Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 95
Le mercredi 1er février 2023
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mercredi 1er février 2023
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Les relations Canada-Russie
L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, l’une des nombreuses tragédies causées par cette guerre terrible en Ukraine a été la perte de coopération entre notre pays et la Russie.
Je me souviens des années où des délégations des Territoires du Nord-Ouest se rendaient à Yakoutsk, à Tchoukotka et dans d’autres régions arctiques, effectuaient des visites et échangeaient des informations et des idées sur les défis de l’Arctique, bien épaulées par la Division des affaires circumpolaires de ce qui était alors le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Lors de ces échanges, nous avions reconnu être deux grands pays arctiques. Même si notre côte arctique est plus longue que les côtes du Pacifique et de l’Atlantique combinées, celle de la Russie est encore plus longue.
Nous avons des problèmes communs que nous sommes les seuls à pouvoir comprendre, et que nous cherchons tant bien que mal à régler. Les Russes nous ont appris comment construire des routes de glace et des ponts de glace de meilleure qualité dans l’Arctique. Nous avons visité leurs instituts du pergélisol, et nous avons découvert qu’on peut utiliser du kérosène au lieu de produits chimiques dispendieux pour isoler de piles thermiques dans le pergélisol. Nous pouvons tirer des leçons de leur utilisation de petits réacteurs modulaires qui alimentent en énergie des villes et leurs flottes de brise-glaces.
Anciennement établie dans les Territoires du Nord-Ouest, Ferguson Simek Clark, une société dirigée par Stefan Simek, a construit un aéroport et un village tout entier en Iakoutie qui était inspiré de ce que nos visiteurs russes avaient observé dans les communautés dénées situées le long de la vallée du Mackenzie et érigées par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. De plus, le Conseil circumpolaire inuit a favorisé de riches échanges culturels entre les peuples autochtones de l’Arctique soviétique et de l’Arctique canadien.
Surtout, il y avait une solide coopération dans l’Arctique sur des questions importantes liées aux changements climatiques, aux activités de recherche et de sauvetage, à la santé circumpolaire et au développement économique grâce au Conseil de l’Arctique, une création canadienne. Tout cela a été perdu en raison de la mégalomanie d’un fou qui cherche à restaurer la grandeur de la Russie sur le dos du peuple ukrainien innocent.
Il est bien dommage que cette coopération pacifique, cultivée par le brillant ancien président de la Russie, Mikhaïl Gorbatchev, ait été mise en veilleuse par les actions d’un homme détestable que j’appelle « Vlad l’Empaleur ». Espérons qu’il pourra être arrêté et que nous pourrons un jour renouer avec nos amis circumpolaires dans le Nord de la Russie.
Merci.
Le Mois de l’histoire des Noirs
L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, c’est un honneur pour moi d’être ici en personne aujourd’hui et de faire une déclaration pour souligner le Mois de l’histoire des Noirs en ce premier jour du Mois de l’histoire des Noirs. Cette année, le thème national est « À nous de raconter » et le thème du Mois du patrimoine africain de la Nouvelle-Écosse est « Des océans de lutte ». Tous deux évoquent la conscience d’une mémoire ancestrale collective. C’est à nous de raconter l’histoire de notre relation avec l’océan. L’océan fait partie intégrante de l’histoire afro-canadienne, car nos ancêtres ont été victimes de la traite des personnes et ont dû emprunter le passage du milieu. Beaucoup ont survécu à cette traversée brutale, mais beaucoup ont péri.
Étant donné que je vis en Nouvelle-Écosse, je ressens une affinité particulière avec l’océan. Presque chacune des 48 communautés afro-néo-écossaises est située le long de la côte, physiquement rejetée à la périphérie de la province. La Nouvelle-Écosse possède de nombreuses industries liées à l’océan où les Noirs sont très peu représentés. Il est peut-être temps pour la Nouvelle-Écosse de créer des débouchés dans les industries de la pêche et de la construction et la réparation navales fondées sur le lien entre les Afro‑Néo‑Écossais et l’océan Atlantique. Il pourrait s’agir d’un processus en trois étapes.
Premièrement, s’attaquer au racisme au sein des industries dans le cadre d’un processus continu de changement systémique. Deuxièmement, offrir aux Néo-Écossais d’origine africaine des possibilités d’éducation et de formation. Troisièmement, doter les postes dans les industries. À titre d’exemples positifs, il y a entre autres certains programmes innovateurs qui permettent de franchir les deuxième et troisième étapes en offrant des possibilités aux femmes, aux Mi’kmaqs et aux Néo-Écossais d’origine africaine dans l’industrie de la construction navale. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire, surtout pour réaliser la première étape, afin de rendre les lieux de travail plus sûrs au fur et à mesure que la main-d’œuvre devient plus diversifiée.
Les thèmes de cette année me permettent de rêver que les futures générations de Néo-Écossais pourront vivre une relation plus importante et enrichissante avec la mer, cesseront de naviguer en eaux troubles et connaîtront la prospérité. Je souhaite à tous les Canadiens un très heureux Mois de l’histoire des Noirs et à tous les Néo-Écossais, un très heureux Mois du patrimoine africain.
Asante, merci.
[Français]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Nicole Baptiste, de M. Allen Alexandre et des artistes invités à exposer leurs œuvres par le Centre culturel afro-canadien de Montréal et par Mosaïque interculturelle. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Mégie.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le Mois de l’histoire des Noirs
L’exposition Récits
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, ce fut un honneur pour moi de vous voir en si grand nombre ce midi pour le vernissage de l’exposition Récits. Cette exposition, qui fait écho au thème du Mois de l’histoire des Noirs 2023, « À nous de raconter », est réalisée sous le patronage du Groupe canado-africain du Sénat. Notre groupe, l’African Canadian Senate Group, est composé des honorables sénateurs Wanda Thomas Bernard, Sharon Burey, Bernadette Clement, Amina Gerba, Mobina S. B. Jaffer, Rosemary Moodie, Mohamed-Iqbal Ravalia ainsi que moi-même.
[Traduction]
Je tiens à remercier mes collègues et leur équipe respective pour leur soutien inestimable.
[Français]
Récits est le fruit d’une collaboration du Centre culturel afro‑canadien de Montréal, représenté ici par son président, M. Allen Alexandre, et de Mosaïque interculturelle d’Ottawa, représentée par sa présidente, Mme Nicole Baptiste.
Ces récits que les artistes partagent avec vous dans le foyer du Sénat seront exposés pendant tout le mois de février. J’admire leur talent et certains d’entre vous le font aussi, car vous m’avez fait de beaux commentaires et je reconnais leur importante contribution à la culture de notre pays.
(1410)
Je suis fière de vous les présenter : Sarah-Mecca Abdourahman, Ojo Agi, Dominique Dennery, Laurena Finéus, Antoine Jeune Dimanche, Helmer Joseph, Komi Seshie, Pascal Smarth, Shanna Strauss, Gloria C. Swain et Stanley Wany.
Leurs œuvres stimulantes racontent des histoires d’artistes d’ascendance africaine, reproduites sur canevas ou autres moyens de dialogue. Ces créateurs y expriment leur réalité et leur vision du monde, puisent dans leurs images intérieures et les transmettent aux générations futures.
Les commissaires, M. Emmanuel St-Juste et Mme Allison Roberts, ont su réunir tous ces artistes pour nous présenter leur art. Je les remercie infiniment.
Avec l’exposition Récits, nous vous invitons à découvrir et à parcourir les pages du grand livre de l’histoire riche et fascinante des artistes afro-canadiens d’aujourd’hui.
Joignez-vous à moi pour les féliciter tous et toutes.
Je vous souhaite, à vous tous et à tous les Canadiens, un bon Mois de l’histoire des Noirs!
Des voix : Bravo!
[Traduction]
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Joe Lu, président de la Chambre de commerce Canada Hubei. Il est l’invité de l’honorable sénateur Oh.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le Nouvel An lunaire
L’honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de prendre la parole aujourd’hui pour présenter mes meilleurs vœux à tous ceux qui célèbrent le Nouvel An lunaire et le Festival du printemps annuel.
L’année 2023 est l’année du Lapin. Dans les traditions asiatiques, le lapin est considéré comme un symbole de paix, de prospérité et de longévité. Le lapin représente aussi l’espoir que représentent de nouvelles possibilités.
La sénatrice McPhedran vient de m’apprendre que son signe est celui du lapin. Je suis certain qu’il y en a d’autres parmi nous.
Dans ma culture, le premier jour du Nouvel An lunaire, le 23 janvier, est une fête spéciale. Traditionnellement, c’est une occasion de passer du temps en famille, avec ses amis et sa communauté. Pour les Canadiens d’origine chinoise, c’est aussi l’occasion de renouer avec leurs origines culturelles.
Chaque année, le jour du Nouvel An lunaire, d’un océan à l’autre, d’innombrables organisations communautaires sino‑canadiennes font un travail remarquable pour promouvoir notre patrimoine culturel. Cette année est toute spéciale, car c’est la première fois depuis la pandémie que les célébrations et les rassemblements ont pu avoir lieu en grand.
Sénateurs, le multiculturalisme est l’un des piliers qui font du Canada le meilleur pays du monde. Du fait que nous célébrons la diversité et l’ouverture, des festivités comme celles du Nouvel An lunaire peuvent avoir lieu sans crainte de manifestations ou de violence.
Ces fêtes culturelles doivent continuer d’être des occasions de mettre en lumière diverses coutumes, de rapprocher les communautés et de faire connaître de vieilles traditions.
Pour conclure, je tiens à vous souhaiter, à vous et à vos proches, une année du Lapin pleine de santé et de prospérité.
Merci, xie xie.
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Richard Koo, président de l’Association des participants à l’Académie internationale olympique. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Deacon (Ontario).
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le décès de l’agent Grzegorz (Greg) Pierzchala
L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour honorer la vie et le service de l’agent de la Police provinciale de l’Ontario Greg Pierzchala. Greg a été tué dans l’exercice de ses fonctions le 27 décembre alors qu’il répondait à un appel pour porter secours à un véhicule dans un fossé près d’Hagersville, dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Il avait 28 ans.
Greg était nouvellement policier et avait une vie et une carrière entières devant lui. Avant de devenir policier, il avait été membre des Forces armées canadiennes, puis agent spécial à Queen’s Park, à Toronto. Hélas, il venait d’apprendre qu’il avait réussi sa période de probation le jour où il est décédé.
Greg a grandi à Barrie, en Ontario. C’était un étudiant accompli et un athlète multidisciplinaire. On se souviendra de lui pour son cran et son esprit d’équipe. Il était également amateur d’art. Au dire de tous, il était un homme inspirant, déterminé et empreint de compassion qui trouvait toujours le bon chez les autres.
L’agent Pierzchala désirait devenir policier depuis qu’il avait 5 ans et estimait avoir enfin trouvé son emploi de rêve. Ses collègues le décrivent comme un leader tranquille au caractère ferme ayant rapidement su gagner le respect de ses pairs.
Ce jour fatidique, Greg a répondu à un appel — un appel parmi tant d’autres en ce jour de tempête de neige — concernant un véhicule pris dans un fossé. Il a été atteint par balle peu après son arrivée. Malgré les vaillants efforts des secouristes et du personnel médical, il n’a pas survécu.
L’agent Pierzchala est le cinquième membre des forces policières à être abattu au Canada depuis septembre — une augmentation inquiétante qui secoue la communauté des forces de l’ordre. Au début de janvier, dans une déclaration commune, quatre associations de services policiers du Canada ont demandé qu’on agisse pour répondre à ce qu’elles considèrent comme une vague de violence à l’endroit des agents de police et de la communauté policière.
Les collègues, la famille et la collectivité de l’agent Greg Pierzchala sont dévastés par cet acte de violence insensé.
Toutes les personnes impliquées dans la réponse à cet appel d’urgence seront marquées à jamais par le décès de Greg : le répartiteur qui a envoyé Greg répondre à l’appel; les premiers répondants présents sur la scène; les ambulanciers; les collègues de quart de Greg; son agent d’apprentissage, qui avait passé la dernière année à lui enseigner comment assurer sa sécurité; et sa classe de recrues, qui se feront rappeler à jamais le décès de Greg chaque fois qu’elles regarderont leur photo de finissants.
Ce qui est important, c’est que vous vous joignez à moi pour exprimer nos sincères condoléances à la famille de Greg, à ses parents, Janina et Jan, et au reste de la famille, Chris, Michal et Justyna.
Honorables sénateurs, j’espère de tout cœur que c’est la dernière fois que j’aie à prendre la parole ici pour rendre hommage à un agent de police tué en service.
Reposez en paix, agent Pierzchala. Merci.
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Rob « Scratch » Mitchell, ancien lieutenant-colonel de l’Aviation royale canadienne et ancien chef d’équipe des Snowbirds. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Batters.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le « party de cuisine » de Terre-Neuve
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je suis heureux de vous présenter aujourd’hui le chapitre 71 de « Notre histoire ».
Les Terre-Neuviens et les Labradoriens sont bien connus pour leur chaleureuse hospitalité. Nous sommes toujours prêts à faire résonner les histoires et les chansons qui continuent de célébrer notre magnifique région du monde. Nous sommes tout aussi généreux lorsque vient le temps d’ouvrir la porte de nos maisons et d’offrir un repas à quiconque vient nous visiter.
Autrefois, le vieux poêle à bois de la cuisine était la seule source de chaleur de bien des maisons à Terre-Neuve. Pour beaucoup de Terre-Neuviens, la cuisine était le cœur de la maison. C’était l’endroit où passer de bons moments et créer de précieux souvenirs. Ces rassemblements ont mené à l’établissement d’une tradition bien spéciale, qualifiée à juste titre de « party de cuisine ». Le party de cuisine est devenu extrêmement populaire au fil des ans, autant chez les gens nés dans la région que chez ceux venant de loin.
Ces rassemblements sont toujours ouverts à tous. Après tout, à Terre-Neuve, personne n’est un étranger : vous y trouverez simplement des amis dont vous n’avez pas encore eu l’occasion de faire la connaissance. Comme l’a dit un vieux pêcheur de ma ville : « Si vous n’avez jamais participé à un party de cuisine de Terre‑Neuve, vous n’avez pas vraiment mené une vie bien remplie. » Je dois dire que je suis d’accord avec lui. C’est vraiment une expérience unique.
La plupart des partys de cuisine ne sont pas planifiés. Des gens passent voir des amis. On sert peut-être des langues de morue fraîches et des scruncheons, de petits morceaux de gras de porc frits, avec une tranche de pain maison. Chose certaine, il y a toujours toutes sortes de boissons pour faire descendre le tout. Quelques musiciens ne sont jamais bien loin, dont un ou deux avec un accordéon. Sans qu’on s’en aperçoive vraiment, les gens se mettent à chanter, à danser et à raconter des histoires : voilà, le party de cuisine va bon train. Voilà un élément unique de notre patrimoine irlando-terre-neuvien.
(1420)
Il y a très peu de règles, et personne ne regarde l’heure. La seule chose que vous avez à faire, si vous ne supportez pas la chaleur dans la cuisine, est de sortir dans la cour pour vous rafraîchir un peu ou d’ouvrir la porte du réfrigérateur. Vous y trouverez certainement une bouteille fraîche contenant un remède à tous vos maux. On encourage toujours les invités à partager leurs talents. C’est là que les choses peuvent devenir très intéressantes.
En 2017, à leur retour d’un voyage de golf en Floride, les Terre‑Neuviens Sean Sullivan et Sheldon Thornhill, et quelques copains, avaient un peu de temps à perdre à l’aéroport international de Toronto en attendant leur vol qui était en retard. Sheldon a décidé de sortir son accordéon et a commencé à jouer une chanson, et Sean s’est rapidement joint à lui avec sa guitare. Très vite, les gens se sont rassemblés autour d’eux et tout le monde s’est joint à ce qui est rapidement devenu un « party de cuisine » terre-neuvien, mais sans les langues de morue ni le poêle à bois. La vidéo est devenue populaire, et a été diffusée sur tous les réseaux d’information nationaux, en plus d’être largement partagée sur les médias sociaux. Je vous encourage tous à chercher « Newfoundland kitchen party in Toronto airport » sur YouTube, et faites-le rapidement, avant que le projet de loi C-11 ne soit adopté, car les gens du CRTC pourraient ne pas considérer cette vidéo comme du contenu canadien.
Entre-temps, Sean Sullivan a transformé le succès de la vidéo de l’aéroport de Toronto en un produit touristique de qualité supérieure appelé « Sullivan’s Songhouse », situé dans la ville de Calvert sur la côte sud. On peut d’ailleurs facilement le trouver sur Internet, et je vous invite aujourd’hui à vous y rendre pour participer à votre propre party de cuisine à l’ancienne. Pour éviter toute déception, je vous conseille toutefois de réserver tôt, parce que c’est un endroit très fréquenté.
Bien que Terre-Neuve-et-Labrador continue de se tourner vers l’avenir, nous n’oublions jamais notre passé et, bien que la vie apporte son lot de défis, le fait de se rassembler dans un party de cuisine de Terre-Neuve, entouré de musique et d’amis, permet de transformer une journée grise et brumeuse en un bain de soleil qui laisse un souvenir à la fois merveilleux et précieux.
Merci.
AFFAIRES COURANTES
Projet de loi sur les nouvelles en ligne
Préavis de motion tendant à déclarer nulles et non avenues toutes les délibérations tenues jusqu’à présent
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que toutes les délibérations tenues jusqu’à présent sur le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, soient déclarées nulles et non avenues.
[Français]
L’ajournement
Préavis de motion
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 7 février 2023, à 14 heures.
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : l’étude de la motion no 79, suivie de l’étude de la motion no 78, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.
[Français]
Le Sénat
Adoption de la motion concernant la séance d’aujourd’hui
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 31 janvier 2023, propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, le mercredi 1er février 2023 la séance soit levée à la fin des délibérations sur le projet de loi C-11 pour ce jour-là ou à minuit, selon la première éventualité.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
[Traduction]
Autorisation aux comités mixtes de tenir des réunions hybrides
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 31 janvier 2023, propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, jusqu’à la fin de la journée le 23 juin 2023, tout comité mixte soit autorisé à tenir des réunions hybrides, les dispositions de l’ordre du 10 février 2022 concernant de telles réunions ayant effet;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dawson, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, tel que modifié.
L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11, le projet de loi sur la diffusion continue en ligne.
Après 31 ans, il est certainement temps de moderniser la Loi sur la radiodiffusion. Les médias et la technologie ont beaucoup évolué pendant cette période au Canada. Cependant, le projet de loi C-11 du gouvernement Trudeau ne vise pas vraiment à moderniser cette loi, mais plutôt à appliquer un cadre déjà désuet à un monde numérique moderne qui ne s’y prête pas. Évidemment, le gouvernement Trudeau, n’a tout simplement pas pu s’empêcher de profiter de cette occasion pour s’ingérer dans un système qui permet aux Canadiens de diffuser de l’information librement et de façon démocratique.
Lors de la législature précédente, le gouvernement libéral a présenté le projet de loi C-10, qui était perçu comme pouvant donner au CRTC le pouvoir d’encadrer la liberté d’expression en ce qui a trait au contenu diffusé sur le Web. Le projet de loi est mort au Feuilleton lorsque le premier ministre a déclenché inutilement des élections, en 2021.
Cependant, une version pratiquement identique de ce projet de loi a resurgi pendant la législature en cours : le projet de loi C-11. Dans le cadre de l’étude article par article menée par le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, j’ai participé à une réunion interminable de trois heures pendant laquelle j’ai été à même de constater à quel point ce projet de loi est désastreux.
Le gouvernement soutient que le projet de loi C-11 ne réglementera pas l’utilisation quotidienne des médias sociaux, comme le contenu amateur, laissant ainsi entendre qu’il ne s’appliquera pas aux créateurs individuels. Cependant, le gouvernement y a inséré le paragraphe 4.2(2), qui permet au CRTC de prendre des règlements concernant des émissions qui « génère[nt] des revenus » — ce qui pourrait effectivement s’appliquer au contenu des créateurs canadiens de YouTube et de TikTok.
En même temps, déléguer le pouvoir de réglementation gouvernemental au CRTC permet encore une fois au gouvernement Trudeau d’éviter de rendre des comptes pour ses actes et ses décisions. Si une controverse surgit au sujet de la réglementation « indépendante » du CRTC, le gouvernement dira que cela ne relève pas de sa compétence. Fort commodément, le CRTC lui‑même n’est pas reconnu pour sa transparence. C’est une chose qu’il a en commun avec le gouvernement Trudeau.
Pendant l’étude préalable du comité sénatorial sur le projet de loi C-11, Monica Auer, la directrice exécutive du Forum for Research and Policy in Communications, a décrit le CRTC de la façon suivante dans son témoignage :
Pour ce qui est de la responsabilisation et de la transparence, le problème en ce moment avec le CRTC, c’est qu’il ne rend pas ses décisions publiques. Chaque année, il publie des dizaines de décisions que vous ne pouvez pas voir parce qu’il n’y a pas d’hyperlien et qu’il ne publie pas. Lorsque nous disons que le CRTC est transparent, ce n’est tout simplement pas le cas. Il tient des audiences publiques sans témoins. [...] lorsque vous parlez du transfert de propriété de la moitié des stations radiophoniques de la Colombie-Britannique dans le cadre d’une décision administrative et sans audience publique, je pense que je remettrais en question la notion selon laquelle le CRTC est a) transparent, b) ouvert et c) responsable. Il ne l’est pas.
Si le gouvernement souhaite réglementer le contenu produit par les utilisateurs canadiens sur Internet, il devrait l’admettre. Les Canadiens méritent de connaître l’objectif visé ici, et le gouvernement devrait être tenu de rendre des comptes au sujet de cette décision politique. Se défiler en invoquant une mesure législative vague qui délègue la prise de décision à un conseil prétendument indépendant qui tient des réunions à huis clos et ne rend des comptes qu’au ministre n’est pas faire preuve de transparence ou de responsabilité.
Le Sénat a été saisi du projet de loi C-11 en juin dernier, mais le sénateur Dawson, qui en est le parrain, n’en a pas parlé pendant trois mois. Lorsqu’il est finalement intervenu au sujet de cette mesure, il a pris les 45 minutes de temps de parole qui lui étaient allouées, ce qui laissait très peu de possibilités à ses collègues sénateurs de lui poser des questions.
À l’étape de la deuxième lecture, le leader du gouvernement au Sénat n’a même pas fait d’intervention au sujet du projet de loi, ce qui a encore une fois empêché les sénateurs de poser des questions au gouvernement concernant cette mesure.
Honorables sénateurs, au vu de ces circonstances, force est de se demander pourquoi le gouvernement Trudeau craint tant toute forme d’examen?
Bref, le projet de loi C-11 est le moyen qu’emploie le gouvernement Trudeau pour faire indirectement ce qu’il n’a pas la volonté politique de faire directement. À l’heure actuelle, divers producteurs de contenu canadien remportent un grand succès en ligne et se font efficacement connaître directement à un auditoire mondial sans empêcheurs de tourner en rond ou intermédiaires.
(1430)
Avec le projet de loi C-11, le gouvernement Trudeau cherche à s’insérer au milieu de ce processus et à imposer des règlements. C’est comme la vieille blague politique qui dit que les dix mots les plus terrifiants de la langue sont : « Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider. »
La réglementation du contenu canadien par le gouvernement aura un effet dévastateur sur les utilisateurs canadiens que le gouvernement prétend vouloir promouvoir. On craint que si le contenu canadien est mis en valeur auprès du public canadien, ce soit considéré comme un avantage injuste pour les producteurs de contenu canadien, et que les plateformes comme YouTube, par exemple, limitent alors l’exposition internationale de ces comptes canadiens par souci d’équité envers les autres utilisateurs.
En représailles, d’autres pays pourraient mettre en place des restrictions de contenu similaires pour leurs propres utilisateurs nationaux, réduisant ainsi la visibilité des Canadiens.
Un autre problème se pose pour les producteurs de contenu spécialisé. Alors que l’auditoire potentiel d’un créateur peut n’être que de quelques milliers au Canada, il peut avoir un auditoire beaucoup plus important, potentiellement des millions, aux États‑Unis ou dans le monde entier. Les dispositions du projet de loi C-11 pourraient empêcher les créateurs de contenu spécialisé d’accéder à ce marché mondial plus vaste.
Pour les producteurs de contenu canadien qui comptent sur des publics étrangers — ceux qui offrent du contenu touristique, par exemple — le projet de loi C-11 peut avoir pour effet d’orienter le contenu vers le mauvais public cible. C’est là l’un des plus gros problèmes du projet de loi C-11 : en dirigeant le contenu canadien vers les utilisateurs canadiens plutôt que de permettre un choix naturel, on peut générer une discordance pour un utilisateur de médias sociaux, ce qui rend plus probable qu’il ignore le contenu, l’abandonne ou l’évalue défavorablement. Cela nuira à l’algorithme, et la vidéo du créateur canadien sera donc moins susceptible d’être montrée à nouveau. À cet égard, la création de restrictions relatives au contenu canadien, qui visent à promouvoir le travail canadien, pourrait finir par avoir l’effet contraire.
Pourquoi le gouvernement Trudeau insiste-t-il pour limiter les créateurs canadiens de cette façon, honorables sénateurs? Les producteurs de contenu canadien réussissent assez bien en ligne. C’est comme si le gouvernement essayait de trouver des solutions à un problème qui n’existe pas.
Même pour les créateurs canadiens dont la carrière est bien établie, les plateformes de médias sociaux offrent d’autres occasions de commercialiser leurs œuvres, longtemps après que ces créateurs aient percé. Par exemple, grâce à des plateformes comme TikTok, des artistes canadiens ont vu certaines de leurs vieilles chansons à succès connaître un regain de popularité. Le tube Die For You de The Weeknd, qui a d’abord été un succès en 2016, figure actuellement en tête du palmarès, grâce à sa diffusion sur TikTok. L’application a aussi permis au groupe rock Mother Mother de Vancouver de faire lui aussi un tabac en 2020 avec son tube de 2008 Hayloft. De telles situations peuvent aider à soutenir les artistes canadiens sur un marché saturé et compétitif. Mais surtout, ce succès n’est pas le résultat d’une manipulation algorithmique, mais plutôt d’une utilisation naturelle de l’application.
La démocratisation de l’espace en ligne actuel permet à de nouveaux artistes et créateurs de contenu du Canada issus de divers horizons de réussir. Pour accéder à cet espace, il suffit d’avoir une connexion Internet et une imagination foisonnante.
Au palmarès des meilleurs youtubeurs au Canada, on trouve notamment Evan Fong, de Toronto, un créateur d’origine asiatique dont la chaîne YouTube compte plus de 25,8 millions d’abonnés. Lilly Singh, résidante de Scarborough d’origine pendjabie, figure au troisième rang dans la liste des youtubeurs les mieux payés au monde publiée par Forbes. Elle a actuellement 14,6 millions d’abonnés. Lauren Riihimaki, de LaurDIY, est d’origine finlandaise, ukrainienne et japonaise. Sa chaîne compte plus de 8,42 millions d’abonnés. Shina Novalinga, une jeune interprète de chant guttural originaire du Nunavik installée à Montréal, a plus de 4,1 millions d’abonnés sur TikTok. Stef Sanjati, une personne trans, partiellement sourde et atteinte du syndrome de Waardenburg, a des racines croates et françaises. Plus d’un demi-million de personnes sont abonnées à sa chaîne YouTube.
Je pourrais continuer longtemps. Bon nombre des créateurs de contenus en ligne canadiens qui remportent le plus de succès viennent de communautés diverses. Ils exportent des contenus uniques en leur genre partout sur la planète, et ce, sans aide ni ingérence du gouvernement. Ce dont les créateurs canadiens ont besoin, en fait, c’est que le gouvernement les laisse tranquilles.
Dans ma ville, Regina, se trouve l’exemple parfait de modèle de réussite canadienne qui n’aurait peut-être jamais eu lieu si les dispositions du projet de loi C-11 avaient été en vigueur. La célébrité sur TikTok bien de chez nous, Hitesh Sharma, un musicien et créateur en nomination aux prix Juno mieux connu sous le nom de Tesher, a bâti sa carrière musicale en ligne. Il a commencé à partir de la maison de ses parents, à Regina, alors qu’il n’était qu’un enfant. Il est maintenant une vedette internationale, et ses chansons ont été vues des centaines de millions de fois sur TikTok. L’automne dernier, il a rédigé une chronique pour expliquer l’incidence que le projet de loi C-11 aurait eue sur la trajectoire de sa carrière, et je tenais à vous la lire aujourd’hui.
Tesher a écrit ceci :
TikTok a donné à ma musique un auditoire mondial; le projet de loi C-11 menace cette voie d’accès.
Il y a un moment du gala des prix Juno de cette année que je n’oublierai jamais.
Je chantais Jalebi Baby avec Simu Liu, et le public chantait avec nous. Environ une minute après le début de la chanson, nos regards se sont croisés, nous nous sommes tournés vers le public, puis nous avons commencé à danser le bhangra. Le sourire sur mon visage reflétait bien ce que je ressentais : de la joie à l’état pur.
Cette joie s’est tempérée quand j’ai entendu parler du projet de loi C-11, qui sera bientôt mis aux voix au Sénat. S’il est adopté dans sa forme actuelle, ce projet de loi pourrait empêcher les artistes numériques canadiens de remporter le même succès et de ressentir la même joie que moi.
Mon parcours musical a commencé vers 2008 dans ma ville d’origine, Regina. Le jeune que j’étais s’amusait alors sur son ordinateur à mixer les chansons des films de Bollywood avec des chansons de hip-hop. J’ai appris le métier de musicien en essayant des choses et en faisant des erreurs, car je n’avais ni l’argent ni les contacts pour m’ouvrir les portes du milieu. Tout ce que j’avais, c’était ma détermination et une connexion Internet.
Puis un jour, j’ai découvert TikTok. J’ai tout de suite aimé cette plateforme. J’aimais que des gens de partout dans le monde diffusent, remixent et fusionnent des trucs. Il n’y a personne pour te surveiller sur TikTok. Si ton contenu est bon et invitant, il va trouver son public.
Non seulement je pouvais faire connaître ma musique au reste du monde, mais je pouvais créer une communauté avec qui parler de moi et de ma musique. Pour un jeune Indien de la Saskatchewan qui avait tout appris par lui-même et qui n’avait aucun contact dans le milieu, TikTok a complètement changé la donne.
J’ai beau être Canadien, c’est à l’extérieur du Canada que ma musique a d’abord été remarquée. On retrouve dans mon premier succès mondial, Jalebi Baby, les sonorités indiennes de mon enfance, mais aussi des touches de reggaeton et de salsa, de percussions du Moyen-Orient et de synthétiseurs de l’Europe de l’Est.
Je chante en hindi, en pendjabi et en anglais. Ma musique puise dans les influences et les traditions musicales de partout, alors elle a été d’autant plus populaire aux quatre coins du monde.
Mon parcours est moins traditionnel que si j’avais fait mon chemin dans le milieu de la musique, comme les autres. En fait, peut-être que je n’aurais pas eu de parcours du tout sans l’accès et la liberté dont jouissent ceux qui créent avant tout du contenu numérique, car ces deux choses — l’accès et la liberté — étaient interdites aux artistes comme moi, qui ne correspondent à aucun modèle prédéfini.
Et je suis loin d’être le seul. Certaines des nouvelles voix qui m’ont fait le plus vibrer ces dernières années, des artistes canadiens comme Jessia et Johnny Orlando, ont acquis une renommée mondiale et signé des contrats record parce qu’ils ont été capables de joindre un énorme auditoire sur TikTok.
Le projet de loi C-11 menace ce parcours à faibles obstacles — fondé sur le talent et les préférences de l’auditoire plutôt que sur les quotas établis par le gouvernement — en soumettant des plateformes comme TikTok et les créateurs qui l’utilisent à des règles désuètes en matière de radiodiffusion et de contenu canadien.
Je bâtis une carrière et j’exporte du contenu canadien partout sur la planète malgré ces règles, et non grâce à elles. C’est la voie que nous devrions tous vouloir que les artistes canadiens suivent. Nous voulons qu’ils puissent avoir la liberté de présenter partout dans le monde notre culture canadienne diversifiée et authentique.
Le projet de loi C-11 limiterait cette possibilité en exigeant que les créateurs accordent la priorité aux critères gouvernementaux en matière de distribution intérieure plutôt qu’à la création de contenu optimisé pour un auditoire mondial.
Moins d’un an après sa production, Jalebi Baby était diffusée en continu sur de nombreuses plateformes, y compris les radios canadiennes. J’ai collaboré avec la mégastar Jason Derulo pour la vidéo, j’ai été mis en nomination comme découverte de l’année aux prix Juno, puis je me suis retrouvé sur la scène, à chanter en direct.
Ma nomination a été un immense honneur, mais cette danse bhangra à la télévision nationale pendant la soirée musicale la plus importante du pays a été un moment vraiment inoubliable. Quand j’étais enfant, jamais je n’aurais pu imaginer une personne ayant mon apparence et ma voix monter sur scène.
C’est pourquoi je suis impatient de protéger les débouchés et d’offrir de l’inspiration à la prochaine génération de Canadiens qui font de la musique, des tutoriels d’art ou des sketches comiques. Les créateurs en herbe devraient avoir la même chance que moi de vivre leur rêve.
Là devrait être toute la question, honorables sénateurs : donner aux artistes, aux musiciens, et aux journalistes canadiens la possibilité de partager leurs dons avec le monde. C’est ce que nous voulons tous. Le monde a besoin de plus de Canada, mais nous n’y parviendrons pas en nous comportant comme des parents hélicoptères avec les talents canadiens. Nous ne donnons pas aux producteurs de contenu canadien la possibilité de prospérer parce que nous les étouffons par des règlements. Le projet de loi C-11 non seulement place nos producteurs canadiens de contenu numérique dans une situation nettement désavantageuse, mais risque de mettre un terme à la carrière de bon nombre d’entre eux. Il pourrait empêcher de jeunes enfants comme Hitesh Sharma — ou Tesher — qui s’amusent avec de la musique sur leur ordinateur, chez eux, dans des lieux comme Regina, et partout au pays, de réaliser un jour leurs rêves.
C’est pourquoi je vais voter contre le projet de loi C-11 et que je vous encourage à faire de même. Donnons à nos producteurs de contenu canadien la liberté de rivaliser, la liberté de réaliser leurs projets et la liberté d’exceller. Donnons au monde plus de Canada tout en donnant aux Canadiens plus de liberté.
Merci.
(1440)
L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, après des semaines d’audiences du comité et après avoir entendu des heures et des heures de témoignages au sujet du projet de loi C-11, je suis plus que jamais convaincue que ce projet de loi très mal conçu va beaucoup trop loin. Ce projet de loi — l’idée même qui en est à l’origine — est déconnecté de la réalité et des gens qui utilisent cette technologie pour apprendre, enseigner, communiquer, se divertir et gagner leur vie.
Le gouvernement continue d’affirmer, malgré toutes les preuves du contraire, qu’il vise simplement à moderniser la Loi sur la radiodiffusion. Ce projet de loi n’a rien de simple et rien d’une petite mise à jour. Internet n’est certainement pas un service de radiodiffusion traditionnel; c’est pourquoi essayer de lui imposer une réglementation en matière de radiodiffusion, y compris sur le contenu — qu’il soit canadien ou autre — est une mauvaise approche qui entraînera des conséquences inattendues.
Internet et ses diverses plateformes sont des entités et des structures mondiales qui n’ont pas de limites physiques ou temporelles et qui n’ont, par conséquent, rien à voir avec les stations de radio ou de télévision, dont la programmation est linéaire et fixée dans le temps et auxquelles il est possible d’imposer des pourcentages ou des quotas par rapport au contenu. Par exemple, il est possible de calculer 30 % de 24 heures et d’en faire un règlement applicable. Comment imposer des quotas à un système qui transcende toutes les frontières, y compris celles du temps et de l’espace?
Eh bien, on se sert du concept de découvrabilité. Celui-ci obligera les plateformes de faire en sorte que certains contenus soient plus faciles à trouver — qu’ils soient plus découvrables — alors que d’autres le seront moins. Il ne s’agit pas là d’une mise à jour des règles de la radiodiffusion. Il s’agit du gouvernement qui décide, par l’entremise de ses agences, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ce qui est le plus important, et décide ensuite que c’est aussi ce qui est le plus important pour vous et moi. Je ne peux imaginer que les utilisateurs d’Internet du monde entier seraient plus heureux que moi que les choix de contenu canadien sélectionnés et promus par le gouvernement du Canadien se substituent à leurs choix personnels.
Notre comportement en ligne est ce qui apprend aux algorithmes à nous offrir plus de ce que nous aimons. Les plateformes détectent nos intérêts, nos préférences et nos habitudes de navigation, puis ils nous montrent plus de ce que nous avons choisi — et non pas ce que le gouvernement a choisi. C’est l’aspect qui est au cœur même du projet de loi : la question fondamentale de la manipulation des algorithmes. À mon avis, on peut se poser la question suivante : dans une démocratie, un gouvernement ou un organisme devrait-il avoir le pouvoir de substituer ses choix aux miens ou à ceux de tous les utilisateurs?
Nous savons que le projet de loi C-11 donne au CRTC le pouvoir de manipuler les algorithmes, puisque le président l’a lui-même admis. Ce n’est tout simplement pas aux gouvernements de forcer les plateformes à manipuler des algorithmes dans le but d’atteindre des quotas, de promouvoir un certain contenu ou d’en rendre un autre moins visible. Si vous êtes amateur de musique country ou de balados qui parlent de philosophie, vous préférerez sûrement avoir accès à ces contenus sans ingérence. Rappelons que l’ingérence dont on parle ici va au-delà des raisons qui, selon le consensus social, justifient une censure, comme les cas de discours haineux, d’incitation à la violence ou de diffamation.
Par ailleurs, il y a une arrogance fondamentale dans cette notion. J’invite les honorables sénateurs et les Canadiens qui écoutent ou regardent le débat chez eux à se demander qui serait en mesure d’être le censeur en chef, celui qui décidera ce que vous devriez regarder ou écouter. Donneriez-vous ce super pouvoir au gouvernement du moment, qui aura ses propres intérêts politiques et partis pris? Vous partagez peut-être le point de vue d’un parti particulier, mais qu’arrivera-t-il s’il y a un changement de gouvernement? Aimeriez-vous qu’un gouvernement dont vous ne partagez pas les points de vue ait un tel pouvoir?
Comme le dit Christopher Hitchens, l’un de nos grands écrivains :
[C]haque fois que vous violez ou proposez de violer la liberté d’expression de quelqu’un d’autre [...] vous créez une arme qui pourra se retourner contre vous [...]
Tout ce concept est l’antithèse de la liberté d’expression. La liberté d’expression ne concerne pas seulement nos droits; c’est aussi le droit des autres de s’exprimer, même ceux avec qui nous sommes en désaccord. Il est question de mon droit de ne pas être d’accord avec eux, de les aborder ou de les ignorer, mais pas de leur refuser le droit d’exprimer leurs opinions. Beaucoup de nos grands penseurs ont évoqué l’importance fondamentale de la liberté d’expression. Le linguiste Noam Chomsky a été très clair : « Si nous ne croyons pas à la liberté d’expression pour les gens que nous méprisons, nous n’y croyons pas du tout. »
Ce projet de loi pose exactement le même problème. En utilisant la découvrabilité pour promouvoir une musique, un art, une langue ou une idée qui a été avalisé, on réduit les autres au silence. Laissez-moi choisir ce que je veux entendre, écouter, débattre ou désapprouver, voire découvrir. L’une des caractéristiques les plus attrayantes d’Internet est la découverte fortuite : en recherchant quelque chose que vous aimez, vous tombez sur quelque chose d’inconnu ou de spécial. Le gouvernement ne peut pas régir ou réglementer la curiosité.
Je suis reconnaissante au comité d’avoir reconnu l’importance de la liberté d’expression et de l’indépendance journalistique à l’article 3.1 en adoptant mon amendement. Il est fondamental, étant donné que ce projet de loi donne de nouveaux pouvoirs extraordinaires au CRTC, et au gouvernement lui-même. Il doit à tout le moins garantir explicitement la protection de notre droit à une expression libre et ouverte. Espérons qu’il sera accepté.
Comme on l’a déjà dit, les répercussions de ce projet de loi sur les producteurs de contenu, en particulier sur les jeunes Canadiens qui bâtissent leur carrière en ligne dans le cadre de l’économie numérique, s’avèrent très préoccupantes. De TikTok à YouTube en passant par les balados, il existe un espace numérique florissant qui fournit de nouvelles avenues pour diffuser de l’information et des idées, pour se forger un avenir professionnel et pour gagner sa vie. Ce projet de loi est vraiment contre-intuitif, parce qu’en choisissant ses favoris, le gouvernement nuit aux personnes qu’il prétend aider, à savoir la nouvelle génération de créateurs de contenu canadien et leur public. Leur rayonnement et leur succès seront diminués si des plateformes, voire des pays, décident que nos règles sont injustes.
Il y a eu des témoignages, appuyés par des représentations directes et fortes du gouvernement étatsunien, selon lesquels la découvrabilité et les exigences de promotion d’un certain contenu canadien violent les dispositions de nos accords commerciaux et qu’elles seraient considérées comme une ingérence dans la conduite d’une entreprise nationale dans la zone de libre-échange. Nos partenaires commerciaux pourraient chercher à exercer des recours ou des représailles. En tant que nation commerçante, voulons-nous devenir les protectionnistes que nous décrions?
Votre comité a proposé des amendements qui, nous l’espérons, contribueront à protéger les producteurs de contenu et les entrepreneurs des conséquences de ce projet de loi. L’amendement apporté à l’article 4.2 donne une certaine assurance aux petits créateurs amateurs en éliminant le critère de revenu et en précisant la définition d’« émission », ce qui leur permettra, pour le moment, d’échapper à certaines des exigences administratives coûteuses qui sont imposées aux autres. Même si le CRTC n’a pas l’intention d’encadrer les petits créateurs de contenu, il disposera tout de même du pouvoir de le faire s’il le décide ou s’il en reçoit l’ordre. Encore une fois, c’est ce qu’a admis le président du CRTC dans son témoignage.
Le comité a également voté en faveur du retrait du paragraphe 7(7) pour tenter de limiter l’emprise du gouvernement sur le CRTC et ses politiques. Cette institution indépendante a été conçue pour être un organisme de réglementation, et non un organisme politique, et la surveillance de celle-ci ne devrait pas être à la merci des considérations politiques du moment. Nous devons maintenant attendre de voir si l’indépendance du CRTC est un principe irréfutable ou une simple question de commodité. Étant donné que ce projet de loi confère de nouveaux pouvoirs au gouvernement et au CRTC, dont les membres sont nommés par le gouvernement, le président du CRTC et le ministre devraient être appelés à comparaître régulièrement devant des comités parlementaires des deux endroits, afin que nous puissions évaluer la mise en œuvre et les effets de cette mesure législative.
En fin de compte, la folie de cette entière démarche, c’est que notre monde numérique n’est nullement comparable aux médias traditionnels. L’espace est complètement différent. On y produit du contenu et y fait circuler l’information à un rythme sans précédent. Les Canadiens ont à cœur la liberté d’expression. Ils ne veulent pas qu’on leur dicte quoi consommer et n’ont pas besoin que l’État providence leur présente du matériel qu’ils sont parfaitement capables de trouver eux-mêmes s’ils le désirent.
L’ancien président des États-Unis Harry S. Truman avait émis cette mise en garde :
Une fois qu’un gouvernement a décidé de réduire la voix de l’opposition au silence, il s’engage sur une voie bien précise, celle des mesures de plus en plus répressives [...]
Voilà ma crainte à l’égard du projet de loi C-11 : un contrôle accru du flux d’information.
Je crois que l’objet de ce projet de loi n’est pas du ressort du gouvernement et ne doit pas l’être. Il limite les marchés, l’innovation et la créativité, et je ne peux l’appuyer.
(1450)
Ainsi, pour l’instant, nous attendons des preuves que le gouvernement a entendu les témoins qui ont comparu devant nous pour suggérer des solutions afin de bâtir la voie de l’avenir dans le nouveau monde numérique. J’espère que le gouvernement entendra leurs appels, car le bilan du gouvernement pour ce qui est de suivre les conseils réfléchis du Sénat n’est pas encourageant. Nous espérons que cette fois, ce sera différent, mais je suis peu optimiste. Merci, chers collègues.
L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, qui vise à mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion de 1991.
Même si c’est la première fois que je prononce un discours au Sénat, j’espère avoir l’occasion de faire un réel discours inaugural dans un avenir proche lorsque nous ne serons pas aussi pressés par le temps. Je crois que tous conviendront qu’il était temps que la Loi sur la radiodiffusion soit mise à jour, notamment en raison des avancées qu’ont connues les technologiques réglementées par cette loi dans les 32 dernières années.
Je dois d’abord vous dire que j’ai eu la chance d’être commissaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, pendant six ans au tournant du siècle — ce siècle-ci, pas l’autre d’avant.
À cette époque, mon travail était régi par cette loi, et je peux vous dire que, même à cette époque, elle commençait à montrer des signes de vieillesse, alors qu’Internet commençait à peine à s’imposer. C’était quand même une loi exhaustive assez flexible qui nous permettait de réglementer l’environnement en évolution.
La chose que je trouve extraordinaire de la Loi sur la radiodiffusion est qu’elle est typiquement canadienne.
[Français]
La loi régit une société unique : la société canadienne. Il n’y a aucun autre pays qui possède toutes nos qualités uniques. D’autres pays peuvent avoir certaines de nos principales caractéristiques, mais nous sommes les seuls à les avoir toutes. Je dirais que, dans l’ensemble, la Loi sur la radiodiffusion a bien fonctionné pendant toutes ces années.
[Traduction]
Juste pour me rajeunir, je tiens à préciser qu’en fait, j’ai comparu devant le comité de la Chambre des communes qui travaillait sur la Loi sur la radiodiffusion sous le gouvernement Mulroney, en 1991, alors que j’étais encore un très jeune homme. Je suis heureux de dire que certains des changements que nous avions préconisés à l’époque concernant la définition du « peuple canadien » ont effectivement été ajoutés au projet de loi à ce moment-là. J’étais loin de me douter que, six ans plus tard, je serais au CRTC pour mettre en œuvre cette loi, ou alors que j’interviendrais sur l’examen de cette loi au Sénat 32 ans plus tard.
J’aimerais me concentrer sur l’article 3 de la loi, c’est-à-dire sur les aspects uniques du peuple canadien que la Loi sur la radiodiffusion vise à mettre en valeur. Voici quelques-unes des principales caractéristiques qui sont au cœur de notre société.
Nous avons deux langues officielles, et le CRTC veille constamment à ce que nous ayons une richesse de programmes dans les deux langues. Lorsque je travaillais au CRTC, j’ai eu le plaisir de prendre part aux décisions qui ont permis de rendre TVA accessible partout au Canada, de rendre la Société Radio-Canada — la télévision et la radio — accessible dans toutes les capitales provinciales et d’augmenter considérablement le nombre de chaînes spécialisées en français. De fait, grâce aux progrès de la technologie numérique, le CRTC a pu enrichir la diffusion de programmes dans les deux langues, en offrant notamment un grand nombre de chaînes francophones d’un océan à l’autre.
Le Canada possède aussi un secteur de la radiodiffusion multilingue bien développé, qui rivalise avec tous les autres secteurs comparables dans le monde. On y trouve du contenu produit pour et par diverses communautés ethnoculturelles du pays. Le légendaire Johnny Lombardi a été un pionnier de la radiodiffusion multilingue. C’était à Toronto, dans les années 1960. Petit à petit, le nombre d’émissions de radio et de télévision a augmenté au Canada, alors que le CRTC accordait des licences à davantage de services multilingues.
Le plus récent ajout au paysage télévisuel a été le Réseau de télévision des peuples autochtones, ou APTN. L’audience relative à l’octroi de sa licence a certes été l’une des audiences les plus importantes ayant eu lieu durant mes six années au CRTC. C’était quelque chose de mémorable. Nous avons entendu les témoignages de certaines figures de proue dans le domaine. Abraham Tagalik, du Nunavut, présidait le conseil d’administration de ce qui était alors Television Northern Canada. La grande dame du cinéma autochtone, la très douée Mme Alanis Obomsawin, nous a rappelé nos obligations, et Adam Beach, un acteur primé, a souligné tout le talent qui existe au sein de la communauté culturelle autochtone.
Je me souviens avoir pensé, à l’époque, qu’il était paradoxal que les membres des Premières Nations soient les dernières personnes à avoir leur propre réseau de télévision. Aujourd’hui, 23 ans plus tard, APTN continue de prendre de l’ampleur et d’étendre ses services partout au pays, surpassant toutes les attentes, même s’il existe maintenant de nombreux autres services de radiodiffusion et de télédiffusion autochtones.
Depuis le début des années 2000 environ, le CRTC s’intéresse également à la question de la diversité dans la programmation des radiodiffuseurs d’expression française et anglaise afin que le contenu à la radio et à la télévision grand public auquel nous sommes exposés reflète la diversité raciale, culturelle et autochtone de notre pays.
Maintenant, il faut ajouter à cette spécificité ce qui suit. Contrairement à de nombreux autres pays, nous avons comme voisin la machine culturelle la plus dominante du monde, le mastodonte culturel que sont les États-Unis. Contrairement aux autres pays, même ceux dont les habitants consomment énormément de produits hollywoodiens, nous partageons non seulement une langue, mais également une certaine culture, un accent. Nous suivons les mêmes sports, comme le football et le hockey. Nous avons des expressions en commun. Ainsi, il est plus difficile de distinguer la musique et les émissions canadiennes du contenu américain, et les consommateurs canadiens ont moins de raisons d’être loyaux aux produits d’ici.
Du côté francophone, la radiodiffusion est confrontée à des défis uniques. Il est vrai que notre nation francophone vit au sein d’une anglosphère en Amérique du Nord, mais l’avantage de cette situation est que les consommateurs francophones sont particulièrement loyaux aux émissions en français produites au Québec et dans le reste du Canada. Le vedettariat québécois est bien vivant, florissant, et il peut compter sur de nombreux admirateurs et un vaste auditoire. L’industrie canadienne-anglaise ne peut que souhaiter d’avoir le même genre de public au Canada.
Cependant, vu l’énorme popularité de la musique et des émissions américaines, il est nécessaire pour l’État d’aider les émissions de langue française. Pensons au gouvernement fédéral, au gouvernement du Québec ou aux autres gouvernements provinciaux. C’est pourquoi le projet de loi C-11 est si populaire au Québec. Il apporte plus de revenus pour le contenu réalisé au Canada et diffusé de manière traditionnelle et en ligne.
Maintenant, l’article 3, particulièrement le sous-alinéa 3(1)d)(iii) proposé, ordonne au CRTC de réglementer et d’accommoder cette diversité de façon claire et contemporaine.
Dans un autre ordre d’idées, il y a eu toutes sortes de commentaires récemment sur le fonctionnement du CRTC, et je considère que certains de ces commentaires sont un peu gratuits. Je peux vous dire, d’après mon expérience, que j’ai trouvé que c’était l’un des organismes les plus ouverts et les plus transparents du gouvernement fédéral. Certes, il n’est pas parfait et, à l’occasion, il est tenu à la confidentialité parce que des questions commerciales et concurrentielles sont en jeu. Je vous dirais que toutefois c’est l’un des organismes qui travaille dur pour entendre une grande variété de voix et qui s’efforcera toujours de trouver un équilibre entre les intérêts des puissantes sociétés et des Canadiens ordinaires.
Il était aussi parfaitement ouvert à l’idée que soient remises en question ses façons de mener des audiences et des consultations. Je dirais que cet organisme mène des audiences publiques aussi bien, sinon mieux, que n’importe quel autre agence ou commission fédérale.
Hier, on a parlé de ce qu’on appelle la « politique identitaire » et du fait que ce genre de politique s’est introduite dans les affaires culturelles. J’étudie et j’enseigne constamment l’histoire et la politique canadiennes, et selon mon interprétation, l’identité a toujours fait partie de l’histoire du Canada. Certains parleront de politique identitaire. On y retrouve bien des aspects positifs, et certains aspects négatifs.
Depuis le début de notre histoire, les premiers peuples, c’est‑à‑dire les Autochtones, ont toujours été diversifiés, et ils étaient fiers de leurs diverses identités. Ils nous ont d’ailleurs appris à reconnaître leurs territoires ainsi que l’histoire qui se rattache à ces territoires et aux peuples qui ont habité les différents territoires traditionnels de l’Île de la Tortue où nous nous trouvons, et nous leur rendons hommage. Cependant, rappelons qu’après l’arrivée des colons venus d’Angleterre et de France, ceux-ci se sont livré une lutte basée sur des considérations identitaires, c’est-à-dire les Anglais contre les Français, d’où la bataille des plaines d’Abraham en 1759. Comme on dit, on connaît la suite.
(1500)
Pendant de nombreuses années, les colonisateurs ont imposé leur identité, leur langue et leur religion sur cette terre et ils ont passé des siècles à essayer de noyer l’identité des peuples autochtones, allant même parfois, comme nous le savons, jusqu’à utiliser des moyens plutôt malheureux.
Dans une affaire historique connexe, permettez-moi de parler des Pères de la Confédération. En effet, ce sont les pères et pas les mères. Il n’y avait que des hommes d’origine britannique et française. Il n’y avait surtout pas d’Autochtones, même si la Proclamation royale de 1763 reconnaissait les Autochtones et leurs droits fonciers. Leur identité autochtone n’a pas été incluse dans la Confédération, et les Autochtones n’ont certainement pas été reconnus comme des fondateurs de l’État canadien.
Il y avait aussi beaucoup de Noirs. Il s’agissait de loyalistes qui avaient quitté les États-Unis pour venir s’installer ici — notamment les ancêtres de l’ancien sénateur Don Oliver et de la sénatrice Wanda Thomas Bernard — et qui se trouvaient déjà au Canada depuis plus d’un siècle, mais qui, encore une fois, ne faisaient pas partie des Pères de la Confédération.
Permettez-moi de parler de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Souvenez-vous de cette désignation. De quelle Amérique du Nord était-il question? De celle qui était d’origine britannique. Un document fondateur se résume à une question d’identité. Les Anglais et les Français avaient obtenu des garanties à l’égard d’écoles protestantes et catholiques, qui étaient absolument conditionnelles à la signature du document. Si ces identités n’avaient pas été enchâssées dans notre Constitution, le Canada n’aurait pas existé.
Ce n’est pas tout. Pendant les années 1800 et au début des années 1900, le gouvernement s’appropriait les terres des peuples autochtones pour les donner aux colons anglais et français et aux Européens de l’Est. Quant aux enfants autochtones, ils étaient enlevés par l’État et par l’Église et soumis à des conditions épouvantables.
Et voilà qu’aujourd’hui, nous nous demandons pourquoi il y a des riches et des pauvres et pourquoi il y a des puissants et des démunis. À l’extérieur de cette salle, il y a des gens qui demandent à certains groupes de cesser de s’étendre sur le sujet de leur identité, de passer à autre chose et de se contenter d’être comme les autres.
C’est ce qui m’amène au sous-alinéa 3(1)d)(iii). Cette disposition est nécessaire parce que c’est de cette façon, en respectant tous les Canadiens, quelle que soit leur identité ou leur origine, que nous ferons du Canada un grand pays.
J’aimerais parler brièvement de la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 15(1) dit que nous sommes tous égaux. Le paragraphe 15(2), de son côté, précise que les programmes gouvernementaux inégalitaires sont autorisés s’ils ont l’égalité pour but ultime. Ce qui veut dire que l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones tombe directement sous le coup des pouvoirs prévus au paragraphe 15(2) de la Charte des droits et libertés. Aujourd’hui, nous avons la preuve que le projet de loi C-11 respectera aussi la déclaration de l’ONU.
En terminant, j’aimerais dire que la réduction de l’inégalité et la promotion de l’égalité pour l’ensemble des Canadiens comptent parmi les raisons fondamentales de la gouvernance, qu’il s’agisse de politiques culturelles, sociales ou économiques. C’est ce que vise le projet de loi C-11. Il fait progresser un peu plus notre grand pays. Il favorise la présence de plus de contenu canadien dans le monde des médias en ligne dans l’avenir. Le monde a besoin de plus de Canada, et l’augmentation des revenus permettra de diffuser davantage de contenu canadien sur la planète.
[Français]
Pour cette raison et bien d’autres qui ont été expliquées par mes collègues, je serai honoré de voter en faveur du projet de loi C-11.
Merci.
[Traduction]
L’honorable Leo Housakos : Le sénateur Cardozo accepterait-il de répondre à une question?
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cardozo, il reste un peu plus d’une minute. Acceptez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Cardozo : Oui.
Le sénateur Housakos : Sénateur Cardozo, félicitations. Je crois qu’il s’agit de votre premier discours au Sénat. Il contient de nombreux éléments, mais j’aimerais me concentrer sur un d’entre eux. Vous avez parlé de la popularité du projet de loi C-11 au Québec. Je crois que ce projet de loi y est populaire parmi les amateurs de la télévision par câble et du modèle de radiodiffusion traditionnel. Il est très impopulaire parmi les diffuseurs en continu, les blogueurs, les utilisateurs de Twitter et les jeunes Québécois qui vivent sur ces nouvelles plateformes.
Si ces nouvelles plateformes sont si populaires parmi les francophones, c’est parce que ces derniers ne restent pas cantonnés aux quelques millions de francophones qui écoutent ce qu’ils font pour développer leur art et leur culture. Ils peuvent diffuser partout dans le monde à des dizaines et des centaines de millions de francophones.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous une question?
Le sénateur Housakos : Ma question est la suivante : pourquoi voulez-vous faire une diffusion ciblée de la culture francophone et faire en sorte que ces personnes ne fournissent leurs services qu’à quelques millions de francophones alors qu’il y en a des centaines de millions dans le monde?
Le sénateur Cardozo : Merci, sénateur, de votre question. Je me serais senti ignoré si vous ne m’aviez pas posé de question, alors je vous remercie beaucoup.
En effet, la question que vous soulevez est importante. Je n’utilise pas le terme « diffusion ciblée ». J’utilise le terme « diffusion ». Je pense que ce que fait ce projet de loi, c’est de fournir plus de revenus pour la création de contenu québécois — de contenu canadien — afin qu’il puisse être diffusé partout dans le monde. Je pense que ce projet de loi fait exactement ce que vous aimeriez qu’il fasse. Il fournira assurément plus de revenus provenant de tous les Canadiens pour le contenu canadien et le contenu québécois, car nous voulons que le Canada soit plus présent dans le monde entier.
L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je félicite le sénateur Cardozo de son excellent premier discours. Il est bon d’avoir franchi cette étape personnelle et votre discours d’aujourd’hui illustrait votre expérience non seulement en tant qu’historien, mais aussi en tant qu’ancien conseiller du CRTC. Compte tenu de votre expérience, vous apportez une grande contribution à ce débat. Je vous remercie de votre discours.
Chers collègues, aujourd’hui, je présente un amendement qui vise à améliorer le projet de loi C-11 en remédiant à certaines des lacunes de la Loi sur la radiodiffusion. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, la CBC est un service essentiel qui doit être entièrement financé et soutenu et mon amendement aidera à atteindre cet objectif. Mon amendement permettra également d’améliorer le radiodiffuseur et de tenir la CBC responsable de l’annulation, au début de la pandémie, en mars 2020, du journal télévisé de la CBC à l’Île-du-Prince-Édouard.
Comme vous vous en souviendrez, au début de la pandémie, on manquait de connaissances au sujet de la COVID, notamment sur sa propagation et sur la façon de se protéger soi-même et de protéger ses proches. À l’Île-du-Prince-Édouard, une province dont la population compte un très haut pourcentage d’aînés et qui a un des pires services Internet du pays, le bulletin télévisé de nouvelles locales de la CBC — le seul journal télévisé produit dans la province — était un service essentiel qui a été annulé du jour au lendemain par la direction de la CBC à Toronto. Cette décision a directement enfreint les conditions liées à l’octroi de la licence de radiodiffusion de la CBC parce que le radiodiffuseur n’a donné aucun préavis et a, par surcroît, omis de justifier sa décision lors d’audiences publiques. La CBC n’a respecté ni l’une ni l’autre de ces conditions liées à l’octroi de sa licence. Qui plus est, nous avons par la suite appris que le CRTC ne disposait d’aucun moyen pour exiger que la CBC soit tenue responsable de ses décisions.
Advenant qu’une telle situation se reproduise, l’amendement que je présente imposerait une amende de 2 millions de dollars par jour à la CBC, qui serait payable à une bibliothèque locale dans la collectivité lésée.
Chers collègues, comme vous le savez, le Sénat a trois grandes priorités, dont l’une est de représenter les régions du Canada. Ainsi, il est particulièrement bien placé pour corriger ce problème en adoptant cet amendement et en veillant à ce que les Canadiens, peu importe où ils vivent, puissent s’attendre au même niveau de service de la part de leur radiodiffuseur national. L’importance de cet amendement pour les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard se reflète dans le fait qu’il a reçu l’appui de l’autre sénateur de la province, le sénateur Brian Francis.
La deuxième partie de mon amendement concerne le personnel de CBC/Radio-Canada. En effet, la Loi sur la radiodiffusion accorde à la société le droit de rémunérer ses employés au taux que le conseil d’administration juge adéquat. En tant que radiodiffuseur public financé par les contribuables, CBC/Radio-Canada a une plus grande obligation que les radiodiffuseurs privés de faire preuve de transparence quant à la façon dont elle dépense ses fonds, notamment pour la rémunération de ses cadres supérieurs et de son personnel en ondes. CBC/Radio-Canada fournit certains renseignements sur la rémunération qu’elle verse, mais de façon très limitée et générale. Il convient de comparer cela à la transparence dont fait preuve la British Broadcasting Corporation. Pendant des années, la BBC, comme CBC/Radio-Canada, refusait de divulguer les salaires et utilisait l’environnement compétitif dans lequel elle fonctionne pour se justifier. Cependant, depuis 2017, la BBC est contrainte de révéler le nom et le salaire des personnes les mieux payées de son personnel. À l’heure actuelle, elle donne le nom de l’employé, l’émission à laquelle il participe et son salaire, à 5 000 £ près.
(1510)
En comparaison, CBC/Radio-Canada n’est pas tenue de donner que le salaire moyen qu’elle verse à l’ensemble de ses employés, à 50 000 $ près. Par exemple, alors que nous savons que Nick Robinson gagne entre 295 000 £ et 300 000 £ pour être à la barre de l’émission Today à la BBC, nous savons seulement que cinq présentateurs de CBC/Radio-Canada gagnent plus de 300 000 $ et que leur salaire moyen est de 342 000 $, mais nous ne savons pas de quelle personne ou de quelle émission il s’agit et nous ne connaissons pas le sexe de ces présentateurs.
La comparaison avec la BBC est importante et je ne suis pas le premier à la faire. Il y a neuf ans, le Comité sénatorial des transports et des communications a entrepris une étude au sujet de CBC/Radio-Canada. Au cours de son étude, le comité a examiné la rémunération des employés de renom de la société. Je peux dire ceci aux sénateurs qui n’étaient pas parmi nous à l’époque. Dire que le comité n’avait pas été impressionné par le niveau de coopération et de transparence de CBC/Radio-Canada est un euphémisme. Devant les estimations ridiculement basses des salaires présentées par CBC/Radio-Canada, le président du Comité sénatorial des transports de l’époque avait affirmé ceci :
On arrive à la conclusion, en voyant ce document, que Peter Mansbridge gagne 88 000 $. Tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Ne m’insultez pas, comme membre du Sénat, comme président d’un comité, en me donnant de l’information qui est fausse.
Il a poursuivi en disant :
[...] on veut avoir, comme dans la majorité des conventions publiques et des corporations traitées à la bourse, une grille qui indique combien gagnent les dirigeants [...] Il est difficile d’obtenir de l’information de Radio-Canada concernant les opérations. Mais, si je veux connaître le salaire de tous les employés de la BBC, je vais sur son site Internet et je l’ai.
Il a ajouté :
[...] les contribuables, pour répéter ce que disent mes collègues, savent combien gagne le président de Postes Canada [...]
Ils savent ce que je peux gagner comme sénateur, combien gagne un député ou un ministre, mais nous ne pouvons pas obtenir une grille comparable de la SRC.
Le désir de transparence et la déception face à l’absence d’une telle transparence de la part de Radio-Canada est un point de vue qu’ont également exprimé d’autres membres du Comité sénatorial des transports, et qui est reflété dans le rapport du comité, qui recommandait ceci :
Le comité recommande que CBC/Radio-Canada soit plus transparente dans son fonctionnement, et tout particulièrement en matière de divulgation de ses données financières, de ses approvisionnements et de ses contrats, ainsi que de ses salaires, et qu’elle s’assure que l’information divulguée soit facilement accessible au public.
Chers collègues, rien de cela n’a été fait, mais cet amendement corrigera cette omission.
Je tiens à souligner que cet appel à la transparence ne découle pas d’une simple curiosité. Lorsque la BBC a été contrainte de publier les salaires de ceux qui gagnent plus de 150 000 £, cela a révélé un écart de salaire flagrant entre les sexes. Je ne peux pas prétendre que le même écart existe au sein de la CBC, mais je ne peux pas non plus affirmer qu’il n’existe pas. En l’absence d’informations supplémentaires de la part du radiodiffuseur, nous ne pouvons tout simplement pas le savoir.
En toute franchise, les Canadiens devraient savoir combien ils paient les employés les plus hauts placés d’une organisation financée par des fonds publics, ne serait-ce que pour s’assurer qu’ils sont payés équitablement. La BBC a publié de nombreux articles concernant des personnalités féminines de l’antenne que l’on s’est empressé de rencontrer pour leur accorder une augmentation instantanée avant que l’information publique sur les salaires ne soit rendue publique. Bien évidemment, elles ont découvert qu’elles étaient sous-payées depuis des années.
Je demande le même degré de transparence que celui que CBC/Radio-Canada exige à juste titre des autres ministères et organismes d’État, mais qui devrait également s’appliquer à cette organisation. Ce qui vaut pour les uns vaut aussi pour les autres. Cet amendement fait suite à la demande du Comité sénatorial des transports.
Rejet de la motion d’amendement
L’honorable Percy E. Downe : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-11, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau :
a) à l’article 28 :
(i) à la page 32, par adjonction, après la ligne 1, de ce qui suit :
« (2.1) Malgré les paragraphes (1) et (2), en cas de violation de l’obligation de la Société de diffuser un nombre minimal d’heures de programmation régionale ou locale, selon le cas, la Société encourt une pénalité de deux millions de dollars. »,
(ii) à la page 37 :
(A) par substitution, à la ligne 8, de ce qui suit :
« 34.993 (1) Toute pénalité perçue au titre d’une violation est »,
(B) par adjonction, après la ligne 9, de ce qui suit :
« (2) Malgré le paragraphe (1), toute pénalité perçue au titre d’une violation de l’obligation de la Société de diffuser un nombre minimal d’heures de programmation régionale ou locale, selon le cas, est versée — dans les cent quatre-vingts jours suivant son infliction — à une bibliothèque qui, à la fois :
a) est mentionnée à ce titre dans une ordonnance du Conseil;
b) dessert le public dans la région la plus directement touchée par la violation de la Société;
c) a reçu, dans l’exercice précédent, des fonds du gouvernement du Canada, du gouvernement d’une province ou d’une administration municipale. »;
b) à la page 41, par adjonction, après la ligne 22, de ce qui suit :
« 31.01 Le paragraphe 71(3) de la même loi est modifié par adjonction, après l’alinéa c), de ce qui suit :
c.1) les noms et la rémunération totale, y compris le traitement annuel, de tous les employés de la Société qui, au cours de l’exercice visé, ont touché une rémunération totale, y compris le traitement annuel, supérieure à l’indemnité de session annuelle d’un sénateur pour l’exercice calculée selon l’article 55.1 de la Loi sur le Parlement du Canada; ».
Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il des sénateurs qui souhaitent poser des questions au sénateur Downe? Nous disposons encore de quatre minutes.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Downe?
Le sénateur Downe : Oui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Tout d’abord, je crois que la plupart d’entre vous le savent, mais j’ai été journaliste à Radio‑Canada pendant 25 ans. Je dois le mentionner pour une question de transparence.
Deuxièmement, ma question est la suivante. Vous avez dit que l’Île-du-Prince-Édouard a été privée de services de télévision régionale pendant la crise, ce qui est en effet inacceptable et condamnable. Toutefois, vous avez oublié une chose dans votre argument, soit que la radio locale a continué d’être là, donc la population a continué d’obtenir des informations de CBC Radio pendant la crise. Ne trouvez-vous donc pas que la pénalité de 2 millions de dollars que vous demandez à la suite de cet incident est un peu exagérée, étant donné, d’une part, l’indépendance de Radio‑Canada et, d’autre part, le fait que la radio de Radio-Canada/CBC était encore disponible?
[Traduction]
Le sénateur Downe : En fait, je l’avais oublié. J’ai mentionné dans mon discours que c’était le journal télévisé local. Chers collègues, le seul journal télévisé produit localement dans la province de l’Île-du-Prince-Édouard est celui de CBC. Comme CBC a annulé ce journal télévisé, nous avons été privés de nouvelles télévisées. La radio a continué. S’ils avaient annulé le journal télévisé à Vancouver, est-ce que quelqu’un l’aurait remarqué? Il se classe probablement au quatrième ou cinquième rang. S’ils avaient annulé le journal télévisé local de CBC à Toronto, quelqu’un l’aurait-il remarqué? Non, parce qu’il y a toutes sortes d’options — Global, CTV et ainsi de suite. À l’Île-du-Prince-Édouard, les cotes d’écoute sont supérieures à 90 % des parts de marché parce qu’il n’y a pas de concurrence. C’est le seul service de nouvelles disponible.
Il est important de rappeler qu’au début de la pandémie de COVID-19, personne ne savait quoi faire. Vous achetiez un poivron vert à l’épicerie : deviez-vous le mettre dans votre micro-ondes ou le nettoyer à grande eau? Comment la maladie se transmettait-elle? Les gens cherchaient désespérément des nouvelles pour se protéger. Les gens de CBC TV, au début, quand nous avions le plus besoin d’eux, sont partis. Pourquoi sont-ils partis? Pas parce que les journalistes locaux avaient peur d’attraper la COVID. Ils étaient tout à fait prêts à faire ce que les autres faisaient avec des bâtons de hockey et des microphones. Le journal a été annulé parce que CBC Toronto l’a annulé. La seule province du Canada qui possède un seul journal télévisé a vu ce journal — le journal de la télévision locale — être annulé. C’est totalement inacceptable. Au début d’une crise, ils nous ont totalement abandonnés.
(1520)
En proposant cet amendement, je tente — et le sénateur Francis l’a, de toute évidence, compris — d’empêcher qu’un tel scénario se reproduise lorsqu’une autre crise surviendra. C’est quelque chose que réclament de nombreux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard.
Récemment, la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada était dans mon bureau. Je lui ai parlé de l’annulation du journal télévisé. Voici ce qu’elle a répondu : « Oh, c’était une simple interruption de service. Le bulletin était de retour sur les ondes quelques jours après. » Or, la seule raison pour laquelle il est revenu après quelques jours, c’est parce que l’annulation avait déclenché une tempête de protestations parmi toute la population de la province, y compris notre premier ministre.
Voilà le hic. Une pénalité de 2 millions de dollars par jour est bien peu. En effet, quand je me suis renseigné sur la situation, j’ai découvert que le CRTC accorde une licence à CBC/Radio-Canada. Les représentants de cette organisation comparaissent devant le CRTC et lui annoncent les mesures qu’ils vont prendre. Le CRTC pourrait leur dire qu’il souhaite qu’ils fassent certaines choses. Après cela, la licence est offerte à CBC/Radio-Canada. Cela ne veut rien dire parce que la licence de CBC/Radio-Canada ne peut pas être annulée, à part si ses représentants demandent au CRTC de le faire. Il n’existe donc pas de mécanisme d’application. J’ai écrit au CRTC et, après trois ou quatre lettres, on m’a répondu en disant essentiellement que le CRTC était responsable de l’octroi de la licence, mais qu’il ne pouvait rien faire pour faire appliquer les règles.
Aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, la CBC avait l’obligation de tenir des audiences publiques et de garantir l’attribution d’un minimum de temps d’antenne à l’Île-du-Prince-Édouard. Aucune audience publique n’a eu lieu et aucun minimum de temps d’antenne n’a été attribué. Du jour au lendemain, la CBC a tout simplement annulé le service, laissant tomber la province — comme je l’ai mentionné dans mon discours, il s’agit d’une population composée majoritairement d’aînés et les connexions Internet figurent parmi les pires au monde. Les gens ne pouvaient qu’espérer capter une émission à la radio.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Downe, le temps qui vous était alloué pour débattre est écoulé. Il y a trois autres sénateurs qui veulent vous poser des questions. Demandez‑vous cinq minutes supplémentaires?
Le sénateur Downe : Si le Sénat est d’accord.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
L’honorable Leo Housakos : Merci, sénateur Downe, de cet important amendement que vous proposez. À d’innombrables occasions, le gouvernement nous a demandé ainsi qu’à d’autres de faire confiance au CRTC lorsqu’il s’agit d’établir des normes et un cadre raisonnables pour appliquer les dispositions du projet de loi C-11. Or, nous voyons maintenant un exemple on ne peut plus flagrant de la négligence du CRTC lorsqu’il est question de forcer un radiodiffuseur en particulier à respecter les obligations qui se rattachent à son permis.
La question que j’ai à vous poser est la suivante : pouvons-nous faire confiance au CRTC quand on voit qu’il ne fait rien pour faire respecter les obligations? Par exemple, il n’a jamais imposé d’amende à CBC/Radio-Canada alors qu’il en avait tout à fait le droit, et CBC/Radio-Canada n’a jamais tenu d’audiences publiques pour justifier la réduction des services. Par conséquent, peut-on avoir l’assurance que le CRTC remplira le mandat qu’on lui a confié?
Le sénateur Downe : Merci. Si mon amendement est adopté, nous n’aurons pas vraiment à faire confiance au CRTC, puisqu’une pénalité sera prévue. CBC/Radio-Canada devrait alors payer une amende de 2 millions de dollars à une bibliothèque de la région pour chaque jour où elle mettra fin au service, en violation directe de la Loi sur la radiodiffusion.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, et je ne vais pas me répéter, nous avons conclu que toutes les règles ont été suivies, mais qu’aucune mesure d’application n’a été prise. Cet amendement prévoit ce genre de mesure ainsi qu’une pénalité.
L’honorable David M. Wells : Le sénateur Downe accepterait-il de répondre à une autre question?
Je vous remercie de votre discours et de votre amendement. Vous avez mentionné à plusieurs reprises qu’il serait question d’une amende journalière. Je ne trouve pas cela dans l’amendement. Pourriez-vous commenter ce détail, s’il vous plaît?
Le sénateur Downe : Oui. Merci. L’amendement ne précise pas que les 2 millions de dollars sont pour chaque jour d’infraction. C’est parce que — et je lis ce que les avocats ont écrit; ce ne sont pas mes mots — le projet de loi qui modifie la Loi sur la radiodiffusion propose déjà, à l’article 28, le nouveau paragraphe 34.4(2) :
Violation continue
Il est compté une violation distincte pour chacun des jours au cours desquels se continue la violation.
C’est la question que je me posais lorsque l’amendement est arrivé — pourquoi on ne précise pas que c’est pour chaque jour.
Le sénateur Wells : Merci, sénateur Downe. Si vous voulez bien répondre à une autre question, je vous en serais reconnaissant.
Une sanction de 2 millions de dollars par jour de la part de ce qui est essentiellement une institution appartenant aux contribuables — est-ce vraiment beaucoup? Pour moi, cet argent passe d’une poche à l’autre dans le même pantalon. Pourriez-vous réagir à cela et dire quel genre de sanction cela constitue lorsque, au bout du compte, ce sont les contribuables qui paient le prix?
Le sénateur Downe : Eh bien, s’ils ont encore recours à cette manœuvre, ce sera fantastique pour les bibliothèques locales qui recevront beaucoup d’argent. Cet argent serait ainsi mieux utilisé que lorsqu’il sert à diffuser certaines des émissions actuelles de CBC/Radio-Canada. C’est une façon d’essayer de les pousser un peu. S’il n’y a pas de diffusion pendant sept jours de plus, ce sera 14 millions de dollars de plus.
Pour revenir à l’essentiel, je rappelle qu’au début de la pandémie, tous les Canadiens avaient désespérément besoin d’information. Nous comptions sur CBC/Radio-Canada. Nous comptions sur les seuls bulletins de nouvelles télévisées produits localement, mais ils brillaient par leur absence. Ce qui s’est passé est tout à fait inacceptable. J’espère que l’amendement proposé fera en sorte que cela ne se reproduise jamais.
[Français]
L’honorable Pierre J. Dalphond : Est-ce que le sénateur Downe accepterait de répondre à une autre question?
Dans l’alinéa b) de votre amendement — j’y vais rapidement —, vous proposez de rendre public le salaire d’un certain nombre de personnes comparativement au niveau de salaire d’un sénateur et non pas d’un député. Si vous voulez que l’amendement soit accepté à l’autre endroit, il faudrait peut-être indiquer celui des députés aussi.
Ma question est la suivante : est-ce qu’il n’y a pas ici une atteinte à la protection des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels?
[Traduction]
Le sénateur Downe : Il n’y a pas d’atteinte de ce genre, en fait, puisque comme vous le savez, monsieur le sénateur, tout le monde peut renoncer aux protections prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je propose de communiquer ce renseignement parce qu’on ne devrait pas demander à d’autres personnes de poser un geste que nous ne sommes pas prêts à poser nous-mêmes. Dans ce cas précis, le salaire des sénateurs est connu; on partirait donc du salaire en vigueur au Sénat pour regarder quels employés de CBC/Radio-Canada gagnent davantage. Cela n’enfreint pas la Loi sur la protection des renseignements personnels, puisque toutes sortes de salaires en vigueur au gouvernement sont rendus publics.
Un article de la loi indique clairement qu’une personne peut renoncer à protéger des renseignements personnels. Je peux demander à un ambassadeur avec qui il a dîné à Berlin la semaine dernière. Il peut me répondre qu’il ne divulguera pas ce renseignement, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais il peut aussi renoncer à cette protection et choisir de communiquer le renseignement en question. C’est la même chose dans le cas dont nous parlons.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous reprenons le débat sur l’amendement. Le sénateur Dawson a la parole.
L’honorable Dennis Dawson : Merci, Votre Honneur.
Tout d’abord, comme j’ai connu le sénateur Downe de nombreuses années avant qu’il ne devienne sénateur, je peux affirmer que son plaidoyer pour l’Île-du-Prince-Édouard et ses intérêts est bien connu. Je le connaissais alors qu’il était chef de cabinet du premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard. Je le connaissais lorsqu’il est arrivé à Ottawa et je le connais en tant que sénateur depuis 18 ans. Cela dit, je comprends que toute politique est locale, même pour les sénateurs.
Cela dit, la pertinence de son amendement au projet de loi C-11 — je suis conscient que même le président de mon caucus est d’accord avec lui — n’est pas évidente. Je n’aurai toutefois pas l’occasion d’en débattre.
Le gouvernement comprend les préoccupations qui sous-tendent la proposition visant à assurer que CBC/Radio-Canada offre une programmation et des services de radiodiffusion que tous les Canadiens reçoivent ailleurs au pays. Je conviens que cela n’aurait pas dû se produire.
Le gouvernement est d’avis que ces questions sont mieux traitées par le CRTC dans le cadre de ses propres procédures plutôt que par voie législative. De façon plus générale, le projet de loi n’apporte pas de changements importants à la partie III de la Loi sur la radiodiffusion, qui porte sur le mandat et les activités de la CBC/Radio-Canada.
Comme l’ont confirmé les représentants du ministère au comité, il revient au CRTC de traiter des affaires où la société n’a pas respecté sa licence. Je rappelle qu’en vertu du projet de loi C-11, le CRTC peut imposer des sanctions administratives à une société, tout comme au secteur privé.
Je rappelle également aux sénateurs que le gouvernement entend entreprendre la modernisation de la CBC/Radio-Canada de manière globale, et non fragmentaire. La modernisation de la CBC/Radio-Canada demeure un aspect essentiel du mandat du ministre Rodriguez. Merci, sénateur.
Évidemment, en ce qui a trait aux salaires, vous ne vous êtes pas adressé à la personne qui présidait le comité à l’époque, mais le sénateur Plett et moi nous souvenons que je suis intervenu sur la question. C’était courtois de votre part de ne pas mentionner mon nom. Évidemment, je souscris toujours aux propos que j’ai tenus. Ils étaient pertinents à l’époque, et ils le sont encore aujourd’hui. Mais c’était courtois de votre part de vous être abstenu de mentionner mon nom.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, c’est avec beaucoup de sympathie pour le sénateur Downe que je prends la parole aujourd’hui. Je comprends ce qu’il essaie d’accomplir. J’ai commencé ma carrière professionnelle en journalisme à Edmonton, comme productrice adjointe à CBC Radio. Je me souviens très bien qu’à l’époque, la station de CBC à Edmonton éprouvait d’importantes difficultés financières.
Peu après mon embauche, tout le personnel avait été convoqué dans le grand studio de télévision pour une annonce importante. J’étais terrifiée. Je me disais qu’étant la dernière embauchée, j’allais être la première à perdre mon emploi. L’encre du contrat que je venais de signer n’avait pas encore eu le temps de sécher. Au bout du compte, nous avions tous été convoqués à cette réunion pour apprendre que la station de télé d’Edmonton allait fermer ses portes. La CBC avait décidé d’offrir ses services à Edmonton par l’intermédiaire de la station de Calgary.
S’il y a une chose à savoir à propos d’Edmonton et de Calgary, c’est que ce sont des villes très fières et qu’une grande rivalité les oppose. Vous pouvez imaginer la colère de la population d’Edmonton — où, si ma mémoire est bonne, CBC News avait les meilleures cotes d’écoute pour les émissions d’information à l’heure du souper — quand un cadre de Toronto a annoncé qu’Edmonton, une ville de 1 million d’habitants, allait perdre sa station de télévision de la CBC.
(1530)
Cette décision a été un désastre. Les cotes d’écoute ont plongé et la CBC a fini par admettre avoir commis une grave erreur. Après tout, c’était dans son mandat de servir les régions du Canada et de redonner une station de télévision à la capitale de la province, qui comptait presque un million d’habitants à l’époque. La station a donc rouvert ses portes, mais n’a jamais regagné la confiance du public ni sa part de marché.
Je comprends le point de vue du sénateur Downe. Lorsqu’on vient d’un endroit situé à l’extérieur du centre du pays, il est extrêmement frustrant de voir un gestionnaire de Toronto ou de Montréal décider si votre région mérite le même genre d’attention que le reste du pays trouve normal.
Mais il faut tenir compte de la crise extraordinaire qui s’est produite il y a trois ans. Comme le sénateur Downe l’a dit, à ce moment, on ne savait pas grand-chose sur la COVID, ni à quel point elle était dangereuse, et, qu’il s’agisse des journaux ou des réseaux de télé, toutes les salles de nouvelles du pays ont renvoyé leurs journalistes chez eux et ont fait de leur mieux pour tenter de bricoler des bulletins de nouvelles et des journaux avec des employés qui devaient se côtoyer le moins possible.
J’ai aussi de la sympathie pour les gens qui ont pris cette décision à l’Île-du-Prince-Édouard. Ils n’ont pas laissé l’Île-du-Prince-Édouard sans nouvelles locales, comme l’a souligné la sénatrice Miville-Dechêne — le service de radio était toujours là et actif —, et ils n’ont pas non plus laissé les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard sans accès à la télévision de CBC, puisqu’il y avait une couverture d’autres stations et affiliés de CBC dans tout le Canada atlantique.
Je comprends à quel point les gens ont dû se sentir dépourvus et trahis, mais je pense que nous devons nous rappeler que cette situation ne s’est pas improvisée du jour au lendemain, comme l’a prétendu le sénateur Downe. C’était une réponse d’urgence à une crise.
Cela dit, il est aussi très important de souligner que le projet de loi C-11 tient compte du fait que CBC/Radio-Canada doit respecter les conditions de sa licence et son mandat régional.
Lorsque nous avons discuté de la première partie de cet amendement au sein de notre comité, nous avons eu la chance d’entendre Thomas Owen Ripley, sous-ministre adjoint associé à Patrimoine canadien, aborder cette question :
Le gouvernement serait d’accord avec le point du sénateur Downe pour dire qu’aujourd’hui, le CRTC dispose d’outils très limités dans le cas d’une violation de licence. Au bout du compte, l’outil principal est la révocation de la licence, et c’est évidemment un gros bâton. C’est pour cette raison que le projet de loi C-11 prévoit un régime de sanctions administratives pécuniaires, car cela permet de mieux calibrer les sanctions à infliger quand la société peut vraiment évaluer la nature de la violation ainsi que la sanction appropriée pour assurer la conformité dans le cas en question.
Le gouvernement devait se demander si CBC/Radio-Canada allait être soumise à ce régime de sanctions administratives pécuniaires. Au bout du compte, la décision du gouvernement était de soumettre CBC/Radio-Canada à ce régime. Si vous lisez l’article 34.99 du projet de loi, vous verrez que CBC/Radio-Canada peut faire l’objet de sanctions administratives pécuniaires, tout comme le secteur privé.
Pour être précise, si vous jetez un coup d’œil au paragraphe 34.5(1)b) du projet de loi, ce que je viens de faire, vous constaterez que la pénalité pour une première violation ne peut excéder 10 millions de dollars et qu’en cas de récidive, le montant maximal de la pénalité est porté à 15 millions de dollars. Ainsi, les sanctions administratives pécuniaires prévues peuvent être plus nuisibles que ne le prétend le sénateur Downe. Par surcroît, l’argent ainsi recueilli ne servirait pas à soutenir les bibliothèques locales, car il s’agirait d’un régime de sanctions pécuniaires trop compliqué à mettre en place et à administrer. L’argent est plutôt versé au Trésor pour être ensuite utilisé comme il se doit.
Par conséquent, je suggère que le fait de pénaliser la station de la CBC de l’Île-du-Prince-Édouard pour une décision prise en pleine crise, en situation d’urgence — de lui imposer une sanction en vertu de cette nouvelle Loi sur la radiodiffusion que le Parlement ne rouvrira peut-être pas avant 30 ans — ne tient pas compte de la situation d’ensemble. J’estime que le fait que l’article 34.99 du projet de loi impose l’application d’un régime de sanctions à la CBC — et exige que ce radiodiffuseur respecte les conditions liées à l’octroi de sa licence à défaut de quoi, comme je l’ai dit, il se verrait imposer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 15 millions de dollars — indique assez clairement que le gouvernement prend la question au sérieux.
Passons maintenant à la question des salaires. J’ai une anecdote personnelle amusante à raconter à ce sujet. À mon arrivée à CBC comme productrice adjointe — les productrices adjointes étaient principalement des jeunes femmes dans la vingtaine, et ce poste représentait pour un bon nombre d’entre nous notre premier véritable emploi en journalisme —, je n’étais pas très bien rémunérée. Je pense que mon salaire de départ était d’environ 27 000 $ par année.
Un jour, mes collègues et moi avons décidé de comparer nos salaires. Nous avons découvert que l’une d’entre nous gagnait un salaire plus élevé et une autre, un salaire plus bas. Ce n’était pas vraiment juste. Nous nous sommes donc rendues ensemble — nous étions quatre ou cinq — au bureau du directeur de la station pour lui dire que nous aimerions que notre rémunération soit régularisée. Le directeur de la station était outré. Il a dit : « Mesdemoiselles, il n’est pas distingué pour des dames de discuter de leurs salaires. »
Il est vrai que je ne suis plus jeune, mais je ne suis pas si vieille que cela. L’anecdote que je vous raconte s’est passée à la fin des années 1980 ou au début des années 1990.
Le flou qu’entretient CBC/Radio-Canada par rapport aux salaires qu’elle verse et le fait qu’il soit possible, même dans un milieu syndiqué, d’ignorer la rémunération de ses collègues sont des problèmes de longue date.
J’aime bien les listes de divulgation, qui jettent de la lumière sur les choses. Cependant, j’ai à l’esprit ce que la sénatrice Wallin a dit lorsque nous avons discuté de cette question au comité. Il faut dire que lorsque j’ai quitté la CBC, je crois que je gagnais le salaire « de princesse » de 47 000 $ par année. Je n’allais jamais figurer sur une liste de divulgation et je resterais toujours dans l’ombre. La sénatrice Wallin a quant à elle eu une carrière différente à la CBC. Elle y était comme une vedette, alors que mon travail consistait à apporter du café aux gens. Elle en connaît plus que moi à ce sujet.
Voici ce que la sénatrice Wallin nous a dit au comité :
Les différents éléments des programmes de rémunération globale de CBC/Radio-Canada sont précisés — je suis certaine que d’autres personnes pourront le confirmer. Si vous êtes une personnalité d’antenne, une partie de votre rémunération est liée à l’échelle syndicale, qui est fixe; il y a aussi une partie contractuelle et des cachets; vous avez aussi droit à des dépenses, par exemple des voitures, un téléviseur, des vêtements, des interventions chirurgicales, et cetera; à cela s’ajoutent des primes d’excellence, qui dépendent de la performance de la personne et non de son rendement tel qu’on le considère traditionnellement dans le monde du travail, où le rendement dépend de l’argent gagné ou des contributions versées.
Autrement dit, c’est très difficile de savoir combien gagne telle ou telle personne à CBC. En tout cas, c’est beaucoup plus compliqué que ce l’était pour ceux qui se situaient dans ma fourchette de salaire.
Je remercie encore une fois le sénateur Downe d’avoir parlé de transparence et de s’être inquiété auprès du comité des inégalités entre les hommes et les femmes, car il y a certains problèmes qui perdurent depuis très longtemps à CBC/Radio-Canada — et, il faut bien le dire, dans le milieu journalistique en général — concernant le salaire versé aux hommes et aux femmes. Quand je suis devenue chroniqueuse pour l’Edmonton Journal, je n’ai pas commencé à temps plein. Au début, j’étais à temps partiel, et c’est après un congé de maternité que je suis passée à plein temps. Un jour, j’ai fini par m’ouvrir les yeux et je suis allée voir mon patron : « Écoutez, je ne sais pas combien gagnent les chroniqueurs masculins, mais j’aimerais que vous compariez mon salaire au leur et que vous me disiez si vous trouvez que c’est juste, tout ça. » Peu après, j’ai constaté que mon salaire avait doublé. C’est vous dire à quel point j’étais moins payée que les hommes. Or, si je n’avais rien demandé, rien n’aurait jamais changé.
J’estime qu’il y a un véritable problème qui fait que, dans les médias canadiens, les femmes sont traditionnellement moins bien payées que les hommes qui font le même travail, ou même un travail moins difficile qu’elles. Cela dit, je suis d’accord avec le sénateur Downe quand il dit que ce genre d’initiative n’a pas rien à voir dans le texte du projet de loi C-11.
J’aimerais bien qu’il y ait plus de transparence dans la façon dont CBC/Radio-Canada rapporte les salaires. Ce sont nous qui payons ces salaires, et nous comptons sur les journalistes pour rapporter les nouvelles. Réclamer des comptes à la CBC/Radio-Canada est dans l’intérêt de tout le pays, mais intégrer cet amendement au projet de loi C-11 à la Loi sur la radiodiffusion... Notre regrettée collègue Elaine McCoy avait l’habitude de dire que nous nous attaquions à la mauvaise cible.
(1540)
Merci.
Le sénateur Downe : La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Simons : Allez-y.
Le sénateur Downe : En fait, je suis surpris, sénatrice, par certaines de vos observations. Il est question de la Loi sur la radiodiffusion. Comme le sénateur Dawson l’a souligné à juste titre, le Parlement ne s’est pas penché sur cette loi depuis des décennies. Si on ne traite pas de la rémunération à CBC/Radio-Canada dans la Loi sur la radiodiffusion, je me demande bien où on peut le faire. C’est dans le cadre de cette loi qu’il est le plus logique de le faire. Où pourrait-on en traiter ailleurs que dans la Loi sur la radiodiffusion dont nous sommes saisis?
La sénatrice Simons : Est-ce là qu’il est le plus logique de le faire? Permettez-moi d’en douter. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit là d’un élément trop précis et détaillé pour être traité dans un cadre réglementaire qui est censé s’appliquer de manière large et générale. Je ne crois pas que cette mesure législative soit le cadre le plus indiqué pour aborder cette question. En effet, celle-ci peut faire clairement l’objet de directives ou de politiques ministérielles. Franchement, le conseil d’administration de CBC/Radio-Canada devrait être poussé à agir en ce sens. Des considérations détaillées sur la rémunération à CBC/Radio-Canada n’ont pas leur place dans un cadre réglementaire général qui s’appliquera peut-être pendant les 20 à 30 prochaines années.
L’honorable Leo Housakos : Sénatrice Simons, j’ai un peu de difficulté à comprendre. Soit vous êtes pour la transparence, soit vous ne l’êtes pas. Le problème qui nous afflige depuis de nombreuses décennies est que, sur certains aspects, CBC/Radio-Canada peut sortir de la sphère de la bonne gouvernance et du conseil d’administration et être gérée directement par le cabinet du ministre ou par le président-directeur général du moment, nommé par le cabinet du ministre de toute façon. La Loi sur la radiodiffusion est l’outil idéal pour protéger l’argent des contribuables.
Qu’est-ce qui nous empêcherait, si nous sommes pour la transparence, d’inscrire cette exigence noir sur blanc dans cette nouvelle mouture modernisée de la Loi sur la radiodiffusion afin de nous assurer que CBC/Radio-Canada — une société entièrement financée par les deniers publics — soit aussi transparente que les autres organismes gouvernementaux?
La sénatrice Simons : Merci, sénateur Housakos. Je pense avoir répondu à la même question qui a été posée par le sénateur Downe. Ce que vous demandez, c’est d’ajouter des points de détail qui n’ont pas leur place dans un cadre réglementaire général.
De plus, si je peux me permettre, j’aimerais citer ce que le sénateur Dawson nous a dit en comité :
CBC/Radio-Canada publie actuellement la fourchette de rémunération des personnalités d’antenne et des hauts dirigeants. Elle fait un découpage par poste et par classification. Cette approche est conforme à la pratique habituelle du secteur public fédéral. La méthode proposée s’écarterait de cette pratique habituelle.
Le sénateur Downe : Vous savez que le Comité des transports avait fait la même recommandation il y a neuf ans. Le sénateur Dawson était président du comité à l’époque et les sénateurs avaient recommandé la même proposition. En fait, nous faisons maintenant ce que le Sénat avait recommandé, mais pour une raison que j’ignore, vous vous y opposez. Je ne sais pas exactement pourquoi. Je ne parlerai pas des autres commentaires concernant la CBC et la possibilité que la station de Charlottetown soit pénalisée. Je rejette une telle suggestion, mais nous n’avons pas le temps de poursuivre.
Son Honneur la Présidente intérimaire : D’autres sénateurs veulent-ils participer au débat?
Une voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.
Le sénateur Dawson : Avec dissidence.
Et deux honorables sénateurs s’étant levés :
Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? La sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 16 h 45. Convoquez les sénateurs.
(1640)
La motion d’amendement de l’honorable sénateur Downe, mise aux voix, est rejetée :
POUR
Les honorables sénateurs
Batters | McCallum |
Boisvenu | Oh |
Carignan | Patterson (Nunavut) |
Dagenais | Patterson (Ontario) |
Downe | Plett |
Francis | Richards |
Housakos | Seidman |
MacDonald | Tannas |
Manning | Wallin |
Martin | Wells—20 |
CONTRE
Les honorables sénateurs
Arnot | Gerba |
Bellemare | Gignac |
Bernard | Harder |
Boehm | Jaffer |
Boniface | Klyne |
Bovey | Kutcher |
Boyer | LaBoucane-Benson |
Burey | Loffreda |
Campbell | Massicotte |
Cardozo | Mégie |
Clement | Miville-Dechêne |
Cormier | Moncion |
Cotter | Moodie |
Coyle | Omidvar |
Dalphond | Osler |
Dasko | Pate |
Dawson | Petitclerc |
Deacon (Nouvelle-Écosse) | Ravalia |
Deacon (Ontario) | Ringuette |
Dean | Saint-Germain |
Duncan | Simons |
Forest | Sorensen |
Gagné | Yussuff—46 |
ABSTENTIONS
Les honorables sénatrices
Audette | McPhedran—2 |
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
(À 16 h 51, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)