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C110 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-110

 


Délibérations du comité spécial
du Sénat sur le projet de loi C-110

Fascicule 2 - Témoignages


Ottawa, le mardi 23 janvier 1996

[Français]

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-110, Loi concernant les modifications constitutionnelles, se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Noël A. Kinsella (président) occupe le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, ce matin, je suis heureux de souhaiter la bienvenue au professeur André Tremblay. Si j'ai bien compris, le professeur Tremblay a des remarques introductives à nous présenter.

M. André Tremblay, professeur, Université de Montréal: Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation que vous m'avez lancée de venir témoigner sur le projet de loi C-110. La première question qu'on doit se poser consiste à savoir de quoi il s'agit. On a devant nous un projet de loi qui s'apparente à une loi de procédure parlementaire. C'est un projet de loi qui a déjà été adopté par la Chambre des communes et qui entend encadrer le droit d'initiative que possède le gouvernement fédéral dans les procédures de modifications constitutionnelles.

Au terme de l'article 46 de la Loi constitutionnelle de 1982, le Sénat, la Chambre des communes et toute assemblée législative provinciale possèdent le droit d'entreprendre des procédures de modifications constitutionnelles; cela comprend tout membre de ces corps législatifs.

Avec le projet de loi, le droit d'initiative des ministres fédéraux est délimité ou encadré. Le projet de loi ne délimite pas, n'encadre pas ou ne limite pas le droit d'initiative des simples députés ou des sénateurs.

Par le projet de loi, le droit des ministres fédéraux est délimité et une procédure de modification constitutionnelle ne pourrait être enclenchée, ne pourrait être amorcée que si le consentement préalable de la majorité des provinces a été obtenu, cette majorité devant comprendre l'Ontario, le Québec, la Colombie- Britannique, deux provinces de l'Atlantique représentant au moins 50 p. 100 de la population canadienne ainsi que deux provinces des Prairies représentant également au moins 50 p. 100 de la population des provinces des Prairies.

Le gouvernement fédéral s'engage donc par loi du Parlement à ne pas faire de réforme ou de modifications constitutionnelles sauf celles visées par l'article 41, et celles visées par l'article 43 ou celles qui sont assujetties à un droit de retrait. On s'engage par loi à ne pas faire de réforme constitutionnelle sans le consentement préalable d'une majorité des provinces et sans, notamment, obtenir le consentement de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique.

La loi ne précise pas du tout comment ce consentement des provinces sera obtenu. Je suppose que les provinces pourraient elles-mêmes décider du mode d'expression de ce consentement quoique le fédéral aurait le droit de s'adresser directement à la population canadienne pour obtenir ce consentement.

L'intention manifeste du gouvernement est de donner suite aux engagements pris par le premier ministre à la fin de la campagne référendaire. Le premier ministre avait alors promis de ne procéder à aucune modification constitutionnelle qui affecte le Québec sans le consentement des Québécois.

L'intention aussi est de corriger l'injustice qui a été créée par le rapatriement de 1982 à l'occasion duquel le Québec a perdu son droit historique de veto.

On veut donc donner un droit de veto aux Québécois en matière constitutionnelle, et ce par simple loi. Il s'agit donc d'un droit de veto statutaire. Par essence, un droit de veto en matière constitutionnelle est garanti par la Constitution, et empêche toute modification qu'il vise sans le consentement préalable du détenteur du droit de veto. Le droit de veto, par essence, ne peut être contourné. Il ne peut pas être stérilisé par une simple loi, et c'est le cas des droits de veto qui sont prévus aux articles 41 et 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Depuis que l'on parle de droit de veto au Canada, et j'ai vérifié, comme sans doute le sénateur Beaudoin l'a fait, toutes les modifications constitutionnelles qui avaient été mises de l'avant et qui portaient sur le droit de veto. J'ai vérifié toutes ces propositions de modification, et le droit de veto envisagé était toujours, et il devait toujours être garanti par la Constitution. Jamais dans l'histoire de ce pays on a parlé d'un droit statutaire de veto.

Un droit de veto garanti par une simple loi fédérale, abrogeable ou modifiable par une majorité de parlementaires, n'est pas un droit de veto. C'est un droit de veto frelaté, c'est une contrefaçon du droit de veto.

De plus, le projet de loi ne correspond pas aux attentes du Québec. Vous me permettrez de parler de la perspective québécoise qui peut avoir une certaine pertinence. Cela ne correspond pas aux attentes du Québec, en ce sens que ce n'est pas ce que le Québec demande ou réclame depuis des décennies. Ce que le Québec réclame, faut-il le rappeler, c'est une réforme en profondeur de la Constitution. Il recherche sa reconnaissance par voie constitutionnelle de sa spécificité ou de son rôle de partenaire majeur dans la Constitution ou dans la fédération canadienne. Enfin, il a toujours recherché une protection constitutionnelle contre des amendements constitutionnels jugés préjudiciables à ses intérêts supérieurs. Le Québec n'a jamais réclamé ou demandé ce genre d'approche technicienne, technocratique aux problèmes de la définition de ses relations intergouvernementales avec le reste du Canada. En ce qui regarde le droit de veto, notamment, le Québec a toujours voulu que le droit de veto soit protégé par la Constitution elle-même et exercé par l'Assemblée nationale.

À la fin de la campagne référendaire, on a promis aux Québécois et aux Québécoises des réformes constitutionnelles. Les engagements ne devaient pas viser ce type d'artifice juridique. Les engagements ne devaient pas viser ce type de dentelle constitutionnelle. Les engagements devaient viser quelque chose de plus large. Parler aux Québécois et aux Québécoises de réforme de la Constitution et leur demander de ne pas voter pour l'indépendance, et essayer de les dissuader d'opter pour l'indépendance et subséquemment leur proposer des changements sans substance, c'est les leurrer et ne pas tenir compte des promesses faites durant le référendum.

Si l'on avait mis de l'avant ce projet de loi pour convaincre les Québécois de voter NON, le camp fédéraliste aurait probablement perdu le référendum. Bref, ce projet de loi ne répond nullement aux besoins, il n'est pas adapté aux circonstances et il ne va pas contribuer à l'unité canadienne. Bien pire, il va cautionner l'idée que le Canada fédéral patauge dans le statu quo et est incapable de réformer la Constitution canadienne. Il va même donner des armes à ceux qui recherchent le démantèlement du Canada.

Je sais que l'on devrait considérer d'autres initiatives fédérales en matière constitutionnelle avant de porter un jugement définitif ou catégorique sur la sagesse de la stratégie fédérale. Même en considérant la reconnaissance du Québec comme société distincte qu'a réalisé la résolution de la Chambre des communes, même en considérant les projets de transfert en matière de la formation de la main-d'oeuvre, on est très loin du minimum des réclamations constitutionnelles québécoises. On est à des années-lumière de l'Accord constitutionnel du lac Meech. On est en deçà de l'Accord de Charlottetown. Je crois que jamais le Québec ne pourrait souscrire à des propositions de réforme constitutionnelle qui se situent en deçà de l'Accord constitutionnel du lac Meech.

Dans une perspective québécoise, le projet de loi apparaît inopportun. Il l'est aussi dans une perspective canadienne. Selon moi, les intérêts du pays canadien ne sont pas servis par le projet de loi. Les intérêts du pays canadiens ne sont pas servis par cette camisole de force constitutionnelle qui ajoute une nouvelle formule de modification constitutionnelle à celle déjà prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982. On ajoute donc un niveau de difficulté supérieur aux formules de modification constitutionnelle actuelles déjà hypercomplexes et qui ne favorisent nullement la réforme constitutionnelle.

Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement fédéral de s'imposer une camisole de force constitutionnelle, de s'interdire comme gouvernement toute flexibilité ou marge de manoeuvre. Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement fédéral de se condamner à l'impuissance constitutionnelle. Des arrangements constitutionnels seront éventuellement nécessaires avec le Québec pour sauver le Canada, et il ne m'apparaît nullement sage d'assujettir un plan de paix constitutionnel à une telle camisole de force, d'assujettir un plan de paix constitutionnel au veto, disons, de deux provinces de l'Atlantique, par hypothèse.

Il y a une carence de leadership ici, et le projet de loi dénote l'improvisation, le manque de politique, le manque de vision et de leadership. Alors qu'il faudrait à Ottawa une vraie politique québécoise en matière constitutionnelle, alors qu'il faudrait s'attaquer directement à la crise et proposer un plan cohérent de renouvellement du fédéralisme canadien, le gouvernement fédéral se contente de cet exercice de vocabulaire. C'est vraiment trop peu et trop tard.

Au-delà de ces difficultés de fond, il y a des difficultés de forme qui concernent la légalité même du projet de loi. Celui-ci ajoute par voie statutaire des éléments de procédure aux procédures constitutionnelles déjà prévues dans la Loi constitutionnelle de 1982. Il crée par loi ou entend créer par simple loi du Parlement, un droit de veto en matière constitutionnelle. Il fait par voie détournée, il fait par voie indirecte ce que la Constitution aurait dû prévoir. À sa façon, le projet de loi ouvre le dossier constitutionnel.

Au plan strictement légal, on peut prétendre que ce projet de loi change ou modifie la procédure de modification constitutionnelle. On peut dire qu'il propose une nouvelle formule de modifications constitutionnelles qui diffère de celle prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982. Or, on connaît les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982. On connaît tous l'article 41 e) de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet alinéa de l'article 41 prévoit que la modification de la procédure de modification constitutionnelle exige un amendement constitutionnel voté à l'unanimité des corps législatifs canadiens. De plus, j'attire votre attention - je pense que l'on a déjà souligné cette difficulté - sur l'article 52, paragraphe 3, de la Loi constitutionnelle de 1982. Laissez-moi le citer:

La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément au pouvoir défini par elle.

Je prétends que la constitutionnalité du projet de loi est douteuse, ce qui n'ajoute rien au mérite, s'il en est, du projet de loi. Pour toutes ces raisons, je suggère aux honorables sénateurs d'exercer leur veto institutionnel et de ne pas adopter le projet de loi.

Le président: Je vous remercie, professeur Tremblay.

Le sénateur Beaudoin: Je dois avouer avoir moi-même soulevé un doute, hier, sur la constitutionnalité du projet de loi et je pense que vous ajoutez à cet argument-là. Le droit d'initiative prévu par l'article 46 de la Constitution n'est pas encadré. Le fédéral peut prendre l'initiative et les provinces peuvent prendre l'initiative. Le gouvernement peut prendre l'initiative au Parlement canadien, mais là, on encadre le droit d'initiative. Donc, c'est pro tanto un amendement à l'article 46.

Il y a aussi le fait que l'on crée un veto statutaire. Il y a tout une argumentation ici, professeur Tremblay. On n'est probablement pas du même avis des deux côtés. Au niveau gouvernemental, on dit: c'est une question de procédure. On empêche les ministres de prendre le droit d'initiative et de présenter une résolution d'amendement, mais un sénateur ou un simple député peut le faire. C'est exact, je ne nie pas ça. Mais si l'on encadre, dans une loi, le droit d'initiative et si on crée, par une loi, un droit de veto, je ne peux pas voir comment on respecte la Constitution dans son esprit et même dans sa lettre. Alors, je me dis qu'il y a un problème et un doute sérieux.

Sur le plan politique, les sénateurs vont réfléchir, dans les prochains jours, à ce qu'il convient de faire. Mais, j'aimerais connaître votre opinion à savoir si l'on ne gagnerait pas à faire une étude approfondie, parce qu'on l'a fait dans d'autres domaines avec l'euthanasie et dans d'autres secteurs. Peut-être, comme il y a une conférence constitutionnelle qui s'en vient dans un peu plus qu'un an, nous devrions étudier le projet en profondeur: qu'est-ce que le Québec veut, qu'est-ce que le Canada veut; et tenter d'apporter d'apporter des solutions. Qu'est-ce que vous pensez de cette possibilité-là?

M. Tremblay: C'est une question qui concerne la gouverne de l'État. C'est une question qui est infiniment politique. Il est évident qu'un effort important, magistral, un effort de grand maître doit être réalisé par les hommes et les femmes de bonne volonté du Canada, pour élaborer un plan sérieux de renouvellement de la fédération canadienne. Nous vivons une crise constitutionnelle majeure. Il est inutile de se cacher la tête dans le sable et de dire que c'est «business as usual». Ce n'est pas le cas. Le Sénat canadien peut certainement contribuer à l'instauration ou à la création de ponts; l'heure est venue de créer des ponts. Une opération de «bridge building» est absolument nécessaire dans ce pays et il ne doit pas être laissé à l'initiative communautaire.

Les hommes politiques canadiens sont responsables, ce sont nos leaders. Et de nos leaders doivent venir: l'inspiration l'imagination, la compréhension, la sensibilité pour créer ce pays et le rendre cohabitable pour toutes les communautés. S'il y a défaillance dans la direction politique du pays, je crois que le Sénat peut assumer des légitimités, peut assumer des pouvoirs de compensation. Je crois en définitive que cet effort de bonne volonté, auquel vous faites allusion, ce travail de maître, magistral, que le Sénat pourrait accomplir, pourrait être une contribution utile. N'oubliez pas que vous avez comme institution, des moyens.

Le sénateur Beaudoin: Oui.

M. Tremblay: Que vous avez accès à l'expertise, que vous avez des tribunes et la possibilité de consulter énormément de ressources susceptibles d'être intéressées par le projet auquel vous avez fait allusion.

Le sénateur Beaudoin: Je n'ai pas d'autres questions.

Le sénateur Gauthier: Je n'ai pas la prétention d'être un expert constitutionnel. Je suis un homme du peuple bien ordinaire qui est intéressé à garder mon pays, le Canada, uni. D'après moi, actuellement, seule la Chambre des communes a un veto absolu, d'accord?

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur Gauthier: Le gouvernement, en proposant l'initiative C-110, s'impose une camisole de force - si je peux utiliser cette expression -, car pour moi, il est clair que cette initiative a un mérite politique; peut-être pas de mérite constitutionnel, là-dessus je ne suis pas assez versé dans les questions constitutionnelles pour vous donner un argument. Mais, je sais que le projet de loi impose au gouvernement fédéral une contrainte sur les modifications constitutionnelles.

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur Gauthier: C'est assez clair qu'en prêtant son droit de consentement ou son droit de veto, comme vous l'avez appelé, le fédéral conserve pour le Québec une mesure essentielle garantissant qu'il n'y aura pas d'amendements constitutionnels tant que le gouvernement fédéral respectera la teneur du projet de loi C-110, sans l'appui du Québec. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce que j'ai dit jusqu'à maintenant?

M. Tremblay: Avec peut-être certaines nuances ou certaines «foot notes». Je dirais qu'il y a un droit de veto dans la Constitution qui appartient à la Chambre des communes, qui appartient au Sénat. Mais ce n'est pas vraiment un droit de veto. Parce qu'on dit dans les lois - je m'excuse d'être un peu légaliste - mais je dois dire que dans les lois constitutionnelles actuelles, il est stipulé que des modifications constitutionnelles nécessitent des résolutions de la Chambre des communes et du Sénat. Alors, il est évident que si le Sénat ne vote pas sa résolution, si la Chambre des communes ne vote pas sa résolution, c'est bloqué; le projet de modifications constitutionnelles ne décolle pas, il ne prend pas son envol. Certains ont parlé d'une apparence de droit de veto.

La deuxième «foot note» est la suivante. Quand on dit: «Oui, on veut donner, on veut assujettir notre droit de veto au consentement des Québécois», cela est vrai et ne l'est pas. Le droit de veto appartient à qui dans le projet de loi? Ce n'est pas défini.

Le sénateur Gauthier: Je vous ai dit tantôt que la Chambre des communes est la seule à avoir un veto absolu, et vous avez dit que vous étiez d'accord.

M. Tremblay: Dans le contexte de la précision que j'ai apportée.

Le sénateur Gauthier: Le gouvernement, par C-110, a proposé de prêter son veto aux régions, incluant le Québec, évidemment, pour éviter une répétition de la loi de 1982, qui, selon vous et moi, a fait que le Québec n'était pas signataire de l'entente de 1982. Il faut éviter qu'il y ait des amendements qui se fassent sans l'appui du Québec, d'accord?

M. Tremblay: Mais, si on veut parler d'un droit de veto, parlons de la vraie chose, parlons de ce que la Constitution reconnaît comme étant un droit de veto. Il s'agit d'un droit de blocage, c'est un droit de paralysie qui appartient à un corps législatif et qui est garanti par la Constitution. C'est de cela dont il s'agit. Je pense qu'il y a une confusion de genre, ici. On ne parle pas de la même chose. Le langage politique nous déforme, il nous fait parler de choses qui ne correspondent pas, en termes juridiques, au droit de veto.

Le sénateur Gauthier: Je comprends. Mais moi, je vous affirme - ce que vous ne voulez pas confirmer - que seule la Chambre des communes a un veto absolu.

M. Tremblay: Oui, d'accord.

Le sénateur Gauthier: Vous êtes d'accord?

M. Tremblay: Le Sénat aussi, pareillement, mais dans le sens...

Le sénateur Gauthier: Avec certaines modifications, ce n'est pas tout à fait aussi vrai que la Chambre des communes. Il a un veto suspensif de 180 jours ou de 6 mois.

Le sénateur Beaudoin: Sauf dans un cas.

Le sénateur Gauthier: Sauf dans un cas. Mais, je ne veux pas entrer dans les détails de l'aticle 44. Tout ce que je vous dis, c'est que le gouvernement du Canada décide de prêter son droit de veto absolu à Chambre des communes, aux régions; vous êtes d'accord?

M. Tremblay: J'aime bien employer les termes mêmes du projet de loi. Le projet de loi assujettit l'exercice d'initiative des ministres de la Couronne en matière constitutionnelle au consentement préalable de cinq régions. C'est cela qu'il dit.

Le sénateur Gauthier: Absolument. Et pourquoi est-ce qu'il dit cela? Parce qu'on a eu clairement un message de monsieur le premier ministre à venir du Québec, monsieur Bouchard, qui a dit qu'aucune modification constitutionnelle ne serait acceptable au Parti québécois. Alors, qu'est-ce qu'on fait dans ce cas-là? Vous dites qu'on est dans une crise, je suis bien d'accord. Le fédéral dit: «J'ai un veto absolu à la Chambre des communes, je le prête aux régions pour essayer d'arrêter toute méprise qu'il pourrait y avoir au Québec». Puis vous dites que ce n'est pas assez. Moi, je trouve que c'est une question sur laquelle vous et moi, on ne s'entendra pas aujourd'hui, c'est certain, mais c'est le seul geste qu'il pouvait faire dans les circonstances, étant donné que monsieur Bouchard a donné une fin de non-recevoir à toute initiative constitutionnelle. Le fédéral dit: «J'ai un droit de veto à la Chambre des communes, je l'utilise». Puis vous dites que ce n'est pas assez? Vous avez dit plus tôt: «Je vous recommande de voter contre, de proposer la défaite de ce projet de loi». Mais si le Sénat ne l'accepte pas, il n'y en a pas de projet de loi, vous le savez comme moi.

M. Tremblay: Je vous ai déjà dit à quelques reprises que j'avais beaucoup d'admiration pour votre capacité et pour votre savoir-faire. Effectivement, on est en matière politique, il peut y avoir divergence de point de vue. Il peut y avoir des appréciations, des évaluations politiques dissemblables, différentes. Je crois que ce n'est pas avec ce projet de loi que l'on va résoudre la problématique constitutionnelle canadienne. Il faut être infiniment plus pertinent, plus audacieux, plus imaginatif. Tout ce qu'on propose, c'est une affaire purement technicienne, technocrate, inspirée par quelques fonctionnaires audacieux. C'est l'imaginaire technocratique.

Le sénateur Gauthier: Mais qui n'a pas de prétention constitutionnelle, monsieur Tremblay, et vous le savez. Il n'y a eu aucune prétention constitutionnelle, ni de la part du ministre, ni de la part du gouvernement. C'est peut-être bureaucratique, oui, mais comme le dirait le sénateur MacEachen, cela peut-être utile parfois. Dans ce cas-ci, c'est une mesure politique qui a été avancée par un gouvernement qui se voit dans une situation d'une fin de non-recevoir d'un gouvernement québécois qui dit: «Moi, je ne veux pas entendre parler de rien; on veut se séparer un point c'est tout». On dit: «Écoutez, on veut garder le pays ensemble, nous, alors on commence par cela». C'est un commencement, et non pas une réponse absolue, je suis d'accord avec vous.

M. Tremblay: Dans une situation comme celle que nous vivons, rien n'interdit de revisiter les demandes québécoises, rien n'interdit au Sénat, aux politiciens fédéraux et aux bureaucrates fédéraux de regarder les réclamations ou les revendications historiques passées du Québec. C'est profond, cela. Et peut-être qu'en les revisitant, peut-être qu'en les lisant simplement, on pourrait constater qu'il y a encore des possibilités de répondre à l'appel téléphonique. Mais là, cela fait longtemps qu'on signale le numéro fédéral à Québec et on ne répond jamais. Il y a un nouveau numéro de téléphone qui a été composé et peut-être que vous comprenez, vous, au Sénat, qu'il serait peut-être temps de répondre au téléphone.

Le sénateur Gauthier: C'est un commencement, monsieur Tremblay, et le ministre nous a dit hier qu'il avait une proposition, un plan d'ensemble qui serait probablement déposé d'ici quelques semaines; j'attendrai, comme vous, de voir ce plan-là et je suis d'accord avec vous qu'il faut faire plus que le projet de loi C-110. Il n'y a pas de doute là-dessus.

M. Tremblay: Si le plan d'ensemble que le ministre veut proposer, c'est un plan de mesures de guerre pour empêcher l'indépendance au Québec, je pense qu'il fait fausse route; on allègue et on laisse entendre qu'on va utiliser les pouvoirs de paix du gouvernement fédéral pour juguler, contrôler le mouvement indépendantiste; franchement, c'est totalement «disconnecté». Si les technocrates le sont, je dois dire que les politiciens le sont doublement.

Le sénateur Gauthier: Merci, monsieur Tremblay.

Le sénateur Rivest: Bienvenue, monsieur le professeur Tremblay. Il me semble que quelque part dans une vie antérieure, je vous ai déjà rencontré ou entendu.

Le sénateur Gauthier: Dans le même bain...

Le sénateur Rivest: Je ne vous cacherai pas que je partage beaucoup des opinions et des analyses que vous avez exprimées devant le comité. Vous nous avez indiqué que le problème ou la menace la plus immédiate - il y a d'autres intérêts et problèmes au Canada que la question du Québec - mais, la menace de l'unité nationale vient du Québec. Compte tenu du fait qu'il s'agit d'une mesure purement statutaire et non constitutionnelle qui réglemente ou qui discipline l'exercice du droit de veto fédéral, avec les doutes constitutionnels qu'il y a pour la démarche, qu'il y a différentes théories. Je vais vous demander pour le Québec, étant donné que c'est là le problème qu'on doit résoudre, en terme de protection, ce que l'on doit comprendre sur le plan défensif et offensif: «défensif» dans le sens de protéger ses droits; «offensif» dans le sens d'obtenir des modifications substantielles à la Constitution. Est-ce qu'avec ce projet de loi-là, on progresse ou non?

Par exemple, défensivement, sur la protection des droits constitutionnels du Québec actuels, tels qu'ils existent avec les droits de veto qui existent dans la Loi constitutionnelle de 1982, est-ce que le moyen additionnel que nous procure le projet de loi C-110 est «foolproof»? Est-ce que cela ajoute vraiment à la protection des droits constitutionnels du Québec?

M. Tremblay: Au plan défensif, c'est timide comme contribution à la protection. La protection est de nature statutaire et le Parlement peut abroger la loi. Mais, c'est un petit pas en avant, mais ce petit pas en avant ne peut pas être posé isolément. J'ai dit tout à l'heure qu'il y a un nécessaire plan d'ensemble, un plan cohérent ou une nécessaire politique cohérente au plan constitutionnel, pour s'attaquer à la crise constitutionnelle. Mais il faut que vous envisagiez aussi l'aspect offensif. Et là, au plan offensif, c'est absolument dramatique, parce que Québec recherche des accommodements, des arrangements spéciaux. Québec recherche des pouvoirs spéciaux ou des pouvoirs additionnels en matière d'emploi, de main-d'oeuvre, d'éducation, de culture, des affaires sociales, de santé, de commerce et d'industrie - pour ne mentionner que ceux-là.

Pour changer la liste des pouvoirs fédéraux ou des pouvoirs provinciaux, il faut qu'il y ait des amendements réalisés selon la formule 7-50. Avec ce projet de loi, la formule 7-50 est toujours là, mais en plus de la formule 7-50, là s'ajoutera cette difficulté supplémentaire de trois veto, de veto à trois provinces et de veto à deux régions. Vous avez vécu l'Accord du Lac Meech, vous avez vécu les difficultés d'approbation de l'Accord constitutionnel du Lac Meech. On disait déjà que c'était pratiquement impossible au Canada de réaliser des réformes constitutionnelles.

Le sénateur Rivest: Prenons concrètement un accord auquel vous avez contribué de la façon qu'on connaît, l'Accord du Lac Meech, parce que s'il avait passé, vous et moi ne serions pas ici en train de discuter de ça, et il n'y aurait pas de menace à l'unité canadienne...

M. Tremblay: Très juste.

Le sénateur Rivest: Il n'y aurait pas de Lucien Bouchard, il n'y aurait pas eu de Bloc et, il n'y aurait pas de divisibilité envisagée du territoire québécois et canadien; cela aurait été une bonne idée l'Accord du lac Meech, on n'avait pas une si mauvaise idée que ça, n'est-ce pas?

M. Tremblay: Je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Rivest: Alors, revenons à l'Accord du Lac Meech. Le sénateur Gauthier avait compris cela au moment où il était député libéral; il était l'un des rares.

M. Tremblay: C'est pour cela que j'avais beaucoup d'admiration pour lui.

Le sénateur Rivest: Alors, prenons un exemple pratique. Est-ce que pour le Québec, ce serait plus facile ou moins facile, avec le présent projet de loi, la situation constitutionnelle étant ce qu'elle reste, d'obtenir la reconnaissance de la société distincte? Est-ce que les exigences pour obtenir un amendement, incluant la notion de société distincte dans la Constitution, seraient plus faciles avant l'adoption du projet de loi C-110 ou après?

M. Tremblay : Ce serait plus difficile après l'adoption du projet de loi C-110.

Le sénateur Rivest: Ce projet de loi est-il fait pour répondre aux besoins du Québec?

M. Tremblay: C'est plus difficile. C'est clair que c'est plus difficile.

Le sénateur Rivest: Dans quel sens?

M. Tremblay : Si on reconnaît aujourd'hui par voie constitutionnelle, faites abstraction du projet de loi C-110. Si on veut reconnaître le Québec comme société distincte dans la Constitution, si on veut changer l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, si on veut changer cet article-là, on procède 7-50.

Le sénateur Beaudoin: C'est ça.

M. Tremblay: La formule du 7-50 et il n'y a pas de veto. Le sénateur Gauthier me regarde, il va dire: oui, oui, la résolution du Sénat et de la Chambre des communes est nécessaire; vous connaissez la formule, et il y a le veto suspensif du Sénat de 180 jours. Mais il n'y a pas, présentement, vous n'avez pas deux provinces des Prairies qui peuvent bloquer la reconnaissance du Québec comme société distincte.

Le sénateur Rivest: Donc, cela complique leur affaire?

M. Tremblay: Oui, monsieur.

Le sénateur Rivest: Prenons une autre affaire un peu plus large. Prenons la notion fondamentale de la dualité linguistique du Canada, qui est une des caractéristiques fondamentales. Par exemple, la notion de dualité linguistique qu'on avait inclue et convenue au moment de l'Accord du lac Meech et qui était répétée dans l'Entente de Charlottetown; pour la mettre dans la Constitution actuelle, est-ce le projet de loi C-110 facilite l'inclusion d'une telle notion dans la Constitution, ou si cela complique la démarche?

M. Tremblay: La démarche est déjà compliquée présentement, cela la rend plus complexe, presque à l'infini.

Le sénateur Rivest: Vous êtes encourageant! C'est presque comme dans les autobus à Montréal, on avance par en arrière, si je comprends bien?

M. Tremblay: C'est déjà hypercomplexe présentement, alors à une procédure déjà fort complexe.

Le sénateur Rivest: Mais, comment expliquer que le premier ministre du Canada a dit qu'il faisait cela pour nous aider au Québec? C'est bizarre.

M. Tremblay: Ecoutez, je pense que...

Le sénateur Rivest: Je retire cette question. Je ne vous demande pas ce commentaire, vous allez entrer sur le terrain politique. Mais il y a une autre question fondamentale au Canada qui ne concerne pas le Québec, dont on va discuter abondamment demain. Pour les peuples autochtones, la reconnaissance du «self government», dans la mesure où il y a toutes sortes de théories constitutionnelles. Certains disent que c'est déjà reconnu. Mais si on veut introduire la notion du «self government», avec le projet de loi C-110, pour les peuples autochtones, pour obtenir la reconnaissance de leurs droits fondamentaux et de leurs préoccupations, est-ce que le projet de loi C-110 leur facilite les choses sur le plan de la démarche constitutionnelle ou s'il complique les choses davantage en exigeant plus des participants et plus de consentements? Est-ce pour eux un avantage?

M. Tremblay: Le sénateur Rivest envisage la possibilité de modifier l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Et la modification 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour reconnaître au peuple autochtone l'autonomie gouvernementale, cette modification se fait selon la formule 7-50.

Le sénateur Rivest: Et avec le projet de loi?

M. Tremblay: Avec le projet de loi, il y aura en plus des exigences imposées par le 7-50, il y aura les difficultés additionnelles que j'ai mentionnées tout à l'heure.

Le sénateur Rivest: Juste pour conclure. C'est ce que je veux établir comme point, et on l'a très bien signalé hier. Pour la réflexion du comité, il faut réaliser que sur le plan strictement juridique, le projet de loi, loin de faciliter les choses, loin de nous rapprocher vers des éléments concrets de solutions aux problèmes constitutionnels canadiens, québécois et autochtones, complique la mécanique constitutionnelle, la démarche. Et je pense que le témoin l'a très bien exprimé, comme le professeur Pelletier l'avait fait.

[Traduction]

Le sénateur MacEachen: Je tiens à remercier le témoin pour le message clair, précis et convaincant qu'il envoie au Sénat. Certains témoins nous ont envoyé un message plus nuancé, alors que vous avez été très clair.

M. Tremblay: Je l'espère.

Le sénateur MacEachen: Le fait d'inviter un sénateur à rejeter un projet de loi constitue toujours une gageure pour lui. C'était, pour moi, une perspective tentante à l'époque où j'étais chef de l'opposition au Sénat. Mais l'idée que le Sénat fasse preuve d'une telle audace ne plaisait pas à tout le monde.

Votre analyse du projet de loi correspond à celle du ministre, qui a comparu hier devant le comité. Vous nous avez dit que le projet de loi ne règle pas les problèmes constitutionnels du Canada, comme l'a clairement laissé entendre le ministre. Il a dit que ce projet de loi ne représente pas la réponse intégrale du gouvernement au référendum ou encore le plan d'action global du gouvernement en matière d'unité nationale. Il a précisé que cette mesure ne répond pas à toutes les attentes constitutionnelles, aussi légitimes soient-elles, des parties, parce que tel n'est pas son objectif.

Comme vous l'avez indiqué, ce projet de loi ne représente pas un plan d'action global. Je crois que le ministre partage vos vues sur ce point. Il a déclaré, tout comme vous, que ce projet de loi a une portée très limitée. Il vise à répondre à certaines questions laissées en suspens par le référendum.

Vous avez qualifié ce projet de loi de «petit pas en avant». Le ministre l'a qualifié de «modeste». Il importe de se rappeler que ce projet de loi a une portée limitée, un objectif limité. Vu sous cet angle, il n'a pas les effets apocalyptiques que nous lui prêtons. Nous devrions donc atténuer les propos que nous utilisons lorsque nous décrivons une mesure qui est somme toute modeste, concrète et à portée limitée.

J'ai bien aimé l'expression que vous avez utilisée lorsque vous avez dit que ce projet de loi s'apparentait à une camisole de force. Mais cette camisole de force est uniquement imposée aux ministres, n'est-ce pas?

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur MacEachen: Il ne limite pas la marge de manoeuvre du Parlement, du Sénat ou des provinces.

M. Tremblay: Pas du tout.

Le sénateur MacEachen: Ils peuvent toujours proposer des modifications à la Constitution.

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur MacEachen: Ce sont uniquement les ministres qui ont les mains liées. Ils ne peuvent déposer une motion de résolution autorisant des modifications à la Constitution.

M. Tremblay: C'est exact.

Le sénateur MacEachen: Hier, un témoin d'une autre université a déclaré que toute motion déposée par un ministre nécessiterait, en vertu de ce projet de loi, l'accord de sept provinces représentant environ 92 p. 100 de la population.

Je crois que vous avez dit que ce projet de loi permettrait à deux provinces des Prairies de bloquer toute motion visant à reconnaître le caractère distinct du Québec, chose qui serait impossible en vertu de la procédure actuelle de modification. Est-ce exact?

M. Tremblay: C'est exact.

Le sénateur MacEachen: Je vois une lumière au bout de ce tunnel apocalyptique. Supposons que le premier ministre, le Cabinet et les premiers ministres n'arrivent pas à s'entendre sur certaines modifications à la Constitution, qu'ils n'arrivent pas à obtenir le degré de consentement requis pour permettre à un ministre fédéral de déposer une motion, mais qu'il existe tout de même un certain accord entre eux. Pouvez-vous me dire, en votre qualité d'avocat, si une province pourrait, sur le plan juridique, proposer une modification à la Constitution, même si elle n'avait pas le degré de consentement requis? Est-ce que le Parlement du Canada, le gouvernement du Canada, pourraient appuyer ce projet de modification même en l'absence du degré de consentement requis? Est-ce que ce projet de loi ne propose pas une approche à deux volets?

Vous avez dit que si ce projet de loi avait été proposé à l'électorat québécois au cours de la campagne référendaire, le camp fédéraliste aurait perdu. Est-ce exact?

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur MacEachen: C'est une opinion politique, et vous y avez droit.

Ma prochaine question - et je la pose aux autres témoins -, est la suivante: à votre avis, est-ce que les déclarations du premier ministre concernant la société distincte et le consentement ont, d'une façon ou d'une autre, influé sur les résultats du référendum?

[Français]

M. Tremblay: Je répondrai d'abord à votre commentaire relatif à la procédure de modification constitutionnelle qui peut être enclenchée au niveau provincial. Vous avez parfaitement raison de dire qu'il y a un droit d'initiative, qu'il y a un droit d'amorcer des procédures de modification constitutionnelle au niveau des assemblées législatives provinciales. Ce droit est reconnu par l'article 46 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Si par hypothèse, aujourd'hui, un ministre de la Colombie- Britannique déposait à l'assemblée législative un projet de loi, si un ministre de la Colombie-Britannique déposait une motion de résolution en vue de faire reconnaître la société distincte dans la Constitution, la procédure constitutionnelle suivrait son cours.

Si la motion est adoptée aujourd'hui à la législature de la Colombie-Britannique, nous aurons trois ans comme pays pour l'adopter. Mais la difficulté à laquelle faisait référence le sénateur Rivest tout à l'heure, si le projet de loi C-110 est adopté, le même ministre de la Colombie-Britannique a ce même droit d'initiative au niveau des assemblées législatives.

Par contre, on pourra procéder selon la formule actuelle. En d'autres termes, vous avez raison. Il y a deux voies. La voie fédérale va être extrêmement compliquée. En d'autres termes, le gouvernement fédéral se menotte. Au niveau des provinces, il n'y a pas de menottage. C'est pour cela qu'on peut dire qu'il y a deux voies.

[Traduction]

Le sénateur MacEachen: Le chef de l'opposition à la Chambre des communes ou un sénateur pourraient, hypothétiquement, proposer un projet de modification et, avec l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, modifier la Constitution.

M. Tremblay: C'est exact.

[Français]

J'ajouterai ceci. Le gouvernement fédéral sera dans une situation de menottage constitutionnel tellement évident que le ministre de la Couronne fédérale va devoir éventuellement demander à un député de l'arrière-banc de présenter le projet de résolution. C'est complètement stupide.

Le sénateur Rivest: Ce n'est peut-être pas tout à fait mauvais qu'il soit menotté.

[Traduction]

Le sénateur MacEachen: Vous minimisez la capacité d'adaptation du Parlement. Tout cela est possible, et le gouvernement fédéral peut jouer un rôle actif, mais ce rôle est limité puisqu'il ne peut déposer une motion de résolution. C'est ce que dit le projet de loi.

M. Tremblay: C'est exact.

Le sénateur Murray: Mais, moralement parlant, le gouvernement fédéral serait obligé de rejeter toute motion de résolution qui n'a pas obtenu le consentement prévu par le projet de loi C-110.

Le sénateur MacEachen: Je m'exprimais d'un point de vue juridique, et ça, c'est une tout autre affaire. Pour ce qui est de la moralité, il faudra s'adresser aux hautes instances. Nous n'avons pas encore eu le loisir d'en accueillir.

[Français]

Le sénateur Meighen: On vit dans des mondes bien différents, le monde juridique, politique, théorique, toutes sortes de monde.

M. Tremblay: Et le monde académique.

Le sénateur Meighen: Je vois que vous n'avez perdu aucunement votre clarté d'expression. Nous avons suivi la même formation légale. Je connais la source de vos connaissances juridiques et de votre clarté d'expression. Je n'ai qu'une seule question à vous poser.

Il me semble qu'on peut dire sans se contredire qu'il existe des doutes sur le plan juridique quant à la constitutionnalité de ce projet de loi. Il existe des doutes quant à l'aspect pratique de ce projet de loi. Il existe des doutes quant à l'effet politique. Parlant comme fédéraliste, je ne suis pas certain que cela va nous aider ou non. Tout ce que je sais, c'est qu'il existe des doutes.

Il y a deux façons de voir ce projet de loi. Certains vont dire, sur le plan politique toujours, que c'est un petit pas en avant. D'autres vont dire que c'est un pas en arrière. Chose certaine, il va y avoir une conférence constitutionnelle en 1997 où il faut absolument trouver une solution à nos problèmes constitutionnels.

Dans ce contexte de doute, d'ici 1997, y a-t-il une utilité quelconque d'après vous à ajouter une clause crépusculaire à ce projet de loi? Vous nous invitez à nous opposer au projet de loi. Il va y avoir des gens au Québec et ailleurs peut-être qui vont dire: «Vous vous opposez à un veto pour le Québec», qui n'est nullement le cas. La conclusion existe. Vous n'avez qu'à constater la discussion de ce matin pour conclure qu'auprès du public, la chose est loin d'être claire.

En acceptant le projet de loi pour une période limitée, jusqu'au début des discussions constitutionnelles, est-ce que cela pourrait enlever ce problème auquel j'ai fait allusion, et en même temps assurer que les discussions vont être sérieuses en 1997.

M. Tremblay: Je crois que lorsque il y a beaucoup de doutes au plan politique et beaucoup de doutes au plan légal, la sagesse commande de s'abstenir. La sagesse commanderait que vous exerciez vraiment votre droit de veto constitutionnel, ce que vous n'avez pas beaucoup fait. En fait, c'est très rare que le Sénat bloque des projets de loi. Cela serait peut-être un cas où le Sénat devrait lancer un signal clair à la population québécoise que l'on va plutôt s'orienter vers une approche globale. Ce qu'on fait présentement, c'est une approche «piecemeal», une approche parcellaire à un problème global. Ce n'est pas recommandé.

Je crois que le Sénat devrait plutôt envoyer le message très clair qu'il favorise, comme institution responsable, un plan global, un plan d'ensemble de réforme constitutionnelle, et que cette question de droit de veto retiendra bien entendu votre considération. Mais le Sénat peut dire, dans un premier temps, qu'il va s'attaquer à la vraie problématique, vue dans une perspective québécoise. C'est le partage de compétences.

Après, on passera au niveau institutionnel et après, si vous le désirez, vous pourrez passer au niveau des garanties constitutionnelles. Je crois que l'hypothèse à laquelle vous faites allusion à savoir adopter le projet de loi et lui ajouter une clause crépusculaire, c'est simplement dire: «Écoutez, en attendant, c'est ce qu'on a trouvé de mieux pour répondre à la problématique québécoise. Ce n'est pas la voie que je vous conseille.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs: Ce que les Accords du lac Meech et de Charlottetown nous ont permis de constater, c'est que les premiers ministres, que ce soit au palier national ou provincial, ne peuvent faire des promesses exagérées. Le premier ministre a pris certains engagements durant la campagne référendaire et il a essayé de les respecter sans nécessairement devoir compter sur l'accord des autres premiers ministres. Comme nous l'avons appris, aucun premier ministre ne peut orchestrer une garantie. Le premier ministre a pris des mesures que lui seul peut prendre, c'est-à-dire en déposant une motion de résolution sur la société distincte et en déposant un projet de loi qui modifierait son rôle et celui de ses ministres. Il pourrait donc dire: «Cela ne suffit pas, nous devons faire plus; voici ce que je peux faire. Je fais preuve de bonne volonté en agissant de manière unilatérale».

Quel est votre avis là-dessus?

[Français]

M. Tremblay: Je reconnais les difficultés inhérentes à l'ouverture du dossier constitutionnel. Le premier ministre fédéral avait dit, dans un premier temps, qu'il n'y aurait pas d'amendement constitutionnel. Il avait donc exclu d'emblée au départ toute hypothèse ou toute avenue de réforme constitutionnelle.

Il lui restait l'avenue des solutions administratives, des arrangements administratifs ou l'avenue parlementaire. Il utilise donc l'avenue parlementaire. J'ai indiqué dans ma présentation que cette avenue parlementaire comporte des lacunes sérieuses, surtout lorsque l'avenue parlementaire veut consacrer une notion que normalement la Constitution seule doit reconnaître. Alors il est un petit peu dans une situation de déséquilibre, utilisant un véhicule non adapté pour transporter une telle notion.

Je reconnais donc la difficulté que M. Chrétien a rencontrée et celle qu'il voulait éviter. J'ai dit dans ma présentation que l'approche reste néanmoins non-recevable selon la perspective québécoise parce qu'au Québec, ce que l'on recherche, ce ne sont pas des arrangements administratifs qui sont assujettis à une majorité parlementaire. Le Québec a toujours recherché, voulu réclamer, revendiquer des arrangements constitutionnels garantis.

Ce qu'il a recherché, c'est une réforme en profondeur de la Constitution. Ce qu'il a recherché, ce sont des garanties constitutionnelles. Il n'a jamais recherché de garanties statutaires consacrées par des lois du Parlement. Les lois du Parlement se modifient comme on l'entend. Une simple majorité parlementaire emporte la garantie. Le Québec ne recherche pas des ententes administratives. Il recherche une entente constitutionnelle à l'intérieur d'un plan d'ensemble.

Je n'ai pas dit qu'il était de mauvaise foi. J'ai dit qu'il a fait effectivement au centre sportif de Verdun, deux jours avant le référendum, des promesses. J'ai lu comme vous les discours relatifs à ces promesses. Il respecte ses promesse à l'intérieur du véhicule qu'il s'est imposé. Le véhicule qu'il s'impose est un véhicule à capacité limitée et à portée aussi fort limitée.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs: Je ne conteste pas ce que vous dites. Je dis tout simplement que, en politique, nous devons procéder par étapes. Nous savons que le premier ministre ne peut garantir quoi que ce soit sur le plan constitutionnel. D'autres ont essayé, mais leurs efforts n'ont pas porté fruit. Si vous ne pouvez donner de garanties, il est bon de procéder par étapes. Ce faisant, on aura l'impression, du moins dans une certaine mesure, qu'on reconnaît le Québec comme société distincte, ce qui n'existait pas auparavant, et qu'on reconnaît aussi que le Québec, l'Ontario, la Colombie-Britannique et d'autres provinces ont un droit de veto, ce qui n'existait pas auparavant. Autrement dit, nous avons franchi le premier pas de ce qui constitue un processus très long.

[Français]

M. Tremblay: Le problème est le suivant. Je reconnais qu'il y a une étape, qu'il y a une première démarche. Il n'y a aucune espèce d'adéquation entre la première démarche et le niveau de crise, le niveau de danger auquel le pays est confronté. Ce n'est pas suffisant. Je dirais même que c'est presque ridicule d'offrir, en période de crise, ce type de solution. C'est de la dentelle constitutionnelle. C'est un petit cataplasme sur une blessure majeure.

Il n'y a aucune adéquation entre le mal existant, le malaise actuel et le remède proposé. C'est le sens de mon intervention. Il n'y a pas d'adéquation.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs: Quelles autres mesures unilatérales le gouvernement fédéral et le premier ministre auraient-ils pu prendre pour atteindre ces objectifs, sans l'appui des autres provinces?

[Français]

M. Tremblay: Unilatéralement, je n'aurai pas dit comme premier ministre que je m'interdisais totalement l'approche constitutionnelle. À partir du moment où le premier ministre s'interdit toute approche constitutionnelle, il se condamne à une certaine forme de stérilité ou d'impuissance.

Le sénateur St. Germain: Je vous pose une question simple. Si je vote pour bloquer le projet de loi C-110, est-ce que cela donne aux séparatistes de la province de Québec des outils pour travailler contre un Canada uni?

M. Tremblay: Si vous votez contre le projet de loi, vous envoyez le message que pour vous, ce n'est pas suffisant, que vous voulez travailler sur plus, que vous voulez, comme sénateur responsable envisager le problème dans son ensemble. Vous voulez, comme sénateur responsable, être pertinent politiquement.

En votant en faveur de ce projet de loi, vous aurez plus de difficultés à venir parler au Québec que si vous votez contre. Si vous votez contre, vous allez pouvoir expliquer très facilement, sur toutes les tribunes, pourquoi vous avez voté contre. Si vous votez pour, vous aurez de gros problèmes à vous expliquer. En votant pour, je pense que vous allez leur donner des munitions.

Le sénateur Rivest: Tout à coup, certains nous accusent d'être séparatistes?

M. Tremblay: On pourra vous accuser d'être responsable.

Le sénateur De Bané: Ma querelle avec vous porte sur deux points. Ma première querelle porte finalement sur le fait que votre mission et la nôtre sont très différentes. Le professeur est à la recherche de la vérité absolue, du bien idéal. Ceux qui oeuvrent en politique ont comme horizon ce qui est atteignable. Donc, quand vous me dites, dans un monde idéal, voici ce que l'on voudrait, il est très difficile d'en disconvenir. Sauf que pour nous qui oeuvrons en politique, comme vous le savez, la première règle de la politique est de partir de ce qui est. La deuxième règle est de tenir compte des forces en présence.

Vous savez que pour amender la formule d'amendement, si on voulait enchåsser dans la Constitution une formule d'amendement, puisque c'est cela votre reproche à ce projet de loi, il n'est pas enchåssé dans la Constitution. Il faudrait le consentement unanime. Il n'est pas besoin d'être un grand devin pour comprendre qu'un consentement unanime pour modifier la formule d'amendement est hors de portée dans les circonstances actuelles.

En d'autres termes, ce qui nous divise, c'est que j'appartiens à l'école qui pense que, dans le domaine de l'action concrète, le mieux est l'ennemi du bien. Et vous qui êtes un praticien de l'histoire de la Constitution, vous savez que la raison pour laquelle, durant 115 ans, on a été incapable de trouver une formule d'amendement est précisément parce que l'on était pris entre deux extrêmes.

D'une part, il y avait les provinces qui demandaient chacune un droit de veto et, d'autre part, il y avait le gouvernement fédéral qui disait qu'avec 11 veto, on ne pourrait plus jamais amender la Consitittion. C'est pour cela que la Constitution est restée en Angleterre durant 115 ans.

Alors, nous dire aujourd'hui que ce projet de loi est un bon pas mais qu'il est imparfait, je me dis que c'est très bien pour quelqu'un qui est dans sa tour d'ivoire et qui veut oublier comment fonctionnent les amendements à la Constitution canadienne.

Toujours dans le même ordre d'idée, vous dites que l'autre approche ne tient pas compte de toutes les revendications du gouvernement du Québec. À cela, je vous demanderais quand, au cours des 125 dernières années, a-t-on fait des amendements globaux à la Constitution canadienne.

Les seuls amendements qui ont été adoptés, ce sont les amendements qui étaient ponctuels, sur un sujet très précis. Et demain matin, si monsieur Tremblay quittait sa tour d'ivoire pour venir comme praticien de la politique, je suis sûr qu'il n'aurait pas de difficulté à concourir avec moi.

Voilà ma première querelle avec vous. C'est que vous nous parlez de ce qui est idéal et moi, je vous parle de ce qui est possible et atteignable.

M. Tremblay: Monsieur le président, je n'ai même pas besoin d'utiliser, vous le savez, la question de privilège. Mais je ne savais pas que j'avais quelque querelle que ce soit avec l'honorable sénateur. Je ne suis pas sûr que le sénateur ait parfaitement compris le sens de mon intervention.

Je n'ai pas parlé du monde idéal. J'ai parlé du monde réel. Je n'ai pas parlé de la tour d'ivoire, mais j'ai parlé d'une nécessaire pertinence en matière constitutionnelle. J'ai parlé du monde réel. J'ai parlé des intérêts supérieurs du pays, et je vous ai demandé de ne pas accepter ce projet de loi, qui ferait plus de mal que de bien au pays.

Le sénateur me demande enfin de lui indiquer quand il y a eu une réforme en profondeur de la Constitution du Canada. Malheureusement, je ne peux pas lui indiquer quand. C'est précisément le problème que le sénateur devrait connaître. S'il y avait eu une réforme en profondeur de la Constitution canadienne, s'il y avait eu au moins, en 1990, l'acceptation de l'Accord constitutionnel du lac Meech, comme dit le sénateur Rivest, on ne serait pas ici en train de parler encore de la nécessaire réforme de la Constitution du Canada.

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes arrivés à la fin de cette séance. En votre nom, j'aimerais exprimer nos remerciements au professeur André Tremblay pour son témoignage, qui était très intéressant et très important. Vos interventions rendent notre travail plus facile. Merci beaucoup, professeur Tremblay.

[Traduction]

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est l'honorable Andrew Petter, le président du comité sur l'unité nationale du gouvernement de Colombie-Britannique.

Au nom du comité, je souhaite la bienvenue au ministre Petter et à ses collègues.

Je désire également souhaiter la bienvenue à un député de l'autre endroit, Svend Robinson, qui représente une circonscription fédérale en Colombie-Britannique.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. À la suite de votre déclaration liminaire, les honorables sénateurs vous poseront une série de questions.

L'honorable Andrew Petter, ministre des Forêts, président du comité sur l'unité nationale, gouvernement de la Colombie-Britannique: Merci, monsieur le président. Je dois dire que, comme je suis originaire de la Colombie-Britannique, je trouve le temps très agréable, bien que je me sois réveillé ce matin dans une chambre d'hôtel qui n'avait pas d'eau chaude. Alors de deux choses l'une: soit je prenais une douche froide, soit je n'en prenais pas du tout. Je me suis demandé si cela reflétait le rôle qui serait attribué à la Colombie-Britannique dans ce comité sur l'unité nationale. J'espère que non.

Le sénateur Gauthier: Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Je regrette de le faire, mais il y a des caméras dans la salle et le Sénat n'a pas donné d'autorisation en ce sens. Je demande qu'on les retire.

M. Petter: Je crois comprendre, monsieur le président, que les médias peuvent prendre des photos pendant une minute, après quoi je suis certain qu'ils se feront un plaisir de quitter la salle.

Le président: Nous prendrons une pause d'une minute.

M. Petter: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis accompagné aujourd'hui de Catherine Holt, sous-ministre adjointe des Relations intergouvernementales du gouvernement de la Colombie-Britannique.

J'aimerais aujourd'hui non seulement vous parler du projet de loi C-110, mais également proposer aux provinces et au gouvernement fédéral des moyens de travailler ensemble, de manière constructive, pour régler les problèmes pressants que pose l'unité nationale.

C'est la première fois que la Colombie-Britannique a l'occasion de présenter ses vues sur le projet de loi C-110 ou sur des aspects de la stratégie visant à favoriser l'unité nationale. La Colombie-Britannique n'a pas participé à l'élaboration de ce projet de loi et n'a pas eu non plus l'occasion de comparaître devant le comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes, bien qu'elle lui ait présenté un mémoire. Je voudrais d'abord dire qu'à notre avis, cette absence de consultation ne constitue pas, pour le gouvernement fédéral, un moyen de renforcer et de promouvoir l'unité nationale.

La Colombie-Britannique s'est engagée à trouver des solutions durables qui permettront au Canada de rester fort et uni en l'an 2000 et au-delà. À notre avis, les solutions ponctuelles et à court terme ne permettront pas de résoudre le problème.

Le gouvernement fédéral, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, semblait s'être fixé des objectifs à long terme. Si vous vous souvenez bien, le premier ministre Chrétien avait promis que son gouvernement se concentrerait sur l'économie, et surtout sur la création d'emplois, et qu'il chercherait à protéger le filet de sécurité sociale au lieu d'essayer de solutionner les problèmes constitutionnels du Canada. Nous avons l'impression que, depuis deux ans, le gouvernement fédéral fait fausse route. Pour venir à bout de ses problèmes financiers, il a pris des décisions inopportunes en réduisant de façon unilatérale les dépenses sociales. Pour contrer les visées sécessionnistes du Québec, il a mis au point une stratégie sur l'unité nationale, une stratégie à courte vue et mal conçue, encore une fois sans consulter les provinces. Nous estimons que ces mesures nuisent à l'unité nationale et qu'elles devraient être abandonnées.

Je voudrais vous parler d'abord du projet de loi C-110 et vous dire pourquoi la Colombie-Britannique s'y oppose. Je proposerai ensuite des mesures qui, de l'avis de la Colombie-Britannique, remettront le gouvernement fédéral dans la bonne voie et lui permettront de poursuivre le genre de politiques qu'il a adoptées il y a un peu plus de deux ans, des politiques qui appellent à la collaboration et aux efforts concertés de tous les gouvernements et de tous les citoyens du Canada pour garder le pays uni.

En ce qui concerne le projet de loi C-110, les membres du comité savent que les habitants de la Colombie-Britannique ont réagi avec colère au projet de loi initial du gouvernement fédéral, un projet qui accordait un droit de veto à quatre régions. Cette réaction était attribuable au fait que le gouvernement fédéral ne considérait pas la Colombie-Britannique comme une région. Ayant adopté l'approche régionale, il avait eu l'audace d'inclure la Colombie-Britannique dans les provinces de l'Ouest. Le gouvernement fédéral a par la suite modifié son projet de loi et proposé la création de cinq régions, ce qui lui a permis de se racheter. Toutefois, le mal était déjà fait.

À notre avis, tout projet qui accorde un droit de veto aux régions est foncièrement imparfait, favorise la désunion et pose des problèmes. J'aimerais vous décrire certains de ceux-ci.

Lorsque la Loi constitutionnelle de 1982 a été adoptée, le principe selon lequel le Canada était composé de 10 provinces égales a été inscrit dans la procédure de modification constitutionnelle. La notion de régions a été clairement rejetée. Le projet de loi C-110 va à l'encontre de l'esprit et de l'objet de la Loi constitutionnelle de 1982 et des discussions qui ont mené à son adoption.

L'octroi d'un droit de veto aux régions risque de poser problème en raison de la façon dont le projet de loi sera appliqué. L'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique se verront attribuer un droit de veto. L'Alberta, elle, obtiendra un droit de fait en raison du nombre d'habitants qu'elle compte. Certaines provinces obtiendront une part du droit de veto du fait qu'elles font partie d'une région, tandis que d'autres n'obtiendront absolument rien. Nous risquons donc de nous retrouver avec au moins quatre catégories de provinces au Canada.

Cette catégorisation entraînera des divisions qui finiront par saper, au lieu de renforcer, l'unité nationale.

En outre, le droit de veto régional constitue un moyen détourné pour le gouvernement fédéral de modifier la façon dont la procédure de modification est appliquée. Par exemple, les projets de modification qui recueillent l'appui de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population pourraient être rejetés par une seule des régions exerçant son droit de veto. La Constitution dispose que toute modification à la procédure de modification doit être appuyée à l'unanimité par toutes les provinces; or, cette modification de fait est apportée sans consultation adéquate. Fait ironique, ce projet de loi ne remplit même pas ce critère. Il est rejeté non seulement par une région, mais par la majorité des régions.

Si le gouvernement fédéral respectait vraiment les désirs des régions du Canada, comme il le laisse entendre, on s'attendrait à ce qu'il tienne compte des vues exprimées par les régions à l'égard de ce projet de loi. Or, malgré les objections de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et du Québec, le gouvernement fédéral continue de promouvoir ce projet de loi mal conçu, minant du coup sa crédibilité.

Même si le gouvernement fédéral affirme que ce projet de loi n'est qu'une solution provisoire en attendant les discussions formelles de 1997, il est fort peu probable que le Parlement décide de l'abroger une fois adopté. Le droit de veto régional restera sans doute en place tant que la région centrale du Canada continuera de dominer la Chambre des communes. Ce qui veut dire qu'il sera pratiquement impossible d'apporter à la Constitution des modifications qui servent les intérêts de la Colombie-Britannique et de l'Ouest. Il en ira de même pour les intérêts de l'Ontario et du Québec. La procédure de modification, déjà fort complexe et rigide, deviendra complètement inopérable. Nous ne pouvons båtir un pays en plaçant la Constitution dans une camisole de force.

Pour ces raisons, nous trouvons déplorable que le gouvernement fédéral ait choisi d'agir unilatéralement sans consulter les provinces ou les territoires. De plus, puisque les premiers ministres sont tenus, de par la Constitution, d'examiner la procédure de modification avant le 10 avril 1997, nous estimons que le gouvernement fédéral s'adjuge la direction des discussions en agissant unilatéralement à ce moment-ci.

Enfin, il est peu probable que le projet de loi fédéral apporte des solutions au problème qu'il est censé régler. Le Québec a réservé un accueil peu enthousiaste au projet de loi. Les relations entre Québec et Ottawa ne se sont pas améliorées. De plus, les gouvernements du Québec ont, dans le passé, rejeté l'idée d'un droit de veto régional. Et, comme je l'ai mentionné, le gouvernement du Québec continue de s'y opposer.

D'après la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle plus productif d'ici 1997, année où des discussions constitutionnelles doivent être amorcées, en travaillant à l'intérieur du cadre constitutionnel existant, ce qui lui permettrait de rétablir sa crédibilité et son leadership. Pour ce faire, il doit collaborer avec les provinces et essayer de trouver des solutions pratiques aux problèmes réels auxquels sont confrontés les Canadiens. Il doit également démontrer aux Québécois et à tous les Canadiens les coûts réels et les inconvénients qu'entraînera l'éclatement du pays.

Bref, nous estimons que la décision unilatérale du gouvernement fédéral d'imposer le projet de loi C-110 non seulement ne permet pas de promouvoir l'unité nationale mais y nuit. C'est pourquoi le gouvernement fédéral devrait, à notre avis, retirer le projet de loi et se remettre au travail afin d'élaborer des politiques positives et pratiques en coopération avec les provinces.

Un certain nombre de changements pourraient être apportés par le gouvernement fédéral dans le cadre des dispositions constitutionnelles actuelles pour promouvoir l'unité nationale en donnant suite aux véritables préoccupations des Canadiens. J'aimerais en aborder quelques-uns brièvement.

Tout d'abord, tout le monde sait que les Canadiens considèrent les programmes sociaux comme un élément important de leur identité nationale. Gråce à cet engagement commun envers des programmes de santé, d'éducation et de sécurité sociale accessibles à l'ensemble des Canadiens, le Canada est considéré comme le meilleur pays au monde et cet engagement contribue d'ailleurs considérablement à l'unité nationale. Or, l'érosion actuelle de cet engagement pris par le gouvernement canadien menace le système même qui permet de garder le Canada uni. Les compressions radicales de l'aide fédérale destinée aux programmes sociaux a gravement compromis la capacité du gouvernement fédéral de maintenir des normes nationales pour ces programmes.

Bien que la Colombie-Britannique soit pleinement consciente de la réalité de la situation financière fédérale, nous estimons que le gouvernement fédéral a fait de mauvais choix budgétaires et établi de mauvaises priorités en matière de dépenses. En fait, le printemps dernier, le premier ministre Harcourt a écrit au premier ministre Chrétien pour lui indiquer les réductions qui pourraient être apportées aux subventions commerciales et aux concessions fiscales à l'intention des entreprises pour permettre de maintenir les niveaux actuels des dépenses sociales. Le gouvernement fédéral pourrait ainsi continuer à faire preuve de leadership et à manifester son engagement envers les programmes sociaux qui revêtent tant d'importance pour tous les Canadiens.

La Colombie-Britannique demeure disposée à coopérer avec le gouvernement fédéral pour établir des priorités en matière de dépenses et éliminer le double emploi et le gaspillage afin que notre filet de sécurité sociale reste solide.

Avant les dernières élections fédérales, les libéraux fédéraux avaient dénoncé les décisions unilatérales prises par le gouvernement précédent de transférer les responsabilités des programmes et de réduire les paiements de transfert aux provinces. Le moment est maintenant venu pour le gouvernement libéral de tenir la promesse faite dans son Livre rouge, c'est-à-dire de protéger les programmes sociaux en assurant le maximum de prévisibilité et de stabilité pour chaque palier de gouvernement.

Le deuxième problème est celui de la discrimination. À notre avis, des lignes de conduite discriminatoires en matière de dépenses des programmes fédéraux, qui entraîneront le traitement différent des Canadiens d'une province à l'autre, suscitent le mécontentement et nuisent à l'unité nationale. Les résidents de la Colombie-Britannique comprennent que toutes les provinces ne sont pas en mesure de percevoir les recettes nécessaires pour assurer des services adéquats en matière de santé, d'éducation et d'aide sociale. C'est pourquoi la Colombie-Britannique demeure partisane de la péréquation.

Nous estimons que la péréquation est une solution qui permet de s'assurer que toutes les provinces sont en mesure d'offrir des prestations comparables à des niveaux comparables d'imposition. Cependant, une fois la péréquation en vigueur, nous estimons que les Canadiens doivent bénéficier d'un traitement égal en ce qui concerne leur admissibilité aux prestations sociales financées par le gouvernement fédéral. En d'autres mots, le montant des prestations auxquelles ils sont admissibles ne devrait pas dépendre de leur province de résidence car autrement, on sape le sentiment de justice et d'égalité qui doit être le fondement même de l'unité nationale.

Pour illustrer le point de vue de la Colombie-Britannique, j'aimerais vous présenter deux exemples précis qui ont gravement affaibli l'engagement pris par gouvernement fédéral d'assurer l'uniformité et l'équité de la politique sociale nationale, propre à favoriser l'unité nationale.

Tout d'abord, citons la discrimination dont fait l'objet la Colombie-Britannique par suite du plafonnement de la contribution au Régime d'assistance publique du Canada, qui a été perpétué dans le cadre des nouvelles dispositions relatives au transfert social canadien. Cela signifie que pendant que la plupart des provinces reçoivent 50 cents pour chaque dollar des coûts d'aide sociale, la Colombie-Britannique ne reçoit que 30 cents. Comment le gouvernement fédéral peut-il justifier un tel écart entre les prestataires d'aide sociale du Québec ou de Terre-Neuve et ceux de la Colombie-Britannique? Cette discrimination se poursuit malgré que le gouvernement libéral actuel ait déclaré, avant son élection, son opposition au plafonnement imposé au RAPC.

Un autre exemple de discrimination est la pénalité de 47 millions de dollars imposée à la Colombie-Britannique après qu'elle a établi comme condition préalable au versement des prestations d'aide sociale une période de résidence de trois mois. Cette mesure a été prise par la Colombie-Britannique pour défendre la viabilité de son programme d'aide sociale devant l'afflux de prestataires d'aide sociale en provenance de provinces comme l'Alberta et l'Ontario qui ont réduit de façon radicale le taux de leurs prestations d'aide sociale et devant l'incapacité du gouvernement fédéral à maintenir des normes nationales relativement aux programmes d'aide sociale.

Les résidents de la Colombie-Britannique se demandent pour quelle raison l'Alberta et l'Ontario ont été autorisés à sabrer dans leurs programmes d'aide sociale pendant que la Colombie- Britannique se voyait pénalisée pour avoir tåché de renouveler et de consolider son système d'aide sociale.

Les mesures prises par le gouvernement fédéral pour donner suite aux diverses politiques d'aide sociale des provinces sont non seulement discriminatoires mais compromettent encore davantage le filet de sécurité sociale en récompensant les provinces qui réduisent les prestations tout en pénalisant celles comme la Colombie-Britannique qui prennent des mesures pour renouveler leur système d'aide sociale.

Troisièmement, tout comme le Québec et d'autres provinces, la Colombie-Britannique souhaite obtenir plus d'autonomie et de souplesse dans les domaines qui sont importants pour notre avenir économique tels que la formation de la main-d'oeuvre. Cependant, les initiatives du gouvernement fédéral dans ce domaine ont été peu enthousiastes, c'est le moins qu'on puisse dire. Ottawa a refusé de fournir aux provinces la capacité de concevoir leurs propres programmes, même dans des domaines qui relèvent entièrement de la compétence provinciale. Les projets récents du gouvernement fédéral en vue de privatiser la formation au moyen d'un système de bons ou de déléguer aux provinces l'administration de programmes conçus par le fédéral n'offrent pas aux provinces la souplesse nécessaire pour leur permettre de créer des emplois et de båtir une économie solide, ni ne témoignent d'un engagement sérieux de la part du gouvernement fédéral pour favoriser l'autonomie et la souplesse là où elles s'imposent.

En conclusion, le gouvernement fédéral, selon nous, ne peut promouvoir et protéger l'unité nationale en imposant des changements à la Constitution, ni en proposant des solutions vieilles de 25 ans. C'est pourquoi nous demandons au gouvernement fédéral de retirer le projet de loi C-110 et toute cette série de mesures néfastes à l'unité nationale. Nous demandons au gouvernement fédéral de rectifier son tir et de travailler en coopération avec les provinces afin de donner suite aux véritables préoccupations des Canadiens. Au lieu de devancer les discussions constitutionnelles de 1997, le gouvernement fédéral devrait promouvoir l'unité nationale et préparer le terrain en prévision de ces discussions en protégeant le filet de sécurité sociale, en assurant l'égalité des dépenses consacrées aux programmes fédéraux et en offrant aux provinces une plus grande autonomie et une plus grande souplesse pour leur permettre d'assurer les services et de créer des emplois le plus efficacement possible.

Le gouvernement fédéral n'arrivera pas à assurer l'unité nationale en agissant de façon unilatérale ou en donnant suite aux préoccupations d'une seule province. L'unité nationale ne peut être assurée que gråce à la concertation de l'ensemble des provinces et des Canadiens.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous commencerons notre dialogue par le sénateur St. Germain.

Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur Petter et madame Holt. Vous avez exposé clairement vos arguments. En fait, votre mémoire a répondu à la plupart des questions que j'avais préparées hier soir pour connaître l'opinion de la Colombie- Britannique au sujet du veto et de ce texte de loi en particulier.

À l'heure actuelle, le Canada est aux prises avec une foule de problèmes, comme vous l'avez souligné - d'ordre social, économique, et cetera. Nous parlons de délégation de pouvoirs. Tout le monde parle de la délégation des pouvoirs du gouvernement fédéral. Je crois que l'objectif premier du gouvernement fédéral est de garder le pays uni. Comment peut-il y arriver s'il délègue tous ses pouvoirs aux provinces?

Divers premiers ministres ont adopté diverses positions. J'estime pour ma part que la délégation de pouvoirs est une bonne chose en cas de double emploi mais qu'elle peut être aussi nuisible à l'unité du Canada que l'absence de délégation de pouvoirs.

Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Petter: Sénateur, je ne suis pas du tout en désaccord avec vous. En fait, notre mémoire préconise que le gouvernement fédéral rétablisse sa présence dans certains domaines tout en prévoyant une plus grande souplesse et une plus grande autonomie dans certains autres domaines. Il s'agit d'établir l'équilibre qui convient au bon fonctionnement de la Constitution.

J'explique essentiellement dans ma présentation que si le gouvernement fédéral veut conserver sa crédibilité, non seulement au Québec, mais également en Colombie-Britannique, il doit réitérer les engagements qu'il a pris il y a plus de deux ans et a depuis abandonnés, à savoir s'engager à favoriser une économie qui fournit des emplois aux Canadiens et à promouvoir une politique sociale nationale qui prévoit des normes et des droits équitables pour les Canadiens à l'échelle nationale.

Si le gouvernement fédéral avait pris un engagement à cet égard, j'estime qu'il se serait trouvé dans une position beaucoup plus forte face au Québec lors de la dernière campagne référendaire et n'aurait pas perdu une bonne part de son autorité morale en tant que puissant porte-parole pour l'unité canadienne.

Parallèlement, il existe certains domaines où le Québec, la Colombie-Britannique et d'autres provinces aimeraient obtenir une plus grande autonomie, pour des raisons très légitimes. À notre avis, la formation de la main-d'oeuvre est l'exemple le plus évident d'un domaine où les provinces peuvent faire preuve de leadership et répondre aux besoins particuliers de leur économie.

J'espère que vous avez reconnu dans ma présentation un appel en faveur d'un rôle important pour le gouvernement fédéral dans les domaines mêmes où il avait au départ indiqué qu'il jouerait un rôle mais dont il s'est depuis retiré, ce qui a nui à la cause de l'unité nationale et nous oblige à revenir sur la pente glissante de la Constitution.

Le sénateur St. Germain: Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que certains événements qui se sont produits au Québec obligent le gouvernement fédéral à revenir sur cette pente glissante, comme vous l'avez dit, à s'occuper de ces questions constitutionnelles? Même s'il s'occupait des emplois, de l'économie et des programmes sociaux, les problèmes que connaît la province de Québec en ce qui concerne son identité, la protection de sa culture, ne l'obligent-t-ils pas, en théorie, à assumer un rôle de leadership et à créer la vision qui s'impose? Ne croyez-vous pas que le gouvernement fédéral n'a vraiment pas le choix à ce stade, compte tenu des activités de certaines personnes au sein de la province de Québec?

M. Petter: Le gouvernement fédéral est lui-même responsable de la situation dans laquelle il se trouve. Si nous voulons promouvoir l'unité nationale, nous devons commencer par la base. Selon la vision de l'unité nationale exprimée par M. Chrétien avant les dernières élections, il faut d'abord commencer par faire preuve de leadership dans les domaines économique et social et poursuivre à partir de là.

Si le gouvernement fédéral avait agi ainsi, il aurait eu des arguments beaucoup plus convaincants à présenter aux Québécois lors de la campagne référendaire à propos de la pertinence d'un gouvernement national. En fait, bien des gens au pays ont considéré assez ironique d'entendre les forces séparatistes au Québec invoquer la politique sociale comme argument en faveur de la séparation et de constater que le gouvernement fédéral était incapable d'y répliquer de façon crédible après avoir abandonné une politique sociale nationale crédible et son engagement envers une politique économique susceptible de favoriser l'emploi.

Je ne nie absolument pas la nécessité de traiter au moment voulu certaines questions constitutionnelles en suspens. Mais cela ne pourra se faire qu'une fois que le gouvernement fédéral aura retrouvé une certaine crédibilité et fait certains progrès, et non lorsque le gouvernement du Québec se désintéresse des questions constitutionnelles et fera tout en son pouvoir pour bloquer tout progrès constitutionnel.

Je ne crois pas que les choix auxquels fait face le gouvernement fédéral lui ont été imposés, autrement que par le biais de circonstances qu'il s'est imposé lui-même.

Le sénateur St. Germain: Vous avez déclaré catégoriquement dans votre mémoire qu'il n'y a eu aucune consultation à quelque niveau que ce soit avec la Colombie-Britannique en ce qui concerne le projet de loi C-110.

J'ai demandé à un témoin précédent, un professeur de l'Université de Montréal, si, au cas où je voterais contre ce projet de loi, cela risquait de donner aux séparatistes une brindille à laquelle se raccrocher. C'est l'aspect qui m'inquiète, car l'unité du pays doit être la première de nos préoccupations.

Pouvez-vous commenter là-dessus en fonction de votre propre expérience?

M. Petter: Je ne me permettrais pas d'aborder la politique du Sénat, ni ses liens avec la Chambre des communes et la façon dont cela pourrait être perçu. Nous avons décidé de comparaître parce que votre comité nous a fait la courtoisie de nous inviter et parce que la Colombie-Britannique n'a pas eu la possibilité de faire connaître son point de vue auparavant.

J'estime que le gouvernement fédéral, après avoir pris les devants, bien qu'il ait emprunté la mauvaise voie, devrait reprendre les rênes. Il devrait reconnaître que les mesures qu'il a prises pour promouvoir cette série d'initiatives ont été peu judicieuses, inefficaces et ne satisfont même pas à ses propres critères. Le gouvernement fédéral devrait ravaler un peu sa fierté et s'attaquer aux véritables problèmes qu'il a cernés il y a plus de deux ans.

Je laisserai aux sénateurs le soin de déterminer comment ils peuvent contribuer à influencer le gouvernement fédéral à cet égard. Nous aimerions que le gouvernement fédéral assume la responsabilité de cette question et prenne des mesures propres à promouvoir l'unité nationale, entres autres en retirant ce projet de loi et en revenant à ces autres questions.

Le sénateur Marchand: En tant que personne originaire de la Colombie-Britannique, je crois que le temps plutôt clément que nous connaissons est parfait pour vous souhaiter la bienvenue ici, à Ottawa.

Beaucoup d'entre nous autour de cette table parlons de modifications constitutionnelles depuis un bon bout de temps. En tant qu'ancien député représentant la Colombie-Britannique, j'ai eu l'occasion de me faire les dents sur cette question à l'époque de Pierre Trudeau, ce qui nous ramène à 1968. En tant que province et région, je pense que nous avons fait d'énormes progrès. Je me souviens d'un incident que je n'oublierai jamais et qui m'a embarrassé au plus haut point en tant que député de la Colombie-Britannique. Lorsque la Commission MacGuigan- Molgat est allée à Victoria, le sénateur De Bané et Marcel Prud'homme ont parlé en français à cette réunion et ils ont été hués. Cela m'a embarrassé au plus haut point.

Nous sommes en train de livrer une lutte acharnée. Vous comprendrez certaines des difficultés qu'ont posé l'Accord du lac Meech, l'Accord de Charlottetown et ainsi de suite. Je suis simplement un peu étonné de vous entendre dire que nous ne devrions pas adopter ce projet de loi. Vous comprendrez le contexte dans lequel le premier ministre a pris ces engagements. C'était à la fin du débat référendaire, à une époque où nous avons dû livrer une lutte acharnée. Une importante délégation de la Colombie-Britannique est venue ici en avion pour se battre et témoigner de notre attachement profond à notre province et à notre pays.

Je suis heureux de pouvoir dire que par suite de certaines mesures prises particulièrement à l'époque de Trudeau, comme l'adoption de la Loi sur les langues officielles qui est devenue une mesure institutionnelle, nous sommes devenus une province et un pays nettement meilleurs. En ce qui concerne uniquement la question du français, par exemple, les programmes d'immersion affichent complet. C'est très bien. C'est cela, le progrès, et c'est ce que nous tåcherons de faire.

Dans sa présentation, hier, Allan Rock a clairement indiqué qu'il s'agissait d'une mesure modeste. Ce n'est pas la panacée. D'autres mesures devront suivre.

En ce qui concerne le processus de consultation, je regrette - et eux aussi, j'en suis sûr - qu'ils n'aient pas eu le temps de procéder à des consultations. Il faut toutefois tenir compte du contexte dans lequel cet engagement a été pris, de la façon dont il a été pris et de l'objectif visé. En Colombie-Britannique, nous étions tous rivés à notre téléviseur dans l'attente des résultats.

Êtes-vous vraiment en train de dire que M. Chrétien ou le gouvernement fédéral aurait dû ne rien faire? Aurait-il été préférable qu'il ne fasse rien et ne propose pas ces mesures dans le contexte du référendum?

M. Petter: Bien au contraire. Ce que je veux dire, c'est que si M. Chrétien et le gouvernement libéral fédéral avaient manifesté leur engagement envers la politique sociale et les programmes sociaux, et leur engagement envers des initiatives économiques propres à promouvoir la création d'emplois, ils n'auraient pas été obligés d'avoir recours à la dernière heure au Québec à d'anciennes solutions constitutionnelles pour tåcher de régler une situation qui exige des mesures beaucoup plus sérieuses et concertées que cela.

Je conviens avec vous, sénateur, que nous avons fait du chemin, mais l'initiative dont on parle actuellement marque un recul. Je pensais que notre pays en était arrivé au point où aucun changement constitutionnel ne pouvait être envisagé sans véritable consultation avec les provinces. Cette initiative ferait le contraire. Je pensais que le gouvernement fédéral comprendrait désormais qu'il n'est pas sage de préconiser des dispositions constitutionnelles contestées par le gouvernement du Québec et deux autres régions. Mais, apparemment, ce n'est pas le cas.

Cette mesure n'est pas conforme à l'évolution que connaît notre pays. En fait, elle y est plutôt contraire, je pense.

Le sénateur Marchand: En tant que sénateur de la Colombie-Britannique, mon téléphone n'a pas dérougi quand on a appris que la Colombie-Britannique n'était pas reconnue dans la proposition originale. Vous auriez dû entendre ce qu'on m'a dit sur le sujet et sur les raisons expliquant cette non-reconnaissance. Évidemment, nous en avons parlé au premier ministre et au ministre de la Justice, et vous connaissez la suite. Je suis heureux du résultat. Cependant, je peux comprendre le fondement de la question.

Vous comprenez sûrement qu'on finira par consulter les provinces. Une rencontre constitutionnelle aura lieu en 1997. Évidemment, la Colombie-Britannique sera au nombre des participants consultés. Ces mesures doivent être envisagées compte tenu du contexte ainsi que du moment et de la situation très difficiles dans lesquels elles sont proposées.

J'aimerais obtenir votre avis sur le processus. Des chroniqueurs et des commentateurs de notre province ont beaucoup parlé du processus, de l'assemblée constituante par exemple. Qu'en pensez-vous? Que pensez-vous d'une assemblée constituante, compte tenu de l'issue de l'Accord du lac Meech et de l'Accord de Charlottetown?

M. Petter: Permettez-moi d'abord de réagir à certaines des observations que vous avez formulées. Bien que je convienne comme vous que la Colombie-Britannique a fait progresser les choses, la proposition originale a beaucoup choqué les gens de la Colombie-Britannique parce leur province était regroupée à celles des Prairies et n'était apparemment pas reconnue comme ayant une identité propre. C'était choquant et cela a causé une vive réaction.

Cette vive réaction répondait à cette insulte, je pense. Le mal sous-jacent demeure, c'est-à-dire qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Colombie-Britannique, ni du Canada, il me semble, de figer la Constitution, et sûrement pas de le faire de façon unilatérale.

Au sujet des changements constitutionnels, selon nous, et notre position reflète celle du gouvernement fédéral avant sa modification des derniers mois, ce n'est pas par des solutions constitutionnelles qu'on peut promouvoir l'unité nationale actuellement, surtout en présence d'un gouvernement séparatiste au Québec, mais en commençant à båtir la crédibilité au sujet d'autres dossiers. J'ai indiqué dans mon exposé comment le gouvernement fédéral peut s'y prendre.

À l'approche de 1997, il faudrait assurément envisager des mesures qui touchent et mobilisent les Canadiens. Ce serait bien de commencer avec les provinces. D'autres mécanismes faisant participer les citoyens sont essentiels. Nous avons vu par le passé comment les citoyens ont réagi quand ils se sentent mis de côté. Je ne sais pas si l'assemblée constituante serait le meilleur moyen à ce sujet. Il y a des arguments pour et contre.

Nous pensons essentiellement qu'il faut, avant de modifier la Constitution, réaliser des progrès dans d'autres dossiers de façon à prouver qu'il y a une évolution réelle, même en présence d'un gouvernement québécois hostile aux changements constitutionnels.

Le sénateur Austin: J'aimerais ajouter quelque chose aux propos de mes deux collègues de la Colombie-Britannique. Le sénateur Saint-Germain a dit qu'il était essentiel d'assurer l'unité nationale. Évidemment, nous parlons des moyens de l'assurer.

Le sénateur Marchand a parlé des mesures que le gouvernement et le premier ministre ont prises au cours de la dernière semaine de la campagne référendaire au Québec, et qui ont abouti, en partie, au projet de loi C-110.

Dans votre exposé, vous voulez que le Québec, avec ses dirigeants actuels, participe au débat sur la modification de la Constitution canadienne. Vous présumez qu'on peut négocier avec la province de Québec sur la base de l'unité nationale. Franchement, je ne vois pas comment. D'après le discours que tient M. Bouchard depuis longtemps et d'après ses déclarations très claires sur ses intentions, ce que vous semblez proposer - à savoir que nous pouvons négocier avec le gouvernement de la province de Québec - n'est pas possible.

Il est question ici d'un débat entre les citoyens du Canada - les citoyens canadiens du Québec et les citoyens canadiens d'ailleurs - sur l'avenir des Canadiens vivant actuellement au Québec. Ce qu'il faut faire et ce que le gouvernement cherche à réaliser avec le projet de loi C-110, c'est soumettre la question aux électeurs québécois. Ils doivent directement indiquer où le Canada s'en va et quels seront leurs choix.

Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec ce que je viens de dire - et j'aimerais connaître votre opinion -, mais quoi que vous pensiez, j'aimerais que vous m'indiquiez l'opinion de la Colombie-Britannique sur la société distincte et le fait que le gouvernement du Canada, représentant tous les Canadiens, joue un rôle actif et direct auprès de la population du Québec.

M. Petter: Votre analyse de mon exposé est tout à fait erronée. Je ne crois pas qu'il est possible actuellement d'envisager des changements constitutionnels constructifs avec un gouvernement séparatiste au Québec. En fait, c'est l'essentiel de mon exposé. Le gouvernement fédéral ne doit pas chercher à modifier la Constitution essentiellement parce que les chances de succès sont minimes, compte tenu de la position prise par le gouvernement séparatiste du Québec. C'est pourquoi nous soutenons fermement que des progrès doivent être réalisés dans d'autres domaines pour permettre au gouvernement fédéral d'établir sa crédibilité sans demander la collaboration.

Je dirais également que ce n'est pas parce que la province de Québec veut empêcher les changements constitutionnels qu'il faut abroger la Constitution. En 1982, c'est l'insistance du gouvernement fédéral à agir, malgré l'opposition du Québec, qui a soulevé certains des sentiments avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui. On perpétue cette idée. Proposer de reconnaître apparemment le droit de veto de la province de Québec, sans l'accord du gouvernement du Québec, est un moyen étrange d'indiquer que l'on respecte la population du Québec et son gouvernement dûment élu.

C'est tout à fait le contraire. Je ferais valoir exactement ce que vous avez dit, sénateur. Comme le Québec s'oppose à tout changement constitutionnel, ce n'est pas le moment pour le gouvernement fédéral d'essayer de modifier la Constitution de façon unilatérale ou multilatérale. Un changement unilatéral serait considéré comme une insulte au Québec et un changement multilatéral n'a pas de chance de succès.

Cependant, nous pouvons, avec de la bonne volonté et de la collaboration, préparer le terrain pour établir des liens avec les fédéralistes du Québec qui pourront montrer aux Québécois, à l'approche de 1997 et à l'occasion de discussions ultérieures au Québec, que le reste du Canada veut discuter de ces questions - constitutionnelles et non constitutionnelles - si le Québec le veut bien.

C'est ce travail de base qui, selon nous, doit être accompli. Pour le réaliser, il ne faut pas concentrer nos efforts sur la Constitution, parce qu'elle est une source de profonde division et qu'on risque de n'aboutir à rien; il faut plutôt confirmer notre engagement à l'égard des questions pour lesquelles les Québécois, les Britanno-Colombiens et tous les Canadiens veulent que le gouvernement fédéral joue un rôle central, parce qu'il est fondamental pour la politique économique nationale de protéger nos programmes sociaux et de créer des emplois.

Pour ce qui est de la société distincte, la Colombie-Britannique ne conteste assurément pas cette notion si elle vise à reconnaître que ce sont la langue française, le Code civil et d'autres éléments essentiels non controversés qui caractérisent le Québec. Cependant, si la société distincte signifie davantage - c'est-à-dire si elle suppose l'exercice d'un statut spécial ou de pouvoirs spéciaux -, la Colombie-Britannique s'oppose clairement à cette définition de société distincte.

Le sénateur Austin: Pensez-vous alors que le projet de loi C-110 et le droit de veto offert indirectement à la province de Québec dans ce projet de loi ne pourraient pas inciter à ce moment-ci les fédéralistes québécois à réaffirmer leur engagement fédéral?

M. Petter: Selon nous, il va créer la discorde dans la mesure où il n'est pas propre à résoudre les préoccupations des fédéralistes québécois ou du gouvernement du Québec. Il va également ébranler considérablement certains principes fondamentaux auxquels adhère le reste du pays. Le principe de l'égalité des provinces, que prévoit la formule de révision constitutionnelle de 1982, est sacrifié par ce processus mal conçu qui favorise quatre niveaux de province différents.

Ainsi, il y a des provinces de première, deuxième, troisième et quatrième catégorie. Cette mesure, plus celle qui fige la Constitution, aura d'énormes conséquences pour l'unité nationale.

En revanche, nous croyons que cette proposition ne réussira pas ou à peu près pas à promouvoir l'unité nationale au Québec.

Le sénateur Austin: Que voulez-vous? Dans votre exposé, vous avez reproché au gouvernement fédéral de ne pas avoir accordé de droit de veto au Québec en 1982. Puis, vous reprochez également au gouvernement fédéral d'offrir actuellement un droit de veto au Québec dans le projet de loi C-110.

Voulez-vous dire qu'en aucun cas, la province de la Colombie-Britannique n'offrirait au Québec un droit de veto dans les négociations constitutionnelles?

M. Petter: J'essaie de dire qu'il me paraît étrange que le gouvernement fédéral veuille, par cette mesure, assurer au Québec qu'il pourra exercer un droit de veto quand le gouvernement du Québec a indiqué qu'il rejetait cette mesure. Cette situation compromet la proposition mise de l'avant.

La Colombie-Britannique et les autres provinces doivent se demander comment nous allons examiner la procédure de révision en 1997 - et nous sommes prêts à le faire - et elles doivent envisager un certain nombre de solutions.

Le sénateur Austin: Êtes-vous catégoriquement opposé au droit de veto pour le Québec ou êtes-vous prêt à négocier, en 1997, pour accorder un droit de veto au Québec?

M. Petter: Le Québec a déjà un droit de veto dans le cas des modifications constitutionnelles, compte tenu de la règle du consentement unanime. Le Québec a également certains droits étant donné qu'il peut se retirer de certaines dispositions. Il faudra examiner toutes ces dispositions au moment voulu, mais ce n'est pas encore le moment.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je voudrais d'abord vous indiquer que je partage, - I share your statement on the amendment formula proposal for very simple reason -, dans la mesure où le gouvernement du Parti québécois ne participera à aucune conférence constitutionnelle jusqu'à la fin de son mandat, c'est-à-dire quelque part en 1998 ou 1999. Je ne vois pas où est l'intérêt immédiat du gouvernement du Québec pour obtenir un droit de veto sur la formule d'amendement. Et d'autant plus qu'au Québec, moi-même qui ai été associé à un certain nombre de ces discussions, je partage votre point de vue à l'effet qu'en matière de formule d'amendement, non seulement dans l'intérêt du Québec, mais dans l'intérêt des autres provinces du Canada, nous devrions abandonner l'idée d'un veto régional. Nous devrions respecter la démarche qui avait été adoptée en 1982, quitte à la compléter par la question au niveau des institutions et des formules de retrait et de compensations financières. C'est une chose qu'on avait faite au moment où je travaillais pour monsieur Bourassa au moment de l'Entente de Charlottetown.

Deuxième remarque, vous dites qu'une des choses les plus importantes que le gouvernement canadien doit faire, c'est de rétablir sa crédibilité, parce qu'on doit faire face à un problème au niveau de l'unité nationale. Ce problème, même s'il existe d'autres tensions dans d'autres régions du Canada, il s'oppose fondamentalement au Québec. Est-ce qu'on doit faire quelque chose de particulier pour le Québec, dans la mesure où c'est là qu'est le problème, probablement au cours des prochaines années? Je voudrais vous indiquer que des éléments de solution pour réduire le niveau d'adhésion à l'idée de la souveraineté ne pourront pas venir simplement d'un renforcement de la crédibilité du gouvernement canadien sur le plan de sa performance en terme de création d'emplois ou sur le maintien du filet de sécurité sociale auquel les Québécois tiennent absolument, non seulement les souverainistes, mais aussi les fédéralistes au Québec; c'est une valeur fondamentale de la société québécoise, qu'on partage avec d'autres Canadiens.

Donc, il faut faire autre chose que simplement rétablir et restaurer la crédibilité du gouvernement canadien. Il faut faire autre chose aussi que de rejouer dans la formule d'amendement qui ne changera pas un vote et une opinion actuellement au Québec. De toute façon, on n'en a pas besoin pour faire face au problème de la crise nationale.

À votre avis, dans votre analyse de la perception du gouvernement de la Colombie-Britannique, ainsi que des Canadiens de cette région, qu'est-ce qu'on doit faire d'autre pour résoudre directement les problèmes du Québec et le problème qu'a posé le référendum, où 50 p. cent de la population du Québec a décroché du régime fédéral? Si on regarde du côté francophone, qu'est-ce que l'on doit faire sur le plan de la sécurité linguistique et de la dimension culturelle que vous allez voter au niveau de la société distincte, où près de 60 p. cent de francophones ont voté pour l'option de la souveraineté? Ce n'est pas un phénomène ou un problème au niveau de quelques énervés ou de quelques farfelus. C'est un problème social et un problème extrêmement profond. Et ce que je ne comprends pas ou ce que je voudrais que vous précisiez, je veux simplement vous indiquer que l'approche générale d'être un bon gouvernement, de bien gérer, de maintenir le filet de la sécurité sociale, tous les Québécois et tous les Canadiens le veulent, mais cela n'a pas de rapport direct avec le problème de crise nationale et d'identité. C'est probablement un problème pour les Québécois de savoir et de mieux sentir qu'ils ont la capacité, à l'intérieur du régime fédéral, de définir leur propre modèle de société qui corresponde à leurs valeurs. Je voudrais vous entendre sur cette possibilité.

[Traduction]

M. Petter: Sénateur, vous avez parlé de l'attachement au système fédéraliste. Je ne prétends pas connaître le Québec et sa situation autant que vous, mais il me semble que l'influence et la crédibilité du gouvernement national dans son ensemble, et particulièrement au sujet de questions qui contribuent à assurer l'identité canadienne, sont étroitement liées aux questions de l'unité, pas seulement au Québec, mais également en Colombie-Britannique.

Il est peut-être vrai que tous les Québécois visés ne seront pas satisfaits des mesures prises en matière de politique sociale et de normes sociales pour rétablir la confiance dans le gouvernement fédéral. Ils ne seront peut-être pas influencés par un engagement manifeste du gouvernement fédéral à l'égard de la création d'emplois et d'une économie forte. Cependant, ces efforts renforcent, pour les Québécois et pour tous les Canadiens, la raison d'être du gouvernement fédéral qui est uniquement de protéger les intérêts qui les touchent de près.

Ce n'est pas un secret que la Constitution a depuis quelques années été la cause de dissensions. Une des raisons pour lesquelles je me suis lancé en politique est pour m'éloigner de cette question, mais je pense que personne ne peut y échapper. Nous devons pourtant mettre de côté cette préoccupation pour un moment et nous concentrer sur des questions qui ne sont pas des sources de conflit, sur des mesures qui peuvent nous aider à trouver des solutions et alimenter l'idéal national.

Il est important que le gouvernement fédéral soit présent et s'engage sur le plan de la politique sociale et de la politique économique. Je crois comprendre que, durant la campagne référendaire au Québec, on a beaucoup parlé de politique sociale, de qui a été le plus en mesure de protéger les programmes sociaux et l'économie du Québec. Le gouvernement fédéral n'a pas réussi à convaincre les Québécois qu'il cherchait uniquement à protéger ces programmes dans cette économie par les mesures prises au cours des deux dernières années.

Je ne prétends pas que cela va régler tous les problèmes. Cependant, il est nécessaire de rétablir l'autorité morale et la crédibilité et de préparer le terrain pour trouver de nouvelles solutions.

Deuxièmement, sénateur, j'espère que l'on comprend ici que ce n'est pas en se préoccupant d'une seule province qu'on va favoriser l'unité nationale. Le Québec a assurément ses problèmes, qui sont profonds, mais la Colombie-Britannique en a aussi. À vrai dire, depuis les quatre derniers mois, j'espère que le gouvernement fédéral a reconnu qu'il ne peut pas tenir la Colombie-Britannique ou n'importe quelle autre région du pays pour acquise. L'unité nationale ne peut se faire de façon unilatérale, mais elle ne peut pas se faire non plus de façon bilatérale. Elle doit se faire d'une façon multilatérale avec la participation de toutes les provinces.

Les revendications de la Colombie-Britannique touchent un certain nombre de problèmes. J'en ai énoncé certains en parlant de discrimination. Si nous pensons que la question de l'unité nationale ne touche que le Québec, nous créerons plus de problèmes que nous n'en résoudrons à long terme.

Il y a d'autres mesures à prendre en plus de celles que j'ai mentionnées. J'ai parlé dans mon exposé d'assurer, dans le cadre constitutionnel actuel, une plus grande autonomie aux provinces. C'est une question à propos de laquelle la Colombie-Britannique et le Québec s'entendent à certains égards; on commence à parler des questions de compétences et d'identité que vous avez évoquées, sénateur.

Dans le domaine de la formation professionnelle, les Québécois et les Britanno-Colombiens aimeraient avoir plus de latitude pour créer des programmes adaptés à leur économie et à leur société particulière; pourtant, le gouvernement fédéral a manifesté peu d'enthousiasme à reconnaître une certaine autonomie aux provinces dans un domaine qui est déjà de compétence provinciale.

C'est donc une mesure à prendre que d'accorder plus d'autonomie aux provinces qui le désirent en matière de formation professionnelle.

J'ajouterais qu'il serait utile que le gouvernement fédéral définisse mieux les conséquences de la séparation. Une de nos difficultés est que nous ne regardons pas en face les vraies conséquences de la séparation pour le Québec et le reste du pays. Définir les conséquences économiques et sociales serait une façon constructive d'offrir un véritable choix à tous les Canadiens quant à leur avenir.

Le sénateur St. Germain: Vous avez mis de côté le mot «remanier». C'est peut-être l'opinion des gens d'Ottawa, mais on croit qu'un autre référendum pourrait se tenir très bientôt. Des élections pourraient aussi avoir lieu au Québec. Il y a un sentiment d'urgence dans le coeur et l'esprit de la population d'ici. Que fait-on à ce sujet?

Vous parlez d'une osmose qui ne se fera pas de sitôt. Pour rendre justice au gouvernement, c'est là le problème qu'il cherche à résoudre et qu'il faut régler très rapidement. Il faudra du temps pour parvenir à nos fins en matière de protection sociale et de création d'emplois.

M. Petter: La population de la Colombie-Britannique aimerait probablement entendre la même chose que les Québécois: que, lorsque viendra le temps de négocier des questions constitutionnelles et juridictionnelles, chacun sera habité par une volonté réelle de changement. Je propose, non pas que nous jouions à l'autruche, mais bien que nous nous préparions à la prochaine décision que prendront les Québécois ou le reste du pays dans ces dossiers, en montrant que nous sommes disposés à coopérer en vue de réaliser des changements réels et que nous en sommes capables. Nous devons renforcer le rôle du gouvernement fédéral dans certains domaines. Dans d'autres, il faut donner aux provinces une plus grande autonomie. Nous devons régler des griefs de longue date.

En d'autres mots, quand les Québécois auront à se prononcer, le gouvernement fédéral pourra affirmer plausiblement, au nom du reste du Canada: «Il existe une volonté, un désir de coopération manifeste, et si les Québécois se montrent disposés, en élisant un gouvernement fédéraliste, à participer aux négociations constitutionnelles, ils peuvent compter qu'ils ne l'auront pas fait en vain». Cette solution est nettement préférable à l'adoption unilatérale de propositions qui n'ont pas l'appui du gouvernement du Québec, d'une proposition qui n'a pas de bases solides dans la Constitution actuelle et qui rendrait encore plus difficile des modifications constitutionnelles. Comment le gouvernement fédéral peut-il croire qu'il pourra vendre cette proposition au Québec ou à la Colombie-Britannique et faire miroiter une plus grande probabilité de modifications constitutionnelles lorsque l'effet même de cette proposition est d'accorder des droits de veto aux autres compétences et, ainsi, de prévenir les modifications?

Le sénateur Beaudoin: Monsieur Petter, vous nous avez expliqué pourquoi vous êtes opposé au projet de loi C-110. Par contre, je crois comprendre que vous ne voulez pas remettre en question la Constitution du Canada. Vous utilisez une phrase que l'on entend souvent au Canada: «La négociation de modifications constitutionnelles n'intéresse pas le Québec». C'est une façon d'interpréter les faits.

Si jamais le Québec accède à l'indépendance, ce sera tout un changement constitutionnel, non seulement pour le Québec, mais aussi pour le reste du Canada. Nous ne pouvons écarter l'idée d'une réforme constitutionnelle; que cela nous plaise ou pas, il y en aura une. S'il n'y en a pas, je ne suis pas optimiste quant à l'avenir du pays. C'est même le moins que l'on puisse dire. Par contre, si nous tentons de modifier la Constitution du Canada de manière à ce que les Québécois veuillent continuer de faire partie du Canada, c'est une autre paire de manches.

Vous avez affirmé être contre les cinq droits de veto. Que proposez-vous en échange? Il faudra régler cette question de la procédure de modification. Je sais que cette procédure ne satisfait pas le Québec. Il ne s'agit peut-être pas du point crucial, mais il a tout de même de l'importance. Il faut y voir dès maintenant. Que nous acceptions le projet de loi C-110 en principe ou pas, nous devrons creuser cette question. De plus, nous n'avons pas beaucoup de temps pour le faire. Si nous nous perdons en palabres comme nous l'avons fait en 1982, il n'y aura pas de solution. Il faut absolument faire preuve d'imagination. Nous devons faire une proposition et la soumettre à l'examen des provinces et du gouvernement fédéral. Si le Parlement ne s'en charge pas, les Canadiens le feront à notre place. L'inaction serait une disgråce.

Que proposez-vous? Je comprends qu'une personne puisse préférer une formule à une autre, mais je ne comprends pas que l'on puisse laisser la question en suspens.

M. Petter: Je ne crois pas avoir proposé que nous laissions la question en suspens. Je propose plutôt que le gouvernement fédéral revienne à la stratégie initiale, à laquelle il a par la suite renoncé, soit de ne pas accorder la priorité à la Constitution parce qu'elle est la plus grande source de division et de désunion actuellement et de prendre plutôt l'initiative dans les domaines où il peut s'établir et gagner de la crédibilité aux yeux de tous les Canadiens. Certes, il n'est pas question de rendre la Constitution moins flexible unilatéralement, comme le fait le texte à l'étude, mais bien de préparer, d'une manière concertée et constructive, le terrain en vue des rencontres constitutionnelles qui doivent avoir lieu en 1997 et qui porteront essentiellement sur la procédure de modification, ainsi que de jeter les bases de ces rencontres.

Je comprends que vous veuillez peut-être que certains changements soient apportés et que l'on offre certaines solutions, sénateur, mais je ne suis pas sûr que les Canadiens sont disposés actuellement à s'entendre sur ces questions. Cela ne veut pas dire qu'ils ne le seront jamais. En fait, si l'on peut faire progresser certaines questions dans le cadre constitutionnel actuel, ils le seront. Je crois que la plupart des Canadiens ont à coeur l'unité nationale et qu'ils veulent trouver un terrain d'entente. Cependant, l'idée fixe selon laquelle la Constitution est le seul ou le principal moyen de résoudre ces questions les inquiète. À force d'agir ainsi, nous finissons par livrer des luttes symboliques sans prendre de décisions sur le fond.

Si j'ai bien compris l'avenir que prône M. Chrétien pour le Canada, il faut mettre de côté les luttes symboliques, guérir nos plaies et faire preuve de leadership, si nous le pouvons, dans les questions de fond. À mon avis, c'est ainsi qu'il faudrait préparer le terrain pour les inévitables négociations constitutionnelles que nous réservent les prochaines années. Par nos gestes, nous devons montrer aux Québécois, particulièrement aux Québécois fédéralistes, que nous voulons travailler dans un climat de coopération et de concertation plutôt que de trouver des solutions rapides ou unilatérales et de rendre notre Constitution encore moins flexible.

Le sénateur Beaudoin: Je conviens avec vous que notre pays pourrait être mieux gouverné. De toute évidence, c'est ce que nous vivons. Cependant, c'est rêver en couleurs que de croire que l'adoption d'une meilleure politique dans tel ou tel domaine nous permettra d'extirper le mal fondamental qui ronge le pays, en cette période de son histoire. Bien sûr, nous devons avoir le meilleur gouvernement qui soit. Nous devons adopter les meilleures politiques qui soient en tout. Nous sommes tous d'accord à ce sujet. Cela aiderait beaucoup, mais ce n'est pas une solution au problème de fond. Ce problème, c'est qu'il faut faire preuve d'imagination afin de faire aux Québécois une offre qui les convaincra peut-être qu'ils ont de bonnes raisons de demeurer au Canada.

Le fédéralisme est en grande partie l'oeuvre, à mon avis, de Cartier, un contemporain de sir John A. Macdonald. Cartier était en faveur d'une union législative. Il a déclaré: «Non, cela ne marcherait pas; il faut un gouvernement fédéral». En fait, à de nombreuses reprises, tout au long de notre histoire, le Québec a été un leader dans le domaine du fédéralisme.

Aujourd'hui, nous sommes aux prises avec un problème très grave. Il se peut que nous y trouvions une solution, mais il faut le voir tel qu'il est. C'est du moins ainsi que je le conçois. Il faut le faire.

M. Petter: De nombreux Canadiens de la Colombie- Britannique et d'ailleurs au pays croiraient davantage que les gouvernements sont capables de régler les questions structurelles et constitutionnelles s'ils constataient, au préalable, une volonté réelle de régler les questions de fond sur le plan de la politique. Il existe toute une foule de domaines - j'en ai nommé quelques-uns - dans lesquels le gouvernement fédéral peut dès maintenant montrer à tous les Canadiens, d'un océan à l'autre, pourquoi il est essentiel d'assurer une forte présence nationale gråce à sa politique sociale et économique. Il existe des domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut se montrer disposé à faire place au désir d'autonomie de la Colombie-Britannique et du Québec dans le cadre constitutionnel existant simplement en reconnaissant la compétence des provinces.

Il existe des domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut prouver son engagement à l'égard de l'unité nationale en éliminant la discrimination dans la manière dont sont répartis parmi les provinces les fonds des programmes sociaux. Si le gouvernement fédéral ne manifeste pas, dans les domaines où il peut agir, la volonté d'assumer le leadership national, les Canadiens douteront beaucoup, je crois, de sa capacité et de sa volonté de le faire dans le domaine constitutionnel.

Le sénateur De Bané: Monsieur le ministre, en toute franchise, je dois avouer que l'évaluation que vous faites de l'attitude des gouvernements provinciaux ne me semble pas coller à la réalité. N'êtes-vous pas troublé par le fait que, exception faite du vôtre, aucun autre gouvernement provincial n'a accepté l'invitation à venir témoigner devant notre comité au sujet du projet de loi à l'étude?

M. Petter: Le fait que l'on continue d'étudier le projet de loi en dépit de l'opposition manifestée par trois gouvernements provinciaux auxquels le projet de loi confère un droit réel de veto me trouble davantage.

Le sénateur De Bané: Toutes les provinces, sauf la vôtre, ont déclaré qu'elles jugeaient inutile de venir témoigner.

M. Petter: Il répugne toujours jusqu'à un certain point aux provinces de venir témoigner devant des comités sénatoriaux.

Le sénateur De Bané: Je me demande pourquoi vous refusez de vous rendre à l'évidence, soit qu'il y a une conclusion à tirer de leur absence. Bien que je sois fort tenté d'en dire davantage, je m'en garderai.

Je crois savoir qu'un de vos domaines de compétence est l'histoire de la Constitution canadienne. Je suis consterné de voir à quel point votre interprétation personnelle de l'histoire constitutionnelle de notre pays s'est infiltrée dans l'exposé d'un prétendu expert de la question.

Je vous rappelle ce qu'a déclaré un de vos collègues dans ce domaine. M. Peter Russell, de Toronto, a affirmé que le mal qui ronge notre pays est dû à l'affrontement, en 1867, de trois visions différentes du pays.

Il y a tout d'abord la vision de John A. Macdonald, qui rêvait d'un état unitaire et qui s'est, en fin de compte, contenté d'un ordre supérieur de gouvernement et de gouvernements subalternes. Il y a aussi la vision des quatre provinces qui, en 1867, étaient à la cherche d'une forme de partenariat entre quatre provinces égales. Enfin, il y avait la troisième vision, celle d'un pacte entre deux peuples fondateurs: les Anglais et les Français.

Selon Peter Russell, le problème est dû au fait que l'on n'a pas décidé, à ce moment-là, laquelle des trois visions correspondait à la nouvelle nation que l'on voulait créer. Selon lui, 125 ans plus tard, cette question est toujours sans réponse.

Je tiens à vous dire, à vous, l'expert en histoire constitutionnelle, que, bien que vous et de nombreux autres Canadiens croient qu'il n'y a qu'une seule façon de voir le Canada, celle d'un pacte entre dix provinces égales, vous devez comprendre que d'autres voient les choses autrement. Nous n'avons pas encore décidé entre nous quelle vision est la bonne.

Enfin, votre province est signataire de l'accord constitutionnel de 1982. Dans ce texte, auquel vous avez souscrit, il existe une disposition relative à l'enseignement dans la langue de la minorité. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs interprété cet article et en a élargi la portée.

Quand, selon vous, monsieur le ministre, votre gouvernement appliquera-t-il à la lettre ce nouvel article de la Constitution tel qu'interprété par la Cour suprême du Canada?

M. Petter: Monsieur le président, le sénateur peut, s'il le veut, dénigrer mes propos. Cependant, je parle au nom de la grande majorité des Canadiens de la Colombie-Britannique dont j'ai exprimé les sentiments. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt du gouvernement fédéral de décrier ces opinions et de les rejeter du revers de la main, comme l'a fait le sénateur.

Le sénateur De Bané: Non, monsieur, ce n'est pas ce que j'ai fait.

M. Petter: C'est pourtant ce que j'ai entendu.

Quoi qu'il en soit, nul ne conteste qu'il existe des vues différentes au sujet de la Constitution, ni que ces divergences continueront d'exister. Je conteste l'idée qu'a le gouvernement fédéral qu'il peut réconcilier ces divergences de vues unilatéralement sans consulter les provinces, provoquant ainsi, à mon avis, plus de désunion que d'union.

Le point que j'ai fait valoir dans mon exposé avait trait à la procédure de modification. Cette procédure, volet important de la Loi constitutionnelle de 1982, a fait l'objet de beaucoup de débats. On avait à l'époque envisagé la possibilité d'accorder des droits de veto régionaux, idée qui avait été rejetée en faveur d'une disposition accordant aux provinces un rôle égal gråce à la formule du 7-50. Que le gouvernement agisse maintenant unilatéralement pour remplacer cette formule, pour en revenir à une formule qui a été explicitement examinée et rejetée, est, à mon avis, non seulement contre-productif, mais aussi extrêmement autoritaire et montre que l'on fait peu de cas de la façon de créer un sentiment d'unité nationale ou qu'on la comprend mal.

Je ne disconviens pas que la Constitution reflète des visions opposées; pourtant, je suis fermement convaincu que ces divergences ne disparaîtront pas parce que le gouvernement fédéral a unilatéralement remplacé des dispositions constitutionnelles au sujet desquelles on s'était entendu par une vision unique de son crû.

Quant au dernier point, la Colombie-Britannique travaille de concert avec les parents francophones en vue de mettre en place un moyen de fournir des services en français et de respecter la Constitution. Nous continuons de réaliser des progrès dans la mise en oeuvre de ces propositions.

Le sénateur Carstairs: Le geste unilatéral du gouvernement fédéral qui a, si l'on peut dire, ajouté une étape à la procédure de modification de la Constitution, a aussi été posé, n'est-ce pas, par la province de la Colombie-Britannique? La Colombie- Britannique a, si je puis m'exprimer ainsi, ajouté, à son droit de veto, à son consentement en tant que l'une des sept provinces sur dix représentant 50 p. 100 de la population, une proposition de référendum qui lie les législateurs de la province quant à la manière dont ils doivent voter.

Si une telle étape peut être ajoutée unilatéralement par une province, quel argument constitutionnel invoqueriez-vous pour retirer ce même pouvoir au gouvernement fédéral, compte tenu du fait qu'il ne s'agit pas d'une modification constitutionnelle, mais bien, comme votre projet de loi sur le référendum, simplement d'un projet de loi de la Chambre des communes et du Sénat comme le vôtre était un projet de loi de l'assemblée législative de la Colombie-Britannique?

M. Petter: Je dirais que la comparaison ne tient pas. Gråce à son projet de loi sur le référendum, la Colombie-Britannique a établi un mécanisme gråce auquel le gouvernement de cette province consulte sa population quant à la façon d'exercer son mandat en matière constitutionnelle.

Le gouvernement fédéral, lui, propose essentiellement de déléguer son pouvoir à d'autres ordres de gouvernement gråce à un droit de veto régional, se défaisant ainsi de sa responsabilité.

Je suis certain que de nombreux constitutionnalistes - je suis ici aujourd'hui en tant que porte-parole de la province, non pas comme expert de la Constitution - viendront vous parler des exigences concernant la manière et la forme. Je soutiens que l'exigence adoptée par la Colombie-Britannique cadre bien avec l'argument qu'elle vise à aider le gouvernement provincial à faire ce que les concepteurs de la Constitution de 1982 attendaient de lui: consulter sa population avant de prendre une décision concernant des modifications constitutionnelles.

Je soutiendrais tout aussi fermement que le projet de loi à l'étude va à l'encontre de ce que les concepteurs de la Constitution de 1982 envisageaient. De toute évidence, ils n'entendaient pas donner un droit de veto régional. Ils ne prévoyaient pas que le gouvernement fédéral limiterait son pouvoir discrétionnaire ou qu'il déléguerait son pouvoir de cette façon parce qu'ils avaient déjà envisagé ces possibilités et les avaient rejetées. Les deux sont à mon avis tout à fait différents et ne sont pas comparables.

Le sénateur Carstairs: À mon avis, la Colombie-Britannique tient de vastes consultations gråce à son projet de loi sur le référendum. Le gouvernement fédéral tient de vastes consultations gråce au texte législatif actuellement à l'étude.

M. Petter: Selon moi, si la Colombie-Britannique adoptait une loi déléguant son pouvoir d'approbation des modifications constitutionnelles au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, vous verriez peut-être la différence.

Le président: Je tiens à remercier le ministre de la Colombie-Britannique d'être venu ici aujourd'hui.

Le comité s'ajourne jusqu'à 14 heures.


Reprise des travaux, à 14 heures.

Le président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur et le plaisir de souhaiter la bienvenue au ministre de la Justice et ministre des Affaires intergouvernementales et constitutionnelles du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, l'honorable Stephen Kakfwi.

Monsieur le ministre, vous voudrez peut-être présenter vos collègues, puis faire un exposé préliminaire, avant de répondre aux questions des membres du comité.

L'honorable Stephen Kakfwi, ministre de la Justice et ministre des Affaires intergouvernementales et constitutionnelles du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest: Merci, monsieur le président. Je suis accompagné aujourd'hui du premier secrétaire du premier ministre, M. Don Avison, et du conseiller juridique du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest concernant les questions constitutionnelles, M. Bernard Funston.

Monsieur le président, honorables sénateurs, je remercie le comité de nous avoir invités à faire un exposé sur le projet de loi C-110, Loi concernant les modifications constitutionnelles. Le projet de loi a franchi très rapidement les étapes à la Chambre des communes et en comité. Nous n'avons pu exprimer notre point de vue à ces étapes. Par conséquent, nous sommes heureux d'avoir l'occasion de le faire maintenant.

Je n'ai pas l'intention de parler des autres éléments de la proposition visant le Québec, qui a été annoncée par le premier ministre le 27 novembre, à savoir la reconnaissance de cette province en tant que société distincte et la dévolution des responsabilités liées à la formation de la main-d'oeuvre.

Je veux toutefois dire un mot sur les demandes traditionnelles de notre gouvernement relativement à la formule d'amendement. Certains membres du comité ont déjà entendu nos vues sur cette formule, notamment le sénateur Beaudoin, en 1991, lorsqu'il coprésidait le comité Beaudoin-Edwards.

Nos représentants ont aussi passé plusieurs heures avec le sénateur Rivest, lorsque celui-ci était conseiller principal de l'ancien premier ministre Bourassa, lors des négociations relatives à l'Accord de Charlottetown, afin de lui expliquer pourquoi nous ne pensons pas que des provinces comme le Québec puissent subir un préjudice de la part de territoires ou de nouvelles provinces, même en vertu de la procédure de modification actuellement en place. Nous n'acceptons pas que le Québec, ou toute autre province, ait un droit de veto sur les décisions de territoires qui sont des partenaires à part entière au sein de la fédération du Canada.

Le sénateur Pat Carney, qui est une ancienne résidante des Territoires du Nord-Ouest, a très bien décrit, à la Chambre des communes, le traitement des territoires et la procédure de modification. Le sénateur peut confirmer que les Territoires du Nord-Ouest ne sont ni une direction, ni une division du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, quoi que puisse en penser certaines personnes au sein de ce ministère. Les Territoires du Nord-Ouest sont une région dynamique et en pleine expansion, dotée d'un gouvernement distinct et démocratiquement élu.

En décembre dernier, lorsque le ministre Rock a comparu devant le comité de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi C-110, il a déclaré que le rapport publié en 1991 par le comité Beaudoin-Edwards sur la procédure de modification avait aidé à élaborer le projet de loi, du moins dans la mesure où ce rapport appuyait une variante de ce qu'on appelle la «formule de Victoria». Je crois savoir que le ministre vous a formulé essentiellement les mêmes propos hier, relativement à cette question.

Malheureusement, notre ami le ministre a omis de mentionner ce que le comité Beaudoin-Edwards recommandait en ce qui a trait au statut des territoires dans le cadre des processus constitutionnels. Je pense qu'il importe de répéter ici certaines des excellentes recommandations faites par le comité. Par exemple, en ce qui a trait aux territoires, l'une des recommandations se lisait comme suit:

Nous recommandons que le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires requiert le consentement des législatures des territoires et des provinces concernés et du Parlement du Canada.

Une recommandation ayant trait à la création de nouvelles provinces dit:

Nous recommandons:

a) que la création de nouvelles provinces dans les territoires requiert seulement le consentement des législatures des territoires concernés et du Parlement du Canada; et

b) qu'il soit reconnu que la création de nouvelles provinces peut changer l'équilibre à l'intérieur de la fédération et peut rendre nécessaire la révision de la procédure de modification; si la création d'une nouvelle province requiert un changement à la procédure de modification, ce changement serait adopté selon la procédure de modification en vigueur à ce moment-là.

Une autre recommandation visant les territoires dit:

Nous recommandons que les gouvernements des territoires soient invités à participer aux futures conférences constitutionnelles.

En ce qui a trait aux référendums, on trouve les recommandations suivantes:

Nous recommandons qu'une loi fédérale soit adoptée, laquelle permettrait, à la discrétion du gouvernement fédéral, la tenue d'un référendum consultatif sur une proposition constitutionnelle dans le but, soit de confirmer l'existence d'un consensus national, soit de faciliter l'adoption des résolutions de modifications requises. Le référendum devrait requérir une majorité nationale et une majorité dans chacune des quatre régions (Atlantique, Québec, Ontario, Ouest).

Les Territoires pourront participer au référendum après avoir indiqué à quelle région ils seront joints pour le calcul des majorités régionales.

Vous êtes peut-être aussi au courant des dispositions de l'accord de Charlottetown touchant les mêmes questions. Sauf erreur, le Parti libéral fédéral, qui forme l'actuel gouvernement, a donné son appui à cette entente à la Chambre des communes, à l'automne de 1992. Voici certains extraits pertinents de l'Accord de Charlottetown:

Il conviendrait d'ajouter à la Constitution une disposition exigeant que le premier ministre convoque une conférence des premiers ministres au moins une fois l'an. [...] Il conviendrait que les dirigeants des gouvernements territoriaux soient invités à participer à toute conférence des premiers ministres convoqués en vertu de cette disposition constitutionnelle.

En ce qui a trait à la création de nouvelles provinces, l'Accord de Charlottetown renfermait la recommandation suivante:

Il conviendrait de révoquer les dispositions actuelles de la formule de modification régissant la création de nouvelles provinces et de les remplacer par la disposition antérieure à 1982, qui précise que de nouvelles provinces pourront être créées en vertu d'une loi du Parlement fédéral, après la tenue de consultations avec toutes les provinces existantes à l'occasion d'une conférence des premiers ministres. Les nouvelles provinces ne pourraient intervenir dans la formule de modification sans le consentement unanime de toutes les provinces et du gouvernement fédéral (sauf en ce qui concerne les questions strictement bilatérales ou unilatérales décrites aux articles 38(3), 40, 43, 45 et 46, dans la mesure où ce dernier à un lien avec l'article 43, de la Loi constitutionnelle de 1982...

La disposition concernant le rattachement aux provinces de tout ou partie des territoires qui figure à l'alinéa 42(1)e) serait abrogée et remplacée par la Loi constitutionnelle de 1871, modifiée de manière à exiger le consentement des territoires.

En résumé, il y a à peine trois années et demie, le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux s'étaient entendus sur deux points fondamentaux pour les territoires: premièrement, la participation des territoires aux conférences des premiers ministres sur la Constitution avait été reconnue et confirmée, du moins au plus haut niveau politique au pays; deuxièmement, on avait aussi reconnu et confirmé la nécessité d'obtenir le consentement des territoires relativement à certaines modifications constitutionnelles qui touchent fondamentalement notre rôle et notre statut au sein de la fédération, comme par exemple, la création de nouvelles provinces et le rattachement aux provinces d'une partie des territoires.

Nous reconnaissons que l'Accord de Charlottetown a par la suite été rejeté, mais si le projet de loi C-110 s'inspire de la conférence de Victoria de 1971 et du rapport Beaudoin-Edwards de 1991, pourquoi ne peut-on retourner à peine trois ou quatre ans en arrière pour définir le rôle des territoires dans les processus de modification de la Constitution?

Qu'est-ce qui explique ce changement d'attitude évident, du moins de notre point de vue, dans le cas du projet de loi C-110? Nous ne trouvons pas de bonne réponse à cette question. Par conséquent, nous estimons qu'il est juste et raisonnable de demander que le problème soit corrigé. Je vous demande donc de modifier le projet de loi en conséquence. Je vais proposer un amendement raisonnable. Auparavant, je veux formuler quelques autres remarques sur le processus et aussi soulever certains points concernant le projet de loi et ce que celui-ci, à mon avis, symbolise.

Voici les points que je veux soulever en ce qui a trait au processus:

Premièrement, même si nous avons tous ressenti le choc causé par le référendum du 30 octobre, nous sommes préoccupés par les initiatives unilatérales du gouvernement fédéral, qui visent à traiter de façon isolée des questions qui touchent le Québec. Selon nous, le Canada ne doit pas seulement s'occuper des questions liées au Québec, mais aussi de celles qui touchent l'unité nationale, comme l'illustre clairement, par exemple, la réaction de la Colombie-Britannique face au projet de loi C-110. Si l'on veut assurer et préserver l'unité nationale, tous doivent participer à un effort collectif.

Deuxièmement, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ne s'attend pas à obtenir un droit de veto semblable à celui des provinces relativement à une vaste gamme de modifications constitutionnelles, mais nous voulons jouer un rôle dans toute discussion et tout processus visant à apporter des modifications constitutionnelles susceptibles de toucher directement les territoires. La conférence constitutionnelle qui doit obligatoirement se tenir en 1997, conformément à l'article 49 de la Loi constitutionnelle de 1982, est un exemple de cas où les gouvernements territoriaux doivent représenter les intérêts de leur collectivité. Il va de soi que nous sommes directement touchés par les procédures de modification, dans la mesure où celles-ci touchent, entre autres, la création de nouvelles provinces, le rattachement aux provinces d'une partie des territoires, et les questions touchant les autochtones.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a appuyé activement la position des organisations autochtones quant à leur rôle en matière constitutionnelle et, à cet égard, nous continuons de prôner et d'encourager la dévolution d'un rôle important aux peuples autochtones.

Troisièmement, d'aucuns pourraient penser que la formule de Charlottetown était incommode et incluait un trop grand nombre d'intervenants. Ces gens diront: «Limitons les questions et tenons certains intervenants à l'écart du processus.» Comme nous le savons, les territoires sont habituellement les premiers à être sacrifiés lorsque cette logique est appliquée. Nous n'acceptons pas qu'il en soit ainsi et nous rejetterons cette approche. L'unité nationale ne doit pas se faire en laissant tomber les territoires. Nous reconnaissons que les dirigeants politiques doivent faire preuve de discipline et proposer un programme acceptable aux fins de la réforme constitutionnelle de 1997. Nous sommes prêts à adopter une attitude positive et nous avons l'intention de jouer un rôle actif dans la quête de solutions qui favoriseront l'unité nationale.

Quatrièmement, nous voulons que le gouvernement fédéral appuie enfin notre participation au processus de réforme de la fédération. Comme un bon nombre d'entre vous le savez, depuis sa regrettable exclusion du processus de l'Accord du lac Meech, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a été un participant à part entière aux processus touchant la Constitution et les affaires intergouvernementales. Les premiers ministres provinciaux ont accepté les territoires à leur table. Nous participons à la conférence annuelle des premiers ministres, ainsi qu'à celle des premiers ministres de l'Ouest. Le gouvernement fédéral se doit d'appuyer notre participation au sein de la fédération, lorsque des questions aussi fondamentales que des modifications à la Constitution sont en cause.

Cinquièmement, notre gouvernement continue de démontrer, dans le cadre de diverses rencontres intergouvernementales telles que les négociations de Charlottetown, les conférences annuelles des premiers ministres et celles des premiers ministres de l'Ouest, que nous pouvons apporter et que nous apportons effectivement une contribution utile. En cette période difficile, nous avons pratiquement les mêmes préoccupations et problèmes que les gouvernements provinciaux. Notre participation assure une perspective nordique unique, et nous sommes le seul territoire au Canada dont la population est majoritairement composée d'autochtones. Nos collègues provinciaux sont heureux d'obtenir nos vues. Nous sommes conscients de la responsabilité liée à la participation à de telles rencontres et nous assumons cette responsabilité.

Il y a un autre point sur lequel vous devriez réfléchir. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est un gouvernement élu par une population composée majoritairement d'autochtones. La plupart des membres de la législature et du Cabinet sont des autochtones, et nous nous efforçons de plus en plus de nous acquitter de nos responsabilités conformément aux principes de la culture autochtone. Nous souhaitons aller encore plus avant, mais à l'heure actuelle, nous avons ce qui se rapproche le plus en ce pays, voire en Amérique du Nord, d'une synthèse de gouvernement populaire et d'autonomie gouvernementale des autochtones. Nous avons montré la voie en expliquant comment ces choses fonctionnent, et des progrès substantiels ont été faits. Nous avons fait valoir les avantages d'une politique de la porte ouverte pour susciter des solutions originales. Pour nous, ce n'est pas bon signe quand nous voyons des portes se fermer ou quand nous avons l'impression que certaines portes se fermaient alors que croyions les avoir ouvertes après des années de travail énorme et intensif de notre part. Cela ne prend pas la forme d'un message positif émanant du gouvernement actuel, qui s'attribue ouvertement le mérite de la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Il est difficile de savoir par quel bout il faut aborder le projet de loi C-110. On est dans l'incertitude quant à l'objet véritable de cette mesure législative. Est-ce une bonne loi et une bonne politique; une mauvaise loi et une mauvaise politique; ou une autre combinaison possible? Il est impossible de trancher pour le moment.

De toute évidence, un veto sur les modifications constitutionnelles ne vaut que lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution. À l'heure actuelle, aucune modification constitutionnelle claire n'est à l'étude. Une chose est sûre: le projet de loi anticipe sur l'avenir. Il est dans l'intérêt de tous les Canadiens de savoir ce qu'Ottawa se propose de faire. Il semble que le comité de l'unité nationale présidé par le ministre Massé est à élaborer un train de mesures. Quand saurons-nous de quoi il retourne?

Le projet de loi C-110 ne vise pas à modifier la formule de modification qui figure à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. S'il en était ainsi, nous disons que ce serait inconstitutionnel. Je crois savoir que c'est également l'avis du gouvernement fédéral. Nous convenons que c'est une loi fédérale ordinaire. Sur ce point nous sommes d'accord. Par contre, le projet de loi se veut une tentative pour établir le cadre des négociations de 1997 devant mener à la modification de la formule d'amendement. Dans ce contexte, nous devons nous pencher sur ce que le projet de loi fait ou ne fait pas.

Supposons que le projet de loi C-110 ne fait que réglementer la conduite des ministres fédéraux à la Chambre des communes. En ce qui concerne les modifications constitutionnelles, le projet de loi aura pour effet de décourager le gouvernement fédéral de proposer des réformes constitutionnelles. En effet, le projet de loi stipule qu'aucun ministre fédéral ne peut présenter des propositions de modification à l'égard de certains domaines à moins que sept provinces se soient préalablement prononcées. Quelles sont les chances que cela se produise?

C'est peut-être là le génie qui se cache derrière le projet de loi: il découragera les entretiens sur la réforme constitutionnelle et obligera les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à échafauder des compromis politiques et administratifs pour relancer l'économie canadienne. À mon avis, c'est rêver en couleurs.

Donc, le projet de loi semble sous-entendre que le gouvernement fédéral cessera d'être un chef de file en matière de réforme constitutionnelle. Le rôle d'Ottawa sera réduit à celui de suiveur dans tous les domaines touchés par le projet de loi C-110 parce que le gouvernement fédéral se rendra lui-même incapable d'agir tant que sept provinces n'auront pas pris l'initiative. Le gouvernement fédéral ne pourra intervenir qu'une fois que les provinces en question auront proposé des modifications et les auront adoptées.

Comment cette mesure législative fonctionnera-t-elle en pratique? Nous croyons que le projet de loi est un monument d'imprécision. Il ne confère aucun pouvoir de réglementation qui puisse donner du poids aux mécanismes de consentement. Le projet de loi ne touche pas un mot sur la façon dont le consentement des provinces sera obtenu ou mesuré, ni sur la ou les personnes habilitées à l'accorder. S'agira-t-il d'une lettre ou d'un coup de fil du premier ministre? Faudra-t-il des résolutions des assemblées législatives provinciales? Des pétitions présentées par des porte-parole locaux d'un parti suffiront-elles? Tiendra-t-on des référendums provinciaux? Qui sera habilité à voter? Quoi qu'il en soit, étant donné que nous sommes exclus, nous n'avons pas à nous en soucier. Qu'en sera-t-il du partage de l'exercice du droit de veto qui est prévu dans l'accord conclu entre la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard? Le gouvernement fédéral tiendra-t-il compte de cet arrangement? Quelle est la peine prévue en cas d'omission de se conformer au projet de loi? L'interdiction, à notre connaissance, ne visant que les ministres, nous pouvons supposer que les députés de l'arrière-ban sont libres de déposer des résolutions.

Toutes ces questions, j'en suis convaincu, ont été soulevées à plusieurs reprises, et les réponses ne permettent pas de dégager un véritable consensus sur la façon dont pourrait ou devrait fonctionner le projet de loi. Ce n'est pas réconfortant, compte tenu de l'importance fondamentale du processus que le projet de loi vise à réglementer, à savoir le rôle de notre gouvernement national en matière de modification de la Constitution.

Quelle est la portée du projet de loi sur les territoires? Des questions ont fusé devant le comité de la Chambre des communes quant à savoir si le mot «province» signifie dans le projet de loi «gouvernement d'une province». J'ai une question encore plus fondamentale: Le mot «province» s'étend-il aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon? La Loi fédérale sur l'interprétation des lois prévoit que, dans les lois fédérales, le mot «province» comprend le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. S'il en est ainsi, le projet de loi s'applique-t-il à nous?

Nous pensons que ce n'est probablement pas le cas. Le projet de loi dit qu'une modification ne peut faire l'objet d'une motion de résolution que «si la majorité des provinces y a probablement consenti...» Il dresse ensuite la liste des provinces et des régions dont le consentement est requis. Nous ne figurons pas sur la liste. Le Yukon n'y figure pas. Aucun d'entre nous n'est compris dans les régions désignées dans le projet de loi. La Loi sur l'interprétation ne fait qu'ajouter à la confusion. En tout cas, elle n'apaise en rien nos inquiétudes.

Au moment de présenter la motion à la Chambre des communes le 29 novembre, le premier ministre a déclaré:

... le gouvernement du Canada reconnaît également qu'une modification constitutionnelle est une affaire sérieuse. Elle devrait reposer sur un large consensus. Aucune région du Canada ne devrait être exclue.

Nous sommes d'accord avec le premier ministre, mais nous sommes inquiets parce qu'il semble que nous ne figurions pas sur la carte. Sénateurs, nous pouvons peut-être tolérer qu'on oublie de nous mentionner de temps à autre dans les bulletins météorologiques diffusés au téléjournal national du soir. Mais l'idée que, en tant que gouvernements et en tant que nation, nous puissions être exclus des processus constitutionnels est tout simplement inacceptable.

Dans son discours qu'il a prononcé à la Chambre des communes le 29 novembre, le premier ministre a également déclaré que le gouvernement fédéral puisait «son inspiration directement dans les grands principes de notre démocratie».

Quels sont ces principes démocratiques? C'est peut-être ce à quoi le communiqué du gouvernement fédéral du 27 novembre faisait allusion quand il disait ceci:

Le consentement des provinces et des régions pourra s'exprimer sous diverses formes: par notification directe, par un vote aux assemblées législatives ou par référendum.

Comment les Canadiens des territoires ou les gouvernements territoriaux participeront-ils à ce formidable exercice de démocratie? Il n'est pas question de référendums dans les territoires ni de votes aux assemblées législatives pour les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon.

Le Parlement est une institution nationale et ce projet de loi est une loi fédérale ordinaire. À propos d'une question fondamentale telle que la réforme constitutionnelle, le projet de loi illustre l'idée qu'il est raisonnable de croire que le Canada est beaucoup moins que la somme de ses parties. Les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon représentent 40 p. 100 de la superficie du Canada. Des Canadiens y habitent. Le Canada se veut une nation nordique, alors que ce projet de loi passe sous silence la population et cette région du Canada que l'on appelle le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest.

Nous savons qu'il nous faudra, pour ainsi dire, mettre de l'ordre dans notre maison dans les années à venir: il faudra s'occuper des modifications constitutionnelles qu'entraînera la création du Nunavut, le 1er avril 1999. Il faudra notamment: premièrement, créer un siège sénatorial pour le Nunavut; deuxièmement, modifier le paragraphe 51(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour autoriser le Nunavut à envoyer un député à la Chambre des communes; enfin, troisièmement, modifier la Charte des droits et libertés pour y faire figurer les mentions pertinentes relatives au Nunavut.

À notre avis, les deux premières affaires pourraient être réglées par le truchement d'une loi fédérale comme il est prévu dans la Loi constitutionnelle de 1886, mesure qui n'aurait rien à voir avec le projet de loi C-110. Toutefois, les modifications devant être apportées à la Charte seraient touchées par le projet de loi.

Comment procédera-t-on aux modifications constitutionnelles rendues nécessaires à l'inclusion du Nunavut dans la Charte, par exemple? Le projet de loi C-110 obligera-t-il le gouvernement fédéral à attendre qu'une province propose ces modifications? Selon nous, le gouvernement fédéral doit faire preuve d'initiative dans ce dossier, ce à quoi s'oppose, semble-t-il, le projet de loi. Le gouvernement fédéral a-t-il envisagé cette question et, dans l'affirmative, comment entend-il la régler?

À la Chambre des communes, le 29 novembre, le premier ministre a évoqué «la volonté du gouvernement de prendre les moyens utiles et essentiels pour protéger toutes les régions du Canada face à des modifications constitutionnelles éventuelles».

Or, le communiqué du gouvernement fédéral du 27 novembre, vantant par avance les mérites du projet de loi, laissait entendre que le pouvoir des provinces en ce qui concerne la création de nouvelles provinces était un puissant argument de vente en faveur de la nouvelle disposition relative au veto.

Il est clair que le projet de loi C-110 et le processus qui l'accompagne pourraient avoir des conséquences directes sur les droits des Canadiens des Territoires du Nord-Ouest, ainsi que sur le rôle et le statut de leur gouvernement territorial dans la fédération.

Le gouvernement fédéral est prêt à céder son veto aux provinces afin d'empêcher les territoires de participer à la fédération en tant que partenaire à part entière. Le gouvernement fédéral n'a pas consulté le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest au moment d'élaborer son offre au Québec, et il s'est bien gardé de prendre en considération les intérêts ou les préoccupations des territoires au moment de définir sa position constitutionnelle en ce qui concerne, par exemple, la création de nouvelles provinces.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest doit continuer de s'exprimer au nom de sa population relativement aux dossiers constitutionnels.

Le premier ministre, dans le discours qu'il a prononcé à la Chambre le 29 novembre, a expliqué que l'on avait accordé le veto au Québec pour trois raisons: parce que le Québec le réclame depuis longtemps; pour s'assurer qu'il participe à part entière à l'évolution de la Constitution; pour le protéger de modifications qui pourraient diminuer ses pouvoirs, droits et privilèges du Québec. Le premier ministre a déclaré:

Le gouvernement du Canada reconnaît la légitimité de ces demandes.

Nous ne réclamons pas un veto de type provincial. Nous aimerions toutefois que l'on reconnaisse la légitimité de notre participation à la fédération pour les trois raisons invoquées par le premier ministre, à savoir parce que nous aussi le réclamons depuis longtemps, parce que nous voulons faire en sorte que les territoires participent à part entière à l'évolution de la Constitution et enfin, parce que nous voulons être protégés des modifications qui pourraient nuire à nos intérêts.

Les procédures de modification de la Loi constitutionnelle de 1982 ne font pas état des territoires, et je voudrais vous signaler que cela ne devrait rien à voir avec la façon dont les territoires sont traités dans le projet de loi.

Le ministre Rock lui-même a déclaré que le projet de loi C-110 ne concerne pas le mode de révision qui est prévu dans la Constitution. Selon les médias, il aurait dit ceci:

Ce projet de loi n'a pas pour objet de modifier et il ne modifie pas la Constitution, directement ou indirectement.[...] Il se borne à fixer les conditions dans lesquelles le gouvernement du Canada peut appuyer une modification constitutionnelle.

Je crois qu'il vous a confirmé cette position hier.

Nous convenons que le projet de loi ne modifie pas le mode de révision. Il vise néanmoins à combler ce qu'on y a perçu comme des lacunes en accordant des veto de fait à certaines provinces et régions dans des cas où elles en sont actuellement dépourvues. Pourquoi le projet de loi ne saurait-il accéder à certaines demandes traditionnelles des territoires en ce qui concerne les procédures de modification, et ce, dans un esprit d'innovation?

Étant une loi ordinaire, le projet de loi doit obéir aux principes de la Charte. Si le projet de loi n'assure pas la participation de la population des territoires et des gouvernements territoriaux au processus qu'il met en oeuvre, êtes-vous persuadés qu'il pourrait résister à une contestation en vertu de la Charte? Y a-t-il moyen de clarifier et d'expliquer les principes qui sous-tendent l'exclusion des Canadiens vivant dans les territoires de ce projet de loi?

De plus, le projet de loi a été décrit comme étant, dans une certaine mesure, un geste symbolique. Le ministre Rock l'a qualifié de pont menant à 1997. Pour les territoires, il s'agit peut-être d'un pont qui ne mène nulle part. Nous avons besoin d'un amendement pour nous assurer que cette mesure ne se traduise pas par l'exclusion des territoires de la conférence sur le mode de révision qui aura lieu en 1997.

Sénateurs, notre gouvernement n'a que faire d'un veto de type provincial; ce que nous souhaitons, c'est un retour au bon sens et à la transparence. Le projet de loi C-110, dans sa forme actuelle, ne réunifie pas ce pays et risque d'éliminer des options relativement aux territoires et aux peuples autochtones. Il ne faudrait pas se cantonner dans une vision étroite du pays qui consisterait à établir une hiérarchie des régions en fonction de l'ampleur de leurs griefs politiques.

Nous proposons que l'on modifie le projet de loi C-110 par l'ajout des dispositions suivantes:

2.(1) Un ministre de la Couronne ne peut déposer une motion de résolution autorisant une modification de la Constitution du Canada relativement à une question touchant directement les territoires que si ces derniers y ont préalablement consenti.

(2) Le premier ministre doit inviter les représentants élus des gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Territoire du Yukon à participer aux discussions de toute conférence constitutionnelle où, de l'avis du Premier ministre, des questions touchant directement les Territoires du Nord-Ouest et le Territoire du Yukon pourraient faire l'objet des discussions.

En guise de conclusion, nous voudrions vous laisser les trois questions suivantes:

Convenez-vous que les modifications constitutionnelles, et notamment les modifications législatives officielles portant sur les procédures de modification de la Constitution, peuvent avoir des effets sérieux et directs sur les territoires?

Ce projet de loi traite-t-il équitablement les habitants des territoires et leurs gouvernements et laisse-t-il entendre de façon raisonnable que les gouvernements des territoires auront leur place à la table avant, pendant ou après la conférence constitutionnelle de 1997?

La demande des territoires de toujours être invités aux discussions et au processus constitutionnels est-elle déraisonnable?

Je vous remercie de votre attention et de votre patience.

Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre. Je sais que mes collègues ont des questions à poser. J'espère qu'ils répondront également à vos trois dernières questions.

Le sénateur St. Germain: Monsieur le ministre, vos collaborateurs et vous avez rédigé un excellent mémoire, comme c'est toujours le cas quand vous venez à Ottawa. Je vous en félicite et vous en remercie.

Il ne fait pas de doute que ce projet de loi soulève nombre de questions. Les préoccupations que vous avez exprimées nous ont déjà été communiquées, à moi et à d'autres sénateurs, au moyen d'une série d'appels téléphoniques.

Il a été souligné que seuls des représentants du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et de la Colombie-Britannique sont venus aux audiences, même si des invitations ont été adressées à toutes les provinces. Un sénateur a dit que ce projet de loi était tellement insignifiant que les autres provinces n'ont pas jugé bon de venir aux audiences ou qu'elles ont donné leur consentement ou leur bénédiction au projet de loi en ne comparaissant pas. Telle est mon interprétation de ce qui a été dit.

Je pense autrement. J'estime que ce projet de loi est très risqué parce qu'il devance les négociations de 1997. C'est ce qui explique pourquoi les autres premiers ministres et gouvernements ne comparaissent pas, même si vous êtes venu. C'était une omission flagrante que de vous exclure de tout le processus, et je pense que vous n'aviez d'autre choix que de comparaître. Il aurait mieux valu que les autres provinces comparussent pour nous donner leurs points de vue quant à la façon de procéder.

Compte tenu de votre perspective et de votre vaste expérience, pourquoi pensez-vous que les représentants des autres gouvernements n'ont pas comparu à ces audiences?

M. Kakfwi: La question qui m'est venue à l'esprit, entre autres, après le résultat serré du référendum du 30 octobre est: Que sommes-nous prêts à faire? Que pouvons-nous faire pour régler le problème de l'unité nationale?

En ma qualité de ministre, j'ai pensé que ce serait une bonne chose de rencontrer d'autres ministres élus le plus tôt possible pour préparer la tenue de discussions à ce sujet. Toutefois, une telle rencontre n'a pas encore eu lieu. Il m'est impossible de lire dans l'esprit des représentants d'autres gouvernements du pays. Je n'ai pas de réponse à cette question. Je suis convaincu qu'ils ont leurs raisons pour ne pas avoir comparu à ces audiences, mais elles ne sont pas claires pour moi.

Le sénateur St. Germain: La province de la Colombie- Britannique a fait un exposé ce matin. Le ministre responsable des Affaires constitutionnelles de cette province a offert comme solutions la régénération économique et la réaffirmation des programmes sociaux du pays. J'estime, quant à moi, qu'il y a une autre urgence. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d'attendre. Étant donné que, selon vous, les ministres des régions et des provinces auraient dû être conviés, est-ce là une réaffirmation que vous considérez cela comme une question urgente qu'il faut régler immédiatement?

M. Kakfwi: Quand nous avons amorcé les discussions au début du processus de négociation de l'Accord de Charlottetown, nous sommes allés voir les provinces et leur avons demandé si nous serions invités aux réunions. Nous avons été acceptés comme participants à part entière par les provinces et le gouvernement fédéral du jour durant tout le processus de l'Accord de Charlottetown. J'ai consacré huit mois de ma vie uniquement à cet exercice. Ce ne fut pas du temps perdu pour la population des Territoires du Nord-Ouest parce que nous avons compris cet accord et l'avons appuyé. Nous étions l'un des rares gouvernements s'étant assurés de l'accord et de l'appui de leur population durant tout le processus. Cela avait une signification profonde pour nous.

Nous estimons qu'en proposant des mesures håtives pour apaiser le Québec, on joue à la chaise musicale. Cette fois-ci, il n'y a pas de chaise pour nous. C'est peut-être opportun, et il pourrait y avoir moyen d'offrir quelque chose au Québec pour mettre fin à ses velléités de séparation, mais lorsqu'il semble que nous soyons exclus et que nos droits et notre existence même soient ignorés, nous nous demandons s'il s'agit là d'une bonne manière d'agir pour tout gouvernement. C'est pourquoi nous sommes ici.

Le sénateur MacEachen: Je remercie le témoin de son exposé. Celui-ci était très réfléchi et modéré, mais n'en exprimait pas moins les préoccupations des gouvernements des territoires.

Je pourrais peut-être commencer par faire allusion à une discussion que nous avons eue ce matin lorsqu'un des porte-parole de l'Université de Montréal a sévèrement critiqué ce projet de loi parce qu'il ne réglait pas tous les problèmes constitutionnels. Si l'on aborde la question sous cet angle, on est certes justifié à critiquer le projet de loi. Cependant, le projet de loi n'a, en soi, qu'un objet limité. Le ministre de la Justice a été très clair hier quand il a dit que le projet de loi apportait une réponse à des questions très précises qui ont été soulevées durant la campagne référendaire et qu'il visait à remplir rapidement des engagements pris envers la population du Québec pendant la campagne référendaire. Le projet de loi a une portée limitée, et comme il se limite à ces questions particulières, il ne traite pas d'une foule d'autres questions, comme celles que vous avez soulevées.

Le ministre de la Justice a également admis tout cela et a dit que d'autres mesures seront prises dans l'avenir pour régler ces autres questions. Il a fait allusion aux aspirations d'autres institutions et groupes du pays et a dit qu'on s'en occuperait plus tard.

Si j'aborde votre exposé de ce point de vue-là, mon inquiétude s'atténue quelque peu. Toutefois, j'ai une ou deux questions à vous poser sur les détails.

Au bas de la page 17 de votre mémoire, vous dites:

Il est clair que le projet de loi C-110 et le processus qu'il préconise pourraient toucher directement les droits des habitants des Territoires du Nord-Ouest ainsi que le rôle et le statut de leur gouvernement territorial au sein de la fédération.

D'après ma lecture du projet de loi, ce dernier ne renferme aucune disposition faisant explicitement allusion aux Territoires du Nord-Ouest. Par conséquent, je suppose que vous pensez à l'effet que pourrait avoir, selon vous, sur les Territoires du Nord-Ouest le fait d'accorder un droit de veto aux provinces.

J'ai donc deux questions à vous poser: Quelle est votre compréhension actuelle des dispositions qui permettraient aux Territoires du Nord-Ouest de devenir des provinces? Comment pensez-vous que, concrètement, ce projet de loi influera sur la situation actuelle?

M. Kakfwi: Monsieur le président, le communiqué émis par le gouvernement fédéral faisait allusion à cela, en donnant l'exemple de la création de nouvelles provinces comme étant une manière selon laquelle ce projet de loi pourrait être utilisé. C'est ce qui nous préoccupe. Cela pourrait exclure toute option que nous aurions à présenter aux termes des dispositions constitutionnelles en vigueur et, peut-être, rendre le processus plus complexe.

Je ne suis pas un expert en matière constitutionnelle, mais je sais que la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que, pour pouvoir créer une nouvelle province, il faut obtenir l'accord d'une majorité de provinces. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1871 prévoit que le gouvernement fédéral a le pouvoir de créer des provinces unilatéralement. Nous convenons que le gouvernement fédéral a ce pouvoir, mais nous voulons toujours ajouter une disposition, comme nous l'avons demandé de façon constante, selon laquelle le territoire concerné devrait donner son consentement avant que le gouvernement fédéral ne procède à la création d'une province. Notre préférence est que le gouvernement fédéral dispose du pouvoir unilatéral de créer de nouvelles provinces. La formule de modification de 1982 ne porte que sur la mise en oeuvre du processus.

Quant à la création de provinces, nous serions encore plus exclus.

Le sénateur MacEachen: Quelle est votre compréhension des dispositions actuelles sur la création de provinces?

M. Kakfwi: Comme je viens tout juste d'essayer de l'expliquer, ce n'est pas clair parce que la Constitution initiale prévoit que la création de nouvelles provinces est un pouvoir fédéral et que le gouvernement fédéral peut agir unilatéralement pour créer de nouvelles provinces.

Le sénateur MacEachen: C'est juste.

M. Kakfwi: Par ailleurs, la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la création de nouvelles provinces est assujettie à l'exigence des 7-50.

Le sénateur MacEachen: Oui.

Le sénateur Murray: Et cela est sous réserve de toute autre loi ou pratique.

M. Kakfwi: Oui. Cette question a été soulevée aussi pendant les discussions sur l'Accord de Charlottetown et les gens ont convenu que ce n'était pas clair. La Constitution renferme nombre de dispositions qui ne sont pas claires, pour lesquelles nous avons demandé des clarifications. Nous voulons que les dispositions de l'Accord de Charlottetown se reflètent le plus possible dans ce projet de loi.

Le sénateur MacEachen: Votre argument est que la Constitution actuelle prévoit la règle des 7-50, mais que l'ajout de toute disposition accordant un droit de veto à n'importe quelle province rendrait cela plus difficile. C'est ça que vous voulez souligner.

M. Kakfwi: Oui.

Le sénateur MacEachen: Passons maintenant aux amendements que vous proposez. À première vue, je ne vois pas en quoi vos amendements règlent le problème. J'aimerais bien comprendre en quoi ces amendements fourniraient une solution au problème dont vous m'avez parlé.

M. Kakfwi: Monsieur le président, je demanderai à M. Bernie Funston de répondre à la question du sénateur.

M. Bernard Funston, conseiller spécial en matière constitutionnelle, ministère des Affaires intergouvernementales et nationales, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest: Monsieur le président, en partant du point de vue que la Constitution actuelle est vague, je voudrais souligner deux articles pertinents qui portent sur la création de nouvelles provinces. Le premier figure dans la Loi constitutionnelle de 1871 et accorde ce pouvoir unilatéralement au gouvernement fédéral.

Le sénateur Murray: Cet article n'a jamais été abrogé.

M. Funston: Il n'a jamais été abrogé et, en fait, il a même été réaffirmé en 1982 dans la Constitution.

Supposons que le gouvernement fédéral a le pouvoir unilatéral de créer de nouvelles provinces. Cependant, avec l'amendement que nous proposons, le projet de loi C-110 ferait en sorte que l'assentiment des territoires soit donné avant que le gouvernement fédéral puisse procéder unilatéralement. Pareille exigence ne figure pas dans la loi de 1871.

Dans le second scénario, c'est la Loi constitutionnelle de 1982 qui a préséance. Dans ce scénario, nous serions sur le même pied que les autres et devrions accorder notre consentement.

Dans les deux cas, l'amendement répondrait à notre préoccupation.

Le sénateur MacEachen: Vous dites, en ce qui touche la première disposition, que cela ferait en sorte que le gouvernement fédéral ne puisse transformer un territoire en province sans avoir au préalable obtenu votre consentement.

M. Funston: C'est exact.

Le sénateur MacEachen: Je comprends votre soin excessif, mais je ne vois pas comment l'amendement l'emporterait, d'une façon ou d'une autre, sur le prêt de veto dans le deuxième cas.

M. Funston: Comme je l'ai dit, ce projet de loi ne peut modifier la Constitution du Canada, et nous le reconnaissons. Nous avons donc tenu compte des deux interprétations de la Constitution. En ce qui concerne la loi de 1871, vous avez raison parce que l'amendement suppose que, si le Parlement ne peut créer une province sans notre consentement, c'est le territoire qui aspire à devenir une province qui doit engager le processus, ce à quoi nous tendions dans nos efforts à Charlottetown et dans nos mémoires au comité Beaudoin-Edwards.

Dans le deuxième cas, si la disposition constitutionnelle pertinente est la loi de 1982, qui n'est pas modifiée par ce projet de loi, l'amendement que nous proposons doit porter sur cette réalité, la Constitution du Canada de 1982 étant la disposition qui prévaut, et il se trouve simplement à inclure les territoires.

Le sénateur MacEachen: Mais ce n'est pas le cas.

M. Funston: C'est le cas, parce que, selon l'amendement, avant qu'une province, un territoire ou le gouvernement fédéral puisse proposer une modification pour créer une nouvelle province, le territoire doit y consentir. Les modalités que suppose le statut de province devraient être acceptées par le territoire. Elles ne pourraient être imposées, par exemple, par des manoeuvres provinciales.

Le sénateur MacEachen: Supposons que cette disposition est acceptée. Vous serez consultés et vous direz: «Oui, nous voulons devenir une province.» Supposons maintenant que cela exige l'application de la formule du 7-50. Si le processus est assujetti au projet de loi C-110, et si le gouvernement fédéral prête à une province un veto ayant pour effet d'annuler l'amendement que vous proposez, le statut de province que vous proposez, cette mesure ne serait d'aucune aide.

M. Funston: Je comprends votre point de vue, sénateur. La principale question consiste à déterminer si, oui ou non, nous pouvons modifier la Constitution du Canada, ce qui serait la première cause du principal problème, soit que sept provinces soient déjà impliquées. Nous ne pouvons régler ce problème avec ce projet de loi.

Le sénateur MacEachen: Vous ne pouvez le régler non plus avec votre amendement.

M. Funston: Ni au moyen de n'importe quel amendement que nous pourrions proposer. Le projet de loi C-110 ne peut modifier la loi de 1982, ce serait contraire à la Constitution. Vous avez raison, sénateur, nous ergotons pour déterminer si la formule devrait être de 7-50 ou de 8-50.

Le sénateur MacEachen: À mon humble avis, nous ne réglerons pas votre problème de cette façon. Mais je reviendrai sur cette question.

Je ferai une autre observation, non pas pour soulever des obstacles, mais peut-être pour signaler les pièges. Je suis d'avis que cet amendement dépasse probablement la portée du projet de loi dont nous sommes saisis. Il aurait peut-être plus de chance si c'était un projet de loi indépendant. De toute façon, je vous remercie de dire que cet amendement ne règle pas la question du prêt de veto.

M. Funston: Ce que je dis, sénateur, c'est que, de par sa nature, le projet de loi se situe entre deux catégories. D'une part, c'est une mesure législative ordinaire et, d'autre part, il s'insère dans la Constitution. Il faut choisir la catégorie avant d'aller de l'avant.

Le sénateur MacEachen: Vous avez convenu que c'était une mesure législative ordinaire.

M. Funston: Oui. L'ayant reconnu, nous devons maintenant nous attaquer à la difficulté d'avoir une Constitution qui renferme deux dispositions portant sur un sujet qui touchent de près les territoires et qui leur tient à coeur, c'est-à-dire le statut de province. Comme le ministre l'a fait remarquer, la meilleure voie, c'était Charlottetown, et ces incertitudes ont été clarifiées. À notre humble avis, ce projet de loi ne permet pas de lever cette incertitude dans la Constitution, qui est le principal problème.

Je suis d'accord avec vous. La solution, dans son état actuel, ne répond pas à certaines questions. Toutefois, c'est le mieux que nous pouvions faire avec les moyens mis à notre disposition.

Le sénateur MacEachen: Merci. Je sais que c'est difficile. Je voulais voir si vous pouviez me définir le lien entre le fait de vous prêter le veto et l'amendement. Je me console à la pensée que nos analyses se rejoignent peut-être.

Le sénateur Rivest: Je comprends que le projet de loi vous inquiète parce que, encore une fois, il ne représente pas une amélioration pour les habitants des territoires.

[Français]

Je voudrais vous poser une question particulière sur votre première proposition d'amendement, à la page 21.

[Traduction]

Un ministre de la Couronne ne peut déposer une motion de résolution autorisant une modification de la Constitution du Canada relativement à une question touchant directement les territoires...

Je sais où vous voulez en venir. Cependant, en vertu du projet de loi C-110, l'Île-du-Prince-Édouard et le Manitoba n'ont pas le droit de bloquer un amendement qui les touche directement ou de s'y opposer. Pourtant, vous demandez d'apporter un amendement pour les territoires. L'Île-du-Prince-Édouard et le Manitoba font partie d'un groupe dans ce projet de loi. Pourquoi n'en irait-il pas de même pour les territoires? Pourquoi voulez-vous un droit de veto qui s'applique à tout sujet touchant vos droits et vos privilèges?

M. Kakfwi: Sauf erreur, le premier ministre a déclaré que le projet de loi répondait aux demandes du Québec.

Le sénateur Rivest: Je viens du Québec, et je ne partage pas votre opinion. Le projet de loi ne donne rien au Québec.

M. Kakfwi: De nombreux Québécois pourraient faire la même observation. Je dis simplement que, en lisant le texte du premier ministre, c'est ce que j'ai compris. Il a déclaré que ce projet de loi calmerait certaines inquiétudes du Québec et donneraient suite aux engagements pris au cours de la campagne référendaire.

Nous faisons simplement valoir que, si vous faites cela pour le Québec, qui exprime une préoccupation légitime, nous avons aussi des préoccupations. Incluez-nous.

Le sénateur Rivest: Comprenez-vous qu'en proposant un tel amendement, l'Île-du-Prince-Édouard pourrait aussi demander le même avantage? L'Île-du-Prince-Édouard ne reçoit aucun traitement spécial dans le projet de loi, qui l'inclut dans les provinces maritimes. La même chose ne pourrait-elle pas s'appliquer au Manitoba? Tout le monde au Canada, y compris les territoires, aurait un droit de veto applicable à toute modification constitutionnelle qui touche ses droits et ses privilèges. La formule de modification constitutionnelle sera vraiment très compliquée si nous suivons votre recommandation.

M. Kakfwi: Nos deux préoccupations ont trait à l'extension des frontières et à la création de nouvelles provinces.

Par exemple, le Québec soutient depuis longtemps qu'il s'intéresse à certaines îles qui relèvent actuellement de la compétence du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Nous connaissons cet intérêt depuis des années. Nous sommes d'avis que la Constitution devrait être modifiée afin de garantir qu'aucune province ne puisse exercer de pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il prenne unilatéralement des mesures pour changer les frontières provinciales sans consulter le territoire visé et obtenir son consentement. Une proposition avait été faite en ce sens à Charlottetown, mais elle n'avait pas reçu tout l'appui que nous attendions.

Quand ce projet de loi a été déposé, nous avons constaté qu'il n'y avait pas la moindre allusion à nous. Il n'y a aucune garantie concernant les gains politiques que nous avons réalisés. Il n'y a aucune garantie que le Québec participera, de concert avec les autres provinces et le gouvernement fédéral, à ces discussions constitutionnelles.

Les questions de création de nouvelles provinces et de l'extension des frontières provinciales pourraient être touchées par le projet de loi. Nous n'avons aucune garantie à ce sujet. Il n'y a aucune mention de nous dans le projet de loi. Cette mesure n'est pas parfaite. Je doute que quelqu'un l'ait prétendu. Nous essayons toujours d'être cohérents pour ce qui est des garanties que nous demandons.

Le sénateur Carstairs: Je voudrais attirer l'attention sur les deux amendements que vous proposez. Comme on le sait, il existe un processus officiel à suivre pour modifier la Constitution, processus qui a généralement servi dans le passé pour apporter des modifications constitutionnelles. On a utilisé parfois une interprétation judiciaire et, d'autres fois, la coutume et la tradition ont prévalu.

Après l'expérience de Charlottetown, où les territoires étaient présents, croyez-vous honnêtement qu'un gouvernement au Canada serait prêt à tenir une autre conférence constitutionnelle sans inviter les représentants des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon?

M. Kakfwi: C'est une bonne question, sénateur Carstairs. Le hic, c'est que nous jouons à faire de la politique. C'est un jeu excellent et honnête.

Il y a eu des perdants au fil des années. Le plus grand perdant, c'est le Québec qui a subi un mauvais traitement, du moins à son point de vue, aux mains de ceux qui étaient censés lui faire une place à la table des négociations constitutionnelles. Le Québec croit avoir été exclu des pourparlers sur le rapatriement et des discussions de fin de soirée qui remontent à bien des années. La Constitution fait large place au Québec. Ce n'est pas notre cas.

Chaque fois qu'il est question de tenir des discussions ou d'apporter des modifications concernant la Constitution, nous disons, en politique, que nous allons y participer cette fois. Pour plus de certitude, nous aimerions avoir un genre de carte de membre. Nous n'en avons pas.

Le projet de loi ne se reporte pas à l'Accord de Charlottetown, bien qu'il fasse allusion au principe de Victoria, qui remonte encore plus dans le temps. Nous aimerions båtir davantage sur ce qui a été réalisé, au moins du point de vue politique, aux fins de l'Accord de Charlottetown.

Le sénateur Carstairs: Un gouvernement qui n'inviterait pas les territoires à une autre conférence constitutionnelle commettrait probablement, dans une certaine mesure, un suicide politique.

De toute évidence, vous avez bien défendu votre position, que nous respectons.

Quand vous parlez d'une «question touchant directement les territoires», faites-vous allusion seulement à l'obtention d'un statut de province ou à d'autres questions?

M. Kakfwi: Je laisse à M. Funston le soin de répondre à la deuxième partie de votre question. Quant à ce que vous avez déclaré plus tôt, c'est-à-dire que nous devrions être tranquilles, parce qu'aucune personne saine d'esprit ne songerait à nous exclure, je serais heureux d'obtenir une garantie à cet effet du premier ministre ou même du ministre de la Justice.

Le sénateur MacEachen: La garantie du sénateur Carstairs ne suffit-elle pas? Pourquoi n'acceptez-vous pas sa parole?

M. Kakfwi: Peut-être que si vous donnez tous deux votre parole, la garantie sera plus sûre.

Le sénateur MacEachen: Nous sommes d'accord avec elle.

M. Kakfwi: Je serais très heureux si le premier ministre déclarait, sans la moindre ambiguïté, que nous faisons partie de la famille et que nous allons y rester.

M. Funston: Il y a un certain flou entourant ce qui pourrait être directement touché. Si je comprends bien, le ministre de la Justice était ici hier, mais il n'a pas précisé le genre de questions que le projet de loi toucherait. Les deux questions les plus évidentes seraient la création de nouvelles provinces et l'extension des frontières provinciales sur les territoires.

Dans notre mémoire, nous avons fait état d'une troisième question, c'est-à-dire une modification de la Charte, par exemple, pour y inclure des mentions au Nunavut, au cas où l'esprit du projet de loi s'applique à toute modification constitutionnelle. Le communiqué fédéral a mentionné des institutions nationales et cité deux exemples: la création d'un nouveau siège au Sénat et de circonscriptions électorales au Nunavut. Si cela se réalise avant 1999, date où le Nunavut deviendra officiellement une entité, et si le gouvernement fédéral décide de recourir à un processus de résolution plutôt que d'utiliser son pouvoir d'agir unilatéralement, ces institutions seront également comprises.

Le sénateur Rivest a soulevé la possibilité qu'il n'y ait pas que l'Île-du-Prince-Édouard, mais ce n'est pas le cas. En vertu de la formule du 7-50, l'Île-du-Prince-Édouard et toutes les autres provinces pourraient exercer un droit de retrait, le prétendu veto «négatif», si jamais leurs pouvoirs, leurs droits ou leurs privilèges étaient menacés. C'est dans la Constitution.

Le projet de loi apporte l'équivalent législatif aux territoires. Or, ce n'est pas l'équivalent législatif, si l'on pense que le gouvernement fédéral peut toujours décider d'agir s'il juge que les circonstances le justifient. Il est probablement faux de dire que nous recevons plus que l'Île-du-Prince-Édouard dans ce projet de loi, parce que ce dernier confère aux provinces un droit de veto sur des questions qui ne les touchent pas directement pour le moment. C'était le but recherché dans ce projet de loi. Elles sont déjà protégées en vertu de la Constitution. L'article 41 leur donne un droit de veto, et le paragraphe 38(3) leur donne un droit de veto négatif.

Le sénateur Carstairs: Pardonnez-moi mon ignorance au sujet de l'histoire des territoires. Il est clair qu'on ne vous a pas imposé le statut de province parce que vous n'êtes pas encore des provinces. Pouvez-vous me donner un autre exemple où le gouvernement fédéral, au moyen de la Constitution, a imposé ou enlevé des pouvoirs aux territoires sans leur consentement?

M. Funston: La Loi constitutionnelle de 1982 a fait cela lorsqu'elle a imposé la nouvelle formule de modification. Elle a changé la convention, si on peut employer ce terme, selon laquelle un territoire pouvait présenter une pétition au gouvernement fédéral pour demander la création d'une nouvelle province. Cela s'est fait dans les provinces des Prairies à la fin des années 1870. Autrement dit, elle est venue embrouiller la loi de 1871 mentionnée plus tôt, et ce, malgré les objections des territoires, qui ont soutenu à ce moment-là que la formule de modification semblait donner injustement aux provinces un rôle dans la création d'une nouvelle province, rôle qu'elles n'avaient pas auparavant. C'est l'exemple le plus évident.

Le sénateur Beaudoin: Pensez-vous que l'autonomie gouvernementale des autochtones est incluse dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou avons-nous besoin d'une modification constitutionnelle pour consacrer ce droit dans la Constitution? La commission royale se penchera sur cette question.

M. Kakfwi: Nous sommes d'avis que le droit inhérent existe et devrait être garanti de façon explicite dans la Constitution.

Des propositions quasi constitutionnelles comme celles-ci devraient témoigner d'un certain respect à l'égard de la revendication présentée il y a longtemps par les autochtones de ce pays pour être reconnus comme un autre peuple distinct. Ce n'est pas dans les propositions. Les leaders autochtones auront le temps d'exprimer eux-mêmes leur point de vue à cet égard. Sur le plan constitutionnel, nous sommes d'avis que cela devrait se faire dans les deux cas.

Le sénateur Beaudoin: Il se peut que cette reconnaissance existe de façon implicite à l'article 35. J'ai un doute. Si mon doute est bien fondé, vous voudriez manifestement que cette reconnaissance soit consacrée dans la Constitution. Cependant, l'Accord de Charlottetown est mort.

M. Kakfwi: Je comprends ce que vous dites. Nous avons toujours dit que cette reconnaissance existait. Nous ne partageons cependant peut-être pas tous la position que le gouvernement libéral a adoptée, soit que cette reconnaissance existe de façon implicite à l'article 35.

Certains d'entre nous disent encore qu'elle devrait être consacrée de façon explicite dans la Constitution. Si elle a toujours existé, pourquoi alors le gouvernement du Canada a-t-il attendu si longtemps avant de le dire? Pour éviter toute régression, cette reconnaissance devrait être consacrée de façon très explicite. C'est là l'objet de notre désaccord.

Le sénateur Beaudoin: L'article 42 est visé par le projet de loi C-110, si je ne m'abuse. C'est évident à mon avis. Oubliez l'Accord de Charlottetown, oubliez l'Accord du lac Meech et oubliez les recommandations du rapport Beaudoin-Edwards. Tout cela est mort.

Le problème, c'est que l'article 42 parle du rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires et de la création de provinces. Selon le droit constitutionnel canadien, c'est la formule 7-50 qui s'applique. Par conséquent, cet article est visé par le projet de loi C-110.

Le sénateur MacEachen: C'est ce qui a été dit plus tôt. C'est dans les documents.

Le sénateur Beaudoin: Vous semblez avoir certains doutes, mais je n'en ai aucun.

Le sénateur MacEachen: Je posais une question. Lorsqu'on pose une question, on doit être sincère.

Le sénateur Beaudoin: Je suis toujours sincère, mais j'aimerais savoir ce que les autochtones pensent de cela.

Le sénateur Andreychuk: Nos témoins représentent les territoires, et non les autochtones.

Le sénateur Beaudoin: Ma collègue a tout à fait raison.

M. Funston: Prenons un exemple. Vous avez supposé que la formule 7-50 s'applique à la création de provinces. Le point de vue exprimé par les territoires devant le comité Beaudoin-Edwards était que nous devrions voir les choses sous un angle légèrement différent et supposer que la loi de 1871 est valide.

La disposition de 1982 établit la règle à utiliser pour modifier la loi de 1871. La création de nouvelles provinces ne touche aucunement les provinces existantes. Ce qui les touche, c'est la modification de la formule existante prévue dans la loi de 1871.

Appliquons cela au projet de loi C-110. Les territoires sont insatisfaits de la loi de 1871. Ils n'aiment pas le fait qu'ils en sont exclus. Il n'y a aucune disposition de la loi de 1871 qui dit qu'un territoire peut présenter une demande et que le Parlement peut ensuite créer une nouvelle province.

Si nous voulons modifier la loi de 1871 à cet égard, le projet de loi C-110 s'appliquerait à ce genre de modification, ainsi que la formule 7-50. Les provinces pourraient se servir de cela pour contrecarrer nos plans, mais elles ne pourraient pas modifier la formule existante, qui est celle de 1871.

Le sénateur Beaudoin: Il y a une clause de dérogation qui permet de déroger à toute autre loi ou usage, même si ces lois ou usages sont vieux d'un siècle, pour la création de provinces. Ce serait un point à examiner.

Le sénateur Gauthier: Je pensais à la même question que le sénateur Beaudoin.

Je suis certain que vous avez pensé à l'alinéa 42f), par exemple. Pourquoi avez-vous rejeté cela et proposé la consultation? Dans le premier amendement que vous proposez, vous dites qu'aucune modification ne peut être adoptée sans que vous ayez été consultés. Pourquoi n'avez-vous pas invoqué l'alinéa 42f), par exemple, qui parle de «dérogation à toute autre loi ou usage» relativement à la création de nouvelles provinces? Cela aurait réglé le problème, n'est-ce pas?

M. Funston: Encore une fois, l'amendement proposé n'est pas seulement lié à la question du statut de province. C'est peut-être là la pierre d'achoppement. Cet amendement se rapporte à toute modification qui toucherait aux territoires. Ce n'est pas une consultation; c'est un consentement. C'est seulement en relation avec la façon dont le gouvernement fédéral exerce son mandat. Ce n'était pas une tentative en vue de changer la loi de 1982. Nous avons pensé que nous ne pouvions pas faire cela.

C'était seulement pour dire que, si le gouvernement fédéral, pour quelque raison que ce soit, propose une modification concernant les territoires et qu'il a conclu une entente avec les provinces, il ne devrait rien faire sans le consentement des territoires. Dans ce sens, je suppose que nous approuvons le mécanisme prévu dans le projet de loi.

Nous sommes dans un dilemme: d'une part, nous examinons les dispositions constitutionnelles, mais, d'autre part, nous sommes en train d'étudier une mesure législative ordinaire qui ne peut avoir aucun effet sur la Constitution.

Le sénateur Gauthier: Vous voulez effectivement le statut de province.

M. Funston: Nous voulons «la possibilité d'entreprendre de telles démarches au moment opportun», pour reprendre les termes que nous avons employés dans le passé.

Le sénateur Andreychuk: Je veux poser une question complémentaire pour faire suite à celle du sénateur Beaudoin sur la question des droits des autochtones. Hier, le ministre a dit que le projet de loi C-110 n'a aucune incidence sur les droits des autochtones, que cette question serait réglée d'une autre façon.

En réponse à une question qui lui a été posée hier au sujet de l'article 35, il a dit qu'il n'était nécessaire de consulter les autochtones que lorsqu'il y avait atteinte à leurs droits et que le projet de loi C-110 n'avait aucune incidence sur leurs droits. J'ai trouvé que c'était là une interprétation plutôt intéressante, unique et, à mon avis, très restreinte de la consultation telle que je la croyais avoir été définie par la Cour suprême et par les autochtones. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Kakfwi: Nous partageons probablement votre opinion. N'ayant pas discuté de ce projet de loi particulier avec les peuples autochtones, ni même avec un gouvernement quasi autochtone comme nous, je ne sais pas comment le ministre peut être aussi certain que nous n'avons pas de problèmes. Cette idée lui vient peut-être de son collègue, M. Irwin.

Nous sommes ici pour vous dire que nous n'avons pas été consultés. Nous savons que, sur le plan politique, il faut agir. Comme le sénateur MacEachen le dit, nous essayons de bien faire les choses. Ce n'est peut-être pas la meilleure mesure possible, mais nous sommes conscients de la situation politique actuelle et nous avons proposé des amendements.

Peut-être que ces amendements sont perçus comme étant imparfaits à ce moment-ci, mais ce n'est pas un projet de loi parfait. Il a été rédigé rapidement. Comme le ministre Rock l'a dit hier, ce qui importe, c'est d'en appuyer le principe. Les points de détail ne devraient pas poser de problème majeur.

Je ne suis pas certain que nous soyons de cet avis, mais nous proposons des amendements. Nous savons que, sur le plan politique, c'est peut-être courir au désastre pour vous que de sembler s'opposer à l'adoption de ce projet de loi, car le Québec examine de près le processus, et la perception est la réalité.

Nous disons que ces modestes amendements que nous proposons sont des dispositions que tout bon gouvernement consciencieux aurait certainement insérer dans le projet de loi s'il avait eu une demi-heure de plus pour le rédiger. Il vous incombe de les y insérer.

Le sénateur St. Germain: Monsieur le ministre, vous parlez comme un aîné.

Le sénateur Meighen: Je reconnais qu'aucune mesure législative n'est parfaite et qu'il est toujours possible d'apporter des améliorations. Le sénateur MacEachen voulait savoir si les amendements établissaient ou non ce lien. Vous dites que ce sont de modestes amendements. Cependant, ils ne seront peut-être pas adoptés et, s'ils le sont, ils ne régleront peut-être pas votre problème. Dans un cas comme dans l'autre, suggéreriez-vous que je vote pour ou contre le projet de loi? Je tiens également compte de la remarque du sénateur Rivest, qui a dit que, contrairement à ce que certains pensent, cette mesure n'aura pas un impact énorme au Québec.

M. Kakfwi: Je reconnais que, si le projet de loi est rejeté, cela aura un impact profond sur une certaine partie de la population du Québec. Je ne dis pas que vous devriez le rejeter. Je dis seulement que, sur le plan politique, je vois la nécessité d'adopter cette mesure législative maintenant qu'elle a été conçue. Ce n'est plus le temps de reculer. Apportez-y seulement les changements nécessaires pour l'améliorer. Allez de l'avant avec ce projet de loi, mais donnez-nous certaines garanties.

Le sénateur Meighen: Merci de vos conseils.

M. Kakfwi: Vous pouvez le faire en adoptant ces amendements ou encore en disant au premier ministre et au ministre que le bon gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a fait un exposé et que vous pensez que nous avons besoin de certaines garanties. Envoyez-lui dès aujourd'hui une lettre exposant notre position en termes très explicites.

Le sénateur Meighen: Merci de votre grande ouverture d'esprit. Nous avons besoin de plus de gens comme vous dans notre pays pour trouver des solutions à nos problèmes.

Le sénateur St. Germain: Monsieur le ministre, vous parlez de consultation ou de l'absence de consultation. Une étude de l'histoire de Riel et Cuthbert Grant au Manitoba montre que les gouvernements n'ont jamais consulté les peuples concernés, qu'il s'agisse des Métis ou d'autres peuples. Malheureusement, l'histoire semble se répéter au lieu de se corriger.

À l'instar du sénateur Meighen, je veux, moi aussi, vous féliciter pour votre grande ouverture d'esprit et votre bonne compréhension du pays tout entier et des diverses régions qui le composent. Le ministre de la Justice nous a dit que c'est un projet de loi à caractère politique. Je crois qu'il a dit que c'était une mesure transitoire. Il essaie simplement de régler une situation politique engendrée par le référendum.

Si nous insérions une disposition de temporisation dans ce projet de loi pour qu'il cesse d'être en vigueur juste avant les négociations de 1997 sur la Constitution, pensez-vous que cela réglerait les problèmes jusqu'à ce moment-là? Nous pourrions ensuite reprendre à partir de là, en espérant que les représentants des territoires à la conférence constitutionnelle en 1997 pourraient proposer les solutions nécessaires.

M. Kakfwi: Monsieur le président, comme c'est une mesure législative fédérale, je suppose qu'elle peut être abrogée à n'importe quel moment. Je ne sais pas si ce serait sage pour tout gouvernement à l'avenir de l'abroger sans rien avoir pour la remplacer et sans avoir enfin répondu à certaines des préoccupations du Québec.

Pour ce qui est de ce qui nous rendrait heureux, je ne sais pas si on a posé cette question au Québec. Cette mesure rendra-t-elle le Québec heureux? Certains de vous croient que non. Comme je l'ai dit, nous nous contenterions de certains amendements mineurs, ou même d'une lettre du premier ministre. Nous ne voulions pas grand-chose; nous voulions seulement être rassurés. Vous pouvez prendre cela comme une certitude. Si vous adoptez ce projet de loi, il n'est absolument pas certain que le Québec s'en trouvera plus heureux.

Le sénateur Rivest: Mon opinion personnelle, que partagent la plupart des fédéralistes du Québec, c'est que nous n'avons pas besoin de ce projet de loi pour renforcer l'option fédéraliste dans cette province. Ce n'est pas le genre de mesure dont nous avons besoin pour améliorer la crédibilité de l'option fédéraliste au Québec. Nous avons dit ce que nous voulons lors des négociations des Accords du lac Meech et de Charlottetown. Nous avons besoin de quelque chose de solide, et non d'une mesure de ce genre. Je veux m'assurer que vous comprenez le point de vue des fédéralistes du Québec.

Le président: Je voudrais remercier le ministre des Territoires du Nord-Ouest et ses collègues pour leur exposé.

Honorables sénateurs, le professeur Whyte, de l'Université Queen's, s'est maintenant joint à nous. Il a accepté de formuler des observations préliminaires pendant environ 15 minutes, puis de répondre à nos questions et commentaires.

John Whyte, Université Queen's: Monsieur le président, je remercie les membres du comité de me permettre d'aborder cet important projet de loi devant un comité parlementaire. Il ne s'agit pas d'un simple projet de loi, mais bien d'une importante mesure législative quasiconstitutionnelle.

Je voudrais aussi féliciter les sénateurs qui ont veillé à tenir des consultations au lieu de permettre l'adoption à toute vapeur du projet de loi C-110 et de prouver ainsi la volonté du gouvernement de régler tous les problèmes minant l'unité du pays. En matière constitutionnelle, l'examen approfondi et la réflexion sont de bien meilleur augure, à mon avis, que la håte et la précipitation.

Mon exposé se divisera en trois parties. Je traiterai de considérations touchant à la procédure envisagée, de considérations politiques et de considérations légales. Vous aurez remarqué que, en anglais, j'utilise le mot «concern». J'avoue que ce n'est peut-être pas une façon très encourageante d'aborder l'étude de ce projet de loi. Cela sème en moi beaucoup d'appréhension, et il en sera sûrement de même pour tous les Canadiens. Le moment et le lieu sont-ils bien choisis pour formuler des réserves sur ce qui constitue indubitablement une sérieuse tentative de renforcer l'unité canadienne et d'améliorer les relations entre le Québec et le reste du Canada? Je sais qu'il n'est pas toujours pertinent de formuler des réserves dans certaines situations politiques.

À mon avis, ce qui est essentiellement urgent et pressant n'est pas nécessairement favorable à l'unité. Les mesures favorables à l'unité découlent plutôt de longs pourparlers nationaux.

Le philosophe américain John Dewey a écrit que l'unité est plus solide et forte lorsqu'elle provient des efforts sans cesse renouvelés et volontairement consentis que favorisent la communication continue, la tenue de conférences, la consultation et les compromis négociés librement.

Hier, M. Rock a déclaré à ce comité que les Canadiens voulaient avant tout un leadership fort pour régler la question de l'unité. M. Rock, dont l'intégrité ne fait aucun doute dans mon esprit, rappelle l'argument usé de ceux qui en ont assez de la politique ou qui ont tenté de jouer le jeu de la politique et se sont brûlés. Leur attitude traduit leur déception face aux compromis. C'est dangereux.

Permettez-moi de vous expliquer plus en détail mes réserves au sujet du processus envisagé. Bruce Ackerman, de la faculté de droit de Yale, affirme, avec beaucoup de perspicacité à mon avis, qu'il faut deux niveaux de politique au sein d'une véritable démocratie. Il faut la petite politique, c'est-à-dire les fonctions courantes qu'exige la représentation du peuple au Parlement et au Congrès, et la grande politique, soit l'établissement d'un consensus national à des moments clés. Autrement dit, il s'agit de questions touchant à la réforme constitutionnelle ainsi qu'à la définition et à la redéfinition des relations au sein d'une société pluraliste comme celle du Canada. Selon Ackerman, si l'on mélange ces deux genres de politiques, on affaiblit l'État. Si l'on renonce à la représentation de la population afin de pouvoir tenir d'innombrables sondages et plébiscites sur des mesures courantes, les politiques perdent toute leur vision et leur équilibre et la capacité des citoyens de participer activement et efficacement à la politique s'en trouve minée. De même, si l'on impose des changements fondamentaux sans tenir compte des intérêts et des opinions de la population, on adopte un mécanisme de modification constitutionnelle qui n'a aucune valeur, qui ne correspond à aucun engagement national envers les éléments les plus fondamentaux de notre structure. Cela se résume à modifier le contrat fondamental qui lie les habitants d'une nation sans reconnaître l'existence de ce contrat.

Dans le cas qui nous intéresse, par exemple, le gouvernement se retrouve dans une situation quelque peu étonnante, puisqu'il promet de ne jamais modifier la Constitution, à moins d'avoir le consentement de cinq régions du Canada, et qu'il établit cette règle malgré les objections de deux régions et demie et même de trois régions du Canada. Je ne connais pas la décision finale des provinces des Prairies à ce sujet, parce que M. Romanow ne s'est pas encore prononcé.

Je sais que le Canada n'a pas connu tellement de succès en matière de grande politique. Il n'est pas très convenable de reprocher au premier ministre actuel d'avoir abandonné la grande politique. Les tentatives menées en 1981, au cours d'une nuit, ont eu des conséquences désastreuses. Nos tentatives de 1987, encore une fois menées tard dans la nuit, ont lentement miné la confiance des Canadiens de même que nos démarches au cours de très nombreuses soirées en 1990. La "prise d'otages", comme mon collègue Brian Schwartz se plaît à appeler cette tactique, n'a pas tellement plu aux Canadiens. Les négociations de 1991 et de 1992, axées davantage sur le dialogue étant donné les consultations qu'ont tenues les deux comités parlementaires et le processus de l'Accord de Charlottetown, se sont révélées des expériences plus nobles. Personne n'a été pris en otage. Les nuits ont été longues, mais pas empreintes de tyrannie. Il y a eu plus de discussions. Ce ne fut pas néanmoins un succès.

Je ne voudrais pas que vous croyiez que j'aborde la question de la grande politique sur un ton de supériorité. Je ne dis pas que je connais la solution au problème du Canada. La solution qui nous est proposée aujourd'hui est un processus qui n'a rien d'une loi constitutionnelle. Elle ne s'inscrit pas dans le cadre de la procédure de modification constitutionnelle. Pourtant, elle constitue à mon avis une réforme importante de la Constitution.

Voici les considérations politiques que je veux mentionner. S'agit-il d'un changement permanent? S'agit-il d'une modification importante à notre Constitution? À mon avis, oui. Je crois qu'il sera impossible par la suite de retirer au Québec son droit de veto. Le Québec a perdu ce droit de son propre chef en avril 1981. Ensuite, fait surprenant, on le lui a retiré de facto en novembre 1991. Étant donné la situation politique du Canada, je crois qu'il sera désormais impossible de le lui retirer - le prix à payer est trop bien connu. Je ne dis pas que le droit de veto au Québec est une condition essentielle et sine qua non pour l'unité canadienne. Cependant, je ne crois pas qu'il nous soit possible dorénavant de lui retirer ce droit. D'ailleurs, je crois qu'il sera désormais impossible de retirer le droit de veto à qui que ce soit, car le faire serait avouer qu'on ne respecte plus l'accord de 1996 concernant le veto, qu'on n'y accorde plus d'importance. Il s'agit donc, à mon avis, d'un changement permanent, c'est-à-dire d'un projet de loi qui ne sera jamais abrogé.

Cela limitera-t-il en fait le processus de modification constitutionnel? Oui. Pour parler en axiomes, je dirais que, lorsque les obstacles au changement se multiplient, la probabilité que des changements surviennent diminue.

D'un point de vue plus pratique, je crois que nous avons toutes les raisons de croire qu'il sera difficile de procéder à des modifications constitutionnelles. Il serait trop facile de dire simplement que les impératifs constitutionnels et politiques de la Colombie-Britannique ne correspondent absolument pas aux impératifs constitutionnels et politiques du Québec, bien que ce soit vrai en partie. Si l'on tient compte de la position des autres régions, on voit que la possibilité de surmonter les obstacles que posent ces veto est très faible. Nous envisageons ici d'apporter un changement important qui pourrait priver le Canada de cette forme de politique qu'on appelle la politique constitutionnelle.

Est-ce important? Peut-être pas. En Australie, la réforme constitutionnelle est certainement devenue quasiment impossible et pourtant, cette société politique est très dynamique et songe presque quotidiennement à des modifications constitutionnelles, si je puis dire. L'inutilité de l'exercice n'est pas venue à bout de l'enthousiasme des Australiens. C'est peut-être aussi notre cas.

Oui, je crois que c'est important. Il y a des choses à faire au Canada. Par exemple, l'application de la Charte des droits suscite toujours de l'inquiétude. Je doute qu'on modifie la Charte des droits, mais on devrait certainement revoir les règles constitutionnelles concernant la nomination des juges à la Cour suprême du Canada, afin de rendre la Charte plus acceptable et légitime.

Je demeure convaincu que nous devons régler le problème que pose la reconnaissance dans la Constitution d'une «société distincte» ou d'une expression qui aurait la même portée. Nous devrions peut-être réglementer le pouvoir de dépenser et nous pencher sur le respect de nos obligations commerciales.

En tant que nation, nous prenons des mesures qui évoluent au fil des ans et qui représentent des changements fondamentaux et il nous faudrait peut-être les inscrire dans la Constitution. Notre pays survivra sûrement si jamais rien de nouveau n'est ajouté à la Constitution, et c'est ce que nous réserve l'avenir, je le crains bien, mais on améliorerait notre pays et notre société politique en les dotant de processus politiques plus ouverts, plus favorables à la participation et plus légitimes et en ajoutant aux mesures politiques qu'ils peuvent appliquer la capacité de procéder à une réforme constitutionnelle. Si le projet de loi est adopté, la réforme constitutionnelle ne fera plus partie des pratiques politiques que nous pourrons appliquer.

Permettez-moi d'aborder brièvement deux autres considérations d'ordre politique, l'une touchant aux droits des autochtones et l'autre, aux intérêts du Québec.

L'incidence de ce projet de loi sur les intérêts et la situation des autochtones m'inquiète à deux points de vue. Premièrement, je crois que le projet de loi minera la capacité de notre pays d'utiliser des méthodes constitutionnelles, comme la réforme constitutionnelle, pour protéger l'intégrité du territoire, ce qu'exigent pourtant nos obligations fiduciaires.

Je sais que le Grand conseil des Cris du Québec a soutenu devant le comité de la Chambre des communes que ce projet de loi empêcherait le Canada d'adopter des mesures constitutionnelles pour protéger l'intégrité territoriale du Canada, un point c'est tout. Je ne tiens pas à aborder cette question. Je ne sais pas si c'est vrai. Je ne sais pas si c'est une question qu'on envisage et qu'on envisagera un jour, mais je sais que nous avons des obligations fiduciaires envers les autochtones. L'un des instruments qui nous permet de respecter ces obligations - surtout envers les autochtones du Québec -, c'est justement la reconnaissance de façon plus claire dans la Constitution de nos obligations fiduciaires et de notre détermination à préserver le statut des autochtones au sein de la nation canadienne. De toute évidence, cela deviendra impossible après l'adoption du projet de loi C-110.

Deuxièmement, pour le Canada, le projet de loi C-110 représente une véritable camisole de force, puisqu'il l'empêchera de réformer la Constitution en vue d'encourager l'auto- détermination politique des autochtones. Encore une fois, je ne suis pas absolument sûr qu'on aura recours à la Constitution pour favoriser l'autonomie politique des autochtones.

Je sais que le ministre Rock et le ministre Irwin ont déclaré en décembre dernier - et, d'après les renseignements qui m'ont été transmis aujourd'hui, M. Rock l'aurait répété hier - que les droits des autochtones n'étaient nullement menacés. Il est vrai que les droits actuels des autochtones ne sont pas menacés, mais comme nous envisageons à l'heure actuelle l'établissement d'un régime qui modifierait nos relations avec les autochtones du Canada et qui leur accorderait notamment une plus grande autonomie politique, il est généralement admis qu'il serait préférable, à cette fin, que les ententes découlant du processus Irwin, c'est-à-dire des négociations menées au mois d'août 1995, soient inscrites dans la Constitution. On pourrait mentionner ces ententes dans un nouveau paragraphe de l'article 35, pour rappeler tout le poids qu'elles ont sur le plan constitutionnel, ou ailleurs, je n'en sais rien. Cela ne se produira pas. Dans un pays où les politiques, les intérêts régionaux et les valeurs diffèrent tellement, l'un des veto empêchera ce projet de se concrétiser.

Voilà pour la deuxième série de répercussions politiques. La première portait sur la réforme constitutionnelle et la deuxième, sur les autochtones. La troisième a trait au Québec.

Dans le cas du Québec, il faut établir une distinction entre le mouvement nationaliste québécois, qui exige le respect et la reconnaissance du reste du Canada et une politique nationaliste québécoise qui vise à favoriser l'essor du Québec au sein du Canada. De ces deux options, je crois - et je ne prétends pas être spécialiste des questions touchant le Québec - que la population du Québec veut avoir la possibilité de prospérer et de se développer au sein du Canada. Si c'est impossible, elle se séparera. Je ne crois pas que les nationalistes québécois s'attendent à obtenir du Canada un certain niveau obligatoire de respect et de reconnaissance. Ils veulent surtout pouvoir s'épanouir.

À ce sujet, j'abonde dans le même sens que Gordon Robertson, ex-secrétaire au bureau des relations fédérales-provinciales, qui affirme que la clause de la société distincte est l'élément clé de tout projet d'unité qui pourrait être proposé au Québec. Il compare la clause de la société distincte au débat sur le drapeau tenu en 1965, au besoin que ressentait le reste du Canada de se lever pour dire: «Voilà les valeurs que nous défendons: notre autonomie, notre identité, notre spécificité au sein de la communauté internationale.» C'est ce que nous réclamions en 1965. En 1996, le Canada a besoin de se lever et de dire que le Québec a la capacité de prospérer au sein du Canada. Nous n'avons pas l'intention de laisser les tyrans ou la majorité au pays mépriser le besoin d'épanouissement politique que ressent le Québec.

Je ne crois pas que le veto suffise à satisfaire aux revendications des nationalistes québécois. Il ne fait plutôt, du moins à mon avis, que réparer l'injustice qui a été commise le 4 novembre 1981 et qui n'est pas au coeur du mouvement nationaliste québécois.

Enfin, je voudrais rapidement passer en revue les considérations légales. J'énumérerai brièvement mes réserves au lieu de me lancer dans un long exposé.

Premièrement, le projet de loi C-110 a-t-il toutes les qualités d'un colosse aux pieds d'argile? Est-il faible et sans importance parce qu'il n'impose des restrictions qu'aux ministres, et non au Parlement lui-même, à la Chambre des communes et au Sénat? La mesure législative ne vise que les ministres. La réponse est non. Il se peut que des poursuites judiciaires soient prises pour empêcher le Parlement de voter. Il faudrait une Cour fédérale plutôt agressive, je le reconnais, pour empêcher le Parlement de voter, mais il est tout à fait possible, à mon avis, que la Cour fédérale obtienne que l'on conteste la validité de la promulgation de telles mesures par des non-ministres en lieu et place d'une politique ministérielle.

Dans la mesure où l'on tentera de contourner les restrictions du projet de loi C-110 en recourant à des non-ministres, un jugement déclaratoire est au moins possible, sinon probable. Bien sûr, la réalité politique est telle que, dès que le gouvernement laissera entendre qu'il va contourner les restrictions du projet de loi C-110 en ayant recours à des députés ordinaires, il se trouvera à détruire publiquement et clairement le veto du Québec, le seul impératif politique qu'il n'emploiera pas, à mon avis.

Ensuite, est-ce que le projet de loi est constitutionnel? Trois arguments militent en faveur de son caractère inconstitutionnel. Tout compte fait, aucun des trois ne saurait être retenu, mais seulement après un échange de vues extrêmement stimulant. J'ai håte de suivre les débats à venir.

On peut se poser de sérieuses questions sur la constitutionnalité de ce projet de loi, quoique je ne sois pas sûr que ses détracteurs réussiraient à l'attaquer. Les trois arguments peuvent se résumer ainsi: premièrement, il entrave l'exercice du pouvoir constitutionnel; deuxièmement, il ajoute des valeurs constitutionnelles à celles qui ont été spécifiquement choisies dans la formule d'amendement; et, troisièmement, il établit quelque chose de parallèle à un veto alors qu'une loi a déjà été promulguée. Aucun de ces arguments, je le répète, ne sera nécessairement retenu.

Le président: Merci beaucoup, professeur Whyte.

Le sénateur Andreychuk: Merci, professeur Whyte, pour ce que je qualifierais de conversation pratique avec nous sur cet important sujet. Auriez-vous l'obligeance de clarifier, aussi simplement et sans trop entrer dans des subtilités, quelques points concernant le caractère constitutionnel des questions?

D'après vous, comment le projet de loi C-110 influera-t-il sur les droits de la minorité d'une petite province qui est englobée dans une région, par exemple? Je songe à la formule d'amendement prévue dans notre Constitution et à l'entrave du pouvoir ministériel que représente le projet de loi C-110. Quelle sera, dans la pratique, l'incidence du projet de loi sur les habitants d'une province ne constituant pas une région indépendante? Autrement dit, sur les personnes vivant dans une autre province que l'Ontario, le Québec ou la Colombie-Britannique?

Ensuite, qu'adviendra-t-il de l'engagement et de la responsabilité qu'a le ministre, à l'égard de tous les Canadiens, d'agir dans l'intérêt de la population canadienne selon les situations et les événements?

M. Whyte: Je vais répondre d'abord à votre seconde question, qui confirme l'idée qu'il est de la responsabilité des politiciens et des ministres fédéraux d'agir dans l'intérêt du Canada et, notamment, de présenter de bons projets de loi. Dans le cas qui nous occupe, il s'agirait de présenter non pas un projet de loi, mais une résolution. Des ministres peuvent ne pas présenter une résolution autorisant une modification parce que des intérêts extérieurs disent s'y opposer ou menacent de ne pas y consentir. Ce serait faire un bien mauvais calcul.

Permettez-moi de présenter les choses autrement qu'en parlant d'engagement et de responsabilité. Les Canadiens ont ce que j'appellerais un «côté article 91» et un «côté article 92». Il est vrai que les gens n'admettront pas avoir un «côté 91», mais ils en ont un, en fait. Au fond d'eux-mêmes, ils le savent. Ils se voient comme faisant partie d'un régime fédéral et ils choisissent les représentants qui vont défendre leurs intérêts au sein du régime fédéral et dans la sphère politique fédérale. Ils s'attendent à être bien représentés par des personnes de bonne foi. Ils ne croient pas que cette représentation devrait être le jouet de toute une série d'intérêts prévus à l'article 92.

Par contre, il n'est pas fou de dire que la politique prévue à l'article 91 doit tenir compte des intérêts de tout le pays. Il n'est pas pertinent d'inclure les intérêts qui sont représentés par les gouvernements provinciaux. Ce n'est pas que cela n'est pas pertinent, mais plutôt que cela constitue une véritable restriction. Le problème, c'est que la restriction va au-delà de notre désir normal de souplesse.

Oui, les droits des Canadiens varient selon la province où ils habitent. Certes, le rôle d'un Canadien de l'Île-du-Prince-Édouard devient nul. Il est possible, je suppose, que si les cinq régions approuvaient la modification constitutionnelle, mais avec le consentement de six provinces seulement, la décision de l'Île-du-Prince-Édouard serait alors importante. Cinq régions consentantes ne représentant que six provinces auraient besoin de l'accord de l'Île-du-Prince-Édouard, mais, dans tous les autres cas, l'Île-du-Prince-Édouard ne compte pas. Sa situation est unique au Canada.

Ce qui préoccupe davantage les gens - et je crois savoir qu'Andrew Petter s'est dit préoccupé lui aussi par cela ce matin -, c'est que les Canadiens de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba ne pourraient pas influencer un gouvernement avec un droit de veto de la même façon que les Canadiens de la Colombie-Britannique, par exemple. Comme je ne suis pas particulièrement en faveur de l'égalité des provinces, cela ne me scandalise pas. Cette différence existerait certainement.

Le sénateur Andreychuk: On peut renoncer au droit à l'égalité si l'on a l'impression qu'il venait d'une modification constitutionnelle, mais seriez-vous d'un autre avis s'il s'exerçait au moyen d'une loi?

M. Whyte: Oui. Le Canada en est à un point crucial de son projet de définition fondamentale à long terme des relations entre ses diverses collectivités. Cela exige une démarche politique extraordinaire. La présente audience est pertinente, mais elle n'est pas extraordinaire.

Le sénateur Murray: Professeur Whyte, que nous conseillez-vous de faire à l'égard de ce projet de loi? En faire rapport avec ou sans propositions d'amendement?

M. Whyte: Je ne sais pas à quel point c'est réaliste, mais je me demande s'il ne faudrait pas proposer un amendement assorti d'un délai d'exécution.

Le sénateur Murray: Une disposition de temporarisation?

M. Whyte: Oui. Je me demande si c'est réaliste, car il serait politiquement désastreux pour le Canada de supprimer un jour le droit de veto du Québec.

Le sénateur Murray: Il a été supprimé en 1982.

M. Whyte: Voilà pourquoi je crois que cela ne se reproduira pas une deuxième ou une troisième fois, si l'on tient compte d'avril 1991. Je suppose qu'on n'en tient pas compte, car il a alors été non pas supprimé, mais dénoncé.

Le sénateur Murray: Je n'aime pas beaucoup ce projet de loi pour diverses raisons, mais je ne sais toujours pas ce que je dois faire. Les Conservateurs devront l'étudier en caucus. Toutefois, il y a quelque chose que je comprends bien dans l'historique du projet de loi, et je veux avoir votre opinion là-dessus.

Le projet de loi a découlé immédiatement de l'engagement, pris par le premier ministre du Canada au cours de la campagne référendaire, que le gouvernement ne donnerait suite à aucune modification constitutionnelle touchant au Québec sans l'accord du Québec. Croyez-vous que, dans les circonstances et compte tenu de ce que vous savez de l'histoire et de la nature de notre pays, c'était là un engagement pertinent et valable de la part du premier ministre?

M. Whyte: Je ne voudrais pas douter un instant de l'évaluation qu'il a faite de la situation référendaire le 23 octobre, soit la veille du jour où il a fait cette promesse la première fois. Peut-être était-ce nécessaire de dire cela. C'était peut-être une des seules choses qu'il pouvait dire, et cela a peut-être été efficace, à savoir en nous causant à tous d'énormes problèmes pendant un certain temps.

Le sénateur Murray: Excusez-moi, professeur. Je ne songeais pas seulement au contexte de la campagne référendaire, même s'il était important. Mais, compte tenu de l'histoire du Canada, de l'histoire récente et moins récente, et de la nécessité de stabiliser la situation, l'engagement du premier ministre constitue-t-il une politique publique valable au plan de l'unité nationale?

Il n'a pas dit comment il s'y prendrait. Il n'a pas dit qu'il présenterait un projet de loi. En ce qui me concerne, cela avait l'air d'un énoncé de politique. Était-ce un bon engagement à prendre?

M. Whyte: Non. Si l'on ne tient pas compte de la précarité de la situation du moment, absolument pas. Cela revient à une modification unilatérale de la Constitution. Plus, c'est une modification extrêmement singulière de la Constitution, par un seul dirigeant politique, pour une raison politique qui se trouve, en fait, à nous tenir tous à coeur. Je n'en nie pas l'importance.

Je ne crois pas que le premier ministre du Canada devrait à la fois proposer et mettre en oeuvre, comme il l'a fait, une politique constitutionnelle. Il avait le pouvoir légal de la mettre en oeuvre, comme nous venons de le découvrir.

Le sénateur Murray: Est-ce souhaitable, au Canada et pour le Canada, que sept provinces représentant 50 p. 100 de la population et, bien sûr, le gouvernement fédéral puissent modifier la Constitution en ce qui a trait à la place du Québec dans la fédération sans l'accord du Québec?

M. Whyte: Je crois que la modification constitutionnelle proposée en 1982 est passable pour le Canada, étant donné que le Canada comprend le Québec. J'accorde énormément d'importance à la disposition de retrait pour la protection complète des intérêts du Québec. Cela ne constitue pas, toutefois, une protection complète de l'ensemble appelé Canada que le Québec a peut-être créé selon une version révisionniste de l'histoire, mais une version révisionniste utile, à mon avis.

Il s'agit d'une modification qui mine l'étiologie binationaliste fondamentale du Canada. Je ne sais pas quels ravages je cause à l'unité canadienne en disant cela, mais je crois que c'est une structure passable pour la réforme de la Constitution canadienne.

Le sénateur Murray: Je vous remercie d'une déclaration aussi franche, professeur Whyte, car elle veut tout dire. Ce que vous nous dites, c'est qu'on devrait pouvoir réduire le nombre des sénateurs et des juges de la Cour suprême revenant au Québec ou procéder à d'autres modifications touchant au Québec...

M. Whyte: On ne peut évidemment pas faire cela.

Le sénateur Murray: Je n'en suis pas sûr.

M. Whyte: La composition et l'unanimité...

Le sénateur Murray: Vous savez mieux que moi que les juristes ne s'entendent pas là-dessus.

M. Whyte: J'essaie de sauver ma position des exemples énormes que vous lancez ici.

Le sénateur Murray: Il est fondamental de savoir si sept provinces représentant 50 p. 100 de la population et le Parlement, bien sûr, devraient pouvoir enlever au Québec des sièges au Sénat et peut-être à la Cour suprême et apporter d'autres modifications touchant au Québec sans le consentement du Québec.

Cela explique peut-être en partie l'autre déclaration que vous avez faite, à savoir que le veto a moins d'importance que, par exemple, la reconnaissance de la société distincte.

M. Whyte: Je tiens à dire que cela l'explique probablement en tant que vérité psychologique. Ce que je veux, c'est distinguer les deux déclarations et dire que, en matière de grande politique, une formule d'amendement devrait respecter la démocratie et le fédéralisme - c'est-à-dire la majorité de la population dans la majorité ou les deux tiers des provinces - et ne prévoir aucun veto binationaliste, ni régionaliste. C'est une façon de concevoir l'art de gouverner.

Ce que je prétends, en outre, c'est que ce n'est pas important pour le Québec. J'ose croire que cela ne vient pas seulement de mes préférences en matière de grande politique, mais découle d'une analyse politique - de dilettante, je l'avoue - des fondements du nationalisme québécois.

J'ignore si vous serez d'accord avec moi pour dire que le nationalisme québécois repose sur la reconnaissance de la nécessité pour le Québec de pouvoir se développer aux plans politique, social, économique, et de conclure peut-être des arrangements irréguliers et nouveaux en vertu de la clause de la société distincte.

Je suis plutôt en faveur du caractère distinct du Québec. Je crois qu'il est conforme aux aspirations du Québec que le caractère distinct du Québec soit reconnu comme un pouvoir plutôt que comme un moyen de défense.

Le sénateur Murray: Nous sommes deux non-Québécois, vous et moi, en train de discuter des aspirations du Québec. Non, je ne suis pas d'accord avec vous. Je comprends les points que vous faites valoir au sujet de la société distincte et d'autres choses du genre, mais je crois que, compte tenu des tendances démographiques actuelles et de tout le reste, il est vital pour le Québec que sa place soit assurée dans la Confédération, en ce qui concerne les institutions nationales, par exemple.

Si je vous ai bien compris, selon vous, le Canada devrait être maintenu sans changement à la Constitution - d'autres changements pourraient être faits. J'ai de sérieux doutes à ce sujet. J'aurais aimé en discuter avec M. Petter ce matin, mais d'autres l'ont fait.

Daniel Johnson aurait peut-être gagné les élections en 1994 si le gouvernement fédéral avait fait telle ou telle chose ou s'il n'avait pas fait autre chose. Mais tout ça, c'est du passé. Si Daniel Johnson avait remporté les élections, il n'y aurait pas eu de référendum. Les séparatistes auraient pu remporter le référendum si les choses s'étaient passées autrement.

Le sénateur MacEachen: Il aurait fallu faire de la petite politique.

M. Whyte: Pas nécessairement.

Le sénateur Murray: Il aurait fallu faire de la très petite politique, mais de toute façon, tout ça, c'est du passé.

M. Whyte: Vous avez raison.

Le sénateur Murray: La réalité, c'est que le Parti québécois est actuellement au pouvoir au Québec. On a eu un référendum. De 1980 à 1995, les fédéralistes ont perdu beaucoup de terrain. Ils ont perdu des voix. Je suis de ceux qui croient que les 49 p. 100 qui ont voté OUI ne sont pas nécessairement des séparatistes à tout crin.

C'est évident qu'un bon nombre sont des fédéralistes découragés qu'il faut ramener dans nos rangs. Si les politiques économiques et sociales - dont M. Petter a discuté ce matin - ou d'autres politiques du gouvernement fédéral avaient été différentes, on aurait peut-être pu y parvenir entre 1993 et 1995. Je sais toutefois que ce ne sont pas les politiques sociales et économiques du gouvernement fédéral, quels que soient leurs défauts, qui ont amené 94 p. 100 des Québécois à aller voter le 30 octobre. Ce ne sont pas les politiques sociales et économiques qui font perdre du terrain au fédéralisme.

Je suis convaincu que, si l'on ne fait aucune modification constitutionnelle, les gens qui ont voté NON cette fois-ci voteront OUI la prochaine fois. C'est mon idée de l'opinion publique au Québec; vous en faites ce que vous voulez.

Je crois qu'une modification constitutionnelle, une mesure d'ordre constitutionnel, doit être adoptée par le reste du Canada. Je ne suis pas plus sûr que le premier ministre semble l'être qu'une initiative du gouvernement fédéral fonctionnerait. Hier, j'ai entendu le premier ministre Romanow dire qu'il fallait faire quelque chose. Il a dit: «Nous voulons que vous, le gouvernement fédéral, fassiez quelque chose.» Ma réaction à cette demande est de lui demander de sonder ses homologues provinciaux et de voir ce qu'ils peuvent faire ensemble.

M. Whyte: Je crois qu'il l'a fait au moment de quitter Yorkton. Ils n'ont pas réagi avec autant d'enthousiasme qu'il l'avait espéré.

Le sénateur Murray: Il a donc demandé au gouvernement fédéral de s'en charger.

Je reviens à ce que vous disiez, soit que nous pourrons poursuivre des changements graduels dans la politique et l'administration. Je ne crois pas que ce soit là l'univers dans lequel nous évoluons actuellement, professeur Whyte. Je crois qu'actuellement, M. Bouchard attend de voir ce que nous ferons. Il sait qu'il y aura une conférence en 1997. Il sera très heureux de retourner parmi les siens en disant: «Ils n'ont pas réussi.» Par contre, si nous faisons une proposition tentante pour les fédéralistes du Québec, il sera sur la défensive.

M. Whyte: Comme votre question me met au défi de me justifier quand je dis qu'on peut vivre sans modifier la Constitution, je tiens à préciser que, dans ma première proposition, je n'encourageais ni ne favorisais d'aucune façon ce scénario. Au contraire, je crois qu'une modification constitutionnelle pourrait constituer un changement d'importance capitale dans le développement politique de notre pays et que le premier ministre a tort de rayer cette option de la liste sous prétexte qu'elle lui a fait perdre la sympathie d'une partie des Canadiens. C'est peut-être vrai, mais il a eu tort de rayer cette option de la liste.

En outre, je crois qu'il faut absolument aller de l'avant avec une modification constitutionnelle qui porterait sur la relation entre le Québec et le Canada. Je ne suis pas heureux à l'idée qu'il n'y ait pas de modification constitutionnelle. J'ai seulement dit à la blague que nous pourrions vivre sans faire de changements. J'essaie de faire valoir que le projet de loi C-110 sera extrêmement coûteux. Je dis donc - et je me trompe peut-être - que nous pourrions vivre sans modifier la Constitution, mais je ne le crois pas vraiment.

Le sénateur Murray: Qu'en penseriez-vous si le gouvernement avait, à la suite de l'engagement que le premier ministre a pris à l'endroit du Québec, présenté un projet de loi donnant un droit de veto au Québec seulement? Serait-ce plus acceptable pour vous?

M. Whyte: Si le projet de loi prévoyait une disposition de temporarisation, ou s'il était tout à fait clair qu'une telle disposition allait être prise dans le processus d'examen de 1997 ou lors d'un changement de gouvernement au Québec - s'il y a toujours une province du Québec après le régime péquiste, ce que la plupart d'entre nous espèrent fortement - à cette condition, oui, je crois que cela aurait été préférable. Je crois que cela aurait été considéré comme une certaine consécration d'une stratégie que le premier ministre aurait jugé prudent d'adopter - probablement avec raison - dans le contexte du référendum. Je crois que les Canadiens auraient accepté cela. Je ne crois pas que les Canadiens soient intéressés à lui nuire ou à réduire sa crédibilité pour la prochaine campagne. Si vous faites un tel changement, qui est d'ordre constitutionnel et passablement important, nous pourrons tous dès lors commencer à poser des questions du genre que le sénateur Andreychuk a posées, à savoir si c'est le rôle d'un premier ministre.

Le sénateur Murray: Ce qui m'inquiète, c'est que, s'il y a un autre référendum et que nous n'avons encore rien à proposer à ce moment-là, ce sera la fin.

M. Whyte: Sénateur, vous posez une question qui dépasse les limites du projet de loi C-110. Vous demandez en fait comment nous devrions réagir au nationalisme québécois. Premièrement, il faut s'assurer que les intérêts du Québec soient protégés dans les instances nationales comme le Sénat, la Cour suprême et, en général, je suppose, le fédéralisme exécutif. Deuxièmement, il faut avoir une stratégie axée sur la société distincte ou donner du pouvoir aux dirigeants politiques du Québec. Troisièmement, il faut favoriser le développement de structures sociales et économiques plus solides. Vous avez cru que ce dernier élément n'était pas important, sénateur. Vous avez peut-être pensé que le deuxième élément n'était pas aussi important que le premier. Je tiens à dire que je crois que ces trois éléments sont importants.

Par exemple, je crois que les politiques nationale, sociale et économique, y compris le voyage d'Équipe Canada et l'élaboration de normes pour le Transfert social canadien, sont d'importance capitale pour l'unité du pays. Je crois qu'il importe de préserver la position du Québec dans la politique nationale. Je maintiens toutefois que l'élément le plus important, et de loin, de la politique sur l'unité nationale axée sur le Québec est la reconnaissance de la société distincte.

Le sénateur Murray: Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de l'union économique et sociale. Comme vous le savez, au cours des 18 derniers mois, des écrits très intéressants ont été publiés quant aux réformes possibles, certaines des propositions ne nécessitant pas de changement dans la Constitution. Un livre a été écrit par Tassé, Robertson et Lenihan et un autre par André Burelle et Gordon Gibson. On y trouve toutes sortes de formules très intéressantes pour la gestion de l'union sur les plans économique et social. Selon moi, ces solutions auraient du sens tant pour les Québécois que pour les autres Canadiens.

Il est inutile d'éviter le sujet que je considère comme l'essence du problème québécois, soit la reconnaissance dans la Constitution du caractère distinct du Québec, comme vous dites, et la sécurité de sa position dans la Confédération, et c'est de cela qu'il s'agit quand on parle de droit de veto.

Le sénateur Marchand: Monsieur le président, comme le professeur ne me connaît pas, je crois que je devrais m'identifier avant de faire des observations ou de poser des questions. Je suis un Indien de la bande Okanagan et j'ai été élevé dans une réserve.

Je ne sais trop si je dois m'inquiéter ou non après avoir entendu vos observations. Je crois comprendre que vous trouvez que le projet de loi C-110 risque de constituer une entrave importante aux modifications constitutionnelles touchant les intérêts des autochtones. Historiquement, les modifications constitutionnelles n'ont jamais eu beaucoup d'importance pour les premières nations. D'après moi, le changement le plus important qu'on ait jamais fait à notre égard depuis la Confédération est celui qui nous a donné le droit de vote aux élections fédérales, en 1960. Cela n'exigeait pas de modification constitutionnelle. Voilà pour ce qui est de l'histoire. Cependant, l'article 35 fait certainement mon bonheur. Je suis de ceux qui croient qu'il est très avantageux. Je crois que, fondamentalement, depuis la Proclamation royale de 1763, c'est la mesure législative la plus importante qu'on ait jamais adoptée à notre égard.

Cela étant dit, je ne souhaite évidemment pas que quoi que ce soit vienne nuire aux progrès accomplis par mon peuple, et surtout pas par voie constitutionnelle. Je veux que nous soyons à la table constitutionnelle chaque fois qu'on discutera de quelque chose qui peut influer sur notre vie. Je veux que mon peuple y soit pour que nous puissions obtenir la meilleure entente possible. Nous nous battons maintenant par la voie législative. Nous livrons beaucoup plus de combats maintenant qu'il y a 30 ans.

Quelle pourrait être la solution au projet de loi C-110 à votre avis? Une simple disposition de non-dérogation pourrait-elle faire l'affaire? J'ai relu dernièrement l'Accord de Charlottetown et je me suis aperçu qu'il était plein de dispositions de non-dérogation. Serait-ce la solution?

M. Whyte: Non. Le ministre Irwin et le ministre Rock ont raison quand ils disent que le projet de loi C-110 ne peut pas, en soi, entraver les droits des autochtones tels qu'établis au paragraphe 35(1) de la Constitution. Il ne pourra pas influer sur les tribunaux quand ils commenceront à interpréter les droits des autochtones ou les pouvoirs fiduciaires découlant de Garret et Sparrow. Le projet de loi C-110 ne changera rien à cela. Tout ce qu'une disposition de non-dérogation peut dire, c'est que cette mesure ne doit aucunement diminuer ou entraver les droits conférés en vertu d'autres sources.

La menace que représente le projet de loi C-110 à l'égard des intérêts des autochtones, c'est la même menace que représente l'incapacité d'une nation de garantir les intérêts de ses peuples autochtones au moyen de modifications constitutionnelles. Cela peut se produire de deux façons. Cela pourrait être une situation particulière au Québec, c'est-à-dire que l'application des dispositions constitutionnelles reconnaissant les pouvoirs politiques des autochtones pourrait, en soi, devenir un outil agissant contre l'autonomie gouvernementale du Québec - disons à tout le moins que les efforts faits par les collectivités autochtones pour obtenir leur propre autonomie gouvernementale pourraient nuire aux efforts du Québec dans le même sens.

Il se peut que, si la séparation du Québec s'avère inévitable, les autochtones du Québec, et peut-être aussi le gouvernement du Canada, tentent de garantir le droit à l'autonomie gouverne- mentale des autochtones. L'un des moyens mis à leur disposition pour ce faire serait de renforcer les droits acquis par ces collectivités en matière d'autonomie gouvernementale de façon qu'ils satisfassent davantage aux normes internationales relatives à l'autodétermination politique. C'est une conséquence qui ne serait visible que pour les initiés, mais cela reste une conséquence indéniable.

L'autre façon - dans la mesure où une collectivité autochtone du Canada voudrait se voir garantir ses acquis en matière d'autonomie gouvernementale, c'est-à-dire si une collectivité trouvait que la parole du ministre, c'est très bien en août 1995, mais qu'il faudra éventuellement des garanties plus solides - serait que les ententes conclues constituent en soi des traités en vertu du paragraphe 35(1) et soient ainsi protégées par la Constitution. Supposez que nous voulions ce genre de proposition.

En fait, les Inuit, les premières nations, les Métis de l'Ouest et les Indiens non inscrits sont tous intervenus à Toronto, lors de la conférence des premiers ministres de 1994, pour obtenir exactement ce genre d'amendement à l'article 35. Nous savons que ce n'est pas au programme, dans le climat politique actuel, mais c'est certainement une possibilité. Je dis seulement que cela devient très improbable.

En fait, ce que vous demandez, c'est: «Advenant que le projet de loi C-110 crée des coûts ou des entraves à long terme relativement à l'acquisition de pouvoirs politiques plus fermes par les collectivités autochtones, comment on peut contrer cette difficulté?» Mis à part la disposition de temporisation, je ne suis pas sûr qu'après un bout de temps, nous aurons un répit et que nous pourrons revenir aux discussions constitutionnelles normales, ou à ce que nous aurons conçu en 1997 ou à ce que nous pourrons concevoir si le prochain gouvernement du Québec n'est pas péquiste.

Le sénateur Beaudoin: Je veux faire valoir un autre élément, après ce débat entre le sénateur Murray et vous.

Je suis originaire du Québec et je suis ce débat de près depuis 1970. Il y a trois choses qui n'ont pas changé au Québec. Les Québécois s'intéressent au partage des compétences. Les Québécois veulent avoir une certaine reconnaissance, qu'on en parle en utilisant l'expression «société distincte» ou autrement. C'est tellement évident; ce sont les simples faits. La troisième chose, c'est l'acquisition d'un droit de veto, qu'on réclame depuis 1927. Il y a un autre élément qu'il faut mentionner dans la discussion. Le sénateur Rivest et le professeur Tremblay en ont d'ailleurs parlé ce matin. Les Québécois disent qu'ils veulent une protection. Évidemment, l'une des meilleures protections qui soient, c'est le droit de veto. Le professeur Tremblay a fait une distinction entre un droit de veto qui est purement statutaire et le droit de veto constitutionnel. C'est un point important.

Ensuite, il faut penser que beaucoup de fédéralistes croient que le droit de veto est une bonne chose. Toutefois, quand vient le temps de modifier le partage des conséquences, ce droit peut poser un problème, dans le sens que les autres régions du pays ont aussi un droit de veto. Je ne vois qu'une solution à ce problème. Il se peut qu'il n'y en ait pas, mais j'entrevois une solution possible. Quand le premier ministre a dit qu'on n'enlèverait jamais des pouvoirs du Québec sans le consentement du Québec, il disait quelque chose de très positif. Nous ne retirerons jamais, ni ne diminuerons ou mettrons de côté, sans son consentement, un droit actuellement reconnu au Québec. En tant que Québécois, c'est le droit de veto que je voudrais avoir. Je pense que c'est logique et le Québec est la seule province qui soit en position de dire qu'il y a une certaine logique à cela. Je voudrais faire une exception en ce qui concerne les autochtones, car leur situation est très différente. Dans une démocratie, ces deux veto peuvent très bien fonctionner.

Toutefois, on me dit tout le temps que c'est impossible. Voilà 25 ans que nous traitons des mêmes problèmes. Si nous accordons ceci à une province, nous devons l'accorder également aux autres provinces. Il n'y a pas de fin au débat. Nous devons voir les faits tels qu'ils sont. Le Québec est distinct. Ou bien vous faites une place au Québec dans la Constitution, de sorte qu'il sente que son caractère distinct est protégé, ou bien le Québec affirmera son caractère distinct en dehors du Canada. C'est l'un ou l'autre. Il n'y a pas d'autre solution, à mon avis, pour une société distincte.

La formule de modification est beaucoup plus compliquée, mais nous devons trouver une forme de protection pour le Québec. Peu m'importe que l'on appelle cela un veto ou une clause de protection, pourvu que ce soit là. Nous devons innover. Sinon, nos efforts n'aboutiront pas plus qu'ils ne l'ont fait dans le cas de l'Accord du lac Meech ou de l'Accord de Victoria. Nous devons trouver une autre solution à ces questions.

Vous dites que la Cour suprême n'est peut-être pas protégée. Je crois que l'article 41 couvre cette question, mais je n'en suis pas absolument certain. Toutefois, vous n'arriverez jamais à garder le Québec au sein de la Confédération s'il n'est pas protégé par le tribunal de dernière instance qui a le droit d'interpréter la Constitution canadienne. Je crois qu'un tiers est un chiffre approprié.

Pour ce qui est d'un Sénat égal, je préférerais de loin ne pas avoir de Sénat du tout qu'un Sénat tout à fait égal.

Il y a aussi la question de la création de nouvelles provinces. Je sais que c'est une chose que redoutent les Québécois. Ils la redoutent car aujourd'hui, ils sont un de dix. Il se peut que demain, cette proportion soit de 1 de 12 ou 13. Ce n'est pas impossible et, en fait, cela pourrait arriver dans un avenir proche. Nous ne devons pas oublier que, dans ce cas, cela changera complètement la formule de modification. Si jamais le Canada se compose un jour de 15 provinces, ce qui est une possibilité, la formule de modification sera complètement différente.

J'aimerais connaître votre réaction à mes remarques.

M. Whyte: Ma première réaction porte sur une chose que vous avez dite en passant. Vous avez dit qu'il y avait certains impératifs quant à une plus grande reconnaissance du pouvoir politique du Québec dans le partage des pouvoirs, à savoir reconnaître son statut de société distincte et le droit de veto qu'elle détenait depuis 1927.

Vous avez dit qu'il existait une différence entre un droit constitutionnel et un droit de veto prévu par une loi.

Le sénateur Beaudoin: Je crois que c'est le professeur Tremblay qui a dit ça.

M. Whyte: À mon avis, il n'y a pas de différence. Si le projet de loi C-110 est adopté, les impératifs politiques l'entourant sont tels que ce sera une mesure à très long terme, inabrogeable et impossible à ignorer...

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi dites-vous cela?

M. Whyte: Je ne crois pas qu'un autre changement constitutionnel sera possible en vertu de cette formule particulière. Ou si c'est possible, ce sera très difficile. La formule pour l'apport d'autres changements constitutionnels consiste en tous cas en l'unanimité. La formule adoptée sera probablement celle exposée dans la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est une formule qui peut marcher mais, nous ne pouvons pas à un point donné déclarer que nous retournons à la partie V dans sa forme antérieure et éliminer tous les veto. On peut difficilement imaginer une situation tellement catastrophique et urgente que la volonté nationale soit de dire: «Éliminons les veto.»

Le sénateur MacEachen: Mais vous n'avez pas à le faire.

M. Whyte: Ne devons-nous pas imaginer une telle situation?

Le sénateur Carstairs: Vous n'avez pas à éliminer les veto.

Le sénateur MacEachen: J'ai suivi avec attention ce débat et les arguments du professeur Whyte. Je pense qu'il voit quelque chose de rigide dans cette mesure, alors que ça n'est pas le cas. Quand il dit, d'un ton dogmatique, qu'elle ne sera jamais abrogée, je ne le crois pas.

Le sénateur St. Germain: Sénateur MacEachen, je dois dire que je suis d'accord avec lui.

Le sénateur MacEachen: Changez de gouvernement. Mettez Preston Manning au poste de premier ministre aux prochaines élections.

Le sénateur St. Germain: Le ciel nous en préserve!

Le sénateur MacEachen: Peut-être que, dans ce cas, cette mesure ne sera pas abrogée.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être désirez-vous poursuivre, professeur Whyte?

M. Whyte: J'ajouterai à l'intention du sénateur MacEachen, qui me reproche mon ton dogmatique que si aux prochaines élections, les Canadiens pensent que la première action de Preston Manning sera d'abroger cette mesure, ils ne voteront certainement pas pour lui. Au fond, les Canadiens ne veulent pas que l'unité soit détruite et nous savons tous, je crois, que c'est le coût à payer en cas d'abrogation.

Le sénateur MacEachen: À mon avis, les Canadiens n'ont aucune idée de ce qu'est le projet de loi C-110. Je regrette que nous ne disposions pas d'un peu plus de temps pour en discuter.

M. Whyte: Pour revenir au sénateur Beaudoin, vous avez raison de dire que ma présentation est fondée sur un sens des impératifs politiques qui se font jour dans les nations complexes aux communautés multiples. Quand vous établissez un droit aussi fondamental et protecteur que celui-ci, il ne s'agit pas de l'éliminer par la suite. Et je le dis sur un ton dogmatique.

Le sénateur MacEachen: Cette mesure a pour but de contrôler le comportement des ministres. C'est tout. Elle ne promet rien à personne. Elle a simplement pour but de guider le comportement des ministres, un point, c'est tout.

M. Whyte: Je ne suis pas d'accord.

Le sénateur Beaudoin: N'oubliez pas que Clyde Wells a révoqué une résolution constitutionnelle.

M. Whyte: N'oubliez pas que les impératifs politiques qui ont conduit Clyde Wells n'étaient pas ceux qui viennent avec une fonction nationale. Il y a pour chaque fonction des impératifs politiques et un électorat dont il faut tenir compte.

Le sénateur MacEachen: L'analyse est irréelle. Vous parlez ici d'énormes impératifs politiques et le Parti conservateur est en train d'essayer de déterminer si ce projet de loi doit être rejeté ou non.

Le sénateur Rivest: Non, pas du tout. Nous sommes seulement en train de poser des questions.

Le sénateur MacEachen: Le sénateur Murray décidera s'ils rejetteront ce projet de loi.

Le sénateur Rivest: Nous pourrions le faire.

Le sénateur St. Germain: Nous pourrions le faire.

Le sénateur MacEachen: Qu'il soit adopté ou défait, quels sont les grands impératifs politiques en cause? Ils ont encore toutes leurs options. Peut-être le déferont-ils? Quel grand impératif politique!

Le sénateur Beaudoin: Ma question demeure.

M. Whyte: À mon sens, il n'y a pas une grande différence entre un veto inscrit dans une loi et un veto inscrit dans la Constitution, mais je pense que les nationalistes québécois verront qu'une décision a été prise. Ce que le sénateur MacEachen disait du sujet du projet de loi - sa faiblesse, la possibilité de le contourner ou de l'abroger et son caractère provisoire - est précisément ce qui enlève toute efficacité au projet de loi dans le débat sur l'unité nationale. En fait, je pense que les nationalistes québécois se trompent lorsqu'ils croient qu'il ne veut rien dire, qu'il n'est que le résultat d'une vague promesse lancée à la légère par le premier ministre Chrétien à Verdun et qu'il peut être abrogé demain matin. Le projet de loi veut dire beaucoup plus que cela.

Le sénateur MacEachen: Je pense qu'il veut dire plus, mais pas autant que vous semblez le croire.

M. Whyte: Il signifie beaucoup, mais en termes de volonté d'appartenance à la nation canadienne, il signifie très peu.

Je voudrais en deuxième lieu dire quelque chose au sénateur Beaudoin au sujet de l'importance du droit de veto du Québec. J'ai déjà dit au sénateur Murray que, selon les règles de l'art du bon gouvernement, prises dans un sens large, sans références historiques, un droit de veto n'est pas un droit dont on peut se réjouir. Un tel commentaire de la part d'un Canadien est peut-être irréaliste au point de choquer. Dans son discours, le sénateur Beaudoin a clairement cerné le sujet de préoccupation. Il ne s'agit pas ici du besoin d'opposer un veto au développement politique du Canada ou d'en prendre la direction, mais du besoin d'être protégé. Il y a une différence entre la nécessité d'avoir un droit de veto et la nécessité d'être protégé.

Je reconnais que le paragraphe 38(2) ne protège pas suffisamment les intérêts du Québec, certainement pas de la façon dont le sénateur Murray l'a expliqué à l'égard du Sénat. Il ne protège que son pouvoir de légiférer et de gouverner. Je crois que nous devons trouver le moyen de convaincre la classe politique québécoise que rien de ce qui la définit et lui permet de fonctionner n'est à la merci d'une tyrannie de la majorité nationale.

Le sénateur Beaudoin: C'est en plein cela.

Le sénateur Murray: Il faut alors passer par la Constitution.

M. Whyte: Bien sûr, et il y aura alors une province qui n'est pas égale aux autres et M. Petter opposera son droit de veto. Si je restais sur ma position férocement opposée au projet de loi C-110, ce que je ne devrais probablement pas faire, ces assurances ne devraient pas être données dans la Constitution après l'adoption du projet de loi C-110.

Le sénateur MacEachen: Je regrette d'être intervenu dans la discussion. Je devrais respecter davantage l'analyse du professeur Whyte.

M. Whyte: Ce ne serait pas du tout correct.

Le sénateur MacEachen: J'ai eu ce genre de discussion avec d'autres témoins qui ont une opinion tout à fait différente sur le projet de loi C-110, dont le professeur Tremblay, ce matin, et le professeur Pelletier, hier après-midi. Je voudrais vous interroger au sujet d'un passage de votre exposé, celui où vous dites que, selon mon interprétation et selon les explications du ministre, le seul effet du projet de loi serait de réglementer la conduite des ministres.

M. Whyte: Oui.

Le sénateur MacEachen: La Constitution permet encore à une province ou à un groupe de provinces de présenter des modifications constitutionnelles. Elles pourraient le faire. Selon la formule actuelle, elles pourraient présenter une modification constitutionnelle légitime et le Parlement du Canada serait libre de l'accepter ou pas. C'est ce que je crois.

M. Whyte: Si une seule province présentait une résolution aux termes de l'article 43, ou si un groupe de provinces en présentaient une aux termes de l'article 38, la Constitution ne serait modifiée que si la Chambre des communes et le Sénat adoptaient une résolution en ce sens.

Mais d'où viendrait la résolution? Si je comprends bien le fonctionnement du Parlement, une résolution doit nécessairement émaner de l'une des deux Chambres. La résolution devrait nécessairement être présentée au Parlement. La question est de savoir si on se conformerait à l'esprit et au texte du projet de loi C-110 si une résolution était présentée par quelqu'un d'autre qu'un ministre après que le parti au pouvoir ait indiqué son intention d'appuyer cette résolution. C'est là un scénario précis. Si une personne qui n'est pas visée par le projet de loi C-110 présente une résolution et que le parti au pouvoir a l'intention de voter en faveur de cette résolution, le projet de loi a-t-il été violé?

Le sénateur MacEachen: Supposons que le premier ministre a travaillé d'arrache-pied pour inclure une disposition sur la société distincte dans la Constitution, mais a été incapable d'obtenir le très large consensus prévu dans le projet de loi C-110.

Cependant, le premier ministre de l'Ontario ou le premier ministre du Québec pourrait enclencher le processus de modification constitutionnelle. Le premier ministre du Canada, déjà favorable à la proposition, pourrait dire qu'il ne peut pas obtenir le consensus, mais qu'il pourra appuyer cette proposition lorsqu'elle sera devant le Parlement sans manquer à l'obligation que lui impose le projet de loi C-110.

M. Whyte: S'il peut trouver quelqu'un pour présenter la proposition.

Le sénateur MacEachen: Il pourrait demander au chef de l'opposition ou, peut-être, à un sénateur. C'est mon argument.

M. Whyte: C'est un scénario intéressant. Il y a deux arguments contraires. Il me semble que, si le gouvernement du Canada préconisait une résolution et ne la présentait pas parce que le projet de loi C-110 l'en empêche, mais qu'il manigançait pour la faire présenter par quelqu'un d'autre, il irait tellement à l'encontre de l'esprit du projet de loi C-110, qu'il s'exposerait à des poursuites devant les tribunaux.

Le deuxième argument est le suivant: nous pourrions changer ou pas le scénario. Par exemple, si une modification sur la réforme du Sénat ou des programmes sociaux avait l'appui de tous, mais pas du Québec, nous pourrions aller de l'avant.

La question est de savoir si le gouvernement s'associera à une mesure qui envoie un seul message, soit qu'il n'y a aucun droit de veto dans la Constitution.

Le Québec n'a pas de droit de veto.

Le sénateur MacEachen: Dans mon scénario, le Québec appuie la modification constitutionnelle.

M. Whyte: Voulez-vous dire que, dans votre scénario, le Québec ne se rendrait pas compte que, en passant outre au droit de veto de la Colombie-Britannique, il affirmerait qu'il ne juge plus le projet de loi C-110 contraignant parce qu'il trouve pratique de ne pas s'y conformer, démolissant ainsi purement et simplement le droit de veto?

Le sénateur MacEachen: Non. Depuis que je siège au Parlement, les ministres de la Justice successifs et les fonctionnaires du ministère de la Justice m'ont toujours dit que la loi dit ce qu'elle dit, que l'on ne peut pas en étendre la portée en invoquant l'esprit de la loi ou des enjeux politiques. Le projet de loi dit qu'un «ministre ne peut pas». Est-ce que je me trompe?

M. Whyte: Cela dépend du document. Nous accordons beaucoup d'importance à l'esprit de certains documents. Il est possible que le projet de loi soit vu comme un expédient temporaire et que, sans égard à sa nature intrinsèque, il n'ait pas un statut constitutionnel et soit pris sous un angle technique. C'est très possible.

Le sénateur MacEachen: Merci pour votre analyse.

Le sénateur St. Germain: Le sénateur MacEachen met en lumière un danger du projet de loi: ce que les ministres ne peuvent pas faire, quelqu'un d'autre peut le faire, et cela pourrait encore détériorer la situation du Québec. En ce moment, le Canada attend quelqu'un qui fasse preuve de leadership. Si nous coupons l'herbe sous le pied des ministres qui assument ce leadership et prennent les initiatives exigées par la loi, il y a lieu, à mon sens, d'avoir peur.

Ma question a trait aux régions, telles qu'elles apparaissent dans le projet de loi. La délimitation des régions s'était imposée dès le départ. Puis, tout à coup, ma province a lancé de hauts cris en exigeant d'être reconnue comme formant, à elle seule, la région du Pacifique. Nous avons donc maintenant une nouvelle région et un toute nouvelle donne.

Que pensez-vous de ce nouvel accès de régionalisme au Canada? J'aimerais que vous nous disiez, succinctement, si vous préconisez l'inclusion d'une clause de temporisation ou d'une clause de blocage dans le projet de loi.

M. Whyte: L'ajout de la Colombie-Britannique est indéniablement un reflet des prévisions démographiques pour le Canada. En raison de l'augmentation prévue de sa population, la Colombie-Britannique aurait détenu à elle seule le veto de l'Ouest vers l'an 2010. Les provinces des Prairies devraient se réjouir du fait que la Colombie-Britannique forme maintenant une région à elle seule puisque cela leur permet de récupérer le droit de veto qu'elles auraient perdu au profit de cette province dans 15 ou 20 ans.

J'ignore si le fait que la Colombie-Britannique doive maintenant être reconnue comme étant une des trois provinces qui forment une région à elle seule marque une étape intolérable dans l'évolution de notre culture politique. À mon sens, ça ne l'est pas, je n'ai pas l'impression que la Colombie-Britannique appartient aux Prairies. Cependant, c'est là une observation qui n'a rien de scientifique.

La deuxième question avait trait à la réaction au projet de loi. L'idée qui sous-tend l'opinion du sénateur MacEachen, selon laquelle il s'agit d'une mesure illusoire, malléable et manipulable, est merveilleuse. Nous devrions trouver le moyen de le souligner autrement qu'en invoquant le terme de «ministre». Une clause de temporisation semble le meilleur moyen de le faire. C'est une mesure que nous avons prise en réaction à des événements qui appelaient une réaction. Nous devons poursuivre les discussions constitutionnelles sans nous laisser limiter par les contraintes actuelles.

À mon avis, les droits de veto ne sont pas, à long terme, les limites que nous devons imposer dans un pays comme le nôtre. Justifions le discours prononcé à Verdun par le premier ministre. Peut-être le mérite-t-il. Cependant, gardons-nous la possibilité de poursuivre le débat constitutionnel.

Le sénateur Carstairs: Ce qui m'inquiète avec une clause de temporarisation, c'est qu'une telle clause menace de faire tout simplement tomber le projet de loi, qui est un instrument brutal, si rien n'est fait en 1997 ... en ce moment, la seule obligation, c'est de tenir une conférence. J'aimerais vos commentaires là-dessus.

Ma première question a trait à votre affirmation selon laquelle ce qui importe le plus c'est la clause sur la société distincte. Le sénateur Beaudoin a déclaré qu'il y avait trois questions: la clause sur la société distincte, la répartition des pouvoirs et le droit de veto.

Ne croyez-vous pas que les initiatives du premier ministre, c'est-à-dire le projet de loi C-110, la motion sur la société distincte et les changements dans la formation de la main-d'oeuvre, prises conjointement, et aussi limitées soient-elles, constituent un bon premier pas de sa part?

M. Whyte: Pourriez-vous répéter les trois initiatives, s'il vous plaît?

Le sénateur Carstairs: Il y a les changements apportés par le projet de loi C-111 à la formation de la main-d'oeuvre, la motion sur la société distincte et le projet de loi C-110.

M. Whyte: Tout d'abord, je ne pense pas que 1997 soit une date butoir. Nous devrions laisser le paysage politique se modifier davantage - et je ne vise personne en particulier -, nous devrions attendre que la classe politique se soit renouvelée bien plus qu'elle ne l'aura été d'ici 1997.

Oui, une clause de temporarisation est une menace. Il me semble que si, en l'an 2000, nous ne pouvons pas trouver un moyen de mener un débat constitutionnel parce que nous ne nous faisons pas encore mutuellement confiance, peut-être faudrait-il à ce moment admettre que nous ne nous ferons jamais confiance. Donnons à tout le monde un veto sur les modifications constitutionnelles. Voyons si nous pouvons parvenir à des accords administratifs. Je ne veux pas dire ici que nous devrions nous acharner jusqu'à la fin des temps, mais nous devons nous donner plus qu'une année.

Est-ce que les changements dans la formation de la main-d'oeuvre constituent un bon premier pas? Je ne suis pas ici pour parler de la clause sur la société distincte. À mon avis, il s'agit là d'une idée politique visant à envoyer à la classe politique québécoise un message sur ses pouvoirs, son rôle, sa place et ses obligations.

La classe politique québécoise veut être plus forte et plus efficace. Elle ne tient pas à ce que la classe politique nationale soit meilleure; elle aimerait plutôt qu'elle empire. La clause sur la société distincte veut tout simplement dire que la classe politique nationale doit faire un meilleur travail. Le mouvement en faveur de la société distincte ne vise pas à encourager Ottawa à faire un meilleur travail; elle porte sur l'autonomie administrative, et je n'utilise pas cette expression en termes absolus ou pour désigner la sécession. La beauté de la clause sur la société distincte, c'est qu'elle reconnaît qu'il existe au Canada une classe politique possédant des caractéristiques qui méritent d'être reconnues sous forme de pouvoir politique, d'une forme indéfinie de pouvoir politique.

Cela ne se retrouve pas dans la motion adoptée en décembre. Compte tenu de l'effet des mesures en faveur de l'unité et des mesures nationalistes au Québec, je ne crois pas qu'il faille accorder trop d'importance à ces initiatives.

Le président: Professeur Whyte, au nom du comité, je vous remercie sincèrement de votre témoignage.

Le comité s'ajourne à 9 h 30, demain.

La séance est levée.


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