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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 103

Le mardi 7 mars 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 7 mars 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le soutien à l’Ukraine

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’invasion éhontée et injustifiée de l’Ukraine par la Russie. Un an plus tard, cette guerre a fait de nombreuses victimes des deux côtés et des atrocités épouvantables ont été commises par les forces militaires et paramilitaires russes sous les ordres de leur dictateur, Vladimir Poutine. Cette guerre cynique a des conséquences internationales : pressions sur l’économie mondiale, graves répercussions sur la sécurité alimentaire, déplacements de masse d’Ukrainiens hors de leur pays et, oui, un exode de Russes qui ne veulent pas de la guerre de Poutine.

Il y a deux semaines, la communauté internationale a voté de façon très convaincante aux Nations unies pour condamner l’agression de la Fédération de Russie. Poutine a souvent été qualifié de stratège hors pair, dont les calculs lui donnent toujours une longueur d’avance et l’avantage de la situation. Or, aujourd’hui, comme on le dit familièrement, il a manqué son coup. L’armée russe a subi des pertes importantes et ses faiblesses ont été mises en évidence. L’OTAN est plus unie, plus solidaire et plus forte que jamais, la Finlande et la Suède étant sur le point de se joindre à l’alliance. L’Europe a tourné le dos aux importations d’énergie russe, aux relations d’affaires et au commerce avec la Russie. Nous avons tous uni nos efforts pour imposer les sanctions économiques et individuelles les plus strictes jamais prises. Nous avons fourni des armes et de l’aide financière à l’Ukraine. Poutine en avait-il tenu compte dans ses calculs? Probablement pas.

J’ai assisté à deux conférences majeures sur la politique de sécurité au cours de la dernière année. La première était le Forum international de la sécurité d’Halifax, en novembre dernier, et la seconde, la Conférence de Munich sur la sécurité, il y a à peine deux semaines. Lors de ces deux conférences, des dirigeants, des décideurs, des spécialistes et des parlementaires comme nous provenant de partout sur la planète avaient tous la même priorité : la guerre en Ukraine. La solidarité était forte et palpable.

Poutine est de plus en plus isolé. D’ailleurs, je crois que s’il veut demeurer en poste, il devra obtenir de petites victoires dont ses propagandistes pourront se servir pour manipuler la population russe. Le risque d’une dangereuse escalade de cette guerre est élevé, surtout si Poutine reçoit de l’aide étrangère en plus de celle que lui a déjà fournie le régime iranien.

En ce qui concerne les mesures à prendre, comme l’ont mentionné les dirigeants qui participaient à la Conférence de Munich, c’est le meilleur moment pour redoubler nos efforts. Je n’ai pas l’impression que les belligérants en présence soient prêts à entreprendre des négociations de si tôt. Le Canada a un grand rôle à jouer dans ce conflit et dans la suite des choses une fois qu’il sera terminé. À mon avis, le Canada doit continuer à prendre toutes les mesures qui s’imposent. Les dirigeants politiques et les ministres discutent avec leurs homologues, y compris leurs homologues ukrainiens, et offrent toute l’aide possible au Japon en ce qui concerne sa présidence du G7 cette année.

Lorsque la guerre sera terminée, deux sorts possibles attendent la Russie : soit elle sera une puissance mondiale affaiblie aux institutions fragiles qui dépend de sa production de matières premières, soit elle sera une dictature isolée mise au ban de la communauté internationale dont les visées ne correspondent plus à celles de la majorité des pays de la planète. Peut-être que ces deux possibilités se réaliseront.

Chers collègues, l’après-guerre sera long et difficile. En tant que parlementaires, nous devons maintenir un appui ferme à l’Ukraine et à sa population au meilleur de notre capacité, en particulier dans les prochains mois qui s’annoncent difficiles et dangereux.

Merci.

[Français]

Mikaël Kingsbury

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un athlète de ma région, de ma province, de mon pays. Il s’agit du skieur de bosses et champion olympique Mikaël Kingsbury. Mikaël, lors de trois championnats mondiaux consécutifs, a été nommé champion du monde lors des deux épreuves de bosses, en simple et en parallèle, à Bakouriani, en Géorgie, les 25 et 26 février dernier.

Il détient le record de 115 podiums en Coupe du monde, dont 80 victoires. Il est évidemment le plus titré de l’histoire de cette discipline.

Aujourd’hui âgé de 30 ans, il n’avait que 20 ans lorsque, en 2013, à Voss, en Norvège, Mikaël a obtenu son premier titre de champion du monde dans l’épreuve des bosses.

Depuis ce temps, Mikaël a accumulé les titres tant aux championnats mondiaux qu’aux Jeux olympiques. Je connais personnellement Mikaël depuis maintenant plus de 16 ans, l’ayant soutenu avec la Fondation Élite de Saint-Eustache, au moment où il amorçait sa carrière sur les parcours du ski acrobatique au pays.

Mikaël est un être d’une rare intensité. Il a toujours pratiqué sa discipline avec sérieux, rigueur, ténacité et dépassement de soi. Oui, c’est bien le dépassement de soi qui caractérise le mieux Mikaël : toujours repousser ses limites, ne jamais se contenter du minimum.

Cet athlète de haut niveau est un modèle pour tous les jeunes de notre pays qui s’engagent dans une discipline sportive. Il pourrait aussi l’être pour nous tous qui aspirons à nous dépasser, peu importe notre champ d’action.

Mikaël est maintenant une légende dans son sport en particulier, et dans l’univers des sports de compétition, en général.

Il n’a que 30 ans, et alors que la vaste majorité des athlètes de son âge ont déjà pris leur retraite, Mikaël se maintient au sommet de son art. Outre ses compétitions régulières en Coupe du monde, il se prépare pour les Jeux olympiques de 2026.

On dit souvent qu’il faut un village pour élever un enfant. Dans le cas de Mikaël, sa première tribu a été sa famille immédiate : son père, Robert, et sa mère, Julie, qui l’ont toujours épaulé sans compter temps et argent afin de lui permettre d’atteindre ses rêves de jeune sportif ambitieux, audacieux et talentueux.

Il faut aussi dire que Mikaël, au-delà de ses magnifiques talents de skieur, est un être humain d’une grande simplicité; il est humble, il a les deux pieds sur terre — lorsqu’il ne chausse pas ses skis — et surtout, c’est un homme éminemment sympathique.

Mikaël continue de nous éblouir à la vitesse grand V. Bravo Mikaël, tu es l’inspiration de plusieurs générations de jeunes athlètes et tu es notre fierté nationale. Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Candies Kotchapaw, Angelica Johnson Baptista et Danisha Decius de la Black Diplomats Academy. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice Bernard.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les journaux communautaires

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, aujourd’hui, je rends hommage aux gens qui, malgré l’adversité, tentent de maintenir en vie la voix de leur communauté. Cela dit, après avoir été en activité pendant plus d’un siècle, le Wadena News a dû fermer ses portes. Il s’agit de la plus récente perte, mais ce ne sera pas la dernière.

(1410)

Les journaux communautaires sont particulièrement désavantagés, car ils doivent concurrencer les gros joueurs bien subventionnés capables d’attirer un lectorat plus important, de vendre leurs espaces publicitaires à gros prix et d’obtenir l’aide du gouvernement.

Le gouvernement fédéral fait fi depuis longtemps du pouvoir des journaux communautaires, sauf en cas de crise ou en période électorale. Il aurait intérêt à se rappeler que près de 8 Canadiens sur 10 lisent toujours leur journal communautaire — la version imprimée. Or, les gouvernements ont cessé de faire de la publicité dans ces journaux; ils offrent plutôt des subventions aux gros joueurs qui sont leurs concurrents.

Je cite Alison Squires, dernière éditrice du Wadena News :

Les journaux ne veulent pas de subventions, mais si le magazine Maclean’s obtient 1,5 million de dollars, alors les journaux communautaires qui relatent l’histoire à mesure qu’elle s’écrit, qui assistent aux réunions des conseils municipaux et qui couvrent les équipes de hockey locales devraient également toucher du financement.

Elle poursuit en disant : « [...] cela dit, nous préférerions vendre des espaces publicitaires. »

Les journaux communautaires sont des entreprises et elles réclament des règles du jeu équitables. Quand on achète un espace publicitaire, on paie pour un service et on diffuse un message. Quand on offre une subvention, on achète — ou tente d’acheter — des faveurs.

Si le gouvernement voulait vraiment aider la presse locale, il ferait mieux de lui laisser le champ libre et d’acheter une publicité. Cela représenterait un soutien plus sincère, et cela montrerait également une certaine compréhension de l’esprit communautaire, alors que l’on s’efforce de parler aux gens là où ils vivent.

Je suis fière d’avoir remis au journal la Médaille du jubilé de diamant de la Reine pour services rendus à la communauté. Il le mérite bien. La presse locale est le cordon qui relit les membres de nos communautés. Ses archives, qui racontent notre histoire, seront perdues — les naissances, les décès, les mariages et les anniversaires, les bonnes et les mauvaises récoltes, les succès de nos fils et de nos filles et les conséquences des politiques élaborées dans ce lieu lointain appelé Ottawa.

Je voudrais remercier Alison Squires, son père Bob, Jim Headington et Ethel Keele qui ont fondé le journal. Ils étaient issus de notre collectivité et ils étaient à son service.

À tous ceux qui ont contribué à ce journal et l’ont soutenu au fil des ans, je tiens à adresser mes remerciements pour les 115 années passées au service de vos concitoyens, pour avoir relaté nos histoires et pour avoir accepté de rédiger la première ébauche de notre histoire locale, tel qu’elle s’est déroulée chaque jour dans notre ville natale. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Vijay Dube et de Girija Dube. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Deacon (Nouvelle-Écosse).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de Peter A. Herrndorf, C.C., O.Ont.
Le décès de Gordon Edward Pinsent, C.C.

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, le Canada a récemment perdu deux icônes de renommée nationale et internationale : Peter Herrndorf et Gordon Pinsent. Tous les deux avaient des racines à Winnipeg. On dit que, au Canada, il y a six degrés de séparation. Je crois que, à Winnipeg, c’est seulement 0,6 degré.

Même si Gordon Pinsent était originaire de Terre-Neuve, sa carrière d’acteur a commencé à Winnipeg. Il est resté dans notre ville après sa carrière dans l’Aviation royale canadienne. Il a parlé de la qualité de la vie à Winnipeg, où il avait érigé des murs de sac de sable durant l’inondation de 1950. L’un des premiers emplois qu’il a occupés là-bas était celui de professeur de danse de salon. Cependant, en 1954, à l’âge de 24 ans, il a découvert le monde du théâtre. Peu après, il a rencontré John Hirsch et Tom Hendry. Cette rencontre a changé sa vie. Il a obtenu des rôles dans les mises en scène de la compagnie Theatre 77 d’Un chapeau de paille d’Italie et de Mort d’un commis voyageur.

MM. Hirsch et Hendry ont ensuite fondé le Manitoba Theatre Centre. Lors de la première année d’existence de cet établissement, M. Pinsent a été la vedette des pièces Une poignée de neige, Cendrillon, Des souris et des hommes et La Ménagerie de verre. Il y est revenu en 1972 pour jouer dans Blanches colombes et vilains messieurs. Nous savons tous les sommets qu’il a atteints dans sa carrière très diversifiée, et nous lui serons toujours reconnaissants.

Peter Herrndorf, avocat et détenteur d’une maîtrise en administration des affaires de Harvard, a mené une carrière légendaire à la télévision et à titre de président et chef de la direction du Centre national des arts. Il a grandi à Winnipeg, après avoir quitté les Pays-Bas à l’âge de 8 ans. Doté d’une curiosité insatiable, d’un esprit vif, d’une grande générosité et d’une nature déterminée, ce lecteur avide a tracé sa propre voie. Nos chemins se sont croisés il y a des dizaines d’années. Alors qu’ils étaient étudiants, mon frère aîné et lui ont vendu pendant l’été des encyclopédies de porte à porte. Un léger obstacle s’est un jour dressé sur leur chemin à Steinbach, mais c’est une histoire que je raconterai à un autre moment.

Source d’inspiration pour de nombreux Canadiens, M. Herrndorf a exprimé clairement l’amour et la fierté qu’il éprouvait pour le Canada tout au long de sa carrière. À la télévision, il est devenu vice-président de CBC. Il a attiré un plus large public au moyen d’émissions comme The Fifth Estate et en déplaçant The National à 22 heures. Sans niveler le contenu vers le bas, il l’a rendu plus accessible.

Il a été président de TVOntario avant de passer 19 ans à la tête du Centre national des arts. Il a redonné au centre son aspect « national ». J’ai été ravie lorsqu’il a commencé à inviter des organisations de tout le pays à se produire sur ces magnifiques scènes de la capitale du Canada. Il a aussi lancé la programmation autochtone.

Lors de nos rencontres fréquentes, Peter Herrndorf et moi discutions des objectifs que nous avions pour les artistes et les publics. Nous avions tous les deux hérité d’institutions culturelles en difficulté au même moment. Nos dîners étaient toujours fascinants, et nos discussions portaient sur une myriade de sujets. Nous parlions notamment du fait d’avoir grandi à proximité à Winnipeg, des défis du milieu des arts et des façons de les relever, et de nos rêves d’un avenir où tout le monde comprendrait et soutiendrait la véritable importance des arts dans l’ensemble des secteurs de la société.

Que ces deux personnalités passionnées et inspirantes reposent en paix.

Des voix : Bravo!

Le décès d’Alexa McDonough, O.C., O.N.S.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, l’ancien poète officiel du Parlement, George Elliott Clarke, m’a demandé de lire l’élégie qu’il a rédigée pour Alexa Ann McDonough, née Shaw, en cette veille de la Journée internationale des femmes.

La maternelle s’apparente à un corps

législatif dont le Trésor

s’appelle Partage. Prospérité? Impensable

sans charité vraie et incommensurable.

Répartir équitablement biscuits

et limonade. Inculquer sans bafouillis

que Politique rime avec Chant

et que Loi est parole d’évangile et non de brigand.

L’abeille peut jouer à la marelle ou gribouiller,

et les oiseaux, comme Portia White, gazouiller.

Le strudel aux pommes peut accompagner la poutine

et des chefs-d’œuvre peuvent être faits de plasticine...

Ô Miss Shaw, est-ce l’exemple de Sagesse et de Beauté,

que, vive, charmante et rieuse, vous donniez

dans vos leçons, éclairs zébrant l’ardoise de craie,

chants marins que le tourne-disque haletait,

ou hymnes en chœur chantés par des joues

roses et couleur café? Candides avant tout,

bardes de la Mère l’Oie — lettres mal formées,

dictionnaires aux pages barbouillées

passés entre trop de mains —

que nous sommes, savants citoyens certains

que le soir du scrutin Magie s’opérera

et que devoir rimera avec abracadabra.

Madame la maîtresse, du Superbe un rouage inhérent,

des miracles sans fin accomplissant

chaque jour, en jupe à carreaux,

à consoler les chagrins et becquer bobos.

Tantôt sensible, tantôt sévère vous interveniez

Par un regard incisif ou un câlin pour nous inculquer

les rites sociaux et veiller à ce qu’en tout temps

nos droits à nos esprits demeurent présents.

Vous avez toujours dit que j’étais un petit tannant

dans cette version préscolaire du Parlement

où les idées étaient des joujoux, où les contes de fée,

les rêves magiques, Balivernes de nos siestes écourtées,

façonnaient notre pensée, notre être, notre vie

alors que Charité invite à l’Euphorie.

(Qu’est-ce qu’un arc-en-ciel, sinon une palette chromatique

se taillant un chemin vers une beauté fantasmagorique?)

Madame la maîtresse, première politicienne à avoir

soufflé ma Poésie dans les pages du hansard,

votre départ m’a terriblement attristé.

Yeux rougis, voix étranglée (jamais plus censurée),

je pleure votre perte — libératrice

du torturé, de la mère à bout; détractrice

du dictateur soutenu par ses armées;

sœur de chaque féministe-née!

Madame la maîtresse, une fois sur la Colline appelée

 — parlementaire du peuple entier —,

vous nous avez amenés, moi et ma mère,

naviguer un jour sur des eaux calmes, égalitaires.

Après, tandis que le soleil baignait les flots de ses rayons

et que vous discutiez avec ma mère de savantes questions,

j’ai avalé biscuits, jus et bouillon chaud

et fait monter ma balançoire bien haut.

Ce fut une journée entre mille encore sans égale,

un moment de joie totale!

La leçon? Ô Joie, c’est l’Insolence

qui renverse tous les gouvernements mesquins. Le Sens

le moins commun à la Chambre des communes —

l’Éloquence intransigeante et sans retenue aucune —

Madame la maîtresse (toute Grammaire au futur),

vous avez enseigné — j’en suis témoin — la Magnificence sans rupture.

Des voix : Bravo!

La ville de Placentia

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je suis heureux de présenter aujourd’hui le chapitre 73 de « Notre histoire ».

Je suis convaincu que lorsque la plupart d’entre vous m’entendent raconter les histoires de Terre-Neuve-et-Labrador, vous ne vous attendez pas à ce que je vous parle des Français. Cependant, c’est un fait que les Français ont joué un rôle important dans l’exploration et le peuplement de notre province. Même si ce n’est pas toujours évident au premier coup d’œil, les racines françaises de Terre-Neuve-et-Labrador sont fort profondes.

L’abondante pêche à la morue a grandement contribué à attirer les colons français à Terre-Neuve-et-Labrador. Ils furent parmi les premiers Européens à y mettre le pied; la première expédition de pêche documentée remonte à 1504.

(1420)

Jusqu’à la signature du Traité d’Utrecht, en 1713, les Français pouvaient exploiter tous les secteurs de la colonie qu’ils souhaitaient. Ils ont établi plusieurs collectivités sur l’île, dont la plus importante était Plaisance, que l’on appelle aujourd’hui Placentia. Au début des années 1660, la France a établi une garnison et une colonie à Plaisance, afin de fournir un abri et une protection aux pêcheurs pendant leur séjour à Terre-Neuve. Plaisance devint ainsi l’établissement français le plus important et le plus prospère de l’île, ainsi que le site de l’ancienne capitale française de Terre-Neuve-et-Labrador.

Placentia possède de nombreuses caractéristiques qui en font une attraction touristique populaire dans la province. Elle possède un pont levant unique en son genre, le Sir Ambrose Shea Bridge. En outre, de nombreux sites archéologiques témoignent de la riche histoire de la région. Il est possible de remonter le temps jusqu’au XVIIIe siècle en visitant le lieu historique national de Castle Hill. On peut s’imaginer les coups de canons et de mousquets pendant les affrontements entre les troupes britanniques et françaises sur les côtes de Terre-Neuve qui se disputaient le contrôle des pêcheries lucratives. Vous y découvrirez un chapitre de notre histoire qui a façonné le destin d’un continent.

Il y a aussi l’histoire du testament datant de 1563 qui a été découvert dans des archives en Espagne, et dans lequel Domingo de Luza, un marin du Pays basque, a fait le souhait suivant :

[...] que mon corps soit enterré en ce port de Placentia, à l’endroit où sont enterrés les gens qui y meurent.

On estime qu’il s’agit du plus vieux document civil original rédigé au Canada.

À Castle Hill, vous pouvez voir un spectacle donné par la troupe du Placentia Area Theatre d’Heritage, dont les spectacles très populaires racontent la vie des premiers habitants de Placentia sous l’administration du gouverneur de Broullion.

En 1893, Harry Verran, ingénieur minier de Cornouailles, en Angleterre, a construit une maison historique qui sert maintenant de gîte touristique, le Rosedale Manor, un incontournable pour tout visiteur.

En 2009, le Placentia Bay Cultural Arts Centre a ouvert ses portes, et je suis fier de dire que j’ai contribué à recueillir les fonds nécessaires pour la construction de ce magnifique établissement ultramoderne. Ce centre offre des conférences ainsi que des spectacles donnés par quelques-uns de nos musiciens, comédiens et dramaturges des plus doués ainsi que par une foule d’autres artistes.

L’O’Reilly House Museum, la promenade et le St. Luke’s Cultural Heritage Centre ne sont que quelques exemples des nombreuses autres attractions uniques que vous pouvez découvrir dans la ville de Placentia. De plus, l’un des deux services de traversier offerts par Marine Atlantique entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve se trouve à Argentia, située à quelques minutes seulement de Placentia.

À Placentia, on vous fera sans doute si bon accueil qu’il vous sera difficile de faire vos adieux.

Merci.


AFFAIRES COURANTES

L’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Dépôt du rapport annuel de 2020-2021

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel 2020-2021 du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels.

Projet de loi sur la protection des pensions

Projet de loi modificatif—Présentation du sixième rapport du Comité des banques, du commerce et de l’économie

L’honorable Pamela Wallin, présidente du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, présente le rapport suivant :

Le mardi 7 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie a l’honneur de présenter son

SIXIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, a, conformément à l’ordre de renvoi du 14 décembre 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

La présidente,

PAMELA WALLIN

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 1281.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Wells, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Affaires juridiques et constitutionnelles

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final concernant l’étude sur les questions relatives à l’intoxication volontaire

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 23 juin 2022, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles concernant son étude sur l’intoxication volontaire soit reportée du 10 mars 2023 au 30 avril 2023.

Langues officielles

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à étudier les services de santé dans la langue de la minorité

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner, pour en faire rapport, les services de santé dans la langue de la minorité, en particulier les enjeux liés :

a)à l’inclusion de clauses linguistiques dans les transferts fédéraux en matière de santé;

b)au vieillissement de la population, notamment la capacité d’obtenir des soins de santé, des soins de longue durée ou des soins à domicile dans sa langue, y compris les ressources linguistiques en appui aux proches aidants, à la qualité de vie des personnes âgées et à la prévention des maladies;

c)à l’accès aux services de santé dans la langue de la minorité pour les communautés vulnérables;

d)à la pénurie de professionnels de la santé dans les établissements publics ou privés assurant des services auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire et aux capacités linguistiques du personnel soignant dans ces établissements;

e)aux besoins des établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec et anglophones au Québec en matière de recrutement, de formation et d’accompagnement des futurs diplômés des disciplines de la santé;

f)à la télémédecine et à l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur de la santé, notamment les défis linguistiques qui en découlent;

g)aux besoins en matière de recherche, de données probantes et de solutions pour favoriser l’accès aux soins de santé dans la langue de son choix;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 octobre 2024, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

La vie de Gordon Pinsent

Préavis d’interpellation

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la vie de Gordon Pinsent.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il reste quelques minutes avant 14 h 30, heure à laquelle la période des questions doit commencer. Avec le consentement du Sénat, nous pouvons commencer maintenant et terminer à 15 h 28. Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.


PÉRIODE DES QUESTIONS

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd’hui l’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, pour lui poser des questions concernant ses responsabilités ministérielles.

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, les sénateurs ne sont pas tenus de se lever. Les questions sont limitées à une durée d’une minute et les réponses à une durée d’une minute et demie. Le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’expiration de ces délais. La période des questions sera d’une durée d’une heure.

Le ministère des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne

La flotte de brise-glaces

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Madame la ministre, le mois dernier, votre ministère a répondu à des questions inscrites au Feuilleton du Sénat concernant l’acquisition de deux brise-glaces de classe polaire pour la Garde côtière canadienne. L’une des questions portait sur le budget de ce projet. Votre ministère a refusé de fournir une estimation du coût du projet, bien que le directeur parlementaire du budget ait fourni une estimation de plus de 7 milliards de dollars. Le gouvernement Trudeau a déclaré que le premier navire allait entrer en service en 2030, soit dans sept ans, mais vous ne pouvez même pas présenter une estimation du budget au Parlement et aux Canadiens.

(1430)

Madame la ministre, soit vous ne voulez pas, soit vous ne pouvez pas fournir de chiffres, et aucune de ces options n’est acceptable aux yeux des Canadiens. Avez-vous une idée du coût de ce projet, et allez-vous nous en parler aujourd’hui?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de cette question. Non, je n’ai pas d’estimation avec moi, mais je serai heureuse de demander à mes fonctionnaires de vous faire parvenir les renseignements dont ils disposent.

J’aimerais ajouter que les Canadiens s’attendent à ce que la Garde côtière canadienne possède des capacités modernes. Le gouvernement a choisi de développer une nouvelle industrie de la construction navale. Nous avons des chantiers navals sur la côte Ouest et la côte Est, et nous sommes en train d’en ajouter un troisième au Québec. Cette décision a entraîné des retards et des défis, mais nous avons déjà livré plusieurs navires de la Garde côtière canadienne, soit de 15 à 20 petits navires et 3 grands navires. Je suis donc heureuse d’accueillir cette nouvelle flotte tandis qu’elle sort des chantiers. Nous allons continuer de faire de notre mieux pour que tout se déroule de manière efficace et en temps opportun.

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, les Canadiens, les contribuables et le Parlement méritent également de savoir combien cela va coûter.

[Français]

Malgré les menaces à la souveraineté du Canada dans l’Arctique, le gouvernement Trudeau ne semble pas avoir de plan en vue du simple démarrage de projets de construction de brise-glaces polaires. L’année 2030 arrive à grands pas, et non seulement les navires n’ont pas été commandés, mais votre gouvernement n’a toujours pas conclu d’accord-cadre avec le chantier naval Davie pour la construction d’un des deux brise-glaces.

Chaque année depuis trois ans, votre gouvernement promet de conclure un accord avec Davie, mais chaque année, il ne tient pas ses promesses. Madame la ministre, pourquoi n’avez-vous pas été en mesure de conclure un accord et quel impact votre échec a-t-il sur la date de livraison de 2030?

Mme Murray : Je vous remercie de cette question. Nous faisons actuellement des investissements historiques dans les chantiers navals et je suis fière de cette décision.

[Traduction]

Le sénateur a fait référence à l’Arctique, où il est essentiel que le Canada dispose des outils et des capacités lui permettant de protéger ses eaux, ses frontières et ses écosystèmes. Nous réalisons des investissements historiques pour y parvenir.

J’ai récemment eu l’occasion de passer une demi-journée sur un brise-glace — avec la Garde côtière canadienne sur le fleuve Saint‑Laurent — qui veillait à ce que la voie maritime soit exempte de glace. Je tiens à féliciter la Garde côtière canadienne pour l’excellent travail qu’elle accomplit lors de ses rotations dans le Sud en hiver. Dans quelques mois, elle se rendra dans l’Arctique pour y assurer le déglaçage et les services de protection.

La prédation des espèces

L’honorable Rose-May Poirier : Madame la ministre, la rivière Miramichi, qui est l’une des plus grandes rivières à saumon atlantique au monde et où l’on pratique la pêche de subsistance autochtone et la pêche récréative, est en crise. Le problème, c’est la prédation. Les données scientifiques recueillies en 2022 indiquent que seulement 3,8 % des saumoneaux, soit les bébés saumons, ont réussi à franchir le barrage de bars rayés dans l’estuaire pour se rendre à l’océan. Vu ce faible nombre, le saumon de la classe d’âge 2022 de la rivière Miramichi Nord-Ouest est perdu en raison de la prédation du bar rayé.

En tant que ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, êtes-vous maintenant prête à agir de toute urgence pour mettre en œuvre au printemps 2023 les recommandations formulées dans l’étude récente du ministère des Pêches et des Océans du Canada? Le cas échéant, quelles sont vos priorités?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie d’avoir soulevé vos préoccupations au sujet du saumon atlantique, qui est effectivement une espèce emblématique en difficulté. Nous sommes déterminés à contribuer au rétablissement et à la croissance du stock.

Je suis en train d’élaborer la première stratégie de conservation du saumon atlantique sauvage du Canada. J’ai eu des séances d’information à ce sujet au cours des dernières semaines. Nous collaborons étroitement avec les peuples autochtones sur l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie. Nous avons travaillé avec un certain nombre de partenaires pour offrir du financement à certains d’entre eux afin d’assurer le rétablissement du saumon atlantique sauvage, et j’ai hâte de poursuivre ce travail.

En ce qui concerne les documents, je serai ravie d’assurer un suivi et de demander au ministère de les transmettre à la sénatrice.

Le Traité sur la haute mer

L’honorable Mary Coyle : Bienvenue, madame la ministre. La fin de semaine dernière, les États participant à la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale, organisée par les Nations unies, ont accepté un nouveau traité sur la protection de la biodiversité marine en haute mer. Cet accord sera crucial pour atteindre l’objectif établi dans le cadre mondial sur la biodiversité, qui consiste à protéger 30 % des océans du monde.

Le nouveau Traité sur la haute mer crée un cadre juridique pour l’établissement de zones protégées et pour la réalisation d’évaluations environnementales dans les zones océaniques situées au-delà des juridictions nationales. Nous savons que la conclusion de cet accord n’a pas été une tâche facile.

Cet important accord doit encore être officiellement adopté et ratifié. Madame la ministre, pourriez-vous nous dire quelles seront les prochaines étapes sur la scène internationale en ce qui concerne cet accord? Quand le gouvernement du Canada ratifiera-t-il ce Traité sur la haute mer?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de vous intéresser à la conclusion de cet accord. Il va sans dire que je suis moi aussi enchantée de voir que le cadre qui se dégage des discussions débouchera sur un accord international concernant la protection de la haute mer.

Nous avons réalisé énormément de progrès en ce qui concerne la protection des océans au Canada. Comme vous le savez probablement, nous protégeons actuellement près de 15 % des océans canadiens, alors que cette proportion n’était que de 1 % en 2016. À l’occasion du cinquième Congrès international des aires marines protégées, ou IMPAC5, qui a eu lieu récemment, j’ai eu le privilège d’annoncer la création de l’importante zone de protection marine Tang.Gwan — hačxwiqak — Tsigis.

Pour ce qui est des prochaines étapes, nous continuerons à collaborer avec la communauté internationale en ce qui concerne l’avenir des zones protégées en haute mer. Il est ici question de biodiversité, d’aires de conservation, de conservation des stocks et de normes dans ces domaines. Le travail se poursuivra. Je répète que je peux vous faire part des prochaines étapes que le ministère que je dirige mettra en œuvre. Entretemps, je puis vous assurer que je défends inconditionnellement la conservation des océans et la création de zones protégées.

La coordination interministérielle

L’honorable Colin Deacon : Merci, madame la ministre, d’être avec nous au Sénat aujourd’hui. Madame la ministre, une grande partie des priorités et des objectifs de votre ministère, y compris les engagements pris dans le cadre du Plan de protection des océans, relèvent de Transports Canada. Compte tenu de ce fait, les Canadiens pourraient raisonnablement s’attendre à une collaboration horizontale au sein du gouvernement, ce qui n’est pas toujours le cas. Certains sénateurs se heurtent à des difficultés dans les dossiers où Transports Canada est le ministère responsable de priorités qu’il a en commun avec Pêches et Océans Canada et Environnement et Changement climatique Canada. Je pense par exemple à son inaction en ce qui concerne la mise en œuvre de l’engagement pris par le Canada il y a 30 ans dans le cadre de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, ou MARPOL, afin de prévenir la pollution maritime par les eaux de cale et les déchets pétroliers de nos eaux côtières et intérieures. C’est un problème qui touche nos deux provinces, à savoir la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique.

Madame la ministre, comment pouvons-nous commencer à surmonter le manque d’horizontalité en ce qui concerne les priorités pangouvernementales, comme la protection de l’environnement?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de cette question. Bien que la collaboration entre Pêches et Océans Canada et d’autres ministères ne soit pas parfaite — et qu’il reste toujours du travail à faire —, je dirais que la collaboration entre Transports Canada et Pêches et Océans Canada est excellente. Nous avons notamment travaillé ensemble sur le Plan de protection des océans, qui représente à ce jour, si je ne m’abuse, un investissement de 2,5 milliards de dollars. Ce montant a eu des effets très importants et positifs sur la réconciliation avec les Autochtones.

En ce qui concerne l’eau de vidange de cale, c’est une question à laquelle je me suis intéressée personnellement avant d’être nommée ministre des Pêches et des Océans et j’ai travaillé avec deux ministres des Transports consécutifs. Nous y travaillons. Des mesures ont été prises qui ressemblent à celles de certains de nos pays voisins en matière de déversement d’eaux de ballast. J’ai fait part au gouvernement de la préoccupation concernant le déversement d’eaux de ballast dans les eaux vulnérables et je continuerai à surveiller ses progrès à cet égard.

(1440)

L’évaluation des stocks de flétan noir

L’honorable Dennis Glen Patterson : Merci, madame la ministre. Votre gouvernement s’enorgueillit de prendre des décisions fondées sur des données scientifiques, comme il doit le faire d’ailleurs. Cependant, le 10 février 2023, vous avez pris la décision de réduire de 9,25 % les quotas pour le flétan noir dans les zones de pêche 0A et 0B. Plutôt que de vous baser sur les rapports actuels sur les stocks, vous avez justifié votre décision en invoquant un manque de données scientifiques. Or, les zones de pêche visées se trouvent au large de la côte du Nunavut, et j’étais très préoccupé de voir qu’au fil des ans, votre ministère a ignoré les offres répétées de l’industrie de la pêche du Nunavut, qui proposait d’effectuer l’évaluation des stocks.

Madame la ministre, allez-vous vous engager à permettre à l’industrie de la pêche du Nunavut d’effectuer des études scientifiques dans l’avenir, comme vous l’avez récemment convenu avec le Conseil du poisson de fond de l’Atlantique?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Premièrement, je tiens à assurer à l’ensemble des sénateurs que Pêches et Océans Canada fonde ses décisions sur les meilleures données scientifiques disponibles. Dans le cas des stocks de flétan noir, il y a eu un manque temporaire de données parce que le navire qui faisait habituellement les évaluations — et qui est fourni par le Groenland étant donné que nous partageons le stock — était temporairement hors service.

Pour l’année en question, nous avons quand même pu faire une évaluation en utilisant les données de la série chronologique des 10 dernières années ainsi que celles provenant des pêcheurs, même s’il n’y avait pas eu de chalutage cette année-là. Nous avons été légèrement plus prudents étant donné l’absence de données sur le chalutage, mais le problème n’était que temporaire puisque le navire du Groenland qui était hors service a maintenant été remplacé.

En ce qui concerne le total admissible des captures, nous avons pris une décision pour un an plutôt que pour deux ans comme à l’habitude parce que nous savions que nous pourrions remédier à l’absence de données lorsque le Groenland fournirait de nouveau un navire, un an plus tard. Je suis confiante dans notre capacité de gérer les stocks et je continuerai à veiller à ce que la conservation soit le principe qui oriente toutes nos activités.

Les pêches fondées sur les droits

L’honorable Brian Francis : Madame la ministre, en 1999, la Cour suprême du Canada a affirmé que les Premières Nations mi’kmaq, wolastoqey et peskotomuhkati du Canada atlantique avaient le droit, en vertu de traités, de pêcher afin de s’assurer une subsistance convenable. Cependant, 23 ans plus tard, le gouvernement fédéral continue d’appliquer le régime juridique et réglementaire qui non seulement empiète sur les droits protégés par la Constitution, mais rend impossible leur exercice significatif et sécuritaire.

Ma question est simple : en tant que ministre des Pêches et des Océans, combien d’années ou de décennies pensez-vous qu’il soit raisonnable pour les Mi’kmaqs, les Wolastoqey et les Peskotomuhkati d’attendre la pleine mise en œuvre de leurs droits en matière de pêche?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. Je ne parlerai pas de ce qui s’est passé dans le passé, mais je dirai que le gouvernement s’est fermement engagé à respecter les droits des Mi’kmaqs en matière de pêche, qui constituent un moyen de subsistance convenable. À cette fin, nous avons pris plusieurs initiatives qui nous ont permis de veiller à ce que ces communautés aient accès à la formation, à l’équipement et aux prises autorisées afin que cette obligation découlant des traités puisse être respectée.

L’industrie de l’aquaculture

L’honorable David M. Wells : Madame la ministre, le gouvernement est sur le point de fermer 79 fermes salmonicoles en Colombie-Britannique. Des scientifiques se sont publiquement dressés contre les données scientifiques non revues par des pairs. En fait, selon un rapport indépendant, ces fermes salmonicoles ont peu ou pas d’incidence sur les stocks sauvages.

Ma question porte sur les données scientifiques et les plans du gouvernement. Le gouvernement prévoit-il fermer l’industrie dynamique de l’aquaculture à Terre-Neuve-et-Labrador, qui emploie des milliers de personnes et dans laquelle on investit des millions de dollars, notamment de l’argent provenant des Premières Nations?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question. Ce qui me préoccupe surtout, ce sont les stocks de saumon sauvage du Pacifique sur la côte de la Colombie-Britannique. Ces stocks sont en grande difficulté. Bon nombre d’entre eux sont inscrits sur la liste du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada ou désignés comme en péril au titre de la Loi sur les espèces en péril. Ces stocks de saumon sauvage sont depuis longtemps une source essentielle de sécurité alimentaire, mais ils ont aussi des usages alimentaires, sociaux et cérémoniels pour des dizaines de Premières Nations de l’intérieur de la Colombie-Britannique.

J’ai mené de très vastes consultations auprès de Premières Nations de la côte et de l’intérieur, ainsi qu’auprès de l’industrie. De nombreuses pressions pèsent sur le saumon sauvage, mais nous ne pouvons rien faire pour certaines d’entre elles, comme les changements climatiques, le réchauffement des eaux du fleuve Fraser et la perte d’habitat. Toutefois, ce que nous pouvons contrôler, nous devons le contrôler parce qu’il est tout simplement hors de question pour nous de perdre le saumon sauvage du Pacifique. À cela s’ajoute le fait que les îles Discovery ont été désignées comme une zone vulnérable parce que le saumon traverse ce secteur au moment de sa migration. Le juge Cohen a passé deux ans à examiner la situation et il a recommandé d’étudier en priorité la possibilité d’interdire la salmoniculture. De surcroît, des données scientifiques plus récentes montraient qu’il y avait des risques que des agents pathogènes et des parasites affectent les saumoneaux. Voilà tout simplement les raisons qui m’ont poussé à ne pas renouveler les licences dans les îles Discovery.

La pêche au maquereau

L’honorable Elizabeth Marshall : Madame la ministre, bienvenue au Sénat du Canada. Il y a près d’un an, sans avertissement, sans consultation ni compensation financière, vous avez fermé l’ensemble de la pêche au maquereau bleu et de la pêche commerciale à l’appât. À l’époque, l’Union des pêcheurs des Maritimes s’était dite choquée par votre décision radicale et consternée par ses répercussions sur les travailleurs des collectivités côtières.

Lors d’une conférence de presse tenue il y a deux semaines, Greg Pretty, président de la Fish, Food and Allied Workers Union, ou FFAW-Unifor, a attribué la fermeture de cette pêche à :

[...] la mauvaise gestion colossale de la pêche au maquereau et [aux] failles scientifiques du MPO dans ses estimations de la biomasse.

Madame la ministre, quelle est votre réponse à la FFAW-Unifor et, en fait, à tous les pêcheurs et transformateurs de maquereau du Canada atlantique? La pêche au maquereau bleu sera-t-elle autorisée en 2023? Oui ou non?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : En ce qui concerne la dernière question, sénatrice, cette décision n’a pas encore été prise. Pour ce qui est de la fermeture de la pêche au maquereau, il est toujours difficile de fermer une pêche, car je sais quelles répercussions cette mesure a sur les pêcheurs et leurs collectivités. En fait, j’ai passé la dernière semaine dans l’Est du Canada, en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, où j’ai entendu des pêcheurs d’un certain nombre de stocks.

En ce qui concerne le maquereau, les données scientifiques sont très claires : ce stock se trouve dans la zone critique, et ce, depuis plus d’une décennie. Il y a eu un effondrement des classes d’âge du maquereau. J’ai en fait en ma possession le document sur la biomasse du stock reproducteur. Lorsque je l’ai lu, j’ai été très inquiète au sujet du stock.

Il n’est jamais facile de fermer une pêche, mais l’objectif est la conservation à long terme. Nous voulons donner au stock la possibilité de se reconstituer. Le maquereau est une source importante de nourriture pour de nombreux autres stocks de poissons et revêt une importance comme appât. Cependant, si nous continuons à le pêcher, nous risquons de ne jamais le voir se reconstituer. C’est pourquoi j’ai adopté cette approche préventive.

La protection de diverses espèces de saumon

L’honorable Pat Duncan : Madame la ministre, je vous remercie de votre visite au Yukon pour constater par vous-même le déclin des stocks de saumon quinnat et le faible taux de montaison des autres espèces de saumon.

Il est très complexe de tenir des discussions sur la situation du saumon au Yukon et dans toutes les autres régions de la côte Ouest du Canada. Au Yukon, il faut tenir compte de multiples facteurs internationaux, notamment la pêche commerciale en Alaska, la pêche de subsistance pour les Premières Nations, l’Accord sur le saumon du fleuve Yukon et le Traité sur le saumon du Pacifique. Les lettres de mandat exigent une approche pangouvernementale qui tient compte de l’engagement du Canada envers les Premières Nations. La gestion du saumon au Yukon a cruellement besoin d’une approche pangouvernementale qui prend en considération la totalité des écosystèmes et qui repose sur le savoir des Autochtones dans le contexte des changements climatiques et d’autres défis.

(1450)

Madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer l’approche de votre ministère pour assurer la survie des nombreuses espèces de saumon afin qu’elles soient disponibles pour les futures générations de Yukonnais et de Canadiens?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. Tout d’abord, mon approche a consisté à me rendre au Yukon et à y passer plusieurs jours pour rencontrer et écouter les comités de pêcheurs, notamment autochtones, qui conseillent mon ministère.

Je me suis rendue dans des communautés éloignées comme Little Salmon Carmacks, dont les membres m’ont fait part de leur tristesse de ne pas pouvoir pêcher, de ne pas pouvoir organiser leurs camps de pêche, de ne pas pouvoir organiser leurs cérémonies, des activités pourtant très importantes pour leur communauté et pour la transmission de leurs enseignements.

Je suis donc très préoccupée par l’état des stocks de plusieurs espèces de saumon au Yukon, et c’est pourquoi j’ai saisi l’occasion de communiquer avec M. Spinrad, sous-secrétaire américain au commerce pour les océans et l’atmosphère et administrateur de la National Oceanic and Atmospheric Administration, pour lui faire part de mon inquiétude quant à une éventuelle surpêche pratiquée par des navires américains à l’embouchure du fleuve Yukon et lui exprimer mon désir de voir les États-Unis adopter une approche de précaution à l’égard de la gestion des pêches, comme nous le faisons au Canada. J’espère que ma démarche portera ses fruits.

De nombreuses Premières Nations du bassin hydrographique du Yukon ont reçu des fonds pour participer à la collecte de données et à la recherche scientifique. Elles collaborent étroitement avec les fonctionnaires de mon ministère et donnent des conseils sur les mesures à prendre pour rétablir les stocks de saumon.

Son Honneur le Président : Votre temps de parole est écoulé.

Les émissions de carbone

L’honorable Stan Kutcher : Madame la ministre, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Ma question concerne la Garde côtière canadienne et ses efforts de décarbonation. Il y aurait différentes initiatives en cours, notamment un projet d’essai du biodiésel et la construction d’un navire électrique hybride.

Pourriez-vous nous en dire plus au sujet de ces efforts et nous indiquer si d’autres initiatives de décarbonation sont dans les cartons du côté de la Garde côtière canadienne?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci d’avoir posé une question au sujet de ce très important programme parce que, comme c’est le cas dans l’ensemble de la Stratégie pour un gouvernement vert, mon ministère doit réaliser des progrès en matière de décarbonation dans le cadre du plan climatique du gouvernement pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai été à bord d’un brise-glace de la Garde côtière canadienne pendant son déploiement dans l’estuaire du Saint-Laurent et c’est l’un des sujets que j’ai abordés avec le capitaine. Il faudra du temps avant de trouver des moteurs de remplacement. La puissance dont a besoin un navire comme un brise-glace de la Garde côtière canadienne, même un brise-glace de taille moyenne, exige une salle des moteurs qui fait près de la moitié de la taille de l’enceinte du Sénat et qui est remplie de moteurs énormes. Cela prendra du temps.

D’ici là, on décarbonise les navires de différentes façons, notamment en passant à des systèmes électriques. Les services sont donnés de façon plus écologique. Dans les années à venir, nous allons continuer de trouver des façons de rendre le carburant plus vert et de réduire les émissions de gaz à effet de serre qu’il produit.

L’évaluation des stocks de flétan noir

L’honorable Dennis Glen Patterson : Madame la ministre, vous avez dit qu’en raison de la non-disponibilité d’un navire du Groenland, nous n’avons pas de données sur les stocks de flétan noir. Comme je l’ai dit, l’industrie de la pêche du Nunavut était prête à effectuer cette évaluation des stocks, mais le ministère dont vous êtes responsable a rejeté son offre. Cela entraîne des pertes estimées à 15 millions de dollars par année pour l’industrie de la pêche du Nunavut, une industrie jeune et en développement. Ne serait-il pas simplement juste que le ministère envisage d’indemniser l’industrie de la pêche du Nunavut pour ces pertes?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. Comme je l’ai mentionné, la réduction du total autorisé des captures est temporaire et attribuable à la non-disponibilité du navire de notre partenaire, le Groenland, mais ce problème est maintenant réglé.

La difficulté lorsqu’on introduit des évaluations qui ne s’inscrivent pas dans une série chronologique, c’est que la validité de ces données n’est pas aussi solide que celles des données d’évaluation recueillies par le même navire, selon les mêmes méthodes et les mêmes paramètres de pêche.

Comme le savent probablement les sénateurs, lorsqu’un nouveau navire est introduit, il effectue l’évaluation en chalutant aux côtés du navire qui sera mis hors service pendant longtemps, simplement pour que l’on puisse s’assurer que le matériel est installé de manière à obtenir les mêmes résultats, sans quoi on risque de compromettre l’intégrité de la série chronologique. Or, cette intégrité est essentielle pour que les décideurs puissent prendre des décisions fondées sur des données scientifiques robustes quand au total autorisé des captures. Ainsi, une solution de fortune pour une année donnée ou deux ne permet pas d’obtenir des données scientifiques de validité aussi robuste que si l’on poursuit l’exercice avec la même configuration de navire utilisée par le passé pour créer cette série de données.

Le Traité sur la haute mer

L’honorable Patricia Bovey : Bienvenue, madame la ministre. Comme l’a dit la sénatrice Coyle, le traité sur la haute mer adopté la semaine dernière par les Nations unies constitue une étape historique dans la protection des océans de la planète.

Le Canada a une grande expérience en la matière. Par exemple, nous avons augmenté le nombre de zones protégées le long de nos côtes. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la Convention de 1994 sur le droit de la mer, mais aussi à la Commission de la mer des Sargasses. J’ai entendu dire que de nombreux pays attendent de nous que nous prenions également l’initiative dans le cadre de cet accord. Selon vous, comment le Canada pourrait-il jouer un rôle de premier plan pour que ce traité atteigne ses objectifs?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci, madame la sénatrice. Je voudrais saluer les nombreuses personnes qui ont permis au Canada d’être un leader et d’être perçu comme tel en matière de conservation des océans. Nous avons été l’un des premiers membres du Groupe de haut niveau pour une économie océanique durable. Le Canada a été invité à devenir partenaire lorsque la Chine n’a pas été en mesure d’accueillir physiquement la COP 15, qui a été co-organisée par le ministre Guilbeault à Montréal, et j’ai eu l’occasion d’y participer également et de voir la délégation et les négociateurs canadiens à l’œuvre. Nous avons aussi accueilli IMPAC5, le Congrès international sur les aires marines protégées, il y a quelques semaines à Vancouver.

Je dirais donc que nous jouons déjà un rôle de premier plan et je sais que notre premier ministre soutient fermement cette position. Nous avons intégré un groupe de pays qui se sont engagés à lutter contre la pêche illégale, non réglementée et non autorisée en haute mer. C’est la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada qui ont lancé cette initiative, à laquelle se sont joints un certain nombre d’autres pays. Je me préoccupe beaucoup de la conservation. Je poursuivrai dans la lignée de ces initiatives en faveur de la conservation des océans, dont les véritables initiateurs sont ceux qui m’ont précédé et notre premier ministre.

(1500)

La recherche et le sauvetage maritimes

L’honorable Fabian Manning : Madame la ministre, en 2017-2018, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a mené une étude en profondeur sur les activités de recherche et de sauvetage maritimes. En novembre 2018, il a publié le rapport intitulé QUAND CHAQUE MINUTE COMPTE : Recherche et sauvetage maritimes. La première recommandation de ce rapport est la suivante :

1a) Le comité recommande que la Garde côtière canadienne établisse de nouveaux postes principaux de recherche et de sauvetage dans l’Arctique canadien afin de répondre à la demande croissante dans les régions où l’on prévoit une intensification du trafic maritime.

Le rapport donne aussi la recommandation suivante :

5. Le comité recommande que le ministère de la Défense nationale lance un projet pilote autorisant un exploitant privé d’hélicoptères civils à effectuer des missions de recherche et de sauvetage aériens dans l’Arctique canadien et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Deux pêcheurs du Labrador, Marc Russell et Joey Jenkins, ont disparu le 17 septembre 2021. Malheureusement, ils n’ont jamais été retrouvés. Les opérations de recherche ont été entachées par des allégations des familles, qui dénoncent un manque de coordination entre les ordres de gouvernement et l’abandon prématuré des efforts de recherche. Les parents de Marc Russell, Jeanette et Dwight, demandent que la base militaire de la 5e Escadre Goose Bay devienne un centre de recherche et de sauvetage, que des postes de sauvetage rapide soient établis au Labrador, que l’installation de balises de détresse soit obligatoire sur toutes les embarcations et qu’il y ait un examen des normes pour les bateaux de pêche.

À l’automne dernier, Jeanette et Dwight sont venus à Ottawa pour participer à plusieurs rencontres.

Son Honneur le Président : Sénateur Manning, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous donner une réponse, madame la ministre?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de cette question cruciale et empreinte de compassion. Je suis de tout cœur avec les familles des pêcheurs que vous avez mentionnés et qui n’ont pas pu être secourus à temps.

J’ai demandé à la Garde côtière canadienne de me préciser le modèle sur lequel se basent les postes de recherche et de sauvetage. Il se base sur le diamètre de la couverture et le temps qu’il faudrait pour arriver sur les lieux en vue d’offrir son aide. La Garde côtière canadienne optimise les ressources à sa disposition pour offrir la meilleure couverture côtière possible. La base à St. Anthony est celle qui fournit des services à la côte du Labrador, et pas uniquement de recherche et de sauvetage. Il y a beaucoup de ressources sur la côte du Labrador qui sont offertes par des équipes de la Garde côtière auxiliaire canadienne, et d’autres ressources qui s’ajoutent aux opérations majeures de recherche et de sauvetage, ainsi qu’aux opérations de recherche et sauvetage par hélicoptère.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Madame la ministre, je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.

La prédation des espèces

L’honorable David Richards : Madame la ministre, je vous remercie de votre présence.

Je fais suite à la question de la sénatrice Poirier, car le saumon atlantique fait partie de la vie spirituelle de la Miramichi. Au cours des 15 dernières années, jusqu’à 70 % des saumoneaux qui ont quitté l’estuaire de la Miramichi pour se rendre en mer ont été mangés par des bars rayés, qui sont des prédateurs voraces. Cet horrible déclin est toujours un dur coup pour des rivières comme la Cascapédia ou la Restigouche. Voilà six ans que je siège au Sénat et que le ministère des Pêches et des Océans fait la sourde oreille à l’égard de cette prédation. Je crois que le ministère porte presque l’entière responsabilité de la dévastation de tout un mode de vie, tant pour les pêcheurs blancs que pour les bandes des Premières Nations.

Y a-t-il la moindre indication que le gouvernement se soucie de l’éradication de toute une espèce et de tout un mode de vie, ou allons-nous autoriser la pêche de bars adultes par les Blancs et les Premières Nations?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : J’ai dit tout à l’heure que j’étais très préoccupée par l’état du saumon sauvage sur les deux côtes. En tant que Britanno-Colombienne vivant sur la côte de la Colombie-Britannique, je sais à quel point le saumon sauvage est important pour tous les citoyens, et en particulier pour les Premières Nations.

Sur la côte Est, je ne peux qu’imaginer qu’il existe la même culture de dépendance historique et traditionnelle à l’égard du saumon atlantique sauvage. C’est pourquoi nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour collaborer avec les groupes de protection de la nature et pour financer leurs efforts. Nous sommes en train d’élaborer une stratégie de conservation et de restauration du saumon atlantique sauvage.

En ce qui concerne les autres poissons dont vous avez parlé, je devrai reporter ma réponse, monsieur le sénateur. Nous lirons la transcription de la question et nous vous fournirons une réponse par écrit.

La fondation Arctic Research

L’honorable Margaret Dawn Anderson : Madame la ministre, le gouvernement investit 7,46 millions de dollars dans la cogestion de zones de protection marine dans la région désignée des Inuvialuit. Cependant, on n’a pas encore annoncé de plans pour procéder à l’évaluation des stocks, à des levées bathymétriques ou à d’autres études fondamentales de l’écosystème malgré les demandes répétées des collectivités avoisinantes, de scientifiques et de comités de chasseurs et de trappeurs.

Le vaisseau de recherche Nahidik II, exploité par la fondation à but non lucratif Arctic Research, dessert les collectivités de la région. L’organisme a proposé d’investir ses propres fonds dans le projet et il pourrait accomplir les travaux de façon moins coûteuse et avec moins de répercussions sur l’environnement. Cependant, il aurait besoin d’un investissement de 1,5 million de dollars de la part du gouvernement fédéral. Cet investissement permettrait de mener des évaluations des stocks et des études environnementales essentielles, et de favoriser les connaissances traditionnelles et culturelles.

Vous engagerez-vous à collaborer avec les collectivités et avec la fondation Arctic Research afin d’assurer un financement suffisant pour la région pour qu’on puisse y mener à bien les évaluations des stocks et entamer des études de base sur l’écosystème dans les zones de protection marine de la région désignée des Inuvialuit?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. Je tâcherai de m’informer et de me pencher sur la situation décrite par la sénatrice.

La réalité, c’est que le financement est soumis à l’approbation du Conseil du Trésor et que les fonds auxquels nous avons accès sont affectés à des initiatives précises en fonction de nos engagements. Je ne peux pas dire actuellement si du financement est prévu pour les activités de recherche en conservation de la région des Inuvialuit.

Cependant, j’ai voyagé dans l’Arctique pendant une semaine, en commençant par les Territoires du Nord-Ouest et en me rendant jusqu’à la côte est de l’Arctique, afin de mieux comprendre les enjeux essentiels. J’ai rencontré les peuples autochtones des régions visitées, et ils m’ont fait part de leurs préoccupations et des possibilités qui s’offrent à eux. La région de l’Arctique me tient à cœur. Nous avons récemment établi une nouvelle région de l’Arctique, basée à Iqaluit, car nous voulons assurer une présence sur le terrain, mais nous n’avons pas encore été en mesure de transférer tous nos fonctionnaires. Cela prend du temps en raison de la hausse des salaires et du coût des logements et des espaces de bureau. Cependant, j’ai pris quelques jours pour m’entretenir avec la Garde côtière canadienne.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Madame la ministre, nous devons passer à la prochaine question.

La pêche comparative

L’honorable Michael L. MacDonald : Madame la ministre, vous avez mentionné l’importance du processus connu sous le nom de pêche comparative. Je trouve cela intéressant. La Garde côtière vient de mettre hors service le NGCC Alfred Needler en février, soit cinq mois plus tôt que prévu. Je connais très bien ce navire étant donné que mon beau-frère, aujourd’hui à la retraite, en a été le capitaine pendant de nombreuses années. Le NGCC Alfred Needler était censé mettre en service deux navires dans le cadre du processus connu sous le nom de pêche comparative, où les nouveaux navires chalutent côte à côte. Comment comptez-vous procéder maintenant que le NGCC Alfred Needler a été mis hors service avant l’entrée en service des nouveaux navires?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Il est malheureux que le NGCC Alfred Needler n’ait pas pu terminer sa durée de vie prévue. Les meilleures données scientifiques disponibles sont importantes pour la répartition des prises dans les pêcheries. Nous utiliserons d’autres sources scientifiques. Comme je l’ai dit plus tôt, les données sur les quantités pêchées et les lieux de pêche nous fournissent de l’information. Nous travaillons avec les communautés autochtones sur leurs données scientifiques ainsi qu’avec les pêcheurs, et nous allons nous assurer d’avoir des données sur lesquelles nous pouvons fonder nos décisions. Bien entendu, plus les données sont solides, plus les allocations seront importantes.

(1510)

La chasse au phoque

L’honorable David Richards : Madame la ministre, j’ai une question au sujet d’un autre prédateur.

Est-ce qu’on envisage la possibilité d’un abattage sélectif des phoques dans les eaux du détroit de Northumberland ou du golfe du Saint-Laurent? On y retrouve maintenant des milliers de phoques et de bars prédateurs. Même un abattage limité des phoques serait grandement nécessaire pour protéger les populations de maquereau et de saumon, voire les phoques eux-mêmes.

Pouvez-vous me fournir des renseignements à ce sujet, madame la ministre?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de cette question. Je suis parfaitement au courant que les phoques mangent des poissons, et mon opinion à ce sujet est bien connue. C’est pourquoi j’ai organisé un sommet sur le phoque à St. John’s l’an dernier afin d’y rassembler les communautés autochtones, les chasseurs de phoque, les pêcheurs, ainsi que les développeurs de produits et les distributeurs afin de déterminer comment récolter cette ressource naturelle durable qu’est la population de phoques.

Comme le sénateur le sait probablement, si on procède à un abattage sélectif, on court le risque que les Étatsuniens appliquent la loi américaine sur la protection des mammifères marins et bloquent l’importation de fruits de mer et de poissons canadiens aux États‑Unis. Ce pays est un marché très important pour nos pêcheurs et nous ne pouvons pas prendre de mesures qui mettraient ce marché en péril.

J’encourage plutôt le développement de la chasse au phoque et de l’industrie des produits du phoque. C’est pourquoi j’ai participé à une célébration du phoque à Gaspé il y a quelques jours. J’y ai rencontré des chasseurs de phoque, dont un groupe de jeunes chasseurs, et j’y ai dégusté un hamburger au phoque.

Les pêches fondées sur les droits

L’honorable Brian Francis : Madame la ministre, depuis des décennies, les membres des Premières Nations du Canada atlantique font l’objet d’une surveillance et d’un contrôle importants de la part du gouvernement et ils font l’objet de poursuites criminelles lorsqu’ils exercent leurs droits de pêche ancestraux et issus de traités qui sont protégés par la Constitution. En conséquence, beaucoup vivent dans la peur de voir leurs pièges, équipements et bateaux être saisis; d’être arrêtés, inculpés et condamnés; et d’être intimidés, harcelés et attaqués par des fonctionnaires et d’autres personnes.

Pourriez-vous faire le point sur les mesures prises par Pêches et Océans Canada depuis l’automne 2020 pour combattre et prévenir les incidents de violence et d’oppression racistes qui sont déclenchés par des fonctionnaires ou d’autres personnes et dont les pêcheurs mi’kmaqs ou wolastoqey sont victimes? Est-il devenu obligatoire, par exemple, que les employés du ministère suivent une formation continue sur la compétence culturelle autochtone et la lutte contre le racisme, ce qui correspond à l’appel à l’action no57?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de la question. Le racisme sous toutes ses formes est tout à fait inacceptable. Mon ministère a mis en place un certain nombre de programmes visant à sensibiliser le personnel de Pêches et Océans Canada au racisme potentiel et à ne pas introduire cette idéologie dans les communautés. Il est nécessaire d’assurer la conformité et d’appliquer les règles et cela doit se faire en tenant compte des réalités culturelles.

La conservation est ma première responsabilité en tant que ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, car si nous ne conservons pas nos stocks, nous nuisons aux prochaines générations, qui s’attendent à pouvoir profiter des avantages économiques des stocks, et nous commettons une injustice à leur égard. C’est cela l’enjeu de l’application de la loi.

Nous travaillons en étroite collaboration avec les communautés autochtones dans le but d’adapter notre approche à la situation et à leur culture afin d’éviter tout racisme ou perception de racisme.

La collecte de données sur la biomasse

L’honorable Michael L. MacDonald : Madame la ministre, je veux revenir sur les données scientifiques. Encore une fois, avant que mon beau-frère travaille sur l’Alfred Needler, il était capitaine de pêche sur le Gadus Atlantica, qui effectuait tout le travail de recherche sur le déclin des stocks de morue de l’Atlantique Nord. Il connaît très bien l’importance de la collecte de données lorsque vient le temps de prendre des décisions.

On sait très bien que le ministère des Pêches et des Océans n’effectue pas beaucoup d’évaluations des stocks dans le Canada atlantique depuis de nombreuses années. Par exemple, en novembre, la CBC a rapporté que votre ministère n’a pas effectué la plupart des relevés du printemps dernier au large de Terre-Neuve et que le Cap-Breton et l’Est de la Nouvelle-Écosse n’ont bénéficié d’absolument aucune couverture lors du relevé estival de 2022.

Comment pouvez-vous assurer une gestion compétente des pêches du Canada atlantique si vous ne disposez d’aucune donnée à jour sur la biomasse pour justifier vos décisions?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question. Je m’inscris vraiment en faux contre l’affirmation selon laquelle nous ne disposons d’aucune donnée. Le ministère est déterminé à travailler en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles. Il se produit parfois des revirements qui nous empêchent de faire tout ce que nous voudrions faire, mais les fonctionnaires du ministère sont résolus à collaborer avec les pêcheurs, dans la plupart des cas, pour créer de solides ensembles de données, qui sont complétés, bien sûr, par les relevés de chalutage. D’autres sources de données alimentent également les algorithmes, et nous ferons toujours notre possible pour avoir des données de qualité qui ont été recueillies d’une façon sur laquelle nous pouvons compter.

[Français]

La pêche à la civelle

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Les communautés autochtones, tant en Colombie-Britannique que dans les Maritimes, bénéficient de droits de pêche ancestraux qui ont été confirmés par les tribunaux. L’an dernier, votre ministère a coupé à des entreprises du Nouveau-Brunswick 14 % de leurs droits de pêche aux bébés anguilles et aux civelles pour les donner aux Autochtones. Aucune compensation n’a été donnée à ces entreprises, qui se trouvent toujours devant les tribunaux. Je ne suis pas certain que votre gouvernement aurait agi avec la même indécence de couper les droits de pêche aux Autochtones sans au moins négocier et leur donner des compensations.

Pourriez-vous expliquer votre comportement envers ces entreprises de pêche des Maritimes? À titre informatif, les 1 200 kilogrammes de civelles dont vous avez empêché la pêche représentent des revenus de 6 millions de dollars pour les huit entreprises de pêche. Selon vous, ces gens ne méritent-ils pas d’être considérés?

[Traduction]

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de cette question. Lorsqu’il s’agit des droits de pêche issus des traités des collectivités autochtones, mon ministère et moi accordons la priorité aux accords entre vendeurs et acheteurs sérieux. C’est ainsi que nous procédons dans la mesure du possible.

Dans le cas de la pêche à la civelle, nous n’avons pas pu établir un quota pour les communautés autochtones à un prix que nous considérions comme étant abordable et raisonnable. C’est pourquoi j’ai communiqué directement avec les pêcheurs et leurs représentants pour leur demander s’ils pouvaient aider à faire en sorte que le droit de pêche des pêcheurs autochtones soit respecté. La proposition mise en place est en fait celle qui avait été faite par les détenteurs de quota.

J’ai apprécié cette coopération, qui a permis aux pêcheurs autochtones de tirer part de cette pêche et qui, de mon point de vue, a eu de nombreux avantages.

(1520)

Les pêches fondées sur les droits

L’honorable Brian Francis : Madame la ministre, conformément à la recommandation 2 énoncée dans le rapport Paix sur l’eau, publié en 2022, Pêches et Océans Canada a instauré une mesure provisoire qui est entrée en vigueur en 2023. Cette mesure vise à revoir l’allocation de certains quotas pour la pêche à l’« anguillette », ou à la civelle, aux détenteurs de permis de pêche commerciale afin d’accroître la participation des Mi’kmaqs. Cette mesure est essentielle pour veiller à ce que le droit constitutionnel de pêcher des Mi’kmaqs ne dépende pas de la capacité du gouvernement de racheter des permis aux pêcheurs commerciaux.

Par souci d’une meilleure clarté et d’une plus grande crédibilité, envisagez-vous de réduire de manière permanente le nombre de permis alloués pour la pêche commerciale au homard, à la civelle et à d’autres espèces afin d’accroître l’accès des Premières Nations qui veulent exercer leur droit constitutionnel de pêcher pour se sortir de conditions économiques et sociales très difficiles?

Mme Murray : La décision concernant la pêche à la civelle pour cette année n’a pas encore été prise et divulguée au public. Par conséquent, je ne peux confirmer aucune stratégie officielle pour ce dossier.

Toutefois, je peux vous confirmer que les travaux de mon ministère et mes efforts personnels sont guidés par trois principes clés : poursuivre la mise en œuvre des droits issus des traités; veiller à la durabilité et à la préservation des stocks de toutes les espèces; et assurer une gestion stable des pêches.

J’estime qu’une approche qui repose sur le consentement de l’acheteur et du vendeur est favorable à la réconciliation, en plus de respecter les investissements déjà effectués par les détenteurs de quota à qui l’on demande de réduire leur part. Quand cela est possible, je respecte le principe de l’acheteur et du vendeur consentants. Toutefois, quand ce n’est pas possible, nous devons trouver une solution en consultant toutes les parties impliquées.

Les débris marins

L’honorable David M. Wells : Madame la ministre, comme vous le savez, les engins de pêche perdus, abandonnés ou rejetés, également connus sous le nom d’engins de pêche fantômes, constituent le principal type de débris marins dans le monde. L’été dernier, je sais que le gouvernement a investi 10 millions de dollars supplémentaires dans le Fonds pour les engins fantômes afin de contribuer à retirer de nos eaux des milliers de ces engins.

Madame la ministre, compte tenu de l’évolution du climat, cela n’est pas suffisant. Étant donné les mers plus fortes et les conditions annuelles de glace qui endommagent les engins fixes et mobiles, le gouvernement compte-t-il investir davantage dans la détection et l’enlèvement d’engins de pêche fantômes, dont le volume ne cesse de croître?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il s’agit d’un programme très important, et j’ai été heureuse d’apprendre que le financement débloqué suite à l’ouragan Fiona prévoit environ 30 millions de dollars en plus des 10 millions de dollars que le sénateur a mentionnés pour l’enlèvement des engins de pêche fantômes.

À titre d’anecdote, je suis récemment partie une semaine en vacances avec ma famille en Équateur. Lors d’une excursion sur une île située au large d’une région relativement éloignée du pays, ma fille a aperçu une grosse tortue de mer dont le cou et les nageoires étaient pris dans un engin de pêche fantôme. C’était un spectacle épouvantable. Les membres de l’équipage l’ont hissée dans le bateau et ont passé une demi-heure à couper le fil de pêche et les flotteurs afin de pouvoir emmener cette tortue au centre de réhabilitation. J’ai pu voir de mes propres yeux ce que les engins de pêche fantômes peuvent faire à d’autres espèces vulnérables.

Nous continuerons à investir dans ce domaine et à collaborer avec les collectivités locales et les communautés autochtones pour retirer les engins de pêche fantômes des eaux. Il s’agit d’ailleurs d’un aspect très important de nos efforts de protection de la baleine noire de l’Atlantique Nord, une espèce en péril.

[Français]

La pêche au homard

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Madame la ministre, malgré des ententes conclues avec la majorité des communautés autochtones, la pêche au homard en Nouvelle-Écosse a donné lieu, en 2022, à des saisies de homard pêché par des Autochtones qui en ont fait du commerce illégal. D’ailleurs, des bateaux et des cages ont été saisis, mais de toute évidence, il y a encore des tensions entre les pêcheurs commerciaux et certains groupes autochtones.

Pouvez-vous nous dire quelles mesures ont été prises pour la prochaine saison de pêche? Avez-vous augmenté vos effectifs pour surveiller ces territoires de pêche et intervenir plus rapidement? Dites-nous, aujourd’hui, si les pêcheurs des Premières Nations ont encore le droit de pêcher hors saison.

[Traduction]

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Nous avons déployé beaucoup d’efforts en vue de créer des débouchés pour les communautés autochtones et travailler avec elles afin qu’elles puissent lancer leurs propres pêches au homard, au crabe et à d’autres espèces. Je suis très satisfaite de l’évolution de ces mesures visant à respecter les droits issus de traités et l’importance pour les Premières Nations de pouvoir participer à l’industrie de la pêche.

Je continuerai de déployer des efforts pour créer d’autres débouchés pour les Premières Nations. Bien sûr, la conservation est fort importante. C’est pourquoi nous nous assurons du respect et de l’application des règles. Les pêcheurs, qu’ils soient autochtones ou non, doivent respecter les règles pour éviter la surpêche, ce qui entraînerait des problèmes.

La sécurité des bateaux de pêche

L’honorable Fabian Manning : Le 17 septembre 2001, Marc Russell et Joey Jenkins, deux pêcheurs du Labrador, ont été portés disparus et, malheureusement, on ne les a jamais retrouvés. Jeanette et Dwight, les parents de Marc, sont venus à Ottawa l’automne dernier pour demander la tenue d’une enquête sur la sécurité des bateaux de pêche.

Madame la ministre, pouvez-vous nous dire aujourd’hui quand le gouvernement mènera cette enquête grandement nécessaire?

L’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci, sénateur, de votre question.

D’après ce que j’en sais, la majeure partie de ce qui a trait à la sécurité des bateaux relève de Transports Canada. Nous travaillons en étroite collaboration avec Transports Canada dans l’examen des accidents comme celui qui a coûté la vie à Marc et à Joey et, également avec Transports Canada, nous cherchons quelles mesures mettre en place pour améliorer la sécurité des bateaux. Nous avons notamment travaillé à l’harmonisation des règlements.

Je dirais que ce qui est très important, c’est que les occupants d’un bateau utilisent l’équipement de sécurité, mettent un gilet de sauvetage et fassent tout ce qu’il faut pour que, en cas d’accident, la Garde côtière canadienne puisse mener une opération de sauvetage et non une opération de recherche et sauvetage.

Ils doivent notamment garder les balises en bon état et toujours les allumer afin que, s’il y a un accident, il soit possible de retrouver rapidement le bateau; nous travaillons aussi à faire ce genre de sensibilisation.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, la période des questions est terminée. Je suis certaine que vous vous joindrez à moi pour remercier la ministre Murray d’être venue aujourd’hui.

Nous allons reprendre les travaux qui ont été interrompus au début de la période des questions.

Je vous remercie, madame la ministre.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-39, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Stan Kutcher propose que le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-39, qui modifie la Loi modifiant le Code criminel concernant l’aide médicale à mourir, présenté à l’autre endroit par le ministre de la Justice le 2 février 2023.

Le projet de loi propose de prolonger d’un an, soit jusqu’au 17 mars 2024, l’exclusion temporaire de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué pour la demande.

En l’absence de changement à la loi, cette exclusion sera automatiquement annulée le 17 mars 2023. À ce moment-là, l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans ces circonstances deviendra légale en fonction des critères actuels.

(1530)

Chers collègues, avant de commencer, je tiens à mentionner que le matériel et le sujet du débat que nous entamons aujourd’hui et que nous poursuivrons jusqu’à jeudi peuvent être très difficiles à supporter pour certaines personnes. Ils peuvent susciter de vives émotions. Nous parlons de questions de vie ou de mort. Nous parlons de maladie mentale.

Je veux que mes collègues et quiconque écoute ou regarde nos délibérations sachent que s’ils éprouvent des difficultés à cause du sujet de cette discussion ou bien en général, il existe de l’aide pour eux, et je les encourage à s’en prévaloir. Demander de l’aide est un signe de force et non de faiblesse.

Le but de cette prolongation en vue de permettre au gouvernement fédéral de mieux se préparer à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué se divise en quatre volets : premièrement, s’assurer qu’un système national de déclaration répondant aux exigences énoncées dans le projet de loi C-7 est établi et a commencé à recueillir des données aux fins de la surveillance de l’aide médicale à mourir et de l’évaluation du régime; deuxièmement, s’assurer que la norme de pratique exemplaire en matière d’aide médicale à mourir est au point et a été distribuée aux organismes de réglementation de toutes les provinces et de tous les territoires; troisièmement, s’assurer qu’un programme de formation national accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux nouveaux et aux actuels prestataires de l’aide médicale à mourir; quatrièmement, laisser suffisamment de temps pour l’étude du rapport final du Comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat sur l’aide médicale à mourir.

J’aborderai chacun de ces critères de préparation en temps voulu.

Comme nous le savons tous, le projet de loi C-7 a reçu la sanction royale le 17 mars 2021, soit environ un an après que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la pandémie de COVID-19.

La COVID-19 a nui au travail de préparation entrepris à l’égard de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, et nous sommes tous au courant des effets nuisibles de cette pandémie sur notre système de santé.

Pour pouvoir mener à bien ce travail de préparation en temps opportun, il fallait mettre à contribution bon nombre de fournisseurs de soins, d’organismes de réglementation, de fonctionnaires et d’autres intervenants du système de santé, mais ils étaient tous débordés par ce fléau inattendu.

C’est d’ailleurs grâce au bon travail des intervenants de plusieurs secteurs qu’on a déjà pu réaliser une aussi grande partie du travail.

Malgré les retards attribuables à la COVID-19, des progrès considérables ont été réalisés. Je suis d’avis qu’il est judicieux d’attendre plus longtemps afin que le gouvernement fédéral puisse remplir ses engagements avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cela permettrait notamment de répondre adéquatement aux quatre critères de préparation que j’ai mentionnés plus tôt.

Bien que mes remarques d’aujourd’hui portent principalement sur les progrès réalisés dans les domaines clés dans lesquels le gouvernement fédéral a agi après l’entrée en vigueur du projet de loi C-7, je voudrais tout d’abord profiter de cette occasion pour rappeler la division complexe des pouvoirs et des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux en ce qui concerne l’évaluation des demandes et l’administration de l’aide médicale à mourir. De nombreux Canadiens avec qui j’ai discuté ont entretenu une certaine confusion au sujet de ces responsabilités distinctes.

Le gouvernement fédéral est responsable du Code criminel. C’est là que sont établis les paramètres juridiques de l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement fédéral n’est pas responsable de la prestation générale des services médicaux, notamment de l’aide médicale à mourir, car ces services relèvent principalement de la responsabilité des provinces et des territoires.

Le gouvernement fédéral n’est pas non plus responsable de la réglementation visant les personnes qui fournissent ces services. Cette responsabilité incombe aux provinces et aux territoires qui, à leur tour, la délèguent à des organismes de réglementation indépendants, tels que le Collège des médecins et chirurgiens et l’Ordre des infirmières et infirmiers.

J’aimerais également profiter de cette occasion pour rappeler certaines conditions à respecter pour emprunter la voie du deuxième volet afin de recevoir l’aide médicale à mourir, notamment lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, au Canada et, ce faisant, corriger certaines informations erronées qui circulent autour de nous.

L’aide médicale à mourir est un acte médical pratiqué par des médecins et des infirmiers praticiens formés. À quelques exceptions près, elle est administrée par les systèmes de santé provinciaux et territoriaux — mais par le système fédéral pour les militaires et les détenus, entre autres —, et elle est réglementée par les organismes de réglementation indépendants et bien établis de chaque province et territoire. À ce titre, elle est semblable à tout autre acte médical, dans la mesure où elle doit se conformer aux lois, à la réglementation, aux normes de pratique, aux politiques et aux procédures en vigueur.

Par conséquent, en plus de toutes les règles précises sur l’aide médicale à mourir, les évaluateurs et prestataires de cette pratique doivent respecter les règlements s’appliquant à tous les actes cliniques, qu’ils portent sur la confidentialité, la documentation, le champ d’exercice ou toute autre exigence réglementaire.

Par ailleurs, dans bien des provinces et des territoires, les fournisseurs de l’aide médicale à mourir se servent d’un système d’admission centralisé mis en place par les autorités sanitaires et adoptent une approche axée sur la communauté de pratique pour se soutenir et se consulter. Dans d’autres provinces et territoires, les praticiens qui administrent l’aide médicale à mourir font appel aux réseaux offerts par les associations professionnelles pour obtenir des conseils et des directives de leurs pairs. Autrement dit, chers collègues, la prestation des services cliniques d’aide médicale à mourir ne se pratique pas en vase clos.

Les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental seront protégées par les mesures de sauvegarde prévues dans le deuxième volet.

Une personne peut demander par écrit à un médecin ou à un infirmier praticien qu’il évalue si elle est admissible à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Ensuite, l’état de la personne est évalué, de façon indépendante, par deux médecins ou infirmiers praticiens qui ont reçu une formation sur l’évaluation des demandes pour cette procédure. Si aucun des deux évaluateurs n’a d’expertise sur le problème médical à l’origine des souffrances de la personne, un troisième médecin ou infirmier praticien ayant une telle expertise doit être consulté.

Pour l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, un psychiatre indépendant, qui est spécialiste du problème de santé de la personne, serait souvent un consultant ou un évaluateur approprié.

Si on juge que la personne est admissible à cette forme d’aide médicale à mourir selon les exigences prévues dans la loi, au moins 90 jours doivent s’écouler entre le moment de la demande et la prestation de la procédure. Pendant cette période, les praticiens de l’aide médicale à mourir doivent veiller à ce que la personne soit informée des autres moyens disponibles pour alléger ses souffrances et à ce qu’on lui ait offert de consulter les professionnels compétents.

Il importe de noter que cette période de 90 jours est un délai minimal : les praticiens peuvent prendre tout le temps nécessaire pour bien effectuer l’évaluation. Si un évaluateur a un quelconque doute sur l’admissibilité d’un point de vue médical ou juridique, l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental n’est pas administrée.

Si, au cours de la période de 90 jours, la personne devient suicidaire, des mesures de prévention du suicide sont mises en œuvre, et la procédure n’est pas menée à terme. Si la personne change d’avis, la procédure est annulée.

Il est tout simplement faux, malgré toutes les informations erronées qui circulent, qu’une personne activement suicidaire ou traversant une crise émotionnelle, et se sentant donc déprimée, anxieuse ou malheureuse, peut demander l’aide médicale à mourir et l’obtenir sans une évaluation minutieuse par des cliniciens hautement qualifiés, sans qu’il se soit écoulé au moins 90 jours et sans qu’une diligence raisonnable ait été exercée.

Les affirmations que nous avons entendues, selon lesquelles une personne en crise de santé mentale aiguë peut se présenter dans un hôpital ou une clinique, demander l’aide médicale à mourir et la recevoir rapidement sont tout simplement fausses.

Parmi les autres informations erronées concernant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, il y a le fait qu’une personne peut avoir droit à l’aide médicale à mourir uniquement parce qu’elle a de la difficulté à obtenir des soins de santé mentale, l’idée que l’aide médicale à mourir deviendra une solution de rechange à la prestation de soins de santé mentale et l’idée que l’aide médicale à mourir a été créée par le gouvernement pour réduire les coûts du système de santé. Ces affirmations sont toutes fausses.

Contrairement à ce que les désinformateurs voudraient nous faire croire, l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental ne peut pas être fournie simplement parce qu’une personne a de la difficulté à obtenir des soins de santé mentale ou parce qu’elle ne se sent pas bien sur le plan émotionnel.

(1540)

Au contraire, le demandeur type potentiellement admissible à l’évaluation pour obtenir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est une personne qui souffre d’un trouble mental de longue date. C’est aussi une personne qui a bénéficié d’un très large éventail d’interventions thérapeutiques pendant une période prolongée — souvent une décennie ou plus — et qui, en dépit de tous les traitements fournis, continue à souffrir de manière intolérable. Le problème n’est pas le manque d’accès aux soins de santé mentale.

Les personnes susceptibles d’être admissibles à l’évaluation pour obtenir l’aide médicale à mourir ont eu droit à quantité de soins de santé mentale pendant une longue période. Là encore, le problème n’est pas l’accès aux soins, mais le fait qu’aucun des traitements essayés, pendant une longue période, n’a été couronné de succès.

La triste réalité, comme dans tous les domaines de la pratique médicale, c’est qu’il existe une minorité de personnes dont les troubles mentaux ne répondent à aucun traitement disponible. Ces personnes continuent d’éprouver une souffrance profonde et persistante, en dépit de tout ce qui a été essayé. Cette réalité est semblable à celle qui est observée pour d’autres maladies cérébrales et, par ailleurs, pour d’autres maladies non cérébrales.

Malheureusement, qu’il s’agisse d’une maladie mentale ou d’un autre type de maladie, il arrive que les traitements dont nous disposons ne parviennent pas à améliorer l’état des gens. Certaines de ces personnes, mais pas toutes, souffrent de manière intolérable.

De plus, certains intervenants voudraient nous faire croire qu’ils sont mieux placés que le patient pour comprendre la souffrance que celui-ci doit endurer. Ils voudraient qu’on accepte d’obliger une personne à continuer de souffrir de façon intolérable pendant des années ou des décennies, en attendant qu’un remède miracle soit découvert, juste au cas où cela pourrait arriver, parce que c’est leur volonté.

Ils avancent l’idée selon laquelle une personne saine d’esprit qui souffre énormément et constamment d’une maladie mentale ne devrait pas pouvoir décider de la façon dont elle veut disposer de sa vie, alors qu’on le permet à des personnes atteintes d’une autre sorte de maladie. C’est un autre exemple de préjugés envers les personnes atteintes d’une maladie mentale, et la désinformation vient aggraver ces préjugés.

Chers collègues, étant donné que nous avons tous un rôle à jouer pour corriger la désinformation en matière de santé quand nous en avons connaissance, nous avons la responsabilité, en tant que membres de la Chambre haute, de le faire également à l’égard de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Je tiens maintenant à rappeler à tous les sénateurs les responsabilités que le Parlement a établies dans le cadre du projet de loi C-7 en ce qui concerne la préparation en vue d’offrir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Je vais ensuite parler des activités que le gouvernement fédéral a entreprises jusqu’à présent pour faciliter ce travail de préparation.

Je vais commencer par cette exigence du projet de loi C-7 :

Un examen approfondi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et de l’application de celles-ci, notamment des questions portant sur les mineurs matures, les demandes anticipées, la maladie mentale, la situation des soins palliatifs au Canada et la protection des Canadiens handicapés, est fait par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.

Le projet de loi C-7 a aussi obligé les ministres de la Justice et de la Santé à :

[faire] réaliser par des experts un examen indépendant portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandés pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale.

Le projet de loi a aussi autorisé le gouvernement à revoir la réglementation sur l’établissement des rapports sur l’aide médicale à mourir afin d’exiger la collecte et l’analyse d’une gamme plus vaste de renseignements sur les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir, notamment leur race, leur identité autochtone et leur état d’invalidité.

On peut légitimement se poser la question : quels progrès ont été réalisés à l’égard de toutes ces mesures?

Premièrement, examinons le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, qui énonce les exigences en matière de préparation de rapports sur les demandes d’aide médicale à mourir. Ces mesures législatives sont entrées en vigueur en novembre 2018, mais elles ont récemment été révisées pour accroître considérablement la collecte et la publication de renseignements sur les demandes d’aide médicale à mourir. Plus particulièrement, il est maintenant obligatoire de collecter des renseignements sur la race, l’identité autochtone et tout handicap de la personne. Cette version révisée du règlement est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. C’est donc dire que la collecte élargie de renseignements est déjà commencée. Je remarque que ces modifications sont en partie attribuables aux amendements apportés à l’ancien projet de loi C-7. Ces amendements avaient été proposés par notre honorable collègue la sénatrice Jaffer, avec l’appui de nombreux sénateurs.

Deuxièmement, nous devons tenir compte du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Comme vous le savez, le rapport final de ce comité était attendu l’année dernière. Toutefois, l’échéance avait été repoussée. Le rapport final a été récemment publié — environ un mois avant la fin de la période d’exclusion relative à la maladie mentale. Si la période d’exclusion relative à la maladie mentale n’avait pas été prolongée, le gouvernement fédéral aurait difficilement pu prendre adéquatement en considération le rapport final et les recommandations avant l’échéance. Maintenant que la période d’exclusion a été prolongée, le gouvernement fédéral pourra prendre le temps nécessaire pour examiner ce rapport et ces recommandations.

Le Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale, qui a été créé par le gouvernement fédéral, a effectué un examen indépendant. Son rapport final a été présenté au Parlement le 13 mai 2022. Il contient des informations précieuses sur les questions liées à l’aide médicale à mourir pour les troubles mentaux et une analyse de ces dernières. Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de lire le rapport, il est utile de le faire pour se préparer à étudier le projet de loi dont nous sommes saisis. Le rapport recommande notamment que le gouvernement fédéral facilite l’établissement de normes de pratique qui pourraient être adoptées et adaptées par les autorités réglementaires.

Santé Canada a créé un groupe de travail indépendant pour établir ces normes de pratique. Les normes de pratique pour évaluer les demandes complexes d’aide médicale à mourir, notamment les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, ont été élaborées par un groupe de travail composé d’experts cliniques et juridiques ainsi que d’experts de la réglementation. Le groupe de travail a également rédigé un document intitulé Advice to the Profession : Medical Assistance in Dying pour compléter les normes de pratique que les autorités réglementaires peuvent utiliser pour donner des conseils cliniques aux fournisseurs d’aide médicale à mourir qui cherchent de l’information au sujet de certains aspects de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Les organismes de réglementation, les ministères provinciaux et territoriaux, les autorités de la santé et des cliniciens de partout au pays ont maintenant transmis leurs commentaires au groupe de travail au sujet des ébauches de modèle de norme de pratique et du document intitulé Advice to the Profession. Ces documents ont été passés en revue et révisés en fonction de leurs commentaires. Le modèle de norme de pratique et le document Advice to the Profession sont en cours de traduction et seront bientôt publiés. Ils pourront alors être adaptés ou adoptés par les différents organismes de réglementation chargés de déterminer comment prodiguer l’aide médicale à mourir dans chaque province et territoire.

Je vous rappelle que ce sont ces organismes de réglementation qui établissent les normes cliniques et éthiques pour l’ensemble des soins, y compris l’aide médicale à mourir, et qui fournissent des conseils et une orientation aux médecins et aux infirmières praticiennes. Ils font cela afin de protéger le public, car c’est leur mandat principal. Ils sont indépendants du gouvernement, rendent des comptes au public et peuvent imposer des sanctions disciplinaires aux médecins et aux infirmières praticiennes qui relèvent de leur autorité, sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation définitive de leur permis d’exercer. Même si ces organismes de réglementation sont indépendants les uns des autres et du gouvernement, la création d’un modèle de norme de pratique et du document Advice to the Profession — qui peuvent être adaptés ou adoptés par chaque province et territoire — permettra de protéger les personnes vulnérables et d’accroître l’harmonisation des pratiques d’aide médicale à mourir au Canada.

Il est important de noter qu’autant que je sache, c’est la toute première fois qu’une telle approche collaborative et globale dirigée par le gouvernement fédéral visant l’élaboration d’une norme de pratique et de conseils à la profession a lieu au Canada.

De plus, grâce au financement de Santé Canada, l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, ou ACEPA, élabore un programme canadien d’éducation en matière d’aide médicale à mourir depuis octobre 2021.

(1550)

L’ACEPA est une organisation composée d’infirmières praticiennes et de médecins, y compris des médecins de famille, des spécialistes de l’hospitalisation, des psychiatres, des spécialistes en médecine interne, des anesthésistes et des neurologues, qui fournissent des services d’aide médicale à mourir, notamment des évaluations de l’admissibilité, en plus de la prestation de ces services en tant que tels.

L’objectif principal de l’ACEPA est de soutenir ceux qui travaillent dans ce domaine en fournissant des conseils cliniques et une formation à ceux qui ne connaissent pas encore l’aide médicale à mourir, ainsi qu’à ceux qui cherchent à améliorer ou à approfondir leurs connaissances.

Ce programme national de formation est élaboré par un groupe diversifié de cliniciens expérimentés dans le domaine de l’aide médicale à mourir, provenant de tout le Canada, qui se sont réunis pour partager leur expertise dans une série de modules de formation qui couvriront l’ensemble du spectre des soins de l’aide médicale à mourir. Ce processus est supervisé par un consortium qui comprend des représentants de l’ACEPA et un comité consultatif national composé de multiples parties prenantes, dont le Collège royal des médecins et chirurgiens, le Collège des médecins de famille du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, l’Association des médecins autochtones du Canada, l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, la Société de la médecine rurale du Canada, l’Association des psychiatres du Canada, l’Association des psychiatres du Québec et d’autres acteurs, notamment des personnes ayant de l’expérience vécue, des familles et d’autres personnes qui soutiennent les personnes qui ont demandé l’aide médicale à mourir.

Les modules de formation seront reconnus par le Collège royal des médecins et chirurgiens,le Collège des médecins de famille du Canada et l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Canada qu’un programme de soins de santé est mis au point grâce à des fonds fédéraux et reconnu simultanément par ces trois organismes.

Une fois terminé, le programme d’éducation de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM comportera sept modules de formation, notamment sur l’historique de l’aide médicale à mourir au Canada; les conversations cliniques difficiles; les évaluations simples et complexes des demandes d’aide médicale à mourir, entre autres pour la compréhension détaillée des capacités et des vulnérabilités; ainsi que les dispositions simples et complexes relatives à l’aide médicale à mourir. Il y a un module consacré exclusivement à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Tous les modules incluent aussi des ressources pour aider les gens participant à la prestation de services d’aide médicale à mourir à garder un bon moral alors qu’ils entreprennent ce travail crucial.

Ce programme reconnu d’éducation en matière d’aide médicale à mourir permettra de former des praticiens de l’aide médicale à mourir novices et expérimentés partout au pays, contribuant ainsi au développement des connaissances et des compétences des praticiens, à l’uniformisation des pratiques dans l’ensemble du Canada et à la prestation de services d’aide médicale à mourir de grande qualité. La mise en œuvre de ce programme devrait commencer cet automne.

Tous ces progrès sont vraiment remarquables et ils sont le fruit du leadership du gouvernement fédéral et des efforts de collaboration avec les partenaires du système de santé, comme les gouvernements provinciaux et territoriaux, des organisations de professionnels de la santé, des organismes de réglementation, des cliniciens et d’autres organisations. Comme je l’ai déjà dit, à ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Canada que le gouvernement fédéral fait preuve d’une telle initiative en soutenant la création d’un programme de formation reconnu dans le domaine de la santé.

Voilà donc le compte rendu de la contribution fédérale à la préparation.

À ce stade, je tiens à faire une mise en garde contre la possibilité de laisser la tempête de désinformation, qui ne cesse de s’étendre, influer sur notre étude du projet de loi dont nous sommes saisis. Tout d’abord, je voudrais aborder une question importante découlant du rapport du groupe d’experts, qui fait désormais partie de la campagne de désinformation entourant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Contrairement à toutes les autres maladies, y compris la douleur chronique, il n’est jamais possible de déterminer si une personne atteinte d’une maladie mentale souffre d’un état pathologique « grave et irrémédiable ». Comme vous le savez, il s’agit d’un terme juridique et non clinique. Le groupe d’experts a proposé une approche réfléchie et minutieuse sur la façon dont ce terme juridique peut se traduire dans la pratique clinique liée à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Cette approche sera précisée dans la pratique clinique canadienne par les organismes de réglementation des médecins et des infirmiers praticiens de chaque province et de chaque territoire qui établissent les normes de pratique pour l’aide médicale à mourir.

Comme je l’ai déjà dit, les consultations à l’échelle du Canada en vue de déterminer comment intégrer cette approche aux normes de pratique sont déjà terminées; nous en sommes à l’étape de la traduction et de la diffusion. Par l’entremise de normes de pratique, les organismes de réglementation établiront les critères à respecter pour interpréter ce terme juridique dans un contexte clinique. Comme c’est le cas de toutes les pratiques médicales, ce cadre sera peaufiné au fil de l’évolution de la pratique clinique.

Autre point intéressant, la Revue canadienne de psychiatrie a récemment publié, en 2022, les résultats d’un processus Delphi en deux étapes où des psychiatres ont établi 13 critères de consensus pour conclure à une « souffrance psychiatrique irrémédiable ». Ces critères sont très semblables à ceux qui ont été établis, sans lien avec ce processus, par le groupe d’experts.

Chers collègues, il est tout simplement inexact de dire que les mots « grave » et « irrémédiable » ne pourront jamais avoir de définition clinique appropriée dans l’exercice de la psychiatrie. En effet, ils ont déjà été définis à cette fin. Même si certains commentateurs ne sont pas forcément d’accord, cela ne veut pas dire que le concept ne peut pas être adéquatement défini ni que la définition clinique émanant des organismes de réglementation n’est pas appropriée. Le simple fait qu’une définition clinique ne plaise pas à quelqu’un ne signifie pas que son utilité, sa fiabilité ou sa validité doivent être remises en cause.

Pour que tout le monde comprenne bien où nous en sommes actuellement en ce qui concerne l’interprétation des termes « problème de santé grave et irrémédiable », « incurabilité » et « irréversibilité », le groupe d’experts a estimé que, dans le contexte de l’aide médicale à mourir, une maladie mentale peut être grave et irrémédiable lorsqu’une personne souffre depuis longtemps d’un état qui entraîne un déclin fonctionnel et pour lequel elle n’a pas trouvé de soulagement à ses souffrances, malgré de nombreuses tentatives au moyen d’interventions et de soutiens variés et adaptés à son diagnostic particulier de même qu’aux problèmes qui en découlent.

Le groupe a en outre recommandé que chaque évaluateur de l’aide médicale à mourir conclue de façon indépendante, avec le demandeur, qu’une maladie, un handicap ou un déclin fonctionnel cause à celui-ci des souffrances physiques ou psychologiques persistantes et intolérables, et — c’est important — que cela se fasse au cas par cas, car les nuances de chaque situation nécessitent une approche personnalisée.

L’une des principales caractéristiques de cette recommandation, c’est qu’il revient à la personne qui répond aux critères définis par le groupe d’experts de conclure que son problème de santé est « grave et irrémédiable », en collaboration avec chaque évaluateur de l’aide médicale à mourir. Ce n’est pas un unique professionnel de la santé qui prend la décision à lui seul pour cette personne.

À mon avis, cette perspective est cohérente avec la pratique médicale moderne des soins fondés sur des données probantes et des soins centrés sur le patient, car ils sont dispensés dans des conditions complexes et reflètent l’évolution des soins médicaux, où l’approche autocratique et paternaliste cède la place à l’engagement du fournisseur de soins médicaux en tant que partenaire du patient dans la prestation des soins. Après tout, c’est la personne qui souffre qui doit être entendue.

Soit dit en passant, chers collègues, c’est ce que le mot patient veut dire : celui qui souffre.

Cela reflète également la réalité de la pratique médicale moderne, dans laquelle tous les renseignements pertinents sont réunis, et les décisions en matière d’intervention médicale complexes sont prises au cas par cas. Il n’existe pas de livre de recettes ou de liste de contrôle pour les décisions médicales complexes. Toutes les décisions médicales complexes sont prises au cas par cas parce qu’elles doivent être adaptées à la personne, à son état de santé, à l’ensemble des interventions effectuées et à l’impact de celles-ci sur la situation unique de la personne, ainsi qu’à ses aspirations et ses besoins. Les décisions médicales complexes impliquent également plus d’un prestataire de soins de santé hautement qualifié. Ces décisions sont prises en collaboration avec un patient bien informé; elles ne sont pas dictées au patient.

Chaque patient doit être traité pour ce qu’il est, et pas seulement pour la maladie dont il souffre. Il n’y a pas deux personnes identiques, et ce qui doit être fait dans l’intérêt supérieur du patient ne doit pas être établi en suivant une recette prédéterminée ou une liste de contrôle, mais selon trois facteurs d’importance égale : premièrement, la compétence et la formation du clinicien; deuxièmement, les meilleures données disponibles sur le problème de santé et les interventions possibles; troisièmement, les besoins et les souhaits du patient, qui doit être bien informé.

(1600)

Ce triptyque est ce qui définit les soins fondés sur des données probantes, et il ne peut être établi qu’en prenant des décisions au cas par cas. C’est le fondement de l’engagement de la médecine moderne à fournir des soins centrés sur le patient.

Lorsque j’étais à la Faculté de médecine, j’ai eu l’extraordinaire privilège d’être initié au cadre des soins fondés sur des données probantes et centrés sur le patient par le Dr David Sackett, le pionnier de la médecine fondée sur des données probantes et centrée sur le patient.

Le Dr Fraser Mustard, doyen de notre école, et deux de mes professeurs les plus vénérés, le Dr Jack Laidlaw et le Dr Bill Spaulding, n’ont cessé de répéter que nous n’intervenons pas sur les maladies, mais auprès des personnes qui souffrent d’une maladie. Nous n’utilisons pas de recettes ou de listes de contrôle; nous nous appuyons sur notre meilleur jugement clinique et sur les meilleures données dont nous disposons et nous nous laissons guider par les besoins et les souhaits de nos patients. Nous ne sommes pas seuls non plus. Plus le cas est complexe, plus il est important de faire appel à d’autres cliniciens. Les décisions concernant les interventions dans les cas complexes découlent de cette réalité.

Chers collègues, si nous nous attendons à ce que, pour les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué — une situation qui exige un processus complexe pour en arriver à une décision —, les médecins prennent des décisions en suivant une recette bien établie ou en cochant les éléments d’une liste de contrôle, et si nous acceptons de ne pas tenir compte des principes fondamentaux de la médecine fondée sur des données probantes et des soins centrés sur le patient lorsqu’il souffre d’une maladie mentale — alors que nous utilisons parallèlement ces mêmes outils pour prendre une décision sur les soins pour les patients dont la souffrance n’est pas uniquement attribuable à la maladie mentale —, cela aura pour conséquence que nous refuserons aux personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué des soins de la même qualité supérieure que ceux qui sont offerts aux personnes atteintes d’un autre type de maladie. Chers collègues, agir de la sorte serait non seulement le reflet d’un préjugé, mais aussi une forme de discrimination.

Chers amis, quand le temps sera venu — et pour certains d’entre nous, c’est déjà une réalité — où l’un de nos êtres chers ou encore nous-mêmes serons aux prises avec une maladie complexe et pernicieuse, par exemple le cancer ou une insuffisance cardiaque terminale, je suis convaincu que nous voudrons obtenir des soins adaptés au cas par cas. Nous voudrons tous que nos médecins comprennent qui nous sommes comme êtres humains et qu’ils fassent de leur mieux pour nous soigner, tout en respectant nos besoins et notre volonté. Pourquoi accepterions-nous que l’on nous refuse d’être soignés de cette manière — avec une maladie mentale ou non?

Je tiens également à rappeler au Sénat que, compte tenu de la loi sur l’aide médicale à mourir du Canada, au moins deux — et parfois trois — cliniciens hautement qualifiés doivent conclure, indépendamment et avec le patient, que les problèmes de santé du patient sont « graves et irrémédiables ». Si les cliniciens ne sont pas d’accord, la procédure n’a pas lieu. La conclusion que les problèmes de santé sont « graves et irrémédiables » n’est pas tirée par un seul praticien aux compétences douteuses, c’est tout le contraire.

Enfin, sur ce point, nous sommes nombreux à avoir entendu dire qu’une personne qui, par exemple, est psychotique et refuse un traitement efficace pourrait recevoir l’aide médicale à mourir. Ce n’est pas vrai non plus. Une personne souffrant d’une psychose ne serait pas jugée apte à prendre cette décision. La période minimale de 90 jours entre la présentation de la demande et la prestation de l’aide donnerait amplement le temps aux multiples cliniciens qui se penchent sur la question d’effectuer les évaluations approfondies nécessaires, d’autant plus qu’il s’agit d’une période minimale et que les cliniciens prendront tout le temps qu’il leur faudra pour se faire une opinion sur l’admissibilité du demandeur. En outre, une personne compétente ne peut pas refuser la totalité ou la plupart des interventions et se rendre automatiquement incurable afin d’accéder à l’aide médicale à mourir.

Un évaluateur pour l’aide médicale à mourir ne peut pas se prononcer sur l’admissibilité d’un demandeur en l’absence des données probantes nécessaires à cette fin. Par conséquent, une personne sera jugée inadmissible à l’aide médicale à mourir s’il reste des traitements raisonnables qu’elle peut essayer.

Honorables collègues, de fausses informations continuent de se répandre au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, laissant entendre à tort que les personnes atteintes de troubles mentaux qui demandent l’aide médicale à mourir seront traitées de manière désordonnée, irresponsable et non réglementée. Cependant, comme le montre une analyse minutieuse de la loi proprement dite et du contexte réglementaire et de pratique dans lequel elle s’inscrit, ce n’est pas le cas. En fait, c’est tout le contraire. Le programme d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué sera mis en application dans ce qui est probablement le cadre le plus exhaustif et le plus robuste qui ait été mis en place par le gouvernement fédéral au pays en matière de réglementation et de formation dans le domaine de la santé.

Pour en revenir à la tâche qui nous incombe dans l’immédiat — à savoir l’examen d’un projet de loi visant à prolonger la période d’inadmissibilité —, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que des progrès importants ont été accomplis. Toutefois, je pense qu’il serait préférable de prolonger cette période d’un an de plus. Je suis convaincu qu’une année supplémentaire suffira à diffuser et à faire adopter par le milieu médical et infirmier les ressources essentielles que je viens de décrire, ainsi qu’à mieux faire connaître la nouvelle réglementation en matière de rapports.

Le ministre de la Justice a également dit qu’une année supplémentaire procurera au gouvernement fédéral un délai suffisant pour étudier méticuleusement le rapport final du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Une année supplémentaire est un juste milieu entre donner accès le plus tôt possible à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale et veiller à ce que ce changement s’opère à un moment où la collecte de données plus robustes est bien établie et où les intervenants du milieu de la santé ont eu plus de temps pour se familiariser avec les normes de pratique et le matériel de formation.

De plus, j’estime que le gouvernement fédéral doit faire un travail nettement meilleur pour ce qui est de communiquer avec les Canadiens concernant les aspects complexes et nuancés de l’aide médicale à mourir.

Un élément essentiel de cette communication est que le gouvernement fédéral doit présenter clairement ce qu’« être prêt » signifie dans le contexte de son rôle concernant l’aide médicale à mourir. À mon avis, « être prêt » signifie que les quatre critères sont réunis : un, s’assurer que la norme de pratique exemplaire est au point et a été publiée et distribuée aux organismes de réglementation de chaque province et territoire; deux, s’assurer que le programme de formation accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux prestataires de l’aide médicale à mourir; trois, s’assurer que les exigences de déclaration mises à jour ont été mises en œuvre et que le gouvernement a commencé à recueillir les données qui seront essentielles à notre évaluation continuelle du régime de l’aide médicale à mourir au Canada; quatre, s’assurer que le gouvernement a eu suffisamment de temps pour étudier le rapport du comité mixte.

En conclusion, j’aimerais prendre un moment pour m’adresser directement aux personnes qui attendent d’être admissibles à l’aide médicale à mourir en mars 2023 et qui seront sûrement déçues que l’on prolonge la période d’inadmissibilité.

Des gens m’ont fait part de l’angoisse que leur cause cette attente. Nous devons tous être conscients que cela prolongera davantage les souffrances des personnes qui attendent et qui souffrent encore. Je sais que la souffrance causée par une maladie mentale peut être aussi grave, voire plus grave encore, que celle causée par une maladie physique. Je tiens à assurer aux personnes qui attendent que, même si cette prolongation est malheureuse, j’estime qu’elle est nécessaire pour veiller à ce que les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué soient bien évaluées et à ce qu’on prenne les bonnes décisions.

Cette prolongation ne devrait pas être considérée comme une façon de soutenir ou de valider la désinformation qui circule au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Il ne s’agit pas de remettre en question la capacité ou l’autonomie d’une personne saine d’esprit de prendre ses propres décisions en matière de santé, ni de remettre en question la réalité entourant les maladies mentales ou la profonde souffrance que doivent endurer les personnes qui ont essayé des traitements qui se sont avérés inefficaces.

J’invite tous les honorables sénateurs à se joindre à moi pour appuyer ce projet de loi afin que le Canada puisse avoir un régime d’aide médicale à mourir mûrement réfléchi, doté des ressources appropriées et adapté aux réalités complexes entourant cet enjeu important.

Wela’lioq, merci.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Le sénateur Kutcher accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Certainement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Sénateur Kutcher, je vous remercie de votre discours, qui m’a semblé très complet.

(1610)

Je voudrais revenir sur la toute dernière partie de votre discours, et particulièrement sur le quatrième point. Vous nous avez expliqué que des procédures sont mises en place actuellement et que des programmes de formation sont en cours de développement.

Cependant, un élément me pose problème, soit le quatrième point que vous avez soulevé. Vous avez dit que le gouvernement aura également le temps d’examiner le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a été déposé en février 2023.

Toutefois, la question à l’ordre du jour est réellement celle de la maladie mentale, et ce, en ce qui a trait à une partie de la loi qui devait entrer en vigueur dans quelques jours et autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement nous dit qu’il souhaite repousser d’une année l’entrée en vigueur de cet accès à l’aide médicale à mourir. Vous avez raison de souligner que beaucoup de gens sont très déçus, pour ne pas dire désorientés, par cette proposition visant un report.

Dites-vous que la partie du rapport du comité mixte spécial que le gouvernement voudra examiner porte seulement sur la partie qui concerne les troubles mentaux, ou s’agit-il plutôt de l’ensemble des questions que le comité mixte spécial a examinées? Si l’on ouvre la porte à d’autres considérations dans l’année qui vient et si l’on accepte de reporter l’entrée en vigueur de cette partie de la loi, on s’imagine très bien que le gouvernement reviendra nous dire dans un an qu’il n’a pas eu le temps de considérer la question des mineurs matures ni les autres sujets qui faisaient partie du rapport du comité.

Quelles garanties avez-vous obtenues de la part du gouvernement? Si l’on ajoute une année de plus, le gouvernement se limitera-t-il à la seule question des troubles mentaux?

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci, sénatrice. C’est une excellente question.

Quatre sénateurs sont membres du comité mixte, dont notre estimée coprésidente, et c’est une question à laquelle nous avons tous travaillé. Comme vous l’avez mentionné, le comité a couvert beaucoup d’enjeux. Il a abordé la question de la maladie mentale comme seul problème médical invoqué. Il a abordé la question des demandes anticipées. Il a abordé la question des mineurs matures et un certain nombre d’autres questions.

Si j’ai bien compris, le projet de loi vise expressément à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué et l’analyse que fait le gouvernement du rapport du comité mixte portait sur cette question. C’est ce que visera le projet de loi.

Sauf erreur, les autres aspects étudiés par le comité mixte seront également passés en revue par le gouvernement, mais ils ne font pas partie des considérations liées à la question à l’étude.

Par contre, nous recevrons deux ministres demain. Je crois qu’il serait beaucoup plus judicieux de les laisser parler au nom du gouvernement, car je ne parle pas au nom du gouvernement.

Je vous remercie de votre question et j’espère que vous aurez l’occasion de la poser de nouveau demain.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-39. Comme vous le savez, ce projet de loi propose de retarder d’une année, soit jusqu’au 17 mars 2024, la possibilité de faire une demande d’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d’une maladie mentale incurable leur causant des douleurs intolérables.

Le projet de loi ne compte qu’un seul article, qui est très court et ne vise qu’une seule disposition du Code criminel, soit celle qui exclut la maladie mentale comme condition d’accès à la deuxième voie.

Mon discours se fera en trois temps : premièrement, je parlerai de l’origine de l’exclusion des personnes souffrant d’une maladie mentale; deuxièmement, j’expliquerai pourquoi le Sénat a refusé en 2021 d’accorder cette exclusion; troisièmement, je parlerai des motifs justifiant une prolongation de l’exclusion.

L’origine du débat que nous tenons aujourd’hui est la réponse au jugement que la Cour supérieure du Québec a rendu le 11 septembre 2019 dans les affaires Truchon et Gladu.

Ce jugement déclarait inconstitutionnelles certaines dispositions du Code criminel et certaines dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec, lesquelles exigeaient, comme condition d’accès à l’aide médicale à mourir, que la mort de la personne soit prévisible. Selon la juge, cette limite, qui n’avait pas été suggérée dans l’arrêt Carter, que la Cour suprême avait rendu en 2015, violait les droits constitutionnels de M. Truchon et de Mme Gladu, et notamment le droit à l’égalité.

Tant le gouvernement du Québec que le gouvernement fédéral ont accepté ce jugement et ont promis d’agir en conséquence.

À l’échelle fédérale, cela a pris la forme du projet de loi C-7, qui a été présenté le 5 octobre 2020. Ce projet de loi ajoutait une deuxième voie d’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie incurable leur causant des souffrances intolérables, sans que ces souffrances soient la cause d’une mort imminente ou prévisible.

Par contre, dans le projet de loi C-7, le gouvernement proposait de refuser l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale et il était d’avis qu’il s’agissait d’une mesure appropriée, étant donné l’absence d’un consensus suffisant à l’époque parmi les experts en psychiatrie.

[Traduction]

C’est l’origine du deuxième volet et de l’exclusion des personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, même si leur maladie s’est avérée incurable et source de souffrances insupportables, comme l’a expliqué le sénateur Kutcher il y a quelques minutes.

J’en viens maintenant aux raisons pour lesquelles le Sénat n’a pas accepté l’exclusion permanente. Comme vous vous en souvenez peut-être, le projet de loi C-7 a fait l’objet de beaucoup d’attention au Sénat. Tout d’abord, il y a eu une étude préalable à l’automne 2020, qui a mené à un vaste rapport publié en février 2021, lequel a été cité abondamment par de nombreux témoins devant le comité mixte récemment.

En ce qui concerne l’exclusion de la maladie mentale en tant que seul problème médical invoqué, notre Comité des affaires juridiques a fait état d’un manque de consensus sur le caractère irrémédiable de nombreuses maladies mentales et il a signalé que des experts juridiques renommés, comme la professeure Downie de l’Université Dalhousie, ont soutenu que l’exclusion était inconstitutionnelle.

Au cours du débat à l’étape de la troisième lecture au Sénat, cinq amendements ont été adoptés, dont certains après des débats animés. L’un d’entre eux consistait à ajouter une limite de 18 mois à l’exclusion des personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale. Pour la majorité des sénateurs, l’exclusion de ce groupe était discriminatoire, puisqu’elle reposait sur des stéréotypes et des préjugés à l’égard de la maladie mentale, et qu’elle devenait donc même inconstitutionnelle. Seul un mécanisme prévoyant une évaluation au cas par cas des demandeurs de l’aide médicale à mourir pourrait être acceptable.

Le gouvernement s’est finalement rangé à cette conclusion, mettant fin à l’exclusion de ce groupe par l’entremise d’une disposition de caducité prenant effet deux ans après la sanction royale. Ce sera le 17 mars, dans quelques jours seulement. En outre, le gouvernement a proposé la réalisation d’un examen indépendant par des experts sur les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale, y compris les mesures de sauvegarde.

Une majorité à la Chambre des communes s’est prononcée en faveur de ces propositions, et nous les avons ensuite acceptées. Par conséquent, l’exclusion du deuxième volet des personnes atteintes d’une maladie mentale devait prendre fin le 17 mars 2023.

À l’époque et aujourd’hui encore, de nombreux psychiatres et citoyens croient qu’une exclusion collective des personnes souffrant d’une maladie mentale incurable est l’option à privilégier. C’est l’objectif visé par le projet de loi C-314, projet de loi émanant d’un député déposé hier à l’autre endroit.

Or, ce n’est pas ce que souhaitent la majorité des Canadiens selon un récent sondage effectué par Ipsos pour le compte de Mourir dans la dignité Canada. En effet, dans le cas de troubles mentaux résistant aux traitements et causant des souffrances intolérables, 34 % des Canadiens sont fortement en faveur de l’accès à l’aide médicale à mourir, 48 % y sont plutôt favorables, 10 % plutôt défavorables et 7 % s’y opposent vivement.

(1620)

En substance, plus de 80 % des Canadiens pensent que l’accès à l’aide médicale à mourir devrait être disponible pour les personnes qui subissent ce type de situation, c’est-à-dire une maladie incurable et des souffrances insupportables.

À mon avis, ces chiffres confirment que le Sénat a conclu à juste titre qu’une exclusion permanente était non seulement injustifiée et probablement inconstitutionnelle, mais aussi que les Canadiens ne sont pas favorables à une stigmatisation accrue des personnes souffrant d’une maladie mentale incurable. La loi ne devrait pas les traiter comme des personnes incapables de faire un choix pour elles-mêmes en leur refusant l’accès au deuxième volet, si elles sont par ailleurs admissibles et satisfont aux critères prévus pour ce volet.

Le projet de loi C-39 ne revient pas sur la question de l’exclusion, mais prolonge plutôt d’un an l’exclusion temporaire actuelle. Nous devons nous poser la question suivante : pourquoi retarder l’entrée en vigueur de l’accès au deuxième volet pour les personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale et qui satisfont par ailleurs aux exigences strictes de ce volet? La réponse est que le Parlement doit agir avec prudence pour lever l’exclusion afin de donner aux provinces et aux territoires suffisamment de temps pour préparer les évaluations requises. Il est crucial d’assurer l’harmonisation des normes et la formation adéquate des évaluateurs.

Comme l’a fait remarquer le ministre de la Santé, M. Duclos, l’élaboration de normes de pratique pour l’aide médicale à mourir ne relève pas de la responsabilité directe du gouvernement fédéral. Il a également déclaré que le gouvernement :

[…] mobilise activement les provinces et les territoires et la Fédération des ordres des médecins du Canada pour l’élaboration de normes de pratique uniformes.

Dans son discours, le sénateur Kutcher a parlé des efforts déployés partout au Canada pour veiller à cette harmonisation et pour mettre au point des normes et des procédures d’évaluation.

Le récent Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, auquel j’ai eu l’honneur de siéger en compagnie de la sénatrice Martin, du sénateur Kutcher, de la sénatrice Mégie, de la sénatrice Wallin et de 10 députés, avait la responsabilité de présenter un rapport provisoire et un rapport final sur diverses questions associées à l’aide médicale à mourir. Soumis en juin dernier, le rapport provisoire portait sur l’aide médicale à mourir et les troubles mentaux; il se consacrait à l’examen du rapport du groupe d’experts.

Une réponse du gouvernement a suivi en octobre dernier. À ce moment-là, tout le monde travaillait d’arrache-pied pour respecter l’échéance du 17 mars, et le gouvernement avait bon espoir qu’il serait possible d’y arriver.

Cependant, après avoir entendu d’autres témoins, le comité a conclu dans son rapport final, qui a été présenté le 15 février dernier, que nous n’étions pas encore prêts à aller de l’avant. Le rapport final inclut 23 recommandations, dont une sur les troubles mentaux. Elle approuve la décision du gouvernement de reporter l’échéance du 17 mars et propose de rétablir un comité mixte cinq mois avant la nouvelle date de fin de l’exclusion, en mars 2024, afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Encore une fois, cette recommandation repose sur approche prudente.

Cependant, le fait de ne pas supprimer l’exclusion en temps voulu comporte également des risques. Le comité mixte spécial a noté dans son rapport que le retard dans l’admissibilité prévue par le projet de loi C-39 pourrait prolonger les souffrances de certaines personnes qui sont autrement en mesure de recevoir l’aide médicale à mourir. Le sénateur Kutcher y a fait allusion, et je pense que la plupart d’entre vous ont reçu des courriels de ces personnes, qui nous demandent de ne pas accepter le projet de loi C-39 et de ne pas retarder l’accès à l’aide médicale à mourir.

En substance, des adultes qui satisfont aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir — notamment le caractère irrémédiable, le consentement éclairé et les souffrances intolérables — font actuellement l’objet de discrimination lorsque leur maladie est mentale plutôt que physique, ou lorsqu’ils sont atteints à la fois d’une maladie physique et d’une maladie mentale, alors que nous ne contestons pas leur capacité à consentir à l’aide médicale à mourir.

À mon avis, le respect de la Charte nécessite très probablement une loi sur l’aide médicale à mourir qui permet une analyse de l’admissibilité au cas par cas sur la base de faits propres à chaque cas, tels que l’évaluation des capacités et des tentatives de traitement antérieures. Une telle approche sera adoptée pour les cas de troubles mentaux une fois que la disposition de temporisation aura expiré — c’est-à-dire en mars 2024.

En effet, le Parlement étudie depuis longtemps l’aide médicale à mourir dans le contexte des maladies mentales. La sénatrice Seidman et les anciens sénateurs Cowan, Joyal, Ogilvie et Nancy Ruth ont fait partie d’un autre comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir pendant la 42e législature. Dans le rapport de 2016 publié il y a plus de sept ans par ce comité, la troisième recommandation était sans équivoque :

Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.

En ce qui a trait aux aspects juridiques de la question, permettez-moi de citer les propos de l’avocat Shakir Rahim, qui a témoigné devant le comité mixte spécial le 4 octobre 2022. Il a parlé de l’aide médicale à mourir et des maladies mentales conformément à la décision, en 2020, de la Cour suprême dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, une décision importante sur les droits à l’égalité prévus à l’article 15 de la Charte. Au cours du débat à l’étape de la troisième lecture sur l’amendement proposé par le sénateur Kutcher au projet de loi C-7, j’ai parlé de cette décision de la Cour suprême qui porte sur les maladies mentales. Le rapport du comité mixte spécial en parle également.

Comme l’a dit M. Rahim au comité :

À mon avis, la recommandation du groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est conforme à l’esprit et à la lettre de la jurisprudence relative à l’article 15.

Honorables sénateurs, ces conclusions montrent la nécessité d’assurer l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental.

[Français]

Cependant, cela doit se faire de manière à s’assurer qu’il n’y aura ni dérapages ni erreurs qui contribueront à l’opposition à cette extension. C’est pourquoi, honorables sénateurs, je suggère d’adopter le projet de loi C-39, et je dis ceci à ceux qui nous écoutent : il ne s’agit pas de s’opposer à votre droit à l’accès à l’aide médicale à mourir; il s’agit simplement d’une pause. Votre droit à l’aide médicale à mourir est reconnu par la Constitution, et il sera bientôt accessible.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-39, qui vise à retarder d’un an l’abrogation de l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée pour l’admissibilité à l’aide au suicide.

La décision que le gouvernement Trudeau a prise en 2021 d’étendre l’aide au suicide aux personnes souffrant de maladie mentale est tout simplement aberrante. Cette décision a fait en sorte que l’admissibilité à l’aide au suicide est passée des seules personnes en fin de vie à celles dont la mort n’est pas imminente. Les Canadiens ont constaté que la pente glissante est rapidement devenue une réalité. Les bulletins de nouvelles l’ont confirmé : on a offert l’aide médicale à mourir plutôt que de l’aide gouvernementale à de nombreux vétérans, et des Canadiens handicapés et vivant dans la pauvreté ont l’impression de n’avoir pas d’autre choix que de mettre fin à leurs jours en recourant à l’aide au suicide à cause d’un manque de services de santé et de soutien social.

Le comité parlementaire sur l’aide médicale à mourir recommande d’étendre l’aide au suicide aux enfants. Ces dernières semaines, j’ai vu sur Twitter des gazouillis du ministère fédéral de la Justice vantant les mérites de l’aide médicale à mourir. Pendant ce temps, les spécialistes en psychiatrie ne cessent d’émettre des mises en garde contre les dangers de l’élargissement de l’aide au suicide aux personnes souffrant de maladies mentales, et les professionnels de la santé déclarent qu’ils ne sont pas prêts à l’administrer.

(1630)

Plutôt que de tenir compte des avertissements sérieux et d’appliquer les freins, le gouvernement activiste de Trudeau a opté pour le projet de loi à l’étude, qui consiste à retarder d’un an l’entrée en vigueur de l’élargissement. Il veut profiter de ce délai pour « vendre » au public canadien l’horrible concept du suicide assisté dans les cas de maladie mentale. Mais les Canadiens s’éveillent à la réalité de l’élargissement du suicide assisté, et ils sont choqués et alarmés par la perspective de son élargissement aux cas de maladie mentale. Un récent sondage Angus Reid révèle que seulement 31 % des Canadiens sont favorables à cette mesure.

L’aide au suicide a été légalisée au Canada il y a seulement sept ans. Je luttais contre son application aux cas de maladies mentales même avant la présentation en 2016 du premier projet de loi, le projet de loi C-14, qui faisait suite à l’arrêt Carter rendu par la Cour suprême du Canada en 2015. La lutte contre l’élargissement de l’aide au suicide aux personnes atteintes d’une maladie mentale est ce qui m’a poussée à m’abonner aux médias sociaux. La première chose que j’ai publiée dans Twitter et Facebook est mon article sur le sujet, qui avait paru dans un journal national et qui était intitulé : « Aidez les malades mentaux. Ne les tuez pas. »

En 2019, dans l’affaire Truchon, un tribunal inférieur du Québec a déclaré invalides les dispositions fédérales du Code criminel voulant que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible » et le critère dans la loi sur l’aide médicale à mourir en vigueur au Québec selon lequel une personne doit être « en fin de vie » pour y être admissible. Plutôt que d’interjeter appel de la décision, comme on le fait habituellement, le gouvernement Trudeau a choisi de présenter une nouvelle mesure législative, le projet de loi C-7, pour supprimer non seulement le critère de la mort « raisonnablement prévisible », mais aussi les mesures de sauvegarde minimales qui étaient prévues dans le projet de loi C-14.

Au départ, le projet de loi prévoyait une exclusion pour la maladie mentale comme seule raison invoquée pour demander l’aide médicale à mourir. Malheureusement, le Sénat a adopté un amendement sur la disposition de caducité pour mettre fin à cette période d’exclusion de 18 mois, ce qui a ouvert la voie au suicide assisté pour les personnes souffrant de maladie mentale. Le gouvernement a accepté cet amendement, mais il a repoussé l’échéance à deux ans.

Même si la teneur du projet de loi a été examinée deux fois par le Comité sénatorial des affaires juridiques — à l’étape de l’étude préliminaire puis à l’étape de l’étude du projet de loi —, l’amendement sur la disposition de caducité, autrement dit l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux Canadiens vulnérables ayant une maladie mentale, n’a jamais été examiné par un comité, que ce soit à la Chambre ou au Sénat. Le gouvernement a mis sur pied un comité pour étudier la manière d’inclure les maladies psychiatriques et non pas pour déterminer le bien-fondé de les inclure ou non. Puis, un comité parlementaire s’est penché sur un plus grand élargissement du suicide assisté, notamment les enjeux du consentement préalable et l’accessibilité de l’aide médicale à mourir pour les personnes d’âge mineur.

Comme c’est souvent le cas, tout au long de ce processus, le gouvernement militant Trudeau a donné la priorité à l’idéologie pure plutôt qu’aux données probantes. Cependant, le gouvernement continue quand même à imposer son programme.

La maladie mentale n’est pas irrémédiable — l’un des principaux critères d’admissibilité au suicide assisté. La guérison, ou du moins l’atténuation de la souffrance, est possible et ne peut être prédite. Des psychiatres experts reconnaissent que la trajectoire de la maladie mentale est imprévisible.

Le Dr John Maher, un psychiatre chevronné qui a travaillé avec des patients souffrant de certains des cas les plus graves et les plus résistants de maladie mentale, a témoigné devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

[Je] défie tout psychiatre d’affirmer que tel patient souffre d’un problème irrémédiable, car c’est impossible. J’ai des patients qui se sont rétablis après 5 ans, 10 ans, 15 ans. Ce n’est tout simplement pas possible. Ce sont des conjectures. Si les conjectures vous suffisent, si vous faites confiance au hasard, ou si vous êtes d’avis qu’il faut respecter l’autonomie à tout prix — si quelqu’un souhaite mourir, qu’on le laisse mourir —, appelez les choses par leur nom : on parle ici de suicide assisté.

Chers collègues, souvent, trouver le bon traitement pour une personne consiste à essayer différentes combinaisons de médicaments, ce qui prend du temps. Ceux qui prônent l’accès à l’aide médicale à mourir pour les patients psychiatriques ont commencé récemment à parler non pas de problème irrémédiable, mais de l’inaccessibilité qui équivaudrait à un problème irrémédiable. C’est assez effarant lorsqu’on songe à l’état du système de santé du Canada, et à la difficulté qu’ont les Canadiens d’avoir accès à un médecin ou à des traitements.

Voici comment le Dr John Maher a réagi à une telle affirmation, faite par une autre psychiatre au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a déclaré qu’elle considérerait un patient confronté à une longue liste d’attente avant de pouvoir obtenir un traitement comme ayant un problème irrémédiable en fonction de cette situation :

On a dit à voix haute : nous allons laisser les gens mourir. C’était dans les nouvelles : nous allons laisser les gens mourir parce qu’ils ne peuvent pas avoir d’appartement. D’après ce que j’ai compris de la décision de la Cour suprême et des dispositions législatives subséquentes, le caractère irrémédiable n’a rien à voir avec les ressources psychosociales. Il était question de maladies et de troubles médicaux — dans ce cas-ci, de maladies du cerveau — ne pouvant pas être traités par des moyens médicaux.

Les portes sont rendues grandes ouvertes si ces problèmes sont maintenant considérés comme irrémédiables. C’est un exemple précis des abus auxquels la loi donnera lieu, je le crains, parce qu’il n’y a pas de surveillance [...] Franchement, je suis étonné [qu’une psychiatre] soit prête à laisser un patient mourir parce qu’il ne peut pas recevoir un traitement qui améliorera son état. Ce n’est pas l’esprit de la loi, à juste titre. Si la société canadienne est prête à laisser les gens mourir parce qu’ils n’ont pas accès à des appartements, franchement, je suis dégoûté. Pardonnez-moi ma passion, mais votre devoir de parlementaires est de préserver la vie.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis une survivante du suicide d’un membre de ma famille. Mon époux, le député Dave Batters, s’est enlevé la vie quelques jours avant son 40e anniversaire, après avoir lutté contre la dépression et l’anxiété. J’ai vu de près les défaillances de notre système de soins de santé mentale. Il y a des problèmes liés à l’accessibilité, aux coûts et aux préjugés et un manque total de ressources qui empêchent les gens d’obtenir l’aide dont ils ont besoin. La réponse à ces problèmes consiste à réparer le système et non à confirmer le sentiment de désespoir des patients atteints de troubles mentaux et à leur offrir l’option fatale de se suicider. La réponse n’est certainement pas de mettre fin à leur vie pour eux. En tant que société compatissante, nous avons l’obligation de donner de l’espoir aux Canadiens atteints de maladies mentales lorsqu’ils n’en ont pas pour eux‑mêmes.

Dans le peu de temps qu’il me reste, je voudrais aborder certains des arguments spécieux avancés par le gouvernement et les partisans de l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, car ils sont trompeurs. Je pense qu’il convient de le dire aux parlementaires et aux Canadiens.

Tout d’abord, pour tenter de vendre la notion d’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques aux Canadiens, le ministre de la Justice, David Lametti, a laissé entendre que l’élargissement du suicide assisté aux personnes atteintes de maladie mentale avait été prescrit par les tribunaux. Or, c’est tout simplement faux. Ni dans l’affaire Carter ni dans l’affaire Truchon, les tribunaux ne se sont prononcés sur le caractère constitutionnel de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale, et aucun des plaignants n’a demandé l’aide médicale à mourir pour des motifs d’ordre psychiatrique.

Le gouvernement et les partisans de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques tentent d’établir une fausse équivalence entre les maladies physiques et les maladies mentales. Or, ces deux types de maladies sont bien différents. Une maladie mentale ne peut pas avoir de phase « terminale ». Dans les cas de maladie mentale, la mort ne constitue pas une issue « raisonnablement prévisible ». Encore une fois, la maladie mentale n’est pas irrémédiable et elle est imprévisible, même pour les psychiatres spécialisés qui ont été formés pour évaluer et diagnostiquer ces maladies.

Par ailleurs, les intentions suicidaires peuvent être un symptôme de maladie mentale. C’est malheureusement quelque chose dont j’ai moi-même été témoin. Le fait de considérer que les maladies physiques et les maladies mentales ne sont pas identiques n’est pas discriminatoire. C’est une simple reconnaissance des faits. Comme l’a indiqué le Dr Sonu Gaind au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat :

[...] il n’est pas discriminatoire de tenir compte des caractéristiques particulières de la maladie mentale dans le cadre des discussions sur l’[aide médicale à mourir]. L’« équité » ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même façon; cela signifie qu’il faut traiter les choses de façon équitable et impartiale.

Nous ne devrions pas élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques si nous ne sommes pas en mesure de donner un accès complet aux traitements et au soutien aux Canadiens aux prises avec des troubles de santé mentale.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas simplement baisser les bras face aux lacunes du système de soins de santé mentale et signer des arrêts de mort pour alléger la souffrance des gens en nous félicitant à tort de le faire parce que nous avons un prétendu sens de l’égalité. Nous n’agissons pas pour l’égalité des personnes ayant une maladie mentale. Nous abdiquons complètement nos responsabilités de parlementaires.

Le système de soins de santé mentale comporte des lacunes et ces dernières causent d’énormes souffrances à tel point que les malades voient la mort comme une solution plutôt que d’essayer d’obtenir des traitements. Les problèmes majeurs du système de soins de santé mentale me mettent en colère. J’en ai été témoin. Je les ai vécus en compagnie de mon mari. Le fait que le gouvernement Trudeau préfère offrir la mort aux gens plutôt que de répondre à leurs besoins en matière de traitements me rend furieuse. En tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de corriger la situation, honorables sénateurs, et tout part du sommet : il faut exiger du gouvernement qu’il rende des comptes.

Fidèle à ses habitudes, le gouvernement Trudeau tient de beaux discours au sujet de la santé mentale, mais ne joint aucun geste à la parole. Pendant la campagne électorale de 2021, la plateforme libérale promettait un « transfert canadien en matière de santé mentale » de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Or, nous voilà 18 mois plus tard; le gouvernement a présenté un budget depuis et s’apprête à présenter le prochain, et combien de cet argent pour la santé mentale a commencé à sortir des coffres? Pas un seul sou. Si l’on se fie aux échéanciers qui figurent dans sa propre plateforme électorale, le gouvernement libéral est déjà en retard de 1,5 milliard de dollars pour honorer ses promesses en matière de santé mentale. Combien de listes d’attente pour des soins psychiatriques cela aidera-t-il à réduire, honorables sénateurs? À combien de Canadiens atteints d’une maladie mentale cela fournira-t-il un traitement, un test de dépistage ou des médicaments? Oh, c’est bien cela : zéro.

Le gouvernement pense qu’il peut publier un ou deux gazouillis à l’occasion de la Journée Bell Cause pour la cause, faire de belles promesses creuses en matière de financement de la santé mentale et ne jamais passer de la parole aux actes.

Honorables sénateurs, je sais que beaucoup d’entre vous ont le cœur à la bonne place, mais si vous souhaitez réellement aider les gens qui souffrent d’une maladie mentale, pourquoi laissez-vous le gouvernement se permettre une telle chose? Pourquoi avez-vous voté en faveur d’une mesure permettant d’administrer la mort à des personnes atteintes de troubles mentaux au lieu de leur fournir un soutien adéquat? Étant donné que cette mesure visant à étendre l’aide au suicide a été ajoutée par le Sénat à la fin de l’étude du projet de loi C-7, l’empêchant ainsi d’être examinée en bonne et due forme par un comité parlementaire de l’une ou l’autre Chambre du Parlement, pourquoi n’exigeons-nous pas qu’elle fasse maintenant l’objet d’une étude approfondie? Pourquoi ce projet de loi sera-t-il uniquement soumis à un examen en comité plénier d’une heure, réparti entre deux ministres?

(1640)

Le projet de loi C-39 sera adopté. Les partisans de l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques voteront en sa faveur, tout comme les personnes qui s’y opposent avec véhémence pour au moins retarder son entrée en vigueur. Nous devrions utiliser cette année de prolongation pour enfin évaluer honnêtement s’il est acceptable d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale, et non pour déterminer comment les tuer.

Le ministre de la Justice Lametti affirme qu’il compte utiliser cette prolongation d’un an de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale pour « permettre à tous d’intérioriser les normes » et « permettre aux universités de préparer le matériel pédagogique » et de « fournir des explications ». C’est vraiment n’importe quoi. Le gouvernement se rend compte que l’opinion publique est en train de changer à l’égard de cet affreux élargissement, et il espère que cette prolongation lui donnera plus de temps pour vendre sa salade aux Canadiens.

Honorables sénateurs, il nous faut ce délai d’un an dès maintenant, parce que le Canada n’est pas prêt à étendre l’aide au suicide aux personnes atteintes de maladies mentales. Les psychiatres et les médecins ne sont pas prêts. Ils ne sont pas à l’aise avec cette notion, parce que l’élargissement de l’admissibilité à l’aide au suicide aux patients atteints de maladies mentales contredit la norme des soins de santé mentale, c’est-à-dire la prévention du suicide et la préservation de l’espoir et de la vie.

Les Canadiens non plus ne sont pas prêts. Ils ne sont pas à l’aise avec cette notion parce qu’ils sont maintenant témoins en temps réel des scénarios cauchemardesques que l’expansion rapide de l’aide au suicide a déjà provoqués. Le reste du monde regarde notre régime de suicide assisté avec stupeur. Nous sommes devenus le pays le plus permissif de la planète. Si personne n’est à l’aise avec cette notion, c’est probablement une bonne indication que quelque chose cloche, honorables sénateurs. Nous devons arrêter ce train hors de contrôle avant qu’il ne soit trop tard.

Le report d’un an prévu dans le projet de loi C-39 constitue un début, mais ce n’est qu’un début. Le gouvernement fédéral doit profiter de cette année pour réévaluer complètement l’élargissement de l’accès à l’aide au suicide pour les maladies mentales. Il est allé trop loin dans cette expérience idéologique et il se dirige tout droit vers l’abîme. Il est allé trop loin pour les psychiatres comme pour les Canadiens et il fait le plus grand mal à ceux qui ont désespérément besoin que nous continuions à préserver l’espoir pour eux, à savoir les personnes atteintes de maladie mentale. L’une de ces personnes, le célèbre défenseur canadien de la santé mentale, Mark Henick, l’a exprimé en ces termes :

Élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour inclure les personnes dont le seul problème médical invoqué est un trouble mental serait la plus grave forme de préjugé et de discrimination systémiques à l’égard des personnes atteintes d’une maladie mentale. On ferait ainsi subir une dernière humiliation pourtant évitable aux personnes qui se battent pour leur droit de se rétablir, parfois sur une très longue période, malgré les défaillances des systèmes de santé publics qui, trop souvent, rendent le rétablissement plus difficile que nécessaire. Il est inacceptable que les législateurs se soustraient à leur responsabilité envers certains Canadiens, soit ceux qui souffrent d’une maladie mentale, et qu’ils renoncent ainsi à honorer leur part du contrat social. Nous n’allons pas nous laisser rejeter aussi sommairement par des gens au pouvoir qui semblent nous considérer comme un fardeau pour le système. Les personnes atteintes d’une maladie mentale sont elles aussi des contribuables qui apportent une contribution importante à la société canadienne. Nous ne vous laisserons pas nous abandonner.

Honorables sénateurs, nous ne devons pas les abandonner. Merci.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-39, qui modifie la Loi modifiant le Code criminel relativement à l’aide médicale à mourir, à titre de porte-parole de l’opposition officielle au Sénat.

L’aide médicale à mourir a été et reste l’une des questions les plus complexes et les plus personnelles pour les gens, les familles de notre pays. La question de l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales m’est également très personnelle, car je connais des personnes qui ont souffert de maladies mentales complexes et qui vivent avec celles-ci, et j’ai été le témoin direct de ce qu’elles et leurs familles doivent subir durant le processus de recherche d’un traitement ou d’une solution adéquats. Chaque cas est unique. Les évaluations et les traitements efficaces peuvent prendre beaucoup de temps, parfois des décennies, mais je suis heureuse que l’aide médicale à mourir n’ait jamais été une option dans leurs moments les plus sombres, comme ce sera le cas pour d’autres personnes d’ici un an avec l’adoption du projet de loi C-39. Le projet de loi C-39 prolonge l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale jusqu’au 17 mars 2024 — un report d’un an par rapport à ce qui est prévu dans la loi en vigueur.

Le projet de loi C-7 a élargi l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. À l’origine, le projet de loi excluait l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale était la seule condition médicale invoquée. Cependant, le sénateur Kutcher a présenté, à l’étape de la troisième lecture, un amendement visant à rendre l’aide médicale à mourir accessible aux personnes dont la maladie mentale est la seule condition invoquée. L’amendement a été adopté avec l’appui de la majorité des sénateurs. Le gouvernement a accepté cet amendement et, dans la loi qui a finalement été adoptée, la date de la disposition de caducité était fixée au 17 mars 2023. Cela signifie que l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladies mentales deviendrait légale la semaine prochaine, à moins que nous n’adoptions le projet de loi de dernière minute du gouvernement, le projet de loi C-39, pour retarder d’un an l’élargissement de l’aide médicale à mourir.

Avec l’élargissement, le Canada deviendrait l’un des quatre seuls pays au monde — avec la Belgique, le Luxembourg et les Pays‑Bas — qui offrent l’aide médicale à mourir aux personnes les plus vulnérables de la société. Selon moi, la plupart des Canadiens ne souhaitent pas que le Canada soit reconnu parce qu’il devient un chef de file mondial en matière d’élargissement rapide de l’accès à l’aide médicale à mourir.

Comme les honorables sénateurs le savent, j’ai coprésidé le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir avec le député libéral Marc Garneau. D’autres sénateurs, qui ont déjà été nommés, faisaient aussi partie de ce comité. Le comité a récemment déposé son rapport final après avoir examiné plusieurs sujets et questions liés à l’aide médicale à mourir. Le fait d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical invoqué a fait l’objet d’un rapport provisoire déposé en juin 2022. Il s’agissait d’un sujet délicat à l’époque, et il l’est toujours aujourd’hui alors que nous débattons du projet de loi C-39.

Le comité a tenu 36 réunions, entendu près de 150 témoins et reçu plus de 350 mémoires. Nous avons entendu des témoignages convaincants et émouvants de personnes atteintes de maladie mentale, de défenseurs des droits des patients, de scientifiques, de psychiatres, d’évaluateurs de demandes et de fournisseurs d’aide médicale à mourir, ainsi que d’autres professionnels de la santé mentale. Nous avons entendu toute une variété de points de vue sur la science, l’éthique, l’aspect pratique et l’état de préparation de cette proposition. Peu importe leur point de vue sur la question, les témoins ont livré des discours passionnés et informatifs. Le constat, toutefois, est qu’il n’existe actuellement aucun consensus médical ou scientifique sur le concept de l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale. Une bonne partie de ceux qui sont en faveur d’étendre l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale ont admis que nous ne sommes pas prêts à aller de l’avant et ont recommandé de reporter davantage cette décision.

En fait, en décembre 2022, même l’Association des directeurs de services psychiatriques du Canada, qui réunit les chefs des départements de psychiatrie des 17 facultés de médecine du pays, a publié une déclaration soulevant des préoccupations au sujet de l’échéance imminente du 17 mars 2023 et du manque de préparation pour que l’élargissement de l’admissibilité se fasse de façon sécuritaire et fiable, et demandant au gouvernement libéral de prolonger la disposition de caducité de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental.

Comme l’a rapporté le National Post le 15 décembre 2022 :

[...] Le manque d’éducation du public en matière de prévention du suicide ainsi que l’absence de définition commune du caractère irrémédiable d’une maladie, c’est-à-dire du moment où une personne ne pourra pas se rétablir, sont des questions importantes qui n’ont pas encore été résolues.

Il faut plus de temps pour renforcer la sensibilisation à l’égard de ce changement et établir des lignes directrices et des normes vers lesquelles les cliniciens, les patients et le public peuvent se tourner pour être mieux informés et éduqués.

Lorsque nous discutons de propositions politiques dans lesquelles le coût d’une erreur est une mort injustifiée ou inutile, pourquoi envisagerions-nous même d’aller de l’avant s’il n’y a pas de consensus généralisé parmi les experts?

Comme le Dr Sonu Gaind, ancien président de l’Association des psychiatres du Canada, l’a dit au comité :

[L]a loi ne dit pas que les problèmes de santé graves et irréversibles doivent faire l’objet d’une décision d’ordre éthique. Ce doit être une décision scientifique.

Le gouvernement a créé un groupe d’experts chargé d’étudier l’aide médicale à mourir et la maladie mentale en tant que seul problème médical invoqué. Toutefois, ce groupe a été créé après l’adoption de la disposition de caducité, et ses membres n’ont pas été invités à déterminer si le Canada était prêt, s’il était possible de procéder à cet élargissement en toute sécurité ou s’il existait un consensus scientifique justifiant cet élargissement. Le groupe d’experts a été chargé de formuler des recommandations sur la mise en œuvre de cet élargissement. Le travail du groupe d’experts ne doit pas être interprété comme reflétant un consensus. En effet, dans son rapport final, le groupe d’experts indique qu’il serait difficile, voire impossible, de prédire le caractère irrémédiable des troubles mentaux.

(1650)

Ce point de vue, à savoir l’impossibilité de prédire le caractère irrémédiable du problème de santé, a été exprimé par plusieurs experts. Si la certitude du caractère irrémédiable de la maladie ne constitue pas une mesure de protection dans le cadre de notre régime d’aide médicale à mourir, quelles sont les véritables mesures de protection contre les décès prématurés dont nous disposons?

Le Dr Mark Sinyor, professeur de psychiatrie, a déclaré ce qui suit au comité mixte :

Dans le cas de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, nous ne disposons d’aucune statistique. Nous n’aurions aucune idée — et nos patients non plus — du nombre de fois où notre jugement au sujet du caractère irrémédiable de la maladie est tout simplement erroné. C’est complètement différent de l’aide médicale à mourir dans les situations de fin de vie ou pour les maladies neurologiques progressives et incurables, où la prédiction clinique de l’irrémédiabilité est fondée sur des données probantes.

Dans le contexte de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale, les décisions de vie ou de mort seront prises en fonction de pressentiments et de suppositions qui pourraient être complètement erronés. Les incertitudes et la possibilité d’erreur dans les situations de maladie mentale sont énormes. Par conséquent, il est impératif, sur le plan éthique, d’étudier les préjudices possibles avant de mettre en œuvre la loi.

Sean Krausert, directeur général de l’Association canadienne pour la prévention du suicide, a indiqué que le refus du patient de suivre un traitement ne devrait pas signifier que le trouble est irrémédiable et que lorsqu’il s’agit de maladie mentale, l’irrémédiabilité doit demeurer objective. Il a déclaré :

[L’AMM ne devrait pas être] offerte aux patients souffrant d’un trouble pour lequel la mort n’est pas raisonnablement prévisible, à moins que des preuves scientifiques indiscutables montrent que ce trouble est irrémédiable. Le caractère irrémédiable doit toujours être objectif et jamais subjectif. Aucune preuve n’indique que la maladie mentale entre dans cette catégorie.

Le comité parlementaire mixte a poursuivi ses travaux à l’automne et a entendu d’autres témoins à ce sujet qui ont suscité plus de questions qu’ils n’ont fourni de réponses.

Le Dr John Maher, psychiatre clinicien et éthicien médical, a déclaré ceci lors de son témoignage devant le comité :

Les psychiatres ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, quel patient verra son état s’améliorer et vivra une bonne vie pendant des décennies. Les maladies du cerveau ne sont pas comme les maladies du foie.

Honorables sénateurs, je suis profondément troublée à l’idée qu’on puisse offrir l’aide médicale à mourir à une personne atteinte d’une maladie mentale dont le caractère irrémédiable est subjectif et sujet à interprétation. Les Canadiens ont la même préoccupation que moi. D’après un récent sondage national mené par Angus Reid, même si les Canadiens sont généralement pour l’aide médicale à mourir, seuls 31 % d’entre eux souhaitent qu’on offre l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles mentaux irrémédiables. Nous pouvons imaginer à quel point ce pourcentage diminuerait si on demandait aux Canadiens s’ils veulent que l’aide médicale à mourir soit offerte dans les cas où les spécialistes ne s’entendent pas sur le caractère irrémédiable d’une maladie.

Le comité a aussi entendu des préoccupations qui ont été soulevées quant à l’incapacité de distinguer entre l’intention suicidaire et les demandes d’aide médicale à mourir. C’est incontestable que les services en santé mentale sont tout à fait insuffisants au Canada. Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale, seulement la moitié des Canadiens qui vivent un épisode dépressif majeur reçoivent des « soins potentiellement adéquats ». Un tiers des Canadiens âgés de 15 ans ou plus qui déclarent avoir besoin de soins de santé mentale affirment que ces besoins n’ont pas été entièrement comblés. Parmi les enfants atteints de troubles mentaux, 75 % n’ont pas accès à des traitements spécialisés. Les jeunes Autochtones sont cinq à six fois plus susceptibles de se suicider que les jeunes non-Autochtones. Les taux de suicide chez les jeunes Inuits sont parmi les plus élevés au monde, soit 11 fois la moyenne nationale.

Ces statistiques sont inquiétantes et, grâce aux témoignages des Autochtones qui ont comparu devant le comité — qui ont exprimé leurs graves préoccupations concernant les répercussions de l’aide médicale à mourir sur leurs collectivités, notamment sur les jeunes Autochtones —, nous savons qu’il faut faire plus de consultations et qu’il faut porter une attention spéciale à l’élargissement sécuritaire et appropriée de l’aide médicale à mourir aux communautés autochtones.

Il est bien connu que l’un des symptômes communs à de nombreuses maladies mentales est le désir de mourir. Pourtant, avant que le gouvernement ait donné suite à son engagement de financer les soins en santé mentale, il va de l’avant avec une politique pour offrir le suicide assisté. Comment pouvons-nous être certains que nous offrons un choix équitable et honnête aux personnes atteintes de maladie mentale? Comment pouvons-nous être certains que les idées suicidaires associées à la maladie mentale ne sont pas un facteur pour demander l’aide médicale à mourir? Comme de nombreux experts l’ont affirmé devant le comité mixte : il est impossible d’en avoir la certitude.

Ayant maintenant une vie riche grâce à des médicaments et une thérapie, Sean Krausert a indiqué qu’il se serait sans doute prévalu de l’aide médicale à mourir dans les « jours les plus sombres » de dépression et d’anxiété. Dans le même ordre d’idées, la Dre Georgia Vrakas, psychologue et professeure, a indiqué ce qui suit :

Dans ce contexte, en donnant aux gens comme moi le feu vert pour obtenir l’aide médicale à mourir, on signifie clairement son désengagement relativement à la maladie mentale. On nous transmet le message qu’il n’y a pas d’espoir et que nous sommes des êtres jetables.

Chers collègues, le 2 février, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice, a déposé le projet de loi C-39 à quelques semaines seulement de la date butoir du 17 mars. Le projet de loi C-39 prolongerait d’un an l’interdiction de se prévaloir de l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. Or, comment le gouvernement peut-il garantir que dans un an nous aurons les réponses et les ressources voulues et que les mesures de sauvegarde nécessaires seront en place pour protéger les personnes les plus vulnérables? Rien ne prouve que l’on règlera d’ici un an les difficultés entourant certaines questions importantes, telles que la détermination du caractère irrémédiable d’un problème de santé et les risques inhérents pour les personnes vulnérables.

Le gouvernement libéral présente le projet de loi C-39 pour tenter de remédier aux problèmes qu’il a créés en abordant avec précipitation la question du régime canadien d’aide médicale à mourir, mais il ne s’agit pas d’une solution acceptable.

Je vais appuyer à contrecœur le projet de loi C-39 parce que, sans lui, dans 10 jours, l’aide médicale à mourir deviendra légale pour les personnes dont la seule raison médiale invoquée pour en justifier la demande est une maladie mentale. J’espère sincèrement que cette année donnera aux parlementaires la chance de s’arrêter et de réfléchir sérieusement à la direction dans laquelle nous nous dirigeons. Nous procéderions avec des mesures législatives aux conséquences de vie ou de mort avant d’avoir des preuves tangibles pour les justifier. Le Canada est en voie de devenir ce que d’autres pays qualifient d’exemple dangereux.

Honorables sénateurs, nous avons l’occasion d’écouter les experts et de faire preuve de la prudence qu’exige cette question délicate. J’espère que vous serez nombreux à vous joindre à moi pour soutenir mon collègue le député de la Chambre des communes Ed Fast et son projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-314, qui prévoit que l’expression « problème de santé grave et irrémédiable » contenue dans le régime canadien d’assurance‑maladie n’inclura pas les troubles mentaux.

Toute politique devrait être basée sur des preuves, et c’est encore plus important dans le cadre de la politique relative au régime de l’aide médicale à mourir. J’interrogerai le ministre Lametti demain en comité plénier pour savoir comment il compte garantir la mise en place de garanties adéquates et répondre aux préoccupations soulevées par les experts et les défenseurs, voire s’il envisage de réviser l’élargissement de l’aide médicale à mourir si des inquiétudes subsistent au cours de l’année à venir.

Je compte aussi travailler dur avec mes collègues conservateurs au cours de l’année à venir pour mettre un terme à tout élargissement dangereux, afin de protéger les Canadiens les plus vulnérables.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Kutcher, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1700)

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Bellemare, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18 et je m’inquiète sincèrement de ses répercussions sur la libre expression des idées et les débats ouverts dans notre pays.

La Loi sur les nouvelles en ligne, telle qu’elle est proposée, limiterait la quantité de nouvelles que nous pouvons lire au Canada en limitant l’accès. Le gouvernement ne veut pas seulement décider ce que nous pouvons regarder et lire, comme nous l’avons vu avec le projet de loi C-11. Il cherche maintenant à obliger des entreprises étrangères, par l’entremise du projet de loi C-18, à financer du contenu canadien, mais pas n’importe lequel. Encore une fois, il s’agit de limiter les choix et les sources.

La croisade d’Ottawa pour la réforme numérique relève simplement de la réglementation gouvernementale du contenu, ce qui risque non seulement de miner l’indépendance des médias, mais également de limiter ce que nous pouvons lire ou entendre à propos des événements dans notre région, dans notre pays et à l’étranger. Pour ces raisons, et parce que je crois à la liberté d’expression et à la liberté de choix, je m’oppose fondamentalement à un projet de loi qui limite mon droit de m’informer.

Le gouvernement affirme que ce projet de loi vise à donner un coup de pouce à une industrie traditionnelle en difficulté, mais à quel prix? Le gouvernement oblige essentiellement des entreprises à conclure des contrats pour obtenir de l’argent des grandes plateformes étrangères comme Google ou Facebook et s’en servir pour financer les radiodiffuseurs et les éditeurs au Canada, surtout les grands joueurs traditionnels. Facebook et Google ont réagi en menaçant de retirer tout simplement tout le contenu journalistique de leurs sites, ce qui nous empêchera de partager avec d’autres personnes du contenu que nous jugeons intéressant ou important. Ce projet de loi a pour effet de nous pénaliser.

C’est même encore pire, car, si on force des entreprises à payer pour les liens sur lesquels nous pouvons cliquer afin d’accéder à l’ensemble du contenu, cela aura des effets désastreux sur les petits médias indépendants qui ont grandi et survécu en publiant gratuitement leur contenu grâce aux liens fournis sur ces plateformes.

Comme je l’ai dit plus tôt, mon journal local vient de faire faillite. Il est vrai que la technologie a changé la donne, mais ces petits entrepreneurs veulent non pas des subventions, mais pouvoir faire des affaires, et ils survivent en publiant leur contenu en ligne gratuitement.

Ce projet de loi limitera la capacité de ces petits acteurs en difficulté à utiliser Internet pour attirer des abonnés. Le paradoxe de l’approche du gouvernement est que les grands journaux et radiodiffuseurs traditionnels, dans l’intérêt desquels ils sont censés agir, ont encore plus besoin des plateformes. Ils ont eux aussi besoin d’un plus grand nombre d’yeux sur leur contenu, car le nombre de téléspectateurs et d’abonnés ne cesse de diminuer.

En ce qui concerne le gouvernement, l’intérêt est évident. Il s’agit de forcer les plateformes à payer pour ne pas avoir à donner l’impression de distribuer l’argent, ce qui, bien sûr, le mettrait à risque d’être accusé d’acheter les faveurs des médias. Je rappelle que le gouvernement a financé et soutenu des entités en difficulté, y compris celles qui couvrent la politique d’Ottawa.

Le gouvernement affirme que les plateformes comme Facebook tirent des bénéfices financiers du partage de nouvelles ou de liens et qu’elles devraient donc payer. Les plateformes répliquent par des chiffres, soulignant que les actualités ne représentent qu’une très petite partie de leurs activités en ligne, environ 3 % pour Facebook, et précisent qu’elles ne placent même pas de publicités sur les actualités partagées parce que la plupart des utilisateurs ne veulent pas les voir. Il ne s’agit donc pas d’une source de revenus importante.

Il n’en reste pas moins que ce gouvernement ne semble pas comprendre — ou ne pas vouloir comprendre — que les plateformes sont un espace en ligne gratuit mis à la disposition de tous, y compris des médias. Les gens peuvent y partager du contenu, ce qui profite évidemment aux créateurs de contenu du pays.

Bien entendu, de nos jours, beaucoup de personnes veulent lire leurs nouvelles en ligne, et les plateformes gratuites sont une source quasi illimitée d’information. Par conséquent, sans ces plateformes, les plus petites entreprises vont probablement continuer, comme Wadena News, de fermer leurs portes, et il deviendra de plus en plus difficile de percer dans l’industrie grâce à un nouveau produit en ligne et de livrer concurrence aux joueurs établis et déjà bien subventionnés.

Les grands médias ont déjà un avantage. Ils peuvent imposer un accès payant à leurs articles, de telle sorte que même si un lien est partagé sur une plateforme, l’accès à l’article demeure impossible à quiconque n’a pas d’abonnement. Avec le projet de loi C-18, ils peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre : les frais d’abonnement des consommateurs et les subventions des géants du Web.

Avec le projet de loi C-18, Ottawa tient en quelque sorte un pari risqué, car les géants du Web comme Google et Facebook ont déjà été confrontés à des mesures législatives semblables dans d’autres pays. Le Canada est un si petit marché que le fait de s’en retirer nous causera plus de tort qu’il n’en causera aux géants du Web.

Nous courons aussi le risque d’être la cible de représailles commerciales de la part d’alliés et de partenaires, notamment des États-Unis. Le projet de loi C-11 a été jugé protectionniste et peut‑être contraire à l’Accord de libre-échange nord-américain, et ce sera aussi le cas du projet de loi C-18. Nous obligeons des entreprises à négocier des contrats pour prendre de l’argent à des sources étrangères afin de financer des radiodiffuseurs et des éditeurs canadiens. Il s’agit ni plus ni moins d’une subvention gouvernementale déguisée.

L’idée même que nous réclamions de l’argent à des sociétés américaines pour soutenir, entre autres, notre radiodiffuseur national est choquante. Pouvez-vous imaginer la réaction des Canadiens si les États-Unis adoptaient une loi forçant les entreprises canadiennes à payer des millions de dollars pour soutenir des entreprises médiatiques américaines en difficulté uniquement parce qu’elles ont besoin de plus d’argent? Il y a de quoi avoir honte.

Le directeur parlementaire du budget a indiqué que le projet de loi coûtera des centaines de millions de dollars aux géants du Web parce qu’il n’impose pas vraiment de limite aux coûts potentiels et que la liste des entités admissibles au financement s’est allongée. Elle comprend maintenant des centaines de stations locales de campus et de radiodiffuseurs autochtones.

Comme nous le savons, quand un pays impose une taxation de ce genre, c’est un désagrément. Cependant, lorsque de nombreux pays souhaitent épauler les médias traditionnels en leur donnant de l’argent qu’ils n’ont pas gagné, cela devient un précédent coûteux. Il n’est pas surprenant que les gros joueurs comme Facebook ou Twitter aient menacé de bloquer le partage de nouvelles.

Vous pouvez voir pourquoi il ne serait pas rentable de garder les nouvelles sur ces plateformes si le projet de loi était adopté. Cela ne vaudrait pas la peine. Il serait plus facile pour ces entreprises de simplement les retirer. Les pertes subies par les plateformes seraient négligeables, mais ce serait dévastateur pour le processus de partage des nouvelles. Les consommateurs canadiens sont ceux qui seraient le plus durement touchés. Comme l’a dit ma collègue la sénatrice Simons, on dirait que les rédacteurs du projet de loi n’ont jamais utilisé Internet.

Si ce n’était pas déjà bien évident, le gouvernement ne devrait pas toucher aux informations que nous consommons ni à la manière dont nous le faisons. Comme l’a dit un ancien comédien, Tommy Smothers, « la seule forme de censure valide, c’est le droit des gens de ne pas écouter ».

Le marché naturel des idées permet aux créateurs d’offrir leurs « marchandises » et aux consommateurs de faire un choix. Nous nous abonnons aux publications que nous aimons, nous regardons les chaînes qui nous plaisent, puis, quand ce n’est plus le cas, nous éteignons la télévision ou nous annulons notre abonnement.

Gardons le gouvernement à l’écart de ce processus. Essayons de préserver l’indépendance des médias et de laisser les Canadiens être informés sur leur monde.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’honorable Chantal Petitclerc : Il y a 6,2 millions de Canadiens qui vivent avec un handicap. Nous représentons 22 % de la population du pays. Pourtant, nous continuons d’être tenus à l’écart et sous-représentés.

Les Canadiens handicapés ne sont certes pas un groupe homogène et ils ne le seront jamais. Au contraire, ils sont l’incarnation même de la diversité. Leur handicap peut être, entre autres, une perte auditive, un trouble de la vision, une cécité ou encore une perte de mobilité temporaire ou permanente. La réalité quotidienne des personnes handicapées est influencée par toutes sortes d’autres facteurs.

(1710)

Bien que de nombreux obstacles subsistent, nos capacités sont également diverses, et les personnes handicapées sont plus que jamais visibles dans le Canada d’aujourd’hui. Nous sommes présents dans les arts, les universités et les sports. Nous sommes avocats, médecins, enseignants, entrepreneurs, députés, ministres et sénateurs.

Cependant, ces réussites ne doivent pas masquer le fait que, de ces 6,2 millions de personnes handicapées, une sur quatre n’a pas les moyens de se payer des soins, une assistance, des appareils ou des médicaments sur ordonnance. Sur ces 6,2 millions de personnes, 41 % de celles qui sont en âge de travailler sont au chômage. Lorsqu’elles ont un emploi, elles gagnent moins. Les personnes handicapées ont toutes en commun d’être confrontées à des obstacles et à des difficultés pour obtenir ce à quoi elles ont droit.

Il nous incombe, en tant que société, de contribuer à l’élimination de ces obstacles, un par un, chaque fois que nous en avons l’occasion. Voilà pourquoi je tiens aujourd’hui à appuyer le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

C’est avec beaucoup d’espoir et quelques questions que je parlerai de ce projet de loi.

[Français]

Plusieurs l’ont mentionné avant moi. Ce projet de loi, qui est en fait un cadre d’élaboration de l’indemnité future, nous laisse dans l’inconnu quand il s’agit de savoir certaines choses : combien, quand et comment? Ce sont des questions essentielles, car on attend de nous que nous prenions position avec des faits, pas juste avec de l’espoir.

Commençons par la question que tout le monde se pose : à combien cette indemnité s’élèvera-t-elle?

La réponse rapide est que l’on n’a vu aucun chiffre. Nous avons cependant quelques indices, comme le nom du projet de loi et son préambule, qui met en lumière son objectif : réduire la pauvreté, assurer une sécurité financière et respecter nos engagements internationaux envers les personnes en situation de handicap.

À la Chambre et au comité, la ministre Qualtrough a été claire quand elle a affirmé ce qui suit, et je la cite : « Aujourd’hui, j’amorce mon discours en déclarant ceci : au Canada, nulle personne handicapée ne devrait vivre dans la pauvreté. »

[Traduction]

Au Sénat, le parrain du projet de loi, le sénateur Cotter, a dit que le quatrième pilier de la mesure législative est :

[...] la sécurité financière, pour réduire la pauvreté et améliorer la sécurité financière de centaines de milliers de personnes en situation de handicap.

Il n’en reste pas moins que nous ne savons pas quel sera le montant de la prestation, et nous devrons voter avant de le savoir.

Le paragraphe 11(1.1) du projet de loi prévoit que, dans tout règlement concernant le montant de la prestation, le gouvernement « tient compte du seuil officiel de la pauvreté au sens [...] de la Loi sur la réduction de la pauvreté ». Cette disposition a été ajoutée à la suite d’un amendement proposé par la députée Bonita Zarrillo. Je remercie la députée et les autres membres du Comité des ressources humaines de la Chambre des communes d’avoir fait cet ajout au projet de loi qui nous donne une orientation concrète.

Je dois toutefois dire que viser le seuil de pauvreté ne suffira pas pour sortir de la pauvreté les personnes en situation de handicap. Chers collègues, permettez-moi de commencer par une dure réalité : vivre avec un handicap coûte cher, beaucoup plus que ce que la majorité peut s’imaginer.

[Français]

Dans son évaluation du panier du consommateur, le calcul de Statistique Canada prend en compte les besoins de base : alimentation, vêtements, logement et transport. Cependant, une personne en situation de handicap doit débourser des montants importants en plus de ces besoins de base, et ce, peu importe les services offerts dans sa province. Je côtoie plusieurs personnes en situation de handicap, et je peux vous le garantir : tout est plus cher, peu importe vos revenus. Les logements accessibles, les transports, les loisirs et le matériel adapté, bien sûr : tout est plus cher.

Prenez simplement un coussin comme celui qui se trouve sur mon fauteuil roulant et qui est couramment utilisé par les blessés médullaires : ce coussin peut coûter jusqu’à 800 $. J’en ai besoin pour des raisons médicales. Donc, pour l’obtenir, je dois me déplacer chez mon médecin, qui me fera une ordonnance que je devrai payer. Je dois me déplacer par la suite chez un vendeur ou dans un centre de réadaptation. Ensuite, je dois attendre de quatre à cinq mois pour le recevoir, car il est fait sur mesure.

Ce coussin, la province de Québec en couvre les frais tous les deux ou trois ans. Toutefois, comme il est gonflé, il ne dure jamais trois ans. Un coussin gonflé, cela signifie qu’il peut y avoir des crevaisons; après un an, le coussin a déjà été rapiécé deux ou trois fois, et en fin de compte, je dois m’en acheter un avec mes propres sous ou restreindre les périodes pendant lesquelles je peux être assise dessus.

J’ai le privilège de pouvoir me payer ce coussin, mais ce n’est pas le cas de tous. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Même les choses de base peuvent engendrer de bien plus grandes dépenses. Par exemple, une personne en grande perte d’autonomie n’aura pas la liberté ou la capacité de faire son épicerie et de cuisiner avec des produits moins chers; il faudra peut-être qu’elle s’achète des repas tout prêts, et elle devra payer plus cher.

Je ne parle même pas des traitements. Les programmes offrent un nombre limité de traitements, alors que l’individu en requiert bien davantage pour sa santé, son autonomie et son bien-être. En situation de pauvreté, où la personne va-t-elle couper pour s’offrir ces soins? Ce sera bien souvent dans les besoins de base.

[Traduction]

Si nous tenons réellement à sortir de la pauvreté les personnes en situation de handicap, nous devons comprendre que viser le seuil de la pauvreté n’est ni suffisant ni adéquat. J’espère que l’on tiendra compte de cela dans le processus de réglementation.

Je ne comprends toujours pas pourquoi le gouvernement refuse de divulguer son estimation. Bien sûr, je suis consciente que ce projet de loi vise à établir un cadre, mais le gouvernement y travaille depuis trois ans. Je suis convaincue que quelqu’un quelque part a une idée du montant qu’un gouvernement actuel ou futur devra prévoir dans son budget pour offrir cette mesure de soutien. Je suis impatiente de pouvoir poser la question au comité.

Qu’en est-il de la récupération de la prestation? Comment pouvons-nous nous assurer que cela ne se produise pas?

[Français]

Lors de l’étude du comité de l’autre endroit, on a entendu les témoignages de 3 individus et de 17 organisations et on a reçu 153 mémoires. La très grande majorité de ces témoins ont exprimé une grande inquiétude face à de possibles dérapages et récupérations. C’est aussi ce que les organisations à qui j’ai parlé m’ont dit. Je partage leurs craintes.

[Traduction]

Comment nous assurer que les provinces ne profiteront pas de cette occasion pour réduire ou supprimer d’autres programmes ou aides financières? Pourtant, on demande aux personnes en situation de handicap de faire preuve de confiance, même si l’histoire leur apprend que les programmes sont souvent supprimés lors des changements de gouvernement, que les compagnies d’assurance essaieront toujours d’en donner le moins possible, même si c’est un droit, et que les consultants trouveront toujours un moyen d’utiliser les vulnérabilités pour demander de l’argent pour simplement remplir des documents.

Comment assurer l’efficacité de la mise en œuvre, prévenir les récupérations de prestations, contrôler le système et protéger les personnes en situation de handicap en cas d’échec?

Permettez-moi de vous lire une intervention de John Stapleton dans le Hill Times. Cet ancien fonctionnaire de l’Ontario et expert en politique sociale agit à titre de consultant dans la conception de la prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap. Fort de toute son expérience, il nous rappelle que :

Le dossier des personnes en situation de handicap est de loin le plus complexe. Il existe dix régimes différents d’assurance‑invalidité au Canada. Ce n’est pas le cas de l’Allocation canadienne pour enfants. Ce n’est pas le cas pour les personnes âgées.

(1720)

Toujours selon lui :

Dans le domaine de l’invalidité, nous avons l’indemnisation des accidentés du travail, le Régime enregistré d’épargne‑invalidité, les prestations de maladie de l’assurance‑emploi, le Programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, deux programmes pour les anciens combattants, l’aide sociale, les programmes offerts par les employeurs, l’assurance contre l’invalidité causée par un accident. Tous ces programmes jouent dans le même bac à sable. Puis, voilà que l’on crée la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Remplace-t-elle ces programmes? Devrait-elle le faire? Ce sont des questions qui doivent être posées et auxquelles il faut répondre.

[Français]

Prenons par exemple le Québec, une province où le gouvernement offre, selon l’Office des personnes handicapées du Québec, 248 programmes, mesures et services destinés aux personnes handicapées, à leurs familles et à leurs proches.

Ces programmes et ces mesures, gérés par une vingtaine de ministères, peuvent prendre la forme de prestations directes de services et d’équipements. Cela peut aussi être des mesures fiscales, des crédits d’impôt remboursables ou non, des déductions, des exemptions ou encore des remboursements de frais ou des versements d’allocations directes.

C’est sans compter les personnes en situation de handicap qui reçoivent des rentes à la suite d’accidents de travail ou les indemnités pour les personnes victimes d’accidents de la route. J’en oublie certainement.

Comment fera-t-on pour mettre en pratique un système adéquat pour qu’une personne en situation de handicap ait accès à ces services et bénéfices provinciaux, pour calculer le soutien adéquat de la prestation canadienne et s’assurer que rien n’est récupéré?

[Traduction]

Ce qui me fait peur, ce n’est pas qu’une province récupère et supprime une prestation versée directement à des particuliers. Une telle situation ne tarderait pas à être signalée.

Ce qui me préoccupe, ce sont les petits programmes ou services, les personnes ou les organismes qui diraient : « Maintenant que la prestation vous permet de disposer d’un montant que vous n’aviez pas auparavant, nous n’avons peut-être pas besoin de subventionner ce deuxième traitement de physiothérapie par mois. Peut-être n’avons-nous pas besoin de payer le coussin prescrit à 800 $. » Cela sera beaucoup plus difficile à découvrir et tout aussi préjudiciable à la réalisation des objectifs du projet de loi.

La diminution des services obligerait les personnes handicapées à payer ces services avec la prestation, ce qui les ferait retomber dans la pauvreté. Comment s’assurer que tout cela est surveillé adéquatement? Si quelque chose tourne mal, et je soupçonne que ce sera le cas à un moment ou à un autre, comment pouvons-nous garantir pleinement que la personne handicapée ne sera pas responsable de prouver que quelque chose a été récupéré? C’est certainement possible, mais j’entrevois un niveau de complexité qui m’inquiète. Je ne suis pas certaine que nous ayons entendu beaucoup de solutions. Je suis impatiente d’explorer cet aspect de la question en comité, entre autres.

[Français]

Comment obtenir des engagements de la part des provinces, des compagnies d’assurances et des programmes subventionnés?

Les accords signés vont-ils rester les mêmes si les gouvernements fédéral et provinciaux changent? Comment s’assurer que même au fédéral ce montant ne changera pas avec les gouvernements? Est-ce que les paramètres et les critères à partir desquels les personnes seront admissibles tiendront compte des différentes définitions du terme « handicap » et d’une variété de critères d’admissibilité, non seulement entre les provinces, mais aussi au sein de celles-ci?

Je le disais dans mon introduction : j’ai énormément d’espoir, mais je me pose aussi énormément de questions.

[Traduction]

Chers collègues, permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions supplémentaires avant de conclure.

Dans notre pays fondé sur le partage des compétences et des responsabilités, ce n’est pas un seul grand projet de loi qui éliminera tous les obstacles et constituera une avancée décisive pour les personnes handicapées. Au contraire, ce sera de nombreuses mesures législatives différentes, comme autant de pièces d’un grand casse-tête, que nous devrons construire ensemble, une pièce à la fois. Ce projet de loi en fait partie. Il a le potentiel de changer les choses, mais il ne suffira pas.

Veillons à ne pas nous reposer sur nos lauriers. Il serait dommage d’utiliser ce projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées comme une justification ou une excuse pour cesser de travailler fort afin d’éliminer tous les obstacles. Bien que ce projet de loi puisse aider de nombreuses personnes, notre pays doit continuer à s’engager à supprimer les obstacles au travail, à l’éducation et à toutes les sphères de la vie pour les 6,2 millions de Canadiens qui vivent avec un handicap.

Continuons à mettre en lumière les défis, mais aussi les réussites des personnes handicapées au Canada.

Aujourd’hui, mes pensées vont à Judy Huemann, défenseure des droits des personnes handicapées, qui est décédée il y a quelques jours seulement. J’ai eu le privilège et le plaisir de croiser le chemin de cette légende à plusieurs reprises. Jamais victime, toujours pionnière, Judy, l’autoproclamée « guerrière sur roues » a dit :

Pour moi, le handicap ne devient une tragédie que lorsque la société ne nous fournit pas les choses dont nous avons besoin pour mener notre vie [...]

C’est une idée très simple, mais très difficile à mettre en œuvre.

J’espère qu’avec ce projet de loi, nous tâcherons à la fois de sortir des gens de la pauvreté et de leur permettre d’avoir confiance dans l’avenir, car lorsqu’on vit dans une grande pauvreté au quotidien, qu’on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve et qu’on doit choisir entre acheter des aliments et acheter les médicaments dont on a besoin, il est impossible d’envisager l’avenir avec espoir.

En sortant des personnes handicapées de la pauvreté, nous faisons plus que leur offrir une aide concrète. Nous leur offrons enfin de la sécurité et un répit qui les aide à prendre du recul et à réfléchir aux possibilités qui s’offrent à elles. Je peux vous assurer que le potentiel des personnes handicapées surpasse toujours leurs limites, du moins, lorsque les gens au pouvoir font leur travail en éliminant progressivement les obstacles auxquels ces personnes doivent faire face.

Honorables collègues, tâchons de nous attaquer à un obstacle très important, la pauvreté, en renvoyant le projet de loi C-22 à un comité.

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je propose :

Que la séance soit suspendue, pour reprendre à 20 heures, après une sonnerie de 15 minutes, ou à l’appel de la présidence, après une sonnerie de 5 minutes, selon la dernière éventualité.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je reconnais que nous nous trouvons actuellement sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je comprends le sentiment exprimé par la ministre Qualtrough et par le parrain au Sénat, le sénateur Cotter, quant au besoin urgent de sortir les personnes handicapées de la pauvreté; cependant, je ne pense pas que le projet de loi couvre les angles nécessaires pour garantir que les personnes handicapées soient en mesure de passer de la pauvreté à un revenu adéquat. Comme l’a déclaré notre collègue la sénatrice Kim Pate lors de son débat :

Malheureusement, le gouvernement veut faire adopter à la hâte un projet de loi qui n’a de prometteur que le nom.

Je comprends que le projet de loi est un cadre et qu’on prévoit établir les détails à la prochaine étape. Bien que je respecte cet idéal, j’ai des réserves et je pense qu’il est de notre responsabilité de veiller à ce que le cadre aborde les trois questions suivantes avant la prochaine étape.

Je signale que je partage bon nombre des préoccupations soulevées par la sénatrice Petitclerc dans le discours convaincant qu’elle a prononcé plus tôt dans la soirée.

Premièrement, le projet de loi doit garantir que le cadre offre des prestations suffisantes aux personnes handicapées; deuxièmement, il doit prémunir les prestataires contre la récupération des prestations d’aide sociale provinciale; troisièmement, il devrait viser l’équité pour les personnes qui ont des facteurs identitaires multiples.

J’aborderai brièvement chacun de ces trois aspects.

Chers collègues, ma préoccupation première quant à ce projet de loi concerne la suffisance du supplément de revenu. Comme l’a dit la porte-parole, la sénatrice Seidman, dans son discours, elle voit un problème avec :

[...] le caractère suffisant de la prestation pour les personnes handicapées et la nécessité de définir clairement que la prestation elle-même doit être supérieure au seuil de pauvreté.

Je suis d’accord avec ma collègue.

J’ai consulté Vince Calderhead, un avocat néo-écossais spécialisé en droits de la personne qui a travaillé en Nouvelle-Écosse pendant plus de 30 ans et qui est un ardent défenseur des droits des personnes handicapées et des questions liées à la pauvreté depuis des décennies. Voici ce qu’il a dit :

Avec le projet de loi C-22, le gouvernement fédéral est sur le point, pour la première fois en 40 ans, de fournir une aide au revenu adéquate aux personnes handicapées au Canada. Il n’y a jamais eu de meilleure occasion pour les parlementaires d’assurer un soutien adéquat pour les personnes handicapées. En matière de droits de la personne, nous devons inclure le « droit à un revenu convenable », parce s’en remettre au Cabinet pour s’assurer d’un revenu convenable n’est pas suffisant. Oui, il faut lui faire confiance, mais il faut également des protections en matière de droits fondamentaux de la personne et de responsabilité. La Constitution canadienne exige des gouvernements fédéral et provinciaux, à l’article 36, qu’ils s’engagent à « fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels ». Grâce au projet de loi C-22, c’est maintenant l’occasion de remplir les exigences de l’article 36 en ce qui a trait au revenu convenable pour les personnes handicapées au Canada.

L’objectif principal du projet de loi est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. Dans sa forme actuelle, rien ne garantit qu’il y parviendra.

La deuxième préoccupation que j’ai au sujet de ce projet de loi concerne le fait que le cadre fédéral doit empêcher les provinces d’aller récupérer les sommes versées pour des prestations existantes. Si on permet aux provinces de récupérer l’argent versé dans le cadre des programmes sociaux existants, le projet de loi ne servira à rien. Les personnes handicapées seront toujours aussi pauvres et, là encore, le projet de loi n’atteindra pas son objectif.

Ma troisième et dernière critique au sujet de l’efficacité du projet de loi C-22 porte sur la capacité de fournir des mesures d’aide équitables aux personnes aux prises avec des formes d’oppression interreliées. Par exemple, on dispose d’un nombre insuffisant de données sur l’expérience des Canadiens d’origine africaine ayant un handicap. Cependant, il existe un groupe de défense des droits dans ce domaine, l’organisme ASE Community Foundation for Black Canadians with Disability. La mission de cet organisme est de réduire les inégalités qui touchent les personnes noires, handicapées et les questions de genre.

L’organisme a publié un rapport intitulé The Intersection of Blackness & Disability in Canada, qui examine la racialisation de la pauvreté et les liens avec la situation de personne handicapée. L’organisme a conclu que 12,5 % des Canadiens noirs vivent dans la pauvreté comparativement à 7,3 % des personnes non racialisées. L’organisme décrit comment un écart salarial causé par le handicap et l’origine ethnique prend naissance en raison des barrières systémiques du capacitisme et du racisme, car ces barrières excluent les personnes handicapées, les Noirs et les personnes racialisées. Cette inégalité salariale a des répercussions sur la santé et le bien‑être des membres de ce groupe, ce qui contribue par le fait même à perpétuer le cycle de la pauvreté.

J’ai assisté à une assemblée publique de l’organise ASE au mois de février. Chaque Canadien noir présent a raconté son parcours parsemé d’embûches liées à la race et au handicap, deux réalités interreliées.

La combinaison du capacitisme et du racisme est une question que nous avons abordé en Nouvelle-Écosse. Les personnes handicapées sont stigmatisées, ce qui est un problème important, et l’accès aux ressources est difficile pour de nombreux Canadiens noirs. Dans le cadre d’un projet de recherche auquel j’ai participé, nous avons interrogé des Néo-Écossais africains handicapés. Mon équipe de recherche a constaté que les personnes victimes à la fois de racisme anti-Noirs et de capacitisme sont moins susceptibles de connaître les mesures de soutien et les services et d’y accéder. Elles sont victimes de stigmatisation et vivent dans la honte et le silence, ce qui les empêche de chercher à obtenir des services. En outre, de nombreux participants à l’étude ont déclaré que le fait d’être victime de racisme anti-Noirs au moment d’accéder à des services de soutien est un autre moyen de les maintenir en dehors de ces systèmes.

Ces réalités mettent en évidence quelques-unes des raisons pour lesquelles il est nécessaire d’inclure dans le cadre la prise en compte de l’équité à partir d’une perspective intersectionnelle.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne peut être considéré comme exhaustif et capable d’améliorer la vie de toutes les personnes handicapées. Les personnes handicapées ne sont pas un monolithe, et les politiques qui les concernent ne doivent pas être considérées comme ayant des répercussions égales. Chers collègues, il est temps que les luttes particulières des Afro‑Canadiens handicapés et des autres personnes handicapées racialisées soient prises en compte lors de l’élaboration d’un tel projet de loi, et non pas après-coup. Les solutions de politique équitables représentent un pas important vers une société équitable.

(2010)

Honorables sénateurs, je souscris à l’objectif du projet de loi, soit d’offrir un supplément de revenu aux personnes handicapées pour les sortir de la pauvreté. En fait, je suis très enthousiasmée par ses possibilités. Cependant, je ne crois pas que le projet de loi, dans son libellé actuel, atteindra cet objectif très important. Il ne prévoit rien pour que la prestation soit suffisante, compte tenu de la réduction des prestations provinciales, et ne tient pas compte des difficultés particulières aux personnes handicapées racisées qui ont besoin d’un soutien équitable.

J’attends avec impatience les témoignages d’experts pendant l’étude du projet de loi par le comité et j’invite mes collègues à réfléchir de manière critique à la mise en œuvre de ce cadre pour soutenir tous les Canadiens handicapés de façon mesurable.

Merci. Asante.

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je serai brève, car j’ai écouté mes collègues s’exprimer. Je pense que mes propos feront écho aux leurs et je ne vais pas répéter tout ce qu’ils ont dit. Tout d’abord, je voudrais remercier le sénateur Cotter d’avoir parrainé le projet de loi et tous les sénateurs qui ont exprimé leur appui et leurs préoccupations.

Je suis favorable à ce que le projet de loi soit renvoyé à un comité le plus rapidement possible. Le projet de loi C-22 vise l’objectif louable de réduire la pauvreté de personnes comptant parmi les plus vulnérables au Canada. L’esprit dans lequel le projet de loi a été élaboré a donné de l’espoir à des personnes qui vivent des situations très difficiles. Comme la sénatrice Petitclerc l’a dit tout à l’heure, 6,2 millions de Canadiens, dont 41 % ont l’âge de travailler, sont sans emploi.

Au cœur du projet de loi se trouvent les mesures visant à créer une société plus inclusive. Comme l’a dit le sénateur Cotter, la sécurité financière de base joue un grand rôle à cet égard. J’ai déjà parlé au Sénat des problèmes liés à la récupération des prestations par les provinces et, comme beaucoup d’entre nous, je trouve la situation très préoccupante. En l’absence d’accords avec les provinces et les territoires, il se peut que nous placions les prestataires dans une situation où ils font un pas en avant et deux pas en arrière, ce qui signifie que le projet de loi n’atteindra pas ses objectifs.

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec David Kron, directeur exécutif de l’association de la paralysie cérébrale du Manitoba, une personne qui a vécu toute sa vie avec un handicap et qui aide beaucoup d’autres personnes. Ce qui préoccupe M. Kron le plus au sujet du projet de loi, c’est le risque de voir les provinces récupérer les prestations versées aux personnes visées par le projet de loi C-22. Il craint aussi que les provinces se déchargent de leurs responsabilités à l’égard des services de soutien aux personnes dans le besoin.

En ce qui concerne le projet de loi C-22, il m’a dit ceci :

[Le projet de loi] représente un changement générationnel dans la manière dont nous soutenons les adultes handicapés au Canada, à condition qu’il n’y ait pas de récupération.

M. Kron est très favorable au grand pas en avant que cette mesure législative représente. Il a également souligné qu’il espérait que les règlements qui la sous-tendent ne serviraient pas de prétexte aux provinces et aux autres administrations pour supprimer des services comme les fauteuils roulants, l’aide au loyer et d’autres mesures de soutien en santé pour les personnes handicapées.

Cette prestation fiscale est une étape essentielle et elle pourrait permettre — je l’espère — de sortir beaucoup de personnes de la pauvreté. Je trouve encourageant que le sénateur Cotter estime que des ententes seront conclues, mais je suis aussi préoccupée par le temps que prendront ces négociations. Pour les personnes qui luttent pour l’inclusion depuis longtemps, l’idée d’un système disparate à l’échelle du pays n’a rien de rassurant en ce qui concerne les questions d’équité.

M. Kron m’a dit que le projet de loi répond à un grand besoin, et que l’association de la paralysie cérébrale et lui appuient vraiment son objectif : améliorer la vie des personnes en situation de handicap, qui, comme nous le savons, coûte très cher. Il est encouragé que le projet de loi inclut un mécanisme d’appel. Il a dit ce qui suit :

L’aspect le plus important du projet de loi C-22, c’est qu’il s’applique à tout le Canada, ce qui permet aux gens de déménager dans d’autres régions pour vivre près de leur famille sans avoir à attendre plusieurs années avant de présenter une nouvelle demande de prestation. Il semble que, dans certains cas, pour recevoir le soutien aux personnes handicapées de sa nouvelle province, les listes d’attente sont de cinq ans, ce qui oblige des gens à rester là où ils sont, souvent loin de leur famille.

À son avis, l’aspect pancanadien du projet de loi permettra aux gens de déménager sans ces délais d’attente.

Je souligne les dispositions du projet de loi qui semblent fournir des mesures de protection, par exemple, la publication des résultats des négociations fédérales-provinciales. La mesure la plus importante se trouve sous la rubrique « Collaboration », à l’article 11.1, qui prévoit ce qui suit :

Le ministre est tenu d’offrir à des personnes handicapées issues de milieux variés des possibilités réelles et exemptes d’obstacles de collaborer à l’élaboration et à la conception des règlements, notamment en ce qui concerne le processus de demande, les critères d’admissibilité, le montant de la prestation et le processus d’appel.

Il s’agit d’une étape très importante, et qui connaît mieux les problèmes de la communauté des personnes handicapées que ceux qui vivent avec un handicap?

Permettez-moi de vous donner un exemple : mon bureau a récemment embauché Gemma, une jeune femme qui a vécu toute sa vie avec des handicaps et qui a été aux prises avec de véritables difficultés économiques. Elle est forte et déterminée, et elle a pris sa vie en main dans toute la mesure du possible. Elle embauche ses propres aidants. Elle a rédigé pour nous un document, que nous publierons bientôt, intitulé Se lancer dans l’embauche en toute confiance : guide à l’intention des personnes handicapées pour l’embauche d’aidants. Bien qu’elle y parle ouvertement de ses difficultés financières et physiques, son document offre des conseils et une vue d’ensemble du processus d’embauche.

Titulaire d’un diplôme en gestion des loisirs et en développement communautaire de l’Université du Manitoba, Gemma fait du bénévolat depuis trois ans au centre St. Amant, qui est une maison pour personnes gravement handicapées. Ses collègues, qui ont obtenu leur diplôme du même programme en même temps qu’elle, ont été rémunérés pour leurs services. Plus récemment, elle a signé un contrat avec l’association de la paralysie cérébrale du Manitoba pour diriger et organiser deux journées de mouvement pour ses membres. Tout comme David Kron, Gemma appuie fermement le projet de loi C-22. Cependant, elle s’inquiète de la possibilité de récupération des prestations, ayant fait face à cette réalité dans le cadre du projet qu’elle a mené à mon bureau.

Le projet de loi améliorera la vie de nombreuses personnes, et j’espère qu’il permettra de les aider considérablement à long terme. J’espère vraiment que l’article 11.1 sera respecté, et que les personnes handicapées pourront contribuer à l’élaboration de règlements qui étofferont cette mesure législative. C’est essentiel pour répondre aux besoins des gens qui seront le plus touchés par celle-ci.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie étudiera bientôt le projet de loi, et les questions soulevées dans cette enceinte seront abordées. J’ai hâte à ces discussions et à ces témoignages.

En terminant, je veux vous remercier tous d’avoir fait part de vos commentaires et de vos inquiétudes, alors que notre comité s’apprête à étudier cette mesure législative.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je voudrais tout d’abord reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

J’aimerais, d’entrée de jeu, vous dire pourquoi je tiens à prendre parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu. Même si je ne suis pas membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je voudrais souligner certains éléments sur lesquels je suis d’avis que le comité devrait se pencher.

Je voudrais ensuite faire un parallèle avec une période historique que le Canada a traversée durant la première moitié du XXe siècle et vous parler de certains points sur lesquels j’aimerais que le comité s’interroge en ce qui a trait au titre du projet de loi.

(2020)

Pourquoi est-ce que je tiens tant à parler de ce projet de loi? C’est parce que le sujet m’interpelle en tant que parent. Je n’ai pas d’enfant handicapé, mais si j’en avais eu un, comment serais-je aujourd’hui? Je serais très angoissée par rapport à l’avenir. Ce projet de loi me réjouirait, parce que, comme l’a dit la sénatrice Petitclerc, il est plein d’espoir. Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous, ce projet de loi est très imprécis. Je n’ai jamais vu de projet de loi comme celui-là. Il a comme objectif principal de réduire la pauvreté et de renforcer la sécurité financière. On n’a aucune idée du montant qui sera alloué et on n’a aucune idée de la manière dont la prestation sera versée. On laisse au Cabinet le pouvoir d’en décider, ce qui ne garantit aucunement la pérennité de la mesure ni l’uniformité des objectifs visés.

Ne craignez rien, je vais voter en faveur de ce projet de loi, mais je vais demander au comité de faire son travail, comme il l’a déjà fait par le passé.

C’est vraiment le discours de la sénatrice Seidman qui m’a interpellée quand je l’ai relu... En fait, j’ai lu plusieurs discours dans lesquels on mentionnait que le Sénat a dit, en 2008 ou en 2009 ainsi qu’en 2018, que pour régler le problème de pauvreté des personnes en situation de handicap au Canada, il faut un revenu de base, pas un supplément de revenu. Cela a remis toutes mes idées en place.

Quand j’ai lu ce discours avec la référence au professeur Prince, je suis allée lire ses travaux et mes idées sont devenues claires. Le Sénat doit mettre la main à la pâte. Pourquoi? Parce qu’en lisant les propos de la ministre, qui nous a expliqué ce qu’elle voulait faire, j’ai constaté que l’on mettait l’accent sur un supplément de revenu à l’aide sociale.

On ne peut pas interpréter cela autrement. La ministre veut créer une prestation qui serait un supplément aux prestations d’aide sociale que reçoivent les personnes handicapées en âge de travailler. Les personnes vivant avec un handicap ne reçoivent plus ou alors perçoivent peu d’aide sociale après l’âge de 65 ans. Si elles en reçoivent, c’est pour d’autres raisons. Au Québec, en général, après 65 ans, plus personne ne reçoit de prestations d’aide sociale. Pourquoi? Parce qu’il y a la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, qui sont deux programmes fédéraux.

Si on parle d’un supplément de revenu pour les personnes en situation de handicap, on pense que ces personnes en âge de travailler continueront de recevoir de l’aide sociale et que l’on va bonifier la prestation d’aide sociale. On va essayer de négocier avec les provinces pour ne pas qu’il y ait de récupération, mais elles vont encore bénéficier de l’aide de dernier recours. C’est là où il y a un malentendu, et j’espère que le comité va essayer de travailler sous cet angle. Les provinces ont pour mission d’assurer une aide de dernier recours. C’est en dernier recours qu’on se tourne vers la province. Le gouvernement fédéral ne peut pas se mettre dans une situation où il va suppléer l’aide de dernier recours. Il faut donc changer d’approche.

Comment peut-on sortir les personnes en situation de handicap de l’aide sociale et de la pauvreté, si on les maintient dans les programmes d’aide sociale? Poser la question, c’est y répondre.

J’espère que le comité se penchera sur cette question.

Je me suis dit : « Va donc voir, Diane, ce que tu as écrit dans les années 1979 et 1980, quand tu préparais ta thèse de doctorat. » Je suis retournée à ma thèse de doctorat de 800 pages, qui portait sur l’évolution des programmes sociaux au Canada. Dans ma thèse, j’ai peu traité des personnes en situation de handicap, mais j’ai examiné avec beaucoup d’attention comment on a réussi à sortir de l’aide sociale les personnes âgées de plus de 70 ans et, aujourd’hui, celles de plus de 65 ans.

Vous savez, je ne m’en souvenais plus, mais je me suis rappelé que j’avais beaucoup regardé les travaux du Sénat pendant que je rédigeais ma thèse de doctorat. Le Sénat a joué un rôle majeur dans l’adoption des programmes visant à sortir les personnes âgées de l’aide sociale. Cela a commencé assez tôt. Pour résumer en capsule, très rapidement, le gouvernement fédéral, poussé par la théorie macroéconomique de Keynes, a décidé d’investir dans la sécurité du revenu pour les familles nombreuses afin de les sortir de l’aide sociale, et ce, grâce à la création de l’allocation familiale universelle en 1945.

En 1951, il a adopté la Loi sur la sécurité à la vieillesse pour sortir les personnes de 70 ans et plus qui dépendaient toutes de l’aide sociale. Cela a fait son temps. Au début, cela a fonctionné. Toutes les personnes de 70 ans et plus touchaient une pension universelle et, dans les années 1960, l’urbanisation a fait que les personnes âgées bénéficiaient encore de l’aide sociale.

Les gouvernements ont rapidement décidé d’adopter le Régime de rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada. On se disait qu’avec ces régimes contributifs, on pourrait sortir les personnes âgées de l’aide sociale, mais qu’en attendant, avec les prestations de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, ces personnes pourraient avoir un revenu de base. Aujourd’hui, ce revenu de base se situe autour de 20 000 $ pour une personne ayant peu de revenus, ce qui permet d’échapper à la pauvreté.

Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de technologie, vous qui allez hériter de ce projet de loi, j’aimerais que vous regardiez plus en détail la possibilité de créer un programme et même de vous pencher sur cette question. Le gouvernement fédéral a déjà des mécanismes en place avec lesquels il pourrait travailler, dont le crédit d’impôt non remboursable pour les personnes en situation de handicap. En bonifiant ce crédit d’impôt et en le rendant remboursable, on pourrait permettre à toutes les personnes en situation de handicap sévère de toucher un revenu. Cela amène à la question suivante : comment allons-nous définir la situation de handicap? Je pense que le comité aura du travail à faire.

Je vous invite à examiner ce que font les provinces et le Québec à cet égard. Pendant longtemps, au Québec, on ne voulait pas définir les personnes en situation de handicap comme des personnes handicapées. On ne voulait pas non plus les traiter comme des personnes inaptes, alors on a adopté la notion de « personnes en âge de travailler avec des contraintes sévères ou légères à l’emploi ». Cela permet, du moins au Québec, aux personnes qui ont des contraintes sévères et permanentes à l’emploi de bénéficier du Programme de solidarité sociale et aux personnes ayant des contraintes légères et temporaires à l’emploi de bénéficier du Programme d’aide sociale. Les barèmes et les incitatifs à l’emploi sont différents pour ces deux programmes.

Je vous invite à examiner cette question et à étudier ce projet de loi sous l’angle du plan d’action formidable qu’a déposé la ministre Qualtrough en faveur de l’intégration à l’emploi des personnes en situation de handicap qui sont en âge de travailler. Le professeur Prince a proposé, lui aussi, un plan d’action qui rejoint ce que la ministre a proposé.

Je vous invite à examiner le problème sous un autre angle. En effet, rappelez-vous que l’angle d’un supplément à l’aide sociale veut dire que les personnes restent à l’aide sociale.

(2030)

Le deuxième point dont je voulais parler est le suivant : évidemment, la collaboration fédérale-provinciale sera nécessaire pour se doter d’un plan qui ne fournit pas seulement une aide financière, mais qui assure également une intégration. Ce n’est peut-être pas l’objectif du projet de loi, mais, de toute manière, il s’agit d’une occasion d’agir pour atteindre un objectif commun. Par ailleurs, qui peut s’opposer à cet objectif de réduire la pauvreté pour les personnes en situation de handicap? Je pense qu’aucune province ne pourrait faire cela. Le gouvernement a peut-être ici la possibilité de tenir des rencontres plus régulières avec les provinces pour réaliser un objectif commun.

C’est gros comme proposition; ce n’est peut-être pas aux membres du comité de le faire, mais je tenais à le dire, car voilà une occasion de créer des institutions fédérales-provinciales qui pourront instaurer un fédéralisme plus collaboratif en matière sociale.

Mon dernier point a trait au changement du titre. Pourquoi changer le titre? Parce que, comme il n’est pas acceptable en anglais de parler de handicapped people, il n’est pas plus acceptable en français, dans le langage courant, de parler de personnes handicapées. Pourtant, on trouve ces mots dans la traduction du projet de loi. Cela m’a surprise. Quand j’ai lu le plan d’action de la ministre, on ne parle nulle part en français de personnes handicapées; on parle de personnes en situation de handicap. Il s’agit donc de quelque chose d’important.

En terminant, sur la question du titre du projet de loi, j’ai deux éléments à mentionner pour vous faire rire. J’ai oublié de vous lire quelque chose. Il s’agit d’un rapport du Sénat qui, en 1963, parlait des personnes âgées; vous pourrez faire un parallèle avec les personnes en situation de handicap. Le rapport du Sénat, présidé par le sénateur Croll, disait ce qui suit :

[Traduction]

Après étude, le Comité est d’avis que le point de vue de ceux qui préconisent le revenu garanti face au problème du revenu des personnes âgées est très bien fondé. En plus de sa simplicité administrative (par comparaison avec l’assistance publique) et du niveau peu considérable des dépenses publiques que cela supposerait (par comparaison avec une augmentation équivalente de la pension de sécurité de la vieillesse), la proposition, selon nous, a deux grands avantages : elle évite l’évaluation des besoins qui n’est guère prisée et à laquelle nous n’aimerions pas astreindre plusieurs centaines de milliers de personnes à la retraite et, bien plus, elle comporte les moyens les plus efficaces que nous ayons trouvé pour remédier à l’inégalité avec laquelle nous traitons actuellement ceux qui sont déjà à la retraite ou qui sont sur le point de prendre leur retraite; c’est un point qui nous a causé beaucoup de soucis.

[Français]

Je voulais le mentionner. Je voulais aussi vous lire une petite note de traduction de Renée Canuel-Ouellet.

Son Honneur le Président : Sénatrice Bellemare, votre temps de parole est écoulé; demandez-vous cinq minutes de plus pour terminer?

La sénatrice Bellemare : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

La sénatrice Bellemare : Merci.

Je poursuis avec la citation de la note de traduction :

L’expression person with a disability a le fâcheux effet de semer le désarroi chez les traducteurs appelés à la rendre en français. La crainte d’offusquer en ne respectant pas la terminologie politiquement correcte est bien sûr à l’origine de ce sentiment, du reste fort compréhensible. Au fait, doit-on parler de personnes handicapées? À moins qu’il ne faille dire personnes ayant une incapacité… ou une déficience? Comment faire pour démêler toutes ces notions? C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui vient à notre rescousse. Sa Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps propose trois définitions [...]

Je vous laisse avec ceci; j’espère que le comité pourra étudier cette question, parce que je pense qu’elle mérite notre considération.

Merci beaucoup.

[Traduction]

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je souhaite me joindre aux collègues qui ont pris la parole précédemment pour exprimer ma reconnaissance au sénateur Cotter pour son leadership sur ce projet de loi, mais aussi pour partager mon avis sur un certain nombre de points très importants qui ont été soulevés.

En tant que sénatrice du Manitoba, je tiens à souligner que je viens du territoire visé par le Traité n° 1, le territoire traditionnel des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie des Métis de la Rivière-Rouge.

[Français]

Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.

[Traduction]

Chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis est extrêmement important. En disant cela, je ne cherche en aucun cas à enlever quoi que ce soit aux autres projets de loi dont nous sommes saisis, mais ce projet de loi revêt un caractère particulièrement urgent. Les personnes en situation de handicap au Canada continuent d’être confrontées à une exclusion économique et sociale disproportionnée. Elles sont nombreuses à vivre sans les ressources et le soutien suffisants pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires.

Les spécialistes de la condition des personnes en situation de handicap s’accordent indéniablement à dire qu’une mesure législative fédérale destinée à fournir du soutien au revenu est nécessaire et qu’elle aurait dû être adoptée il y a bien longtemps. Le projet de loi C-22 a été qualifié de mesure historique — comme on n’en voit qu’une fois par génération — visant à corriger des torts ancrés depuis trop longtemps.

Le sénateur Cotter a déclaré que cette prestation est la pierre angulaire du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada et qu’elle représente « l’engagement d’une génération ». Il s’agit donc d’un problème urgent, mais le caractère urgent de ce problème ne signifie pas uniquement qu’il faut agir rapidement. Cela signifie également que nous devons répondre à la nécessité fondamentale, persistante et pressante de résoudre ce problème urgent. En bref, cela se résume à ceci : il faut agir rapidement, mais il est préférable d’agir de façon à la fois efficace et rapide.

C’est ce type d’urgence que je souhaite aborder. Dans notre empressement à trouver une solution rapide, je crains que nous ne passions à côté de l’essentiel, qui consiste à s’attaquer correctement au besoin persistant lui-même, ce que le projet de loi C-22 ne permet malheureusement pas de faire.

J’attends une consultation qui devait avoir lieu aujourd’hui, mais qui aura maintenant lieu demain. Je veux être absolument sûre que les points que je souhaite soulever concordent avec ceux qui seront soulevés au cours de cette consultation. Si vous me le permettez, j’aimerais ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je dispose.

(Sur la motion de la sénatrice McPhedran, le débat est ajourné.)

(2040)

Le Budget des dépenses de 2022-2023

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget supplémentaire des dépenses (C)

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 16 février 2023, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

Le Budget des dépenses de 2023-2024

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget principal des dépenses

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 16 février 2023, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu propose que le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-205 tel que modifié, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), projet de loi que j’ai déposé à l’étape de la première lecture le 24 novembre 2021.

Vous le savez, ce projet de loi me tient particulièrement à cœur. Il a été déposé dans l’objectif de lutter contre la violence conjugale, un terrible fléau qui fait chaque année de trop nombreuses victimes, qui sont majoritairement des femmes.

La violence conjugale se caractérise actuellement par des violences physiques, sexuelles, psychologiques et économiques. C’est un phénomène cyclique qui commence bien souvent par une phase de tension entre les deux partenaires intimes, où les victimes se sentent en danger et où l’anxiété les paralyse et leur enlève tous leurs moyens. Je me souviendrai longtemps du touchant témoignage de Mme Diane Tremblay, une survivante de cette forme de violence, qui est venue témoigner au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lors de l’étude du projet de loi C-3.

Permettez-moi de citer un passage de ce témoignage :

Ensuite, nous avons emprunté le chemin de la Montagne, à Hull, qui mène sur un chemin de campagne très boisé. Nous nous sommes rendus au bout du chemin, près d’un terrain de golf. Il essayait de m’étourdir pour que je ne sache pas où nous étions, mais j’observais tout. Il faisait tout pour que je ne me retrouve plus et pour me terroriser encore plus.

Il m’a ordonné de lui remettre mon cellulaire, ce que j’ai fait. Il disait : « T’auras pas ton cellulaire, comme ça, tes enfants ne pourront pas te rejoindre ni me déranger [...] » Nous avons fait le tour du collège jusqu’en arrière, dans un grand stationnement. Il a stationné la voiture juste à côté d’un boisé. Il a enlevé mes lunettes, il a commencé à m’embrasser, je n’avais pas le choix de me laisser faire. Je savais que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, ma vie était définitivement encore plus en danger. On le ressent terriblement.

Malheureusement, ce soir-là, Mme Tremblay a été agressée sexuellement. Cette phase de tension dont je parlais correspond à celle de l’agression, quand le délinquant peut s’attaquer physiquement à sa partenaire, la violer, l’insulter verbalement et la menacer de mort. Les victimes en sortent blessées dans leur chair et humiliées par leur agresseur.

Trop souvent, les agresseurs tentent de justifier leurs actes à leurs victimes et finissent par trouver un moyen tordu pour en arriver à une forme de réconciliation avec elles, profitant ainsi de leur vulnérabilité pour leur imposer une domination malsaine. Ce cycle se perpétue et entraîne une escalade de violence, où les agresseurs éprouvent un sentiment d’impunité qui, ultimement, peut conduire au pire, soit à l’homicide.

Je rappelle qu’en 2021, 173 femmes ont été assassinées au Canada, dont 26 au Québec, et que 55 % d’entre elles l’ont été dans un contexte de violence conjugale et familiale. En 2022, c’est 185 femmes qui ont été assassinées parce qu’elles avaient osé crier : « Assez, c’est assez. » Je qualifie ces quatre dernières années d’années meurtrières pour les Canadiennes.

Les femmes qui décident de briser ce cycle de violence se mettent automatiquement en danger. Elles doivent sacrifier leur vie en se cachant dans des centres d’hébergement, en quittant leur emploi et leur logement, bien souvent en ayant la charge complète de leurs enfants. Malheureusement, la plupart d’entre elles ne font pas confiance au système de justice qui ne les protège pas. En effet, en 2019, 80 % des victimes de violence conjugale ont déclaré que la violence qu’elles avaient subie n’avait pas été signalée à la police.

Au cours de la même année, et selon Mme Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec, uniquement au sein de cette fédération, 300 femmes ont été victimes de tentative de meurtre sans que ces agressions soient signalées à la police. Ces statistiques sur les tentatives de meurtre devraient tous nous alerter et nous pousser à agir. Le port du bracelet antirapprochement, par exemple, serait un moyen de les encourager à dénoncer leur agresseur et de se sentir en sécurité pour la suite des choses.

Le manque de confiance des victimes de violence conjugale est appuyé par les nombreux cas d’homicides que nous avons tristement appris par les médias. J’aimerais vous citer à cet égard le témoignage du père de Daphné Huard-Boudreault, cette jeune femme de 18 ans qui a été assassinée par son ex-partenaire le 22 mars 2017. Il a dit ce qui suit :

La journée du drame, plusieurs signes avant-coureurs auraient dû alarmer les autorités. Malgré l’intervention de plusieurs policiers à la suite d’un appel à l’aide de Daphné, malgré plusieurs infractions commises, le futur assassin quitta en taxi, sans même avoir fait l’objet d’une enquête [...]

Le premier féminicide survenu au Québec en 2021 est également un autre exemple. L’assassin était un multirécidiviste en attente de son procès, car il avait commis 50 infractions criminelles au cours de sa vie, dont 11 liées à la violence conjugale et 3 liées à des agressions sexuelles. De manière tout à fait incompréhensible, il a, malgré tout, été remis en liberté après avoir été arrêté pour avoir brisé pour la troisième fois ses conditions de libération, et il a assassiné sa conjointe 10 jours plus tard.

Chers collègues, avec un tel exemple, comment pouvons-nous demander aux femmes de dénoncer leur agresseur? Il est absolument insoutenable qu’une victime prenne le risque de dénoncer son agresseur, pour se faire assassiner dès que son conjoint est libéré sous caution.

Ces exemples, parmi tant d’autres, témoignent de la permissivité du système de justice pénale. De trop nombreux assassinats se produisent après que les victimes ont dénoncé. C’est l’une des raisons qui expliquent le manque de confiance des victimes envers le système judiciaire.

Il y a trois ans, j’ai été approché par un regroupement de plus d’une centaine de femmes, toutes victimes de violence conjugale, de tentative de meurtre, de voies de fait graves, d’agressions sexuelles et de violence psychologique. Ces femmes ont traversé des moments particulièrement éprouvants, et la plupart en portent encore les séquelles. Ces femmes voulaient concrètement faire bouger les choses et, par le fait même, sauver la vie de femmes victimes de violence conjugale. Elles n’ont pas fait cela pour elles, elles l’ont fait pour les autres femmes.

Malgré les épreuves terribles qu’elles ont vécues, ces femmes se sont organisées pour réfléchir à des solutions en vue de remédier au problème de la sécurité des victimes de violence conjugale à l’étape de la dénonciation auprès des services de police. C’est en unissant leurs forces et en travaillant d’arrache-pied que ces femmes ont participé à la création du projet de loi S-205, qui vise à renforcer le Code criminel afin de mettre en place des mesures de sécurité préventives au début du processus judiciaire, lorsqu’une femme décide de dénoncer la violence qu’elle a subie.

Afin de résumer les principes de ce projet de loi, j’aimerais partager avec vous un passage du témoignage de Sarah Niman, conseillère juridique de l’Association des femmes autochtones du Canada, qui est venue témoigner lors de l’étude du projet de loi S-205.

[Traduction]

Lorsqu’une femme autochtone surmonte sa méfiance et demande de l’aide à la police, le Code criminel renvoie l’agresseur chez lui pour qu’il continue à faire du mal à sa victime pendant que tous les autres attendent que les juges, les procès et les procédures régulières suivent leur cours. Ce n’est pas à une femme autochtone de convaincre les autres qu’elle est digne de vivre en sécurité et d’être protégée. Le projet de loi S-205 vise à donner une voix aux victimes de violence. Ce projet de loi impose au système de justice pénale la responsabilité de prendre contact avec les victimes, de tenir compte de leur sécurité tout au long des procédures et de produire des résultats qui tiennent compte de leur sécurité. Le projet de loi S-205 ne crée pas une réponse expressément adaptée aux femmes autochtones, mais il crée un cadre leur permettant d’être vues et entendues dans un système où elles ne le seraient pas autrement.

(2050)

[Français]

Honorables sénateurs, comme je l’ai souvent mentionné dans mes discours sur le sujet, les plus récentes statistiques montrent l’inquiétante ampleur de la violence conjugale, qui ne cesse d’augmenter année après année.

Entre 2019 et 2022, il y a eu une augmentation de 36 % du nombre de femmes et de filles violemment assassinées au Canada, soit 118 en 2019 et 185 en 2022. Avec ces chiffres, vous comprendrez très bien, chers collègues, le sens des mots « années meurtrières ».

D’après Statistique Canada, en 2021, c’est 537 femmes par tranche de 100 000 personnes qui ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale. Il s’agit d’une augmentation continue depuis sept ans déjà.

Toujours en 2021, les services de police ont dénombré 114 132 victimes de violence de la part d’un partenaire intime, soit une hausse de 2 % par rapport à 2020. Une hausse marquée des agressions sexuelles de niveau 1 a également été observée chez les partenaires intimes — +22 % —, comparativement à 2020.

D’après l’Ontario Association of Interval and Transition Houses, dans cette province, une femme a été assassinée chaque semaine entre le 26 novembre 2021 et le 25 novembre 2022. C’est donc 52 féminicides en 52 semaines.

Le constat n’est guère plus reluisant au Québec, chers collègues. Mme Claudine Thibaudeau, porte-parole de l’organisme SOS violence conjugale, a affirmé qu’elle avait répertorié 12 féminicides en 12 semaines.

En 2021, le Québec a connu une hausse de 28 % de cas de violence entre partenaires intimes.

À l’échelle plus locale, par exemple, le Service de police de la Ville de Québec a dû embaucher cinq nouveaux policiers qualifiés en matière de violence conjugale pour faire face à une augmentation constante de 25 % des plaintes chaque année.

Afin de répondre à ce portrait statistique alarmant, rappelons que le projet de loi S-205 donne la possibilité à un juge d’ajouter la condition de l’imposition du bracelet électronique lorsqu’il décide de remettre un prévenu en liberté après sa première comparution ou de lui imposer une ordonnance 810.

La surveillance électronique permet de dresser un périmètre de sécurité entre les deux partenaires intimes. En cas de non-respect du périmètre de sécurité par la personne qui est soumise à la condition, la victime et les autorités sont immédiatement alertées. Cela donne une chance à la victime de se mettre en sécurité et cela donne aux autorités la possibilité d’intervenir pour éviter un drame. Cette information devient également indispensable pour les policiers, afin de prouver que l’agresseur n’a pas respecté les conditions de son ordonnance s’il doit se représenter devant un juge.

Le bracelet électronique est un outil de plus en plus utilisé partout dans le monde pour lutter contre la violence conjugale. En 2020, l’Assemblée nationale française a fait adopter un projet de loi proposant de recourir au bracelet électronique. D’après les statistiques que j’ai à ma disposition, au 1er avril 2022, l’imposition de 995 bracelets antirapprochements avait été prononcée par les autorités françaises.

Toujours en France, en mai 2021, une jeune femme du nom de Chahinez, mère de trois enfants, a été assassinée par son ex-conjoint après que celui-ci a été remis en liberté. Ce dernier a tiré trois coups de feu dans les jambes de la jeune femme, avant de l’asperger de liquide inflammable et de la brûler vive.

À la suite de ce drame d’une violence extrême, le garde des Sceaux, M. Dupond-Moretti, lors d’un point de presse, a exprimé sa colère envers le système de justice, qui n’avait pas eu recours dans ce cas-ci au bracelet électronique. Il a alors déclaré que les bracelets antirapprochements, et je cite, « n’ont pas vocation à rester dans les tiroirs ».

Trois semaines après ce drame qui a profondément choqué l’opinion publique française, le recours aux bracelets antirapprochements a augmenté de 65 %.

La France s’est inspirée de l’Espagne, qui a fait ses preuves et qui est un modèle dans le monde. Comme l’a expliqué le sénateur Dalphond dans son discours sur le projet de loi C-233, l’Espagne s’est dotée de tribunaux spécialisés, de policiers formés et d’une campagne nationale de sensibilisation du public à la violence conjugale. Ces efforts ont permis d’assurer une diminution de 25 % du taux de féminicides, et aucune femme portant un avertisseur lié au bracelet antirapprochement n’a été assassinée. Aucune.

C’est sur ces modèles européens que le groupe de travail formé de survivantes de la violence conjugale et moi nous sommes basés pour proposer d’ajouter le bracelet électronique comme condition de remise en liberté pour éviter des drames comme celui d’Elisapee Angma, de Daphné Huard-Boudreault et de bien d’autres. Voilà des féminicides qui auraient pu être évités avec le port du bracelet électronique, des féminicides qui ne devraient plus jamais se produire, compte tenu de la technologie que nous avons et qui a fait ses preuves.

D’après Statistique Canada, en 2018, dans 60 % des cas d’homicides entre partenaires intimes, les antécédents de violence conjugale de l’agresseur étaient déjà connus de la justice. Au Québec, en 2015, les voies de fait représentaient 70 % des infractions dans un contexte conjugal.

J’aimerais vous citer le témoignage de deux victimes de violence conjugale qui sont venues témoigner à titre personnel lors de l’étude du projet de loi S-205. Je commencerai par celui de Mme Dayane Williams, qui a dit ce qui suit :

S’il portait le bracelet, oui, je pourrais aller au gymnase et avoir ma liberté [...] cela va faire diminuer mon anxiété et je vais retrouver ma liberté. Je suis des séances de thérapie et on me dit qu’il faut aller marcher, aller au gymnase, que je ne peux pas rester enfermée. Je pense toujours à la possibilité qu’il m’attaque pendant que je me trouve avec mes enfants. S’il décide de m’enlever la vie, je ne suis pas en sécurité.

S’il porte le bracelet et qu’il s’approche de l’endroit où je me trouve, avant que j’appelle au 911, la police sera déjà sur place. Le bracelet les alertera. Alors qu’il a commis un acte criminel, voilà qu’il se balade comme s’il n’avait rien fait, et c’est moi qui dois me cacher chez moi. Il est donc, pour l’instant, gagnant : lui a sa liberté et moi je ne l’ai pas.

Je poursuis avec le témoignage de Mme Martine Jeanson, et je cite :

Vous avez dit qu’on ne se sentirait pas en sécurité. Présentement, ce n’est pas juste qu’on ne se sent pas en sécurité, on n’est pas en sécurité.

Peut-être que le bracelet ne serait pas parfait, mais ce qu’il pourrait nous donner pourrait sauver beaucoup de vies. Les bracelets ne sont pas juste défectueux, déjà là, il y aurait des vies qui seraient sauvées. On ne se fie pas juste là-dessus, mais présentement, on ne peut se fier sur rien. On ne le voit pas venir tandis que là, on aurait une chance, quelle que soit la petite chance que vous allez nous donner, mais on a une chance de les voir arriver. [...] j’ai subi un viol collectif et j’ai été retrouvée comme morte, et peut-être que s’il y avait eu ce bracelet, ce ne serait pas arrivé. Quelles que soient les chances ou la probabilité que ce soit meilleur avec la technologie, ça pourrait sauver beaucoup de vies.

Ces témoignages sont un reflet de ces 150 femmes victimes de violence conjugale qui nous demandent d’adopter le projet de loi S-205, pour que le bracelet électronique puisse assurer la protection qu’elles méritent. Comme le disait Mme Williams, c’est la liberté que nous pourrions rendre à ces femmes avec l’imposition du bracelet, et comme le disait Mme Jeanson, quelle que soit la chance ou la probabilité que ce soit meilleur avec la technologie, celle-ci pourrait sauver beaucoup de vies.

Ces citations que je viens de partager avec vous et qui résonnent dans cette Chambre sont lourdes de sens.

(2100)

Notre mission et notre responsabilité sont de faire tout en notre pouvoir pour sauver la vie de ces femmes et de celles qui subiront cette forme de violence à l’avenir.

Le deuxième aspect de mon projet de loi apporte une modification à l’article 810 du Code criminel, par lequel un juge pourra ordonner à un défendeur de contracter un engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’observer une bonne conduite pour une période maximale de 12 mois, afin de protéger une personne qui a des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité et sa santé.

Actuellement, l’article 810 du Code criminel est un régime général de justice préventive qui ne requiert pas qu’une infraction soit commise, mais il crée une source de responsabilité criminelle. Une violation à l’une des conditions imposées dans l’engagement peut entraîner pour l’accusé une accusation en vertu de l’article 811 du Code criminel et, en cas de culpabilité, une peine allant jusqu’à un emprisonnement maximal de quatre ans.

L’ordonnance 810 du Code criminel, mieux connue sous le nom « interdit de contact », est régulièrement utilisée dans le contexte de la violence conjugale. En novembre 2020, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, ainsi que des chercheurs de l’UQAM et de l’Université de Montréal, ont présenté un rapport sur l’utilisation de l’article 810 du Code criminel et sur le point de vue des victimes. Le rapport a montré un recours accru aux ordonnances 810, qui sont proposées en lieu et place d’un procès ou d’accusations criminelles.

J’aimerais vous citer un passage du rapport qui illustre mon propos :

Des participantes se sont fait recommander le 810 comme alternative à la lourdeur du système judiciaire et aux difficultés émotionnelles reliées à leur témoignage en cour ou encore comme une mesure de protection plus efficace qu’un procès qui risque d’être perdu.

Une victime avait déclaré ce qui suit :

Et là, la dame (secrétaire juridique) me dit : « Ah, vous savez, il n’y a pas assez de juges, il n’y a pas assez de salles. À X, on est débordé. Pour votre sécurité, vous devriez demander un 810. On enlèverait la plainte, mais au moins vous seriez en sécurité. »

Cet extrait du rapport montre les failles de notre système de justice qui peine à assurer adéquatement la sécurité des femmes victimes de violence conjugale qui ont fait le choix courageux de dénoncer. Une ordonnance 810 qui n’est assortie d’aucun mécanisme de surveillance ni d’aucune approche thérapeutique n’est au fond qu’un bout de papier qui est donné en guise d’avenue expéditive aux victimes de violence conjugale. C’est une approche irresponsable et dangereuse qui est de plus en plus privilégiée par notre système de justice et qui met la vie des victimes de violence conjugale en danger; certaines d’entre elles ont même été assassinées.

J’aimerais vous citer un autre passage du rapport :

Plusieurs femmes apportent une nuance quant à l’utilité des conditions imposées dans le cadre d’un article 810 ou dans le contexte d’une remise en liberté en attente d’un procès : elles sont utiles dans la mesure où les bris de conditions sont dépistés, pris au sérieux et punis. Autrement, elles n’ont qu’une force symbolique qui agit comme un écran de fumée et contribue à alimenter un faux sentiment de sécurité ainsi qu’un cynisme à l’égard du système de justice.

Cette citation, honorables sénateurs, est appuyée par un article scientifique paru en 2017, intitulé « Les femmes victimes de violence conjugale à la marge du système pénal : l’engagement 810 du Code criminel », écrit par deux professeurs de l’Université de Montréal qui ont mené une étude auprès de plusieurs victimes de violence conjugale, qui étaient censées être protégées par l’ordonnance 810. Sur ces 15 femmes, 8 ont déclaré avoir dû rappeler les policiers, car leurs ex-conjoints ne respectaient pas les conditions de l’ordonnance en vigueur. Il s’agit donc d’un peu plus de la moitié, ce qui correspond aux données publiées par Statistique Canada en 2015.

Plus généralement, le non-respect d’une ordonnance remise par le système de justice a tendance à augmenter. En 2015, Statistique Canada a révélé que les causes dans lesquelles on trouvait une accusation en lien avec le défaut de se conformer à une ordonnance ont augmenté de 25 % entre 2004 et 2014. Les accusations de manquement à une ordonnance de probation ont connu une augmentation de 21 %.

Si l’on prend simplement les années 2013 et 2014, on peut constater que le défaut de se conformer à une ordonnance représentait 50 % des infractions contre l’administration de la justice. Le manquement à une ordonnance de probation a été établi à 33 % des cas dans le système de justice. On constate que lorsque les agresseurs sont en attente d’un procès ou sont libérés conformément à une ordonnance 810, la sécurité et la vie des victimes sont menacées.

Afin d’apporter une solution constructive, importante et efficace au problème que pose le recours de plus en plus fréquent aux ordonnances 810 du Code criminel qui sont utilisées régulièrement dans un contexte de violence conjugale, j’ai choisi, au moyen du projet de loi S-205, de modifier le Code criminel et d’ajouter une nouvelle ordonnance 810 spécifique à la violence contre un partenaire intime. Celle-ci sera assortie de nouvelles conditions qui seront mieux adaptées aux situations que vivent les femmes victimes de violence conjugale, comme le bracelet électronique.

Cette nouvelle ordonnance serait également une manière de reconnaître dans le Code criminel le problème spécifique que pose la violence contre un partenaire intime. Elle s’ajouterait aux autres ordonnances 810 présentes dans le Code criminel qui sont spécifiques à certains délits, comme l’ordonnance 810.2, intitulée En cas de crainte de sévices graves à la personne, et l’ordonnance 810.011, intitulée Crainte d’une infraction de terrorisme.

Dans cette nouvelle ordonnance 810, le projet de loi prévoit la possibilité pour un juge d’imposer un suivi pour une thérapie en toxicomanie et en violence conjugale. Il faut briser les portes tournantes de la violence conjugale et responsabiliser les agresseurs.

C’est pourquoi ce projet de loi adopte une approche basée à la fois sur la surveillance, avec le bracelet électronique, et également sur la réhabilitation des agresseurs, avec la thérapie. Si nous n’essayons pas de nous pencher sur les causes de la violence conjugale, nous ne réglerons jamais ce fléau qui continuera de s’accentuer. Si nous n’essayons pas de traiter le comportement des hommes violents, nous continuerons à cacher les femmes violentées et à construire de plus en plus de centres d’hébergement, mais les femmes victimes resteront continuellement en danger.

Les thérapies pour hommes sont encore embryonnaires au Canada, mais de nombreuses initiatives pour aider les hommes violents voient le jour, notamment en Ontario et dans certaines communautés autochtones du Manitoba. J’en profite pour remercier sincèrement la sénatrice McCallum, qui m’a fait connaître d’excellentes intervenantes de ces communautés qui effectuent un travail exceptionnel dans ce domaine. Merci, madame la sénatrice.

Au Québec, une ligne téléphonique pour hommes violents a été mise en place en novembre dernier et sert la région de Chaudière‑Appalaches, au sud de Québec. La ligne STOP Violence permet aux hommes violents de demander du soutien lorsqu’ils sont à risque de commettre un acte de violence conjugale. Cette ligne téléphonique, dont les appels sont assurés par trois organismes d’aide aux hommes violents, a reçu 2 000 appels en huit mois depuis qu’elle est en fonction.

Il est impératif de s’attarder aux victimes et aux agresseurs pour obtenir de meilleurs résultats. Voilà donc, honorables sénateurs, une approche pragmatique dont nous devrions nous inspirer afin de faire bouger les choses dans la bonne direction, celle qui est réclamée depuis des années par les victimes.

J’aimerais vous citer un autre passage du témoignage de Mme Jeanson, cette fois-ci sur le volet des thérapies, et je cite :

Pourquoi continuons-nous de construire des maisons pour femmes victimes de violence conjugale pour simplement les cacher? Il serait plutôt sage de bâtir des centres de thérapie pour hommes violents afin qu’ils soient entourés d’experts en violence pour les aider à corriger, voire régler leurs problèmes de violence, car la violence de ces hommes diminue rarement.

Elle a dit aussi :

Je donne des ateliers à des hommes impulsifs et on voit le changement chez ces hommes, il est possible. Ce sont des hommes qui ont du vécu, qui ont des blessures et qui ont des réactions qui sont inadéquates. Cependant, ils n’ont pas les outils, ils ne savent pas comment changer ce comportement. Ça prend des gens spécialisés pour leur montrer comment changer. On le voit. Je travaille avec des hommes violents et on a de belles réussites à changer ces hommes-là.

Avant de terminer mon discours, j’aimerais remercier le sénateur Dalphond pour les amendements pertinents qu’il a proposés au projet de loi et la sénatrice Jaffer pour avoir permis de faire cheminer sereinement le projet de loi au comité. J’aimerais également remercier les autres sénateurs membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour le sérieux travail d’étude qu’ils ont accompli. Vous avez répondu à l’appel de ces femmes victimes de violence conjugale qui sont venues témoigner devant nous, et votre esprit de collaboration ainsi que votre respect et votre sensibilité contribueront à mieux protéger les femmes de notre pays. Je vous en remercie sincèrement et profondément. Chers collègues, nous devrions nous battre chaque fois qu’une femme est violentée et assassinée au Canada. Nous devrions nous indigner et ne jamais nous y habituer.

(2110)

Nous avons la possibilité et le privilège de nous mobiliser en toute sécurité pour dénoncer la violence faite aux femmes. Nous ne pouvons malheureusement pas mettre un terme définitif à cette forme de violence, mais nous pouvons certainement faire adopter le projet de loi S-205 afin de la dénoncer pour que le Canada devienne, comme il devrait l’être, un chef de file en la matière.

Nous avons le privilège, conféré par la Constitution canadienne, de modifier les lois de notre pays. Notre responsabilité collective en tant que législateurs est engagée. Nous avons le devoir d’agir pour sauver la vie de ces femmes, et notre courage ne passe pas par nos discours, mais par nos actions. Agissons ensemble en adoptant ce projet de loi pour répondre à l’appel de ces milliers de Canadiennes victimes de violence conjugale qui espèrent en silence être entendues et comprises.

Je veux aussi tout spécialement remercier les 150 femmes qui ont participé activement à l’élaboration de ce projet de loi. Les Guerrières, guidées par Martine Jeanson, portent bien leur nom : elles n’ont jamais abandonné. Mesdames, pendant trois ans, vous n’avez jamais perdu espoir dans le Sénat, malgré le lourd héritage que chacun de vos drames vous a apporté. Vous êtes mes héroïnes.

En terminant, j’aimerais rappeler la décision du juge Laskin, de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire R. c. Budreo, et je cite :

Le système de justice criminelle a deux grands objectifs : punir les auteurs d’actes répréhensibles et empêcher les préjudices futurs. Une loi visant la prévention du crime constitue un exercice tout aussi valable du pouvoir fédéral de légiférer en matière criminelle que confère le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 qu’une loi visant à punir le crime.

En cette veille du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, leur octroyer un droit à la protection serait un pas considérable pour plusieurs d’entre elles.

Honorables sénateurs, nous devons agir, et c’est pourquoi je vous demande d’adopter le projet de loi S-205 à l’étape de la troisième lecture, afin qu’il soit renvoyé le plus rapidement possible à la Chambre des communes. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, ce n’est jamais facile de prendre la parole à la fin d’une longue journée, mais c’est la dernière fois que je prends la parole aujourd’hui — je le promets — et je parlerai du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux), qui est peut-être mieux connue sous le nom de loi de Jane Goodall. Évidemment, il est difficile d’être critique ou de remettre en question un projet de loi associé à une icône adorée comme Jane Goodall, mais j’espère que nous ne laisserons pas les émotions nous guider au cours de l’étude de ce projet de loi.

Je veux d’abord qu’il soit clair que je ne soutiens pas les petits zoos non accrédités et que je ne suis pas pour qu’on permette à des particuliers de garder des animaux dans leur domicile dans des conditions inhumaines. Par contre, j’ai de sérieuses réserves quant à ce projet de loi et j’espère que le comité qui étudiera ce projet de loi se penchera adéquatement sur les inquiétudes que j’ai.

Ma première préoccupation concerne les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi. Je suis toujours inquiet lorsque l’on propose de modifier le Code criminel, en particulier lorsqu’il s’agit d’un projet de loi d’intérêt public, parce que même de petits changements peuvent avoir des répercussions, qu’elles soient substantielles ou non, sur d’autres parties du Code et sur des jugements futurs. Il est donc important que tout changement fasse l’objet d’une étude approfondie. Même si je sais que le projet de loi a été rédigé initialement par l’ancien sénateur Sinclair avant d’être présenté par le sénateur Klyne, il ne faut pas perdre de vue que les sénateurs ne jouissent pas du même soutien qu’un ministère fédéral lors de la rédaction d’un projet de loi. Nous ne disposons pas de l’expertise juridique du ministère de la Justice.

Plus précisément, je m’interroge sur l’impact futur d’une disposition telle que l’article 2 du projet de loi, qui crée un « défenseur des animaux », lequel interviendrait en cas d’infraction prévue au paragraphe 445.2(1) du Code criminel. Chers collègues, ayant constaté l’impact dévastateur des défenseurs du bien-être animal et des droits des animaux sur la chasse aux phoques de subsistance et commerciale dans le Nord et dans la région atlantique du Canada, cette disposition m’effraie.

Dans un article publié sur un blogue, le 15 janvier 2022, Shannon Nickerson, gestionnaire des communications et du développement pour Animal Justice, a indiqué comment les avocats d’Animal Justice Canada Kaitlyn Mitchell et Scott Tinney sont intervenus devant la Cour suprême dans le cadre de l’affaire Colombie-Britannique (Procureur général) c. Conseil des Canadiens avec déficiences. Selon cet article, lors de leur intervention, ces avocats ont fait valoir devant le plus haut tribunal du pays que :

[...] les animaux sont des membres très vulnérables de notre société, et les tribunaux devraient leur permettre de mieux faire valoir leurs droits publiquement et de défendre leur cause pour obtenir justice plus facilement.

Je n’invente rien. Cette cause a été rejetée, et la cour a rejeté l’appel, mais sans se prononcer sur l’argument voulant que les animaux soient comme des personnes handicapées vulnérables. Cependant, cela m’amène à me poser la question suivante. Est-ce que le fait de prévoir dans le Code criminel la création d’un poste de défenseur des animaux, comme le propose ce projet de loi, serait un pas vers la reconnaissance des droits des animaux au même titre que les droits des Canadiens vulnérables? Cette définition accorderait-elle de nouveaux droits aux animaux, de manière à ce qu’une personne puisse défendre la cause d’un animal? N’est-ce pas là une façon détournée de faire la même chose que les avocats d’Animal Justice ont tenté de faire lors de leur intervention devant la Cour suprême du Canada?

Il y a d’autres personnes qui plaident avec force pour que les animaux soient reconnus comme des personnes. Rebeka Breder, une avocate britanno-colombienne spécialisée dans les droits des animaux décrit son cabinet, Breder Law, comme agissant « uniquement pour l’avancement des droits et du bien-être des animaux domestiques et sauvages ». Depuis de nombreuses années, elle plaide pour que soit accordé le statut de personne aux animaux et surveille les affaires qui portent sur le sujet.

J’ai trouvé un article fascinant à ce sujet. Angela Fernandez, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Toronto, a publié un article sur les fondements du droit animal, intitulé Animals as Property, Quasi-Property or Quasi-Person. Dans la première phrase, la professeure Fernandez déclare ceci :

Le statut de bien des animaux non humains, ainsi que le désir corrélatif de transformer ce statut en une forme de statut de personne, est un des piliers du droit animal depuis 25 ans.

(2120)

Lorsque je lis cela et que je vois les mots « défenseur » et « défenseur des animaux », et surtout le mot « advocate » dans la version anglaise du projet de loi, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Sur le plan juridique, le mot « advocate » fait référence à une personne qui travaille au nom d’une autre personne. Selon l’édition juridique de l’Encyclopedia Britannica, un « advocate » est une personne qui possède les qualifications professionnelles nécessaires pour plaider la cause d’une autre personne devant les tribunaux.

Sur quelle voie nous amène donc, en tant que société, le fait de reconnaître qu’un animal a droit à un avocat? Selon cette logique, je ne pense pas qu’il serait exagéré de prétendre qu’on en viendra à reconnaître les animaux comme des personnes ayant droit à un avocat, puis comme des personnes vulnérables moins en mesure de présenter leur cas, puis à prétendre que le fait de récolter de la viande constitue un meurtre.

Nous devrons aussi examiner comment, sur le plan juridique, ce projet de loi empiète sur la compétence des provinces. Le comité devra se pencher sur cette question. Nous devons reconnaître la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux en matière de lois et de règlements portant sur le bien-être des animaux.

Chers collègues, j’aimerais souligner qu’en tant qu’habitant d’une région où les chasseurs sont valorisés et admirés, ma collectivité est très offusquée que la chasse au phoque soit encore considérée de nos jours comme une pratique barbare et inutile. Depuis des années, les défenseurs des droits des animaux se braquent contre la chasse au phoque comme source de nourriture, de matériel de fabrication de vêtements et de contrôle des populations afin de préserver des espèces de poissons en péril. Bien que les mentalités évoluent à l’égard de la chasse de subsistance, des préjugés persistent en ce qui concerne les chasseurs non autochtones qui pratiquent cette activité depuis des générations pour se nourrir et gagner leur vie. Ces opinions reposent sur une approche extrémiste en matière de défense des droits des animaux. S’ils perçoivent une ouverture, quelle est la probabilité que les militants exercent des pressions pour accorder un statut juridique et moral aux animaux au même titre qu’un être humain?

J’aimerais vous faire part de l’opinion de l’Institut de la fourrure du Canada au sujet de ce projet de loi. L’automne dernier, l’Institut a déclaré ce qui suit :

Cette loi, motivée par des groupes prônant la consommation non durable et la défense des droits des animaux, nuira aux efforts de conservation de la faune fondés sur la science ainsi qu’à l’exploitation et au commerce durables de la peau et des produits du phoque au Canada. Cela aura un impact disproportionné sur les régions rurales, les régions éloignées, les collectivités autochtones et côtières ainsi que les économies et les modes de vie traditionnels.

J’espère que le comité recevra un mémoire de l’Institut de la fourrure du Canada, que je considère comme une organisation crédible. Il a été fondé en 1983 par les ministres canadiens de la Faune, dans le cadre d’une collaboration entre les chasseurs pour le compte du gouvernement et d’autres secteurs du commerce de la fourrure. C’est le principal expert du pays en matière de recherche sur les pièges sans cruauté et de conservation d’animaux à fourrure, en plus d’être l’organisme officiel d’essai des pièges pour le gouvernement du Canada et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Je tiens également à citer l’Elephant Managers Association, qui a fait part de son opposition au projet de loi S-241 en notant ce qui suit :

L’Elephant Managers Association estime que le projet de loi proposé aura une incidence négative sur les efforts des organisations de protection des animaux qui effectuent un important travail de conservation, comme l’African Lion Safari (ALS).

L’organisme souligne en outre qu’à son avis, la loi Jane Goodall empêchera effectivement des organismes comme l’African Lion Safari de poursuivre leur important travail. Les recherches menées avec des animaux soignés par l’homme et entraînés à coopérer volontairement aux procédures permettent d’obtenir des échantillons et des données dans un environnement contrôlé, ce qui ne serait pas aussi facilement possible dans la nature. Par conséquent, la population d’animaux dans les établissements zoologiques nord-américains joue un rôle essentiel dans la survie de leurs congénères sauvages.

De même, l’International Elephant Foundation, dans une lettre détaillée adressée aux sénateurs à l’automne dernier, a fait la déclaration définitive suivante :

Il existe un certain nombre d’idées fausses concernant les éléphants ambassadeurs en captivité. La première est que les éléphants ne peuvent pas s’épanouir hors de l’environnement de leur pays d’origine, notamment en raison du froid ou du manque d’espace. Rien n’est plus faux.

Étant donné ces arguments complexes, j’espère que le projet de loi fera l’objet d’un examen approfondi et que, compte tenu de ses dispositions en matière de droit pénal, il sera étudié par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Mon autre préoccupation est de nature moins existentielle. Je suis préoccupé par le fait que le projet de loi fait référence aux normes qu’un organisme doit respecter pour être désigné comme un organisme animalier admissible au titre du projet de loi. Les organismes qui cherchent à être désignés comme tels et ainsi ne pas être soumis à certaines interdictions prévues par le projet de loi doivent souscrire « aux normes professionnelles reconnues les plus élevées et aux pratiques exemplaires en soins animaliers ». Je peux accepter cela, mais j’aimerais examiner — et demander au comité d’examiner — s’il convient de faire fi des normes établies par l’organisme Aquariums et zoos accrédités du Canada, ou AZAC, comme le fait le projet de loi. On a beaucoup insisté sur le respect des normes américaines, tant dans les discours de mes collègues sur ce projet de loi que dans le renvoi exclusif fait à l’Association of Zoos and Aquariums.

Depuis sa création, en 1976, l’AZAC s’emploie à définir des normes d’accréditation qui sont aujourd’hui reconnues comme étant parmi les meilleures du monde. Au Canada, elles servent de plus en plus de référence en ce qui concerne la bientraitance et le bien-être des animaux. Aujourd’hui, des pouvoirs publics de tous ordres ont intégré ces normes à leurs cadres de réglementation, que ce soit en exigeant carrément une accréditation de l’AZAC pour l’obtention d’un permis ou encore en inscrivant des renvois à ces normes dans la réglementation. Pourquoi ce projet de loi ne prend-il pas en considération cet excellent travail réalisé au Canada?

Honorables sénateurs, je conviens qu’on ne devrait pas forcer les animaux à endurer des conditions cruelles, mais je crois que nous devons absolument nous pencher de près sur un certain nombre de questions et de problèmes très importants au comité. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Patterson, Jane Goodall est une membre actuelle et fondatrice de l’organisme Nonhuman Rights Project, qui tente de faire conférer des droits juridiques aux animaux. Il s’agit d’une organisation américaine à but non lucratif qui cherche à modifier le statut juridique de certains animaux non humains et à faire reconnaître leurs droits à la liberté et à l’intégrité physiques en les faisant passer de la catégorie des biens à celle des personnes. Est-ce que vous êtes préoccupé par le fait que Jane Goodall est membre de cette organisation?

Le sénateur D. Patterson : Oui.

Le sénateur Plett : Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(2130)

L’étude sur les questions relatives aux banques, au commerce et à l’économie en général

Cinquième rapport du Comité des banques, du commerce et de l’économie et demande de réponse du gouvernement—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du cinquième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, intitulé L’état de l’économie canadienne et l’inflation, déposé au Sénat le 15 février 2023.

L’honorable Pamela Wallin propose :

Que le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, qui a été déposé au Sénat le mercredi 15 février 2023 soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre des Finances étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport.

 — Honorables sénateurs, la présentation de ce rapport arrive à point nommé. En effet, le pays traverse une période d’inflation rapide, marquée par des augmentations drastiques du coût de la vie, et notre rapport met en lumière la série de décisions et de circonstances qui nous ont conduits à cette situation et ce que nous pouvons mieux faire pour éviter que cette situation se reproduise. Les témoignages de divers économistes et du gouverneur de la Banque du Canada lui-même ont mis en évidence le caractère inquiétant de l’état de notre économie, ainsi que les mesures à prendre. En tant que membres du comité, nous avons consacré beaucoup de temps et d’efforts à ce dossier, et c’est pourquoi nous espérons que les décideurs en prendront bonne note et y répondront. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Larry Smith : Honorables sénateurs, c’est un privilège pour moi de parler du rapport exceptionnel du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie intitulé L’état de l’économie canadienne et l’inflation.

Je tiens à souligner les efforts inlassables déployés par notre présidente, la sénatrice Wallin, notre vice-président, le sénateur Colin Deacon, les membres du comité, ainsi que les analystes et le personnel de soutien dévoués afin de produire ce rapport exhaustif. J’encourage vivement tout le monde à prendre le temps de lire ce rapport, car il témoigne de l’excellent travail effectué par nos comités sénatoriaux et, ce qui est tout aussi important, des changements économiques que connaissent l’Amérique du Nord et le Canada.

[Français]

Au cours de neuf réunions, notre comité a entendu les témoignages de 18 témoins. Deux anciens gouverneurs de la Banque du Canada, Mark Carney et David Dodge, le gouverneur actuel de la Banque du Canada, Tiff Macklem, l’ancien directeur parlementaire du budget, Kevin Page, et le directeur parlementaire du budget actuel, Yves Giroux, ont partagé avec nous, à tour de rôle, leur perspective sur la situation économique actuelle. De plus, nous avons entendu des économistes, des universitaires et des experts en matière de politiques monétaires et fiscales nous donner leur opinion.

[Traduction]

L’ensemble considérable de connaissances et de conseils d’experts présentés dans ce rapport permet de comprendre les nombreux enjeux urgents à l’heure actuelle, que ce soit le rôle des politiques monétaires et budgétaires, la crise du logement, le fardeau réglementaire, la faiblesse des investissements, la croissance de la productivité, l’absence de concurrence et le vieillissement de la population.

Malgré des divergences d’opinion sur les divers sujets, y compris les causes de l’inflation, la portée des mesures de relance budgétaire et la façon dont le gouvernement fédéral peut travailler pour s’attaquer aux divers problèmes existants, j’aimerais aborder brièvement deux domaines où notre comité a obtenu un fort appui.

Premièrement, un des principaux points que j’ai retenus est la nécessité pour les politiques budgétaires du gouvernement fédéral d’agir de façon cohérente avec les politiques monétaires de la Banque du Canada, surtout pendant une crise inflationniste. De plus, la Banque du Canada doit déployer des efforts conscients et continus pour maintenir la transparence à l’égard de ses décisions stratégiques.

Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada, s’est prononcé sur le rôle des politiques monétaires et budgétaires dans le contexte actuel. Il a déclaré ceci aux membres du comité :

[...] il est contre-productif d’avoir des politiques budgétaire et monétaire qui se contredisent. En langage familier, si l’on met un pied sur le frein dans le cadre de la politique monétaire, il est insensé d’appuyer l’autre pied sur l’accélérateur.

Bien que l’ampleur de l’intervention de la Banque du Canada pour lutter contre l’inflation ait fait l’objet d’un débat au cours de l’étude, il est clair qu’un resserrement de la politique monétaire est nécessaire et il appartient à la Banque du Canada, en tant qu’institution indépendante, de maintenir l’inflation entre 1 et 3 %, comme l’exige son mandat. Autrement dit, en ce qui concerne la politique monétaire, son pied doit être sur le frein.

Ce qui m’a préoccupé, cependant, c’est le manque de transparence dans les communications de la Banque du Canada concernant certaines de ses décisions stratégiques pendant la période d’incertitude qu’a été la pandémie de COVID-19, notamment l’affirmation selon laquelle l’inflation serait transitoire, et sa réaction à l’évolution de la conjoncture économique, qui a été lente comparativement à celle des autres banques centrales.

Bien sûr, avec le recul, on peut dire que les décisions stratégiques prises par la Banque du Canada n’étaient pas faciles, comme l’a indiqué le gouverneur dans son témoignage. Toutefois, cela renforce la nécessité pour le Parlement de suivre de près le travail de la banque à l’avenir.

Sur le plan financier, un débat animé a eu lieu sur l’ampleur de la réponse du gouvernement fédéral à la crise de la COVID-19. En général, les témoins ont convenu que des mesures de soutien étaient nécessaires pour que l’économie continue de fonctionner, mais que ces mesures devraient maintenant être progressivement éliminées et que toute dépense supplémentaire en réponse à la crise de l’inflation devrait être mineure et temporaire, afin d’apporter une aide ciblée aux Canadiens vulnérables. Si le gouvernement fédéral maintient des mesures de dépenses à grande échelle, il ne fera qu’ajouter à la flambée inflationniste que la Banque du Canada s’efforce vigoureusement d’éteindre.

Jack Mintz, de l’Université de Calgary, a fait écho à ce constat en soulignant l’écart entre la politique budgétaire et la politique monétaire du Canada :

La politique budgétaire ne concorde toujours pas avec la politique monétaire. La politique monétaire est axée sur la stabilité des prix et l’augmentation des taux d’intérêt pour réduire le taux d’inflation, mais la politique budgétaire fédérale ne concorde pas suffisamment avec nos objectifs de politique monétaire.

Pour parler métaphoriquement, nous devons relâcher l’accélérateur en ce qui concerne notre politique budgétaire.

Le deuxième et dernier sujet que j’aimerais aborder brièvement est le vieillissement de la population canadienne et les changements qu’il entraîne pour notre main-d’œuvre et notre économie dans son ensemble.

Selon Statistique Canada, en juillet 2022, un Canadien sur cinq, ou environ 7,3 millions de personnes au Canada, avait au moins 65 ans. Chers collègues, il vaut la peine de répéter que plus de 20 % de la population canadienne actuelle a atteint l’âge de la retraite. Cette proportion est à un sommet historique depuis la tenue de recensements au pays.

Cette évolution démographique ralentira la croissance de la population active, aura une incidence négative sur la productivité et exercera une pression à la hausse sur les prix et les taux d’intérêt à moyen terme, selon M. Dodge.

Même si, au cours de notre étude, il y a eu un consensus à propos de la hausse du niveau d’immigration pour combler cette lacune, j’ai été frappé par les observations de M. Mintz, qui a souligné ceci :

Nous connaissons un vieillissement rapide de la population, et ce n’est pas seulement au Canada. C’est dans tous les pays à revenu élevé et dans nombre de pays à revenu moyen. Les marchés internationaux de la main-d’œuvre seront de plus en plus concurrentiels [...]

[Français]

Compte tenu de la réalité, qui est celle d’un bassin de main‑d’œuvre décroissant, nous devons également nous tourner vers d’autres moyens plus créatifs pour combler cet écart et ces lacunes sur le plan de la main-d’œuvre, grâce à l’adoption d’un programme de requalification et à la réintégration des travailleurs retraités sur le marché du travail.

(2140)

[Traduction]

De nombreux témoins partageaient ce sentiment, dont Janet Lane, directrice, Human Capital Centre, Canada West Foundation, qui a répondu à ma question sur le sujet :

Je pense que nous devons absolument inciter une plus grande partie de la main-d’œuvre vieillissante à rester sur le marché du travail.

Pour certaines personnes — par exemple, dans les métiers —, le travail physique proprement dit ne sera plus tout à fait possible, mais leurs compétences et leur expertise sont très utiles pour la formation de la prochaine génération.

Les données relatives au recyclage et au maintien sur le marché du travail des personnes ayant l’âge de prendre leur retraite sont extrêmement encourageantes, et les recherches remontent à plusieurs décennies. Une revue de la littérature publiée en 2016 dans la revue Analyse de politiques et intitulée Understanding Employment Participation of Older Workers: The Canadian Perspective a mis en évidence le fait que l’accès à des programmes de formation adaptés pour les travailleurs âgés jouait un rôle important dans la rétention des travailleurs. Cependant, l’article note qu’une très petite proportion des organisations au Canada s’engage réellement dans la production de ces types de programmes de formation. Quelle belle occasion à saisir!

Chers collègues, j’aimerais conclure en disant qu’à notre avis, la pandémie de COVID-19 devrait accélérer le sentiment d’urgence avec lequel nous affrontons les nombreux problèmes persistants auxquels notre pays doit faire face en ce moment, qu’il s’agisse du rôle des politiques fiscales et monétaires, du vieillissement de la main-d’œuvre, du fardeau réglementaire, de la crise du logement ou du sous-financement chronique. Je crois que ce rapport exhaustif présente un excellent cadre pour tous les pouvoirs publics et pour l’industrie en ce qui concerne la situation actuelle et la façon dont nous pouvons aller de l’avant dans l’après-pandémie. Merci beaucoup.

L’honorable Colin Deacon : Je me demande si le sénateur Smith accepterait de répondre à une question.

Sénateur Smith, je me demande si vous seriez d’accord avec moi pour dire que vous venez de résumer un des meilleurs rapports que le Comité des banques a produit ces derniers temps. Je crois que personne d’autre que vous n’aurait pu mieux résumer la situation. Êtes-vous d’accord?

Le sénateur Smith : Merci beaucoup. Votre facture est dans le courrier.

Je crois que ce qui est important, dans tout cela, c’est que les comités sénatoriaux font un excellent travail. On ne reconnaît pas leur contribution, et ce n’est pas nécessairement ce qu’ils recherchent. Ce que nous voulons, c’est que les gens comprennent le message et qu’ils s’en servent pour améliorer notre pays.

Je crois qu’il est vraiment important pour nous, en tant que groupe, que nous nous fassions connaître et que nous discutions entre nous pour faire en sorte que nous comprenions tous quelque chose au sujet de nos collègues et de ce que les autres comités font. Je crois que c’est tout simplement fantastique. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

(À 21 h 44, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Annexe - Liste des sénateurs

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