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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 181

Le lundi 26 février 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le lundi 26 février 2024

La séance est ouverte à 18 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Lincoln Alexander, c.p., O.C., O.Ont.

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs afin de souligner — un peu tard, je l’avoue — la Journée Lincoln Alexander.

Le mois dernier, l’école de travail social de l’Université Dalhousie a organisé une activité sur Lincoln Alexander, lors de laquelle j’ai été invitée à présenter les conclusions du rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé Racisme anti-Noirs, sexisme et discrimination systémique au sein de la Commission canadienne des droits de la personne. Il y a eu une discussion sur le rapport par un groupe d’étudiants en travail social, puis une conversation découlant de questions critiques posées par des étudiants.

La soirée s’est ouverte par un hommage sous forme de création orale de la part d’une étudiante. Je suis heureuse de vous en faire la lecture aujourd’hui. Voici donc Héritage résonnant par Erika Downey Campbell :

Dans le foyer du courage, où l’injustice se heurte à une incandescente détermination, Se tenait Lincoln Alexander : fer de lance d’une quête d’évolution, Navigateur sur des mers inexplorées avec sa conviction comme boussole, Champion de l’égalité raciale portant sa détermination telle une auréole.

Dans l’Aviation royale canadienne, il devint radiotélégraphiste, Mais dans les bars de Vancouver on entendait l’écho d’accords racistes. « On ne sert pas le monde comme toi ici » — encore et encore le cruel refrain. Mais dans son cœur, la mélodie de la persévérance battait son plein.

Dans une libération honorable il trouva une symphonie d’humilité, Lorsqu’il quitta l’Aviation pour se lancer dans une quête d’équité. « Vous avez fermé les yeux », dit-il à ceux qui n’avaient pas l’impression, Qu’il fallait faire taire le chant dissonant de la discrimination. Dans les coulisses du pouvoir, dans l’empire du privilège, Il a cherché sans relâche à conjurer le sortilège. Emblème de la lutte pour les droits des Noirs, Il a réclamé l’éducation, l’inclusion, la dignité et l’espoir. « Une détermination fondée sur l’éducation », tel était son adage; Des possibilités infinies, tel est son héritage.

Des bagarres dans la cour d’école aux insultes racistes du doyen, Son travail contre le racisme est un concerto de bravoure sans fin. Une vie aux accents de jazz dont les harmonies reflètent le travail acharné, La mélodie de Lincoln Alexander continue de nous inspirer. Hymne à l’égalité, symphonie pour les gens libres, Son héritage continue de résonner dans la chorale des possibles.

Asante.

Le défenseur fédéral du logement

L’honorable Joan Kingston : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer votre attention sur une question très importante qui fait l’objet du rapport final du bureau du défenseur fédéral du logement, qui a été publié le 13 février et s’intitule Respect de la dignité et les droits de la personne : Examen des campements de personnes en situation d’itinérance de la défenseure fédérale du logement. Le rapport présente des appels à l’action spécifiques pour résoudre le problème des campements de personnes en situation d’itinérance partout au Canada, y compris un plan national d’intervention.

Les campements, ou les villages de tentes, sont installés, souvent sans autorisation, par des personnes qui dorment là où elles peuvent, généralement sur des propriétés publiques ou des terrains privés. Selon le rapport final, on estime qu’entre 20 et 25 % des personnes non logées au Canada vivent dans des campements. Cette situation touche non seulement les grandes villes, mais aussi les régions rurales, y compris le Nord de la Saskatchewan, le Labrador, le Nunavut et les collectivités de ma province, le Nouveau‑Brunswick. Ce pourcentage correspond à ce qui se passe dans la région de Fredericton.

Même si les campements sont une caractéristique de l’itinérance au Canada depuis de nombreuses années, y compris dans des régions moins populeuses comme le Nouveau-Brunswick, depuis la pandémie de COVID-19, les campements sont devenus plus nombreux, plus densément peuplés et plus visibles dans l’ensemble du pays. En raison de l’absence d’une réelle coordination entre les nombreux organismes à but non lucratif, ministères et administrations concernés, l’efficacité des mesures de lutte contre la crise de l’itinérance est limitée. Les provinces et les territoires doivent travailler en étroite collaboration avec les municipalités et les collectivités des Premières Nations, et le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de chef de file en ce sens.

Comme l’indique la défenseure fédérale du logement :

[...] les campements n’existent qu’en raison d’un échec plus large et systémique à faire respecter le droit de toutes les personnes à un logement adéquat sans discrimination [...]

Les expulsions forcées de campements augmentent l’insécurité des personnes et les exposent à un risque accru de préjudice et de violence.

Les refuges sont importants. Ils sont là en cas d’urgence; ils ne sont pas là pour que les gens y vivent. Les personnes en situation d’itinérance veulent avoir leur propre porte qui ferme à clé et un endroit où elles se sentent en sécurité.

En l’absence d’aides au logement appropriées, la santé mentale et la toxicomanie peuvent créer des obstacles importants à la recherche et au maintien d’un logement. Parallèlement, le fait de dormir à la dure rend les problèmes de santé mentale ou de toxicomanie impossible à surmonter. L’environnement physique et le soutien social sont des déterminants sociaux importants de la santé.

Une intégration et une coordination accrues sont nécessaires entre les services communautaires de logement et d’aide aux personnes en situation d’itinérance, d’une part, et les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie, d’autre part. Cela devrait inclure la création d’équipes d’intervention intégrées, y compris la prestation de services de soutien clinique aux personnes vivant dans des campements et aux personnes qui accèdent aux centres de jour ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à longueur d’année, et recommandés par la défenseure fédérale.

Une approche de réduction des méfaits, combinée à de faibles obstacles à l’accès aux services, est essentielle. Le rapport dit ceci :

En l’absence de logements adéquats disponibles, tous les gouvernements et prestataires de services doivent s’efforcer de remédier aux obstacles structurels qui font que les refuges d’urgence existants ne sont pas accessibles ou appropriés pour toutes les personnes qui choisiraient de les utiliser.

Je me fais l’écho des conseils de la défenseure fédérale :

Le changement dépendra de notre travail à tous et toutes, à tous les niveaux, en commençant au sein de nos propres communautés.

Merci, woliwon.

L’Ukraine—Les agissements de la Russie

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour marquer le deuxième anniversaire de l’invasion illégale et inadmissible de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Je tiens également à souligner l’assassinat d’Alexei Navalny, chef courageux et dévoué de l’opposition et voix contre l’injustice et la corruption du régime revanchard de Vladimir Poutine. En raison de son activisme incessant visant à améliorer son pays pour sa famille et ses compatriotes russes, M. Navalny a été tué par Poutine et l’État russe. Le fait que M. Navalny ait été tué témoigne de la force de son influence.

J’ai assisté à la récente Conférence de Munich sur la sécurité, où, le 16 février dernier, Yulia Navalnaya, la veuve de M. Navalny, s’est adressée à nous peu après que le monde a appris le meurtre de son mari. Le message courageux de Mme Navalnaya était clair : Poutine et ses acolytes « seront traduits en justice, et ce jour viendra bientôt ».

Ces dernières années, février est devenu un mois important dans l’histoire sanglante entre l’Ukraine et la Russie. En 2022, la Russie a de nouveau envahi l’Ukraine après sa précédente invasion en février 2014, qui avait abouti à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie le 18 mars de la même année. Le 16 février dernier, nous avons appris l’assassinat de M. Navalny dans une prison russe, et, le 27 février 2015, Boris Nemtsov, un autre chef de l’opposition notoire et critique féroce du Kremlin, a été assassiné à Moscou.

(1810)

La mort de ces militants, ainsi que les meurtres et les tentatives d’assassinat d’autres personnes, vient alourdir le bilan des victimes de l’agression prolongée de la Russie contre l’Ukraine. Je sais que nous nous inquiétons tous de la santé et la sécurité de notre ami Vladimir Kara-Mourza, emprisonné en Russie depuis 2022.

Chers collègues, après avoir assisté à la Conférence de Munich sur la sécurité, j’ai participé, en compagnie de notre collègue le sénateur Wells, à la réunion d’hiver de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, à Vienne. Le ton y était sombre, à l’image de l’état des affaires mondiales, mais je peux attester du sentiment palpable de solidarité entre des leaders du monde déterminés à mettre fin à la guerre en Ukraine et au règne de Vladimir Poutine.

Deux principes permettront d’assurer la victoire durable de l’Ukraine : premièrement, il faut veiller à ce que l’Ukraine ait tout ce dont elle a besoin pour vaincre la Russie sur le champ de bataille; deuxièmement, il faut un plan viable de reconstruction de l’Ukraine pour assurer la prospérité et la sécurité du pays après la fin des combats. Au moment où la guerre entre dans sa troisième année, la Russie mise sur l’affaiblissement de l’aide occidentale à l’Ukraine. Je sais que le Canada, pour sa part, continuera à soutenir l’Ukraine sur tous les fronts.

Chers collègues, comme je l’ai dit dans mes déclarations dans les heures qui ont suivi l’invasion en 2022 et à l’occasion du premier anniversaire de l’invasion l’an dernier, le Canada et toutes les démocraties du monde doivent demeurer unis dans leur condamnation des actes de la Russie, dans leur opposition à ces actes et dans leur appui inébranlable à l’Ukraine et à la population ukrainienne, qui est forte et résiliente. Sur ce point, nous ne devons pas faiblir. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

La chasse au phoque

L’honorable Iris G. Petten : Honorables sénateurs, la chasse au phoque est une industrie vitale à Terre-Neuve-et-Labrador depuis des siècles. Pour les Inuits du Labrador, en particulier, le phoque était, jusqu’à récemment, un élément essentiel d’un mode de vie. La viande était mangée ou donnée en nourriture aux chiens, le gras était transformé en huile pour l’éclairage ou en huile alimentaire et la peau était utilisée pour confectionner des vêtements, des bottes et une foule d’autres choses en plus de faire l’objet d’un commerce avec des marchands européens. La demande pour les produits du phoque a mené au développement de la pêche côtière et hauturière, ce qui a stimulé la croissance économique.

En 1965, le Canada a adopté son premier règlement sur la protection des phoques, qui exige des pratiques de chasse sans cruauté et l’obtention d’un permis par les pêcheurs tout en prévoyant une surveillance accrue de la part de Pêches et Océans Canada. Le gouvernement a ensuite mis en œuvre un plan de gestion de la chasse au phoque en mettant constamment l’accent sur la durabilité, la surveillance scientifique et les pratiques sans cruauté, reflétant un engagement à l’égard du rôle intégral de la chasse au phoque dans une économie rurale caractérisée par une tolérance zéro pour toute pratique cruelle.

Des questions comme la surpopulation de phoques font de plus en plus les manchettes ces derniers temps. Nous savons que le nombre excessif de pinnipèdes le long des trois côtes du Canada non seulement crée un déséquilibre dans nos écosystèmes marins, mais qu’il a aussi des effets néfastes sur la santé et la conservation des stocks de poissons.

Un membre de la communauté m’a récemment dit que cette question comporte deux dimensions d’égale importance. Il y a d’abord la survie et le maintien d’industries de la fourrure, de la chasse au phoque et de la pêche correctement gérées, garantissant ainsi la capacité des collectivités rurales à réussir. Ensuite, il s’agit de détruire la propagande qui nous a définis comme des meurtriers et, d’une certaine manière, comme un peuple inférieur. Ce message m’a vraiment frappé.

Nous sommes également à un peu moins d’un mois de ce que certains appellent « la journée internationale d’action contre la chasse au phoque au Canada ». Le simple nom de cette journée démontre la nécessité de travailler ensemble pour lutter contre la désinformation sur l’industrie de la chasse au phoque au sein de tous les ordres de gouvernement. Luttons contre ces campagnes trompeuses au moyen de campagnes d’information. Faisons la promotion des produits du phoque canadien comme les options durables, de haute qualité et écologiques qu’ils sont, dont l’huile oméga-3, la viande, les accessoires et plus encore.

On ne peut laisser la rhétorique néfaste diffusée par certaines organisations être la seule voix sur les scènes nationale et internationale. Nous devons unir nos voix pour soutenir nos pêches d’un océan à l’autre. Merci.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Projet de loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine de 2023

Préavis de motion tendant à inscrire le projet de loi à l’ordre du jour pour une troisième lecture le 29 février 2024, à condition que le rapport ait été présenté sans amendement ce jour-là

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, si le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international fait rapport du projet de loi C-57, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Ukraine de 2023, sans amendement le jeudi 29 février 2024, le projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour pour une troisième lecture plus tard ce jour-là, à condition que, si le comité fait rapport du projet de loi sans amendement après le moment où le Sénat aurait normalement traité du projet de loi à l’étape de la troisième lecture, le projet de loi soit pris en considération à l’étape de la troisième lecture immédiatement, ou, si le rapport est présenté pendant qu’une autre affaire est à l’étude, il soit inscrit à l’ordre du jour pour une troisième lecture après la fin des délibérations du jour sur l’affaire à l’étude au moment de la présentation;

Que le rapport du comité sur le projet de loi puisse être présenté après la fin des affaires courantes ce jour-là sans que le consentement ne soit requis.

[Français]

Le Sénat

Préavis de motion concernant la séance de mercredi et tendant à autoriser le Comité des affaires étrangères et du commerce international à siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat le 21 septembre 2022, la séance du mercredi 28 février 2024 continue au-delà de 16 heures, si les affaires du gouvernement ne sont pas encore terminées, et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à minuit, selon la première éventualité;

Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international soit autorisé à se réunir après 16 heures ce jour-là afin d’étudier le projet de loi C-57, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Ukraine de 2023, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

[Traduction]

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : J’invoque le Règlement, je vous prie. Je demanderais au sénateur Gold de lire le préavis de motion en anglais. L’interprétation était très mauvaise au début, et je n’ai pas compris.

Le sénateur Gold : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat le 21 septembre 2022, la séance du mercredi 28 février 2024 continue au-delà de 16 heures, si les affaires du gouvernement ne sont pas encore terminées, et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à minuit, selon la première éventualité;

Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international soit autorisé à se réunir après 16 heures ce jour-là afin d’étudier le projet de loi C-57, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Ukraine de 2023, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.


PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

L’application ArriveCAN

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, ma question porte encore une fois sur l’échec de 60 millions de dollars qu’est l’application « ArnaqueCAN ». La semaine dernière, deux hauts fonctionnaires qui ont été suspendus en raison de leur lien avec l’affaire « ArnaqueCAN » ont affirmé à un comité de l’autre endroit qu’une opération de camouflage est en cours au sujet de ce scandale.

Les députés libéraux ont mis fin à des réunions de comité au sujet de l’application « ArnaqueCAN », y compris une réunion où la vérificatrice générale devait témoigner à l’automne. La semaine dernière, les députés libéraux ont fait de l’obstruction pour empêcher l’adoption d’une motion visant à obliger les deux individus derrière GC Strategies à comparaître devant le comité sous peine de se faire arrêter par le sergent d’armes.

(1820)

Le gouvernement Trudeau agit certainement comme s’il avait quelque chose à cacher, n’est-ce pas, monsieur le leader? Qui a donné l’ordre de mettre fin aux réunions et de gagner du temps? Je veux le nom de cette personne, s’il vous plaît.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement n’essaie pas de cacher quoi que ce soit, sénateur. Au moment des faits, la raison invoquée par les députés pour mettre fin à la réunion était que certains renseignements risquaient, selon eux, de compromettre des enquêtes en cours.

Je rappelle aux sénateurs que, depuis que ces allégations ont été portées à l’attention du gouvernement, celui-ci a pris les mesures qui s’imposaient pour faire la lumière sur un ensemble de situations très regrettables, malheureuses et inacceptables. Cela comprend les enquêtes en cours au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada, la suspension des contrats avec plusieurs entreprises impliquées ainsi que les enquêtes en cours de la Gendarmerie royale du Canada. Le gouvernement va continuer de veiller à ce que l’on fasse toute la lumière sur ces pratiques d’approvisionnement inacceptables et les motifs qui les sous-tendent.

Le sénateur Plett : J’ai demandé un nom et je ne l’ai toujours pas obtenu.

Au cours des dernières semaines, nous avons appris qu’on a supprimé 1 700 courriels liés à « ArnaqueCAN ». Jeudi dernier, un comité de la Chambre a appris que le nombre de courriels supprimés pourrait être bien plus élevé, de l’ordre de dizaines de milliers. Quel nombre est exact, monsieur le leader? Combien de courriels concernant « ArnaqueCAN » ont été supprimés pour tenter de cacher cette corruption et ce gaspillage sous le gouvernement Trudeau?

Le sénateur Gold : Ce qui compte pour le moment, ce ne sont pas les allégations ou les insinuations de corruption ou de problèmes du genre — qui ne s’appuient sur aucune preuve. L’important, c’est qu’il y a des enquêtes policières en cours. Elles permettront d’établir les faits.

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, on a pu entendre d’autres révélations explosives sur « ArnaqueCAN » la semaine dernière alors qu’un comité de la Chambre des communes étudiait le dossier.

Heureusement que l’opposition conservatrice est là pour tenter de demander des comptes au gouvernement. Heureusement, aussi, qu’il y a une opposition conservatrice dans ce nouveau Sénat indépendant. Les conservateurs semblent être les seuls qui se préoccupent vraiment de l’affaire « ArnaqueCAN ». Nous sommes les seuls à vous poser des questions.

La semaine dernière, les deux hauts fonctionnaires qui ont participé à ce stratagème boiteux et frauduleux ont dit au comité — une fois de plus — que le dirigeant principal de la technologie, Minh Doan, qui a supervisé tout ce dossier, avait supprimé des milliers de courriels liés à « ArnaqueCAN ». Il a été promu à un autre poste au sein de votre gouvernement, tandis que les deux lanceurs d’alerte ont été les seuls à subir des conséquences négatives. Voilà qui montre à quel point vous êtes déterminés à faire la lumière sur ces allégations ou ces insinuations, peu importe le nom que vous leur donnez. Pourquoi en est-il ainsi, sénateur Gold? Pourquoi votre gouvernement protège-t-il Minh Doan? Serait-ce parce qu’il suivait les directives du gouvernement Trudeau et que vous voulez éviter qu’il le pointe du doigt?

Le sénateur Gold : La réponse est non, sénateur. Le fait est que des enquêtes sont en cours. Des allégations sont formulées et des doigts sont pointés dans toutes les directions. Il peut vous être utile, pour des raisons partisanes ou liées au financement, de continuer à essayer de dépeindre cette affaire comme du camouflage politique. Ce n’est pas le cas. Je suis heureux que vous ayez l’impression de faire votre travail comme vous l’entendez. Je fais mon travail comme je l’entends en vous donnant les réponses sur ce que fait le gouvernement pour aller au fond des choses, y compris — comme je l’ai dit maintes fois — un certain nombre de mesures qui ont déjà été prises pour éviter que se reproduise ce genre de fiasco.

Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, la seule chose que fait votre gouvernement est d’empêcher le comité d’aller au fond des choses. Vous supprimez des courriels et vous nous empêchez d’obtenir des réponses à de simples questions. Sénateur Gold, le projet « ArnaqueCAN » a été vertement critiqué par le Bureau de l’ombud de l’approvisionnement et par la vérificatrice générale, en plus de faire l’objet d’une enquête criminelle. Tous ces gens sont-ils eux aussi partisans? Nous savons qu’au moins 10 000 Canadiens ont été mis en quarantaine par erreur à cause des bogues de cette navrante application. Sénateur Gold, comment votre gouvernement peut-il, en toute conscience, continuer à se battre contre ces Canadiens devant les tribunaux et à leur imposer d’énormes amendes en rapport avec ce que nous savons maintenant être une application frauduleuse?

Le sénateur Gold : Je suppose que je ne peux pas me lasser de répondre à ces allégations de fraude et de corruption, qui ne sont pas fondées sur des faits. ArriveCAN a coûté beaucoup trop cher, et les vrais problèmes ont été révélés et sont en train d’être étudiés. L’application a été utilisée par 60 millions de Canadiens pendant la pandémie pour faciliter leurs déplacements transfrontaliers.

Encore une fois, je continuerai à répondre aux questions tant que cela continuera à servir vos objectifs.

Le Service correctionnel du Canada—Les services de santé mentale

L’honorable Kim Pate : Monsieur le sénateur Gold, dans le budget de 2018, le Service correctionnel du Canada a reçu un financement dont il a dit à notre Comité des affaires sociales qu’il était destiné à augmenter le nombre de places externes dans les hôpitaux communautaires et les établissements de santé mentale où les prisonniers peuvent être transférés pour recevoir les soins de santé mentale dont ils ont besoin. Aujourd’hui, plus de cinq ans plus tard, le Service correctionnel du Canada a révélé à au moins trois comités sénatoriaux qu’en réalité, aucune nouvelle place n’avait été créée. Bien qu’il ait promis de fournir des réponses écrites au Comité des finances nationales d’ici décembre, ainsi qu’au Comité des affaires juridiques, le Service correctionnel du Canada n’a pas réussi à faire la lumière sur ses dépenses réelles, qui s’élèvent à quelque 46 millions de dollars, auxquels s’ajoutent d’autres montants en suspens.

Pouvez-vous vous engager à fournir une réponse sur la manière dont la somme manquante a été dépensée?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénatrice Pate. C’est une question importante, et les besoins en matière de santé mentale de tous les Canadiens — pas seulement ceux qui sont en prison, mais ces derniers également — sont une mesure importante et délicate de l’efficacité de notre société à prendre soin de nos concitoyens.

Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question précise, mais je ne manquerai pas de la poser au ministre.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénateur Gold, je vous en suis reconnaissante.

Compte tenu des demandes répétées du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, de la plus récente enquête sur la mort de Terry Baker et d’Ashley Smith ainsi que des innombrables autres enquêtes révélant que les gens qui souffrent de troubles mentaux invalidants devraient être transférés de leur établissement carcéral à un établissement de soins de santé mentale, pourriez-vous m’indiquer quelles sont les autres mesures concrètes qui sont prises par le gouvernement pour assurer l’accès à un nombre suffisant de lits destinés aux soins externes en santé mentale?

Le sénateur Gold : Encore une fois, il s’agit d’une question importante et complexe qui relève des provinces, comme c’est trop souvent le cas. Cependant, je peux dire que le gouvernement demeure résolu à aider tous les Canadiens qui ont des besoins et des problèmes en matière de santé mentale, y compris des problèmes de toxicomanie, et je vais certainement soulever cette question auprès du ministre à la première occasion.

Les affaires mondiales

Le conflit dans la bande de Gaza

L’honorable Yuen Pau Woo : Sénateur Gold, voilà un mois que la Cour internationale de Justice a demandé à Israël de veiller à ce que de l’aide humanitaire soit fournie aux Palestiniens de Gaza. Voilà également près d’un mois qu’aucune aide digne de ce nom n’est parvenue à Gaza. Sénateur Gold, que fait le Canada pour s’assurer qu’il ne sera pas considéré comme complice du génocide ou des crimes de guerre présumés sur lesquels la Cour internationale de Justice et son organisation sœur, la Cour pénale internationale, enquêtent actuellement, en cas de verdict de culpabilité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le Canada n’est pas complice, et je n’accepte pas les prémisses de certaines façons dont le système de justice international est utilisé.

Par la voie de sa ministre des Affaires étrangères, le Canada est en contact régulier avec ses homologues des pays du G7. D’ailleurs, la ministre vient de rentrer de réunions avec les dirigeants de tous les pays arabes voisins et elle travaille avec nos alliés de même qu’avec les États arabes à l’amélioration de l’aide humanitaire ainsi qu’à la recherche d’un arrangement permettant la libération des otages et la cessation des hostilités. Le Canada contribue à soulager tous les citoyens de cette région.

Le sénateur Woo : Pourtant, sénateur Gold, on a dit très clairement qu’on ne présumait pas des prémisses de l’affaire de la Cour internationale de Justice, ce qui signifie qu’on laisse ouverte la possibilité qu’elle conclue à un génocide. On a été prompt à utiliser le terme « génocide » et à déclarer des crimes de guerre dans de nombreux autres cas. C’est pourquoi je vous pose à nouveau la question : que fait le gouvernement pour protéger le Canada et nous-mêmes, en tant que législateurs, de la possibilité d’être complices de ces crimes contre l’humanité?

Le sénateur Gold : Sénateur Woo, le Canada ne commet pas de crimes de guerre. Il n’est pas complice de crimes de guerre. En tant que législateurs, nous n’avons donc rien à craindre des actions que le Canada a prises sur la scène internationale pour tenter de mettre fin au conflit, fournir l’aide humanitaire à ceux qui en ont besoin et faire valoir le droit d’Israël à se défendre contre une attaque terroriste.

(1830)

L’agriculture et l’agroalimentaire

L’emballage primaire

L’honorable Robert Black : Sénateur Gold, l’emballage primaire est essentiel à la viabilité de la chaîne d’approvisionnement mondiale des fruits et légumes, laquelle permet aux Canadiens d’avoir accès à toutes sortes de produits toute l’année. Il joue un rôle crucial dans la préservation de la qualité, de la salubrité et de l’abordabilité des denrées périssables provenant des producteurs de fruits et légumes frais du pays. L’industrie continue de déployer des efforts pour rendre les emballages plus écologiques.

Cependant, le secteur canadien des fruits et légumes est préoccupé par les mesures réglementaires et politiques que le gouvernement propose. Si elles sont mises en œuvre, elles auront des effets négatifs et potentiellement irréversibles sur les Canadiens. Les mesures réglementaires et politiques proposées ciblent les produits frais comme la seule catégorie d’aliments assujettie à une interdiction des plastiques.

L’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes a mené six études soulignant les effets négatifs des projets de règlements sur l’industrie des produits frais. Les effets sur l’abordabilité et la disponibilité des produits frais sont particulièrement inquiétants. Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement propose-t-il des mesures réglementaires et politiques qui entraîneront une hausse des coûts des aliments et une diminution de la disponibilité des produits frais pour l’ensemble des Canadiens?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Monsieur le sénateur, honorables collègues, il est important de souligner que plus de la moitié des déchets de plastique jetés au Canada sont des emballages, et que la plus grande partie de ces déchets aboutissent dans les sites d’enfouissement, dans les incinérateurs ou dans l’environnement, qu’il soit terrestre ou marin. Les plastiques jouent évidemment un rôle important dans la vie quotidienne des Canadiens, mais éliminer les emballages alimentaires de plastique à usage unique qui posent problème, remplacer les emballages à usage unique par des systèmes de contenants réutilisables, à remplissages multiples, et veiller à ce que les plastiques — dans les cas où ils sont nécessaires — soient conçus pour être réutilisés, recyclés ou compostés, sont autant de solutions qui peuvent aider le Canada à éliminer complètement les déchets de plastique pour le bien de l’environnement.

Le sénateur Black : Merci. Le prix des denrées alimentaires augmentera de 34 % par rapport aux niveaux actuels, et les Canadiens perdront 50 % des produits frais à valeur ajoutée. Des études ont aussi révélé que la réglementation proposée pourrait augmenter de plus de 50 % la quantité de déchets de plusieurs catégories de produits alimentaires frais. Par conséquent, cette politique aura non seulement une incidence sur l’abordabilité et la disponibilité des produits frais, mais elle créera également plus de déchets et augmentera les émissions de gaz à effet de serre. Comment le gouvernement prévoit-il atténuer ces problèmes?

Le sénateur Gold : Merci. Le gouvernement s’engage à travailler avec les producteurs et d’autres entrepreneurs, épiciers et intervenants pour éviter l’augmentation du coût des aliments et de la quantité de déchets alimentaires. D’ailleurs, d’après ce que je comprends, le gouvernement a exprimé très clairement son désir de collaborer avec ces intervenants, producteurs et épiciers pour mettre en œuvre les solutions existantes, tout en évitant de nuire aux consommateurs et à l’environnement.

[Français]

Les affaires mondiales

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

L’honorable Clément Gignac : La semaine dernière, certains de mes collègues ici présents et moi étions au siège social de l’OTAN à Bruxelles dans le cadre des rencontres annuelles avec les associations parlementaires des pays membres de l’OTAN. Or, il semble bien qu’en 2024, 19 des 32 pays membres se conformeront à la cible de 2 % du PIB exigée en ce qui concerne le budget des dépenses militaires. Avec un taux de 1,38 % du PIB, il semble que le Canada est encore bien loin de cette cible minimale exigée.

Dans une entrevue accordée mardi dernier à la chaîne canadienne CTV, le secrétaire général de l’OTAN a dit qu’il attendait toujours que le Canada lui transmette une date pour honorer ses obligations. L’ambassadrice américaine auprès de l’OTAN a ajouté que le Canada est le seul pays membre à ne pas s’être engagé à cet égard en fournissant un échéancier.

En cette journée historique qui marque l’adhésion de la Suède au sein de l’OTAN, quand votre gouvernement entend-il honorer son engagement envers nos alliés?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Il est important de souligner le fait que le Canada a un des budgets les plus importants des 31 membres de l’alliance en matière de défense; je crois que nous sommes au septième rang pour ce qui est des contributions. Comme vous le savez, le gouvernement a augmenté ses dépenses de plus de 70 % dans le cadre de sa politique de défense de 2017. Au cours de la dernière année, le Canada a montré qu’il était prêt à aller encore plus loin.

Soyez assuré que le Canada continuera d’accroître sa capacité militaire afin de relever les défis du monde actuel et d’investir dans des équipements modernes pour ses forces armées.

Le sénateur Gignac : Merci de votre réponse, sénateur Gold. Je tiens à souligner que le Canada fait partie du G7. Je ne suis donc pas étonné que son budget soit au septième ou huitième rang en importance.

Malgré son gouvernement de coalition entre sept partis, la Belgique s’est engagée en juin dernier à atteindre l’objectif de 2 % de son PIB d’ici 2035, au moyen d’une législation contraignante.

Ne croyez-vous pas que le gouvernement pourrait s’inspirer de nos amis belges en déposant un cadre législatif pour forcer le respect de nos obligations internationales?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Le gouvernement s’est engagé à équilibrer ses engagements nationaux et internationaux tout en augmentant activement ses dépenses en matière de défense. Comme l’a déclaré le premier ministre lors de sa visite en Ukraine, il reste encore beaucoup à faire pour ce qui est des dépenses en défense, et le gouvernement reste déterminé à atteindre l’objectif de 2 % en temps voulu.

La sécurité publique

L’application ArriveCAN

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. La semaine dernière, on apprenait qu’une autre compagnie composée de deux employés avait obtenu 7,9 millions de dollars en contrats afin de développer la fameuse application ArriveCAN. Le leader peut-il nous expliquer comment deux personnes peuvent obtenir des contrats de 7,9 millions de dollars?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La réponse est non; je n’ai pas d’explication. C’est pourquoi les contrats de plusieurs compagnies impliquées dans le développement d’ArriveCAN ont été suspendus. C’est également la raison pour laquelle une enquête est en cours au sein du ministère afin de faire la lumière sur ce qui s’est produit. Si on découvre que des choses illégales ont eu lieu, une enquête policière suivra.

Le sénateur Carignan : Je vais vous expliquer ce qui s’est produit, monsieur le leader. Le fait est que l’entreprise sert tout simplement de paravent, car l’entreprise se dit autochtone. Or, on puise à partir du budget réservé aux contrats destinés à des entreprises autochtones pour sous-traiter à des entreprises non autochtones. La somme de 7,9 millions de dollars normalement attribuée à des entreprises autochtones a été accordée à des entreprises non autochtones.

Le gouvernement va-t-il prendre l’engagement de mener un audit complet sur tous les contrats octroyés aux entreprises autochtones, afin de s’assurer que les montants vont effectivement aux Autochtones?

Le sénateur Gold : Il est inacceptable qu’une compagnie ou une personne essaie de contourner une politique visant à soutenir et à encourager certaines entreprises, qu’elles soient autochtones ou qu’elles œuvrent dans n’importe quel autre contexte. Encore une fois, l’enquête fera la lumière sur la situation, car il est inacceptable que de telles choses se produisent.

[Traduction]

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question porte également sur l’application « ArnaqueCAN », qui a coûté 60 millions de dollars, et plus précisément sur les courriels supprimés. Vendredi dernier, la commissaire à l’information a publié une déclaration qui dit :

À la lumière d’allégations relatives à la destruction de documents qui étaient visés par des demandes d’accès à l’information, la Commissaire à l’information du Canada lance une enquête concernant les questions relatives à la demande ou à l’obtention de documents concernant ArriveCAN entre mars 2020 et le 23 février 2024.

Monsieur le leader, ce sont presque quatre années de courriels qui auraient disparu. D’après la déclaration, la commissaire semble avoir lancé cette plus récente enquête sur « ArnaqueCAN » de son propre chef. Pourquoi le gouvernement Trudeau ne lui a-t-il pas demandé de faire enquête?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je crois que, comme pour toutes les autres enquêtes, le gouvernement est heureux que cette enquête ait été entreprise. Une fois de plus, chers collègues, abstraction faite de toute considération politique, comme le souligne dûment la vérificatrice générale dans son rapport, nous comprenons maintenant que tout un lot de problèmes et de pratiques lacunaires a entouré la création de l’application ArriveCAN, notamment une documentation incomplète, ce qui rend encore plus difficile, voire impossible, pour la vérification générale, de faire toute la lumière sur cette affaire.

Jamais cette situation n’aurait dû se produire et jamais elle ne se répétera si toutes les mesures en place sont dûment observées.

La sénatrice Martin : Il est plutôt aberrant que quatre années de courriels aient disparu. C’est énorme. Quatre années, monsieur le leader. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est ironique que la personne, l’ancien fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui est au centre de l’affaire des courriels supprimés concernant « ArnaqueCAN » soit présentement le dirigeant principal de la technologie de tout le gouvernement du Canada.

(1840)

Depuis qu’il a eu vent des allégations concernant la suppression de quatre années de courriels, qu’a fait le gouvernement Trudeau pour tenter de les récupérer? A-t-il fait quoi que ce soit?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas en mesure de dire quelles mesures ont été prises. Je soumettrai assurément la question au ministre dès que j’en aurai l’occasion.

La justice

Le contenu préjudiciable en ligne

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, il y a un an, pendant l’étude du projet de loi C-11, vous avez dit ce qui suit au sujet de l’amendement sur la vérification de l’âge que je proposais :

Le gouvernement du Canada souhaite proposer un texte législatif applicable à de possibles préjudices en ligne dans le but de protéger toute la population canadienne, y compris contre le type de préjudices proposé par cet amendement. Du point de vue du gouvernement, le cadre le plus approprié pour discuter de cette question importante serait dans le contexte de ce texte législatif.

Autrement dit, le gouvernement affirmait qu’il allait s’occuper de cette question dans le cadre de son projet de loi sur la sécurité en ligne.

Aujourd’hui, le gouvernement a enfin présenté son projet de loi attendu de longue date, mais ce dernier ne compte aucune mesure de vérification de l’âge pour empêcher que des enfants aient accès à de la pornographie. Ma question est donc la suivante : qu’en est-il de cet engagement clair qui avait été pris?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Les Canadiens de tous âges, et en particulier les enfants, méritent d’être en sécurité, surtout lorsqu’ils sont en ligne. L’engagement pris par le gouvernement l’année dernière tient toujours. Le gouvernement demeure résolu à mettre en place un cadre réglementaire qui garantit la protection des Canadiens, tout en respectant d’autres valeurs constitutionnelles importantes, telles que la protection de la vie privée et la liberté d’expression.

Le projet de loi qui a été déposé aujourd’hui, et qui porte sur les préjudices en ligne, fera l’objet d’un débat dans les deux Chambres. J’en connais les grandes lignes, et il est clair qu’il ne comprend pas de mesure de vérification de l’âge, mais il contient — si j’ai bien compris — d’autres mesures qui, selon le gouvernement, visent à protéger les enfants et à faire d’Internet un endroit plus sûr. Nous attendons avec impatience l’étude de ce projet de loi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Union européenne ont adopté des lois imposant la vérification de l’âge pour l’accès au matériel pornographique en ligne. Ils ont des mesures de protection pour assurer la confidentialité des données, tout comme le prévoit le projet de loi S-210. Pourquoi n’étudie-t-on pas ces exemples plutôt que de laisser des enfants accéder librement à des sites pornographiques?

Le sénateur Gold : Encore une fois, sénatrice, il est certain que l’expérience d’autres pays a été prise en compte par les décideurs lors de la rédaction du projet de loi. J’attends avec impatience que ces questions soient posées à l’autre endroit lorsque le projet de loi fera l’objet d’un débat à la Chambre et au sein du comité, et certainement lorsqu’il nous sera renvoyé. Je pense que les ministres et les fonctionnaires seront mieux placés que moi pour répondre aux questions — du moins en ce premier jour où le projet de loi a été déposé.

L’agriculture et l’agroalimentaire

Les problèmes en matière de ressources humaines

L’honorable Robert Black : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, le 15 février 2024, le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture a publié un rapport indiquant qu’une crise imminente s’annonce dans le secteur agricole du Canada, qui devrait compter plus de 100 000 emplois vacants d’ici 2030. Cette pénurie constitue une menace pour la sécurité alimentaire locale, la croissance économique et la viabilité du secteur agricole.

Le rapport fait ressortir le rôle crucial des travailleurs étrangers temporaires pour pallier le manque de main-d’œuvre ainsi que la nécessité de trouver des solutions à long terme pour attirer et retenir des travailleurs au pays.

Sénateur Gold, étant donné la gravité de la situation, pouvez-vous nous donner un aperçu des intentions du gouvernement pour relever les défis en matière de main-d’œuvre décrits dans le rapport du Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture et assurer la viabilité future du secteur agricole?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le gouvernement est résolu à soutenir les employeurs canadiens et à les aider à s’adapter au contexte économique actuel. Le taux de chômage demeure faible au Canada. Certains signes laissent supposer que les pénuries de main-d’œuvre actuelles sont en train de s’atténuer, mais cette amélioration n’est pas uniforme. De plus, certains secteurs, dont le secteur agricole, sont encore aux prises avec des difficultés.

En avril 2022, le gouvernement a présenté le Plan d’action pour les employeurs et la main-d’œuvre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, afin d’aider les employeurs à pourvoir les postes vacants dans le contexte des pénuries de main-d’œuvre.

Depuis, le gouvernement a annoncé des modifications au plan d’action pour l’adapter au marché du travail actuel et tenir compte des perspectives économiques. Le programme a été prolongé jusqu’au 30 août 2024. Il sera réexaminé au fil de l’évolution du contexte économique et du marché du travail au cours des prochains mois.

Le sénateur Black : Sénateur Gold, pouvez-vous nous en dire davantage sur les mesures à court terme précises qui sont envisagées pour relever les défis imminents en matière de main‑d’œuvre auxquels le secteur agricole est confronté, surtout dans le contexte des départs à la retraite prévus et des pénuries de main‑d’œuvre persistantes que j’ai mentionnées précédemment?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement a annoncé la création d’un projet pilote pour les employeurs reconnus, ce qui permettra de simplifier les procédures pour les employeurs ayant les normes les plus strictes en matière de protection des travailleurs. Le projet répondra mieux aux pénuries de main-d’œuvre et réduira le fardeau administratif pour les employeurs récurrents qui se conforment toujours au programme, tout en assurant la protection des travailleurs étrangers temporaires.

Les services publics et l’approvisionnement

Le processus d’acquisition

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, ma prochaine question porte sur les contrats secrets accordés à Accenture pour gérer le programme de prêts pour les petites entreprises du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes.

Le gouvernement Trudeau a d’abord affirmé que la grande majorité de l’effectif se trouvait au Canada et qu’il y avait seulement quatre employés aux États-Unis. Puis, à la fin de l’année dernière, j’ai obtenu une réponse à l’une de mes questions inscrites au Feuilleton du Sénat — ce qui ne m’arrive pas souvent — qui a permis de découvrir que le travail sur le système de comptabilité des prêts versés dans le cadre de ce programme était en fait effectué au Brésil. Le mois dernier, le gouvernement Trudeau a admis au Globe and Mail qu’environ le tiers de tous les employés qui s’occupent de ce programme travaillent au Brésil pour une filiale d’Accenture.

Monsieur le leader, pourquoi votre gouvernement a-t-il fourni aux Canadiens de fausses informations sur ces contrats?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Encore une fois, je n’accepte pas la prémisse selon laquelle le gouvernement a fourni de fausses informations à l’époque. Je ne sais tout simplement pas comment ce travail a évolué. Il est assez courant que des entreprises au Canada, et même d’ailleurs, aient recours à des filiales situées dans d’autres pays. Autrement, je n’ai pas les informations pour répondre à votre question.

Le sénateur Plett : Vous fournissez des renseignements qui ne sont pas exacts, ce sont de fausses informations, monsieur le leader. Vous nous faites constamment la leçon au sujet des fausses informations à nous, les conservateurs, mais voilà un exemple flagrant de fausse représentation, de mauvaise gestion et de secret, monsieur le leader. Le gouvernement Trudeau n’en vaut pas le coût et il ne redressera jamais notre budget.

Quelle est la valeur totale actuelle de ces contrats, monsieur le leader? Est-ce plus de 208 millions de dollars?

Le sénateur Gold : Je n’ai pas de chiffre à fournir en guise de réponse, sénateur, mais je vous remercie de votre question.

Le Bureau du Conseil privé

La Commission de la fonction publique

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Gold, comme je ne fais partie d’aucun caucus du Sénat, je n’ai pas pu poser cette question à la présidente de la Commission de la fonction publique en comité plénier en décembre dernier. Je suis donc heureuse de pouvoir vous la poser.

Pouvez-vous nous dire s’il existe des directives stratégiques pangouvernementales régissant le recours aux ententes de non‑divulgation pour régler des griefs d’employés portant sur du harcèlement? Le gouvernement fait-il le suivi de la fréquence, des coûts et d’autres paramètres connexes de l’utilisation des ententes de non-divulgation dans les ministères, les sociétés d’État et d’autres entités qui reçoivent des fonds fédéraux?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je suis heureux que vous ayez l’occasion de me poser la question, chère collègue, mais je n’ai tout simplement pas la réponse. Cependant, je soulèverai sans faute ces questions auprès du ministre dès que je le pourrai.

La sénatrice McPhedran : Les ententes de non-divulgation sont des outils conçus pour protéger les secrets commerciaux exclusifs, et non pour cacher des actes répréhensibles illégaux. Que fait le gouvernement pour protéger les employés contre l’utilisation abusive des ententes de non-divulgation, comme nous l’avons entendu dans le témoignage des employés de Technologies du développement durable Canada lorsqu’ils se sont adressés au Parlement?

Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas d’ajouter cette question à ma liste. Je vous remercie.


(1850)

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-62, suivie de la motion no 156, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), qui a été présenté à l’autre endroit par le ministre de la Santé, le 1er février 2024.

[Français]

Ce projet de loi propose de prolonger de trois ans, soit jusqu’au 17 mars 2027, l’exclusion temporaire de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, ou AMM, dans les circonstances où la seule condition médicale sous-jacente est une maladie mentale. Sans cette modification législative, l’exclusion sera automatiquement abrogée le 17 mars 2024, date à laquelle l’admissibilité à l’AMM, dans ces circonstances, deviendra légale en vertu des critères d’admissibilité et des mesures de sauvegarde.

[Traduction]

Honorables collègues, je suis conscient que c’est une question qui est encore difficile à aborder pour bon nombre d’entre nous.

Sur le plan personnel, elle touche à des valeurs et des croyances fondamentales pour nous, en tant qu’être humain. Comment peut-il en être autrement, quand nous devons faire face à la souffrance des personnes qui veulent se prévaloir de l’aide médicale à mourir pour mettre fin à leurs jours? Cependant, l’aide médicale à mourir est aussi une question sur laquelle nous, les sénateurs, devons nous pencher en tant que législateurs qui ont un rôle à jouer au sein de la démocratie constitutionnelle du Canada.

Mon intervention d’aujourd’hui portera sur deux grandes questions. La première est de savoir si nos systèmes de soins de santé, qui relèvent des provinces et des territoires, sont prêts à mettre en œuvre l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. La deuxième consiste à déterminer dans quelle mesure le projet de loi C-62 est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.

J’espère pouvoir vous convaincre que la proposition du gouvernement de fixer un nouveau délai est bien fondée et raisonnable tout en vous demandant d’appuyer l’adoption du projet de loi C-62, tel qu’il est présenté avant que nous ajournions cette semaine pour la pause du mois de mars.

Tout d’abord, honorables collègues, disons clairement ce qui ne fait pas partie de l’objet du projet de loi C-62.

Le projet de loi C-62 ne vise pas à déterminer si l’aide médicale à mourir est ou devrait être inscrite dans la loi au Canada. La Cour suprême du Canada a déjà tranché cette question avec l’arrêt Carter, et des dispositions à cet égard sont maintenant inscrites dans le Code criminel.

Le projet de loi C-62 ne nous invite pas non plus à déterminer si l’aide médicale à mourir devrait être offerte à une personne dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. Le projet de loi C-62 ne supprime pas son élargissement et ne le rouvre pas au débat. Cette décision a été prise par le Parlement et elle est déjà inscrite dans le Code criminel.

Le projet de loi C-62 prévoit une prolongation de trois ans afin de s’assurer que l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental puisse être mise en œuvre de manière sûre et uniforme dans l’ensemble du Canada.

Chers collègues, il ne faut pas croire qu’aucun travail n’a été effectué pour préparer les systèmes. Au contraire, depuis 2021, alors que le Parlement a adopté la disposition initiale de caducité pour cette exclusion de l’admissibilité, d’importants progrès ont été réalisés dans la préparation de l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. Le gouvernement fédéral a travaillé en étroite collaboration avec les provinces et les territoires sur plusieurs mesures, comme l’élaboration d’un modèle de norme de pratique à l’usage des organismes de réglementation et des cliniciens, ainsi que l’élaboration et le lancement d’un programme de formation accrédité à l’échelle nationale pour les cliniciens.

Malgré ces progrès, toutes les provinces et tous les territoires ont demandé un délai supplémentaire pour garantir une approche uniforme et sûre dans tout le pays.

[Français]

Le 29 janvier 2024, plusieurs ministres provinciaux et territoriaux de la Santé ont envoyé une lettre au ministre fédéral de la Santé pour demander une suspension, pour une durée indéterminée, dans la mise en œuvre de l’élargissement des critères d’admissibilité à l’AMM. Depuis lors, d’autres provinces ont indiqué qu’elles étaient également favorables à une prolongation de la disposition de caducité, même si celle-ci n’était pas nécessairement d’une durée indéterminée. Cela comprend notamment la Colombie-Britannique, qui a l’un des taux de demandes d’AMM les plus élevés, et le Québec, l’une des administrations les plus progressistes en matière d’AMM au pays.

Le projet de loi C-62 suit également la recommandation du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir selon laquelle une prolongation de la clause de caducité était nécessaire.

[Traduction]

Dans son rapport intitulé L’AMM et les troubles mentaux : Le chemin à parcourir, qui a été déposé le 29 janvier 2024, le comité indique que, même si des progrès considérables ont été réalisés sur le plan de la préparation à l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical invoqué, il faut plus de temps pour veiller à ce que le système de santé puisse offrir une application sûre de l’aide médicale à mourir dans ce genre de cas complexes. Le comité recommande également la remise sur pied d’un comité mixte spécial pour vérifier le degré de préparation un an avant l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir.

Comme l’a dit le ministre Holland lors de la séance du comité plénier, des provinces ou des territoires sont mieux préparés que d’autres, et il en va de même pour les cliniciens. Le principal problème, c’est l’incohérence à l’échelle du pays. Il faut prévoir plus de temps pour veiller à ce que les systèmes de soins de santé au Canada soient mieux préparés pour faire face aux demandes d’aide médicale à mourir, peu importe les établissements où la demande est présentée, et que ces demandes soient évaluées et administrées de façon cohérente partout au pays. En effet, le gouvernement a également entendu de grandes institutions, comme le Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui affirment ne pas avoir encore atteint un consensus sur la façon de mettre en œuvre les demandes d’aide médicale à mourir quand la maladie mentale est la seule raison invoquée.

Honorables collègues, actuellement, le 17 mars 2024 est la date à laquelle la disposition de caducité doit être levée pour autoriser les demandes d’aide médicale à mourir lorsque le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. Si le projet de loi C-62 ne reçoit pas la sanction royale avant cette date, cela créerait un important vide juridique qui entraînerait une grande incertitude dans l’ensemble du pays.

Pendant cette période, la pratique pourrait être jugée légale, et cela causerait des difficultés bien réelles pour les administrations et les praticiens. Cela créerait également des obstacles pour les demandeurs, surtout en l’absence à la fois de ressources et du cadre requis pour l’administration sécuritaire de l’aide médicale à mourir.

Toutes les parties ont besoin de clarté. Les demandeurs, les évaluateurs et les praticiens ont tous besoin que le droit criminel soit appliqué de manière uniforme partout au pays afin que personne ne craigne d’enfreindre la loi, tout en veillant à ce que la meilleure qualité de soins et de services soit assurée dans toutes les administrations.

La disposition d’entrée en vigueur du projet de loi C-62 ne devrait en aucun cas être considérée comme une invitation pour nous, au Sénat, à créer ce vide juridique.

[Français]

Chers collègues, nous savons que tout le monde n’est pas du même avis sur le fait que le système de soins de santé n’est pas prêt. Nous avons entendu dire que le programme de formation et le modèle de normes de pratique sont en place, que certains cliniciens croient qu’eux-mêmes et leurs collègues sont prêts à évaluer ceux qui demandent l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué — l’AMM TM-SPMI — et que seul un petit nombre de personnes souffrant uniquement de maladie mentale seraient admissibles à l’aide médicale à mourir. En effet, tout cela a été reconnu par le ministre de la Santé au moment de sa comparution devant le comité plénier. Cependant, ce n’est qu’une partie de l’équation. Alors, qu’est-ce que cela signifie quand on affirme que nos systèmes de soins de santé ne sont pas encore prêts?

[Traduction]

En ce qui concerne la disponibilité des évaluateurs formés, commençons par les chiffres.

Les provinces et les territoires responsables de l’administration des soins de santé ont déterminé qu’à l’heure actuelle, seulement 2 % des psychiatres ont reçu la formation. Sur les 1 100 cliniciens qui se sont inscrits à la formation, seulement 130 sont des psychiatres, et sur les 1 100 cliniciens, seulement 40 ont terminé tout le module de formation. Depuis le lancement du programme en août 2023, 26 séances supervisées ont été offertes dans six provinces et territoires, soit en Alberta, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Québec et en Saskatchewan. De plus, 15 séances sont encore prévues dans d’autres provinces et territoires : au Manitoba, à Terre-Neuve-et-Labrador, en Ontario et au Québec. Il est évident que le nombre de praticiens pleinement formés augmentera au fil du temps, mais les chiffres actuels sont bien en deçà de ceux qui seraient nécessaires dans un pays aussi grand et aussi diversifié que le Canada.

(1900)

Honorables sénateurs, nous avons entendu dire, et nous continuerons d’entendre dire, qu’un certain nombre de praticiens sont prêts à ce que l’accès à l’aide médicale à mourir soit élargi aux demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Cette affirmation ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les professionnels.

Quand il a témoigné devant le comité, le Dr Tarek Rajji, médecin-chef du Comité médical consultatif au Centre de toxicomanie et de santé mentale, a dit ceci :

Nous avons plusieurs médecins et infirmières qui sont disposés à participer au processus d’évaluation de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, mais ils nous disent haut et fort qu’ils ont besoin de directives plus précises. Ils n’ont pas de normes consensuelles pour déterminer, lorsqu’ils voient un patient dans leur cabinet, si cette personne a une maladie incurable ou non.

Chers collègues, la question du degré de préparation va au-delà du nombre de personnes dûment formées pour évaluer les demandes d’aide médicale à mourir. Il faut aussi voir à ce que la mise en œuvre du régime soit uniforme dans l’ensemble des provinces et des territoires.

À titre d’exemple, le Collège des médecins du Québec, qui soutient en principe l’aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué, a dit qu’il fallait des lignes directrices cliniques supplémentaires, lesquelles n’avaient pas encore été officialisées ni adoptées dans la province.

Le Dr Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec, a expliqué que même si des lignes directrices étaient en cours d’élaboration et que cinq critères avaient été établis au sujet de l’aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué, il y avait encore du travail à faire.

Le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique a publiquement soutenu la décision du gouvernement fédéral de retarder l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir. Il a affirmé : « Je recommande que des mesures de sauvegarde supplémentaires soient adoptées afin de veiller à ce que l’aide médicale à mourir soit dispensée de manière sûre et appropriée [...] »

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le plus grand hôpital d’enseignement en santé mentale du Canada et l’un des plus grands centres de recherche au monde, a également souligné ce point dans ses observations présentées au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Permettez-moi de citer ses observations écrites du 28 novembre 2023 :

Les normes de pratique fédérales sont une première étape encourageante. Elles mettent en évidence les critères que les organismes de réglementation des professionnels de la santé peuvent exiger de leurs membres, lorsqu’ils choisissent d’offrir l’aide médicale à mourir. Mais ce n’est pas suffisant. Ces organismes de réglementation s’attendent également à ce que leurs membres aient accès aux meilleures données probantes disponibles sous forme de guide de pratique clinique. Il n’existe actuellement aucune ligne directrice pour les cas d’aide médicale à mourir où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée [...]

Bien que certains organismes de réglementation provinciaux et territoriaux aient réussi à intégrer [...] dans leurs documents d’orientation à l’intention des cliniciens [les normes de pratique de l’aide médicale à mourir établies par un groupe de travail indépendant composé d’experts cliniques, réglementaires et juridiques]

Il mentionne l’Alberta, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et l’Ontario, avant de poursuivre ainsi : « [...] d’autres sont encore en train d’examiner leurs normes et de les mettre à jour [...] »

Par exemple, la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et les Territoires du Nord‑Ouest, ainsi que « [...] d’autres ont indiqué qu’ils n’avaient pas progressé sur ce front ».

Je cite à nouveau les observations écrites du Centre de toxicomanie et de santé mentale :

Le gouvernement doit également comprendre que le système de santé n’est pas outillé pour faire face à l’augmentation des demandes d’aide médicale à mourir attendue en mars 2024 [...]

Si nous n’avons pas le temps nécessaire pour mettre en place les lignes directrices, les ressources et les experts, l’accès à l’[aide médicale à mourir] des personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est la maladie mentale sera limité et non uniforme, et pourrait exacerber les inégalités qui existent déjà dans le système de soins de santé. Cela peut aussi entraîner de la confusion, de la détresse et de la frustration pour les patients, leur famille et les fournisseurs de soins de santé.

Par conséquent, le [Centre de toxicomanie et de santé mentale] exhorte le gouvernement à retarder davantage l’admissibilité à l’aide médicale à mourir des personnes dont la seule condition sous-jacente est la maladie mentale, jusqu’à ce que le système de soins de santé soit prêt et que les fournisseurs aient les ressources dont ils ont besoin pour dispenser des services de haute qualité, uniformes et équitables.

En plus des observations ci-dessus du Centre de toxicomanie et de santé mentale, l’organisme a écrit ce qui suit dans sa déclaration de janvier 2024 en faveur de la prolongation :

Un report de l’élargissement de l’accessibilité à l’[aide médicale à mourir] permettra de mieux former le personnel de première ligne en santé mentale et en santé liée à la consommation de substances. Nous demandons au gouvernement de mettre les modules de formation à la disposition des prestataires de services communautaires en santé mentale et en santé liée à la consommation de substances et du personnel qui soutient nos organisations. De plus, nous lui suggérons de mettre au point des ressources ciblées pour aider ces prestataires à répondre aux questions et préoccupations éthiques, juridiques et pratiques qui se présenteront une fois que l’[aide médicale à mourir en cas de trouble mental] sera offerte.

Chers collègues, le Centre de toxicomanie et de santé mentale et l’Association canadienne pour la santé mentale ne sont pas les seuls qui sont en faveur d’une prolongation de la disposition de caducité.

L’Association des hôpitaux de l’Ontario, qui représente les 140 hôpitaux publics de la province, a indiqué qu’elle a encore du mal à déterminer comment ses établissements mettront en œuvre l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

Honorables collègues, il y aussi la question de la surveillance.

Plusieurs provinces ont mis en place des mécanismes de surveillance solides, notamment certaines des plus grandes provinces — la Colombie-Britannique, l’Alberta, l’Ontario et le Québec — tandis que d’autres n’ont pas mis en place de processus officiels d’assurance de la qualité et de surveillance en la matière, notamment le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau‑Brunswick.

En outre, la décision de suspendre l’élargissement de l’aide médicale à mourir était également fondée sur les graves préoccupations quant à la capacité de fournir une gamme de services complets pour répondre aux besoins en santé mentale des personnes envisageant de demander l’aide médicale à mourir. Par exemple, les capacités sont-elles suffisantes pour orienter les personnes vers des ressources de prévention du suicide si cela s’avère approprié dans un cas donné?

L’été dernier, dans le cadre d’une séance du Programme d’échanges Meilleurs Cerveaux des Instituts de recherche en santé du Canada, on a abordé la voie 2 de l’aide médicale à mourir — c’est-à-dire quand la mort n’est pas raisonnablement prévisible —, y compris l’admissibilité à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Le rapport de la séance indique que ces échanges d’une durée de deux jours ont rassemblé des intervenants de plusieurs secteurs, y compris des représentants d’autorités sanitaires régionales, des universitaires et des cliniciens.

Au cours des échanges, on a souligné que :

Ce n’est pas tout le monde qui sera admissible, et cela peut accroître le risque de suicide. Alléger les souffrances peut être un but en soi. Alléger les souffrances et mettre les efforts requis dans les discussions sur cet enjeu pourrait éviter d’éventuels problèmes liés à la pénurie de médecins et aux arriérés dans les services en santé mentale.

Des participants à la séance ont ajouté ceci :

Il pourrait être stressant de se retrouver sur une liste d’attente après avoir demandé l’aide médicale à mourir, et cela peut augmenter le risque de suicide, surtout si les listes d’attente sont longues, ce qui complique le processus pour les patients.

En plus de nous assurer que les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir ont un accès adéquat à l’ensemble du soutien dont elles ont besoin, il est également important de nous assurer que les cliniciens et les praticiens ont le soutien requis pour mener l’évaluation fort complexe des demandes de personnes dont la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale.

Pendant la séance d’échanges Meilleurs Cerveaux, un autre besoin auquel il faut répondre dans l’ensemble du système a été soulevé :

Il sera important que les autorités sanitaires et les leaders continuent le développement de communautés de pratique et de systèmes de soutien connexes. Les professionnels de la santé ont besoin d’un espace où il est possible de réfléchir à leurs limites personnelles et professionnelles, notamment aux situations où ils pourraient dire « non ».

[Français]

En effet, ce ne sont pas seulement les ministres provinciaux et territoriaux de la Santé qui ont soulevé ces préoccupations lors de leur rencontre à Charlottetown. Ces préoccupations étaient également au cœur de la déclaration du 30 janvier dernier de l’Association canadienne pour la santé mentale visant à appuyer une prolongation de la clause de caducité. À leur avis, le temps et les ressources ont été insuffisants pour consulter les partenaires communautaires et les personnes ayant une expérience vécue de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, de même que pour soutenir le personnel de première ligne en matière de santé mentale et de toxicomanie, qui doit répondre aux demandes de renseignements et qui est susceptible de procéder à des évaluations.

[Traduction]

Chers collègues, il y a aussi la question de la coordination des soins en santé en mentale et d’autres services de soutien qui sont importants dans ce processus.

Certaines provinces ont des services de coordination robustes pour gérer les demandes et offrir les services auxiliaires, comme la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador. D’autres provinces et territoires, par exemple l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et l’Île‑du-Prince-Édouard, adoptent une approche décentralisée, mais cela peut donner lieu à une moins bonne coordination entre les services et les professionnels. La disponibilité des services de soutien nécessaires, autant pour les médecins que les patients, varie en fonction de la région.

(1910)

Chers collègues, le gouvernement a aussi entendu des groupes autochtones qui affirment ne pas être prêts pour l’élargissement de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental dans leurs communautés. Des discussions avec les dirigeants autochtones et les communautés ont commencé, mais il faut plus de temps pour lancer un processus de consultations adéquates.

À ce sujet, le gouvernement du Canada a donc lancé une consultation de deux ans sur l’aide médicale à mourir auprès des Premières Nations, des Inuits et des Métis, y compris des Autochtones vivant en milieu urbain, des Autochtones vivant hors réserve avec ou sans statut, des Autochtones vivant avec un handicap et des Autochtones bispirituels, LGBTQIA+ et de diverses identités de genre. Ce processus de participation suit une approche à deux volets qui repose à la fois sur des activités dirigées par les Autochtones et sur des activités dirigées par Santé Canada.

À ce jour, neuf organismes autochtones ont obtenu du financement pour mener des discussions sur l’aide médicale à mourir et les soins palliatifs au sein de leur communauté. Santé Canada appuie d’autres activités de participation, y compris un sondage en ligne ouvert jusqu’au 30 juin 2024. Une série de 23 ateliers d’échange de connaissances sous forme de tables rondes nationales, dirigées par une entreprise appartenant à des Autochtones, est prévue de février à avril 2024 dans sept endroits différents au Canada, et il sera possible de participer en mode virtuel.

Les informations recueillies dans le cadre de toutes les activités de consultation serviront à élaborer un rapport Ce que nous avons entendu sur les points de vue et les expériences des peuples autochtones en matière d’aide médicale à mourir, dont la publication est prévue pour 2025. Ce rapport permettra d’orienter une politique d’aide médicale à mourir sûre et adaptée à leur culture à tous les ordres de gouvernement et de respecter la diversité des peuples autochtones.

Santé Canada prévoit de fournir une mise à jour officielle au Parlement sur la consultation des Autochtones sur l’aide médicale à mourir en mars 2024.

Chers collègues, le gouvernement a écouté les provinces et les territoires, les professionnels de la santé, les personnes ayant une expérience vécue, les communautés autochtones et les autres intervenants. Le projet de loi C-62 est le fruit de cette consultation et il reflète le point de vue mûrement réfléchi du gouvernement selon lequel les systèmes de santé au Canada ont simplement besoin de plus de temps pour être prêts à fournir ce service de manière adéquate et cohérente.

Honorables sénateurs, le projet de loi dont nous sommes saisis porte sur le processus, la prudence et, oui, le fédéralisme coopératif. La demande de suspension a été présentée par ceux qui ont la responsabilité constitutionnelle de traiter les demandes d’aide médicale à mourir, les provinces et les territoires, et ils ont parlé d’une seule voix.

Passons à mon prochain sujet.

[Français]

Bien des choses ont été dites pour ce qui est de déterminer si l’exclusion de l’admissibilité à l’AMM pour les personnes dont le seul problème médical sous-jacent est une maladie mentale est conforme à la Charte. Certains ont soutenu que non seulement l’exclusion ne respecte pas la décision de principe de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter, mais qu’elle perpétue également les stéréotypes et la discrimination à l’égard des personnes souffrant de maladie mentale.

Avec respect, je suis en désaccord avec cette affirmation. Permettez-moi de souligner trois points relatifs à ce sujet.

[Traduction]

Le premier concerne la décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter.

Chers collègues, il est vrai que la déclaration d’invalidité dans l’affaire Carter était très large et qu’elle n’excluait pas expressément la maladie mentale de son champ d’application. Cependant, la cour a pris soin de préciser que sa déclaration était « censée s’appliquer aux situations de fait que présente l’espèce ». Ces situations impliquaient des demandeurs souffrant de maladies physiques graves et avancées. La cour n’était pas saisie de la question de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué dans l’affaire Carter, et la cour n’a pas cherché à la trancher. En effet, la cour a expressément noté que « ne s’appliqueraient pas les paramètres » proposés dans les motifs de l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques. D’ailleurs, aucun tribunal n’a encore déterminé que l’exclusion de personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé enfreint la Charte.

En outre, dans l’affaire Carter, en concluant que l’interdiction générale concernant l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la mort n’était pas raisonnablement prévisible — en concluant que c’était inconstitutionnel —, la Cour suprême a reconnu que l’aide médicale à mourir soulève des questions complexes de politique sociale et un certain nombre de valeurs sociales opposées. Elle a reconnu que ces intérêts contradictoires sont eux-mêmes protégés par la Charte et que le Parlement est saisi de la difficile tâche de parvenir à un équilibre entre le point de vue des personnes qu’un régime permissif pourrait mettre en danger et le point de vue de celles qui demandent de l’aide pour mourir. Plus important encore, la Cour suprême a laissé entendre qu’il fallait accorder un haut degré de déférence à l’équilibre particulier établi par le Parlement dans sa réponse.

La cour a déclaré ceci au paragraphe 132 au sujet des motifs de son jugement :

[...] rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir. La déclaration ne fait qu’invalider la prohibition criminelle. La suite dépend des collèges des médecins, du Parlement et des législatures provinciales. Nous rappelons toutefois — comme l’avait fait le juge Beetz en abordant la participation du médecin à un avortement dans Morgentaler — que la décision du médecin de participer à l’aide à mourir relève de la conscience et, dans certains cas, de la croyance religieuse [...] Par cette remarque, nous ne souhaitons pas court-circuiter la réponse législative ou réglementaire au présent jugement. Nous soulignons plutôt le besoin de concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins.

Mon deuxième point concerne les droits protégés par la Charte elle-même, notamment les dispositions de l’article 15 touchant aux droits à l’égalité, de même que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, que garantit l’article 7.

En ce qui concerne l’article 15, le gouvernement a reconnu, dans ses énoncés concernant la Charte relatifs aux anciens projets de loi C-7 et C-39, et maintenant au projet de loi C-62, que l’exclusion de l’admissibilité crée une distinction fondée sur le handicap.

Cela dit, l’examen constitutionnel de l’article 15 ne s’arrête pas là. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans plusieurs arrêts de principe, l’article 15 de la Charte vise à protéger l’égalité réelle, et non l’égalité formelle. Autrement dit, les droits à l’égalité protégés par la Charte n’exigent pas nécessairement un traitement identique. Pour qu’une loi enfreigne l’article 15, la distinction qu’elle établit doit être réellement discriminatoire. Selon la cour, c’est le cas si une analyse contextuelle conclut que la distinction créée par la loi renforce, perpétue ou exacerbe les stéréotypes et les désavantages sociaux.

Comme l’indiquent ces énoncés concernant la Charte et comme l’a déclaré le ministre de la Justice lorsqu’il a comparu devant le comité plénier, l’exclusion temporaire de l’admissibilité n’est pas fondée sur l’hypothèse que les personnes atteintes de maladie mentale sont incapables de prendre des décisions ni sur l’incapacité d’évaluer la gravité des souffrances découlant de la maladie mentale. Elle s’explique plutôt par les difficultés et les risques que présente l’autorisation de l’aide médicale à mourir dans des circonstances où il y a des divergences d’opinions entre les experts et où toutes les provinces et tous les territoires indiquent qu’ils ont besoin de plus de temps pour se préparer. Le gouvernement est donc d’avis que le projet de loi C-62 est non discriminatoire et qu’il n’empiète pas sur les droits à l’égalité protégés par la Charte.

Comme l’a confirmé le ministre de la Justice, monsieur Virani, devant le comité plénier :

[...] quand on va au cœur d’une analyse visant l’égalité au titre de la Charte, on vérifie si on perpétue des stéréotypes négatifs ou si on porte atteinte à la dignité de la personne. [L]a souffrance mentale et la souffrance physique sont équivalentes. Il n’y a aucune différence entre les deux. En outre, on ne perpétue pas de stéréotype négatif sur la capacité décisionnelle d’une personne atteinte de maladie mentale.

Toutefois, on comprend la complexité du processus visant à tirer des conclusions sur la capacité décisionnelle d’une personne en difficulté qui peut présenter une demande en période de crise, où l’idéation suicidaire peut être une caractéristique ou un symptôme de sa maladie mentale. [...] l’aide médicale à mourir est non seulement un acte différent de ceux qu’accomplissent normalement les professionnels de la santé, c’est aussi un acte qui, dans le contexte qui nous occupe, diffère fondamentalement — et qualitativement — de toutes les autres situations prévues. Y a-t-il des questions liées à la Charte? Bien sûr, la Charte est en cause. Cependant [...] il faut être bien certain que la formation et l’évaluation en place sont rigoureuses afin que les intervenants puissent faire l’évaluation. Il est essentiel de ne pas faire d’erreur dans l’évaluation. Je ne pense pas qu’en vertu de la Constitution, [...] le gouvernement [a] le mandat d’autoriser un service de santé quand ce n’est pas sécuritaire de le faire. C’est notre conclusion : ce n’est pas sécuritaire de le faire à ce moment-ci.

Un examen de l’article 7 de la Charte nous mène à une conclusion semblable. Bien que l’exclusion temporaire de l’admissibilité touche clairement le droit à la vie protégé par l’article 7, le projet de loi C-62 ne contrevient pas aux principes de justice fondamentale élaborés par la Cour suprême du Canada. Le droit décrit à l’article 7 est celui de ne pas être privé de la vie, de la liberté et de la sécurité de sa personne, toute atteinte à ce droit devant être en conformité avec les principes de justice fondamentale. À cet égard, le projet de loi C-62 n’est ni vague, ni arbitraire, ni d’une portée excessive. Aussi, le gouvernement est d’avis qu’il n’enfreint pas l’article 7.

(1920)

En outre, comme nous le savons, chers collègues, les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ne sont pas absolus, mais soumis à des limites raisonnables qui peuvent être justifiées dans une société libre et démocratique. Le gouvernement est d’avis que, compte tenu des préoccupations relatives à l’état de préparation, il est à la fois raisonnable et justifié de reporter de trois ans l’admissibilité.

Enfin, j’aimerais parler brièvement du rôle du Parlement concernant de telles questions relatives à la Charte. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans plusieurs décisions principales — notamment l’arrêt Carter —, dans des affaires qui soulèvent des questions complexes où s’opposent des droits et des valeurs sociales divergents, le Parlement doit pouvoir exercer une certaine latitude dans son choix parmi un éventail d’options de politiques constitutionnelles. En effet, comme je l’ai mentionné plus tôt, la Cour suprême, dans l’arrêt Carter, a reconnu que la réponse du Parlement — c’est-à-dire sa décision sur la manière d’établir un juste équilibre entre des intérêts variés et divergents — se verrait accorder un degré élevé de déférence de la part des tribunaux.

Compte tenu des intérêts importants et divergents dont il faut tenir compte, des positions exprimées par l’ensemble des gouvernements provinciaux et territoriaux, de l’absence de consensus au sein de la profession médicale quant à l’état de préparation à la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, j’estime, honorables collègues, que le projet de loi C-62 s’inscrit parfaitement dans l’éventail des solutions raisonnables qui sont permises selon la Charte et que le Parlement peut proposer.

Honorables collègues, j’ai souligné d’entrée de jeu qu’il s’agit d’une question difficile à aborder pour chacun d’entre nous, parce qu’elle touche à la fois à nos convictions et nos expériences personnelles ainsi qu’au rôle que nous devons jouer en tant que sénateurs dans notre démocratie constitutionnelle. Cependant, comme j’ai tenté de le démontrer dans mes observations aujourd’hui, le projet de loi C-62 est une réponse politique légitime et raisonnable à un problème social très complexe et difficile. Il est appuyé par une grande majorité à l’autre endroit ainsi que par les ministres de la Santé de l’ensemble des provinces et des territoires du pays.

Même si des progrès considérables ont effectivement été réalisés sur la question de l’accès à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, il reste encore du travail à faire. Les trois années supplémentaires permettent d’atteindre un juste équilibre : ce cadre vise à assurer un accès sécuritaire à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental pour tous les individus partout au Canada tout en fournissant un objectif clair pour garantir que les systèmes de santé continuent à faire le nécessaire pour être prêts. C’est une mesure prudente pour que le Canada ait un régime d’aide médicale à mourir qui est étudié attentivement, doté des ressources appropriées et capable de répondre de façon sécuritaire et uniforme aux questions complexes soulevées par les cas qui se présenteront.

Pour ces raisons, chers collègues, je vous demande respectueusement d’appuyer le projet de loi C-62 et je vous remercie de votre bienveillante attention.

L’honorable Yuen Pau Woo : Merci de votre discours, sénateur Gold. Je pense que vous avez bien défendu le projet de loi et j’ai l’intention de l’appuyer. J’ai toutefois été frappé par un commentaire au milieu de votre discours et j’aimerais vous poser une question à ce sujet.

Vous avez parlé du manque de consensus parmi les praticiens au sujet du caractère irrémédiable, ce qui serait une des raisons justifiant le report de trois ans. Le gouvernement est-il d’avis que, dans trois ans, le milieu de la psychiatrie se sera entendu sur le caractère irrémédiable, ce qui retirerait cet obstacle à la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental?

Le sénateur Gold : Merci de la question. Je devrai aller relire mon discours. Je ne suis pas sûr d’avoir dit qu’il s’agissait de la principale raison expliquant l’absence de consensus parmi les médecins, les autorités réglementaires, les ministres responsables des soins de santé, etc. Je ne suis pas en mesure non plus de prédire le type de consensus qui émergera parmi les personnes chargées de l’évaluation des demandes — notamment les psychiatres —, parce que d’autres professionnels de la santé sont impliqués dans le processus.

Le travail sur cet enjeu se poursuit, c’est certain, et l’une des raisons invoquées pour justifier le report est qu’il faut prendre les lignes directrices plutôt générales régissant les pratiques pour établir des orientations plus spécifiques aux personnes qui s’occupent des évaluations, dans les établissements, dans les différentes provinces et dans l’ensemble du pays.

Le hansard indiquera ce que j’ai dit, mais mon intention n’était pas de mettre cette question en exergue.

Le gouvernement a la certitude qu’un report de trois ans est raisonnable. Il s’agit d’une échéance précise qui lève l’incertitude, ce qui fait que le système sera assez prêt pour que l’aide médicale à mourir puisse être administrée de façon uniforme et sûre partout au pays.

Le sénateur Woo : Je ne vous ferai pas dire ce que vous n’avez pas dit, mais le caractère irrémédiable d’un trouble est évidemment au cœur du projet de loi, puisque c’est le critère qu’il faut satisfaire pour être admissible à toute forme d’aide médicale à mourir.

Par ailleurs, si, après trois ans, les praticiens sont incapables de parvenir à un consensus sur le caractère irrémédiable qui donne droit à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, n’est-il pas vrai qu’une personne cherchant à obtenir l’aide médicale à mourir dans ce contexte n’aurait qu’à trouver le médecin qui est prêt à lui fournir cette aide puisqu’elle a reçu un diagnostic de trouble irrémédiable?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas sûr que ce soit la seule conséquence au cas où il subsisterait des divergences d’opinions entre les cliniciens, et je pense qu’il est inutile de présumer que tous les cliniciens, peu importe leur discipline et leur spécialité, doivent être du même avis, abstraction faite des questions de conscience et ainsi de suite.

Cependant, comme nous le disent le Centre de toxicomanie et de santé mentale, l’Association des hôpitaux de l’Ontario et d’autres organisations, je pense que le milieu médical doit élaborer des critères beaucoup plus précis pour déterminer exactement quelles mesures doivent être prises, par exemple, avant de pouvoir conclure que toutes les mesures ont été prises en vain pour alléger les souffrances.

Je fais confiance au milieu médical. Je fais confiance aux organismes de réglementation qui travaillent sur ce dossier. Les gens travaillent fort et en toute bonne foi sur ce dossier. Ma province, le Québec, ou la Colombie-Britannique ne sont pas des provinces idéologiquement opposées à l’aide médicale à mourir en général, à la voie 2 de l’aide médicale à mourir ou à l’aide médicale à mourir dans le cas des maladies mentales. Il n’est tout simplement pas vrai qu’elles souhaitent une prolongation parce qu’elles veulent que l’aide médicale à mourir disparaisse. Voici ce qu’elles disent : « Nous travaillons très fort sur ce dossier, mais nous devons en faire davantage et pousser l’analyse plus loin. Nous avons besoin de former davantage d’évaluateurs. La participation a été raisonnable, mais pas impressionnante. » Comme l’a indiqué le ministre de la Santé, il faut beaucoup de temps pour être pleinement formé.

Je fais confiance à nos systèmes pour qu’ils se préparent parce que je pense que la prolongation les oblige à le faire, et ils ont travaillé très dur à cette fin. Nous n’y sommes tout simplement pas encore.

L’honorable Stan Kutcher : Merci beaucoup, sénateur Gold, pour votre discours. Je pense que vous avez tout à fait raison de souligner les difficultés de régler cette question très difficile, une question qui est difficile pour moi tant sur le plan personnel que professionnel, mais qui est aussi difficile pour tous les Canadiens. Les sénateurs savent que parmi les neuf pays qui offrent une forme d’aide médicale à mourir, le Canada est le seul qui exclut les personnes souffrant d’un trouble mental.

Vous avez mentionné que, pour l’instant — et vous avez souligné à juste titre que de plus en plus de psychiatres reçoivent une formation —, environ 2 % des psychiatres ont été formés. C’est très peu. Cependant, vous avez omis de mentionner au Sénat que seulement environ 2 % des médecins canadiens sont formés à l’aide médicale à mourir, et que moins de 1 % de tous les bénéficiaires de l’aide médicale à mourir dans les pays du Benelux ont la maladie mentale comme seule condition médicale sous-jacente.

Deux pour cent des psychiatres ne peuvent pas faire le travail, mais 2 % des médecins peuvent le faire. Cela va au cœur de la discrimination contre les personnes souffrant de maladie mentale. On a recours à un argument selon lequel 2 %, ce n’est pas suffisant, mais on dit ensuite que 2 %, c’est très bien.

Pouvez-vous nous aider à comprendre pourquoi, s’il est acceptable que 2 % des médecins canadiens aient reçu une formation sur l’aide médicale à mourir concernant les maladies physiques, il est inacceptable que 2 % des psychiatres aient reçu une formation?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question et aussi de tout le travail que vous avez fait, sénateur Kutcher, dans le but de nous sensibiliser, de militer pour ce dossier et de le faire inscrire au programme législatif, comme nous l’avons fait au Sénat.

En soulignant que seulement 2 % des psychiatres ont reçu la formation, je voulais simplement dire que l’évaluation du caractère irrémédiable et de la personne qui demande l’aide médicale à mourir en raison d’un trouble mental incombera dans une large mesure, quoique pas entièrement, aux personnes qui ont fait des études en psychiatrie et qui ont reçu la formation relative à l’évaluation pour l’aide médicale à mourir.

(1930)

Encore une fois, il n’y a aucune différence qualitative dans la souffrance en cause, mais il se peut, et c’est ce que croient de nombreuses personnes que nous avons entendues, qu’il y ait un processus d’évaluation plus difficile et qu’il faille éventuellement des mesures de sauvegarde plus sévères à l’égard des personnes dont un trouble mental est la seule condition médicale invoquée que de celles qui se trouvent notamment à un stade avancé d’une maladie physique incurable.

Il ne s’agit pas de savoir pourquoi c’est acceptable pour l’un, mais pas pour l’autre. Ce que l’on nous a dit, sénateur Kutcher et chers collègues, c’est que le système dans son ensemble n’est pas prêt. De plus, même dans le deuxième volet, il est difficile, pour certaines provinces plus que d’autres, de bien répondre à la demande, selon elles. Comme l’a exprimé, je crois, le Centre de toxicomanie et de santé mentale ou un autre témoin, on redoute simplement que le système ne soit pas prêt à offrir tout le soutien nécessaire, non seulement aux évaluateurs, mais aussi au personnel connexe.

C’est la position du gouvernement en ce qui concerne le nombre d’évaluateurs formés en ce moment.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup pour cette réponse, sénateur Gold. Je pense qu’il est assez clair que 2 % et 2 %, c’est la même chose.

Le problème, c’est également que les personnes souffrant de troubles mentaux et d’une maladie physique concomitante sont actuellement admissibles, même si ce sont les troubles mentaux qui constituent la principale raison de leur demande. Il ne semble pas y avoir de problème, à l’heure actuelle, pour fournir le type d’approche globale, le soutien et tout ce que le gouvernement qualifie de nécessaire pour les personnes qui ont un trouble mental comme seul problème médical invoqué.

Aidez-nous à comprendre pourquoi ce n’est pas discriminatoire. Si on souffre à la fois d’une maladie mentale et d’une maladie physique, c’est bon, mais on souffre uniquement d’une maladie mentale, c’est non.

Le sénateur Gold : Comme j’ai essayé d’expliquer la position du gouvernement dans ma discussion sur la Charte, ce n’est pas discriminatoire parce que la nature des cas est différente. Lorsqu’il y a une maladie physique grave et irrémédiable, qu’elle soit ou non accompagnée d’un trouble mental, il s’agit d’une situation qualitativement différente de celle de quelqu’un qui présente un trouble mental comme seul problème médical invoqué.

La souffrance est la même, le désir d’accéder à l’aide médicale à mourir est le même, mais l’évaluation se fera différemment, car, sauf erreur de ma part, je pense que les personnes qui ont droit à l’aide médicale à mourir dans le cadre du volet 2 — ou du volet 1, d’ailleurs — y ont droit en raison d’un handicap ou trouble physique irrémédiable et non parce qu’elles souffrent en même temps, comme certaines, mais pas toutes, d’un trouble mental.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Je vous remercie de votre discours, sénateur Gold. Ma question porte sur les problèmes liés au système de santé qui ont été soulevés précédemment et dont vous avez parlé dans votre discours. En fait, aujourd’hui, dans le Journal de l’Association médicale canadienne publié en ligne, des dirigeants du milieu de la santé ont noté « un financement inadéquat pour permettre la coordination et l’uniformité des services, ainsi que l’accès équitable aux soins », tant pour l’aide médicale à mourir que pour les soins palliatifs ou de fin de vie.

Dans l’esprit du fédéralisme coopératif, le gouvernement fédéral a-t-il un plan — un plan qui ne consiste pas à s’en remettre entièrement aux provinces et aux territoires — pour résoudre d’ici trois ans les problèmes qui ont été cernés dans le système de santé?

Le sénateur Gold : Merci de votre question, madame la sénatrice.

Depuis de nombreuses années, le gouvernement du Canada soutient les gouvernements provinciaux et leurs systèmes de santé en leur allouant d’importantes sommes d’argent. Comme nous le savons, le gouvernement fédéral a récemment conclu des accords bilatéraux avec toutes les provinces et tous les territoires en respectant, comme il se doit, la compétence constitutionnelle des provinces pour déterminer leurs priorités.

Comme nous l’a indiqué le ministre de la Santé en comité plénier, chacun de ces accords bilatéraux affectera des fonds à des fins différentes, et une partie d’entre eux — quoique je ne puisse pas vous donner de chiffre — serviront également à améliorer les mesures de soutien en matière de santé mentale. Le gouvernement continuera de collaborer avec les provinces et les territoires afin de contribuer à améliorer l’accès aux services de santé mentale et à d’autres services auxiliaires dans les provinces et les territoires ainsi que dans les communautés autochtones.

Le système ne sera jamais parfait, et le gouvernement ne prétend pas que tout sera parfait dans trois ans. Il y aura toujours — malheureusement, tragiquement, et on peut même dire honteusement — des inégalités dans l’accès aux services de santé. Il ne s’agit pas seulement des zones urbaines par rapport aux zones rurales. Il s’agit aussi des diverses classes de population dans une région donnée.

Le gouvernement du Canada continue d’offrir tout le soutien qu’il peut aux provinces et aux territoires, qui font également leur part. Étant donné toutes les mesures qui sont prises au sein de la profession, des provinces et territoires, et des établissements tels que les hôpitaux de l’Ontario, de ma province et d’ailleurs, on s’attend à ce que le système soit prêt.

La sénatrice Osler : Merci, sénateur Gold. Je dirais que, maintenant plus que jamais, en matière de soins de santé, le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de leadership dans un esprit de fédéralisme coopératif.

Vous avez mentionné les accords bilatéraux en matière de santé. En novembre dernier, les ministres de la Santé ont rencontré le ministre Holland, et si je ne m’abuse, une entente sur la santé a été signée avec toutes les provinces et tous les territoires, sauf un ou une.

Êtes-vous en mesure de nous dire si l’on a discuté, à l’une ou l’autre de ces rencontres, d’un plan pour résoudre les problèmes du système de santé?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas au courant des détails des discussions entre les ministres, et je ne suis pas certain que ce soit du domaine public. Je sais que le ministre de la Santé et ses homologues discutent constamment de ces questions, tout comme les fonctionnaires. Je sais que le gouvernement et le ministre croient fermement que le gouvernement fédéral devrait continuer à contribuer pour aider les provinces et les territoires à se préparer.

Le fédéralisme coopératif, c’est aussi respecter la compétence souveraine des provinces de décider exactement quels sont leurs besoins les plus criants et d’en établir la priorité. Certaines provinces mettent davantage l’accent sur les services dans les régions rurales, et d’autres peut-être dans d’autres régions. Il y a un échange constant entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, je vous remercie de votre discours ce soir.

Dans votre discours, vous avez déclaré que les groupes autochtones disent qu’ils ne sont pas prêts et que le gouvernement allait lancer un processus de consultation échelonné sur deux ans. Cependant, sénateur Gold, il y a trois ans, au Comité sénatorial des affaires juridiques, nous avions entendu des témoins représentant différents organismes autochtones, et, à ce moment-là, ils avaient très clairement indiqué qu’ils n’étaient pas prêts. Ils nous l’ont dit à l’étape de l’étude préalable de notre comité pour ce projet de loi et lors de notre étude sur la teneur du projet de loi C-7. La raison pour laquelle nous avions décidé de les convoquer à titre de témoins, c’est parce qu’il y avait des lacunes évidentes dans l’étude de la Chambre des communes à cet égard.

Bon nombre de ces témoins autochtones nous ont dit, au nom de leurs organisations, qu’ils ne voulaient pas que l’aide médicale à mourir soit accessible pour les personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente. Ces témoins autochtones nous ont dit que bon nombre de leurs communautés font face à une crise et ils réclamaient de l’aide pour soigner la maladie mentale et la toxicomanie dans leurs communautés — et non pas un accès plus facile à des moyens létaux de se suicider.

(1940)

Compte tenu de tout cela, sénateur Gold, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas lancé ce processus de consultations adéquates auprès des Autochtones beaucoup plus tôt? Cette fois-ci, votre gouvernement décidera-t-il d’écouter réellement ce qu’ils disent?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Les problèmes auxquels les communautés autochtones font face en matière d’accès aux services de santé, leur désespoir et le taux élevé de suicides sont, tragiquement, bien connus. Par conséquent, d’après ce qu’on m’a dit, l’aide médicale à mourir est un sujet dont, franchement, de nombreuses communautés autochtones ne veulent même pas discuter. La consultation et la participation vont dans les deux sens. Ce ne sont pas des choses sur lesquelles on peut insister ou que l’on peut faire respecter.

On me dit qu’il a fallu du temps pour amener les gens à la table et pour discuter de la loi adoptée par le Parlement, selon laquelle l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué sera offerte dans trois ans, vu la disposition de caducité incluse dans cette loi. Le gouvernement finance les communautés autochtones et collabore avec elles pour susciter une meilleure compréhension de l’enjeu. Il est en outre important d’écouter les communautés autochtones et de connaître leurs besoins, qui sont énormes, afin de fournir des soins et du soutien aux personnes qui se trouvent dans une situation désespérée et qui ne peuvent être soutenues, traitées ou guéries à cause d’un manque de ressources.

Le gouvernement fait ce qu’il peut, en respectant le rythme auquel les communautés sont prêtes à dialoguer, et nous ferons rapport au Parlement régulièrement sur l’évolution de la situation.

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’opposer à ce projet de loi. Je ne l’appuie pas. Je crois qu’il va à l’encontre de la Charte et de deux décisions de tribunaux provinciaux qui traitent directement de cette question. Il est discriminatoire à l’égard des personnes souffrant de troubles mentaux et ne se fonde pas sur les meilleures données disponibles concernant l’état de préparation.

Nous devons nous concentrer sur l’objet du projet de loi, et non sur nos sentiments respectifs à propos de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème de santé invoqué, de la deuxième voie de l’aide médicale à mourir ou de l’aide médicale à mourir en général. Le projet de loi vise à préparer les organismes de réglementation et les fournisseurs de soins. Il ne cherche pas à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir — comme le laissent entendre les gens qui s’y opposent —, mais plutôt à s’assurer qu’on n’empêche plus les gens souffrant de troubles mentaux d’obtenir les mêmes soins médicaux que ceux qui sont offerts aux gens atteints d’autres types de maladies.

La Cour d’appel de l’Alberta et la Cour supérieure du Québec ont déjà traité cette question. Les deux décisions ont pris en compte les questions relatives à la Charte. Les deux décisions ont clairement rejeté les arguments que nous avons entendus de la part de militants luttant contre l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème de santé invoqué.

Le Sénat ne cherche pas à contester ces décisions. Ce sont les tribunaux qui s’occupent des litiges. Nous ne disposons pas des mêmes outils que les tribunaux pour aller au fond des choses. Nos comités ne sont pas structurés pour fonctionner de la sorte. Nous sommes une entité politique qui subit ce genre de pressions.

Nous devons déterminer si ce projet de loi est bien fondé et s’il est justifié de reporter l’égalité d’accès à des soins médicaux simplement en raison de la nature du diagnostic dans le cas d’un petit nombre de Canadiens qui ont respecté tous les critères établis pour faire une demande d’aide médicale à mourir. Nous devons avoir l’assurance que ce projet de loi ne fait pas de discrimination contre les personnes atteintes d’un trouble mental.

Ce projet de loi général repose sur la prémisse selon laquelle il n’y aurait aucun endroit au pays où on serait prêt à gérer cette situation. Nous devons nous assurer que c’est bel et bien le cas. On met de l’avant cette opinion en s’appuyant sur les conclusions d’un rapport majoritaire imparfait du comité mixte, qui affirme que « le système de santé au Canada n’est pas prêt », sans toutefois avoir étudié le système de santé du Canada. Ce comité n’a pas tenu compte des témoignages d’experts, il n’a pas pris en considération les critères de préparation que le gouvernement a lui-même établis, il n’a pas proposé ou étudié d’autres critères, et il a étouffé les voix des personnes les plus touchées. On ne devrait pas se fonder sur ce rapport pour justifier le projet de loi.

Le projet de loi est appuyé dans une lettre provenant de certains ministres provinciaux et territoriaux qui affirment qu’ils ne sont pas prêts, mais qui ne proposent aucun critère de préparation. Dans bien des cas, ce qu’ils affirment est en contradiction flagrante avec ce que leurs propres fournisseurs de soins et organismes de réglementation nous on dit. Ont-ils raison de dire qu’ils ne sont pas prêts, ou est-ce une manœuvre politique de leur part?

Deux ministres nous ont dit que certains Canadiens demandent avec insistance un report de cette mesure. Ce n’est pas étonnant. Il existe un lobby bien organisé et tenace pour l’élimination de l’aide médicale à mourir ou de la deuxième voie de ce programme. Il ne représente pas les personnes qui souffrent gravement et de façon irrémédiable à cause d’un trouble mental. Ce lobby se sert de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental pour attaquer la deuxième voie de l’aide médicale à mourir. Il ne faut pas les laisser étouffer le débat avec leur cacophonie.

L’article de portée générale que contient le projet de loi empêche des gens d’obtenir l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, alors qu’ils vivent dans une province ou un territoire qui est prêt à l’administrer, parce que d’autres provinces ou territoires disent qu’ils ne sont pas prêts. Il n’existe aucune autre intervention médicale au Canada qui soit interdite pour ces motifs. Il s’agit d’une mesure discriminatoire.

Le projet de loi impose un report de la date butoir alors que nous avons des données solides qui indiquent que de nombreuses régions du Canada sont prêtes. Nous avons reçu une lettre signée par 125 fournisseurs de soins qui disent être prêts. Un de ces fournisseurs de soins a écrit, dans le Hill Times, que le ministre de la Justice fait fi de ces données et prétend le contraire de ce qu’elles indiquent.

Le projet de loi a été adopté sans que les personnes les plus touchées aient leur mot à dire. Il semble que la devise « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous » s’applique à tous les Canadiens, sauf ceux qui souffrent gravement et irrémédiablement d’un trouble mental — une maladie qui, s’il s’agissait d’une maladie physique grave et irrémédiable, pourrait être invoquée sans problème. C’est de la discrimination.

La discrimination contre les personnes souffrant de troubles mentaux a une longue et sombre histoire. Nous devons décider cette semaine de quel côté de cette sombre histoire nous nous rangerons.

Chers collègues, on nous a raconté des bobards, et on nous a inondés de propos erronés et incendiaires sur cette question. Ces mensonges ont favorisé la discrimination — par exemple, il ne devrait y avoir aucune aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué jusqu’à ce que nous réparions le système de soins de santé mentale. Pourtant, comme je peux l’attester par mon expérience personnelle, notre système de soins de santé physique est dysfonctionnel. Plus de six millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille, mais nous autorisons le recours à l’aide médicale à mourir pour une maladie physique en dépit d’un système de santé défaillant.

Nous avons entendu dire qu’on ne devrait pas autoriser l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué au Canada jusqu’à ce que tout le monde partout au pays puisse avoir un accès égal. C’est d’ailleurs ce que vient de nous dire le sénateur Gold. Pourtant, nulle part au Canada n’a-t-on un accès égal aux soins de santé, y compris les soins de fin de vie. Or, seules les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent se voir refuser légalement le recours à ce type de soins. Ce projet de loi considère certains Canadiens non pas comme des personnes, mais comme un diagnostic. Cela, mes amis, c’est de la discrimination.

On entend souvent que toute personne dépressive ou suicidaire recevra l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué; ce n’est pas vrai. On nous dit que parce qu’il n’y a pas assez de soins palliatifs que les gens choisissent plutôt l’aide médicale à mourir alors qu’ils veulent vraiment recevoir des soins palliatifs; ce n’est pas vrai. Cette cacophonie nous a nourris de peurs et de mensonges.

Chers collègues, j’ai parlé à de nombreuses personnes qui attendent depuis trois ans de présenter une demande d’aide médicale à mourir. Elles m’ont dit qu’elles savent que cette cacophonie est truffée d’informations erronées; pourtant, elles se retrouvent à nouveau au purgatoire. Certaines personnes m’ont dit que si le projet de loi est adopté, elles choisiront de se suicider ou de se rendre dans un autre pays pour recevoir ces soins.

Chers collègues, je pratique la médecine psychiatrique depuis une trentaine d’années et j’ai vu beaucoup de souffrances. Pourtant, je n’ai jamais rencontré de personnes soumises à des traitements aussi prolongés et infructueux que celles avec lesquelles je me suis entretenu sur cette question; elles ont suivi tous les types de traitements imaginables pendant des décennies, sans que rien ne vienne soulager leurs souffrances intolérables. Ces personnes ont clairement dit qu’elles voulaient parler en leur propre nom. Elles ont clairement dit qu’aucune des organisations et des personnes, dont celles citées par le sénateur Gold, ne parle en leur nom. En réalité, elles ne leur ont même jamais parlé. Cela peut s’expliquer par le fait que la question à laquelle certains s’attaquent est la voie 2 de l’aide médicale à mourir. La décision de refuser à quelques personnes atteintes de troubles mentaux graves et irrémédiables leur choix de fin de vie semble être une stratégie politique.

Le comité mixte a choisi de ne pas entendre les personnes concernées. La Chambre a choisi de ne pas les entendre. Les ministres ont choisi de ne pas les entendre. Chers collègues, nous avons choisi de ne pas les entendre.

(1950)

Que penseriez-vous si un autre groupe de gens était exclu des discussions sur une mesure législative qui a une incidence directe sur leur santé et leur bien-être? Cela provoquerait un tollé national. Toute cette cacophonie a donné lieu à des anecdotes invérifiables, à des données erronées ainsi qu’à une couverture médiatique sensationnaliste. Prenons par exemple le récent sondage sur l’appui du Canada à l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, qui a été publié dans la Presse canadienne. L’article s’intitule : « Moins de la moitié des gens estiment que l’aide médicale à mourir devrait être offerte aux personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale selon un sondage. »

Or, chers collègues, ce n’est pas ce que révèle le sondage : 42 % des répondants ont dit oui; 28 % ont dit non; et 30 % ont dit ne pas savoir. Le dénominateur commun n’est pas 100, chers collègues, mais 70, et 42 % de 70, c’est 60 %. Il s’agit d’une majorité claire.

L’article aurait pu s’intituler : « Seulement le quart des Canadiens estiment que l’aide médicale à mourir ne devrait pas être offerte aux personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale. » Nous observons un autre cas de promotion subtile de la désinformation.

Chers collègues, nous devons regarder au-delà des titres et des phrases-chocs. Le projet de loi ne repose pas sur des données à l’appui de l’état de préparation obtenues de manière indépendante par les organismes de réglementation ou les fournisseurs de soins. Il n’évalue pas l’état de préparation pour les gens qui souffrent de la même manière que nous évaluons l’état de préparation pour toute autre intervention médicale. Des organismes de réglementation et des fournisseurs de soins se sont adressés à nous directement, et beaucoup disent qu’ils sont prêts. Nous devons nous poser la question suivante : aurions-nous fait fi des témoignages des organismes de réglementation et des fournisseurs de soins pour tout autre type de maladie que les troubles mentaux? Je pense que la réponse est non. C’est donc de la discrimination.

Chers collègues, nous n’avons même pas procédé de la sorte lors de l’adoption de l’aide médicale à mourir. Au début, aucun ministre fédéral n’a dit que le système n’était pas prêt. Pourtant, rien n’était en place. Cependant, les cliniciens et les organismes de réglementation se sont rapidement mobilisés, et le système a fonctionné. Aucun ministre de la Santé provincial n’a dit que le Canada n’était pas prêt pour l’aide médicale à mourir. Ils disent simplement cela sans fournir de justification claire pour l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. C’est de la discrimination.

Le ministre de la Justice nous a dit que les fournisseurs étaient unanimes et que le Canada n’était pas prêt. Je le cite :

[La] décision [...] a été prise en fonction de ce que nous avons entendu à l’unanimité de la part des responsables des systèmes de santé [...] mais aussi des professionnels de la santé [...] qui dispensent l’aide médicale à mourir.

Or, on a des preuves solides du contraire. D’une part, nous avons les nombreux mémoires soumis par les fournisseurs, mais qui ont été supprimés par le comité mixte, et d’autre part, une lettre que nous avons tous reçue, signée par plus de 125 fournisseurs qui affirment que le système et eux sont prêts.

Le slogan « Pas prêt » vise à éluder la question pour des raisons politiques. En comité plénier, on a demandé à maintes reprises aux ministres quelles parties du système n’étaient pas prêtes. Ils n’ont pas pu nous le dire. Ils ont simplement répondu que c’est ce qu’on leur avait dit.

Chers collègues, ce n’est pas une raison pour légiférer. C’est une excuse pour faire de la discrimination. En effet, les témoignages que nous avons entendus montrent que l’on respecte les conditions de préparation que le gouvernement fédéral a lui-même établies et que de nombreux organismes de réglementation et fournisseurs d’aide médicale à mourir au Canada sont également prêts sur le plan clinique.

Chers collègues, la province ou le territoire qui ne veut pas aller de l’avant pour offrir cette intervention médicale n’est pas obligé de le faire. C’est son choix. Cependant, on ne peut pas prendre en otage des personnes qui vivent ailleurs au pays. C’est ce qui se passe avec l’exclusion générale prévue dans ce projet de loi. Si vous vivez dans une province qui est prête, et ma province est prête, vous ne pouvez pas recevoir ce service médical dans votre province de résidence parce qu’une autre dit qu’elle ne l’est pas.

Les ministres nous ont dit que le Centre de toxicomanie et de santé mentale affirme qu’il n’est pas prêt. Eh bien, chers collègues, tout comme Toronto ne représente pas le Canada, ce centre ne parle pas au nom de tous les services en santé mentale du pays. Il y a un groupe au sein de ce centre qui s’oppose à cela et qui a créé ses propres conditions de préparation. Il souhaite des lignes directrices canadiennes pour la pratique clinique, et il a décidé qu’il était le seul groupe à pouvoir les créer. Soit dit en passant, le Centre de toxicomanie et de santé mentale fait partie du réseau qui avait écrit au comité mixte pour dire que l’Ontario est prête à aller de l’avant avec l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Bref, honorables sénateurs, il faudrait mieux comprendre les exigences entourant la création de lignes directrices de pratique clinique. Il existe des critères internationaux qui encadrent la création et l’application de telles lignes directrices. Il faut attendre qu’une intervention soit pratiquée depuis un certain temps avant de les élaborer. Par ailleurs, elles nécessitent trois éléments : un examen critique des publications scientifiques, le point de vue de praticiens ayant une expérience substantielle, et le point de vue de patients et de leur famille. L’utilisation des lignes directrices de pratique clinique est volontaire; elles ne dictent pas les soins cliniques à apporter.

Il existe déjà des lignes directrices de pratique clinique dans les pays du Benelux. Elles ont été établies après sept ans de pratique, en fonction de critères internationaux. Chers collègues, le Canada se trouve devant une véritable impasse dans le cas de l’aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué : comme il faut attendre que cette pratique existe depuis un certain temps pour établir des lignes directrices cliniques, si on exige des lignes directrices avant même sa mise en œuvre, on ne pourra jamais aller de l’avant.

Chers collègues, l’un des grands problèmes que pose ce projet de loi, c’est qu’on ne dispose d’aucun critère qui nous permettra de déterminer, dans trois ans, si le Canada est prêt ou non. Si les critères censés confirmer qu’il est prêt n’existent pas, ou s’ils n’ont aucun sens quand on les examine de près, comment pourra-t-on déterminer si le Canada est prêt? On peut déjà imaginer de futures discussions qui ressembleront à ceci : Nous sommes prêts. Non, nous ne sommes pas prêts. Ma province est prête. Je suis désolé, ma province n’est pas prête et nous ne pouvons donc pas aller de l’avant.

Les ministres nous ont dit qu’ils ne soutenaient pas un projet de loi d’initiative parlementaire des conservateurs qui n’autoriserait jamais l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental. Ils ont simplement demandé plus de temps pour être prêts. En réalité, parce qu’ils ne nous ont fourni aucun critère de préparation et qu’ils ont créé une exclusion générale qui empêche les administrations d’aller de l’avant indépendamment des autres, ils ont fait exactement ce que le projet de loi rejeté tentait de faire. Ils ont fait exactement ce qu’ils nous avaient dit qu’ils ne feraient pas. Ils empêchent indéfiniment l’égalité d’accès à ce type de soins de santé.

Chers collègues, en résumé, je le répète, ce projet de loi n’est pas fondé sur des preuves de l’état de préparation des responsables de la prestation des soins de santé, des organismes de réglementation et des prestataires sur le terrain. Il va même à l’encontre de ce qu’on nous a clairement dit, à savoir que beaucoup sont prêts.

Ensuite, aucune des voix des personnes les plus touchées par ce projet de loi n’a été entendue. Cette situation est intenable et discriminatoire. Le travail précipité et problématique effectué par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, tel qu’il est présenté dans son rapport majoritaire, ne peut être accepté comme une justification valable de ce projet de loi.

L’exclusion générale prévue dans le projet de loi empêche les gens vivant dans les provinces ou les territoires qui sont prêts à fournir ces soins, ou qui le seront avant trois ans, d’y avoir accès. Je vis dans une province qui est prête. Une autre personne vit dans une province qui ne l’est pas parce qu’elle dit ne pas savoir quels sont les critères. Parce que d’autres ne sont pas prêts, je ne peux pas avoir accès à ces soins dans ma province. C’est ce que fait le projet de loi.

Des critères de préparation bien définis pour une évaluation future n’ont pas été établis. Le projet de loi n’indique pas quels critères seront utilisés. Il ne sera donc jamais possible de déterminer si nous sommes prêts ou non.

L’honorable René Cormier (Son Honneur le Président suppléant) : Sénateur Kutcher, je suis désolé, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Kutcher : Peut-on m’accorder 50 secondes?

Son Honneur le Président suppléant : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Kutcher : Dans trois ans, nous nous retrouverons dans une situation semblable, où neuf personnes pourraient dire que nous sommes prêts, mais une dirait que nous ne le sommes pas, ce qui signifierait que nous ne le sommes pas.

Ce sont les raisons pour lesquelles je n’appuie pas le projet de loi. J’espère que vous tiendrez compte de tous les témoignages avant que nous n’adoptions une mesure législative qui, selon moi, est discriminatoire, enfreint la Charte et ne tient pas compte de la jurisprudence provinciale. Merci, wela’lioq.

L’honorable Pamela Wallin : Je remercie le sénateur Kutcher de son travail et de ses observations.

Honorables sénateurs, la décision du gouvernement de retarder l’abrogation de la disposition de caducité fait passer la politique avant les gens, et elle a des conséquences dévastatrices pour tous ceux qui ont travaillé afin que la loi soit reconnue, respectée et garantie pour tous les Canadiens. Elle est pénible pour ceux qui pourraient souffrir toute leur vie d’une maladie mentale.

Il s’agissait, je vous le rappelle, d’un engagement du gouvernement. Élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale était la priorité du gouvernement dont vous faites partie. Le gouvernement en a fait sa priorité plutôt que, par exemple, la question des demandes anticipées, un enjeu pour lequel je continue de me battre. Le gouvernement a affirmé que cet élargissement était sa priorité, et il a donné de l’espoir à tous ceux qui attendaient une telle mesure. Puis, il a retardé son entrée en vigueur d’un an. Maintenant, malgré les faits et les preuves du contraire, il l’a reportée après les prochaines élections.

Le travail de sape mené au comité mixte a rouvert le débat sur tout le dossier de l’aide médicale à mourir, et pas uniquement la partie relative aux maladies mentales. Maintenant, nous relançons le débat public sur cet enjeu parce que le gouvernement n’a pas eu le courage de ses convictions et qu’il n’a pas suivi les conseils de ceux qui ont étudié la question et qui ont conclu que nous étions prêts à prendre une telle mesure.

Dans une démocratie, on élit des gens pour qu’ils prennent les décisions difficiles, et non les décisions faciles. N’importe qui peut prendre les décisions faciles. Si le gouvernement croit qu’en reportant cette décision à plus tard, il pourra imputer à l’opposition le fait qu’il est revenu sur ses engagements, je crois qu’il se trompe.

Les conservateurs ont déclaré depuis longtemps qu’ils n’approuvent pas cette démarche, et nous pouvons tous constater les résultats des sondages: les conservateurs ont une chance raisonnable de former le prochain gouvernement, alors nous savons que cela signifie qu’il faudra mener ce combat de nouveau. Le gouvernement s’est dégonflé et tente maintenant de rejeter le blâme sur autrui. Ce faisant, il fait passer ses intérêts politiques avant la vie, la mort et la souffrance des Canadiens malades.

(2000)

Je n’adhère pas à la position de l’opposition officielle, mais au moins, elle est restée cohérente, reflétant ses préoccupations religieuses ou morales, et ses membres votent selon leur conscience. Le gouvernement a fait volte-face. Cette décision semble motivée par ses intérêts politiques parce qu’elle l’est. C’est un ministre qui a dit que ce dossier sera mis de côté jusqu’après les prochaines élections. Or, lorsque la vie de personnes est en jeu, les Canadiens, les familles et les professionnels se souviennent des conséquences.

À mon avis, l’aide médicale à mourir a toujours été une question de choix. La Cour suprême du Canada était du même avis lorsqu’elle a rendu sa décision, et le gouvernement aussi lorsqu’il a légalisé l’aide médicale à mourir.

La liberté de choisir : c’est tout ce que les gens demandent. Le gouvernement se dit pro-choix en ce qui concerne l’avortement, le genre ou la contraception, mais qu’en est-il pour les soins de fin de vie? Pourquoi priver seulement certains groupes de la liberté de choisir?

L’argument « mieux vaut prévenir que guérir » était proéminent dans ce débat il y a trois ou quatre ans, avant que nous ayons en place toute la formation, les normes, les professionnels et l’expérience voulus en matière de prestation de l’aide médicale à mourir, avant que les prestataires de l’aide médicale à mourir et les experts en médecine déclarent que le pays est prêt.

Bien entendu, la semaine prochaine, le mois prochain, l’an prochain, davantage de médecins et d’infirmières auront reçu une formation et une accréditation, et ce nombre ira en augmentant, mais dire qu’on ne peut aller de l’avant parce que seulement 40 sont prêts aujourd’hui, c’est plutôt spécieux. Nous n’avons pas suffisamment de médecins, d’oncologues, d’infirmières ou de chirurgiens pour des dizaines de types d’opérations, mais nous n’interdisons pas l’accès aux soins à tout le monde pour autant. Le système médical n’a jamais fonctionné ainsi.

Le sénateur Gold nous a dit à maintes reprises que le Centre de toxicomanie et de santé mentale souhaite des normes cliniques. La majorité des Canadiens souhaitent avoir un Centre de toxicomanie et de santé mentale dans chaque ville et chaque province, mais ce n’est pas la réalité. Cela ne veut pas dire que nous ne traitons pas les personnes ayant des troubles de santé mentale; cela signifie que nous faisons de notre mieux avec les ressources et les établissements dont nous disposons. Ne laissons pas la perfection ou l’équité être l’ennemi du bon sens. Faisons ce que nous pouvons maintenant pour ceux qui en ont besoin maintenant.

Les arguments avancés pour justifier les retards restent mal conçus et relèvent davantage de la politique que des difficultés rencontrées par nos concitoyens. Le gouvernement dit admettre que la maladie mentale est équivalente à la maladie physique, mais il affirme ensuite que les personnes atteintes de maladie mentale — ou même de démence ou d’alzheimer — ne doivent pas être admissibles à l’aide médicale à mourir. C’est la loi du pays. Ce n’est pas parce qu’on a déterminé que certains ne sont pas prêts qu’il faut déclarer que personne n’est prêt.

Nous vivons avec un système de santé en situation de crise qui a cruellement besoin ressources, y compris humaines, dans tous les domaines. Toutefois, on ne refuse pas de traiter les gens d’ici à ce que le problème soit réglé.

Le travail des provinces et des ministres de la Santé consiste à financer et à préserver le système de santé, et non à juger ou à annuler les décisions prises au quotidien par les professionnels de la santé qui ont une expérience directe auprès des patients et qui ont été formés adéquatement pour prendre des décisions prudentes à propos des procédures médicales.

Selon les experts nommés par le gouvernement qui ont témoigné devant le comité mixte, les critères relatifs à l’état de préparation avaient été respectés. Toutefois, la barre a encore une fois été relevée. Jusqu’où a-t-elle été relevée? Quel est le nouvel ajout du gouvernement à la liste des quatre critères que nous devions tous examiner?

Le gouvernement n’est pas en mesure d’expliquer en quoi consiste l’état de préparation; il se contente de dire que les ministres de la Santé doivent être d’accord. Eh bien, il n’existe aucun autre dossier — pas l’énergie, pas les taxes sur le carbone, pas même le financement de la santé — où le gouvernement cherche à obtenir l’unanimité des provinces avant de mettre en place sa politique. D’ailleurs, quand il a adhéré à la notion d’aide médicale à mourir, il n’a absolument pas attendu d’avoir l’appui de l’ensemble des provinces, des ministres de la Santé, des professionnels de la santé ou des médecins.

En ce qui concerne la hâte excessive à faire adopter le projet de loi pour repousser l’échéance du 17 mars, le gouvernement savait de toute évidence qu’il pourrait falloir du temps pour un débat en bonne et due forme. Il a carrément inscrit dans le projet de loi que si celui-ci n’était pas adopté avant le 17 mars, il s’appliquerait rétroactivement pour éviter que l’on administre l’aide médicale à mourir par accident. Pour parler franchement, aucun médecin sain d’esprit n’offrira l’aide médicale à mourir tant qu’elle sera considérée comme un délit selon le Code criminel, même rétroactivement. Bien sûr, il y a aussi la période d’attente supplémentaire de 90 jours dans le cadre du processus d’évaluation.

Pourquoi semer la peur pour rien parmi la population? Ici, dans cette enceinte, le soir de la séance en comité plénier, nous avons été témoins des raisons exactes qui imposent de faire passer tous les projets de loi par l’étape rigoureuse de l’étude par les comités sénatoriaux permanents au lieu de procéder comme nous le faisons en ce moment.

Les ministres, qui sont comme il se doit des créatures politiques, traitent les séances en comité plénier comme une conférence de presse avec des journalistes agaçants qui posent des questions. De nombreux sénateurs n’ont pas eu l’occasion de poser de questions complémentaires ou d’insister pour obtenir des réponses pointues. J’ai été chanceuse, car lorsqu’on m’a répondu par des formules toutes faites, j’ai au moins eu une brève occasion d’insister. Voilà pourquoi le processus d’étude en comité fonctionne. Le comité plénier, quant à lui, ne fonctionne que pour eux, pas pour nous.

Je suis consciente que les ministres ne sont pas en poste depuis longtemps et qu’ils n’ont peut-être pas eu le temps de saisir l’ampleur du débat au pays. Il est vrai que c’est un débat nuancé. Cependant, il a beaucoup progressé au pays. La population est prête. Le système est prêt. Seul le gouvernement n’est pas prêt.

Nous avons imposé des balises rigoureuses pour que l’aide médicale à mourir soit offerte en toute prudence, de manière à rassurer les familles et à protéger les gens.

Il est vraiment troublant que l’on propose ce nouveau délai, ce qui prive certaines personnes de leurs droits, et que des ministres donnent délibérément une fausse idée de notre état de préparation et des témoignages entendus. Je le sais parce que j’ai assisté à ces témoignages. Des témoins ont été questionnés directement à maintes reprises. Je parle de personnes comme la Dre Mona Gupta, présidente du Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale, qui, comme d’autres, a participé directement à l’élaboration de la réglementation et des lignes directrices à l’intention des évaluateurs et des fournisseurs de soins chargés de mettre en œuvre l’aide médicale à mourir. Vous avez peut-être vu la lettre qu’elle a envoyée à tous les sénateurs.

Comme d’autres l’ont mentionné, c’est également triste de constater, dans le cadre du débat, que pas une seule personne souffrant d’un trouble mental ou attendant d’exercer son droit de demander simplement l’aide médicale à mourir n’a été consultée.

Le gouvernement ne tient pas compte des gens dont la vie est en jeu. Il fait fi du témoignage des experts qu’il a lui-même choisis pour ensuite tenter d’affirmer qu’il n’y a pas de consensus sur la question. Or, il n’y aura jamais de consensus sur une question aussi personnelle que celle-ci. Cela dit, nous ne cherchions pas un consensus. Nous cherchions à déterminer si le système est bien préparé, et les professionnels nous ont dit que c’est le cas.

Tout ce que je peux vous dire ce soir, chers collègues, c’est de relire la lettre envoyée, en date du 12 février 2024, par 127 professionnels de la santé. Dans son dernier paragraphe, on peut lire ce qui suit :

Nous demandons instamment au Sénat d’examiner tous les témoignages soumis à AMAD par les personnes qui participent réellement à la préparation du système canadien d’aide médicale à mourir et des professionnels de la santé […] afin de comprendre que de nombreux cliniciens sont favorables à la mise en œuvre […]

Il est trop tard pour le Sénat, car la progression habituelle de l’étude a été court-circuitée, mais je vous demande à tous, en tant que personnes, de prendre le temps de lire les témoignages et d’écouter les conseils des professionnels. Faites-le pour le bien des Canadiens qui vivent avec une maladie mentale chaque jour de leur vie.

Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Paula Simons : Merci, Votre Honneur.

Le 5 mai 2016, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu un jugement historique dans l’affaire Canada (Procureur général) c. E.F.. Les juges Peter Costigan, Marina Paperny et Patricia Rowbotham — trois des juristes les plus respectés en Alberta — ont rendu un jugement unanime. Dans leur décision, les juges ont statué qu’E.F., une femme de 58 ans de l’Alberta, avait le droit de demander l’aide médicale à mourir même si sa maladie n’était pas en phase terminale et que la cause de sa souffrance aiguë et constante et de sa quasi-paralysie était psychogène et découlait d’un trouble psychiatrique appelé « trouble de conversion ». E.F. n’était pas suicidaire et ne souffrait pas de délire. Le tribunal a jugé qu’elle était en mesure de prendre elle-même les décisions concernant sa santé et il lui a permis de le faire.

(2010)

Cette décision est arrivée à un moment particulier de l’histoire juridique du Canada, soit après que la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision dans l’arrêt Carter , mais avant l’adoption du projet de loi C-14, le premier projet de loi du Canada sur l’aide médicale à mourir. À l’époque, les patients qui demandaient l’aide médicale à mourir devaient présenter une demande aux tribunaux. La juge Monica Bast, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, comme on l’appelait à cette époque, avait d’abord accordé à E.F. le droit de mourir. La juge avait conclu que, même si les symptômes de la patiente étaient d’origine psychiatrique, sa demande remplissait les critères établis dans l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada. La juge Bast a affirmé ceci :

Les données probantes […] démontrent qu’aucun des nombreux traitements traditionnels ou non traditionnels, des thérapies, ou des essais que la requérante a suivis pendant plus de neuf ans, depuis le début de sa maladie, n’a guéri ni amélioré son état de santé. Les données probantes démontrent clairement que les symptômes physiques dont souffre la requérante en raison de son état de santé la privent de toute qualité de vie. Le fait que l’état de santé de la requérante soit diagnostiqué à l’aide du DSM-5 ou que celui-ci comporte un élément psychiatrique ne doit pas occulter les symptômes physiques réels et terribles que la requérante éprouve, sans aucun doute, de façon continue et quotidienne.

La Cour d’appel a approuvé la décision de la juge Bast, mais elle est allée plus loin. Permettez-moi de citer la décision unanime de la Cour d’appel de l’Alberta :

La question de savoir si les personnes souffrant de troubles psychiatriques devaient être exclues de la déclaration d’invalidité a fait partie intégrante du débat et du dossier présenté à la Cour suprême. Par exemple, au paragraphe 114, le tribunal aborde la position du Canada en ce qui concerne les risques associés à la légalisation de l’aide médicale à mourir dans les termes suivants :

La Cour de l’Alberta a ensuite cité l’arrêt initial de la Cour suprême dans l’affaire Carter, que je cite :

D’après [le Canada], de multiples sources d’erreur et facteurs peuvent rendre un patient « vulnérable dans la prise de sa décision » et être ainsi à l’origine du risque que des personnes n’ayant pas un désir rationnel et réfléchi de mourir trouvent en fait la mort. Il souligne l’affaiblissement des facultés cognitives, la dépression ou d’autres maladies mentales, la coercition, l’abus d’influence, la manipulation psychologique ou émotionnelle, le préjudice systémique (envers les personnes âgées ou les handicapés) et la possibilité d’ambivalence ou de diagnostic erroné comme facteurs susceptibles de passer inaperçus ou de causer des erreurs dans l’évaluation de la capacité. Le Canada soutient essentiellement qu’étant donné l’étendue de cette liste, il n’existe aucun moyen sûr de savoir qui est vulnérable et qui ne l’est pas. Par conséquent, il estime qu’une prohibition générale s’impose.

La preuve retenue par la juge de première instance n’étaye pas l’argument du Canada. Se fondant sur la preuve relative aux procédures d’évaluation dans la prise de décisions médicales analogues concernant la fin de vie au Canada, la juge a conclu que la vulnérabilité peut être évaluée au cas par cas au moyen des procédures suivies par les médecins lorsqu’ils évaluent le consentement éclairé et la capacité décisionnelle dans le contexte de la prise de décisions d’ordre médical de façon plus générale.

Les juges albertains ajoutent ceci :

La Cour a conclu, au paragraphe 116, que l’« on cautionne implicitement l’évaluation individuelle de la vulnérabilité (quelle que soit sa source) dans la prise de décisions de vie ou de mort au Canada », et elle a accepté qu’« il est possible pour les médecins de bien évaluer la capacité décisionnelle avec la diligence requise et en portant attention à la gravité de la décision à prendre ».

Le gouvernement du Canada aurait pu porter la décision E.F. en appel devant la Cour suprême. Il ne l’a pas fait, ce qui signifie qu’E.F. a obtenu le sommeil éternel qu’elle avait demandé et que nous nous retrouvons avec ce précédent quelque peu inhabituel. Certains soutiennent que l’affaire E.F. ne compte pas parce qu’elle a été entendue au cours de l’étrange période de vide juridique qui a suivi l’arrêt Carter et qui a précédé l’adoption du projet de loi C-14 et qu’elle traitait de la question de savoir si E.F. avait droit à l’aide médicale à mourir à ce moment précis.

Cependant, les juges Costigan, Paperny et Rowbotham ne se sont pas contentés de faire droit à la requête d’E.F. Ils ont procédé à une lecture attentive et à une analyse pointue de l’arrêt Carter, surtout en ce qui concerne l’aide médicale à mourir dans les cas de troubles psychiatriques graves. Ils ont essentiellement conclu que l’arrêt Carter établissait un droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir pour les patients psychiatriques dont les souffrances sont insoutenables et irrémédiables et que leur vulnérabilité et leur capacité devaient être évaluées au cas par cas.

S’appuyant en grande partie sur la logique juridique de cette même décision, le Sénat du Canada a déterminé en 2021 que le projet de loi C-7 était inconstitutionnel parce qu’il contenait un refus général d’accorder l’aide médicale à mourir à toute personne dont la seule cause sous-jacente de souffrances médicales insoutenables était considérée comme psychiatrique.

Permettez-moi de rappeler à tous ceux d’entre vous qui étaient au Sénat ce jour-là et à tous ceux qui se sont joints à nous depuis que nous avons voté à 57 voix contre 21, avec 6 abstentions, en faveur d’un amendement du sénateur Kutcher visant à permettre aux personnes atteintes de troubles psychiatriques graves, incurables et profondément débilitants de recevoir l’aide médicale à mourir, auquel on a intégré une disposition de caducité pour permettre aux gouvernements et aux professionnels de la santé de se préparer. Le Sénat a ensuite voté à 66 voix contre 19, avec 3 abstentions, en faveur du projet de loi C-7 modifié, et le gouvernement lui-même a accepté l’amendement du sénateur Kutcher.

Pourtant, nous voici ici aujourd’hui, alors que beaucoup semblent vouloir relancer ce débat comme si tout le travail minutieux que nous avons fait en 2021 n’avait jamais existé, comme si la décision dans l’affaire E.F. n’avait jamais été rendue. Comment en sommes‑nous revenus là, reculant et cédant du terrain durement gagné par les Canadiens dans leur lutte pour la liberté personnelle et l’autonomie corporelle?

Le gouvernement nous dit que le Canada n’est pas prêt pour cet exercice d’égalité constitutionnelle. La vérité est que ce sont nos politiciens provinciaux et fédéraux qui ne sont pas prêts, parce qu’ils ont peur que cette décision soit controversée.

Un report de trois ans, qui repousse l’échéance après la prochaine élection? Soyons francs. Si nous attendons trois ans, deux scénarios sont possibles. Dans le premier scénario, les libéraux seront réélus, et peut-être se sentiront-ils alors suffisamment à l’abri pour respecter les tribunaux et la Charte. Il est clair qu’ils n’ont pas l’intention de défendre des principes en ce moment. À quoi bon le faire, si leurs adversaires s’en servent ensuite comme d’une arme pour marquer des points politiques? Dans le second scénario, le gouvernement sera défait et les conservateurs mettront à exécution la menace qu’ils ont faite publiquement : ils défieront la Constitution et les tribunaux et refuseront l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladies psychiatriques ou psychogéniques irrémédiables et insupportables.

La question dépasse la politique canadienne. Le mouvement de ressac est beaucoup plus profond. Depuis trois ans, les Nord‑Américains assistent à un vaste assaut juridique et culturel contre l’idée même d’autonomie corporelle et contre les droits qu’ont les patients et les médecins de prendre des décisions privées et personnelles en matière de traitement sur la base des meilleures connaissances médicales.

En 2022, la Cour suprême des États-Unis a bouleversé les droits à l’avortement et les protections de la vie privée établis de longue date dans l’arrêt Roe v. Wade. Aujourd’hui, certains États prennent des mesures draconiennes pour limiter la possibilité de mettre fin à une grossesse ou même de recevoir des soins vitaux en cas d’urgence gynécologique. Les femmes sont dépouillées de leurs droits fondamentaux à l’autonomie corporelle, tandis que les médecins sont privés de la responsabilité et du devoir de faire leur travail en s’appuyant sur les meilleures données scientifiques. L’intérêt supérieur des patientes est supplanté par le fondamentalisme religieux et la misogynie pure et simple, et les patientes comme les médecins s’exposent à des poursuites pénales.

Il y a ensuite la guerre contre les jeunes et les adultes transgenres, et contre les médecins qui les traitent. Elle a commencé aux États‑Unis, puis s’est étendue au Canada. Ce mois-ci, dans ma province d’origine, l’Alberta, les médecins ont appris qu’ils devront prendre des décisions en matière de traitement non pas en fonction des intérêts médicaux de leurs patients, mais plutôt en fonction d’une série de règles arbitraires créées au Cabinet de la première ministre. Quant aux jeunes patients, on leur dit que leur corps ne leur appartient pas — ni même à leurs parents —, mais plutôt aux politiciens et aux bureaucrates.

Parce que cette guerre culturelle contre les enfants transgenres et les médecins qui les traitent est considérée comme un moyen de gagner le vote populaire, on refuse aux patients leur autonomie corporelle et aux professionnels de la santé leurs droits et responsabilités professionnels, en plus de les menacer de sanctions.

Ce n’est pas un hasard si, le jour même où la première ministre Smith a annoncé qu’elle allait sévir contre les médecins qui traitent les jeunes patients transgenres, un sondage tendancieux a été lancé en Alberta afin de limiter également l’accès à l’avortement pour les adolescentes de la province.

Cette nouvelle campagne d’opposition à l’aide médicale à mourir s’apparente à la guerre contre le choix en matière de reproduction et à celle contre les soins médicaux d’affirmation du genre.

On nous dit de ne pas nous inquiéter, que ce n’est qu’un report temporaire de l’aide médicale à mourir pour des raisons pratiques. Ne soyez pas dupes. Si nous adoptons le projet de loi C-62, qui prévoit une prolongation de trois ans, tout espoir d’un accès égal aux soins médicaux de fin de vie s’évaporera. Ce sera l’ouverture d’une petite brèche, le signal pour commencer à limiter de plus en plus l’accès à l’aide médicale à mourir.

En tant que sénateurs, nous devons notamment protéger les droits garantis par la Charte et défendre la Constitution. Nous ne sommes pas élus, nous sommes nommés. Nous ne sommes pas à la merci des cycles électoraux et de l’opinion populaire. Nous avons la liberté et la responsabilité de prendre des décisions difficiles. En outre, nous sommes maintenant une majorité à occuper nos fonctions de façon non partisane, même s’il reste quelques exceptions. Nous ne sommes pas redevables à un chef ou à un parti. Nous avons le privilège de pouvoir penser par nous-mêmes et nous exprimer librement d’une façon que peu d’autres politiciens ont pu le faire, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde.

Il nous incombe également de faire preuve de retenue et de respecter l’autre chambre, élue. Nous n’outrepassons pas notre mandat justement parce que nous ne sommes pas redevables. Nous n’avons pas à répondre de nos décisions lors des élections. Nous ne pouvons pas être complaisants et profiter du fait que nous avons été nommés à notre poste pour agir comme des révolutionnaires sur des enjeux sociaux. Nous sommes plutôt censés être conservateurs — dans le meilleur sens du terme — afin de protéger les fondements de notre Constitution.

(2020)

Or, chers amis, nous avons fait preuve de beaucoup de retenue et de respect. Lorsque le projet de loi C-7 nous a été renvoyé en 2021, dans sa forme originale et inconstitutionnelle, nous aurions pu le rejeter, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons fait preuve de retenue. Nous en avons discuté consciencieusement et nous avons trouvé un compromis, à savoir l’amendement du sénateur Kutcher. Nous aurions pu adopter cet amendement sans une disposition de caducité ou en demander une de plus courte durée, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons fait preuve de retenue et de respect.

De surcroît, lorsque le gouvernement n’a pas respecté son premier délai et nous a renvoyé le projet de loi C-39, nous avons à nouveau fait preuve de retenue. Nous nous en sommes remis à la volonté du Parlement élu et avons accédé à sa demande d’une nouvelle prolongation.

Quand allons-nous tenir notre bout et défendre le projet de loi C-7 sous la forme où il a été adopté par le Sénat et accepté par l’autre endroit? Il nous incombe de défendre la Charte et les droits des minorités. Y a-t-il un groupe minoritaire plus marginalisé que celui des personnes atteintes de troubles psychiatriques graves qui attendent depuis plus de trois ans que le projet de loi C-7 entre pleinement en vigueur? Ces personnes font preuve de retenue et attendent patiemment qu’on respecte leurs compétences et leur capacité juridique à prendre leurs propres décisions d’ordre médical.

Bien sûr, certains, avec les meilleures intentions du monde, priveraient ces mêmes personnes de leur droit à l’autodétermination parce qu’ils pensent que c’est pour leur bien. On nous dit, en fait, que puisque les patients psychiatriques sont régulièrement victimes de discrimination au Canada, nous devons les protéger d’eux‑mêmes et des conséquences de leurs décisions.

Il est vrai que le pays traverse une crise profonde en ce qui concerne le manque de soins de santé mentale. De nombreuses personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de troubles psychiatriques complexes vivent dans la pauvreté et l’isolement. Certaines sont sans-abri. D’autres n’ont qu’un logement précaire. Beaucoup de gens ont déjà baissé les bras et se sont suicidés, ou ont commencé à se tuer à petit feu en consommant de la drogue.

Lorsque les opposants à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale dépeignent un avenir dystopique où des centaines de personnes sans espoir, fatiguées de la pauvreté et de la discrimination, demandent l’aide médicale à mourir simplement parce que leur vie est trop dure et trop misérable, ce n’est pas si exagéré. Je suis d’accord. Mais je vous en prie. Cessons d’utiliser notre incapacité morale à répondre aux besoins socioéconomiques des personnes souffrant de toxicomanie et de maladie mentale pour nous soustraire à notre obligation légale de protéger les droits garantis par la Charte des personnes souffrant de maladies psychiatriques extrêmement graves qui sont forcées de souffrir pendant que nous tergiversons.

Nous pouvons marcher et mâcher de la gomme en même temps. Nous pouvons faire deux choses en même temps. Nous pouvons offrir de meilleurs soins de santé et un meilleur soutien socioéconomique à ceux qui en ont besoin. Nous pouvons traiter ceux qui peuvent l’être et les sauver du désespoir. En même temps, nous pouvons protéger les droits garantis par la Charte et l’autonomie corporelle des patients psychiatriques gravement malades qui répondent vraiment aux critères stricts de l’aide médicale à mourir.

Ces deux objectifs ne sont pas contraires à l’éthique, mais plutôt nécessairement complémentaires. Si nous manquons à notre devoir de respecter les tribunaux et la Constitution, alors nous obligeons des patients qui souffrent à trouver les moyens de s’adresser aux tribunaux pour faire respecter leurs droits, un processus qui pourrait prendre des années.

J’aimerais citer les sages paroles du sénateur Carignan, qu’il a prononcées en 2021 pour soutenir l’amendement du sénateur Kutcher.

Voici ce qu’il a dit :

[...] la discrimination que subissent les personnes atteintes de troubles mentaux en ce qui concerne la disposition contenue dans le projet de loi C-7. Évidemment, tout cela forcera encore une fois des gens démunis et vulnérables à faire appel aux tribunaux pour faire déclarer ce projet de loi inconstitutionnel. D’ailleurs, ce projet de loi sera manifestement déclaré inconstitutionnel en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême.

Il faut éviter de placer le poids des contestations judiciaires sur les personnes démunies.

Mes amis, ce qui était vrai il y a trois ans demeure vrai aujourd’hui. J’espère seulement que nous pourrons nous rappeler pourquoi nous avions amendé le projet de loi C-7.

Merci, hiy hiy.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-62, qui reporte de trois ans l’entrée en vigueur de l’aide médicale à mourir lorsque le trouble mental est le seul problème médical invoqué. En toute transparence, et en particulier pour nos collègues qui sont arrivés au Sénat récemment, je rappelle qu’il y a trois ans, j’ai voté contre l’amendement du Sénat qui a élargi l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux malades psychiatriques. À cette époque, il n’y avait pas de consensus parmi les experts sur cet enjeu de société, et il n’y en a toujours pas.

Bien que la défense des droits des minorités soit au cœur de notre mandat, le Sénat n’est pas un tribunal. Certains ont beau avancer que l’on viole le droit constitutionnel des personnes atteintes de troubles mentaux en leur refusant l’accès à l’aide médicale à mourir, cette conclusion est loin d’être claire. Dans son énoncé concernant la Charte, le ministère de la Justice énumérait les droits et les valeurs concurrentes qui s’opposent, notamment l’autonomie des individus par opposition à la protection des personnes vulnérables contre toute incitation à mettre fin à leur vie. Le ministère de la Justice ajoutait ceci :

[...] les sentiments de désespoir et le désir de mourir sont des symptômes courants de certaines maladies mentales, ce qui peut rendre difficile même pour des praticiens expérimentés de faire la distinction entre un désir de mourir pleinement autonome et bien réfléchi et un symptôme de la maladie d’une personne.

Après avoir analysé des données probantes mondiales pendant un an et demi, le groupe d’experts du Conseil des académies canadiennes n’a trouvé aucune preuve selon laquelle on pouvait prédire l’irrémédiabilité de la maladie mentale. Certains troubles mentaux peuvent même nuire à la prise de décision d’une personne et augmenter son risque d’incapacité.

Il y a un autre argument de poids : les gouvernements provinciaux ne sont pas prêts. Ce sont les provinces qui dispensent les soins médicaux et qui exercent cette compétence. Il ne faut pas l’oublier. Il est faux de réduire dans tous les cas leurs sérieuses réserves à une opposition idéologique à l’AMM. Prenons l’exemple du Québec, que je connais mieux que les autres : ce dernier a été un précurseur dans l’élargissement de l’aide médicale à mourir et il détient même le record mondial dans cette pratique. En fait, l’an dernier, 5 200 cas, soit 6,8 % des décès survenus au Québec, étaient attribuables à l’aide médicale à mourir; il s’agit d’un bond de 42 % en un an. Là-dessus, il y a 16 cas pour lesquels on n’a pas respecté l’ensemble des critères prévus dans la loi, ce qui est troublant.

En juin dernier, le Québec a modifié sa Loi concernant les soins de fin de vie, légalisant ainsi les demandes anticipées pour une maladie cognitive menant à l’inaptitude, tout en excluant les patients souffrant uniquement de troubles mentaux. Cette dernière décision repose sur un rapport de la Commission sur les soins de fin de vie qui a été publié en décembre 2021 et qui concluait ce qui suit, et je cite :

L’aide médicale à mourir est un soin de dernier recours pour les personnes dont la maladie ne peut être guérie et dont le déclin des capacités est irréversible. Vu l’absence de consensus au sein de la communauté médicale sur l’incurabilité et l’irréversibilité des troubles mentaux, un sérieux doute demeure sur le fait que l’aide médicale à mourir est un soin pertinent. Dans ce contexte, le risque que ce geste soit prématuré nous semble bien réel. Nous sommes ici devant une sombre perspective que des personnes obtiennent l’aide médicale à mourir plutôt qu’un suivi médical approprié qui favoriserait une vie pleinement satisfaisante.

Ces remarques expriment bien mes propres préoccupations. Certains ont fait valoir ce qui suit — et je cite le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

[...] il n’existe pas de consensus à l’égard de nombreuses autres pratiques médicales existantes, et que ce n’est généralement par considéré comme une justification pour les interdire.

Je crois qu’il est inapproprié d’assimiler l’aide médicale à mourir à une simple pratique médicale, comme s’il s’agissait d’un traitement hormonal ou de la prise d’antibiotiques. Il faut avoir l’honnêteté ou la lucidité de regarder les choses en face. Il est question ici d’aider une personne à mourir. Ceci est irrémédiable.

Autre point sensible : dans le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, des témoins ont observé que les critères d’admissibilité à l’AMM n’exigent pas que les personnes atteintes de troubles mentaux aient épuisé tous les traitements raisonnables. Le projet de loi C-7 exigeait seulement que le patient soit informé des choix possibles de traitement. En théorie, cela voudrait donc dire que le malade pourrait recevoir l’AMM même s’il n’a pas eu accès à des soins adéquats. C’est particulièrement inquiétant dans un pays comme le nôtre, où la pénurie de soins psychiatriques est un fait avéré.

En Belgique et aux Pays-Bas, où les patients psychiatriques ont accès à l’aide médicale à mourir, il existe des mesures de sauvegarde plus robustes.

(2030)

Selon le mémoire du professeur Scott Kim, de l’Université du Michigan, 1 150 demandes d’aide médicale à mourir — il ne s’agit pas de quelques-unes — ont été faites aux Pays-Bas en 2022, mais seulement 5 à 10 % ont été acceptées. Les lois belges et néerlandaises exigent que les médecins soient d’accord avec le fait qu’il n’y ait pas d’autres options que l’aide médicale à mourir pour chaque cas. L’aide médicale à mourir est donc vraiment un dernier recours. Je suis consciente que le droit de refuser tout traitement est bien ancré chez nous, et c’est un droit capital, mais il me semble que l’exercice de ce droit, combiné à une intervention médicale qui met fin à la vie, est une question délicate qui mérite une plus ample réflexion.

Le projet de loi C-62 donnera justement du temps pour mener cette réflexion approfondie sur l’état de nos connaissances et les ambiguïtés scientifiques et éthiques.

Je suis évidemment consciente qu’il existe des souffrances psychiques intolérables, autant sinon plus grandes que pour les maladies physiques, mais on ne peut élargir encore l’AMM avant d’être en mesure d’évaluer avec confiance l’incurabilité, l’irréversibilité, la capacité et les tendances suicidaires du demandeur.

La grave pénurie de soins et de services psychiatriques doit être au cœur de cette réflexion sur l’état de préparation des systèmes de santé — c’est du moins mon avis. On ne peut pas se limiter au fait qu’il y ait des protocoles pour administrer l’aide médicale à mourir. Ce n’est pas suffisant.

Enfin, le principe de précaution est de mise quand des vies sont en jeu. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : La sénatrice accepte-t-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre contribution au débat. Elle très appréciée, de même que la cohérence de votre position. Je ne suis pas d’accord avec votre position, mais j’en approuve la cohérence.

Vous dites qu’il est nécessaire d’avoir un consensus médical avant de permettre l’aide médicale à mourir pour les cas où un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Or, nous savons tous que l’aide médicale à mourir ne fait pas l’unanimité parmi les médecins. En fait, les comités ont entendu de nombreux témoignages selon lesquels beaucoup de médecins en soins palliatifs sont contre l’aide médicale à mourir. Ils la trouvent répréhensible et veulent la voir abandonnée. Il n’y a pas de consensus.

Comment peut-on permettre l’aide médicale à mourir pour les personnes qui ont une maladie physique malgré l’absence de consensus, mais la refuser aux personnes qui ont une maladie mentale parce qu’il n’y a pas consensus?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une question difficile. Je pense que l’exercice politique n’est pas parfait. Je crois qu’on cherche tous à trouver la bonne voie pour traiter cette question très difficile qu’est l’aide médicale à mourir en général.

Je crois qu’il existe, pour les maladies psychiatriques, des critères particuliers qui font que les conséquences irrémédiables sont généralement plus difficiles à établir que pour des maladies physiques. Je ne dis pas, sénateur Kutcher, que c’est absolu. Je dis que, selon mes lectures et selon ceux à qui j’ai parlé, cela fait partie des difficultés.

Je crois aussi que les mesures de sauvegarde doivent être solides. Je comprends que c’est difficile et, vous le savez, nous ne pensons pas la même chose sur cette question. Je comprends qu’il y a des gens qui attendent cette aide et qui souffrent, mais je suis d’avis que l’expérience de la Belgique et des Pays-Bas nous montre bien qu’une fois qu’on autorise l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes psychiatriques... Quand on parle de 1 150 personnes qui en ont fait la demande pour un plus petit pays que le Canada, c’est beaucoup de monde. Vous parlez toujours de ceux que vous connaissez et qui ont des maladies depuis très longtemps, qui ont essayé tous les traitements, mais une fois que la porte est ouverte, comment les choses vont-elles se passer? Contrairement à vous, je n’ai pas une confiance absolue dans tous les médecins, dans toute la médecine et tous les traitements. Je pense qu’il y a parfois des dérives. Le fait qu’il y ait eu au Québec 16 cas d’aide médicale à mourir où l’on s’est vraiment posé des questions parce que la loi ne semble pas avoir été respectée est bien la preuve que ces questions sont très difficiles.

Je n’ai pas de réponse absolue à ce que vous dites. Je m’interroge, je doute et je crois que vous le faites aussi, mais vous et moi avons des points de vue assez opposés sur cette question.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Je suis très conscient que votre point de vue est différent du mien. C’est très bien, mais je pense que nous devons examiner ce que révèlent les données et ce qui fait que l’on exerce une discrimination contre un groupe de gens plutôt qu’un autre pour le même argument. J’encourage tous les sénateurs à y réfléchir.

Vous avez parlé du Dr Kim dans votre discours. Savez-vous que la preuve qu’il a présentée à la Cour supérieure du Québec a été rejetée et que la juge a soulevé des préoccupations de fond quant à la qualité des éléments de preuve qu’il a présentés? Vous n’étiez peut-être pas au courant. Sinon, vous ne l’auriez probablement pas cité au Sénat. Je pense que les gens doivent savoir que certaines des informations que vous avez fournies ont déjà été contestées devant les tribunaux et que ces derniers les ont rejetées.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Non; franchement, je n’étais pas au courant de cela. Cela fait partie des mémoires déposés devant la Commission sur les soins de fin de vie. Ils parlaient de la situation en Belgique et aux Pays-Bas. C’est un peu différent. Très bien, je vous crois sur parole.

Il y a toutefois sûrement plus d’un expert qui doute de l’irrémédiabilité des maladies psychiatriques. C’est un débat difficile. Vous parlez toujours de la preuve et du fait que c’est incontestable et que c’est ainsi, mais quand on regarde le Conseil des académies canadiennes, qui est quand même un corps scientifique respecté, je constate qu’il y a eu aussi des conclusions qui ressemblent à certaines autres sur la question de l’irrémédiabilité. Il s’agit de professionnels qui ne sont pas seulement médecins. D’après ce que je comprends, ce conseil est formé de scientifiques issus de différents horizons. Ce n’est pas négligeable non plus. C’est un débat de société. Oui, les médecins sont très importants, mais je crois que c’est un débat beaucoup plus large.

[Traduction]

L’honorable Patrick Brazeau : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-62 pour présenter quelques brèves observations et ajouter une autre dimension à ce débat.

Comme nous le savons, le gouvernement propose d’attendre encore trois ans avant d’autoriser l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale. Cette question soulève de vives réactions, sous tous les angles. Il est possible — en fait, c’est le cas — que des personnes compatissantes, réfléchies et aimantes se penchent sur les mêmes faits et tirent des conclusions opposées à l’égard de ce projet de loi.

Comme l’a indiqué le Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale dans son rapport final, un dialogue en bonne et due forme avec les peuples autochtones n’a pas encore eu lieu. Selon le groupe d’experts, par rapport à la population canadienne non autochtone, un nombre disproportionné d’Autochtones vivent dans la pauvreté et des logements inadéquats, manquent d’eau potable et ont un accès limité à l’éducation et aux soins de santé. À cela s’ajoutent toutes les maladies mentales découlant des traumatismes liés aux pensionnats au fil des générations et qui subsistent même à ce jour.

Le plus alarmant, dans le contexte du projet de loi C-62, c’est que le rapport souligne que les dirigeants autochtones ont dit que, dans leurs collectivités, il est plus facile d’avoir accès à un moyen de mourir qu’aux ressources nécessaires pour bien vivre. Comme les sénateurs le savent, j’ai souvent donné mon opinion personnelle sur la question de la prévention du suicide, mais, avant d’aller plus loin, je suis tout à fait conscient que, lorsque je mentionne les efforts de prévention du suicide, certains diront que l’aide médicale à mourir et le suicide sont des réalités différentes. D’autres estimeront qu’il n’y a aucune différence notable — ou ultime — entre les deux. Je vais brièvement vous faire part de mon opinion sur la distinction. J’espère que, même si vous n’êtes pas de mon avis, vous comprendrez mon point de vue.

(2040)

Je ne mâcherai pas mes mots. Un suicide est une mort qui survient quand une personne se blesse dans l’intention de mourir. L’aide médicale à mourir est une procédure lors de laquelle on donne sciemment à un patient des médicaments pour mettre fin à ses jours de manière sûre. Le résultat de ces deux actions pourrait être le même : la mort. Je pense que c’est ce qui provoque de vives émotions chez les gens.

La différence majeure et la plus notable entre les deux, c’est que les personnes qui envisagent de recevoir l’aide médicale à mourir auront probablement le temps d’y réfléchir longuement, c’est ce qu’on espère, et d’en discuter avec les membres de leur famille et des proches. Il faudrait également de nombreuses discussions avec des experts en santé pour en arriver à obtenir l’aide médicale à mourir. Malheureusement, c’est rarement le cas en ce qui concerne le suicide.

Je ne suis pas ici pour tenter de vous convaincre de ma position sur cet enjeu. Aux fins du débat d’aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de nous entendre pour savoir si la distinction est valable ou non.

[Français]

Si nous pouvons fournir l’aide si désespérément nécessaire, la demande d’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies mentales diminuera. Peut-être ne s’arrêtera-t-elle jamais complètement, mais ne devons-nous pas faire notre devoir de diligence pour aider ceux qui sont en crise?

Quand je parle de devoir de diligence, je pose une simple question : en avons-nous fait assez pour aider les hommes et les femmes souffrant de maladies mentales? Quels sont les appuis communautaires en place pour aider les personnes gravement atteintes de maladies mentales?

Lorsque nous avons fermé les asiles au profit des soins communautaires ambulatoires, avons-nous correctement financé ces mesures alternatives? Ou avons-nous plutôt fermé les yeux alors que la population des hôpitaux psychiatriques se retrouvait dans la rue et en prison?

Des familles désespérées demandent aux gouvernements de l’aide pour leurs proches, Votre Honneur. J’ai été témoin de cela plusieurs fois au sein de ma famille immédiate et élargie. Par exemple, la grand-mère de mon plus jeune fils est atteinte d’alzheimer depuis environ 15 ans. Ce n’est vraiment pas une belle qualité de vie. Cela dit, Mme Violette aura 100 ans la semaine prochaine.

Quand un être cher ne prend pas ses médicaments et représente un danger pour lui-même ou pour les autres, les membres de la famille se retrouvent souvent seuls, confrontés à des obstacles qu’ils rencontrent sur leur chemin.

L’aide médicale à mourir existe maintenant.

On nous demande d’attendre trois ans pour que les provinces et les territoires puissent se préparer. Comme le ministre de la Santé nous l’a dit directement : « Ils ne sont pas prêts. »

Je crois que nous devrions nous demander si les provinces et les territoires sont prêts à s’occuper des personnes souffrant de maladies mentales aujourd’hui, maintenant, avant de parler d’aide médicale à mourir.

[Traduction]

Je souffre d’une maladie mentale. Je sais ce que c’est que de se sentir seul, abattu et sans espoir. Je sais ce que c’est que de souffrir intérieurement. La douleur physique, c’est la douleur physique. La douleur mentale, elle, touche au cœur même de l’existence. Nous connaissons tous quelqu’un qui souffre d’une maladie mentale, mais, si vous n’avez jamais connu la douleur liée à la santé mentale, comment pouvez-vous imaginer la douleur de cette personne ou ce qu’elle souffre? Cependant, je ne vous demande pas de comprendre la douleur des gens. Je vous demande, à partir d’aujourd’hui, d’en être conscients et, surtout, de faire preuve de compassion, de bienveillance et de compréhension à l’égard des personnes qui souffrent d’une maladie mentale. Elles ont suffisamment de soucis, et nous voici réunis pour essayer de prendre la meilleure décision possible pour tous ces gens.

Je pense que la meilleure façon d’aborder cette question est d’employer notre esprit, nos connaissances et notre expertise — et, surtout, notre attention et notre compassion — à trouver des moyens efficaces et de nouvelles solutions pour les personnes qui souffrent de maladies mentales. Sommes-nous vraiment en train d’offrir un raccourci aux gens pour qu’ils mettent fin à leurs jours parce que nous ne faisons pas collectivement ce qu’il faut pour aider ceux qui souffrent? Quand la santé mentale sera-t-elle traitée sur un pied d’égalité avec la santé physique au Canada? Nous organisons des journées internationales, des journées nationales, des journées municipales et des journées régionales de sensibilisation à la santé mentale, mais ceux qui souffrent d’une maladie mentale vivent avec leur problème tous les jours de l’année.

Peu importe ce qu’on en pense, l’aide médicale à mourir existe et, en 2027, elle sera offerte aux personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale. J’espère que le comité se concentrera sur trois volets. Ces derniers relèvent principalement de la compétence des provinces, mais le Sénat pourrait jouer un rôle de premier plan en s’efforçant d’améliorer les soins de santé mentale pour les Canadiens.

Premièrement, nous devons fournir davantage de ressources en matière de santé mentale. Les personnes qui ont besoin d’aide ont besoin d’endroits où aller.

Deuxièmement, nous devons nous pencher sur la réouverture des établissements ou des centres de santé mentale. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, chers collègues, mais lorsque je regarde les nouvelles et que je vois des sans-abri occuper les rues, eh bien, je ne suis pas un spécialiste, mais je trouve qu’un grand nombre de ces personnes devraient être placées dans des centres de santé mentale et recevoir l’aide et les soins qu’elles méritent. Malheureusement, ces personnes se tournent vers d’autres substances et deviennent des sans-abri, et nous voilà à essayer de politiser les problèmes mêmes qui se posent dans leur vie.

Troisièmement, je parlerai d’une procédure au Québec qui s’appelle la loi P-38. Elle accorderait plus de pouvoir aux membres de la famille afin qu’ils puissent intervenir quand un être cher s’est vu prescrire des médicaments, mais qu’il décide un jour d’arrêter de les prendre. Je connais de nombreuses familles dans cette situation, dont l’une est une famille éloignée qui est prise dans un cercle vicieux. Une personne a reçu un diagnostic de maladie mentale et doit prendre des médicaments. Elle prend ses médicaments, mais, au cours de l’année, elle décide d’arrêter de les prendre. Que se passe-t-il alors? Eh bien, la famille ne peut absolument pas intervenir, car le danger doit être clair, imminent et immédiat. Les familles sont donc impuissantes et sans espoir. Que faire si quelqu’un qui a besoin de prendre ses médicaments pour à tout le moins fonctionner ne les prend pas? Parfois, ces personnes deviennent des menaces pour la société.

Comme je l’ai dit, toutes ces questions relèvent de la compétence provinciale, et nous parlons de l’aide médicale à mourir. Nous parlons du projet de loi C-62, mais nous devons poursuivre la discussion sur la prestation de ressources appropriées en matière de santé mentale aux personnes qui en ont besoin.

En terminant, quelles protections devons-nous offrir aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale? Quelle aide pouvons-nous apporter aux familles désespérées qui se sentent abandonnées par les autorités médicales alors qu’elles cherchent de l’aide pour leur proche? Je demande au Sénat de ne pas mettre la charrue devant les bœufs. Écoutons le ministre de la Santé lorsqu’il dit qu’il faut plus de temps avant d’élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, mais insistons pour que ces trois années soient consacrées à la prestation de soins de santé mentale à tous ceux qui en ont besoin.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je remercie tous nos collègues qui sont intervenus ce soir dans ce débat très important portant sur un enjeu tout aussi important.

Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), à titre de porte-parole de l’opposition au Sénat. Le projet de loi C-62 prolonge jusqu’au 17 mars 2027 l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans les cas où le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale.

Le projet de loi C-7 a élargi l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. À l’origine, le projet de loi excluait l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale était le seul problème de santé invoqué. Cependant, comme d’autres l’ont fait remarquer, l’amendement du sénateur Kutcher a été adopté à l’étape de la troisième lecture pour permettre l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale, en intégrant une disposition de caducité. Je n’ai pas appuyé l’amendement, mais le gouvernement l’a accepté, et dans la loi qu’on a finalement mise en place, la date de la disposition de caducité était fixée au 17 mars 2023.

(2050)

Les parlementaires ont entendu des gens de leur collectivité et des médias qui ont pris la parole et fait part des inquiétudes et des risques que la proposition d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale était en train de créer au Canada, surtout avec l’entrée en vigueur imminente de la disposition de caducité, le 17 mars 2023.

Le 2 février 2023, le gouvernement a présenté le projet de loi C-39, qui a repoussé la date limite d’un an et reconstitué le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir pour qu’il se penche sur l’état de préparation en ce qui concerne l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. Le comité reconstitué a été chargé d’étudier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’aide médicale à mourir dans les cas où un problème de santé mentale est le seul problème de santé invoqué.

J’ai été coprésidente du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir avec l’ancien député Marc Garneau, au printemps 2023, et j’ai occupé de nouveau ces fonctions lorsque le comité a été reconstitué à l’automne 2023, avec le coprésident de la Chambre, le député René Arseneault. Nos collègues, le sénateur Dalphond, le sénateur Kutcher, la sénatrice Mégie et la sénatrice Wallin, ont eux aussi siégé au comité, tout comme des députés représentant tous les partis.

La nouvelle mouture du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a entendu 21 témoins, dont des experts juridiques et médicaux, des praticiens, des représentants d’associations professionnelles, d’organisations de santé mentale et d’organismes de réglementation, ainsi que des représentants de Santé Canada et du ministère de la Justice.

Plusieurs témoins ont déclaré au comité qu’il était difficile, voire impossible, de prédire avec précision le pronostic à long terme d’une personne souffrant de troubles mentaux. Le comité a également entendu que, dans la pratique, une personne devrait avoir un long historique documenté de tentatives de traitement infructueuses pour être jugée admissible à l’aide médicale à mourir lorsqu’une maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

Le comité a appris que de nombreux psychiatres ne sont pas favorables à la pratique de l’aide médicale à mourir lorsqu’une maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. Certains témoins ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’effet potentiel que pourrait avoir l’élargissement de l’aide médicale à mourir sur les groupes vulnérables, les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes vivant dans la pauvreté. Le comité a également entendu des avis divergents sur la question de savoir s’il y a un nombre suffisant de praticiens formés, en particulier des psychiatres, pour fournir de manière sûre et adéquate l’aide médicale à mourir lorsqu’une maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

Le 29 janvier, le rapport final a été déposé à la Chambre des communes et, par conséquent, au Sénat. Ce rapport conclut que le système médical canadien n’est pas encore prêt pour l’aide médicale à mourir lorsqu’une maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

Le comité a fait les recommandations suivantes :

Que l’AMM TM-SPMI ne soit pas disponible au Canada tant que le ministre de la Santé et le ministre de la Justice ne seront pas d’avis, sur la base des recommandations de leurs ministères respectifs et en consultation avec leur homologues provinciaux et territoriaux et avec les peuples autochtones, qu’elle peut être administrée de manière sécuritaire et adéquate; et

Qu’un an avant la date où l’on prévoit que l’AMM TM-SPMI sera permise, conformément à l’alinéa (a), la Chambre des communes et le Sénat rétablissent le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’AMM TM-SPMI.

Nous savons tous que, le 1er février, le ministre Mark Holland a déposé le projet de loi C-62, qui prévoit un report de trois ans de la mise en œuvre de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale et nous débattons présentement de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture.

Dans le cadre des séances d’information techniques auxquelles j’ai participé, j’ai demandé aux fonctionnaires quelle était l’importance de la lettre dont on a entendu parler le 30 janvier de cette année concernant le fait que les ministres de la Santé et de la Santé mentale des trois territoires — ainsi que ceux de quelques provinces, dont des provinces qui sont prêtes à déployer le programme — demandaient un report parce qu’ils ne sont pas prêts. J’ai demandé quelle était l’importance de cette lettre et ce qui fait qu’elle aurait pesé dans la balance quand le ministre a pris la décision de déposer le projet de loi C-62.

On m’a dit que Santé Canada a un comité administratif fédéral-provincial-territorial sur l’aide médicale à mourir qui sert expressément à travailler avec les intervenants provinciaux et territoriaux sur l’état de préparation et que ce comité se réunit souvent. On m’a aussi précisé que, comme les provinces et les territoires sont responsables de leur préparation — de suivre la formation —, leur état de préparation tel que décrit dans la lettre a été très important dans la décision du ministre de présenter le projet de loi C-62.

D’autres considérations importantes qui nous ont menés là où nous en sommes aujourd’hui remontent à 2022, lorsque l’Association of Chairs of Psychiatry a demandé que l’on reporte l’élargissement de l’aide médicale à mourir en raison du manque de campagne de sensibilisation du public sur la prévention du suicide et de l’absence d’une définition convenue du caractère irrémédiable d’une maladie mentale.

En février 2023, 30 juristes ont adressé une lettre au premier ministre Trudeau et au Cabinet pour demander au gouvernement d’ordonner la suspension et l’examen — et non seulement le report — d’un élargissement supplémentaire de l’aide médicale à mourir. En juin 2023, le Québec a modifié une loi sur l’aide médicale à mourir, la Loi concernant les soins de fin de vie, afin d’interdire les demandes d’aide médicale à mourir pour un trouble mental autre qu’un trouble neurocognitif.

De nombreuses inquiétudes ont été soulevées par les experts, et nous avons entendu des opinions divergentes en comité, ce qui nous a poussés à réfléchir à l’état de préparation.

Encore une fois, nous nous trouvons dans une situation où le gouvernement doit revoir à la baisse ses visées expansionnistes en matière d’aide médicale à mourir. Avec le projet de loi C-62, il tente de corriger les problèmes qu’il a lui-même créés lorsqu’il s’est dépêché d’instaurer le régime canadien d’aide médicale à mourir, mais il ne s’agit que d’une solution à court terme. À mon avis, nous devons reporter cet élargissement indispensable de l’aide médicale à mourir pour une durée indéfinie, comme plusieurs provinces et territoires l’ont demandé. Cette pause de trois ans n’est qu’une solution à court terme.

Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-39, pour les Canadiens et leurs proches, l’aide médicale à mourir demeure, encore aujourd’hui, l’un des enjeux les plus complexes et profondément personnels auxquels ils seront confrontés. Comme nous pouvons le voir ici même, dans cette enceinte, alors que nous continuons tant bien que mal de trouver des réponses à ces questions en vue d’établir les modalités du régime d’aide médicale à mourir, les opinions varient grandement d’une personne à l’autre quant aux paramètres et aux mesures de sauvegarde qui s’imposent.

J’ai voté pour le projet de loi C-14, qui visait alors à mettre sur pied le régime d’aide médicale à mourir, parce qu’à mon avis, nous avions besoin d’un tel régime. Toutefois, lorsque le projet de loi C-7 a été présenté en vue d’élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux cas où un trouble mental est le seul problème médical invoqué, j’ai voté contre.

J’estime qu’en incluant les personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale, nous étendons le régime trop loin. La vie des Canadiens aux prises avec une maladie mentale n’est pas sans importance. Je crois que la présentation du projet de loi C-39, et maintenant du projet de loi C-62, qui vise à prolonger jusqu’au 17 mars 2027 l’exclusion des personnes dont le seul problème de santé invoqué pour obtenir l’aide médicale à mourir est une maladie mentale, prouve que nous sommes allés trop loin, trop rapidement. On essaie de suspendre une politique que nous devrions carrément abroger.

Toutefois, chers collègues, bien qu’il ne fasse que suspendre la question pour trois ans, je vais, à contrecœur, appuyer le projet de loi C-62, car, sans lui, le 17 mars prochain, l’aide médicale à mourir deviendra légale pour les personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale, et nous savons qu’il nous faut plus de temps. Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, sénatrice Martin. Je respecte votre opinion, et je sais que vous respectez la mienne, même si elles divergent dans ce dossier. Je crois que notre amitié personnelle et notre collaboration depuis des années montrent bien qu’il est possible d’avoir des opinions différentes et de tout de même se respecter. Je vous remercie également d’avoir souligné que la conclusion logique du débat sur ce projet de loi serait de dire que certains intéressés ne seront jamais prêts, et je respecte ce que vous dites lorsque vous prétendez que c’est ainsi que les choses devraient être.

(2100)

Vous avez parlé d’un consensus. Nous avons déjà discuté de la question du consensus en lien avec d’autres questions. Vous avez raison. Certains psychiatres continuent d’essayer des traitements les uns après les autres, et ce, même quand les essais s’échelonnent sur des décennies et que le patient est complètement épuisé. On le constate aussi en oncologie, jusqu’à ce que le patient déclare qu’il ne veut plus poursuivre les traitements.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, un article fabuleux a été publié sur le site Substack la semaine dernière. On peut y lire que la psychiatrie a un problème de futilité. C’est vrai, et j’aimerais avoir votre avis à ce sujet. Un certain nombre de psychiatres semblent incapables de reconnaître cette futilité. En effet, ils soumettent leurs patients à une suite infinie de traitements, ce qui cause du tort aux patients, mine leur autonomie et viole les principes de franchise et de confiance. Croyez-vous qu’il soit correct d’accepter que certains médecins aient recours à cette manière de soigner leurs patients?

La sénatrice Martin : Je ne suis pas certaine de comprendre votre question, sénateur, mais je sais que vous avez un bagage d’expérience grâce à votre profession, et sur ce point, nous sommes en désaccord. Nous avons toutefois entendu différents experts aux opinions très divergentes, ce qui — comme d’autres parlementaires — m’a fait douter du caractère opportun de cette mesure, car lorsque nous irons de l’avant, il faudra que ce soit au moment opportun pour notre pays.

En ce qui concerne votre question, je ne l’ai pas vraiment comprise. Vous pouvez la répéter si vous le voulez, mais je ne sais pas si vous souhaitez le faire.

Le sénateur Kutcher : Comme nous sommes tous épuisés ce soir, la dernière chose que les sénateurs souhaitent est que je répète ma question. Merci.

L’honorable Rosemary Moodie : Vous avez dit quelque chose que je n’ai pas compris. Qu’entendez-vous par « moment opportun »? Pouvez-vous définir cela pour moi? Quel est le moment opportun selon vous?

La sénatrice Martin : Comme je l’ai dit, compte tenu des lettres des territoires et des provinces, compte tenu du fait que les provinces travaillent sans relâche à évaluer le degré de préparation et compte tenu des exemples dont j’ai eu personnellement connaissance, l’idée d’accorder l’aide médicale à mourir à des personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical invoqué m’effraie. En ce qui concerne le degré de préparation, je crois qu’il faut écouter les provinces et les territoires. D’où ce report de trois ans. Je ne peux prédire le moment. Je laisse aux experts et aux personnes chargées d’évaluer le degré de préparation le soin de nous dire quand ils seront prêts.

L’honorable Ratna Omidvar : La sénatrice Martin accepterait-elle de répondre à une brève question?

Cette question est pertinente pour vous, d’autant plus que vous étiez coprésidente du Comité sur l’aide médicale à mourir. Le projet de loi propose que l’on forme un comité mixte du Parlement dans les deux ans qui suivront la sanction royale pour entreprendre un examen concernant l’admissibilité et l’état de préparation. Il est donc possible que ce comité ne soit mis sur pied qu’après deux longues années, ce qui ne lui laisserait qu’un an pour mener ses travaux.

Nous sommes maintenant le 26 février et nous sommes pressés par le temps pour approuver le projet de loi d’ici jeudi, sans quoi la loi entrera en vigueur. Cette fois-ci, vous n’avez pas eu suffisamment de temps pour étudier les questions de l’admissibilité et de l’état de préparation ou, du moins, il me semble que vous n’en avez pas eu assez. Croyez-vous que le comité en aura suffisamment lorsqu’il aura de nouveau à étudier ces questions en 2027?

La sénatrice Martin : Je crois que mes collègues qui ont siégé au sein du comité s’entendent pour dire que les travaux ont été précipités et que nous avons manqué de temps.

Le report de trois ans m’inquiète. Personnellement, je souhaiterais une pause indéfinie afin qu’un projet de loi puisse être déposé lorsque nous serons prêts, que ce soit dans trois ans ou plus tard. Un an, cela paraît long, mais le cycle parlementaire est sujet à de nombreuses interruptions. C’est ce qui est arrivé au comité la dernière fois. Il y a eu les vacances d’hiver. Nous avons donc eu moins de temps que ce que nous pensions sur les six mois qui nous étaient impartis. Je ne peux pas répondre à la question avec exactitude, car je ne sais pas. Je sais que nous nous réunirons à nouveau et que nous serons chargés de remplir notre mandat.

Voilà pourquoi je suis d’avis qu’il nous faut plus de temps. Au moins, le projet de loi nous accorde trois ans. Je vais donc l’appuyer.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Budget des dépenses de 2023-2024

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget supplémentaire des dépenses (C) à l’exception du crédit 1c, qui sera étudié par le Comité mixte de la Bibliothèque du Parlement

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 15 février 2024, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024, à l’exception du crédit 1c de la Bibliothèque du Parlement;

Que, aux fins de cette étude, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que le Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues au crédit 1c de la Bibliothèque du Parlement dans le Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024;

Que, relativement aux dépenses prévues au crédit 1c de la Bibliothèque du Parlement, un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(À 21 h 7, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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