Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 12
Le mardi 17 juin 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- Le Conseil du Trésor
- Le Sénat
- L’Association parlementaire du Commonwealth
- La Conférence parlementaire du Commonwealth, tenue du 3 au 8 novembre 2024—Dépôt du rapport
- L’atelier sur l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité, tenu du 27 au 30 janvier 2025—Dépôt du rapport
- Le colloque de Westminster sur l’efficacité des Parlements, tenu du 10 au 14 mars 2025—Dépôt du rapport
- Comité de sélection
- Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mardi 17 juin 2025
La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.
Prière.
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté le 12 juin 2025, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. L’honorable sénateur Cormier présidera le comité.
[Traduction]
Projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne
Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier
L’ordre du jour appelle :
Le Sénat en comité plénier afin de recevoir l’honorable Dominic LeBlanc, c.p., député, président du Conseil privé du Roi pour le Canada et ministre responsable du Commerce Canada—États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne, et l’honorable Rebecca Alty, c.p., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones, chaque ministre étant accompagné d’un maximum de trois fonctionnaires, ainsi que tout autre témoin déterminé conformément au processus établi dans l’ordre, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.
(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable René Cormier.)
Le président : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier afin de poursuivre son étude de la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.
Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidence, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’il est ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur.
La liste des témoins confirmés actuellement pour le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-5 aujourd’hui a été distribuée avec les notes de la greffière, et les pages peuvent fournir cette liste aux sénateurs sur demande.
Le comité accueillera d’abord l’honorable Dominic LeBlanc, c.p., député, ministre responsable du Commerce Canada—États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne, et l’honorable Rebecca Alty, c.p., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones. Je les invite maintenant à entrer, accompagnés de leurs fonctionnaires.
(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable Dominic LeBlanc, l’honorable Rebecca Alty et leurs fonctionnaires prennent place dans la salle du Sénat.)
Le président : Monsieur et madame les ministres, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires.
L’honorable Dominic LeBlanc, c.p., député, ministre responsable du Commerce Canada—États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci de m’avoir invité. Je vois que vous avez déjà présenté ma collègue, avec j’ai eu l’occasion de collaborer à l’époque où elle était mairesse de Yellowknife. Je crois qu’il s’agit de sa première comparution devant un comité plénier du Sénat. Merci de nous recevoir.
[Français]
Monsieur le président, je suis accompagné de la sous-greffière du Bureau du Conseil privé, Mme Christiane Fox, qui est aussi sous-ministre des Affaires intergouvernementales, ainsi que de Mme Sarah Jackson et M. Daniel Morin, également du Bureau du Conseil privé.
Monsieur le président, merci de m’accueillir. Être en présence d’un Président intérimaire et président de ce comité plénier qui vient de ma province, le Nouveau-Brunswick, est un privilège.
Je veux également souligner un moment très important pour moi d’un point de vue personnel.
[Traduction]
J’ai eu le privilège de collaborer de près avec le sénateur Marc Gold pendant un certain nombre d’années. Je préside présentement le Comité des opérations et des affaires parlementaires du Cabinet, où le sénateur est invité d’office et où il prend part aux conversations.
Sénateur, le travail que vous avez accompli ici a apporté beaucoup au Canada. Vous avez l’air d’avoir 54 ans, mais en réalité, vous en avez 74. Comme vous le savez, chers collègues, le sénateur Gold quittera bientôt le Sénat, mais pas sans avoir énormément contribué à la société canadienne. Je tenais à le souligner avant que nous entrions dans le vif du sujet, sénateur.
[Français]
Monsieur le sénateur Gold, je partage un secret avec vous : un gâteau vous attend au Comité des opérations et des affaires parlementaires du Conseil des ministres.
Honorables sénateurs, je suis ici pour vous parler de l’importance de faire progresser le projet de loi C-5 et du bien-fondé de l’approche que nous prévoyons avec ce projet de loi. C’est une approche qui nous permettra de profiter de l’occasion de faire du Canada un pays plus prospère et plus souverain.
Notre pays est à un point tournant. Les choix que nous faisons aujourd’hui seront déterminants pour l’avenir économique du pays. Les tarifs douaniers américains menacent nos travailleurs, nos industries et notre souveraineté. Le monde est de plus en plus instable.
J’étais à Calgary ce matin; j’ai assisté à la réunion du G7 avec le premier ministre et nous avons rencontré M. Trump hier matin. Dans ce nouveau contexte, les Canadiens s’attendent à ce que leur gouvernement agisse de façon résolue pour protéger nos intérêts nationaux. Ils s’attendent à ce que nous laissions de côté nos vieilles façons de faire et que nous soyons à la hauteur de la tâche qui se dessine devant nous, et ce, dans un esprit de solidarité et de détermination.
[Traduction]
Honorables sénateurs, si nous voulons que le Canada sorte plus fort de ce moment, nous devons nous donner les moyens de faire le pont entre nos ressources, nos gens et notre ambition d’un océan à l’autre et avec le reste du monde. La construction de lignes de transport d’électricité, de ports, de voies ferrées et d’infrastructures énergétiques permettra de créer des débouchés dans toutes les régions du pays et pour l’ensemble des Canadiens.
(1410)
Il s’agit de permettre aux entrepreneurs, aux agriculteurs, aux fabricants et aux travailleurs de soutenir la concurrence, d’innover et de réussir tant au Canada qu’à l’étranger.
Les événements récents exigent, dans l’intérêt national, que le gouvernement fédéral intervienne, qu’il mobilise les investissements et qu’il accélère l’approbation, à l’échelon fédéral, des projets importants pour le pays.
Le projet de loi C-5 constitue notre réaction au moment charnière que nous vivons. Il favorise les initiatives nationales qui renforceront notre économie, stimuleront les échanges commerciaux et garantiront notre avenir. Tout cela se fera conformément aux valeurs et aux responsabilités du Canada.
En collaboration avec les provinces et les territoires, nous ferons avancer la réconciliation en misant sur la participation économique des peuples autochtones et en continuant de protéger l’environnement.
Cette détermination à travailler de concert avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones et à accomplir de grandes choses était manifeste pendant les discussions auxquelles j’ai assisté en compagnie de tous les premiers ministres du Canada, il y a deux semaines à Saskatoon.
Le 2 juin, quelles que soient leurs allégeances politiques, les premiers ministres se sont montrés enthousiastes à la perspective des possibilités que représente cette approche. Le temps est venu de se débarrasser d’anciens retards et de nous concentrer collectivement sur les intérêts de la population canadienne. Le projet de loi C-5 nous en donne l’occasion. Le gouvernement créera donc un bureau des grands projets fédéraux qui servira de centre de coordination et de guichet unique pour les promoteurs.
Le premier ministre et son gouvernement ont clairement énoncé nos objectifs. Nous sommes fermement déterminés à faire du Canada une superpuissance en matière d’énergie et de ressources naturelles. Non seulement nous exporterons des matières premières, mais nous stimulerons aussi la transformation à valeur ajoutée et l’innovation.
[Français]
Je tenais à vanter les mérites de mon ami Marc Gold et j’y ai consacré une partie de mon temps de parole.
Honorables sénateurs, le projet de loi est une question de volonté nationale. Ma collègue va soulever des aspects importants et j’ai hâte de répondre à vos questions et de travailler avec vous.
Je vous remercie.
[Traduction]
L’honorable Rebecca Alty, c.p., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci beaucoup. J’aimerais commencer par présenter les membres du personnel qui m’accompagnent ce soir. Aujourd’hui, nous avons Rob Wright, Georgina Lloyd et Bruno Steinke. Je tiens tout d’abord à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour appuyer la loi sur l’unité de l’économie canadienne, une mesure législative qui témoigne de l’engagement ferme de notre gouvernement à bâtir un Canada fort. Le projet de loi jette les bases d’une économie canadienne unifiée, une économie qui profite à tous les Canadiens, y compris les Premières Nations, les Métis et les Inuit.
Le ministre LeBlanc a présenté les grandes lignes du projet de loi, et je vais me concentrer sur la façon dont cette mesure législative sera mise en œuvre auprès des peuples autochtones.
Tout d’abord, je tiens à être très claire : les grands projets seront uniquement réalisés dans le cadre de cette loi si des consultations constructives sont menées auprès des Autochtones dont les droits garantis par l’article 35 risquent d’être touchés et leurs besoins sont pris en compte.
[Français]
Cette loi nécessite la tenue d’importantes consultations auprès des peuples autochtones, d’abord dans le cadre du processus de désignation des projets d’intérêt national, puis lors de l’élaboration des conditions auxquelles ces projets seront assujettis.
[Traduction]
Cette exigence n’est pas facultative. Elle est protégée par la Constitution canadienne et intégrée dans l’ensemble de la législation.
Grâce aux efforts des dirigeants autochtones, des gouvernements autochtones et des organismes représentant les Autochtones ainsi qu’au travail important effectué dans cette enceinte, le projet de loi S-13 a été adopté l’année dernière. Cette mesure législative modifie la Loi d’interprétation pour veiller à ce que tout texte, y compris un nouveau texte comme la Loi sur l’unité de l’économie canadienne, maintienne les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sans y porter atteinte.
[Français]
Je tiens à remercier les sénateurs dans cette Chambre de leur travail, qui a permis l’adoption de ce projet de loi. Il est important de noter que la loi prévoit des dispositions précises quant aux consultations nécessaires à sa mise en œuvre.
[Traduction]
Nous avons aussi des obligations juridiques aux termes de la Loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi qu’en vertu de nos traités modernes et de nos ententes sur l’autonomie gouvernementale, afin de garantir que l’obligation de consulter et d’accommoder est respectée pleinement. Alors que nous nous engageons dans cet effort d’édification nationale, le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause doit guider et guidera tous les projets.
Tel qu’il a été mentionné, cette mesure législative exige que les peuples autochtones soient dûment consultés et accommodés, tant lors du processus de détermination des projets d’intérêt national que lors de l’élaboration des conditions rigoureuses applicables à chaque projet.
Pour déterminer quels projets proposés par les peuples autochtones, les provinces et les territoires sont dans l’intérêt national, nous évaluerons s’ils a) renforcent l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada; b) procurent des avantages économiques ou autres au Canada; c) ont une forte probabilité de mise en œuvre réussie; d) promeuvent les intérêts des peuples autochtones; et, e) contribuent à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques.
Le projet de loi encourage une consultation précoce des peuples autochtones. Au titre du projet de loi, les promoteurs qui ne consultent pas les peuples autochtones avant de soumettre leur projet à un examen recevront une évaluation moins favorable.
Son objectif est de simplifier le processus d’approbation pour faire avancer de grands projets. Nous savons que le non-respect de nos obligations juridiques en matière de consultation et d’accommodement ne fera qu’entraîner des retards longs et coûteux devant les tribunaux.
Le projet de loi vise à soutenir des projets qui ne sont pas seulement prêts à être entrepris, mais aussi dignes de l’être, des projets qui respectent le savoir autochtone ainsi que les droits ancestraux et issus de traités. Nous serons à la recherche de projets qui ont le soutien des Autochtones ou, mieux, qui favorisent leur participation équitable dans les projets.
[Français]
Dans l’objectif de bien faire les choses, ce projet de loi historique prévoit la création du nouveau bureau fédéral des grands projets, qui réunira tous les ministres fédéraux touchés et qui sera chargé d’établir un ensemble unique de conditions à remplir pour qu’un projet soit approuvé. Au centre de ce nouveau bureau se trouvera un conseil consultatif autochtone.
[Traduction]
Nous soutiendrons aussi financièrement la participation des Autochtones dans l’ensemble de ce nouveau processus.
Par ailleurs, il ne suffit pas de consulter les peuples autochtones et de tenir compte de leurs besoins pour être un partenaire fiable. Pour bâtir un Canada fort, il est essentiel de créer de la richesse et de favoriser la prospérité à long terme des peuples autochtones en favorisant leur participation au capital. C’est la raison pour laquelle nous avons doublé le financement du programme de garantie de prêts pour les Autochtones, qui est ainsi passé de 5 à 10 milliards de dollars, afin de permettre à un plus grand nombre de communautés autochtones de devenir propriétaires de grands projets.
Cette année, 36 nations autochtones de la Colombie-Britannique ont au recours à ce programme pour obtenir 12,5 % des actions participatives d’un grand projet de pipeline afin de générer des revenus à long terme pour leurs membres et d’accroître leur pouvoir économique.
[Français]
En vérité, pour être forte, notre économie doit profiter à tous. Nous savons que l’investissement dans les économies et les communautés autochtones est avantageux pour l’ensemble du pays.
[Traduction]
Ensemble, faisons avancer ce projet de loi afin de pouvoir jeter les bases essentielles à l’avenir d’une économie canadienne qui inclura les peuples autochtones et qui sera développée de concert avec eux.
Je vous remercie. Mahsi’cho.
Le président : Je vous remercie, madame la ministre Alty.
[Français]
Nous allons maintenant passer à la période des questions. Il y a une très longue liste de sénateurs qui veulent intervenir. Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous informe respectueusement que nous vous serions reconnaissants de donner des réponses concises aux questions des sénateurs.
[Traduction]
Je vous prie de m’excuser si je dois vous interrompre.
Le sénateur Housakos : Je vous remercie, madame et monsieur les ministres, d’être ici avec nous aujourd’hui.
Ce projet de loi confère un pouvoir sans précédent à un seul ministre qui peut décider quels sont les projets d’intérêt national, les aiguillant ainsi vers la voie accélérée en vue de leur approbation. Toutefois, si le ministre refuse, pour des raisons idéologiques par exemple, d’attribuer cette désignation, le projet retombe automatiquement sous le coup de l’ancien régime connu pour sa lenteur qui, comme votre gouvernement l’admet lui-même, ne fonctionne pas.
Que se passera-t-il si le ministre est quelqu’un comme l’honorable Steven Guilbeault, par exemple, qui est connu pour s’opposer fondamentalement au secteur pétrolier et gazier. Le projet de loi ne risque-t-il pas de permettre que des décisions motivées par des considérations politiques viennent subrepticement bloquer des projets stratégiques et empêcher le Canada d’atteindre son objectif?
M. LeBlanc : Sénateur Housakos, par l’intermédiaire de la présidence, je vous remercie de votre question.
Nous estimons que ce projet de loi permet de trouver un juste équilibre en assurant aux promoteurs de projet — qu’il s’agisse de gouvernements autochtones, de gouvernements provinciaux et territoriaux, ou, nous l’espérons bien, de nombreux entrepreneurs privés — une plus grande certitude et une confiance accrue à l’égard d’un processus qui mènera à une approbation du gouvernement du Canada, et ce, dans les plus brefs délais, pour autant bien sûr que les conditions soient respectées.
(1420)
Pour ce qui est de l’exemple hypothétique que vous venez de donner, vous choisissez un député libéral que vous nommez ministre, et vous voudriez que je vous dise ce que j’en pense? Je crois que je vais m’abstenir, sénateur Housakos.
La bonne nouvelle pour vous, sénateur, c’est que, pour le moment, ce sera moi le ministre qui devra prendre ces décisions. Nous nous connaissons depuis longtemps. Je ne suis pas quelqu’un qui agit pour des motifs idéologiques. Je suis pragmatique et je suis fermement convaincu que la période que traverse actuellement notre pays justifie la mise sur pied d’un processus accéléré, équilibré et pondéré comme celui que nous proposons. C’est donc dans cette optique que je chercherai à exercer les pouvoirs prévus dans le projet de loi, si celui-ci est adopté.
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, je ne parle pas de ce moment; je parle d’il y a deux semaines. Et je ne parle pas d’un quelconque député; je parle de votre ministre du Québec, qui s’est déjà montré radical pour ce qui est de faire obstacle au développement énergétique au pays.
Je pense que c’est une question valable. Les membres du Cabinet doivent partager les objectifs du premier ministre — tout comme les vôtres —, surtout ceux qui, lorsqu’on écoute ce qu’ils disent dans les médias, ne les partagent pas actuellement.
Il y a actuellement 28 projets liés à l’énergie et aux minéraux critiques qui sont bloqués dans le processus d’approbation fédéral. Ma question est simple : pourquoi ne pas accélérer leur approbation si nous faisons face à une crise existentielle aussi importante?
M. LeBlanc : Par votre entremise, monsieur le Président, je répondrai au sénateur Housakos que l’objectif de ce projet de loi est d’établir ce processus accéléré qui s’appliquerait aux projets qui sont dans l’intérêt national selon le gouverneur en conseil — autrement dit le Cabinet.
Je ne peux pas parler d’une liste de projets qui ont différents processus d’approbation. Cependant, si l’un de ces promoteurs — par exemple, ma collègue a parlé de tirer parti d’une participation autochtone au capital-actions et du soutien des gouvernements provinciaux et territoriaux — décidait de demander au gouvernement d’envisager la désignation d’un de ces projets, il est alors hypothétiquement concevable que l’un de ces projets soit présenté au gouvernement comme étant dans l’intérêt national. Les politiciens ne devraient pas répondre à des questions hypothétiques, mais vous en avez posé deux ou trois, et il y en a donc une à laquelle j’ai répondu.
La rencontre des premiers ministres à Saskatoon nous a donné l’occasion d’entendre tous les premiers ministres provinciaux au sujet de la vaste liste de projets vraiment intéressants auxquels ils aimeraient travailler, dans bien des cas avec plusieurs administrations qui collaborent. Je trouve donc très encourageant que — vous excuserez le jeu de mots — le pipeline de projets puisse nous offrir une véritable occasion d’accomplir quelque chose d’important dans l’intérêt national.
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, vous savez que nous donnons le bénéfice du doute au gouvernement. Nous appuyons ce projet de loi à l’autre endroit et nous l’appuierons ici, mais nous avons des préoccupations. Les responsabilités confiées au ministre désigné sont vastes : autorisation centralisée, coordination interministérielle, consultation autochtone, pouvoir de modifier les conditions du projet. Vous nous demandez d’adopter rapidement ce projet de loi, mais vous n’avez pas été en mesure de nous fournir un budget clair pour ce nouveau bureau.
Dites-le-nous franchement : quel est le budget prévu pour le guichet unique, combien de fonctionnaires y travailleront et dans combien de temps ce financement sera-t-il accessible?
M. LeBlanc : Monsieur le président, les questions du sénateur Housakos sont excellentes. Je sais que le Bureau du Conseil privé est justement en train de préparer la mise sur pied de ce bureau, pourvu que le projet de loi soit adopté. Le gouvernement n’embauchera personne, ne réaffectera aucun fonctionnaire et ne dépensera pas d’argent avant que le Parlement n’adopte ce projet de loi.
Je suis tout à fait d’accord avec vous concernant l’urgence d’agir maintenant et rapidement. Je serai heureux de m’assurer — et je m’y engage — que le Bureau du Conseil privé communique toute l’information pertinente à la présidence pendant que nous mettons sur pied ce bureau.
Ma collègue a mentionné un certain nombre d’engagements que nous avons pris pour faire passer, par exemple, à 10 milliards de dollars un programme de garanties de prêts pour la participation autochtone et le renforcement des capacités en matière de consultation. Peut-être qu’en réponse à d’autres questions, nous pourrons aussi parler de ces investissements.
Je suis tout à fait d’accord avec vous qu’il y a urgence d’agir. Je suis reconnaissant envers vos collègues de l’autre endroit pour le soutien qu’ils nous ont offert, et nous avons hâte de travailler avec tous les sénateurs ici durant votre étude de ce projet de loi.
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, comme vous pouvez le constater, les sénateurs qui siègent dans cette enceinte depuis très longtemps ont un sentiment de déjà vu. Le gouvernement arrive au pouvoir bien intentionné au beau milieu d’une crise existentielle. Il y a urgence d’agir. Vous nous demandez d’accélérer l’étude d’un projet de loi, comme nous le faisons en ce moment, mais nous n’obtenons pas de réponse précise sur les coûts qui seront occasionnés par ces nouvelles opérations exécutées par la fonction publique. Plus important encore, nous accélérons l’étude du projet de loi sans avoir d’idée claire de la capacité administrative qui sera mise en place, non seulement pour évaluer les projets, mais aussi pour leur faire franchir toutes les étapes et nous fournir des balises tout au long du processus, des balises qui permettront au moins au gouvernement de rendre des comptes aux contribuables et au public.
Ne faudrait-il pas, selon vous, retravailler cet aspect du projet de loi?
M. LeBlanc : Monsieur le président, sénateur Housakos, je suis entièrement d’accord avec la prémisse de votre question sur l’importance de faire preuve de transparence lors de l’utilisation des fonds publics.
J’ai dit plus tôt que le gouvernement est prudent. Nous espérons que le projet de loi sera adopté rapidement. Une fois cela fait, pour garantir que nous allons au-delà du processus normal d’estimation des coûts de manière transparente, sénateur, je suis heureux de m’engager à ce que le Conseil privé publie sa planification financière liée aux travaux en question.
Un des moyens qui, nous l’espérons, nous permettront de contrôler certains des coûts — nous pourrions peut-être en parler, monsieur le président, lorsque nous traiterons d’autres questions — est d’établir un seul examen par projet et de tirer parti d’une grande partie de l’excellent travail accompli par les gouvernements provinciaux et territoriaux.
Au Québec, par exemple, c’est-à-dire là d’où vous venez, sénateur, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement fait du très bon travail. Nous croyons que conclure rapidement des ententes avec les provinces et les territoires afin d’éviter les chevauchements et les recoupements serait dans l’intérêt des investisseurs et de la rapidité d’approbation des projets de pouvoir, mais aussi dans celui des contribuables — fédéraux ou provinciaux. En fait, il n’y a qu’un contribuable au Canada. Nous estimons que cette façon de faire serait plus efficace du point de vue de la gestion des finances publiques, mais aussi du point de vue des délais.
[Français]
Le sénateur Housakos : J’ai une dernière question, monsieur le ministre.
Le premier ministre Carney affirme qu’il faut un consensus national pour construire un pipeline. Pouvez-vous nous dire concrètement ce que cela signifie? Quel est le consensus? Qu’est-ce qui arrivera si un premier ministre provincial dit : « Non, cela suffit »?
M. LeBlanc : Je vous remercie de la question.
Vous avez raison. J’étais avec le premier ministre Carney lorsqu’on lui a posé cette question. Il est évident que le projet de loi n’est pas étudié par le Sénat et par le Parlement pour que l’on décide d’imposer quelque projet que ce soit aux peuples autochtones, à une province ou à un territoire.
J’ai été très encouragé par le consensus que l’on a observé chez les premiers ministres en entendant les paroles du premier ministre néo-démocrate du Manitoba et les commentaires que M. Legault, le premier ministre de votre province, a faits en privé et en public. Ils ont tous parlé de l’importance d’être ouverts à des projets qui vont accroître la compétitivité de notre économie et faire en sorte que nous ne soyons pas dépendants d’un marché pour vendre nos produits.
Cependant, vous avez absolument raison : tout cela est très difficile à définir avec des termes précis et chacun y va de ses hypothèses. Le premier ministre a été très clair : on ne va pas imposer un projet à une province ou à un territoire. Ceci est une manière de bâtir un consensus plus efficace.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre.
[Français]
La sénatrice Hébert : Bonjour, monsieur le ministre.
Vous l’avez mentionné : il s’agit d’un projet de loi très important pour l’avenir économique du pays, qui traverse actuellement une zone de grande turbulence — il faut le dire, on a tous un peu mal au cœur. On espère que le projet de loi permettra de propulser nos industries, dans la mesure où les appels d’offres suivront la parade, évidemment, et seront peut-être même devant la parade. Il importe de favoriser plus efficacement les entreprises canadiennes.
Si l’on tient cela pour acquis, je vois cependant un autre défi, soit celui de la main-d’œuvre. On sait que, pour construire des infrastructures, il faut des travailleurs, même beaucoup de travailleurs. Il y a une partie de la réponse qui se trouve dans le projet de loi sur la mobilité de la main-d’œuvre, mais une autre partie réside ailleurs que dans l’immigration.
Comment le gouvernement va-t-il arrimer les objectifs du projet de loi C-5 avec les politiques en matière d’immigration, qui risquent d’affecter l’accès à la main-d’œuvre dans plusieurs secteurs stratégiques qui sont visés par le projet de loi C-5?
(1430)
M. LeBlanc : Merci de votre question. Vous avez absolument raison. Les appels d’offres et les investissements des sociétés privées, et peut-être aussi ceux des différents ordres de gouvernement, atteindront l’objectif économique que nous avons fixé seulement si nous sommes vraiment en mesure de réaliser les projets que nous allons désigner comme étant d’intérêt national. Je sais que cette partie du projet de loi relève de Mme Freeland, qui comparaissait ici hier.
Les provinces ont énormément collaboré pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre, mais vous avez raison. Il faut appuyer les provinces dans la formation des jeunes. Je pense à ma province, la province de votre président, le Nouveau-Brunswick, où il existe de plus en plus de programmes qui visent précisément à enseigner un métier à des jeunes dans les collèges publics et communautaires. Ce n’est qu’un petit exemple de gouvernement provincial qui décide de prendre les choses en main, mais il y a des exemples partout au Canada.
Par ailleurs, l’immigration fait partie de ce défi. Les provinces et les territoires sont enthousiastes et veulent travailler avec nous. Ils ont eux aussi des programmes de candidats visant certaines catégories de personnes en vue d’atteindre l’objectif d’accéder à de la main-d’œuvre qualifiée. Nous sommes déterminés à faire en sorte que l’accès à la main-d’œuvre ne nuise pas à l’objectif que vous avez très bien décrit.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame et monsieur les ministres. J’ai travaillé en étroite collaboration sur le projet de loi C-69 à mon arrivée au Sénat. À l’époque, on croyait surtout que le projet de loi cherchait des raisons de ne pas construire plutôt que des raisons de construire. Je suis donc reconnaissante de la volonté de passer de « faut-il le faire » à « comment le faire ». Je ne peux pas m’empêcher de penser que nous sommes peut-être allés trop loin.
L’une des choses qui me préoccupent au sujet du projet de loi C-5, c’est qu’il devance la période de consultation. Vous demandez la tenue de consultations avant qu’un projet soit désigné comme étant d’importance nationale, mais l’évaluation environnementale aura lieu après cette consultation.
Que se passe-t-il si des consultations ont été tenues avec les provinces, les municipalités, les Premières Nations et les autres intervenants, qu’il y a consensus et qu’ensuite l’évaluation environnementale indique que le projet pourrait avoir des répercussions négatives sur les sites de nidification, les aires de reproduction ou d’autres sources d’approvisionnement en eau souterraine? Je crains qu’en mettant la charrue avant les bœufs, vous obteniez l’accord avant d’avoir obtenu les renseignements. Pouvez-vous tous les deux me dire ce que vous pensez de cela?
Mme Alty : Je pense qu’il importe de souligner que ce projet de loi comporte deux étapes. La première étape consiste à consulter les détenteurs de droits autochtones afin de déterminer si le projet doit être ajouté à l’annexe 1. Ensuite, on passe aux conditions, c’est-à-dire à la deuxième série de consultations, ainsi qu’à l’évaluation environnementale. C’est au cours de cette deuxième partie que les conditions seront ajoutées et que les promoteurs devront s’y conformer.
Il est important de comprendre ce processus en deux étapes. Encore une fois, il s’agit de continuer à respecter la Constitution et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
L’autre point concerne ce qui se fait en périphérie du projet de loi : le renforcement des capacités et le financement des titulaires de droits autochtones du début à la fin du processus. C’est un point qui a été soulevé auprès du ministère lors des consultations de l’an dernier : il est nécessaire d’assurer un financement continu, et non un financement basé sur des demandes. Ainsi, les titulaires de droits autochtones pourront participer efficacement à l’ensemble du processus.
Il est important de souligner la consultation en deux parties; ensuite, les conditions seraient ajoutées au document final pour approbation par le ministre.
La sénatrice Simons : Monsieur LeBlanc, permettez-moi de m’adresser à vous. L’ajout de conditions présuppose que le projet sera approuvé. Ce qui me préoccupe, c’est que nous désignons les projets d’importance nationale avant l’évaluation environnementale.
M. LeBlanc : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Comme ma collègue l’a dit, ce processus à deux étapes est voulu. Après avoir discuté avec plusieurs premiers ministres depuis la première rencontre des premiers ministres — j’étais d’ailleurs assis avec Mme Smith hier soir, à Calgary, à l’occasion du dîner de la gouverneure générale —, nous pouvons dire avec confiance que tous les premiers ministres sont très impatients de commencer — si le projet de loi est adopté, bien sûr — à déterminer les projets que le gouvernement pourrait désigner, comme l’a mentionné Mme Alty.
Votre question est importante, sénatrice. Je ne voudrais pas que les gens aient l’impression que les évaluations environnementales sont négligées. Il s’agit d’une responsabilité du gouvernement qui est prévue dans diverses lois, comme la Loi sur les pêches, la Loi sur les espèces en péril, la Loi sur les eaux navigables canadiennes, et j’en passe. La liste est longue et adéquate, car le gouvernement doit voir à ce que ces évaluations soient rigoureusement faites. Toutes ces évaluations serviront à élaborer le document sur les conditions, qui constituera l’approbation.
Comprenons-nous bien : une désignation n’entraîne pas nécessairement l’approbation du projet ou la publication d’un document sur les conditions. Encore une fois, je fais ce que j’avais promis de ne pas faire, mais supposons, pendant l’étude d’un projet dans le cadre duquel le ministère de l’Environnement ou des Pêches et Océans fournit des conseils et collabore avec le promoteur, supposons donc que ce promoteur ne veut pas, ou ne peut pas, respecter les conditions raisonnables que nous avions définies avec lui, il se pourrait alors que le projet n’obtienne pas l’approbation finale du gouvernement.
Il faut comprendre que ces évaluations environnementales feront absolument partie intégrante du document sur les conditions qui, nous l’espérons, constituera l’approbation.
Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre.
La sénatrice Galvez : Je remercie les ministres de leur présence ici aujourd’hui. La plupart des témoins nous ont dit que ce projet de loi est une réponse à l’imposition de droits de douane au sud de la frontière.
Le projet de loi C-5 donne au gouverneur en conseil le pouvoir d’exempter un projet d’intérêt national de l’application de lois importantes qui protègent l’environnement, comme celles déjà mentionnées par ma collègue et vous : la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et la Loi sur les espèces en péril. Pouvez-vous me dire s’il existe une autre loi fédérale accordant autant de pouvoir à l’exécutif? J’aimerais aussi savoir si l’application serait limitée dans le temps, car cette menace provenant du Sud ne sera pas là éternellement.
M. LeBlanc : Je vous remercie, sénatrice. Votre question en contenait en réalité deux ou trois, toutes très bonnes.
Pour ce qui est de la durée, nous proposons que le pouvoir de désigner un projet comme étant d’intérêt national qui est accordé au gouverneur en conseil, c’est-à-dire au Cabinet, ne devrait pas durer plus de cinq ans. Je m’explique : disons que dans deux ou trois ans, un projet est proposé. Si une province ou un territoire présente un projet ayant des Autochtones à sa tête, je crois qu’une fenêtre d’au plus deux ans pour en établir les conditions de mise en œuvre serait raisonnable au vu de la menace économique que pose nos voisins du sud, les États-Unis. Vous l’avez dit vous-même, sénatrice.
J’ai assisté à la rencontre bilatérale entre le premier ministre et le président Trump hier à Kananaskis et je m’entretiendrai avec le représentant au Commerce des États-Unis plus tard cette semaine. Peu importe ce que contiendra l’accord qui sera finalement conclu entre les deux pays, nous espérons qu’il permettra de lever la totalité des droits de douane que les États-Unis ont imposés illégalement et indûment au Canada, mais il n’en demeure pas moins que le climat actuel d’incertitude et d’instabilité ne disparaîtra pas aussitôt que cet accord sera signé. Comme l’a dit le premier ministre pendant la campagne électorale, le président Trump cherche à redéfinir la plupart des relations commerciales internationales modernes.
(1440)
Je me suis entretenu avec le ministre de l’Économie du Mexique, M. Ebrard, hier après-midi à Calgary. Nous avons précisément parlé du contexte trilatéral. Il se rend à Washington presque toutes les semaines. Il m’a dit qu’il ne s’agit pas d’une problématique à court terme pour l’économie mondiale. Voilà pourquoi nous pensons que la fenêtre de temps est appropriée.
Je sais, sénatrice; j’ai vu la ministre Freeland, monsieur le président, et je ne ferai pas comme elle.
Pour ce qui est du pouvoir accordé au gouverneur en conseil, vos collègues vont sans doute nous donner l’occasion d’aborder ce sujet.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Je rappelle aux sénateurs qu’en partageant leur temps de parole, ils disposent d’une période totale de 10 minutes à eux trois, questions et réponses comprises. Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Bonjour, monsieur le ministre LeBlanc. L’un des obstacles récurrents à la mobilité de la main-d’œuvre demeure la reconnaissance des qualifications professionnelles d’une province à l’autre. Compte tenu de l’importance des collèges communautaires comme le Nova Scotia Community College, en Nouvelle-Écosse, quels engagements le gouvernement prend-il ou prendra-t-il dans ce projet de loi pour harmoniser les normes de formation et assurer la reconnaissance rapide et équitable des compétences, particulièrement pour les jeunes diplômés et les nouveaux arrivants formés localement? Cela s’applique à toutes les provinces.
M. LeBlanc : Je vous remercie de la question, sénateur Aucoin. Je ne veux nullement être désobligeant, mais comme vous le savez très bien, en tant que gouvernement, nous n’avons pas de façon d’imposer ou d’harmoniser certains métiers. Il s’agit d’une compétence provinciale, et ce sont les provinces qui établissent les normes.
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les collèges communautaires font un travail important dans nos provinces. Nous essayons de travailler avec les provinces et les territoires pour qu’ils harmonisent la mobilité de leurs travailleurs, de leur main-d’œuvre. Je suis très encouragé par ce que je vois. J’ai utilisé un exemple avec les premiers ministres des provinces : dans notre région de l’Atlantique, les quatre premiers ministres ont décidé d’établir un partenariat pour les travailleurs de la santé. Par exemple, si vous êtes ergothérapeute à Moncton et que vous voulez travailler à Chéticamp, vous pouvez être ergothérapeute tant à Chéticamp qu’à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard. Pour nous, c’était une inspiration. D’autres provinces sont en train de répliquer ce modèle. Nous allons — et je suis convaincu que Mme Freeland vous en a parlé hier — retirer les barrières ou les obstacles du côté du gouvernement fédéral. Nous allons inciter, encourager et appuyer nos amis dans les provinces et les territoires, qui affirment, publiquement et en privé, être confrontés au défi que vous avez décrit.
Le sénateur Aucoin : Ma deuxième question me touche de plus près. L’article 21 de la partie 2 du projet de loi C-5 soulève des préoccupations sérieuses quant à la protection des droits linguistiques en milieu de travail. D’ailleurs, hier, dans un communiqué de presse, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la SANB, s’est dite inquiète par rapport à l’article 21 du projet de loi. Ma crainte est qu’il existe une possibilité de contournement des lois comme la Loi sur les langues officielles et la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Par exemple, un investisseur qui s’implique dans un projet fédéral, dans une région majoritairement francophone ou autre, pourrait rendre son projet conditionnel à l’assentiment du gouvernement fédéral en ce qui a trait au contournement des exigences linguistiques.
Monsieur le ministre, comment le gouvernement prévoit-il de se pencher sur cette préoccupation, sur cette menace aux droits linguistiques des travailleurs du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l’Acadie et de la francophonie partout au Canada?
M. LeBlanc : Sénateur Aucoin, je partage totalement l’inquiétude dont vous venez de parler. Vous avez utilisé un exemple encore hypothétique, soit que quelqu’un qui s’implique dans un projet puisse être exempté de certaines obligations relatives à la Loi sur les langues officielles ou à la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.
Je n’approuverai jamais une telle condition — pour en revenir à la question du sénateur Housakos — tant que j’aurai la chance d’être le ministre désigné. Si le projet de loi est adopté, je n’accepterai jamais une telle condition. Nous reconnaissons que ce type d’exemption, tant que je serai le ministre responsable, ne verra pas la lumière du jour.
Cependant, vous avez raison de soulever cette inquiétude, car, dans un autre scénario ou sous un autre gouvernement, le projet de loi pourrait être utilisé pour affaiblir ces obligations. Je ne peux pas imaginer de telles circonstances. Lors de la campagne électorale, nous avons discuté avec M. Carney et les premiers ministres des provinces; l’urgence d’agir est bien réelle, et nous le croyons, mais à aucun moment nous n’avons conçu qu’un tel scénario serait raisonnable. Je vais travailler avec vous et d’autres collègues pour que ce genre de chose ne se produise pas. Je partage complètement votre inquiétude.
Le sénateur Aucoin : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie, madame et monsieur les ministres, et les membres de vos équipes, de votre présence parmi nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous, monsieur le ministre.
À titre de ministre responsable du Commerce Canada—États-Unis, pensez-vous que ce projet de loi risque de créer des tensions et de miner notre relation économique transfrontalière, particulièrement dans les cas où les préférences des provinces seraient différentes des priorités du gouvernement fédéral?
M. LeBlanc : Monsieur le président, je passe par vous pour remercier le sénateur de sa question. Vous avez commencé par évoquer le contexte de la relation Canada—États-Unis. Quand vous parlez de tensions, voulez-vous dire avec nos amis des États-Unis? Je veux seulement être sûr d’avoir bien compris votre question.
Le sénateur Al Zaibak : Oui, en fait, je veux parler des deux : des tensions possibles, mais aussi des occasions à saisir des deux côtés, que ce soit avec les provinces ou en général.
M. LeBlanc : Sénateur, je pense que vous avez bien cerné une occasion de collaboration que nous devons absolument saisir, aussi bien entre le fédéral, les provinces et les territoires qu’avec notre partenaire économique le plus important, les États-Unis. Ce n’est pas demain la veille que les Américains cesseront d’être nos plus précieux partenaires en matière de sécurité et de développement économique. Nous nous employons actuellement à redéfinir cette relation commerciale pour qu’elle puisse continuer à nous offrir la certitude souhaitée. C’est toutefois un sujet distinct.
J’ai eu des conversations avec le secrétaire Lutnick et l’ambassadeur Greer, pas plus tard qu’hier à Kananaskis. Le secrétaire américain au Trésor, M. Bessent, était là également. Lors des échanges entre le président et le premier ministre, il a été question de redéfinir notre relation avec les États-Unis dans le cadre d’un partenariat économique qui offrirait au Canada la possibilité de mener à bien de grands projets. Nous pouvons prendre l’exemple des minéraux critiques. La première ministre Smith m’a parlé hier soir, tout comme le premier ministre Moe, de la Saskatchewan, des projets d’exploitation de minéraux qui régleraient en grande partie les difficultés que nous éprouvons, non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec d’autres alliés dans le contexte de notre dépendance envers des pays comme la Chine ou la Russie.
Le ministre sud-africain était assis à mes côtés lors du souper d’hier soir, et nous avons parlé du Canada et de l’Afrique du Sud, qui sont des géants dans le domaine des minéraux critiques, et des avantages qui pourraient en découler pour la sécurité mondiale si nous nous y prenons de la bonne manière.
Selon moi, la relation canado-américaine nous offre des perspectives intéressantes pour autant que nous fassions le nécessaire. Je peux vous dire, sénateur, que les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux sont arrivés à la réunion de Saskatoon avec des exemples de projets qu’ils espéraient pouvoir mettre au point de telle sorte que le gouvernement en vienne à envisager, comme le disait Mme Alty, de leur attribuer cette désignation. De nombreuses provinces et territoires travaillent ensemble.
(1450)
Prenons les premiers ministres des provinces de l’Ouest et les premiers ministres des territoires et du Nord; ils se parlent. Les premiers ministres de l’Atlantique travaillent ensemble.
Le gouvernement du Canada s’engage à réaliser une seule évaluation par projet, à n’avoir aucun dédoublement ou chevauchement, et à travailler avec eux pour accélérer la réalisation des projets.
Je pense qu’il y a là une énorme occasion pour notre fédération aussi. Je suis très encouragé — et je pense que tous les Canadiens devraient l’être — par les mesures prises par les provinces et les territoires ainsi que leurs dirigeants.
Le sénateur Al Zaibak : Monsieur le ministre, craignez-vous que les États-Unis contestent la rationalisation de l’approbation des grands projets conformément à la Loi visant à bâtir le Canada en affirmant qu’elle va à l’encontre des obligations commerciales prévues dans l’Accord Canada—États-Unis—Mexique? Que fait-on à ce sujet?
M. LeBlanc : Sénateur, la réponse courte est non. Je n’ai aucune préoccupation. Si nous voulons renforcer notre relation économique avec les États-Unis, notre capacité à réaliser de grands projets au Canada et à accroître le PIB de notre pays seront des aspects positifs dans cette relation. Chose certaine, ils ne m’ont fait part d’aucune préoccupation, mais ils m’ont parlé de grands projets que nous pourrions peut-être réaliser conjointement, avec des investisseurs américains, par exemple. Ce sera un processus continu.
Le sénateur Klyne : Madame la ministre, monsieur le ministre, soyez les bienvenus. Les dirigeants autochtones que nous avons entendus hier nous ont dit que les consultations sur la partie 2 du projet de loi C-5 étaient précipitées et superficielles. Je vous remercie d’avoir mentionné les consultations de même que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans vos remarques liminaires. Vous reconnaissez sans ambages que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’article 35 de la Loi constitutionnelle nous donnent l’obligation de consulter.
Madame la ministre, nous avons entendu parler de ce que d’aucuns ont qualifié de « clauses Henri VIII » qui se retrouvent dans les articles 21, 22 et 23 de la partie 2 du projet de loi. Il semblerait que ces dispositions accordent au Canada le pouvoir illimité de modifier la manière dont sont appliquées la quasi-totalité des lois adoptées par le Parlement.
Madame la ministre, s’il devient possible de faire fi des lois environnementales et des lois qui garantissent les droits des autochtones, qu’arrivera-t-il à l’environnement et aux peuples autochtones?
Mme Alty : Je vous remercie, sénateur. Comme je le disais tout à l’heure, la loi nous oblige à consulter. C’est dans la Constitution. Les droits dont vous parlez sont garantis par la Constitution, et l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été confirmée par une série de jugements de la Cour suprême du Canada. Ce projet de loi ne peut pas avoir préséance sur la Constitution. Les projets qui seront désignés comme étant d’intérêt national le seront uniquement après consultation des titulaires de droits autochtones touchés.
La clé, c’est que l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation est inscrite dans la Constitution et dans la version révisée de la Loi d’interprétation, auxquelles ce projet de loi n’a pas le choix de se conformer. Je vais en rester là pour vous laisser plus de temps dans votre période de 10 minutes.
Le sénateur Klyne : Donc, la disposition à la Henri VIII n’a aucune incidence.
Mme Alty : C’est exact.
Le sénateur Francis : Mesdames et messieurs, si un projet cause un tort grave et imprévu après son approbation, il est essentiel que les Autochtones et les autres communautés touchées aient de réelles possibilités de réparation. Cependant, même avant cela, il doit y avoir des mesures de protection robustes en matière de procédure pour garantir que le ministre délégué n’abusera pas des vastes pouvoirs que lui confère ce projet de loi.
À l’heure actuelle, le projet de loi C-5 lui permettrait de déroger aux lois et aux règlements fédéraux, y compris la Loi sur les Indiens. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez inclus cette loi à l’annexe 2 du projet de loi C-5? Les Premières Nations devraient-elles s’inquiéter de la possibilité que le gouvernement actuel ou un futur gouvernement déroge aux dispositions de la Loi sur les Indiens qui portent sur leurs droits territoriaux?
Mme Alty : Merci, monsieur le sénateur. Je vous remercie de votre question.
Lorsque des projets vont de l’avant, certaines communautés sont soumises à des dispositions archaïques de la Loi sur les Indiens. Nous allons consulter nos partenaires des Premières Nations pour chaque projet. Si nous devons suspendre une disposition de la loi, nous allons le faire en consultation avec la Première Nation pour nous assurer que le développement respecte les pratiques culturelles et les normes environnementales. Toutefois, dans nos discussions avec les dirigeants autochtones, les difficultés engendrées par la Loi sur les Indiens sur le plan financier ont entre autres été évoquées. S’il était possible de prendre des dispositions pour changer la situation, cela pourrait être envisagé dans le cadre de cette mesure législative.
Je répète que nous voulons garder cette option pour faire progresser un projet, mais il faut travailler avec les Premières Nations. C’est pourquoi nous avons décidé d’inclure des articles de la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Woo : Monsieur le ministre, merci de votre présence parmi nous. Le projet de loi a préséance sur les lois fédérales en outrepassant entre autres la Loi sur les textes réglementaires, plus particulièrement la capacité du Parlement d’étudier les règlements par l’intermédiaire du Comité d’examen de la réglementation, que je retrouverai bientôt, si j’ai bien compris, et que j’ai eu l’honneur de présider pendant les deux dernières législatures.
Je comprends le besoin de peut-être outrepasser certaines lois afin d’accélérer un processus d’approbation, mais l’examen de la réglementation a lieu bien après le lancement d’un projet donné et l’adoption du projet de loi donné. C’est un moyen d’assurer une cohérence entre les règlements et les lois que nous adoptons.
Pourquoi était-il nécessaire de prendre cette mesure assez extraordinaire concernant le Comité d’examen de la réglementation?
M. LeBlanc : Monsieur le président, par votre entremise, je remercie le sénateur Woo de sa question. Je siège au Parlement depuis assez longtemps — certains de mes collègues siègent depuis plusieurs années au Comité mixte permanent d’examen de la réglementation — pour savoir que vous avez tout à fait raison. Vous avez très bien décrit la chose, sénateur, pour les Canadiens qui nous regardent. C’est une responsabilité parlementaire importante que les deux Chambres assument depuis très longtemps.
Je reconnais la grande valeur du travail souvent mené hors du regard du public, mais qui contribue à la responsabilité gouvernementale et qui aide le pouvoir exécutif à prendre des règlements qui respectent, comme vous l’avez bien décrit, les lois adoptées par le Parlement.
Pour la troisième fois, je refuse de réfléchir à des exemples hypothétiques.
[Français]
Pour la quatrième fois, monsieur le sénateur, ouf! L’heure est encore jeune et vous n’avez pas encore assez de questions pour ma collègue.
[Traduction]
Monsieur le sénateur, notre objectif ici est de dire aux promoteurs de projets — aux provinces, aux territoires et aux promoteurs autochtones — que nous sommes prêts à agir rapidement et de manière responsable et équilibrée. Je serais ravi de travailler avec ce comité et d’autres comités pour veiller à faire le travail de manière responsable, sans recourir à l’exemple hypothétique d’un résultat extrême.
Le sénateur Woo : Connaissez-vous d’autres textes réglementaires qui ont été exemptés de l’examen du Comité d’examen de la réglementation? Même si vous n’avez pas de réponse à cette question, pouvez-vous trouver un moyen de préserver le droit du Parlement d’au moins examiner les règlements après coup afin que nous ne soyons pas complètement tenus dans l’ignorance?
M. LeBlanc : Monsieur le sénateur, je ne connais pas d’autres exemples, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. C’est une question de droit très technique, mais je me ferai un plaisir de demander aux fonctionnaires du Conseil privé qui sont ici avec moi de vous fournir une réponse précise à cette question précise.
Je ne connais pas la réponse, mais c’est une excellente question. Je vous donnerai la réponse et vous dirai s’il y a d’autres précédents. Je serais ravi de travailler avec votre comité pour veiller, comme vous l’avez dit, à ce que le respect fondamental du Parlement soit préservé.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je veux être transparent. Le gouvernement veut encourager les investisseurs à se manifester et inciter les provinces et les territoires à présenter des projets d’envergure en raison de l’urgence économique et géopolitique actuelle. Nous voulons dire à ces promoteurs et à leurs partenaires — y compris les peuples autochtones, comme ma collègue l’a dit — que nous sommes prêts à accomplir ce travail de manière responsable et rapide, mais je ne prétends pas retirer ce rôle important au Parlement. Merci d’avoir soulevé ce point, sénateur.
(1500)
La sénatrice Clement : Merci aux deux ministres.
Madame la ministre, nous avons toutes deux occupé les fonctions de mairesse. J’admire depuis longtemps tout ce que vous faites pour contrer les effets des incendies de forêt dans votre région. J’admire votre style de leadership. J’ai participé avec vous à un groupe de discussion municipal organisé par la sénatrice Simons à la Fédération canadienne des municipalités. Les maires savent comment bâtir des relations. Nous côtoyons nos concitoyens, nos voisins dans la rue. Ils nous connaissent par notre nom. Je sais que cette aptitude pour tisser des liens est un atout qui vous aidera dans votre nouveau travail. Vous avez parlé de consultations constructives dans votre déclaration liminaire. J’aimerais revenir là-dessus, pas seulement du point de vue juridique, mais aussi de celui des relations à bâtir.
En Ontario, de nombreuses personnes ont été offusquées par le projet de loi 5, qui a été adopté par la province. Aujourd’hui, les Chefs de l’Ontario ont organisé un rassemblement ici même sur la Colline du Parlement pour réagir au projet de loi C-5. En fait, l’ancien Grand Chef d’Akwesasne, Abram Benedict, qui est aujourd’hui Chef régional, a pris la parole il y a quelques instants. Ils ont profité des discussions que nous avons eues avec eux cette semaine pour nous transmettre quelques-unes de leurs questions. J’aimerais me faire le porte-voix de leurs préoccupations.
Compte tenu de la vitesse à laquelle le projet de loi C-5 permettra au Cabinet d’agir et des pouvoirs qu’il conférera à celui-ci, lesquels sont comparables à ceux qui lui sont octroyés en situation d’urgence, comme celui de passer outre aux lois et aux règlements, le gouvernement s’attend-il à ce que des manifestations et des protestations voient le jour et retardent les projets? Qu’entend faire le gouvernement, plus précisément, pour atténuer ces risques? Que répond-il aux Chefs de l’Ontario qui se sont réunis aujourd’hui sur la Colline?
Mme Alty : Merci de vos questions, sénatrice. L’idée, c’est que ce projet de loi propose d’accélérer les consultations auprès des Autochtones. Ce qu’on doit retenir, à mon avis, c’est qu’il nous offre l’occasion de simplifier le processus et de créer un bureau des grands projets.
L’année dernière, Relations Couronne-Autochtones a profité de ses tribunes et forums existants pour consulter les peuples autochtones sur la fonction de coordonnateur des consultations de la Couronne que l’on propose de créer. Nous avons alors constaté que plusieurs préoccupations reviennent sans cesse et qu’elles touchent l’ensemble des consultations fédérales.
Il a par exemple été question du manque de coordination, de la difficulté à s’y retrouver dans les processus de consultation, surtout pour les petites communautés ayant des moyens limités, le financement fragmenté et inadéquat de la participation aux consultations et la lassitude qui est de plus en plus associée aux consultations et qui est exacerbée par des processus redondants et des chevauchements.
Sans nouveaux mécanismes de coordination permettant d’y voir clair dans tous ces processus complexes, nous risquons de voir la légitimité des consultations contestée devant les tribunaux, de retarder la réalisation des projets et de saper la confiance dans la capacité de la Couronne de mener un processus juste et efficace.
Voilà pourquoi j’estime important que le Bureau des grands projets voie le jour. C’est lui qui orchestrerait tout ce qui a à voir avec ce projet de loi parce qu’il permettra de centraliser les connaissances, de faire le suivi des consultations menées, de créer un guichet unique chargé de recenser, tôt pendant le processus, les communautés autochtones et les titulaires de droits qui doivent être consultés afin d’éviter les retards, de servir de point de contact pour les questions qui doivent être portées devant un échelon supérieur, d’assurer l’accès en temps opportun aux principaux décideurs, de produire, pour chaque projet, de l’information sur les droits des Autochtones, qu’ils soient issus de traités, établis ou revendiqués, y compris en ce qui concerne les revendications historiques ou encore irrésolues visant des terres situées sur le tracé des projets, de produire de l’information pour la conclusion d’un accord d’autonomie gouvernementale moderne de type traité ainsi que sur les obligations et les engagements à l’intérieur des corridors...
Le président : Merci, madame la ministre.
La sénatrice Moodie : Madame et monsieur les ministres, je suis heureuse de vous accueillir au Sénat, en particulier vous, madame Alty, qui venez ici pour la première fois.
Monsieur LeBlanc, le protectionnisme régional est l’une des raisons pour lesquelles des obstacles au commerce interprovincial se sont dressés au fil du temps. L’économie doit être notre priorité, mais nous savons que la culture, les collectivités et les économies sont étroitement liées. Aucun Canadien ne souhaite voir des collectivités souffrir parce que des emplois sont délocalisés dans d’autres régions du pays.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser aujourd’hui les efforts qui sont déployés en collaboration avec les provinces et les territoires pour trouver un juste équilibre entre la protection des petites collectivités vulnérables et la croissance et l’intégration des économies canadiennes?
M. LeBlanc : Monsieur le président, merci de la question. Vous avez, je pense, relevé les raisons pour lesquelles, au cours des dernières décennies, à l’échelle provinciale, territoriale et fédérale, une série d’obstacles — « obstacles » est un mot fort; on pourrait parler d’une série de politiques, de règlements et d’exigences — se sont accumulés au fil du temps — un de mes amis du Nouveau-Brunswick a dit que la neige ne fait que s’accumuler devant le chasse-neige — alors que nous essayons de bâtir une économie canadienne unifiée. La politique régionale et la politique locale sont très complexes.
J’ai entendu les premiers ministres des petites provinces — la ministre Alty, très certainement — et les premiers ministres territoriaux, et vous avez raison. L’économie du Nunavut est différente de celle de l’Ontario. Les petites provinces comme le Nouveau-Brunswick craignent que, dans certaines circonstances, leurs économies locales en pâtissent.
Ce qui est encourageant, cependant, c’est que les experts et les analyses des économistes, des organisations mondiales et des groupes de réflexion canadiens concluent tous que, si la transition est bien gérée, la suppression de ces obstacles et la création d’une économie canadienne unifiée, et non de 13 économies distinctes — pour reprendre une expression que le premier ministre a utilisée tous les jours pendant la campagne électorale —, feront augmenter le PIB du Canada de 4 %. Des emplois dans toutes les communautés du pays seront créés.
Pour faire la transition entre l’élimination des obstacles interprovinciaux et territoriaux et la deuxième partie du projet de loi, les grands projets, bon nombre de ces projets apporteront des avantages économiques immédiats à certaines des plus petites administrations. Si l’on prend l’exemple des promoteurs autochtones qui proposent un projet à Grays Bay ou des provinces de l’Atlantique qui se réunissent avec la province de Québec pour faire des choses intéressantes dans le cadre d’un partenariat énergétique, on constate que, bien réalisés, ces projets nationaux contribueront également à l’activité économique.
Je trouve encourageant que les premiers ministres provinciaux eux-mêmes, les milieux d’affaires et les organisations représentant les travailleurs demandent à tous les gouvernements — tous les ordres de gouvernement — de faire ce qu’exige la situation actuelle, tant pour éliminer les obstacles interprovinciaux que pour réaliser des projets nationaux. Je vois que votre président est sur le point d’appliquer la règle Freeland.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Wallin : Merci à vous deux d’être ici, mais commençons par les critiques formulées à propos de ce projet de loi par des députés de votre parti, qui jugent que votre approche relativement à ce projet de loi a usurpé les droits et les obligations des parlementaires. Vous avez coupé court au débat dans votre Chambre. Ce n’est pas généralement la procédure que nous suivons ici. Nous renvoyons habituellement les projets de loi à un comité. Nous recevons des témoins, nous entendons des témoignages et nous nous livrons à un second examen objectif du projet de loi. En raison des contraintes de temps que vous avez imposées, nous sommes contraints de suivre ce processus-ci.
Pouvez-vous expliquer pourquoi vous pensez que c’est si nécessaire à ce point-ci? Nous avons un peu parlé de la crise. Étant donné que le premier ministre et vous participez activement aux négociations commerciales et aux discussions sur notre relation avec les États-Unis en matière de commerce et de sécurité — les deux dirigeants ont fixé un délai de 30 jours —, je ne suis pas certaine que la question a été examinée suffisamment en profondeur. Pourquoi ne pas soumettre cette mesure législative, qui est si importante au niveau national, mais qui n’est pas tellement essentielle aux relations commerciales avec les États-Unis car il s’agit de règles nationales, à l’examen approfondi qu’elle mérite? Cela permettrait de répondre aux personnes qui émettent des critiques concernant le pouvoir de déclarer qu’un projet est d’intérêt national.
M. LeBlanc : Par votre entremise, monsieur le président, je répondrais à la sénatrice Wallin que, à mon avis, le premier ministre et notre gouvernement ont convaincu les Canadiens que cette mesure législative était nécessaire dans les circonstances.
(1510)
Chaque jour, pendant la campagne électorale, le premier ministre a dit que, dans l’intérêt du Canada, il fallait mettre en œuvre de grands projets. Cette idée figure à la première page de notre plateforme électorale. Rien de tout ceci ne devrait être une surprise pour les Canadiens, car nous pensons — et d’après les réunions auxquelles j’ai assisté avant et après les élections, les 13 premiers ministres sont aussi de cet avis — que le moment est venu d’accélérer le processus, mais pas pour tous les projets. Sénatrice, cette mesure législative s’applique uniquement aux lois canadiennes. Elle se rapporte aux discussions entre le Canada et les États-Unis seulement dans le sens où le risque économique associé au peu de fiabilité de notre partenaire commercial américain nous oblige, comme nous le disions pendant la campagne électorale, à nous apporter plus, à nous, que ce qu’un autre pourrait nous enlever.
Selon nous, cette mesure législative est urgente parce qu’elle nous permet, dans l’intérêt du Canada, de mettre en œuvre des projets, mais pas une multitude de projets. Sénatrice Wallin, hier soir, pendant le dîner à Calgary, j’ai discuté avec le premier ministre de votre province, qui était tout emballé par les projets que ce contexte urgent pourrait générer en Saskatchewan, qui doit composer avec des droits de douane, certains des États-Unis et d’autres de la Chine.
La sénatrice Wallin : Vous n’avez pas fourni de définition pour clarifier ce que vous entendez par intérêt national. On dirait que cette décision vous reviendrait, en consultation avec le premier ministre. Cependant, les critères à satisfaire ne sont pas clairement établis. Je pense au fait que, dans notre pays, nous avons des droits constitutionnels et certains premiers ministres provinciaux les invoqueront pour exploiter leurs ressources, y compris le pétrole et le gaz, alors que d’autres premiers ministres provinciaux les invoqueront pour s’opposer à ces mêmes projets qui pourraient traverser leurs frontières.
Je sais que vous avez dû répondre à cette question à maintes reprises, mais elle se résume à ceci : accorderez-vous — c’est le verbe à utiliser en raison des pouvoirs que vous vous êtes octroyés dans ce projet de loi — aux provinces un droit de veto sur les projets des autres provinces?
M. LeBlanc : Sénatrice Wallin, vous avez posé deux bonnes questions. La première concerne les critères permettant de déterminer si un projet est d’intérêt national. Nous avons été très clairs à ce sujet. Les critères énoncés dans le projet de loi sont : renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada; procurer des avantages économiques ou autres au Canada; avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie — ce qui renvoie à une question posée plus tôt par votre collègue —; promouvoir les intérêts des peuples autochtones; contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques. Voilà les cinq critères prévus dans le texte de loi que nous proposons d’appliquer pour attribuer cette désignation.
Dans la deuxième partie de votre question, vous demandez si nous accorderons un droit de veto à une province en particulier. Je comprends que les gens veulent des certitudes; ils veulent des réponses absolues à des questions hypothétiques. Je m’en tiendrai à ce qu’a dit le premier ministre lors de la conférence de presse qui a suivi le dépôt du projet de loi à la Chambre des communes. Il n’entrevoit pas de circonstance dans laquelle le gouvernement imposerait un projet dans une province...
La sénatrice Wallin : Est-ce un droit de veto?
M. LeBlanc : « Veto » est un mot fort qu’on pourrait utiliser. C’est aussi le nom d’un restaurant situé sur le chemin Mountain, à Moncton — il s’appelle Vito’s. L’ancienne mairesse et mon amie d’université, la sénatrice Arnold, connaît ce restaurant. Nous devons faire attention.
Madame la sénatrice, si les 13 premiers ministres nous proposent des listes de dizaines de projets, et qu’ils se réunissent pour trouver des façons de collaborer, je ne pense pas que nous ayons à nous poser cette question hypothétique à court terme.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie, madame la ministre, de comparaître devant le Sénat aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous, madame Alty.
Hier, M. Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, a déclaré ce qui suit devant le Sénat :
Les Inuit s’inquiètent de l’intersection entre les droits des Inuit et ce projet de loi, notamment du risque que cela crée les conditions permettant une violation des traités entre les Inuit et la Couronne.
La Cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a déclaré ce qui suit :
Les pouvoirs [que] confère [le projet de loi C-5] sont considérables et présentent un risque non négligeable pour de nombreux droits collectifs des Premières Nations garantis par nos propres lois, la Constitution et le droit international.
Compte tenu des préoccupations importantes des peuples autochtones et de la manière dont ce projet de loi peut porter atteinte à leurs droits, comment le gouvernement protégera-t-il les droits des peuples autochtones, qui sont reconnus et confirmés par l’article 35, et respectera-t-il son obligation de veiller à ce que toutes les lois soient conformes à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, à savoir les articles 18, 19 et 32(2)?
Mme Alty : Je vous remercie. Votre question comporte deux volets, et je vais aborder celui concernant le Nunavut. Le Canada a des obligations aux termes des traités modernes et des ententes sur l’autonomie gouvernementale, notamment celles qui sont relatives à la cogestion, aux évaluations environnementales, aux consultations et à l’approvisionnement. Ce sont des obligations légales qui ont une force équivalente à celle de la Constitution. Elles continuent d’être respectées et appliquées. Ce projet de loi ne peut pas empiéter là-dessus.
En ce qui concerne les Premières Nations, le projet de loi vise à encourager une consultation précoce des peuples autochtones. Au titre du projet de loi, les promoteurs qui ne consultent pas les peuples autochtones avant de soumettre leur projet à un examen recevront une évaluation moins favorable.
Sur le plan juridique, il s’agit toujours d’un processus à deux volets. Pour pouvoir ajouter un projet à l’annexe 1, il faudrait consulter les titulaires de droits autochtones. Une fois qu’un projet est à l’étude, il fera également l’objet du processus de consultation.
Pour revenir un peu en arrière, dans le préambule, le projet de loi dit qu’il est urgent de faire progresser des projets qui sont dans l’intérêt national, notamment des projets qui favorisent — et je paraphrase — le commerce et l’économie. Les projets qui ne bénéficient pas du soutien des peuples autochtones ne progresseront pas de toute urgence. Nous cherchons des projets prêts à démarrer.
En ce qui a trait aux points et aux préoccupations soulevés par M. LeBlanc et le premier ministre, c’est ce que nous envisageons dans le cadre du projet de loi. Nous ne pouvons pas viser tous les projets. Si chaque projet est une priorité, alors plus rien ne l’est. Si nous acceptons trop de projets dans cette filière, nous ne serons pas en mesure d’offrir le service haut de gamme que nous souhaitons pour faire avancer ces projets.
Il est important de se rappeler que nous cherchons à avancer rapidement, et que ce sont vraiment ces facteurs qui importent, à savoir la forte probabilité de réussite et la promotion des intérêts des peuples autochtones.
Des gens m’envoient des textos depuis chez eux pour me dire : « J’espère que ce projet verra le jour. » Il ne s’agit pas non plus d’une enveloppe budgétaire. Le projet dont vous parlez a peu de chances d’aboutir, car il ne dispose d’aucun financement.
Il s’agit en fait de veiller à examiner cette loi, certes, mais les autres éléments aussi, dont le renforcement des capacités des Autochtones, les garanties de prêt aux Autochtones, etc.
La sénatrice McCallum : Merci d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer.
Ces questions proviennent de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Vous avez répondu à la première, mais je ne sais pas si votre réponse leur suffira. Elle portait sur l’inclusion de la Loi sur les Indiens à l’annexe 1. Il ne s’agit pas de situations ou de questions hypothétiques.
Si l’on examine les lois évoquées à l’annexe 1, ainsi que certaines lois provinciales, on constate qu’elles n’ont pas été appliquées, ce qui a entraîné des lacunes en matière d’atténuation. Les pollueurs n’ont pas payé, mais les contribuables ont payé, comme dans le cas des puits orphelins. Résultat : des toxines concentrées ont été déversées sur les terres et dans les cours d’eau des Premières Nations, ce qui a provoqué une hausse de la morbidité prématurée et des décès. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’a été adoptée la loi sur le racisme environnemental.
(1520)
Quand on sait que l’extraction des minéraux critiques est en hausse, ce qui fait augmenter la quantité de toxines déversées, et que les grands projets énergétiques seront approuvés plus rapidement, les Premières Nations devraient-elles s’attendre à ce que rien ne change et à ce que la quantité de toxines déversées sur leurs terres continue d’augmenter?
Mme Alty : Je vous remercie, sénatrice. Je comprends comment les gens peuvent se sentir quand on leur demande de nous faire confiance et d’accepter un projet de loi tel quel, parce que le lien de confiance a été rompu très souvent au fil des ans. Cela dit, nous savons que le fait de manquer à nos responsabilités juridiques a déjà retardé ou même fait avorter des projets. Or, nous voulons que ceux-ci avancent.
Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui se demandent pourquoi la notion de consultation n’est pas définie. Le problème, c’est qu’il est difficile d’arriver à une définition unique de la consultation des Autochtones. Nous voulons qu’elle soit adéquate et qu’elle veuille dire quelque chose. Tout dépend des faits et de la situation. Il faut aussi dire que la définition d’une consultation a beaucoup évolué avec le temps et qu’elle continuera d’évoluer, j’en suis persuadée. C’est ce qui ressort d’une série de jugements de la Cour suprême du Canada. Nous tenons à ce que les droits garantis par la Constitution soient respectés et nous tenons à nous acquitter de l’obligation qui nous est faite de consulter et de prendre des mesures d’adaptation. C’est un engagement de notre part.
J’aimerais aussi rappeler que le Bureau des grands projets fédéraux pourra compter sur le conseil consultatif autochtone pour définir le mandat et la teneur des consultations tout au long de l’été, en collaboration avec les titulaires de droits autochtones, ainsi que pour le guider afin que les consultations menant à l’inscription d’un projet à l’annexe 1 de la loi ou à l’établissement des conditions à respecter se fassent dans les règles de l’art. Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Madame la ministre, au cours de vos récentes déclarations publiques, vous avez indiqué que les infrastructures des Premières Nations sont essentielles, mais vous avez précisé qu’elles ne relèvent pas du champ d’application du projet de loi C-5 sur les projets d’intérêt national qui a été proposé par le gouvernement du Canada. Ce projet de loi vise à accélérer la réalisation de grands projets d’infrastructure jugés d’intérêt national. Cependant, pour de nombreuses Premières Nations, l’accès à l’eau potable, à des logements sécuritaires, à des routes praticables en toutes saisons et à Internet à large bande n’est pas seulement essentiel, il est le fondement même de leur nation, de la mise en œuvre des traités et de leur autonomie économique.
Pourriez-vous clarifier la façon dont le gouvernement justifie d’avoir exclu les infrastructures des Premières Nations de la définition des « projets d’intérêt national » dans le projet de loi C-5, et le message que cela transmet aux Premières Nations, qui continuent de faire face à un sous-investissement et à des inégalités systémiques? Comment le gouvernement veillera-t-il à ce que les Premières Nations ne soient pas une fois de plus mises à l’écart des décisions concernant l’avenir de leurs territoires, de leurs économies et de leurs droits fondamentaux de la personne?
Mme Alty : Je vous remercie pour cette question et pour l’occasion qui m’est donnée de clarifier ce point. Je suis certaine que les personnes ici présentes ont toutes déjà été mal citées dans les médias. Il est très important de clarifier ce point.
Comme indiqué dans le préambule du projet de loi, ce dernier vise à faire avancer des projets, à créer des corridors économiques et commerciaux, à relier différentes régions du pays afin de faciliter l’acheminement des marchandises vers les marchés, à renforcer la capacité commerciale du Canada et à favoriser l’exploitation des ressources naturelles de notre pays.
La réalisation de ces objectifs passe ainsi par l’évaluation, les cinq volets, le renforcement de l’autonomie du Canada, etc. Les promoteurs autochtones, les provinces et les territoires peuvent donc soumettre tout projet répondant à ces conditions aux fins d’examen.
Ce projet de loi n’est pas une solution miracle qui permettra de résoudre tous les problèmes d’infrastructure que connaît notre pays. Il aidera certains projets qui nécessitent un soutien réglementaire, mais d’autres projets ont besoin d’un soutien financier; le problème n’est pas lié à la réglementation. Nous devons donc veiller à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier et ne pas penser que les déficits en matière d’infrastructures de notre pays vont disparaître. Nous devons résoudre les problèmes réglementaires liés aux mégaprojets.
Le sénateur Richards : Je remercie les ministres de leur présence.
Monsieur LeBlanc, je vous ai vu à la télévision ce matin et vous êtes maintenant devant moi.
M. LeBlanc : J’espère que vous vous en réjouissez.
Le sénateur Richards : Énormément, monsieur.
M. LeBlanc : Il doit s’agir d’une émission d’hier, car j’ai quitté Calgary à 5 heures du matin.
Le sénateur Richards : Ma question est un peu dans la même veine. Je tiens vraiment à ce que ce projet de loi soit adopté. Je me suis opposé au projet de loi C-69. Hier, nous avons reçu la visite de la Cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations ainsi que de Natan Obed et du président de la Fédération métisse du Manitoba. Seul le Chef métis avait bon espoir et était optimiste au sujet du projet de loi C-5. La Cheffe de l’Assemblée des Premières Nations et M. Obed étaient très critiques, car ils avaient l’impression que leur peuple n’était pas pris en compte et qu’on lui manquait de respect. Il semble que, après tout ce temps et bien que nous souhaitions ardemment que ces projets puissent aller de l’avant, nous pourrions nous retrouver au même point avec des groupes ayant les mêmes préoccupations.
En quoi d’éventuelles contestations devant les tribunaux par des groupes d’intérêt, tels que les organismes environnementaux et les Premières Nations, risquent-elles de compromettre l’approbation rapide de nombreux projets essentiels? En quoi cela diffère-t-il du projet de loi C-69 pour ce qui est de faire avancer les projets dans les meilleurs délais?
Mme Alty : Merci de poser la question. Si ce projet de loi est adopté — espérons qu’il le sera —, il faudra alors consulter les provinces, les territoires et les promoteurs autochtones au cours de l’été pour les inviter à proposer des projets qui répondent aux critères de la loi. Une bonne quantité de travail devra être faite à propos des projets. On ne peut pas tout simplement dire : « J’ai eu l’idée ce matin; nous devrions en faire un projet national. » Ces mégaprojets nécessitent des études de préfaisabilité et de faisabilité. Il faut avoir fait une bonne partie de ses devoirs avant de se présenter devant le gouvernement fédéral et de dire : « Je veux ajouter ce projet à l’annexe 1. »
Un des aspects importants consiste à consulter les Premières Nations, les Inuit ou les Métis touchés si le projet doit se faire dans leur région. Pour un certain nombre de mégaprojets au pays, il y a des promoteurs autochtones qui aimeraient que leur proposition soit envisagée dans le cadre de ce projet de loi, et nous passerions par ce processus.
Comme je l’ai dit, conformément à la deuxième étape prévue dans cette mesure législative, si un projet est inscrit à l’annexe 1, il faut alors consulter les peuples autochtones touchés pour s’assurer que les conditions sont bonnes — l’obligation de consulter ainsi que de satisfaire les besoins si c’est nécessaire.
Le sénateur Richards : Ce serait donc moins draconien que le projet de loi C-69.
Mme Alty : Monsieur LeBlanc, voulez-vous prendre le relais?
M. LeBlanc : Je suis content d’avoir évité les questions concernant le roi Henri VIII. « Draconien » semble moins menaçant.
Sénateur Richards, je vous remercie de vos commentaires au début de votre question. Nous en avons pris bonne note. Nous pensons, comme je l’ai dit précédemment, qu’il s’agit d’un moment charnière où le pays peut s’unir de la bonne manière, comme l’a dit Rebecca si je ne m’abuse, en ce qui a trait à nos obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones et à nos lois sur la protection de l’environnement. Mais nous devons accélérer la cadence tout en agissant de manière réfléchie pour éviter les chevauchements et bien faire passer le message, comme Rebecca l’a fait remarquer avec raison, aux investisseurs privés qui proposent ces projets, idéalement avec la participation des peuples autochtones et le soutien des gouvernements provinciaux et territoriaux. Je parle des gouvernements au pluriel, parce qu’il serait fantastique qu’il y en ait plus qu’un, et dans bien des cas il pourrait y en avoir un certain nombre.
L’idée ici, c’est de dire cela pour cette petite catégorie de projets qui auront une incidence majeure sur le PIB du pays, qui concerneront la diversification commerciale, l’ouverture de nouveaux marchés — ma discussion avec la première ministre Smith et le premier ministre Moe hier soir portait sur le rabais que nous consentons inévitablement en vendant toujours les ressources canadiennes aux mêmes clients. Si vous avez une entreprise qui vend une énorme partie de sa production à un client en particulier, le prix n’est sans doute pas aussi bon que si les clients étaient diversifiés. Nous pensons que tous ces facteurs nous donnent l’occasion d’agir de la sorte.
(1530)
Nous sommes aussi conscients, comme Mme Alty le disait, que cette mesure législative concerne un petit nombre de projets bien définis, qui ne seront pas désignés à la légère, comme le disait aussi Mme Alty, sans la rigueur nécessaire dans ce contexte. Voilà notre façon de voir les choses, sénateur Richards; il s’agit d’un moyen de faire avancer ces projets.
La sénatrice McBean : Monsieur le ministre, je vous remercie de nous consacrer une partie de votre journée extrêmement chargée. Je sais que vous êtes très occupé ces temps-ci.
Le gouvernement s’emploie à déterminer les projets qui figureront à l’annexe 1 et à bâtir un Canada plus ambitieux et plus uni. Or, le sport est un moyen souvent oublié, mais efficace de faire de cette vision une réalité. Les grands événements qu’ont été les Jeux olympiques de Montréal ont donné lieu à la construction d’infrastructures comme le Stade olympique, le centre Claude-Robillard et le bassin olympique, qui servent encore à des millions de personnes chaque année. Les Jeux de Vancouver de 2010 ont permis d’achever la route Sea-to-Sky, la Canada Line et le nouveau quartier résidentiel de False Creek, un secteur qui était jusque-là une zone industrielle désaffectée et où habitent maintenant des milliers de Vancouvérois.
Les Jeux panaméricains de Toronto de 2015 ont permis à la ville de se doter d’un service de liaison express et Scarborough, Milton et Oshawa, de centres multisports qui servent encore aujourd’hui de lieux d’entraînement pour des athlètes amateurs et de haut niveau. Ils ont également permis la création du quartier West Don Lands, à Toronto, dans lequel se trouvent un YMCA, des résidences pour étudiants, des logements en deçà des prix pratiqués sur le marché, des parcs et des espaces verts qui sont tous eux aussi d’anciennes zones industrielles désaffectées.
Les investissements comme ceux-là dans les sports ont permis de créer des dizaines de milliers d’emplois et d’ajouter des milliards de dollars au PIB du pays. Ces projets étaient menés par des Autochtones et ils ont fait la fierté des Canadiens. Ils ont aussi laissé sur place des installations accessibles qui permettent encore aujourd’hui à davantage de familles et de jeunes de faire de l’activité physique, ce qui se traduit par une société plus active et en meilleure santé, à une époque où la sédentarité constitue un problème de santé publique de plus en plus inquiétant.
Pendant que les autres pays du G7 investissent dans les événements sportifs et posent leur candidature pour en être les pays hôtes, qu’il s’agisse de compétitions dans un seul ou dans plusieurs sports, le Canada risque de prendre de l’arrière et de laisser de l’argent dormir en passant à côté de ces occasions. De leur côté, les provinces et les organismes sportifs nationaux réclament que le gouvernement fédéral reprenne les devants. Les infrastructures sportives du pays commencent à dater, et le moment est peut-être venu de se doter d’une vision, une vision renouvelée des projets du centenaire canadien de 1967. Les centaines de piscines, d’arénas et de complexes sportifs que compte le Canada devraient être considérés comme étant d’intérêt national, il me semble.
Voici ma question : le gouvernement considère-t-il le sport et l’activité comme de simples loisirs? Les voit-il comme des outils d’investissement susceptibles d’édifier la nation, de favoriser l’activité physique, de mener à la construction d’infrastructures durables, de créer des emplois, de défendre fièrement notre souveraineté et d’inspirer la prochaine génération? En quoi le projet de loi C-5 peut-il appuyer cette vision?
M. LeBlanc : Je vous remercie, sénatrice.
Je souscris entièrement à la première partie de votre question. Les exemples que vous donnez sont inspirants, et tous les Canadiens — en tout cas ceux de ma génération ou qui sont plus vieux que moi — se rappellent l’époque où le Canada veillait à ce que les grands projets soient réalisés dans les règles de l’art, en se reposant sur les partenariats évoqués par la ministre Alty et par vos collègues. Ces projets ont marqué le tissu social et économique du pays. Je suis donc tout à fait d’accord avec vous, si j’ai bien compris la prémisse de votre question.
Nous revoilà encore dans la sphère hypothétique — je crois que c’est la cinquième fois. Je crois que Rebecca a dit quelque chose d’intéressant : il ne s’agit pas d’un programme fédéral de financement, ni d’un programme d’infrastructures ni même de la Banque de l’infrastructure du Canada. Il y a toutes sortes de manières dont le gouvernement fédéral pourrait devenir un partenaire. Si on pense à un train à grande vitesse entre Québec et Windsor, en Ontario, il pourrait s’agir d’un projet fédéral d’intérêt national, pour donner un exemple hypothétique où le gouvernement du Canada pourrait devenir un partenaire financier.
Ce processus ne vient pas avec un volet de financement fédéral, mais certains projets pourraient très bien attirer des investissements fédéraux pour les raisons que vous avez énoncées. Admettons qu’une province ou un territoire présente en collaboration avec des partenaires autochtones et des municipalités une proposition pour les Jeux olympiques, il pourrait y avoir là une possibilité. Je le répète, les provinces et les municipalités hésitent en raison des coûts et des travaux liés au projet, mais je n’avais pas pensé à cet exemple et je suis heureux que vous le souleviez. Voilà un cas où des promoteurs — au pluriel — dotés de bons partenaires pourraient souhaiter un processus accéléré qui conférerait un plus grand degré de certitude. C’est une des raisons pour lesquelles peut-être bon nombre de projets de ce type n’ont jamais été présentés. Il y a là un cercle vicieux.
Le sénateur Dean : Merci, monsieur le ministre. Plusieurs de mes collègues vous ont fait part de leurs inquiétudes, mais j’aimerais connaître les vôtres.
Puisque vous travaillez sur ce projet de loi avec des fonctionnaires depuis un certain temps, vous avez sûrement relevé des facteurs clés de réussite et des facteurs qui pourraient mener à un échec. Pourriez-vous en nommer un ou deux et nous parler des améliorations possibles à apporter selon vous?
M. LeBlanc : Voilà d’excellentes questions, sénateur. Je vais essayer d’y répondre rapidement, après quoi la ministre Alty aura peut-être quelque chose à ajouter.
Les facteurs de réussite seraient la mise en œuvre expéditive des projets. Le fait d’étudier ad nauseam une chose qui freine la confiance des investisseurs et qui mène les promoteurs à ne plus vouloir soumettre leurs projets est manifestement l’un des enjeux que nous tentons de régler. La capacité à réaliser rapidement un projet avec tous les partenariats et autres éléments dont ma collègue et moi-même avons discuté serait, pour nous, un exemple de mesure de réussite.
Le sénateur Housakos a parlé de faire l’analyse comparative de tout cela. En supposant que le Parlement adoptera ce projet de loi et que les premiers ministres provinciaux et les partenaires autochtones agiront aussi rapidement qu’ils le disent pour soumettre ces projets et faire les vérifications dont la ministre Alty a parlé, tout cela sera concret pour les Canadiens, selon moi, lorsqu’ils verront que des projets réels font l’objet d’un processus d’évaluation potentiellement plus efficace que par le passé. Ce seront là des exemples inspirants.
Madame Alty, souhaitez-vous ajouter quelque chose au sujet des exemples de réussite?
Mme Alty : Oui. Je suis une mordue des processus. J’aime apporter des améliorations et m’occuper des choses du début à la fin — de l’idée initiale à la première pelletée de terre.
Comment accélérer les choses sans nuire à la qualité? Je pense que nous perdons du temps parce que nous procédons de manière séquentielle — ou lorsque la main gauche et la main droite ne travaillent pas de pair. Nous établissons des processus plus chronophages pour aboutir au même résultat.
J’espère que ce projet de loi nous permettra de trouver des améliorations qui toucheront en premier lieu les projets de l’annexe 1, mais que nous pourrons par la suite apporter des améliorations plus substantielles qui avantageront tous les autres projets. Un centre sportif, par exemple, en profiterait également même s’il ne figure pas à l’annexe 1.
Ensuite, dans le cadre de mon portefeuille ministériel, je m’occuperai aussi du travail sur les projets majeurs et sur le modèle d’excellence en matière de consultation qui permettrait la centralisation du savoir et le suivi des consultations. Il faudrait en fait montrer comment mieux s’y prendre pour atteindre la ligne d’arrivée plus rapidement sans affecter le produit en cours de route.
La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’être ici. Je suis très emballée par le potentiel de cette mesure, mais je veux revenir sur un point. Comme d’autres l’ont remarqué, le projet de loi C-5 ne ressemble à aucune autre mesure législative que nous avons vue et que le Parlement a étudiée. Il permettrait au Cabinet de donner le feu vert à de grands projets d’exploitation des ressources avant que les répercussions économiques, sociales, sanitaires, environnementales et les conséquences possibles pour les peuples autochtones soient prises en considération.
D’après ce que vous avez dit tous les deux, personne, y compris vous, ne prend à la légère l’idée d’accorder au Cabinet le pouvoir de faire fi des lois qui doivent s’appliquer à nous tous et qui visent à protéger la santé et le bien-être des Canadiens.
Comme vous l’avez entendu, les peuples autochtones ont déjà déclaré que le délai de sept jours pour commenter le projet de loi C-5 ne respecte pas les obligations légales prévues à l’article 5 de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Beaucoup remettent en question la logique visant à adopter rapidement une loi qui pourrait immédiatement être contestée devant les tribunaux et mener à des conflits parce qu’elle offrira une plus grande efficacité et une plus grande certitude pour le développement économique, tout en permettant au Parlement de se soustraire à ses responsabilités.
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J’aimerais que vous me disiez tous les deux les mesures concrètes que vous prendrez personnellement pour veiller à ce que votre gouvernement ne compromette pas la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ni la gouvernance des Premières Nations, des Inuit et des Métis ou les engagements environnementaux pris envers eux.
Mme Alty : Merci. La mesure proposée n’a pas préséance sur la Constitution, qui garantit ces droits. C’est un point essentiel, je crois. Les consultations et les accommodements entrent en jeu pour ajouter un projet à l’annexe 1 et, ensuite, pendant l’élaboration des conditions du projet. C’est un point essentiel.
Si les consultations et les accommodements ne sont pas menés correctement à ces deux étapes, cela retarde le projet, ce qui va à l’encontre de l’objectif du projet de loi. En fin de compte, comme l’a démontré la Cour suprême, il existe une obligation de consultation et d’accommodement dans la Constitution canadienne. Les projets devront s’y conformer.
M. LeBlanc : Ma collègue a répondu à la question concernant les droits des Autochtones et l’obligation de consulter. Nous préférerions bien sûr avoir la participation des Autochtones, et qu’ils en retirent des avantages économiques. Ce serait l’idéal. Nous espérons que bon nombre des promoteurs proposeront cette formule.
En ce qui concerne le postulat de votre question, après l’approbation — en supposant qu’il y ait une désignation à l’annexe 1 —, le bureau des grands projets collaborera avec le promoteur. Il y aura un projet et un examen. Nous éliminons les chevauchements. Nous n’approuverions pas de projet — il n’y aurait pas de document énonçant les conditions fixées par le règlement, par exemple — sans avoir procédé aux évaluations environnementales au sens large du terme. Ces évaluations feront partie des conditions que le projet soit approuvé. Elles s’appuient largement sur les travaux d’Environnement et Changement climatique Canada, ainsi que sur ceux de Pêches et Océans Canada, des scientifiques et de Ressources naturelles Canada. Dans le cas d’un projet dont m’a parlé un premier ministre, la Commission canadienne de sûreté nucléaire serait impliquée, si nous parlons d’une mine d’uranium, par exemple.
Tout ce travail fera partie intégrante du processus d’approbation. Je ne veux pas que les gens pensent que, parce qu’il y a une désignation, le travail important prescrit par la loi n’est pas accompli. Ce serait une appréciation erronée des faits, pour employer un terme juridique. Je veux que ce soit clair : dans tout processus de prise de décision visant à accorder ultimement l’approbation sous forme de conditions, tout le travail sera rigoureusement effectué. Le gouverneur en conseil prendra ensuite une décision qui, selon nous, est dans l’intérêt national. Il s’agit d’une décision du Cabinet, d’un processus par décret qui entraîne toutes les conséquences d’une décision du Cabinet, d’une décision du gouverneur en conseil.
Le président : Merci, monsieur le ministre. C’est maintenant au tour du sénateur Prosper et de la sénatrice Osler du Groupe des sénateurs canadiens.
Le sénateur Prosper : Soyez les bienvenus, madame et monsieur les ministres. Ma question s’adresse à la ministre Alty. Ravi de vous revoir, madame.
Plus tôt, en réponse à une question de la sénatrice Clement, vous avez donné une série d’exemples de problèmes soulevés par les peuples autochtones au sujet des consultations. Ma question porte sur les consultations constructives. Toute bonne consultation doit être constructive. Dans certains cas, elles doivent permettre les témoignages de vive voix, les considérations d’ordre linguistique et l’intégration du savoir traditionnel. Il ne suffit pas de s’adresser aux têtes dirigeantes. Il faut permettre aux Premières Nations d’avoir les ressources et le temps nécessaires pour assimiler l’information avant qu’elle ne soit avalée par le processus bureaucratique et qu’une décision ne soit rendue.
Croyez-vous qu’il y aura moyen d’organiser des consultations constructives étant donné les échéanciers serrés qu’autorise ce projet de loi? Si oui, comment?
Mme Alty : Merci de votre question et merci pour la réunion de l’autre jour. Vous me donnez l’occasion de dire ce qu’il me restait à dire au sujet du bureau.
Pour résumer, le Bureau des grands projets sera aux commandes des projets et s’occupera de coordonner les décisions fédérales. Il s’agira d’un guichet unique pour les promoteurs qui coordonnera les consultations de la Couronne et qui pourra fournir au besoin des conseils de nature stratégique, législative et réglementaire.
Je crois sincèrement que nous perdons beaucoup de temps. À l’époque où j’étais mairesse, les promoteurs et les Chefs m’exprimaient leur mécontentement dès qu’un promoteur tâchait de discuter avec toutes les parties intéressées, mais finissait par oublier ne serait-ce qu’un seul titulaire de droits autochtones, ce qui veut dire qu’il fallait tout recommencer depuis le début. Je répète que ce n’est pas parce que les échéanciers seront plus serrés que les consultations seront de qualité moindre. Le gouvernement devra investir les ressources nécessaires pour bien outiller le Bureau des grands projets et faire en sorte que les consultations soient efficaces.
Pour en revenir à ce que vous dites — car je crois que vous avez parlé des protocoles d’assurance de la qualité de votre province —, je sais que les Territoires du Nord-Ouest se sont dotés d’excellentes pratiques de cogestion et de grands projets de qualité. Pour les promoteurs, le savoir traditionnel est mis en valeur dans les plans de cessation des activités, par exemple. Notre bureau pourra d’ailleurs compter sur un comité directeur composé de partenaires autochtones pour élaborer, idéalement au cours de la prochaine année, de nouvelles lignes directrices sur les consultations et les mesures d’adaptation à l’intention des fonctionnaires fédéraux afin que nous continuions à nous améliorer en nous inspirant de ce qui se fait de mieux au pays. Comme vous le disiez, les consultations ne sont pas qu’un mot en l’air, et les consultations constructives nous permettent d’aller beaucoup plus loin.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie. Parlant de consultations constructives, même si on peut déplorer que la notion de consultation ne soit pas définie, on peut s’inspirer de ce qui se fait de mieux ailleurs et très certainement des jugements de la Cour suprême et intégrer ces balises minimales aux dispositions du projet de loi qui portent là-dessus. C’est l’occasion rêvée de passer à l’action.
Pour en revenir à ce que vous disiez, madame la ministre, concernant le processus de consultation en deux étapes, la première étant la décision d’inscrire ou non un projet à l’annexe 1, et la deuxième, si le projet est retenu, l’établissement des conditions associées à certaines autorisations qui se traduiront par des consultations exhaustives auprès des titulaires de droits autochtones.
Voici ma question : pourquoi ne pas inscrire dès le départ dans la loi les pratiques exemplaires en matière de consultation, surtout qu’elles sont déjà connues? De cette façon, nous pourrions avoir la certitude que, étant donné les échéanciers serrés et les pouvoirs extraordinaires qui sont prévus dans ce texte, ce processus ne se fera pas aux dépens des peuples autochtones.
Mme Alty : Je vous remercie. Nous n’avons pas opté pour une définition unique parce que chaque situation peut être différente. On doit se demander quelle est la nature du projet, quels titulaires de droits en vertu de l’article 35 pourraient être touchés et dans quelle mesure, et lesquels des droits en question risquent d’être bafoués, en plus de considérer plusieurs autres variables. Tout bien considéré, la Constitution protège l’obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations. La Cour suprême du Canada a rendu des décisions en ce sens. Nous allons travailler en collaboration avec le Bureau de gestion des grands projets nationaux ainsi qu’avec le Conseil consultatif autochtone pour veiller à ce que la consultation soit constructive et significative. Encore là, nous espérons pouvoir mettre à profit les connaissances ainsi acquises de telle sorte que l’on mène d’aussi vastes consultations pour les projets réalisés partout au pays, plutôt que seulement pour ceux inscrits à l’annexe 1.
La sénatrice Osler : Je vous remercie, madame et monsieur les ministres, d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à la ministre Alty, et c’est la même que j’ai posée hier à nos témoins autochtones concernant la consultation. Dans ce contexte, il peut notamment être difficile de déterminer quelles sont les collectivités touchées.
Par exemple, s’il y a des préoccupations au sujet des répercussions sur les hardes migratrices comme le caribou ou de la perturbation de l’habitat estival des bélugas, les collectivités touchées ne devraient pas se limiter à celles qui sont traditionnellement ciblées aux fins de la consultation. Dans ma province, le Manitoba, le port à Churchill est considéré comme un projet potentiel d’édification nationale. Compte tenu de l’emplacement de Churchill et de la proximité du Nunavut, on pourrait dire que les Inuit ainsi que les Dénés devraient être consultés.
(1550)
En tant que ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, pouvez-vous me dire comment le gouvernement déterminera qui doit être consulté et quelle collectivité doit être considérée comme étant touchée?
Mme Alty : Je n’ai pas l’information exacte, et je vais donc vous revenir avec la réponse à cette question. Il ne s’agit pas seulement de décider qu’aujourd’hui c’est tel groupe et demain tel autre groupe. Un processus plus rigoureux est prévu. Je vais demander à mon personnel de vous transmettre — ainsi qu’aux autres sénateurs — une réponse plus complète.
La sénatrice Osler : Merci, madame la ministre. Il est beaucoup plus important d’avoir la réponse pour les collectivités et les détenteurs de droits que de faire un suivi pour nous, mais merci.
Mme Alty : Oui. Merci.
Le sénateur Cardozo : Bienvenue, mesdames et messieurs. Ma question porte sur la mobilité de la main-d’œuvre et la reconnaissance des titres de compétence des travailleurs. Prévoyez-vous une meilleure reconnaissance mutuelle de ces titres entre les provinces, ou prévoyez-vous une normalisation de la certification?
Je pose la question, puisqu’il s’agit d’une loi fédérale. Y a-t-il des limites à votre pouvoir d’action? S’agit-il surtout d’un geste symbolique pour essayer de mettre la table pour ce que vous attendez des provinces — si je puis utiliser les mots du premier ministre — dans le but de « catalyser » les efforts dans ce domaine?
M. LeBlanc : Sénateur Cardozo, vous posez une bonne question. Rien dans ce projet de loi ne touche le champ de compétences des provinces et des territoires. Je pense que c’est aussi une chose fondamentale qui va de soi, mais nous devons le préciser pour éviter toute ambiguïté. L’exemple que vous avez donné à juste titre sur la reconnaissance mutuelle — et je sais que vous avez étudié cette question dans le contexte de la politique publique — comme bien des exemples auxquels pensent les Canadiens, est comme il se doit du ressort des provinces et des territoires.
Je ne veux pas esquiver la question, et je suis ravi d’y répondre, mais je suis sûr que, dans les réponses détaillées qu’elle a données hier, ma collègue Chrystia Freeland, qui est responsable de ce dossier, a parlé du travail qu’elle a accompli avec les provinces et les territoires dans le dossier de la reconnaissance mutuelle. Nous voulions d’abord que le gouvernement du Canada prenne part à cette discussion en montrant l’exemple. Par exemple, avant de venir ici, la sous-greffière et moi en avons parlé en prenant l’exemple d’un arpenteur-géomètre du Nouveau-Brunswick; Chrystia a utilisé cet exemple hier, alors; Chris Fox a triché en donnant cet exemple à deux d’entre nous. Dans certains cas, le gouvernement du Canada imposait des exigences réglementaires qui n’avaient aucun sens et qui faisaient obstacle à la mobilité de la main-d’œuvre. Je serais ravi qu’un arpenteur-géomètre de notre province, le Nouveau-Brunswick, puisse travailler sur une base militaire ou réaliser un projet qui relève du fédéral, ou qu’un arpenteur-géomètre certifié en Nouvelle-Écosse puisse participer à un projet au Manitoba. Il y a d’autres exemples.
Je ne veux pas trop m’avancer parce que le gouvernement du Canada ne joue pas au dictateur avec les provinces et n’agit pas de manière paternaliste avec elles. Les provinces elles-mêmes sont un exemple à suivre dans ce domaine. Elles se réunissent entre elles et en petits groupes et disent : « Nous sommes prêtes. » L’Alberta est un modèle en la matière. L’ancien premier ministre Jason Kenney a fait du très bon travail, tout comme l’ancien premier ministre Pallister, du Manitoba. Certains anciens premiers ministres ont pris les devants. Celui de la Nouvelle-Écosse est un véritable chef de file et il n’hésite pas à demander à ses homologues ce qui peut être fait, collectivement, pour que les choses fonctionnent.
Le gouvernement du Canada veut servir de catalyseur, en ce sens qu’il souhaite supprimer les obstacles qui relèvent de lui. « Catalyseur », c’est bien, mais je suis encouragé de constater que les provinces ont envie de s’occuper elles-mêmes de tout cela et qu’elles le font de manière très efficace.
Le sénateur Cardozo : Monsieur le ministre, au nom de vos concitoyens, vous êtes aussi le ministre responsable des relations canado-américaines. Voyez-vous ce projet de loi comme une arme à ajouter à votre arsenal contre les États-Unis ou s’agit-il plutôt d’une réplique aux droits de douane et d’un moyen différent de mettre de l’ordre dans nos affaires parce que nous ne pouvons plus leur faire confiance pour ce genre de chose?
M. LeBlanc : D’accord. Je n’emploierais pas la formulation que vous avez employée. Vous avez parlé d’une « arme à ajouter à votre arsenal contre les États-Unis ». Cela dit, je comprends entièrement le point que vous soulevez.
Le projet de loi s’inscrit dans la réponse du Canada face à l’incertitude économique engendrée par les droits de douane du président Trump. J’ai échangé des messages avec le premier ministre Ford aujourd’hui. Imaginez les conséquences de ces droits de douane sur l’industrie de l’acier en Ontario et partout au pays. L’incertitude économique porte un dur coup aux travailleurs et aux entreprises tous les jours. La situation s’aggrave jour après jour.
Le projet de loi fait partie de la réponse d’un Canada uni : il nous donnera les instruments pour faire croître notre économie, diversifier nos relations commerciales et inciter les Canadiens à bâtir de grands projets d’intérêt national. C’est une partie de la réponse, mais les Canadiens proposent toutes sortes de moyens très inspirants pour traiter avec ces partenaires commerciaux imprévisibles que sont devenus les États-Unis. Cette partie de la réponse du gouvernement a été clairement énoncée pendant la campagne électorale, mais nous continuons à étudier d’autres moyens de rendre l’économie plus résiliente.
Je ne voudrais pas retrancher du temps au sénateur Cuzner. Je sais que tout le monde est impatient de l’entendre. Je vais m’arrêter ici pour lui laisser la parole.
Le sénateur Cuzner : C’est un plaisir de vous voir tous les deux, madame la ministre et monsieur le ministre, mais dans une moindre mesure, monsieur le ministre. Monsieur le ministre, je n’arrive pas à croire à quel point vous aimez venir dans cette enceinte.
Monsieur le ministre, en ce qui concerne la mobilité, pour revenir sur les questions de mon collègue au sujet de l’accréditation et de la reconnaissance des titres de compétences interprovinciaux, le grand défi sera le coût. Nous savons qu’avec la chute du prix du pétrole, de telles occasions n’existent plus pour bon nombre des entreprises de l’Ouest qui ont pendant longtemps compté sur la main-d’œuvre de l’Atlantique et du Centre du Canada.
Le gouvernement précédent l’a reconnu et a ajouté des dispositions pour offrir des incitatifs fiscaux afin de favoriser la mobilité. Pensez-vous que cela se poursuivra? Nous voulons jumeler les personnes qui possèdent ces compétences aux possibilités d’emploi. Pensez-vous que cette mesure sera élargie compte tenu du défi auquel vous êtes confrontés?
M. LeBlanc : Monsieur le sénateur, votre question est tout à fait pertinente. Dans la région que vous représentez, tout comme dans la mienne, nous voyons dans les aéroports — que ce soit à Halifax ou à Moncton — de nombreuses femmes et de nombreux hommes qui travaillent dur et qui se rendent ailleurs au pays pour gagner un bon salaire dans des secteurs de l’économie qui finissent par stimuler les économies de nos régions.
J’ai déjà dit que tous les Canadiens devraient s’intéresser à cette réussite. Je l’ai dit hier soir à la première ministre Smith : les économies axées sur les ressources naturelles créent des emplois dans toutes les régions du pays et ajoutent de la valeur économique. Vous avez raison : pour de nombreuses raisons — les marchés mondiaux, d’autres facteurs —, il y a des défis à relever.
Je pense que nos collègues conservateurs de l’autre endroit avaient proposé un crédit d’impôt pour encourager la mobilité de la main-d’œuvre, il s’agissait d’une série de mesures entourant la mobilité de la main-d’œuvre et les outils pour les gens de métier. Ces idées sont très valables, à mon avis. Je sais que le ministre des Finances examine des moyens de faciliter la collaboration avec les syndicats et les représentants de bon nombre de ces travailleurs. Comment pouvons-nous mettre en place des instruments financiers qui encourageraient et soutiendraient cette mobilité? Pour revenir à la question posée précédemment par votre collègue, sénateur, comment pouvons-nous favoriser aussi certaines possibilités de formation? Bien entendu, les provinces ont un rôle essentiel à jouer en matière de formation, mais nous voulons également être leur partenaire.
(1600)
Le sénateur Cuzner : Merci beaucoup. Dans le passé, le Canada a été témoin de tentatives sporadiques visant à abolir les barrières interprovinciales. Les mesures prises par le président actuel ont vraiment galvanisé les Canadiens, et il semble que tout le monde s’accorde à dire que c’est désormais impératif.
Vous avez déjà rencontré le président actuel et vous comprenez sa spontanéité. Devrions-nous conclure un accord commercial avec lui? Pensez-vous qu’il faille lever le pied? Le sentiment d’urgence qui anime actuellement le gouvernement persistera-t-il même si nous parvenons à conclure un accord commercial avec les États-Unis?
M. LeBlanc : Monsieur le sénateur, merci pour votre question. La réponse courte est non. Qu’on arrive ou non à conclure un accord commercial avec les États-Unis, il sera important de nous donner les moyens de travailler adéquatement et sans tarder avec nos partenaires pour approuver des projets d’intérêt national.
Comme vous avez pu le constater hier — j’étais moi-même présent hier matin à Kananaskis lors de la réunion avec le premier ministre et le président —, on nous a donné un nouveau mandat plus court de 30 jours — en espérant que ce sera encore moins — pour tenter de régler les derniers détails d’un accord, mais, même si nous y parvenons, l’incertitude économique demeurera.
Si nous n’y parvenons pas, nous devrons alors redoubler d’efforts pour soutenir les travailleurs, les entreprises et les divers secteurs de notre économie. Si l’on pense aux producteurs d’acier, en mettant sur pied de grands projets nationaux, on créerait immédiatement des débouchés pour certains des meilleurs travailleurs et des entreprises qui produisent de l’acier au Canada. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres.
L’autre chose intéressante, sénateur Cuzner, c’est que l’Accord Canada—États-Unis—Mexique prévoit un examen en 2026. Pour revenir à ce que vous disiez à propos du caractère imprévisible du gouvernement américain, le président Trump sera encore à la tête des États-Unis quand cet examen aura lieu. Hier, j’ai discuté avec le ministre de l’Économie du Mexique des occasions de collaborer avec nos partenaires mexicains que présente cet examen. L’incertitude ambiante ne se dissipera malheureusement pas même si nous réussissons, comme nous l’espérons, à conclure rapidement une entente.
Cela dit, j’estime qu’il est encore urgent de nous doter des bons instruments pour recommencer à faire des grands projets susceptibles d’édifier la nation.
Le sénateur Boehm : Je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie de votre présence parmi nous. J’ai peu de temps à ma disposition et j’ai deux brèves questions à poser au ministre LeBlanc. Tout d’abord, lors de l’élaboration du projet de loi C-5, et de la Loi visant à bâtir le Canada en particulier, le gouvernement s’est-il appuyé sur une quelconque analyse des initiatives d’édification nationale du même ordre qui ont pu être menées par d’autres pays? Je pense notamment à l’Allemagne, qui s’est lancée dans un vaste projet d’édification nationale après la chute du mur de Berlin, une initiative toujours en cours, ou à des pays qui sont comme nous une fédération, comme l’Australie. Vous avez indiqué avoir pu parler à bien des gens à Kananaskis, et c’est ce que permettent les sommets.
Je vais passer directement à ma seconde question. Lors de bon nombre de mes voyages à l’étranger, j’ai étudié le montage financier de différents projets. J’ai pu constater que la plus grande partie du financement provenait de fonds de pension canadiens. Le gouvernement envisage-t-il d’établir des partenariats avec les régimes de pension canadiens pour les projets qu’il compte approuver?
M. LeBlanc : Sénateur Boehm, vous posez deux excellentes questions. Vous avez de l’expérience avec les sommets. Cela me fait penser à notre vieil ami Peter McGovern, qui était à Calgary hier. Lui et moi avons discuté du travail que lui, vous, et moi avons réalisé à des éditions antérieures de ce sommet. Vous avez tout à fait raison. C’est une occasion de discuter avec des partenaires.
L’ambassadeur actuel de l’Australie aux États-Unis et ancien premier ministre de l’Australie, Kevin Rudd, m’a posé des questions relativement à ce projet de loi, car il en avait pris note. Vous avez raison, sénateur. Vous avez nommé deux exemples que nous pouvons examiner : l’Allemagne et l’Australie. Il faut s’en tenir aux fédérations, car dans un État unitaire, les obstacles relatifs à la réglementation ou à l’approbation sont forcément différents. Les deux exemples que vous avez donnés sont très pertinents.
L’ancien premier ministre Rudd, aujourd’hui ambassadeur, m’a parlé des démarches du gouvernement national de l’Australie pour encourager la concrétisation de tels projets dans différentes régions de différents États de l’Australie, notamment auprès de promoteurs autochtones. L’intérêt et les connaissances qu’il a manifestés à l’égard de notre situation et des éléments comparables entre nos deux pays m’ont inspirés.
Je sais que nos collègues du Bureau du Conseil privé qui collaborent avec Affaires mondiales Canada examinent justement des exemples au sein d’autres fédérations. Je sais que les deux pays que vous avez nommés, sénateur, comptent parmi les endroits que le Bureau du Conseil privé souhaite examiner pour cerner les pratiques exemplaires.
Pour répondre à l’autre volet de votre question, sénateur, nous avons toujours été d’avis que le meilleur moyen d’inciter à la concrétisation de ce genre de projets est d’attirer des capitaux privés et d’étudier comment les investisseurs privés peuvent fonctionner dans différents contextes réglementaires pour cerner les occasions et effectuer ces investissements avec une certitude accrue. Nous allons attirer un ensemble de partenariats qui, selon nous, offriront au Canada une occasion sans précédent.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur le ministre. Bienvenue. Merci, madame la ministre.
Monsieur LeBlanc, vous parlez beaucoup de projets qui inspirent les Canadiens. Parmi les grands projets, on parle beaucoup de pipelines pour acheminer du pétrole canadien, une source majeure de pollution en raison des émissions de gaz à effet de serre. Peut-on vraiment parler de projets du XXIe siècle, de projets du futur, lorsque l’on pense au sort de notre planète, aux feux de forêt, à nos enfants? Je vous pose une question plus philosophique. J’ai l’impression que l’on recule. Nous avons parlé de grands projets de l’après-guerre. Il ne faut pas oublier que nous sommes maintenant en 2025.
M. LeBlanc : Je vous remercie, madame la sénatrice. Vous avez raison lorsque vous dites que l’on parle souvent de projets comme les pipelines. J’ai dit cela publiquement plusieurs fois à des journalistes, même en ondes. Lors de la réunion à Saskatoon avec les premiers ministres des provinces et des territoires, je dirais que moins de 5 % des conversations portaient sur des projets de pipelines.
J’ai trouvé qu’il était inspirant de voir le premier ministre du Québec discuter de son projet de collaboration avec le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour développer la deuxième phase du projet d’énergie verte sur la rivière Churchill, au Labrador. J’ai également trouvé cela inspirant lorsque le premier ministre du Manitoba a parlé du potentiel de diversification de nos exportations grâce au port de mer à Churchill.
Il y a bel et bien des exemples, vous avez raison. Je suis content que vous ayez posé la question, parce que nous avons l’impression que l’urgence d’agir repose sur un secteur et un genre de projet. Je pense aussi au premier ministre conservateur de la Nouvelle-Écosse, qui nous a parlé d’un projet d’énergie propre de parcs éoliens en haute mer en expliquant comment ce projet permettra de rejoindre les lignes de transmission dans les provinces de l’Atlantique.
La sénatrice Miville-Dechêne : Favoriserez-vous les projets verts plutôt que les projets d’énergies fossiles?
M. LeBlanc : Nous ne nous y opposons pas, mais nous étudierons les projets qui seront présentés. Lorsque j’ai énuméré les cinq critères qui permettront de faire l’analyse pour déterminer si un projet est d’intérêt national, le respect de nos objectifs en matière de changement climatique s’y trouve précisément.
Étant donné qu’on parle de transition énergétique, je veux dire que des investisseurs de sociétés privées nous proposent des projets d’hydrogène, d’énergie propre. Ce sont des gens d’affaires qui viennent nous voir avec des idées inspirantes, avec l’appui de leur province ou de leur territoire. Le projet de Grays Bay, au Nunavut, si l’on veut aborder la souveraineté du Canada et de l’Arctique, est une proposition de représentants inuits.
Vous avez raison. Nous verrons lorsque les projets seront présentés. Il risque d’y avoir un amalgame de projets, mais il ne faut pas que ce soit défini comme dans un volet. Je suis content que vous m’ayez permis, même à travers le regard de votre président, d’en parler plus longtemps.
(1610)
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Bienvenue, madame et monsieur les ministres.
Comme vous l’avez expliqué plus tôt aujourd’hui et comme nous le voyons dans le projet de loi, la partie 2 énonce les facteurs que le gouvernement peut prendre en considération pour déterminer si un projet est dans l’intérêt national et s’il sera inclus dans le processus accéléré.
Il me semble assez évident que les promoteurs se feront concurrence afin que leurs projets soient sélectionnés. Il y aura des projets, et les promoteurs espéreront que le leur figurera sur la liste et sera retenu. Par conséquent, étant donné qu’il y aura de la concurrence, le gouvernement doit mettre en place un processus rigoureux, équitable et transparent pour sélectionner les projets.
Je souhaite approfondir un peu ce point. Pouvez-vous m’expliquer plus précisément comment les cinq critères que vous avez définis seront appliqués? Ont-ils tous le même poids dans l’évaluation des projets? Certains critères sont-ils plus importants que d’autres? Quel est le processus? Est-il possible qu’un projet, par exemple, soit étroitement lié à la croissance économique, mais ne répondre pas aussi bien à un autre critère, comme le potentiel de croissance propre? Il existe peut-être un projet qui peut stimuler la croissance, mais qui n’est pas très bon pour l’énergie propre ou le potentiel de croissance propre.
Je veux me faire une idée de la façon dont vous comptez gérer le processus, car les Canadiens voudront naturellement que la sélection des projets se fasse de manière équitable et transparente.
M. LeBlanc : Madame la sénatrice, pour répondre à votre question, le gouvernement s’appuiera sur les cinq facteurs que j’ai énumérés — je ne vais pas les répéter — pour décider s’il convient de procéder à cette désignation, comme l’a décrit la ministre Alty.
C’est difficile d’expliquer le processus sans un exemple concret.
Pour la sixième fois, tournons-nous vers une situation hypothétique. Imaginons qu’une province, un territoire ou un organisme autochtone propose un projet. Le gouvernement utilisera les cinq critères établis dans la loi, si celle-ci est adoptée par le Parlement.
Les discussions n’auront pas lieu lors d’un souper à une grilladerie ou à un restaurant quelconque. Il y aura des premiers ministres. Il y aura des Chefs autochtones. Vous avez raison : il y a une saine concurrence. Les premiers ministres discutent entre eux — et avec nous — des idées qu’ils ont. Quand un groupe de politiciens se réunit, ce n’est généralement pas dans le calme. À notre avis, il y a un avantage à ce que les premiers ministres et les partenaires autochtones utilisent des exemples.
En fin de compte, il faut qu’il y ait un promoteur et qu’il y ait une somme d’argent que les investisseurs privés et publics sont prêts à investir. L’une des raisons pour lesquelles nous voulons procéder ainsi est d’encourager ces investissements. J’espère que vous verrez alors — et je reviens à la question de votre collègue — une série d’exemples inspirants dans différents secteurs, dont certains ne viennent peut-être pas à l’esprit des gens lorsqu’ils examinent ce projet de loi en particulier.
La sénatrice Martin : Merci, madame et monsieur les ministres.
Mes questions s’adressent à la ministre Alty. Le projet de loi C-5 propose la création d’un conseil consultatif autochtone au sein du bureau fédéral des grands projets. Hier, les dirigeants autochtones présents dans cette enceinte ont déclaré qu’ils n’avaient aucun détail sur la composition et le processus de formation de ce conseil consultatif autochtone.
Pourriez-vous nous donner quelques détails sur la façon dont les membres de ce conseil seront choisis afin d’assurer une représentation équilibrée des Premières Nations, des Inuit et des Métis?
De plus, quels mécanismes officiels seront mis en place pour garantir que les avis du conseil auront un poids réel dans la prise de décision relative aux projets, plutôt que d’être une simple formalité du processus?
Mme Alty : Merci de votre question.
Il n’y a pas seulement ce projet de loi, mais aussi la création du bureau des grands projets nationaux, le financement des capacités à l’intention des titulaires de droits autochtones et le programme de garantie des prêts aux Autochtones. Il y a donc beaucoup d’éléments qui entrent en jeu en même temps.
Le mandat du conseil consultatif autochtone sera rédigé. Nous ne présumons rien quant à sa composition, mais nous aimerions l’élaborer au cours de l’été afin qu’il soit prêt à l’automne.
Monsieur LeBlanc, souhaitez-vous en dire plus sur la manière dont le conseil collaborera avec le bureau des grands projets?
M. LeBlanc : C’est une excellente question, et elle fait suite d’une certaine manière à la question initiale posée par le sénateur Housakos.
Le Bureau de gestion des grands projets rassemble un petit groupe d’experts dans les domaines des chaînes d’approvisionnement, de la diversification du commerce, de la consultation des Autochtones, de l’équité, de l’Arctique et du Nord. Au lieu d’alourdir la bureaucratie, l’idée, c’est plutôt de miser sur l’expertise des ministères existants, et de la compléter au besoin.
Le conseil consultatif autochtone aura un rôle clef à jouer dans cette évaluation. Par rapport à ce qu’a rapporté la ministre Alty, j’ai vu certains commentaires du public. Les gens se demandent si le premier ministre compte s’entretenir cet été avec les dirigeants autochtones, avant que le conseil intervienne. Il a pris cet engagement. Le premier ministre lui-même s’est engagé à tenir les séries de réunions avec les détenteurs de droits et les organismes autochtones, justement pour que ces décisions reflètent notre volonté de collaborer et d’intégrer ce travail dans la prise de décision ainsi que les conseils qui me seront donnés, que je transmettrai ensuite à mes collègues du Cabinet.
La sénatrice Martin : Nous ne connaissons toujours pas les détails, mais c’était là une question brûlante. Les dirigeants souhaitent comprendre à quoi cela ressemblera.
Étant donné que les avis du conseil pourraient influer sur le choix des projets jugés d’intérêt national, le gouvernement s’engagera-t-il à rendre publiques les recommandations et les justifications du conseil afin d’assurer la transparence et de démontrer comment les points de vue autochtones contribuent directement aux résultats des projets?
Mme Alty : Je tiens à préciser un élément important : le conseil consultatif autochtone n’est pas un titulaire de droits autochtones. Lorsque nous parlons de consultation pour ajouter un projet à l’annexe 1 ou pour en fixer les conditions, cette consultation — l’obligation légale — se ferait avec le titulaire de droits concerné.
Le conseil consultatif autochtone serait un organisme de niveau supérieur qui formulerait des recommandations au bureau des grands projets nationaux. Je tiens à bien marquer cette distinction.
La sénatrice Martin : J’ai encore une question à vous poser concernant les projets eux-mêmes.
Compte tenu de l’importance que le projet de loi C-5 accorde à la promotion des projets d’intérêt national, comment le gouvernement veillera-t-il à ce que les projets liés aux ressources et aux infrastructures qui sont dirigés par des Autochtones, comme ceux qui sont déjà touchés par des retards liés à la réglementation fédérale, soient considérés comme prioritaires et soutenus dans le cadre de ce processus simplifié, d’autant plus que certains d’entre eux répondent déjà aux critères du gouvernement en matière d’avantages économiques et de probabilité de réalisation?
Mme Alty : Une grande partie du travail préparatoire a déjà été effectué pour les projets qui seront présentés, à savoir la consultation des détenteurs de droits autochtones concernés, et certains de ces projets prévoient même des partenaires financiers autochtones. Ces projets seraient mieux notés et plus favorables.
Nous recherchons des projets qui peuvent démarrer rapidement. Si vous pouvez démontrer que votre projet bénéficie du soutien des communautés autochtones et qu’il prévoit une participation autochtone, il sera privilégié par rapport à un projet qui ne bénéficie pas du soutien des communautés locales ou des communautés autochtones et pour lequel il reste encore beaucoup de travail préparatoire à faire.
Je précise encore une fois que l’application de cette mesure législative est également limitée à cinq ans. Comme nous sommes conscients des difficultés auxquelles le pays fait face, tels que les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, nous souhaitons que ces projets soient mis en œuvre le plus rapidement possible, et ceux qui bénéficient de ce soutien seront privilégiés.
(1620)
La sénatrice Seidman : Je vous remercie, madame et monsieur les ministres, de votre présence parmi nous aujourd’hui.
Ma question s’adresse à vous, monsieur LeBlanc. Le projet de loi énonce que l’objet de la loi est de promouvoir le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au sein du Canada tout en continuant à protéger la santé et la sécurité des Canadiens.
La Société canadienne du cancer a fait remarquer que le projet de loi C-5 pourrait involontairement affaiblir les mesures de protection de la santé et de la sécurité publiques en permettant à des normes sanitaires provinciales moins strictes de devenir la norme par défaut si on renonçait à appliquer les normes fédérales dans certains cas.
Ce projet de loi prévoit-il une mesure de sauvegarde pour éviter que cela ne se produise?
M. LeBlanc : Sénatrice, votre question est pertinente en ce sens que, si nous parlons de conclure des accords de coopération avec les provinces et les territoires quant à l’examen des projets ou dans le cas des normes du travail, ce qui concerne la première partie de la loi, l’idée n’est absolument pas de se rabattre sur le plus petit dénominateur commun, mais de s’inspirer des pratiques exemplaires et d’éviter les doubles emplois et les chevauchements.
C’est là qu’entre en jeu le pouvoir de conclure des accords de coopération avec les provinces et les territoires en ce qui concerne les processus d’approbation et d’évaluation, mais je partage certainement votre point de vue quand vous dites que les Canadiens ne pardonneraient pas aux gouvernements, qu’ils soient fédéral, provinciaux ou territoriaux, qui — pour reprendre votre exemple — chercheraient à affaiblir les normes de santé et de sécurité qui sont essentielles pour lutter contre le cancer.
Vous avez utilisé cet exemple, et c’est un domaine qui m’intéresse personnellement, bien évidemment. Toutefois, il existe des exemples dans d’autres secteurs où les gouvernements peuvent s’inspirer des pratiques exemplaires et éviter les retards, les chevauchements et les doubles emplois, tout en maintenant les normes élevées auxquelles s’attendent les Canadiens.
La sénatrice Seidman : Merci. Une fois adopté, le projet de loi permettrait-il, par exemple, de prévoir des exemptions dans la réglementation à l’égard de certains problèmes de santé?
M. LeBlanc : Veuillez me donner un exemple de problème de santé, sénatrice.
La sénatrice Seidman : Par exemple, la Société canadienne du cancer a parlé de l’amiante. L’amiante est absolument interdit selon les normes et les règlements du Canada, mais il y a des provinces qui autorisent encore la présence d’une certaine quantité d’amiante dans les bâtiments. C’est un exemple qui a été soulevé.
M. LeBlanc : C’est un autre bon exemple. Je ne suis pas un expert scientifique en ce qui concerne ces normes, mais je sais qu’en tant que ministre chargée de superviser le processus permettant de conclure des accords de coopération avec les provinces et les territoires, ma collègue Chrystia Freeland assumerait certainement les responsabilités liées à ces normes. Encore une fois, je comprends les préoccupations, mais l’idée que le gouvernement du Canada puisse chercher à affaiblir des normes qui protègent la population contre ce genre de situations potentiellement cancérigènes est hautement hypothétique.
Je comprends les préoccupations, mais notre objectif sera de nous fonder sur certaines pratiques exemplaires des différentes administrations en vue de mettre en place des normes rigoureuses pour protéger les Canadiens au lieu d’affaiblir les normes à l’échelle du pays, ce qui serait tout à fait inacceptable pour nous.
Le président : Honorables sénateurs, le comité entend les ministres depuis maintenant 130 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse poursuivre avec le deuxième panel.
Monsieur et madame les ministres, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires de vos ministères.
Des voix : Bravo!
Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre les travaux pendant 10 minutes afin de nous préparer pour le deuxième panel. Nous allons reprendre à 16 h 32.
(La séance du comité est suspendue.)
(1630)
(La séance du comité reprend.)
(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)
Le président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance en comité plénier afin de poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.
Le comité entendra maintenant Joshua Ginsberg, directeur, Ecojustice; Sean Southey, directeur général, Fédération canadienne de la faune; à titre personnel, Martin Olszynski, professeur agrégé, Faculté de droit, Université de Calgary.
Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos allocutions préliminaires.
Joshua Ginsberg, directeur, Ecojustice : Merci beaucoup de m’avoir invité. Meegwetch. Je tiens à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, et je lui en suis très reconnaissant.
Je suis avocat chez Ecojustice, et mes observations sont appuyées par plusieurs des grandes organisations environnementales du Canada, notamment Nature Canada, WWF Canada, West Coast Environmental Law, la Société pour la nature et les parcs du Canada, la Fondation Sierra Club Canada, Équiterre, la Fondation David Suzuki et Environmental Defence.
Honorables sénateurs, je voudrais commencer en soulignant un argument déjà soulevé hier par des organisations autochtones, notamment l’Assemblée des Premières Nations, à savoir qu’une étroite consultation et le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause, s’avèrent nécessaires, non seulement pour les décisions qui seront prises dans le cadre de ce projet de loi, mais aussi pour la mesure législative elle-même.
S’il faut plus de temps pour remplir cette obligation, je vous suggère respectueusement que le Parlement accorde la priorité à bien faire les choses et qu’il prenne le temps requis pour y arriver.
Comme Sa Majesté l’a souligné dans le discours du Trône qu’il a prononcé dans cette enceinte il y a quelques jours, le Canada est confronté à une série de défis urgents et interdépendants, allant de l’instabilité mondiale à l’incertitude économique, en passant par l’aggravation des feux de forêt et le déclin alarmant d’espèces comme le caribou et l’épaulard. Nous convenons que pour se montrer à la hauteur des circonstances, le Canada doit accélérer la construction d’infrastructures, mais il doit le faire de manière judicieuse en respectant les mesures de protection de l’environnement et les garanties démocratiques qui rendent le progrès à la fois possible et durable.
La Loi visant à bâtir le Canada qui figure dans le projet de loi C-5 propose deux changements majeurs dans le processus d’approbation des grands projets. Premièrement, il permettrait au Cabinet de passer outre à l’ensemble des dispositions de lois fédérales en matière d’environnement, sans consulter le Parlement, grâce à des mécanismes connus sous le nom de clauses Henri VIII. Ces pouvoirs extraordinaires concentreraient une autorité considérable entre les mains de l’exécutif.
Parmi les lois énumérées à l’annexe 2 du projet de loi figure l’intégralité de la Loi sur les espèces en péril. Nous exhortons le Sénat à bien réfléchir au précédent que cela crée et à la menace que cela fait peser sur le rôle du Parlement dans notre démocratie.
Deuxièmement, le projet de loi permet au gouvernement de considérer que des projets sont conformes aux normes environnementales même si, dans les faits, les normes ne sont manifestement pas respectées. Cela soulève de sérieuses préoccupations d’ordre juridique et scientifique, notamment en ce qui concerne la Loi sur les espèces en péril et ses dispositions relatives à la délivrance des permis.
L’article 73 de cette loi est une pierre angulaire de la protection des espèces. Il interdit la délivrance de permis pour des activités qui mettraient en péril la survie ou le rétablissement d’une espèce menacée ou en voie de disparition. L’inclusion de cet article, en particulier, dans la liste des dispositions qui peuvent faire l’objet d’une exemption d’application, soulève une possibilité dangereuse, celle que les décideurs soient tenus de considérer qu’il n’y a pas de danger même quand des données scientifiques établissent le contraire. En clair, cela pourrait contraindre le gouvernement à autoriser un projet susceptible d’entraîner la mort des derniers représentants d’une espèce. Cela n’est pas seulement préoccupant sur le plan juridique et éthique; c’est également, à mon sens, irresponsable sur le plan écologique.
Nous exhortons donc le comité à recommander que les dispositions de la Loi sur les espèces en péril qui traitent de la délivrance des permis, à savoir les articles 73, 74 et 77, soient retirées de l’annexe 2. Il s’agit de mesures de protection fondamentales fondées sur des données scientifiques auxquelles il ne devrait pas être possible de déroger.
De manière plus générale, le projet de loi n’exige pas actuellement que l’on utilise ces nouveaux pouvoirs uniquement pour des projets qui s’alignent sur les objectifs climatiques ou d’autres objectifs environnementaux. Il n’exige pas non plus que l’on respecte les facteurs juridiques et scientifiques établis de longue date qui guident la prise de décisions liées à l’environnement depuis des décennies.
En conclusion de mon discours d’ouverture, voici les cinq améliorations que nous recommandons respectueusement. Premièrement, supprimer les dispositions « de type Henri VIII ». Les autres outils prévus dans le projet de loi offrent déjà suffisamment de souplesse pour accélérer l’approbation des projets sans pour autant accorder au Cabinet un pouvoir législatif absolu.
Deuxièmement, exiger que toutes les conditions et décisions, y compris les décisions présumées, respectent ou dépassent les normes des lois environnementales existantes.
Troisièmement, supprimer les dispositions relatives aux permis de la Loi sur les espèces en péril de l’annexe 2 afin de préserver l’intégrité de la protection des espèces fondée sur des données scientifiques.
Quatrièmement, limiter l’utilisation des désignations d’intérêt national aux projets dont on peut démontrer qu’ils soutiennent les engagements du Canada en matière de climat, de croissance propre et de biodiversité.
Enfin, cinquièmement, veiller à ce que la transparence, la consultation des Autochtones et la participation du public restent au cœur de tout processus d’approbation accéléré.
Ces changements, honorables sénateurs, ne nuiraient pas à la volonté du gouvernement de bâtir plus rapidement; ils appuieraient cette volonté en garantissant que le développement accéléré ne se fasse pas au détriment de l’intégrité environnementale ou de la crédibilité juridique.
Selon nous, il est possible et nécessaire de bâtir des infrastructures qui répondent à la fois aux besoins de la population et à ceux de la planète. Nous sommes prêts à travailler avec le gouvernement pour y arriver. Merci.
Martin Olszynski, professeur agrégé, Faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Bon après-midi, sénateurs.
Je m’appelle Martin Olszynski, je suis professeur agrégé et l’actuel détenteur de la chaire en énergie, ressources et durabilité à la Faculté de droit de l’Université de Calgary. Je tiens à vous remercier de l’occasion de venir témoigner que vous m’avez donnée.
Je vais brièvement vous parler de mon parcours. J’ai passé près de 20 ans dans le secteur de l’évaluation des projets d’envergure : comme avocat à Pêches et Océans Canada, comme universitaire, comme témoin-expert lors d’audiences sur la réglementation et, depuis quatre ans, comme membre du Conseil consultatif du ministre sur l’évaluation d’impact du ministère fédéral de l’Environnement.
Je tiens tout d’abord à préciser que, comme mes collègues ici présents et la plupart des Canadiens, je suis favorable à l’avancement des projets d’intérêt national. De plus, je soutiendrais une loi qui accélère leur évaluation et renforce la certitude réglementaire tout en maintenant des normes rigoureuses en matière de protection de l’environnement.
Toutefois, dans sa forme actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada ne permettra pas d’atteindre ces objectifs importants. Premièrement, elle fait plus qu’accélérer les processus et tend à invalider les lois environnementales existantes. Deuxièmement, elle contourne les mécanismes normaux de contrôle qui sont la marque d’une démocratie saine. Enfin, tout cela entraîne de l’incertitude et des retards dans le processus d’examen des projets.
(1640)
Je vais sauter l’énumération parce que le manque de rigueur de cette approche semble bien compris, et je vais me concentrer sur deux autres éléments de la loi : la disposition de présomption de l’article 7 et les articles contenant une clause Henri VIII auxquels mon collègue a déjà fait référence.
Comme je vais l’expliquer, la disposition de présomption de l’article 7 a pour effet d’exclure les lois environnementales fédérales applicables et le rôle des tribunaux canadiens dans leur maintien, tandis que les articles contenant une clause Henri VIII constituent une intrusion stupéfiante dans le rôle fondamental du Parlement en ce qui a trait à l’élaboration, à la modification et à l’abrogation des lois.
Dans les deux cas, le gagnant incontestable est un pouvoir exécutif à peine limité.
En commençant par l’article 7, une fois qu’un projet d’intérêt national est inscrit sur la liste et que le promoteur a fait ce qu’il devait faire conformément aux lois qui s’appliqueraient normalement à son projet, le ministre publiera un document d’autorisation-cadre qui sera en place pour toutes les autorisations et tous les permis fédéraux qui auraient autrement été requis.
Il n’y a aucun mal à regrouper les autorisations et les permis nécessaires en un seul endroit. Cependant, voici où le bât blesse : selon le paragraphe 7(3), l’autorisation-cadre est réputée répondre aux exigences prévues dans tous les autres textes législatifs.
L’utilisation du mot « réputée » est cruciale. Le site Web du ministère de la Justice fédéral explique bien que l’on utilise le terme « réputé » pour créer une fiction juridique.
Pour comprendre pourquoi cette fiction est problématique, il faut savoir que les lois modernes sur l’environnement sont à la fois tournées vers l’extérieur et vers l’intérieur; elles contraignent les individus et les entreprises, certes, mais ces contraintes sont rarement absolues. En fait, il s’agit d’une offre d’ouverture.
C’est à ce moment-là, vu les piètres résultats des gouvernements en matière de gestion des problèmes environnementaux, que les lois sur l’environnement cherchent à contraindre le pouvoir exécutif.
Par exemple, si un projet d’intérêt national doit avoir un impact sur l’habitat des poissons, la Loi sur les pêches exige que Pêches et Océans Canada prenne en compte plusieurs facteurs, y compris la possibilité d’effets cumulatifs. Ces contraintes sont essentiellement des balises qui n’imposent pas un résultat particulier, mais qui aident à orienter la prise de décision, à des degrés divers, vers un développement plus durable.
Le paragraphe 7(3) passe outre cette partie du régime environnemental fédéral. Il crée une fiction juridique selon laquelle le ministre désigné s’est conformé à tous ces principes directeurs, même si ce n’est pas le cas. Il s’agit essentiellement d’un chèque en blanc pour le pouvoir exécutif, sous réserve uniquement d’une consultation avec le ministre concerné.
Et parce qu’il s’agit d’une fiction juridique explicitement créée par la loi, le rôle de supervision du pouvoir judiciaire canadien est également nié, un rôle qui s’est avéré essentiel pour garantir au moins un semblant de mise en œuvre des lois environnementales du Canada.
Bref, il s’agit d’un changement radical par rapport au statu quo. Il existe pourtant des moyens de limiter l’intervention judiciaire sans toutefois l’abolir.
Cela m’amène aux articles 21, 22 et 23 du projet de loi — les clauses Henri VIII —, en vertu desquels le Cabinet aura le pouvoir d’adopter des règlements non seulement pour préciser les dispositions de la loi — comme c’est habituellement le cas —, mais aussi pour modifier toute loi figurant dans le registre des lois fédérales et même y déroger.
Il s’agit là d’un pouvoir stupéfiant, même selon les normes actuelles. J’ai demandé à mon assistant de recherche de rassembler et de comparer les clauses Henri VIII de tous les projets de loi similaires. Nous avons examiné le projet de loi 1 de l’Alberta, les projets de loi 7 et 15 de la Colombie-Britannique et le projet de loi 5 de l’Ontario.
En ce qui a trait à l’étendue des pouvoirs qu’il confère, le projet de loi C-5 n’a d’égal que les mesures législatives du premier ministre Ford. Il faut reconnaître que la première ministre Smith et le premier ministre Eby ont revu les pouvoirs à la baisse dans leurs libellés respectifs à la suite de l’opposition publique. Le premier ministre du Canada devrait faire de même.
Il ne s’agit pas d’une question partisane. Je n’allègue pas qu’il y a mauvaise foi ou malveillance. Au contraire, pour paraphraser Timothy Snyder, anciennement professeur d’histoire à Yale et maintenant professeur à l’École Monk de l’Université de Toronto, l’histoire nous enseigne que la séparation des pouvoirs est fondamentale.
Si l’histoire et les normes démocratiques ne suffisent pas à vous convaincre, je conclurai avec un argument très pragmatique. Au lieu d’accélérer les évaluations, l’article 7 et les clauses Henri VIII risquent de les ralentir, car ils ouvrent la voie à des pressions incessantes et à la renégociation de normes qui sont clairement établies aujourd’hui, mais qui risquent d’être remises en question.
C’était mon quotidien lorsque j’étais avocat pour le ministère des Pêches et des Océans. Au lieu de donner suite aux évaluations, les promoteurs contestaient l’applicabilité de la loi.
Je pense que mon temps est écoulé. Je tiens à vous remercier. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions, notamment sur la manière dont nous pourrions améliorer le projet de loi.
Sean Southey, directeur-général, Fédération canadienne de la faune : Honorables sénateurs, mon nom est Sean Southey et je suis le directeur-général de la Fédération canadienne de la faune, ou FCF. Je suis accompagné de Nick Lapointe, principal biologiste de la conservation. Nous sommes honorés d’être ici aujourd’hui pour parler du projet de loi C-5.
Dans un esprit de pragmatisme et de partenariat, la FCF s’engage à collaborer de manière constructive avec le gouvernement fédéral. Comme le précise notre plan stratégique quinquennal, notre mission est de conserver les espèces sauvages et les habitats du Canada, et inciter le public à en faire autant, pour l’usage et le plaisir de tous et toutes.
Nous entendons et comprenons les préoccupations exprimées au sujet du projet de loi dans les médias, dans la presse et ici aujourd’hui par nos collègues des organisations non gouvernementales, ou ONG. Notre réponse doit être fondée sur notre responsabilité collective et commune de veiller à ce que les réformes environnementales, sociales et économiques soient menées avec rigueur, transparence et responsabilité.
La FCF reconnaît l’esprit du projet de loi C-5 et le processus entrepris par le gouvernement pour faire face à la constellation actuelle de crises nationales, y compris l’urgence environnementale qui continue de menacer nos écosystèmes, notre faune et notre bien-être futur.
Au fur et à mesure de la mise en œuvre du projet de loi, nous devons favoriser une collaboration fructueuse avec les collectivités locales, les partenaires autochtones et les ONG alliées, tout en veillant à obtenir le consentement des détenteurs de droits autochtones. La rapidité est une bonne chose, mais la rapidité et la durabilité sont préférables. La rapidité, la durabilité et les avantages pour tous, y compris la faune, sont ce que nous souhaitons tous pour le Canada.
Il faut établir un équilibre entre le progrès et la gérance de l’environnement. La FCF et d’autres organismes non gouvernementaux expérimentés peuvent jouer un rôle important en aidant le gouvernement fédéral à négocier ces compromis importants.
Rationaliser la réglementation environnementale dans le cadre du projet de loi risque d’écarter les mesures de protection de la biodiversité. Il faut prendre les devants et innover à la hauteur de nos ambitions nationales.
Il faut de nouveaux outils qui ont fait leurs preuves ailleurs, qui sont fondés sur des données scientifiques solides et qui peuvent garantir la mobilisation des peuples autochtones et des collectivités et leur procurer des avantages. Par conséquent, nous encourageons vivement le gouvernement — et nous espérons que vous vous joindrez à nous pour défendre cette cause — à lancer de nouvelles idées lors de la mise en œuvre du projet de loi. Nous vous encourageons à envisager la mise en place d’un système tiers d’établissement de réserves d’habitats et de ce qu’on appelle un programme sous forme de frais tenant lieu de compensation pour compléter le projet de loi.
Tout d’abord, je pense qu’il est important de définir clairement ce qu’est une compensation. Il s’agit d’une mesure de conservation visant à compenser les répercussions des projets de développement. Le projet de loi se concentre sur les projets de développement. En termes simples, si un projet a des répercussions négatives sur l’environnement à un endroit, il faut améliorer l’environnement de façon équivalente ou supérieure ailleurs. Heureusement, il existe des outils pour y parvenir.
La Loi sur les pêches exige déjà une compensation de la part des promoteurs, mais nous estimons que c’est insuffisant. Tout d’abord, le mécanisme retarde de plusieurs années l’approbation des projets. Les promoteurs doivent trouver des compensations, obtenir l’appui des détenteurs de droits autochtones, puis obtenir l’autorisation du ministre des Pêches et des Océans.
Souvent, une fois que la dégradation a eu lieu, la restauration prend beaucoup de temps, ce qui crée un décalage entre les dommages et la réparation. Malheureusement, au bout du compte, ces mesures de compensations sont souvent inefficaces. Nous devons veiller, lors de l’élaboration de ce projet de loi, à ce que tout soit en place pour garantir l’efficacité.
Nous encourageons le gouvernement fédéral à autoriser cette solution en permettant, en vertu de la Loi sur les pêches, la création de réserves d’habitats par des tiers. Il s’agit d’une solution avantageuse pour tous. Le fait de restaurer préalablement les habitats et d’en confirmer l’efficacité avant la vente des crédits présente des avantages pour la conservation. Les promoteurs, qui sont les champions de ces projets, peuvent bénéficier d’un processus d’approbation réglementaire simplifié, tandis que nous reconnaissons les avantages environnementaux pour tous les Canadiens.
Cependant, la mise en place d’un système de réserves d’habitats par des tiers prend du temps, et nous avons besoin de ces outils dès maintenant pour faire avancer ces projets.
Nous recommandons au gouvernement d’autoriser les promoteurs à mettre en place un programme de redevances forfaitaires. Ils pourraient ainsi payer au fur et à mesure qu’ils implantent leurs mesures de compensations. Ces approches éprouvées nous semblent être un moyen de réduire les délais et de permettre la réalisation des projets tout en garantissant la réussite des efforts de conservation et de restauration au Canada.
Mes collègues de la FCF et moi-même sommes là pour vous aider. Nous travaillons sur ces enjeux depuis des années et nous sommes prêts à passer à l’action. Je vous remercie de votre temps et de votre engagement à œuvrer pour créer une culture de la conservation au Canada. Nick et moi restons à votre disposition pour répondre à toute question. Je vous remercie.
(1650)
Le président : Je vous remercie de vos observations préliminaires. Nous passons maintenant aux questions.
La sénatrice Martin : Je tiens à vous remercier tous de votre présence et de vos témoignages. Ma première question s’adresse à M. Ginsberg, d’Ecojustice, mais je sais que M. Olszynski en a également parlé dans sa déclaration préliminaire.
Ecojustice a signalé que le projet de loi C-5 risque de mal tourner, en exposant les Canadiens à des poursuites judiciaires, à des coûts liés aux mesures d’assainissement et à la dégradation des écosystèmes. Vous avez mentionné l’exemple du ministère des Pêches et des Océans, et vous avez évoqué les retards et, en fin de compte, le coût pour les contribuables.
Du point de vue des contribuables, ce projet de loi représente-t-il le geste d’un gouvernement responsable? Cela ne risque-t-il pas d’exposer les contribuables à d’importantes obligations légales?
M. Ginsberg : Je vous remercie, madame la sénatrice. Tout d’abord, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur si je mentionne que j’ai omis, dans ma déclaration liminaire, de saluer le collègue qui m’accompagne aujourd’hui, Charles Hatt, directeur de programme, Climat, à Ecojustice, qui pourra également intervenir. Merci.
Je reviens à votre question. Ecojustice ne s’oppose pas à un développement responsable et efficace. Nous reconnaissons bien sûr, comme vous le suggérez, qu’il existe des moyens plus efficaces d’utiliser l’argent des contribuables pour réaliser les projets dont nous avons besoin afin de nous assurer un avenir durable. Nous craignons que ce projet de loi ne reflète pas pleinement cette ambition, puisqu’il permet aux décisions du Cabinet de l’emporter sur les consultations publiques et autochtones.
Il est certain que les contribuables qui financent les projets souhaitent avoir leur mot à dire sur la manière dont ils sont développés. Nous aimerions donc que le projet de loi soit amendé de manière à accorder plus de place à la consultation des Autochtones et du public.
La sénatrice Martin : Je rappelle, à ce sujet, que la liste des projets d’intérêt national n’est pas encore publique et que le gouvernement est resté très vague, jusqu’à présent, dans ses exemples de projets susceptibles d’être considérés comme étant d’intérêt national. Voici une question qui pourrait s’adresser à n’importe lequel d’entre vous : en tant que parties prenantes, à quel point trouvez-vous important de voir, avant que le Parlement ne donne suite au projet de loi, une liste potentielle ou, à tout le moins, un exemple concret de ce qui serait considéré comme un projet d’intérêt national? Quel niveau de détail serait nécessaire pour une bonne évaluation des projets?
M. Ginsberg : Je peux commencer. Madame la sénatrice, deux choses sont importantes ici. La première est que nous devons comprendre le qui, le quoi et le pourquoi d’un projet avant même qu’il puisse être pris en considération pour ces pouvoirs extraordinaires. C’est essentiel, et je crois que le ministre LeBlanc a confirmé, lors de son intervention, que nous aurons besoin d’une quantité suffisante de renseignements pour en arriver là. Or, le projet de loi ne dit rien à ce sujet. Il n’impose aucune quantité minimale de renseignements avant qu’un projet puisse être inscrit à l’annexe. C’est une amélioration très importante qui pourrait et devrait être apportée.
La deuxième chose dont il faut tenir compte, ce sont les critères appliqués à cette question. À l’heure actuelle, le projet de loi est rédigé de manière assez vague. Cela pourrait être n’importe quoi. Oui, il existe une liste de facteurs à prendre en considération. Nous pensons que le mot « peut » devrait être remplacé par « doit » afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté à propos de ce qui est nécessaire, et que l’octroi d’un pouvoir extraordinaire de ce type soit subordonné à l’exigence voulant que tout projet envisagé aux fins d’inscription sur la liste contribue réellement à la réalisation des objectifs du Canada en matière de biodiversité et de climat.
La sénatrice Martin : Oui, parce que l’article 5 permet au Cabinet de désigner des projets comme étant d’intérêt national en fonction de « ... tout facteur... » Vous trouvez cela très risqué. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela vous préoccupe?
M. Ginsberg : Je vais m’en remettre à mes collègues à cet égard.
M. Olszynski : C’est intéressant. Cet article est formulé de manière à ce que l’on puisse prendre en considération n’importe quelle couleur, y compris le rouge, l’orange, le jaune et le bleu. C’est essentiellement l’effet de cette disposition.
Je suis probablement d’accord avec vous. Il pourrait être utile d’avoir une liste de projets qui sont, en quelque sorte, en lice dans ce domaine, mais cela ne changerait rien au libellé de la loi. En ce sens, cette disposition est très ouverte. Ainsi, même si vous aviez une première série de projets présentant certaines caractéristiques, rien dans la loi n’obligerait le gouvernement à continuer de faire avancer ce type de projets. Il pourrait facilement changer d’orientation et se concentrer sur d’autres facteurs, et la loi le permettrait.
M. Southey : La Fédération canadienne de la faune n’est pas aussi impliquée dans le domaine du droit environnemental que ses collègues. Nous travaillons partout au Canada avec d’autres ONG, des communautés locales et des peuples autochtones pour mettre en œuvre des projets. Nous savons que la mise en œuvre d’un projet a presque toujours des répercussions sur l’environnement. Nous croyons que le projet de loi doit être préparé de A à Z pour garantir le respect de ces processus. Nous avons donc le devoir de consulter les parties prenantes au sujet des projets qui seront inscrits à cette annexe et d’obtenir leur consentement quant à la liste des projets. Cela signifie également qu’une fois que les projets figureront sur cette liste, nous serons prêts à agir avec la rapidité et le professionnalisme nécessaires pour garantir que les répercussions, les conséquences environnementales, sont gérées dans la mesure du possible.
Dans le domaine de l’environnement, nous disons qu’il vaut mieux éviter les problèmes. Nous ne devrions jamais construire si une espèce unique ou endémique est menacée. Mais si le problème est gérable, nous pouvons adopter un régime d’atténuation en vertu duquel nous le gérons de la meilleure façon possible.
Parfois, il faut prendre des mesures compensatoires. C’est là que nous considérons les conséquences et que nous nous assurons que, au bout du compte, le Canada est mieux loti grâce à ces gros investissements. Si nous faisons preuve d’intelligence et si nous travaillons ensemble, nous pouvons nous assurer que le suivi des projets qui figurent sur la liste est bien fait. Nous sommes nombreux, dans le mouvement environnemental, à être prêts à travailler pour que les résultats soient à la hauteur des ambitions.
La sénatrice Martin : Le gouvernement affirme que cette mesure législative favorise une croissance propre, mais vous soutenez qu’elle permettrait au gouvernement d’approuver des projets même en cas de préjudice environnemental considérable.
À votre avis, ce projet de loi est-il conforme aux engagements nationaux et internationaux du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques? Pensez-vous qu’il pourrait finalement compromettre d’éventuels accords commerciaux entre le Canada et des pays plus engagés dans la lutte contre les changements climatiques?
M. Ginsberg : Pour répondre brièvement, je dirais que cela dépend, sénatrice, de la manière dont les mesures seront appliquées. Il existe une grande latitude quant à l’usage précis qui sera fait de ces outils, et il serait très utile que les dispositions elles-mêmes donnent davantage de directives concernant ces facteurs et la manière dont ces pouvoirs extraordinaires seront utilisés.
La sénatrice Martin : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il ajouter quelque chose?
M. Southey : Nous espérons que rien de ce qui a de profondes conséquences sur l’environnement ou de ce qui avancer notre programme climatique ne sera inscrit sur cette liste. Le préambule du projet de loi demande cette attention. Nous espérons qu’au fur et à mesure que les projets seront inscrits à l’annexe, ce degré d’examen sera appliqué afin que le Canada s’améliore et devienne plus vert et ne se contente pas de procéder plus rapidement.
Charlie Hatt, directeur de programme, Climat, Ecojustice : Je suis avocat chez Ecojustice et je suis un collègue de M. Ginsberg. Je veux simplement ajouter que, comme l’a dit mon collègue, tout dépend de la mise en œuvre. Le Parlement ne devrait pas simplement s’en remettre à la mise en œuvre. Les critères de désignation d’un projet comme étant d’intérêt national devraient inclure une exigence selon laquelle le projet doit faire progresser les engagements du Canada en matière de climat, que ce soit dans le contexte du commerce — comme l’a fait remarquer la sénatrice —, de nos engagements internationaux en matière de climat ou de nos objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévus par la loi. C’est la meilleure façon de garantir que les projets d’intérêt national seront bénéfiques pour notre climat et notre économie.
La sénatrice Martin : De manière plus générale, M. Olszynski, vous avez mentionné que ce projet de loi transfère trop de pouvoirs aux ministres et au Cabinet, au détriment des processus réglementaires et législatifs établis. Auriez-vous des suggestions à formuler quant aux mécanismes de surveillance que le Parlement devrait mettre en place pour rétablir cet équilibre?
M. Olszynski : Il suffirait d’apporter une modification assez simple au paragraphe 7(3). Je comprends pourquoi le gouvernement trouverait que c’est une bonne idée de pouvoir réorganiser toutes ces lois environnementales. Il y aura des consultations auprès du ministre concerné mais, par la suite, on rétablira essentiellement les conditions et les normes.
(1700)
À vrai dire, c’est un travail difficile que nous faisons depuis 50 ans. Le calibrage n’est pas parfait. Nous pouvons toujours envisager de revoir la rigueur de certaines mesures législatives, mais dans l’ensemble, il existe un consensus. Je connais cette loi, les avocats spécialisés en réglementation connaissent cette loi, les Premières Nations comprennent ces lois.
L’idée que tout cela soit soudainement mis de côté pour que ce nouveau ministre désigné ait, en substance, carte blanche pour décider des normes à appliquer dans chaque cas — qu’il s’agisse des répercussions sur les espèces en péril, sur l’habitat du poisson, sur les oiseaux migrateurs ou sur la pollution transfrontalière des eaux — et que tout cela devienne soudainement du cas par cas créera de la confusion et paralysera le système.
La sénatrice Galvez : Lorsque des projets sont soumis à un processus d’approbation rapide comme celui-ci, nous avons souvent constaté par le passé qu’ils ne font pas l’objet d’une consultation en bonne et due forme ou d’une évaluation appropriée des risques. Ils sont contestés devant les tribunaux, ils suscitent l’hostilité de la population environnante et ils provoquent des catastrophes environnementales.
Monsieur Ginsberg, qu’est-ce qui rend un ensemble donné de conditions de projet efficace du point de vue de la protection de l’environnement?
Monsieur Olszynski, en l’état, quel est le risque de litige?
M. Ginsberg : Je vous remercie pour la question, sénatrice. Pour y répondre, je vais revenir à un élément soulevé par M. Southey concernant la différence entre atténuation et compensation.
Pour être efficace, l’ensemble des conditions qui s’appliquent à un projet doit suivre une hiérarchie précise. D’abord, il faut tenter, autant que possible, d’éviter les dommages environnementaux. Lorsque cela n’est pas faisable, il faut réduire autant que possible les effets sur l’environnement, puis rétablir le statu quo et enfin, en dernier recours seulement, compenser les dommages environnementaux. Cette séquence garantit le moins d’effets négatifs possible sur les écosystèmes et les espèces. Sans cette structure, on risque d’aller directement à la compensation pour les dommages, sans avoir même cherché à déterminer si les dommages étaient réellement inévitables. La compensation est rarement aussi efficace que la prévention.
Inclure le principe d’une hiérarchie d’atténuation des effets sur l’environnement dans l’article du projet de loi qui traite d’appliquer des conditions garantirait l’adoption d’une approche uniforme et fondée sur les connaissances scientifiques dans l’établissement des conditions. C’est ce que nous recommandons fortement.
M. Olszynski : En ce qui concerne le risque de poursuite, parliez-vous du projet de loi? Oui. À certains égards, le projet de loi est assez conventionnel.
Comme M. Ginsberg et moi l’avons dit, les clauses Henri VIII ont été confirmées par les tribunaux dans d’autres contextes, mais jamais, à ma connaissance, dans le cas de dispositions d’une aussi vaste portée. Par exemple, aux termes de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, le gouverneur en conseil avait le pouvoir de modifier la loi par règlement, mais cela concernait une seule loi.
Nous avons cherché et, mis à part certaines mesures législatives comme celle du premier ministre Ford, en règle générale, l’exécutif n’a pas été autorisé à utiliser son pouvoir pour modifier n’importe quelle loi à sa guise. Il y a donc un point d’interrogation.
Je souligne que la juge Côté n’a pas mâché ses mots pour exprimer sa dissidence dans le renvoi concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, affirmant que ce type de disposition était, à ses yeux, problématique du point de vue de la séparation des pouvoirs. Il y a donc là un risque.
Il y a ensuite les risques liés aux droits autochtones prévus à l’article 35. Il existe des affaires et une jurisprudence concernant la question de savoir si une mesure législative comme celle-ci engage l’honneur de la Couronne. Je ne suis certainement pas un expert en la matière, mais il existe également un risque à cet égard.
La sénatrice Coyle : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Bon retour parmi nous, professeur Olszynski. Ma question s’adresse à vous.
Je suis certaine que, comme tous les Canadiens, vous convenez qu’il est important de bâtir une économie canadienne forte, résiliente et durable. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Dans votre récent article rédigé en collaboration avec David Wright et intitulé « Bill C-5: Move Fast and Make Things, or Move Fast and Break Things? », vous mentionnez que, en ce qui concerne le petit nombre de projets d’intérêt national touchés par le projet de loi C-5, nous découvrirons au fur et à mesure de leur mise en œuvre si le fait d’aller de l’avant rapidement mènera à la réussite — ce que nous souhaitons tous, bien sûr — ou à la catastrophe — ce que personne ne souhaite.
Dans votre article — et plus tôt aujourd’hui —, vous avez soulevé des exemples édifiants tirés de situations passées ici même, au Canada, où les processus ont été précipités ou allégés, ce qui a entraîné des réactions défavorables, des dépassements de coûts, de longues batailles juridiques et, dans le pire des cas, des atteintes à la santé humaine ou à l’environnement.
Professeur Olszynski, je sais qu’il est trop tôt pour prédire l’aboutissement de ce projet de loi, même si nous voulons tous que les projets avancent rapidement et qu’ils donnent des résultats positifs. C’est le scénario souhaité. En tenant compte de l’ensemble des éléments, pouvez-vous nous dire si, selon vous, certains types de projets, de par leur nature ou leurs caractéristiques précises, auraient plus de chances de réussir?
M. Olszynski : C’est une vaste question, madame la sénatrice. Je vous remercie de l’avoir soulevée.
L’une des choses que mon collègue et moi-même avons constatées — je pense en particulier à David Wright, pour qui c’était un thème important —, c’est que pour que ce régime fonctionne, le consentement des nations autochtones est une condition préalable à tous ces projets. Il faut fondamentalement regarder le point final et voir comment les choses se dérouleront. J’ai dit qu’en raison de la notion de « présomption » qui semble exister, une organisation comme celle de M. Ginsberg aurait beaucoup de mal à contester efficacement l’une de ces autorisations devant les tribunaux, car, si elle tente de faire valoir que le gouvernement n’a pas respecté les exigences de l’article 7, le tribunal répondra simplement : « Selon le Parlement, elles sont réputées avoir été respectées ». Cela dit, le Parlement ne peut évidemment pas faire fi de la Constitution en invoquant la notion de « présomption ».
Je dirais, en pesant mes mots avec soin, qu’il me semble problématique que, d’une certaine manière, les Premières Nations se retrouvent dans une position difficile, parce qu’elles ont leurs propres aspirations. Le Canada est actuellement au milieu d’une démarche de réconciliation. Que ce soit intentionnel ou non, en raison de ce projet de loi, les Premières Nations seront confrontées à ce que le gouvernement au pouvoir qualifiera de projets d’intérêt national. Il est très difficile de se retrouver dans une telle position.
Comme je l’ai dit, la seule façon d’éviter cette situation difficile, c’est de se concentrer sur des projets qui bénéficient du soutien des Premières Nations.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être ici, messieurs. J’ai travaillé longtemps, comme d’autres au Sénat d’ailleurs, sur le projet de loi C-48, qui interdisait l’accostage des pétroliers sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Ce projet de loi a été présenté pour des raisons environnementales, essentiellement dans le but de protéger la pêche et à la demande de certains groupes autochtones. On s’entend pour dire qu’à l’époque, il y avait une très grande division entre les groupes autochtones et les groupes non autochtones, les allochtones, sur ce projet de loi qui a ultimement été adopté.
La première ministre de l’Alberta a dit récemment qu’elle avait un certain intérêt à faire circuler son pétrole vers le port de Prince Rupert, parce que cela lui permet d’atteindre plus rapidement l’Asie. Vous avez mentionné que toute loi peut être suspendue conformément au projet de loi C-5. C’est ce que j’ai compris.
[Traduction]
Toute loi fédérale.
[Français]
Est-ce que cela veut dire que, si l’on considère qu’il s’agit d’un projet de loi d’intérêt national, on pourrait suspendre le projet de loi C-48? Je ne sais pas combien de temps on a travaillé là-dessus, mais ce projet de loi a été un choix de société qu’a fait le gouvernement précédent.
M. Olszynski : La réponse est oui, c’est assurément le cas. Il y aura toujours l’impératif constitutionnel ayant trait aux peuples autochtones, les droits relatifs à l’article 35, mais pour répondre à votre question sur le projet de loi C-48, oui, c’est exactement cela.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je voudrais discuter avec vous de la question des évaluations environnementales provinciales, parce qu’on a dit qu’on pouvait éliminer l’évaluation environnementale du gouvernement fédéral et ne garder que celles des provinces. Je pense, par exemple, à celles qui existent au Québec ou en Alberta. Que pouvez-vous nous dire sur les évaluations provinciales, si on les compare à l’évaluation du fédéral?
(1710)
M. Ginsberg : Je vous remercie de votre question. Les buts des évaluations environnementales fédérales et provinciales sont différents parce qu’il y a des divisions, différentes compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral. Cependant, il est possible de mettre sur pied des initiatives de collaboration entre ces ordres de gouvernement. Je crois qu’il est possible d’améliorer les méthodes de collaboration.
[Traduction]
Nous serions préoccupés par toute tentative d’abdication du rôle qui revient à l’État fédéral, parce que certaines questions relèvent exclusivement de la compétence du gouvernement fédéral. Nous pouvons coopérer tout en conservant chacun nos compétences respectives, comme l’exige la Constitution.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins. Ma première question s’adresse au professeur Olszynski.
Vous avez rédigé un billet de blogue au sujet du projet de loi C-5. Vous y écrivez ceci :
Comment la Couronne peut-elle remplir ses obligations de consultation (sans parler d’obtenir le consentement) concernant un grand projet d’intérêt national dans les délais courts qui semblent être envisagés par le gouvernement et les partisans de la mesure? La réponse n’est pas tout à fait claire […]
Pourriez-vous nous indiquer s’il existe un moyen d’améliorer ce projet de loi pour mieux garantir la tenue de véritables consultations avec les peuples autochtones?
M. Olszynski : Je vous remercie, sénateur, de votre question.
C’est une autre question difficile. Je reconnais que je ne peux évidemment pas parler au nom des nations autochtones, mais j’ai eu le privilège et la chance de travailler à leurs côtés à plusieurs reprises. Ce dont il est question ici, c’est du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il s’agit d’une norme éthique.
La réalité, c’est que nous avons des lois, bien sûr. Nous avons désormais une loi au Canada qui nous fait avancer dans la direction qui appuie la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. J’ai justement entendu vos remarques plus tôt aujourd’hui à la Chambre et je voudrais me faire l’écho de ce que vous avez dit : ce n’est pas vraiment un mystère, nous avons fait nos preuves et mis en place des processus pour accomplir ce travail. Nous pourrions le faire ici.
Le sénateur Prosper : Merci. Ma prochaine question s’adresse à M. Ginsberg.
Nous avons participé à une conférence de presse hier et nous étions ravis de vous y voir. Pourriez-vous nous en dire plus sur la disposition dite « Henri VIII » et nous faire part de vos suggestions pour la modifier afin de mieux limiter les pouvoirs étendus que le gouvernement cherche à obtenir au moyen de cette disposition?
M. Ginsberg : Merci, sénateur.
En ce qui concerne les modifications à la « disposition Henri VIII », comme je l’ai dit, la meilleure chose à faire, à notre avis, serait de la supprimer. Je dis cela parce que le projet de loi prévoit déjà un pouvoir très important et très étendu, à savoir la disposition de présomption dont j’ai parlé et dont le professeur Olszynski a parlé en détail. Cette disposition est très puissante et accomplit tout ce que la « disposition Henri VIII » peut faire pour permettre aux projets d’aller de l’avant dans des délais très courts.
La « disposition Henri VIII » est dangereuse parce qu’elle permet au Cabinet d’exempter des projets entiers de l’application de lois fédérales, notamment la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et, comme je l’ai dit, la Loi sur les espèces en péril. Il ne s’agit pas de simples lois procédurales ou d’obstacles sur la voie du développement; ces lois contiennent des dispositions importantes visant à prévenir des dommages irréversibles, comme le fait de conduire des espèces à l’extinction ou de polluer l’air et l’eau d’une manière qui menace la santé humaine et la santé de l’écosystème. Elles ne sont pas censées être écartées du revers de la main.
Comme le professeur Olszynski, je ne prête pas de malice au gouvernement en laissant entendre que dans son empressement à faire en sorte que les projets importants aillent de l’avant rapidement, il en a peut-être un peu trop fait et il propose d’empiéter un peu trop sur les compétences du Parlement. Il conviendrait de réduire la portée des pouvoirs prévus par le projet de loi.
M. Hatt : J’ajouterais rapidement un autre point, mesdames et messieurs les sénateurs.
Si le gouvernement souhaite obtenir un pouvoir aussi extraordinaire, il devrait expliquer pourquoi. À notre connaissance, il n’a encore fourni aucune justification qui expliquerait pourquoi ce pouvoir extraordinaire est nécessaire en plus des autres processus prévus dans le projet de loi.
La sénatrice Pupatello : Merci. La question que voici s’adresse à vous trois. Je vais tout d’abord vous donner quelques informations préliminaires, ce qui vous laissera le temps de réfléchir à votre réponse.
J’aimerais que chacun d’entre vous me donne des exemples de projets auxquels il a participé et qui ont permis d’atténuer considérablement des effets négatifs, ainsi que des projets qui ont été menés à bien et ont été de grands succès. Voici quelques mots sur mon expérience personnelle en matière de grands projets au sein du gouvernement de l’Ontario. Le plus important et le plus récent était le projet de raccordement entre l’autoroute 401 et le nouveau pont international Gordie-Howe. C’était, au début, une tâche impossible, et il a fallu toute ma carrière pour franchir toutes les étapes du processus. Finalement, nous avons maintenant plus d’espace naturel, une faune plus riche, plus d’espèces préservées, et plus de clôtures pour les serpents qui circulent dans ma région. C’est franchement un exemple fantastique : des groupes ont uni leurs forces sans y être forcés par la loi, grâce à la prise de conscience qui entoure les grands projets dans nos communautés, particulièrement au milieu d’un centre urbain comme le mien, situé au cœur du corridor commercial du continent.
Je suis donc très optimiste à l’égard de ces grands projets, indépendamment des lois ou de tout autre texte écrit. Nous faisons ce qu’il faut et nous le faisons très bien depuis longtemps.
Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’exemples de grands projets au Canada. C’est pourquoi je pense que le temps presse dans le cas présent et pourquoi vous conviendrez probablement tous les trois que nous sommes déjà en pleine crise économique, surtout moi qui viens de Windsor, où le taux de chômage dépasse 10 %. Il faut des projets de l’envergure du pont international Gordie-Howe, et il en faut davantage pour arriver à maintenir ces emplois et pour faciliter l’acheminement des exportations jusqu’à la frontière. Il faut savoir que les groupes environnementaux, qui font un travail fantastique, peuvent nous aider à y parvenir.
Après ces quelques informations préliminaires, veuillez me donner vos meilleurs exemples de cas où une telle chose a fonctionné et me parler des mesures d’atténuation que vous avez aidé à mettre en place pour faire avancer ce genre de projets.
M. Olszynski : Je peux donner des exemples de projets auxquels j’ai pris part en tant que témoin expert. Malheureusement, je vais devoir, avec votre permission, modifier légèrement votre question, sénatrice. Mes exemples vont dans l’autre sens, mais je pense pouvoir revenir là-dessus et j’espère que vous m’accorderez cette petite concession.
J’ai été témoin expert lors de l’élaboration du projet de mine de charbon Grassy Mountain, dans le sud-est de l’Alberta. Ce projet a finalement été rejeté par l’organisme de réglementation. L’important manque de renseignements nécessaires pour parvenir à déterminer les effets que ce projet aurait eus faisait partie des aspects qui m’ont semblé problématiques.
J’ai hésité à en parler, mais c’est le moment idéal pour expliquer pourquoi nous sommes tous ici. Il semble essentiellement y avoir un problème épineux en ce qui concerne le niveau et l’exhaustivité des renseignements utilisés pour prendre des décisions sur les projets. Les promoteurs et leurs consultants estiment généralement que les gouvernements demandent trop de renseignements, ce qui donne lieu à des séries de demandes. Voilà ce qui retarde les projets. Le promoteur effectue, disons, une étude préliminaire d’un an, mais le gouvernement ou les parties prenantes, peut-être une Première Nation, réclament une étude préliminaire de trois ans, car une année, ce n’est qu’une année. Elles n’ont pas tort : il est difficile de se baser sur une seule année d’études pour évaluer les effets d’un projet.
(1720)
C’est là où le bât blesse. Je siège au Conseil consultatif du ministre sur l’évaluation d’impact, où nous sommes conscients que tout ce débat sur l’examen des projets se déroule depuis cinq ans dans un vide factuel. Beaucoup de choses positives peuvent se produire, et de nombreuses innovations sont mises en œuvre au niveau des projets pour les faire avancer, comme l’adaptation des évaluations d’impact et la tentative d’instaurer des mesures d’atténuation plus standardisées, mais tout cela se passe en coulisses. Les voix fortes ne font que dire « plus vite, plus vite, plus vite ».
C’est justement cette situation qui me préoccupe.
La sénatrice Pupatello : Je sais que vous alliez me donner un exemple ensuite, mais peut-être que vos collègues auront des exemples à ajouter au compte rendu.
Nicolas Lapointe, Principal biologiste de la conservation en matière d'écologie des eaux douces, Fédération canadienne de la faune : J’aurais aimé avoir un exemple clair à vous donner. Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi nous n’en avons pas. D’une part, ce n’est pas notre véritable métier que de travailler sur des projets d’exploitation et sur les mesures d’atténuation et d’évitement qui s’y rapportent. Ce sont généralement l’industrie et le gouvernement qui s’en chargent.
J’ai un court exemple : la Fédération canadienne de la faune a travaillé avec la Nation Takla et le CN sur un projet de restauration où nous avons enlevé un passage à niveau abandonné qui bloquait l’accès des saumons kokani et d’autres espèces de poissons à une grande partie de leur habitat en amont, et cette collaboration a été un grand succès.
On pourrait parler d’un grand nombre de projets de restauration écologique à grande échelle qui seraient dans l’intérêt national et sur lesquels nous pourrions collaborer. Cependant, je comprends que votre question est d’une nature différente. L’une des principales raisons pour lesquelles nous avons du mal à trouver des exemples est que, jusqu’à présent, l’objectif que nous nous efforçons d’atteindre est l’absence de perte nette. Dans le cadre d’un certain projet, après avoir appliqué des mesures d’évitement, d’atténuation et de compensation, on s’est efforcé de ne pas avoir de perte nette d’avantages et d’attributs environnementaux. À ce jour, en moyenne, nous n’y sommes pas parvenus.
Si nous pouvons passer à un objectif de gain net, c’est-à-dire mener ces projets à bien tout en investissant dans des travaux de restauration suffisants pour obtenir le gain net visé dans le cadre du projet...
Le président : Merci monsieur.
Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à M. Olszynski. Je crains que le projet de loi C-5 ne prévoie aucun mécanisme permettant de suspendre ou d’annuler un projet une fois que le document d’autorisation unique a été délivré, même si de nouvelles preuves révèlent par la suite que le projet entraîne d’importantes conséquences sociales ou environnementales imprévues. À votre avis, le projet de loi devrait-il inclure un mécanisme de révision obligatoire ou une disposition d’annulation afin de permettre une réévaluation et la prise de mesures correctives après l’approbation?
M. Olszynski : Il est vrai qu’un projet peut être supprimé de la liste, mais uniquement jusqu’à ce que l’autorisation prévue à l’article 7 soit délivrée. Il est difficile d’imaginer qu’un projet de loi comme celui-ci, dont l’objectif est précisément de créer une certitude ou de donner rapidement le feu vert, puisse contenir une disposition qui révoque ce feu vert. J’imagine qu’il serait difficile de concilier ces deux impératifs.
Il existe toutefois un pouvoir permettant de modifier les conditions d’un projet au fil du temps. Ce pouvoir est explicitement mentionné. Sa présence est importante. La question qui se pose alors est en quelque sorte la suivante : que pouvez-vous faire avec cette modification de l’étendue des conditions? Cela pourrait signifier qu’en fin de compte, si on a déterminé qu’un effet ou un impact n’est pas acceptable, il est possible de modifier les conditions pour essayer de l’atténuer, voire de l’éliminer, mais pour répondre à votre première question, je pense que dans le contexte d’un projet de loi qui dit oui d’emblée, il serait difficile d’inclure une chose comme celle-là.
Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à M. Southey. Dans vos observations, vous avez expressément mentionné les réserves d’habitats établies par des tiers. Je suis un fervent partisan de cette idée. Je pense que c’est un excellent moyen de s’assurer qu’un habitat est en place et remplit pleinement sa fonction avant d’être utilisé pour compenser un projet. Le fait que cette solution ne soit pas plus largement utilisée est pour moi une source constante de contrariété. Pourriez-vous nous donner votre avis sur les raisons de cette situation et sur les mesures à prendre pour que cette solution soit appliquée de manière plus générale, et pas seulement dans le cadre de ce projet de loi?
M. Southey : Il y a plusieurs pays dans le monde où des économies solides axées sur la restauration ont été créées grâce à des dispositions établissant des réserves d’habitats par des tiers. C’est notamment le cas de nos amis du Sud. Rien n’empêche le Canada d’avoir lui aussi un tel système.
Il s’agit simplement d’intégrer les outils appropriés dans l’arsenal législatif. Pour cela, il faudra créer de nouvelles capacités au sein de Pêches et Océans Canada pour que ses fonctionnaires sachent comment gérer, par exemple, la mise en place de mesures compensatoires pour les pêches. Il n’y a aucune raison pour que ces capacités ne soient pas mises en place rapidement. Cela exige que les interlocuteurs, — qu’il s’agisse d’une organisation non gouvernementale, d’un groupe autochtone ou d’une société d’experts-conseils — comprennent les règles du jeu et soient en mesure de mettre rapidement en place ces mécanismes. Cependant, nous ne pensons pas que ce soit une tâche insurmontable.
Nous nous penchons sur cet enjeu au Canada depuis 5 à 10 ans. Nous avons de nombreux alliés. Nous croyons que nous pourrions mettre en place un tel système rapidement. Cependant, même si c’est le cas, la mise en œuvre prendrait un certain temps. Or, à long terme, cela aurait l’avantage d’instaurer une économie et une culture axées sur la restauration et dirigées par les peuples autochtones, les ONG locales et les gouvernements locaux qui pourraient améliorer le sort des collectivités et stimuler l’économie. Comme vous, nous sommes de grands partisans de ce système.
Le sénateur Klyne : Messieurs, en 2022, RBC publiait un rapport intitulé 92 à zéro : Comment la réconciliation économique peut contribuer à la réalisation des objectifs climatiques du Canada. Ce rapport soulignait que l’atteinte de la carboneutralité :
[...] reposera sur des sources cruciales de capitaux conservés par les nations autochtones. RBC estime que le Canada aura besoin d’environ 2 billions de dollars de capitaux au cours des 25 prochaines années, une grande partie de ces fonds provenant de sources autochtones, ou de partenariats autochtones, notamment de propriétés autochtones.
Le rapport indique que les terres autochtones comportent d’importantes ressources essentielles aux systèmes d’énergie verte, notamment 56 % des projets de mines de minéraux critiques.
Compte tenu de l’urgence du développement économique, si le gouvernement envisage de donner la priorité à certains projets d’exploitation de minéraux critiques sur des terres autochtones, pouvez-vous nous expliquer comment se dérouleraient les consultations et la prise de décision sous le régime du projet de loi C-5 par rapport à la situation actuelle?
M. Ginsberg : Je peux certainement commencer. L’une de nos principales préoccupations, préoccupation que partagent les groupes autochtones qui ont comparu devant vous, c’est que le projet de loi ne mentionne pas explicitement le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause par les nations autochtones à l’égard des types de projets dont vous parlez.
Il se peut effectivement que de vastes richesses se trouvent sur les terres autochtones, et que les peuples autochtones veuillent les exploiter, mais ces décisions doivent être prises avec eux et par eux, plutôt que sans eux. C’est la position que nous défendons clairement.
Pour ce qui est de votre question sur les différences entre la situation d’avant et la situation d’après, ce qui nous préoccupe, depuis que nous avons examiné le projet de loi, c’est l’idée qu’on puisse maintenant approuver le projet pendant l’évaluation environnementale, car c’est à ce moment-là que nous pouvons savoir quels sont les répercussions et les avantages réels pour les nations autochtones. L’évaluation environnementale est un élément essentiel du processus de consultation. C’est inclus dans ce projet de loi. Il y a encore des évaluations environnementales, mais l’issue est déterminée d’avance. Quoi qu’il arrive, on dira toujours oui lors de l’évaluation environnementale. On ne peut pas appeler cela une véritable consultation, car si on connaît l’issue d’avance, toute discussion devient inutile et la consultation n’aura servi à rien.
Nous disons donc que le projet de loi devrait être révisé de manière à ce que les nations autochtones aient toujours leur mot à dire lorsqu’il s’agit de déterminer l’issue du processus et la façon procéder.
Le sénateur Klyne : Cela nous ramène aux questions du sénateur Wilson et à certaines de vos observations liminaires. Toutefois, la partie 2 du projet de loi C-5 permettrait au Cabinet d’exempter un projet d’intérêt national de l’application de certaines lois environnementales du Canada. Pour ne citer que quelques exemples, l’annexe 2 du projet de loi prévoit que le Cabinet peut adopter des règlements pour exempter des projets de l’application de la Loi sur les pêches, de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et de la Loi sur les espèces en péril.
(1730)
Les Canadiens peuvent s’inquiéter de ce que de telles exemptions pourraient signifier pour, par exemple, l’habitat des poissons, les oiseaux migrateurs, la pollution toxique pénétrant dans l’environnement et les communautés, ou la protection des espèces en voie de disparition. Craignez-vous que ces exemptions ne nuisent à l’environnement, à la faune et à la population, et quels conseils donneriez-vous aux sénateurs?
M. Olszynski : Oui, cela m’inquiète. C’est la partie délicate du projet de loi, bien entendu. Le gouvernement va promettre d’exercer ce pouvoir de manière judicieuse, mais il n’en demeure pas moins que le pouvoir existera et qu’on cherchera à s’en servir, car un projet coûte moins cher quand on ne se préoccupe pas de l’habitat des poissons ou des oiseaux migrateurs ou des substances toxiques. Il est certain que des promoteurs feront pression pour que le gouvernement exerce ce pouvoir.
La question que je me pose est la suivante : si le gouvernement n’a pas l’intention de se servir de ce pouvoir, pourquoi se l’accorde-t-il? Dans un sens, cela semble inoffensif, car on dit « le gouvernement va dire non ». Or, c’est le nouvel organe bureaucratique qui sera créé pour mettre en œuvre le projet de loi et qui réunira une petite armée de fonctionnaires qui gérera toutes les demandes de modification des normes qui s’appliquent aux projets à l’heure actuelle ou les demandes de dérogation à ces normes.
Comme l’a exprimé M. Ginsberg au nom de la communauté qu’il représente, à mon avis, il faut éliminer cette échappatoire. Il faut retirer cette possibilité. Bien franchement, nos normes ne sont même pas particulièrement strictes. Gardons-les comme elles sont et obligeons le gouvernement et les promoteurs à les respecter. Faisons ce qu’il faut faire et finissons-en au lieu de constamment remettre en question telle ou telle loi ou si telle ou telle disposition doit s’appliquer ou non.
Le président : Merci.
La sénatrice Simons : Professeur Olszynski, je suis très heureuse que vous puissiez vous joindre à nous depuis Calgary aujourd’hui. J’aimerais revenir sur vos remarques liminaires concernant l’article 7 et la manière dont vous estimez qu’il pourrait limiter le contrôle judiciaire. Je sais que vous avez brièvement abordé ce sujet dans votre réponse à la sénatrice Coyle, mais je me demandais si vous pouviez être un peu plus explicite sur la manière dont vous pensez que l’article 7 lie les mains du tribunal, et si vous croyez qu’il s’agit là du pire scénario possible ou d’une interprétation probable.
M. Olszynski : Merci de la question, madame la sénatrice. Je me demandais à quel point je voulais insister sur cet aspect, mais j’imagine que vous me forcez un peu la main.
Je dirai très clairement qu’une fois qu’une autorisation en vertu de l’article 7 est accordée, elle me semble à l’abri de toute contestation judiciaire qui pourrait être intentée pour des motifs environnementaux normaux.
Encore une fois, c’est cette idée que les lois environnementales sont tournées vers l’intérieur et vers l’extérieur. Elles lient le gouvernement, mais je le répète, ce ne sont pas des contraintes strictes. Il s’agit plutôt d’exigences invitant le gouvernement à prendre en compte certains éléments, à appliquer le principe de précaution et à respecter le principe d’intégrité scientifique. Imaginons qu’une de ces autorisations soit accordée et qu’il soit clair qu’aucune de ces exigences n’est respectée. On pourrait alors tenter de saisir les tribunaux de l’affaire pour obtenir un contrôle judiciaire, mais ceux-ci répondraient que cela n’a pas d’importance, car le Parlement a déjà jugé que les exigences étaient respectées.
Dans un sens, c’est la séparation des pouvoirs qui est actuellement en vigueur, mais d’une manière vraiment perverse, dans la mesure où le pouvoir législatif — cette institution — aura empêché les tribunaux d’établir les faits, qui seront remplacés par ces fictions juridiques. C’est du moins ce que je comprends.
Cette situation peut sembler inquiétante. Beaucoup d’exemples chez nos voisins du Sud montrent le rôle important que jouent les tribunaux dans la supervision du pouvoir exécutif. Pourtant, mis à part l’exception importante prévue à l’article 35, qui porte sur les droits des Autochtones et les litiges qui peuvent être intentés — notamment une allégation de consultation ou d’accommodement insuffisant —, je crois comprendre que, s’il n’y a pas la moindre disposition privative... Par le passé, les tribunaux sont intervenus de façon limitée. Ils peuvent seulement examiner une question de droit ou appliquer la norme de la décision raisonnable ou la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Sans recourir à ce libellé, je crois — en fait, j’en suis tout à fait convaincu — que le mécanisme prévu à l’article 7 empêche essentiellement de contester des projets, sauf pour des motifs constitutionnels.
Le président : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à tous d’être présents. Ma question s’adresse d’abord à vous, professeur, mais j’aimerais que chacun d’entre vous y réponde.
Vous et beaucoup d’autres avez décrit le projet de loi C-5 comme un véritable coup de force. Il donnerait au gouvernement le pouvoir de faire fi des lois qui sont censées s’appliquer à nous tous pour protéger la santé et le bien-être des Canadiens, préserver l’environnement et remplir les obligations du Canada à l’égard des peuples autochtones — les Premières Nations, les Inuit et les Métis. En fait, le gouvernement et les énormes projets d’exploitation des ressources que ce projet de loi vise à promouvoir seraient au-dessus des lois.
Vous avez mentionné le projet de loi 5 en Ontario. Je n’ai pas connaissance d’autres lois qui donnent au Cabinet le pouvoir d’adopter des règlements qui exemptent des projets de l’application de lois et de mesures de protection en matière d’environnement ou autres. Et vous?
M. Olszynski : Je suis heureux que vous me posiez cette question. Il y a le projet de loi 5 en Ontario. Le projet de loi 15 en Colombie-Britannique prévoit quelque chose de similaire, mais il est beaucoup plus détaillé. Il comporte trois ou quatre dispositions. J’en ai une copie et je serais heureux de vous la transmettre si vous le souhaitez. J’en ai parlé, mais je tiens à souligner le point suivant : dans ma province, l’Alberta, la première ministre Danielle Smith a effectivement cherché à obtenir un pouvoir extrêmement étendu semblable à celui accordé par la clause Henri VIII, mais elle a capitulé en raison de l’opposition du public. Ce pouvoir a été limité à l’adoption de règlements qui, certes, peuvent modifier d’autres règlements, mais sans accès au recueil des lois et aux lois que vous avez le devoir d’adopter au Sénat et à l’autre endroit.
De plus, le premier ministre Eby, dans un projet de loi antérieur — un projet de loi sur les droits de douane, en quelque sorte —, a invoqué ce pouvoir d’urgence en prétextant qu’il en avait besoin. Il l’a demandé de manière sommaire. L’opposition conservatrice et d’autres groupes ont vivement critiqué cette initiative, et le premier ministre Eby a également fait marche arrière et restreint ces dispositions.
Il existe un précédent clair qui justifie la restriction. À l’heure actuelle, il ne s’agit que de ce projet de loi et du projet de loi 5 en Ontario.
M. Ginsberg : J’ajouterai peut-être très brièvement qu’il y a une différence importante entre ce que M. Olszynski mentionne et une exception à une règle contenue dans une loi — les avocats spécialisés en environnement disent souvent : « Voici la règle et voici les exceptions. » C’est normal. Nous pourrions débattre de la pertinence de ces exceptions, mais, quoi qu’il en soit, cette façon de faire est courante. Ensuite, il y a le mécanisme « Henri VIII », qui dit que c’est le Cabinet — le pouvoir exécutif — qui décide quand les lois s’appliquent. Normalement, c’est le travail du Parlement, et non celui du pouvoir exécutif, surtout quand ce mécanisme a une portée tellement large que non seulement une disposition d’une loi, mais une loi en entier ne s’applique pas ou peut être changée en bloc. Le pouvoir dont il est question ici consiste en fait à modifier les lois à volonté, et non pas simplement à décider de les appliquer ou non. C’est ce qui est si préoccupant et sans précédent dans ce projet de loi.
La sénatrice Moodie : Ma question s’adresse à M. Southey. J’aimerais parler un peu de mesures d’atténuation environnementale, si vous le voulez bien.
Le premier ministre semble soutenir la technologie de captage du carbone et la voir comme faisant partie d’une approche d’atténuation des changements climatiques qui pourrait être jumelée à l’exploitation des ressources. Êtes-vous d’accord? Vous pourriez peut-être aussi nous dire ce que vous pensez des projets d’intérêt national qui tentent d’utiliser cette technologie comme mesure d’atténuation.
M. Southey : Merci, sénatrice. Je représente une organisation non gouvernementale vouée à la biodiversité et à la nature. Nous sommes conscients des conséquences indescriptibles que les changements climatiques auront sur la faune et la flore. Nous avons pour but de contribuer, autant que possible, à atténuer les risques liés aux changements climatiques.
Comme mes collègues l’ont mentionné, les bonnes méthodes donnent de bons résultats. À propos des technologies envisagées, il faut simplement vérifier qu’elles répondent honnêtement aux attentes. Elles doivent avoir été testées et validées pour confirmer qu’elles sont aussi efficaces que prévu. Nous croyons que le captage du carbone est essentiel dans un contexte de crise climatique et qu’il peut se faire en grande partie de manière naturelle. Il s’agit d’utiliser les méthodes naturelles comme le reboisement et la préservation des forêts vierges de façon à les garder saines et en santé. Toutefois, nous pourrions également devoir nous tourner vers des solutions technologiques, qui seraient intégrées à notre modèle de développement.
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M. Hatt : Sénatrice, j’ajouterais brièvement qu’il n’y a aucune raison pour que la technologie de captage du carbone, en particulier si elle est utilisée à grande échelle, ne soit pas soumise, d’une part, aux mêmes obligations relatives aux évaluations et aux données probantes que celles exigées des autres technologies et, d’autre part, à un processus de consultation constitutionnelle en bonne et due forme avec les intervenants autochtones, y compris pour obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des nations autochtones touchées.
La dernière chose que je dirai, c’est que, au fond, le captage de carbone ne peut qu’être une infime partie de la solution au problème des changements climatiques, car ce problème découle de l’utilisation et de la combustion des combustibles fossiles. Nous ne pouvons pas échapper à cette réalité.
La sénatrice Petten : Je remercie tous les témoins de leur présence ici aujourd’hui. Ma question s’adresse au professeur Olszynski.
Le projet de loi indique que l’un des buts consiste à contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques. Il précise que le document d’approbation sera délivré une fois que la Commission canadienne de sûreté nucléaire et la Régie canadienne de l’énergie sont toutes deux convaincues que la délivrance du document ne compromettra pas la santé ou la sécurité des personnes.
Comme vous le savez peut-être, le Sénat a récemment adopté le projet de loi C-49, qui modifie la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada—Terre-Neuve-et-Labrador et la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada—Nouvelle-Écosse et qui permet la réalisation de projets d’énergie renouvelable extracôtière. Je suis une sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador. À votre avis, quels effets positifs aura le projet de loi sur les projets d’énergie propres des provinces de l’Atlantique, y compris Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Olszynski : Je vais simplement répéter ce que j’ai dit. Je soutiens l’idée de ce projet de loi. Je reconnais que la situation est franchement très étrange au Sud de la frontière et que nous devons protéger notre souveraineté et notre sécurité économique, ainsi que tout le travail qui va avec. Il est intéressant de noter que, malgré les problèmes que posent certaines parties de ce projet de loi, il n’est pas nécessaire d’y apporter des modifications majeures pour le rendre plus cohérent sur le plan des normes démocratiques et environnementales.
En ce qui concerne le potentiel dont vous avez parlé, il se peut que, dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne soit pas mauvais pour ce développement. Toutefois, je pense également qu’un projet de loi plus strict, étayé du respect des lois et des conditions environnementales fondamentales, serait aussi efficace. En fait, on a récemment réalisé un excellent travail dans le cadre d’évaluations régionales sur l’énergie éolienne en mer. Je comprends qu’il y ait beaucoup d’enthousiasme. L’idée de base du projet de loi est bonne. Mes commentaires et mes suggestions visent à améliorer ce projet de loi, qui permettrait tout de même de réaliser de grandes choses pour ce type de projets.
Le sénateur Cardozo : Nous avons eu une discussion fructueuse au sujet des dispositions 21, 22 et 23, les fameuses clauses Henri VIII. D’une certaine manière, ce sont des dispositions de dérogation. Elles indiquent que le gouvernement peut aller de l’avant malgré la liste des lois énumérées à l’annexe 2. Y a-t-il un moyen de limiter ce recours, autre que de le supprimer, comme vous le suggérez? Je pense soit à une disposition de caducité, soit à une obligation de soumettre l’invocation de cet article au Parlement à des fins d’information.
Nous n’avons pas encore abordé le processus, mais le temps presse. La Chambre s’ajournera à la fin de la semaine, et nous voterons sur ce projet de loi la semaine prochaine. Si nous pouvions faire en sorte que la Chambre adopte ces amendements cette semaine, cela faciliterait grandement les choses. Avez-vous des suggestions pour baliser l’utilisation de ces dispositions?
M. Olszynski : Nous pourrions simplement supprimer la référence aux textes législatifs à l’article 22. On pourrait donc avoir le pouvoir de modifier des règlements, d’étoffer les dispositions législatives ou même de modifier les règlements d’application d’autres lois. C’est très bien.
Quand on y pense, cette Chambre et l’autre endroit sont les principaux organes législatifs, et l’exécutif adopte des dispositions législatives subordonnées. Les règlements sont des dispositions législatives subordonnées. Je ne vois aucun inconvénient à ce que des dispositions législatives subordonnées modifient d’autres dispositions législatives subordonnées. Il serait cependant inusité que des dispositions législatives subordonnées puissent modifier les dispositions législatives principales dont vous avez débattu et que vous avez adoptées. Vous pourriez simplement supprimer les références aux textes législatifs, et cela deviendrait alors un pouvoir de modifier des règlements, ce qui est généralement très bien.
C’est intéressant, même si je n’ai pas entendu parler de cette autre possibilité. Effectivement, l’autre possibilité consisterait essentiellement à demander le consentement de la Chambre et de l’autre endroit lorsqu’on veut modifier une loi. Encore une fois, cela vous permettrait d’intervenir de nouveau dans le processus et de rendre ce système plus transparent, ce qui est très important pour la reddition de comptes. Je pense donc qu’il y a des moyens de le faire.
Le sénateur Cardozo : Où parle-t-on des textes législatifs? Est-ce à l’article 21?
M. Olszynski : C’est à l’article 22, en fait.
Le sénateur Cardozo : À quoi ressemblerait la version amendée, au lieu de se lire « Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre responsable [...] »?
M. Olszynski : Oui. On peut lire : « Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation [...] prendre des règlements [...] exemptant un ou plusieurs projets d’intérêt national de l’application de toute disposition du texte législatif. » Je supprimerais « de toute disposition du texte législatif » pour dire simplement « de l’application de toute disposition des règlements pris en vertu d’un texte législatif ».
Le sénateur Cardozo : Pour ce qui est des lois énumérées dans la première liste à la partie 1 de l’annexe 2, elles ne seraient pas touchées. Seuls les règlements à la partie 2 de l’annexe 2 seraient visés. Est-ce exact?
M. Olszynski : Oui, c’est exact.
Le sénateur Cardozo : Il s’agit là d’un changement important.
M. Olszynski : Ce ne sont que quelques mots.
Le sénateur Cardozo : Que pensez-vous d’ajouter une disposition de caducité?
M. Olszynski : La mesure législative en contient déjà une.
Le sénateur Cardozo : Non, elle ne contient qu’une disposition d’examen.
M. Olszynski : Le pouvoir d’inscrire des projets prend fin après cinq ans, puis il y a une disposition d’examen à l’article 24. Cela a fait l’objet de discussions, car cinq ans semblent être une période très longue. Une période de trois ans serait peut-être préférable.
Le sénateur Cardozo : Quels types de projets suggéreriez-vous qui seraient durables tout en étant avantageux sur le plan économique?
M. Olszynski : Je ne sais pas si mes collègues souhaitent intervenir, mais il y a manifestement beaucoup d’enthousiasme à propos du projet de raccordement électrique Est-Ouest. Je pense que c’est extrêmement important. Ce n’est pas mon domaine d’expertise, mais c’est quelque chose que nous devrions encourager, surtout quand on sait que la plupart de nos échanges d’électricité se font du Nord au Sud. Ce n’est pas logique. Nous devrions avoir un réseau national. J’aime les trains. Nous sommes ici dans une gare. Un train à grande vitesse serait donc une excellente idée. Je ne sais pas si mes collègues ont quelque chose à ajouter.
M. Ginsberg : Sans nommer de projet particulier parce que, comme l’a dit le ministre, les promoteurs doivent présenter les projets, en ce qui concerne ce qui est approprié pour cette mesure, je voudrais revenir à mon observation à propos des critères, à savoir qu’il faut que les projets soient non seulement des accélérateurs économiques, mais aussi des accélérateurs de nos ambitions et objectifs environnementaux, parce que ces deux éléments vont de pair et ne peuvent pas être dissociés.
Le président : Honorables sénateurs, le comité entend les témoins depuis maintenant 75 minutes, et je regrette de devoir interrompre les délibérations.
Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.
Des voix : Bravo!
Le président : Honorables sénateurs, est-il convenu que je fasse rapport du fait que le comité a terminé ses travaux pour aujourd’hui?
Des voix : D’accord.
(1750)
[Français]
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.
Rapport du comité plénier
L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, fait rapport du fait qu’il a terminé ses travaux pour aujourd’hui.
Le Sénat
Hommages aux pages
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, des pages nous quitteront cette année.
J’aimerais vous signaler que Rebekah Jayalath — qui n’est malheureusement pas avec nous aujourd’hui — nous quittera.
[Traduction]
Mme Jayalath obtiendra l’année prochaine un baccalauréat en biologie avec concentration en conservation et diversité. Elle espère poursuivre ses études dans sa province, l’Alberta, pour devenir pédopsychiatre. C’est un honneur pour elle d’avoir été page au Sénat au cours de la dernière année et elle est sincèrement reconnaissante de tout ce qu’elle a appris lors des activités sociales, des séances et des réunions de comités. Surtout, elle est reconnaissante d’avoir rencontré tant de collègues et d’amis formidables grâce à cette expérience spontanée, mais enrichissante.
Passons à Allan Buri. M. Buri a eu l’honneur de découvrir le travail du Sénat au cours de la dernière année. Il quittera le Programme des pages afin de faire une année de stages d’enseignement coopératif avant d’entamer sa dernière année d’études, où il se spécialisera en politique sociale à l’Université Carleton. Il se réjouit à l’idée d’avoir de nouvelles occasions d’approfondir ses connaissances dans l’avenir et tient à remercier tout particulièrement ses formidables collègues pages, le Bureau de l’huissier du bâton noir ainsi que sa famille et ses amis pour tous les souvenirs et pour le soutien qu’ils lui ont apporté.
[Français]
Sola Dupain est originaire de Victoria en Colombie-Britannique et elle entamera sa dernière année d’études en sciences politiques à l’Université d’Ottawa. Elle était honorée de représenter les communautés canadienne-française et japonaise dans le cadre du Programme des pages du Sénat et elle attend avec impatience de voir ce que l’avenir lui réserve. Elle espère rester au Sénat durant sa dernière année de premier cycle. Sola est incroyablement reconnaissante d’avoir pu participer à ce programme et tient à remercier sa famille, le bureau de l’huissier du bâton noir et tous ses collègues grâce à qui ses deux dernières années comme page ont été aussi mémorables.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Le caporal-chef Ranger Richard Newell, CD
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, les Canadiens tournent leur attention vers le Nord canadien et la défense de notre territoire et ils pensent aux Rangers. Les Rangers sont présents au Yukon depuis une centaine d’années. Ils forment un groupe diversifié, inclusif et accueillant. Il y a une liste d’attente pour se joindre aux rangers de Whitehorse.
Le Nord canadien ce n’est pas que la côte le long des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut et de la frontière entre les États-Unis et le Canada au Yukon, dans la mer de Beaufort. Il existe également une frontière terrestre de près de 2 500 kilomètres entre l’Alaska et le Yukon où, pour reprendre les mots de Robert Service, les terres sont « tranquilles et inhabitées », pour l’essentiel, si l’on ne tient pas compte des ballons-sondes.
Les rangers patrouillent régulièrement le long de cette frontière terrestre, parfois avec la GRC. Les Yukonnais éprouvent de la reconnaissance envers les Rangers canadiens. J’ai été fière de rendre hommage à huit d’entre eux en leur remettant la Médaille du couronnement du roi Charles III au cours des derniers mois, un peu partout au Yukon.
Honorables sénateurs, ces rangers et de nombreux Yukonnais se sont récemment réunis pour rendre hommage à l’un des leurs. Le 13 juin, jour du 127e anniversaire du Yukon, le lieutenant-colonel T.A. Hanes, commandant du 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens, basé à la Force opérationnelle interarmées (Nord), à Yellowknife, et le lieutenant-général Michael Wright, commandant de l’armée canadienne, se sont joints aux Yukonnais au Centre d’instruction d’été des cadets de Whitehorse, le Camp Boyle, pour rendre hommage au caporal-chef des rangers, Richard Newell.
Né le 24 février 1940 à Oshawa, en Ontario, Richard Newell s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes le 13 septembre 1957, à Toronto, en tant que commis d’administration. En 1963, alors qu’il est affecté à la 1re Batterie de missile surface-surface, il est déployé en Allemagne. Au sein des Forces armées canadiennes, Richard Newell a occupé plusieurs fonctions, allant des unités équipées d’armes nucléaires au soutien des opérations de l’OTAN, et il a voyagé dans tout le pays.
En 1987, il s’est joint à la patrouille des rangers de Carcross, au Yukon, et il a participé à plus de 20 exercices de rangers documentés, ce qui lui a valu la Médaille du service spécial, décernée à des membres des Forces armées canadiennes pour avoir « participé à des activités ou à des opérations dans des circonstances exceptionnelles ».
À cette occasion, le ranger Richard Newell a reçu la Décoration des Forces canadiennes, ou CD, décernée pour 12 années de service. Une agrafe est décernée pour chaque période subséquente de 10 années de bonne conduite. Jusqu’à cette cérémonie, seules quatre personnes avaient reçu leur cinquième agrafe, attestant de 62 années de service. Les autres? La reine-mère; feu Son Altesse Royale le prince Phillip, duc d’Edimbourg; Son Altesse Royale la princesse Alexandra de Kent; et feu le commodore de l’air Leonard Joseph Birchall. Richard Newell est entré dans l’histoire en devenant le cinquième récipiendaire, le deuxième encore en vie et le seul à continuer à servir.
Ce fut un véritable honneur de me joindre aux rangers de tout le Yukon et d’Atlin, en Colombie-Britannique, aux invités de marque des Forces canadiennes et à la famille de Richard Newell, pour assister à la remise de ce prix.
Au caporal-chef Newell, ainsi qu’aux rangers du Yukon et de tout le Canada, merci pour votre service. Shäw níthän, mahsi’cho, gùnáłchîsh.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Nigar Nazar, première bédéiste du Pakistan et du monde islamique, de même que de Muhammad Saleem, haut-commissaire désigné de la République islamique du Pakistan. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Ataullahjan.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Nigar Nazar
L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, certains artistes peignent la beauté, d’autres peignent la vérité, mais de temps à autre, l’un d’entre eux prend un crayon et dessine une voie à suivre. Nigar Nazar est l’une de ces artistes. Elle est la première femme caricaturiste au Pakistan et la première femme caricaturiste dans le monde musulman. Une force tranquille qui a redessiné la carte avec des traits d’espoir, d’empathie et d’imagination.
Elle a commencé des études de médecine, mais a trouvé sa vocation non pas dans les stéthoscopes, mais dans les carnets de croquis. Dans un pays où l’illustration de bandes dessinées n’était pas officiellement enseignée, elle a appris par elle-même. Pour bien des gens, elle est simplement connue comme la créatrice de Gogi.
Je me souviens que lorsque j’étais jeune femme, je feuilletais le journal du matin et je tombais sur Gogi, qui est intelligente, audacieuse et toujours à notre image. Elle exprimait ce que beaucoup d’entre nous pensaient, mais n’osaient pas encore dire. Elle n’était pas seulement un personnage de bande dessinée. Elle était une voix, un miroir, une sorte de révolution tranquille. Mme Nazar utilisait Gogi pour parler de sujets difficiles : l’éducation des filles, la santé et les inégalités. On voyait ses bandes dessinées dans les journaux, dans les autobus, sur les murs des hôpitaux, sur les portes des écoles, et même dans les camps de réfugiés. Partout où les gens avaient besoin d’une raison de réfléchir ou d’espérer, Gogi était là.
(1800)
Quand les écoles ont fermé pendant la pandémie de COVID-19, Mme Nazar n’a pas attendu que les cours reprennent. Elle a apporté l’éducation aux enfants. Elle a chargé des livres de Gogi sur un chameau, puis elle s’est rendue dans un village dans le désert. Elle a baptisé son chameau Roshan, qui signifie « l’illuminé ». Comme elle l’a dit, elle voulait allumer une bougie pour dissiper l’obscurité de l’analphabétisme. Roshan a apporté des histoires aux enfants et il leur a donné un moyen de continuer à apprendre dans des endroits où les autobus ne pouvaient pas se rendre.
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les programmes d’action communautaire de Mme Nazar ont permis de distribuer plus de 34 000 livres. On raconte que les parents d’une petite fille avaient décidé qu’elle n’irait plus à l’école. Cette dernière a lu à ses parents une bande dessinée de Gogi sur l’importance de l’éducation, puis son père a décidé qu’elle devait continuer à aller à l’école.
Toutefois, le véritable héritage de Mme Nazar ne se limite pas à ses livres. Il vit dans chaque enfant qu’elle a touché, chaque frontière qu’elle a effacée et chaque sourire qu’elle a dessiné.
Honorables sénateurs, aujourd’hui, nous rendons hommage non seulement à une artiste, mais aussi à une porte-flambeau et à une pionnière. Elle n’est pas seulement célébrée dans son pays. Elle a exposé sa vision dans le monde entier, des salles de classe d’Islamabad aux rendez-vous de la bande dessinée en Turquie et au Népal. Comme l’a dit une personne étudiante : « Gogi est le symbole de la féminité au Pakistan. »
Mme Nazar est une boursière Fulbright. Elle a reçu la plus haute distinction civile et fait partie du classement des 100 femmes inspirantes de la BBC. Elle nous rappelle que, parfois, les révolutions les plus puissantes commencent par une détermination et un engagement tranquilles. Je vous remercie.
Des voix : Bravo!
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, la facilitatrice du Groupe des sénateurs indépendants a demandé que la période accordée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Marie-Françoise Mégie.
Je rappelle aux sénateurs que, en vertu du Règlement, leur intervention ne peut dépasser trois minutes, et qu’aucun sénateur ne peut parler plus d’une fois.
Cela n’inclut toutefois pas le temps alloué pour la réponse de la sénatrice.
[Français]
Hommages
L’honorable Marie-Françoise Mégie
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du bureau du représentant du gouvernement pour rendre hommage à notre collègue l’honorable Marie-Françoise Mégie.
Sénatrice Mégie, j’ai eu le privilège d’être nommé au Sénat le même jour que vous et la sénatrice Saint-Germain. Je n’oublierai certainement jamais ce jour, tout comme vous, j’en suis certain.
Vous vous êtes jointe au Sénat après des décennies de service comme médecin de famille et professeure d’université. Il n’est donc pas surprenant que, au cours de votre séjour au Sénat, vous ayez été une ardente défenseure de la santé des Canadiens et des Canadiennes.
Qu’il s’agisse du parrainage du projet de loi C-237, Loi relative au cadre national sur le diabète, qui a joué un rôle déterminant dans l’amélioration de l’accès à la prévention et au traitement du diabète pour assurer de meilleurs résultats en matière de santé pour les Canadiens et les Canadiennes, ou de votre travail de sensibilisation et d’établissement d’un cadre national sur la drépanocytose, votre travail au Sénat continuera d’avoir des répercussions sur la vie d’innombrables Canadiens.
Sénatrice Mégie, bien que vous ayez siégé à de nombreux comités et contribué à plusieurs rapports importants, je m’en voudrais de ne pas mentionner votre travail important au sein du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. En tant que vice-présidente du comité pendant deux législatures, votre travail a été essentiel à l’élaboration de recommandations concernant l’aide médicale à mourir et en particulier aux questions liées aux directives anticipées, à la maladie mentale, à l’état des soins palliatifs au Canada et à la protection des Canadiens et Canadiennes handicapés.
Votre contribution à cette Chambre et au Canada en général est indéniable. Vous avez été un modèle et une source d’inspiration pour de nombreux Canadiens, particulièrement au sein de votre communauté haïtienne. Je ne doute pas que vous poursuivrez cet important travail après votre départ à la retraite du Sénat.
Une fois de plus, Marie-Françoise, au nom du bureau du représentant du gouvernement, je vous souhaite une retraite bien méritée, remplie de moments précieux avec votre famille, vos amis et vos proches.
Des voix : Bravo!
L’honorable Raymonde Saint-Germain : Chers collègues, c’est avec émotion que je prends la parole afin de rendre hommage à notre très estimée collègue la sénatrice Marie-Françoise Mégie.
Le sénateur Gold, la sénatrice Mégie et moi avons été assermentés au Sénat le même jour, et je profite de cette occasion qui m’est donnée pour lui dire à quel point ce fut un privilège de passer ces années à ses côtés.
Tous ceux qui la connaissent savent que la sénatrice Mégie est une personne d’une grandeur d’âme et d’une empathie remarquables. Ces qualités sont jumelées à une intelligence et une humilité hors du commun. Cela fait d’elle une personne profondément humaine. Elle aura touché bien souvent personnellement plus d’un, plus d’une d’entre nous.
Très souvent, elle a choisi de mettre les autres en valeur durant son parcours au Sénat. Cela pourrait nous faire oublier l’étendue de ses propres réalisations en tant que législatrice, et ceux-ci sont d’ailleurs très nombreux. Selon moi, voici la meilleure façon de décrire la sénatrice Mégie : une femme qui ne recherche pas nécessairement l’attention, qui ne se met pas toujours au premier plan, mais qui, en coulisse, derrière le rideau, fait preuve d’une efficacité redoutable.
Tout au long de sa carrière, comme médecin de famille, professeure d’université et sénatrice, elle se sera mise au service des autres, au service du bien commun; c’était une véritable vocation, sa vocation.
Par son travail acharné, notamment dans les dossiers de l’aide médicale à mourir ou de la prévention du diabète, dans ses efforts de sensibilisation à la maladie falciforme — un mot qu’elle m’a appris à bien prononcer, et c’est plus facile pour une francophone, je l’avoue —, elle aura toujours été à l’avant-plan pour défendre les populations vulnérables.
Je songe particulièrement aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap et aux personnes en fin de vie. Elles auront eu en la sénatrice Mégie une alliée inestimable dans cette Chambre et ailleurs. En fait, durant son mandat de plus de huit ans et demi, elle aura mis sans relâche son expérience et ses grandes connaissances médicales au service de la population.
La sénatrice Mégie est également une fière représentante de sa communauté. Ayant immigré au Québec en 1976 en provenance d’Haïti, elle a toujours gardé une grande proximité avec son pays d’origine tout en devenant un modèle à suivre pour ses compatriotes, y compris ceux de la diaspora haïtienne, qui est importante au Québec. La sénatrice est aussi un modèle au pays, puisqu’elle a été la première femme noire à représenter le Québec au Sénat.
Honorable sénatrice Mégie, chère Marie-Françoise, vous pouvez être fière de l’héritage que vous nous laissez et que nous continuerons de faire fructifier. En mon nom et au nom de tous vos collègues et amis du Groupe des sénateurs indépendants, je vous souhaite ce qu’il y a de mieux pour vous et pour vos proches. Sachez que votre présence, votre sagesse et vos précieux conseils médicaux nous manqueront beaucoup.
Merci. Meegwetch.
Des voix : Bravo!
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénatrices et sénateurs, aujourd’hui, nous rendons hommage à notre chère collègue la sénatrice Marie-Françoise Mégie, une voix respectée dans cette Chambre, une femme de science et de cœur et une parlementaire profondément engagée à améliorer la vie des Canadiens.
Originaire d’Haïti et arrivée au Québec dans les années 1970, elle a su allier avec brio deux vocations : celles de la médecine et du service public. Son travail au Sénat s’est distingué par un engagement constant envers l’équité en matière de santé et les communautés vulnérables.
Elle a joué un rôle actif au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, où elle a incarné une voix calme, mais déterminée, une voix enracinée dans l’expérience concrète des réalités humaines, qui savait allier compétence professionnelle et sensibilité sociale.
(1810)
Parmi ses contributions législatives, notons qu’elle a parrainé au Sénat le projet de loi C-237, prévoyant l’élaboration d’un cadre national sur le diabète. Ce projet de loi témoigne à la fois de sa volonté constante d’aider les autres et de son engagement à promouvoir un meilleur accès aux soins de santé à l’échelle nationale.
En tant que membre active du Comité sénatorial permanent des langues officielles, la sénatrice Mégie a défendu avec conviction les droits linguistiques des communautés francophones en situation minoritaire, tout en soulignant l’importance du bilinguisme dans les services publics, notamment en santé.
Son expérience comme immigrante francophone lui a permis d’apporter une perspective unique et précieuse aux travaux du comité, notamment lors de l’étude de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
L’un des derniers gestes parlementaires de la sénatrice Mégie dans cette Chambre aura été de faire adopter à l’étape de la deuxième lecture le projet de loi S-201, concernant un cadre national sur la maladie falciforme — ce n’est pas un mot facile à prononcer. Ce projet de loi illustre parfaitement la constance de son engagement envers les communautés souvent oubliées du système de soins de santé et son souci de faire progresser des dossiers porteurs d’équité jusqu’au tout dernier jour de son mandat.
Sénatrice Mégie, après toutes ces années à soigner, à enseigner et à légiférer, vous méritez amplement nos remerciements pour votre dévouement au service public.
Vous quittez cette Chambre en laissant derrière vous un héritage ancré dans la compassion, la rigueur et la recherche du bien commun.
Au nom de notre groupe de l’opposition, je vous souhaite le meilleur pour le prochain chapitre de votre vie.
Bravo, madame la sénatrice.
[Traduction]
L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de prendre la parole au nom du Groupe des sénateurs canadiens pour dire adieu à une collègue et pionnière, l’honorable sénatrice Marie-Françoise Mégie.
[Français]
Première femme médecin noire et première femme médecin d’origine haïtienne nommée au Sénat, la sénatrice Mégie a pavé la voie pour beaucoup d’autres, tout en nous enrichissant de son expertise, de son humanité et de son engagement.
[Traduction]
Tout au long de sa carrière — d’abord en tant que médecin, puis en tant que professeure et, enfin, en tant que législatrice —, la sénatrice Mégie s’est servie de ses connaissances scientifiques ainsi que de sa compassion, de sa rigueur et de son profond engagement envers le bien public. Elle est devenue une interlocutrice de confiance sur certaines des questions les plus complexes et les plus délicates auxquelles nous sommes confrontés en tant que législateurs : l’hésitation à se faire vacciner, l’aide médicale à mourir, la santé publique, les soins aux aînés, le racisme systémique et l’équité en matière de santé.
Elle n’a pas cherché à attirer l’attention, mais elle a permis à son travail d’éclairer le Sénat, en étant toujours réfléchie, toujours mesurée et toujours guidée par la réalité des patients et des gens sur le terrain.
[Français]
À chaque intervention, que ce soit dans cette Chambre ou en comité, vous avez fait entendre une voix profondément ancrée dans l’expérience, la justice sociale et l’empathie.
En tant que membre active du Caucus des parlementaires noirs, vous avez joué un rôle de premier plan dans les efforts de lutte contre le racisme systémique au Canada, en appelant à des mesures concrètes et durables.
[Traduction]
L’héritage de la sénatrice Mégie se constate également au sein de la communauté des médecins noirs, qui la considère comme l’expression d’un potentiel infini. La Dre Modupe Tunde-Byass, fondatrice de l’Association des médecins noirs du Canada, tenait à lui adresser ce message :
Félicitations pour votre départ à la retraite. Vous avez marqué la vie de beaucoup d’entre nous. Ce sont des personnes plus grandes que nature comme vous qui nous donnent la force de puiser le meilleur en nous-mêmes. J’espère que les expressions « première Noire », « première femme », « première ceci ou cela » appartiendront bientôt au passé et qu’elles laisseront place à une meilleure représentation.
Le Dr Bolu Ogunyemi, qui deviendra le tout premier président noir de l’Association médicale canadienne, vous transmet le message suivant :
Alors que je m’apprête à assumer mes nouvelles fonctions au sein de l’Association médicale canadienne, je tiens à exprimer ma gratitude envers toutes les personnes qui m’ont précédé et qui ont défriché avec courage la voie pour la communauté noire canadienne. Vous êtes une de ces défricheuses, sénatrice Mégie. Vous êtes une pionnière et vous avez illuminé la voie pour beaucoup de personnes qui ont suivi vos pas.
[Français]
Chère collègue, vous nous quittez avec élégance, mais vous laissez derrière vous une grande empreinte.
[Traduction]
Sénatrice Mégie, au nom de tous mes collègues du Groupe des sénateurs canadiens, je vous remercie pour votre sagesse, votre force tranquille et les services exceptionnels que vous avez rendus à la population canadienne.
[Français]
Bonne retraite, et merci du fond du cœur.
L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, c’est avec beaucoup d’émotion que je prends la parole aujourd’hui au nom du Groupe progressiste du Sénat pour rendre hommage à une femme, une collègue exceptionnelle, la sénatrice Marie-Françoise Mégie, qui nous quitte après presque neuf ans de service.
Première sénatrice canadienne d’origine haïtienne, elle a beaucoup fait avant son arrivée au Sénat du Canada. Elle a transformé les soins à domicile et gériatriques au Québec pendant 35 ans et a milité pour une fin de vie digne.
Marie-Françoise, vous avez apporté dans cette Chambre de la compassion, de la sagesse et une force tranquille qui nous inspire tous et toutes.
La sénatrice a fait adopter au Sénat le projet de loi S-209, faisant de la journée du 11 mars le Jour commémoratif de la pandémie à la mémoire des victimes de la COVID-19.
Elle nous laisse en héritage le projet de loi S-201 portant sur la maladie falciforme — une avancée majeure pour des milliers de Canadiens afrodescendants.
Chaque Mois de l’histoire des Noirs, la sénatrice Mégie nous a fait découvrir au Sénat des figures marquantes de la communauté noire dans la littérature, les arts, les sciences et les sports.
Toutefois, derrière la sénatrice, il y a la maman bienveillante. Après avoir reçu un appel au sujet de sa nomination, elle a demandé à ses filles Sarah et Aïda : « Est-ce que cela va vous déranger que je sois moins présente pour les petits-enfants? » La réponse fut la suivante : « Mais non, maman, vas-y. Tu le mérites et nous sommes fières de toi. »
Oui, vous avez servi votre pays avec grâce et dignité.
Pendant les missions parlementaires et parfois dans le train, j’ai découvert une Marie-Françoise pas très « connectée ». Nos fous rires face aux nombreux défis technologiques que nous avons affrontés vont me manquer. Attention! Elle va suivre des cours d’informatique pour apprivoiser les réseaux sociaux. Elle va se reconnecter avec ses passions : la décoration et la danse. Ne soyez donc pas surpris de découvrir Marie-Françoise sur TikTok très bientôt.
Chère Marie-Françoise, tous mes collègues du Groupe progressiste du Sénat vous souhaitent une excellente retraite.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Sarah et Aïda Dorsainville, les filles de la sénatrice Mégie. Elles sont accompagnées de leurs époux, ainsi que de Rafaël et Imani, les petits-enfants de la sénatrice, de ses frères Yves et Marcel Pierre-Louis et d’autres membres de sa famille.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
(1820)
L’honorable Marie-Françoise Mégie
Remerciements
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Merci, Votre Honneur. Je voudrais commencer par remercier le sénateur Gold, les sénatrices Gerba, Osler et Saint-Germain ainsi que le sénateur Housakos pour les bons mots qui ont précédé. Merci beaucoup. Je ne m’attendais pas à cela et je ne savais pas que c’était ce que vous pensiez de moi.
Du 25 novembre 2016 au 21 septembre 2025 : 8 ans et 10 mois se seront écoulés depuis ma nomination au Sénat. Quel privilège d’avoir pu être au service de la population canadienne au sein de cette noble institution qu’est le Sénat du Canada.
Je peux dire sans détour que c’est pour moi tout un couronnement de carrière. Cette réussite a été possible grâce au soutien de plusieurs personnes que je tiens à remercier.
Il y a d’abord Rony Sanon, qui m’a fortement suggéré de poser ma candidature au Sénat en m’envoyant le lien publié sur Internet.
Je remercie mes deux filles, qui m’ont accordé leur soutien quand je leur ai fait part de mes réflexions ambivalentes, avant de poser ma candidature. « C’est une belle façon de couronner ta carrière! » m’ont-elles dit. « On te soutient, quelle que soit ta décision. »
En suivant mes publications sur les réseaux sociaux, des membres de la famille ici et ailleurs se sont mis à s’intéresser encore plus à la politique. Il en est de même pour certains membres de la communauté et des amis au Québec.
J’ai eu droit à certains commentaires de ce genre — et je paraphrase :
En voyant ce que tu fais au Sénat, je comprends mieux ce qui se passe et cela m’a réconcilié avec cette institution.
Que dire de l’équipe Mégie? Elle est presque devenue une marque de commerce au Sénat du Canada. Que ferais-je sans vous? Cette équipe est formée de mon directeur des enjeux, M. Rémi Hyppia, que j’appelle parfois mon éminence grise, parfois mon garde du corps, de mon directeur parlementaire, M. Nicolas R. Thibodeau, dont la diligence et l’efficacité font l’envie de certains collègues, et de Mme Marie Roxane Dimanche, qui mène mon bureau et mon budget de main de maître pour que tout soit parfait, même quand le système Unit4 fait des siennes. Enfin, il y a la plus récente membre du groupe, Mme Dichemael Jean-Baptiste, qui gère mes dossiers législatifs importants, comme si elle était avec nous depuis plusieurs années, tout en faisant simultanément les examens du Barreau du Québec.
Je n’oublie pas non plus mon « club des ex » du bureau : Mme Kathleen Ippersiel, qui a établi de solides fondations administratives à mon bureau avant de partir pour une retraite bien méritée; Me Fotini-Hellas Diamandis, ma conseillère parlementaire dont j’ai beaucoup apprécié la délicatesse, le professionnalisme et l’efficacité; enfin, l’adjoint parlementaire de ma première année au Sénat, Me Dimitri St-Julien qui, lui, occupait son premier emploi comme jeune avocat.
En plus de mes dossiers législatifs, l’équipe Mégie a géré en même temps d’autres activités, dont les plus importantes ont été les expositions annuelles du Mois de l’histoire des Noirs qui ont été organisées dans le foyer du Sénat. Merci pour tout.
Je remercie aussi mon professeur d’anglais, M. Tim Healey. Il m’a permis d’être plus à l’aise dans notre autre langue officielle. J’ai pu ainsi apprendre comment parler à un anglophone sans me fatiguer.
Je ne veux surtout pas oublier toutes les personnes de notre milieu parlementaire : les greffiers, les pages, les analystes, les membres du Service de protection parlementaire, le personnel de la cafétéria et de l’entretien ménager, les messagers, les chauffeurs de navette et mes indispensables interprètes. Bref, merci à tous ceux et celles dont le travail et les services contribuent à notre bon fonctionnement au quotidien. Ce quotidien, je l’ai vécu dans un milieu de travail agréable et convivial, comme dans une grande famille.
Je tiens à exprimer ma plus sincère gratitude à tous ceux et celles que j’ai eu la chance de côtoyer et à ceux et celles avec qui j’ai pu développer des liens d’amitié au cours de ces années dans cette auguste Chambre. Merci! Vous avez enrichi mon parcours de vos compétences, de votre dévouement et de votre humanité. Si je n’ai pas eu l’occasion de développer plus d’amitiés parmi vous, la barrière linguistique y est probablement pour quelque chose.
[Traduction]
Sachez que chaque effort que vous avez fait pour échanger quelques mots en français avec moi m’a fait très plaisir.
[Français]
Tous les jours, j’éprouve une grande fierté d’avoir pu faire partie intégrante d’un mouvement essentiel, celui de la modernisation du Sénat.
Ma nomination comme sénatrice est un exemple vivant d’une des premières mesures concrètes de ce mouvement. Ces huit dernières années ont été riches en enseignements, en défis et en satisfactions. Participer à cette transformation, voir évoluer nos méthodes de travail, nos outils et notre approche a été l’une des expériences les plus gratifiantes de ma carrière de sénatrice. Ainsi, on sert mieux les citoyens canadiens.
Je pense à un autre exemple tangible et, je l’espère, irréversible de la modernisation du Sénat : nous avons atteint, pour la première fois au Parlement, la parité entre les sénateurs et sénatrices.
À mon arrivée en 2016, le tiers des sièges était occupé par des femmes. Aujourd’hui, c’est un peu plus de la moitié, puisque 54 % des membres du Sénat sont des sénatrices.
On note aussi une augmentation progressive des personnes issues de minorités : les Autochtones, les personnes noires et racisées et les membres des communautés 2ELGBTQI+.
La variété des compétences de chacun autour des tables des comités est extraordinaire. C’est ce qui fait la richesse du Sénat actuel.
En résumé, le processus ouvert de sélection des sénateurs instauré en 2015 a fait que, en moins de 10 ans, nous sommes passés d’un Sénat bipartisan à un Sénat paritaire, représentatif, diversifié, inclusif et moins partisan.
J’ai grand espoir que le nouveau premier ministre maintiendra le processus de nomination non partisan pour éviter que cette Chambre ne redevienne la chambre de résonance de l’autre endroit.
Mon passage au Sénat n’a pas été un long fleuve tranquille… Il a été très riche en rebondissements, les uns plus intenses que les autres. Nous avons vécu trois élections fédérales et deux prorogations; nous avons traversé la pandémie et révisé la loi sur l’aide médicale à mourir; nous avons été frappés de plein fouet par le mouvement Black Lives Matter — sans oublier plus récemment la lecture du discours du Trône par Sa Majesté le roi Charles III, roi du Canada.
Chers collègues, au cours de mon passage ici, j’ai eu le privilège d’être membre de nombreux comités. J’ai siégé au Comité sénatorial permanent des langues officielles, au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement et au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
À mes débuts, j’ai aussi siégé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et, plus tard, au Comité permanent d’examen de la réglementation et au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
J’ai aussi siégé comme vice-présidente du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Mon expérience en soins palliatifs et en soins à domicile aura été bénéfique aux réflexions et au débat. En plus des comités, j’ai fait partie de certains groupes parlementaires.
J’aimerais nommer certains groupes qui sont importants pour moi : le Groupe des sénateurs indépendants; le Groupe canado-africain du Sénat; le Caucus des parlementaires noirs; le Congrès des politiciens noirs du Canada; le groupe des sénateurs de la santé; enfin, le groupe sénatorial de travail sur l’immigration.
Des enjeux comme les inégalités sociales, la discrimination et le racisme systémique ont fait partie de nos discussions. Après l’assassinat de George Floyd, nous avons produit la Déclaration du Caucus des parlementaires noirs afin d’atténuer les conséquences du racisme systémique au Canada. Le Groupe canado-africain du Sénat vient de développer un plan d’action pour la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Mes collègues du groupe vont continuer d’y travailler.
(1830)
Certains de nos travaux législatifs réguliers demeureront inoubliables.
Je pense premièrement au projet loi C-237, le cadre national sur le diabète, déposé par la députée Sonia Sidhu lors de la 43e législature. J’ai marrainé ce projet de loi au Sénat en juin 2021 et il a été adopté en un mois.
Deuxièmement, le projet de loi S-209 concernant le Jour commémoratif de la pandémie que j’ai déposé à la 44e législature, soit le 24 novembre 2021, a reçu la sanction royale le 30 avril 2024.
Enfin, j’ai déposé le projet de loi S-201 concernant le cadre national sur la maladie falciforme au cours de la présente législature. Il vient tout juste d’être adopté en deuxième lecture et envoyé pour étude en comité. Je suis fière du chemin que ce projet de loi a parcouru.
Je remercie chaleureusement mes collègues, les sénateurs Ravalia, Gerba et Ataullahjan, d’avoir contribué en toute solidarité à la cause de la maladie falciforme dans le monde grâce à leur discours criant de vérité. Mon projet de loi a encore du chemin à parcourir pour devenir une loi. C’est la raison pour laquelle j’ai passé le flambeau à mon collègue, le sénateur Tony Ince, pour la suite des choses. Je le remercie infiniment d’avoir accepté.
Honorables sénateurs, vous savez bien que dans tout milieu de travail, aussi idéal soit-il, il peut y avoir des irritants, certains mineurs, d’autres majeurs. Je veux vous parler d’un de ces irritants en particulier : l’enjeu linguistique. Je vais l’illustrer mes propos grâce à quatre exemples.
Lors de nos séances à la Chambre ou en comité, nous avons la chance d’avoir accès aux services d’interprètes fort compétents et d’une technologie de pointe. Les oreillettes nous permettent de comprendre les débats dans la langue de notre choix.
[Traduction]
Saviez-vous que certains sénateurs n’utilisent toujours pas les oreillettes fournies quand un discours est prononcé en français?
[Français]
Il arrive donc que certains collègues n’écoutent pas un discours en français. Heureusement, ils sont peu nombreux. Il arrive que durant une réunion, une intervention en français passe inaperçue, alors que quelques minutes plus tard, la même intervention en anglais, faite par ceux sans oreillette, reçoit une réaction positive du groupe, qui semble tout à coup avoir bien compris.
Je vous présente maintenant un exemple plus personnel. Un de mes collègues parrainait un projet de loi et savait à l’avance que j’allais prendre la parole à propos de celui-ci. Il a ensuite pris la peine de me remercier d’avoir appuyé son projet de loi, mais s’est excusé de ne pas avoir écouté le discours et m’a promis d’aller lire le hansard plus tard. Malgré son honnêteté, la francophone en moi était frustrée.
Finalement, mon dernier exemple est l’étude des rapports de comité. Les deux versions, anglaise et française, sont revues par les sénateurs francophones avant et pendant les réunions du comité. Cette révision en comité peut être souvent lourde et même fastidieuse. Elle nécessite beaucoup de temps, la version française étant souvent plus longue en raison du plus grand nombre de mots.
En septembre 2023, les sénatrices Moncion, Petitclerc et moi avions porté ce dossier devant la greffière adjointe à la Direction des comités de l’époque pour tenter de trouver une solution nous permettant de respecter nos obligations législatives. Ces obligations reviennent encore aujourd’hui aux francophones bilingues. C’est à partir de ce moment qu’a commencé la numérotation des rapports à l’étude sous forme de paragraphe, ce qui rend moins laborieuse la comparaison des versions dans les deux langues officielles. Il est vrai que cela fonctionne mieux, mais je compte sur votre vigilance pour veiller à que ce système soit mis en place aux séances de tous les comités sénatoriaux de façon durable.
En ce qui a trait à la révision dont je viens de vous parler, loin de moi l’idée de critiquer nos traducteurs si compétents. Nous connaissons tous la maxime latine : « traduire, c’est trahir ». Pour certains termes techniques et juridiques, il arrive que la traduction littérale ne respecte pas le génie de la langue. Cependant, on doit être le plus fidèle possible, même si cela semble déranger parfois.
Malgré tout, je dois vous faire remarquer que plusieurs de nos collègues font un effort pour débuter leur discours en français ou y inclure au moins un paragraphe ou deux dans cette langue. Je trouve cela très positif; notre dualité linguistique constitue l’une de nos richesses nationales les plus précieuses. Il est essentiel que notre institution reflète pleinement cette réalité et accorde aux langues officielles toute la considération qu’elles méritent. L’embauche d’une personne vraiment bilingue dans les bureaux de sénateurs pourrait aussi être très utile.
Honorables sénateurs, je quitte cette institution avec le sentiment du devoir accompli. Je remercie notre Présidente qui a su mener de main de maître les séances de la Chambre haute, ainsi que notre nouveau président intérimaire.
Je termine en exprimant respectueusement trois souhaits. N’ayez crainte, je n’aurai pas besoin de faire sortir un génie de la lampe d’Aladin. Je compte plutôt sur vous, chers collègues, pour y donner suite grâce à votre grande sagesse.
Mon premier souhait est que le mouvement de modernisation du Sénat, qui a déjà commencé, retrouve son élan et sa vigueur.
Mon deuxième souhait est que la réorganisation des horaires des réunions de comités, que la sénatrice Ringuette et la greffière du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement avaient proposée, soit reconsidérée.
Mon troisième souhait est que l’égalité de nos deux langues officielles ne soit pas seulement un principe théorique, mais une pratique vivante et respectée.
J’emporte avec moi les plus beaux souvenirs de cette belle aventure.
Je vous remercie.
Des voix : Bravo !
[Traduction]
Les élections fédérales de 2025
L’honorable Rodger Cuzner : Honorables sénateurs, voilà un excellent compte rendu d’une carrière remarquable au Sénat.
Les résultats des 45e élections fédérales sont maintenant connus, et deux éléments qui en ressortent me procurent une grande certitude.
Tout d’abord, à l’instar de plusieurs de mes collègues, j’ai participé à plusieurs élections à l’autre endroit, en tant que candidat à un siège à la Chambre des communes, et je suis resté éveillé très tard avec ma famille, mes amis et mes partisans dans l’espoir d’obtenir un résultat positif.
Ce dont je suis certain, c’est que la récente soirée électorale a été beaucoup plus détendue de mon point de vue parlementaire actuel, car je savais qu’au lendemain des élections, on allait m’accueillir en me disant ces mots réconfortants : « Bonjour, monsieur le sénateur ».
La deuxième chose dont je suis certain, chers collègues, c’est que les Canadiens peuvent avoir confiance dans le fait que nos élections fédérales se déroulent de manière équitable et honnête, grâce au travail professionnel et impartial d’Élections Canada. Je vous donnerai deux exemples qui alimentent ma confiance.
Tout d’abord, il y a la circonscription de Carleton, près d’Ottawa, qui a été représentée pendant 20 ans par l’ancien chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, qui a été défait par Bruce Fanjoy par 4 513 voix. Il faut reconnaître que M. Poilievre a concédé la victoire le soir même et qu’il a félicité M. Fanjoy.
Comme on pouvait s’y attendre, les guerriers du clavier ont inondé les réseaux sociaux de théories du complot afin de semer le doute sur la légitimité du résultat. Je félicite le Parti conservateur du Canada de n’avoir ni mordu à l’hameçon ni intenté de contestation futile.
Le deuxième exemple concerne la circonscription de Terra Nova—Les Péninsules, où, le soir des élections, le candidat libéral Anthony Germain a été déclaré vainqueur avec seulement 12 voix d’avance. Après la validation des résultats, un dépouillement judiciaire a automatiquement été entrepris. J’encourage tous les sénateurs à en parler avec le sénateur Manning, qui a participé à ce processus.
Lorsque j’ai parlé à mon ami du dépouillement judiciaire, il m’a répondu : « Je ne pourrais pas imaginer un processus plus ouvert, plus équitable et plus responsable que celui auquel nous avons participé. »
Finalement, le résultat annoncé le soir des élections a été annulé et le candidat conservateur Jonathan Rowe a été déclaré vainqueur par 12 voix d’avance, ce qui est une étrange coïncidence. M. Germain s’est entretenu avec M. Rowe, il l’a félicité et lui a souhaité bonne chance dans ses nouvelles fonctions.
(1840)
Le dépouillement judiciaire a duré une semaine et a nécessité d’importantes ressources humaines et financières, mais au bout du compte, les habitants de Terra Nova—Les Péninsules et tous les Canadiens peuvent être assurés que le processus a été juste et exact.
La tenue d’une élection, et d’une élection éclair de surcroît, est une tâche colossale pour Élections Canada. L’organisme a d’ailleurs enregistré le taux de participation le plus élevé au Canada depuis 1993. La logistique est stupéfiante. Cependant, grâce à la détermination de 240 000 Canadiens qui ont travaillé sans relâche pour assurer le succès de l’élection de 2025, les Canadiens peuvent être fiers de la vigueur du processus électoral.
Chers collègues, alors que nous continuons d’observer ce qui arrive à nos amis au sud de la frontière, où on rapporte que 34 % des fonctionnaires électoraux auraient reçu des menaces de violence ou de mort et où on attaque sans relâche les institutions qui constituent les fondements d’une démocratie, sachez que la nôtre demeure forte et réelle. Elle n’est pas parfaite, et nous ne pouvons jamais nous montrer suffisants ou complaisants, mais, sénateurs, nous demeurons résolus…
Son Honneur la Présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Cuzner : Merci.
Des voix : Bravo!
L’Iran
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour exprimer ma solidarité envers le peuple iranien, une nation dont la riche culture et la fière histoire ont été trop longtemps éclipsées par la cruauté de ses dirigeants.
Je suis assez âgé pour me souvenir de l’époque où l’Iran était un pays où les hommes, les femmes et les enfants pouvaient se promener dans les rues de Téhéran en relative liberté, s’exprimer et espérer un avenir caractérisé par le progrès et les possibilités.
Mais depuis plus de quatre décennies, sous la poigne de fer de la République islamique, l’Iran est devenu un pays qui n’est pas gouverné par le consentement de son peuple, mais par la répression, la violence et la peur. À maintes reprises, des Iraniens, en particulier des femmes et des jeunes, sont descendus dans les rues pour réclamer changement, justice et liberté. Leur courage est aussi impressionnant que leurs souffrances sont déchirantes. Le simple fait de revendiquer les droits et libertés fondamentaux qui leur reviennent de droit peut leur valoir une arrestation arbitraire, la torture ou même l’exécution.
On est bien loin de l’Iran dont la plupart d’entre nous se souviennent, et cela ne s’arrête pas là. Nous savons tous désormais comment le régime exporte depuis longtemps sa terreur et sa répression bien au-delà de ses frontières. Pensons à Beyrouth, autrefois symbole de liberté et de dynamisme au Moyen-Orient, aujourd’hui empoisonnée par les forces et l’influence de l’Iran dans la région.
Du Hezbollah au Hamas, le régime iranien finance, arme et soutient des groupes qui déstabilisent des régions entières. Il menace la paix mondiale par ses guerres par procuration et son influence malveillante.
Nous avons pu constater directement les conséquences mortelles de cette influence lors des horribles attentats du 7 octobre contre Israël et du chaos qui s’en est suivi. Ces dernières semaines, Israël a pris des mesures décisives contre les éléments du régime iranien qui menacent depuis longtemps non seulement son propre peuple, mais aussi la paix et la stabilité au Moyen-Orient.
Soyons clairs : le soutien du régime iranien au terrorisme, ses ambitions dans le nucléaire et la répression brutale de ses propres citoyens en ont fait un danger non seulement pour ses voisins, mais aussi pour le monde entier.
Voilà pourquoi, chers collègues, en tant que Canadiens, en tant que parlementaires et en tant que défenseurs des valeurs démocratiques que nous chérissons tous, nous devons reconnaître et remercier Israël pour les efforts qu’il déploie afin de neutraliser ces menaces.
Nous ne pouvons pas jouer sur les deux tableaux. Nous avons vu le gouvernement de notre pays exhorter les deux parties à la retenue, comme s’il existait une équivalence morale entre Israël, phare de la démocratie et des droits de la personne au Moyen-Orient, et le régime iranien, qui exporte la terreur, la violence et l’oppression. Il n’y a pas d’équivalence. Nous devons soutenir fermement Israël dans son droit à se défendre et dans sa lutte contre les forces de la tyrannie et de l’oppression.
Au peuple iranien, je tiens à dire ceci : le Canada vous voit. Nous reconnaissons votre courage. Nous défendons votre droit de vivre dans la liberté et la dignité. Votre lutte pour la justice et votre aspiration à un avenir libéré de la tyrannie ne sont pas oubliées, mais bien soutenues par le Canada. Merci, chers collègues.
Des voix : Bravo!
Le lieu historique national du Phare-de-Cap-Spear
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je présente aujourd’hui le chapitre 90 de « Notre histoire ».
Des voix : Bravo!
Le sénateur Manning : Chers amis, je vous invite à imaginer cette scène. Vous pouvez fermer les yeux si vous le voulez.
Quelques minutes avant que le soleil se lève sur l’Amérique du Nord, vous êtes assis sur une colline verdoyante, et vous écoutez le son des vagues de l’immense océan Atlantique qui déferlent de façon spectaculaire sur les berges situées à des centaines de pieds plus bas. Cette expérience à couper le souffle vous donnera envie d’en découvrir toujours davantage sur l’endroit que je suis si fier d’habiter.
À seulement quelques kilomètres à l’est de la belle ville historique de St. John’s, il y a le lieu historique national du Phare-de-Cap-Spear, où se trouve le plus ancien phare encore debout à Terre-Neuve-et-Labrador. L’année 2025 marque le 50e anniversaire de la désignation et de l’ouverture officielle du lieu historique national du Phare-de-Cap-Spear en tant que site de Parcs Canada.
En 1846, James Cantwell est devenu le premier membre de la famille Cantwell à être gardien de phare, et cette tradition familiale s’est poursuivie pendant plus de 150 ans, jusqu’en 1997, année où le phare, devenu entièrement automatisé, a perdu son dernier gardien, Gerry Cantwell.
En 1962, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a recommandé que le phare historique soit désigné lieu historique national et, en 1964, le gouvernement fédéral, par l’entremise de Parcs Canada, en a fait l’acquisition.
Même le Grand Robert manquerait de mots pour décrire la magie qu’on ressent quand on visite le cap Spear. Que vous y alliez pour assister au premier lever de soleil en Amérique du Nord, pour admirer les icebergs vieux de 10 000 ans qui flottent au large, pour observer les baleines à bosse en migration, pour visiter le phare historique ou simplement pour vous asseoir en silence et contempler l’océan Atlantique en respirant l’air salin, vous ne serez pas déçu.
Les Portugais ont d’abord baptisé cet endroit Cabo da Esperança, qui signifie « cap de l’espoir », puis les Français l’ont rebaptisé Cap d’Espoir, avant qu’il ne devienne finalement le cap Spear.
Si vous êtes amateur de randonnée, vous devez absolument vous rendre au cap Spear, où vous trouverez le point de départ et d’arrivée du magnifique sentier de la côte Est.
Lorsque vous contemplez l’océan Atlantique depuis la colline du cap Spear, vous n’êtes qu’à 3 324 km du centre-ville de Dublin, en Irlande, mais lorsque vous tournez le dos à l’océan et regardez vers l’ouest, vous êtes à 4 805 km du centre-ville de Winnipeg. Je vous laisse donc décider si vous vous trouvez à l’endroit où le Canada prend fin ou, comme nous aimons le dire à Terre-Neuve, à « l’endroit où tout a commencé ».
Avec l’annonce faite hier par le gouvernement fédéral que l’entrée sera gratuite cette année, je suis convaincu que 2025, année du 50e anniversaire, sera une année exceptionnelle pour le cap Spear, qui est l’une des attractions touristiques les plus emblématiques de notre province, avec plus de 300 000 visiteurs par an.
Je ne peux pas vous garantir une journée ensoleillée au cap Spear, mais je suis convaincu que la visite en vaudra largement le détour. Merci.
Des voix : Bravo!
Le Mois de la fierté
L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour célébrer le Mois de la fierté et les valeurs canadiennes que sont le respect de la diversité, l’inclusion, l’acceptation et la compréhension.
Je salue le Caucus canadien de la Fierté et nos sept collègues sénateurs membres de la communauté 2ELGBTQI+. Merci aux sénateurs Cormier, Wilson, McBean et Wells pour vos interventions et pour avoir accueilli les drag kings Cyril Cinder et HercuSleaze au Sénat.
L’année dernière, à la même période, j’ai fait une déclaration à l’occasion du Mois de la fierté, que j’avais qualifiée de lettre d’amour à ma mère, Betty Patterson, aujourd’hui âgée de près de 98 ans, et à mon frère Patrick Patterson. Il y a moins d’un an d’écart entre Patrick et moi.
J’ai mentionné que ma mère était née 60 ans après la Confédération, dans un Canada où l’homosexualité était cachée et interdite à la fois par l’église et par l’État. Elle avait 42 ans en 1969, lorsque l’homosexualité a été décriminalisée, et elle avait 77 ans en 2004, lorsque la Cour suprême du Canada a rendu un avis selon lequel le gouvernement fédéral avait le pouvoir de définir le mariage de manière à inclure les couples de même sexe.
Mon frère Patrick est né en 1955 dans un Canada où ce qu’il était, était illégal et où afficher son homosexualité, être soi-même, était franchement dangereux.
Ma lettre d’amour à ma mère et à Patrick à l’occasion du Mois de la fierté rendait hommage au courage, à l’amour et à l’acceptation sans réserve qui se sont imposés quand Patrick a révélé au grand jour la vérité de son identité homosexuelle.
Honorables collègues, je suis sûre qu’aucun d’entre nous ne voudrait que ses enfants, ses petits-enfants, les enfants du voisinage ou qui que ce soit d’autre ait à cacher qui il est. Imaginez la souffrance que cela causerait.
Tandis que nous célébrons le Mois de la fierté 2025, j’aimerais attirer notre attention sur les enfants transgenres au Canada et sur les communautés 2ELGBTQI+ partout dans le monde.
En octobre 2023, en réponse au soi-disant mouvement de défense des droits parentaux, à l’événement 1 Million March 4 Children et aux menaces pesant sur les droits, la sécurité et la santé des enfants transgenres à l’époque au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et en Alberta, un certain nombre d’entre nous se sont exprimés dans cette enceinte sur l’importance pour le Canada d’élaborer un plan d’action national de lutte contre la haine.
(1850)
Chers collègues, nous pouvons voir le danger de ce qui se passe au sud de la frontière, où les guerres culturelles s’immiscent dans la politique et ont entraîné un recul et un piétinement des droits.
De nos jours, plus de 70 pays dans le monde criminalisent les relations consensuelles entre personnes de même sexe. Dans six de ces pays, les personnes entretenant ce genre de relations sont passibles de la peine de mort; et, dans six autres, ils pourraient l’être.
Honorables collègues, alors que nous célébrons fièrement le Mois de la fierté, poursuivons nos efforts pour garantir la protection des droits de toutes les personnes 2ELGBTQI+, quel que soit leur âge ou leur lieu de résidence.
Wela’lioq, merci.
AFFAIRES COURANTES
Le Conseil du Trésor
Dépôt des plans ministériels de 2025-2026
L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les plans ministériels de 2025-2026.
Le Sénat
Adoption de la motion tendant à autoriser le dépôt de documents liés à la teneur du projet de loi C-5 sans demande de consentement
L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5k) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant les dispositions de l’article 14-1 du Règlement, les sénateurs soient autorisés, jusqu’au 25 juin 2025, à déposer des documents concernant la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, lorsque la Présidente appelle le dépôt de documents, sans avoir besoin du consentement, à condition que tout document ainsi déposé soit dans les deux langues officielles.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
L’Association parlementaire du Commonwealth
La Conférence parlementaire du Commonwealth, tenue du 3 au 8 novembre 2024—Dépôt du rapport
L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant la 67e Conférence parlementaire du Commonwealth, tenue à Sydney, en Australie, du 3 au 8 novembre 2024.
L’atelier sur l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité, tenu du 27 au 30 janvier 2025—Dépôt du rapport
L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant l’atelier sur l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité, tenu à Londres, au Royaume-Uni, du 27 au 30 janvier 2025.
Le colloque de Westminster sur l’efficacité des Parlements, tenu du 10 au 14 mars 2025—Dépôt du rapport
L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire du Commonwealth concernant le 73e colloque de Westminster sur l’efficacité des Parlements, tenu à Londres, au Royaume-Uni, du 10 au 14 mars 2025.
[Français]
Comité de sélection
Adoption de la motion concernant la composition des comités
L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5k) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant l’article 12-3(1) du Règlement et l’ordre du 4 juin 2025, tout comité qui, en vertu de cette disposition du Règlement ou de cet ordre, aurait autrement 12 membres cette session, ait plutôt 13 membres pour le reste de la présente session;
Que, nonobstant l’article 12-3(2)g) du Règlement, le Comité permanent de l’audit et de la surveillance soit composé de 4 sénateurs pour le reste de la présente session, sans avoir une incidence sur toute disposition concernant les membres externes, à condition que, pour les fins de l’article 12-6(2) du Règlement, le renvoi à 3 sénateurs soit lu comme s’il faisait renvoi à 4 sénateurs, et que, pour les fins de l’article 12-13(4) du Règlement, le renvoi aux « trois sénateurs qui sont membres du comité » soit lu comme s’il faisait référence aux « quatre sénateurs qui sont membres du comité »;
Que le Comité de sélection soit autorisé à proposer des recommandations au Sénat sur toute question reliée à la durée de la composition des comités;
Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou toute pratique habituelle, les comités suivants soient autorisés à élire trois vice-présidents : le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration; le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement; et le Comité permanent de l’audit et de la surveillance;
Que, si un comité autorisé à élire plus d’un vice-président le fait :
1.la mention de vice-président à l’article 12-18(2)c)(ii) du Règlement vaille mention de tous les vice-présidents agissant de concert;
2.la mention du vice-président à l’article 12-13(4) vaille mention du nombre de vice-président que le Comité permanent de l’audit et de la surveillance élit;
3.la mention de vice-président d’un comité dans une politique ou des lignes directrices vaille mention de tous les vice-présidents agissant de concert, jusqu’à ce que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration en décide autrement.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
[Traduction]
Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
Préavis de motion concernant la composition du comité
L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur, l’honorable sénatrice Ross prenne la place de l’honorable sénateur Smith à titre d’un des membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.
(1900)
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté le 12 juin 2025, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-4, Loi concernant certaines mesures d’abordabilité pour les Canadiens et une autre mesure. L’honorable sénateur Cormier présidera le comité.
Projet de loi visant à rendre la vie plus abordable pour les Canadiens
Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier
L’ordre du jour appelle :
Le Sénat en comité plénier afin de recevoir l’honorable François-Philippe Champagne, c.p., député, ministre des Finances et du Revenu national, accompagné d’un maximum de trois fonctionnaires, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-4, Loi concernant certaines mesures d’abordabilité pour les Canadiens et une autre mesure.
(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable René Cormier.)
Le président : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-4, Loi concernant certaines mesures d’abordabilité pour les Canadiens et une autre mesure.
Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidence, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’il est ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur. Le comité accueillera l’honorable François-Philippe Champagne, c.p., député, ministre des Finances et du Revenu national. J’invite donc le ministre Champagne à entrer, accompagné de ses fonctionnaires.
(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable François-Philippe Champagne et ses fonctionnaires prennent place dans la salle du Sénat.)
Le président : Monsieur le ministre, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires.
[Français]
L’honorable François-Philippe Champagne, c.p., député, ministre des Finances et du Revenu national : Merci, monsieur le président. Les fonctionnaires sont juste là. Voulez-vous vous présenter à la barre? Je pense que c’est mieux qu’ils se présentent, si vous le permettez, monsieur le président, évidemment.
[Traduction]
Sarah Stinson, directrice des opérations, Institutions démocratiques, Bureau de Conseil privé : Bonsoir, sénateurs. Je suis directrice des opérations pour les institutions démocratiques au Bureau du Conseil privé.
[Français]
Maude Lavoie, sous-ministre adjointe, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Je suis Maude Lavoie, sous-ministre adjointe de la Direction de la politique de l’impôt au ministère des Finances.
Gervais Coulombe, directeur principal, Accise, taxes et législation, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Bonsoir. Gervais Coulombe, directeur général par intérim, Législation sur la taxe de vente, ministère des Finances.
Le président : Merci et bienvenue.
M. Champagne : D’abord, messieurs et mesdames les sénatrices, merci de m’accueillir chez vous. C’est un privilège et un plaisir. C’est la première fois que je comparais devant un comité plénier du Sénat en 10 ans de parlementarisme.
C’est évidemment un grand honneur pour moi de m’adresser au Sénat au sujet du projet de loi C-4, un projet de loi visant à bâtir une économie plus forte et plus résiliente pour l’ensemble des Canadiens et Canadiennes.
[Traduction]
Dans le cadre de notre plan ambitieux visant à bâtir la plus forte économie du G7, le projet de loi C-4 mettra en place une réduction d’impôt pour la classe moyenne, ce que nos concitoyens attendent avec impatience. Il facilitera l’acquisition d’une première habitation partout au pays, abolira officiellement la tarification du carbone pour les consommateurs et modifiera la Loi électorale du Canada.
Face à l’incertitude économique causée par les droits de douane américains illégaux et injustes, les Canadiens ont réclamé un plan de changement sérieux pour s’adapter à ce nouveau contexte économique et à la hausse du coût de la vie. Ils ont demandé des changements qui leur permettront de garder plus d’argent dans leurs poches, en plus de permettre de bâtir l’économie la plus forte du G7 et d’avoir une seule économie au Canada, et non treize.
Avec le projet de loi C-4, le gouvernement s’acquitte de ce mandat, qui a reçu un appui unanime à la Chambre des communes, quelque chose qui ne se produit pas tout le temps.
[Français]
Tout d’abord, avec l’adoption de ce projet de loi, le taux marginal le plus bas de l’impôt sur le revenu des personnes physiques serait ramené de 15 % à 14 % à compter du 1er juillet 2025. Cette réduction d’impôt aiderait les Canadiens qui travaillent dur à conserver une plus grande partie de ce qu’ils gagnent pour bâtir un avenir solide pour eux-mêmes, leur famille et, bien évidemment, leur communauté.
[Traduction]
La majeure partie des avantages de cette réduction d’impôt — qui entrerait en vigueur le 1er juillet — profiterait aux Canadiens qui en ont le plus besoin, soit ceux dont le revenu se situe dans les deux tranches d’imposition inférieures et près de la moitié des économies d’impôt iraient à ceux qui se trouvent dans la tranche d’imposition la plus basse. Honorables sénateurs, cette réduction d’impôt pour la classe moyenne devrait représenter 2,6 milliards de dollars d’allégements fiscaux pour les Canadiens au cours des six prochains mois et 5,4 milliards de dollars en 2026. À l’avenir, cette réduction d’impôt pour la classe moyenne devrait permettre aux Canadiens de payer plus de 27 milliards de dollars de moins sur cinq ans, à compter de 2025-2026.
Comme nous le savons tous, l’achat d’une propriété est l’acquisition la plus importante et la plus coûteuse que la plupart des Canadiens feront dans leur vie. C’est bien plus qu’un simple investissement financier; c’est un investissement dans leur avenir, dans leur famille et dans leur retraite, afin qu’ils puissent vivre dans un endroit paisible et confortable. C’est un investissement dans ce à quoi nous aspirons tous, c’est-à-dire le rêve canadien.
Cela dit, nous comprenons que le Canada est aux prises avec une crise du logement sans précédent. Les Canadiens réclament de tous les pouvoirs publics des mesures ambitieuses pour stimuler la construction de logements et pour que les marchés de l’habitation servent les Canadiens et non l’inverse. Pour faciliter l’achat d’une maison neuve, stimuler la construction et augmenter l’offre de nouveaux logements au pays, le projet de loi C-4 éliminera la TPS pour les acheteurs d’une première propriété à l’achat d’une habitation neuve de valeur égale ou inférieure à 1 million de dollars et réduira la TPS pour les acheteurs d’une première propriété à l’achat d’une habitation neuve dont la valeur se situe entre 1 million de dollars et 1,5 million de dollars. Cela permettra aux acheteurs d’une première propriété d’économiser jusqu’à 50 000 $ à l’achat d’une habitation neuve, ce qui pourrait représenter un allègement fiscal de l’ordre de 3,9 milliards de dollars pour les Canadiens au cours des cinq prochaines années. Ainsi, un plus grand nombre de jeunes et de familles au pays pourront réaliser leur rêve de devenir propriétaire d’une maison.
Troisièmement, le projet de loi C-4 supprimera officiellement de la loi la redevance fédérale sur les combustibles, en vigueur le 1er avril 2025. En même temps, nous maintenons sans équivoque que la tarification de la pollution pour les grands émetteurs demeure un élément clé de notre plan pour bâtir une économie forte et assurer un avenir plus vert à nos enfants et nos petits-enfants.
[Français]
Enfin, le projet de loi C-4 vise à clarifier l’intention du Parlement, soit que les activités des partis politiques fédéraux concernant les renseignements personnels relèvent exclusivement de la compétence fédérale et de la Loi électorale du Canada depuis le 31 mai 2000.
Le projet de loi propose également des exigences supplémentaires relativement à la politique de confidentialité d’un parti politique fédéral à l’avenir.
[Traduction]
En conclusion, le projet de loi dont il est question aujourd’hui est un élément essentiel du plan de notre gouvernement visant à donner la priorité aux gens et à bâtir une meilleure économie, où chacun aura une chance réelle et équitable de réussir — l’économie la plus forte du G7.
J’encourage mes collègues sénateurs à nous aider dans cette importante tâche en votant en faveur du projet de loi C-4. Sur ce, je suis prêt à répondre aux questions des honorables sénateurs. Merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Nous passons maintenant aux questions. Il y a beaucoup de sénateurs qui veulent poser des questions, alors, en tout respect, monsieur le ministre, je vous informe que les sénateurs aiment les réponses brèves.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour, monsieur le ministre. C’est toujours un plaisir de vous voir. Comme je le disais, on a passé l’après-midi avec LeBlanc, maintenant on en est au Champagne. Cela finit bien la journée.
Monsieur le ministre, parlant de champagne, qui est assez coûteux, le projet de loi l’est aussi passablement. On prévoit une réduction d’impôt, un remboursement de TPS et l’abrogation de la taxe sur le carbone. Pouvez-vous nous donner une idée du coût total prévu de votre projet de loi sur cinq ans? Comment pourra-t-on financer tout cela sans augmenter le déficit?
M. Champagne : D’abord, monsieur le sénateur, je vous remercie pour votre question. C’est un plaisir et un privilège de vous voir, dans cette Chambre comme ailleurs.
Du côté de la réduction d’impôt, on parle d’une mesure qui coûtera 27,2 milliards de dollars sur cinq ans. En ce qui concerne la mesure fiscale portant sur le rabais de TPS, on parle de 3,9 milliards sur cinq ans. En additionnant ces chiffres, vous pourrez constater l’ampleur de ce que nous avons fait.
(1910)
Je crois aussi que cette mesure vient combler un besoin chez les Canadiens et Canadiennes à un moment déterminant pour l’économie canadienne. À un moment où nous faisons face également à des tarifs sans précédent, nous voulons donner un peu coup de pouce aux familles. Les gens nous ont demandé deux choses lors de la campagne électorale. Je ne parle pas seulement de notre parti, mais de tous les parlementaires, car nous avons obtenu leur appui à l’unanimité.
La première chose, c’était qu’on leur donne un coup de main. L’abordabilité est la priorité numéro un pour les gens. La deuxième question était celle du logement. Le premier projet de loi que nous déposons à la Chambre touchera donc ces deux enjeux. Je dirais que, pour les communautés partout au pays, ce sont les deux enjeux qui ont résonné le plus durant les derniers moments où nous sommes allés voir les électeurs pour leur demander comment nous pouvions répondre à leurs attentes.
Le sénateur Carignan : Parlant de logement, le remboursement de la TPS s’applique aux propriétés d’une valeur maximale de 1,5 million de dollars. Ceci exclut potentiellement les acheteurs en milieu urbain, où le prix des logements est plus élevé. Comment justifiez-vous le fait qu’on applique le même seuil d’admissibilité pour les gens de Vancouver et pour ceux de Shawinigan? Dans votre circonscription, j’ai identifié huit maisons à vendre pour plus de 1,5 million de dollars sur le site de Centris. Or, le prix de vente moyen des maisons unifamiliales à Vancouver est de 2 millions de dollars. Les gens de chez vous seront bien contents, mais pour ceux de Vancouver, la mesure n’atteint peut-être pas l’objectif souhaité.
M. Champagne : Vous avez raison de dire qu’à Shawinigan, on trouve un peu moins de maisons qui valent 1,5 million de dollars. Toutefois, avec le temps, on verra.
On doit se rappeler, monsieur le sénateur, qu’il s’agit d’une mesure d’abordabilité. Dans le projet de loi, il y a deux tests. L’un concerne les acheteurs d’une première maison. On parle d’une maison neuve. C’est une question liée à l’abordabilité, mais aussi à l’augmentation du stock de maisons neuves dans le parc immobilier. Les mesures contenues dans le projet de loi touchent environ 47 000 maisons neuves partout au pays. Si l’on examine le nombre de maisons dont la valeur est supérieure à 1,2 ou 1,5 million de dollars au Canada et qui se qualifieraient en vertu du projet de loi, on parle de 1 000 maisons. Ce chiffre vous donne une idée des proportions. C’est pourquoi notre mesure est ciblée. Si elle ne touchait que 1 000 maisons dont la valeur se situe entre 1 million et 1,5 million de dollars, vous verriez un peu mieux l’ampleur de ces proportions. Il y a 47 000 maisons d’un côté et 1 000 maisons de l’autre.
La disposition contenue dans le projet de loi est une mesure d’abordabilité qui répond à cet objectif. Je suis content que vous posiez la question et je suis heureux d’avoir l’occasion d’expliquer les choses au Sénat, car on m’a souvent posé cette question. On m’a demandé pourquoi on n’utilisait pas d’autres seuils. Le ministère des Finances a fait une analyse des données qui a révélé que seulement 47 000 maisons neuves se qualifieraient en vertu de ce programme. Il faut se rappeler qu’il y a deux tests. Vous devez être le nouvel acheteur d’une maison et il faut que ce soit une maison neuve. Or, vous en avez 47 000, et si vous appliquez le même test, le chiffre tombe à 1 000 pour les maisons dont la valeur se situe entre 1 million et 1,5 million de dollars.
Notre objectif était de favoriser l’abordabilité. Évidemment, les Canadiens font un effort collectif pour aider les gens qui veulent accéder à la propriété. En même temps, cela nous permet d’augmenter le stock de nouvelles maisons sur le marché immobilier. Ces deux tests permettent d’arriver à ces chiffres.
Le sénateur Carignan : Pourquoi vous limitez-vous aux premiers acheteurs? Si vous voulez vraiment avoir un effet sur l’économie et renouveler le stock de maisons ou le portefeuille de résidences immobilières, pourquoi ne pas avoir ouvert ce crédit de TPS à tous les acheteurs? Le chiffre que vous avez fourni n’est pas très élevé. On parle de 400 millions de dollars, peut-être.
Toutefois, si on le compare à votre baisse de taxes, qui est beaucoup plus coûteuse, à mon avis, cela ne représente qu’un petit cappuccino par semaine. Ce n’est pas ce qui va faire rouler l’économie. Toutefois, pour les acheteurs de maisons, un crédit de TPS aurait un effet beaucoup plus important. Ceux qui achètent de nouvelles maisons libèrent les anciennes. En les libérant, il y a aussi un renouvellement de ce portefeuille à cause des rénovations. L’effet économique aurait été multiplié par 10 si vous aviez accordé ce crédit de TPS à tous les acheteurs de maisons neuves. Pourquoi avoir décidé de limiter ce crédit aux premiers acheteurs? Je suis d’accord pour dire qu’il faut aider les premiers acheteurs, mais on veut aussi avoir un effet économique.
M. Champagne : Je reviens à votre première question. Évidemment, vous comprendrez que le coût fiscal ne serait pas le même. On a décidé de réduire l’impôt pour 22 millions de Canadiens et Canadiennes. Comme la mesure vise la première tranche d’imposition, tous les contribuables au Canada auront droit à une réduction d’impôt à compter du 1er juillet si le Sénat adopte le projet de loi et si ce dernier reçoit la sanction royale. Notre mesure touche une grande partie des Canadiens et Canadiennes, parce que 22 millions de contribuables en profiteront. Pour certains, le montant peut sembler modeste, mais pour une famille qui gagne deux revenus, l’économie peut aller jusqu’à 840 $. Si l’on considère que le revenu médian au Canada se situe entre 37 000 $ et 40 000 $, dans un cadre comme celui-là, pour certaines familles, le montant peut représenter un coup de pouce important, à un moment où, comme vous le savez, notre cadre fiscal doit faire face à plusieurs éléments en même temps. Notre grande priorité était la question de l’abordabilité.
Pour revenir à votre question principale, il faut se rappeler que derrière tout cela, vous demandez à l’ensemble des contribuables d’aider les gens. On s’est dit que ce qu’on voulait faire, c’est aider les jeunes familles, aider ceux qui essaient d’accéder au marché immobilier. Vous conviendrez avec moi que pour nos enfants, il est difficile d’accéder au marché immobilier aujourd’hui. Vous avez cité des chiffres qui reflètent la réalité dans certaines grandes villes canadiennes. Cela exige un effort colossal pour bien des jeunes.
Si je prends l’exemple de mes filles, si elles voulaient s’acheter une maison aujourd’hui, selon le secteur ou la ville, il faudrait qu’elles aient accumulé pas mal d’épargnes pour se qualifier. On voulait vraiment adopter une mesure d’abordabilité pour aider les jeunes familles à accéder à la propriété tout en augmentant le stock de maisons. Effectivement, on aurait pu concevoir la mesure autrement. Toutefois, nous avons fait ce choix pour respecter un cadre fiscal, d’une part. Si on avait étendu la mesure, le coût fiscal aurait été différent. En même temps, si vous prenez ces deux mesures, vous obtenez une réduction d’impôt pour 22 millions de Canadiens et vous avez aussi une mesure en faveur du logement. Ces deux mesures combinées donneront un coup de pouce à plusieurs familles au pays.
Le sénateur Carignan : L’effet aurait été plus important si vous aviez accordé le crédit de TPS sur les maisons neuves. Toutefois, je comprends bien qu’il y avait un choix politique à faire.
Vous avez parlé de vos filles; je vous parlerai donc de la mienne. Elle vient de s’acheter une première maison qui n’est pas neuve et elle doit rénover la cuisine. Votre projet de loi a une disposition ayant trait aux rénovations majeures. Que représente une rénovation majeure au sens de la loi? J’ai essayé de trouver la définition, mais je ne l’ai pas trouvée. Est-ce que changer une cuisine constitue une rénovation majeure?
M. Champagne : Le fait que votre fille se lance dans l’immobilier est une bonne chose. Cela aidera l’économie. Je pourrais demander aux fonctionnaires de vous répondre plus en détail. Pour garder les choses simples, dans le projet de loi, on s’est référé à des définitions qui existent déjà en vertu d’autres lois habilitantes pour éviter de créer une nouvelle définition, par exemple, pour ce qui est de déterminer ce qu’est un premier acheteur. On s’est basé sur des règles fiscales qui existent déjà pour ne pas créer une nouvelle classe.
Comme vous le savez, l’un des enjeux auxquels on doit souvent faire face est le fait que les règles fiscales sont complexes à interpréter pour les familles. On s’est donc basé sur des définitions qui existent déjà dans différentes lois habilitantes pour définir ce qu’est un premier acheteur et déterminer quelles rénovations majeures pourraient être reconnues. Je laisserai les fonctionnaires vous répondre ou vous revenir avec une réponse par écrit. Je peux leur demander de vous parler ce soir pour répondre à votre question plus en détail, car ces définitions font partie d’autres règlements et lois habilitantes. Comme je l’ai dit, on n’a pas créé de nouvelles catégories ni de nouvelles règles pour ces définitions. On s’est basé sur des règles existantes pour éviter de rendre plus complexe une mesure que nous voulons garder simple.
Le président : Monsieur le ministre, vous comprendrez que je devrai parfois vous interrompre, et je m’en excuse, mais je suis le gardien du temps.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre, et bienvenue à vos collaborateurs. Je suis ravie de vous voir.
Mes questions portent sur le projet de loi C-4, partie 4. Je me réjouis de voir que le projet de loi C-4 confirme que les partis enregistrés et les partis admissibles sont soumis à une surveillance fédérale en vertu de la Loi électorale du Canada. C’est une très bonne idée, selon moi.
(1920)
Le rôle que jouent les partis politiques dans les élections est au cœur de la démocratie canadienne. Des études montrent que 99 % des députés élus à la Chambre des communes au cours des 30 dernières années l’ont été en tant que représentants d’un parti politique. Ces partis jouent donc un rôle très important dans notre système.
Monsieur le ministre, pouvez-vous expliquer pourquoi le gouvernement a choisi de ne pas mettre en œuvre les recommandations très claires que le directeur général des élections a adressées au Parlement afin de mieux protéger la vie privée des électeurs? Il a recommandé, à cette fin, d’appliquer les principes de confidentialité et le mécanisme de surveillance largement acceptés qui s’appliquent à d’autres institutions fédérales clés. Il a fait ces recommandations après les 43e et 44e élections. Les dispositions du projet de loi C-4 ne satisfont même pas au niveau minimal de protection de la vie privée des électeurs exigé par le directeur général des élections.
Pourriez-vous aussi expliquer clairement pourquoi le gouvernement n’a pas mis en œuvre d’autres recommandations importantes du directeur général des élections, notamment au sujet de la collecte de données démographiques sur les participants aux élections? Merci.
M. Champagne : Merci beaucoup, sénatrice. Merci d’avoir parlé de la partie 4, qui a manifestement suscité certaines questions. Dans votre question, vous avez souligné la nécessité d’un régime national, d’un régime commun à tous les partis fédéraux à l’échelle du pays, plutôt que l’ensemble disparate que l’on obtiendrait en confiant cette compétence aux provinces, ce qui, si j’ai bien compris, a soulevé certaines questions.
L’autre question qui sera certainement posée est la suivante : pourquoi avons-nous choisi le projet de loi C-4 pour apporter ces changements? Je dirais que c’est parce qu’il s’agissait de la première occasion que nous avons eue depuis l’an 2000 de clarifier le souhait de la Chambre d’avoir une compétence fédérale exclusive en matière de protection des renseignements personnels des partis politiques.
Si vous considérez la loi actuelle et les améliorations qui y ont été apportées, vous constaterez que nous avons pris en considération un certain nombre d’éléments, car désormais, les partis politiques devront expliquer non seulement ce qu’ils font, mais aussi comment ils le font. Ils devront se doter d’une politique en matière de protection des renseignements personnels. Elle devra être publiquement disponible et rédigée dans les deux langues officielles et dans un langage clair. Les partis devront également se doter d’un agent de la protection des renseignements personnels.
Il ne s’agit donc pas simplement de revenir à l’intention initiale, ce que nous tenons à préciser. Vous constaterez que le projet de loi C-4 prévoit un certain nombre d’améliorations du régime actuel, qui seront toutes soumises à l’autorité du directeur général des élections et du commissaire aux élections fédérales.
On a également ajouté des sanctions administratives pécuniaires en cas d’infraction. Je pense que nous aurons un régime plus solide que celui dont nous disposons actuellement. Si la Chambre le souhaite éventuellement, ce régime pourra toujours être élargi. Je pense qu’il est urgent d’agir afin de garantir que nous disposions d’un régime national unique, d’un ensemble de règles qui s’appliquerait à tous les partis politiques fédéraux. Je pense que c’est préférable à une législation disparate qui couvrirait les partis politiques fédéraux. Voilà pourquoi la Chambre a adopté cette mesure à l’unanimité.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Monsieur le ministre, le Réseau national pour les personnes handicapées, la Marche des dix sous du Canada et quelques-uns de vos collègues députés sont très préoccupés des conséquences inattendues de la réduction d’impôt de 15 % à 14 % dans le cas des Canadiens qui bénéficient du crédit d’impôt pour personnes handicapées et du crédit d’impôt pour frais médicaux. Selon eux, cette réduction du taux d’imposition de base entraînerait une diminution de la valeur en dollars de ces deux crédits d’impôt pour ces Canadiens. On sait qu’ils assument déjà des dépenses essentielles plus élevées en raison de leur handicap. Donc, on sera d’accord pour dire que ce n’est certainement pas l’objectif de cette mesure.
J’ai deux questions pour vous. Êtes-vous au courant que cette baisse d’impôt risque de ne pas profiter pleinement et équitablement aux personnes en situation de handicap? Avez-vous l’intention de corriger cette malheureuse situation, par exemple, au moyen d’un amendement au projet de loi C-4, comme ces organismes vous le demandent?
M. Champagne : Je vous remercie de soulever cette importante question, madame la sénatrice. Tout cela peut affecter des gens, et certaines personnes qui nous regardent ce soir à la maison vont sûrement se poser cette question. Je suis donc heureux que vous la souleviez.
C’est une question que l’on a étudiée et analysée au ministère des Finances. Il faut examiner la situation dans laquelle le contribuable va se retrouver; il y a 4,5 millions de personnes qui réclament le crédit d’impôt dont vous avez parlé. Quand on regarde le résultat net, on constate qu’ils s’en sortiront mieux, parce que d’un côté, il y a une réduction d’impôt et de l’autre, il y a aussi une baisse du crédit d’impôt. Quand vous faites le calcul net des deux, la vaste majorité des gens qui vont recevoir le crédit se retrouveront dans une meilleure position qu’avant. C’est l’analyse que nous avons faite.
Quand vous mettez en place des mesures fiscales comme celle-ci, il y a toujours des conséquences. Donc, on a fait en sorte que la vaste majorité des gens qui reçoivent ce crédit d’impôt non remboursable profiteront également de la baisse d’impôt; cette baisse d’impôt sera plus importante que la réduction du crédit, donc pour ce qui est du résultat net, ces personnes seront dans une meilleure position.
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de votre réponse. Je comprends bien qu’on parle de la vaste majorité, mais j’aimerais clarifier quelque chose. Outre cette vaste majorité, quand on pense à ce groupe de personnes en situation de handicap, seront-elles affectées de manière non équitable? Est-on d’accord là-dessus?
M. Champagne : J’aimerais corriger quelque chose. On parle d’une vaste majorité des gens qui reçoivent le crédit; il ne s’agit pas de la vaste majorité des citoyens, mais de tous ceux qui sont admissibles au crédit d’impôt. Je parle de la vaste majorité. Ces cas seraient exceptionnels, parce qu’il faudrait que vous ayez plus de crédit que ce que vous réclamez de l’autre côté. La très grande majorité des gens qui reçoivent ce crédit d’impôt vont se retrouver dans une position plus favorable qu’auparavant. Des études ont été faites à ce sujet.
[Traduction]
La sénatrice Simons : J’aimerais reprendre là où ma collègue, la sénatrice Dasko, a commencé. En 2024, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que les lois provinciales sur la protection des renseignements personnels devaient s’appliquer aux partis politiques fédéraux. Je comprends que le gouvernement veuille que nous ayons des normes fédérales nationales plutôt qu’un ensemble de normes disparates. Cependant, vous avez créé des normes inférieures à celles qu’on trouverait dans le secteur privé ou dans d’autres secteurs gouvernementaux. Je ne suis pas surprise que tous les partis aient accepté cela. On laisse entrer le loup dans la bergerie, car il est dans l’intérêt de ces partis de pouvoir exploiter ces renseignements sur les électeurs.
En cette période où nous devrions renforcer la confiance des Canadiens dans la démocratie et encourager leur participation aux institutions démocratiques, je pose de nouveau la question. Pourquoi avez-vous affaibli les normes de protection de la vie privée pour les membres des partis politiques, et pourquoi avez-vous glissé de telles mesures dans un projet de loi fiscal auquel il sera pratiquement impossible de s’opposer? De grâce, ne nous répétez pas que c’était pour pouvoir adopter ces mesures le plus tôt possible.
M. Champagne : Je crains de vous décevoir, sénatrice. Je dirais que c’est parce que c’est la première fois que nous pouvions le faire. Cela reflète également l’intention de la Chambre des communes. Je comprends que certaines personnes soient en désaccord, mais la Chambre voulait préciser l’intention visée, non seulement en ce moment, mais aussi en 2000. Il n’y a rien de nouveau. Il s’agit simplement de réaffirmer que lorsque nous avons modernisé la Loi électorale du Canada — je crois que c’était en 2023 —, il y avait déjà des articles pour clarifier ce point. En tant qu’avocat, je dirais qu’il s’agit simplement de préciser quelle était l’intention du législateur en 2000. C’est censé être ainsi depuis le début, alors il n’y a rien de nouveau.
D’autre part, je dirais aux gens qui ont une opinion différente que si l’on examine les dispositions de la loi, celles-ci ont renforcé le système pour en faire la version que l’on connaît aujourd’hui. La Chambre, en tout cas, était convaincue qu’il valait mieux avoir un cadre national unique, une seule norme qui prescrit un certain nombre de règles. Les partis doivent publier leur politique en matière de protection des renseignements personnels, ils doivent nommer un agent de la protection des renseignements personnels et ils s’exposent à des sanctions. En cas de non-respect des règles, ils sont même passibles d’une radiation en tant que parti politique fédéral.
Je considère que le projet de loi contient plusieurs freins et contrepoids, mais je comprends que certaines personnes puissent avoir un point de vue différent à ce sujet. En tout cas, la Loi électorale du Canada est un cadre reconnu dans le monde entier pour être l’un des meilleurs pour la démocratie et ‘elle sert bien le Canada depuis très longtemps.
Le sénateur Al Zaibak : Monsieur Champagne, merci beaucoup d’être parmi nous aujourd’hui, avec votre équipe. C’est toujours un plaisir de vous voir.
(1930)
Monsieur le ministre, l’abrogation des dispositions relatives à la tarification du carbone et à la redevance sur les combustibles marque un changement important dans la politique du gouvernement. Pourriez-vous expliquer de quelle façon le gouvernement continuera à favoriser la réduction des émissions tout en garantissant des prix à la portée des Canadiens, compte tenu de la perte de la taxe sur le carbone afférente?
M. Champagne : Monsieur le sénateur, c’est également un réel plaisir de vous voir ici. C’est un véritable privilège de comparaître devant vous.
Vous avez tout à fait raison. C’est une très bonne question, que les gens se poseront. C’est un engagement que nous avons pris et, dans la loi, nous ne faisons évidemment que confirmer ce que nous avions annoncé, à savoir que cette mesure entrerait en vigueur le 1er avril 2025.
Il s’agit en fait d’alléger la partie de la loi qui concerne les consommateurs, comme vous le savez, parce que nous nous attendons toujours... La partie 2 de la loi est d’ailleurs toujours en vigueur pour les grands émetteurs, qui devront évidemment contribuer à financer la lutte contre les changements climatiques.
Je situerais également cette mesure dans le contexte général d’un certain nombre d’incitatifs et de crédits d’impôt à l’investissement que nous avons proposés pour que le Canada non seulement lutte contre les changements climatiques, mais qu’il soit aussi un chef de file mondial en la matière. Vous avez peut-être vu que nous avons une série de crédits d’impôt à l’investissement qui nous ont permis, par exemple, de créer la chaîne d’approvisionnement en batteries la plus complète qui soit. Même Bloomberg a classé le Canada devant la Chine. Ce n’est pas tous les jours que nous nous classons devant la Chine sur le plan industriel, mais Bloomberg a récemment classé le Canada devant la Chine pour l’écosystème que nous avons créé pour les batteries. Cela montre que le Canada a la situation parfaitement en main.
Le premier ministre Carney a déclaré vouloir faire du Canada une superpuissance énergétique. Je pense que le pays dispose des atouts nécessaires à l’atteinte de cet objectif. Nous pouvons exploiter nos ressources de manière responsable et durable, en appliquant les meilleures pratiques qui existent dans le monde.
D’une part, nous aidons les consommateurs, mais d’autre part, nous avons pris l’engagement de lutter contre les changements climatiques, qui constituent véritablement la menace existentielle du siècle. En ce moment, on a peut-être l’impression que divers facteurs freinent notre lancée, mais je pense que les sénateurs et tous les Canadiens tiennent toujours à ce que nous poursuivions nos efforts concertés pour lutter contre les changements climatiques.
Le sénateur Al Zaibak : Merci. Je me demande également si le gouvernement envisage d’autres mécanismes, tels que des investissements dans les technologies propres ou l’efficacité énergétique des logements, pour aider les ménages à passer à un environnement post-tarification du carbone.
M. Champagne : Je suis heureux que vous ayez posé cette question, sénateur, car je souhaite que le Canada soit le fournisseur de choix pour le monde entier. En matière de technologies vertes, le Canada peut vraiment devenir ce fournisseur de choix pour le monde entier. Le monde se tourne vers le Canada à bien des égards. Nous attirons les talents. Nous avons une industrie forte. Nous sommes l’un des rares pays à produire à la fois des voitures, des avions et des navires. Nous disposons de minéraux critiques. Nous avons de l’énergie et nous sommes le seul pays du G7 à avoir conclu un accord de libre-échange avec tous les autres pays du G7.
D’une part, quand je regarde le monde, je vois qu’il existe des problèmes, mais d’autre part, je peux vous dire que, lorsque j’ai accueilli les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G7, bon nombre de personnes auraient aimé être à ma place. Lorsque l’on regarde le monde et le ratio dette-PIB du Canada, nous sommes probablement mieux placés que beaucoup d’autres pays pour relever les défis que présente notre nouvelle réalité.
C’est pourquoi j’ai confiance en l’avenir et c’est pourquoi cette mesure législative qui vise à faire baisser le coût du logement, à faire construire davantage de maisons et à régler les problèmes liés à la tarification du carbone correspond à ce que veulent les Canadiens. Ils veulent que nous voyions grand. Ils veulent que nous soyons ambitieux. Ils veulent que nous bâtissions une économie canadienne résiliente, et nous devons tous être à la hauteur de ce qui nous attend.
Le sénateur Al Zaibak : Je cède le reste de mon temps de parole au sénateur Deacon.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur le ministre, vous savez que la protection de la vie privée, les droits en matière de données, la charte du numérique et la modernisation des mesures de protection de la vie privée pour les Canadiens me tiennent à cœur. Nous en avons parlé à plusieurs reprises. À ce titre, je dois également vous interroger sur la partie 4 du projet de loi C-4, Loi visant à rendre la vie plus abordable pour les Canadiens.
Le projet de loi propose un régime de protection de la vie privée qui ne prévoit ni consentement, ni mécanisme de reddition de comptes, ni surveillance indépendante lorsque les partis politiques fédéraux recueillent des données. Le régime serait rétroactif à 2000, soit il y a 25 ans. Les experts en protection de la vie privée et les comités de rédaction ont vivement critiqué la mesure proposée. La partie 4 risque de miner la confiance que le premier ministre a travaillé fort pour gagner auprès des Canadiens.
Pouvez-vous nous aider à comprendre en quoi la partie 4 aide les Canadiens en cette période d’instabilité géopolitique et économique? Compte tenu de la modification visant à empêcher les mesures disparates qui a confirmé la compétence des partis politiques fédéraux dans la Loi d’exécution du budget de 2023, pourquoi s’agit-il d’une priorité urgente? Une telle chose a déjà été faite. Y a-t-il une date limite précise qui oblige le gouvernement à adopter ces modifications dès maintenant?
M. Champagne : Merci, sénateur. Je tiens à vous remercier pour votre travail sur la protection de la vie privée. Vous avez toujours été une source de conseils et de réflexion à ce sujet, et je vous en suis reconnaissant; je tenais simplement à vous le dire. Travailler avec nous, c’est également le rôle du Sénat.
En ce qui concerne cette mesure en particulier, revenons à son essence même. Remontons à l’année 2000. Nous disons aux tribunaux quelle était l’intention de la Chambre des communes en 2000.
De plus, nous améliorons le régime. Regardez ce qui figure actuellement dans la loi et ce qui y sera ajouté si la mesure est adoptée par le Sénat et reçoit la sanction royale. Vous aurez un agent de la protection des renseignements personnels. Vous aurez une déclaration sur les types de renseignements personnels recueillis dans le cadre de toutes les activités : ce qui est conservé, ce qui est divulgué, ce qui est retiré. Je dirais, avec tout le respect que je vous dois, sénateur, que nous sommes en phase avec le régime.
Pourquoi devons-nous le faire? Parce que nous devons assurer la prévisibilité. Nous devons faire connaître aux tribunaux l’intention de la Chambre. Cette fois-ci, il ne s’agit pas seulement de l’intention d’un seul parti, mais du soutien unanime de tous les parlementaires qui indiquent aux tribunaux quelle était l’intention en 2000 afin d’éviter toute interprétation erronée de l’intention de la Chambre. C’est notre rôle en tant que législateurs : apporter des éclaircissements pour que les tribunaux puissent interpréter la volonté du peuple telle qu’elle s’exprime dans le projet de loi que nous avons adopté et dans la manière dont nous l’avons fait en 2000.
Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le ministre. J’ai du mal à comprendre. Les Canadiens veulent plus de contrôle et de transparence. Ils veulent pouvoir donner leur consentement, avoir accès à leurs données personnelles, pouvoir retirer celles-ci et bénéficier d’une surveillance indépendante. Ce projet de loi ne prévoit pas de surveillance indépendante. Les deux mandataires du Parlement responsables dans ce domaine, le commissaire à la protection de la vie privée et le directeur général des élections, recommandent quelque chose de très différent. Cette mesure va à l’encontre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, du Règlement général sur la protection des données et même de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs.
Je me demande simplement : si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous? Quand le gouvernement présentera-t-il un projet de loi qui comblera les lacunes en matière de protection de la vie privée des partis politiques, un projet de loi qui accordera cette protection aux Canadiens? Envisageriez-vous d’amender ou de supprimer la partie 4 jusqu’à ce que des mesures adéquates de protection de la vie privée soient mises en place?
M. Champagne : Encore une fois, sénateur, je vous remercie pour la question. Vous savez que j’ai travaillé fort pour mettre à jour les lois en matière de protection des renseignements personnels à l’autre endroit à la législature précédente, mais malheureusement, nous n’avons pas atteint notre objectif. Je suis d’accord avec vous; il faut mettre à jour les lois qui régissent la protection des renseignements personnels. Toutefois, en ce qui concerne les partis politiques fédéraux, la loi qui régit la protection des renseignements personnels est la Loi électorale du Canada. C’est la volonté de la Chambre des communes.
Voilà pourquoi je dis que je comprends ce que vous dites, mais cela va tout de même demeurer du ressort du directeur général des élections et de la commissaire aux élections fédérales et faire l’objet de sanctions pécuniaires. Cela pourrait même mener à la radiation d’un parti politique fédéral, ce qui serait exceptionnel, quelles que soient les circonstances.
Pourquoi devions-nous faire cela? Nous devions préciser quelle était notre intention en 2000 et communiquer la volonté de la Chambre à cet égard aux instances judiciaires. Nous avons besoin d’un cadre de travail uniforme aux dispositions améliorées. Je suis convaincu que le sénateur a lu le projet de loi; il améliore les dispositions. Cela dit, le gouvernement pourra plus tard décider d’apporter d’autres modifications à la Loi électorale du Canada. Pour l’instant, nous croyons que c’est ce qui s’impose pour fournir un ensemble de règles uniforme.
Comme je l’ai dit, je comprends que certains puissent souhaiter qu’il en soit autrement, mais il est rare à la Chambre que l’on obtienne un consensus unanime sur un sujet, quel qu’il soit. Je pense que les préoccupations des différents partis ont été prises en compte et que la Chambre s’est prononcée.
(1940)
Le sénateur Cuzner : Monsieur le ministre, je suis ravi de vous voir. Félicitations pour votre nomination au poste de ministre des Finances. Je tiens à vous féliciter. Les dispositions concernant la partie 4, qui se rapportent à la Loi électorale du Canada et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, ne relèvent pas directement de vos responsabilités. Cependant, je pense que vos interventions ici ce soir ont été très appréciées.
Pourriez-vous nous expliquer plus en détail pourquoi vous jugez important que la Chambre des communes ait appuyé ces modifications à l’unanimité? En ce qui concerne certaines des préoccupations exprimées, qui sont tout à fait légitimes, nous sommes évidemment plus près du début de cette législature que de la fin. Rien dans ce projet de loi n’empêche le gouvernement de prendre des mesures pour répondre à certaines des préoccupations soulevées jusqu’à présent ce soir.
M. Champagne : Merci, monsieur le sénateur. Je suis heureux de vous voir au Sénat et de répondre à vos questions.
Votre question est très importante. Elle s’adresse aux députés. Je veux être très franc. Il est urgent pour nous d’établir clairement une norme uniforme à l’échelle nationale afin d’éviter des politiques disparates. Je suis très sensible aux questions et aux commentaires des autres sénateurs.
Une autre chose dont j’entends souvent parler, ce sont les organisations, et j’exclus même ici les partis politiques fédéraux. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, je souhaite qu’on établisse une norme fédérale. Il faut tenir compte du fait qu’il y a 10 provinces. Les politiques disparates n’aident pas à trouver un dénominateur commun ou une norme commune.
Dans ce projet de loi, monsieur le sénateur, je ne dirais pas qu’il y a des améliorations. J’entends des sénateurs dire qu’on aurait pu aller plus loin, mais il y a déjà une amélioration par rapport à la situation actuelle. La loi exigera qu’on publie la politique de confidentialité, la manière dont les renseignements sont traités et quels renseignements sont recueillis. Des sanctions pécuniaires sont prévues pour les partis politiques. Comme je l’ai dit, cela pourrait même conduire à leur radiation. C’est une mesure assez forte pour ceux qui ne tiendraient pas compte des préoccupations en matière de confidentialité conformément à leur politique de confidentialité. Nous faisons donc un pas en avant.
Ce que je comprends du sénateur, c’est qu’éventuellement, le Parlement pourrait décider d’aller plus loin. Peut-être, mais ce que je dis au sénateur, c’est qu’il s’agit d’un pas en avant qui reflète l’intention, car il faut préciser ce qu’était l’intention, puisque nous devons fournir des orientations aux tribunaux. En ma qualité d’avocat, je ne souhaite rien de mieux que de voir la Chambre affirmer clairement que l’intention en 2000 était que ce régime national soit régi par la Loi électorale du Canada. Grâce à cette loi, nous apporterons des précisions aux tribunaux afin de disposer d’une norme nationale uniforme.
[Français]
La sénatrice Gerba : Monsieur le ministre, merci d’être parmi nous aujourd’hui et bienvenue à votre première intervention devant un comité plénier du Sénat.
Le projet de loi C-4 est présenté comme une mesure phare pour améliorer l’abordabilité à un moment où des millions de nos concitoyens peinent à joindre les deux bouts.
Ce qui est assez surprenant, c’est qu’on voit dans le projet de loi que les personnes à faible revenu — qui ne paient presque pas ou paient très peu d’impôt — sont celles qui risquent d’en bénéficier le moins. Or, les économistes estiment que les crédits d’impôt remboursables sont un bien meilleur outil, un outil fort efficace pour soutenir les populations vulnérables.
Avez-vous pensé à d’autres mesures ou envisagé de renforcer plutôt les crédits d’impôt remboursables, plutôt que de réduire le taux marginal d’imposition pour tout le monde?
M. Champagne : Merci pour votre question, madame la sénatrice. C’est un privilège d’être parmi vous ce soir.
Vous avez raison, c’est pour cela qu’on a décidé de réduire l’impôt de la première tranche fiscale, parce qu’on aurait pu faire un choix différent. Cependant, en prenant la première tranche fiscale, c’est-à-dire les gens qui ont un revenu pouvant aller jusqu’à 57 375 $ et moins, on s’assure de toucher un plus grand nombre de Canadiens. On parle de 22 millions de Canadiens et Canadiennes : tous ceux qui soumettent une déclaration de revenus vont bénéficier de cette mesure à partir du 1er juillet.
Les principales mesures proposées iront aux deux premières tranches d’imposition. Cependant, si l’on prend les chiffres de 2025, c’est 45 % de tout cela qui ira à la première tranche et 41 % à la deuxième. Pour les gens à faible revenu ou pour les deux premières tranches d’imposition, on parle de 86 % du bénéfice.
On aurait pu faire un choix différent, mais c’est avec la première tranche d’imposition que l’on va chercher les gens à plus faible revenu au pays. À partir de 2026, 44 % de cette mesure touchera les gens dans la première tranche d’imposition au pays. C’est probablement l’une des mesures les plus directes que l’on pouvait adopter. Je suis prêt à avancer que quand vous laissez de l’argent dans les poches des gens, c’est sûrement encore mieux que de leur donner un crédit d’impôt, puisque c’est de l’argent. D’ailleurs, comme vous le savez, les tables des déductions à la source seront modifiées à partir du 1er juillet si la mesure est adoptée et nous allons, de manière immédiate, concrète et directe, réduire la portion d’impôt que ces gens doivent payer.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre, dans vos nouvelles fonctions. Je voudrais parler brièvement des coopératives d’habitation. Je suis heureux de voir qu’on aborde ce sujet dans le projet de loi dans les modifications à la Loi sur la taxe d’accise. Ce n’est pas très utile dans le cadre de ce projet de loi, mais j’aimerais simplement connaître votre opinion sur l’importance des coopératives d’habitation et savoir si vous envisagez d’autres mesures en matière de logement abordable.
J’ai une brève observation à formuler au sujet de la mesure législative complémentaire que nous examinons concernant la possibilité pour le gouverneur en conseil de déroger à une loi. On a entendu beaucoup de préoccupations à ce sujet, et je vous encourage à envisager de limiter ce pouvoir dans le projet de loi C-5, mais j’aimerais connaître votre opinion sur les coopératives d’habitation.
M. Champagne : Merci, sénateur. C’est un plaisir et un privilège d’être avec vous ce soir.
Vous avez raison de dire que ce n’est pas la seule mesure. Évidemment, le logement est probablement l’une des principales sources de préoccupation pour les Canadiens partout au pays. L’abordabilité et le logement sont probablement les deux choses dont les gens parlent le plus parce que cela touche les gens dans leur vie quotidienne. Cela vaut pour l’ensemble du pays.
L’élimination et le remboursement de la TPS ne sont évidemment qu’une partie d’une série de mesures en matière de logement. Le gouvernement a abordé la question du logement un peu comme on l’avait fait à partir de la Seconde Guerre mondiale. C’est un effort de guerre visant à construire davantage et à faire en sorte que des logements abordables soient disponibles. Je peux parler de l’Allocation canadienne pour le logement et de l’Initiative fédérale de logement communautaire. Nous avons investi des sommes considérables pour aider les coopératives et les collectivités à construire des logements abordables. C’est pourquoi je dis que vous devez considérer la mesure du projet de loi C-4 comme faisant partie d’un ensemble de mesures visant à offrir le plus de possibilités aux Canadiens afin qu’ils puissent acheter une maison dans notre pays. En toute honnêteté, dans un pays aussi grand que le Canada, et avec toutes les industries que nous avons, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas relever ce défi ensemble.
Le premier ministre a été très clair quant à notre ambition de construire davantage de logements au Canada, à hauteur de 500 000 logements. C’est un effort que nous avons vu. Nous tirons également des leçons de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Vous avez peut-être vu les brochures distribuées lorsque les gens avaient des plans approuvés. Ce pays sait accomplir de grandes choses. Lorsque nous agissons collectivement et que nous affrontons les défis, nous sommes en mesure de les surmonter.
Le projet de loi C-4 n’est qu’une mesure parmi tant d’autres visant à régler le problème du logement dans l’ensemble du pays.
(1950)
Le sénateur Varone : Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. C’est un plaisir de vous recevoir ce soir, et je vous remercie d’avoir organisé la séance d’information technique de ce matin.
Ma question porte sur la partie 2 du projet de loi C-4. Si un acheteur potentiel n’en est pas à son premier achat sur le marché de l’immobilier, le projet de loi impose d’autres restrictions : le sous-alinéa 5(2.1)e)(i) exige que l’acheteur habite le logement immédiatement après la conclusion de la vente, et le sous-alinéa 5(2.1)e)(ii) exige que l’acheteur déclare que le logement est son lieu de résidence. Il me semble que cette approche revient à ajouter une ceinture à des bretelles face à un enjeu crucial pour l’entrée sur le marché.
Il existe un groupe très important de premiers acheteurs qui ne sont pas prêts à occuper un logement, mais qui souhaitent entrer sur le marché et qui ne profiteront pas de ce projet de loi. Ce groupe comprend, pour n’en citer que quelques-uns, des couples qui vont bientôt se marier, de jeunes diplômés, des personnes qui viennent d’entrer dans la vie active, et même des gens qui vivent dans le sous-sol de leurs parents. Ce projet de loi les empêche de bénéficier des mesures proposées puisqu’ils ne sont pas prêts à occuper et à déclarer comme résidence principale le logement qu’ils viennent d’acquérir.
Si le projet de loi a été créé pour stimuler un secteur en difficulté, il aurait fallu chercher des moyens d’élargir, et non de réduire le nombre de premiers acheteurs. Un premier acheteur qui choisit de louer le logement qu’il vient d’acheter n’est pas moins un premier acheteur que celui qui décide de l’occuper. Pourquoi faire cette distinction?
M. Champagne : Merci de votre question, sénateur. Elle est très réfléchie, et je vous suis reconnaissant de la poser.
Il faut revenir à l’intention du projet de loi, qui concerne l’abordabilité. Il vise à aider les jeunes familles et — dans les cas que vous avez présentés — d’autres gens à faire l’achat d’une première maison, une maison neuve, au pays. Je ne pense pas qu’il ait été conçu pour l’investissement.
N’oublions pas qu’il s’agit avant tout d’abordabilité. « Abordabilité » fait partie du titre du projet de loi. L’abordabilité est — du moins, à mes yeux — ce qui aide une jeune famille à faire l’achat d’une première propriété.
Je comprends que nous aurions pu nous y prendre différemment, mais si on considère les choses d’abord sous l’angle de l’abordabilité, il devrait s’agir d’une habitation que l’on occupera, et non d’un investissement. En effet, le projet de loi vise à favoriser l’accès à une première maison, plutôt qu’à un investissement immobilier dont on retirera des revenus de location.
Je comprends que nous aurions pu nous y prendre différemment, mais je peux vous assurer que notre priorité absolue au moment de rédiger le projet de loi était vraiment de trouver une solution pour aider les gens.
Nous avons écouté les points de vue d’étudiants, de jeunes familles, et même de gens dans la trentaine qui tentent d’acheter leur première maison. Nous voulions vraiment nous assurer que les résidences seraient habitées, et nous tenions aussi à augmenter le parc de logements neufs au pays.
La sénatrice Moodie : Merci d’être parmi nous ce soir, monsieur le ministre. Je vais changer un peu le sujet de la discussion.
Selon la mesure du panier de consommation, 10 % des Canadiens vivent dans la pauvreté. En fait, cet indice n’est franchement pas assez sensible et laisse de nombreux Canadiens de côté. Un enfant canadien sur cinq vit dans la pauvreté.
Quelles stratégies de réduction de la pauvreté avez-vous envisagées pendant vos délibérations sur la manière d’améliorer l’abordabilité, et pas seulement pour la classe moyenne?
Quelles autres mesures votre gouvernement prévoit-il prendre pour réduire la pauvreté, en particulier chez les Canadiens à très faible revenu et les populations vulnérables qui en ont réellement besoin?
M. Champagne : Merci, sénatrice. Je vous remercie de votre question, car je pense qu’il faut considérer le projet de loi C-4 comme faisant partie d’un ensemble plus large de mesures que nous avons prises pour lutter contre la pauvreté au pays. Je pense notamment au Programme national d’alimentation scolaire pour les enfants, que le gouvernement a mis en place. Je n’ai pas les données exactes avec moi, mais des centaines de milliers d’enfants n’ont plus faim le matin lorsqu’ils sont en classe.
Je pense que c’est ce qui nous définit en tant que Canadiens. La lutte contre la pauvreté doit toujours être au cœur de nos préoccupations.
Lorsque nous diminuons les impôts pour 22 millions de Canadiens, vous pourriez également considérer la question de l’abordabilité. Cette mesure aidera également. Le revenu médian au pays se situe entre 37 000 $ et 40 000 $. Lorsque vous accordez un allègement fiscal pouvant atteindre 840 $ à une famille ayant deux revenus, cela aide. Il y a également l’Allocation canadienne pour enfants.
Il y a un ensemble de mesures visant à s’attaquer à la question très importante que vous avez soulevée : la réduction de la pauvreté au pays, et en particulier la pauvreté chez les enfants.
Nous avons soutenu les Canadiens dans les moments difficiles, et je pense que vous pouvez compter sur nous pour continuer à faire de l’abordabilité l’une de nos principales priorités.
Le premier ministre a dit très clairement que tous les ministres doivent réfléchir en ce sens pour veiller à ce que, dans le cadre de nos fonctions, nous nous demandions comment nous pouvons mieux servir les Canadiens, avoir un gouvernement adapté au XXIe siècle et nous attaquer à la pauvreté, qui est l’un des grands problèmes de notre pays.
Le sénateur Loffreda : Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et je vous félicite.
Ma question porte sur les critères d’admissibilité des Canadiens au remboursement pour habitations neuves pour acheteurs d’une première habitation. L’alinéa 4(2.1)b) précise que le contrat de vente doit être conclu après le 26 mai 2025 et avant le 26 mai 2031 — le 26 mai étant la date à laquelle le projet de loi a été présenté pour la première fois à l’autre endroit.
Même si je comprends que le gouvernement devait établir une date de début claire pour la demande de remboursement, a-t-on envisagé d’utiliser la date de signature ou de prise possession plutôt que la date d’achat comme base d’admissibilité?
Je pose la question parce que c’est un sujet de discussion. Comme vous le savez peut-être, une pétition en ligne réclamant ce changement a déjà recueilli 2 500 signatures.
M. Champagne : Je vous remercie de votre question. Comme vous pouvez vous en douter, monsieur le sénateur, on m’a déjà posé cette question.
Il faut que la date corresponde au moment où les gens prennent la décision d’acheter la maison. N’oubliez pas que l’objectif du projet de loi est de rendre la vie plus abordable et d’éliminer la TPS sur les maisons d’une valeur maximale de 1 million de dollars, et il doit s’agir d’une maison neuve.
En politique fiscale, la pratique consiste toujours à utiliser la date du contrat. Il s’agit là d’une politique fiscale de longue date du ministère des Finances du Canada : il utilise toujours la date où les gens prennent réellement la décision d’acheter la maison.
En rétrospective, l’intention était d’augmenter le parc immobilier. Les gens qui ont déjà conclu un contrat, mais qui attendent le transfert de la propriété ne seront pas visés par le projet de loi que nous présentons. D’après ce que m’a dit un fonctionnaire, la pratique établie depuis longtemps consiste à lier les incitatifs fiscaux à la date du contrat afin de s’assurer que c’est bien à ce moment-là que les gens prennent leur décision.
Il pourrait y avoir des conséquences imprévues si on se fondait sur la date de transfert de la propriété, car, comme le sait l’honorable sénateur, les gens n’ont pas nécessairement de contrôle sur cet élément.
Le moment qui nous intéresse est celui où ils prennent la décision d’acheter cette maison. L’objectif que nous poursuivons au travers du remboursement de la taxe est d’inciter à prendre cette décision. C’est pourquoi nous avons choisi cette date, celle de la signature du compromis de vente, qui est celle qui est la plus cohérente avec notre politique. De plus, conformément à la politique fiscale établie de longue date dans ce pays, on lie la mesure à la date du compromis.
Je comprends que certaines personnes disent qu’elles sont dans les délais ou qu’elles ont manqué la date limite, mais il s’agit ici de politique fiscale, et il est donc souhaitable de retenir la date où les gens prennent la décision. C’est la manière la plus équitable de choisir une date, parce que, quelle que soit la date choisie, il y aura toujours des gens qui seront bénéficiaires ou non de justesse. Ce que nous pouvions faire de plus équitable était de choisir la date de la prise de décision.
La sénatrice Pate : Bienvenue, monsieur le ministre.
La réduction d’impôt prévue dans le projet de loi C-4 vise à rendre la vie plus abordable, mais une personne sur quatre — soit 9,6 millions de Canadiens — parmi les plus démunies et les plus exposées au risque d’itinérance et d’insécurité alimentaire n’en bénéficiera pas. Cette réduction d’impôt coûtera 5,7 milliards de dollars par an aux Canadiens, tandis que 75 % des avantages iront aux 40 % des Canadiens ayant les revenus les plus élevés.
Le Centre canadien de politiques alternatives estime qu’il s’agit d’une mesure coûteuse et disproportionnellement avantageuse pour les riches.
(2000)
Le gouvernement peut véritablement investir dans la résilience et la capacité des économies et des collectivités au Canada en veillant à ce que tous soient outillés pour apporter une contribution. J’aimerais savoir quand le gouvernement mettra en place des mesures visant à fournir un soutien du revenu adéquat aux personnes qui en ont le plus besoin.
M. Champagne : Merci pour votre question, sénatrice. C’est une question très importante. Notre choix s’est probablement arrêté sur la mesure la plus large possible, car elle aura une incidence sur 22 millions de Canadiens. Pour 2025, 45 % de cette aide sera versée aux personnes qui gagnent 57 375$ ou moins. En 2026, ce pourcentage passera à 44 %. Je dirais que la grande majorité de l’allégement fiscal que nous accordons est destiné à la première tranche de revenu, soit les personnes qui gagnent 57 375 $ ou moins. Nous avons vraiment ciblé les contribuables qui se situent dans le première tranche de revenu afin que la portée de cette mesure soit la plus large possible.
Pour répondre à votre question, sénatrice, nous avons mis en place une série de mesures pour soutenir les Canadiens : l’Allocation canadienne pour enfants, le Programme national d’alimentation scolaire et la Prestation universelle pour la garde d’enfants. Nous avons pris un certain nombre de mesures pour aider les familles, et il était approprié de le faire en cette période où nous sommes confrontés à des défis sans précédent. Les familles, les collectivités et les travailleurs s’attendent à ce que leur gouvernement intervienne et soit là pour les aider. Je peux vous assurer que cela fait partie de notre ADN d’être là pour les Canadiens dans les moments difficiles.
La sénatrice Pate : Je signale que nous n’aidons toujours pas les personnes le plus visiblement dans le besoin. Quand vous dites que cette aide s’adresse aux personnes qui en ont le plus besoin, beaucoup de gens au pays seraient portés à croire que vous avez l’intention d’aider les personnes visiblement sans abri et celles qui souffrent visiblement de la faim.
Étant donné que la réduction d’impôt prévue par le projet de loi C-4 profitera principalement aux personnes à revenu élevé, si le gouvernement décide d’aller de l’avant avec cette réduction, s’engagera-t-il au moins à payer le coût annuel de 5,7 milliards de dollars, non pas sur le dos des personnes les plus démunies en réduisant les programmes et les mesures de soutien, mais en veillant à ce que les plus riches paient leur juste part, y compris en récupérant enfin les revenus perdus en raison de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale à l’étranger révélés dans les Panama Papers et les Pandora Papers? Puisque le sénateur Downe en a parlé, je signale que le Canada n’a toujours pas récupéré le moindre dollar alors que, selon les Panama Papers, on estime que 83 millions de dollars sont dus, et que des pays comme l’Islande, qui compte 340 000 habitants, ont récupéré quelque 25 millions de dollars. Cela me semble une solution évidente qu’il vaut la peine d’envisager et qui serait plus avantageuse pour un plus grand nombre de Canadiens sans coûter plus cher à tous.
M. Champagne : Merci, madame la sénatrice. Je peux vous dire que je suis intransigeant lorsqu’il s’agit de veiller à ce que chacun paie sa juste part. La lutte contre la criminalité financière est un domaine dans lequel j’ai joué un rôle de premier plan au sein du G7. Vous avez peut-être vu dans le communiqué publié à l’issue de la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G7 qu’il y avait une initiative du Canada concernant la criminalité financière, y compris le blanchiment d’argent et la lutte contre le crime organisé, qui vise à améliorer la coordination afin de mieux faire respecter nos lois et de nous assurer que nous nous attaquons au problème du blanchiment d’argent. Je partage tout à fait votre point de vue. Vous verrez d’autres initiatives du genre. Le Canada a joué un rôle de premier plan au G7. Il reste encore beaucoup à faire. Comme vous le savez, ces organisations criminelles sont de plus en plus sophistiquées. Plusieurs personnes ont évoqué l’utilisation des technologies quantiques et de l’intelligence artificielle. Nous vivons dans un monde où nous devons consacrer des ressources supplémentaires à cette question.
Vous pouvez compter sur moi pour être vigilant dans ces dossiers. J’ai soulevé ce problème lors du G7, en suggérant à mes collègues que nous devrions collaborer plus étroitement pour y faire face et veiller à y consacrer toutes nos ressources pour nous assurer que chacun paie sa juste part.
Le sénateur Housakos : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous. C’est toujours un plaisir de vous voir. Monsieur le ministre, je tiens à préciser que je soutiens les bonnes politiques conservatrices, même lorsqu’elles se retrouvent...
M. Champagne : J’avais besoin d’une traduction pour confirmer que j’avais bien compris.
Le sénateur Housakos : ... même, monsieur le ministre, lorsqu’elles se retrouvent dans les projets de loi du gouvernement libéral. Je suis toutefois déçu que vous ayez été un peu négligent dans sa mise en œuvre. Vous n’avez pas égalé notre réduction de l’impôt sur le revenu de 12,75 %, vous n’offrez qu’un remboursement de la TPS sur les maisons neuves et vous n’avez pas supprimé la taxe sur le carbone pour les industries. Ces omissions rendent la politique beaucoup moins efficace que ce qui était prévu à l’origine dans le programme du Parti conservateur.
Étant donné que les Canadiens ont besoin de toute l’aide possible en ce moment, pourquoi n’avez-vous pas mis en œuvre toutes les politiques au lieu d’en proposer une version édulcorée, monsieur le ministre?
M. Champagne : Sénateur, c’est toujours un plaisir de vous voir. Je peux vous dire que même vos collègues de la Chambre des communes souriaient lorsqu’ils ont voté en faveur de notre projet de loi, sénateur. Ils souriaient et je pouvais le voir sur leur visage et dans leurs yeux; ils rayonnaient lorsqu’ils ont voté, car ils votaient maintenant en faveur de réductions d’impôt, de la réduction de la TPS pour les acheteurs d’une première maison et de l’élimination de la taxe sur le carbone pour les consommateurs. Honorables sénateurs, j’ai siégé à l’autre Chambre pendant 10 ans et je peux vous dire que j’ai vu beaucoup de visages souriants et d’yeux brillants voter en faveur d’un projet de loi du gouvernement qui réduit les impôts. Je pense que nous avons fait leur bonheur ce jour‑là.
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question et vous continuez à faire fausse route. Il est évident que nous appuyons l’initiative, mais nous vous demandons simplement pourquoi vous ne l’avez pas adoptée dans son intégralité au lieu d’en proposer une version édulcorée.
De toute évidence, nous appuyons les politiques conservatrices. Il s’agit d’un changement radical pour votre gouvernement par rapport aux 10 dernières années, car vous avez tenu des propos très différents au Sénat lorsque vous nous avez rendu visite par le passé. Je suis heureux que vous ayez adopté une nouvelle feuille de route et que vous voyiez enfin la lumière, mais nous voulons savoir pourquoi vous n’adoptez pas une approche plus orthodoxe par rapport aux politiques conservatrices.
M. Champagne : C’est intéressant parce que, d’un côté, vos collègues ont voté en faveur d’une excellente politique libérale et, de l’autre, vous prônez la responsabilité financière. Le projet de loi vous a fait plaisir, car nous avons éliminé une taxe tout en faisant preuve de rigueur quant à la gestion et au cadre budgétaires. C’est pourquoi j’ai parlé de la réaction de vos collègues à la Chambre des communes ce jour-là. Monsieur le sénateur, je sais que vous voulez que nous soyons orthodoxes, mais je suis catholique, et je peux vous dire que, ce jour-là, tout le monde applaudissait.
Le sénateur Housakos : Que nous soyons orthodoxes ou catholiques, nous voulons tous ce qu’il y a de mieux pour les contribuables et les Canadiens.
Monsieur le ministre, vous savez que nous nous sommes opposés à la taxe sur le carbone pendant des années, que nous avons été les premiers à proposer l’élimination de la TPS sur l’achat d’une maison, et que nous avons réclamé une baisse des taux d’imposition du revenu, alors que votre parti s’opposait activement à toutes ces politiques. Même si nous avons perdu les élections, je suis heureux que nous ayons remporté le débat sur les politiques après que mon bon ami le sénateur Gold se soit opposé pendant des années à l’élimination de la TPS sur les maisons neuves.
Je me demande si vous pouvez nous dire à quel moment vous avez commencé à reconnaître que notre position était la bonne. Y a‑t‑il quelque chose en particulier qui vous a fait changer d’avis? À quel moment a-t-on décidé qu’il s’agissait d’une bonne politique et qu’il fallait l’adopter?
M. Champagne : Monsieur le sénateur, c’est formidable; j’ai maintenant l’impression d’être à la Chambre.
Monsieur le sénateur, nous avons toujours prôné la responsabilité financière. Nous avons toujours défendu les intérêts des contribuables canadiens. Nous avons toujours milité pour bâtir un pays fort. J’aurais pensé que vous seriez satisfait de la motion de voies et moyens que nous avons présentée. C’est la première mesure législative que nous avons présentée à la Chambre, et elle visait à réduire les impôts. J’aurais pensé que vous seriez heureux, en tant que personne ayant des opinions conservatrices, que la première mesure de ce gouvernement — un gouvernement libéral, je vous le rappelle, monsieur le sénateur — ait été de réduire la TPS pour les acheteurs d’une première habitation tout en s’attaquant à la tarification du carbone afin d’offrir stabilité et prévisibilité aux Canadiens.
Le soutien unanime, monsieur le sénateur, en dit long. Vos collègues à la Chambre ont également vu la lumière en nous soutenant pour que nous puissions répondre aux besoins des Canadiens.
Le sénateur Housakos : Comme vous le savez, nous sommes une opposition très coopérative, monsieur le ministre. La question qui nous occupe, encore une fois, est la suivante : vous parlez de stabilité et de cohérence, mais nous n’avons toujours pas reçu de mise à jour économique. Nous ne savons pas quel est le déficit réel pour cette année. Nous ne savons pas s’il est supérieur ou inférieur à celui de l’année dernière. Monsieur le ministre, le déficit est-il en fait supérieur ou inférieur à celui de l’année dernière, et cela constituera-t-il un obstacle à la mise en œuvre de cette politique?
M. Champagne : Sénateur, c’est un plaisir. Vous devrez patienter juste encore un peu, mais vous serez fier lorsque nous présenterons le budget. Ce sera un budget qui rendra le Canada fort et résilient, et qui en fera l’économie la plus forte du G7. Je suis sûr que vous lisez La revue financière et que vous avez eu l’occasion d’examiner le budget principal des dépenses que nous avons présenté à la Chambre. À l’heure actuelle, le pays est confronté à des défis sans précédent. Vous avez constaté notre engagement en matière de défense et notre engagement sur le logement. Vous devrez attendre encore un peu, mais vous serez très heureux à l’automne lorsque nous présenterons un excellent budget pour le Canada.
La sénatrice Batters : Oui, nous allons attendre encore bien des mois, mais nous l’attendrons de pied ferme.
(2010)
Monsieur le ministre, une partie du projet de loi C-4 abrogera enfin la taxe sur le carbone imposée aux consommateurs par le gouvernement dont vous faites partie, et je m’en réjouis. En tant que membres du caucus conservateur, nous avons milité pour ce changement sans relâche pendant de nombreuses années. En fait, la première fois que j’ai interpellé le gouvernement libéral à ce sujet, c’était il y a sept ans et demi, quand nous étions encore dans l’ancienne enceinte du Sénat, dans l’édifice du Centre. J’avais alors posé des questions à l’ancien ministre Goodale. Pour votre part, monsieur le ministre, vous soutenez depuis très longtemps la taxe libérale sur le carbone. Votre prédécesseure, la ministre Freeland, a voté en faveur de cette taxe au moins 43 fois, et votre bilan de vote est sûrement très similaire. Quant à vos citations en faveur de la taxe sur le carbone... Je n’en reviens pas. L’an dernier, lorsqu’on vous a interrogé sur le coût de votre taxe sur le carbone, vous avez répondu ceci :
[...] les Canadiens sont fiers du ministre de l’Environnement parce qu’il défend ce qui est bon pour notre pays, tandis que les députés d’en face sont climatonégationnistes. Eux veulent voir la planète brûler. Nous, nous voulons faire ce qu’il faut pour nos enfants. Nous voulons faire ce qu’il faut pour les générations futures.
Vous avez ajouté :
Huit familles sur dix recevront davantage d’argent [...]
Nous nous battrons contre les changements climatiques et nous nous battrons pour nos enfants.
En mars dernier, vous avez déclaré aux médias que mettre un prix sur la pollution était « la bonne chose à faire ». Vous avez déclaré :
Il s’agit d’un investissement pour l’avenir. Le plan fonctionne, et il va rapporter encore plus d’argent aux Canadiens. Nous allons continuer dans cette voie.
Monsieur le ministre, je veux savoir combien d’argent — combien de milliards de dollars — le gouvernement libéral a pris dans les poches des Canadiens par le biais de la taxe sur le carbone que vous leur avez imposée pendant six ans. Vous êtes ministre depuis plusieurs mois; vous devez donc connaître le chiffre. Combien cela représente-t-il?
M. Champagne : Madame la sénatrice, je suis heureux que vous ayez toutes ces citations. Je vais vérifier la réponse pour me rappeler tout ce qui a été dit à l’époque.
Je dirais que six semaines ont changé le monde, sénatrice. Ces six semaines ont révélé un monde très différent de celui que nous connaissions auparavant. Je dirais que vous devriez vous réjouir de voir un gouvernement qui, lorsqu’il constate que les circonstances ont changé, comprend qu’il faut changer de cap. C’est ce que les Canadiens nous ont dit. Nous venons de vivre ce qu’on appelle des élections. Nous sommes allés à la rencontre des Canadiens et nous les avons écoutés. Dans notre démocratie, c’est une bonne chose. Les Canadiens nous ont dit que nous devions changer de cap.
De toute évidence, les changements climatiques continuent de préoccuper les gens, et vos collègues nous l’ont dit. C’est le défi de notre génération et probablement de notre siècle. Parallèlement, il existe différentes politiques pour atteindre l’objectif que l’humanité s’est fixé.
Vous devriez être heureuse — et vos collègues à la Chambre l’étaient d’ailleurs — de voir que nous avons répondu à une préoccupation exprimée par les Canadiens.
C’est une bonne chose que ne restions pas aveugles à ce qui se passe. On dit qu’il existe diverses options stratégiques pour atteindre le grand objectif que nous nous sommes fixé. Nous avons décidé dans ce projet de loi de supprimer la tarification du carbone pour les consommateurs. Cette décision a également été saluée par vos collègues à la Chambre, qui ont dit qu’il s’agissait d’une mesure qui allait aider les Canadiens. Elle cible entièrement le coût de la vie. Il faut partir de la base. Il faut toujours demander pourquoi on fait quelque chose — du moins, moi, je demande toujours pourquoi. La raison, c’est le coût de la vie. Il faut baisser les impôts, donner aux gens la possibilité d’acheter leur première maison et réduire les dépenses occasionnées par la tarification du carbone.
C’est un train de mesures qui aide notre pays à être plus résilient. Nous avons écouté les Canadiens. Dans une démocratie, il est bon d’écouter les citoyens aux quatre coins du pays, et ils nous ont dit : « Nous reconnaissons qu’il existe un défi encore plus redoutable, c’est-à-dire les changements climatiques, mais vous pouvez adopter d’autres politiques. Pour l’instant, donnez-nous un répit. Compte tenu de tout ce qui se passe actuellement dans le monde, nous en avons besoin. »
La sénatrice Batters : J’ai hâte que vous me transmettiez les chiffres exacts. Vous pourriez consulter vos fonctionnaires et nous répondre plus tard.
Selon un article publié en avril dernier dans le National Post, le montant total perçu par le gouvernement libéral pendant toute la durée du programme de taxe sur le carbone s’élève à 44,9 milliards de dollars.
Je n’en reviens pas. En six ans, 45 milliards de dollars ont ainsi été prélevés dans les poches des Canadiens. Pendant cette période — pas seulement pendant six semaines, mais bien pendant une grande partie de ces six années —, des millions de Canadiens en ont arraché après avoir perdu leur emploi ou leur PME pendant la pandémie de COVID-19, en plus de souffrir de la flambée de tous les prix au Canada au cours de la crise du coût de la vie.
Monsieur le ministre, pendant des années, le gouvernement libéral a appuyé sans relâche, et parfois avec arrogance, la taxe sur le carbone. Il l’a imposée à des Canadiens qui n’avaient pas les moyens de la payer. Pourquoi les Canadiens devraient-ils maintenant croire à cette volte-face?
M. Champagne : Madame la sénatrice, je dirais qu’en matière d’abordabilité, vos collègues à la Chambre des communes ont voté contre toutes les mesures que nous avons présentées au cours de la dernière décennie. Les Canadiens l’ont remarqué, à en juger par les dernières élections. Vous avez systématiquement voté contre toutes les mesures d’abordabilité que nous avons présentées, qu’il s’agisse des services de garde, du Programme national d’alimentation scolaire ou du projet de loi pour les personnes handicapées que nous avons présenté.
Le bilan du gouvernement libéral, qui s’étend sur plus d’une décennie, parle de lui-même; nous avons soutenu les Canadiens, en période de pandémie et par la suite.
Malheureusement, vos collègues ont voté contre toutes les mesures d’abordabilité que nous avons présentées à la Chambre des communes. Je considère donc comme une bonne chose que tout le monde soutienne le projet de loi à l’étude. C’est un pas dans la bonne direction.
Si vous voulez une citation, vous devriez chercher des deux côtés de la question. Vous constateriez que vos collègues ont voté contre pratiquement toutes les mesures d’abordabilité présentées à la Chambre au cours de la dernière décennie.
La sénatrice Batters : Eh bien, 45 milliards de dollars en taxe sur le carbone, cela représente beaucoup de mesures pour réduire le coût de la vie.
Monsieur le ministre, je passe à autre chose. Puisque vous venez de mentionner la question des personnes handicapées, je veux y revenir. Une autre partie du projet de loi C-4 prévoit une modeste réduction d’un point de pourcentage de l’impôt sur le revenu, mais cette mesure de votre projet de loi a pour conséquence, peut-être involontaire, de réduire également la valeur du crédit d’impôt pour personnes handicapées. Comme l’a déclaré Inclusion Canada, « le coût de vivre avec un handicap ne diminue pas quand les taux d’imposition baissent ». Les défenseurs des personnes handicapées souhaitent qu’un amendement soit apporté au projet de loi C-4 afin de protéger les personnes handicapées contre une réduction importante des ressources qui leur sont essentielles.
Le Réseau national pour les personnes ayant un handicap vous a écrit à ce sujet et vous a dit que sans cet amendement :
Les personnes confrontées aux obstacles financiers les plus importants sont celles qui bénéficieront le moins de cette politique et qui, dans certains cas, verront leur situation s’aggraver.
J’ai écouté attentivement la réponse que vous avez donnée plus tôt à la sénatrice Petitclerc sur cette question. Je note que, dans la lettre qu’il vous a envoyée, le Réseau national pour les personnes ayant un handicap vous a fourni plusieurs exemples de situations dans lesquelles les personnes handicapées seront pénalisées par la réduction du crédit d’impôt pour personnes handicapées, même si l’on tient compte de la modeste réduction de l’impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, le Réseau national pour les personnes ayant un handicap a proposé un amendement technique concis dans la lettre qu’il vous a adressée. Pourriez-vous accepter cet amendement et corriger le projet de loi C-4 afin de venir en aide aux personnes handicapées?
M. Champagne : Je vous remercie de votre question, sénatrice, car elle est fort importante. Je veux aussi remercier la sénatrice qui a posé cette question avant elle.
Je peux vous dire que l’analyse effectuée par le ministère des Finances tient compte du solde net de ces deux éléments. La réduction d’impôt que recevront les personnes handicapées compensera la réduction de la valeur du crédit non remboursable qu’elles reçoivent. C’est pourquoi je dis que la vaste majorité s’en portera mieux. C’est une chose à laquelle nous sommes très sensibles. C’est pourquoi nous avons examiné la question attentivement. Comme vous l’avez dit, on a porté le problème mentionné à notre attention.
Les responsables du ministère des Finances ont travaillé avec nos experts en politique fiscale pour s’assurer que — comme je l’ai dit, je ne veux pas citer de pourcentages, car c’est toujours dangereux — la vaste majorité des 4,5 millions des personnes qui touchent le crédit d’impôt pour personnes handicapées s’en porteront mieux. Si vous examinez le solde net, vous constaterez que la mesure proposée les avantagera. Ce sont là les résultats de l’analyse effectuée.
La sénatrice Batters : D’après ce que vous venez de dire, il y a 4,5 millions de personnes en tout qui reçoivent le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Vous soutenez que la mesure nuira seulement à un très faible pourcentage de ces personnes. Pouvez-nous préciser quel est ce pourcentage? Vous devez le savoir.
M. Champagne : Ce n’est même pas une question de pourcentage. Je peux vous dire, et je suis très franc avec vous, sénatrice, que j’ai posé cette question sans ambages aux fonctionnaires. Il faudrait que l’on soit dans une situation fiscale très particulière pour ne pas bénéficier de ces mesures quand elles sont combinées. Je peux demander aux fonctionnaires de vous soumettre une réponse plus complète si vous le voulez, parce que nous nous sommes penchés sur cette question avec nos collègues chargés de la politique fiscale. Il faudrait qu’une personne soit dans une situation exceptionnelle où elle toucherait un crédit d’impôt important qui dépasserait ces mesures. Ce serait une situation tout à fait exceptionnelle.
Si vous le souhaitez, je peux poser la question aux fonctionnaires. Les experts sont avec moi. Si l’expert veut témoigner, nous serons ravis de répondre à cette question, si vous le souhaitez, du moins en ce qui me concerne. C’est à vous de décider, sénatrice, ou à la présidence.
La sénatrice Batters : Me reste-t-il du temps ou pas vraiment? Apparemment, mon temps est écoulé. Je voudrais connaître en particulier les réponses aux exemples cités dans cette lettre du Réseau national pour les personnes ayant un handicap. Les experts pourraient-ils envoyer des réponses par écrit à ces exemples précis?
M. Champagne : Sénatrice, nous répondrons à cette lettre et nous vous en fournirons une copie.
La sénatrice M. Deacon : Je suis heureuse de vous revoir. Merci d’être venu à la Chambre rouge ce soir.
Tout au long de la soirée, mes collègues ont posé des questions sur la vie privée, le logement et la taxe sur le carbone auxquelles j’ai réfléchi.
(2020)
J’aimerais vous poser des questions sur d’autres points concernant la vie privée et ensuite sur la défense par rapport aux réductions d’impôts.
Après avoir écouté certaines des questions qui ont été posées ce soir, j’aimerais revenir sur la question des lois sur la protection des renseignements personnels applicables aux partis politiques.
Vous avez dit que vous avez intégré les mesures dans le projet de loi fiscal parce qu’il s’agissait de la première occasion qui s’offrait à vous de le faire. Il est fort possible que j’aie une lacune dans mes connaissances, mais je me demandais ce qui vous empêchait de présenter les mesures dans un projet de loi distinct. Par exemple, pourquoi le projet de loi C-2 ne pouvait-il pas être une loi modifiant la Loi électorale du Canada dans le cadre d’une mesure législative distincte? Il me semble que cela aurait pu être la première occasion de le faire et que, à première vue, cela aurait été quelque peu préférable à la décision de regrouper les mesures dans le projet de loi actuel, ce qui soulève certaines questions quant à l’image et à la transparence.
M. Champagne : Merci beaucoup, sénatrice, pour cette question. Je l’apprécie.
Nous étions d’avis que c’était la manière la plus rapide de procéder. Cependant, soyons clairs : nous ne faisons que clarifier quelle était l’intention de la Chambre en 2000 et apporter des améliorations. Il s’agit donc simplement de clarifier la question pour les tribunaux. Les tribunaux veulent toujours savoir quelle était l’intention du législateur. Nous indiquons désormais très clairement à tous les tribunaux au Canada que, en 2000, l’intention de la Chambre, qui est responsable de l’élaboration des lois au pays, était d’avoir un régime unique régi par la Loi électorale du Canada.
Nous apportons donc des éclaircissements aux tribunaux et affirmons que, en 2000, telle était l’intention de la Chambre. D’une certaine manière, il est important de le faire rapidement, car la prévisibilité est un élément essentiel du système juridique en ce qui concerne l’intention de la Chambre.
En 2023, certaines dispositions l’indiquaient, mais cela ne semblait pas suffisant. Nous avons donc saisi cette occasion pour revenir devant les tribunaux et leur dire : « C’était bien là l’intention en 2000, lorsque cette disposition a été adoptée. » Vous apportez ainsi une certitude juridique au pays.
En même temps, j’ai mentionné plusieurs améliorations. Il faut qu’il y ait un agent de la protection des renseignements personnels et qu’il soit bilingue, par exemple. Il doit être accessible au public. Il faut prévoir des sanctions. Tout parti qui ne respecte pas les règles serait radié en tant que parti politique fédéral. La Loi électorale du Canada prévoit également des contrôles et des contrepoids.
La Chambre voulait que les questions de confidentialité, en ce qui concerne les partis politiques fédéraux, relèvent de la Loi électorale du Canada. C’était la volonté de la Chambre en 2000, et c’est ce dont vous parlez. Il s’agit simplement d’une réflexion sur ce point. Nous affirmons que c’était l’intention de la Chambre en 2000.
Le sénateur Boehm : Bonsoir, monsieur le ministre. Merci d’être venu. Lorsqu’on intervient vers la fin de la discussion, la plupart des questions ont déjà été posées.
Je voulais simplement explorer quelques points avec vous. Vous avez tenu une réunion très fructueuse des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales à Banff. Vous avez publié un communiqué indiquant que chaque pays se concentrerait sur la croissance et les mesures qui lui sont propres.
Le Canada s’est donné pour objectif d’être le meilleur pays du G7. Si on regarde en particulier les éléments qui figurent à la partie 2 du projet de loi C-4, comment ces mesures positionneront-elles le Canada au sein du G7 en ce qui concerne l’abordabilité, la compétitivité pour les familles de la classe moyenne et les incitatifs à la construction de logements, selon vous? Je vous pose cette question parce que les autres pays partagent aussi ces préoccupations.
Avez-vous eu l’occasion de dire à vos collègues : « En tant que ministres, en tant que politiciens, nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes. Comment les gérez-vous? Comment devrais-je m’y prendre? »
Comment mesurez-vous les résultats? Il existe une norme de l’OCDE. Y a-t-il quelque chose, au sein du G7, qui porte à croire qu’il serait possible de mesurer et de comparer l’atteinte des objectifs, d’une manière ou d’une autre?
M. Champagne : C’est une très bonne question. Merci, sénateur. Vous m’avez appris comment mener une bonne réunion du G7. Je vous remercie pour vos conseils.
Oui, ça a été une réussite. Mon message à mes collègues ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales était que nous devions revenir à notre mission fondamentale. Quelle est la mission fondamentale des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales du G7? Elle consiste à rétablir la croissance et la stabilité. C’est le point essentiel que j’ai présenté pour garantir que nous revenions à notre mission fondamentale.
Vous avez raison. Les défis auxquels nous sommes confrontés sont extraordinaires, en particulier maintenant que nous devons faire face à des droits de douane injustifiés et illégaux. Les économies du G7 font face aux mêmes problèmes en matière d’abordabilité, de logement, de dépenses en matière de défense et de capacité budgétaire. Tous les participants à la table ont des moyens plus limités, mais, en même temps, ils font face à des problèmes globaux de surcapacité et de pratiques non conformes au marché. Nous devons nous attaquer à ces problèmes ensemble.
Une chose que j’ai réussi à accomplir, sénateur — et je crois que vous conviendrez que c’est une chose que l’on souhaite toujours accomplir —, c’est l’unité. Le monde attend du G7 qu’il reste uni, malgré certains différends sur les droits de douane et d’autres mesures qui compliquent la situation.
Mathias Cormann, le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques, était présent, de même que le président de la Banque mondiale et le secrétaire général du Fonds monétaire international.
Quand on compare le Canada à bon nombre des économies du G7, nous sommes en bonne position. Je pense, par exemple, à notre ratio dette-PIB et aux mesures budgétaires que nous avons prises, dont plusieurs ont été mentionnées par l’OCDE. Cela dit, pour faire de l’économie du Canada l’économie la plus résiliente et la plus performante du G7, je m’inspire beaucoup des pratiques exemplaires adoptées par plusieurs pays du G7. L’unité du G7 est plus importante que jamais, puisque nous devons relever ensemble des défis mondiaux.
J’ai trouvé votre question inspirante.
La sénatrice Duncan : Merci, monsieur le ministre, de votre visite. Ma question mérite une réponse brève, mais je dois d’abord vous donner quelques explications.
Le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut émanent chacun d’une loi du Parlement. Ce n’est que de mon vivant qu’ils ont obtenu leur place à la table des premiers ministres, et le chemin qui les y a menés à partir des coulisses a été très long.
L’article 21 du projet de loi C-5 peut, par décret, modifier l’annexe 2 afin d’y ajouter ou d’y supprimer une loi du Parlement. Le sénateur Cardozo en a parlé tout à l’heure.
Je cherche à être rassurée, car vous avez dit tout à l’heure que les tribunaux examinent l’intention du législateur. Je voudrais obtenir l’assurance, et je voudrais que celle-ci soit consignée au compte rendu, que le gouvernement n’a pas l’intention d’inclure l’une des trois lois de ces territoires.
Toutefois, le projet de loi C-5 traite également en détail — et nous en avons longuement discuté dans cette enceinte — de la consultation.
À l’article 42, le projet de loi C-4 parle de l’harmonisation fiscale avec les provinces. Des ententes de partage fiscal existent au Yukon avec les Premières Nations. Le gouvernement du Yukon, les gouvernements des Premières Nations et le gouvernement du Canada collaborent à plusieurs projets de logement. J’aimerais que vous me rassuriez, peut-être par l’intermédiaire des fonctionnaires, que des consultations sérieuses ont eu lieu avec le Yukon et que le projet de loi C-4 n’aura pas de conséquences imprévues sur les accords de partage fiscal ni d’incidence sur les accords conclus avec les Premières Nations du Yukon.
M. Champagne : Merci, madame la sénatrice. Je vais me tourner vers les fonctionnaires pour cette question très précise. Je veux m’assurer de donner une réponse complète.
Je peux toutefois vous parler d’une chose que je fais, madame la sénatrice : j’organise régulièrement des réunions des ministres des Finances des provinces et des territoires. Je suis reconnaissant de la contribution du Yukon et de tous les territoires. En fait, souvent, même lors de nos réunions des ministres des Finances, ce sont les premiers ministres des territoires qui viennent. Je tiens donc à vous dire que nous travaillons main dans la main.
Nous les consultons régulièrement. Je m’entretiens avec eux et avec le gouverneur de la Banque du Canada pour les informer de l’état de notre économie. Nous travaillons main dans la main avec eux.
Cela dit, pour répondre à vos questions précises, je vais m’en remettre aux fonctionnaires qui m’accompagnent afin de donner des réponses aussi claires que possible.
Aussi, vous avez mentionné le projet de loi C-5. Voulez-vous parler du projet de loi C-5 ou C-4? Je pose la question parce que je vois que le président me regarde.
[Français]
Mme Lavoie : Malheureusement, je dois dire que le son à l’arrière n’est pas très bon. Je propose qu’on vous revienne par écrit pour que l’on puisse mieux comprendre la question.
[Traduction]
M. Champagne : Je pense que la sous-ministre adjointe n’a pas entendu la question. Nous avions 30 secondes et il ne nous en reste probablement plus que cinq.
Sénatrice, vous savez combien je respecte votre travail. Si vous m’envoyez une lettre, la sous-ministre adjointe vous répondra, car il s’agit d’une question de nature plus technique et nous voulons nous assurer de vous répondre très clairement et officiellement.
(2030)
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Wallin : Merci, monsieur le ministre. Cet après-midi, nous avons passé du temps à étudier le projet de loi C-5, et beaucoup d’entre nous étaient préoccupés par les pouvoirs exceptionnels qu’il accorderait et qui permettraient de contourner des lois et même de faire fi du rôle du Parlement. Cependant, j’aimerais revenir sur la partie 4 du projet de loi C-4 et parler des pouvoirs que vous voulez en quelque sorte accorder aux partis politiques et qui n’ont pas d’équivalent dans le secteur privé lorsqu’il est question de protéger les libertés ou la vie privée.
L’un des experts en la matière a décrit la situation comme une sorte de course aux armements entre les partis politiques pour recueillir des données et se livrer à un microciblage des électeurs. Évidemment, il y a des points de vue divergents. Comme l’a dit la sénatrice Simons, je pense qu’on laisse entrer le loup dans la bergerie. Nous pouvons évidemment comprendre pourquoi vous voteriez tous pour cela, mais, quand on protège les partis politiques et on leur permet de faire du microciblage et d’utiliser ces données de manière aussi précise, on ne favorise pas nécessairement la participation démocratique, et je pense même qu’on la dénature.
M. Champagne : Je respecte l’opinion que vous avez citée et qui est peut-être celle d’un expert, mais, encore une fois, revenons à l’essentiel. Avec ce projet de loi, nous ne faisons que réaffirmer l’intention exprimée par la Chambre en 2000. Nous disons très clairement aux tribunaux...
La sénatrice Wallin : En toute honnêteté, cette technologie a considérablement changé depuis l’an 2000, comme la capacité à recueillir ces données.
M. Champagne : Je comprends cela, mais la Chambre a eu l’occasion, en 2023 et maintenant en 2025, de voter à l’unanimité, sénatrice, pour préciser qu’il y aurait un régime national unique plutôt qu’un ensemble disparate de régimes provinciaux. Je pense que vous constaterez que le projet de loi exige la publication d’une politique sur la protection des renseignements personnels précisant comment les Canadiens seront protégés et quels renseignements seront recueillis. Cette politique doit être rendue publique. Il y a maintenant des sanctions administratives pécuniaires. Un parti peut être radié ou retiré de la liste. Je pense que vous verrez cela comme une amélioration par rapport à la situation actuelle.
Ces mesures, par exemple, devront être rédigées dans les deux langues officielles. Je pense que nous voulons tous que la politique sur la protection des renseignements personnels soit publique et rédigée dans les deux langues officielles du Canada.
La sénatrice Wallin : Permettez-moi de vous poser une autre question à ce sujet, car, en fait, certains des principes reflétés dans les dispositions législatives qui régissent la protection des renseignements personnels ne sont pas reflétés ici. Lorsqu’un agent politique cogne à votre porte et vous pose des questions pendant une campagne électorale, on suppose que vous consentez à ce qu’ils recueillent vos renseignements. Limiter la collecte de données serait quasi impossible puisque, encore une fois, ces agents politiques qui font du porte-à-porte non seulement vous posent des questions, mais prennent également en note quel véhicule se trouve dans votre entrée et combien d’enfants se trouvent dans votre salon ou près de la porte. Ces données ne sont pas nécessairement exactes.
Si les électeurs, ou les citoyens, en l’occurrence, ne savent pas quelles données sont recueillies, comment peuvent-ils savoir quelles questions poser quand à la protection de leurs renseignements personnels? Il existe bien peu de recours pour le citoyen. La loi oblige le secteur privé à suivre les règles, ce qui signifie qu’on peut leur demander. C’est beaucoup plus difficile.
M. Champagne : Je reviens à ma déclaration précédente. La situation actuelle ou celle qu’on cherche à éviter est attribuable au fait que les partis politiques fédéraux sont assujettis à un ensemble disparate de régimes provinciaux. Or, l’objectif initial de la Chambre était d’instaurer au moins un régime uniforme. C’est une proposition qui a reçu l’appui de tous.
Nous avons besoin d’un cadre national, et nous avons des améliorations à apporter. Il faut qu’il y ait une amélioration par rapport à la situation actuelle. Nous devons absolument nous demander si, dans le cadre d’élections fédérales, nous préférons que les lois sur la protection des renseignements personnels soient régies par un seul régime national ou par un ensemble disparate de régimes provinciaux.
J’ai déjà mentionné à la sénatrice que lorsque nous avons tenté de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, l’une des choses qui est ressortie de nos consultations est que les gens souhaitent vraiment l’élaboration d’une seule norme nationale, car c’est la seule façon de fonctionner efficacement.
C’était la même chose lorsque j’essayais de faire adopter le projet de loi sur l’intelligence artificielle. Si nous voulons avoir une seule économie et non treize, nous devons établir des normes nationales. Pour ce qui est des élections fédérales, je pense que la Chambre a confirmé trois fois qu’elles relevaient de la Loi électorale du Canada. Je pense que la volonté de la population a été exprimée clairement, et même à l’unanimité dans ce cas-ci : il est préférable d’avoir un seul régime national qu’un ensemble disparate de régimes provinciaux.
La sénatrice Wallin : Je suis d’accord pour dire que la volonté des partis politiques s’est reflétée dans le vote à la Chambre des communes. Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence, monsieur le ministre. Je suis tout ce qui vous sépare de votre départ, alors je vais passer à mes deux questions.
La première concerne la TPS pour les acheteurs d’une première habitation. L’achat d’une première habitation comporte en fait deux volets. Le premier suppose que la personne ou les deux personnes ont un revenu suffisant pour faire les paiements et satisfaire aux exigences de la Société canadienne d’hypothèques et de logement et de la banque. L’autre consiste à amasser la mise de fonds, ce qui est un problème important pour de nombreux jeunes Canadiens.
Je pense qu’il serait formidable que vous envisagiez de trouver un moyen, dans la réglementation, de permettre aux jeunes Canadiens qui feront un premier achat d’inclure ce remboursement dans leur mise de fonds. Au lieu de réduire le prix d’un montant qui n’aura pas une incidence importante sur le montant de leurs paiements, il faudrait leur permettre de garder le prix plus élevé, mais d’utiliser l’argent du remboursement pour la mise de fonds. Envisageriez-vous cette mesure, monsieur le ministre?
M. Champagne : Sénateur, merci pour cette question. Nous allons nous pencher là-dessus. J’ai entendu dire qu’il était possible de faire une telle affectation. Il existe différentes façons de procéder, car l’argent est fongible. Certains bureaux, peut-être même le vôtre, ainsi que certaines personnes dans le domaine, nous ont fait part de la possibilité d’une affectation afin de faciliter une telle opération.
Sénateur, premièrement, merci d’avoir soulevé cette question. Deuxièmement, oui, nous allons y penser.
Le sénateur Tannas : Laissons la Société canadienne d’hypothèques et de logement jongler avec cette idée, avant de vous renvoyer la balle. Merci.
En ce qui concerne la deuxième demande, nous avons beaucoup parlé de la partie 4 de ce projet de loi. Vous êtes au fait de ce problème depuis mai 2024, depuis 13 mois, soit quand la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déterminé que la tentative précédente n’avait pas effet rétroactif. Ce n’est pas comme si vous l’aviez découvert hier et que c’est votre première occasion d’agir. Le gouvernement précédent ne s’est pas penché sur la question.
Dans le cas de projets de loi comme celui-ci, qui sont des projets de loi fiscaux — des projets de loi qui suppose un vote de confiance —, je vous demanderais d’envisager de renoncer, quand vous êtes aux prises avec des questions difficiles dont vous ne voulez vraiment pas parler, à l’idée de les inclure dans des projets de loi qui agissent comme un bouclier, ce qui ne nous permet pas de les prendre à part pour les étudier correctement, les mettre en évidence ou les modifier. Nous avons pour tradition, par respect pour l’autre endroit, de ne pas toucher aux projets de loi de finances, et celui-ci en est un. Si nous n’étions pas pressés par le temps et si elle n’était pas protégée par ce projet de loi, nous examinerions très attentivement cette question et y consacrerions beaucoup plus de temps que ce dont nous disposons actuellement, dans l’intérêt des Canadiens. Il y aura d’autres occasions, d’autres questions qui seront intégrées dans les lois d’exécution du budget, mais qui n’ont pas à l’être.
Seriez-vous prêt à lancer une nouvelle tradition, où les éléments qui ne font pas partie du budget ne seraient pas inclus dans une loi d’exécution du budget qui nous lie les mains alors que nous nous acquittons du travail que les Canadiens attendent de nous? Y réfléchirez-vous, monsieur?
Des voix : Bravo!
M. Champagne : Je vous remercie de votre commentaire sur le sujet, monsieur le sénateur.
J’étais à l’aise avec cette disposition du projet de loi, car elle reflète l’intention exprimée en 2000. Nous ne modifions pas la loi. Nous informons simplement tous les tribunaux du pays de l’intention de la Chambre en 2000. Je trouve rassurant que nous clarifiions simplement l’intention de la Chambre et le fait qu’elle ait bénéficié d’un soutien unanime, ce qui n’est pas une question politique, mais reflète l’opinion de la Chambre. Je pense que cela a déjà été exprimé à deux reprises. Je pense que le tribunal en tiendra compte. En tant qu’avocat, je pense qu’après que la Chambre se soit prononcée à trois reprises, le tribunal tiendra compte de l’intention du projet de loi.
(2040)
Pour répondre à votre question plus générale, sénateur, je vous comprends. Ce que je peux vous dire, c’est que je tiendrai toujours compte de cet enjeu. Je vous remercie de vos commentaires et de votre analyse réfléchie, sénateur. Je suis ici pour faire de mon mieux, tout comme vous, pour les Canadiens. Nous sommes tous au service des mêmes citoyens de ce pays, et notre mission est de servir les Canadiens de la meilleure façon possible. C’est ce que je fais, et c’est ce que vous faites. C’est ce que les citoyens de ce pays attendent de nous tous.
Le président : Honorables sénateurs, le comité siège depuis maintenant 95 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.
Monsieur le ministre, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires de votre ministère.
Des voix : Bravo!
Le président : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que le témoin a été entendu?
Des voix : D’accord.
[Français]
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.
[Traduction]
Rapport du comité plénier
L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-4, Loi concernant certaines mesures d’abordabilité pour les Canadiens et une autre mesure, signale qu’il a entendu ledit témoin.
La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
Consentement ayant été accordé de revenir aux autres affaires, projets de loi d’intérêt public des Communes, troisième lecture, article no 1 :
L’honorable Pierre J. Dalphond propose que le projet de loi C-202, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre), soit lu pour la troisième fois.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-202, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement en ce qui concerne la gestion de l’offre, qui est identique au projet de loi C-282 présenté lors de la dernière législature.
Le 30 novembre 2023, à l’occasion du cinquième anniversaire de la signature de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, je suis intervenue ici même pour exposer les problèmes que j’observais dans le projet de loi C-282. Ce mois-là, Joe Biden était encore président, mais Donald Trump montait dans les sondages. En conséquence, j’ai lancé une mise en garde contre l’adoption de cette mesure législative. J’aimerais citer un court extrait de ce discours :
Le projet de loi [...] interdirait à la ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique de prendre un engagement au nom du gouvernement du Canada, par un traité ou une entente en matière de commerce international, qui aurait pour effet soit d’augmenter le contingent tarifaire applicable aux produits laitiers, à la volaille ou aux œufs, soit de diminuer le tarif applicable à ces marchandises lorsqu’elles sont importées en sus du contingent tarifaire applicable. Cette mesure législative rendrait les secteurs des produits laitiers, de la volaille et des œufs intouchables, et la gestion de l’offre, inaliénable. En plus d’entraver la capacité des négociateurs à obtenir la meilleure entente possible pour les exportateurs et les importateurs canadiens dans le cadre de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, elle minerait la position du Canada en tant que défenseur du libre-échange dans le monde et réduirait notre capacité à lutter contre les politiques protectionnistes qui nous désavantagent. Cette approche nous nuira non seulement dans les négociations avec les États-Unis et le Mexique, mais aussi dans toutes les futures négociations en vue d’éventuels accords de libre-échange avec l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine et la région indo-pacifique.
Honorables sénateurs, beaucoup de choses ont changé depuis novembre 2023. L’idéalisme canadien relativement à la protection offerte par l’ACEUM a disparu à jamais. La politique commerciale du président — si je peux la qualifier ainsi — est un mélange de malveillance et de caprice caractérisé par des droits de douane qui vont et viennent et qui changent au gré de ses lubies et des affronts qu’il estime avoir subis. J’avais naïvement espéré que si nous agissions de bonne foi et que nous entamions la renégociation de l’ACEUM avec les mains propres et une marge de manœuvre, nous pourrions obtenir un résultat équitable pour le Canada.
Toutefois, comme nous l’avons constaté, il n’existe aucun moyen efficace d’amadouer ou de calmer le président Trump. L’adoption de ce projet de loi serait sans aucun doute un geste provocateur, mais il se sent si facilement provoqué, parfois pour des raisons totalement imaginaires, qu’il semble inutile de marcher sur la pointe des pieds.
Nous pourrions certainement faire valoir qu’en raison de cet homme imprévisible, qui fait fi de toutes les normes régissant les négociations commerciales internationales, nous devrions protéger les producteurs agricoles canadiens par tous les moyens dont nous disposons.
Personnellement, je n’ai jamais été aussi peu encline à acheter une coupe de yaourt ou une pépite de poulet américaine. Ce n’est pas seulement par patriotisme et par désir de jouer du coude et de refuser d’acheter des produits américains. C’est parce que l’assouplissement récent des règles américaines en matière d’inspection alimentaire et de santé publique devrait tous nous faire réfléchir.
La grippe aviaire fait rage dans le secteur américain de la volaille. Elle a franchi la barrière d’espèce et a infecté le cheptel laitier américain dans tout le pays.
À la suite de la crise de la vache folle, quand l’encéphalopathie spongiforme bovine a été découverte en Alberta, le Canada a interdit d’intégrer des produits animaliers dans l’alimentation des vaches. Toutefois, aux États-Unis, il est désormais courant de nourrir le bétail avec des détritus de volaille, une source bon marché de protéines et d’azote, ce qui pourrait expliquer pourquoi les vaches laitières américaines sont atteintes d’une maladie qui n’était pas censée les infecter et qui, heureusement, n’a pas atteint notre cheptel laitier.
Aux États-Unis, des dizaines de travailleurs agricoles ont également contracté la grippe aviaire, également connue sous le nom de H5N1.
La grippe aviaire n’est pas le seul problème. Sous la direction — si je puis dire — de Robert F. Kennedy fils, les inspecteurs des aliments ont été licenciés par milliers, de même qu’une grande partie du personnel de communication chargé d’informer les Américains des épidémies résultant des bactéries E. coli et Listeria. Au printemps, le service d’inspection des aliments américain a abandonné un projet de contrôle des quantités de salmonelle dans la dinde et le poulet crus, en plus de reporter ses projets d’échantillonnage des produits de volaille panés prêts à cuire, tels que les croquettes et le poulet à la Kiev, en vue de détecter la présence de salmonelle.
Le secrétaire Kennedy, qui ne croit littéralement ni à la théorie microbienne ni à la pasteurisation, souhaite que son département se consacre plutôt à l’élimination de ce qu’il appelle les « toxines », quelque chose qui pour lui va des colorants alimentaires au fluorure en passant par l’huile de canola, plutôt qu’à la protection des Américains et des consommateurs qui achètent des produits alimentaires américains contre toute contamination bactérienne.
Si nous ne pouvons plus compter sur la salubrité des aliments exportés par les États-Unis, le gouvernement a plus que jamais la responsabilité de protéger les consommateurs canadiens contre les maladies d’origine alimentaire.
Donc, oui, le projet de loi C-202 a une incidence différente de celle du projet de loi C-282 de 2023. C’est sans doute la raison pour laquelle ce projet de loi a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes sans étude en comité.
Or, c’est justement cette rapidité qui me met mal à l’aise.
Oui, le projet de loi C-282 a effectivement été étudié en long et en large — on pourrait dire de façon exhaustive — au Sénat l’an dernier. Les témoins, pour et contre, ont été amplement entendus. Nous avons fait notre travail de second examen objectif et avons pleinement fait profiter l’autre endroit de nos conseils.
Oui, la nouvelle Chambre des communes a exprimé sa volonté de façon on ne peut plus claire.
Pourtant, ayant passé les trois dernières années à titre de vice-présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je pense que j’ai une certaine responsabilité de faire connaître les préoccupations des producteurs agricoles. Je représente fièrement l’Alberta et les Albertains au Sénat, et comme tous les députés de l’Alberta, y compris tous les députés conservateurs, ont voté en faveur de ce projet de loi, j’estime qu’il m’incombe d’intervenir et de faire part à la Chambre et au pays des préoccupations des producteurs de bétail, des producteurs de légumineuses et des producteurs de céréales et de canola de l’Alberta, dont certains ont communiqué avec moi cette semaine.
Voici comment Greg Northey, président de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, a décrit le projet de loi :
Comme les versions précédentes de ce projet de loi, le projet de loi C-202 affaiblirait le secteur agroalimentaire canadien, nuirait à nos relations commerciales et porterait préjudice aux milliers d’agriculteurs, d’éleveurs, de transformateurs et d’exportateurs agroalimentaires qui dépendent du libre accès aux marchés mondiaux pour gagner leur vie [...]
Tyler Fulton, président de l’Association canadienne des bovins, s’est exprimé en ces termes dans une déclaration publiée hier :
Le projet de loi C-202 n’est pas une politique commerciale isolée et il ne concerne pas la gestion de l’offre, il sera très difficile d’inverser la tendance et les dommages causés à notre réputation mondiale et à nos possibilités commerciales [...] Malheureusement, ce projet de loi va non seulement lier les mains de nos négociateurs commerciaux, mais il est en train de briser les communautés rurales et de monter les agriculteurs canadiens les uns contre les autres.
(2050)
Pas plus tard que cet après-midi, Shane Strydhorst, président d’Alberta Pulse Growers, m’a écrit ceci :
Les producteurs de légumineuses à grains exportent la grande majorité de ce qu’ils produisent. En effet, plus de 85 % des légumineuses à grains cultivées au Canada sont vendues à l’étranger. La décision d’appuyer un projet de loi qui nuit au système commercial fondé sur des règles dont nous dépendons soulève de graves préoccupations quant à la capacité du Canada de négocier des accords avantageux pour notre secteur.
Chers collègues, alors que le protectionnisme se propage et que des droits de douane et des obstacles non tarifaires au commerce surgissent de partout, le Canada ne doit pas céder au protectionnisme populiste. En tant que chef de file mondial, il doit montrer l’exemple en éliminant les obstacles et non en les érigeant plus haut.
Rappelons-nous que le projet de loi C-202 ne s’applique pas qu’aux États-Unis. Il est plus important que jamais pour le Canada de bâtir des relations commerciales solides avec des pays autres que les États-Unis. Nous voulons peut-être signifier à Donald Trump que nous lui tiendrons tête, mais quel message envoyons-nous à nos alliés économiques ailleurs dans le monde? Par exemple, comment allons-nous conclure un nouvel accord commercial avec le Royaume-Uni si nous ne sommes plus ouverts à réduire les droits de douane sur le fromage britannique? Nos artères ont peut-être besoin qu’on les protège de la crème épaisse, mais les agriculteurs canadiens en ont-ils vraiment besoin?
Scott Keller cultive de l’orge, du blé, des pois et de la féverole à New Norway, en Alberta. Pas plus tard que ce matin, il m’a écrit ceci :
Dans un environnement commercial de plus en plus instable, le Canada doit redoubler d’efforts pour accroître l’accès aux marchés, diversifier ses marchés d’exportation et renforcer ses relations diplomatiques, et non signaler son retrait au profit du protectionnisme.
Enfin, je m’inquiète des répercussions du projet de loi C-202 sur l’unité nationale. Il s’agit bien sûr d’un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par le Bloc québécois. Ce dernier défend avec force et efficacité les intérêts des producteurs laitiers du Québec et préconise la séparation du Québec du reste du Canada.
Il semble étrange de permettre à un parti séparatiste de définir dans une telle mesure la politique commerciale nationale du Canada, au détriment des producteurs et des exportateurs agricoles de l’Ouest canadien. Dans ma province, l’Alberta, le discours séparatiste devient malheureusement de plus en plus vigoureux et virulent. Un petit groupe de séparatistes purs et durs exercent une influence disproportionnée sur la politique provinciale, et certains leaders provinciaux, qui devraient pourtant être mieux avisés, se plient aux exigences de ces agitateurs séparatistes pour des motifs stratégiques. Il serait profondément ironique que, dans le but de satisfaire les séparatistes québécois, nous finissions par apporter de l’eau au moulin du lobby séparatiste en Alberta et en Saskatchewan.
À un moment où les Canadiens doivent faire front commun contre les menaces économiques et politiques que pose le gouvernement Trump, nous devons nous méfier des risques liés au fait de monter une partie du pays contre l’autre, surtout compte tenu de ce qui pourrait être la lacune fondamentale cachée dans le projet de loi. Le libellé du projet de loi C-202 apporte une modification vraiment maladroite à la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement en insérant une référence à la gestion de l’offre dans la section générale qui définit les pouvoirs, les devoirs et les fonctions du ministre, ce qui lie ainsi les mains de ce dernier. Toutefois, je vous laisse sur cette question provocante : ce ministre conclut-il réellement des accords commerciaux, ou s’agit-il plutôt d’une prérogative de la Couronne? Est-il possible que le projet de loi soit purement symbolique et ne soit pas contraignant pour l’exécutif? Si tel est le cas, le fait de monter une région contre une autre ne devient-il pas encore plus malicieux et dangereux?
En fin de compte, nous ne sommes pas élus. Nous sommes nommés et nous n’avons pas de comptes à rendre aux électeurs canadiens. La Chambre s’est exprimée clairement et d’une seule voix, et nos traditions et conventions parlementaires nous demandent de nous en remettre à elle.
Néanmoins, je suis reconnaissante d’avoir eu l’occasion de prononcer ce discours ce soir pour rappeler à tout le monde, y compris aux Canadiens, que nous aussi avons voix au chapitre et que nous avons la responsabilité de nous exprimer.
Merci, hiy hiy.
L’honorable Marty Deacon : Sénatrice Simons, acceptez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Simons : Oui.
La sénatrice M. Deacon : C’est important, et il est important que vous ayez parlé. Je vous en suis très reconnaissante ce soir.
Comme vous l’avez mentionné, au cours de l’étude du projet de loi C-282, la mouture précédente du projet de loi à l’étude, le comité s’est fait dire que la mesure législative serait loin de protéger les secteurs soumis à la gestion de l’offre, qu’elle leur ferait plutôt porter une cible rouge bien visible.
Je pense à cela dans le contexte des négociations en cours et à venir avec les États-Unis et de l’approche administrative actuelle en matière de primauté du droit. Pensez-vous que nos homologues américains apprécieront la loi si elle est adoptée et qu’ils passeront simplement à autre chose lorsque nous leur dirons que la loi nous interdit de discuter des secteurs soumis à la gestion de l’offre?
La sénatrice Simons : J’aimerais seulement avoir la capacité de prédire ce que feront Donald Trump et son gouvernement. Je pense qu’il est impossible de répondre à votre question. Compte tenu de la capacité du président à percevoir de la malveillance là où il n’y en a pas et à en injecter là où elle n’est pas nécessaire, je ne sais pas si c’est la meilleure stratégie à adopter. Mais, encore une fois, cela ne dépend pas de nous.
[Français]
L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je prends la parole avec beaucoup d’enthousiasme, comme vous pouvez l’imaginer, pour appuyer l’adoption du projet de loi C-202, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Ce projet de loi, adopté par consentement unanime et sans débat à l’autre Chambre le 5 juin dernier, envoie un message très clair : la gestion de l’offre est une politique fondamentale que le Parlement canadien souhaite protéger de manière complète et durable. Il ne s’agit pas d’un simple geste symbolique; il s’agit d’un engagement législatif clair qui vise à empêcher le ministre des Affaires étrangères de compromettre, dans le cadre des négociations commerciales internationales, les piliers de notre système de gestion de l’offre. Ce système soutient des milliers d’entreprises agricoles, favorise la stabilité des prix et garantit la souveraineté alimentaire de notre pays.
Honorables sénateurs, ce projet de loi est identique au projet de loi C-282, adopté à l’autre endroit le 21 juin 2023, que j’ai eu l’honneur et le privilège de marrainer à l’époque. Le projet de loi C-282 a donné lieu à une grande première dans cette Chambre puisque le porte-parole, le sénateur Harder, et moi-même étions tous deux membres du Groupe progressiste du Sénat. Cette situation inédite n’a nullement compromis la cohésion de notre groupe. Bien au contraire, elle a enrichi nos débats et fait ressortir notre vitalité démocratique.
[Traduction]
Chers collègues, bien que le projet de loi C-282 soit mort au Feuilleton à la suite de la prorogation, le travail remarquable accompli par le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international demeure d’une valeur inestimable.
[Français]
Durant les sept réunions consacrées à l’étude objective du projet de loi C-282, le Comité des affaires étrangères et du commerce international a entendu des dizaines de témoins, pour et contre le projet de loi. Leurs témoignages riches et contrastés ont non seulement nourri les débats, mais ils ont aussi renforcé la légitimité de cette initiative. Ils ont permis aux honorables membres de cette Chambre de se forger une opinion éclairée sur cette importante politique canadienne qui date de plus de 50 ans.
Aujourd’hui, nous avons l’occasion, et même le devoir, de continuer à aller de l’avant. Nos collègues de l’autre Chambre ont parlé d’une seule voix. Ils ont reconnu l’urgence d’agir dans un contexte de tensions commerciales croissantes, notamment avec les États-Unis.
[Traduction]
Les députés élus au Parlement ont choisi de protéger nos producteurs de lait, de volaille et d’œufs en leur offrant un cadre législatif stable et prévisible.
(2100)
[Français]
Honorables sénateurs, la politique de gestion de l’offre est essentielle pour l’ensemble du Canada et elle l’est encore plus pour ma province, le Québec, car elle garantit la stabilité de nos secteurs agricoles et la sécurité alimentaire de nos communautés.
Pour le Québec, elle revêt une importance toute particulière. C’est précisément pour cette raison que j’ai accepté avec fierté de marrainer le projet de loi C-282 et que je soutiens pleinement le projet de loi C-202.
[Traduction]
Honorables collègues, il est impératif que nous respections la volonté de la Chambre élue, que nous reconnaissions le travail déjà accompli dans cette enceinte et que nous agissions de manière décisive pour adopter ce projet de loi sans plus tarder.
[Français]
En votant en faveur du projet de loi C-202, nous envoyons un message clair : le Sénat du Canada est à l’écoute de la population et des agriculteurs et il tient à préserver la sécurité alimentaire des Canadiens.
L’honorable Andrew Cardozo : Puis-je vous poser une question, madame la sénatrice?
La sénatrice Gerba : Oui, bien sûr.
Le sénateur Cardozo : Je vais poser une question sur l’origine de ce débat. L’année dernière, quand vous étiez la marraine de ce projet de loi, il n’était pas très populaire.
[Traduction]
Vous avez mené ce débat, qui n’était pas très populaire à ce moment-là. Aujourd’hui, après les dernières élections, tous les partis politiques sont favorables à ce projet de loi. Nous savons qu’il a été adopté à l’unanimité à la Chambre. Qu’est-ce qui a changé dans les dernières années?
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour la question, monsieur le sénateur Cardozo.
Effectivement, le contexte a complètement changé. D’ailleurs, on avait prévu que le prédécesseur de ce projet de loi aurait un impact important si jamais le nouveau président, le président Donald Trump, revenait au pouvoir, et il est revenu. C’est ce contexte qui a changé, car il a exigé beaucoup de choses. Une des choses qui ont été imposées à la table de négociations par ce président, c’est la gestion de l’offre. Heureusement, notre premier ministre a décidé de se tenir debout et nous a promis, dans son plan de campagne, qu’il allait protéger la gestion de l’offre. Il a promis cela aux Québécois et aux Canadiens, et c’est pour cette raison que ce projet de loi a été adopté à l’autre endroit sans débat.
[Traduction]
L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur les terres non cédées du peuple algonquin anishinaabeg pour parler brièvement du projet de loi C-202, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Je m’inspirerai en grande partie de mon discours sur le projet de loi C-282, le projet de loi identique présenté lors de la 44e législature. Comme ma collègue la sénatrice Gerba l’a fait avant moi, je tiens à parler aujourd’hui du travail accompli au Comité des affaires étrangères, car nous n’aurons pas l’occasion d’examiner ce projet de loi.
Aujourd’hui, nous étudions le projet de loi d’initiative parlementaire C-202 en témoignant notre respect envers les secteurs soumis à la gestion de l’offre au Canada. Ces agriculteurs sont nos concitoyens et nous fournissent un approvisionnement fiable en aliments de bonne qualité. Nous menons aussi cette étude en faisant preuve de respect et de considération envers les autres secteurs agricoles et les entreprises non agricoles du Canada.
Honorables collègues, le Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international a étudié la première mouture de ce projet de loi, le projet de loi C-282, de façon rigoureuse, équitable et indépendante. Nous avons examiné les répercussions potentielles de ce projet de loi sur de nombreux secteurs de notre économie et sur la prospérité globale du Canada, ainsi que les répercussions à long terme du projet de loi sur nos politiques de commerce international et nos pratiques de négociation.
Le Comité des affaires étrangères et du commerce international a tenu neuf réunions et entendu 52 témoins représentant un large éventail de points de vue : anciens négociateurs commerciaux, experts en commerce, fonctionnaires ministériels et représentants de secteurs agricoles soumis ou non à la gestion de l’offre. Nous avons constaté que, même si le projet de loi vise à apporter la stabilité et la certitude souhaitée aux secteurs assujettis à la gestion de l’offre, il comporte des risques réels pour la capacité de négociation du Canada et pour notre économie, et qu’il exacerbe l’incertitude déjà croissante dans les autres industries, agricoles et non agricoles. Cela reste une réalité.
Au cours de notre étude, Jonathan Fried, ancien ambassadeur du Canada auprès de l’Organisation mondiale du commerce, a qualifié le projet de loi de camisole de force législative, et nous a avertis qu’une exigence législative aussi rigide limiterait les options stratégiques du Canada en excluant certaines discussions avant même le début des négociations. Nous venons d’entendre la sénatrice Simons évoquer les effets des menaces tarifaires de Donald Trump sur les questions de sécurité alimentaire aux États-Unis et les répercussions potentielles de ce projet de loi sur les agriculteurs de l’Alberta. Notre comité a entendu des témoignages d’autres secteurs et a reçu une lettre, le 31 octobre 2024, dont je vais citer brièvement un extrait :
S’il est adopté dans sa forme initiale, le projet de loi C-282 risque de lier, par la voie législative, les mains du Canada et de ses négociateurs commerciaux [...] Nous demandons aux sénateurs de faire passer les intérêts collectifs de toutes les industries canadiennes en priorité en rejetant le projet de loi C-282 et d’ainsi protéger notre prospérité économique future.
La lettre était signée par les Producteurs de bovins de l’Alberta, l’Alberta Canola Producers Commission, l’Alberta Cattle Feeders’ Association, Alberta Chambers of Commerce, Alberta Grains, Alberta Pulse Growers, la BC Association of Cattle Feeders, la BC Grain Producers Association, Beef Farmers of Ontario, la BC Cattlemen’s Association, l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, la Canadian Canola Growers Association, l’Association canadienne des bovins, la Canadian Oilseed Processors Association, le Conseil canadien du porc, l’Institut canadien du sucre, le Conseil canadien du canola, Cereals Canada, CropLife Canada, Fertilisants Canada, Grain Farmers of Ontario, les Producteurs de grains du Canada, le Greater Vancouver Board of Trade, Pulse Canada, Manitoba Beef Producers, Manitoba Canola Growers, la Manitoba Crop Alliance, Manitoba Pulse and Soybean Growers, l’Association nationale des engraisseurs de bovins, les Éleveurs de bovins du Nouveau-Brunswick, Nova Scotia Cattle Producers, Ontario Bean Growers, Ontario Greenhouse Vegetable Growers, la Prairie Oat Growers Association, Prince Edward Island Cattle Producers, la Saskatchewan Cattlemen’s Association, la Saskatchewan Heavy Construction Association, Saskatchewan Pulse Growers, la Saskatchewan Trucking Association, SaskOilseeds, Sask Wheat, Soy Canada et la Wheat Growers Association.
L’ancien vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères John Manley, ainsi que d’autres témoins, ont laissé entendre au comité que le projet de loi revenait à braquer les projecteurs sur les secteurs sous gestion de l’offre ou à agiter un drapeau rouge, et à signaler à nos partenaires commerciaux que le Canada est dans une position délicate à cet égard, mettant peut-être ces secteurs au centre des négociations par inadvertance.
À la lumière de ces risques, notre comité a proposé et adopté un amendement au projet de loi. Je n’en parlerai cependant pas plus, puisque cette question n’est plus pertinente pour le moment.
Comme l’a mentionné la sénatrice Gerba, le Sénat n’a pas pu finir d’étudier ce projet de loi en raison de la prorogation. Chers collègues, je tiens à souligner, en toute sincérité, que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a étudié le projet de loi précédent de manière juste, respectueuse, approfondie, judicieuse, indépendante et mesurée.
Chers collègues, j’encourage ceux d’entre vous qui s’y intéressent à consulter les transcriptions du comité ainsi que le compte rendu des débats du Sénat sur le projet de loi C-282.
(2110)
Nous savons tous que le Parti libéral a promis de protéger le secteur de la gestion de l’offre dans sa plateforme électorale. Le projet de loi d’initiative parlementaire C-202 reflète cette promesse. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit et le Sénat s’en remettra sans doute à la Chambre élue.
Chers collègues, je vous remercie sincèrement de m’avoir permis de verser au compte rendu du Sénat certains des travaux antérieurs du Comité sénatorial des affaires étrangères qui sont pertinents dans l’étude de cette importante question de négociations commerciales.
Wela’lioq, merci.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)
(À 21 h 12, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)