-ce qu’une adaptation de ce genre vous semblerait pertinente pour le Sénat, qui est l’une des deux Chambres du Parlement?

Mme Hogan : En tenant compte de la responsabilité du Sénat et de sa propre gouvernance, je ne peux pas avoir un point de vue sur ce que vous croyez être la meilleure décision, mais je vous encourage à améliorer la reddition de comptes et la surveillance. De plus, à titre de vérificateur externe, je crois que l’indépendance est essentielle pour la reddition de comptes.

La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Bienvenue au Sénat. Félicitations pour votre nomination au poste de vérificatrice générale du Canada.

Vous possédez une expérience impressionnante de professionnelle et de cadre dans les secteurs privé et public. Je suis très heureuse de voir qu’une personne de votre calibre a soumis sa candidature à ce poste extrêmement important et exigeant, surtout en cette période difficile et sans précédent pour notre pays.

J’ai deux questions à vous poser cet après-midi. Quand l’ancien vérificateur général, M. Ferguson, est venu au Sénat en 2011, la sénatrice Nancy Ruth lui a posé une question concernant la vérification des réalisations du gouvernement pour ce qui est de l’analyse comparative entre les sexes. Comme vous le savez, le gouvernement actuel s’est engagé à se servir de l’analyse comparative entre les sexes plus, une méthode d’analyse qui, vous le savez bien, est employée pour évaluer l’effet des politiques, des programmes et des mesures sur divers groupes de femmes, d’hommes et de personnes non binaires en tenant compte de l’intersectionnalité de multiples facteurs liés à l’identité.

Pourriez-vous nous dire si vous êtes au courant de ce qu’a réalisé le gouvernement du Canada pour respecter cet engagement? Que feriez-vous pour que davantage de progrès puissent être accomplis?

Mme Hogan : Malheureusement, je ne connais pas très bien le rendement du gouvernement à cet égard. Je n’ai fait partie d’aucune des équipes de notre bureau chargées d’étudier cette question.

Une partie du rôle du vérificateur général consiste à vérifier que le gouvernement suit les politiques qu’il établit et honore les engagements qu’il prend.

Pour mieux répondre à votre question, il me faudrait examiner ce que fait le gouvernement. Si nous décidons de revenir sur cette question, c’est manifestement l’angle d’approche que nous adopterions pour vérifier que le gouvernement respecte ses engagements.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Nous serions ravis d’en entendre davantage plus tard à ce sujet.

Ma deuxième question, pour faire suite aux questions du sénateur Housakos, porte sur le fonctionnement dans un environnement à ressources limitées. Comme nous le savons tous, en raison de la pandémie de COVID-19, les dépenses du gouvernement ont pris beaucoup d’ampleur pour offrir une aide d’urgence aux Canadiens.

Nous savons — et il a été mentionné déjà ici aujourd’hui — que les ressources de votre bureau étaient déjà limitées avant la pandémie. Ce problème risque de s’aggraver prochainement; qui sait? Vous vous dites prête à solliciter les fonds dont vous aurez besoin. Étant donné que les ressources risquent d’être encore plus limitées, quelles mesures créatives prendriez-vous pour vous acquitter néanmoins de vos fonctions et fournir au Parlement les renseignements dont nous avons besoin pour surveiller les dépenses du gouvernement et les résultats des programmes qu’il offre, surtout après cette période de grandes dépenses pour des mesures d’urgence?

Mme Hogan : Vous avez raison de dire qu’avant la pandémie de la COVID-19, nous étions déjà aux prises avec une pénurie de ressources et des problèmes de capacité en raison de l’augmentation des dépenses gouvernementales et de la création de sociétés d’État. Nous n’avons pas reçu de financement supplémentaire pour cette charge de travail additionnelle. Grâce à la COVID-19, nous savons maintenant qu’il faut consacrer davantage de ressources à la création d’un produit qui renforcera la capacité des parlementaires à obliger le gouvernement à rendre compte des dépenses qu’il a engagées pendant la pandémie.

J’ai déjà commencé à penser à des solutions créatives pour remédier à ce problème et je continuerai de travailler avec mon équipe pour en trouver d’autres. Par exemple, nous pourrions trouver une façon de communiquer l’information plus rapidement au Parlement ce qui, nous l’espérons, encouragera le gouvernement à prendre des mesures sans tarder. Nous pourrions aussi remplacer la méthode de vérification traditionnelle, qui s’effectue après coup, par des vérifications en temps réel. De cette façon, l’information pourrait être diffusée plus rapidement, ce qui nous permettrait d’apporter sur-le-champ des changements visant à améliorer les programmes pour les Canadiens.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Tout d’abord, je tiens à vous féliciter. Il est agréable d’entendre une future vérificatrice générale bilingue. Pouvez-vous nous expliquer comment vous voyez votre rôle en relation avec la politique? Vous êtes un agent du Parlement. Est-ce que le politique devrait avoir un impact sur vos décisions et vos recommandations? L’impact politique de vos recommandations doit-il être pris en compte?

Mme Hogan : Je suis contente d’être bilingue. Je dois remercier mes parents de m’avoir fait ce cadeau, soit l’apprentissage du français, quand j’étais jeune. Je vous remercie. Notre bureau, comme vous l’avez mentionné, est un agent du Parlement. Deux des principales caractéristiques du Bureau du vérificateur général sont l’indépendance et l’objectivité.

(1630)

On ne fait donc pas de commentaires sur la politique ou sur les décisions du gouvernement, mais on doit vérifier que le gouvernement suit ses propres politiques. Si je deviens vérificatrice générale, ce sera très important pour moi de rester honnête, de respecter mes valeurs en ce qui a trait à l’intégrité et d’examiner tout enjeu avec objectivité.

Le sénateur Carignan : Votre travail est d’enquêter et de vérifier si l’argent des Canadiens est bien dépensé. Nous avons, cette année, dépensé plus d’argent que jamais dans toute l’histoire du pays. Le directeur du budget parle d’un montant de 172 milliards environ. Par où allez-vous commencer?

Mme Hogan : Comme vous l’avez mentionné, la pandémie de COVID-19 entraîne beaucoup de dépenses. Une fois que nous avons reçu la recommandation de faire l’audit, nous avons commencé à nous organiser. Nous nous trouvons encore dans ce processus-là.

Pour moi, la première étape serait de m’assurer que je connais toute l’étendue des dépenses, pour être capable ensuite de communiquer avec les sous-ministres pour savoir ce qui les préoccupe, de parler avec les parlementaires pour m’assurer qu’on peut commencer à vérifier les secteurs les plus importants ou les secteurs où l’on pourrait avoir plus rapidement un plus grand impact.

Selon moi, la vérification qui fera suite à la COVID-19 durera plus d’un an. On n’a pas encore décidé s’il y aura plusieurs rapports ou un seul gros rapport. Toutes ces décisions doivent encore être prises, mais on va essayer de diviser tout cela en blocs qui seront plus faciles à gérer et à vérifier pour nous, plus faciles à comprendre pour les Canadiens et qui permettront de mieux travailler avec les parlementaires.

Le sénateur Carignan : En répondant à la question du sénateur Housakos tout à l’heure, sur l’analyse coût-bénéfice, vous avez dit qu’il n’y avait pas vraiment de coût-bénéfice, qu’il n’y avait pas nécessairement de petites dépenses et que vous alliez examiner les différents éléments pour vous assurer que ce sont de bonnes pratiques. Cependant, vous venez de dire que vous alliez examiner ce qui a plus d’impact du point de vue financier. N’y voyez-vous pas une contradiction?

Mme Hogan : Je suis désolée, je ne me suis peut-être pas bien exprimée. Je voulais plutôt dire : ce qui a le plus d’impact pour les Canadiens. Évidemment, parfois, c’est là où il y a le plus d’argent qui est dépensé; parfois, c’est un programme ou un service essentiel aux Canadiens. Je voudrais m’assurer qu’on trouve un bon équilibre entre les dollars dépensés et l’impact de ces dépenses effectuées pour améliorer la vie des Canadiens.

Le sénateur Carignan : Normalement, lorsque vous faites votre vérification, vous vous assurez que les dépenses sont faites en fonction des directives, des politiques et des paramètres qui sont mis en place. Comment ferez-vous votre vérification ou vos analyses si la directive est d’envoyer de l’argent de toute manière et que la fraude n’est pas grave?

Mme Hogan : Dans la planification de tout audit, comme vérificateur, on doit considérer la fraude ou le risque de fraude et on doit s’assurer que, si le risque est élevé, on doit suivre davantage les procédures.

Pour la COVID-19, ce à quoi je m’attends, c’est que le gouvernement a réagi vite et, dans n’importe quelle organisation, lorsqu’on réagit vite, il y a un risque d’erreur. En tant que vérificatrice, je m’attends à ce que les ministères suivent des procédures pour identifier les erreurs et, après avoir adopté une bonne démarche pour traiter les erreurs, les ministères pourront récupérer l’argent à l’aide d’un mécanisme quelconque.

Je pense à la lettre que le secrétaire du Conseil du Trésor a envoyée aux ministères au début de la crise de la COVID-19 en disant qu’il était important de rendre service aux Canadiens, mais qu’il était aussi important de bien documenter les décisions pour assurer la reddition de comptes. On commencerait donc là, pour s’assurer que les décisions ont été bien prises et bien documentées et pour s’assurer que la surveillance a été bien effectuée également.

Le sénateur Carignan : Avec le télétravail, autant pour celui qui fait l’objet d’un audit que pour l’auditeur, comment comptez-vous commencer vos vérifications avec ces contraintes de distance? Cela amène certaines limites par rapport à la vérification et au travail.

Mme Hogan : On travaille à distance depuis huit à neuf semaines. Selon ma propre expérience, il faut un peu plus de temps à la personne faisant l’objet d’un audit et à l’auditeur pour obtenir de l’information. On fait beaucoup confiance à la technologie. Il faut être créatif pour être certain d’avoir la bonne documentation, il faut avoir de la patience et reconnaître que les personnes qui subissent un audit ont aussi de la difficulté à nous fournir de l’information. Donc, cela n’est pas impossible de faire une vérification à distance; c’est juste un peu plus compliqué et cela prend plus de temps.

Le sénateur Carignan : Vous avez beaucoup parlé de documentation et du fait qu’il faut bien documenter. Mis à part la directive du Conseil du Trésor sur l’obligation de documenter, on n’en fait pas mention dans la loi. Je me rappelle que, lorsqu’on a étudié la Loi sur l’accès à l’information, j’avais proposé un amendement sur l’obligation de documenter. Est-ce que le fait que le gouvernement ne soit pas obligé de documenter les motifs pour lesquels il prend une décision vous pose problème lorsque vous faites des audits?

Mme Hogan : On s’attend à ce que les justifications des décisions qui sont prises soient documentées d’une quelconque façon, absolument. Si cela n’est pas documenté, il est très difficile de démontrer que les décisions ont été prises en bonne et due forme. Donc oui, je m’attendrais à cela si j’étais vérificatrice.

Le sénateur Carignan : Très bien, merci.

Le sénateur Dalphond : Bienvenue au Sénat, madame Hogan. Je crois que vous êtes Montréalaise de naissance, alors je suis content d’accueillir une autre personne originaire de Montréal ici, à Ottawa, dans un poste important.

Ma première question est la suivante : est-ce que le Bureau du vérificateur général a l’intention d’adapter les principes d’audit pour tenir compte de l’aide d’urgence, comme la Prestation canadienne d’urgence, la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants, et cetera? Tous ces programmes ont été conçus pour aider les Canadiens rapidement, avec le moins de formalités possible. On a même dit, d’après une note de service interne qu’on a vue dans les médias hier, que les fonctionnaires avaient reçu l’instruction de ne pas faire trop faire de vérifications. Lors de vos vérifications, allez-vous adapter vos principes de vérification à la situation opérationnelle de la pandémie, ou est-ce que les principes habituels vont s’appliquer?

Mme Hogan : Comme je viens de le mentionner, lorsqu’une organisation prend une décision avec rapidité, il y a toujours un risque d’erreur. Oui, on va s’adapter au fait que les processus habituels ont probablement été modifiés pour tenir compte de la distance, par exemple que des approbations ont probablement été données par voie électronique au lieu de la manière habituelle.

Il faut tout de même avoir la preuve que les ministères ont bien décidé de dépenser prudemment et qu’ils se sont conformés à des politiques qui aident à la bonne gestion des fonds publics.

(1640)

Le sénateur Dalphond : Le premier ministre disait lui-même hier qu’il y avait probablement 200 000 prestataires de la Prestation canadienne d’urgence dont l’admissibilité était douteuse. Je comprends qu’on parle de 400 millions de dollars au cours du premier mois du programme. Est-ce que le montant en jeu justifierait une vérification plus poussée?

Mme Hogan : Il est très difficile de dire si ce montant justifie une vérification plus poussée. Toutes les dépenses liées à la pandémie justifient une vérification plus poussée. Dès que nous serons à l’affût d’une possibilité de fraude, il faudra faire enquête. Donc, nous nous attendrons à ce que les ministères aient des processus ou des mécanismes en place afin de repérer les erreurs, de faire des suivis, de s’ajuster et, au besoin, de collecter les fonds qui ont été versés par erreur.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Ma prochaine question concerne le fait que vous travaillez pour le Bureau du vérificateur général depuis environ 14 ans maintenant. J’aimerais vous poser une question typique d’entrevue. Qu’avez-vous appris au cours de ces 14 années? Que devrions-nous améliorer?

Mme Hogan : Quelles sont les leçons apprises au sujet de notre bureau et du gouvernement?

Le sénateur Dalphond : Oui, au sujet de votre bureau et du gouvernement.

Mme Hogan : Notre bureau compte de nombreuses personnes passionnées d’un professionnalisme exceptionnel qui cherchent toujours à se dépasser afin qu’on puisse faire mieux. C’est probablement la plus grande leçon que j’ai apprise depuis que j’y travaille : toujours se questionner sur nos pratiques afin de nous améliorer, d’obtenir de meilleurs résultats et une plus grande valeur ajoutée pour le Parlement et pour les Canadiens. C’est probablement la chose la plus importante que j’ai apprise et celle que je respecte le plus au sein de notre organisation. Je crois que cette leçon peut aussi s’appliquer au gouvernement. Nous devrions tous chercher à améliorer notre travail et à faire du Canada un meilleur pays.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Comme vous pouvez le constater, les sénateurs ont des expériences variées en matière de vérifications au Canada et sur la scène internationale, de recours à des vérificateurs, de surveillance et d’élaboration de principes communs.

En parcourant votre impressionnant curriculum vitæ, j’ai vu que vous avez participé à des essais à l’échelle du gouvernement et à des vérifications du rendement du système de paie Phénix. Nous savons ce qui s’est passé avec le système Phénix et la misère qu’il a fait subir à des milliers de fonctionnaires canadiens. D’ailleurs, le Comité sénatorial des finances nationales s’est rendu sur la rue Victoria à Miramichi pour discuter directement avec les employés, et cela lui a permis d’avoir un excellent portrait de la situation. Considérant l’expérience que votre parcours vous a permis d’acquérir, notamment en ce qui a trait au système Phénix, j’aimerais savoir quels enseignements vous tirez des ratés de ce système et de la vérification dont il a fait l’objet. Que feriez-vous pour mettre ces enseignements en pratique?

Mme Hogan : Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, j’ai été responsable de la vérification des états financiers consolidés du gouvernement du Canada pendant environ sept ans. Près de trois de ces vérifications portaient sur des tests approfondis et détaillés relatifs à Phénix. Je sais que la majeure partie de mon équipe de vérification s’est en fait rendue à Miramichi. Je tiens à dire qu’il est extrêmement important de payer les gens en temps voulu et selon les montants exacts. C’est vrai pour tout paiement effectué par le gouvernement, qu’il s’agisse de la Sécurité de la vieillesse, de l’assurance-emploi ou de la paie. Tous les montants que le gouvernement paie doivent être versés à temps et correctement.

Ce que j’ai appris de toutes ces expériences, c’est que les grands projets informatiques sont toujours plus complexes et difficiles que ce que l’on peut imaginer, et qu’il est extrêmement important de les planifier correctement et de veiller à ce qu’il y ait une bonne supervision et une bonne reddition de comptes. J’ai toujours cru fermement qu’il fallait dire les choses telles qu’elles sont et veiller à fournir des informations précises et complètes aux décideurs, et je crois que ce sont des éléments que nous avons indéniablement considérés comme devant être améliorés.

Si je suis nommée vérificatrice générale, j’aimerais que nos services soient associés plus tôt aux projets informatiques majeurs que le gouvernement planifie d’entreprendre. Nous savons que de nombreux projets sont en cours et que tout système de bonne gouvernance devrait comporter une forme de contrôle indépendant, qu’il s’agisse de notre bureau ou d’une autre structure au sein des ministères qui s’occupent de grands projets informatiques.

Le sénateur White : Je vous félicite pour votre nomination, c’est un plaisir de vous compter parmi nous aujourd’hui.

Le 11 mai 2020, le National Post a rapporté qu’une note de service interne émise par Emploi et Développement social Canada demandait aux employés du ministère de ne pas interrompre les paiements ni de déclencher d’enquêtes pour abus potentiel en lien avec l’allocation de la Prestation canadienne d’urgence. Je suis préoccupé — et je vous ai entendu parler d’effectuer des vérifications par rapport aux prestations accordées en raison de la COVID-19 — par le fait que, ces dernières années, il y a eu des problèmes concernant le montant du financement dont dispose le Bureau du vérificateur général pour mener les vérifications que vous avez déjà planifiées, et qui sont prévues pour les trois à sept prochaines années. Le gouvernement fédéral s’est-il engagé à financer de futures vérifications liées à la COVID-19, car je pense que ces vérifications risquent de dépasser largement le budget dont vous disposez présentement?

Mme Hogan : Comme je le disais tout à l’heure, le Bureau réclame depuis des années — depuis 2017 pour être exacte — que son budget soit augmenté de manière permanente. Nous avons reçu de l’argent en 2018 et nous avons renouvelé notre demande dans le plus récent budget, qui n’a pas encore été présenté.

Le financement à court terme est extrêmement important, mais nous avons aussi besoin de financement prévisible à long terme. Nous ne devrions jamais avoir à compter sur les ministères qui font l’objet d’une vérification pour assurer notre avenir financier. Personnellement, je m’engage — si je suis nommée — à tout faire pour que le Bureau du vérificateur général soit une source d’excellence et qu’il soit mieux financé. Cela dit, je continuerai aussi à faire des démarches pour qu’un mécanisme indépendant de financement à long terme soit créé afin que notre organisation puisse bien s’acquitter de son mandat.

Le sénateur White : J’aimerais revenir sur les vérifications portant directement sur la COVID-19. Je sais que vous vous êtes engagée personnellement devant nous à en faire et je crois comprendre que le gouvernement s’y est engagé lui aussi. Dans les discussions qu’il a eues avec le Bureau du vérificateur général depuis trois mois, le gouvernement a-t-il promis du financement pour les différentes initiatives qu’il a annoncées ou pour la vérification de tous ces programmes?

Mme Hogan : Pas à ma connaissance, non.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, madame Hogan. Je profite, moi aussi, de l’occasion pour vous féliciter. Comme vous l’avez mentionné, il y a déjà presque 15 ans que vous travaillez au Bureau du vérificateur général du Canada. Vous arrivez en pleine crise de la COVID-19, et j’ai la certitude que vous trouverez l’occasion de faire des vérifications, dont on attendra vos conclusions avec impatience.

Sans vouloir m’imposer, je pense que les Canadiens seraient heureux d’apprendre pourquoi le Canada s’est retrouvé sans les inventaires de masques nécessaires pour faire face à une crise sanitaire, ou encore, de savoir comment nous allons gérer les milliards de dollars qui sont versés pour aider les citoyens et les entreprises.

Compte tenu de votre longue expérience, quelle évaluation faites-vous de l’impact de vos rapports, dans d’autres domaines que dans les médias? Est-ce que les correctifs sont à la hauteur de vos attentes? Trouvez-vous qu’on vous écoute bien lorsque vous présentez vos rapports?

(1650)

Mme Hogan : Nos rapports ont un impact et ils obtiennent du succès uniquement si le Parlement les étudie et si les ministères sont fidèles à leurs engagements. La meilleure façon pour le Parlement de soutenir notre bureau est d’étudier nos rapports et de faire un suivi auprès des ministères.

De notre côté, j’aimerais que nous continuions à faire des suivis auprès des ministères sur une base un peu plus régulière pour nous assurer qu’ils ont bien respecté leurs engagements.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Bienvenue au Sénat, madame Hogan. Je vous félicite de votre nomination comme vérificatrice générale.

Je tiens à souligner que la nomination à ce poste est d’une durée de 10 ans, soit un bon bout de temps. Au fil des années, il y a eu divers vérificateurs généraux. Les priorités ont été adaptées et modifiées à diverses reprises en fonction des circonstances changeantes, mais aussi des personnalités des titulaires du poste. Je me rappelle de J. J. Macdonell, le premier vérificateur général que j’ai connu il y a bien des années. Ce dernier avait convaincu le gouvernement de l’époque qu’il fallait aller au-delà de la vérification de la conformité financière pour procéder à ce qu’il appelait des vérifications de l’optimisation des ressources. À l’époque, on a modifié le mandat du vérificateur général pour y inclure la réalisation de vérifications de l’optimisation des ressources. M. Macdonell avait affirmé ceci : « Je ne crois pas que ces vérifications devraient représenter plus de 10 % de notre budget. »

Bien sûr, une quarantaine d’années plus tard, j’ai vu dans une vérification que ce pourcentage était passé à 78 %. Je ne sais pas à combien il s’élève aujourd’hui. Là où je veux en venir, c’est que les vérifications de l’optimisation des ressources ont modifié considérablement les priorités du vérificateur général, de même que les limites financières ou les problèmes de ressources.

Certaines personnes abordent particulièrement bien ce sujet. Je pense en particulier à Donald Savoie, qui est probablement le plus grand spécialiste canadien en administration et en gestion publiques. Dans un de ses ouvrages, parlant d’optimisation des ressources, il dit :

[...] les médias et les partis de l’opposition ne vont pas s’aventurer à remettre en question le travail du BVG, car ce n’est pas dans leur intérêt de le faire. Il est préférable de continuer de consacrer des fonds publics à des mesures qui ne servent pas à grand-chose d’autre qu’alimenter le jeu des accusations par la remise en question du travail du BVG.

Dans un autre ouvrage, il dit : « Les agents du Parlement sont différents des comités parlementaires. » À bien des égards, le vérificateur général compte parmi les principaux agents du Parlement.

M. Savoie ajoute :

[...] ils travaillent à partir d’Ottawa et sont à même de se concentrer exclusivement sur leur mandat sans égard à toute considération politique. De plus, ils n’ont pas à craindre que des organismes de surveillance mettent en doute la qualité de leur travail. Sharon Sutherland estime que le rôle du vérificateur général, par exemple, a complètement changé lorsque les comités parlementaires sont devenus des « intervenants » et des « clients » au lieu d’être la source du rôle et du pouvoir du Bureau du vérificateur général.

Elle demande : qui surveille l’organisme de contrôle?

Je ne m’attends pas à ce que vous souscriviez aux critiques faites à votre bureau, mais j’aimerais vous entendre au sujet de la croissance exponentielle, au cours de cette période, des processus de vérification de l’optimisation des ressources. Êtes-vous prête au moins à vous engager à effectuer un examen indépendant de vos processus de vérification de l’optimisation des ressources afin de déterminer le juste équilibre entre la vérification de conformité financière et la vérification de l’optimisation des ressources? La question est simple.

Mme Hogan : Voici ma réponse. Dans le contexte actuel, la vérification de l’optimisation des ressources, comme vous l’appelez, ou vérification de rendement, n’occupe pas une grande partie de notre budget, car c’est une démarche discrétionnaire. Beaucoup de nos efforts, de nos ressources et de nos vérificateurs se consacrent au travail que nous devons effectuer selon la loi, à savoir la vérification des comptes et les examens spéciaux des sociétés d’État.

Vous m’avez parlé de nous soumettre à un examen en me demandant si je m’engagerais à ce que ce soit le cas. Tout à fait. Comme notre bureau fait déjà l’objet de vérifications de la part d’un cabinet externe, nos états financiers sont donc vérifiés. Habituellement, une fois par mandat d’un vérificateur général, le bureau appelle d’autres bureaux de vérification supérieurs dans le monde à venir auditer tous nos processus, ce qui inclut nos processus de vérification de l’optimisation des ressources.

J’ai assisté à l’évaluation par les pairs de Sheila Fraser, puis à celle de Michael Ferguson, et si j’étais nommée vérificatrice générale, je m’arrangerais pour me soumettre à une évaluation par les pairs avant la fin de mon mandat.

La sénatrice Pate : Je vous remercie d’être avec nous. J’aimerais particulièrement remercier le Bureau du vérificateur général pour les vérifications que vous avez effectuées à l’égard de Service correctionnel Canada au fil des ans. C’est un travail crucial.

Lorsque les sénateurs ont étudié le projet de loi C-83, l’an dernier, nous avons tenté de remédier à de graves préoccupations concernant le manque de surveillance à l’égard de Service correctionnel Canada, qui est notamment attribuable à la difficulté d’obtenir des renseignements exacts au sujet de ce qui se passe dans les pénitenciers fédéraux du Canada, car c’est Service correctionnel Canada qui contrôle ce qui s’y passe, ce qui est documenté et qui a accès à l’information dans les prisons et à propos de celles-ci.

Le dernier rapport que vous avez publié concernant le respect en milieu de travail à Service correctionnel Canada reflète le danger qu’une telle culture représente pour les droits protégés par la Charte et les droits de la personne des détenus ainsi que ceux des personnes qui travaillent dans les prisons. Selon ce rapport, les deux tiers des employés de Service correctionnel Canada ont exprimé de graves préoccupations à l’égard de la culture organisationnelle, notamment en ce qui a trait à la responsabilisation individuelle. Près de la moitié d’entre eux ont affirmé s’attendre à ce que quiconque porte plainte pour harcèlement, discrimination ou violence en milieu de travail fasse l’objet de représailles.

Si les gestionnaires et le personnel se traitent ainsi les uns les autres, on ne peut qu’imaginer à quel point la situation doit être horrible pour les prisonniers.

J’aimerais que vous parliez de l’approche que vous adopteriez pour les futures vérifications de Service correctionnel Canada, en particulier, mais aussi d’autres organismes gouvernementaux qui présentent un grave risque d’asymétrie de l’information et des difficultés redditionnelles connexes. Que proposeriez-vous pour remédier à de tels déséquilibres de pouvoir?

Mme Hogan : Chaque organisation a une culture qui lui est propre. Chaque culture présente des points positifs et des avantages, et il incombe aux dirigeants de créer un milieu sûr, qui permet aux employés d’offrir le meilleur d’eux-mêmes au travail. J’en suis profondément convaincue, et il s’agit d’un élément du style de leadership que j’apporte à notre organisation. Je pense d’ailleurs que tous les dirigeants devraient faire preuve d’une telle attitude au sein de leur organisation.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, si l’organisation ne consigne pas les motifs justifiant ses décisions, il est évidemment difficile de déterminer si elle agit en tenant dûment compte de la situation financière, de l’efficience et du milieu en question. L’objectif de la vérification d’optimisation des ressources consiste à s’assurer non seulement que les mécanismes appropriés sont en place, mais aussi qu’il existe des façons de mesurer les extrants et les résultats.

Dans des situations de ce genre, je mettrais l’accent sur les résultats. Le cas échéant, nos recommandations ne viseraient pas à alourdir les processus, mais plutôt à améliorer les résultats, les avantages et les programmes.

La sénatrice Pate : J’ai une autre brève question. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de vos préoccupations concernant les peuples autochtones du Canada et de votre engagement à promouvoir leurs intérêts. Malgré les dispositions du Code criminel et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ainsi que les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice découlant de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées pour remédier à l’inégalité systémique et réduire le nombre d’Autochtones en prison, nous savons que cela ne s’est pas fait. En fait, en ce moment même, 30 % des prisonniers fédéraux sont des Autochtones, et 42 % des femmes qui purgent une peine fédérale sont des Autochtones.

(1700)

Je suis curieuse de savoir comment vous procéderiez pour vérifier cela, sachant que votre bureau s’est penché sur certains aspects de cette question dans le passé. Comment effectueriez-vous la vérification en ce qui a trait aux inégalités flagrantes qui existent et à la décision d’affecter des ressources d’une manière qui ne respecte pas certains articles du Code criminel et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui ont été mis en place précisément pour réduire le nombre de prisonniers autochtones?

Mme Hogan : Comme vous l’avez mentionné et comme je l’ai indiqué aussi dans ma déclaration préliminaire, notre organisation et le Bureau du vérificateur général du Canada continuent d’accorder énormément d’attention aux populations autochtones. C’était une priorité pour Mme Fraser, ainsi que pour M. Ferguson. En fait, il a déclaré que le manque d’action était un « échec incompréhensible ».

Si j’étais nommée et que je dirigeais des audits sur d’autres questions autochtones, je commencerais par examiner les engagements qui ont déjà été pris et à faire en sorte que des actions soient entreprises. J’encouragerais le Parlement à veiller à ce que les organisations aient des comptes à rendre sur la réalisation de ces engagements.

Puisque j’ai déjà eu à jouer des rôles de chacun des côtés d’un audit, je suis à même de savoir à quel point il est important pour un vérificateur externe de bien comprendre l’organisation, et je connais les difficultés liées à la concrétisation de son mandat. Étant donné que je n’ai pas mené un grand nombre d’audits sur les questions autochtones, je commencerais pas m’assurer de bien comprendre les inquiétudes et les pressions, pour ensuite me concentrer sur la proposition de recommandations qui amélioreraient la situation. Je veillerais à ce que les ministères aient des comptes à rendre sur leurs engagements à améliorer les choses.

La sénatrice Pate : Merci. Je vous offre mes meilleurs vœux de succès.

Le sénateur Dean : Merci d’être parmi nous ce soir et félicitations pour votre nomination.

Malgré le peu de temps que nous avons passé avec vous, je vois que vous comprenez les deux dimensions du poste que nous espérons que vous occuperez bientôt, soit le volet professionnel du rôle de vérificateur général et son rôle de PDG, c’est-à-dire le volet leadership. Selon vos réponses, vous comprenez manifestement ces deux aspects.

Je souhaite aborder très rapidement la dimension leadership. Vous avez parlé des valeurs. Vous avez mentionné certaines priorités. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Ayant travaillé au sein de cette organisation pendant 14 ans, quelles sont les choses que vous aimeriez aborder, changer et améliorer? Particulièrement, je souhaiterais connaître vos plans en ce qui a trait aux valeurs clés et aux priorités en matière de ressources humaines.

Mme Hogan : J’ai fait partie de l’équipe de gestion et de la direction du bureau tout au long des 14 années que j’y ai passées — plus récemment, j’ai siégé au conseil de direction. Notre organisation est très chanceuse d’avoir un conseil de direction très actif qui se soucie beaucoup des employés. Veiller à la réussite des gens avec qui je travaille est le véritable point d’ancrage de mon leadership. Favoriser la croissance personnelle de tous les membres de l’organisation serait tout à fait un de mes objectifs, car leur croissance se traduit par de meilleures vérifications qui, elles, se traduisent par un meilleur rendement pour le Canada.

En ce qui a trait aux défis que j’aimerais relever sans tarder, j’aimerais bien que nous poursuivions sur la voie que nous avons empruntée pour moderniser notre façon de travailler — non seulement les processus, mais aussi notre façon d’aborder les vérifications, de suivre le rythme des changements dans le domaine de la vérification. Nous devons investir dans des outils informatiques qui nous permettront de mieux traiter de grandes quantités de données et de régler le problème des technologies perturbatrices qui existent, pour éviter qu’elles nous empêchent de mener des vérifications efficaces, peu importe qu’il s’agisse de vérifications financières ou de rendement.

J’aimerais aussi examiner sérieusement — je sais qu’on a déjà commencé — comment nous nous y prenons pour communiquer de l’information et produire des rapports. Un rapport technique détaillé convient aux experts en la matière, mais il y a beaucoup d’autres gens qui s’intéressent à notre travail, pour qui il serait utile de le présenter différemment. Je veux vraiment explorer les manières de joindre plus de Canadiens et de faire en sorte que notre travail ait une plus grande incidence.

Le sénateur Dean : Merci.

Le sénateur Ngo : Merci, madame Hogan, et bienvenue au Sénat.

La Chambre des communes a demandé que le Bureau du vérificateur général entreprenne trois vérifications spéciales, soit une vérification du programme d’infrastructure de 187 milliards de dollars, une vérification des mandats spéciaux et une vérification du plan d’intervention économique pour répondre à la COVID-19. Comme nous le savons, le gouvernement dépense des montants records pour lutter contre la COVID-19 et continuera probablement de le faire pendant un certain temps.

Comme le budget du Bureau du vérificateur général est insuffisant pour des circonstances normales, et compte tenu de l’ampleur du plan d’intervention économique pour répondre à la COVID-19, est-il possible que le niveau de financement existant soit insuffisant pour la réalisation d’une ou de plusieurs de ces vérifications?

Mme Hogan : Comme vous l’avez indiqué, on nous a demandé de faire trois vérifications spéciales. Je crois comprendre qu’aucun mandat particulier n’a été attribué pour le moment. Notre organisation a concentré ses efforts sur la vérification de rendement à l’égard du plan Investir dans le Canada et de la COVID-19.

Comme je l’ai souligné plus tôt, pour que ces deux vérifications importantes reçoivent l’attention qu’elles méritent et soient menées adéquatement, nous avons dû reporter d’autres activités. Il est donc vrai que les difficultés qui touchent nos ressources ont une incidence sur notre capacité de faire un travail considérable et exhaustif pour aider le Parlement à s’acquitter de sa responsabilité de demander des comptes au gouvernement.

Le sénateur Ngo : Lorsqu’il a témoigné devant le Comité des finances de la Chambre des communes, M. Ricard a dit que le Bureau du vérificateur général avait commencé à analyser les aspects du programme liés aux dépenses, notamment en ce qui concerne les liquidités, l’aide aux particuliers et aux entreprises, la santé et la sécurité. Il a également précisé que le Bureau du vérificateur général se penche sur les mesures d’urgence et les préparatifs en vue de futures éclosions de COVID-19 ou d’autres pandémies.

En tant que nouvelle vérificatrice générale, allez-vous poursuivre le travail entrepris par M. Ricard, selon sa planification, en envisageant la possibilité de présenter un rapport provisoire, ou allez-vous tenter d’analyser les choses différemment, d’examiner d’autres aspects et éléments et de mettre en place de nouvelles méthodes et mesures pour effectuer la vérification?

Mme Hogan : Comme je l’ai dit plus tôt, lorsque notre organisation a accepté d’effectuer une vérification de la réponse à la COVID-19, elle a mis sur pied un comité directeur qui est formé de nombreux membres du conseil de direction, et j’en fais partie. J’ai donc collaboré étroitement avec M. Ricard en ce qui concerne la prise des décisions et la détermination de l’ampleur de l’étude.

Je suis résolue à soumettre l’information au Parlement dès que nous le pourrons. Nous explorons en ce moment plusieurs possibilités : les types de rapports provisoires que nous pouvons faire, le nombre de rapports que nous pouvons produire et les délais potentiellement plus courts pour la publication de rapports moins volumineux. Le comité directeur n’écarte aucune option alors qu’il réfléchit à la meilleure façon de soumettre un rapport sur le sujet au Parlement afin que vous puissiez l’utiliser dans le cadre de votre travail et que les Canadiens puissent mieux saisir la situation.

Le sénateur Ngo : J’aimerais maintenant revenir sur des propos du sénateur Dalphond au sujet de la reddition de comptes par l’Agence du revenu du Canada ou l’ARC. Il a mentionné que l’ARC a dit que même en cas de possibilité de fraude, il fallait aller de l’avant sans trop faire de vérifications.

(1710)

J’aimerais savoir ce que vous en pensez sur le plan de la reddition de comptes. Si votre nomination est approuvée, comment cela influera-t-il sur les vérifications menées par le Bureau du vérificateur général concernant le traitement des demandes de prestations accordées en raison de la COVID-19 par l’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada, étant donné que M. Ricard a déjà commencé à consulter les fonctionnaires sur les activités des ministères et organismes chargés du déploiement du programme?

Mme Hogan : Dans le passé, notre organisme a effectué des vérifications de trop-payés. Nous en avons déjà vu dans le régime d’assurance-emploi, et nous avons recommandé au ministère de les surveiller.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, quand les organisations prennent des décisions rapidement, elles peuvent commettre des erreurs. Nous devons nous assurer qu’elles disposent d’un mécanisme pour détecter ces erreurs et qu’elles ont une idée claire des mesures qu’elles doivent prendre pour les corriger, notamment la récupération des sommes versées par erreur.

Le sénateur Smith : Félicitations, madame Hogan.

Je suis l’une des trois personnes qui ont travaillé avec le vérificateur général et son personnel lorsqu’ils ont effectué la vérification du Sénat. Ce fut toute une expérience.

Je vous ai écouté attentivement. Vous avez parlé de la nécessité de communiquer l’information et de moderniser notre façon de travailler. Il semblerait, d’après ce que vous avez dit, que vous voulez transformer la culture du Bureau du vérificateur général. Peut-être que le mot « transformer » est un peu fort, alors je dirais plutôt que vous souhaitez moderniser la culture ou la rafraîchir. La technologie jouerait probablement un rôle important dans cette approche. Lorsque nous avons effectué la vérification du Sénat avec le Bureau du vérificateur général, je me demande si nous avons beaucoup eu recours à des procédés technologiques plutôt qu’à des façons de faire plus traditionnelles. Pourriez-vous me dire ce que vous aimeriez léguer comme héritage? Compte tenu de ce que je viens de dire et de ce dont vous avez parlé, que souhaitez-vous que l’on retienne de votre passage au Bureau du vérificateur général lorsque vous aurez terminé votre mandat?

Mme Hogan : Si je suis nommée, j’espère que, dans dix ans, je pourrai dire que j’ai fait honneur au Bureau du vérificateur général, mais aussi, comme vous l’avez indiqué, que j’ai su en moderniser le fonctionnement.

Le monde de la vérification connaît une transformation rapide, tout comme le pays. La pandémie en cours nous a démontré clairement que nous avons besoin de l’informatique. Nous en avons besoin si nous voulons suivre le rythme des changements dans le monde de la vérification et au sein de l’État, qui a commencé à interagir avec les Canadiens d’une façon fort différente. Il communique avec eux en ligne plutôt qu’en personne dans de nombreux cas. Oui, j’aimerais voir l’organisme évoluer et changer, mais aussi être à la hauteur de ce qu’il a su apporter, dans le passé, aux mécanismes de reddition de comptes du système parlementaire canadien.

Le sénateur Smith : Avez-vous des alliés au sein du gouvernement afin d’obtenir le type de financement dont vous aurez besoin? Aurez-vous le personnel et les leaders qualifiés vous permettant de mettre en œuvre ce que vous voudriez faire?

Mme Hogan : Le personnel et les leaders qualifiés? Absolument. Au sein de la haute direction, j’ai côtoyé des personnes extrêmement dévouées et passionnées. Nous avons créé la vague, comme vous le dites, pour changer la culture, et nous sommes tous dans le même bateau. Je suis très excitée d’avoir la possibilité — je l’espère — de continuer à aller de l’avant avec cet excellent groupe à mes côtés.

Au cours des années où j’ai fait l’audit des états financiers du gouvernement du Canada, j’ai tissé de bons liens avec des personnes avec qui je peux collaborer de façon constructive. Je vais continuer le dialogue avec les parties avec lesquelles MM. Ferguson et Ricard ont amorcé des discussions dans le but d’obtenir le financement et les ressources nécessaires pour poursuivre notre mandat.

Le sénateur Smith : Je vous souhaite bonne chance parce que vous allez probablement devoir relever de très gros défis pour obtenir le financement, autrement dit de convaincre les personnes pertinentes que tout cela vaut l’investissement.

Mme Hogan : Je suis prête à relever le défi. Merci.

Le sénateur Smith : Bonne chance.

[Français]

La sénatrice Galvez : Bienvenue au Sénat, madame Hogan.

[Traduction]

Mes collègues vous ont interrogé à propos des enseignements tirés par le passé. Je voudrais me pencher sur certains cas en particulier.

En 2008, le gouvernement a mis en place un plan de sauvetage de l’industrie automobile qui a coûté des milliards de dollars aux contribuables canadiens. Ces fonds n’ont jamais été récupérés.

Le Bureau du vérificateur général, votre employeur, a conclu dans un rapport présenté en 2014 qu’il était impossible de dresser un tableau complet de l’aide fournie, des effets de cette aide sur la viabilité des entreprises, et des montants récupérés et perdus, car aucun rapport complet sur ces renseignements n’avait été soumis au Parlement.

Cette fois, COVID-19 oblige, nous allons de nouveau nous servir du compte EDC et du Compte du Canada pour injecter une bonne partie des fonds.

À la lumière de votre expérience avec le plan de sauvetage précédent, que ferez-vous de la même manière et que ferez-vous différemment pour obtenir un portrait plus exact ainsi qu’accroître la transparence et la reddition de comptes relativement au colossal plan d’aide financière mis en place dans la foulée de la COVID-19?

Mme Hogan : Je suis au courant de l’audit dont vous parlez, mais malheureusement je n’y ai pas participé. Je ne sais donc pas vraiment comment ils ont pu élaborer des critères et comment ils ont pu aborder l’audit à l’époque.

Par contre, je sais comment j’aborderais un audit aujourd’hui, c’est-à-dire que je suivrais le processus de notre bureau, qui est extrêmement rigoureux. Nous prenons le temps de comprendre ce que sont les opérations. Nous prenons le temps de planifier et de bien envisager les risques. Nous appliquons des procédures qui permettent d’y faire face.

La vision intergouvernementale que nous commençons à voir, avec le nombre de programmes gérés, présente un nouveau défi, à la fois pour le gouvernement et pour les vérificateurs. Et un nouveau défi qui n’est pas impossible, mais plutôt stimulant, à relever.

Je veillerais à ce que nous nous adressions à toutes les organisations et à tous les services concernés, afin d’avoir une image précise de la situation. Mais en fin de compte, c’est aux personnes qui gèrent ces programmes qu’il revient de documenter et d’étayer correctement les décisions qu’elles ont prises, faute de quoi il nous est très difficile de tirer des conclusions.

Ce ne sont là que les éléments fondamentaux d’un audit. Si nous nous trouvions à nouveau dans cette situation, nous ferions évidemment des recommandations pour y remédier, car notre objectif final est de renforcer la reddition de comptes et la transparence.

La sénatrice Galvez : Je crois que les concepts clés que vous avez mentionnés sont « méthodologie », « critères » et « indicateurs ». Ce sont les indicateurs qui vous permettront d’évaluer si l’aide financière a été efficace, si l’investissement a été récupéré et si le processus a été transparent.

Selon un rapport du Bureau du vérificateur général publié à son sujet en 2018, l’Agence du revenu du Canada a accordé un traitement préférentiel aux riches et aux grandes sociétés comparativement aux Canadiens ordinaires.

Le rapport indique ceci :

Pour d’autres contribuables, tels que ceux qui effectuent des opérations à l’étranger, nous avons constaté que le délai accordé pour produire l’information demandée était parfois prolongé pendant des mois ou même des années. Par exemple, les banques et les pays étrangers pouvaient prendre plusieurs mois avant de fournir des renseignements à l’Agence ou au contribuable sur les transactions effectuées par le contribuable à l’étranger.

Vous devrez collaborer avec d’autres organismes et compter sur l’efficacité du transfert d’informations.

(1720)

Pouvez-vous me parler de la méthodologie, des tactiques et des indicateurs que vous comptez utiliser afin d’être en mesure d’effectuer cette tâche avec les ressources qui vous seront octroyées? Au bout du compte, vous devrez faire votre travail avec ou sans augmentation des ressources, ce qui va vous obliger à faire preuve de créativité. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

Mme Hogan : Je pense que le fait d’établir de solides liens de collaboration avec les organisations que nous vérifions comptera pour beaucoup. Évidemment, comme vous l’avez mentionné, nous devons attendre que les organisations en question nous fournissent les renseignements que nous leur demandons. C’est à ce moment que nous devrons définir les critères, les délais et les étapes clés à franchir et nous entendre sur ceux-ci. Nous devrons nous demander mutuellement des comptes. Tout cela permet de mener à bien des vérifications.

Pour ce qui est de la créativité, je pense que compte tenu de nos ressources limitées, le recours à certains outils informatiques serait utile. Nous devrons également bien comprendre à quel niveau se situent les risques associés à un programme que nous voulons vérifier, afin de bien diriger nos efforts. Il ne s’agira probablement pas de vérifications aussi complètes que nous l’aurions souhaité, mais si nous sommes en mesure de cibler les aspects qui contribueront le plus à améliorer les programmes et la prestation de services, c’est ce que nous devrons faire dans les délais requis, et avec les ressources limitées dont nous disposons.

[Français]

La sénatrice Galvez : Je salue votre courage, car si vous êtes confirmée dans votre poste, vous serez la deuxième femme à l’occuper. Je vous félicite de votre audace. Merci.

Mme Hogan : Merci beaucoup, c’est un honneur.

La sénatrice Verner : Bienvenue, madame Hogan. Je me joins à mes collègues pour vous féliciter de votre nomination et, bien entendu, le cas échéant, vous souhaiter le meilleur des succès dans vos nouvelles fonctions.

Je profite de l’occasion aujourd’hui pour souligner l’engagement constant de mes collègues les sénateurs et du Sénat en tant qu’institution en matière d’ouverture et de reddition de comptes. Nous avons travaillé et nous continuons à travailler à l’amélioration de nos initiatives en matière de vérification interne et externe et de divulgation proactive de nos dépenses. Plus récemment, comme ma collègue la sénatrice Saint-Germain l’a mentionné, nous avons établi un comité d’audit et de surveillance qui sera composé de cinq membres, y compris de trois sénateurs et de deux membres externes indépendants et qualifiés.

Un tel comité n’existe pas à l’autre endroit, ce qui m’amène à vous poser la question suivante : en mai 2016, votre prédécesseur, Michael Ferguson, a mentionné à la CBC qu’il souhaitait obtenir un mandat pour vérifier les dépenses du Sénat de façon régulière. Compte tenu des multiples initiatives mises en œuvre au sein de notre institution, ne croyez-vous pas qu’il serait plus opportun maintenant de solliciter un tel mandat afin de vérifier les dépenses de nos collègues de l’autre endroit?

Des voix : Bravo!

Mme Hogan : Un vérificateur est toujours heureux d’apprendre que quelqu’un veut améliorer la reddition de comptes et la surveillance. Évidemment, notre bureau se sentirait privilégié de vérifier n’importe quelle organisation qui nous inviterait à le faire, absolument.

La sénatrice Verner : Merci, madame, j’en prends bonne note.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Bienvenue au Sénat. En tant que comptable professionnel agréé et ancien vérificateur, je suis enchanté de pouvoir clore cette discussion. Cela me rappelle de beaux souvenirs. J’ai commencé ma carrière comme vérificateur.

Vous avez mentionné que la COVID-19 est une priorité, et vous avez parlé de la stratégie par rapport aux programmes d’audit. Pouvez-vous nous donner des exemples des autres risques ou domaines de grande préoccupation qui nécessiteraient de meilleurs moyens de surveillance, d’audit et d’atténuation des risques?

Mme Hogan : J’imagine que vous voulez dire ceux qui ne sont pas liés à la COVID-19, mais qui sont plus généraux.

Le sénateur Loffreda : Vous avez précisé que la COVID-19 est une priorité. Étant donné l’ampleur du mandat de vérification du dossier de la COVID-19 — beaucoup de ressources seront requises alors qu’il y a beaucoup d’incertitude au sujet du financement —, croyez-vous que vous avez les ressources adéquates pour ajouter des mandats? Dans quelle mesure la nature, la portée et la capacité de réalisation en temps opportun des mandats seront touchées?

Mme Hogan : À l’heure actuelle, le manque de ressources se répercute sur tous les autres secteurs de l’organisation. Je pense par exemple, comme je le disais tantôt, au fait que nous avons dû remettre à plus tard certaines vérifications de rendement que nous souhaitons faire. Nous connaissons aussi certains retards du côté financier, alors oui, le manque de ressources se fait sentir au-delà des vérifications de rendement.

Pour ce qui est des autres éléments que je juge prioritaires, je crois, à voir les leçons que tire le pays en général et la manière dont les gens dépendent d’Internet et des infrastructures technologiques, qu’il serait temps de s’intéresser de nouveau à la cybersécurité et à la connectivité Internet, surtout dans les régions éloignées du Nord.

Toutes ces choses devront néanmoins attendre, comme vous le disiez. Je suppose que la COVID-19 occupera une bonne partie de nos ressources et de mon temps pendant quelques années — si je suis nommée, évidemment. Je n’ose pas prédire pendant combien de temps parce que je crois que nous devrons scruter à la loupe tout ce qui a été fait avant la crise pour préparer le pays, pendant la crise et, surtout, après la crise, afin de voir si le gouvernement et le Canada en général ont tiré les leçons qui s’imposent et s’ils seront prêts si jamais une crise du même acabit devait frapper de nouveau.

Le sénateur Loffreda : Merci beaucoup. Voici une autre question : en général, le manque de financement a-t-il eu une incidence sur le personnel comptable ou le personnel de vérification nécessaire ou celui qui a été employé dans le passé et qui le sera à l’avenir?

De plus, les contrôles internes du gouvernement et les systèmes comptables sont-ils à jour? Le manque de financement et la capacité à procéder à une vérification dans les secteurs requis ont suscité beaucoup d’inquiétudes. S’agit-il de votre plus grand défi? Dans l’affirmative, êtes-vous satisfaite des outils dont vous disposez à l’heure actuelle?

Mme Hogan : Bien évidemment, le fait de devoir reporter une partie de nos travaux ou de ne pas pouvoir présenter certains rapports mine le moral des personnes au sein de notre organisation. Elles sont extrêmement fières du travail qu’elles font et de son utilité pour le gouvernement et les Canadiens. J’espère que la possibilité d’examiner le dossier très important qu’est celui de la COVID-19 contribuera à améliorer la situation.

En ce qui concerne les contrôles au sein du gouvernement, je m’attends à ce qu’il y ait des changements. C’est inévitable compte tenu des mesures d’éloignement que nous devons tous respecter et de la nécessité de nous adapter. Des ajustements peuvent s’imposer chaque jour ou chaque semaine, mais les contrôles doivent demeurer. Ces mécanismes sont toujours nécessaires pour garantir que les fonds sont dépensés judicieusement et que les dépenses sont autorisées comme il se doit. Ainsi, même si les contrôles sont appelés à changer, ils ne devraient pas disparaître.

Le sénateur Loffreda : Merci beaucoup.

La présidente : Honorables sénateurs, le comité siège maintenant depuis 95 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, je suis obligée d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.

Madame Hogan, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être jointe à nous aujourd’hui.

Des voix : Bravo!

La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que la témoin a été entendue?

Des voix : D’accord.


Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

(1730)

[Français]

Rapport du comité plénier

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à entendre Karen Hogan relativement à sa nomination à titre de vérificatrice générale du Canada, signale qu’il a entendu ladite témoin.

La sanction royale

Son Honneur le Président informe le Sénat qu’il a reçu la communication suivante :

RIDEAU HALL

Le 15 mai 2020

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous aviser que la très honorable Julie Payette, gouverneure générale du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite au projet de loi mentionné à l’annexe de la présente lettre le 15 mai 2020 à 16 h 51.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.

La secrétaire de la gouverneure générale et chancelière d’armes,

Assunta Di Lorenzo

L’honorable

Le Président du Sénat

Ottawa

Projet de loi ayant reçu la sanction royale le vendredi 15 mai 2020 :

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait (projet de loi C-16, chapitre 8, 2020)

La vérificatrice générale

Adoption de la motion tendant à approuver sa nomination

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné plus tôt aujourd’hui, propose :

Que, conformément au paragraphe 3(1) de la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, le Sénat approuve la nomination de Karen Hogan à titre de vérificatrice générale du Canada.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5g) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 2 juin 2020, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant de demander à la sénatrice Gagné de proposer l’ajournement du Sénat, je tiens à souligner à quel point il est important que le Parlement poursuive ses travaux en cette période difficile. Nous devons être reconnaissants envers tous ceux qui nous aident à réaliser notre travail en cet endroit, à la fois physiquement, au Sénat, et virtuellement, au sein des comités.

[Français]

Je sais que je parle au nom de tous les sénateurs quand je dis que nous apprécions leur professionnalisme, leur dévouement et leur soutien dans ces circonstances exceptionnelles.

[Traduction]

À ceux qui se trouvent actuellement sur les lignes de front, partout au Canada, et qui continuent à travailler pour assurer la santé et la sécurité des Canadiens, de même que l’accès aux ressources dont nous avons besoin, nous vous remercions très sincèrement.

Honorables sénateurs, je vous souhaite, à vous et à votre famille, un bon long week-end. Soyez prudents.

(À 17 h 35, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 2 juin 2020, à 14 heures.)

Haut de page