Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 56
Le lundi 20 juin 2022
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- Projet de loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada
- Projet de loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé
- La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques
- L’étude sur les questions relatives aux banques et au commerce en général
- Le Budget des dépenses de 2022-2023
- Le Sénat
- Affaires juridiques et constitutionnelles
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Les travaux du Sénat
- La Loi constitutionnelle de 1867
- Le Code criminel
- La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
- La Loi sur les douanes
- La Loi sur le précontrôle (2016)
- Le Sénat
- Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures)
- Projet de loi concernant la modernisation de la réglementation
- Les travaux du Sénat
LE SÉNAT
Le lundi 20 juin 2022
La séance est ouverte à 18 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
La Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, hier, soit le dimanche 19 juin, nous avons célébré la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose au Canada. L’instauration de cette journée s’est révélée extrêmement importante pour les personnes touchées par cette maladie au pays. Outre le fait que cet événement permet de sensibiliser les gens à la drépanocytose et de saluer les progrès réalisés dans son traitement, il encourage à poursuivre les efforts entrepris.
Je milite pour la cause des personnes touchées par la drépanocytose depuis que j’ai participé à une activité de sensibilisation sur la Colline du Parlement en 2013. J’ai fait la connaissance de nombreuses personnes qui en sont atteintes, ainsi que de soignants et de militants. Toutes ces personnes parlent avec ferveur de leur expérience et des meilleures mesures à prendre dans l’avenir pour aider les Canadiens atteints de cette maladie. L’objectif consiste à élaborer une stratégie nationale pour le dépistage et le traitement précoces de la maladie. Honorables sénateurs, j’estime qu’il s’agit d’un objectif réalisable.
Bien que la drépanocytose soit une maladie héréditaire et qu’elle puisse toucher toute personne dont les deux parents sont porteurs du trait drépanocytaire, ou du trait drépanocytaire et d’un autre trait d’hémoglobine, elle touche principalement les Noirs, les personnes de l’Europe méridionale, les gens du Moyen-Orient et les personnes d’origine asiatique-indienne. Il est donc important de souligner que le racisme systémique dans le système de santé est malheureusement une réalité pour les patients atteints de drépanocytose. Les personnes qui se présentent dans les hôpitaux canadiens avec des douleurs sont parfois traitées comme des personnes en quête de drogue comparativement à leurs voisins non racisés. Il faut mettre un terme à l’injustice raciale dans le système de santé. Le Groupe de sensibilisation à la drépanocytose de l’Ontario s’est engagé tout particulièrement à assurer un accès équitable à des soins standard complets dans toute la province.
Je tiens à ce que les personnes qui travaillent avec grande diligence au nom des Canadiens atteints de drépanocytose sachent que leur travail, leur énergie et leur enthousiasme sont appréciés. J’aimerais exprimer mes plus sincères remerciements à Lanre Tunji-Ajayi, Biba Tinga et Rugi Jalloh pour le travail qu’elles ont accompli et qu’elles continuent de faire. Je remercie également les députés Darren Fisher et Kirsty Duncan de défendre la cause des personnes atteintes de drépanocytose et de leurs familles. Ils travaillent sans relâche pour que la drépanocytose et les besoins des personnes atteintes de cette maladie demeurent une question prioritaire. Honorables sénateurs, il semble que la plupart des journées de l’année servent à marquer un événement ou à sensibiliser la population à une maladie. Il serait facile de qualifier ces projets de loi de frivoles, mais je vous assure qu’ils ne le sont pas. Ils ont de l’importance.
Lorsque la Loi sur la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose a été adoptée en 2017, la communauté a été folle de joie. Chaque nouvelle personne qui est sensibilisée à cette maladie, qui donne du sang ou qui défend un projet de loi fait une petite différence et nous permet de mieux soigner les Canadiens qui luttent contre cette maladie. C’est pour cette raison que le 19 juin, nous célébrons. Je vous encourage à prendre le temps de vous renseigner sur la drépanocytose et de rencontrer des personnes touchées par cette maladie dans vos collectivités. Je ne doute pas que vous serez touchés par leur passion autant que je l’ai été. Merci.
[Français]
Le lieutenant-général Jocelyn Paul
L’honorable Michèle Audette : Kuei, honorables sénateurs.
Je prends la parole aujourd’hui pour souligner et honorer un membre des Premières Nations qui est devenu le plus haut gradé de l’armée canadienne : il s’agit du lieutenant-général Jocelyn Paul, qui est maintenant commandant de l’armée canadienne.
Le 16 juin dernier, j’ai participé à la cérémonie de passation du commandement de l’armée canadienne au lieutenant-général. Je le répète, c’est une grande fierté de savoir qu’un Wendat est devenu le plus haut gradé de l’armée canadienne.
Il s’agit, encore une fois, d’un moment historique. J’ai été profondément touchée qu’une institution mette de l’avant les pratiques spirituelles et culturelles des peuples autochtones. C’était révélateur et inspirant. Je vous en reparlerai bientôt, chers collègues, n’ayez crainte.
Ce moment historique appartient à un petit gars de Wendake, un Wendat qui s’est illustré grâce à une brillante et grande carrière au sein des Forces armées canadiennes, le lieutenant-général Jocelyn Paul, que ses proches surnomment « Joe ».
Jocelyn Paul a fait de grandes études universitaires. Il a fait des études de maîtrise en anthropologie à Montréal. Cette éducation lui permet aujourd’hui de faire en sorte de déjouer la mésinformation dont il fait l’objet, lorsqu’on lui reproche de travailler pour l’ennemi.
Dans une entrevue qu’il a accordée à Radio-Canada lorsqu’il a accepté le poste de commandant de l’armée, il a rappelé ce qui suit, et je cite :
[…] les alliances que les communautés autochtones ont scellées avec les Européens à leur arrivée sur le territoire […] étaient à la fois commerciales et militaires. Nos ancêtres ont toujours défendu les limites de la colonie.
C’était un moment historique. Il est important de faire connaître de doux guerriers, comme le lieutenant-général Paul.
Tshinashkumitin. Merci. Tiawenhk.
(1810)
[Traduction]
La Journée nationale des peuples autochtones
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je tiens à remercier les conservateurs de m’accorder ce créneau.
Comme demain est la Journée nationale des peuples autochtones, j’aimerais rendre un hommage particulier aux Premières Nations de tout le pays. J’ai depuis longtemps le privilège d’entretenir des liens étroits avec les communautés et les gens de la base, en particulier avec les Premières Nations du Manitoba. C’est à ces gens que je fais référence lorsque je parle de la « Mary Jane collective » que j’amène avec moi dans le cadre de mon travail au Sénat. Ce sont également eux qui m’orientent et me guident dans les nombreuses initiatives que je propose, tant dans cette enceinte qu’en comité.
Ainsi, en cette Journée nationale des peuples autochtones, je souhaite reconnaître et louer la résilience et l’ingéniosité de ces personnes, celles qui sont bien trop souvent négligées et sous-estimées. Chers collègues, je parle souvent des vides en matière de compétence auxquels sont confrontés les membres des Premières Nations, des vides qui exacerbent souvent les nombreux problèmes qu’ils affrontent dans leur vie quotidienne.
Vivant sous le régime de la Loi sur les Indiens et sur des terres relevant du gouvernement fédéral tout en étant simultanément soumises à la compétence et à l’autorité des provinces, les Premières Nations sont confrontées à une contrainte unique et complexe qui entrave souvent leur progrès. Toutefois, ne vous y trompez pas, les Premières Nations sont désireuses et capables de se lever, de s’attaquer aux nombreux problèmes qui les assaillent et de les surmonter. Je sais que c’est vrai, car je suis témoin de leurs capacités tous les jours.
Les Premières Nations sont fortes, sages, intelligentes, responsables et débrouillardes. Elles sont constituées d’avocats, d’universitaires et de médecins. Elles sont constituées de femmes qui sont des gardiennes respectées du savoir. Elles sont constituées de jeunes dynamiques et motivés à devenir des agents de changement et à créer un avenir meilleur non seulement pour eux, mais aussi pour les sept générations à venir.
Des lacunes juridiques et des contraintes législatives ont effectivement limité les progrès des Premières Nations dans de nombreux domaines. En tant que sénateurs, nous devrions tous en être conscients et continuer à résoudre ces problèmes à mesure que nous débattrons et adopterons de nouvelles mesures législatives.
Honorables sénateurs, je peux vous dire que les Premières Nations ne ressemblent à aucune autre sur cette planète. Confrontées à d’incroyables difficultés, elles ont démontré qu’elles peuvent faire bien plus que simplement survivre. Lorsqu’on leur en a donné l’occasion, elles ont démontré qu’elles pouvaient prospérer et s’épanouir.
Kinanâskomitin. Merci.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de trois réfugiés du Yémen qui visitent le Sénat aujourd’hui à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés : il s’agit de Lamees Alwasabi, de Kais Al-ariani et de Mohammed Al-shuwaiter. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Jaffer.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
AFFAIRES COURANTES
Projet de loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada
Présentation du neuvième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie
L’honorable Ratna Omidvar, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, présente le rapport suivant :
Le lundi 20 juin 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l’honneur de présenter son
NEUVIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada, a, conformément à l’ordre de renvoi du 7 avril 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :
1.Préambule, page 1 : Ajouter, après la ligne 13, ce qui suit :
« qu’il convient que les artistes francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, aient l’égale possibilité de réaliser leurs projets artistiques pour favoriser l’épanouissement et le développement des minorités francophones et anglophones; ».
2.Article 4, page 2 :
a) Ajouter, après la ligne 18, ce qui suit :
« d.1) le ministre responsable des langues officielles; »;
b) ajouter, après la ligne 23, ce qui suit :
« g.1) des artistes francophones et des organisations qui les représentent;
g.2) des artistes qui représentent la diversité ethnique et raciale et toutes autres diversités du Canada, et des organisations qui œuvrent en leur nom; ».
Votre comité a aussi fait certaines observations qui sont annexées au présent rapport.
Respectueusement soumis,
La présidente,
RATNA OMIDVAR
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
[Français]
Projet de loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé
Projet de loi modificatif—Présentation du troisième rapport du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles
L’honorable Paul J. Massicotte : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le troisième rapport du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, qui porte sur le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi‑élimination du sulfonate de perfluorooctane.
(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 752.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Massicotte, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
[Traduction]
La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques
Projet de loi modificatif—Présentation du sixième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international
L’honorable Peter M. Boehm, président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, présente le rapport suivant :
Le lundi 20 juin 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a l’honneur de présenter son
SIXIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-9, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques, a, conformément à l’ordre de renvoi du 14 juin 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.
Respectueusement soumis,
Le président,
PETER M. BOEHM
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Boehm, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
L’étude sur les questions relatives aux banques et au commerce en général
Dépôt du quatrième rapport du Comité des banques et du commerce
L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le quatrième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce intitulé Investissement des entreprises au Canada. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.
(Sur la motion de la sénatrice Wallin, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Le Budget des dépenses de 2022-2023
Le Budget supplémentaire des dépenses (A)—Dépôt du cinquième rapport du Comité des finances nationales
L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales intitulé Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.
(Sur la motion du sénateur Mockler, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
[Français]
Le Sénat
Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-28
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou pratique habituelle :
1.le Sénat se forme en comité plénier à 17 heures le mardi 21 juin 2022 afin d’étudier la teneur du projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême), toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu’à la fin du comité plénier;
2.si la sonnerie d’appel pour un vote retentit au moment où le comité doit se réunir, elle cesse de se faire entendre pendant le comité plénier et retentisse de nouveau une fois les travaux du comité terminés pour le temps qu’il reste;
3.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-28 reçoive l’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, accompagné d’au plus deux fonctionnaires;
4.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-28 lève sa séance au plus tard 65 minutes après le début de ses travaux;
5.les remarques introductives du ministre durent un total maximal de cinq minutes;
6.si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur;
7.l’heure prévue pour la suspension du soir conformément à l’article 3-3(1) du Règlement soit reportée après la fin du comité plénier et, dans le cas où la sonnerie d’appel se faisait entendre au moment où le comité a commencé ses travaux, la fin de ces délibérations.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(1820)
[Traduction]
Affaires juridiques et constitutionnelles
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à étudier l’impact du paragraphe 268(3) du Code criminel
L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, l’impact du paragraphe 268(3) du Code criminel, promulgué en 1997, y compris mais sans s’y limiter :
a)les raisons pour lesquelles il n’y a pas eu de poursuites au titre de cette disposition depuis sa promulgation il y a 25 ans;
b)la mesure dans laquelle les mutilations génitales féminines sont actuellement pratiquées au Canada et sur les jeunes filles canadiennes emmenées à l’étranger pour de telles procédures;
Que le comité formule des recommandations, le cas échéant, pour s’assurer que la disposition du Code criminel ait l’effet souhaité, soit de mettre fin à de tels crimes perpétrés contre les filles au Canada;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.
PÉRIODE DES QUESTIONS
L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté
Les services de passeport
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’ai une question à l’intention du leader du gouvernement au Sénat. Vendredi matin, les Canadiens qui avaient fait la file toute la nuit devant les bureaux de Service Canada à Laval, dans l’espoir d’obtenir leur passeport, ont été expulsés des lieux par la police, qui avait été appelée pour disperser la foule. Ce n’est pas une norme de service et c’est honteux.
Hier, Brian Lilley rapportait que la hausse des demandes de passeport qui fait en sorte que le gouvernement Trudeau est complètement dépassé par les événements ne correspond qu’à 55 % des volumes de demandes que le gouvernement traitait avant la pandémie. À l’heure actuelle, 75 000 demandes par semaine sont traitées alors qu’avant la pandémie, la quantité de demandes traitées oscillait entre 90 000 et 98 000 demandes par semaine.
Monsieur le leader, quelle est la réponse de votre gouvernement à ce reportage? Les chiffres avancés sont-ils exacts? Si aucun employé des bureaux des passeports n’a été mis à pied, selon ce que la ministre Gould a déclaré, pourquoi votre gouvernement ne peut-il pas suffire à la tâche?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de poser cette question et de mettre en lumière la situation très troublante à laquelle sont confrontés les nombreux Canadiens qui attendent leur nouveau passeport.
Je ne sais pas si les détails sont tous exacts. Je sais, par contre, que le gouvernement a consacré des sommes considérables à l’embauche de personnel additionnel afin d’aider le personnel déjà en place à régler ces retards. Il s’agit d’un défi de taille, et le gouvernement travaille avec acharnement pour le régler.
On me dit que le personnel s’assure de donner priorité à toutes les personnes qui ont planifié un voyage commençant dans les 25 jours ouvrables. On me dit aussi que, bien que les délais de traitement soient décidément plus longs qu’avant la pandémie et plus longs qu’ils ne devraient raisonnablement l’être, 72 % des demandes sont traitées dans les délais normaux.
Le sénateur Plett : Je trouve troublant de vous entendre dire que vous n’êtes pas certain de l’exactitude des faits. Ces faits sont on ne peut plus exacts et officiels : on traite maintenant 75 000 demandes par semaine alors qu’on en traitait de 90 000 à 98 000 par semaine auparavant. Personne ne remet ces statistiques en question, pas même le gouvernement.
La semaine dernière, un article publié par Blacklocks indiquait que, parmi les 26 000 employés de Service Canada qui traitent les demandes de passeport, plus de 18 000, soit environ 70 %, travaillent encore de leur domicile. Il serait peut-être temps qu’ils arrêtent de se terrer comme des marmottes.
Comment se fait-il, monsieur le leader, que votre gouvernement soit débordé et n’arrive pas à fournir aux Canadiens ce service gouvernemental de base? Est-ce parce que les employés qui traitent les demandes de passeport travaillent surtout à leur domicile?
Le sénateur Gold : Lorsque j’ai dit que je n’étais pas certain de tous les faits, je ne parlais pas tant des statistiques que toutes les circonstances entourant les causes des délais.
Je ne connais pas la proportion de travailleurs qui travaillent encore à domicile ni les nombreuses raisons qui expliquent la situation. Je vais certainement me pencher sur la question et faire rapport. Encore une fois, je peux assurer à la Chambre que le gouvernement est très conscient des délais déraisonnables et de leurs répercussions sur les Canadiens et qu’il fait de son mieux pour remédier à la situation.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor
L’accès à l’information
L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le rapport annuel 2021-2022 de la commissaire à l’information fait état d’une hausse de 70 % des plaintes depuis l’an dernier. Il s’agit du plus gros volume de plaintes depuis la création du commissariat en 1983, il y a presque 40 ans.
La commissaire Maynard déclare : « [...] un certain nombre d’institutions ne respectent pas leurs obligations législatives, alors que d’autres semblent les considérer comme facultatives. »
La commissaire soutient que la pandémie ne peut plus servir d’excuse pour manquer aux obligations législatives en matière d’information.
Monsieur le leader, le gouvernement a accédé au pouvoir en promettant l’ouverture et la transparence. Or, sous l’actuel gouvernement, l’accès à l’information n’a probablement jamais été aussi mauvais. Que ferez-vous pour résoudre la crise du système d’accès à l’information à l’échelle du gouvernement?
(1830)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénatrice. En effet, la transparence, la reddition de comptes et l’ouverture sont des principes directeurs que le gouvernement s’efforce de promouvoir. Il a investi plus de 50 millions de dollars de fonds supplémentaires pour améliorer l’accès à l’information, et il réalise actuellement un examen du processus d’accès à l’information afin d’explorer des possibilités d’améliorer la publication proactive, d’améliorer les services et de réduire les retards. On me dit également que le gouvernement a rappelé aux sous-ministres leurs obligations conformément à la loi et qu’il les tient responsables de répondre adéquatement aux demandes.
La sénatrice Ataullahjan : Dans un rapport publié en avril dernier, et encore une fois dans un rapport annuel de la semaine dernière, la commissaire Maynard a abordé précisément les retards excessifs des demandes d’accès à l’information à Bibliothèque et Archives Canada, où près de 80 % des réponses ne respectent pas les délais prescrits par la loi. La commissaire est très critique du ministre Rodriguez dans ses rapports. Elle dit ne pas être convaincue que le ministre saisit bien la gravité du problème à Bibliothèque et Archives Canada. De plus, la commissaire a déclaré que la réponse du ministre à ses recommandations manquait d’urgence et qu’il n’avait même pas répondu à certaines de ses recommandations.
Monsieur le leader, la commissaire dit que le ministre Rodriguez ne veut pas s’engager à autre chose que maintenir le statu quo à Bibliothèque et Archives Canada, et elle trouve cela tout à fait inadéquat. Comment les retards seront-ils rattrapés un jour si le ministre ne se rend même pas compte qu’il y a un problème?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Avec tout le respect que je vous dois, sénatrice, il n’est pas vrai que le ministre ne reconnaît pas le problème. Le gouvernement et le ministre remercient la commissaire de son rapport. Ils prennent très au sérieux la question de l’accès à l’information. Il y a plus de demandes, c’est vrai, et elles sont plus complexes. Le gouvernement prend des mesures.
J’ai été informé que Bibliothèque et Archives Canada met sur pied un groupe de travail pour régler les problèmes, réduire l’arriéré et élaborer un plan à long terme. Pour sa part, le gouvernement a ajouté 25 millions de dollars au budget de 2022 pour rendre les documents relatifs aux pensionnats autochtones accessibles à tous les survivants. Le gouvernement espère que ces mesures amélioreront la situation, tel qu’il est indiqué dans le rapport.
Les finances
Le paiement rapide des travaux de construction du gouvernement fédéral
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, demain, trois années se seront écoulées depuis que le projet de loi C-97, Loi no 1 d’exécution du budget de 2019, a reçu la sanction royale. L’article 387 de cette loi, qui visait à mettre en place la Loi fédérale sur le paiement rapide des travaux de construction, n’a toujours pas été mis en œuvre.
Savez-vous quand cette loi entrera en vigueur et pourquoi on tarde à la promulguer?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, sénatrice. Le gouvernement croit que les entrepreneurs et les sous-traitants de l’industrie de la construction méritent d’être payés rapidement. En ce qui concerne les détails de votre question, je vais me renseigner auprès du gouvernement, puis faire rapport au Sénat.
La sénatrice Duncan : Sénateur Gold, comment pouvons-nous savoir si le gouvernement mettra en œuvre les mesures qui devaient être promulguées au titre du projet de loi C-19, et qui sont actuellement étudiée au Comité des finances nationales? Est-ce que l’adoption de ces mesures est remise en question?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Je ne peux pas y répondre de façon précise. J’ose espérer que des questions de cette nature ont été posées aux fonctionnaires qui ont témoigné devant les divers comités qui se penchent sur le projet de loi C-19. Outre cela, sénatrice Duncan, je vais certainement me renseigner à ce sujet si, comme prévu, le projet de loi franchit l’étape de la troisième lecture cette semaine.
La justice
L’examen triennal de la Loi sur le cannabis
L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, il y a environ un an, je me suis renseignée à propos des plans visant à entreprendre l’examen triennal de la Loi sur le cannabis, puisque j’étais inquiète que nous rations l’échéance pour commencer ces travaux importants. Le jalon des trois ans a été atteint en octobre dernier, mais la seule référence que le gouvernement ait faite à l’industrie du cannabis a été le lancement de la table stratégique sur le cannabis pour établir un dialogue avec l’industrie, que l’on retrouve dans le budget de cette année. Cette mesure n’examinera pas vraiment l’aspect de la santé publique et, à mon avis, elle ne correspond pas à l’examen prévu dans la Loi sur le cannabis.
Quand le gouvernement commencera-t-il cet important examen de la Loi sur le cannabis et de ses répercussions sur les Canadiens?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. La Loi sur le cannabis a mis en place un nouveau cadre de contrôle du cannabis et elle a été conçue pour mieux protéger la santé publique et la sécurité publique, ainsi que pour minimiser les méfaits associés à l’usage du cannabis. Comme vous l’avez souligné avec justesse, la loi exige qu’un examen législatif soit entrepris dans les trois ans après son entrée en vigueur et qu’un rapport soit déposé dans les deux Chambres du Parlement dans les 18 mois suivant le début de cet examen. Le gouvernement demeure déterminé à mettre en place un processus crédible fondé sur des données probantes pour cet examen législatif, qui évaluera les progrès réalisés dans l’atteinte des objectifs de la loi.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor
L’accès à l’information
L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur des inquiétudes liées au système d’accès à l’information. Selon une réponse à une question écrite soumise par le député conservateur Kelly McCauley à la Chambre des communes, le gouvernement Trudeau a payé des consultants privés plus de 39 millions de dollars pour traiter des demandes d’accès à l’information. Ces 39 millions de dollars ont été dépensés depuis le 1er janvier 2020 seulement.
Sénateur Gold, selon le rapport annuel de la commissaire à l’information, en 2021-2022, le personnel responsable de l’accès à l’information de 28 institutions fédérales n’avait aucun accès ou avait seulement un accès limité sur place pour le traitement des dossiers physiques. Compte tenu de ce fait, comment le gouvernement peut-il justifier de verser des dizaines de millions de dollars des contribuables à des consultants pour censurer des documents gouvernementaux?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je dirai encore une fois qu’il me semble inexact de dire que le travail consiste à censurer des documents du gouvernement. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas les détails du travail qui a été fait. Je vais certainement me renseigner et je vous reviendrai avec une réponse.
Le sénateur MacDonald : Selon la réponse déposée à l’autre endroit en février dernier, le ministère de la Défense nationale a octroyé un contrat de 125 000 $ de l’argent des contribuables à une société d’experts-conseils pour traiter une seule demande d’accès à l’information. De plus, le document indique que Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada ont versé 36 000 $ à une société d’experts-conseils pour un contrat de février à mars 2020, mais celle-ci n’a traité aucune demande — pas une seule.
Sénateur Gold, comment le gouvernement peut-il justifier ces contrats?
Le sénateur Gold : Je vais devoir m’informer sur la nature des contrats ainsi que sur le type et la portée des demandes. Comme les sénateurs le savent certainement, une demande peut viser des milliers, voire des millions de documents, qui ne sont pas nécessairement facilement accessibles et qui devraient être passés en revue dans les circonstances appropriées. En conséquence, même si les chiffres semblent spectaculaires, je vais devoir m’informer et fournir une réponse avec le contexte approprié.
La santé
L’étiquetage des aliments
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma deuxième question s’adresse, encore une fois, au leader du gouvernement au Sénat.
Monsieur le leader, la question porte sur l’étiquette de mise en garde que propose Santé Canada pour le bœuf et le porc hachés. J’ai soulevé cette question auprès de la ministre de l’Agriculture au début du mois dans le cadre d’un comité plénier. Lorsqu’elle a comparu au Sénat, voici ce qu’a affirmé la ministre Bibeau :
La décision finale n’a pas encore été prise, mais vous pouvez compter sur moi pour toujours défendre nos producteurs auprès de mon collègue le ministre de la Santé [...]
Pendant la période des questions à la Chambre des communes plus tôt aujourd’hui, on avait la nette impression qu’une décision avait été prise et que les producteurs de bœuf avaient eu raison, monsieur le leader, de s’inquiéter. Pendant la période des questions, le secrétaire parlementaire du ministre de la Santé a défendu ces étiquettes de mise en garde, disant que les Canadiens auraient dorénavant la possibilité de faire un choix bien informé afin de limiter leur consommation de gras saturés. Monsieur le leader, pouvez-vous confirmer que le gouvernement apposera des étiquettes de mise en garde sur le bœuf et le porc hachés?
(1840)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur Plett. Non, je ne peux pas le confirmer. Pour autant que je sache, cette décision n’a pas encore été officiellement prise. Toutefois, je peux confirmer que le gouvernement demeure déterminé à fournir aux Canadiens et aux consommateurs tous les renseignements que les Canadiens méritent d’avoir sur les bienfaits et les possibles conséquences des aliments qu’ils consomment. Cela inclurait des aliments à teneur élevée en gras saturés ou ceux qui pourraient, s’ils sont mangés en trop grande quantité ou concentration, avoir des effets néfastes sur la santé, du moins pour certains Canadiens.
Le sénateur Plett : Monsieur le leader, dans vos réponses, vous nous donnez toujours l’assurance que le gouvernement est soucieux de bien faire les choses. Or, ce n’est pas ce que démontrent ses actions.
Comme je l’ai dit, malgré ce que la ministre a soutenu plus tôt ce mois-ci, il semble qu’une décision ait bel et bien été prise. Encore une fois, le gagne-pain des producteurs de bœuf et de porc est sacrifié pour une politique incohérente et contradictoire du gouvernement Trudeau.
Monsieur le leader, si le gouvernement Trudeau appose une étiquette de mise en garde sur le bœuf et le porc hachés canadiens, le Canada sera le seul pays au monde à adopter une telle pratique. Je trouve étrange qu’aucun autre pays au monde ne semble se soucier de la santé des Canadiens; seul notre gouvernement s’en soucie. Monsieur le leader, quels effets pensez-vous que cela aura sur nos exportations mondiales de bœuf? L’année dernière, la valeur de ces exportations s’est élevée à environ 4,5 milliards de dollars. Pensez-vous qu’une étiquette de mise en garde aidera ces exportations ou leur nuira?
Le sénateur Gold : Je pense que le gouvernement estime que les étiquettes santé sur le bœuf, le porc ou tout autre produit aident les Canadiens à faire des choix éclairés. Je m’attends à ce que les Canadiens — et les citoyens du monde entier — continuent à acheter du bœuf haché. Le Canada produit de la viande de bœuf de qualité supérieure qui est consommée ici et à l’étranger, et le gouvernement s’attend à ce que cela ne change pas.
L’agriculture et l’agroalimentaire
Les droits de douane sur les engrais
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, je pense que nous devrions siéger plus souvent le lundi. J’ai beaucoup de questions.
Ma dernière question aujourd’hui, monsieur le leader — même si nous avons le temps et que j’aurais dû en préparer une quatrième — porte sur un sujet que j’ai déjà abordé avec vous, soit les droits de douane de 35 % sur les importations d’engrais russes qui sont imposés aux agriculteurs canadiens.
Ces droits ont mis nos agriculteurs dans une situation financière difficile dont la responsabilité incombe entièrement au gouvernement Trudeau. Je ne connais aucun autre pays qui impose des droits semblables à ses agriculteurs; probablement parce qu’il est ridicule de le faire compte tenu de l’insécurité alimentaire qui règne dans le monde entier. La seule solution que le gouvernement Trudeau a proposée n’est absolument pas une solution. Il a offert de prolonger le Programme de paiements anticipés, ce qui ne fait qu’endetter encore davantage les agriculteurs.
Monsieur le leader, quel est le montant moyen que les agriculteurs canadiens ont dû payer à votre gouvernement en droits de douane sur les engrais? Est-ce que votre gouvernement recueille ces données ou est-ce qu’il se soucie même du sort des agriculteurs?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Encore une fois, je vous remercie de votre question. Je n’ai pas les chiffres concernant les sommes perçues dans le cadre de ce programme.
Le gouvernement se soucie bel et bien du sort des agriculteurs. Il collabore avec le secteur agricole pour gérer la hausse du coût des intrants et ses répercussions sur les producteurs. Certains facteurs sont indépendants de la volonté de tout gouvernement puisqu’ils sont de nature internationale. Toutefois, le gouvernement est déterminé à collaborer avec le secteur agricole pour le soutenir afin qu’il puisse non seulement combler les besoins des Canadiens, mais également prospérer en tant qu’important exportateur dans le monde.
Le sénateur Plett : Monsieur le leader, comment se fait-il que l’invasion illégale de l’Ukraine par Poutine justifie l’imposition de droits de douane de 35 % sur les engrais à nos propres agriculteurs, mais ne soit pas suffisamment grave pour empêcher le bureau de la ministre Joly d’envoyer une représentante à une fête somptueuse à l’ambassade de la Russie? Trouvez-vous cela logique, monsieur le leader?
Le sénateur Gold : La présence de la haute fonctionnaire à la fête était une erreur inacceptable. La ministre et le premier ministre lui-même l’ont avoué. Cela ne se reproduira pas.
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-14, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-5, suivie de la troisième lecture du projet de loi S-7, suivie de l’étude de la motion no 49, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.
[Français]
La Loi constitutionnelle de 1867
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’honorable Dennis Dawson propose que le projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole au Sénat pour appuyer le projet de loi C-14 émanant du gouvernement, intitulé Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes. Ce projet de loi fera en sorte qu’aucune province n’ait moins de sièges à la Chambre des communes qu’en 2021.
Comme nous le savons tous, chaque décennie, notre Constitution exige que soit effectuée une révision de la représentation à la Chambre des communes. Cette révision vise à réévaluer le nombre de sièges attribués à chaque province et les limites des circonscriptions électorales pour tenir compte des changements démographiques survenus dans notre pays.
Au cours des 10 dernières années, la population du Canada a augmenté de plus de 3,5 millions d’habitants, passant d’un peu plus de 33 millions d’habitants en 2011 à près de 37 millions d’habitants aujourd’hui.
[Traduction]
La croissance de la population ne se fait pas de façon égale d’une province à l’autre et il est essentiel que chaque citoyen canadien soit pris en compte en ce qui a trait aux circonscriptions fédérales. Je voudrais profiter de l’occasion pour parler en premier lieu de la façon dont les sièges sont attribués aux provinces.
D’abord, le processus implique que le directeur général des élections calcule le nombre de sièges qui seront attribués à chacune des provinces à partir des estimations de la population produites par Statistique Canada. Le calcul repose sur une formule mathématique prévue dans la Loi électorale de 1867; il s’agit d’une formule simple en quatre étapes que le directeur général des élections applique sans avoir à intervenir.
[Français]
La première étape de la formule est la répartition initiale des sièges entre les provinces, qui est obtenue en divisant la population de chaque province par le quotient électoral.
Le quotient électoral est obtenu en multipliant le quotient du dernier redécoupage décennal, qui était de 111 166 électeurs par circonscription, par la moyenne des taux de croissance démographique des 10 provinces au cours des 10 dernières années, soit 9,65 %.
Le quotient électoral de 2021 est de 121 891 électeurs. Ce nombre correspond à peu près à la taille moyenne des circonscriptions dans les provinces.
[Traduction]
Ensuite, on applique la clause sénatoriale et la clause des droits acquis, qui établissent le nombre minimal de sièges pour chacune des provinces et empêchent qu’une province se retrouve avec moins de sièges qu’au Sénat ou avec moins de sièges qu’en 1985, respectivement. Ces clauses continuent à assurer que les provinces plus petites et celles dont la population est en déclin continueront d’être bien représentées à la Chambre des communes.
[Français]
La troisième étape de la formule est l’application de la « règle de représentation », qui fait en sorte que les provinces qui étaient surreprésentées à la Chambre des communes par rapport à leur poids démographique lors du redécoupage précédent restent surreprésentées au redécoupage suivant.
Une fois les clauses spéciales et la règle de représentation appliquées, le nombre de sièges de chaque province est déterminé.
[Traduction]
Enfin, un siège est attribué à chacun des territoires : le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Cette dernière étape détermine le nombre de sièges à la Chambre.
(1850)
Le 15 octobre 2021, le directeur général des élections a publié les résultats de ce calcul et a annoncé que la nouvelle attribution de sièges à la Chambre des communes par province pour la décennie allant de 2022 à 2032 ferait passer le nombre de sièges de 338 à 342. La nouvelle répartition prévoit l’ajout d’un siège pour la Colombie-Britannique, de trois sièges pour l’Alberta et d’un siège pour l’Ontario, compte tenu de la croissance démographique plus rapide dans ces provinces, mais elle prévoit le retrait d’un siège pour le Québec. Comme cette perte d’un siège pour le Québec suscite des préoccupations, le gouvernement a présenté le projet de loi C-14, Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes.
[Français]
Le projet de loi C-14 vise à modifier l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui porte sur la révision de la représentation à la Chambre des communes. Plus précisément, il ferait en sorte que le Québec conserve le siège qu’il aurait perdu.
Cependant, et cela est très important, il faut maintenir aussi toutes les mesures de protection qui existent à l’heure actuelle et permettre une augmentation progressive du nombre de sièges dans les provinces dont la population augmente.
[Traduction]
De toute évidence, cela signifie que les gains mentionnés précédemment pour la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario seront maintenus au titre du projet de loi C-14. Ainsi, l’approche proposée permet, à mon avis, d’établir un équilibre approprié entre une représentation régionale efficace et une représentation en fonction de l’évolution démographique au Canada. Pour ce qui est de la façon d’atteindre cet objectif, précisons que le projet de loi C-14 vise à mettre à jour la disposition de droits acquis inscrite dans la règle 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, pour qu’aucune province n’ait moins de sièges qu’elle n’en avait en 2021, au cours de la 43e législature.
[Français]
Cela établirait un nouveau seuil minimum de sièges à la Chambre des communes pour toutes les provinces et permettrait de maintenir le nombre de sièges du Québec à au moins 78 sièges lors du prochain redécoupage électoral.
Étant donné qu’aucun changement n’est apporté aux autres étapes de la formule de répartition des sièges, son calcul et ses objectifs restent inchangés : les provinces à démographie faible ou faiblement croissante sont protégées, et le projet de loi C-14 permet l’augmentation progressive du nombre de sièges pour les provinces dont la population augmente.
Si ce projet de loi est adopté, le nombre de sièges au cours de la décennie de 2022 à 2032 sera de 343 au lieu de 342, et le Québec conservera 78 sièges au lieu d’en perdre un.
Cependant, comme beaucoup d’entre vous le savent, le redécoupage des circonscriptions électorales a déjà commencé, puisque le directeur général des élections a annoncé la nouvelle répartition des sièges en octobre 2021. Par conséquent, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous parler également de la révision en cours des limites des circonscriptions électorales, et de son rapport avec le projet de loi C-14.
[Traduction]
Comme l’exige la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, 10 commissions de délimitation des circonscriptions électorales indépendantes et non partisanes, soit une pour chaque province, ont été établies le 1er novembre 2021. Il est important de mentionner que la nature indépendante et non partisane de ces commissions a été établie délibérément. Cette indépendance sert à limiter l’ingérence politique dans le processus et à maintenir l’intégrité et la transparence de nos système et institutions démocratiques.
Le 9 février 2022, les données définitives du recensement de 2021 ont été publiées et les commissions ont commencé leur examen des limites. Cet examen est prévu pour une période de 10 mois, au cours de laquelle les commissions tiendront des audiences publiques ouvertes au public canadien, y compris les députés, et chacune d’entre elles produira un rapport à la fin du processus. Une fois que les commissions auront terminé leurs rapports sur les nouvelles circonscriptions électorales, le directeur général des élections les acheminera au Président de la Chambre.
Ces rapports seront déposés et renvoyés au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre aux fins d’étude et les députés auront l’occasion de soumettre des objections écrites.
[Français]
Une fois l’étude terminée, les rapports sont renvoyés aux commissions. Dans les 30 jours suivant la réception des rapports, qui peuvent contenir des objections et des recommandations, chaque commission détermine si elle modifiera ou non les limites et le nom des circonscriptions électorales avant de présenter son rapport définitif. C’est alors que le directeur général des élections rédige le décret de représentation électorale, lequel décrit les circonscriptions établies par les commissions, qu’il remet au ministre responsable. Enfin, le décret de représentation électorale est proclamé par le gouverneur en conseil et est publié dans la Gazette du Canada.
Pour que ce travail crucial se poursuive sans interruption et sans ingérence politique, tout en veillant à ce que la nouvelle répartition préserve au Québec ses 78 sièges, le projet de loi C-14 prévoit des dispositions transitoires essentielles.
[Traduction]
Tout d’abord, lorsque le projet de loi C-14 entrera en vigueur, il obligera le directeur général des élections à recalculer le nombre de sièges attribués à chaque province. Comme nous l’avons déjà établi, cela ne changera pas le nombre de sièges de chaque province, à l’exception du Québec, et permettra au travail effectué par les commissions provinciales de ne pas être interrompu. Toutefois, le projet de loi C-14 exigera que la commission du Québec reprenne le processus d’examen des limites des circonscriptions électorales à zéro, conformément aux nouveaux calculs fournis par le directeur général des élections.
[Français]
La commission du Québec aura ainsi le temps de mener ses travaux et bénéficiera d’un nouveau délai de 10 mois pour réexaminer sa proposition de délimitation en s’appuyant sur la disposition des droits acquis, telle qu’elle a été actualisée en 2021.
Comme le Québec serait la seule province concernée par l’adoption du projet de loi C-14, cela signifie qu’une nouvelle proposition de délimitation des circonscriptions et un décret de représentation distinct seront rédigés pour cette province tel qu’il est requis et seulement pour cette province.
En conclusion, le projet de loi C-14 apporte à la Constitution une modification mineure qui relève le seuil du nombre de sièges et qui garantit qu’aucune province ne reçoive moins de sièges qu’en 2021. Ce faisant, il établit un équilibre approprié pour assurer à la fois une forte représentation régionale et une représentation par population. Il prévoit également des dispositions transitoires essentielles pour veiller à ce que le travail des commissions se poursuive sans interruption tout en faisant en sorte que le nombre de sièges du Québec soit préservé lors du prochain redécoupage électoral.
Merci, honorables sénateurs.
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Le sénateur Dawson accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Dawson : Certainement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Sénateur Dawson, j’aimerais d’abord vous remercier d’être le parrain de ce projet de loi, comme vous l’êtes pour le projet de loi C-11; cela vous fait pas mal de travail.
Je vais vous poser une question peut-être un peu épineuse. Comme Québécoise, je voterai en faveur de ce projet de loi; cette idée que l’on ne veut pas reculer sur le nombre de sièges fait consensus au Québec. Cependant, comme j’ai étudié en sciences politiques, la question de la représentation et du nombre à peu près égal de citoyens qui sont représentés par un député me touche. Je sais bien sûr que le système canadien n’est pas parfait et que lorsqu’on est député dans une région éloignée, on représente déjà moins de personnes que lorsqu’on est député dans une grande ville.
Tout de même, ce projet de loi vise à accorder un seuil minimum aux provinces dont la population augmente le moins rapidement. Avez-vous un malaise à faire ce compromis — car il s’agit essentiellement d’un compromis sur les principes de représentation — ou vous dites-vous plutôt que plusieurs compromis ont déjà été faits, par le passé? Je pense à d’autres provinces qui comptent effectivement moins de citoyens par député.
J’aimerais entendre votre opinion à ce sujet, parce que je me suis interrogée moi-même quant à ces questions de principe.
Le sénateur Dawson : Merci de votre question, sénatrice.
J’ai moi-même étudié en sciences politiques, à l’Université Laval et à l’Université d’Ottawa, et je suis d’accord avec vous quant aux problèmes inhérents à la représentation. Toutefois, le projet de loi ne touche en rien cette représentation; ce n’est pas à cet élément que s’applique le projet de loi, mais bien à la représentation entre les provinces et à une clause d’antériorité pour conserver 78 sièges, semblable à celle que nous avons créée pour protéger les provinces maritimes il y a quelques années.
On pourrait certainement en débattre, et même se poser des questions plus profondes sur la réforme électorale à venir, mais le projet de loi, malheureusement, ne me donne pas le mandat de traiter de ce sujet.
[Traduction]
L’honorable Donna Dasko : Le sénateur Dawson accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Dawson : Oui, madame.
La sénatrice Dasko : Merci. Sénateur Dawson, pendant votre présentation, je crois vous avoir entendu mentionner le principe de la représentation selon la population. Je me demande si ce principe ne s’érode pas de plus en plus. Ma province, l’Ontario, est sous-représentée pour ce qui est du nombre de sièges. Si je fais le calcul à partir du nombre total de sièges, soit 343, l’Ontario devrait en avoir 137, étant donné que 40 % de la population y habite.
(1900)
Mais combien de sièges obtenons-nous réellement selon ce projet de loi? S’agit-il de 122? Nous en avons actuellement 121. Si vous faites le calcul et ajoutez 1, cela donne 122. Pour moi, cela montre clairement qu’il n’y a pas de représentation selon la population. Peut-être que nous nous éloignons encore plus de ce principe, et cela m’inquiète.
Nous, au Sénat, savons que nous sommes inégalement — ou certains pourraient dire injustement — représentés. L’Ontario n’a que 24 sièges. Cette province devrait en avoir quelque chose comme 42, proportionnellement parlant, mais ce n’est pas le cas. Mais c’est le Sénat; la Chambre des communes est censée utiliser la représentation selon la population.
Craignez-vous que nous nous éloignions du principe au fur et à mesure que nous avançons dans le temps? Merci.
Le sénateur Dawson : Comme je l’ai dit à votre collègue, je suis entièrement d’accord. Il faudrait se pencher sur cette question. S’il y a une commission, c’est en partie pour éviter les contraintes politiques liées au fait que des parlementaires de chaque province viendraient défendre leurs droits. Mais lorsqu’il s’agit d’appliquer une disposition de droits acquis au Québec et aux Maritimes, cela signifie qu’il existe un déséquilibre inhérent dans le système.
Cela dit, il y a certainement matière à débat sur ce sujet. Malheureusement, ce n’est pas ce dont il est question aujourd’hui. Nous n’avons pas à interférer dans le processus de détermination. Nous devons déterminer la représentation minimale, comme nous l’avons déjà fait dans le passé au sujet des quatre sénateurs de l’Île-du-Prince-Édouard ou encore des Maritimes en 2010 ou en 2011.
C’est un sujet qui mérite qu’on en débatte, mais je ne pense pas que ce soit l’objectif du projet de loi. Si ce projet de loi a été rédigé le plus simplement possible, c’est parce que si nous commençons à débattre de ce sujet, nous savons tous que la réforme du Parlement prendra plus de temps que le fait d’accorder un siège de plus au Québec.
La sénatrice Dasko : Acceptez-vous de répondre à une question complémentaire, sénateur?
Le sénateur Dawson : Oui, sénatrice Dasko.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie, sénateur. Je comprends la notion de droits acquis. Comme vous l’avez expliqué, le projet de loi prévoit l’application de certains principes de droits acquis, notamment pour ce qui est de la répartition des sièges. Cependant, la solution aux droits acquis serait d’augmenter la taille de la Chambre des communes de façon à traiter équitablement les provinces plus populeuses qui ne jouissent pas d’une représentation équitable. Ces provinces seraient l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Ce serait la solution si nous adoptions vraiment — ou si nous avions — un système de représentation fondé sur la population. Voilà ce que nous ferions. Je me demande si vous pourriez faire part de vos observations à cet égard.
Le sénateur Dawson : Je pense que Son Honneur la Présidente intérimaire pourrait vous dire, puisqu’elle a déjà occupé des fonctions à l’autre endroit, que ce débat a lieu chaque fois que l’on parle de la carte électorale et des défis qui en découlent.
Parfois, je me répète. Ce mois-ci, cela fera 45 ans que je suis arrivé au Parlement. Il y avait alors 285 sièges. Si le Parlement avait grossi au même rythme que la population canadienne, il y aurait probablement 375 sièges à l’heure actuelle. Cependant, l’une des constatations qui a fait consensus est que si l’on essayait de modérer la représentation, cela ne ferait qu’accentuer la différence entre les grosses provinces et les petites provinces. Je le répète, ce n’est pas l’objectif du projet de loi, mais je serais favorable à toute motion allant dans cette direction. Cependant, nous ne jouons pas à ce jeu dans cette enceinte, contrairement à l’autre endroit.
Si les parlementaires élus veulent changer le système électoral pour leur enceinte, je ne leur mettrais pas de bâtons dans les roues. Toutefois, je m’attendrais à ce qu’ils nous rendent la pareille si nous voulions procéder à une réforme à la Chambre haute.
L’honorable Paula Simons : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Dawson : Oui.
La sénatrice Simons : Voici la question que je vous adresse, inspirée par la question de la sénatrice Dasko : les Albertains ont la mauvaise habitude d’entretenir un sentiment de rancune, qu’ils nourrissent comme ils nourriraient une fleur délicate. Dans ce cas-ci, toutefois, nos préoccupations sont légitimes. La Colombie-Britannique et l’Alberta figurent parmi les provinces de la Confédération qui affichent la croissance la plus rapide. La Colombie-Britannique compte un peu plus de 5 millions d’habitants et l’Alberta, un peu moins de 5 millions. Chacune de ces provinces n’a que six sièges au Sénat, un fait intéressant quand on considère que les petites provinces du Canada atlantique en ont beaucoup plus.
Quand je vois une situation de ce genre, je ne peux décidément pas reprocher à mes compatriotes du Québec de s’inquiéter de l’enjeu de la représentation, mais je crains que le maintien continu des droits acquis des petites provinces ait pour effet de perpétuer non seulement les inégalités que la sénatrice Dasko a mentionnées, mais aussi des inégalités encore plus marquées selon certains, puisque la Colombie-Britannique et l’Alberta continuent de croître et qu’elles ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à être représentées adéquatement au Sénat. Elles doivent donc compter sur la Chambre des communes pour pouvoir faire entendre leur voix équitablement.
Le sénateur Dawson : Cette observation est judicieuse et tout à fait justifiée, mais nous ne sommes pas dans le forum approprié pour que j’en débatte dans le contexte du projet de loi C-14. Pour être honnête, je crois, ayant servi à l’autre endroit, que ce serait le bon forum pour débattre de cet enjeu. Les députés devraient en débattre. Je suis d’accord avec vous. J’ai tenté d’y retourner, mais je n’étais pas le bienvenu; je suis donc venu ici.
Des voix : Oh, oh!
[Français]
L’honorable Claude Carignan (leader adjoint suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale). Aujourd’hui, mes propos seront brefs, car je réserverai des observations plus détaillées à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-14. J’espère que mes observations répondront notamment aux questions de la sénatrice Julie Miville-Dechêne.
Essentiellement, le projet de loi C-14 vient modifier la clause de droits acquis que l’on retrouve dans la formule de délimitation des circonscriptions électorales. Actuellement, cette clause de droits acquis, que l’on désigne comme la « clause de 1985 », prévoit qu’aucune province, au moment du redécoupage de la carte électorale, ne peut avoir moins de circonscriptions qu’elle en avait en 1985. La modification apportée par le projet de loi C-14 vient actualiser cette clause à la 43e législature, c’est-à-dire que, au moment d’une éventuelle révision de la carte électorale, aucune province ne pourrait se voir attribuer moins de circonscriptions que ce qu’elle comptait lors de la 43e législature.
En définitive, cette disposition vise à éviter que le Québec ne perde une circonscription, comme le prévoyaient les nouvelles projections du directeur général des élections du Canada.
Comme vous le savez, chers collègues, conformément au paragraphe 51(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, on doit, tous les 10 ans, procéder à une révision de la carte électorale. L’introduction du paragraphe 51(1) dit ceci :
À l’issue de chaque recensement décennal, il est procédé à la révision du nombre de députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes selon les pouvoirs conférés et les modalités de temps ou autres fixées en tant que de besoin par le Parlement du Canada […]
Comme le Canada est un pays en grande évolution depuis sa création en 1867, les gouvernements successifs profitent de la révision décennale pour ajuster les règles de représentation, afin de se mouler aux réalités contemporaines de notre société, notamment sur le plan démographique.
Ainsi, en 1986 le Parlement a adopté le projet de loi C-74, Loi de 1985 sur la représentation électorale. Les deux objectifs de ce projet de loi étaient, d’une part, de limiter la croissance du nombre d’élus qu’aurait alors engendrée la formule de l’époque, par souci d’économie, mais également pour éviter un parlement trop populeux, ce qui aurait limité les privilèges de chaque député.
À l’époque, on prévoyait que, si l’on n’agissait pas ainsi, la Chambre des communes compterait 369 députés au tournant du recensement de 2001. Rappelons qu’il y en a aujourd’hui 338, après la dernière révision de la carte électorale qui a fait suite à l’adoption la Loi sur la représentation équitable adoptée en 2011. J’y reviendrai.
Le deuxième but du projet de loi C-74, adopté en 1986, était d’introduire une clause de droits acquis, qui prévoyait que le nombre de députés d’une province ne pouvait diminuer, malgré une faible décroissance démographique. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la clause de 1985, et elle est directement visée par le projet de loi C-14.
Puis, après le recensement de 2011, le gouvernement conservateur du premier ministre Harper a fait adopter la Loi sur la représentation équitable, comme je l’ai mentionné précédemment. Ce projet de loi visait à corriger un certain déséquilibre qui s’était installé dans la représentation des provinces à la Chambre des communes. Deux des « attendus » de ce projet de loi disaient ce qui suit :
que le principe de la représentation proportionnelle des provinces exige un équilibre entre la représentation juste et équitable des provinces dont la population augmente plus rapidement et la représentation efficace des plus petites provinces et de celles dont la population augmente moins rapidement;
que les populations des provinces dont la population augmente plus rapidement sont actuellement sous-représentées à la Chambre des communes et que les députés de ces provinces représentent donc, en moyenne, des circonscriptions électorales considérablement plus populeuses que celles des autres provinces;
(1910)
À la suite de l’adoption de ce projet de loi, la Chambre des communes est passée de 308 députés à 338. Toutefois, la clause d’antériorité de 1985 n’a pas été modifiée par le projet de loi sur la représentation équitable sanctionné le 16 décembre 2011.
Pour donner suite au dernier recensement de la population canadienne mené par Statistique Canada, déposé à l’automne 2021 et actualisé en février 2022, le directeur général des élections du Canada a l’obligation de revoir la carte électorale qui tiendra compte de l’évolution démographique du pays, comme le prescrit l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Ce dernier décompte augmentait le nombre de députés pour trois provinces, soit un de plus pour l’Ontario, trois de plus pour l’Alberta et un de plus pour la Colombie-Britannique. Toutefois, compte tenu de sa croissance démographique plus lente, le Québec perdait un siège, passant de 78 députés à 77. À l’unanimité, les parlementaires de la Chambre des communes ont dénoncé cette situation et ont présenté différentes propositions. Le Bloc québécois a déposé un projet de loi faisant en sorte que le Québec n’ait jamais moins de 25 % de la représentation à la Chambre des communes. Ce projet de loi est toujours à l’étude à l’autre endroit, mais je ne parierais pas sur ses chances de progresser. Ensuite, le gouvernement a présenté le projet de loi C-14 dont nous amorçons l’étude aujourd’hui. Il a été adopté le 15 juin 2022 à l’autre endroit.
Lorsque nous procéderons à la troisième lecture de ce projet de loi, j’aborderai la formule de modification de la carte électorale, la notion de représentation effective, le rôle du Sénat et l’importance de la nouvelle clause d’antériorité de 2021.
Je vous invite donc, à l’étape de la deuxième lecture, à voter en faveur de ce projet de loi.
L’honorable Éric Forest : C’est avec plaisir que je prends la parole concernant le projet de loi C-14 qui vise à préserver le 78e siège du Québec à la Chambre des communes.
Comme vous le savez, tous les 10 ans, on remanie la carte électorale pour s’assurer que les circonscriptions électorales conservent relativement le même poids. L’idée est de faire en sorte qu’on se rapproche le plus possible de l’égalité politique de chaque citoyen, un principe fondamental de la démocratie. Même si la Constitution affirme le principe de représentation proportionnelle à la population, il est important de noter qu’elle prévoit des exceptions à ce principe pour assurer une représentation effective qui tienne compte de la diversité régionale et géographique de notre pays.
Par exemple, on prévoit qu’une province doit toujours avoir droit à un nombre de députés à la Chambre des communes non inférieur au nombre de sénateurs qui représentent cette province. On accorde aux trois territoires un député chacun, peu importe la fluctuation relative de leur population, et on applique la clause des droits acquis qui garantit qu’aucune province ne peut avoir moins de sièges qu’elle en avait en 1985. Notons que la clause des droits acquis signifie un seuil de 75 députés au Québec, ce qui n’est pas suffisant pour lui garantir les 78 sièges dont il dispose en ce moment.
Il est important de mentionner que ces exceptions à la représentation proportionnelle de la population ont été testées devant les tribunaux. Ceux-ci ont reconnu leur légitimité.
En vertu de la formule de révision actuelle, le Québec devrait donc perdre un siège. Selon la proposition du directeur général des élections, le poids du Québec à la Chambre des communes se serait encore amenuisé pour atteindre 22,5 %. Rappelons que, en 1867, les représentants du Québec comptaient pour 36 % de la Chambre des communes et qu’ils sont passés sous le seuil des 25 % lors du redécoupage de 1999.
Le projet de loi C-14 permet d’éviter que le Québec ne perde un siège au cours du processus de révision. Ce projet est le fruit d’un compromis politique : le projet de loi C-14 a été adopté à la Chambre des communes avec dissidence. Cela dit, je m’en voudrais de mentionner que si le projet de loi C-14 permet au Québec de conserver son 78e siège, il ne permet pas au Québec de conserver son poids relatif à la Chambre des communes en raison de l’ajout de sièges pour le reste du Canada. Dans les faits, la représentation québécoise à la Chambre des communes passera de 23,1 % à 22,7 %, même avec le maintien du 78e siège que prévoit le projet de loi C-14.
Le bureau de la ministre québécoise responsable des Relations canadiennes, Mme Sonia LeBel, estime que le projet de loi C-14 est un très bon premier pas, mais celle-ci rappelle qu’il reste nécessaire pour le Québec de conserver son poids relatif. En ce sens, elle indique qu’elle continuera de travailler pour atteindre cet objectif. Le gouvernement Legault reste ainsi fidèle à la position constitutionnelle traditionnelle du Québec qui réclame une protection contre l’érosion de son poids relatif à la Chambre des communes.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’entente de Charlottetown de 1992 garantissait au Québec 25 % des sièges à la Chambre des communes. Rappelons aussi que, en 2010, lorsque le gouvernement Harper a déposé un projet de loi qui diminuait le poids du Québec à la Chambre des communes, l’Assemblée nationale avait réaffirmé unanimement ce qui suit :
[...] le Québec, en tant que nation, doit pouvoir bénéficier d’une protection spéciale du poids de sa représentation à la Chambre des communes;
De plus, l’Assemblée nationale demandait aux élus de tous les partis politiques siégeant à Ottawa de renoncer à adopter tout projet de loi qui avait pour effet de diminuer le poids de la représentation du Québec à la Chambre des communes.
Je comprends que l’article de la Constitution qui contient les énoncés liés au nombre de sièges pour chaque province est modifiable unilatéralement par le Parlement canadien et que ce n’est pas le cas pour le principe de la représentation proportionnelle qui, lui, requiert l’assentiment de sept provinces qui représentent 50 % de la population.
En conclusion, j’affirme que si le projet de loi C-14 évite au Québec d’être la première province à perdre un siège à la Chambre des communes depuis 1966, il n’en demeure pas moins que sans ce changement constitutionnel, le Québec est condamné à voir son poids politique s’éroder, comme c’est le cas depuis 1867, en raison de son poids démographique.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Dawson, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
[Traduction]
Le Code criminel
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, soit lu pour la deuxième fois.
Honorables sénateurs, j’interviens pour lancer le débat en deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Le projet de loi prévoit d’importantes améliorations à la manière dont nous abordons la détermination de la peine au Canada. Il ne résoudra pas tous les problèmes, mais il contribuera à recentrer le système de justice pénale sur la réadaptation, le bien-être de la collectivité et la véritable sécurité communautaire. Je suis fier d’en être le parrain.
Mon bureau a déjà eu des discussions sur le projet de loi avec de nombreux sénateurs. Certains d’entre vous ont demandé s’il aura une incidence significative. De toute évidence, je pense que oui.
(1920)
Permettez-moi de commencer en citant d’autres voix crédibles sur ce point afin que vous n’ayez pas à croire le gouvernement sur parole.
L’Association du Barreau canadien affirme que le projet de loi C-5 « prévoit des mesures importantes en vue de réformer le Code criminel pour favoriser une procédure de détermination de la peine fondée davantage sur la preuve et les principes ».
En effet, elle prévoit que le projet de loi :
[…] mènera à un régime de détermination de la peine plus juste et plus équitable, un régime qui reconnaît que les infractions criminelles peuvent être commises de diverses façons et qu’il n’y a pas de solution universelle, surtout en ce qui concerne les délinquants issus de communautés traditionnellement marginalisées.
Ce sont les mots de l’Association du Barreau canadien.
Une directrice de la South Asian Bar Association of Toronto a dit au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit que « nous avons besoin d’une mesure législative comme le projet de loi C-5 », car ce dernier « conférerait encore une fois au système de justice pénale le pouvoir discrétionnaire ».
Un conseiller juridique principal de l’African Nova Scotian Justice Institute a aussi témoigné en faveur du projet de loi C-5, le qualifiant d’« étape nécessaire vers la justice ».
L’Association des femmes autochtones du Canada parle du projet de loi C-5 comme « une étape significative vers la réconciliation » et prévoit qu’il « commencera immédiatement à réduire le taux d’incarcération des femmes autochtones, qui sont surreprésentées dans le système. »
Autrement dit, il s’agit d’un projet de loi important qui aura des répercussions considérables, et beaucoup d’intervenants pertinents le jugent grandement utile. J’ai hâte de renvoyer ce projet de loi au comité pour qu’il soit étudié comme il se doit. J’espère qu’à la fin de nos délibérations, nous pourrons transformer la promesse de ce projet de loi en réalité pour les nombreux Canadiens qui bénéficieront de ses dispositions.
[Français]
Pour bon nombre d’entre nous, la législation en matière pénale est personnelle. Il y a des sénatrices et des sénateurs dans cette enceinte qui ont été directement touchés par des actes criminels. Plusieurs d’entre eux ont des proches et des connaissances qui ont été victimes d’actes criminels et qui ont ressenti la colère, le chagrin et la vulnérabilité qui peuvent en résulter, ainsi que la détermination à veiller à ce que personne d’autre ne connaisse le même sort.
Plusieurs d’entre nous connaissent également des personnes qui ont fait face à des accusations criminelles et qui sont prises dans les mailles du système judiciaire, un système qui n’est pas toujours équitable. Nos prisons sont pleines de personnes qui ont été sujettes à une combinaison et à un degré de pauvreté, de mauvais traitements, de maladies mentales, de dépendances, de troubles du comportement et de troubles d’apprentissage, souvent superposés à un héritage de colonialisme et de racisme, et ainsi qu’à des institutions conçues pour contrôler ces personnes et leur communauté, plutôt que de les soutenir.
J’ai souvent constaté cette situation au cours des années où j’ai siégé à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Lorsque vous apprenez à connaître des personnes qui sont dans cette situation et que vous comprenez à quel point le potentiel gaspillé se retrouve inutilement derrière les barreaux, cela peut, ou, oserais-je dire, cela devrait conduire à une volonté à améliorer les choses. Ce projet de loi permettra de faire cela sur deux plans : il répond à la fois aux préoccupations concernant la victimisation et la surincarcération, et il contient plusieurs éléments conçus pour améliorer la capacité de notre système de justice pénale à réagir de manière juste et efficace lorsque des personnes enfreignent la loi.
Le projet de loi C-5 réserve des sanctions sévères pour des comportements criminels graves tout en reconnaissant que, dans certains cas, les intérêts de la justice et de la sécurité publique sont mieux desservis par des approches flexibles et créatives en matière de détermination de la peine ou même par l’absence de peine.
[Traduction]
Les mesures du projet de loi qui ont le plus attiré l’attention sont celles qui visent à éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions. Cependant, avant de parler de ces mesures, j’aimerais parler d’autres aspects du projet de loi qui n’ont pas fait les manchettes aussi souvent, mais qui auront également d’importants effets positifs.
Le premier aspect se trouve dans la partie du projet de loi qui vise à modifier certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le projet de loi C-5 exigerait que les policiers et les procureurs envisagent d’autres options au lieu de porter des accusations au criminel pour possession simple de drogue.
Cette partie du projet de loi C-5 vise essentiellement à mettre en place les mesures de l’ancien projet de loi d’initiative parlementaire C-236, parrainé à la Chambre des communes par Nathaniel Erskine-Smith, lors de la dernière législature.
Cette approche s’accorde avec la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, mise en œuvre par le ministère de la Santé plutôt que par le ministère de la Justice ou le ministère de la Sécurité publique. Cette stratégie repose sur quatre piliers : la prévention, le traitement, la réduction des méfaits et l’application de la loi. Elle repose aussi sur le principe voulant que la toxicomanie soit traitée principalement comme un problème social et médical, car c’est bien de cela qu’il s’agit, honorables collègues.
Cette approche s’accorde aussi avec les directives publiées en 2020 par la directrice des poursuites pénales. Selon ces directives, les procureurs fédéraux doivent porter des accusations seulement pour « les cas les plus graves » d’infractions relatives à la possession de drogue, comme lorsqu’un entraîneur ou un enseignant consomme de la drogue pendant que des enfants sont sous sa garde.
L’approche s’appuie également sur un rapport de 2020 de l’Association canadienne des chefs de police qui appuie « les alternatives aux sanctions pénales rattachées à la simple possession de drogues illicites » et affirme que la déjudiciarisation peut avoir des effets positifs, notamment « la réduction du récidivisme, [la] réduction des infractions secondaires et [l’]amélioration de la santé et de la sécurité ».
[Français]
On a longtemps pensé qu’une approche pénale forte à l’encontre de ceux qui consomment des drogues et de ceux qui sont impliqués dans la production et le trafic de drogues conduirait à une diminution constante de la consommation de drogues, à une réduction importante du marché des drogues contrôlées et à la réalisation d’un environnement sans drogues.
Cependant, plus de 50 ans d’efforts en matière de répression n’ont pas permis de réduire sensiblement la consommation ou la distribution de drogues. Cette approche reposait en grande partie sur l’idée selon laquelle la consommation problématique de drogues reposait sur des actions volontaires de la part des toxicomanes et que les personnes souffrant d’un problème de toxicomanie, si elles le voulaient vraiment, pouvaient tout simplement arrêter.
Ce que la recherche a montré, c’est que le trouble de la consommation de substances a une base neurobiologique et que ce trouble doit être traité comme un problème médical, comme tout autre problème de santé. En conséquence, les attitudes à l’égard de la consommation de drogues ont évolué. Aujourd’hui, de nombreux professionnels de la santé, des organisations de lutte contre la drogue, des membres des forces de l’ordre et de nombreux Canadiens appellent à une approche sanitaire de la consommation de drogues. C’est ce qui ressort des réactions des Canadiens face à la crise des opioïdes et au nombre élevé de décès qui en a résulté.
Les modifications proposées au moyen du projet de loi C-5 proposent un ensemble de principes qui reconnaissent le changement d’attitude et encouragent les agents de la paix à garder à l’esprit que la consommation problématique de drogues devrait être abordée principalement comme une question de santé et de société lorsqu’ils exercent leurs pouvoirs discrétionnaires d’accuser ou non une personne en possession d’une drogue illicite.
[Traduction]
En vertu du projet de loi C-5, plutôt que de porter des accusations pour possession de drogue, un agent de la paix doit — non pas peut, mais doit :
[...] évalue[r] s’il est préférable [...] de ne prendre aucune mesure, de donner un avertissement [à l’individu] ou de le renvoyer, s’il y consent, à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services dans la collectivité susceptible de l’aider.
Le projet de loi stipule que les poursuites pour possession simple n’auront lieu que si le procureur est d’avis qu’un avertissement, un renvoi ou d’autres mesures de rechange seraient inappropriés.
Pour aider la police et les procureurs à déterminer ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas, le projet de loi énonce une série de principes. Ils se trouvent à l’article 20. Je ne les lirai pas en entier. Essentiellement, ils donnent la priorité à la santé, à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes qui consomment des drogues, ainsi qu’à ceux de leur famille et de leur collectivité, et ne recommandent des inculpations et des poursuites que lorsque la sécurité publique serait autrement menacée.
(1930)
Comme je l’ai mentionné, l’approche proposée par le projet de loi C-5 pour la possession de drogues s’apparente à la façon dont le Service des poursuites pénales du Canada fonctionne depuis maintenant deux ans. Le projet de loi enchâsse cette approche dans la loi et étend son application à la police et aux procureurs de la Couronne dans les provinces.
[Français]
En plus de ce qui précède, trois modifications concernant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ont été apportées en comité à l’autre endroit. La première précise le type d’informations qui sont conservées dans le dossier de police et l’utilisation qui peut en être faite, ainsi que les personnes à qui elles peuvent être divulguées, comme de façon anonyme à des agences de recherche, afin que nous puissions voir, par exemple, l’effet de ces mesures et si la déjudiciarisation est utilisée plus souvent pour des membres de certaines communautés que pour d’autres. Il est important de noter que ces informations ne peuvent pas être utilisées dans le cadre de procédures judiciaires.
La deuxième modification est particulièrement importante. Lorsqu’un individu est reconnu coupable de simple possession de drogue, ses condamnations passées et futures doivent être conservées séparément des autres condamnations pénales deux ans après la fin de sa peine, c’est-à-dire que son casier judiciaire sera suspendu. Il ne sera pas nécessaire de soumettre une demande ou de payer les frais.
La même chose arrivera à tous les dossiers existants pour possession de drogue dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Cela permettra aux individus ayant été condamnés pour possession de drogue de continuer à vivre leur vie, que ce soit en faisant des études, en profitant de perspectives d’emplois ou en s’engageant au sein de leur communauté, sans être freinés par un dossier lié à une condamnation antérieure pour possession simple.
Par le truchement de cet ajout, le projet de loi fournit ainsi un mécanisme permettant de réduire la stigmatisation associée aux condamnations pour simple possession de drogue.
Enfin, le dernier ajout permet de préciser que les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé et les prestataires de services ne commettent pas d’infraction lorsqu’ils entrent en possession de drogues dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils ont l’intention de s’en débarrasser légalement dans un délai raisonnable.
[Traduction]
En pratique, cet article du projet de loi C-5 vise à rendre rares les poursuites pour possession de drogue et à codifier le concept voulant que le rôle de la police et des procureurs ne consiste pas à attraper des toxicomanes pour les enfermer, mais à faire partie d’une infrastructure communautaire qui encourage la sécurité et le bien-être de chacun. De cette manière, quand la police surprend un jeune de 18 ans en possession d’une petite quantité de cocaïne, par exemple, au lieu de se retrouver dans le système judiciaire pendant un an pour finir avec une peine de deux ans et un casier judiciaire — ce qui implique que personne ne voudra l’embaucher ni lui louer un logement, ou que sa jeunesse se transforme généralement en brouilles, en colère et en désespoir —, ce jeune aura une seconde chance. Il sera plus enclin à adhérer à un programme de traitement dans la collectivité, à terminer l’école secondaire et à commencer à bâtir sa vie. C’est mieux pour le jeune et pour la sécurité de la collectivité, parce qu’une personne en bonne santé qui mène une vie productive commet moins de crimes et fait moins de victimes.
Honorables sénateurs, si c’était là l’ensemble du projet de loi, ce serait suffisant pour qu’on lui accorde notre appui, mais, bien entendu, il y a plus.
Le projet de loi C-5 annule aussi des restrictions imposées il y a une décennie sur les ordonnances de sursis. Quand le ministre Lametti a rencontré récemment les membres du Groupe de travail des sénateurs autochtones, il a exprimé un enthousiasme particulier pour cette partie du projet de loi. C’est aussi le cas d’un certain nombre d’intervenants du système de justice pénale, même des personnes ayant critiqué d’autres parties du projet de loi C-5. L’Association des femmes autochtones du Canada croit que cette partie permettrait de commencer immédiatement à réduire le recours excessif à l’incarcération des femmes autochtones.
Honorables sénateurs, les ordonnances de sursis sont en vigueur au Canada depuis 1996. Dans les cas où un juge détermine qu’une peine de moins de deux ans est indiquée et que la sécurité communautaire ne serait pas menacée, ces ordonnances permettent aux juges d’imposer une peine communautaire au lieu d’une peine d’emprisonnement. Cette sorte de peine est assortie de conditions fixées par le juge, telles que des assignations à résidence, des heures de rentrée ou des programmes de traitement obligatoires. La solution de rechange est souvent des prisons territoriales ou provinciales, l’endroit où les peines de moins de deux ans sont purgées au Canada. Les ordonnances de sursis ont l’avantage de ne pas enlever les gens de leur collectivité inutilement et d’éviter toutes les conséquences à long terme que l’incarcération aurait sur eux et leur famille.
[Français]
Une ordonnance de sursis permettrait à une mère de rester avec ses enfants au lieu d’être envoyée en prison et d’éviter que ses enfants soient confiés aux services de protection de l’enfance. Une ordonnance de sursis permettrait à une personne de garder son emploi plutôt que de lutter pour gagner sa vie lorsqu’elle sortira de prison. Dans les collectivités éloignées du Nord, l’ordonnance de sursis signifie qu’un jeune qui commet un crime mineur contre les biens n’a pas à être envoyé en prison à Iqaluit, à Yellowknife ou à Whitehorse, à des centaines, voire des milliers de kilomètres de chez lui, alors qu’il pourrait en toute sécurité être tenu responsable de ses actes et assurément avoir de meilleures perspectives de réadaptation dans sa communauté d’origine.
[Traduction]
Lorsqu’on leur a donné la possibilité d’imposer des ordonnances de sursis dans les années 1990, les tribunaux se sont mis à y avoir recours dans une grande mesure. En 2004 et 2005, près de 19 000 ordonnances de sursis ont été imposées au Canada. Autrement, ces 19 000 personnes se seraient retrouvées dans une prison provinciale ou territoriale, même si elles ne représentaient aucun risque pour la sécurité publique.
En 2007, puis en 2012, le recours aux ordonnances de sursis a été ciblé par une série de restrictions. Une longue liste d’infractions est devenue inadmissible même si un juge pensait qu’une telle ordonnance serait appropriée selon les circonstances. On ne pouvait plus recourir aux ordonnances de sursis pour toute infraction assortie d’une peine maximale de 14 ans ou plus.
Chers collègues, prenons la peine de nous arrêter pour bien comprendre ce que je viens de dire. Prenons l’exemple d’une infraction pour laquelle la peine maximale possible est de 14 ans, comme le trafic de biens volés d’une valeur de plus de 5 000 $. Cette infraction peut couvrir un large éventail de comportements, du baron à la tête d’une grosse entreprise criminelle à la personne qui traverse une ville en cachant des bijoux dans le coffre de sa voiture, parce que son conjoint lui a dit de le faire. Un juge pourrait vouloir donner une peine avec sursis à cette personne s’il considère qu’elle ne représente aucune menace pour la société et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle aille en prison. Or, en vertu des modifications apportées en 2012, cette personne ne peut pas avoir une peine avec sursis à cause de la théorie de la peine maximale de 14 ans. Autrement dit, elle doit aller en prison simplement parce qu’il serait possible d’imaginer qu’une autre personne pourrait mériter une peine de 14 ans pour le même type de comportement, mais dans des circonstances différentes. Chers collègues, cela n’est pas vraiment logique et cela ruine des vies.
En 2018-2019, on prononçait environ 8 000 condamnations avec sursis de moins par an, comparativement à ce qui se faisait 15 ans plus tôt. Le résultat, c’est que 8 000 personnes par an ont été envoyées inutilement en prison. Elspeth Kaiser-Derrick, une chercheuse de l’Université de la Colombie-Britannique, a révélé que les femmes autochtones sont particulièrement touchées. Elle a étudié le cas de 44 femmes autochtones qui ont reçu une condamnation avec sursis. Elle a conclu qu’à cause des restrictions imposées en 2007 et en 2012, seulement 8 de ces 44 femmes seraient admissibles à une condamnation avec sursis aujourd’hui.
Une affaire est actuellement entendue par la Cour suprême du Canada, concernant une femme du nom de Cheyenne Sharma, une jeune mère âgée de 20 ans de la Première Nation Saugeen, qui a transporté de la cocaïne pour son petit ami afin d’éviter de se faire expulser avec sa fille.
(1940)
En raison des restrictions imposées en 2012, elle n’est pas admissible à une peine avec sursis, un fait qui, selon la Cour d’appel de l’Ontario, contrevient aux droits que lui reconnaît la Charte. Selon la cour :
En restreignant l’admissibilité à une peine avec sursis, les amendements contestés...
... c’est-à-dire les restrictions imposées aux ordonnances de sursis...
... privent la cour d’un important moyen de remédier à la discrimination systémique contre les Autochtones au moment d’envisager une peine appropriée.
C’est ce que corrigerait le projet de loi C-5, en revenant, plus ou moins, à la façon de faire qui existait lorsque le concept des peines avec sursis est apparu pour la première fois.
Les ordonnances de sursis demeureraient inaccessibles dans le cas de certaines infractions graves, comme les infractions graves d’organisation criminelle, les tentatives de meurtre, la torture, le terrorisme et l’encouragement au génocide. Comme cela a toujours été le cas, les ordonnances de sursis ne peuvent pas être imposées lorsqu’une peine d’emprisonnement est exigée par la loi.
[Français]
Or, selon les données sur l’impact des restrictions imposées entre 2007 et 2012, on peut s’attendre à ce que le recours aux ordonnances de sursis augmente, tandis que le nombre de personnes qui sont en prison, en particulier les femmes autochtones qui n’ont vraiment pas besoin d’y être, diminue.
Honorables sénateurs, rappelons-nous que, à mesure que les tribunaux rendaient un nombre croissant d’ordonnances de sursis, à la fin des années 1990 et dans les années 2000, le taux de criminalité au Canada diminuait. Il est tout simplement logique que, lorsque les gens préservent des liens avec leur communauté, qu’ils sont traités conformément aux conditions ordonnées par le tribunal et qu’ils ne sont pas inutilement déracinés de leur milieu, de leur famille et de leur travail, ils soient plus susceptibles de mener une vie stable et respectueuse des lois.
[Traduction]
Fait important, chers collègues, de nombreuses personnes purgent leur première peine d’emprisonnement dans une prison provinciale avant de se retrouver dans un établissement fédéral. En évitant cette peine d’emprisonnement initiale dans une prison provinciale ou territoriale, une ordonnance de sursis peut rompre le cycle et garder les gens complètement hors du système fédéral.
De plus, comme je l’ai brièvement mentionné un peu plus tôt, les ordonnances de sursis peuvent avoir une incidence intergénérationnelle positive. Lorsqu’un parent, disons une mère autochtone monoparentale, obtient une ordonnance de sursis au lieu d’une peine d’emprisonnement, il est plus probable que ses enfants demeurent dans un domicile familial stable plutôt que d’être pris en charge par les services à l’enfance. Cela signifie de meilleures perspectives d’avenir pour ces enfants et une meilleure chance pour nous tous de rompre le cycle d’emprisonnement d’une génération à l’autre que favorise un système de justice qui va trop souvent à l’encontre du bien-être collectif.
En résumé, le projet de loi C-5 fait de la déjudiciarisation la réponse par défaut à l’égard de la possession de drogue et élimine les obstacles aux peines avec sursis. À elles seules, ces mesures considérables rendraient notre système de justice plus juste et plus efficace, réduiraient l’incidence disproportionnée sur les Autochtones et les communautés racisées et feraient en sorte que nous soyons tous plus en sécurité.
Comme je l’ai déjà dit, même si le projet de loi s’arrêtait là, il mériterait notre appui. Or, il va encore plus loin. Le projet de loi C-5 abroge également 20 dispositions imposant une peine minimale obligatoire.
Je dirai lesquelles dans un instant et j’expliquerai pourquoi, mais je voudrais d’abord donner un peu de contexte. Une peine minimale obligatoire établit un plancher pour la détermination de la peine. Dans une telle situation, le juge peut imposer une peine plus sévère, mais pas l’inverse, peu importent les détails de l’affaire ou les circonstances de la personne. Les peines minimales obligatoires font partie du système de justice pénale au Canada depuis la création du Code criminel, en 1892, et, à l’époque, elles allaient d’un mois d’emprisonnement pour corruption dans les affaires municipales à cinq ans pour l’arrêt du courrier dans l’intention de le voler.
Dans les 130 années qui ont suivi, des centaines de peines minimales obligatoires ont été imposées, des dizaines ont été ajoutées et certaines ont été abolies. Pour justifier l’instauration de telles peines, on affirme habituellement qu’elles envoient un message quant au type de comportements criminels les plus inadmissibles, qu’elles empêchent occasionnellement un juge sans jugement d’être tenté de donner un passe-droit et qu’elles ont un effet dissuasif sur les délinquants potentiels. Ce sont les arguments qu’on entend.
En vérité, cependant, aucune preuve n’indique que ces peines ont un effet dissuasif. Il existe un système d’appel qui nous protège contre les décisions judiciaires aberrantes et la plupart des Canadiens savent quels comportements sont inadmissibles même s’ils ne connaissent pas les dispositions sur la détermination de la peine du Code criminel.
Il y a donc lieu de s’interroger au sujet de l’utilité des peines minimales obligatoires. En fait, il est assez évident qu’elles n’envoient aucun message. En outre, il est évident qu’elles favorisent le racisme systémique et la surreprésentation des Autochtones, des Canadiens d’origine africaine et d’autres groupes historiquement marginalisés.
[Français]
La plus grande partie de ce que nous savons sur la surreprésentation des peuples autochtones, des personnes noires et des membres des communautés marginalisées dans le système de justice pénale provient des statistiques nationales recueillies par divers gouvernements et organismes fédéraux. Nous savons, par exemple, que les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés dans la population des accusés.
Selon les données de Service correctionnel Canada, les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements fédéraux. De plus, entre 2010 et 2020, ils étaient plus susceptibles — les Noirs à 53 % et les Autochtones à 36 % — d’avoir été admis dans un pénitencier fédéral pour une infraction passible d’une peine minimale obligatoire.
Il y a toujours une surreprésentation marquée des Autochtones et des personnes racisées dans le système de justice pénale, et cette situation est exacerbée par les peines minimales obligatoires.
[Traduction]
Les peines minimales obligatoires empêchent notamment les tribunaux d’appliquer pleinement les principes établis dans l’arrêt Gladue qui sont censés guider la détermination de la peine des Autochtones reconnus coupables d’une infraction. Ces principes, qui ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue en 1999 et réaffirmés en 2012, sont fondés sur le paragraphe 718.2e) des lignes directrices du Code criminel sur la détermination de la peine :
e) l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.
Selon la Cour suprême, un juge chargé de la détermination de la peine est « [...] tenu de donner une force réelle à l’objet réparateur de la disposition » en tenant compte, entre autres, de ce qui suit :
[...] les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux [...]
Dans l’ensemble, nous sommes loin de faire un assez bon travail au Canada pour faire de ces principes une réalité dans chaque cas. Je suis toutefois encouragé de voir que les récents budgets fédéraux ont alloué de nouvelles ressources aux rapports Gladue sur la détermination de la peine et à des initiatives similaires qui peuvent s’appliquer aux membres d’autres communautés surreprésentées dans le système de justice pénale. Cependant, le recours excessif aux peines minimales obligatoires signifie souvent que, même lorsque les juges veulent donner un poids réel aux principes établis dans l’arrêt Gladue, ils ont les mains liées.
Disons-le clairement : les peines minimales obligatoires ne sont pas la seule cause de la surincarcération des Autochtones et des Noirs au Canada, mais elles font assurément partie du problème. L’élargissement du pouvoir discrétionnaire des juges pour qu’ils puissent traiter de manière juste et spécifique la personne qui se trouve devant eux fait certainement partie de la solution.
Le projet de loi C-5 se concentre principalement sur les peines minimales obligatoires liées aux drogues, promulguées en 2012, et sur celles liées aux armes à feu, promulguées dans les années 1990 et modifiées en 2008. Ces dernières sont à l’origine de la majorité des admissions dans les pénitenciers fédéraux assorties d’une peine minimale obligatoire. Chers collègues, il est important de souligner ce point : il est vrai que le projet de loi ne tient compte que de 20 des quelque 70 peines minimales obligatoires que prévoient nos lois pénales, mais la plupart des personnes qui reçoivent une peine minimale obligatoire reçoivent l’une de ces 20 peines.
J’aborderai d’abord les peines minimales liées aux drogues. Le projet de loi C-5 élimine toutes les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues. Je le répète : si le projet de loi est adopté, il n’y aura plus de peine minimale obligatoire pour les infractions liées aux drogues au Canada. Il s’agirait d’une évolution considérable. Entre 2007-2008 et 2016-2017, sur toutes les admissions dans les établissements fédéraux pour des infractions actuellement visées par une peine minimale obligatoire, 75 % découlaient d’infractions liées aux drogues.
Les effets disproportionnés sont renversants. De toutes les personnes accusées d’importation ou d’exportation de drogues pendant cette période, 42 % étaient des Noirs. En ce qui a trait aux peuples autochtones, les chiffres révèlent une tendance très troublante. En 2012-2013, seulement 1 % des personnes accusées d’importation ou d’exportation de drogues étaient autochtones. En 2016-2017, ce chiffre est passé à 12,5 %. Cela représente une augmentation de 1 200 % au cours des cinq premières années après l’entrée en vigueur des peines minimales obligatoires.
(1950)
Autrement dit, chers collègues, au cours des 10 dernières années, on a imposé des peines minimales obligatoires à des milliers de personnes pour des infractions liées aux drogues, et un nombre disproportionné de ces personnes étaient des Noirs et des Autochtones.
Le projet de loi C-5 ne règlera pas tous les problèmes connexes, comme les déterminants sociaux du crime et les iniquités dans les services de police, et il n’est pas conçu pour le faire. Toutefois, si nous l’adoptons, les juges n’auront plus les mains liées dans des cas semblables par les dispositions sur les peines minimales obligatoires. Au lieu de cela, ils pourront prendre en considération les circonstances particulières de la personne devant eux et imposer une peine qui lui est appropriée sur le plan de la sécurité publique et de la réadaptation, et qui tient compte des réalités du colonialisme, du racisme et des traumatismes intergénérationnels.
Dans l’ensemble, le projet de loi C-5 amène un changement majeur dans le droit pénal en ce qui concerne les infractions liées à la drogue. Comme je l’ai mentionné, dans la majorité des cas, la police et les procureurs seraient tenus de ne pas déposer d’accusations criminelles pour la possession de drogue. Toutefois, lorsque des accusations pour possession de drogue seraient déposées, les relevés de condamnations seraient automatiquement supprimés deux ans après la fin de la peine. Toutes les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues seraient éliminées, mais les peines avec sursis demeureraient une option pour les cas où cette option serait appropriée, notamment dans l’intérêt de la sécurité publique.
Je le répète : si le projet de loi C-5 ne proposait que ces mesures, il y aurait suffisamment de raisons pour justifier notre appui. Cependant, il offre plus, et je parle de l’abrogation des peines minimales obligatoires pour une grande quantité de délits commis avec une arme à feu ou d’autres types d’armes.
Parmi les contrevenants de ces types de délits, on retrouve une surreprésentation des Autochtones et la situation empire au fil des années. Par exemple, en 2007-2008, 17,5 % des contrevenants admis dans les centres de détention sous responsabilité fédérale pour les délits commis avec une arme à feu menant à des peines minimales obligatoires étaient des Autochtones. En 2016-2017, ce pourcentage avait grimpé à 40 %.
[Français]
Je sais qu’il s’agit d’une partie du projet de loi qui suscite un grand nombre d’inquiétudes et que les infractions liées aux armes à feu et aux armes sont sans aucun doute sérieuses. Je passerai donc en revue les peines minimales obligatoires que le projet de loi C-5 abrogerait en gardant à l’esprit que même sans peine minimale obligatoire, les juges peuvent imposer et imposent des peines sévères lorsqu’ils estiment que de telles peines sont appropriées.
À titre de précision, notre régime législatif établit une distinction entre une arme à feu prohibée, une arme à feu à autorisation restreinte et celles sans restrictions, en plus des armes, munitions et dispositifs interdits. Une arme à feu prohibée comprend notamment les armes de poing à canon court et celles qui sont énumérées dans le règlement.
Dans la catégorie des armes à autorisation restreinte, on compte les armes de poing qui ne sont pas prohibées, les fusils à canon court et les fusils semi-automatiques à percussion centrale ainsi que ceux qui sont proscrits par le règlement.
Enfin, une arme à feu sans restriction comprend toute arme à feu qui n’est pas prohibée ou restreinte. La plupart des armes d’épaule courantes se retrouvent dans cette dernière catégorie.
[Traduction]
Le projet de loi abrogerait des peines minimales obligatoires liées au trafic, à l’importation et à l’exportation d’armes illégales ou à autorisation restreinte. Pour être clair, ces dispositions ne s’appliquent pas au trafic d’armes à feu. Les armes interdites par le Code criminel sont par exemple le gaz lacrymogène, les arbalètes ou les coups-de-poing américains. En ce moment, les juges canadiens sont obligés d’imposer une peine d’un an de prison pour une première infraction pour avoir par exemple importé du gaz poivré au Canada. Il peut certainement y avoir des cas où cette peine est appropriée, mais le juge devrait sûrement pouvoir être autorisé à faire la distinction entre, disons, une cargaison de gaz poivré destiné à la revente sur le marché noir et une personne qui aurait oublié qu’elle a une bonbonne de gaz poivré dans son coffre à gants lorsqu’elle se présente à la frontière.
Le projet de loi C-5 abrogerait aussi plusieurs peines minimales obligatoires concernant la possession d’une arme à feu ou d’une arme, d’un dispositif ou de munitions prohibés. Une de ces peines est déjà abrogée parce que la Cour suprême l’a invalidée en 2015 dans l’affaire R. c. Nur parce qu’il était beaucoup trop facile d’inventer un scénario hypothétique selon lequel il serait cruel et inhabituel d’imposer une peine minimale de trois ans pour une première infraction.
Cela pourrait par exemple s’appliquer à un propriétaire d’arme à feu détenant un permis qui entrepose son arme à feu à son chalet au lieu de sa résidence principale. Dans le cas d’une arme à feu obtenue par la perpétration d’une infraction, il pourrait s’agir d’une femme qui se retrouve en possession d’une arme volée par son copain et qui ne mériterait peut-être pas d’être condamnée à un an de prison, comme le prévoit actuellement la loi.
Ce projet de loi abrogerait aussi la peine minimale obligatoire liée à l’usage d’une arme à feu ou d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une autre infraction. Comme vous pouvez l’imaginer, cette accusation est habituellement portée de concert avec l’accusation visant l’autre infraction, quelle qu’elle soit, et elle s’applique même si elle n’a pas causé de lésions corporelles. Ce qui importe, c’est que cette disposition ne s’applique pas à l’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration de nombreuses infractions graves comme les homicides involontaires coupables, les tentatives de meurtre, les agressions sexuelles ou les enlèvements, car ces infractions sont visées par des dispositions distinctes qui s’appliquent lorsqu’il y a usage d’une arme à feu.
Le projet de loi éliminerait les peines minimales obligatoires associées spécifiquement à l’utilisation d’une arme à feu pendant un vol qualifié ou une extorsion, mais seulement s’il n’y a aucun lien avec une organisation criminelle et s’il ne s’agit pas d’une arme à autorisation restreinte — autrement dit, s’il s’agit d’un fusil de chasse et non d’une arme d’assaut ou d’une arme de poing. L’idée, c’est que la probabilité de facteurs atténuants est plus forte dans une situation où un jeune perturbé prend le fusil de chasse de la famille que dans le cas d’affrontements armés entre des gangs.
De toute évidence, un vol à main armée est un crime très grave, peu importe les circonstances, et le juge imposera une peine sévère quand les circonstances de l’infraction le justifient. L’exemple que voici montre toutefois le genre de cas où il serait bon que les juges aient plus de pouvoir discrétionnaire.
En 2016, à Hay River dans les Territoires du Nord-Ouest, un Déné des montagnes de 21 ans nommé Cameron Bernarde est entré dans un dépanneur en tenant à la main un fusil, plus précisément un fusil au canon rouillé dont la culasse était ouverte, ce qui veut dire que le fusil ne pouvait pas tirer de balles. Le commis lui a donné 200 $ qui se trouvaient dans le tiroir-caisse, mais il a dit plus tard à des journalistes qu’il ne s’était « jamais fait voler par une personne aussi incompétente ». Cela n’a rien d’étonnant. Cameron a un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, il a été victime d’agressions sexuelles et, selon le témoignage d’un psychologue, il a l’âge mental d’un enfant de 9 ans.
Cameron a plaidé coupable et a été condamné à la peine minimale obligatoire de quatre ans de prison. Son avocat a contesté la peine, la qualifiant de tout à fait disproportionnée et soutenant qu’elle était inconstitutionnelle. Cette contestation a échoué, mais même la juge qui a confirmé la peine minimale obligatoire dans l’affaire de Cameron a dit que, sans cette contrainte, elle aurait probablement imposé trois ans plutôt que quatre. Autrement dit, à cause de cette peine minimale obligatoire, un jeune homme autochtone ayant de graves difficultés psychologiques a écopé d’une année de prison de plus que ce que la juge aurait autrement considéré comme approprié.
Voilà le genre de détail humain qui peut nous échapper et le genre d’injustice qui peut survenir lorsque nous comptons seulement sur un raccourci comme « vol à main armée » pour décrire un éventail de comportements et toute une gamme de contextes.
De plus, le projet de loi C-5 abroge les peines minimales obligatoires pour le déchargement d’une arme à feu avec insouciance et le déchargement d’une arme à feu avec une intention particulière. Encore une fois, cela ne s’appliquerait qu’à des cas sans lien avec le crime organisé et où il ne s’agit pas d’arme à feu à autorisation restreinte.
Encore une fois, ces infractions sont évidemment très graves et, je le répète, le cas échéant, un juge imposera une peine appropriée. Cependant, permettez-moi de vous donner encore un exemple où les circonstances justifient que l’on s’en remette au pouvoir discrétionnaire des juges.
Cedric Ookowt est issu d’une famille inuite de Baker Lake, au Nunavut. Son père a des antécédents de consommation excessive d’alcool. En 2015, alors qu’il avait 18 ans, un de ses bons amis s’est suicidé et Cedric a commencé à boire beaucoup. Quelques mois plus tard, en 2016, Cedric marchait dans la rue en état d’ébriété et un autre homme, nommé Arnold, qui l’avait intimidé pendant des années, l’a attaqué, l’a frappé au visage et a essayé de lui voler sa bouteille d’alcool. Cedric est rentré chez lui, a pris un fusil et, depuis une colline voisine, a tiré un coup de feu sur la maison d’Arnold, sans savoir si quelqu’un était à l’intérieur. Il se trouve que l’oncle d’Arnold était à la maison, mais, heureusement, il n’a pas été blessé.
(2000)
Le juge chargé de la détermination de la peine a estimé que la peine minimale obligatoire de quatre ans était excessive. Il a noté que Cédric avait déjà entamé des programmes de réadaptation, notamment un traitement pour toxicomanie au Centre correctionnel de Baffin, à Iqaluit.
[Français]
Le juge a également cité la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans Gladue et dans une affaire semblable, la décision Ipeelee de 2012, qui disait ce qui suit, et je cite :
[...] les tribunaux doivent prendre connaissance d’office de questions telles que l’histoire de la colonisation, des déplacements de populations et des pensionnats et la façon dont ces événements se traduisent encore aujourd’hui chez les peuples autochtones par un faible niveau de scolarisation, des revenus peu élevés, un taux de chômage important, des abus graves d’alcool ou d’autres drogues, un taux élevé de suicide et, bien entendu, un taux élevé d’incarcération.
Le juge a écarté la peine minimale obligatoire et a plutôt imposé une peine de deux ans moins un jour. Cela signifiait que Cedric pouvait rester à Iqaluit et continuer d’être incarcéré et d’être traité là-bas, dans un environnement inuit. Si la peine minimale de quatre ans avait été imposée, Cedric aurait été transféré dans un pénitencier fédéral situé dans le sud du pays, car toutes les peines de deux ans ou plus sont purgées dans un établissement fédéral.
La décision a, par la suite, été cassée en appel, bien que Cedric ait purgé sa peine de deux ans à ce moment-là et que la Cour d’appel a choisi de ne pas le renvoyer en prison pour deux ans encore. Toutefois, il importe de noter que la Cour d’appel n’a pas décidé qu’il soit approprié d’imposer une peine de quatre ans. Elle a simplement déclaré que la peine minimale obligatoire n’était pas excessive au point d’être inconstitutionnelle. Enfin, je note que cette jurisprudence est sujette à une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada, mais son processus est retardé en raison du dépôt de la dernière version du projet de loi, laquelle, comme je l’ai déjà mentionné, propose d’éliminer la peine minimale contestée.
[Traduction]
Il est encore trop tôt pour savoir comment le reste de la vie de Cedric se déroulera. Le juge qui a entendu le témoignage et a analysé la preuve a estimé qu’il était préférable de lui faire suivre un traitement de deux ans dans un établissement correctionnel au Nunavut plutôt que de l’emprisonner pendant quatre ans dans un endroit qui se trouve à des milliers de kilomètres de la communauté inuite et où il ne serait plus en contact avec sa culture. En éliminant ces peines minimales obligatoires, nous reconnaissons que le juge est mieux placé que nous pour examiner les faits et les circonstances propres aux personnes concernées, et que la décision lui appartient.
C’est tout ce qui est proposé, à part l’élimination des peines minimales obligatoires pour la contrebande de tabac. Les sénateurs se rappelleront que, en 2013 et 2014, lorsqu’on a débattu au sujet des peines minimales obligatoires pour la contrebande de tabac, on a dit craindre que l’on cible et que l’on criminalise des gens pauvres et marginalisés comme des membres des Premières Nations.
Chers collègues, le projet de loi C-5 propose essentiellement d’opter pour la déjudiciarisation plutôt que pour l’incarcération en cas de possession de drogue, de réduire les obstacles concernant l’accès aux peines d’emprisonnement avec sursis, d’éliminer complètement les peines minimales obligatoires pour les infractions relatives à la drogue et d’accorder plus de pouvoir discrétionnaire aux juges à l’égard de certaines infractions relatives aux armes, y compris les armes à feu.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, cet ensemble de mesures n’est pas une solution miracle, mais il sera utile. Ces mesures contribueront de façon importante à lutter contre la discrimination systémique et à rendre les collectivités plus sûres, surtout si elles s’accompagnent de ressources pour les programmes communautaires et les services sociaux. Nous avons vu des progrès à ce chapitre, honorables collègues. Le budget de 2021 comprenait un investissement de 216 millions de dollars sur cinq ans et un investissement annuel de 43 millions de dollars par la suite pour les programmes de déjudiciarisation destinés aux jeunes. On a aussi offert un investissement de 75 millions de dollars sur trois ans pour l’élaboration d’une stratégie en matière de justice autochtone, en collaboration avec les peuples et les organisations autochtones, en vue de lutter contre les obstacles systémiques dans le système de justice pénale.
L'Énoncé économique de l’automne 2020 comprenait un investissement de 29 millions de dollars pour soutenir et accroître le financement des centres de justice communautaire, une mesure qui a mené à une entente tripartite entre le gouvernement fédéral, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le BC First Nations Justice Council afin d’élargir l’accès aux centres de justice communautaire dans cette province.
[Français]
Il y a également d’importants investissements visant à révéler les lacunes dans les données sur la surreprésentation, y compris les données nationales sur les services de police et les tribunaux et les données sur les délinquants purgeant des peines provinciales ou territoriales, qui ne comprennent pas d’identifiants autochtones ou ethnoculturels actuellement.
Le budget de 2021 a prévu d’octroyer plusieurs millions de dollars à Statistique Canada et à Justice Canada pour soutenir le développement des données recueillies au moyen de la recherche, pour éclairer les réponses politiques à la surreprésentation des Autochtones et des personnes racisées dans le système de justice pénale. De plus, le budget a alloué au-delà de 100 millions de dollars sur cinq ans pour un plan d’action sur les données désagrégées, qui soutiendra la collecte de nouvelles données sur les expériences des peuples autochtones et des groupes racisés dans le système de justice pénale, y compris une collaboration entre l’Association canadienne des chefs de police et Statistique Canada, qui permettra à la police de communiquer des statistiques sur les groupes autochtones et ethnoculturels.
[Traduction]
Ces investissements constituent un bon point de départ. De toute évidence, tous les ordres de gouvernement doivent continuer d’investir et de faire des efforts soutenus pour que les chiffres budgétaires mènent à des résultats concrets sur le terrain, comme les ce qui s’est fait récemment en Colombie-Britannique. Je me réjouis du fait que nous sommes enfin sur la bonne voie, et le projet de loi C-5 en est un élément important.
Honorables sénateurs, je sais que certaines personnes demandent qu’on aille encore plus loin, par exemple, en abrogeant toutes les peines minimales obligatoires ou en légalisant pleinement toutes les substances contrôlées. Ce sont là des points de vue légitimes. Les sénateurs sont libres de les défendre pendant le débat de ce soir et en comité, mais je les encourage tout de même à reconnaître que le projet de loi C-5 n’est pas qu’un simple peaufinage. Il ne s’agit pas seulement de rafistoler la loi. C’est une entreprise importante qui aidera réellement des personnes et qui rendra nos collectivités plus saines et plus sûres.
[Français]
Je tiens d’ailleurs à souligner qu’une dernière modification a été apportée au projet de loi C-5 à l’autre endroit, qui exige que le Parlement — et donc les deux Chambres, y compris la nôtre — procède à un examen complet des dispositions et du fonctionnement du projet de loi. Cet examen aurait lieu quatre ans après son entrée en vigueur.
Honorables sénatrices et sénateurs, j’espère que nous pourrons étudier ce projet de loi de manière approfondie et minutieuse, mais aussi le plus rapidement possible. Des centaines de personnes sont condamnées chaque mois partout au pays. Cela comprend des femmes autochtones qui iront en prison au lieu d’avoir une condamnation avec sursis dans leur communauté; des enfants autochtones qui seront confiés aux services de protection de l’enfance en conséquence; des adolescents inuits en difficulté, emprisonnés à des milliers de kilomètres de chez eux; de nombreux Noirs et Autochtones qui seront condamnés en vain à des années d’incarcération obligatoire.
[Traduction]
Je terminerai par ceci : je sais que de nombreux Canadiens attendent un projet de loi comme celui-ci depuis longtemps et je compatis vraiment avec ceux qui souhaiteraient qu’il en fasse encore plus. Toutefois, je suis également conscient — et je suis sûr que vous l’êtes aussi — que c’est une chose difficile à faire pour un gouvernement. Il est très facile d’imposer des peines plus sévères et de sévir contre la criminalité. Cela paraît bien. Cela fonctionne bien dans un courriel de collecte de fonds. Cependant, le gouvernement essaie ici de faire quelque chose de difficile — de vraiment difficile — en abrogeant les peines minimales obligatoires et en permettant plus de souplesse et de nuance dans la détermination des peines.
Dans son état actuel, ce projet de loi a suscité à l’autre endroit de vives accusations de laxisme du gouvernement à l’égard de la criminalité, et je suis sûr que nous en entendrons aussi dans cette enceinte. Il faut toutefois garder à l’esprit où en est vraiment rendu le pays après des décennies d’arguments erronés selon lesquels plus de temps d’emprisonnement nous assurerait en quelque sorte plus de sécurité. Espérons que ce discours a commencé à changer et qu’il continuera à changer. À mon avis, chers collègues, il y a beaucoup de mérite dans une approche qui ne commence pas par viser la lune, dans une approche qui change les choses de façon réelle et tangible. À cet égard, j’ai bon espoir que nous pourrons amener les Canadiens sur la voie d’un meilleur système de justice plutôt que de nous écarter du courant dominant au point d’inviter le pendule à revenir en arrière.
Au début de mes remarques, j’ai cité l’African Nova Scotian Justice Institute, qui considère le projet de loi C-5 comme « une étape nécessaire vers la justice », ainsi que l’Association des femmes autochtones du Canada, qui l’appelle « une étape significative vers la réconciliation ».
(2010)
J’espère que nous pourrons franchir cette étape ensemble et que nous le ferons bientôt. Honorables sénateurs, je vous encourage à appuyer le projet de loi C-5 en principe et à le renvoyer au comité pour qu’il fasse l’objet d’une étude appropriée. Merci.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Gold : Bien sûr.
La sénatrice Jaffer : Sénateur Gold, je vous félicite pour votre discours extrêmement bien préparé sur un sujet très complexe. Je félicite également le ministre. Comme vous l’avez dit dans votre discours, le changement n’est jamais facile, que ce soit dans le monde politique ou ailleurs. Toutes mes félicitations à vous et au ministre. Le ministre a été très courageux de présenter cette mesure législative.
Cela dit, monsieur le sénateur, vous savez où je veux en venir. Bien sûr, j’appuie tout ce que vous avez dit, chacun des mots que vous avez utilisés. Comme vous l’avez dit, une solution unique ne fonctionne pas et il faut accorder un pouvoir discrétionnaire au sein du système de justice, ce qui est difficile. C’est effectivement difficile. Ce que je veux vous dire, c’est de ne pas viser la lune. Il faut tenir compte de certains cas. Selon mes calculs — et nous réglerons cette question au comité —, vous avez parlé de 20 peines minimales obligatoires; j’aurais dit 22, mais ce n’est pas important.
Le gouvernement cible 20 peines minimales obligatoires. Selon mes calculs, il y a quelque 73 peines minimales obligatoires, et les juges en ont confirmé 37. Mes chiffres ne sont peut-être pas exacts. Je ne suis pas certaine : 37 peines minimales obligatoires semblent inconstitutionnelles.
On dirait qu’il y a un fouillis de chiffres. On parle de 20, 37 ou 73 peines minimales obligatoires. Le gouvernement serait-il prêt à accorder aux juges, dans des cas où les circonstances sont inhabituelles et cruelles, le pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer les peines minimales obligatoires?
Je vous remercie encore une fois, sénateur Gold, de votre excellent exposé.
Le sénateur Gold : Merci, sénatrice Jaffer. Écoutez, le gouvernement a examiné attentivement cette question et bien d’autres, et il a conclu qu’il se concentrerait sur les infractions qui représentent une vaste majorité des cas — je pense avoir mentionné qu’il s’agissait de 75 % des cas — où les gens sont incarcérés. Il veut aussi mettre l’accent sur les types d’infractions — notamment les infractions en matière de drogue, mais aussi des infractions commises avec des armes d’épaule — ayant des effets graves disproportionnés sur les Autochtones et les Canadiens racisés. C’est manifestement une mesure majeure que le gouvernement prend pour s’attaquer à une grande partie du problème.
Nous étudierons ces questions, et j’attends avec impatience l’étude du comité. Le gouvernement et les fonctionnaires pourront écouter vos questions et y répondre mais, en bref, ce projet de loi est une mesure majeure qui se fait attendre depuis longtemps et un pas dans la bonne direction. Il donne suite à une promesse faite durant la campagne électorale, comme vous le savez. Le comité effectuera son travail, comme il le fait toujours, en s’assurant que la loi est bien comprise et que toutes les questions obtiennent une réponse. Le gouvernement est convaincu que la mesure qu’il prend maintenant constitue un progrès important. Cela n’empêche pas d’autres mesures d’être prises à l’avenir, mais c’est un projet de loi important qui mérite d’être étudié sérieusement en deuxième lecture, et c’est que nous ferons avec votre aide.
L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, dans votre discours, vous avez fait allusion à une peine minimale obligatoire d’un an pour une arme prohibée qui, d’après vous, inclut du gaz poivré. Voyons donc, sénateur Gold! Nous savons tous les deux que, avant même que cette affaire soit portée devant les tribunaux, la police et les procureurs de la Couronne déposeraient les accusations criminelles appropriées. De telles accusations criminelles ne seraient probablement même pas déposées si elles n’étaient pas appropriées. Cependant, puisque vous avez utilisé cet exemple, au cours des cinq dernières années au Canada, combien de condamnations au criminel relatives au gaz poivré y a-t-il eu où l’accusé a reçu une peine minimale obligatoire d’un an? Je dirais que ce nombre tourne autour de zéro.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Encore une fois, il vaut mieux poser ce type de question directement aux fonctionnaires qui ont cette information — même si vous pouvez me la poser, c’est de bonne guerre.
Madame la sénatrice, j’ai utilisé cet exemple pour illustrer que dans toute situation, surtout concernant l’usage d’armes et non d’armes à feu ou d’armes de poing interdites, il y a probablement des circonstances à prendre en compte.
Le point à faire valoir, c’est que dans de telles circonstances, nous voulons que les juges puissent avoir toute la latitude nécessaire pour prendre la bonne décision. Comme vous l’avez justement fait remarquer, il est vrai que la police a un pouvoir discrétionnaire, tout comme les procureurs. Il est également vrai, bien malheureusement, que ce pouvoir discrétionnaire n’est pas toujours exercé de manière équitable vis-à-vis de certains délinquants, notamment les délinquants appartenant à une minorité raciale et les délinquants autochtones.
Le projet de loi C-5 permet de donner au juge — qui doit prendre une décision lorsque la police ou les procureurs ont porté des accusations au criminel pour port d’arme prohibée — le pouvoir discrétionnaire d’adapter la peine aux circonstances de l’affaire. C’est ce que les juges devraient pouvoir faire, et je pense que c’est la raison pour laquelle le projet de loi C-5 mérite d’être appuyé.
La sénatrice Batters : Sénateur Gold, étant donné que vous avez mentionné cet argument dans votre discours, pourriez-vous obtenir ce chiffre? Comme vous avez dit que les peines minimales sont utilisées pour le gaz poivré, pourriez-vous nous obtenir ce chiffre et le fournir au Sénat quand vous l’aurez?
Le sénateur Gold : Eh bien, je vais certainement m’informer. Je le ferai, mais je veux quand même souligner que ce projet de loi ne parle pas de l’utilisation du gaz poivré. Le projet de loi concerne le pouvoir discrétionnaire des juges en vue d’éviter les injustices lorsque les circonstances et la justice exigent le recours à ce pouvoir et que la loi ne laisse actuellement plus de place à l’exercice de ce pouvoir.
L’honorable Kim Pate : Merci, sénateur Gold. Je suis du même avis que la sénatrice Jaffer. Je vous remercie de ce discours réfléchi.
J’aurais cependant une question à vous poser. Lorsque j’ai rencontré des fonctionnaires du ministère de la Justice, j’ai réalisé que les recherches menées par le ministère n’indiquaient pas qu’il y aurait une forte diminution du nombre de personnes emprisonnées. D’ailleurs, ces recherches montrent que, comme vous l’avez mentionné — la plupart des exemples que vous avez donnés concernaient l’emprisonnement provincial et territorial —, il pourrait y avoir une certaine diminution chez les Noirs et les Autochtones, mais il ne devrait pas y avoir de diminution importante quant au nombre de détenus noirs ou autochtones qui purgent des peines de deux ans et plus.
En outre, la plupart des changements dont il est question au sujet de la législation en matière de drogues ont déjà été obtenus au moyen des politiques sanitaires et des négociations entre les provinces et les municipalités.
J’en viens à ma question. Vous avez mentionné le témoignage de l’Association du Barreau canadien, de la South Asian Bar Association, de l’African Nova Scotian Justice Institute, de la candidate au doctorat Elspeth Kaiser-Derrick, qui ont tous recommandé que le projet de loi aille beaucoup plus loin. Ne convenez-vous pas que, en fait, la plupart des témoins qui ont comparu devant le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, dont Aboriginal Legal Services, l’Association canadienne des chefs de police et de nombreux autres, ont recommandé de ne pas être trop ambitieux et de conférer aux juges, d’ici à ce que d’autres peines minimales obligatoires soient abrogées, le pouvoir discrétionnaire structuré de ne pas imposer la peine minimale obligatoire dans des circonstances exceptionnelles?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. La position du gouvernement est que les études et les témoignages appuient bel et bien, en fait, l’hypothèse selon laquelle le projet de loi C-5, s’il est adopté dans sa forme actuelle, aura une réelle incidence sur la surreprésentation des Canadiens racisés et autochtones.
Il est vrai que lorsque les circonstances sont telles que le juge estime approprié d’imposer une peine d’emprisonnement sévère, c’est-à-dire de deux ans ou plus, c’est le système fédéral qui reçoit le détenu. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon discours, il est tout aussi vrai qu’il est important de rompre le cycle trop fréquent où une personne commence par l’emprisonnement dans un établissement provincial et se retrouve ensuite dans le système fédéral.
(2020)
Nous étudierons la question au comité. J’espère que nous renverrons le projet de loi au comité afin qu’il fasse l’objet d’une étude en bonne et due forme et que l’on se penche sur toutes ces questions. Je suis convaincu que le comité s’acquittera de la tâche avec la même diligence dont nous faisons preuve dans tous nos travaux. Je vous remercie de votre question.
La sénatrice Pate : Sénateur Gold, serait-il possible de fournir cette information? Selon mes dernières discussions avec les représentants du ministère de la Justice, 34 % de toutes les contestations fondées sur la Charte qu’ils traitent portent sur des peines minimales obligatoires et ils espèrent que le projet de loi réduira ce pourcentage considérablement, mais ils ne peuvent pas produire de chiffres à l’appui de cet espoir. Vous serait-il possible de nous fournir ces chiffres, s’il vous plaît?
Le sénateur Gold : Bien sûr, je vais certainement en faire la demande. Je suis sûr que le comité présentera sa demande et qu’il fournira toutes les données probantes, tous les chiffres et toutes les recherches dont il dispose.
L’art de légiférer est l’art de s’en tenir aux faits dont on dispose et de prendre une décision jugée favorable en matière de politique publique pour rendre le système de justice — dans ce cas-ci, le système de justice pénale — plus juste, plus équitable et plus humain.
J’ai confiance dans le processus que nous avons entamé. Je suis convaincu que le comité aura accès à tous les renseignements sur lesquels le gouvernement a fondé sa décision. J’espère que dans le cadre de l’examen du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, à l’étape du comité et à l’étape de la troisième lecture, qui aura lieu à notre retour en automne, les sénateurs reconnaîtront le mérite du projet de loi en tant que grand pas en avant. Il ne sera peut-être pas le dernier ou le seul pas en avant, mais il en sera un grand pour remédier à une situation injuste dans le système de justice pénale.
[Français]
L’honorable Renée Dupuis : Sénateur Gold, en tant que parrain du projet de loi et représentant du gouvernement au Sénat, pourriez-vous nous donner des informations sur l’analyse comparative entre les sexes plus qui a été effectuée lors de la préparation du projet de loi? Vous savez que le gouvernement exige qu’une telle analyse soit effectuée, et nous savons qu’un document confidentiel a été soumis dans le mémoire au Cabinet. Ce n’est pas ce dont je parle; je parle plutôt du contenu de l’analyse. À mon avis, cela aiderait le comité à faire son travail quand il examinera ce projet de loi.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je vais m’informer sur ce qui existe et ce qui peut être déposé. J’encourage les honorables sénateurs et sénatrices à poser ces questions devant le comité. Je ferai tout de même des recherches à ce sujet.
La sénatrice Dupuis : Sénateur Gold, je vous remercie de m’encourager à poser la question au comité. C’est ce que je fais systématiquement depuis des années au Sénat. J’essaie de trouver une façon plus efficace d’obtenir de l’information qui, comme le déplore régulièrement le vérificateur général dans son rapport annuel, est souvent « manquante ». Je prends note du fait que vous vous engagez à obtenir ces informations et je vous en remercie.
L’honorable Michèle Audette : Mes questions au représentant du gouvernement sont les suivantes. Est-ce que, au moment de la rédaction et de la préparation de ce projet de loi, on a tenu compte de tout ce qui découle de la décision Gladue, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de toutes ces recommandations par lesquelles l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a proposé le virage nécessaire dans le but de diminuer le pourcentage très élevé de femmes et d’hommes autochtones se trouvant dans les différentes prisons et institutions fédérales?
De plus, pouvez-vous me confirmer qu’il y aura un mécanisme de suivi de ce que propose le gouvernement, qui fera en sorte que tout cela est encourageant pour les nations, pour les femmes et les hommes autochtones?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Dans un premier temps, il est clair que le projet de loi s’inspire de la nécessité de donner aux juges la possibilité d’appliquer comme il se doit les principes de la décision Gladue.
Il est évident aussi que le projet de loi s’inspire du problème réel et déplorable de la surreprésentation des femmes autochtones et des Canadiens issus des communautés marginalisées dans les pénitenciers.
À l’étape de la deuxième lecture, l’objectif est de présenter les principes du projet de loi, d’en débattre, et, si c’est la volonté du Sénat, d’appuyer le projet de loi. La prochaine étape serait de le renvoyer à un comité, afin que celui-ci mette la main à la pâte et fasse un examen plus détaillé, en profitant de la comparution du ministre et de ses fonctionnaires pour répondre à des questions plus précises.
Je vous encourage à faire partie du processus. Même s’ils ne sont pas membres du comité, tous les sénateurs et sénatrices ont le droit d’assister aux réunions du comité et de participer. C’est de cette façon que nous pourrons répondre de façon appropriée à vos questions, qui sont tout à fait valables et légitimes.
[Traduction]
L’honorable Dan Christmas : Merci pour vos observations, sénateur Gold. Les nombreux exemples de personnes qui pourraient bénéficier de l’abrogation des peines minimales obligatoires sont très utiles.
Sénateur Gold, j’aimerais vous poser une question similaire aux autres questions de mes honorables collègues. Si ces peines minimales obligatoires étaient abolies, disposons-nous d’estimations ou d’études pour prévoir à quoi pourrait ressembler la réduction des taux d’incarcération des Autochtones dans les centres de détention sous responsabilité fédérale après l’adoption de ce projet de loi?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne sais pas si des estimations de ce genre ont été faites, sénateur Christmas. Cependant, comme j’ai tenté de l’expliquer au moyen de mes observations, que lorsque les peines minimales obligatoires ont été ajoutées aux infractions supplémentaires, les taux d’incarcération des Autochtones et d’autres personnes issues de diverses communautés ont augmenté.
On peut raisonnablement s’attendre — selon les statistiques que j’ai fournies — à ce qu’il y ait une diminution chez ces groupes. Par contre, je ne sais pas s’il existe des estimations à proprement parler. Je proposerais que cet aspect soit examiné en comité à partir des renseignements déjà disponibles dans ce domaine.
Le sénateur Christmas : Je vous remercie, sénateur Gold. Je serais très curieux de prendre connaissance des études et des estimations disponibles. Je pense que ce type de données seraient très utiles.
Je me réjouis du rétablissement des ordonnances de travaux communautaires, et je crois que le succès de cet amendement dépendra de l’augmentation des services de soutien offerts aux collectivités. Il arrive très souvent que les juges hésitent à envoyer les contrevenants dans les collectivités en raison des services insuffisants.
Vous avez fait allusion à une certaine augmentation du financement, mais est-ce que Services aux Autochtones Canada est inclus dans ce projet de loi? Le gouvernement va-t-il augmenter de manière significative le nombre de services de soutien offerts aux collectivités afin que ces dernières encadrent les contrevenants ayant reçu une ordonnance de travaux communautaires?
(2030)
Le sénateur Gold : C’est une bonne question, et je ne connais pas précisément le degré ou l’étendue de la participation des Services aux Autochtones à la rédaction de ce projet de loi, le cas échéant. Une fois de plus, je m’attends à ce que cette réponse soit facilement accessible au comité.
Vous soulevez un point plus important, que j’ai soulevé dans mon intervention, mais qui mérite d’être répété. Nous nous concentrons sur la surreprésentation des délinquants autochtones et des délinquants issus de communautés racisées. Nous nous concentrons sur le système de justice pénale. Toutefois, il y a tout un monde et toute une histoire qui nous ont menés à cet endroit, et nous le savons. Nous, au Sénat, le savons bien. Le Comité des peuples autochtones le sait bien, et il y a eu des travaux sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous savons également, pour répondre à votre question et comme je l’ai mentionné en passant, que le succès de n’importe laquelle de ces mesures dépend d’une approche pansociétale de notre histoire. Dans certains cas, ce qui manque, de toute évidence et comme vous l’avez souligné à juste titre, ce sont les ressources, le financement. C’est bien d’avoir un programme de déjudiciarisation si vous êtes au centre-ville de Toronto ou de Montréal, mais si vous êtes dans une région beaucoup plus éloignée où il n’y a pas de ressources, pas de centre de traitement, pas d’installations appropriées, alors c’est une promesse creuse. Il y a eu des investissements. Il faut continuer à investir aux niveaux fédéral, territorial et provincial, ainsi qu’au sein des collectivités des Premières Nations et des autres collectivités.
Il existe une foule de façons de faire en sorte que le mieux ne soit pas l’ennemi du bien. Dans le cas présent, on tente de corriger un problème de société historique. Il faudra du temps et peut-être des générations, mais le moindre pas dans la bonne direction — et à mon humble avis il s’agit d’un pas dans la bonne direction — en vaut la peine et il faut le souligner sans toutefois croire qu’il s’agit d’une panacée et sans mettre de côté toutes les autres mesures de soutien — financier, social et autres — qui doivent être mises en place pour transformer cette mesure en réalité concrète et apporter des améliorations tangibles dans le système de justice pour les Canadiens.
L’honorable Paula Simons : Le représentant du gouvernement au Sénat accepterait-il de répondre à une question supplémentaire?
Le sénateur Gold : D’accord, une autre.
La sénatrice Simons : J’aimerais pouvoir dire qu’il s’agit de la dernière question, mais je ne peux pas en faire la promesse.
Le sénateur Gold : J’ai mal entendu. Bien sûr.
La sénatrice Simons : Tout comme la sénatrice Jaffer et la sénatrice Pate, je crois que ce projet de loi a un énorme potentiel, et vous avez fait valoir avec éloquence pourquoi il s’agit d’une première étape importante et nécessaire.
Le gouvernement serait-il toutefois prêt à utiliser cette mesure comme une sorte de version bêta afin de déterminer l’efficacité de ces changements et faire fond sur ceux-ci pour envisager de s’attaquer à un deuxième groupe de peines? Une fois que l’on aura la preuve de l’efficacité du concept, pourrait-on s’attendre à ce que le gouvernement s’en serve comme base pour élargir le pouvoir discrétionnaire des juges à d’autres types d’accusations?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne le sais pas, et je ne peux décidément pas prendre un tel engagement au nom du gouvernement, mais je soulignerai quelques points. Premièrement, selon un amendement apporté à l’autre endroit et intégré au projet de loi C-5, il faudra procéder à un examen parlementaire. C’est donc l’une des façons dont le Sénat, qui joue un rôle dans cet examen, pourra surveiller les retombées du projet de loi et déterminer les possibilités d’amélioration ou d’élargissement, si les éléments de preuve recueillis vont dans ce sens.
L’autre point est davantage de nature politique. Je l’ai mentionné dans mes observations. Dans une société démocratique, le gouvernement peut tracer la voie à suivre, un peu comme dans le cas de l’aide médicale à mourir ou de la légalisation du cannabis. Il arrive évidemment que ce soient les tribunaux qui tracent la voie à suivre, mais les gouvernements le font aussi parfois, comme nous l’avons fait dans le cas de la légalisation du cannabis. Je crois que notre collègue a rappelé, dans un autre contexte, que lorsqu’on a commencé à discuter de la légalisation du cannabis, le Sénat n’était pas nécessairement favorable à cette idée; mais avec le temps, au fil des études et des discussions, grâce à des discussions objectives, raisonnées et non idéologiques — dans le pire sens du mot « idéologique » — nous sommes arrivés à un point où nous pouvions faire un grand pas, et les Canadiens nous ont suivis.
Dans un même ordre d’idées, à mon avis, le gouvernement croit qu’il fait ce qu’il convient de faire par rapport à ce que les Canadiens sont prêts à accepter, et je crois que le gouvernement sera toujours ouvert à continuer à essayer d’améliorer le système. Cependant, en ce moment, il est d’avis qu’il s’agit d’une contribution importante et majeure à l’équité et à la justice au sein du système canadien. Je ne voudrais pas que nous nous prononcions trop précipitamment. Je veux adopter ce projet de loi et le renvoyer au comité. Je veux qu’il franchisse l’étape du comité et qu’il y ait un débat de troisième lecture, et s’il est adopté à la troisième lecture, ce que j’espère, il y aura alors des occasions, grâce au processus d’examen parlementaire et au processus politique, de voir ce qu’on pourra faire, s’il y a lieu.
La sénatrice Pate : Merci, sénatrice Simons, de m’avoir inspiré une autre question de ma part. Au cours des discussions avec le gouvernement, il était clair que l’objectif premier du projet de loi était de s’attaquer aux peines minimales obligatoires, ce qui figurait dans le programme électoral de 2015, comme vous le savez, ainsi que dans les appels à la justice issus de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Il a été clairement établi qu’il ne s’agit que d’un pas en avant, même s’il existe une multitude de peines minimales obligatoires; et, contrairement à l’aide médicale à mourir, où nos plus récents débats ont été déclenchés par la décision d’un tribunal inférieur, nous avons plus de 43 décisions de tribunaux — et ce n’est pas fini — qui ont conclu à l’invalidité des peines minimales obligatoires.
Irais-je trop loin si je disais qu’il a été porté à mon attention que c’est probablement une occasion unique et qu’il y a beaucoup de gens, tant au sein du gouvernement qu’à l’extérieur, qui veulent nous voir faire avancer le projet de loi pour l’aider à atteindre l’objectif que le gouvernement lui a assigné?
Le sénateur Gold : Sénatrice Pate, si j’ai bien compris votre question, je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous. De toute évidence, il y a des gens qui veulent que ce projet de loi aille plus loin. Il y a aussi des gens qui déplorent toute progression de ce dossier, et nous entendrons ce débat au comité comme ailleurs.
De nombreuses peines minimales obligatoires ont été contestées devant les tribunaux, et ceux-ci en ont maintenu certaines et en ont invalidé d’autres. De plus, beaucoup sont devant les tribunaux à l’heure actuelle.
Respectueusement, vu toute la réflexion qui a été nécessaire à la création du projet de loi, je ne crois pas qu’il soit juste de le qualifier d’approche fragmentée. Il se concentre sur les 20 infractions qui, d’après le gouvernement, représentent la grande majorité des répercussions des peines minimales obligatoires sur la vie des personnes judiciarisées et sur les infractions, notamment en ce qui concerne la drogue et les armes d’épaule, comme je l’ai mentionné, dont l’impact se ressent de façon disproportionnée chez les membres des communautés autochtones et racisées.
Enfin, je ne crois pas que nous sachions si c’est notre dernière chance ou notre seule chance. Dans une démocratie, le processus législatif est itératif. Le gouvernement propose ce grand pas en avant. C’est trop pour certains, mais pas assez pour d’autres. Cela ne le rend pas parfait, parce que c’est un peu comme l’histoire de Boucle d’or et les trois ours, mais le gouvernement estime que c’est une réaction responsable et appropriée à un véritable problème social et que, si le projet de loi est adopté, il fera une véritable différence.
(2040)
La sénatrice Pate : Sénateur Gold, je pense que vous savez que, si c’était vraiment le cas, le gouvernement aurait présenté des données qui l’indiquent. Or, tout ce qu’il a dit à ce sujet, c’est que 9 Canadiens sur 10 veulent qu’on élimine les peines minimales obligatoires. Ne croyez-vous pas que le ministère de la Justice a sûrement demandé et reçu des données?
Le sénateur Gold : Sénatrice Pate, pendant mon discours et au moment de défendre les principes qui sous-tendent ce projet de loi, je ne crois pas m’être fondé sur le point de vue des Canadiens ou sur l’opinion publique. Je parle du nombre d’infractions pour lesquelles la majorité des délinquants sont condamnés et incarcérés en application des peines minimales obligatoires. Voilà les données auxquelles je faisais allusion.
Comme tous les gouvernements de sociétés démocratiques — ce qui comprend certainement notre gouvernement élu démocratiquement —, le gouvernement du Canada devrait tenir compte de l’opinion publique, mais il a aussi la responsabilité de faire ce qu’il croit être juste dans les circonstances. Les mesures législatives ne sont pas adoptées par référendum, mais dans le cadre du processus auquel nous participons actuellement. Encore une fois, le gouvernement est d’avis que la portée du projet de loi est justifiée selon les données probantes. Les données observées sur le terrain justifient ces mesures qui, une fois adoptées, feront une différence sur le terrain.
La sénatrice Pate : Je m’excuse. Évidemment, je me suis mal exprimée, sénateur Gold. Ce que j’essayais de dire est que s’il y avait des données probantes pour montrer que les peines minimales obligatoires auraient une incidence importante sur les taux d’incarcération, on aurait cité ces données et cela aurait fait partie de votre discours. Je ne voudrais pas être à votre place pour défendre cette position, mais ces preuves auraient fait partie de votre discours. Il y a eu de nombreuses questions et il apparaît évident que les données n’ont pas été présentées. Vous n’êtes pas en mesure de fournir de chiffres réels. Quelque chose m’aurait-il échappé?
Le sénateur Gold : Je comprends votre question. J’ai présenté au mieux de mes capacités les raisons pour lesquelles le gouvernement croit que ce projet de loi est celui dont il faut débattre et, bien sûr, qu’il faut adopter. Le gouvernement s’appuie sur les preuves liées aux types d’infractions qui sont assorties de peines minimales obligatoires selon la loi actuelle, sur les conséquences pour les Canadiens qui sont soumis à ces peines minimales obligatoires et sur la surreprésentation de ces Canadiens, qu’il s’agisse d’Autochtones ou d’autres communautés racisées, qui en résulte. Comme je l’ai dit, j’ai répondu à toutes ces questions et à celles qui demandaient si des prévisions avaient été faites quant aux conséquences possibles. Je ne sais pas si des prévisions ont été faites à cet égard, et c’est pourquoi j’ai proposé que l’on étudie cette question au comité.
Il demeure légitime pour un gouvernement de légiférer en fonction de l’état des connaissances et de l’information dont il dispose, ce que nous appelons l’ensemble des faits législatifs. À cet égard, le gouvernement dispose d’un ensemble de faits législatifs sur lesquels il s’est appuyé, et le projet de loi C-5 en est le fruit. Voilà pourquoi il a reçu l’appui de principe d’organisations qui représentent les personnes les plus intimement touchées par les dispositions du Code criminel portant sur les peines minimales obligatoires.
[Français]
L’honorable Claude Carignan (leader adjoint suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Le projet de loi C-5 comporte les mesures suivantes, que j’aborderai dans cet ordre dans mon discours. Premièrement, il augmente le nombre d’infractions pour lesquelles le juge peut imposer comme sanction l’emprisonnement dans la collectivité. Comme le mentionne le résumé législatif du projet de loi, et je cite :
Les peines avec sursis sont des peines d’emprisonnement de moins de deux ans qui sont purgées dans la collectivité sous réserve de conditions particulières, plutôt que dans un établissement correctionnel.
Deuxièmement, le projet de loi C-5 abroge plusieurs peines minimales d’emprisonnement. Troisièmement, il propose un mécanisme de déjudiciarisation dans le cas d’infractions de possession simple de drogues autres que le cannabis.
Le projet de loi C-5 vise notamment à se conformer à l’arrêt R. c. Sharma, de la Cour d’appel de l’Ontario. Ce jugement a déclaré inconstitutionnel, d’une part, l’alinéa 742.1c) du Code criminel, qui interdit le recours à l’emprisonnement dans la collectivité pour les infractions punissables d’une peine maximale de 14 ans ou plus de prison et, d’autre part, le sous-alinéa 742.1e)(ii), qui interdit l’emprisonnement dans la collectivité pour les actes criminels passibles d’une peine maximale de 10 ans de prison et qui mettent en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues.
Le projet de loi C-5 va toutefois plus loin que les conclusions de l’arrêt Sharma, parce qu’il propose aussi d’autoriser l’emprisonnement dans la collectivité pour une série d’infractions qui mettent en cause l’usage d’une arme ou dont la perpétration entraîne des lésions corporelles, y compris l’infraction d’agression sexuelle et de harcèlement criminel.
Il y a une incohérence, voire une approche très inefficace, dans la décision du ministre Lametti de déposer le projet de loi C-5 pour se conformer à un jugement qui est actuellement porté en appel par les procureurs fédéraux du Service des poursuites pénales du Canada devant la Cour suprême.
Je précise que cette affaire est en délibéré devant la Cour suprême du Canada depuis le 23 mars dernier et que la cour devrait donc rendre son jugement au cours des prochains mois.
Ainsi, ou bien la décision du ministre Lametti de présenter le projet de loi C-5 était prématurée, étant donné que la Cour suprême, pendant notre étude du projet de loi, pourrait rendre un jugement qui aurait pour effet d’annuler la déclaration d’inconstitutionnalité de la Cour d’appel, ou bien les procureurs fédéraux ont mené inutilement une procédure d’appel assurément coûteuse devant la Cour suprême, et ce, aux frais des Canadiens.
Je souligne que la version précédente du projet de loi C-5 était le projet de loi C-22, qui est mort au Feuilleton en raison des dernières élections. Or, pendant l’étude du projet de loi C-22, les procureurs fédéraux ont envoyé une lettre à la Cour suprême du Canada le 8 mars 2021. Cette lettre demandait à la cour de reporter l’audition de l’appel. Dans cette lettre, les procureurs fédéraux s’étaient engagés à abandonner la procédure d’appel si le projet de loi C-22 entrait en vigueur, puisqu’ils jugeaient que cet appel, par conséquent, deviendrait théorique.
Après que les élections ont été déclenchées, les procureurs fédéraux ont finalement décidé de poursuivre leur procédure d’appel. Or, je note que leurs arguments en appel — j’y reviendrai — contredisent la nécessité des mesures proposées par le ministre Lametti dans le projet de loi C-5 concernant l’emprisonnement dans la collectivité.
Je rappelle que ce projet de loi propose de donner un pouvoir discrétionnaire aux juges d’imposer l’emprisonnement dans la collectivité — c’est-à-dire que des délinquants purgent leur peine à la maison plutôt qu’en prison —, même dans le cas d’infractions pratiquement les plus graves du Code criminel, à savoir les infractions punissables d’une peine maximale de 14 ans et plus d’emprisonnement.
Pour vous en convaincre, je vous donne quelques exemples d’actes criminels intrinsèquement dangereux pour lesquels le projet de loi C-5 autoriserait l’emprisonnement dans la collectivité : l’infraction d’homicide involontaire coupable sans l’usage d’une arme à feu; la prise d’otage sans l’usage d’une arme à feu; le trafic de fentanyl ou de certaines armes à feu; l’agression sexuelle blessant, défigurant ou mettant en danger la vie d’une personne de 16 ans ou plus, pourvu que cette agression ne soit pas commise avec une arme à feu; le vol avec l’usage d’une arme à feu, sauf si ce vol est commis pour le compte d’une organisation criminelle. Je suis d’avis qu’il n’y a aucune logique dans le fait de permettre le recours à l’emprisonnement dans la collectivité pour des infractions aussi graves et aussi dangereuses pour la sécurité des Canadiens.
[Traduction]
Mon argument se fonde sur le mémoire que les procureurs fédéraux ont adressé à la Cour suprême dans le cadre des procédures d’appel de l’arrêt Sharma, dont j’ai parlé plus tôt. Leur mémoire comprend une analyse convaincante d’extraits du hansard, qui appuie l’idée voulant que l’intention du gouvernement ait toujours été que les peines purgées à domicile soient réservées aux infractions moins graves du Code criminel. À cet égard, leur mémoire cite la déclaration suivante que l’ancien député Robert Goguen a faite à titre de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice le 21 septembre 2011 :
(2050)
Ce gouvernement est attentif aux préoccupations des Canadiens et des Canadiennes qui ne veulent plus voir l’emprisonnement avec sursis utilisé lors de crimes graves, qu’ils soient commis avec violence ou reliés à la propriété.
[Français]
Les procureurs auraient aussi pu citer dans leur mémoire cette autre déclaration que M. Goguen a faite le même jour, et je cite :
L’emprisonnement avec sursis est entré en vigueur en 1996, à l’époque où le gouvernement voulait, entre autres, réduire le recours excessif à l’emprisonnement pour les crimes les moins graves. Je répète: les crimes les moins graves.
Toutefois, on a assisté, au cours des dernières années qui ont suivi la création de cette peine, à un manque de cohérence complète quant aux situations où l’emprisonnement avec sursis est adéquat.
Un bon nombre de décisions des tribunaux à l’époque ont accordé une telle peine pour des crimes violents et graves. Cela a contribué à une perte de confiance du public dans l’administration de la justice. Il va de soi que plusieurs personnes, ainsi que quelques provinces et territoires, se sont demandés si les limites au recours à l’emprisonnement avec sursis prescrites dans le Code criminel étaient suffisamment adéquates.
Ce problème qu’a décrit M. Goguen en 2011 se reproduira selon moi si le projet de loi C-5 est adopté. C’est l’une des raisons importantes pour lesquelles je m’oppose à ce projet de loi. En permettant aux tribunaux d’imposer à des délinquants qui ont commis une infraction intrinsèquement grave et dangereuse qu’ils purgent leur peine d’emprisonnement à la maison plutôt dans une prison provinciale, je crains que ce projet de loi ne banalise la commission de ces crimes. Je crains par le fait même qu’il diminue la protection du public contre les auteurs de ces infractions et qu’il mine ainsi, au cours des prochaines années, la confiance des Canadiens envers le système de justice pénale.
[Traduction]
Une autre mesure importante du projet de loi suscite la même inquiétude chez moi : l’abrogation d’une série de peines minimales obligatoires. Par exemple, il propose d’abroger plusieurs peines minimales obligatoires pour les infractions liées à l’utilisation, à l’importation et au trafic d’armes à feu. Le gouvernement fédéral a bien mal choisi le moment pour proposer de telles mesures, qui réduiraient la sévérité des peines imposées par les juges alors que les crimes commis avec une arme à feu connaissent une augmentation spectaculaire, en particulier à Montréal. Par conséquent, il n’est pas surprenant que le gouvernement du Québec ait exprimé officiellement aux ministres Lametti et Mendicino ses vives inquiétudes au sujet du projet de loi.
[Français]
En effet, les ministres québécois de la Justice et de la Sécurité publique ont écrit une lettre à leurs homologues fédéraux le 4 mai 2022. Cette lettre demande même au gouvernement fédéral de retirer du projet de loi l’abolition des peines minimales pour les infractions liées aux armes à feu :
L’ensemble des modifications prévues par le projet de loi C-5 aura des répercussions sur les responsabilités du Québec relatives à l’administration de la justice et des affaires policières sur son territoire.
En effet, en ce qui concerne l’abolition des peines minimales associées à certaines infractions en lien avec les armes à feu, il s’avère qu’une telle modification pourrait entraîner un message contradictoire avec les initiatives que le gouvernement du Québec a adoptées récemment visant à contrer la violence par armes à feu. D’ailleurs, l’approche préconisée dans le projet de loi C-5 nous apparaît être aussi en contradiction avec les actions posées par votre gouvernement qui visent à lutter contre ce type de violence.
Rappelons que le Québec fait face à une situation sans précédent. À Montréal, les infractions relatives aux armes à feu et aux autres armes ont particulièrement augmenté dans la dernière année.
Il est clair que les gestes du gouvernement fédéral doivent être cohérents avec les réalités vécues par les provinces et les territoires. Le Québec demande ainsi que le projet de loi ne prévoit pas l’abolition des peines minimales pour les infractions concernées en lien avec les armes à feu.
Dans un autre ordre d’idées, le projet de loi propose des mesures de déjudiciarisation applicables à une personne qui a commis une infraction de possession simple de certaines drogues.
Je reconnais l’importance de l’esprit des principes qui sont énoncés dans le projet de loi et qui peuvent justifier la déjudiciarisation. Le projet de loi énonce par exemple le principe suivant :
c) l’infliction de sanctions pénales pour la possession de drogues à des fins de consommation personnelle peut accroître la stigmatisation liée à la consommation de drogues […]
Il énonce aussi ce qui suit :
e) l’utilisation de ressources judiciaires est plus indiquée dans le cas des infractions qui présentent un risque pour la sécurité publique.
Cela dit, je m’oppose au caractère plutôt vague du texte actuel du projet de loi concernant l’application des mesures de déjudiciarisation. Je pense par exemple à cet extrait du projet de loi qui prévoit ceci :
L’agent de la paix évalue s’il est préférable [...] de [...] renvoyer [l’individu], s’il y consent, à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services dans la collectivité susceptibles de l’aider.
Qu’est-ce qu’un « autre fournisseur de services dans la collectivité susceptible de l’aider » et à quel type d’aide réfère-t-on? Est-ce un centre de traitement de la toxicomanie qui offre une thérapie de plusieurs mois en milieu fermé? Si oui, comment un policier qui arrête dans la rue, en région, à 3 heures du matin, une personne fortement intoxiquée par la drogue peut-il être en mesure de trouver une maison de thérapie prête très rapidement à l’évaluer et à l’admettre en thérapie, si cette personne y consent? Si c’est le genre de mesure de déjudiciarisation que l’on souhaite permettre en vertu du projet de loi C-5, je peux aisément imaginer qu’il sera difficile de les appliquer, en particulier dans les communautés éloignées qui manquent trop souvent de ressources en matière de prévention et de traitement de la toxicomanie.
De plus, je me demande si les mesures de déjudiciarisation proposées par le projet de loi C-5 ont préséance sur les mesures de déjudiciarisation actuellement permises dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans le cas où les personnes visées auraient moins de 18 ans. Cette question se pose, lorsqu’on constate que le texte du projet de loi C-5 ne prévoit aucun renvoi entre les deux lois.
Enfin, je suis préoccupé par le fait que le projet de loi C-5 n’exige pas que le gouvernement de la province choisisse et autorise les organismes communautaires ou thérapeutiques ou le type de services offerts, qui devront intervenir dans le cadre de mesures de déjudiciarisation. L’accord de la province m’apparaît essentiel pour éviter que, sous le couvert de ses compétences en matière de droit criminel, le gouvernement fédéral s’immisce dans la compétence des provinces en matière de santé et de services sociaux. Le vocabulaire utilisé dans les principes énoncés dans le projet de loi C-5 montre selon moi que les mesures de déjudiciarisation proposées cherchent principalement à atteindre des objectifs de promotion de la santé et non des objectifs liés uniquement au droit criminel.
Pour toutes ces raisons, je vous invite donc à voter contre ce projet de loi. Merci.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi sur les douanes
La Loi sur le précontrôle (2016)
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Je prends la parole pour lancer le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Cette mesure législative vise à actualiser la manière de gérer les appareils numériques personnels à la frontière à la suite de décisions des tribunaux sur ce sujet, d’abord en Alberta et, plus récemment, en Ontario.
(2100)
[Français]
Pour commencer, je tiens à remercier la sénatrice Boniface de son travail à titre de marraine de ce projet de loi, le sénateur Wells de sa contribution en tant que porte-parole et tous les sénateurs, notamment ceux qui siègent au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, de leurs efforts et de leur engagement. Dans ce projet de loi, comme cela se produit souvent dans les pays démocratiques, nous traitons de questions qui paraissent divergentes, comme les droits fondamentaux, notamment le droit à la vie privée et la protection de notre sécurité. Dans ce cas-ci, il s’agit surtout de protéger la sécurité et la vie privée des enfants victimes de prédateurs sexuels, ainsi que la capacité des agents frontaliers à détecter et arrêter les personnes qui tentent d’introduire au Canada de la pornographie juvénile sur les ordinateurs et les téléphones cellulaires.
[Traduction]
Je suis certain que nous comprenons tous le défi que cet exercice représente pour nous en tant que législateurs. Chose certaine, des personnes de bonne volonté et de bonne foi peuvent ne pas s’entendre sur la meilleure façon d’atteindre cet équilibre. En effet, il y a eu un désaccord sur ce que devrait être le seuil juridique pour permettre aux agents frontaliers d’examiner un appareil numérique. Dans la version initiale du gouvernement, le projet de loi proposait le critère de « préoccupations générales raisonnables ». La semaine dernière, nous avons adopté avec dissidence un rapport du Comité de la sécurité nationale qui l’a remplacé par le critère de « motifs raisonnables de soupçonner ». Chers collègues, permettez-moi de prendre un moment pour rappeler aux honorables sénateurs le contexte et le raisonnement du gouvernement qui ont mené au critère de « préoccupations générales raisonnables ».
[Français]
Tout d’abord, il convient de noter que nous n’avons actuellement aucun seuil légal pour l’examen des appareils numériques personnels à la frontière. Le projet de loi S-7 n’aurait jamais donné de nouveaux pouvoirs aux agents frontaliers. Tant la version initiale que la version actuelle modifiée limiteraient le pouvoir d’examiner les appareils numériques. Le débat n’a jamais porté que sur l’ampleur de cette restriction.
[Traduction]
En limitant ce pouvoir, le Canada serait avec la Nouvelle-Zélande l’un des deux seuls pays au monde dont les lois ne donnent pas carte blanche aux agents frontaliers pour fouiller les appareils numériques personnels. En vertu des lois de leurs pays, les agents des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie n’ont aucun critère à respecter pour procéder à ces fouilles, et c’est aussi le cas des agents du Canada, du moins pour l’instant.
La Loi sur les douanes du Canada a été rédigée bien avant l’existence des cellulaires et des ordinateurs portables. Elle ne les mentionne donc naturellement pas. Elle précise simplement que toute marchandise apportée au Canada peut être examinée par les agents frontaliers, conformément au principe de longue date selon lequel les attentes en matière de protection de la vie privée sont moins grandes à la frontière qu’à la plupart des autres endroits. Pendant de nombreuses années, l’Agence des services frontaliers du Canada a traité les appareils numériques comme toute autre marchandise, et certaines décisions judiciaires ont appuyé cette approche.
Toutefois, en 2012, pour tenir compte de la nature changeante des téléphones et des ordinateurs au XXIe siècle, l’Agence des services frontaliers du Canada a mis en place sa première politique interne sur l’examen des appareils numériques personnels. Cette politique a placé les appareils numériques dans une catégorie de marchandises spéciales, même si la loi ne l’exigeait pas. Cette politique a ensuite été renforcée en 2015.
Aux termes de la politique de 2015, les agents des services frontaliers ne peuvent fouiller un appareil numérique personnel qu’en présence d’une multiplicité d’indicateurs que les appareils ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contraventions. La politique exige également que les agents désactivent les fonctions de communication par Internet avant de mener la fouille et qu’ils examinent uniquement ce qui est stocké dans l’appareil. En outre, les agents doivent consigner les indicateurs relevés pendant la fouille et les justifier. Cette politique a été modifiée en 2019, mais l’essence est encore la même aujourd’hui.
Autrement dit, l’Agence des services frontaliers du Canada a déjà de nombreuses mesures de protection en place concernant la fouille des appareils numériques et, chers collègues, ce genre de fouille est rare. En 2021, par exemple, les appareils numériques de moins de 0,01 % des voyageurs ont été fouillés. Malgré tout, la Cour d’appel de l’Alberta a indiqué dans sa décision dans l’affaire Canfield, en 2020, que l’existence d’une politique interne était insuffisante et que les appareils numériques personnels devaient être traités différemment dans la loi.
Il y a quelques éléments de cette décision qui doivent être soulignés. Premièrement, il ne s’agissait pas d’une erreur de l’agent. La fouille a bel et bien permis de trouver des fichiers de pornographie juvénile et le tribunal était d’avis que la décision de l’agent de mener une fouille était raisonnable et appuyée par des faits objectifs et défendables. Deuxièmement, les événements étaient survenus en 2014, avant que l’Agence des services frontaliers du Canada renforce sa politique au sujet des appareils numériques en 2015. Troisièmement, le tribunal n’a rien dit au sujet de la validité de la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada, affirmant seulement que la loi devait contenir un seuil. Enfin, le tribunal a affirmé de façon explicite qu’un seuil inférieur aux « motifs raisonnables de soupçonner » pourrait être adéquat. Le tribunal a souligné que le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » était employé pour les fouilles à nu dans la Loi sur les douanes et que la fouille d’un appareil numérique était, en comparaison, moins intrusive.
Le tribunal a affirmé ceci :
[À] notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.
[Français]
Le gouvernement en convient et a donc développé un nouveau seuil conforme au raisonnement de la cour. L’expression « préoccupations générales raisonnables » représente un seuil moins élevé que l’expression « motifs raisonnables de soupçonner », mais plus élevé que l’absence actuelle de seuil dans la Loi sur les douanes. Contrairement aux affirmations selon lesquelles l’expression « préoccupations générales raisonnables » est vague et vide de sens, le ministre de la Sécurité publique et les représentants de l’ASFC ont expliqué clairement au comité pourquoi cette expression avait été choisie et comment elle devait être appliquée.
[Traduction]
Comme l’a dit le ministre : « […] « raisonnable » signifie que les indicateurs factuels de non-conformité relevés doivent être objectifs et vérifiables. » Il s’agit en effet de ce qu’on entend par « caractère raisonnable » dans la loi. Dans certains cas, à la frontière et ailleurs, où les tribunaux considèrent qu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner » et des « motifs raisonnables de croire », ils ne recherchent pas les motifs auxquels un agent pourrait s’attendre. Ils recherchent des motifs raisonnables, une justification ou un élément vérifiable qui pourrait amener une personne raisonnable à avoir des doutes ou des inquiétudes.
Le ministre poursuit en disant :
[...] « générale » vise à faire une distinction avec les seuils plus élevés qui peuvent exiger que les agents déterminent une contravention spécifique avant de commencer l’examen.
Autrement dit, un agent de police procédant à une fouille dans le cadre d’une enquête criminelle a plus de temps et une capacité accrue de rassembler des renseignements à l’avance. Par conséquent, nous pouvons exiger que cet agent soit relativement précis concernant le délit qu’il soupçonne et les preuves qu’il s’attend à trouver. En revanche, les agents des services frontaliers ont très peu de renseignements sur les voyageurs et ils disposent de peu de temps ou d’une capacité moindre pour les rassembler. Nous ne pouvons pas alors nous attendre à ce qu’ils soient aussi précis. Selon le gouvernement, le fait qu’il y ait des indicateurs objectifs que le voyageur cache quelque chose devrait être suffisant, même si l’agent ne peut pas déterminer exactement quoi.
Enfin, comme le ministre l’a expliqué au comité, l’intention derrière l’utilisation de la « préoccupation » plutôt que du « soupçon » était d’établir un critère distinct parce que le contexte est différent. S’il existe un spectre de certitude où la croyance, comme dans « motifs raisonnables de croire », est le degré le plus élevé et le « soupçon » se situe à un degré inférieur, alors la « préoccupation » correspondrait à un degré inférieur au soupçon. De l’avis du gouvernement, ce serait approprié étant donné que les attentes en matière de respect de la vie privée sont plus faibles à la frontière et que la Cour d’appel de l’Alberta a reconnu qu’il pourrait être approprié d’établir des critères moins stricts pour justifier la fouille du téléphone d’une personne qu’une fouille à nu.
[Français]
À l’étape du rapport, le sénateur Dalphond a souligné que la Loi sur les douanes utilise l’expression « motifs raisonnables de soupçonner » dans certains contextes autres que les fouilles à nu. C’est un argument valable qui mérite une réponse réfléchie. De l’avis du gouvernement, il existe certaines différences essentielles entre l’examen d’un appareil numérique personnel à un point d’entrée et les autres utilisations du seuil de « motifs raisonnables de soupçonner » prévues par la Loi sur les douanes.
(2110)
[Traduction]
Par exemple, les alinéas 99(1)b) et c.1) prévoient que l’agent doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour ouvrir les envois, mais il peut examiner de bien des façons une enveloppe ou un colis sans que ce critère soit respecté. Il peut en examiner l’extérieur pour vérifier son origine et sa destination. Il peut le peser. Il peut en balayer l’extérieur pour détecter la présence de matières organiques telles que des drogues. Il peut même le passer aux rayons X pour avoir une meilleure idée de son contenu. Tout cela peut se faire sans qu’il soit nécessaire de satisfaire au moindre critère, et ces procédures aident les agents à glaner des renseignements pour, éventuellement, former des motifs raisonnables de soupçonner une infraction.
Par contre, on ne peut passer un téléphone cellulaire aux rayons X pour avoir une meilleure idée de son contenu ni en examiner l’extérieur pour vérifier qui envoie des messages à qui. En pratique, les « motifs raisonnables de soupçonner » constituent un critère plus difficile à atteindre pour les appareils numériques que pour le courrier.
Les alinéas 99(1)d) et d.1) exigent la présence de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour réexaminer des marchandises afin de vérifier si une erreur a été commise dans la détermination des droits de douane applicables ou du lieu d’origine, mais il s’agit d’un réexamen. L’examen initial est effectué en vertu d’un pouvoir limité par aucun critère. L’agent est tenu de respecter le critère uniquement s’il souhaite procéder à une deuxième vérification.
Les alinéas 99(1)e) et f) exigent que les agents aient des motifs raisonnables de soupçonner des marchandises et des moyens de transport pour les examiner, mais, chose cruciale, ces alinéas s’appliquent au-delà du contexte immédiat d’un passage frontalier. Par exemple, si une personne est passée à la douane et qu’un agent la voit dans le couloir en train de déballer un paquet sous sa chemise, l’agent aurait besoin de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour effectuer un contrôle. Autre exemple : si un agent voit un camion suspect sortir des bois près d’un poste frontalier, il aurait besoin de motifs raisonnables de soupçonner une infraction pour le fouiller.
Cependant, à un point d’entrée, où il est bien compris et accepté que les attentes en matière de protection de la vie privée sont moindres, les marchandises — telles que définies à l’article 2 de la loi pour inclure les moyens de transport — peuvent être examinées sans motif, conformément à l’alinéa 99(1)a).
Chers collègues, tout cela pour dire qu’il y a des différences importantes entre l’examen des appareils numériques personnels à un point d’entrée et dans d’autres contextes où l’expression « motifs raisonnables de soupçonner » est utilisée dans la Loi sur les douanes. Au bout du compte, le gouvernement a proposé la norme des « préoccupations générales raisonnables » afin d’exiger un degré de certitude inférieur à celui du soupçon, mais tout de même fondé sur des indicateurs objectifs qui peuvent être articulés et vérifiés.
De plus, si l’article 7 venait à entrer en vigueur, il serait assorti de la réglementation nécessaire pour préciser dans le détail la manière d’exécuter les vérifications des appareils numériques. L’ébauche des dispositions législatives a été présentée au Comité de la sécurité nationale avec des éléments de la politique actuelle, par exemple les exigences relatives à la désactivation de la connectivité et à la prise de notes. Néanmoins, le Comité de la sécurité nationale s’est penché sur la question, a entendu les témoignages et a choisi de remplacer « préoccupations générales raisonnables » par « motifs raisonnables de soupçonner ». Je comprends totalement l’attrait de privilégier une norme qui existe déjà et qui, par conséquent, peut prendre appui sur une jurisprudence étoffée.
Parallèlement, honorables collègues, le gouvernement s’inquiète que le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » ne restreigne inutilement la capacité des agents des services frontaliers d’interdire les activités illégales, par exemple la contrebande du matériel d’exploitation des enfants. Cette inquiétude a été soulevée en comité par Me Monique St. Germain, du Centre canadien de protection de l’enfance, qui a déclaré ce qui suit :
Je ne suis tout simplement pas certaine que le fait de hausser les motifs raisonnables de soupçonner dans ce contexte va permettre aux agents des services frontaliers de faire ce qu’ils doivent pour protéger les enfants à la frontière.
Nous pouvons avoir une bonne idée des répercussions éventuelles de cette norme en jetant un œil sur les données de l’Agence des services frontaliers pour le mois dernier. Les décisions des tribunaux de l’Alberta et de l’Ontario sont entrées en vigueur à la fin du mois d’avril, ce qui a eu comme conséquence concrète de mener à l’application automatique des motifs raisonnables de soupçonner dans ces provinces.
Comme l’a souligné la semaine dernière la sénatrice Boniface, en mai 2021, dans les deux provinces, l’Agence des services frontaliers du Canada a contrôlé près de 600 000 voyageurs, examiné 63 dispositifs et constaté 17 infractions. En mai dernier, le nombre de voyageurs a quadruplé en raison de l’assouplissement des restrictions liées à la COVID, mais le nombre d’examens de dispositifs est passé à 18 et seulement 4 infractions ont été constatées.
Il n’est pas possible de connaître le nombre d’infractions qui sont passées inaperçues. Jusqu’à maintenant, il s’agit d’un petit échantillon, et il se peut que mai 2022 était un mois léger. Ces chiffres devraient nous faire réfléchir. Certaines infractions constatées par l’Agence des services frontaliers du Canada sont des infractions à la Loi sur l’immigration ou concernent des biens non déclarés, mais nombre d’entre elles touchent, comme je l’ai dit, l’exploitation sexuelle d’enfants. Malheureusement, il y a des Canadiens qui voyagent à l’étranger, qui maltraitent des enfants vulnérables et qui rentrent avec des souvenirs macabres sous forme de photos ou de vidéos. Je suis sûr que nous voulons tous que les agents frontaliers disposent des outils juridiques nécessaires pour détecter et décourager ce genre d’activités.
En supposant que nous adoptions le projet de loi S-7 en troisième lecture, il appartiendra à nos collègues de l’autre endroit de mener une étude plus approfondie. Je m’attends à ce qu’ils examinent bon nombre des questions qui ont été soulevées au cours de notre étude de ce projet de loi. Ils pourraient en outre bénéficier d’un plus grand échantillon de données de l’Agence des services frontaliers du Canada pour mieux comprendre comment les critères juridiques minimaux pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner en Alberta et en Ontario influent sur les opérations. Je suis sûr qu’ils analyseront également les autres amendements faits par le Sénat. L’un d’eux intègre l’obligation de désactiver la connectivité réseau dans la loi plutôt que dans le règlement, ou peut-être dans la loi en plus du règlement.
D’un point de vue pratique, c’est certainement un objectif que le gouvernement partage. Cependant, il y a eu une discussion au comité sur les détails du libellé et sur l’idée selon laquelle laisser cela dans le règlement, étant donné la vitesse de l’évolution technologique, pourrait constituer une approche plus souple.
L’autre amendement concerne une autorité réglementaire liée à la protection du secret professionnel. Encore une fois, le gouvernement partage l’objectif, et j’ai hâte que le comité de l’autre endroit entende, au sujet de cet amendement, certains des mêmes témoins que notre comité a entendus, y compris l’Association du Barreau canadien.
Enfin, chers collègues, j’aimerais dire un mot sur les témoins. On a dit à juste titre qu’à l’exception notable du Centre canadien de protection de l’enfance, la plupart des témoignages entendus au comité étaient favorables à la norme sur les « motifs raisonnables de soupçonner ». Les témoins étaient certainement des personnes très éminentes, comme les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée et de l’Association canadienne des libertés civiles, qu’il faut entendre dans le cas de mesures législatives de ce genre.
En même temps, je dirais qu’il est beaucoup plus facile d’entendre le témoignage de professeurs de droit au comité que de ceux de jeunes enfants ou de particuliers dont on ne connaît pas le nom et dont on n’entendra probablement jamais parler.
Chers collègues, je ne cherche pas un instant à minimiser l’importance des témoins provenant de facultés de droit ou de la société civile, bien au contraire. Il est important de se rappeler que lorsque la majorité des témoignages vont dans le même sens, c’est peut-être parce que des gens ayant des opinions ou des intérêts différents sont confrontés à des obstacles qui les empêchent de nous transmettre leur point de vue.
[Français]
J’espère qu’en analysant ce projet de loi, nous avons fait de notre mieux pour nous mettre à la place des autres, et que nous nous sommes mis à la place des personnes de couleur, des musulmans et des membres des peuples autochtones qui sont préoccupés par les préjugés et le traitement injuste à la frontière. La sénatrice Jaffer et le sénateur Yussuff ont exprimé ces préoccupations avec éloquence en comité, tout comme les sénatrices Ataullahjan, McCallum et Omidvar l’ont fait dans cette Chambre.
J’espère que nous avons également tenté de nous mettre à la place des enfants vulnérables dans les bordels, les ruelles et les chambres d’hôtel à l’autre bout du monde qui n’ont jamais entendu parler du projet de loi S-7 et qui ne savent pas ce qu’est l’ASFC, mais qui sont touchés par nos choix.
[Traduction]
Comme je l’ai dit dès le départ, cette mesure législative requiert un délicat équilibre d’intérêts et de considérations ayant des conséquences bien réelles et des préoccupations contradictoires.
Chers collègues, je remercie le comité pour son étude consciencieuse et attentive de ce projet de loi important. Merci de votre attention.
(2120)
L’honorable Mary Jane McCallum : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Gold : Bien sûr.
La sénatrice McCallum : Un ordinateur portable personnel peut-il être considéré comme de la propriété intellectuelle plutôt que comme un bien?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je crois que, selon la définition prévue par la loi, un ordinateur portable personnel serait considéré comme un bien. La propriété intellectuelle est typiquement quelque chose de moins tangible. Je ne crois donc pas que ce terme s’appliquerait à un ordinateur.
La sénatrice McCallum : Comment les éléments de propriété intellectuelle qui se trouvent sur l’ordinateur portable seront-ils traités?
Le sénateur Gold : Merci de votre question. Encore une fois, si je comprends bien comment la loi s’appliquera en pratique, quels que soient les critères qui seront prévus dans la loi, quand ces critères seront satisfaits, les agents des services frontaliers auront le droit de procéder à une fouille. S’ils trouvent du matériel qui contrevient à une loi, ils prendront évidemment les mesures appropriées. Je présume que le matériel qui ne contrevient pas à une loi sera traité de la même façon et avec le même respect que les biens personnels doivent être traités en vertu de nos lois.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Sénateur Gold, merci beaucoup de votre exposé.
Le Comité de la sécurité nationale et de la défense a un comité directeur très compétent et celui-ci a choisi 12 témoins. Vous dites que nous n’avons pas fait comparaître d’enfants devant notre comité. Ces témoins sont des personnes réputées qui, j’en suis persuadée, ont étudié le sujet. Je pense qu’il est un peu injuste de dire qu’ils ne pouvaient pas parler au nom des enfants. Je ne peux pas répéter les mots que vous avez dits parce que je ne les ai pas sous les yeux, mais je pense que c’est un peu injuste.
Le comité directeur a eu l’occasion d’appeler les témoins. Ils auraient pu appeler des enfants s’ils l’avaient jugé nécessaire. En tant que présidente, je l’ai fait à maintes reprises. Compte tenu du fait qu’ils ont appelé 12 personnes crédibles au comité, ne pensez-vous pas qu’ils ont pu équilibrer le nombre de témoins? Ne pensez-vous pas que vous avez été injuste dans la manière dont vous avez parlé des témoins qui se sont présentés devant nous et ont fourni un bon témoignage?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question et de me donner l’occasion de clarifier mon intention et mes paroles mal choisies.
Je vais répéter que je me suis efforcé de respecter le travail du comité et les commentaires des témoins qui ont été convoqués. Ce que j’essayais de dire dans le passage dont vous avez parlé, et je parlais de l’exploitation des enfants, c’est que les victimes qui ont été exploitées, dans des pays éloignés, n’ont pas l’occasion de prendre la parole.
Sénatrice Jaffer, chers collègues, j’ai choisi mes mots avec soin. J’ai expliqué la raison du gouvernement pour avoir choisi le critère qu’il a choisi, et j’ai fait mon plaidoyer du mieux que je l’ai pu — comme l’a fait la sénatrice Boniface avec plus d’éloquence que moi — pour que le compte rendu reflète la justification du gouvernement dans ce dossier.
Je respecte le travail du comité et je respecterai la décision du Sénat lorsque nous passerons à l’étape de la troisième lecture. Vous remarquerez que je n’ai rien dit à ce sujet — mes mots parlent d’eux-mêmes. Je tenais à préciser la position du gouvernement. Le gouvernement continue de croire qu’un critère moins élevé est justifiable et constitutionnel, mais il respecte également les opinions contraires — celles des témoins et certainement celles du comité. Lorsque nous passerons à l’étape de la troisième lecture, plus tard cette semaine, je crois bien, je serai satisfait, comme représentant du gouvernement, que le Sénat ait fait son travail. Quel que soit le résultat du vote à l’étape de la troisième lecture, je m’attends à ce que notre travail soit pris au sérieux à l’autre endroit, comme il se doit.
La sénatrice Jaffer : Puis-je vous poser une autre question?
Le sénateur Gold : Bien sûr.
La sénatrice Jaffer : Sénateur Gold, vous avez fait du bon travail, et je n’ai jamais dit le contraire. Vous avez exprimé votre position. J’ai seulement critiqué votre façon de parler des excellents témoins qui ont comparu devant le comité. Je n’ai pas voulu le souligner dans mon discours, car, autrement, vous n’auriez pas eu l’occasion d’en parler.
J’ai une autre question à vous poser. En réponse à ma question sur la prise de notes, le ministre a dit que, peu importe si la personne a commis une infraction ou non, des notes seront prises à son sujet. Le ministre a été très clair à cet égard.
Ensuite, nous avons entendu le commissaire à la protection de la vie privée, qui a dit que six plaintes ont été déposées au sujet des piètres normes en matière de prise de notes par les fonctionnaires, et qu’il était fort insatisfait de ces normes. Ensuite, les fonctionnaires ont dit qu’on ne dépenserait pas davantage pour implanter la nouvelle norme.
Où sont les mesures de protection? Ces gens ont dit qu’ils prendront des notes s’ils arrêtent quelqu’un, même s’il n’y a pas eu d’infraction, mais le commissaire à la protection de la vie privée dit qu’il n’est pas satisfait de la prise de notes.
Le sénateur Gold : Merci de cette question. Je suis au courant de ce témoignage. On le dit souvent, et c’est vrai, la rigueur des travaux de nos comités fait l’excellence du Sénat.
Cependant, n’oublions pas que l’Agence des services frontaliers du Canada applique depuis maintenant des années un ensemble de politiques régissant la fouille de ces appareils, mais que la cour a déterminé que ces politiques n’étaient pas constitutionnelles parce qu’elles n’étaient pas prescrites par la loi.
Ainsi, le gouvernement est d’avis qu’en inscrivant les règles et procédures dans la loi et les règlements, elles satisferont aux critères de constitutionnalité énoncés par la cour.
Si je puis m’avancer, je crois que cela explique pourquoi le projet de loi S-7 ne changera pas nécessairement la façon dont les agents frontaliers détermineront si une fouille s’impose sur le terrain. C’est mon interprétation de la réponse à la question concernant l’octroi de ressources supplémentaires.
L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Gold, je vous remercie de votre discours réfléchi et éclairant. J’ai quelques questions.
Sénateur Gold, de multiples rapports, y compris un de la Commission canadienne des droits de la personne, ont conclu que les personnes racisées ou autochtones sont beaucoup plus susceptibles d’être choisies pour les soi-disant contrôles au hasard et questionnements supplémentaires. Une étude a révélé que 79 % des musulmans — ou leurs proches et amis — ont fait l’objet d’un traitement injuste. Nous avons entendu à maintes reprises notre collègue la sénatrice Jaffer dénoncer avec vigueur le fait qu’elle est régulièrement choisie pour les contrôles au hasard.
Craignez-vous que les agents frontaliers abusent de leur autorité pour accéder à nos téléphones qui contiennent des détails intimes sur tous les aspects de nos vies? En fait, nos téléphones sont devenus un prolongement de nos vies intérieures.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Le profilage et les préjugés raciaux ont été soulevés, à juste titre, dans les délibérations du comité. Il serait insensé et répréhensible de ne pas reconnaître cette réalité.
Cela dit, nous ne parlons pas de fouilles d’appareils numériques au hasard. Dans le projet de loi S-7, un critère objectif doit être respecté pour atteindre le seuil juridique, que l’on pense aux motifs raisonnables de soupçonner ou aux préoccupations générales raisonnables. L’un ou l’autre ne permet pas simplement aux agents frontaliers de procéder au hasard. Nous pouvons être en désaccord. De toute évidence, le comité était d’avis qu’un critère légèrement plus élevé était plus approprié. Je respecte cette décision. Cependant, même avec un critère de « préocupation générale », ces fouilles ne se font pas simplement pour satisfaire les caprices d’un agent frontalier, même si nous reconnaissance qu’il existe du profilage racial et des préjugés raciaux conscients et peut-être inconscients, comme je l’ai dit avant. Ce serait ridicule de le nier. Les statistiques révèlent que, même sans critère juridique, les examens des appareils numériques sont extrêmement peu fréquents, ce qui est quelque peu rassurant. J’ai dit que 0,01 % de ces appareils font l’objet d’une fouille. Ces examens sont non seulement peu fréquents, mais ils permettent de détecter les infractions bien plus souvent que les autres types d’examen.
(2130)
Permettez-moi de vous donner un exemple. En 2021, 27 % des fouilles d’appareils numériques — qui, je le répète, sont peu fréquentes — ont donné lieu à la découverte d’une infraction. Cela a permis de détecter des infractions dans 27 % des cas, par rapport à 4 % pour les autres fouilles à la frontière. Cela indique que les agents frontaliers font un assez bon travail en se servant d’indicateurs et de critères objectifs pour déterminer les situations où il est vraiment approprié de fouiller un appareil numérique.
Encore une fois, permettez-moi de citer les propos de Scott Millar, un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada, lors de son témoignage au comité :
[…] non seulement le racisme est illégal et contraire à nos valeurs, mais il est également stupide d’un point de vue opérationnel, si je peux être franc. Il ne nous aide pas à obtenir le genre de résultats et de taux dont nous parlons ici.
J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Gold, je suis ravie que le racisme soit illégal, mais il faut bien admettre qu’il existe. Je parle au nom d’une communauté qui fait régulièrement l’objet de fouilles aléatoires. C’est presque devenu une blague lorsqu’on commence une histoire par : « Alors, j’ai été intercepté et voilà ce qu’ils voulaient savoir. » Ma question est la suivante. Le gouvernement a‑t‑il un plan pour éviter que le projet de loi S-7 soit explicitement utilisé pour violer les droits à la vie privée de certains groupes qui font déjà l’objet de discriminations à la frontière?
Le sénateur Gold : Une fois de plus, j’ai bien reconnu cette réalité dans la réponse que j’ai donnée, sénatrice. Le gouvernement ne fait pas l’autruche. Je sais que des préoccupations ont été exprimées au comité concernant la portée — ou le manque de portée — de la formation des agents à ce sujet. Je suis aussi conscient que l’Agence des services frontaliers du Canada a fourni au comité des données supplémentaires sur la nature de la formation, qui comprend deux heures sur la diversité et les relations raciales, et une heure entière sur la prévention des préjugés inconscients. Nous savons que c’est un problème. La formation consacre aussi une heure et demie au traitement des voyageurs autochtones et deux heures à l’analyse comparative entre les sexes. D’autres formations sont prévues.
Honorables sénateurs, il reste que ce projet de loi porte sur les critères légaux et les problèmes liés à la fouille des appareils numériques. Il ne s’agit pas d’ouvrir la porte aux fouilles aléatoires irraisonnées. Il faut que l’agent ait des « motifs raisonnables de soupçonner » ou des « inquiétudes raisonnables » ou qu’il respecte un autre critère juridique. Il est raisonnable de penser qu’il serait possible que des préjugés inconscients ou conscients influencent la décision de l’agent, et nous devons tout faire pour y remédier. À strictement parler, il s’agit d’un problème important, mais bien distinct de la question qui nous occupe, soit la définition des critères légaux à respecter pour la fouille d’un appareil numérique.
L’honorable Brent Cotter : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Gold : Bien sûr.
Le sénateur Cotter : Je n’avais pas l’intention de participer au débat, mais les observations de la sénatrice Jaffer et de la sénatrice Ataullahjan concernant le risque d’appliquer des stéréotypes et, en particulier, les communautés vulnérables, marginalisées ou racisées me poussent à vous poser une question. C’est la seule partie du projet de loi qui me préoccupe.
Vous avez parlé des trois mots dont nous débattons et qui ont été retirés du projet de loi par la voie d’un amendement. Le mot pour lequel j’aimerais surtout connaître votre point de vue est le mot « générales ». J’accepte vos observations selon lesquelles « raisonnables » exige une description objective, mais le fait est que les personnes qui se font arrêter à la frontière se font arrêter à titre de particuliers. Je ne comprends vraiment pas l’intérêt de choisir un mot comme « générales » plutôt que « précises ». Même le mot « préoccupations » a été adopté. Il me semble que le mot « générales » invite l’agent frontalier à fonder son intervention sur des critères qui ne concernent pas précisément la personne visée, ce qui laisse place à des problèmes tels que ceux que les deux dernières sénatrices qui ont posé des questions ont soulevés. Pourriez-vous parler de cela?
Le sénateur Gold : Merci, sénateur, de votre question. Bien sûr, le gouvernement et moi avons aussi cette préoccupation — que tout le monde devrait avoir — quant au risque que l’application d’un critère juridique puisse favoriser les préjugés et le profilage racial.
Je crois que cette préoccupation plus générale concerne le fait que, dans le cas de la fouille des appareils numériques, contrairement à d’autres mesures — j’en ai parlé dans mon discours —, l’agent peut ne pas avoir d’infraction précise en tête et ne sait pas sur quoi il pourrait tomber, parce qu’il prend une décision sur le vif, même si elle est fondée sur des indicateurs objectifs de la possibilité de trouver des éléments compromettants.
Des témoins ont indiqué au comité en quoi consistent certains de ces indicateurs. Je crois que ces derniers reposent en grande partie sur le fait que la personne qui se trouve devant l’agent a, dans la façon dont elle a répondu aux questions de routine, donné des indications quant au fait que quelque chose n’est pas normal, ce qui a mené à son envoi à l’examen secondaire; à ce moment, il est fort possible que l’agent soit arrivé à la conclusion que le critère a été satisfait.
Son Honneur le Président : Sénatrice Ataullahjan, vouliez-vous poser une question?
La sénatrice Ataullahjan : Oui. Sénateur Gold, les préjugés existent. Je repense au jour où ma belle-mère, qui se trouvait être l’une des premières femmes médecins du sous-continent indien, est venue me rendre visite. Étant donné qu’elle portait des vêtements traditionnels, l’un des agents a dit : « Oh là là! Je me demande si elle parle anglais. » Ce à quoi elle a rétorqué : « Et comment! »
Selon un rapport de l’American Civil Liberties Union, 96 % des personnes appréhendées par les agents frontaliers américains ont été identifiées comme étant racisées. Trois agents du Service des douanes et de la protection des frontières ont intenté une poursuite contre l’agence en alléguant qu’ils étaient tenus de profiler les personnes racisées. Comme l’a indiqué le Washington Post, « conduire avec la peau brune ou noire est une raison clé pour être arrêté par la patrouille frontalière ».
Pourquoi le gouvernement accorde-t-il des pouvoirs accrus relatifs à la fouille à une organisation déjà connue pour cibler les personnes racisées sans distinction? C’est la dernière question que j’ai à vous poser, sénateur Gold.
Le sénateur Gold : Permettez-moi d’essayer de répondre à vos questions. Vous soulevez un point important. Sachez que rien de ce que je vais dire dans ma réponse ne vise à diminuer l’importance du problème que vous soulevez.
Voici le problème dont nous sommes saisis dans le projet de loi S-7 : jusqu’à ce que le projet de loi S-7 soit adopté, il n’y a aucune restriction sur le pouvoir ou la capacité d’un agent frontalier de fouiller un appareil numérique. Je le répète, ces cas ne représentent qu’une infime fraction des fouilles effectuées sur les personnes qui traversent les frontières. À l’heure actuelle, il n’y a aucune limite prévue dans la loi. Il y a eu des limites dans la politique, comme nous le savons. La cour ne prétend pas que notre politique est mauvaise, mais elle maintient qu’elle n’est pas prescrite par la loi. Nous avons la garantie d’une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée en vertu de la Charte. Vous ne pouvez limiter cette attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ou, en fait, de tout droit que s’il s’agit d’une limite raisonnable prescrite par la loi.
(2140)
Le gouvernement a présenté le projet de loi afin de mettre en place, pour la première fois, des critères juridiques auxquels les agents doivent se conformer — et de faire du Canada l’un des deux pays seulement à utiliser de tels critères. S’agit-il des bons critères? Le gouvernement pensait que oui; le comité a pensé le contraire. Je n’ai aucune raison de supposer que la Chambre dans son ensemble ne sera pas d’accord avec le comité. Le travail du comité, qui a été diligent, doit être respecté. Je fais consigner au compte rendu la position contraire du gouvernement, ce que nous avons fait au comité. C’est ma responsabilité de le faire et je le fais avec fierté.
Toute norme juridique — cela pourrait être un « motif raisonnable de savoir » — peut être utilisée à mauvais escient par quelqu’un cherchant, consciemment ou inconsciemment, à cibler un groupe racisé ou un membre d’une minorité religieuse. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire par la formation, l’éducation et la demande de reddition de comptes aux personnes concernées afin d’essayer de résoudre ce problème, qui est réel.
Le projet de loi S-7 introduit des critères juridiques là où il n’y en avait pas auparavant. L’enjeu est vraiment de déterminer les bons critères à imposer pour protéger notre vie privée.
Tous les autres points que vous avez soulevés sont vraiment fondamentaux et importants. Ils font référence à la façon juste dont notre société applique les lois, pas seulement en ce qui concerne les appareils numériques, mais aussi la conduite et tous les aspects de la vie, comme par exemple faire l’objet d’un suivi lorsqu’on va magasiner. Des collègues ont parlé de ce qui leur était arrivé à ce sujet. Je ne cherche absolument pas à minimiser cela.
Strictement parlant, la question de savoir où se situe le seuil n’est pas la même que celle de savoir si celui-ci sera appliqué de façon juste, raisonnable et non discriminatoire, comme ça devrait être le cas et comme nous espérons qu’il le sera.
L’honorable Ratna Omidvar : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Gold : Bien entendu.
La sénatrice Omidvar : Sénateur Gold, j’aurais été beaucoup plus à l’aise avec ce projet de loi s’il avait été précédé par une mesure législative établissant une surveillance civile indépendante de l’Agence des services frontaliers du Canada.
Avez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je pense qu’il était grand temps que l’Agence des services frontaliers du Canada ait l’autorité d’assurer une surveillance adéquate. D’ailleurs, cet objectif est inscrit dans la lettre de mandat du ministre. C’est un enjeu sur lequel le gouvernement voulait se pencher attentivement.
Dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, qui se définit, de manière positive, par un marchandage soutenu ou, de manière négative quoique plus juste, par d’innombrables tentatives d’obstruction, nous n’avons pas réussi à intégrer tous les projets de loi — sans égard à leur importance — assez rapidement dans le processus législatif, et cela comprend la liste des priorités du gouvernement, pour être honnête.
J’espère — et je sais que c’est aussi le souhait du gouvernement — qu’un projet de loi qui confère à l’Agence des services frontaliers du Canada des pouvoirs adéquats en matière de surveillance soit présenté, débattu et, ultimement, approuvé, car cet un élément essentiel qui viendrait combler certaines lacunes et permettrait que l’agence rende des comptes de manière exhaustive, comme il se doit. Malheureusement, nous n’y sommes pas encore, mais j’espère que nous y arriverons bientôt.
La sénatrice Omidvar : Sénateur Gold, autrement dit, d’ici à ce que ce projet de loi se concrétise, les Canadiens qui estiment avoir été ciblés injustement n’ont qu’un seul recours et c’est de porter plainte à l’Agence des services frontaliers du Canada, plainte qui sera traitée à l’interne par l’agence. Est-ce exact?
Le sénateur Gold : Encore une fois, permettez que je réponde simplement ainsi : tant qu’aucun changement n’est apporté, les gens qui croient avoir été traités injustement pourront seulement recourir aux procédures existantes.
Encore une fois, le projet de loi S-7 modifié dont nous sommes saisis établit, pour la première fois, un critère légal relativement aux fouilles des dispositifs numériques. Il s’agit d’un projet de loi qui vise très précisément les décisions des tribunaux que j’ai citées.
Les questions beaucoup plus vastes concernant la surveillance devront attendre un autre jour. Lorsque nous aurons l’occasion de recevoir un tel projet de loi, je suis convaincu que nous nous pencherons là-dessus avec la même diligence et la même intensité que celles dont nous avons fait preuve relativement au projet de loi dont nous sommes actuellement saisis.
L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Avant toute chose, merci au sénateur Gold de son discours, à la sénatrice Boniface qui agit comme marraine et, bien sûr, aux membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du travail accompli pendant l’étude du projet de loi. Enfin, je remercie le sénateur Smith de m’avoir gentiment cédé sa place au comité pendant l’étude de ce projet de loi.
La première fois que j’ai pris la parole à propos de ce projet de loi le mois dernier, à l’étape de la deuxième lecture, je me suis étonné qu’il ait tant tardé à être soumis au Sénat. Il s’agit, en effet, d’une mesure législative importante, puisqu’elle gouvernera la façon d’examiner les appareils numériques personnels aux frontières du pays.
Comme nous le savons tous, beaucoup d’appareils numériques personnels peuvent renfermer la vie complète d’un voyageur. Le cadre législatif entourant l’examen de ces appareils est donc d’une grande importance. Les appareils numériques des Canadiens contiennent une multitude de renseignements personnels, par exemple ceux-ci : dossiers médicaux, documents financiers, correspondance confidentielle, photos de famille, calendriers et agendas détaillés, listes d’emplettes et historique de géolocalisation de la personne.
Le cadre législatif doit être défini avec soin, car il a une incidence sur les droits relatifs à la protection de la vie privée garantis par la Charte des droits et libertés.
Les appareils numériques contiennent plus d’informations personnelles que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité et, par conséquent, ils méritent une protection constitutionnelle plus élevée. Chers collègues, il faut donc nous assurer que le cadre juridique régissant l’examen des appareils numériques personnels est également assez solide pour protéger les frontières et mettre fin à des activités criminelles telles que l’importation de pornographie juvénile.
L’atteinte d’un juste équilibre faisait partie des directives fournies par la Cour d’appel de l’Alberta lorsqu’elle a rendu sa décision dans l’affaire R. c. Canfield. Dans cette décision, la cour a déclaré :
Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile. Il reviendra au Parlement de définir, s’il le choisit, une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser de telles fouilles à la frontière.
Comme la cour l’indique, l’équilibre est crucial dans ce dossier.
Ce qui me préoccupe, c’est que même si le tribunal a statué sur cette question en octobre 2020, le gouvernement a, dans l’intervalle, complètement échoué à créer un environnement politique où la meilleure solution pourrait être discutée et adoptée.
Le gouvernement a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis il y a quelques semaines à peine. Avant cela, il n’y avait eu aucune consultation auprès des parties externes par les représentants du gouvernement. Il n’y avait aucune indication de ce que le gouvernement envisageait. Au lieu de cela, on a balancé un projet de loi au Sénat en lui demandant de l’adopter le plus rapidement possible. De plus, vous vous souviendrez, chers collègues, qu’il a été présenté au Sénat le jour de l’échéance de la prolongation du délai.
En fait, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu sa décision invalidant les dispositions de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes en octobre 2020. Elle a donné au gouvernement 18 mois pour réviser la loi, soit 12 mois au départ, puis 6 mois de prolongation, comme je l’ai souligné.
Voilà la période pendant laquelle le gouvernement aurait dû consulter le Parlement, des experts juridiques externes, des groupes de défense des libertés civiles, des personnes préoccupées par l’influx de pornographie juvénile, le syndicat des agents des services frontaliers, des groupes policiers et, chers collègues, les citoyens dont les droits et libertés peuvent maintenant être enfreins.
Au Comité des affaires juridiques, des témoins provenant de groupes de défense des libertés civiles, de l’Association du Barreau canadien et du Commissariat à la protection de la vie privée ont confirmé ne jamais avoir été consultés quant à leur point de vue sur l’équilibre entre la sécurité et la confidentialité aux postes frontaliers. De toute évidence, ces organismes ont des points de vue. D’éminents juristes y ont réfléchi, ont examiné cet enjeu et en discutent depuis un bon bout de temps.
(2150)
Cependant, honorables collègues, le gouvernement ne les a tout simplement pas consultés. Pendant les 18 mois dont il disposait, il a mené un processus interne dont le principal objectif consistait simplement à inscrire dans la loi les politiques et pratiques en vigueur à l’Agence des services frontaliers du Canada. Or, d’après ce que nous avons observé dans le cadre de nos délibérations, l’ASFC ne suit même pas ses propres politiques.
Le gouvernement ne nous a aucunement expliqué pourquoi il a attendu 18 mois avant de nous renvoyer ce projet de loi, mais nous devons quand même composer avec les graves conséquences de ce retard. Par exemple, il y a manifestement des lacunes dans l’application de la loi en Alberta et en Ontario. Dans ces provinces, les dispositions de l’alinéa 99(1)a) ne sont plus en vigueur, et la solution que le gouvernement propose devrait, selon toute vraisemblance, se faire attendre pendant des années, comme des témoins nous l’ont indiqué. De l’aveu même du ministre, dans ces provinces, les examens effectués par les agents frontaliers à l’égard des appareils numériques personnels ont diminué de 60 %.
Cela pourrait poser de graves problèmes. Nous pourrions avoir créé une échappatoire pour les activités criminelles. Il se pourrait que des criminels et des organisations criminelles tirent profit de cette lacune dans la loi, ou que l’on accorde une importance exagérée aux mesures proposées par le ministre. Nous savons que la grande majorité des documents électroniques illégaux viennent du Web, des services infonuagiques ou de pièces jointes sur des serveurs de courrier électronique inaccessibles.
Est-ce qu’un nombre inférieur d’examens équivaut nécessairement à une occasion pour les criminels? Nous en savons peu à ce sujet, en partie parce que le gouvernement ne nous a fourni aucun détail ni aucune preuve ou analyse approfondie.
Néanmoins, chers collègues, en dépit de quatre réunions du comité sur ce projet de loi, je demeure incertain quant aux diverses implications potentielles.
Cela est d’autant plus troublant que le gouvernement cherche à introduire un concept juridique nouveau et non éprouvé dans le projet de loi S-7 et que ce concept sera très probablement contesté, ce qui entraînera une longue attente avant qu’un projet de loi à cet égard ne devienne une loi qui vaille.
Comme je l’ai indiqué, en proposant le projet de loi S-7, le gouvernement a essentiellement pris les politiques et pratiques existantes de l’Agence des services frontaliers du Canada en matière d’examen des appareils numériques personnels et il a simplement tenté de codifier ces pratiques dans la loi. Toutefois, ce faisant, il a proposé d’introduire le nouveau concept juridique de « préoccupation générale raisonnable ». On nous a fourni de l’information vague sur la manière dont ce nouveau critère juridique de « préoccupation générale raisonnable » fonctionnerait en réalité et sur ce qui en amènerait l’application. On nous a dit, par exemple, qu’il pourrait être appliqué en présence de divers indicateurs et d’un indicateur spécifique dans certaines circonstances. On nous a dit qu’il pouvait même être appliqué simplement en fonction du pays de départ initial.
Ces divers indicateurs, cet indicateur spécifique ou l’absence d’indicateur légitime pourraient s’avérer très différents selon l’agent de l’ASFC, peu importe la qualité de sa formation.
Cet indicateur en particulier ou ces quelques indicateurs pourraient être différents pour les contrôleurs américains. Ils sont formés au sein d’une culture organisationnelle différente. Ils ont peut-être travaillé précédemment à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. On peut comprendre que leur interprétation du concept de « préoccupations générales raisonnables » pourrait être bien différente de celle de leurs homologues canadiens.
Lorsque le ministre a comparu devant le comité sénatorial, il nous a dit que si un critère plus élevé — comme le critère bien connu et éprouvé par les tribunaux de « motifs raisonnables de soupçonner » — devait s’appliquer, il « compromettrait l’intégrité des frontières ». Il a dit que cela ne faisait aucun doute, mais il n’a fourni aucune donnée probante pour appuyer cette affirmation.
Comme l’a dit Michael Nesbitt de la Faculté de droit de l’Université de Calgary pendant son témoignage au comité :
[...] les agents des services frontaliers auront presque toujours raison de s’inquiéter de la possibilité que quelque chose soit importé illégalement au pays par un moyen ou un autre. Mais la cour a clairement dit dans l’affaire Canfield qu’il devait y avoir une norme, qu’elle a appelée un seuil [...]
Chers collègues, les « préoccupations générales raisonnables » ne constituent pas un seuil.
D’autres témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial, y compris les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée, ont fait remarquer que les droits à la vie privée qui sont touchés par l’examen d’un appareil numérique personnel devraient commander un niveau de protection bien plus élevé que les « préoccupations générales raisonnables », un concept mal défini.
Benjamin Goold, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, a expliqué qu’en exigeant d’avoir des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt que des « préoccupations générales raisonnables » avant d’entreprendre une fouille, cela permet d’établir un juste équilibre entre les intérêts divergents identifiés dans le rapport et ultérieurement par les tribunaux dans Canfield et Townsend.
Le concept de « motifs raisonnables de préoccupation » n’a pas fait ses preuves devant les tribunaux comme critère juridique, et si on introduit ce concept dans la loi, cela risquerait sans doute de présenter une incertitude juridique de façon prolongée à la frontière. Cet argument a été repris par un certain nombre de nos témoins experts, y compris par diverses associations des libertés civiles et par l’Association du Barreau canadien.
Brenda McPhail, directrice du Programme de confidentialité, de technologie et de surveillance de l’Association canadienne des libertés civiles, a été très claire en soulignant que son association appuierait fortement de telles contestations judiciaires concernant cette disposition du projet de loi.
De même, David Fraser, membre de la Section nationale du droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien, a dit au comité que la mise en place de « préoccupations générales raisonnables » augmenterait l’incertitude juridique. Il a fait remarquer que, dans les cinq ans, le Parlement devrait inévitablement revenir sur cette question, compte tenu de la probabilité d’une contestation judiciaire réussie.
Même si la seule possibilité de contestations judiciaires ne signifie pas que le gouvernement ne peut pas proposer une mesure législative particulière, il doit fournir des explications claires et des documents à l’appui pour expliquer pourquoi il choisit de le faire. Il n’y a pas grand-chose qui prouve que le gouvernement a pris au sérieux ces problèmes. Lors des témoignages, les représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada sont devenus les principaux témoins contre leur agence. Le projet de loi S-7 est leur document de politique qu’ils ne suivent même pas pleinement, mais qu’ils aimeraient maintenant adopter. Chers collègues, il a fallu 18 mois au gouvernement pour élaborer cette stratégie.
Les témoins nous ont tous dit les uns après les autres qu’on ne les avait pas consultés au sujet du projet de loi ou des concepts juridiques qu’il contient. David Fraser de l’Association du Barreau canadien a confirmé que personne au sein du gouvernement n’avait communiqué avec l’association, même si celle-ci avait fait un travail juridique considérable sur cet enjeu même. M. Fraser a admis volontiers qu’un nouveau concept juridique en deçà du critère des « motifs raisonnables de soupçonner » pourrait se justifier dans un contexte frontalier. Il a affirmé que les tribunaux pourraient bien faire preuve d’ouverture envers les nouveaux concepts. Toutefois, ces concepts nécessiteraient alors une meilleure explication de même qu’une discussion approfondie. Or, rien de cela ne s’est produit.
Dans l’ensemble, les témoins nous ont dit que le concept de « préoccupations générales raisonnables » ne résisterait pas à une contestation fondée sur la Charte. Benjamin Goold a dit ceci à propos de la norme actuelle :
Selon moi, si elle se retrouve devant la Cour suprême, d’après tout ce que nous avons vu relativement à la jurisprudence concernant l’article 7, elle serait rejetée, parce que je ne pense pas qu’elle soit suffisamment exigeante pour protéger les droits des personnes.
Le concept de « préoccupations générales raisonnables », sans cette discussion et cette explication élargies, mine complètement les efforts du gouvernement. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense n’a donc eu d’autre choix que de tenter d’améliorer le projet de loi en fonction des témoignages entendus. Voilà pourquoi il a choisi d’accepter l’amendement de la sénatrice Jaffer visant à remplacer l’expression « préoccupations générales raisonnables » par « motifs raisonnables de soupçonner » en ce qui a trait à l’examen des appareils numériques personnels.
Comme l’ont fait remarquer de nombreux sénateurs au comité, pas un seul expert indépendant ayant témoigné devant le comité n’a exprimé son appui à l’égard de la proposition du gouvernement d’instituer un critère de « préoccupations générales raisonnables » pour justifier l’examen des appareils numériques personnels.
Notre collègue le sénateur Dalphond a appuyé très éloquemment l’amendement de la sénatrice Jaffer et s’apprêtait en fait à proposer le même amendement si la sénatrice Jaffer n’avait pas proposé le sien. Le sénateur Dalphond a signalé que le critère des « motifs raisonnables de soupçonner » est un concept juridique très bien compris qui est nécessaire pour protéger la portée des droits à la vie privée auxquels porte atteinte l’examen des appareils numériques personnels.
Notre collègue le sénateur Dalphond a également proposé un autre amendement important qui met en évidence la question critique du secret professionnel, qui devrait être étendu à d’autres relations professionnelles. La question des communications professionnelles protégées est légitime et elle devrait être visée par un mécanisme plus robuste que celui actuellement prévu dans la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada et que ce qui était inscrit dans le projet de loi d’origine — ou, plutôt, qui n’avait absolument pas été abordé dans le projet de loi d’origine, qui ne comprenaient aucune restriction à ce sujet.
L’amendement soulignait à juste titre l’importance de s’assurer que les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada sachent exactement comment procéder à des fouilles à la frontière lorsque des informations privilégiées, que ce soit dans le contexte du secret professionnel ou celui d’autres renseignements sensibles dans diverses professions, doivent être protégées.
C’est également en raison des préoccupations des sénateurs en matière de protection des renseignements personnels que le Comité de la sécurité nationale et de la défense voyait d’un œil favorable l’amendement que j’ai proposé qui exigeait des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada qui fouillent un appareil numérique personnel qu’ils désactivent toute possibilité de connexion de l’appareil au moment de la fouille secondaire.
Honorables sénateurs, l’amendement proposé au comité visait à protéger les Canadiens et à assurer que l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada ou l’agent de précontrôle informe le voyageur, avant l’exécution de la fouille d’un appareil numérique personnel, qu’il a le droit de vérifier que son appareil sera fouillé en mode sans connexion.
(2200)
Chers collègues, vous vous souviendrez que, dans le cadre du discours que j’ai donné à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit que cela m’est arrivé et que je n’ai reçu aucun conseil de ce genre. Par conséquent, l’agent de l’Agence des services frontaliers a aisément fouillé mes dossiers bancaires.
Cet amendement vise à protéger les Canadiens en veillant à ce qu’ils soient informés de ce droit. Il ne change pas la politique actuelle de l’Agence des services frontaliers ni sa capacité à fouiller un appareil.
Par conséquent, mon amendement fait de la désactivation une condition préalable à toute fouille. Chers collègues, la nécessité d’informer les Canadiens de leurs droits est énoncée dans mon amendement.
Je crois que le projet de loi modifié dont nous sommes saisis est à tout le moins mieux structuré pour fournir le juste équilibre requis par le système judiciaire. Cela dit, je crains qu’il existe toujours des failles dans la sécurité frontalière.
Les préoccupations liées au profilage racial sont d’autres facteurs importants qui ont été mis en lumière au comité. Comme l’a dit Lex Gill, chercheuse au Citizen Lab de la Munk School of Global Affairs, lors d’une réunion de comité :
Les craintes de mes collègues concernant le profilage racial et religieux méritent également d’être répétées. La frontière est un environnement très stressant, où il y a peu d’information et une faible visibilité. C’est un environnement idéal pour que la combinaison de préjugés implicites et d’abus de pouvoir discrétionnaire qui donne lieu à de la discrimination [...] Les personnes qui traversent la frontière ont le droit de ne pas être assujetties à un contrôle invasif et inconstitutionnel de prime abord.
Sénateurs, le projet de loi S-7 risque de générer une situation où des indicateurs qui ne correspondent pas à un critère de motif raisonnable d’avoir des soupçons seront utilisés pour essentiellement empiéter sur les droits d’une personne en vertu de la Charte. Cela s’apparente au profilage racial.
Je suis d’accord avec le sénateur Yussuff, qui a déclaré au comité que de faibles critères signifient que n’importe quel facteur tel que la couleur de la peau, le nom, le fait d’être nerveux ou en sueur, peut être pris en compte et que cela conduira sans aucun doute à des abus.
Le fait est que, dans une situation où il existe des pouvoirs hautement discrétionnaires et vaguement définis, combinés à l’existence de préjugés raciaux et inconscients implicites, il est certain qu’il y aura des abus et des effets discriminatoires.
Madame Gill a poursuivi sur ce point en disant :
Le poste frontalier est un environnement où la situation évolue souvent rapidement, où les gens agissent avec peu de renseignements dans un contexte de stress élevé. C’est exactement le genre de scénario qui fait ressortir ce genre de suppositions implicites, de stéréotypes et de préjugés que les gens ne savent peut-être même pas qu’ils ont.
Sénateurs, nous avons appris, et les tribunaux nous l’ont dit, que l’enchâssement de questions opérationnelles dans la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada n’est tout simplement pas suffisant et n’a pas force de loi. Je crois que nous ne devrions pas aborder ces considérations opérationnelles dans le règlement, car il existe des raisons concrètes ne pas le faire.
Chers collègues, l’approche prudente et juste consisterait à établir le cadre dans la loi, à en débattre et à l’approuver de façon démocratique. En agissant autrement, on abandonne le droit constitutionnel à la protection de la vie privée à l’approche discrétionnaire qui se trouve dans le système de réglementation.
Il convient de noter que le gouvernement a inclus dans ce projet de loi un article qui réduit les amendes associées au fait de nuire au travail d’un agent des services frontaliers. Cette disposition, qui n’est assortie d’aucune explication, semble aller totalement à l’encontre de l’objectif avoué du gouvernement, qui consiste à veiller à ce que les agents des services frontaliers puissent remplir efficacement leur mandat.
Le gouvernement n’a manifestement fait aucun effort pour concevoir une approche holistique à ce sujet. Je crois qu’il est essentiel que le gouvernement essaie au moins d’agir en ce sens tandis que ce projet de loi chemine à l’autre endroit.
Nous avons besoin d’un régime juridique à la frontière qui permettra aux agents des services frontaliers de régler un problème très précis sans empiéter inutilement sur les droits plus vastes à la protection de la vie privée des citoyens. C’est à nous qu’il revient en tant que législateurs de surveiller étroitement la situation pour déterminer si le gouvernement accomplit bel et bien le travail que les tribunaux lui ont demandé d’accomplir.
Chers collègues, comme nous l’avons entendu plusieurs fois, surtout au comité, tous les niveaux judiciaires ont dit sans ambiguïté qu’en ce qui a trait aux fouilles des dispositifs numériques, cela peut représenter une atteinte importante à la vie privée. Cela n’a aucun sens de créer une norme inférieure — ou, comme je l’ai dit, de n’avoir aucune norme à la frontière —, car cela entraînera sans aucun doute des contestations fondées sur la Charte.
Comment le gouvernement peut-il justifier une fouille plus invasive en respectant une norme inférieure?
Les sénateurs membres du Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense ont posé les bonnes questions. Les témoins nous ont dit que le projet de loi comportera de graves lacunes s’il est adopté dans sa version originale.
J’espère et je suis persuadé que tous les sénateurs mèneront à bien le travail qu’ont entrepris les membres du comité et ceux qui ont pris la parole au sénat pour envoyer un message très clair au gouvernement qu’il doit faire mieux. Le projet de loi, tel que modifié au comité, constitue un grand pas dans cette direction. Merci.
La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, aujourd’hui, j’aimerais aborder le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Premièrement, je remercie la sénatrice Boniface d’avoir parrainé le projet de loi S-7 et agi comme porte-parole des travaux connexes. Je remercie aussi le sénateur Dean de son excellent travail à la présidence du comité.
Honorables sénateurs, jusqu’à tout récemment, il n’y avait pas de cadre pour déterminer comment les agents des douanes doivent exécuter les vérifications des appareils numériques personnels.
En 2020, un jugement de la Cour d’appel de l’Alberta, l’arrêt Canfield, a statué que le gouvernement doit modifier la Loi sur les douanes afin d’inclure des paramètres pour la vérification des appareils numériques personnels à la frontière.
J’aimerais vous donner quelques exemples de ce qui est prévu à l’heure actuelle dans la Loi sur les douanes :
Pour procéder à une fouille sur une personne, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille sur des marchandises quand il y a erreur sur la classification, la valeur ou la quantité, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille sur des marchandises quand il y a erreur sur l’origine, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour examiner des marchandises quand une infraction est probable, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Pour mener une fouille dans un véhicule, que ce soit un camion ou un train ou autre, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Et pour faire des fouilles dans le courrier, honorables sénateurs, les agents des services frontaliers se fondent sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Le projet de loi S-7 a été rédigé dans le but d’ajouter le nouveau critère à la Loi sur les douanes. Le ministre de la Sécurité publique et deux représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada sont venus au comité pour présenter ce nouveau critère, selon lequel un agent des services frontaliers doit avoir une « préoccupation générale raisonnable ».
Sénateurs, le sénateur Boehm a demandé plusieurs fois quelle formation les agents frontaliers américains recevraient au sujet du précontrôle. Comment apprendront-ils cette notion de « préoccupation générale raisonnable »? Ce nouveau critère suppose que les agents frontaliers utilisent les indicateurs décrits dans les règlements pour fouiller dans les appareils numériques personnels des voyageurs.
On nous a dit que les indicateurs allaient du comportement d’un voyageur — qui a l’air nerveux ou agité, évite de croiser le regard d’un agent, se déplace constamment, bégaie et transpire — jusqu’à la découverte d’appareils dans ses bagages. Un autre indicateur consiste à savoir si le pays d’origine du voyageur est connu pour des problèmes de pornographie juvénile.
Tous les indicateurs n’ont toutefois pas été présentés au comité. On nous a dit qu’il ne serait pas sécuritaire d’en fournir la liste complète à un comité sénatorial. À titre de musulmane et de femme de couleur, je m’inquiète toutefois, honorables sénateurs, de la façon dont ces indicateurs seront utilisés. J’ai aussi une idée de ce à quoi pourraient ressembler ces indicateurs secrets.
Depuis que j’ai posé cette question, de nombreux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada m’ont parlé en privé et m’ont dit que mes préoccupations étaient très légitimes. Les préoccupations qui n’ont pas été mentionnées au comité sont souvent celles qu’éprouvent les agents de sécurité frontalière.
La sénatrice Boniface a réaffirmé que le critère de « préoccupation générale raisonnable » transposera dans la loi ce que les agents frontaliers font déjà. Cependant, nous avons entendu en comité de nombreux témoins affirmer que ce critère ne permettra pas d’établir un juste équilibre entre les préoccupations de sécurité nationale et le droit à la vie privée des voyageurs.
En fait, 11 des témoins dignes de foi ont appuyé l’adoption d’un critère plus strict. Mme St. Germain du Centre canadien de protection de l’enfance a déclaré que le critère de « préoccupation générale raisonnable » est adéquat. Je vais le répéter, sénateurs. Elle a même affirmé que le critère de « préoccupation générale raisonnable » est adéquat pour l’examen des appareils numériques personnels à la frontière.
(2210)
Elle a poursuivi ainsi :
Le critère du soupçon raisonnable est connu et compris en droit pénal. Nous comprenons qu’il a également été utilisé dans le contexte des frontières.
Et plus tard, elle a déclaré à propos des délinquants traversant la frontière avec de la pornographie juvénile sur leurs appareils numériques personnels :
[...] des « motifs raisonnables de soupçonner » permettront probablement d’attraper de nombreuses personnes potentiellement coupables.
Sénateurs, la semaine dernière dans cette enceinte, le sénateur Dean et moi-même avions des interprétations différentes des réponses de Mme St. Germain en comité. Après avoir examiné la transcription de son témoignage, j’admets que ses réponses étaient ambiguës. Elle ne semblait pas affirmer ouvertement que le critère de « préoccupation générale raisonnable » était celui qu’elle soutenait, mais elle a dit que les « motifs raisonnables de soupçonner » étaient quelque chose qui fonctionnerait.
Je reconnais que ses propos étaient ambigus. Mais à part elle, les 11 autres témoins ont déclaré leur position avec beaucoup de fermeté.
Comme je l’ai dit plus tôt au sénateur Gold, le comité directeur assure toujours un équilibre des témoins entre les deux points de vue. Notre comité directeur travaille très fort. S’il avait trouvé quelqu’un qui appuie le critère des « préoccupations générales raisonnables », il l’aurait fait témoigner au comité.
Honorables sénateurs, une chose est certaine, tous les 11 témoins ont insisté pour appuyer un amendement raisonnable consistant à remplacer le critère des « préoccupations générales raisonnables » par le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Ces témoins ont une vaste expérience dans ces dossiers et ont fait des recherches approfondies. Par conséquent, même si le gouvernement voulait enchâsser dans la loi le nouveau critère des « préoccupations générales raisonnables », les témoins préfèrent le critère des « motifs raisonnables de soupçonner », sauf le ministre de la Sécurité publique et ses fonctionnaires de l’ASFC.
Le critère des « préoccupations générales raisonnables » est tout à fait nouveau en droit canadien, et nous n’avons pas réussi à trouver quoi que ce soit dans le droit étranger qui utilise un tel critère.
Mme Lex Gill, une chercheuse de l’École Munk des affaires internationales, a expliqué ce qui suit au sujet du critère des « préoccupations générales raisonnables », et je cite :
[…] non seulement ce genre de norme générale ouvre la porte à la discrimination de certains groupes et à l’utilisation des caractéristiques propres à certains groupes comme prétexte pour arrêter et questionner une personne et fouiller ses appareils, mais ce sont aussi des pouvoirs qui sont difficiles à revoir après coup […]
Michael Nesbitt, professeur associé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary, a dit ce qui suit :
[...] Il vaut mieux établir une norme claire dès maintenant. Cette norme claire pourrait certainement être celle des motifs raisonnables de soupçonner et, à mon avis, devrait probablement l’être. C’est une norme souple, qui permet beaucoup de nuances, y compris une nuance différente à la frontière. Comme la Cour suprême l’a dit récemment dans l’arrêt Stairs, elle exige « un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné ».
[Français]
Le conseiller juridique principal du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, M. Regan Morris, a affirmé ce qui suit :
Je comprends que l’intention est d’avoir une norme inférieure à celle des motifs raisonnables de soupçonner. À notre avis, cela ne créera pas un bon équilibre entre la protection de la vie privée et les autres intérêts de l’État.
[Traduction]
M. Regan Morris a par la suite ajouté :
Nous insistons sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Stairs, rendue il y a quelques semaines, qui souligne la souplesse de la norme. Il s’agit d’une norme qui tient compte de l’ensemble des circonstances et qui se veut souple. Il est voulu qu’elle soit moins élevée que celle des motifs raisonnables de croire. Elle repose sur les faits, elle est d’application souple et elle procède du bon sens.
M. David Fraser, ancien président de la Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien, a expliqué :
[...] une préoccupation générale raisonnable n’est pas une norme, quel que soit le type de fouille. Je n’en sais pas plus que vous, mais on a plutôt l’impression que le critère est le sixième sens des agents.
Pantea Jafari de l’Association canadienne des avocats musulmans a dit :
[...] Cette norme est non seulement sans fondement juridique, mais elle est également trop vaste dans sa portée et trop peu définie, comme d’autres témoins l’ont expliqué plus en détail, notamment aujourd’hui. Le caractère trop général de la norme proposée donnera lieu à une application arbitraire. Elle aboutira sans aucun doute à la fouille injustifiée de toutes sortes de gens et sera appliquée de façon disproportionnée aux communautés minoritaires et aux communautés en quête d’équité.
Tim McSorley de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles a dit des « motifs raisonnables de soupçonner » :
[...] c’est une norme que l’on connaît. C’est une norme claire. C’est une norme qui est déjà appliquée au courrier, et cela devrait, comme nous l’avons souligné, être clairement considéré comme la même chose que les appareils numériques que les gens transportent avec eux lorsqu’ils traversent la frontière.
Au sujet de la possibilité offerte par la décision Canfield, M. McSorley a fourni l’explication suivante :
Les tribunaux ont [...] ouvert la porte à un seuil plus faible. Cependant [...] cela ne veut pas dire que ce seuil plus faible serait approprié. Les tribunaux ne cherchaient pas à trancher cette question-là.
Meghan McDermott, de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a fourni cette explication :
[...] nous [n’appuyons] pas le nouveau seuil des préoccupations générales raisonnables proposé dans le projet de loi S-7. Nous nous rangeons du côté des témoins ici présents aujourd’hui ainsi que de nombreux autres, y compris le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, pour recommander que la loi reflète le seuil plus élevé et mieux connu des motifs raisonnables de soupçonner.
Brenda McPhail, de l’Association canadienne des libertés civiles, était du même avis.
Honorables sénateurs, après avoir entendu les témoins, votre comité a établi que l’application de la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » à l’examen des appareils numériques personnels est conforme à la Loi sur les douanes, et qu’elle permet d’atteindre le juste équilibre entre la sécurité frontalière et le droit à la protection de la vie privée.
Comme l’a expliqué la sénatrice Simons dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, les décisions rendues dans les affaires R. c. Plant, R. c. Cole et R. c. Fearon, entre autres, nous rappellent que plus l’information se rapproche de l’ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel, plus le gouvernement doit protéger l’article 8 de la Charte.
Dans un même ordre d’idées, la Cour suprême a écrit, dans R c. Morelli qu’il est difficile d’imaginer une fouille plus attentatoire à la vie privée que celle d’un ordinateur personnel.
Honorables sénateurs, j’espère que vous serez d’accord avec moi pour dire que les appareils personnels doivent être protégés au même degré qu’un envoi postal et que les « motifs raisonnables de soupçonner » sont le bon critère à appliquer.
Honorables sénateurs, je suis très fière d’être membre du Comité de la défense nationale qui a adopté un amendement pour modifier ce critère, car je crois fermement que les membres du comité ont entendu les différents témoins et eu le courage d’apporter l’amendement qui s’imposait.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, le directeur général de la Fondation canadienne des relations raciales nous a dit, au Comité des droits de la personne, qu’on le sélectionnait toujours pour une fouille à la frontière chaque fois qu’il arrivait au Canada et qu’il était pétrifié à l’idée de ce qui pourrait lui arriver parce qu’il est musulman, jusqu’à ce qu’il obtienne une carte NEXUS.
Sénateurs, le Sénat a le devoir de protéger les minorités. Si nous ne protégeons pas les droits des minorités, qui le fera? Merci beaucoup.
L’honorable Peter Harder : Je prends la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Toutefois, je le fais avec réticence, vu l’amendement de fond concernant le critère justifiant une fouille qui a été apporté au projet de loi à l’étape de l’étude en comité et que le Sénat a approuvé à l’étape du rapport.
(2220)
À mon avis, cet amendement créera un risque inutile par rapport à l’importation de matériel obscène et dangereux dans notre pays, à la victimisation et à la revictimisation des enfants dans ce type de matériel, en plus d’alourdir le fardeau des agents frontaliers pour protéger ces enfants ainsi que la société canadienne.
De plus, je pense que cet amendement va à l’encontre des intentions précises et claires d’un gouvernement dûment élu. Dans un sens, nous dépassons notre rôle.
Comme vous le savez tous, le projet de loi dont nous sommes saisis établit une nouvelle norme plus élevée qui doit être respectée pour que des agents frontaliers puissent examiner en toute légalité les appareils numériques personnels des voyageurs qui pourraient contenir du matériel prohibé. Une norme s’impose compte tenu des décisions qui ont été rendues, comme il a été mentionné, par les tribunaux de l’Alberta et de l’Ontario. La question qui nous occupe est de savoir quel est le juste équilibre et, de mon point de vue, qui est le plus habilité à l’établir.
La version initiale, non amendée, du projet de loi a été bien défendue par sa marraine, la sénatrice Boniface, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture en avril dernier et dans son discours à l’étape du rapport la semaine dernière. Je suis d’accord avec elle : le projet de loi initial avait trouvé le juste équilibre en protégeant la vie privée des voyageurs tout en accordant la capacité aux agents frontaliers d’appliquer les lois interdisant les biens prohibés qui incluent la pornographie juvénile et d’autres types de matériel obscène.
Comme la sénatrice Boniface, je m’opposais aussi à l’amendement apporté par le comité, qui relève le critère prévu dans le projet de loi initial prescrivant dans quelles conditions un appareil numérique personnel peut être examiné. Pour tout dire, le gouvernement croit que le nouveau critère proposé dans l’amendement — qui prévoit qu’un examen d’un appareil numérique personnel peut être effectué lorsqu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt qu’une « préoccupation générale raisonnable » — est trop élevé, et je partage cette crainte.
À mon avis, l’amendement pourrait rendre plus difficile d’interdire l’importation de matériel dangereux, comme de la pornographie juvénile, des images d’agression sexuelle, de la littérature haineuse ou des preuves de trafic de drogue. Si le gouvernement était en faveur de cet amendement, il l’aurait inclus dans le projet de loi initial.
Une bonne partie du débat sur le projet de loi a tourné autour de la nécessité d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et la protection de la société canadienne. C’est ce qu’il fallait faire. J’ajouterais cependant que la question d’équilibre doit être envisagée dans le contexte des torts causés aux victimes. Leur droit d’être en sécurité et de ne pas être exploitées par la circulation récurrente de ces images nocives devrait faire partie de cet équilibre.
Lors de sa comparution devant le comité, Monique St. Germain, l’avocate générale du Centre canadien de protection de l’enfance, a souligné qu’entre 2010 et 2020, Statistique Canada a constaté une augmentation de 488 % du nombre d’images et de vidéos montrant l’exploitation sexuelle d’enfants. Ce chiffre me préoccupe grandement. J’aimerais citer Mme St. Germain :
Dans le cadre de l’étude du projet de loi, jusqu’ici, on a beaucoup mis l’accent sur la protection de la vie privée des voyageurs. Ce qui n’a pas encore été examiné, c’est la protection de la vie privée et de la sécurité des enfants qui figurent dans du matériel pédopornographique. Nous vivons dans un monde où du matériel horrible de ce genre peut être facilement stocké et dissimulé dans un appareil qu’on range dans sa poche puis diffusé partout dans le monde mondial par le truchement de sites Web, d’applications cryptées et du Web invisible.
Les enfants exploités dans ces images comptent sur nous pour les protéger, car ils n’ont aucun pouvoir pour empêcher que de tels contenus soient passés en contrebande à la frontière.
La surabondance de ce genre de contenu nécessite que les agents frontaliers disposent de la flexibilité maximale que la loi permettra. Par exemple, l’un des cas à l’origine de la nécessité de créer un critère concerne une personne qui possédait un total de 4 411 photos et de 53 vidéos de pornographie juvénile dans ses appareils. Il se trouve que sa condamnation et celle d’un autre homme au centre de cette affaire ont été maintenues, et ce, même si les droits garantis par la Charte ont été violés.
Permettez-moi de donner quelques exemples des méthodes utilisées par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada.
Dans une affaire transmise à notre bureau, cela concernait un citoyen canadien de sexe masculin qui était revenu au Canada après un voyage d’une journée aux Philippines, où on lui avait été refusé l’entrée après qu’il ait été inscrit au registre des délinquants sexuels en raison d’un incident précédent qui avait eu lieu aux États-Unis. Il a été fouillé et on a trouvé une image de pornographie juvénile. La GRC a été appelée.
Dans un autre cas, cela concernait un individu revenant de Thaïlande. On l’a renvoyé à un deuxième agent en raison de son long séjour dans un pays bien connu pour le tourisme sexuel. L’individu s’est montré nerveux; il bégayait, il transpirait et il se balançait pendant la fouille de son sac. Lorsqu’il a refusé de répondre à des questions sur le contenu de ses appareils numériques, les agents ont procédé à une fouille et ils ont trouvé des images et des vidéos de la pornographie juvénile. Ces examens auraient-ils eu lieu avec cet amendement? Si la réponse est non, alors il doit être repensé.
Il est intéressant de savoir que, si l’Agence des services frontaliers du Canada peut fouiller des appareils numériques pour différents motifs liés à la contrebande, la sous-évaluation de marchandises, la traite de personnes, les drogues ou le blanchiment d’argent, au moins 40 % des articles de contrebande trouvés comprennent la saisie de pornographie juvénile.
Un des éléments qui ont un peu été passés sous silence dans le débat au sujet du projet de loi est le rôle de ce dernier pour favoriser l’atteinte des objectifs généraux de l’Agence des services frontaliers du Canada. Dans la page des mandats du ministère de la Sécurité publique, on mentionne que l’un des principaux objectifs de l’agence est d’intercepter, à la frontière, les personnes et les marchandises qui pourraient présenter une menace pour le Canada. Je crois qu’opter pour un seuil plus élevé rendrait la tâche plus compliquée à l’agence, alors que le projet de loi vise le contraire.
D’ailleurs, comme l’Agence des services frontaliers du Canada est contrainte d’utiliser un seuil plus élevé en Alberta en Ontario tant qu’une loi n’aura pas été adoptée, l’application est touchée. Le ministre Mendicino et les fonctionnaires du ministère sont venus en témoigner au comité. C’est encore récent, mais d’après le vice‑président de l’Agence des services frontaliers du Canada, Scott Millar, les fouilles dans ces deux provinces ont diminué d’environ 60 %. On peut présumer d’après ces chiffres que, si le seuil plus élevé avait été mis en place avant que tranchent les tribunaux, au moins une partie des personnes qui auraient été prises auparavant auraient traversé les douanes sans que leur contrebande soit repérée.
Le passage de l’été nous permettra de mieux comprendre si ces chiffres plus bas reflètent une tendance et si une réduction des fouilles équivaut à une réduction correspondante de l’interdiction de la contrebande.
J’aimerais maintenant aborder brièvement les questions de protection de la vie privée soulevées par certains de nos collègues, qui ont plaidé en faveur de l’amendement en disant que le projet de loi original ne résistera pas à l’examen constitutionnel, ce qui le condamne à une contestation constitutionnelle à très court terme sur laquelle un jugement pourrait se faire attendre pendant des années. Avec tout le respect que je vous dois, chers collègues, une opinion, même de notre auguste assemblée, n’est pas nécessairement indicative de la façon dont la Cour suprême du Canada se prononcerait, et nous ne devrions pas supposer que nous savons ce que les tribunaux diront. Je ne suis pas à l’aise lorsque nous opposons nos opinions à celles du gouvernement, qui s’appuie sur son propre groupe d’experts constitutionnels. Je ne suis pas un expert constitutionnel, il me semble donc plus sage de laisser les tribunaux décider tandis que les législateurs s’en remettent à l’intention très claire du gouvernement.
Nous pouvons ne pas être d’accord avec l’équilibre que le gouvernement a trouvé et préférer utiliser des critères qui penchent davantage du côté de la protection de la vie privée, mais le gouvernement a ouvertement rejeté cette option en adoptant des critères qui ne sont pas aussi sévères que ceux souhaités par le comité sénatorial, bien qu’ils soient plus stricts que ce qui était en place.
La cour de l’Alberta elle-même a déclaré qu’il semblait y avoir de la place pour cette approche intermédiaire :
[À] notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.
Chers collègues, cela indique à tout le moins que les tribunaux vont envisager un critère inférieur à celui du « soupçon raisonnable » lorsqu’ils entendront eux-mêmes des arguments à l’avenir.
J’ajouterai que les amendements proposés par les sénateurs Dalphond et Wells sur le secret professionnel et la connectivité réseau, de même que la proposition de règlement du gouvernement permettront de rendre plus rigoureuses les décisions concernant les interventions à la frontière. Peut-être que c’est à des changements de ce genre que la cour avait pensé en laissant entendre qu’un critère inférieur à celui de « soupçon raisonnable » pourrait être acceptable.
Je note également que le seuil initial dans ce projet de loi est plus élevé que celui qui existe dans de nombreuses autres administrations aux systèmes juridiques semblables au nôtre, y compris aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni. Le fait que ce projet de loi sera certainement contesté devrait offrir une certaine consolation à ceux qui croient qu’il va trop loin dans un sens ou dans l’autre.
Je reconnais néanmoins que notre rôle est rendu un peu plus difficile par le fait que ce projet de loi provient à l’origine du Sénat et non de l’autre endroit. En tant que Chambre de second examen objectif, je préfère que des projets de loi aussi importants nous parviennent après que nos collègues de l’autre endroit les aient étudiés et qu’ils y aient apporté leurs propres changements au besoin. Cela aurait pu nous guider.
Malgré mes réserves, je crois que ce projet de loi doit être adopté, ne serait-ce que parce que deux processus d’application de la loi s’opposent au pays en ce moment, ce qui crée une inégalité en droit qu’il faut corriger le plus rapidement possible.
(2230)
Qui plus est, cet enjeu est très important pour notre relation avec les États-Unis. Notre pays vise depuis longtemps à mettre en place des politiques pour améliorer et harmoniser la circulation à la frontière. Le resserrement du contrôle à la frontière entre le Canada et les États-Unis est un problème qui devrait être une priorité pour tous les législateurs. Les choses deviendront d’autant plus compliquées si nous sommes perçus comme incapables d’accorder nos violons.
J’ajoute que de nouvelles technologies mettent quotidiennement en question la sécurité de notre frontière. C’est un aspect qui nécessite beaucoup de souplesse de la part de l’Agence des services frontaliers. Ce projet de loi met en évidence les défis que nous devons relever. Il serait peut-être temps d’avoir une discussion plus élargie et plus approfondie sur la mise à jour de notre plan de sécurité. La tragédie du 11 septembre est loin derrière nous, mais nous n’avons pas tenu de discussions exhaustives sur la sécurité depuis.
Si vous me le permettez, j’aimerais terminer en vous disant que, malgré les inquiétudes légitimes exprimées à propos de la vie privée et des menaces liées aux activités criminelles, par exemple l’importation de matériel de pornographie infantile, je crois que nos agents des douanes exécutent leurs fonctions avec discernement, sauf exception, et qu’ils vont continuer de remplir leur rôle avec efficacité d’ici à ce que le projet de loi soit adopté ce qui, nous l’espérons, se fera rapidement. Merci.
L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), concernant l’examen des appareils numériques personnels à la frontière.
Tout d’abord, je tiens à préciser que j’approuve la version initiale du projet de loi S-7, mais pas la version avec les amendements devant nous. Peut-être que nous pouvons convenir de ne pas être d’accord, mais je veux commencer par présenter mes arguments puis, vous faire part de mon expérience.
[Français]
Je ne suis pas avocate, mais je suis une bonne élève de l’école du gros bon sens, comme on le dit chez nous.
[Traduction]
Cela doit prévaloir en toute chose. Le projet de loi est nécessaire en réponse à une décision de la cour. Dans les affaires R. c. Canfield et R. c. Townsend, la Cour d’appel de l’Alberta a statué que l’absence de loi et de seuil permettant l’examen des appareils numériques personnels, par exemple lorsqu’un agent de l’Agence des services frontaliers fouille la valise de quelqu’un, est actuellement inconstitutionnelle en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
C’est parce que l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes n’impose aucune limite à la fouille de ces appareils. Les tribunaux n’ont pas fixé de seuil pour la fouille des appareils numériques, mais ont plutôt reconnu qu’un seuil inférieur est plus raisonnable que ce qui est actuellement prévu par la loi pour les marchandises dans ces circonstances et ils ont laissé au gouvernement le soin de créer ce seuil.
Contrairement à certaines déclarations faites au Sénat la semaine dernière, les tribunaux n’ont pas ordonné au Parlement d’adopter les mêmes dispositions cohérentes que celles à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, c’est-à-dire pour les marchandises et les envois, entre autres.
Je répète que la Cour a précisé qu’un seuil inférieur serait raisonnable et devrait être mis en place par le Parlement. Les tribunaux ont même précisé que les appareils numériques n’étaient pas considérés comme des marchandises en vertu de la Loi sur les douanes. Essentiellement, l’argument invoqué au Sénat la semaine dernière contredit la décision des tribunaux.
Soit dit en passant, j’aimerais aussi soutenir que, à un certain degré, nos propres délibérations présentent un certain manque de cohérence. Il n’y a pas si longtemps, nous avons accepté les contrôles routiers de dépistage d’alcool sans imposer aucun critère de protection des citoyens canadiens.
En modifiant le projet de loi S-7 d’origine pour remplacer « des préoccupations générales raisonnables » par « des motifs raisonnables de soupçonner », nous ne respectons pas en réalité la volonté de la décision du tribunal. Nous établissons un critère plus élevé, soit celui qui s’applique aux fouilles à nu. La fouille d’un appareil numérique n’est certainement pas comparable à une fouille à nu.
Je soulignerais également que le critère « des préoccupations générales raisonnables » est le critère élevé qu’il faut satisfaire pour accorder un mandat de perquisition pour fouiller une résidence, ce qui exige parfois plusieurs semaines de cueillette de données et de preuves de la part des policiers.
Ainsi, avec le projet de loi modifié qui précise « des motifs raisonnables de soupçonner », on peut s’attendre à ce que les frontières soient paralysées par des queues longues, voire très longues, ou qu’elles soient ouvertes aux criminels ciblés. À mon avis, les deux options sont inacceptables.
Soulignons aussi que les tribunaux n’ont pas parlé du profilage racial dans le contexte de la fouille d’appareils numériques, probablement parce qu’aucun élément de preuve à cet égard n’a été présenté pendant les deux contestations judiciaires. Ajoutons que le projet de loi S-7, tel qu’amendé, ne fait absolument rien pour éliminer les risques de racisme. La sensibilisation demeure la meilleure façon de vaincre le racisme, quel que soit le contexte. L’amendement portant sur le critère ne règle aucunement le problème de racisme qui existe dans l’organisation en question. Il s’agit, en toute franchise, de deux enjeux différents.
J’admets qu’il n’est pas agréable de se faire poser des questions et de devoir subir un contrôle secondaire. Malgré cela, lorsqu’on souhaite quitter un pays ou y entrer, que ce soit le sien ou un pays étranger, on se plie à ces exigences et on respecte le mandat des agents des services frontaliers qui font respecter les lois de leur pays. La protection des frontières est l’un des volets essentiels de la sécurité du Canada et des Canadiens. À cette fin, il est crucial que les agents des services frontaliers soient en mesure d’évaluer, et parfois d’inspecter, des appareils numériques personnels.
Je reconnais qu’il faut trouver un juste équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée. Je dirais toutefois que la sécurité des Canadiens passe toujours avant la protection de ma vie privée.
Rappelons que les fouilles en question sont extrêmement limitées, et ce, même en l’absence des restrictions qui étaient prévues à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
D’après les données de l’Agence des services frontaliers, du 20 novembre 2017 au 31 décembre 2021, une période d’environ quatre ans, les appareils de 0,013 % des voyageurs traités à la frontière ont été examinés. Nous faisons tout un plat pour 0,013 % des voyageurs. Parmi ces fouilles, 37,3 % ont permis de repérer des infractions, par exemple du blanchiment d’argent, de la pornographie juvénile et des biens non déclarés. Bref, il y a eu 253 509 912 voyageurs, 33 373 examens d’appareils numériques, et 12 457 infractions repérées.
Le cadre prévu à l’origine dans le projet de loi était raisonnable, étant donné l’accès limité qu’ont les agents et le peu de temps qu’ils passent avec les voyageurs. Il est bien établi que les attentes sont inférieures en matière de protection de la vie privée aux frontières, qu’il s’agisse des nôtres ou celles d’un autre pays.
(2240)
Le nouveau critère de « préoccupations générales raisonnables » ne donne pas carte blanche pour fouiller les téléphones de tout le monde. Il est limité au contexte spécifique de la sécurité des frontières et ne peut être utilisé en dehors de ce contexte. Il doit y avoir des motifs pour la fouille et ces motifs doivent être soumis à un contrôle. Les agents doivent avoir des raisons individualisées et spécifiques à la personne et à l’appareil.
Ce nouveau critère comporte trois aspects : raisonnables, générales et préoccupations. « Raisonnables », je pense que nous pouvons tous être d’accord. Les indices doivent être factuels et objectifs. C’est un terme bien établi en droit. « Générales » est le principal point de discorde, mais les tribunaux eux-mêmes ont reconnu qu’un critère plus faible était nécessaire. On ne peut pas générer des soupçons aussi spécifiques que dans d’autres circonstances. « Générales » constitue une réponse raisonnable à cet état de fait. De même, avec « préoccupations », on reconnaît le fait que le seuil de suspicion est trop élevé pour les circonstances, comme c’est le cas pour une fouille à nu ou des mandats de perquisition.
Les seuils plus élevés qui sont employés dans d’autres circonstances ne fonctionneraient pas dans ce contexte. Les agents ont très peu de temps pour interagir avec les gens. Ils doivent prendre rapidement des décisions qui ont une grande incidence sur la sécurité nationale. Ils ont besoin d’outils adaptés à ce travail exigeant, et le nouveau seuil de préoccupations générales raisonnables en fait partie. C’est ce qu’on a fait. On a apporté ce changement.
Dans l’ensemble, l’imposition d’exigences coûteuses affaiblirait nos mesures frontalières et empêcherait nos agents de faire leur travail. Nous avons entendu dans cette enceinte que les agents frontaliers doivent exercer un meilleur contrôle à la frontière. Cette version amendée du projet de loi S-7 leur donne-t-elle de meilleurs outils pour faire leur travail? Je ne le pense pas. Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada sont formés pour observer et pour cerner les facteurs qui donnent lieu à des préoccupations générales raisonnables. Ces politiques sont déjà en place au sein de l’agence, et le projet de loi initial les aurait inscrites dans la loi. On exige aussi que les agents des services frontaliers prennent des notes détaillées qui peuvent être examinées plus tard. On a beaucoup débattu de cette question au comité, et je suis surpris que le comité ne se soit pas montré réceptif à un nouveau concept.
Avant la décision de la cour, les fouilles étaient limitées, comme l’indiquent les statistiques de l’Agence des services frontaliers du Canada. À ce moment-là, il n’y avait pas de cadre législatif. Ce nouveau seuil aurait inscrit les pratiques en vigueur dans la loi. On ne parle pas d’abaisser les normes, mais d’inscrire des pratiques dans la loi.
De plus, en ce qui concerne l’examen des actions des agents de l’ASFC, le gouvernement a récemment présenté un projet de loi, le projet de loi C-20, afin de créer une nouvelle commission d’examen et de traitement des plaintes du public, pour remplacer la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, et lui accorder de nouveaux pouvoirs pour traiter les plaintes relatives à l’ASFC. Le projet de loi propose de 112 millions de dollars sur une période de cinq ans et plus de 19 millions de dollars par année. De plus, les organismes visés par la nouvelle commission seront tenus de répondre à ses rapports provisoires dans les six mois.
Honorables sénateurs, je suis rendue au moment de mon discours où je révélerai que, quand j’étais étudiante, j’ai travaillé comme agente des services frontaliers en 1982 et en 1983. Oui, c’était il y a 40 ans, quand il n’y avait pas d’appareils numériques. Les gens avaient des portefeuilles, des sacs à main et des porte-documents physiques avec eux. Lors des inspections secondaires, nous leur demandions de vider leurs portefeuilles, leurs sacs à main et leurs porte-documents. Vous seriez vraiment étonnés des véritables infractions que je pouvais deviner à partir de ces trois contenants : les portefeuilles, les sacs à main et les porte-documents.
Cependant, aujourd’hui, 40 ans plus tard, la plupart d’entre nous transportons des appareils numériques.
Chers collègues, puis-je avoir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps de parole de la sénatrice Ringuette est écoulé. Elle demande cinq minutes de plus. Que les sénateurs qui s’y opposent veuillent bien dire non.
La sénatrice Ringuette : Merci. Cependant, aujourd’hui, la plupart d’entre nous transportons des appareils numériques et nous avons décidé — c’est une décision qui nous appartient à nous seuls — d’y intégrer ce que contenaient nos portefeuilles, nos sacs et nos porte-documents. C’est un choix personnel. On choisit son appareil. On choisit ce qu’on y met en sachant qu’il peut être piraté, entre autres choses.
La seule différence, c’est qu’aujourd’hui toute cette information est contenue dans un seul appareil. J’insiste sur ce fait : ce que nous mettons dans cet appareil est notre choix. Cela dit, honorables sénateurs, un reçu sur votre appareil électronique n’est pas différent du reçu papier que vous transportiez en 1982 dans votre portefeuille. L’information est la même; seul le contenant est différent. Il vous faut en être conscients.
Sans donner de nom, je vais présenter deux scénarios différents d’un petit poste frontalier entre le Nord du Nouveau-Brunswick et l’État du Maine. Vous pourrez juger par vous-mêmes.
Le premier scénario : un monsieur âgé arrive à la frontière dans un gros camion noir, il porte des vêtements militaires, montre son passeport américain et dit qu’il est un ancien général américain. C’est ce qu’il dit à l’agent, qui lui demande : « D’où venez-vous et où allez-vous au Canada? » La réponse est : « Je suis de New York et je vais à Montréal. » Ce à quoi l’agent demande : « Allez-vous rendre visite à de la famille ou à des amis dans cette région? » « Non », répond-il. Alors, instantanément — il faut réagir en une fraction de seconde —, l’agent se pose la question : pourquoi aurait-il parcouru tous ces kilomètres supplémentaires pour aller à Montréal en passant par le Maine et le Nouveau-Brunswick? Il est donc dirigé à l’inspection secondaire où l’on découvre qu’il a caché dans son camion un chargement d’armes illégales qu’il faisait passer en fraude pour les gangs de Montréal.
Le deuxième scénario : un prêtre canadien du Nouveau-Brunswick arrive au même poste frontalier. Il revient au Canada après avoir assisté à un congrès aux États-Unis. Il avait un porte‑documents sur le siège du passager, et il soutenait n’avoir rien à déclarer. Il avait l’air tout offusqué qu’on ose lui poser cette question à deux reprises. Il a fait l’objet d’un contrôle secondaire, où les agents ont trouvé de la pornographie juvénile dans son porte‑documents. Il a été poursuivi, déclaré coupable et incarcéré.
(2250)
Honorables sénateurs, dans ces deux scénarios, des agents ont envoyé des gens effectuer un contrôle secondaire à cause de « préoccupations générales raisonnables ». Dans les deux cas, les agents ont mis l’accent sur leur position d’autorité. La loi doit s’appliquer également à tous, même s’ils détiennent un passeport à couverture verte.
En conclusion, honorables sénateurs, je crois que cette version amendée du projet de loi S-7 nuira à notre sécurité frontalière, qu’elle empêchera les agents des services frontaliers de faire leur travail efficacement et qu’elle permettra plus d’infractions de la Loi sur les douanes.
Son Honneur le Président : J’ai le regret d’informer l’honorable sénatrice que son temps de parole est de nouveau écoulé.
La sénatrice Ringuette : Puis-je avoir 10 secondes de plus?
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé?
Une voix : Non.
Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Ringuette. La permission n’est pas accordée.
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle de 2016, pour exposer mes sérieuses réserves quant à ce projet de loi.
Je tiens d’abord à féliciter le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense de son travail sur ce projet de loi. Plus précisément, j’aimerais mentionner l’amendement qu’il a proposé pour supprimer le critère arbitraire et vague de « préoccupations générales raisonnables » afin de le remplacer par le terme « motifs raisonnables de soupçonner ». Cet amendement prudent a été proposé grâce aux très nombreux témoignages qui nous ont mis en garde contre le passe-droit qu’offrait la terminologie initiale. Comme le sénateur Dean l’a dit la semaine dernière dans un rapport du comité sur le projet de loi S-7, la mise en œuvre de ce critère initial dénué de clarté :
[...] pourrait avoir les résultats suivants : un traitement arbitraire à la frontière, l’infraction du droit à la vie privée des individus, un risque accru de discrimination, un manque de clarté quant à la signification de la norme proposée, et, enfin, une autre contestation devant les tribunaux.
Chers collègues, malgré cet amendement, j’ai toujours de sérieuses réserves à l’égard de cette mesure législative. Je tiens à dire officiellement que j’ai tenté, avec l’aide du bureau de l’agent de liaison du gouvernement au Sénat, d’organiser une rencontre avec des représentants de l’ASFC afin de présenter mes inquiétudes et mes questions directement à ceux qui mettraient cette mesure législative en application. On m’a rapidement informée que l’ASFC avait rejeté ma demande, car l’agence aurait pour pratique de ne pas tenir de rencontres individuelles avec des parlementaires. J’ai alors proposé d’organiser une rencontre avec un petit groupe de sénateurs ayant des préoccupations semblables au sujet du projet de loi S-7, dans l’espoir que l’ASFC puisse nous rassurer de manière productive et efficace. Cette demande a elle aussi été repoussée par l’ASFC. Je suis déçue qu’on m’ait refusé la possibilité d’établir un dialogue utile avec les personnes qui seraient chargées d’accomplir les tâches importantes qui seraient définies par l’adoption de ce projet de loi.
Honorables sénateurs, cela dit, j’aimerais parler de la préoccupation majeure que j’ai toujours concernant le projet de loi S-7. Précisément, je suis préoccupée par la pratique insidieuse du profilage racial en ce qui concerne la justification d’un second examen. En théorie, tous les sénateurs connaissent bien ce problème, mais seul un petit groupe connaît réellement la peur et l’anxiété d’être assujetti à ce genre de comportement ciblé et malveillant.
En tant que femme des Premières Nations, je peux vous dire que le profilage racial est réel et qu’encore à ce jour, j’en suis victime. Je suis convaincue qu’il en est de même pour d’autres sénateurs qui font partie d’un groupe minoritaire racisé, que ce soit les Autochtones, les Noirs, les Asiatiques ou d’autres.
Ce problème est profondément enraciné dans bien des domaines différents qui composent le tissu de notre société. Je crains que le libellé et le contenu du projet de loi risquent encore dangereusement de faciliter ce genre d’attitude chez les personnes en position d’autorité, mettant en évidence le déséquilibre des pouvoirs qui fait en sorte que les voyageurs racisés sont subordonnés et soumis à des agents frontaliers pouvant parfois entretenir des préjugés non fondés.
Honorables sénateurs, cette question a été soulevée la première fois le 30 mai par notre collègue la sénatrice Jaffer au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je remercie la sénatrice Jaffer de la détermination de fer dont elle a fait preuve pour s’assurer que cette question, qui est essentielle pour de nombreuses personnes partout au pays, ne soit pas rejetée du revers de la main. En réponse aux questions qui lui ont été posées à ce sujet, le ministre Mendicino a reconnu la validité des préoccupations. Voici ce que le ministre Mendicino a affirmé :
D’abord et avant tout, je tiens à vous assurer que nous accordons la plus grande importance au problème du racisme systémique et du profilage racial, pas seulement à l’ASFC, mais aussi dans tous les organismes chargés de l’application de la loi. D’ailleurs, les fonctionnaires de tous les organismes d’application de la loi reconnaissent, et c’est à leur honneur, qu’il s’agit d’un problème qui existe et qui doit être éradiqué. Nous devons tous être unis dans cette lutte.
Le ministre a ensuite ajouté ceci :
Je tiens aussi à vous assurer [...] que [le mandat] que le premier ministre m’a confié [exige] bel et bien, en termes très clairs, que les organismes poursuivent leurs efforts importants pour éradiquer le racisme systémique sous toutes ses formes. Vous voulez savoir ce que ça veut dire? Ça suppose d’améliorer la formation, d’être sensible à la culture et d’être conscient des préjugés qui ont infiltré la façon dont nous travaillons.
Je suis heureuse que le ministre et ses fonctionnaires aient parlé de la formation rigoureuse qui serait exigée des agents de l’ASFC avant leur entrée en fonction. Cependant, j’avoue avoir été choqué par la réponse fournie par M. Scott Millar, vice-président de la Politique stratégique de l’Agence des services frontaliers du Canada, lorsqu’on lui a posé une question précise sur la nature de la formation axée sur la diversité que suivraient ces agents. Dans ses mots, M. Millar a dit ceci :
Il existe plusieurs cours obligatoires destinés à l’ASFC, et certains cours portent sur la partialité inconsciente qui concerne plus précisément ce type de pouvoir. Notre cours axé sur la diversité et les relations raciales durent, si je ne m’abuse, une heure.
Chers collègues, cela mérite d’être répété. Le cours axé sur la diversité et les relations raciales que les agents de l’ASFC doivent suivre dans le cadre du projet de loi S-7 est d’une durée d’une heure. À mon avis, cette durée n’est qu’un prétexte : elle contribue de façon négligeable à la lutte contre les problèmes systémiques et profondément enracinés qui sous-tendent le profilage racial.
Malgré les belles paroles du ministre sur l’engagement du gouvernement à éradiquer le racisme systémique à l’aide d’une meilleure formation, les actions liées à ces paroles sont décevantes et insuffisantes. À ce titre, nous ne devons pas être aveugles au fait que ce niveau de formation — si nous pouvons l’appeler ainsi — ne se traduira pas par une meilleure compréhension des relations raciales. Il ne permettra certainement pas d’atteindre le noble objectif d’éradiquer plus de 150 ans de pensées transformées en actions racistes et préjudiciables qui ont constamment entaché les relations de nos autorités avec les Premières Nations au Canada.
(2300)
Lors de la réunion du 6 juin du Comité de la sécurité nationale et de la défense, quand on lui a demandé si une formation d’une heure sur cette question était suffisante, Mme Pantea Jafari, membre, fondatrice et avocate principale de Jafari Law ainsi que membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des avocats musulmans, a déclaré ce qui suit :
[Je] ne pense pas qu’une heure de sensibilisation soit suffisante, quoi qu’il en soit. Les stéréotypes qui imprègnent les agents frontaliers et le contexte de la sécurité nationale sont profondément enracinés [...] Ils y sont ancrés de façon systémique [...] et c’est pourquoi le profilage racial et les préjugés sur lesquels il se fonde sont si prédominants dans le contexte de la sécurité nationale et si fortement ressentis par les personnes racisées et minoritaires.
Plus tard au cours de cette réunion, Mme Jafari a poursuivi :
[Le] problème est vivement ressenti par les personnes racisées, mais on ne semble pas vraiment vouloir corriger la situation. Quand on voit que le ministre propose une formation d’une heure sur la diversité pour corriger le problème accablant et extrêmement bien documenté du profilage racial aux douanes, on comprend à quel point il prend cette question au sérieux, c’est-à-dire pas du tout.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, même les experts juridiques expriment de graves préoccupations quant aux répercussions que le profilage racial continuera d’avoir sur ce processus. Cela s’explique en partie par le manque de diligence de la part du gouvernement et de ses organismes lorsqu’ils délèguent la responsabilité de régler un problème qui existe depuis des siècles au Canada.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant dire que le ministre a indiqué qu’une nouvelle commission sera créée pour surveiller les comportements de l’ASFC et de la GRC et recueillir des données à ce sujet. Je note toutefois que la création de cette commission dépend de l’adoption du projet de loi C-20, qui n’en est qu’à l’étape de la première lecture à la Chambre. Autrement dit, la création de cette commission n’en est qu’à ses balbutiements et il y a de l’incertitude au sujet de ce qu’elle accomplirait en réalité si le projet de loi obtient un jour la sanction royale. Ce qui est sûr, chers collègues, c’est que cette commission fonctionnera en aval. Même si elle servira en théorie à déterminer après coup les problèmes et les lacunes dans la conduite et le niveau de service de l’ASFC et de la GRC, elle n’offrira dans les faits aucune mesure de protection ou d’aide aux voyageurs à la frontière. C’est particulièrement vrai pour les voyageurs racisés, qui ont le plus besoin d’un niveau de considération et de protection élevé.
Honorables sénateurs, même si je reconnais que les étapes que j’ai mentionnées sont importantes et nécessaires, j’ai de sérieuses réserves quant au fait qu’elles sont suffisantes et qu’elles permettront de réduire concrètement le profilage racial et donc la crainte — c’est bien le cas, n’en doutez pas — que les voyageurs des Premières Nations et d’autres voyageurs de couleur ressentent lorsqu’ils se présentent aux autorités à la frontière.
Honorables collègues, la dernière préoccupation dont j’aimerais vous faire part concerne les données. C’est un défi perpétuel d’obtenir des analyses sexospécifiques, peu importe qu’elles soient produites par le gouvernement ou non. Depuis, je demande à la Bibliothèque du Parlement de me fournir de telles analyses pour toutes les dispositions législatives du gouvernement. L’analyse sexospécifique menée pour le projet de loi S-7 mettait l’accent sur les données. Voici un extrait :
En l’absence de données concrètes, il est impossible de mesurer l’ampleur de la discrimination et du racisme à la frontière et de déterminer si le projet de loi S-7 exacerbera ces problèmes.
C’est une grave inquiétude qui, d’après moi, elle mérite une attention particulière. Il sera difficile de vérifier si le projet de loi S-7 a pour effet d’atténuer un problème sérieux pour de nombreux Canadiens ou d’intensifier les obstacles pour les Canadiens.
Honorables sénateurs, la réalité du problème du profilage racial a été bien résumée dans une réponse fournie par Mme Pantea Jafari lors de la réunion du 6 juin du Comité de la sécurité nationale et de la défense. Après son témoignage, le sénateur Yussuff lui a demandé si, à son avis, ces mesures législatives allaient empirer le profilage racial à la frontière. Mme Jafari a répondu ce qui suit :
Oui, c’est ce que je pense, parce que ces préjugés et ces stéréotypes ne feront que s’enraciner davantage si les agents sont dotés du pouvoir accru de les déployer. Je suis convaincue que, à moins de garanties suffisantes, la situation va empirer de façon disproportionnée pour les personnes racisées qui passent la frontière.
Chers collègues, c’est pour cette raison, et parce que je ne crois pas que le projet de loi S-7 prévoie les garanties suffisantes auxquelles fait allusion Mme Jafari, que je ne l’appuierai pas.
Merci.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)
Le Sénat
Adoption de la motion tendant à prolonger la séance du mercredi 22 juin 2022
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 16 juin 2022, propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, la séance du mercredi 22 juin 2022 continue au-delà de 16 heures et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à minuit, selon la première éventualité, à moins d’être ajournée plus tôt par voie de motion.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures)
Troisième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dalphond, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures), tel que modifié.
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je reconnais que le manque d’accès à la justice et le manque de commodité sont des enjeux importants, qui ont été exacerbés par la COVID-19. Par contre, je ne suis pas en faveur de la commodité des procédures judiciaires si elle contrevient, même accidentellement, au droit des accusés à une procédure et à un procès équitables, des droits protégés par la Charte.
Nous devrions être grandement préoccupés par les dispositions du projet de loi S-4, parce qu’elles élargissent le recours à des audiences par audioconférence et vidéoconférence pour des accusés incarcérés. Au Canada, les normes voulant que les procédures des tribunaux pénaux se déroulent en personne et que l’accusé soit entendu sont essentielles pour assurer un procès équitable. On ne peut pas les changer à la légère.
Les procédures par vidéoconférence soulèvent des préoccupations liées aux garanties procédurales. En effet, la cour est moins en mesure d’évaluer des points comme la crédibilité et la compétence d’un accusé, son bien-être physique et psychologique, sa capacité de comprendre les procédures et, s’il est appelé à renoncer à des droits, la mesure dans laquelle il le fait volontairement. Pour les accusés qui sont incarcérés, les procédures par vidéoconférence entraînent des atteintes à la vie privée et à la confidentialité, et elles mettent souvent la sécurité des accusés en péril. Lorsqu’ils se sont rendus dans des prisons au cours des dernières années, des sénateurs ont constaté que les audiences par vidéoconférences pouvaient être entendues par des agents des services correctionnels et par d’autres accusés. Cela peut décourager, et décourage effectivement, l’accusé de parler librement par crainte du préjudice qu’il pourrait subir ou que d’autres personnes pourraient subir si des informations particulièrement sensibles étaient entendues, communiquées ou transmises à de mauvaises personnes.
(2310)
Les procédures par vidéo nuisent également à la relation entre un avocat et son client. La communication cruciale entre un avocat et son client. Les communications entre un avocat et son client incarcéré au cours d’une audience peuvent ne pas être privées. Comme beaucoup d’entre nous l’ont observé directement, les autorités correctionnelles balaient couramment les droits des accusés à des communications confidentielles avec leurs avocats, comme prévu par la Charte, en affichant des avis de renonciation indiquant que tous les appels téléphoniques sont susceptibles d’être surveillés.
Même lorsqu’un client incarcéré dispose d’un téléphone plus sûr pour communiquer en privé avec son avocat, il peut être difficile de s’engager pleinement afin de fournir des informations pertinentes. Ceci est particulièrement troublant étant donné que 1 homme sur 3 et 1 femme sur 2 en détention fédérale sont autochtones, et que 1 détenu sur 10 est d’origine africaine. La multiplication des audiences vidéo et audio exacerberait probablement aussi les problèmes linguistiques et culturels.
Tandis que le Canada examine la possibilité de développer ou d’étendre de telles approches, nous pouvons apprendre des expériences d’autres gouvernements. Par exemple, une étude des audiences sur la libération sous caution en Illinois illustre l’importance des procédures en personne. Dans cet État, la caution moyenne d’une personne dont l’audience s’est déroulée à distance était de 51 % à 90 % plus élevée que celle d’un accusé ayant comparu en personne.
Le projet de loi S-4 sous-entend que les tribunaux surveilleront en permanence le caractère adéquat des comparutions à distance sans aucun cadre de responsabilisation ni aucune explication sur la manière dont les juges s’y prendront. En outre, la magistrature canadienne a déjà largement reconnu le caractère peu adapté des procédures d’accès à distance en matière pénale. Dans une étude réalisée en 2020, malgré les difficultés bien réelles de la pandémie, les juges canadiens ne favorisaient l’utilisation de cette technologie que dans les affaires urgentes et récentes. Le projet de loi S-4 vise à encadrer le recours accru à ces technologies dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, mais ne prévoit aucune date de fin pour leur utilisation.
Comme nous l’avons constaté tout au long de la pandémie et lors de nos visites dans les prisons, l’issue d’un procès peut dépendre de questions traitées par vidéo seulement. Les Canadiens ont droit à un procès équitable et à l’aide véritable d’un avocat. Le projet de loi S-4 ne garantit ni l’un ni l’autre.
Comme nous l’avons appris dans le cadre de plusieurs études et rapports du Sénat, il n’existe pratiquement aucun moyen fiable de surveiller les autorités correctionnelles et de détention ni aucun moyen pour les détenus de faire connaître — et encore moins de corriger — leurs doléances, sans parler des infractions à la loi. Les accusés doivent donc assumer tous les risques liés aux procédures vidéo sans disposer de moyens clairs et fiables pour assurer leur sécurité ou remédier aux violations de leurs droits.
Soyons clairs. En appuyant ces mesures pour des raisons de commodité, nous continuerons de faire fi des problèmes sous-jacents qui contribuent à la criminalisation et à l’incarcération de masse au Canada. Nous devons adopter des approches claires, transparentes et responsables qui maintiennent le droit des Canadiens à des procédures et à un procès équitables.
Honorables collègues, la liberté est un droit fondamental qui est cher à l’ensemble des Canadiens. Ce droit fondamental ne devrait pas être limité pour des raisons de commodité.
Meegwetch. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi concernant la modernisation de la réglementation
Troisième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Woo, appuyée par l’honorable sénatrice Omidvar, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation, tel que modifié.
L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, la modernisation de la réglementation est essentielle, surtout si le Canada veut encourager les petites et moyennes entreprises à innover et à accroître sa productivité, devenir un marché compétitif à l’échelle mondiale pour les innovateurs et rendre les coûts abordables pour les consommateurs. C’est important si nous voulons réduire le fardeau administratif pour les entreprises et le gouvernement, et si nous voulons réduire les dépenses gouvernementales.
Vous comprenez pourquoi je trouve que c’est important, et je tiens à remercier le gouvernement d’avoir créé le processus annuel de modernisation de la réglementation. J’appuie sans réserve le projet de loi S-6 et son objet. Cependant, je tiens à dire clairement qu’il ne s’agit pas d’un projet de loi qui modernise la réglementation en profondeur. Cependant, j’estime qu’il ressemble davantage au projet de loi de réduction des irritants législatifs que j’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture.
Le Canada a désespérément besoin d’une grande stratégie pangouvernementale pour apporter un changement considérable à notre fardeau réglementaire parmi les plus importants au sein des pays de l’OCDE. Nous devons assouplir la réglementation et développer une culture qui est favorable afin de protéger les Canadiens, d’encourager l’innovation et d’accroître la productivité.
J’espère que c’est surtout cela que vous retiendrez de mon discours. Il est urgent de continuer à apporter des réformes pour assouplir la réglementation dans l’ensemble de l’économie afin de protéger les Canadiens, d’encourager l’innovation et d’accroître la productivité. Nous ne devrions pas avoir à choisir entre l’un et l’autre.
Dans mon intervention, je donnerai d’abord trois exemples pour illustrer les défis importants que nous devons relever en matière de modernisation de la réglementation, et ceux-ci ne sont que la pointe de l’iceberg. Deuxièmement, je présenterai deux domaines dans lesquels le gouvernement excelle actuellement en matière de consultation et de réforme et, troisièmement, j’offrirai quelques modestes suggestions pour aller de l’avant de façon plus rapide et plus large.
Voici quelques exemples flagrants de cas où la réglementation crée un fardeau administratif excessif, entrave l’innovation et ne sert ni les consommateurs ni les forces du marché.
Premièrement, au Comité des banques, nous avons entendu le témoignage d’Électricité Canada au sujet des changements progressifs apportés à la partie 1 du projet de loi S-6, aux articles 4 à 8. En bref, bien que ces changements soient les bienvenus, ils sont loin d’éliminer les obstacles réglementaires qui freinent actuellement l’innovation, les forces du marché et l’atteinte de nos objectifs climatiques.
Par exemple, la loi canadienne sur les compteurs électriques a maintenant 40 ans. Je dirais qu’elle est en pleine crise de la quarantaine. Conçue étroitement pour réglementer les services publics d’électricité intégrés verticalement, elle n’a pas suivi l’évolution du marché, notamment l’arrivée des véhicules électriques, également appelés VE, ou des réseaux décentralisés. Ainsi, au Canada, les bornes de recharge des véhicules électriques ne peuvent facturer que le temps d’utilisation et non la quantité réelle d’électricité fournie. Par conséquent, les propriétaires de véhicules électriques moins chers, qui se chargent plus lentement, subventionnent ceux qui ont des véhicules électriques à charge rapide, car ils sont facturés pour le temps et non pour l’énergie consommée.
Par conséquent, les gestionnaires de condos et d’appartements sont dissuadés d’offrir des bornes de recharge dans leurs immeubles. L’inaction réglementaire signifie qu’ils ne peuvent pas se permettre d’installer un compteur aux fins de facturation dans leur garage. Toutefois, cela n’a pas vraiment d’importance parce que ces compteurs aux fins de facturation hautement précis, qui sont utilisés partout dans le monde, ne respectent pas les règlements stricts et vieillots de Mesures Canada.
Pendant ce temps, le gouvernement fédéral investit massivement dans l’adoption accrue des véhicules électriques. Le budget de 2022 à lui seul inclut une enveloppe supplémentaire de 1,7 milliard de dollars en subventions pour les véhicules électriques et 900 millions de dollars pour la construction de 50 000 bornes de recharge additionnelles. Or, la difficile tâche de moderniser les règlements sous-jacents afin que les forces du marché puissent soutenir ce virage continue d’être ignorée.
Pourquoi est-ce important? La semaine dernière, le Royaume-Uni a mis fin aux subventions pour les véhicules électriques parce qu’il est parvenu à créer un marché indépendant et mature. Les investissements de plusieurs milliards de dollars du Canada se poursuivent. À mon avis, la leçon à tirer dans ce cas-ci, c’est qu’il faut harmoniser les règlements et les pratiques d’approvisionnement pour catalyser les activités du marché et minimiser le besoin d’investissement du gouvernement.
Ensuite, je veux souligner le manque de mobilisation efficace des intervenants. Le fait qu’il s’agit d’un problème est évident de façon générale, mais la partie 8 du projet de loi S-6 le souligne de façon précise. On a dit à nos collègues du Comité des affaires sociales que les fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ne consultent que leurs homologues dans les ministères fédéraux concernés. Des avocats spécialistes de l’immigration, des avocats spécialistes de la protection des renseignements personnels, mais les gouvernements provinciaux n’ont pas été consultés, et ce, même s’ils étaient tous touchés par les modifications ou avaient des opinions sur le sujet. C’est une évidence. Le sénateur Woo a parlé des amendements sur le partage de l’information qui ont découlé de cette situation au Comité des banques.
Les Canadiens ne peuvent plus se permettre que les sous-ministres laissent leurs fonctionnaires considérer leurs rôles et leurs responsabilités dans une perspective étroite où les seuls clients qu’ils servent sont à l’intérieur du gouvernement. C’est à cause de l’échec de ces fonctionnaires que le ministre a dû intervenir auprès du comité pour proposer des amendements.
Les Canadiens s’attendent à ce que la fonction publique fasse un bien meilleur travail. Comme le sénateur Smith l’a signalé la semaine dernière, ce sont les parties intéressées des secteurs réglementés qui sont les mieux placés pour fournir de la rétroaction au sujet des effets de la réglementation sur leur organisation et sur la vie des Canadiens.
(2320)
Quelle leçon pouvons-nous en retenir? Exigeons que les fonctionnaires travaillent de manière transparente avec les intervenants dans le cadre de réunions où on peut discuter de règlements et de normes techniques avec toutes les parties concernées dans la même salle, que ce soit en personne ou à distance, au lieu de prendre des décisions dans une boîte noire, cachée dans un coin quelconque d’Ottawa, puis d’annoncer le résultat dans La Gazette du Canada. Ce processus laisse tomber les Canadiens, et ne fait qu’enrichir les lobbyistes.
Finalement, l’Agence canadienne d’inspection des aliments était responsable des parties 4 et 5 du projet de loi S-6. L’absence ou l’insuffisance des consultations était, encore une fois, problématique. Cependant, on ne peut pas dire qu’on ne mène pas beaucoup de consultations à l’agence.
Le 21 janvier 2022, au summum de la crise de la gale verruqueuse, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a lancé une consultation de 30 jours auprès des Canadiens pour leur demander quels changements ils proposeraient à la taille des pommes de terre blanches coupés en cubes, qui sont vendus dans des boîtes de conserve. Je ne savais pas que des pommes de terre étaient vendues dans des boîtes de conserve. En tout cas, pourquoi diable l’agence participe-t-elle à la réglementation de la taille de leurs cubes?
Étonnamment, comme le sénateur Downe l’a signalé dans sa publication Twitter, cela s’est produit en pleine crise de la gale verruqueuse à l’Île-du-Prince-Édouard, qui a coûté environ 50 millions de dollars en pertes de revenus aux agriculteurs de la province. Quelle leçon pouvons-nous en retenir? Nous devons devenir impitoyables pour limiter l’ampleur du détournement de la réglementation au Canada.
J’espère que ces trois exemples vous donnent une idée de la façon dont les lois, les règlements et les pratiques de longue date doivent être mis à jour et assouplis si nous voulons tirer profit de l’innovation afin de créer des débouchés et des emplois et de favoriser la prospérité. Bref, l’inaction nuit à la prospérité de demain.
Les observations du Comité des banques reflètent en grande partie ce que nous avons entendu dans les témoignages, notamment :
Le comité appuie l’objectif du projet de loi S-6, mais il estime que la modernisation de la réglementation doit se faire plus rapidement et à plus grande échelle que ce qui est proposé dans le projet de loi.
Le comité a également suggéré :
[de] commencer à examiner la réglementation d’un point de vue économique et concurrentiel;
[de] mesurer la quantité de réglementation et les coûts totaux qui y sont associés;
[d’]établir des cibles de réduction de la réglementation qui s’appliquent à l’ensemble des lois, politiques et règlements fédéraux;
[de] déterminer si certaines mesures simplifiées qui ont été mises en place pendant la pandémie de COVID-19 devraient se poursuivre.
J’aimerais également insister, d’abord, sur la nécessité de rendre les règlements du Canada propices à la concurrence, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils créent des règles du jeu équitables afin de donner aux nouveaux joueurs novateurs une chance raisonnable de livrer concurrence aux entreprises établies. J’insiste ensuite sur la nécessité de les rendre indépendants des technologies, de manière à éviter de devoir les modifier pour les adapter aux nouvelles formes d’innovation qui se multiplient de plus en plus rapidement.
Maintenant, qu’en est-il des exemples de consultation efficace dont j’ai parlé? Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Woo a demandé si le Sénat envisagerait d’effectuer une étude spéciale pour déterminer comment nous pourrions améliorer la modernisation de la réglementation au Canada. Pour ma part, j’appuie chaudement cette idée.
Le gouvernement a déjà donné des exemples récents qui établissent une norme entièrement nouvelle en matière de modernisation de la réglementation. Ce n’est pas le projet de loi S-6 qui établit la norme, mais le processus de consultation qui oriente présentement la mise en œuvre de la réglementation sur le système bancaire ouvert et de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail.
Ces deux processus de modernisation de la réglementation ont impliqué des consultations très efficaces auprès des intervenants dans le cadre d’un forum ouvert auquel participaient des fonctionnaires. Les groupes impliqués allaient des plus petites entreprises novatrices aux plus grands intervenants et ils prenaient part à de réelles consultations plutôt qu’à des séances d’information. Je rêverais que ces modèles soient répliqués à l’échelle pangouvernementale.
Je vais vous donner un aperçu de l’importance du processus de modernisation des paiements afin de vous donner une idée de la complexité des éléments et de leur importance pour les Canadiens. Ce processus se déroule présentement en application de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, édictée dans le budget de 2021. Pour donner un peu de contexte, les Canadiens ont effectué environ 20 milliards de transactions en 2021 équivalant à près de 10 billions de dollars.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime que le taux d’interchange pour les cartes était d’environ 2 % en moyenne. En Europe, ces taux sont de 0,3 %, soit environ un septième de ce qu’ils sont au Canada, en grande partie grâce à la façon dont l’Europe encadre et réglemente la concurrence. Concrètement, le système au Canada impose une surtaxe versée au système financier sur toutes les transactions effectuées chaque jour par les consommateurs, parce que la réglementation canadienne n’est plus à jour. Heureusement, la situation change très rapidement.
La Banque du Canada a mené un processus de consultation pour créer les règlements nécessaires afin de mettre en œuvre la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, qui permettra d’avoir une approche beaucoup plus inclusive pour la gestion des paiements. Pour montrer comment cette affaire progresse, je citerai l’une des principaux opposants au statu quo, Laurence Cooke, fondateur et PDG de nanopay.
Dix ans après avoir commencé à créer un avenir plus sûr, plus équitable et plus concurrentiel pour l’écosystème de paiements, nous constatons enfin de vrais progrès. La Banque du Canada et l’équipe de surveillance des paiements de détail ont mis sur pied un processus de consultation transparent et souple qui rassemblait toutes les parties intéressées, et ils ont établi une nouvelle norme sur la façon dont la réglementation devrait être créée.
Lorsque Laurence a fait cette déclaration, j’ai dû vérifier qu’il s’agissait bien de lui et qu’il était en bonne santé, car il ne félicite normalement pas les organismes de réglementation. On a entendu le même type de commentaires il y a 18 mois, au cours du processus de consultation du ministère des Finances sur l’ouverture des banques, qui se rapproche de plus en plus de sa phase de mise en œuvre.
Quelle leçon pouvons-nous en retenir? Il y a des exemples remarquables de consultation efficaces qui existent au sein du gouvernement. On ne peut plus accepter que des processus de consultation menés par les plus hauts fonctionnaires du gouvernement et des ministres échouent.
Pour finir, permettez-moi d’élargir la voie à suivre. Par définition, la réglementation doit protéger le public contre les dangers créés par des produits dangereux, des services sous‑performants et des conditions dangereuses, tout en permettant que le marché soit novateur. Bien trop souvent, la stagnation de la réglementation nous empêche d’atteindre ces objectifs. Cela se produit car le monde évolue de plus en plus vite et que nous n’arrivons pas à mettre à jour nos règlements assez rapidement.
Des pays similaires, notamment les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni, ont mis en œuvre des changements pour relever ces défis — et ils l’ont fait il y a des décennies — en donnant la priorité à une approche stratégique de la normalisation et en rendant obligatoire l’utilisation efficace des normes dans les textes législatifs.
Ces pays utilisent des normes industrielles en constante évolution pour compléter et cibler les efforts réglementaires requis, mais surtout pas pour les remplacer. Les normes industrielles nécessitent de vastes consultations auprès des intervenants, mais elles doivent être menées par un organisme de normalisation indépendant et composé d’experts plutôt que par un ministère.
Les normes établissent des pratiques acceptées et éliminent les complexités et les dédoublements inutiles, comme les dédoublements que nous voyons partout au Canada et les conflits réguliers qui ont lieu dans l’ensemble du pays à cause des autorités compétentes concurrentes ici.
Les gouvernements du monde entier se sont tournés vers une combinaison de lois, de règlements, de normes et de programmes de certification comme mécanisme de conformité de choix pour gérer les secteurs traditionnels, ainsi que les nouvelles technologies à haut risque. Ce n’est pas encore le cas au Canada.
Conformément aux conseils que j’ai reçus des organismes de normalisation, voici trois mesures très précises que le Canada pourrait prendre pour accélérer l’atteinte de l’objectif du projet de loi S-6.
Tout d’abord, conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de dresser la liste des normes, des codes de pratique et des programmes de certification reconnus pour les règlements qu’il administre afin de fournir des mesures de protection suffisantes, à jour et pertinentes.
Ensuite, établir un secrétariat national pour faciliter la coopération entre les autorités fédérales, provinciales et territoriales compétentes pour ce qui est de l’établissement, de l’harmonisation et du maintien de normes reconnues entre les territoires.
Enfin, mettre à jour la Directive du Cabinet sur la réglementation pour limiter les règlements aux exigences essentielles et exiger que les règlements soient indépendants des technologies.
Nous voyons des signes que le gouvernement avance dans cette direction. Il vient d’intégrer dans une nouvelle loi un libellé appuyant l’utilisation des normes nécessaires à la sécurisation des infrastructures essentielles. Il s’agit de l’article 15.2 (2)(l) du projet de loi C-26, récemment présenté et appelé « Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels ». Cette inclusion permet d’annuler le risque lié à la politique réglementaire et de voir à la mise en œuvre de mesures de protection pertinentes et actualisées pour rendre compte des réalités contemporaines.
Cela correspond également au témoignage d’experts fourni au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en mars 2022 lors de l’étude du projet de loi S-210 de la sénatrice Miville-Dechêne. La recommandation était d’édicter les pouvoirs du gouverneur en conseil de reconnaître les normes, les codes de pratique et les programmes de certification comme des moyens de fournir des garanties suffisantes.
Sénateurs, je veux conclure en vous rappelant qu’une accélération de notre capacité à mettre à jour les normes et les règlements essentiels protège notre prospérité future, notre souveraineté et notre sécurité, et attise et accélère notre capacité à relever les défis et à saisir les opportunités de notre monde en constante évolution.
(2330)
Au moment où le gouvernement fédéral procède à tellement d’investissements stratégiques dans l’infrastructure numérique, sa modernisation et la lutte aux changements climatiques, il est essentiel de comprendre les échecs de conception passés et les modèles émergents pour connaître le succès. Le Sénat peut aider, comme le sénateur Woo l’a suggéré. Ce ne sont pas les données qui manquent pour nous aider à élargir les efforts de modernisation de la réglementation canadienne bien au-delà de ce que prévoit le projet de loi S-6. Merci, chers collègues.
Une voix : Bravo!
L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation. Je tiens à remercier les sénateurs Woo, Smith et Deacon pour leurs excellents discours. J’ai l’intention d’être bref et d’apporter un angle complémentaire. Il se fait tard. Je ne suis sans doute jamais intervenu aussi tard à propos d’un projet de loi, alors je serai bref.
Je suis reconnaissant envers tous les sénateurs des sept comités permanents qui ont étudié le contenu de certaines parties du projet de loi, et envers mes collègues du Comité des banques pour leur examen du projet de loi.
Comme vous le savez, le projet de loi apporte des changements dictés par le bon sens à 29 lois distinctes du Parlement, qui moderniseront le système de réglementation du Canada.
Les sénateurs se souviendront peut-être que l’engagement du gouvernement à moderniser la réglementation a été annoncé pour la première fois dans l’Énoncé économique de l’automne 2018. À l’époque, comme le sénateur Deacon l’a exprimé avec beaucoup d’éloquence, le gouvernement a reconnu que :
Un grand nombre de règlements fédéraux ont été élaborés et se sont accumulés au fil des décennies. Avec le temps, certains règlements peuvent devenir désuets et représenter de véritables obstacles à l’innovation.
Le gouvernement s’est engagé à présenter un projet de loi de modernisation annuelle des règlements afin d’éliminer les exigences réglementaires désuètes ou dédoublées. Il s’agit d’une avancée importante qui est certainement bien accueillie par le milieu des affaires.
Comme l’a souligné le sénateur Woo la semaine dernière :
Le système de réglementation moderne doit [...] promouvoir l’innovation commerciale et l’investissement des entreprises; et deuxièmement, il doit assurer la santé et la sécurité des Canadiens, tout en protégeant l’environnement.
Je suis tout à fait d’accord avec lui. Ce n’est pas un secret que le système de réglementation du Canada est complexe, souvent désuet et un cauchemar bureaucratique pour de nombreuses entreprises — ce qui a l’effet néfaste de ralentir l’innovation, de limiter la croissance et de nuire à la productivité. Les changements proposés dans le projet de loi S-6 visent à éliminer les irritants et à réduire le fardeau administratif global.
Par exemple, le projet de loi accélère l’entrée en vigueur des modifications à la Loi sur les marques de commerce qui ont été présentées dans le cadre de la Stratégie en matière de propriété intellectuelle du Canada. J’ai posé une question au sujet de cette disposition à Mme Miller d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, quand elle a témoigné au comité des banques. J’ai fait valoir le fait qu’il est essentiel d’avoir un solide système de propriété intellectuelle et de marques de commerce pour attirer les investissements étrangers et pour assurer la compétitivité du Canada dans le monde. En effet, Mme Miller a confirmé à quel point c’est important. Elle a dit ceci :
On ne peut pas surestimer l’importance de la propriété intellectuelle pour ce qui est de s’assurer que le Canada est un pays attrayant pour les entreprises, un endroit attrayant pour les entreprises canadiennes qui veulent croître et se développer ici et pouvoir compétitionner sur la scène mondiale. C’est un atout incroyablement important pour les entreprises, qui doivent la comprendre, puis l’utiliser et la mettre en œuvre stratégiquement.
Elle a ajouté ce qui suit :
En permettant l’entrée en vigueur de l’amendement, nous allons vraiment souligner l’importance de l’utilisation de la propriété intellectuelle, de la marque de commerce au Canada; parce que non seulement cela renforce votre marque au Canada, mais cela la renforce aussi à l’échelle mondiale [...]
Chers collègues, à l’instar de la plupart des autres pour ce projet de loi, cet amendement, quoique d’envergure mineure, a l’effet combiné de rendre le système de réglementation plus efficace et moins encombrant.
Comme l’a dit Mona Fortier, la présidente du Conseil du Trésor : « Nous modernisons les règles pour que les Canadiens puissent accomplir plus facilement leur travail. »
Permettez-moi de dire quelques mots sur les résultats et les consultations.
En 2021, dans ses perspectives sur la Politique de la réglementation, l’OCDE nous rappelle que les gouvernements « consacrent beaucoup trop peu de temps à vérifier si les règles appliquées portent leurs fruits dans la pratique, et pas uniquement en théorie » et qu’ils doivent « délaisser la logique traditionnelle du “réglementer et oublier” au profit d’approches consistant à “s’adapter et apprendre” ».
Cependant, pour que l’exercice annuel de modernisation réglementaire du gouvernement réussisse, le gouvernement doit s’impliquer tôt avec tous les intervenants pertinents. Comme le suggère l’OCDE :
Les citoyens [...]
— et je suggérerais les entreprises aussi —
[...] sont plus enclins à considérer la réglementation comme juste s’ils sont associés au processus délibératif et que les résultats des consultations sont clairement expliqués.
Cela doit arriver le plus tôt possible. Même dans le monde des affaires, lorsque nous établissions des budgets et examinions des projections et des stratégies, nous obtenions les meilleurs résultats lorsque nous impliquions les parties prenantes, c’est-à-dire en appliquant l’approche ascendante. Vous prenez ensuite la décision au sommet, mais il vous faut l’engagement. Pour obtenir l’engagement, vous devez faire participer les intervenants, et il est important de les impliquer dès le début du processus. Les sénateurs Woo, Smith et Deacon ont fait la même remarque, et c’est un argument important.
Comme nous l’avons écrit dans notre rapport du Comité des banques :
[...] un certain nombre de témoins ont exprimé leur insatisfaction [...]
— j’insiste sur ce point —
[...] quant aux consultations gouvernementales limitées sur les modifications réglementaires proposées dans le projet de loi S-6 ou, dans certains cas, quant à l’absence de consultations gouvernementales à cet égard. Comme des consultations étendues et inclusives se traduisent par une meilleure réglementation parce qu’elles permettent au gouvernement de bénéficier d’une expertise et de commentaires précieux, le comité exhorte le gouvernement à améliorer son processus de consultation pour la modernisation de la réglementation en faisant appel à une plus grande diversité d’intervenants [...]
— la diversité est très importante —
[...] en utilisant plus souvent les consultations en ligne et en faisant participer les intervenants plus tôt dans son processus d’élaboration de la réglementation.
Le projet pilote du gouvernement Parlons des règlements fédéraux est un bon point de départ et contribuera à répondre à certaines des préoccupations soulevées par l’industrie en ce qui concerne les consultations. Cette nouvelle plateforme a beaucoup de potentiel et j’espère qu’elle permettra d’améliorer les pratiques de mobilisation du gouvernement — la mobilisation est vraiment primordiale. Il faut mobiliser le milieu des affaires. On parle beaucoup du fait que le gouvernement doit améliorer ces liens avec le milieu des affaires, et je crois que c’est un excellent point de départ.
Il est également extrêmement important pour le gouvernement de surveiller et d’évaluer les répercussions de tout changement réglementaire. À mon avis, le Comité mixte d’examen de la réglementation joue un rôle important dans cet exercice.
Honorables sénateurs, même si nous nous sommes sentis bousculés lors de l’étude préalable au projet de loi S-6 et lors de l’étude de celui-ci, nous devrions avoir l’assurance de pouvoir l’adopter aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture.
L’engagement du gouvernement à examiner chaque année les règlements par voie législative est une excellente décision. J’ai certainement hâte de participer à la future révision législative d’un tel projet de loi. Le Sénat peut ajouter une grande valeur et offrir une grande expertise à un tel exercice. Merci.
Des voix : Bravo!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)
(À 23 h 39, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)