Aller au contenu
C110 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-110

 

Délibérations du comité spécial
du Sénat sur le projet de loi C-110

Fascicule 4 - Témoignages


Ottawa, le jeudi 25 janvier 1996

[Traduction]

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-110, auquel a été renvoyé le projet de loi C-110, Loi concernant les modifications constitutionnelles, se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Noël A. Kinsella (président) occupe le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin ce matin est M. Stephen Scott, professeur à la faculté de droit de l'Université McGill. Soyez le bienvenu, professeur.

M. Stephen Scott, faculté de droit, Université McGill: Je vous remercie, monsieur le président. Je suis très heureux d'être ici.

Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-110. Fondamentalement, ce projet de loi semble être une mesure de bonne foi, proposée en toute sincérité, pour dissiper les craintes qui ont été fréquemment exprimées au Québec depuis le «rapatriement» de 1982 et selon lesquelles, exception faite d'une modification par le biais d'une loi fédérale ordinaire, certaines modifications constitutionnelles - notamment celles qui n'exigent pas le consentement de toutes les provinces visées et, partant, auxquelles ne peut se soustraire une province visée - pourraient être apportées sans le consentement, voire à l'encontre de la volonté explicite du pouvoir exécutif ou législatif du Québec.

Pour dissiper ces craintes, on a prévu que le projet de loi, lorsqu'il aura force de loi, interdira la prise de certaines mesures visant l'adoption de telles modifications sauf «si la majorité des provinces y a clairement consenti», cette majorité devant comprendre, entre autres, le Québec. Pour des raisons essentiellement démographiques, le projet de loi place l'Ontario et la Colombie-Britannique dans la même position que le Québec. Pour ces mêmes raisons démographiques, il considère les quatre provinces de l'Atlantique et les trois provinces des Prairies collectivement, en exigeant, au sein de chaque groupe, le consentement d'au moins deux provinces représentant au moins 50 p. 100 de l'ensemble de la population du groupe.

Il s'agit là d'un compromis qui n'est pas très orthodoxe, mais qui n'est pas foncièrement déraisonnable. En effet, il s'inspire en gros de la répartition des sièges de cet endroit, qui existe actuellement et depuis 1867, entre les provinces, la principale différence étant principalement attribuable à la nouvelle situation de la Colombie-Britannique. Évidemment, les dispositions du projet de loi C-110 s'inspirent directement des diverses propositions constitutionnelles des années 1970 et 1980, sur lesquelles nous ne pouvons nous attarder aujourd'hui.

Personnellement, je polirais le projet de loi dans sa forme et, sans en modifier le principe, je retoucherais peut-être un aspect plus fondamental. Cependant, dans l'ensemble et compte tenu de toutes les circonstances, le projet de loi me semble une mesure acceptable, même si elle ne suscite pas un enthousiasme délirant.

Premièrement, pour ce qui est des détails, je signale que le mot «veto» semble s'inspirer de l'usage qui en est fait dans la Constitution américaine et qu'il est employé à mauvais escient à l'article 1. En vertu des articles 41 et 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, l'assemblée législative d'une province peut simplement refuser de souscrire à une proposition à laquelle elle s'oppose. Elle n'a pas à prendre de mesure pour s'y opposer; en fait, elle n'a même pas à étudier la proposition. Un «veto», par contre, est un acte positif, et le défaut d'agir a des conséquences juridiques. Il serait plus juste que l'article 1 fasse mention d'une modification à laquelle l'assemblée législative d'une province peut refuser de souscrire.

Deuxièmement, le projet de loi ne définit pas ce que signifie le «consentement» d'une province. Selon la presse, le ministre de la Justice semble vouloir que le gouvernement du Canada, ou peut-être les deux Chambres, conservent ainsi un certain pouvoir discrétionnaire par rapport à ce qui sera considéré comme le consentement d'une province. Le projet de loi ne confère toutefois aucun pouvoir discrétionnaire, d'après la langue courante, du moins. Aussi, les tribunaux pourraient fort bien décider, et j'en viendrais aussi à cette conclusion, que c'est à eux qu'il appartient de déterminer, en dernier recours, si une province a donné son consentement ou non. En s'appuyant sur la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, ils concluraient fort probablement que, aux fins de l'article 1, le consentement d'une province désigne le consentement de son assemblée législative, ou peut-être celui de son assemblée ou de son pouvoir exécutif.

L'aspect nébuleux de l'article 1 peut avoir de graves conséquences. La contestation de pareil aspect pourrait très bien compliquer ou retarder les mesures que le Parlement pourrait prendre à l'égard de propositions de modification - ou même menacer la validité des mesures prises antérieurement - dans des circonstances où la célérité et la certitude sont essentielles. Si le ministre souhaite vraiment un pouvoir discrétionnaire, je crois que ce dernier devrait être prévu explicitement dans le projet de loi C-110.

Comme plusieurs de mes étudiants me l'ont signalé, l'article 4 du Statut de Westminster de 1931 est un excellent exemple. Il a empêché que les lois impériales adoptées postérieurement s'étendent aux dominions, comme partie de leur législation, sauf dans certaines circonstances. L'article 4 n'exigeait pas une demande et le consentement du dominion visé, mais plutôt l'inclusion dans la loi impériale d'une déclaration précisant que le dominion avait demandé cette loi et consenti à ce qu'elle soit édictée. Par conséquent, c'était le Parlement impérial qui déterminait lui-même si un dominion avait présenté une demande et donné son consentement et, partant, ce qui était nécessaire ou suffisant. Sa conclusion, énoncée dans la loi, réglait la question.

Pour obtenir le même résultat dans le projet de loi C-110, on pourrait, par exemple, modifier l'article 1 en ces termes: «que s'il est déclaré dans la motion - par une disposition de préambule ou autre - que la majorité des provinces a consenti à la modification, cette majorité devant comprendre...», et cetera. De cette manière, c'est au Sénat et à la Chambre des communes qu'il appartiendrait finalement de décider si une province a donné son consentement et si celui-ci est suffisant. Cette approche me semble préférable.

Par contre, si on ne souhaite pas de pouvoir discrétionnaire, la loi devrait prévoir explicitement ce que l'on entend par le consentement d'une province, de manière que le gouvernement et les Chambres du Parlement puissent ensuite se conformer à la loi et le faire en ayant l'assurance que ses dispositions ont été respectées.

Je propose ces modifications respectueusement et en toute bienveillance, pour éviter que des problèmes ultérieurs ne découlent de la loi.

J'en arrive maintenant à l'aspect de la validité constitutionnelle. La question de savoir si, une fois adopté, le projet de loi C-110 sera valable au regard de la Constitution se pose inévitablement et elle est liée à ses mérites. On peut faire valoir des arguments pertinents pour contester la constitutionnalité du projet de loi C-110. Je crois toutefois que cette mesure sera adoptée en toute légitimité en vertu de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, à titre de modification des dispositions de la Constitution «relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes». Pareilles modifications constitutionnelles peuvent être apportées, sauf dans des cas précis, au moyen d'une loi fédérale ordinaire. Aussi, je ne pense pas que le projet de loi C-110 soit jugé inconstitutionnel sous prétexte qu'il contrevient à l'alinéa 41 e), qui exige, entre autres, le consentement unanime des assemblées législatives provinciales pour les modifications à la partie V proprement dite. La partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 traite de la procédure de modification de la Constitution. Pourquoi le projet de loi C-110 est-il constitu- tionnel?

Le projet de loi C-110 vise uniquement les ministres de la Couronne et seulement le fait de proposer - c'est-à-dire de présenter - une motion d'un certain type. S'il est adopté, le projet de loi C-110 n'empêchera pas la présentation d'une motion concernant une résolution visant à autoriser tout type de modification constitutionnelle à l'une ou l'autre des Chambres du Parlement - même sans le consentement d'une assemblée législative provinciale - par une personne autre qu'un ministre de la Couronne.

Qui plus est, une fois qu'une résolution visée par la mesure législative à l'étude a effectivement été présentée, chaque parlementaire de l'une ou l'autre des Chambres, y compris tout ministre de la Couronne, est parfaitement libre de voter en faveur de celle-ci, en vertu du projet de loi C-110. Ce dernier n'empêche nullement l'adoption de cette résolution. Et même si, en contravention de la loi, un ministre de la Couronne présentait une motion, il est probable que, une fois la Chambre saisie de la motion, l'origine de celle-ci deviendrait étrangère à l'objet de la loi, de sorte que, si elle était adoptée en bonne et due forme, cette résolution serait aussi valide que si elle avait été présentée comme il se doit par quelqu'un qui n'est pas ministre. Enfin, s'il est effectivement adopté en bonne et due forme en vertu de l'article 44, le projet de loi peut aussi, du point de vue légal, être abrogé par une autre loi fédérale ordinaire. Il ne sera nullement inclus dans la Constitution.

Tout cela ne vise pas à banaliser le projet de loi C-110, qui créera des attentes politiques réelles que l'on ne saurait traiter à la légère. Ces considérations me portent toutefois à croire qu'il ne s'agit pas d'une mesure visée par l'alinéa 41 e). En d'autres termes, même si le projet de loi C-110 vise indéniablement les mécanismes de modification - d'où son titre sans détours - en réalité, il ne change rien aux dispositions actuelles de la partie V. Si, en vérité, il ne modifie pas la partie V, bien qu'il concerne celle-ci d'une manière générale, le projet de loi C-110 n'a probablement pas besoin d'être adopté par le biais du consentement unanime.

L'établissement et l'organisation de nos institutions parlementaires actuelles reposent en grande partie sur des lois fédérales et provinciales ordinaires qui trouvent leurs justifications constitutionnelles principalement dans les articles 44 et 45 de la Loi constitutionnelle de 1982, même si les lois actuellement en vigueur peuvent avoir été adoptées à l'origine en vertu de dispositions constitutionnelles préalables ou d'autres pouvoirs. Comme les autres mesures législatives, les projets de loi, notamment, les résolutions visant des modifications constitutionnelles sont, en principe, adoptées par des institutions parlementaires qui ont été établies en vertu de lois pertinentes. Ainsi, on ne saurait mettre en doute le fait que le Parlement peut, en vertu de l'article 44, fixer au moyen d'une loi, le quorum de chacune de ses Chambres.

Pourquoi alors le Parlement n'augmenterait-il pas, s'il le juge opportun, le quorum des séances au cours desquelles sont adoptées des résolutions visant des modifications constitutionnelles? Le Parlement contreviendrait-il ainsi à l'alinéa 41 e) simplement parce qu'il prévoit une disposition un peu différente pour les travaux législatifs dans le cadre desquels on étudie ou on adopte des modifications constitutionnelles? Si une loi fédérale est une loi fédérale - ou, pour cette raison, si une loi provinciale est une loi provinciale - est-elle inconstitutionnelle simplement parce qu'elle traite expressément de l'adoption de résolutions concernant des modifications constitutionnelles? Il me semble que l'on accorde ainsi une trop vaste portée à l'alinéa 41 e). Selon moi, le projet de loi C-110 n'est pas pire qu'une loi imposant un quorum plus élevé pour ce type de travaux.

Pour conclure, je ferai quelques réflexions générales. Bien qu'il soit raisonnable d'essayer d'apaiser les craintes du Québec, nous ne devons pas accepter, et encore moins encourager ou perpétuer les mythes destructeurs qui présentent le processus de rapatriement de 1982 et la formule de modification qui en a résulté comme un outrage à l'endroit du Québec. Sauf pour ce qui est d'un détail qui n'est pas pertinent dans le débat actuel, nos mécanismes de modification établis en 1982 avaient été acceptés par le gouvernement du Québec alors en place.

À titre d'information, je mets à la disposition des honorables sénateurs des exemplaires, en anglais et en français, de l'étude que j'ai faite en 1986 pour la Commission royale d'enquête sur l'union économique et qui s'intitule «Le processus de modification de la Constitution au Canada: Mécanismes et perspectives», publiée dans le volume 57 des études de la commission, «Les dossiers permanents du fédéralisme canadien». La dernière partie, intitulée «Le Québec et le processus de modification de la Constitution», examine en détail les événements survenus à partir de 1981-1982. J'attire notamment votre attention sur le discours que M. Michel Gratton a prononcé à l'Assemblée nationale du Québec le 25 novembre 1981. Avec force, il explique exactement comment et pourquoi le gouvernement péquiste a accru ses exigences, justement pour rendre tout accord impossible et garantir ainsi l'isolement du Québec. Ce discours mérite d'être beaucoup mieux connu.

Le président: Je vous remercie, professeur Scott.

Le sénateur MacEachen: Merci de votre présentation, professeur Scott. La phrase qui termine l'avant-dernier paragraphe de la page 4: «Pourquoi le projet de loi C-110 est-il constitutionnel?», m'a intriguée. Je suppose que la réponse à cette question figure dans le prochain paragraphe.

M. Scott: Les raisons suivent, en effet.

Le sénateur MacEachen: Vous dites que, si le projet de loi visait d'autres personnes que les ministres, il pourrait être inconstitutionnel. Pourriez-vous expliciter cela un peu?

M. Scott: Si le projet de loi allait jusqu'à dire qu'il existe de véritables empêchements à l'adoption de certaines catégories de modifications constitutionnelles, bien qu'on dise, en l'occurrence, que ces questions ne peuvent être présentées à la Chambre à titre d'initiatives ministérielles ou par un député du parti ministériel, si le projet de loi disait qu'aucun député ne peut présenter pareil projet de loi, cela empiéterait sur la partie V. Cela constituerait-il un empiétement sur la partie V si l'on commençait à dire qu'une majorité absolue de l'ensemble des sénateurs et des députés était nécessaire pour adopter une modification de ce genre? Je crois que cela serait encore acceptable et - voilà le genre de question que je pose dans mes examens - qu'il en serait de même s'il était question de 60 p. 100 ou des deux tiers. Je laisse alors l'étudiant faire le raisonnement dans un sens ou dans l'autre, en s'appuyant sur la jurisprudence, le fond et la forme. À titre d'exercice universitaire, il est intéressant de voir jusqu'où on peut aller pour dépasser la limite et rendre la mesure inconstitutionnelle. C'est à cela que nous employons notre temps dans les facultés de droit. C'est un très bon exercice, mais j'en arrive tout simplement à la conclusion que, où que l'on tire la ligne, cela reste à l'intérieur de la constitutionnalité.

Le sénateur MacEachen: L'essentiel de votre présentation diffère, dans un sens, d'un certain nombre de témoignages que nous avons entendus jusqu'à maintenant. D'autres témoins ont une vision plutôt apocalyptique du projet de loi C-110, comme s'il allait devenir un obstacle de taille aux modifications constitutionnelles ultérieures, comme si le fait d'élever la barre pour le consensus allait s'avérer un obstacle dans l'avenir.

Ainsi, nous avons entendu hier des représentants autochtones qui craignent vivement que leurs aspirations futures, notamment dans toute démarche constitutionnelle visant à réaliser l'autonomie gouvernementale, ne soient menacées par cette exigence du projet de loi C-110.

Vous dites qu'il ne faut pas banaliser le projet de loi, et vous ne l'avez pas fait, mais vous l'avez peut-être porté un cran plus loin que la banalisation. Cet aspect de votre présentation m'intéresse.

J'ai fait valoir à des témoins que, même s'il existe dans le projet de loi C-110 une disposition de procédure, comme l'a expliqué le ministre, qui empêche les ministres de présenter une motion, la partie V est toujours en vigueur et peut être utilisée pour des modifications constitutionnelles futures; en d'autres termes, la règle des 7 provinces et du 50 p. 100 n'est aucunement diminuée. Je crois comprendre que c'est là votre opinion.

M. Scott: En ce qui concerne vos premières observations, je ne nie pas que cela a des répercussions sur le processus politique. C'est là l'objectif visé, et les honorables sénateurs peuvent comprendre, dans une certaine mesure, les attentes que cela créerait si un simple député présentait une telle motion. Les bloquistes disent que cela n'a aucun effet. Cela en a-t-il un? Cela n'en a-t-il pas? Ce ne saurait être les deux à la fois. Cela a un effet. Cela crée des attentes. On pourrait légalement abroger la mesure, mais il faudrait réfléchir un peu aux répercussions si on agissait de la sorte. Cela n'empêche pas ces catégories de modification d'être présentées à l'une ou l'autre des Chambres. Cela n'empêche pas les ministres de voter sur ces motions. Il est prévu que le parti ministériel ne peut parrainer une telle mesure sans avoir obtenu un consentement préalable, et cette disposition peut elle-même être modifiée ultérieurement.

Je n'ai évidemment pas une vision apocalyptique de cette mesure. Celle-ci dit ce qu'elle dit et fait ce qu'elle fait. Ses opposants risquent fort de la présenter comme une menace beaucoup plus grande qu'elle ne l'est en réalité. Ceux qui voient dans cette mesure quelque chose de merveilleux pourraient en amplifier les avantages. Mon enthousiasme est plus nuancé. Je ne dis pas qu'il s'agit d'une mesure nécessaire, mais je ne pense pas que c'est une mesure préjudiciable. Si le premier ministre croit qu'il faut donner pareille garantie, si, depuis le rapatriement, certains se sont plaints de ce que le Québec a perdu son veto et ainsi de suite et si cette mesure vise à donner certaines garanties, elle n'est pas déraisonnable.

Le sénateur MacEachen: Vous dites dans votre présentation que si une modification constitutionnelle sous forme de résolution était présentée par un député fédéral ou un sénateur ou qu'elle émanait d'une assemblée législative provinciale, le projet de loi n'empêcherait nullement les ministres de voter sur cette mesure.

M. Scott: C'est ce qui est prévu.

Le sénateur MacEachen: Un des témoins a dit qu'agir de la sorte irait à l'encontre de l'esprit du projet de loi. Je ne sais pas ce qu'est l'esprit d'un projet de loi, mais cet esprit peut-il avoir une valeur du point de vue légal?

M. Scott: Cela peut avoir une valeur du point de vue moral plutôt que légal. Évidemment, si un simple député agissait de la sorte, les opposants à la mesure diraient que cela va à l'encontre de l'esprit du projet de loi. Cela se produit tous les jours dans le processus politique normal. Les opposants à une mesure essaient de faire valoir des principes, toutes sortes d'arguments fondés sur l'éthique ou la recevabilité ainsi que des mises en garde contre la mesure. Les tenants de l'opinion contraire rassemblent les arguments dans l'autre sens.

Je vois là une tentative prudente visant à donner des garanties. Je prends cette mesure au pied de la lettre. Je comprends qu'on fondera sur celle-ci des attentes politiques, car des mythes peuvent être créés. J'en ai parlé à la fin de mes observations. Je prends tout cela en considération. Je crois toutefois que, lorsque qu'on tient compte de tout cela - ce que cette mesure dit et fait ainsi que le processus politique -, il s'agit d'une mesure acceptable.

Le sénateur MacEachen: La partie V reste donc intacte et peut être invoquée?

M. Scott: Je dirais qu'elle est intacte dans la mesure où elle n'est nullement modifiée. Elle s'applique en regard d'un contexte parlementaire légèrement modifié.

Le sénateur MacEachen: Avez-vous réfléchi aux répercussions que ce projet de loi pourrait avoir sur la réalisation des aspirations futures des autochtones? Hier, nous avons entendu le témoignage solide de quelqu'un qui laissait entendre qu'il faudrait amender le projet de loi C-110 de manière à protéger le statut des autochtones; en d'autres termes, il faudrait un amendement précisant que le projet de loi n'a aucune répercussion sur les perspectives actuelles ou futures des autochtones.

Avez-vous examiné cette question?

M. Scott: Je ne l'ai pas examinée en détail. De toute évidence, les questions autochtones s'inscrivent dans toute la gamme de questions sociales, économiques et politiques qui peuvent faire l'objet d'une modification constitutionnelle dans l'avenir. Notre processus de modification constitutionnelle n'est pas simple au départ, puisque les provinces pourraient, en adoptant des résolutions de dissidence, empêcher toute modification de la Constitution visant à résoudre les questions autochtones ayant des répercussions sur les compétences provinciales. Par conséquent, tout ce dont il est réellement question en l'occurrence, c'est d'une catégorie de modification constitutionnelle visant les institutions et les questions fédérales.

Je suppose qu'on pourrait imaginer, dans cette catégorie, des modifications constitutionnelles que les autochtones pourraient souhaiter voir adoptées et dont l'adoption pourrait être compliquée par cette mesure, quoique pas beaucoup plus qu'en ce moment si l'on tient compte de tous les aspects sociaux généraux liés aux questions autochtones - le comportement probable des provinces, la difficulté d'obtenir l'accord de deux tiers des provinces représentant 50 p. 100 de la population, et le comportement probable de l'Ontario, qui ne risque guère d'adopter avec empressement des modifications auxquelles le Québec s'opposerait vigoureusement. Si c'est le cas, on n'aura pas la majorité de la population.

Si le projet de loi à l'étude entre en jeu, je doute que la situation des autochtones soit bien pire qu'actuellement. Je ne nie pas que cela complique le processus de modification, le processus politique et les attentes de certains. Même si, du point de vue légal, on peut assez facilement contourner ce projet de loi, cela peut poser des difficultés sur le plan politique. La situation des autochtones n'est pas à prendre à la légère. Je ne l'ai pas étudiée en détail, autrement que dans l'optique générale des questions constitutionnelles visées.

Le sénateur MacEachen: Serait-il juste de dire que rien n'a modifié leur situation, mis à part le fait qu'il est interdit à un ministre de présenter une résolution de nature constitutionnelle?

M. Scott: Oui, c'est vrai à tous les égards, car c'est là la limite prévue dans le projet de loi.

Le sénateur MacEachen: Une modification constitutionnelle ayant des répercussions sur la situation des autochtones pourrait donc être traitée de la même manière qu'aujourd'hui, n'est-ce pas?

M. Scott: Tout sénateur ou député autochtone pourrait présenter cette modification à l'une ou l'autre des Chambres, et celle-ci en serait alors saisie. Voilà ce qu'il en serait, ministre ou pas. Cette modification pourrait être présentée à la Chambre par tout député autochtone ou autre qui n'est pas ministre et elle pourrait suivre la filière normale.

Le sénateur MacEachen: Elle pourrait ensuite faire partie de la Constitution, conformément à la règle des 7-50.

M. Scott: Elle serait étudiée normalement, conformément à la procédure habituelle. Évidemment, il est rare que des mesures soient adoptées par les deux Chambres ou par l'une ou l'autre d'entre elles contre le gré du parti ministériel, mais il en est ainsi dans bien d'autres cas.

Le sénateur MacEachen: Évidemment, nous reconnaissons cela. À supposer que le parti ministériel suive une ligne de parti, sauf s'il s'agit d'un gouvernement minoritaire, ce ne serait pas suffisant.

M. Scott: Tout à fait.

Le sénateur MacEachen: Ce que je veux dire, c'est que le projet de loi ne crée aucun obstacle fondamental, sauf celui dont nous avons fait mention, pouvant empêcher une modification constitutionnelle en vertu des dispositions actuelles de la partie V. Est-ce exact?

M. Scott: C'est exact.

Le sénateur MacEachen: Pourquoi avez-vous pris la peine - et je ne suis pas provocateur en disant cela - de mentionner, à l'avant-dernier paragraphe de la page 6 de votre mémoire, ce qui suit:

... nous ne devons pas accepter, et encore moins encourager ou perpétuer les mythes destructeurs qui présentent le processus de rapatriement de 1982 et la formule de modification qui en a résulté comme un outrage à l'endroit du Québec.

Il a été question, à plus d'une reprise dans les témoignages que nous avons entendus, de la grande injustice qui a été faite au Québec en 1982. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et pourquoi vous avez signalé cela dans vos observations?

M. Scott: Je crois que cette mesure et toutes les autres propositions de nature constitutionnelle devraient être examinées attentivement et équitablement en fonction de leurs mérites et que le processus politique tient compte des intérêts raisonnables et légitimes qui sont en cause. C'est là une chose. Il faut tenir compte des préoccupations du Québec, qui a une histoire et une situation particulière, ainsi qu'une identité distincte. Il faut tenir compte équitablement de ces aspects.

C'est toutefois une autre chose que de souscrire ou de sembler souscrire au discours nationaliste, avec toutes les conséquences destructives qu'il entraîne et qu'il est inutile d'aborder en détail, discours selon lequel nous avons commis une injustice.

Ces dernières années et dans le débat constitutionnel que nous avons vécu, des gens ont dit des choses qu'ils auraient mieux fait de garder pour eux, et nous nous engageons dans une controverse qui pourrait s'avérer partisane, ce que je veux éviter autant que possible. Ces observations ont perpétué et favorisé l'idée selon laquelle des injustices ont été commises à l'endroit du Québec. Ce n'est toutefois pas ce que l'histoire démontre.

J'ai fait des études techniques sur la formule de modification de la Constitution, mais l'étude générale dont j'ai parlé et que j'ai faite pour la Commission Macdonald présente, à la fin, un compte rendu détaillé des événements survenus en 1981 et 1982 et, en particulier, du discours de M. Gratton, qui mérite d'être lu et qui est le meilleur exposé que j'aie vu de ces idées. Je recommande aux honorables sénateurs d'en prendre connaissance.

Selon moi, l'histoire montre qu'il n'y a pas eu d'injustice commise en 1982. Il est important que les sénateurs se disent qu'ils sont là pour examiner les préoccupations de tous les Canadiens, pour tenir compte équitablement de celles du Québec et pour apaiser, au besoin, les inquiétudes qui doivent l'être. Cela ne veut pas dire qu'il y a eu injustice et qu'il faut la réparer. Nous n'avançons pas et ne reconnaissons pas cet argument très dangereux, avec toutes les conséquences et les ramifications que nous entendons régulièrement. Voilà pourquoi j'ai insisté sur ce point.

Le sénateur Meighen: Merci, monsieur le président. Bienvenue, professeur Scott. Je suis toujours heureux de vous revoir.

Avec déférence, je remarque que l'appui que vous accordez à ce projet de loi est plutôt restreint, c'est le moins qu'on puisse dire. L'appui des deux tiers correspond à 66 2/3 p. 100. Je sais que vous êtes plus exigeant envers vous-même et vos étudiants.

M. Scott: Dans un régime parlementaire, sénateur, bien des mesures législatives sont adoptées ici avec une majorité représentant beaucoup moins que 66 2/3 p. 100 des membres, et c'est généralement considéré comme une majorité assez importante.

Le sénateur Meighen: C'est vrai. Cela ne signifie pas nécessairement que la mesure législative est bonne.

Vous êtes sûrement au courant des témoignages que nous ont livrés les autochtones.

M. Scott: J'en ai lu de courts extraits dans les journaux, mais je n'ai pas eu la chance de suivre les délibérations de près.

Le sénateur Meighen: En général, les autochtones n'appuient pas autant que vous le projet de loi, ce qui ne veut pas dire que vous avez tort. Vous avez peut-être raison. En toute franchise, je crois que nous comprenons tous pourquoi cette mesure législative a été proposée. Quant à moi, j'aimerais pouvoir l'appuyer en raison des objectifs politiques qu'elle vise grosso modo. Les gens ne semblent pas tellement débordants d'enthousiasme pour les objectifs légaux que vise le projet de loi et je voudrais vous poser une question à ce sujet.

Pouvez-vous faire abstraction, pendant un instant, des questions d'ordre politique et me dire si, en ce qui concerne notre Constitution et le processus de modification, vous voudriez que ce projet de loi devienne une mesure permanente ou si vous pensez qu'il s'agit d'une mesure transitoire qui sera, il faut l'espérer, remplacée un jour par une meilleure solution?

M. Scott: À long terme, cette mesure peut être remplacée par une loi régulière. Si vous me demandiez: «L'inscririez-vous dans l'Acte constitutionnel, à la partie V portant sur le processus de modification?», je répondrais que je serais peut-être tenté de le faire, mais pas nécessairement en l'ajoutant au processus prévu à la partie V. Si vous penchiez vers quelque chose qui ressemblerait davantage à la formule de Victoria, ou encore optiez pour la formule actuelle de modification constitutionnelle, qui exige le consentement des deux tiers des provinces et de 50 p. 100 de la population, plutôt qu'une mesure qui viendrait s'ajouter à la formule actuelle, ce serait raisonnable. Bien sûr, cela correspond essentiellement à la formule que proposait M. Trudeau dans sa première offre de rapatriement, celle qui a été rejetée par huit provinces. Selon la formule actuelle, ces huit provinces, y compris le Québec, font front commun.

Serait-il préférable de revenir à la formule de Victoria? C'est une proposition parfaitement raisonnable. En fait, en 1997 doit se tenir une conférence constitutionnelle sur la partie V, et c'est justement le genre de questions qui devraient être examinées à cette occasion.

Le sénateur Meighen: Si c'est le cas et si je comprends bien, vous n'aimeriez pas particulièrement que cette mesure vienne s'ajouter à la formule 7-50 ou à une autre disposition, est-ce correct?

M. Scott: À l'intérieur d'une mesure consacrée dans la Constitution.

Le sénateur Meighen: Oui. Disons, à titre d'exemple, que nous reconnaissons qu'une mesure transitoire peut être utile, sur le plan légal ou politique. À votre avis, serait-il utile d'ajouter une disposition de temporarisation à ce projet de loi, pour veiller peut-être à ce que cette mesure législative ne nous gêne pas plus tard?

M. Scott: Je n'aurais aucune objection, sauf que l'ajout d'une disposition de temporarisation aurait tendance à contrer l'utilité politique du projet de loi en le diluant encore un peu plus. Si une disposition de temporarisation était ajoutée, ceux qui auraient trouvé un certain réconfort dans le projet de loi pourraient alors dire: «Sur quelle sorte de garantie peut-on compter maintenant, après l'ajout d'une disposition de temporarisation?» On ne peut même plus compter sur le caractère permanent d'une loi régulière. Déjà, en tant que loi régulière, elle pouvait être abrogée, mais voilà maintenant qu'on y ajoute une disposition de temporarisation.

Je dirais probablement qu'une disposition de temporarisation n'a rien de déraisonnable, mais que, tout compte fait, si j'étais appelé à rédiger la mesure législative, je n'y ajouterais probablement pas une disposition de temporarisation, parce que le projet de loi est déjà suffisamment dilué qu'il ne compliquera pas indûment le processus constitutionnel.

Le sénateur Meighen: Je comprends, mais une loi régulière du Parlement du Canada peut être modifiée par une autre loi du même parlement ou d'un parlement différent. Certains témoins nous ont affirmé que c'est justement pour cette raison que le projet de loi n'est pas terriblement puissant. D'autres l'ont comparé à des débris spatiaux. Dès qu'il sera adopté, en entier ou en partie, le projet de loi est susceptible de subsister pendant des années et même pour toujours, ce qui risque de nous compliquer la vie sur le plan constitutionnel.

Si aucun d'entre nous n'est véritablement emballé par le projet de loi, pourquoi ne pas dire que nous ferions mieux, après une certaine période, de trouver une meilleure solution et pourquoi ne pas inclure une disposition de temporarisation pour acculer les législateurs au mur?

M. Scott: Elle vise justement à ajouter non pas un autre obstacle, mais une autre garantie, si vous voulez, une autre étape.

Le sénateur Meighen: Contre toute modification.

M. Scott: Contre toutes les modifications, sauf celles approuvées par les provinces. C'est justement parce que la mesure législative peut être abrogée par une loi régulière qu'il ne semble pas nécessaire de prévoir une date d'extinction. Si vous ajoutez ce nouvel élément, vous diluez encore davantage le projet de loi et vous lui retirez toute la garantie qu'il pouvait offrir. S'il est possible d'abroger la loi, à quoi sert une disposition de temporarisation? Essentiellement, elle entraînera la disparition du projet de loi, mais, en même temps, elle illustrera le fait que l'appui accordé au projet n'est pas aussi solide qu'il le semblait au départ. En fin de compte, nous aurions l'air de dire que nous n'aimons pas le projet de loi et que nous nous en débarrasserons. Vous pourriez alors nous poser la question suivante: "Pourquoi l'adopter alors?" À mon avis, une disposition de temporarisation ne ferait que diluer encore davantage un projet de loi qui l'est déjà passablement.

Le sénateur Meighen: Aurais-je raison de conclure que vous estimez que ce projet de loi comporte plus de points forts que de points faibles et qu'il est préférable de l'avoir que de ne pas l'avoir, tant au niveau légal que politique?

M. Scott: Il s'agit d'une décision prise en toute bonne foi, d'une mesure législative acceptable et raisonnable dans toutes les circonstances, comme le sont un grand nombre de projets de loi qui sont inévitablement adoptés par ce Parlement et d'autres organes législatifs.

Le sénateur Meighen: Merci.

Le sénateur Gauthier: Monsieur Scott, je tenterai de ne pas aborder l'aspect politique du projet de loi. Je me pose certaines questions de nature constitutionnelle auxquelles vous pourrez sûrement répondre.

Certains nous ont dit que le projet de loi était quasiconstitutionnel et même anticonstitutionnel. Êtes-vous d'accord? J'imagine que non.

M. Scott: Il s'agit d'un projet de loi quasiconstitutionnel dans le sens qu'il traite de questions constitutionnelles, et je crois qu'il repose sur des fondements législatifs que l'on retrouve en fait à l'article 44 de l'Acte constitutionnel de 1982. Il correspond à une modification de la Constitution du Canada, selon la définition de ce concept donnée dans la convention majoritaire dans le cadre de la première tentative de rapatriement. C'est donc une loi constitutionnelle et, peu importe les fondements constitutionnels sur lesquels elle repose, ils tombent, à mon avis, sous le coup de l'article 44. Ce genre de loi constitutionnelle, qui peut être adoptée et modifiée par une loi régulière, est parfois qualifiée de loi quasiconstitutionnelle. C'est un terme acceptable.

Certains affirment qu'il s'agit d'une loi anticonstitutionnelle, mais pas au sens qu'elle enfreint la convention. Elle n'enfreint pas les pratiques constitutionnelles. Elle a été adoptée en bonne et due forme, à mon avis, ou elle le sera. Par conséquent, je ne vois pas en quoi elle serait anticonstitutionnelle.

Le sénateur Gauthier: Nous avons entendu un autre argument, que vous avez mentionné brièvement ce matin. Le professeur Whyte nous a dit qu'il serait impossible d'abroger le projet de loi. Autrement dit, aucun gouvernement sain d'esprit abrogerait cette loi, parce qu'il retirerait alors le droit de veto accordé au Québec et à d'autres régions. Êtes-vous d'accord?

M. Scott: Voulait-il dire qu'il serait impossible d'abroger la loi sur le plan politique ou sur le plan légal?

Le sénateur Gauthier: C'est un homme non politique.

M. Scott: Prétendait-il que le projet de loi ne pourrait pas être abrogé valablement?

Le sénateur Meighen: Non, seulement du point de vue politique.

Le sénateur Beaudoin: Il a juste dit que ce serait impossible. Il a affirmé que, si la loi était adoptée, elle ne pourrait être abrogée, mais il n'a pas fourni d'explications.

M. Scott: Je vois. Sur le plan légal, la loi peut être abrogée. Ou bien le projet de loi est valable, ou il ne l'est pas. S'il n'est pas adopté en bonne et due forme, il est nul et non avenu et constitue une véritable perte de temps. S'il est adopté en bonne et due forme, il ne peut que l'être aux termes de dispositions fédérales, dispositions que l'on retrouve, à mon avis, à l'article 44 de l'Acte constitutionnel de 1982. Si le projet de loi est promulgué en bonne et due forme, aux termes de l'article 44, il peut aussi être abrogé aux termes de l'article 44.

Au niveau politique, les considérations que doivent examiner les honorables sénateurs et les membres de l'autre Chambre avant d'adopter ce projet de loi sont exactement les mêmes qu'ils devront analyser avant de décider de l'abroger.

Le sénateur MacEachen: Comme l'ajout d'une disposition de temporarisation.

M. Scott: Les motifs qui peuvent inciter tant les parlementaires qui ne sont pas particulièrement emballés par le projet de loi que ceux qui l'appuient avec plus d'enthousiasme à adopter la mesure législative sont les mêmes considérations qui devront être réexaminées si jamais les parlementaires doivent décider s'il faut abroger ou non la loi. Si, tout compte fait, les honorables sénateurs jugent que la situation politique justifie l'adoption du projet de loi et si la situation politique n'a pas changé au moment où ils seront appelés à prendre une décision à ce sujet, ils choisiront alors de ne pas abroger la loi. Si la situation politique a évolué et si la loi ne semble plus nécessaire ou utile, elle sera naturellement abrogée.

Le sénateur Gauthier: Je ne tiens pas à poursuivre cette discussion, puisqu'on commente l'avis d'un témoin qui a comparé le projet de loi à un colosse aux pieds d'argile.

Le sénateur MacEachen: Ou tout le contraire.

M. Scott: C'est le témoin ou le projet de loi qui était comparé à un colosse aux pieds d'argile?

Le sénateur Gauthier: Les deux auraient été possibles, mais je tente de remettre de l'ordre dans tout ce qui s'est dit. Je ne crois pas qu'on puisse comparer la mesure législative à un colosse aux pieds d'argile.

Il s'agit d'une mesure raisonnable qui vise à honorer la promesse que le premier ministre a faite pendant la campagne référendaire. Elle ne répond pas à toutes les attentes, mais a son utilité. Êtes-vous d'accord?

M. Scott: Cela correspond essentiellement à ma position.

Le sénateur Gauthier: Cela empêchera-t-il le gouvernement de respecter ses obligations fiduciaires envers les autochtones? Hier, tous les témoins que nous avons entendus ont répondu par l'affirmative. Je n'ai pas eu l'occasion de poser des questions hier, mais j'aurais bien voulu poser la question suivante: si oui, de quelle façon?

M. Scott: Je ne peux pas vous dire, comme ça, en quoi cela gênerait le gouvernement. Je peux comprendre pourquoi les autochtones - et nous en avons déjà discuté - ne veulent pas compliquer davantage le processus constitutionnel, au sens le plus large. Toutefois, il semble exagéré de dire que la solution envisagée empêcherait le gouvernement fédéral de respecter ses obligations fiduciaires, et je ne vois vraiment pas sur quoi peut reposer cet argument.

Je ne tiens pas particulièrement à commencer à me demander pourquoi certaines personnes pourraient avancer cet argument, pour ensuite avoir à répondre à la question. Il ne me paraît pas évident qu'il y aurait abandon des obligations fiduciaires, mais je peux comprendre pourquoi les autochtones ne veulent rien qui viendrait compliquer davantage le processus.

Le sénateur Gauthier: Vous reconnaissez que le gouvernement fédéral pourrait encore amorcer des discussions avec les provinces, les peuples autochtones et le reste de la population pour définir les modifications constitutionnelles nécessaires. Il pourrait encore le faire. Il pourrait amorcer de telles discussions.

M. Scott: Oui, rien n'empêche un dialogue. Il ne servirait à rien de revenir une fois de plus sur les limites du projet de loi puisque, comme on l'a vu, une modification constitutionnelle peut être présentée dans l'une ou l'autre Chambre du Parlement et adoptée. Ce qu'il faut faire, c'est déterminer comment il transforme le contexte politique entourant ces modifications et si, comme le craignent les peuples autochtones, il serait un obstacle réel aux modifications qu'ils souhaitent. Cela dépend de l'évaluation que l'on fait du processus politique. Ce que les autochtones demandent n'est pas déraisonnable.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit quelque chose qui m'inquiète un peu. Vous avez dit que ceux qui appuient le projet de loi ne doutent pas de sa constitutionnalité. Personnellement, je peux dire que ce n'est pas mon cas. Avant d'être nommé sénateur, j'ai tenté à deux reprises de ressusciter la formule de Victoria. Je pourrais difficilement affirmer que je suis catégoriquement opposé aux droits de veto puisque j'ai passé toute ma vie à les défendre.

Mes doutes viennent d'ailleurs. Supposons qu'un ministre ne tient pas compte du projet de loi C-110, qu'il présente une modification constitutionnelle à la Chambre des communes et que celle-ci l'adopte. Il est clair que cette modification sera valable. Si quelqu'un la contestait devant la Cour suprême, le tribunal déclarerait évidemment que la Constitution l'emporte.

M. Scott: Supposons qu'une personne exclue par le projet de loi propose une modification constitutionnelle. À ce moment, le Président ne sait pas que la mesure est irrecevable, la Chambre l'étudie donc, puis l'adopte. Pour les besoins de la cause, disons qu'une seule Chambre l'a adoptée. Si 100, 200 ou 300 députés ont voté en faveur de la modification constitutionnelle, pourrons-nous dire qu'elle est invalide parce qu'elle a été présentée par quelqu'un qui ne pouvait pas la présenter? Je crois que les tribunaux n'invalideraient pas une mesure pour cette raison.

Le sénateur Beaudoin: Il s'agit d'une simple loi.

M. Scott: La situation est un peu différente, mais si un ministre proposait une mesure en contradiction flagrante avec le projet de loi C-110 et qu'elle était adoptée par la Chambre des communes, je crois qu'elle serait valide. Pour des raisons évidentes, ce n'est pas là un scénario probable.

Le sénateur Beaudoin: Dans votre exemple, supposons qu'une mesure a été adoptée et que le député qui l'a proposée est exclu pour une raison ou une autre. Le tribunal ne déclarerait pas la loi invalide. Cependant, dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas du tout la même situation. Supposons que le ministre aille de l'avant. Il soutient qu'il est dans l'intérêt du Canada d'adopter sa proposition rapidement parce qu'il y a urgence. Même si le projet de loi C-110 est en vigueur, tous les tribunaux du Canada diront que la Constitution a la primauté. Et ils ont raison parce que la Constitution est le fondement de notre système constitutionnel. Le projet de loi C-110 serait donc déclaré inopérant sinon ultra vires.

M. Scott: Je ne pense pas qu'il serait inopérant. Cependant, je suis d'accord avec vous sur le résultat, mais pour des motifs légèrement différents.

La procédure de la partie V s'applique aux institutions parlementaires comme elles existent. Les résolutions doivent être adoptées par les deux Chambres du Parlement et par les assemblées législatives provinciales. Il existe un vaste ensemble de textes législatifs de common law, de droit législatif et de droit constitutionnel sur ces institutions. Il existe des lois électorales et des lois sur les structures parlementaires. Tous ces textes législatifs sont valides.

La question consiste à savoir si ce qui a été fait par une Chambre est ou n'est pas un acte légitime et valable de cette Chambre. Je ne pense pas que c'est parce que la partie V prime qu'une motion présentée par un ministre exclu par le projet de loi C-110 demeurerait valide. C'est tout simplement parce que la Chambre, une fois saisie d'une proposition, même si elle a été présentée par un de ses membres exclus, en est officiellement saisie. Si, par exemple, 100 sénateurs votent en faveur d'une proposition de modification, le fait qu'elle ait été présentée par un sénateur exclu ne signifie pas que la Chambre ne peut pas l'étudier.

Quoi qu'il en soit, ce que j'en dis doit être pris avec circonspection. Je crois que, tout bien considéré, c'est là le résultat. Cependant, il s'agit, à mon sens, d'un facteur relativement mineur dans toute l'affaire.

Le sénateur Beaudoin: Le gouvernement du Canada abdique une partie de ses responsabilités. Le gouvernement fédéral affirme qu'un simple député peut présenter une motion, mais qu'un ministre ne peut pas le faire parce qu'il renonce à la prérogative qui lui permet de présenter une résolution de nature constitutionnelle à la Chambre des communes ou au Sénat. C'est ce qui m'inquiète. Ce n'est pas la fin du monde puisque vous dites qu'un simple député peut présenter la motion, mais il reste que le gouvernement renonce à une responsabilité. Qui est censé parler au nom de l'ensemble du Canada? Qui parlera maintenant au nom de tout le Canada? Cinq régions?

Je ne m'oppose pas à l'idée d'un droit de veto ou de droits de veto régionaux. Mes réserves viennent du fait que le gouvernement renonce à parler au nom de l'ensemble du pays, et je trouve que c'est un moyen douteux de faire les choses. En cas de crise, je peux facilement concevoir que le gouvernement passe outre au projet de loi C-110, qu'il présente une résolution et qu'il l'adopte. Je peux comprendre cela. Bien sûr, à mon avis, la Cour suprême affirmerait que la Constitution a la primauté.

M. Scott: Pourquoi le ministre ne ferait-il pas présenter sa mesure par un simple député? Je crois que, si le gouvernement, contre toute attente, dit qu'il présentera une résolution à la Chambre des communes ou au Sénat, il la fera présenter par un simple député. Pourquoi le ministre accepterait-il de tromper toute attente politique et n'oserait pas aller à l'encontre de la loi elle-même? Je ne crois pas qu'il y aurait là un grand risque.

Le sénateur Beaudoin: C'est la première fois que j'entends l'argument selon lequel l'article 44 pourrait être invoqué. C'est un bon argument puisque le pouvoir exécutif est assujetti à cet article. Je suis d'accord avec vous.

M. Scott: Le Sénat et la Chambre des communes aussi, car elles sont des institutions pouvant faire exception. Mais nous ne parlons pas d'une exception, ici.

Le sénateur Gauthier: Est-ce qu'un secrétaire parlementaire est un membre du gouvernement et du pouvoir exécutif?

M. Scott: Est-ce qu'un secrétaire parlementaire est un ministre de la Couronne?

Le sénateur Gauthier: Non. Il fait partie du groupe général...

M. Scott: Il fait partie du gouvernement, mais le projet de loi dit «un ministre de la Couronne». Quant à savoir si, aux fins du projet de loi, un secrétaire parlementaire est un ministre de la Couronne, cela dépend des textes législatifs concernant les secrétaires parlementaires. Même s'il est dit que ceux-ci reçoivent le traitement d'un ministre, cela ne fait pas d'eux des ministres. Mais nous entrons dans le détail.

Le sénateur Beaudoin: Cette discussion est intéressante.

Le sénateur MacEachen: J'ai affirmé qu'une autre loi précise ce qu'un ministre peut faire et c'est la loi du Parlement, à savoir la procédure parlementaire. Aucun Président sensé ne permettrait à un ministre de présenter une motion qu'une loi lui interdit de présenter.

M. Scott: C'est exact. Cette loi serait appliquée par la Chambre.

Le sénateur MacEachen: À mon avis, il serait inconcevable qu'un président permette cela.

M. Scott: C'est exact.

Le sénateur St. Germain: Il est incroyable qu'ils aient présenté cela.

Le sénateur Gauthier: Non, non.

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi en êtes-vous si sûr?

Le sénateur MacEachen: Il vous arrive souvent de prédire ce que feront les tribunaux et, de mon côté, je prédis ce que le Président peut faire et fera.

Le sénateur Beaudoin: J'ai soulevé la question à deux reprises au Sénat.

Le président: L'expérience m'a enseigné qu'il est plus sûr d'être historien que prophète.

Le sénateur Beaudoin: Beauchesne l'a dit et redit. Beaucoup de Présidents du Sénat ont déclaré qu'il ne leur appartenait pas de trancher les questions de droit constitutionnel.

Le sénateur MacEachen: Il ne s'agit pas de droit constitutionnel, mais de procédure.

M. Scott: Le Président doit faire appliquer les lois et rendre des décisions; la Chambre décide ensuite si elle renverse ses décisions.

Le sénateur MacEachen: Plus maintenant. Elle n'en a pas le droit. Il détient maintenant le pouvoir absolu. C'est un nouvel argument qui vient accroître l'intérêt obscur que suscite le projet de loi.

Le sénateur Murray: Monsieur Scott, j'ai lu dans la Gazette de Montréal d'hier un article où vous étiez décrit comme étant la contrepartie anglophone de Pierre Bourgault. J'attendais avec impatience votre témoignage.

M. Scott: M. MacPherson n'est pas un journaliste dont j'ai une haute opinion et je ne le trouve pas non plus très exact. Il s'est probablement surpassé. Il parle d'anglophones s'accrochant à mes membres sectionnés dans un Québec indépendant. J'espère simplement qu'il en viendra à croire - c'est probablement dans sa ligne de pensée - que mes os seront placés dans des reliquaires que lui-même et d'autres en viendront à vénérer avec une telle ferveur qu'ils leur seront nécessaires pour trouver l'inspiration. Cependant, je ne crois pas pouvoir répondre du style journalistique de M. MacPherson.

Le sénateur Murray: Le sénateur MacEachen vous a brièvement parlé des paroles que vous avez prononcées en 1982. Sachez que j'ai voté contre la Loi constitutionnelle de 1982 au Sénat.

Le sénateur St. Germain: Bravo!

Le sénateur Murray: Je m'y suis opposé parce que le Québec n'y souscrivait pas. Je connaissais la position du gouvernement du Québec à l'époque et également la position de l'opposition fédéraliste, qui était dirigée par M. Ryan, que nous entendrons plus tard aujourd'hui. À l'époque, et encore aujourd'hui, je n'ai jamais jugé qu'il importait que le premier ministre Lévesque ait péché par excès de confiance, qu'il ait abandonné le groupe des huit ou qu'il ait été abandonné par ce groupe, qu'il ait été manipulé par le premier ministre Trudeau ou que sais-je encore.

L'important pour moi, c'était que, pour la première fois depuis 117 ans, une modification constitutionnelle majeure était adoptée en dépit des objections du Québec et ce n'est pas sans un sentiment d'indignation que j'ai voté sur ce projet de loi. Je suis originaire du Cap-Breton, mais j'ai été adopté comme sénateur en Ontario. Je n'étais pas guidé uniquement par mon indignation, mais je jugeais que la mesure était dangereuse et risquait de déstabiliser le pays.

M. Daniel Johnson, chef des forces fédéralistes au Québec, a récemment déclaré dans un discours qu'il prononçait à Toronto que le Québec était un partenaire non consentant du pacte constitutionnel. Je crois que ce sont les mots qu'il a utilisés. Aujourd'hui, dans les circonstances, je crois que l'engagement pris par M. Chrétien était la bonne chose à faire. C'était ce qu'il fallait faire dans le contexte référendaire, mais ce référendum n'était pas nécessaire pour que M. Chrétien soit conscient de l'opposition du Québec à la loi de 1982. Il sait que le Québec s'est opposé au mode de modification de la Constitution, il sait que le Québec craint, comme vous l'avez fait remarquer, que des modifications allant à l'encontre de ses intérêts et amenuisant sa place au sein de la Confédération soient adoptées sans son consentement.

Je juge tout à fait indiqué que le premier ministre se soit engagé, au nom du gouvernement fédéral, à ne pas adopter de modifications constitutionnelles touchant la place du Québec dans la Confédération sans le consentement du Québec.

Cela étant dit, j'ai continué à me demander pourquoi le gouvernement trouvait nécessaire de ressusciter cette notion de veto régionaux que d'importantes parties du pays ont rejetée il y a longtemps. Qu'auriez-vous pensé d'un projet de loi qui aurait simplement donné suite à l'engagement du premier ministre à l'endroit du Québec en prévoyant le consentement spécifique du Québec à l'égard des modifications envisagées dans ce projet de loi?

M. Scott: Eh bien, sénateur, à mon réveil, ce matin, j'ai allumé la télévision et j'ai été plutôt saisi d'entendre un annonceur demander quel jeu les Sénateurs jouaient. J'ai finalement compris qu'il était question de hockey. Et pourtant, il est opportun de se demander ce que font ici les honorables sénateurs et ce que font les honorables députés. Ils essaient de trouver des solutions équilibrées qui pourront commander le respect et l'assentiment de tous les citoyens de ce pays si difficile à gouverner.

Même si cette formule visait seulement à accorder un veto au Québec et même si le gouvernement n'avait pour tout objectif que de consentir cette garantie limitée au Québec, l'inclusion des autres régions a contribué à rendre le projet de loi plus acceptable et même possible au plan politique. Je considérerais cela comme un acte raisonnable, même s'il s'agissait seulement de satisfaire le Québec. Mais, même au-delà de cela, beaucoup de gens estiment qu'il y a ici une certaine symétrie, une certaine logique, et que s'il faut recourir à un expédient pour établir un principe, il vaut mieux que cet expédient soit symétrique plutôt qu'asymétrique. Dans la mesure où un principe est ici en jeu, il s'agit d'un principe mieux équilibré.

Je pense encore à la structure du Sénat lui-même et à la logique qu'il y a à accorder un veto au Québec, à l'Ontario, à l'Ouest et aux Maritimes ou aux provinces de l'Atlantique. Il s'agit clairement ici de sauver les apparences; il y a une question de principe et un expédient, mais l'expédient n'est peut-être pas méthodique. L'inclusion des autres régions vise peut-être à rendre l'expédient plus méthodique ou à rendre acceptable ce qui ne le serait pas autrement. Quoiqu'il en soit, je ne me plaindrai pas de ce que le gouvernement a fait.

Le sénateur Murray: Je comprends ce que vous décrivez comme étant les motifs du premier ministre et du gouvernement, mais cela n'a pas marché, n'est-ce pas? Reprendre l'idée du veto régional, cela revient à agiter un drapeau rouge dans certaines parties du Canada. Si le gouvernement avait présenté un projet de loi prévoyant seulement le consentement spécifique du Québec, cela aurait peut-être suscité de toute manière un tollé de protestations.

Je dois dire que - et M. Rock l'a confirmé ici - entre le moment où le premier ministre a pris son engagement au cours de la campagne référendaire et le jour où il a déposé le projet de loi à la Chambre des communes, personne n'a contesté cette idée. Aucune province ne s'est inscrite en faux contre cela.

Je ne suis pas sûr qu'un projet de loi prévoyant le consentement spécifique du Québec aurait suscité aussi peu de controverse et d'hostilité que celui-ci, mais ce n'est là que pure spéculation politique.

En tant que non-initié, je suis intrigué par votre déclaration - dont il a été question tout à l'heure avec le sénateur Beaudoin - selon laquelle ce projet de loi se trouve à modifier, conformément à l'article 44, les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.

Je suis un profane en ces matières. Peut-être pourrez-vous m'éclairer. Ces modifications seront adoptées en tant que simple statut du Parlement fédéral. S'il s'agit ici de modifier la Loi constitutionnelle conformément à l'article 44, le projet de loi est-il recevable du point de vue de la forme?

M. Scott: Aucune forme spéciale n'est requise. Beaucoup de statuts concernant la structure des Chambres du Parlement et des institutions du pouvoir exécutif sont, en fait, d'ordre constitutionnel, qu'on se fie à la définition générale que donne un auteur comme Dicey de ce qui est constitutionnel ou à celle qu'en donnent les six juges au début de leur argumentation dans la convention majoritaire sur le rapatriement, expliquant que la Constitution relève autant de la loi que de la convention.

La Constitution est une loi portant sur la structure du pouvoir exécutif, les ministres de la Couronne, la structure des Chambres, et tient à la fois de la common law et de la mesure législative. Même la common law peut faire partie de la Loi constitutionnelle. Il s'ensuit que presque toutes les lois constitutionnelles provinciales sont promulguées conformément à l'article 45 ou à ceux qui précèdent, telles, par exemple, la Loi sur l'Assemblée législative et la Loi électorale. Au fédéral, depuis 1982, le fondement constitutionnel d'une grande partie ou de la plus grande partie de telles lois est l'article 44. Les sénateurs n'en sont pas nécessairement conscients parce que cela se fait de façon ordinaire au moyen d'un projet de loi ordinaire et qu'on ne dit pas nécessairement qu'il s'agit bien d'une loi constitutionnelle. Il y a toutes sortes de lois constitutionnelles.

Le sénateur Murray: L'article qui nous est familier et qui est modifié à l'occasion conformément à l'article 44 est l'article 51, qui concerne les révisions électorales. Notre collègue, le sénateur MacEachen, a présenté des projets de loi de ce genre lorsqu'il siégeait à la Chambre des communes. Dans mon recueil de lois constitutionnelles, celles-ci sont accompagnées de diverses notes complémentaires. La note accompagnant l'article 51, par exemple, se lit comme ceci: «dans sa version édictée par la Loi constitutionnelle de 1974».

M. Scott: C'est exact. Ce sont des lois fédérales ordinaires.

Le sénateur Murray: Une autre note se lit comme ceci: «dans sa version édictée par la Loi constitutionnelle de 1975». Y a-t-il une raison de croire que ce projet de loi devrait s'intituler «Loi constitutionnelle de 1995»?

M. Scott: Ce projet de loi n'a pas de titre abrégé, mais seulement le titre intégral suivant: «Loi concernant les modifications constitutionnelles». Il pourrait s'intituler: «Loi constitutionnelle de 1995, Loi sur la réforme constitutionnelle», ou n'avoir, comme c'est le cas en fait, aucun titre abrégé et s'intituler tout simplement: «Loi concernant les modifications constitutionnelles», quel que soit son titre. En fait, l'actuelle Loi sur le Parlement du Canada, anciennement Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, la Loi sur la Chambre des communes et quelques autres lois sont toutes codifiées dans la Loi sur le Parlement du Canada. Il est clair que le fondement de cette loi découle peut-être entièrement de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais elle ne s'intitule pas non plus: «Loi constitutionnelle». Le titre n'a pas vraiment d'importance.

Le sénateur Murray: Ma foi, peut-être pas. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice reviendront ici à la fin de nos audiences. Je voudrais leur demander pourquoi il n'est nulle part question, dans leur évaluation de la validité de ce projet de loi, qu'il s'agit d'une modification de la Constitution conformément à l'article 44. Vous êtes le premier témoin à le dire et cela m'intrigue.

M. Scott: Vous feriez peut-être bien de le leur demander.

Le sénateur Murray: Est-ce que cela change vraiment quelque chose?

M. Scott: Je ne le crois pas. Certains pourraient invoquer le pouvoir non attribué. J'estime quant à moi que, pouvoir non attribué ou pas, ceci est beaucoup plus spécifique et repose sur un fondement spécifique.

Par exemple, les chemins de fer interprovinciaux relèvent de la compétence fédérale parce qu'ils sont exceptés dans l'énumération des catégories de sujets assignés aux législatures des provinces, conformément au paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. On pourrait invoquer le pouvoir non attribué et dire que, s'ils ne relèvent pas de la compétence provinciale, ils relèvent forcément de la compétence fédérale. Mais, parce que la loi de 1867 prévoit spécifiquement ceci, à l'article 91.29: «Les catégories de sujets expressément exceptés...» de la liste provinciale - cela reste la disposition la plus spécifique, celle que les tribunaux préféreraient habituellement invoquer. Étant donné que l'article 44 de la loi de 1982 renvoie très spécifiquement aux sujets traités dans ce projet de loi, il me semble, en vérité - et après réflexion - qu'il en constitue effectivement le fondement constitutionnel.

Le sénateur Murray: Aurait-on pu faire cela en modifiant les règles ou le Règlement des deux Chambres du Parlement?

Le sénateur MacEachen: Le ministre a dit que cela pouvait se faire.

Le sénateur Murray: Je vous le demande à vous, sénateur MacEachen.

Le sénateur MacEachen: Vraiment? Vous regardiez dans ma direction.

Le ministre nous a dit que cela aurait pu se faire par une simple déclaration de la politique gouvernementale.

Le sénateur Beaudoin: Mais cela n'est pas une loi.

Le sénateur MacEachen: Non. Mais, dans le cas d'un énoncé de politique, le gouvernement doit se discipliner lui-même. Dans le cas d'une loi du Parlement, il s'assure la discipline du Parlement. On pourrait modifier le Règlement de telle sorte qu'aucun ministre ne puisse présenter un projet de loi, mais cela serait probablement plus difficile à modifier qu'une loi.

Le président: Je vous rappelle qu'il nous reste environ 14 minutes. Veillez en tenir compte, s'il vous plaît.

Le sénateur Marchand: Je serai bref, monsieur le président.

Ma question est peut-être injuste. M. Scott, je vous ai entendu parler tout à l'heure des peuples autochtones et dire que vous n'aviez pas lu attentivement la transcription. Vous n'ignorez pas que, hier, tous les groupes ont exprimé de vives inquiétudes et qu'on a fait valoir de solides arguments. Une des solutions qui ont été avancées, dans l'éventualité où on irait de l'avant avec le projet de loi - beaucoup voulaient que le projet de loi soit retiré ou coulé - résidait dans une disposition de non-dérogation. Qu'en pensez-vous? Une telle disposition est-elle nécessaire?

M. Scott: Vous voulez dire que les droits des autochtones ne seraient pas touchés?

Le sénateur Marchand: Oui. Une disposition de non- dérogation serait une garantie de plus et ainsi de suite.

M. Scott: Cela ne changerait effectivement rien à la loi et il n'y aurait pas de mal à cela. La question est de savoir comment cela serait présenté politiquement au Québec. En fait, dans sa formulation actuelle, le projet de loi ne modifie en rien les droits des autochtones. Si l'on veut dire qu'aucune modification constitutionnelle concernant les questions autochtones - et on pourrait définir cela ou non - ne serait touchée par cette loi, ce n'est plus la même chose.

Si l'on disait encore que toute résolution portant modification de la Constitution à l'égard de questions autochtones, particulières ou non, doit être conforme à ce projet de loi, ce serait encore autre chose. Cela modifierait ce projet de loi. Mais si l'on disait seulement que cette loi ne modifie pas les droits des autochtones puisque, en loi, les autochtones ne participent pas à l'adoption des modifications constitutionnelles, ce projet de loi - quel qu'il soit et quel que soit son objet - en un sens, ne modifierait pas leurs droits. Si l'on disait cela, le projet de loi n'en serait pas modifié, mais il ne leur donnerait rien non plus. Et politiquement, il pourrait avoir l'air de dire, pour le profane du Québec, qu'il a encore moins de mordant. En ajoutant une disposition comme celle-là, on se créerait probablement un problème politique plutôt que juridique.

Le sénateur Marchand: J'aurais dû être plus précis. On s'inquiétait de modifications éventuelles possibles. Je crois qu'on est très satisfait du projet de loi actuel.

M. Scott: Si l'on disait qu'aucune modification constitutionnelle concernant les questions autochtones, définies ou pas, ne sera visée par cette loi, cela diluerait encore plus la loi. Quoique parfaitement raisonnable en un sens, cela nuirait probablement à l'attrait du projet de loi à un autre égard, car cela attirerait davantage l'attention sur les modifications constitutionnelles de ce genre et laisserait entendre qu'on adopterait des modifications constitutionnelles touchant aux questions autochtones avec ou sans le consentement du Québec. C'est évidemment comme cela que le Bloc québécois verrait les choses. Ce serait le prix à payer, si je puis dire.

Le sénateur Marchand: J'aurais pu être un peu plus précis. Par exemple, l'ébauche de proposition de modification d'Inuit Tapirisat était la suivante:

2. Rien dans la Loi ne peut être interprété comme une dérogation aux droits, aux devoirs, aux pouvoirs ou aux privilèges du gouvernement et du Parlement du Canada de proposer ou d'autoriser une modification à la Constitution du Canada qui aurait pour effet:

(a) de reconnaître, d'affirmer ou de protéger les peuples autochtones ainsi que leurs droits ancestraux et issus des traités et d'autres droits et libertés ou

(b) de préserver et de protéger l'unité nationale et l'intégrité territoriale du Canada.

M. Scott: Pour ma part, je ne trouverais rien à redire à une telle proposition de modification. Cela n'a rien de déraisonnable, et le problème a trait au contexte politique, à mon avis.

Le sénateur St. Germain: M. Scott, je vous remercie de votre aide aujourd'hui.

M. Scott: C'est toujours un plaisir que d'être ici, sénateur.

Dès le départ, je voulais vous présenter un étudiant remarquable, qui m'a accompagné, M. Martin Ertl. Je suis convaincu qu'il deviendra très bientôt un éminent membre du barreau.

Le sénateur St. Germain: J'espère que la déclaration de M. Ertl servira de contrepoids politique à votre exposé.

M. Scott: Il est très utile, sénateur.

Le sénateur St. Germain: Comme le sénateur Murray l'a dit, je crois que votre exposé porte sur certains aspects créés par le rapatriement de 1982. Je le dis en tant qu'habitant de la Colombie-Britannique et de l'Ouest. Quand vous avez fait allusion aux régions, vous avez encore une fois oublié la Colombie-Britannique en disant «l'Ouest». L'Ouest et la Colombie-Britannique renforcent la préoccupation du sénateur Murray ainsi que la mienne. J'estime que si nous avons des problèmes avec le Québec aujourd'hui, c'est parce que cette province n'a pas encore signé la Constitution de 1982.

Je me fonde sur une expérience récente en Colombie- Britannique. D'abord, nous n'avions aucun représentant au sein du comité sur la question de l'unité. Cela a offusqué nombre de gens en Colombie-Britannique. En outre, nous n'avons pas été inclus au nombre des régions. Nous nous sommes toujours considérés comme la région du Pacifique.

Mes ancêtres sont des Canadiens français. Je ne suis pas Québécois, mais mes ancêtres viennent du Québec. J'ai trouvé que c'était leur faire insulte, car l'expérience de la Colombie- Britannique m'a montré quel effet pourrait avoir sur eux le fait que le Québec ne soit pas signataire de la Constitution.

Je trouve inquiétant que des gens comme vous, qui viennent du Québec, ne comprennent pas dans quelle mesure un tel affront aux Québécois favorise le mouvement séparatiste dans la province de Québec. Je voudrais exprimer leur colère.

Je sais que ce ne sont que des arguments, mais je le dis par expérience.

M. Scott: Je vous comprends parfaitement bien, sénateur. En fait, je demande souvent à mes étudiants s'il n'aurait pas mieux valu, s'il n'aurait pas été plus opportun, de ne pas avoir rapatrié la Constitution, s'il n'aurait pas mieux valu de ne pas avoir de mode de révision et de Charte et d'être toujours assujettis à l'autorité impériale.

Certes, la Cour suprême a statué que ce qui était fait, dans la mesure où il y avait un consensus raisonnable parmi les provinces, était assez conforme au principe constitutionnel, que ce n'était pas une violation des coutumes. La vaste majorité des députés et sénateurs de tous les partis ont appuyé les propositions finales. Cela comprenait l'opposition de l'époque, soit les Conservateurs et Néo-démocrates, ainsi que neuf provinces.

En outre, il y a des raisons pour lesquelles, et j'ai essayé de les exposer dans ce document, on a voulu montrer que M. Lévesque procédait à une escalade de demandes simplement pour garantir l'isolement du Québec. Je vous reporte de nouveau au discours de Gratton. Je ne pourrais aller même jusqu'à dire que, tout bien considéré, ce n'était pas seulement une erreur, mais une sorte d'affront historique au Québec que les deux partis, par une écrasante majorité, et neuf provinces, aient fait ce qu'ils ont fait. Je comprends parfaitement que nous en subissons maintenant les conséquences, et c'est pourquoi je pose la question en classe.

Dire que c'était une erreur historique est un point de vue tout à fait raisonnable, mais il est moins juste de dire que c'était un affront, un outrage. C'est aller trop loin. Quand on analyse l'histoire, on ne peut conclure que c'était un affront.

Le sénateur St. Germain: Je respecte votre opinion, mais je vous assure, d'après mon expérience politique, que le nombre d'organismes qui l'adoptent ou de premiers ministres qui le ratifient importe peu; le public que je représente le rejette souvent.

M. Scott: J'étais un des principaux opposants à l'Accord de Charlottetown. Je pense que le public avait raison.

Le sénateur St. Germain: Cela contredit votre argument sur le fait que tout le monde l'a adopté.

Vous dites que le projet de loi C-110 créera de véritables attentes politiques qu'il ne faudrait pas traiter à la légère. Cela empiète fondamentalement sur le processus prévu pour 1997. Je trouve surprenant qu'un homme aussi réputé que vous affirme qu'on peut accorder des droits de veto pratiquement sans danger. Nous avons accordé un droit de veto à la Colombie-Britannique et créé une nouvelle région dans le feu de la discussion. Comme le sénateur Murray l'a fait valoir, si nous voulions régler les problèmes du Québec, pourquoi n'avons-nous pas accordé un droit de veto au Québec et aux régions qui le demandent, plutôt que de l'accorder à tous tout d'un coup, ce qui risque d'empêcher toute modification constitutionnelle dans l'avenir?

M. Scott: Ce n'est pas nécessairement une solution élégante. Ce n'est qu'une tentative de règlement d'un problème dans des circonstances très difficiles. Le Canada n'est pas un pays très facile à gouverner. J'aurais cru que les sénateurs le sauraient mieux que moi. Je me souviens d'une assez bonne caricature d'il y a une trentaine d'années montrant M. Diefenbaker, les cheveux au vent, tentant de maîtriser un traîneau que trois chevaux tiraient dans toutes les directions. Il y était décrit comme l'empereur de tous les Canadas.

C'est un pays difficile à gouverner, et cela se reflète dans ce projet de loi. C'est un projet de loi un peu brouillon qui n'est pas nécessairement élégant. Il pourrait causer des problèmes.

La question est de savoir si c'est une solution raisonnable et acceptable. Quelles que soient les circonstances, si j'étais député ou sénateur, je finirais, non sans une certaine inquiétude, par voter en faveur de ce projet de loi.

Le sénateur Carstairs: Ma question a trait aux arguments présentés par les peuples autochtones. Ceux-ci estiment qu'il résultera de l'adoption du projet de loi C-110 que la règle des 7-50, qui, selon eux, est celle qui fait consensus pour l'octroi de l'autonomie gouvernementale, deviendra maintenant plus complexe et plus difficile à appliquer. Par conséquent, ils estiment qu'un obstacle supplémentaire a été dressé sur la route menant à l'obtention de l'autonomie gouvernementale.

Je n'ai jamais accepté le consensus voulant que seule la règle des 7-10-50 s'applique pour l'obtention de l'autonomie gouvernementale. Je n'ai pas accepté ce point de vue pour deux raisons. La réalité politique, c'est que si les trois provinces des Prairies n'acceptent pas l'idée de l'autonomie gouvernementale, je ne pense pas qu'il soit possible de donner effet à cette dernière parce que leur population autochtone est assez élevée.

Le deuxième aspect a trait, notamment, aux paragraphes 38(2) et 38(3), qui donnent clairement à toute province dont la compétence législative ou les droits de propriété ont été transgressés la possibilité de déroger à la modification en cause. En tenant compte de cet aspect, croyez-vous que ce projet de loi diminue sensiblement la capacité des peuples autochtones d'obtenir l'autonomie gouvernementale?

M. Scott: Ce projet de loi crée un obstacle supplémentaire, si vous utilisez ce terme, comme vous l'avez fait, sénateur, pour de telles mesures et toutes les autres. C'est un obstacle limité, certes, mais c'est quand même un obstacle. Les aspirations de tous à toute modification constitutionnelle pourrait être touchées par cette modification.

Est-ce un obstacle supplémentaire important? Cela dépendra du fonctionnement du processus politique. Il n'empêchera pas l'adoption d'une modification qui l'aurait été de toute façon. Si une modification ne réussit pas à franchir cet obstacle, c'est qu'elle n'aurait pu franchir celui du processus de modification lui-même.

Cela dit, si l'on estime que ce processus causera des problèmes aux autochtones, la modification que proposent les autochtones n'a rien de négatif. Ce n'est pas de la paranoïa pour eux que de demander une telle chose. Ils ne font que défendre leurs intérêts légitimes tels qu'ils les conçoivent. C'est tout à fait légitime. Leur donner satisfaction à cet égard ne serait pas déraisonnable.

Le sénateur Rivest: À la page 6 de votre mémoire, vous dites:

À l'exception d'un détail qui n'est pas pertinent, nos mécanismes de modification, établis en 1982, ont été, en fait, acceptés par le gouvernement du Québec de l'époque.

Quand et comment?

[Français]

M. Scott: Ce qui avait été accepté, c'était la formule proposée par le front commun des huit. Le texte reproduit essentiellement la formule proposée, accepté en 1980 par le gouvernement du Québec et les sept provinces. On pourrait même aller plus loin dans ce sens lorsque M. Lévesque indiquait que la loi ultime lui était inaceptable, il mentionnait trois aspects, dont l'éducation à l'article 23.

Le sénateur Rivest: Vous parlez de l'entente du 16 avril 1981 que M. Lévesque a signée?

M. Scott: Non, de la Loi du Canada telle que proposée au Parlement impérial de novembre 1981. Il disait que cela était inacceptable. Il a même écrit une lettre à Margaret Thatcher, je me souviens. Il lui indiquait les points qu'il jugeait inacceptables: le fait que l'on enchåsse le droit de liberté de circulation et d'établissement et l'article 23 sur l'éducation. Là aussi, on n'a pas enchåssé pour le Québec l'article 23.1 a). Le fait que l'on offrait des amendements constitutionnels ne fournissait une juste compensation à l'article 40 que dans les situations plus limitées où un amendement transférait au fédéral des pouvoirs en matière d'éducation ou dans d'autres domaines culturels plutôt que pour tout l'ensemble. C'est là que M. Lévesque insistait; pour le reste, il ne s'objectait pas à la formule d'amendement.

Le sénateur Rivest: Sauf qu'après 1981, il y a eu un autre gouvernement au Québec, comme vous le savez. Le document du Parti libéral du Québec de 1985 - par rapport à la formule de 1982 - mentionnait les préoccupations du Parti libéral du Québec et du gouvernement fédéral de l'époque au sujet de l'Accord du lac Meech et de l'Entente de Charlotteton. Il n'y avait pas une acceptation de la formule d'amendement.

M. Scott: Même en 1980, l'opposition libérale s'objectait aux propositions de M. Lévesque. En 1981, il était quasiment impossible d'avoir une formule qui était à la fois la formule Lévesque et la formule de l'opposition. Si l'on prend le consentement ou le non-consentement du Québec ou de son Assemblée nationale, le fait est qu'à une autre époque ou à cette époque, l'opposition s'y serait objectée.

Le sénateur Rivest: La position du gouvernement libéral et fédéraliste - laissons M.Lévesque de côté - sur la formule d'amendement au cours et depuis 1985 a été la suivante: le Québec a voulu obtenir, sur les modifications aux institutions, un droit de veto qu'il n'avait pas dans la formule de 1982.

Deuxièmement, l'autre modification majeure de la formule de 1982 a été d'étendre le droit de retrait à la compensation financière à tous les pouvoirs de l'Assemblée nationale et non pas simplement à l'éducation et à la culture. Ce sont ces deux modifications majeures de la formule de 1982 que le gouvernement fédéraliste du Québec a défendues.

M. Scott: Je ne veux pas m'objecter au point de vue de l'opposition du gouvernement de l'époque ou du gouvernement subséquent sur ces points. Si l'on veut dire qu'il y a eu une injustice en 1981, et si l'on veut dire que cette injustice consiste à avoir méprisé ou à ne pas accepter ce point de vue du Québec ...

Le sénateur Rivest: Non, je ne veux pas faire ce procès. Votre phrase semble indiquer que le gouvernement du Québec, sauf pour quelques détails, était satisfait de la formule. Ceci est très important pour le débat du projet de loi C-110. Dans la formule défendue par le gouvernement du Québec à la ronde de l'Accord du lac Meech, ainsi qu'à la ronde de l'Entente de Charlottetown, il n'y avait pas la notion des veto régionaux. Elle avait été abandonnée. C'est la dernière position du gouvernement libéral fédéraliste dans le contexte du débat sur la formule d'amendement.

M. Scott: Dans mon texte, je dis, et je cite:

[Traduction]

... acceptés par le gouvernement du Québec de l'époque.

Le président: Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie, professeur Scott, d'avoir comparu devant nous. Votre aide nous est d'un grand secours.

M. Scott: Monsieur le président, c'est toujours un honneur et un plaisir que de comparaître devant vous. Nous avons toujours des échanges enrichissants, et je vous remercie de votre invitation.

Le président: Honorables sénateurs, notre deuxième témoin ce matin vient de l'Université York. Je souhaite la bienvenue au professeur Patrick Monahan.

Monsieur Monahan, nous voudrions vous donner l'occasion de faire une déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.

À vous la parole.

M. Patrick Monahan, Osgoode Hall Law School, Université York: Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi que de comparaître devant vous. Je suis heureux de le faire pour une question de cette importance.

J'ai remis au greffier un mémoire, qui est en anglais seulement, et je m'en excuse. Je l'ai rédigé hier soir seulement. J'ai un horaire très chargé, mais j'ai tout de même réussi à mettre quelque chose par écrit. J'ai pensé qu'il conviendrait peut-être que je commence par faire brièvement allusion à ce que j'ai mis par écrit.

Dans le premier paragraphe, je ne fais qu'exprimer le point de vue suivant lequel le projet de loi C-110 est un projet de loi valable. Je n'en dis pas plus. Je ne fais qu'exprimer ce point de vue. Je pourrais peut-être expliciter ma pensée et dire pourquoi j'en suis venu à cette conclusion.

Ce projet de loi se fonde sur le pouvoir énoncé dans la première phrase de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, soit celui de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada. Cet article confère un pouvoir résiduel au gouvernement fédéral relativement aux questions non visées par l'article 92 de ladite loi.

Je dirai, toutefois, qu'on pourrait avancer l'argument plausible que le projet de loi C-110 est une tentative visant à modifier indirectement le mode de révision à la partie V; c'est-à-dire que, par l'établissement d'une limite à la capacité des ministres de présenter des propositions de modification, c'est une tentative indirecte de modification de la procédure prévue à l'article 38, qui stipule maintenant qu'il ne faut que sept provinces et 50 p. 100 de la population pour modifier la Constitution. On pourrait dire qu'il s'agit là d'une tentative indirecte pour ajouter des exigences au mode de révision actuel.

Cependant, en somme, comme le projet de loi ne s'applique qu'à la capacité des ministres de présenter des projets de loi à la Chambre des communes et ne touche pas à la capacité de la Chambre des communes ou du Sénat d'adopter des modifications ou des résolutions conformément à l'article 38, il n'équivaut pas à une modification du mode de révision. Je parle ici du point de vue juridique. Je tiens à souligner qu'on pourrait, à mon avis, faire valoir qu'il est préjudiciable parce que d'aucuns pourraient prétendre que c'est une tentative visant à faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement. On ne peut pas modifier le mode de révision au moyen d'une loi fédérale ordinaire. On pourrait prétendre que c'est une tentative indirecte de modification du processus. Je pense que le point de vue le plus juste, le projet de loi ne visant que les ministres, c'est qu'il ne constitue pas une modification du mode de révision et, par conséquent, qu'il est un projet de loi valide ne portant pas atteinte à la Constitution du Canada. C'est le premier point que je voulais souligner.

Je voudrais maintenant m'arrêter aux mérites du projet de loi. Si le projet de loi est adopté, est-ce qu'il mérite de l'être?

J'ai des réserves à formuler à cet égard. Bien qu'il ne s'agisse pas, à strictement parler, d'une modification du mode de révision, ce projet de loi aura pour effet, en pratique, qu'aucune modification constitutionnelle ne pourra être apportée si elles ne sont pas conformes aux dispositions du projet de loi C-110. En pratique, aucune modification ne sera apportée à moins d'être conforme aux dispositions du projet de loi C-110. Par conséquent, d'un point de vue pratique, nous ajoutons au système actuel prévu par l'article 38 un système de droits de veto régionaux comprenant l'Ontario, la Colombie-Britannique, le Québec, deux provinces des Prairies et deux provinces de l'Atlantique.

En 1971, il y avait un consensus au sein du gouvernement en faveur d'un système de droits de veto régionaux. Cependant, depuis cette date, comme on l'a vu lors des trois dernières rondes de négociations constitutionnelles depuis 15 ans - à savoir la ronde du rapatriement en 1981, la ronde de l'Accord du lac Meech en 1987 et celle de l'Accord de Charlottetown en 1992 -, la majorité des intéressés sont contre un système de droits de veto régionaux. Si on examine l'historique des négociations depuis 15 ans, on constate notamment que le gouvernement fédéral et les comités sénatoriaux ou ceux de la Chambre des communes ont proposé précisément le genre de veto régional qu'on trouve dans le projet de loi C-110. On a dit ce matin que l'offre initiale du gouvernement fédéral en octobre 1980 comprenait un système de veto régional. Or, cette proposition a été rejetée au profit de la formule 7-50, assortie du droit de retrait avec compensation limitée pour les modifications touchant l'éducation et la culture.

En 1987, cela n'a pas été officiellement proposé. Le mode de révision sur lequel les parties se sont entendues lors des négociations de l'Accord du lac Meech prévoyait le consentement unanime pour toutes les questions liées à l'article 42 et un droit élargi à la compensation pour le droit de retrait. La question du droit de veto régional n'a même pas été abordée sérieusement parce qu'on ne considérait pas cela comme une solution acceptable.

Le sénateur Beaudoin a fait allusion ce matin au comité Beaudoin-Edwards de 1991. Ce dernier a proposé que l'on envisage sérieusement l'adoption d'une sorte de système de veto régional comme moyen de modification du mode de révision. Encore une fois, cela n'a pas reçu l'agrément général. En fait, cette solution a été jugée inacceptable. Cette question a été débattue par les gouvernements et les représentants des organisations autochtones nationales lors des négociations de la ronde Canada. Une fois de plus, elle a été rejetée.

Il s'agit donc d'une proposition qui ne semble être viable qu'à Ottawa, mais qui n'a guère passé la rampe au sein des autres gouvernements élus au Canada ni des représentants des peuples autochtones en 1992. Si on prend les choses au sérieux - et il le faut, à mon avis -, on doit se demander s'il convient de proposer un système de veto régional dans le projet de loi C-110.

J'estime qu'il y a deux sortes de préoccupations en cette matière. La première, c'est que cela porte préjudice au principe de l'égalité des provinces.

Qu'on le veuille ou non, c'est un principe assez fermement établi à l'extérieur du Québec. Lors des négociations de l'Accord du lac Meech et de l'Accord de Charlottetown, il fallait faire un compromis entre le principe de l'égalité des provinces et la nécessité de protéger l'intérêt du Québec dans le mode de révision. Il fallait ne pas apporter d'autres modifications touchant les pouvoirs ou les droits du Québec sans le consentement de celui-ci. On s'est mis d'accord, tant dans l'Accord du lac Meech que dans celui de Charlottetown, sur l'unanimité pour toutes les questions visées par l'article 42 et sur l'offre d'une compensation pour toute modification dérogeant aux pouvoirs visés par l'article 40.

Cela protège les intérêts du Québec sans porter atteinte au principe de l'égalité des provinces. Il s'agit là d'une solution qui réglerait le problème sans déroger au principe de l'égalité des provinces.

Une première préoccupation a trait à la violation du principe de l'égalité des provinces. Une autre concerne le souhait de régler, à court terme, un problème perçu. Ce problème n'est pas seulement perçu, il est réel. Le Québec a besoin d'un veto sur toute nouvelle modification constitutionnelle. Il devient très difficile de mettre en oeuvre toute nouvelle modification constitutionnelle, y compris celles que recherchent la province de Québec elle-même ou les fédéralistes du Québec et d'autres provinces, comme la reconnaissance de la société distincte dans la Constitution.

Si le projet de loi C-110 entre en vigueur, toute proposition de reconnaissance du Québec en tant que société distincte deviendrait encore plus difficile à faire accepter. En vertu du mode de révision actuel, il n'est pas nécessaire d'obtenir le consentement d'une province en particulier dans la mesure où la moitié de la population du pays et sept provinces approuvent une modification donnée; aux termes du projet de loi C-110, toutefois, il faudrait obtenir le consentement de l'Ontario, du Québec, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Évidemment, l'Alberta est mentionnée à cause du droit de veto qui lui est conféré du simple fait de l'importance de sa population par rapport aux autres provinces des Prairies.

J'aurais cru que les fédéralistes du pays s'en seraient inquiétés. Les gens ont critiqué la clause de la société distincte. D'une part, M. Bouchard dit que c'est un concept insignifiant dont il ne veut même pas parler; de l'autre, des politiques de l'extérieur du Québec disent qu'ils sont très préoccupés par la reconnaissance du Québec à titre de société distincte dans la Constitution. D'après mes propres conversations avec des fédéralistes au Québec, j'ai l'impression que si nous sommes incapables de nous entendre sur une quelconque reconnaissance du caractère distinct du Québec dans la Constitution dans un proche avenir, nous nous exposons à de très graves difficultés au prochain référendum.

Même si M. Bouchard dit que c'est insignifiant, il n'hésitera sans doute pas à accuser les fédéralistes à Ottawa et ailleurs de l'échec de la ratification de ce supposé insignifiant concept.

S'il considère ce concept comme insignifiant, il n'hésitera pas à tirer parti, comme il l'a fait dans le passé, du fait que la société distincte ne figure pas dans la Constitution.

Un deuxième sujet d'inquiétude, dont il a été question ce matin au comité et que le professeur Scott a soulevé, a trait aux peuples autochtones. En pratique, ce projet de loi rendra plus difficile l'adoption de modifications concernant les peuples autochtones. C'est un sujet de préoccupation parce que les négociations sur l'autonomie gouvernementale ont créé des attentes chez les peuples autochtones. Ces derniers ont exprimé le souhait que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale soit constitutionnalisé. Ce projet de loi rend pareille reconnaissance plus difficile à réaliser dans l'avenir.

Je ne minimise pas les difficultés maintenant. Je suis tout à fait d'accord avec le professeur Scott pour dire qu'il est déjà assez difficile d'inscrire toute reconnaissance de ce genre dans la Constitution, comme il le serait tout autant pour constitutionnaliser le caractère distinct du Québec. Cependant, cela ne me semble pas être un argument qui milite en faveur du fait de rendre cela encore plus difficile, comme le projet de loi C-110 propose de le faire.

Le sénateur Marchand et d'autres ont fait ressortir ce matin que la solution au problème des autochtones était peut-être d'ajouter, dans la Constitution, une clause de non-dérogation stipulant que cela ne déroge pas aux droits des peuples autochtones. Encore une fois, il me semble qu'il s'agit là d'une réponse que l'on donne toujours lorsque des gens formulent certaines objections à diverses modifications. C'est arrivé dans le cas de l'Accord du lac Meech. Diverses clauses de non-dérogation insérées dans l'accord ont joué un rôle non négligeable dans l'échec de l'accord. Dès que l'on ajoute une clause de non-dérogation, la question de savoir pourquoi une question a fait l'objet d'une protection spéciale, mais non d'autres, est soulevée.

Je donne l'exemple de l'Accord du lac Meech uniquement pour montrer que les gouvernements ont ajouté une clause de non-dérogation à l'Accord du lac Meech pour les questions autochtones, clause que, d'une part, les peuples autochtones n'ont pas jugé acceptable, mais qui, d'autre part, a poussé divers autres groupes d'intérêt à formuler des réserves et à demander à ce que leurs droits soient également protégés.

Je ne pense pas qu'une clause de non-dérogation soit la bonne façon d'aborder ce problème.

Voici ce que je préconise: sous réserve des préoccupations relatives aux mérites du projet de loi C-110, le ministre de la Justice a décrit cela uniquement comme une mesure provisoire. Je prends le ministre au mot à cet égard. Ce serait acceptable en tant que mesure provisoire parce qu'aucune modification constitutionnelle n'est imminente; par conséquent, je ne pense pas qu'il soit inacceptable que cette loi soit en vigueur pour un temps limité, nonobstant les préoccupations qu'elle soulève.

Le problème, c'est que ce projet de loi n'est pas rédigé comme une mesure provisoire. En termes pratiques - et, en tant que politiciens, vous avez beaucoup de sens pratique -, vous serez certainement d'accord avec moi pour dire que, comme le professeur Whyte l'a dit, je crois, si cette mesure est adoptée sous sa forme actuelle, il est difficile d'imaginer qu'un futur gouvernement puisse la modifier un jour. Toute modification de cette mesure serait perçue comme une atteinte aux droits de quelqu'un; quelle que soit la nature de cette modification, on la dénoncerait immédiatement comme une tentative en vue d'enlever à une province certains droits qui lui ont été accordés.

Supposons que nous voulions un jour apporter une modification constitutionnelle touchant les autochtones et que nous n'ayons pas le consentement requis. Le ministre offrirait alors de modifier le projet de loi C-110 ou de ne pas en tenir compte, tout simplement. Il me semble que cela provoquerait un tollé.

En fait, lorsque le sénateur Meighen a suggéré ce matin qu'on inclue une disposition de temporarisation dans ce projet de loi, suggestion qui, je crois, venait de l'autre côté de la table, la réaction a été que cela montrerait qu'il ne s'agit pas d'une mesure sérieuse et que nous ne devrions donc pas y inclure une telle disposition. Le fait qu'on ne puisse pas y inclure une disposition de temporarisation est en soi une preuve qu'il ne s'agit pas d'une mesure provisoire. En fait, cette mesure a un caractère permanent. Nous le savons tous. Je ne crois pas qu'on puisse penser sérieusement qu'un gouvernement futur viendra enlever à une province ou une autre la protection que lui assure ce projet de loi.

Si le ministre et le gouvernement sont sérieux lorsqu'ils disent qu'il s'agit là d'une mesure provisoire, et je les prends au mot - et je crois qu'ils sont vraiment sérieux -, il me semble qu'il conviendrait d'inclure une disposition de temporarisation qui dirait que le projet de loi cesserait d'être en vigueur cinq ans, c'est ce que je propose, après son entrée en vigueur. Cela ferait officiellement de ce projet de loi une mesure provisoire.

En fait, il me semble que ce serait la seule façon de s'assurer que cette mesure est provisoire parce que, si on veut limiter un droit, c'est au moment où ce droit est conféré qu'il faut le faire. Comme nous le savons tous, si on donne quelque chose à quelqu'un et qu'on essaie ensuite de le lui enlever, cela cause des problèmes. À mon avis, si on veut imposer des limites à l'égard de ce qui est proposé dans ce projet de loi, c'est avant son adoption qu'il faut le faire. Par conséquent, je crois qu'il conviendrait d'inclure dans cette mesure une disposition de temporarisation disant qu'elle cessera d'être en vigueur après cinq ans.

Cette période de cinq ans donnera aux gouvernements et aux Canadiens la chance d'examiner la nécessité de modifier la formule de modification et si, à la fin de cette période de cinq ans, on s'entend sur une nouvelle formule de modification, on pourra alors apporter les changements nécessaires pour adopter cette nouvelle formule en respectant l'ancienne formule de modification.

Si, par contre, on ne s'entend pas sur une nouvelle formule, il conviendrait alors que le projet de loi C-110 cesse d'être en vigueur parce qu'il est lui-même fondé sur le principe selon lequel on ne doit pas faire de changements permanents sans qu'il y ait un large consensus entre les gouvernements des provinces. S'il n'existe pas de consensus en faveur du projet de loi C-110, et je n'en vois aucun dans le moment, alors ce projet de loi ne devrait pas être adopté ou ne devrait pas rester en vigueur parce qu'il ne respecte pas le principe sur lequel il est lui-même fondé, ce que M. Petter vous a signalé, je crois, lorsqu'il a témoigné devant vous il y deux jours.

À mon avis, une disposition de temporarisation est meilleure qu'une disposition de non-dérogation parce que je crois que les dispositions de non-dérogation ne sont pas souhaitables en principe. Cela permet aussi de s'assurer que tout changement futur apporté à la formule de modification peut se faire par la voie normale, qui est la procédure prévue dans la Loi constitutionnelle, et non par des modifications à ce projet de loi s'il est adopté.

Si le projet de loi C-110 est adopté et devient une loi permanente, les futurs gouvernements auront une tendance naturelle à dire: «Au lieu de modifier la formule de modification elle-même, nous apporterons des modifications au projet de loi C-110 comme nous jugerons bon de le faire ou comme nous et certaines provinces jugerons bon de le faire.» Cela ne serait-il pas le comble de l'ironie que le projet de loi C-110 lui-même puisse être modifié sans le consentement des provinces lorsqu'on sait que le but de cette mesure est justement d'exiger que toute modification fasse l'objet d'un consensus entre les provinces? En fait, il me semble qu'on soit en train de faire adopter ce projet de loi sans le consentement véritable des provinces ou du moins sans le genre de consensus que le projet de loi C-110 lui-même exige à l'égard de toute résolution constitutionnelle.

L'ironie de la situation, c'est que le gouvernement fédéral pourrait, à l'avenir, avoir tendance à proposer des modifications au projet de loi C-110, si c'est une mesure permanente, devant l'opposition des provinces ou l'absence d'un consensus entre ces dernières.

C'est ma recommandation, sénateurs. Je vous remercie de m'avoir écouté. Je suis prêt à entendre vos observations et à répondre à vos questions.

Le président: Merci, professeur Monahan.

Le sénateur Beaudoin: Merci, monsieur le président. Si je comprends bien, vous êtes d'accord avec mon collègue, le sénateur Meighen, pour dire qu'une disposition de temporarisation serait une très bonne solution. Je suis enclin à reconnaître que c'est une proposition fort valable. Évidemment, s'il est vrai que ce n'est qu'un simple statut, il peut être modifié n'importe quand. Il peut même être modifié avant la fin de la période de cinq ans. Après tout, ce que le Parlement peut faire, il peut aussi le défaire. Si, l'an prochain, nous étions assez chanceux pour trouver une formule de modification définitive, le projet de loi C-110, même s'il était en vigueur, disparaîtrait immédiatement. C'est certainement une solution viable.

Nous avons examiné presque toutes les formules de modification possibles, comme les quatre veto régionaux, ou les cinq veto régionaux, ce dont nous discutons dans le moment. Nous avons discuté de la formule du lac Meech et de celle de Charlottetown. Cependant, il y a une formule que nous n'avons jamais vraiment examinée, et je voudrais connaître votre opinion à ce sujet. L'idée serait de garder la formule 7-50 sans qu'aucune province comme telle n'ait un droit de veto, sauf les autochtones, à l'égard de leurs droits, et le Québec, à l'égard des questions qui le concerne de façon particulière. Il y a un obstacle à la formule de modification. J'ai toujours pensé que le Québec réagit très fortement lorsque les discussions portent sur la langue, la culture, l'éducation et d'autres choses de ce genre, mais que, lorsqu'il s'agit de questions économiques ou autres, le Québec peut fort bien aller dans le même sens que le reste du pays.

À titre de constitutionnaliste, pensez-vous que cette formule devrait être rejetée d'emblée ou qu'elle offre certaines possibilités? À mon avis, ce serait une possibilité que de garder le formule 7-50, qui est tout à fait raisonnable, en constitutionnalisant toutefois les droits des autochtones - qui sont protégés à l'article 35, mais les autochtones veulent peut-être une meilleure protection - et en donnant au Québec l'assurance constitutionnelle que nous n'irons jamais à l'encontre de ce qu'il considère comme un intérêt vital. Ne devrions-nous pas étudier cette possibilité? Si je comprends bien, les gens rejettent cette idée et disent que c'est rêver en couleurs. Je ne suis pas certain que ce soit le cas. Nous avons essayé toutes les autres solutions. N'oubliez pas que l'unanimité est impossible. On ne peut pas avoir l'unanimité sur tout ou presque tout. Cela ne fonctionnera jamais. Le veto régional a déjà été rejeté deux ou trois fois. Cela ne veut pas dire que l'idée est mauvaise, mais elle a été rejetée. Vous avez peut-être des observations à faire au sujet de l'autre suggestion.

M. Monahan: Je ne veux pas dire que cette suggestion ne mérite pas une étude plus approfondie. Je suppose que, en tant que constitutionnalistes, nous aimons étudier n'importe quoi - plus nous étudions, mieux c'est.

Je dirais, sénateur, que, lors des deux dernières rondes de négociations, au lac Meech et à Charlottetown, il y avait un consensus sur la formule de modification. On s'entendait sur le fait que les questions prévues à l'article 42 devraient nécessiter le consentement unanime et que le droit de retrait avec compensation prévu à l'article 40 devrait être élargi. Le gouvernement du Québec a jugé ces conditions acceptables à deux reprises, soit en 1987 et en 1992. Je suppose donc que cela atteint l'objectif que vous visez, qui est de protéger les intérêts vitaux du Québec, parce que cela veut dire que le Québec doit donner son consentement ou, s'il n'a pas à donner son consentement, qu'il peut se retirer et obtenir une juste compensation.

Le sénateur Beaudoin: Mais pas dans tous les cas.

M. Monahan: Dans l'Accord du lac Meech, cela s'applique à toute modification portant atteinte aux pouvoirs des provinces. C'est la même chose dans l'Accord de Charlottetown. Toute province qui se dissocie d'une modification portant atteinte à ses pouvoirs recevra une compensation raisonnable. C'est la façon souhaitable de procéder.

Le problème que pose la formule que vous proposez, c'est qu'elle semble donner un droit de veto spécial à une province en particulier. Encore une fois, notre expérience des dix dernières années révèle que cette formule a peu de chances de faire l'objet d'un consensus général entre les autres gouvernements - c'est-à-dire les gouvernements autres que celui du Québec - et au sein de la population canadienne à l'extérieur de la province de Québec. Il semble donc peu probable que cette formule puisse être acceptée de façon générale d'un bout à l'autre du pays. Par contre, la formule du lac Meech et celle de Charlottetown ont l'avantage d'avoir au moins été acceptées par tous les gouvernements à deux occasions distinctes. Je sais qu'elles n'ont jamais été adoptées pour diverses raisons, mais ce serait la meilleure direction à prendre.

Le sénateur Beaudoin: Mais si elles n'ont pas été adoptées, c'est qu'elles ont été rejetées. L'Accord du lac Meech est allé plus loin que l'Accord de Charlottetown. Ce qui fait peur aux Québécois, dans une certaine mesure, c'est la question de la création de nouvelles provinces. Au moins, dans le projet de loi C-110, avec les cinq veto, il existe une protection en ce qui concerne le Sénat et la création de nouvelles provinces. Autrement dit, ces deux formules ont été rejetées.

Je crois que nous devrions essayer de nouveau. Nous devons essayer de nouveau l'an prochain. Nous pourrons faire l'expérience, pendant un an, d'une nouvelle formule de modification, car c'est ce que cette mesure fait en réalité. Elle ajoute indirectement une nouvelle formule de modification. Vous pensez peut-être que c'est rêver en couleurs que de croire que nous pouvons inclure dans la Constitution un obstacle à la formule de modification et ne plus y toucher. Je respecte ce point de vue, mais je suis un peu moins optimiste quant à l'avenir.

M. Monahan: Il est très difficile de faire adopter toute modification constitutionnelle au Canada. Je suis certainement de cet avis. Mais la question de la création de nouvelles provinces avait été traitée d'une façon légèrement différente dans l'Accord de Charlottetown, en ce sens qu'on ne pouvait pas bloquer la création d'une nouvelle province. Cependant, cette nouvelle province ne participerait pas aux fins de la formule de modification. C'était là une tentative en vue de répondre aux préoccupations du Québec à l'égard de la création de nouvelles provinces et de la dilution de son rôle dans ce processus. Cela avait été accepté à l'époque par le gouvernement du Québec et par l'Assemblée nationale du Québec.

Le sénateur Beaudoin: Oui, et par les territoires. Mais il n'en reste pas moins que les Canadiens ont rejeté cette proposition.

M. Monahan: Je ne crois pas que ce soit là la raison pour laquelle les gens ont rejeté l'Accord de Charlottetown. Ils ont voté contre cet accord pour de nombreuses raisons, mais je suis certain que ce n'était pas là une d'entre elles. Qui sait pourquoi les Canadiens ont voté contre cet accord. Il y a d'autres éléments de l'Accord de Charlottetown qui sont beaucoup plus susceptibles que les dispositions relatives à la formule de modification d'avoir amené les gens à s'opposer à cet accord.

Dans l'Accord du lac Meech, il y a eu beaucoup d'objections au sujet de la formule de modification, qu'on trouvait terrible, mais ces objections n'ont pas été soulevées de façon aussi forte à Charlottetown. M. Wells était de ceux qui ont critiqué l'Accord du lac Meech avec le plus de véhémence. Il était terriblement opposé à cette terrible formule de modification qui était prévue dans l'Accord du lac Meech. Mais il a signé l'Accord de Charlottetown. En fait, il a signé, en juin 1990, un accord qui contenait cette disposition.

Le sénateur Beaudoin: Oui, et cette résolution a été annulée.

M. Monahan: Nous ne reviendrons pas là-dessus.

Le sénateur Murray: C'est peut-être la dernière chance que vous avez de le critiquer puisqu'il sera nommé à la magistrature.

Le sénateur Gauthier: M. Monahan, je suis d'accord avec vous pour dire que c'est un projet de loi modeste. Il a bien des raisons d'être modeste. C'est un sujet difficile.

Le sénateur Rivest: C'est un projet de loi libéral.

Le sénateur Gauthier: Je crois aussi, comme vous, qu'il impose de sérieuses restrictions aux ministres, mais à personne d'autre. Vous avez également fait allusion à la société distincte. Vous avez dit qu'il serait plus difficile maintenant de modifier la Constitution pour reconnaître le Québec comme une société distincte. Est-ce juste?

M. Monahan: Oui.

Le sénateur Gauthier: La Chambre des communes et le Sénat ont tous deux adopté une résolution reconnaissant le Québec comme une société distincte. Si, par exemple, il est possible pour d'autres que les ministres de présenter des résolutions, des motions ou des modifications constitutionnelles, une province ou le Sénat pourrait présenter une telle mesure, n'est-ce pas? La Chambre des communes s'est déjà prononcée sur cette question. Il faut toujours obtenir son approbation, mais ne serait-il pas difficile pour la Chambre des communes de refuser d'approuver une mesure en faveur de laquelle elle s'est déjà prononcée?

M. Monahan: Sauf le respect que je vous dois, il est théoriquement possible pour un député d'arrière-ban représentant un parti qui n'a que deux sièges à la Chambre des communes de proposer des mesures. Cependant, dans la pratique, ces mesures ne seront pas adoptées. Tous ceux qui sont assis autour de cette table le savent. Ces mesures ne seront pas adoptées à moins que le gouvernement ne les appuie.

Le sénateur MacEachen: Il n'y a rien dans le projet de loi qui empêche le gouvernement d'appuyer une telle mesure.

M. Monahan: Bien sûr que non, sénateur.

Le sénateur Gauthier: Rien dans le projet de loi n'empêche un ministre de voter en faveur d'une telle résolution.

M. Monahan: Exactement.

Le sénateur Gauthier: Cela pourrait arriver, n'est-ce pas?

M. Monahan: Tout pourrait arriver, mais ce n'est jamais le cas. Sauf le respect que je dois aux sénateurs - qui ont tous deux une riche expérience en tant que leaders parlementaires et en tant que membres du gouvernement -, entendre quelqu'un qui a travaillé dans ce contexte dire que nous pouvons faire adopter une résolution constitutionnelle que le gouvernement n'appuie pas est...

Le sénateur MacEachen: Ce n'est pas ce que nous disons.

M. Monahan: Je croyais que vous aviez dit: «Cela n'est-il pas possible?»

Le sénateur Gauthier: Non.

M. Monahan: Vous pouvez présenter n'importe quelle mesure que vous voulez, mais elle ne sera pas mise aux voix parce que le gouvernement ne permettra pas qu'elle le soit.

Le sénateur MacEachen: Ce que vous faites ce matin, professeur, c'est montrer à un vieux singe à faire des grimaces. Si vous vous en teniez au droit au lieu de parler de politique, vous auriez plus de crédibilité. Vous nous parlez de politique, vous nous dites comment les politiciens agiront, comment le Parlement agira et comment les provinces agiront, mais vous ne parlez pas beaucoup de droit.

Le sénateur St. Germain: Vous donnez un sens logique à la discussion et vous réussissez bien. Veuillez continuer.

M. Monahan: Je suis désolé, sénateur, mais j'ai beaucoup de sens pratique pour un universitaire. Ces questions ne sont pas de mon ressort. Je m'en excuse. Vous avez raison de dire que je m'aventure dans un domaine que vous connaissez beaucoup mieux que moi. Cependant, j'ai bien peur de ne pas pouvoir aborder ces questions de façon abstraite, comme on le fait dans le monde universitaire. Vous semblez vouloir m'amener à dire: «N'est-il pas vrai qu'un député d'arrière-ban pourrait présenter une motion et que rien dans ce projet de loi n'empêcherait le gouvernement de voter en faveur d'une telle motion?»

Je suis d'accord. Vous avez parfaitement raison. Mais je dis que ce n'est pas une mesure modeste. Je n'ai jamais dit que c'était une mesure modeste.

M. Gauthier: Non, c'est moi qui l'ai dit.

M. Monahan: Vous avez dit que j'avais dit que c'était une mesure modeste. Je ne dis pas que c'est une mesure modeste. Je dis qu'elle est très importante. Elle est importante parce qu'elle veut pratiquement dire qu'aucune modification ne sera adoptée par la Chambre des communes sans qu'elle satisfasse aux exigences prévues dans ce projet de loi. Vous me dites que je n'y connais rien, que je ne peux pas me prononcer sur cette question. Je suis prêt à parier n'importe quel montant que si je reviens ici dans un certain nombre d'années pour que vous m'énumériez les modifications qui auront été adoptées en contravention du projet de loi C-110, il n'y en aura aucune.

Le sénateur MacEachen: Tout ce que je dis, sauf votre respect, c'est que, lorsque vous faites une telle affirmation, c'est un jugement politique, et je respecte cette affirmation comme étant un jugement politique. C'est tout.

M. Monahan: C'est une observation, sénateur, sur les rouages du Parlement et de la Chambre des communes.

Le sénateur MacEachen: Absolument, et c'est un jugement politique. Je n'ai aucune objection à ce que les gens fassent des jugements politiques, mais ils doivent être compris comme étant comme des jugements politiques et rien d'autre.

Le sénateur Murray: En plus de ses compétences en tant qu'universitaire, le professeur Monahan a une expérience personnelle considérable à titre de conseiller auprès du gouvernement de l'Ontario lors des deux dernières rondes de négociations constitutionnelles. Je veux lui poser plusieurs questions qui se rapportent davantage à sa perception de la situation politique et constitutionnelle dans notre pays.

Compte tenu de votre expérience et de ce que vous savez de l'histoire de notre pays au cours des quinze dernières années, croyez-vous que M. Chrétien a eu raison, en tant que premier ministre du Canada, de prendre l'engagement qu'il a pris envers les Québécois pendant la campagne référendaire?

M. Monahan: Je ne me prononcerai pas à ce sujet.

Je tiens à répondre au sénateur MacEachen. Je m'inscris en faux contre ce qu'il a dit au sujet de mes observations. Il se peut que je porte un jugement sur la nature de nos institutions politiques et la manière dont elles fonctionnent. De fait, la compréhension de nos conventions politiques nécessite une évaluation du comportement de nos politiciens. Toutefois, comme vous le savez, sénateur, les tribunaux ont statué sur ces questions et les constitutionnalistes en font l'analyse. En toute déférence, sénateur, je crois que le comité et le Sénat doivent examiner le projet de loi sous son angle pratique, et non pas d'un point de vue théorique sans rapport avec le fonctionnement des institutions. Vous différez peut-être d'avis.

Le sénateur MacEachen: C'est ce que j'ai tenté de faire depuis le commencement des travaux du comité.

M. Monahan: Je tiens à faire une différence entre des questions de ce genre et les observations concernant l'opportunité d'engagements qui ont été pris. Je ne me prononcerai pas au sujet de l'engagement pris par M. Chrétien. Je crois comprendre qu'il a pris cet engagement et qu'il était sérieux. J'estime que nous avons l'obligation d'y donner suite, et c'est ce que nous devons nous efforcer de faire.

Je crois que le projet de loi est acceptable en tant que mesure provisoire. Il donne suite à l'engagement pris par le premier ministre. Aussi, nous pouvons et devons appuyer ce projet de loi en tant que mesure provisoire. Je ne crois pas cependant qu'il devrait avoir un caractère permanent.

Le sénateur Murray: Indépendamment du fait que cet engagement a été pris à la veille du référendum, M. Chrétien n'a pas oublié que le Québec s'est opposé à la Constitution de 1982 et à la formule d'amendement, et il craint que des modifications ne soient apportées qui auraient pour effet de changer le statut du Québec dans la Confédération sans son consentement.

Dans ces circonstances, je crois que le premier ministre du Canada a eu raison de dire que tant qu'une formule d'amendement acceptable pour le Québec n'aurait pas été trouvée, le gouvernement fédéral s'engage à n'apporter aucune modification qui affecterait les intérêts du Québec sans son consentement.

Avez-vous objection à dire ce que vous en pensez?

M. Monahan: Non, pas du tout, sénateur. Je crois que le gouvernement a eu raison. Je ne voudrais pas que le gouvernement fédéral adopte des modifications qui porteraient atteinte aux pouvoirs du Québec. Je n'entends pas me dissocier de cet engagement. J'ai cru que vous tentiez de m'amener dans la voie opposée. Je ne trouve rien à redire. Je ne crois même pas qu'un projet de loi serait nécessaire. Le gouvernement n'a qu'à dire qu'il n'adoptera pas de modification qui porterait atteinte aux intérêts du Québec. Là encore, il est tout à fait indiqué de le faire par le truchement d'une loi provisoire.

Le sénateur Murray: Que diriez-vous d'un projet de loi qui respecterait l'engagement de M. Chrétien envers les Québécois, c'est-à-dire un projet de loi qui reposerait sur le consentement du Québec plutôt que sur un système de consentement des régions?

M. Monahan: Je n'aurais aucune objection. Je crois que ce serait acceptable à titre provisoire.

Le sénateur Murray: Est-ce que ce serait préférable au projet de loi actuel?

M. Monahan: Je n'en suis pas sûr. Dans l'état actuel des choses et d'un point de vue pratique, je crois que la meilleure solution serait d'inclure une disposition de temporisation dans le projet de loi au lieu d'essayer de refondre tout le projet de loi. Si le gouvernement acceptait cette solution, ce pourrait bien être une meilleure façon de donner suite à l'engagement pris.

Le sénateur Murray: Puisque vous êtes au courant des affaires de l'Ontario, pouvez-vous nous dire quelle est la position du gouvernement ontarien au sujet de ce projet de loi?

M. Monahan: Je l'ignore et je ne saurais me prononcer à ce sujet, sénateur.

Le sénateur Murray: Pourquoi proposez-vous une disposition de temporisation valable pour cinq ans? Le premier ministre semble vouloir convoquer en 1997, conformément à l'article 49, une conférence qui portera sur la formule d'amendement. Je crois qu'il se sent obligé de le faire. Quoi qu'il en soit, il convoquera une conférence. Pourquoi pas une disposition de temporisation valable pour un an?

M. Monahan: Une disposition de cinq ans est préférable, car bien que la conférence doive avoir lieu avant avril 1997, il faudrait compter un certain délai après la conclusion d'un accord général pour qu'une modification soit adoptée.

Je suis également conscient du fait que M. Bouchard est premier ministre du Québec et qu'il le sera probablement encore au moment de la conférence. Il sera peut-être très difficile de s'entendre avec lui. Le délai de cinq ans laisse la possibilité de faire élire un gouvernement fédéraliste au Québec. Une disposition de temporisation d'une durée de cinq ans laisserait plus de temps aux fédéralistes pour répondre.

Le sénateur Murray: Enfin, le gouvernement de la Colombie-Britannique et d'autres ont fait valoir que puisqu'il y a un gouvernement souverainiste à Québec et que le premier ministre désigné a déjà indiqué qu'il n'était pas intéressé à poursuivre la réforme constitutionnelle avec le gouvernement fédéral et les autres partenaires de la Confédération, il est préférable d'attendre la venue d'un gouvernement fédéraliste à Québec.

En dépit de la présence d'un gouvernement séparatiste au Québec, croyez-vous qu'une initiative constitutionnelle soit nécessaire au cours des 12 à 18 prochains mois pour renforcer la cause fédéraliste au Québec et pour gagner un référendum au Québec, ou une élection référendaire le cas échéant?

M. Monahan: Je crois qu'il est clair qu'une réforme importante du fonctionnement de la fédération s'impose d'ici 12 à 18 mois. Plutôt que de procéder à des modifications constitutionnelles, le gouvernement fédéral et les provinces auraient peut-être avantage, dans un si court laps de temps, à conclure des ententes concernant la répartition des pouvoirs et l'élimination des chevauchements et du double emploi, par exemple, ce qui pourrait être fait sans modifier la Constitution. Pour ce qui est des modifications à la Constitution, il faudrait sans doute compter un peu plus de 12 à 18 mois, précisément parce que M. Bouchard sera vraisemblablement encore premier ministre à la fin de ce délai. Tant que M. Bouchard sera premier ministre, il sera très difficile de parvenir à une entente dans l'un ou l'autre des domaines qui intéressent le Québec.

Le caractère distinct du Québec devra tôt ou tard être reconnu, mais je doute fort que M. Bouchard accepte une telle reconnaissance, aussi généreuse soit-elle.

Le sénateur Murray: Si le reste du Canada pouvait s'entendre sur la reconnaissance du caractère distinct du Québec dans la Constitution et sur la formule d'amendement, ou quels que soient les mots choisis car nous savons de quoi il s'agit, M. Bouchard ne se retrouverait-il pas drôlement sur la défensive?

M. Monahan: Il serait effectivement sur la défensive.

Le sénateur Murray: Est-ce que nous ne serons pas sur la défensive si nous ne parvenons pas à nous entendre avant le prochain référendum?

M. Monahan: Je suis de cet avis. Nous devrions au moins montrer que nous sommes en voie de répondre. Je crains cependant que le projet de loi C-110 ne vienne compliquer les choses à cet égard puisqu'il exigera le consentement d'un plus grand nombre d'instances. Étant donné l'inquiétude que le projet de loi C-110 soulève dans certaines provinces qui doivent maintenant donner leur consentement, et notamment la Colombie-Britannique et l'Alberta, et que ce projet de loi leur est imposé malgré elles, et bien que la Colombie-Britannique obtienne le droit de veto et que l'Alberta l'obtienne aussi de fait, je crains que cela ne fasse obstacle à la bonne volonté qui sera nécessaire pour avoir une attitude généreuse envers le Québec. Cela ne fait que renforcer mes réserves au sujet du projet de loi C-110, dont nous discutons aujourd'hui.

Le sénateur Murray: Quel processus constitutionnel pourrions-nous adopter? Le gouvernement fédéral ne montre aucune intention de vouloir prendre l'initiative sur le plan constitutionnel et une telle initiative ne serait sans doute pas crédible dans le contexte actuel. Je ne vois nulle part au Canada un John Robarts qui soit prêt à assurer le leadership. En désespoir de cause, on en est réduit à proposer des assemblées constituantes et autres solutions semblables.

Avez-vous une idée de la façon dont les intervenants, même en l'absence de M. Bouchard et de son gouvernement qui, s'ils refusent de participer, ne devront s'en prendre qu'à eux, pourraient régler ces questions constitutionnelles? En fin de compte, il faudra bien parvenir à un accord, non?

M. Monahan: Je crois que c'est exact. Nous devons nous efforcer de faire en sorte que les dirigeants des provinces les plus peuplées en dehors du Québec, soit l'Ontario, la Colombie- Britannique et l'Alberta, puissent donner leur accord de principe à certaines modifications, notamment la reconnaissance du caractère distinct du Québec. Ce serait possible dès que le Québec aurait un gouvernement fédéraliste, prêt à agir.

Je présume que tant que M. Bouchard sera là, il refusera d'agir. Par conséquent, le mieux que nous puissions espérer est que les chefs de gouvernement des autres provinces se montrent disposés à reconnaître, par exemple, le caractère distinct du Québec. Je crois que nous devons définir les conditions préalables à cette reconnaissance. Il serait peut-être utile que des personnes ne faisant pas partie du gouvernement tentent de trouver des appuis à certaines de ces idées, car les politiciens ne voudront peut-être pas aller plus loin que ce qu'ils percevront dans l'opinion publique.

Le sénateur Carstairs: Je vous invite à réfléchir au réalisme d'une disposition de temporisation. On a proposé que le projet de loi soit en vigueur pendant un an, soit jusqu'à la conférence de 1997. Vous avez proposé une période d'application de cinq ans. Quelqu'un d'autre a recommandé que le projet de loi reste en vigueur jusqu'en l'an 2000, ce qui revient à peu près au même que ce que vous proposez.

Je crois qu'aucun autre gouvernement, et sans doute le gouvernement fédéral comme les autres, n'aime être assis sur une bombe à retardement qui l'oblige à agir dans un délai précis.

À cela s'ajoute le dilemme constitutionnel puisqu'il faut parfois jusqu'à trois ans pour faire adopter une modification constitutionnelle. Il y a un autre dilemme politique: des élections auront probablement lieu au Québec avant la tenue d'un autre référendum.

Je suis les sondages d'opinions et il m'apparaît très improbable qu'un parti politique autre que le Parti québécois puisse être élu. Il dispose donc de cinq ou six ans.

Ne serait-il pas tout à fait irréaliste d'adopter une disposition de temporisation d'une durée de cinq ans?

M. Monahan: Vous soulevez un grave problème, sénateur. De fait, il est exact qu'une disposition de temporisation obligerait le gouvernement à s'attaquer au problème avant la date d'expiration de la loi. Aucun gouvernement ne choisirait de se placer en pareille situation. Les gouvernements préfèrent s'accorder la plus grande marge de manoeuvre possible dans ces cas.

L'avantage d'une disposition de temporisation est qu'elle obligerait justement le gouvernement en place à revoir la question, dans la mesure où la formule contenue dans le projet de loi C-110 n'est pas permanente.

Le sénateur Carstairs: Cette disposition obligera le gouvernement fédéral à agir en ce sens, mais elle n'impose aucune contrainte ou menace aux dix gouvernements provinciaux.

M. Monahan: Non, mais on peut présumer que le gouvernement fédéral fera quelque chose. Je suppose qu'en définitive, ce serait le gouvernement fédéral qui, en tant que gouvernement national, prendrait l'initiative et proposerait un processus ou des discussions aux provinces. En fait, un des problèmes que soulève ce projet de loi est qu'il ne repose pas sur des consultations adéquates avec les provinces.

Vous affirmez que cette formule oblige le gouvernement à faire quelque chose. En fait, elle ne l'oblige pas à faire autre chose que réexaminer le projet de loi. Le gouvernement pourrait adopter de nouveau le projet de loi si, par exemple, les perspectives exigeaient un délai supplémentaire ou si le gouvernement désirait examiner un accord sur une période de trois ans, par exemple. Rien n'empêcherait le Parlement d'adopter de nouveau le projet de loi C-110 pour une durée limitée. En fait, le gouvernement se voit dans l'obligation de revoir la question.

Je me suis inspiré en partie, pour le délai de cinq ans, de la disposition de dérogation de l'article 33 de la Charte, qui existe précisément pour cette raison. Cela signifie qu'une mesure qui déroge aux droits énoncés dans la Charte doit faire l'objet d'un examen au bout de cinq ans. Rien ne s'oppose à ce que la disposition soit adoptée de nouveau, mais elle doit néanmoins faire l'objet d'un nouvel examen.

Il se peut qu'après cinq ans, le gouvernement veuille changer sa ligne de conduite, comme l'a fait le gouvernement de M. Bourassa après le recours à la disposition de dérogation en 1989. Cinq ans plus tard, il était en mesure d'adopter une approche un peu différente.

Il se peut aussi qu'après cinq ans, la situation n'ait à peu près pas évolué et que le gouvernement choisisse de prolonger l'application de la loi pour une autre période de cinq ans ou qu'il opte pour une autre solution.

Il m'apparaît préférable de ne pas donner un caractère permanent à la loi ou de la percevoir comme une mesure permanente, mais d'en faire plutôt une mesure temporaire. À la fin du délai de cinq ans, la loi pourrait être de nouveau adoptée pour la période qui serait jugée adéquate.

Je ne crois pas que cela représenterait une contrainte particulièrement lourde pour le gouvernement. Il conserverait une marge de manoeuvre suffisante. Cette formule a également l'avantage de rassurer ceux qui ont émis des réserves au sujet du projet de loi et de ses répercussions.

Le sénateur Rivest: Je voudrais faire une observation au sujet de l'analyse politique que le sénateur Carstairs a faite de la situation au Québec.

M. Lucien Bouchard et le PQ prévoient tenir le prochain référendum au Québec non pas cette année, mais dans les mois qui suivront la conférence de 1997. C'est une question de mois. Ils attendent simplement le rendez-vous de l'an prochain et tiendront le référendum aussitôt après.

Le sénateur Carstairs: Si nous devions, par exemple, adopter de nouveau ce projet de loi, est-ce qu'il ne perdrait pas de son caractère provisoire? Selon ce que disait le ministre de la Justice, ce projet de loi revêt un caractère provisoire parce que nous parviendrons présumément à nous entendre avec le Québec au sujet d'une formule d'amendement dans la Constitution. Si nous n'y parvenons pas, le projet de loi devra être adopté de nouveau. Chaque adoption du projet de loi n'aura-t-elle pas pour effet de renforcer l'idée qu'il ne s'agit pas d'une mesure provisoire, mais bien d'une loi permanente, d'une formule d'amendement à long terme de la Constitution?

M. Monahan: J'aurais cru que c'était précisément le contraire. En effet, si, dans cinq ans, le gouvernement désirait adopter de nouveau le projet de loi, on pourrait faire valoir qu'il s'agissait d'une mesure provisoire qui a été en vigueur pendant cinq ans.

Là encore, on pourra me reprocher de m'aventurer en terrain politique, mais je crois qu'on fait couramment remarquer que les déclarations antérieures sont notées, reprises et utilisées contre le gouvernement. Le gouvernement se verrait obligé de justifier l'adoption du projet de loi. Si le gouvernement tentait d'adopter de nouveau le projet de loi et peut-être même de le faire à nouveau cinq ans plus tard, il lui serait très difficile de continuer à prétendre qu'il s'agit d'une mesure provisoire.

La réadoption d'une mesure remet en question le caractère provisoire lui-même de cette mesure. Je préfère une disposition de temporisation parce qu'elle oblige le gouvernement à mieux respecter le caractère provisoire de la loi en vigueur. Il devient par conséquent difficile, quoique pas impossible, d'adopter de nouveau une loi après cinq ans sans justifier cette décision.

Rien n'empêche le gouvernement d'abroger la loi avant l'échéance légale, mais l'obligation d'adopter de nouveau la loi constitue, en soi, une protection contre des adoptions ininterrompues. Si le gouvernement désirait réadopter la loi à plusieurs reprises, le ministre responsable serait mal venu de dire qu'il s'agit d'une mesure provisoire.

On pourrait alors invoquer d'autres justifications. La loi perdrait alors son caractère provisoire, le gouvernement voulant peut-être en faire une mesure permanente en raison des circonstances de l'heure.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie d'avoir expliqué les choses dans des termes compréhensibles pour le profane que je suis. Vous avez proposé une approche pondérée. On vous a accusé de parti pris, mais je constate que vous avez simplement expliqué comment fonctionne le Parlement.

Le sénateur MacEachen: Je n'ai accusé personne de parti pris, sénateur. Pesez bien vos paroles. J'ai dit qu'il portait un jugement politique.

Le sénateur Jessiman: Je ne faisais pas nécessairement référence à vous, monsieur. Je ne vous ai pas nommé. C'est moi qui ai la parole.

Le sénateur MacEachen: Vous n'avez pas le courage de me nommer.

Le sénateur Jessiman: J'en ai le courage. Si je décide de vous nommer, je le ferai. Ce que j'ai dit est mon interprétation.

Monsieur le professeur, si vous étiez le seul à pouvoir répondre à cette question, en tenant compte de l'unité nationale et des complexités de la situation du Québec et dans le respect des autochtones, tout en vous fondant sur votre expérience et les études que vous avez faites, quelle serait votre décision? Je vous rappelle également que les fédéralistes québécois nous ont dit que ce projet de loi ne ferait rien pour régler le problème du séparatisme au Québec. Donneriez-vous votre appui au projet de loi ou vous y opposeriez-vous?

M. Monahan: J'accorderais mon appui au projet de loi de la manière que j'ai expliquée, c'est-à-dire en y incluant une disposition de temporisation. Je crois que nous aurions alors une mesure acceptable et un juste équilibre.

Le sénateur MacEachen: Mon collègue a posé la question que je voulais poser.

Le sénateur St. Germain: Les grands esprits se rencontrent.

Le sénateur MacEachen: J'allais demander à M. Monahan s'il est du même avis que le professeur Tremblay, qui nous a pressés de rejeter le projet de loi. Vous avez posé la question, sénateur.

Le sénateur De Bané: Le professeur Pelletier a donné son appui au projet de loi; on ne devrait donc pas laisser entendre que les fédéralistes du Québec sont contre. M. Tremblay s'y oppose, mais les autres fédéralistes québécois appuient le projet de loi.

M. Monahan: Je suis d'accord avec le sénateur MacEachen. Je serais en faveur d'un projet de loi comportant une disposition de temporisation.

Le sénateur St. Germain: Il y a une grande nervosité dans l'air, professeur Monahan.

Le président: Je remercie M. Monahan de sa présence.

Nous allons maintenant faire une pause pour le déjeuner et nous entendrons ensuite le prochain témoin.


Reprise des travaux.

Le président: J'ai l'honneur d'accueillir un ami de longue date, M. Douglas Schmeiser, professeur à l'Université de la Saskatchewan. Nous entendrons d'abord son exposé et nous passerons ensuite aux questions.

Je cède donc la parole à M. Schmeiser.

M. Douglas A. Schmeiser, c.r., Université de la Saskatchewan: Monsieur le président et honorables sénateurs, j'estime que le projet de loi C-110 contient des dispositions remarquables. Comme vous le savez, le projet de loi dispose qu'un ministre de la Couronne ne peut déposer une motion de résolution autorisant des modifications de la Constitution du Canada à moins que certaines provinces ou un groupe de provinces y aient préalablement consenti.

Essentiellement, le projet de loi vise à limiter le droit du Parlement du Canada d'exercer les pouvoirs que lui confère la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 concernant la modification de la Constitution du Canada. En fait, le projet de loi atteint ce but en utilisant une procédure détournée qui limite la liberté d'action des ministres de la Couronne.

Le projet de loi introduit également dans le droit constitutionnel canadien la notion de provinces de première et de seconde catégorie. L'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique font évidemment partie de la première catégorie puisque le gouvernement fédéral doit obtenir leur consentement pour agir. Les provinces Atlantiques et les provinces des prairies sont dans le second groupe, car il faut au moins deux provinces de l'un ou l'autre groupe pour faire obstacle aux actions du gouvernement fédéral, et toujours sous réserve de la règle du poids démographique. Cette approche marque un écart par rapport à tout ce que contiennent la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982.

Mis à part la question de sa constitutionnalité, le projet de loi mérite de sérieuses critiques quant au principe. Il assujettit les intérêts du gouvernement fédéral à ceux des provinces à titre individuel. Il soumet le pouvoir national au pouvoir provincial, c'est-à-dire l'ensemble à ses parties.

On ne peut s'empêcher de se demander quels intérêts sert le gouvernement fédéral en proposant un projet de loi pareil. Cette mesure ne satisfera certainement pas ceux qui veulent se séparer du Canada ou qui pourraient envisager de le faire. Elle nie le concept d'un gouvernement national efficace et responsable, garant de l'intérêt national. En somme, le projet de loi désavoue le Canada en tant qu'entité nationale.

Ce projet de loi est sans précédent dans notre histoire. Il rejette un principe fondamental du fédéralisme canadien, en vigueur depuis plus de 125 ans, en vertu duquel une province ne peut pas opposer un veto à certaines modifications apportées à la Constitution. Dans le Renvoi sur procureur général du Québec contre le procureur général du Canada, dans lequel le tribunal a statué que le consentement de la province de Québec à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 n'était pas requis par la Constitution, la Cour suprême du Canada a déclaré:

Toutefois, que ce soit dans son mémoire ou dans sa plaidoirie, le procureur de l'appelant n'a cité aucune déclaration d'un représentant des autorités fédérales reconnaissant au Québec, expressément ou par inférence, un droit de veto conventionnel sur certains types de modifications constitutionnelles. La déclaration faite par le ministre Favreau le 20 novembre 1964 et le passage qui se trouve à la page 49 du Livre blanc sont cités à deux reprises dans le mémoire de l'appelant, comme s'ils appuyaient un tel droit de veto tout autant que la règle de l'unanimité. Toutefois, ils n'ont trait qu'à l'unanimité et c'est à ce titre qu'ils ont été analysés ci-dessus.

En outre, une convention comme celle que revendique présentement le Québec devrait être reconnue par les autres provinces. On ne nous a mentionné aucune déclaration dans laquelle les acteurs des autres provinces reconnaissent l'existence d'une telle convention.

Le projet de loi C-110 a un caractère encore plus extrême parce qu'il accorde le droit de veto constitutionnel à un nombre accru de provinces et de groupes de provinces. Il s'agit d'une mesure peu judicieuse qui créera des problèmes dans l'avenir.

Le projet de loi C-110 est inusité quant à la forme. Il indique que le gouvernement fédéral n'agira pas tant que d'autres ne prendront pas l'initiative. On s'attendrait plutôt, du point de vue politique, que le gouvernement fédéral conserve le droit d'agir dans le meilleur intérêt du pays tout entier et qu'il ne reconnaisse pas dans une loi qu'il ne peut agir qu'avec le consentement des autres gouvernements.

L'absurdité de ces dispositions devient évidente si on envisage ce qui arriverait, sur le plan juridique, si certaines provinces édictaient des mesures législatives qui, selon elles, ne seraient pas des modifications constitutionnelles à moins que le Parlement canadien ne les ait d'abord approuvées. Cela ôterait toute signification au projet de loi C-110. Proposer que, dans un État fédéral, les mesures législatives d'un parlement fédéral puissent être rendues nulles par une loi provinciale est une nouveauté.

Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 rendent sans doute trop difficile la révision de la Constitution, ce pour quoi elles sont d'ailleurs critiquées. Ayant moi-même rédigé ces dispositions, je trouve cette critique justifiée, mais j'ai suivi les instructions qu'on m'avait données. On ne reproche pas à ces dispositions d'être trop souples. Si le projet de loi est adopté, il rendra impossible, à toutes fins utiles, toute modification future de la Constitution.

On doit juger des effets du projet de loi C-110 à la lueur des réalités pratiques des négociations constitutionnelles au Canada. Je pense pouvoir en parler en connaissance de cause puisque j'ai participé à presque toutes les réunions constitutionnelles depuis le milieu des années 1960 et que je suis le conseiller constitutionnel le plus ancien au pays.

Modifier la Constitution est devenu presque impossible du fait que les participants clés refusent de se limiter à une question unique ou à des sujets clairement définis. Toute proposition de modification constitutionnelle conduit inévitablement à des revendications compensatoires et à une série interminable d'échanges de concessions et de marchandage, ce qui rend impossible l'achèvement heureux des négociations. Le problème est aggravé lorsqu'on se trouve en présence de forces sécessionnistes.

Qu'on puisse penser qu'on n'aura plus jamais besoin de modifier la Constitution canadienne dépasse l'entendement, et pourtant, c'est bien ce qui se passera si on donne le droit de veto à une province. Quiconque connaît l'histoire des négociations constitutionnelles au Canada ne peut s'empêcher de frémir à la seule pensée de ce projet de loi.

L'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 précise la compétence législative des assemblées législatives provinciales. Toutes les provinces sont traitées de façon égale. L'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique ont les mêmes droits que les autres provinces. Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 qui régissent la révision de la Constitution mentionnent la participation des assemblées législatives provinciales au processus de modification. Là aussi, on ne fait aucune différence entre les provinces. Il est vrai qu'aux termes de l'alinéa 38(1)b), il faut l'approbation d'au moins 50 p. 100 de la population, mais c'est une condition qui peut se justifier selon un critère objectif.

L'effet des dispositions constitutionnelles actuelles est que l'Ontario et le Québec pourraient, ensemble, bloquer certaines modifications constitutionnelles, mais ce serait impossible si les deux provinces agissaient séparément. D'aucuns suggèrent que le principe constitutionnel général de l'égalité des provinces ne devrait pas être écarté à la légère.

J'aimerais aborder maintenant la constitutionnalité du projet de loi. Du fait de sa forme unique, il est difficile de dire si le projet de loi C-110 est ou non constitutionnel. Ma réaction naturelle est de dire que le projet de loi est une tentative déguisée visant à annuler les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 régissant la modification de la Constitution.

La position du gouvernement fédéral est que le projet de loi ne modifie pas le processus de révision de la Constitution et qu'il ne fait que limiter la latitude du gouvernement pour proposer des résolutions autorisant des modifications constitutionnelles. Reste à savoir si c'est une distinction valable ou simplement une question de sémantique. On peut toutefois dire qu'on se trouve en présence de pouvoirs constitutionnels, ce qui donne à penser que cette mesure législative va à l'encontre des règles et des conventions constitutionnelles générales et qu'elle est donc tout à fait inappropriée. Cela pourrait persuader un tribunal de la déclarer anticonstitutionnelle. Bien qu'il soit impossible de présenter maintenant un mémoire constitutionnel, je vais évoquer les principes constitutionnels généraux en cause ici. C'est une règle constitutionnelle de base que le Parlement et les assemblés législatives provinciales ne peuvent abdiquer ou abandonner leur autorité. Dans la cause Gray, le juge en chef Fitzpatrick, de la Cour suprême du Canada, a dit ceci:

Le Parlement ne peut en vérité abdiquer ses fonctions, mais il peut, dans des limites raisonnables en tous les cas, déléguer ses pouvoirs au gouvernement exécutif. De tels pouvoirs doivent être déterminés par le Parlement et il va sans dire que les décisions de l'exécutif prises en fonction de l'autorité qui lui a été déléguée doivent être conformes aux dispositions de la mesure législative précisant son autorité.

Dans la même décision, le juge Idington a dit ce qui suit:

Les diverses mesures nécessaires pour produire de tels résultats doivent être adoptées en bonne et due forme par le Parlement canadien, conformément à notre Constitution, et les pouvoirs qu'elle lui confère ne peuvent être transférés ou cédés à quiconque d'un seul coup de plume.

Et le juge Duff a déclaré:

Les pouvoirs accordés pourraient être révoqués n'importe quand et toute décision prise en fonction de ces derniers, annulée par le Parlement qui n'a abandonné aucune de ses propres compétences législatives, et qui d'ailleurs ne le pourrait pas.

Enfin, selon le juge Anglin:

L'abdication complète par le Parlement de ses fonctions législatives est tellement inconcevable qu'il n'est même pas nécessaire de juger de la constitutionnalité de la moindre tentative dans ce sens...

On peut dire du projet de loi C-110 qu'il constitue une abdication de la part du Parlement de ses pouvoirs en matière de révision de la Constitution.

On peut tirer une analogie intéressante de la cause In Re The Initiative and Referendum Act, qui portait sur la validité d'une mesure législative du Manitoba stipulant que les lois de la province pourraient être édictées et abrogées par scrutin direct des électeurs, plutôt que par la seule assemblée législative. Le Conseil privé avait déclaré la loi anticonstitutionnelle. Cette décision a cela d'intéressant que le Conseil privé avait conclu que cette mesure législative était en fait une modification constitutionnelle puisqu'elle portait atteinte à la charge de lieutenant gouverneur. Voici ce qu'avait dit le Conseil privé sur la question des pouvoirs généraux d'une assemblée législative:

Il ne fait aucun doute qu'un corps législatif possédant, dans les domaines qui lui ont été confiés, une autorité législative aussi vaste que celle dont jouit une assemblée législative provinciale au Canada pourrait, sans amoindrir sa capacité...

...j'insiste sur ces mots...

... demander l'aide d'organismes subordonnés, comme cela a été fait dans la cause Hodge v. The Queen, lorsqu'a été reconnu à l'assemblée législative de l'Ontario le droit de confier à une commission l'autorité d'adopter des règlements régissant les tavernes; néanmoins, il n'ensuit pas qu'il peut créer et investir de sa propre capacité un nouvel organisme législatif qui n'est pas prévu par la loi à laquelle il doit son existence. Leurs Seigneuries font plus qu'attirer l'attention sur la gravité des questions qui se posent alors sur le plan constitutionnel.

Enfin, plus récemment, dans le Renvoi sur le Régime d'assistance publique du Canada, la décision de la Cour suprême renferme le passage suivant:

On reconnaît que le gouvernement ne pouvait prendre un engagement qui empêcherait le Parlement d'exercer ses pouvoirs de légiférer pour modifier le Régime. Affirmer le contraire reviendrait à nier la souveraineté du Parlement. Cet aspect fondamental de notre vie constitutionnelle était donc présent à l'esprit des parties lors de l'adoption du Régime et au moment de la conclusion de l'accord.

Le juge Sopinka dit en outre - et c'est essentiel en ce qui nous concerne:

Toute restriction imposée au pouvoir exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même.

C'est exactement ce qui se passe avec le projet de loi C-110. Et je suggère qu'on y regarde de plus près.

Le projet de loi C-110 a la prétention d'agir en imposant une restriction au pouvoir exécutif. Alors que le gouvernement fédéral prétend que cela constitue seulement une limite du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif, il convient de remarquer que la Cour suprême du Canada y a vu une limitation de la souveraineté du Parlement.

Ces trois causes, prises ensemble, étayent la position selon laquelle le projet de loi C-110 constitue une limitation de la souveraineté du Parlement. De plus, ces causes font ressortir combien cette mesure législative est inhabituelle.

Selon un deuxième argument, très proche du précédent, le projet de loi irait à l'encontre des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant la création du Parlement. On a beaucoup écrit sur les droits implicites qu'on trouve dans la Constitution et je n'y reviendrai pas. L'essence de l'argument est que certaines conditions sont nécessaires pour qu'un gouvernement parlementaire puisse fonctionner et que toute loi incompatible avec ces conditions est anticonstitutionnelle. Toute limitation de la souveraineté du Parlement pourrait donc être interprétée comme une violation de la Constitution. Tout comme pour le premier argument, la force de celui-ci dépendra de la façon dont les tribunaux jugeront le projet de loi.

Ceux qui appuient le projet de loi pourront rétorquer que, bien que le Parlement ne puisse pas limiter sa souveraineté, il peut se restreindre quant au mode et à la forme des mesures législatives subséquentes. On trouve une bonne discussion de ce principe dans l'arrêt sur le Régime d'assistance publique du Canada. D'aucuns suggèrent que cet argument ne s'applique pas ici, parce que le projet de loi C-110 n'est pas une mesure législative qui impose des exigences quant au mode et à la forme, mais qu'elle restreint directement le fonctionnement d'un gouvernement parlementaire.

Un troisième argument est que la Constitution appartient à l'ensemble du pays et que ni le Parlement, ni les assemblées législatives provinciales ne peuvent prendre de mesures pour en contrecarrer les termes. Les droits assignés par la Constitution ne sont pas simplement des pouvoirs, mais des devoirs, et les citoyens sont en droit d'insister sur le respect des mandats constitutionnels. C'est le thème de l'arrêt Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. Procureur général du Canada selon lequel ni le Parlement ni une assemblée législative provinciale ne peuvent déléguer des compétences à l'autre.

Dans la décision, le juge en chef Rinfret dit ce qui suit:

La Constitution canadienne n'appartient ni au Parlement, ni aux assemblées législatives; elle appartient au pays, et c'est là que les citoyens du pays trouveront la protection des droits qui leur ont été accordés. Cela fait partie de la protection au sujet de laquelle le Parlement peut légiférer dans les domaines qui lui sont attribués par l'article 91 et au sujet de laquelle chaque province peut légiférer exclusivement dans les domaines qui lui sont attribués par l'article 92. Le pays a le droit d'insister pour que les mesures législatives adoptées en vertu de l'article 91 le soient exclusivement par le Parlement canadien, tout comme les citoyens de chaque province ont le droit d'insister pour que les mesures législatives concernant les domaines énumérés à l'article 92 soient issues exclusivement de leur assemblée législative respective. Dans chaque cas, les députés élus au Parlement ou aux assemblées législatives sont les seuls qui ont le pouvoir et le devoir de légiférer dans les domaines qui ont été confiés à chacun d'eux par la loi constitutionnelle.

Il est très significatif que dans ce passage le juge en chef Rinfret décrive le processus législatif comme étant à la fois un pouvoir et un devoir.

Dans la même décision, le juge Taschereau affirme:

Si le projet de loi était déclaré constitutionnel, la raison d'être de la Constitution canadienne serait complètement remise en question.

De même, dans le cas présent, si le projet de loi C-110 était jugé constitutionnel, la raison d'être des dispositions régissant la révision de la Constitution serait complètement remise en question.

Une approche similaire se retrouve dans le Renvoi sur la compétence législative du Parlement; la Cour suprême du Canada a jugé que le Parlement n'avait pas la compétence législative d'abolir le Sénat. Le passage suivant est extrait du jugement:

À notre avis, le pouvoir que le par.91(1) a donné au Parlement fédéral ne visait pas à lui permettre de modifier de quelque façon les dispositions des art. 91 et 92 régissant l'exercice de l'autorité législative par le Parlement du Canada et les législatures provinciales. Le paragraphe 91(1) est une particularisation du pouvoir législatif général du Parlement du Canada. Ce pouvoir général ne peut être exercé que par la Reine du consentement et de l'avis du Sénat et de la Chambre des Communes. On ne peut interpréter le par. 91(1) de façon à permettre de supplanter tout le reste de l'article. On ne peut l'interpréter de façon à permettre le transfert des pouvoirs législatifs énumérés dans l'article 91 à un ou plusieurs organismes autres que ceux qui y sont expressément désignés.

Ce dernier passage est pertinent ici, car il proscrit le transfert de pouvoirs législatifs à une assemblée non autorisée. Le projet de loi C-110 rend l'exercice du pouvoir du Parlement de modifier la Constitution conditionnel à l'exercice du pouvoir par une assemblée externe, c'est-à-dire une assemblée législative provinciale.

À la fin de la décision, la Cour suprême du Canada conclut de la façon suivante:

C'est à ce Sénat, créé par l'Acte, que l'art. 91 a donné un rôle législatif. Nous sommes d'avis que le Parlement du Canada ne peut en modifier unilatéralement le caractère fondamental et le par. 91(1) ne l'y autorise pas.

De la même façon, dans le cas présent, l'action unilatérale du Parlement ne devrait pas influer sur les dispositions portant sur les modifications constitutionnelles.

Bien qu'ils soient sommaires, ces arguments constitutionnels ressortent plus clairement quand on examine la situation juridique que présenterait l'adoption par le Parlement d'une loi prescrivant qu'aucun ministre de la Couronne ne peut déposer une motion de résolution visant à modifier le Code criminel, que si certaines provinces y ont préalablement consenti. Une telle loi serait-elle valide? J'en doute, et je pense qu'un grand nombre de constitutionnalistes en doutent également. Pourtant, il semble n'y avoir aucune différence fondamentale entre une telle loi et le projet de loi C-110.

Pour conclure sur ces références constitutionnelles, je souligne qu'il ne s'agit pas de savoir si le projet de loi est conforme ou non à la Constitution, mais bien de déterminer si c'est une bonne mesure. En définitive, ce projet de loi n'est pas dans l'intérêt de l'ensemble du Canada et devrait être rejeté, peu importe qu'il soit conforme ou non à la Constitution.

Je voudrais maintenant m'arrêter sur les sophismes qui ont été présentés supposément pour défendre le projet de loi C-110.

Pour justifier l'octroi au Québec d'un veto constitutionnel, on a prétendu que le Québec l'avait toujours eu ou l'avait toujours réclamé. C'est inexact. La Cour d'appel du Québec a jugé qu'un tel veto n'avait jamais existé. Dans son jugement, ce tribunal a déclaré ce qui suit:

Il est vrai qu'à certaines occasions, la politique des premiers ministres du Canada a été de ne pas procéder à des modifications constitutionnelles sans le consentement du Québec. Ils avaient jugé qu'il n'était pas opportun de le faire. D'une part, le gouvernement fédéral n'a pas pour autant renoncé à son droit de demander des modifications à l'AANB de 1867 sans le consentement du Québec. D'autre part, les autres provinces, qui sont des parties également intéressées, n'ont pas reconnu au Québec un droit particulier.

En appel, la Cour suprême du Canada a également jugé que le Québec ne possédait pas de droit de veto, pas plus en vertu d'une loi que d'une convention. Encore une fois, je me reporte à une affaire que j'ai citée précédemment sur le caractère vraiment particulier de l'allégation faite dans ce cas-ci.

Fait encore plus significatif, au cours des négociations qui ont précédé l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, le premier ministre Lévesque du Québec n'a réclamé aucun veto constitutionnel. Dans l'accord signé à Ottawa, le 16 avril 1981, le premier ministre Lévesque a essentiellement approuvé les dispositions relatives aux modifications constitutionnelles qui sont actuellement inscrites dans la Loi constitutionnelle de 1982. Dans les dispositions de l'accord d'Ottawa, la seule différence importante portait sur une disposition mineure traitant de la compensation financière faisant suite au transfert d'une compétence provinciale.

La différence entre le contenu de l'accord d'Ottawa et les dispositions constitutionnelles actuelles revêt tellement peu d'importance que j'ai toujours considéré comme une tragédie le fait que le premier ministre Trudeau n'ait pas accepté toutes les dispositions intégralement. Il n'y a pratiquement aucune différence importante, si ce n'est le versement d'une compensation financière prévu dans une situation peu significative qui ne se serait pratiquement jamais produite. J'ai toujours pensé que le refus que le gouvernement fédéral a opposé à cet accord était une des tragédies de l'histoire du Canada.

D'après un deuxième argument invoqué en faveur du projet de loi C-110, le Québec doit avoir un droit de veto sur toute modification constitutionnelle pour protéger ses intérêts fondamentaux. Encore une fois, c'est un faux argument, puisque la question a été traitée de façon particulière et a été réglée au moyen de la disposition prévue à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982. D'ailleurs, c'est en raison de l'existence de cet article que M. Lévesque n'a pas réclamé un droit de veto pour le Québec, étant donné que les droits de la province étaient complètement protégés par cet article.

Ayant participé à la rédaction de l'accord d'Ottawa et des dispositions sur les modifications constitutionnelles, je suis en mesure d'assurer que c'est ce qui a justifié l'existence de cet article. Ce dernier a été expressément approuvé par le premier ministre Lévesque et le gouvernement québécois de l'époque. Le paragraphe (2) prescrit:

Une modification faite conformément au paragraphe (1) mais dérogatoire à la compétence législative, aux droits de propriété ou à tous autres droits ou privilèges d'une législature ou d'un gouvernement provincial exige une résolution adoptée à la majorité des sénateurs, des députés fédéraux et des députés de chacune des assemblées législatives du nombre requis de provinces.

Le paragraphe (3) poursuit de la façon suivante:

La modification visée au paragraphe (2) est sans effet dans une province dont l'assemblée législative a, avant la prise de la proclamation, exprimé son désaccord par une résolution adoptée à la majorité des députés, sauf si cette assemblée, par résolution également adoptée à la majorité, revient sur son désaccord et autorise la modification.

Ces dispositions font en sorte qu'aucune loi ne peut être adoptée au moyen d'une modification qui touche les droits, les pouvoirs ou les privilèges de la province de Québec sans le consentement de l'assemblée législative du Québec.

Je m'étonne que, dans toutes les discussions constitutionnelles qui se tiennent aujourd'hui, personne ne s'empresse de rappeler cette disposition. Elle a été inscrite dans la Constitution expressément pour réfuter l'argument voulant que l'on protège les droits du Québec.

J'en arrive maintenant à ce que j'ai appelé le problème «de diversion» que soulève le projet de loi C-110.

D'après moi, la menace de sécession du Québec est réelle et sérieuse. Il est décourageant de constater que nos leaders politiques font si peu pour la contrer. En cela, ils suivent l'exemple de la plupart des états fédéraux qui ne réagissent que trop tard à une menace de sécession, qui ne prennent aucune mesure énergique à cette fin et qui ne se rendent pas compte que les efforts de dernière minute pour régler le problème ne fonctionnent pas.

À cet égard, je recommande l'excellent article intitulé «Of Federalism, Secession, Canada and Quebec», que le professeur Greg Craven a fait paraître dans le journal de la faculté de droit de l'Université Dalhousie. La référence exacte figure dans mon mémoire. Sur la nature du risque de sécession du Québec, M. Craven a écrit ce qui suit:

On observe généralement que les mouvements sécessionnistes d'une ethnie constituent vraisemblablement les menaces les plus sérieuses pour l'État dont elle fait partie. Enracinés comme ils le sont dans le sentiment profond d'une autre identité, souvent renforcés par des facteurs linguistiques et religieux, et alimentés par un discours fondé sur la notion de «peuple», ces mouvements sont parfaitement capables de résister à de longues périodes d'adversité, seulement pour resurgir avec une vigueur renouvelée quand les circonstances deviennent plus favorables. Les principales caractéristiques de ces mouvements sécessionnistes, comme le sentiment ethnique sur lequel ils sont fondés, font qu'ils ne disparaissent pas facilement...

De toutes les méthodes utilisées pour contrer un mouvement sécessionniste d'une ethnie, celle qui a le moins de chance de réussir consiste à croire qu'il disparaîtra de lui-même.

D'ailleurs, le système fédéral canadien pourrait bien alimenter la cause de la sécession du Québec.

En raison du mode d'évolution de ce système, où les recettes fiscales sont partagées et où Ottawa dépense constamment dans des domaines de compétence provinciale, il est devenu essentiel en politique provinciale de blåmer Ottawa pour tous les maux des provinces. Ce blåme est souvent injuste, mais il entretient les mouvements sécessionnistes.

Il est regrettable que le projet de loi C-110 adopte une mauvaise technique constitutionnelle, qui nuira à évolution future de la Constitution canadienne, et qu'il la présente comme une excellente réaction à la menace de sécession du Québec. Cette réaction est mauvaise et elle fera peu, sinon rien, pour préserver l'unité canadienne. Au mieux, disons que c'est une solution réactive, alors que nous avons désespérément besoin d'une solution proactive. Le gouvernement fédéral devrait sûrement parler au nom de tous les Canadiens et devrait avoir son mot à dire sur le programme de la sécession et ses conséquences. De toute évidence, cela devrait se faire avant que d'autres votes soient pris. Si le Québec se sépare, ce qui est possible, on demandera aux politiciens fédéraux où ils étaient et ce qu'ils faisaient, pendant que le Canada se brisait, pour protéger l'ensemble du pays. Le projet de loi C-110 n'est pas une solution satisfaisante à cette question. Ce n'est qu'une mesure de diversion qui, malheureusement, risque de nuire à la Constitution.

Je suis heureux d'avoir pu faire cet exposé et, bien entendu, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Beaudoin: J'ai deux questions précises.

À la page 7 de votre mémoire, vous rapportez que le juge Sopinka a déclaré:

Toute restriction imposée au pouvoir de l'exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même.

M. Schmeiser: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Il est regrettable que nous n'ayons pas tout le contexte dans lequel il a fait ses observations.

Ce matin, nous avons entendu une autre théorie que, pour ma part, j'entendais pour la première fois. Nos spécialistes sont divisés. Cela n'a rien d'étonnant, parce que la question est complexe. Au Québec, MM. Pelletier et Tremblay n'étaient pas d'accord. Leurs points de vue sont différents. Ce matin, MM. Monahan et Scott ne se sont pas entendus sur la question.

Vous concluez qu'une restriction imposée au pouvoir de l'exécutif - ce que fait précisément le projet de loi C-110 - est une entrave à la souveraineté du Parlement lui-même. M. Scott en a convenu, mais il a dit qu'il ne fallait pas oublier que l'article 44 autorise le Parlement à modifier le pouvoir exécutif du gouvernement du Canada. C'est la première fois que j'entendais cela. En un sens, cette idée est nouvelle pour moi.

Évidemment, nous pouvons changer l'åge de la retraite des sénateurs simplement en adoptant une loi fédérale. Nous pouvons apporter des modifications au pouvoir exécutif. J'en conviens. Mais ce n'est pas ce que nous faisons dans ce cas-ci, car nous nous attaquons à la formule de modification.

Ensuite, vous dites à la page 12 que, puisque le Québec a un droit de retrait, il n'a pas besoin d'une protection spéciale. Vous avez parfaitement raison. Si un pouvoir provincial est transféré à Ottawa, Québec peut dire: «Nous voulons garder ce pouvoir et recevoir une compensation au chapitre de l'éducation et de la culture. Cependant, nous ne pouvons nous retirer de la Cour suprême; nous ne pouvons nous retirer du Sénat. Et qu'en est-il de la création de provinces?»

Si nous avons eu l'Accord du lac Meech, c'est que le Québec avait l'impression de manquer de protection dans trois domaines. En ce qui concerne la Cour suprême, c'est discutable, et je crois que le Québec est protégé. Toutefois, même si le Québec s'y opposait, vous pourriez avoir un Sénat égal demain et vous pourriez créer de nouvelles provinces. D'après moi, c'est pour cette raison que les gens parlent de protection dans ces trois domaines.

J'aimerais entendre vos observations là-dessus.

M. Schmeiser: En ce qui concerne la première question, concernant la modification constitutionnelle, je suis d'avis que vous savez mieux que moi comme il est difficile de prédire le résultat d'une affaire constitutionnelle. En rappelant l'affaire du Régime d'assistance publique du Canada - dont j'ai le jugement ici, dans ma serviette, parce que je considère que c'est une des décisions les plus importantes dans le domaine -, je voulais faire remarquer qu'il y avait une déclaration particulière dans une décision rendue par la Cour suprême du Canada, il y a quatre ans à peine, voulant qu'une telle mesure législative puisse être remise en question. J'attire simplement votre attention là-dessus.

Vous aurez remarqué que, dans mon mémoire, je me suis bien gardé de me prononcer sur la constitutionnalité de la mesure législative. Il est très difficile de trancher la question. Je voulais simplement rappeler qu'une autorité constitutionnelle est opposée à ce texte législatif. Il m'est très difficile de dire ce que la Cour suprême du Canada en fera si elle en est saisie. Toutefois, à titre de constitutionnaliste, si un client me posait la question, je dirais qu'il y a matière à litige, que c'est une question controversée et que les chances de réussite sont raisonnables. Je ne saurais en dire davantage.

En ce qui concerne la deuxième question, celle qui a trait à la protection des droits du Québec, personnellement, je pense que la protection de ces droits est une affaire très importante et qu'il en est de même d'ailleurs pour toutes les provinces parce que c'est le gage d'un fédéralisme plus efficace. J'imagine que j'aborde le problème dans le souci de protéger les droits du Québec. J'aimerais toutefois faire valoir que ces droits sont déjà protégés et que le premier ministre du Québec d'alors, un premier ministre séparatiste et, en 1980-1981, soit au moment où ces négociations ont eu lieu, le gouvernement du Québec, estimaient que cette clause protégeait suffisamment les droits de la province.

Il est vrai qu'il y a certains domaines où il est maintenant très difficile d'apporter des changements. Dans la déclaration que vous m'avez faite, vous avez fait allusion aux dispositions qui exigent le consentement unanime. C'est évident que cela exige le consentement du Québec.

Le sénateur Beaudoin: Seulement pour la Cour suprême.

M. Schmeiser: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Pas le Sénat et la création de provinces.

M. Schmeiser: Et quelques autres également, mais je pense qu'il y d'autres questions à débattre. De toute évidence, toute modification exige le consentement du gouvernement fédéral, et c'est là un changement fondamental.

Je tenais à signaler que, selon le gouvernement du Québec de l'époque, le Québec était content de ces dispositions et ne les jugeait pas contraires à ses intérêts. À mon avis, il est important de tenir compte du point de vue historique.

Le sénateur Beaudoin: Vos propos sont très clairs et je vous remercie de cette observation, mais une question se pose: qui était là en 1982? René Lévesque et Claude Morin. Ils étaient très favorables au droit de se retirer. Je comprends leur logique. Toutefois, comme l'a fait observer mon collègue, le sénateur Rivest, le Québec a changé d'avis en 1990. Le Québec réclamait la protection de trois secteurs qu'il juge, à tort ou à raison, vitaux.

Trois choses sont importantes dans un État fédéral. Il s'agit de la répartition des compétences, de la formule de modification et de l'interprétation qu'on en fait. Voilà pourquoi la protection doit s'étendre à la répartition des compétences, à la formule de modification et à l'interprétation, c'est-à-dire celle de la Cour suprême du Canada. Je crois que le Québec est protégé aux termes de l'article 41. Mais, avec une proportion de 7-50, le Sénat peut changer cela demain. Je ne mentionne pas l'abolition, laquelle exige l'unanimité.

Un Sénat dit «égal» pourrait devenir réalité demain, avec le même nombre de sénateurs dans chacune des provinces, qu'il s'agisse de l'Île-du-Prince-Édouard, du Québec, de l'Ontario, et ainsi de suite. Demain, nous pourrions créer cinq autres provinces gråce à la formule 7-50. C'est la raison pour laquelle le Québec s'est dit inquiet. Et c'est la raison pour laquelle l'Accord du lac Meech a vu le jour.

Je suis d'accord avec vous. En novembre 1991, René Lévesque n'y voyait pas d'objection. Il s'opposait naturellement à l'indemnisation totale. Il s'opposait également à l'article 23, qui traite du bilinguisme et dit que c'est la Cour suprême qui a le dernier mot.

Le fait est que, dans une certaine mesure, le Québec a changé. Il demande une plus grande protection dans trois domaines. Certes, l'exposé est basé sur les faits, mais la situation a changé depuis 1990.

M. Schmeiser: Je n'ai pas d'objection à ce que quiconque, voire une province, change d'avis. Néanmoins, je pense que ce n'est pas dans l'intérêt de l'unité canadienne que circule une opinion que je sais être inexacte, à savoir que les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 ont été imposées au Québec, qui refusait son consentement. Cela ne cadre tout simplement pas avec la réalité historique.

Si le Québec dit maintenant: «Nous voulons changer des choses parce que nous n'acceptons plus ce qui nous acceptions alors», pas de problème. À mon avis, c'est le droit de chaque province, ainsi que du gouvernement fédéral. Seulement, ce n'est pas ainsi que les choses sont actuellement présentées, ce qui est très préjudiciable à l'unité canadienne.

Le deuxième volet de votre observation, sénateur, a trait à ce qui préoccupe actuellement le Québec. Vous avez fait allusion à trois domaines: la répartition des compétences, la formule de modification et l'interprétation assurée par la Cour suprême du Canada.

Le lieu ne se prête pas sans doute à une discussion ou à un débat de portée générale sur la question de savoir si la Constitution du Canada est bonne ou mauvaise. Chose sûre, s'il n'en tenait qu'à moi, il y a des aspects de la Constitution qui feraient l'objet de modifications. Je suis persuadé que toutes les personnes ici présentes partagent mon avis.

Toutefois, je ferai observer que la Constitution du Canada est la plus décentralisée de toutes les constitutions fédérales au monde. Les droits du Québec sont énormes. Les moyens que les paragraphes 38(2) et (3) confèrent au Québec pour protéger son statut sont énormes.

En ce qui concerne la formule de modification, malgré le fait que j'ai participé à sa rédaction ou plutôt à la version finale, ce n'est pas celle que j'aurais choisie, mais c'est bel et bien l'accord auquel les premiers ministres ont abouti à cet égard. Personnellement, j'émets des réserves, par exemple, vu son inflexibilité et le manque de participation des gens au processus, contrairement à ce qui se passe dans les assemblées législatives provinciales. Je le répète, il y a tout lieu d'envisager des modifications constitutionnelles. Elle n'est pas cependant foncièrement mauvaise. Je lui trouve de grandes qualités.

Je veux tout simplement faire valoir qu'il se peut que des gens honorables et raisonnables ne s'entendent pas sur ses avantages et ses inconvénients. Je suis également confronté à ces problèmes, ce qui fait que je puis le comprendre. Néanmoins, je maintiens qu'il ne s'agit pas d'une disposition déraisonnable. En ce qui concerne le Québec, la protection de ses intérêts ou des autres ne présente pas de problèmes insurmontables.

Pour ce qui est de la Cour suprême du Canada, le dernier aspect que vous avez évoqué, je pense que l'on peut dire que cette institution, tout comme le Conseil privé qui l'a précédée, a toujours été très sensible aux intérêts des provinces. Il m'est arrivé de jeter un coup d'oeil sur les jugements rendus par ces deux cours. À titre de constitutionnaliste, je me dis parfois qu'il y a des procès que le gouvernement fédéral devrait gagner, et il les gagne. Il y a aussi des procès que les gouvernements provinciaux devraient gagner, et ils les gagnent. Mais il y a bon nombre de procès qui tombent dans une catégorie grise; il est difficile d'en prévoir l'issue. Selon moi, dans ces cas-là, les provinces s'en tirent mieux que le gouvernement fédéral.

En somme, les décisions de la Cour suprême du Canada ont été très favorables au Québec. Il suffit de comparer le statut d'une province canadienne avec celui d'un État américain. À nos yeux, les États américains sont ni plus ni moins que des municipalités améliorées, tandis que les provinces canadiennes exercent des pouvoirs importants.

Le sénateur Beaudoin: Je dois dire que je suis heureux des décisions prises par la Cour suprême et le Conseil privé.

M. Schmeiser: Moi aussi, sénateur Beaudoin.

Le sénateur De Bané: Monsieur Schmeiser, une des caractéristiques que l'inscription dans la Constitution confère à une disposition particulière, c'est la permanence. En effet, il est rare qu'une fois inscrite, une disposition soit supprimée ou modifiée. Il s'ensuit que quand on inscrit quelque chose dans la Constitution, il est préférable que l'on en débatte à fond auparavant parce qu'après, il est trop tard.

À la page 2 de votre mémoire, vous dites que la question du veto accordé aux provinces est un précédent historique.

M. Schmeiser: Oui.

Le sénateur De Bané: Vous dites également ceci:

Elle fait passer les intérêts du gouvernement fédéral considéré comme un tout après ceux des provinces prises individuellement. Elle assujettit le pouvoir national au pouvoir provincial. Elle fait passer le tout après les parties.

J'aimerais vous faire part de deux observations. Premièrement, dans une démocratie comme la nôtre, il serait inconcevable que l'on modifie la Constitution canadienne sans un large appui. J'ajouterais que dans une démocratie libérale, on ne saurait modifier la Constitution sans un large appui.

Deuxièmement, malgré le fait que les politiciens canadiens n'aient pas pu s'entendre sur une formule de modification en 1971, à Victoria, un consensus unanime s'est fait sur les veto régionaux. J'ajoute qu'à la fin, le Québec avait refusé d'y consentir. Il en a été ainsi non pas en raison de la formule, mais bien parce qu'ils étaient plus préoccupés de mesures sociales.

Toutes les provinces, y compris la vôtre, comme toutes les autres de l'Ouest, sont d'accord sur la question des veto provinciaux.

Ainsi, en 1981, quand M. Trudeau est allé de l'avant avec son projet de rapatriement, celui-ci comportait un veto. Puis, comme vous le savez, l'Ouest a changé d'avis et M. Lougheed et d'autres ont proposé cette formule.

Vous avez parfaitement raison quand vous dites que René Lévesque ne voulait pas le veto. Il voulait créer un front commun avec sept autres provinces. Comme il était le seul des huit à détenir un veto, il a dû y renoncer pour créer ce front commun.

Quant à l'affirmation que vous faites à la page 2, selon laquelle ce veto constitue un précédent historique, je dirais, sauf le respect que je vous dois, que vous forcez un peu la vérité.

M. Schmeiser: Commençons par la dernière observation. Dans aucun document constitutionnel n'est-il dit que le Québec possède un droit de veto. Je vais revenir à vos propos. Il est vrai qu'il est arrivé lors de négociations constitutionnelles que l'on propose d'accorder un veto au Québec.

Le sénateur De Bané: Tout ce que je dis, c'est que la mesure qui est prévue dans ce projet de loi a été proposée aux autres premiers ministres qui l'ont approuvée à l'unanimité en 1971. On ne saurait parler d'un précédent historique. Elle a été proposée et a reçu un appui unanime en 1971. La question a déjà été débattue à fond.

Monsieur Schmeiser dit que ce projet de loi est contraire aux traditions canadiennes, alors qu'à un moment donné de notre histoire, tout le monde était d'accord sur ce point.

M. Schmeiser: Pas tout le monde. Disons plutôt que la mesure possédait un certain appui politique.

Le sénateur De Bané: Elle possédait l'appui unanime des dix premiers ministres provinciaux et du premier ministre du Canada.

M. Schmeiser: L'appui politique certes, mais pas l'appui juridique, parce que la Cour suprême du Canada soutenait que ce droit n'existait pas.

Le sénateur De Bané: Monsieur, sauf le respect que je vous dois, je fais ici appel à des faits qui sont si frais dans notre mémoire que tout le monde les connaît. L'offre de Victoria comportait plusieurs éléments. Il y avait, entre autres, une formule de modification. La formule exigeait l'accord de provinces de l'Ouest représentant 50 p. 100 de leur population totale, du Québec, de l'Ontario et de deux provinces des Maritimes. C'est un point non litigieux. Tous les premiers ministres y avaient donné leur bénédiction. Cela a échoué parce qu'à la fin, M. Bourassa a dit: «J'aimerais encore ajouter quelque chose à l'offre.»

Vous avez raison, cela n'a jamais été inscrit dans la Constitution. La Cour suprême du Canada a déclaré en 1981 qu'aucune province n'avait de droit de veto, que ce soit en vertu de la loi ou d'une convention. En 1971, n'eut été de cette demande supplémentaire du Québec au sujet de la politique sociale, nous l'aurions obtenu.

Autrement dit, je suis d'accord pour dire que nous ne devrions pas, en général, inscrire quoi que ce soit dans la Constitution avant d'en avoir discuté à fond, parce que nous savons d'expérience que du moment qu'une disposition est adoptée, on ne peut plus la supprimer ou la modifier. Il faut en discuter à fond avant toute chose. Une telle mesure a un caractère permanent. Je crois que vous adaptez un peu l'histoire.

Deuxièmement, à la page 3, vous affirmez que, dans les faits, le gouvernement fédéral ne fera rien à moins que d'autres fassent quelque chose. C'est votre interprétation de la loi.

Que pensez-vous, professeur Schmeiser, du concept selon lequel même si le projet de loi C-110 dit qu'aucun ministre ne peut présenter de résolution concernant un amendement de la Constitution sans l'accord d'un certain nombre de provinces, tout autre député fédéral peut présenter une telle résolution? Ce projet de loi entrave la liberté d'action du gouvernement, mais il permet à un député d'arrière-ban d'un côté ou de l'autre de la Chambre de présenter une telle résolution.

Si on lit attentivement le projet de loi C-110, on constate qu'aucun ministre ne peut présenter une telle résolution, mais il n'y a pas d'interdiction totale pour la Chambre des communes de présenter une telle résolution. Cela ne vaut que pour les ministres.

M. Schmeiser: Je vais répondre sur la question du principe.

J'admets qu'il y a eu des moments dans l'histoire du Canada où des politiciens ont accepté des choses absurdes. On trouve dans la Charte de Victoria des choses qui, à mon avis, ne sont pas dans l'intérêt du Canada. Il y avait des choses dans l'Accord du lac Meech et dans l'Accord de Charlottetown qui n'étaient pas non plus dans l'intérêt du Canada.

Le sénateur Murray: Y avait-il quelque chose en 1982 qui n'était pas dans l'intérêt du Canada?

M. Schmeiser: Je suis d'accord pour dire qu'en 1982, il y avait des choses qui n'étaient pas dans l'intérêt du Canada.

Le sénateur Murray: Y compris le fait que le Québec ait été exclu de l'entente?

M. Schmeiser: Je pense que cet état de fait est déplorable. J'ai déjà dit que j'avais toujours cru que c'était une tragédie qu'on aurait pu éviter. J'ai mes idées. J'ai eu la chance d'assister à toutes les séances de négociations privées et d'entendre tout ce qui s'est dit. J'ai gardé des notes abondantes sur ces discussions. Je ne me suis jamais senti libre de les publier, parce que j'y assistais à titre professionnel. Quoi qu'il en soit, j'étais présent et je sais ce qui s'est produit. J'ai toujours considéré le résultat comme tragique, jusqu'à un certain point. Mais revenons à la question du principe.

Avec tout le respect que je vous dois, je dirais qu'il est fondamentalement mauvais, en général, qu'une société fédérale ait un mode de révision qui exige l'unanimité. C'est vers cela qu'on se dirige. Ce faisant, on assujettit le tout aux parties.

Personnellement, je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit, sénateur. Vous avez dit qu'avant d'adopter une modification de la Constitution, il fallait obtenir un appui généralisé. Fondamentalement, je suis d'accord là-dessus. Au cours de ma carrière, j'ai travaillé davantage pour les gouvernements provinciaux que pour le gouvernement fédéral. Je suis très sensible à la question des droits des provinces.

Cela étant dit, je considère qu'en général, peu importe qui a appuyé cette mesure par le passé, ce serait une erreur d'établir un mode de révision tellement rigide qu'il empêche toute modification future. Selon moi, c'est ce que nous sommes en train de faire.

En disant cela, je ne défends pas le point de vue de l'Ouest ou de la Saskatchewan. Je n'ai absolument pas ce mandat. Évidemment, on pourrait dire que j'exprime simplement mon propre point de vue sur cette question, mais je sais que ce que je dis est représentatif de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Les cas de démocratie constitutionnelle où il est impossible de modifier la Constitution sans le consentement unanime sont très rares. On en trouve quelques exemples, mais c'est très rare. La plupart des études et des analyses montrent que c'est très néfaste.

Outre le poids historique de ce fait, je me fonde sur l'expérience que j'ai acquise en quelque 30 ans de participation aux négociations constitutionnelles. Mon expérience dans le milieu canadien me fait dire que nous ne modifierons jamais la Constitution s'il faut le consentement unanime ou celui de certaines provinces - quatre plus les régions. Nous allons nous engoncer dans un corset constitutionnel dont nous ne pourrons jamais nous sortir.

Il y a autre chose qui est très difficile. C'est très bien de dire qu'il ne s'agit que d'une loi du Parlement du Canada, en présumant qu'elle soit adoptée, mais que se passera-t-il si, comme on l'a mentionné plus tôt, quelqu'un propose l'abrogation de cette loi?

Ce sera perçu par certaines provinces comme une attaque contre les droits des provinces, et ce sera vraiment difficile de s'entendre sur une modification constitutionnelle du genre de celles dont on aura besoin, d'après moi.

Le sénateur De Bané: M. Schmeiser, ne croyez-vous pas que la raison de votre désaccord, au fond, l'élément fondamental de notre divergence de vues, c'est que vous n'êtes pas d'accord avec l'idée de dire aux Québécois: «Nous vous reconnaissons explicitement comme une nation et nous allons agir en conséquence, c'est-à-dire en ne modifiant jamais la Constitution sans votre consentement»? C'est cela qui est à la base de notre désaccord.

À la page 12, vous dites que, en 1982, le premier ministre René Lévesque n'a pas réclamé de veto constitutionnel. Encore une fois, je veux vous rappeler que, bien que ce que vous avez écrit soit exact dans les faits, s'il a agi ainsi, de concert avec M. Morin, ce n'est pas parce que le veto n'était pas dans l'intérêt du Québec; c'était simplement une tactique employée pour faire front commun avec la Saskatchewan et d'autres provinces.

Ce n'est qu'une question d'interprétation de faits historiques.

Pour terminer, je veux vous dire que je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il est souhaitable qu'une constitution soit souple. On peut penser au marché commun, en Europe, qui était stagnant de 1957 à 1985, parce que tous les pays membres avaient un droit de veto. Quand on a finalement modifié cette disposition et déclaré que, dorénavant, il ne faudrait plus qu'une majorité qualifiée et que les pays ne pourraient exercer un veto que sur les questions qu'on a désignées comme d'«intérêt vital», on a très rapidement constaté des progrès radicaux. Tant que chaque pays a eu un droit de veto sur tout, le marché est resté stagnant. Je suis donc d'accord avec vous pour dire que nous ne devrions pas aller trop loin et adopter un mode de révision tellement rigide qu'il n'y a pas moyen de changer quoi que ce soit.

C'est tout ce que j'avais à dire.

M. Schmeiser: Sur le premier point, je ne peux pas accepter qu'on laisse entendre que je suis influencé par mes idées sur la province de Québec concernant cette question. À mon avis, et je le dis de façon positive et catégorique, ce serait mauvais pour n'importe quelle province d'avoir le genre de veto envisagé dans le projet de loi C-110. Si ce veto était donné à la Saskatchewan, d'où je viens, je m'y opposerais. Je suis contre dans le cas de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de l'Ontario et du Québec. Selon moi, le principe est fondamentalement mauvais.

Sur le deuxième point, au sujet des tactiques du premier ministre Lévesque au cours des négociations constitutionnelles, j'ai été très chanceux, dans le sens que j'étais alors suppléant du premier ministre du Manitoba, qui était président du conseil des premiers ministres. J'avais donc souvent affaire à M. Lévesque et à sa position constitutionnelle. J'ai passé un grand nombre d'heures en sa compagnie à tenter de régler ces problèmes. Je puis vous dire que je me suis beaucoup attaché à lui. Je le trouvais très respectable en tant qu'individu. Il tenait toujours parole. Je sais que la question du veto le troublait beaucoup. C'est ainsi qu'on a soulevé l'objet des paragraphes 38(2) et (3) et qu'il a accepté le résultat. Je me souviens de ce qu'il disait durant certaines rencontres. Il disait qu'on l'avait critiqué au Québec pour n'avoir pas persisté à exiger un veto, mais qu'il savait que les intérêts de la province étaient alors protégés, qu'il avait donné sa parole et qu'il la respecterait. Je dois dire que je l'admirais à cet égard.

Je ne peux pas savoir ce qu'il pensait vraiment, personnellement. Évidemment, on ne le sait jamais, pour qui que ce soit. Cependant, sur le plan des négociations, on en a parlé à maintes et maintes reprises, ainsi que des conséquences que cela aurait sur la province de Québec.

Je ne peux pas en dire plus, mais je sais que durant les négociations, il a agi de façon très juste et respectable. J'ai déjà fait savoir que je trouve malheureux que l'offre faite à l'époque au gouvernement fédéral n'ait pas été acceptée.

Sur le troisième point, je ne crois pas qu'on puisse faire un lien entre le marché commun et le droit de veto, à cause de la différence entre ce que j'appellerai une confédération et une fédération. Je suis sûr que vous serez d'accord là-dessus. On peut se demander à quel point c'est différent, mais je dirais que la perspective n'est pas la même quand on traite des intérêts nationaux d'un pays particulier.

Le sénateur Murray: Professeur Schmeiser, vous étiez là durant les événements qui se sont dénoués en 1982. J'ai entendu ailleurs, et vous l'avez confirmé aujourd'hui, que vous avez même contribué à la rédaction des textes. Avant cela, je crois que vous avez défendu la cause du Manitoba dans l'affaire du rapatriement. Vous avez aussi présenté le mémoire du Manitoba à la Cour suprême. Je ne vous en tiendrai pas rigueur; pouvez-vous me dire si vous avez ardemment défendu la convention d'unanimité?

M. Schmeiser: Sans commentaire.

Le sénateur Rivest: Par devoir.

Le sénateur Murray: La modestie vous interdit d'en parler.

C'est intéressant d'apprendre, et de l'entendre d'un témoin direct, ce que le premier ministre Lévesque avait accepté, à un certain point des négociations où vous agissiez comme conseiller de l'un ou l'autre des membres qu'on a appelé le groupe des huit. Toutefois, en bout de ligne, comme je le disais au professeur Scott ce matin, le Québec n'a pas accepté la Loi constitutionnelle de 1982. Bien sûr, c'était la première fois en 117 ans que le gouvernement fédéral faisait une modification constitutionnelle majeure en dépit des objections du Québec.

Maintenant, vous avez donné votre impression sur l'absence de consentement du Québec, l'opposition du Québec, à la Loi constitutionnelle de 1982. Le fait qu'on soit allé de l'avant sans le consentement du Québec, c'est une chose que le gouvernement et l'opposition fédéraliste du Québec ont acceptée. Pour votre part, vous qualifiez cela de tragédie.

Le premier ministre Chrétien a tenu une place prépondérante dans le déroulement de ces événements, comme vous le savez. Il sait que le Québec n'a pas donné son consentement et il sait que la question du mode de révision inquiète le Québec, qui craint surtout que la Constitution soit modifiée sans son consentement sur des questions qui touchent ses intérêts, sa place dans la fédération. Il a donc fait une promesse aux Québécois dans le cadre du référendum. Il a promis que le gouvernement fédéral ne modifierait pas la Constitution sans le consentement du Québec sur des éléments qui touchent les intérêts du Québec ou, si vous préférez, sa place au sein de la fédération.

Mis à part ce que vous et moi pensons de ce projet de loi et la façon dont le gouvernement s'y est pris pour donner suite à son engagement, pensez-vous que prendre envers les Québécois un tel engagement au nom du gouvernement fédéral était la chose à faire pour le premier ministre du Canada, étant donné les circonstances que vous connaissez bien?

M. Schmeiser: Je trouve très difficile de critiquer les actions des gens quand j'ignore les pressions et les contraintes auxquelles ils sont soumis. Toutefois, j'essaierai de traiter de la question comme d'une affaire de principe et de dire ma réaction à certaines choses.

Vous vous souvenez peut-être, car j'ai déjà comparu devant un comité du Sénat pour témoigner dans l'affaire des accords de l'aéroport Pearson, que je crois très fermement à la notion de la primauté du droit. Cette notion signifie en partie que tout le monde est assujetti à la loi, que ce soit le premier ministre ou un modeste professeur de droit comme moi. Quand on prend position en public, on doit faire très attention de respecter les dispositions de la Constitution du Canada. Tout ce que je peux dire, en général, c'est qu'à mon avis, aucun politicien ne devrait dire quoi que ce soit qui est contraire à la Constitution du Canada ou essayer d'en contourner les dispositions. Plus que ça, je ne peux pas dire.

Le sénateur Murray: Ce qu'il disait, c'est que le Canada userait de son veto de manière à s'assurer qu'aucune modification touchant les intérêts du Québec ne soit effectuée sans le consentement de cette province. Vous connaissez aussi bien que moi l'historique de cette question et la situation constitutionnelle, la situation politique dans laquelle se trouve le pays aujourd'hui. Sur le principe, pensez-vous qu'il était approprié pour le premier ministre de prendre un tel engagement?

M. Schmeiser: Je ne pense pas avoir la compétence voulue pour en juger.

Le sénateur Murray: Pensez-vous - car c'est à cela que ça se résume la formule de modification - qu'en utilisant la formule générale de modification, il serait possible au Parlement et à sept provinces représentant 50 p. 100 de la population de retirer au Québec des sièges au Sénat sans le consentement de cette province?

M. Schmeiser: J'incline à dire non, mais je voudrais y réfléchir car je ne suis pas convaincu, sans vérifier une nouvelle fois les dispositions, que cela serait constitutionnellement possible. Il se peut que ce le soit, mais je réserve mon jugement là-dessus car je ne suis pas sûr.

Le sénateur Murray: Vous connaissez l'article 42, bien sûr.

M. Schmeiser: Oui.

Le sénateur Murray: L'autre jour, nous avons eu ici une discussion avec Mme Dawson et M. Rock. Je leur ai demandé si les articles 22 et 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 relatifs aux exigences applicables aux sénateurs du Québec en matière de résidence et le vieux collège électoral du Bas-Canada pouvaient être modifiés sans l'assentiment du Québec. Mme Dawson, personnellement, ne le pensait pas, encore qu'elle n'ait pas donné là-dessus un avis ferme et définitif. Est-ce la raison de votre mise en garde?

M. Schmeiser: En effet. Il se peut que ce ne soit pas évident, d'après l'exposé que j'ai fait cet après-midi, mais j'hésite vraiment à exprimer une opinion tant que je n'aurai pas eu le temps de réfléchir très soigneusement à cette question. Je peux entrevoir certains problèmes que pourrait poser ce droit de modification général. Je ne suis pas sûr, il faudrait que j'y réfléchisse.

Le sénateur Murray: Que pensez-vous de la question de la Cour suprême? La composition de la Cour suprême signifie-t-elle que la loi qui attribue actuellement trois juges au Québec serait modifiée? La représentation du Québec à la Cour suprême pourrait-elle être réduite sans le consentement du Québec?

M. Schmeiser: Je vous répondrai par une anecdote.

Le sénateur Murray: Devrait-elle être réduite?

M. Schmeiser: Je vais vous dire comment cette disposition s'est trouvée figurer dans la Constitution au départ.

Le Canada est l'un des rares pays - voire le seul - dont la Constitution ne fait pas mention de la Cour suprême. Quand je travaillais à ce qui est devenu aujourd'hui les articles 38 à 42, je pensais que c'était une situation regrettable, qu'il était regrettable de fonctionner dans une société fédérale où rien ne confère aucun pouvoir à la Cour suprême du Canada, si ce n'est une convention voulant que nous nous en tenions aux jugements rendus par la Cour. Le fait que cela ne repose sur aucune base constitutionnelle, mais seulement sur une convention est intéressant.

Alors que j'examinais ce qui pourrait entrer dans ces articles, il m'a semblé qu'il serait bon de traiter d'une certaine manière de la Cour suprême du Canada. Cet article est formulé de façon très bizarre. Si je me souviens bien, il fait référence à la composition de la Cour suprême du Canada.

L'idée, et ce que l'on espérait vaguement, c'était que la Cour suprême soit constitutionnalisée - ce qui, à mon avis devrait être fait - qu'il y ait quelque chose dans la Constitution qui y fasse référence et traite des futurs changements la concernant. À l'époque de la rédaction, nous n'avions aucune idée de l'effet que cela aurait et nous ne savions pas si, par exemple, cela incorporerait ce qui est prévu maintenant dans la législation. Toutefois, nous avons pensé qu'il valait la peine de faire référence à la Cour suprême du Canada dans la formule générale de modification. C'est pourquoi ces dispositions se trouvent là aujourd'hui.

Le sénateur Murray: Je me rends compte de cela, professeur Schmeiser, mais je veux que vous me disiez si le paragraphe 41d) concernant la composition de la Cour suprême du Canada, inclut la disposition - à présent, une disposition législative - prévoyant que trois des neufs avocats civils proviennent du Barreau du Québec.

M. Schmeiser: Oui.

Le sénateur Murray: Cette question est-elle couverte au paragraphe 41d) ou au paragraphe 42d)?

M. Schmeiser: À l'époque où la disposition a été rédigée, on pensait que cette question ne serait pas couverte. Nous étions sous cette impression. D'un autre côté, une fois que les dispositions ont été acceptées et insérées dans la Constitution, je me souviens que le professeur Bill Letterman, dont je respecte beaucoup le jugement, s'est dit d'avis - au cours d'une discussion fort intéressante - que gråce à nous, ces questions étaient maintenant inscrites dans la Constitution du Canada. Je ne sais pas si c'est le cas. Il faudrait que j'y réfléchisse.

Le sénateur Murray: S'il s'avère qu'elles ne le sont pas, pensez-vous - d'après ce que vous savez de ce pays - et je vous pose cette question de la même façon que je vous ai posé la question à propos des sièges au Sénat - qu'il serait approprié que le Parlement et sept provinces représentant 50 p. 100 de la population puissent réduire la représentation du Québec à la Cour suprême sans le consentement de la province du Québec? Que pensez-vous d'une telle proposition?

M. Schmeiser: De toute évidence, j'y serais opposé, mais je ne crois pas que ce type de mesure législative puisse raisonnablement être adoptée, voire envisagée. En fait, les propositions constitutionnelles qui ont été faites au fil des ans ont visé à accroître la représentation du Québec plutôt qu'à la limiter. J'y serais opposé.

En général, je pense que c'est un domaine où il serait bon d'apporter des modifications à la Loi constitutionnelle. La place, le rôle, la fonction et le statut de la Cour suprême devraient être inscrits dans la Constitution.

Le sénateur Murray: Vous avez fait une référence - et nous l'entendons constamment d'autres sources - au fait, entre autres, que le Canada est la fédération la plus décentralisée du monde. Je comprends le partage des pouvoirs et ce qui l'a accompagné au fil des ans; par contre, le gouvernement fédéral a, en vertu de la Constitution, le libre pouvoir de dépenser.

Certes, vous conviendrez avec moi qu'un pouvoir fédéral de dépenser illimité dans des domaines que la Constitution est censée attribuer exclusivement aux provinces ne cadre tout simplement pas avec le partage des pouvoirs.

M. Schmeiser: Non, je ne suis pas d'accord. À mon avis, le niveau des dépenses, du point de vue constitutionnel, est une décision politique qui doit être prise par nos représentants politiques.

Le sénateur Murray: Dans le débat qui entoure la centralisation, nous savons d'expérience que ce pouvoir est l'élément le plus centralisateur. Il n'est pas très pertinent maintenant que les coffres sont vides.

Le sénateur Beaudoin: C'est une situation provisoire.

Le sénateur Meighen: Monsieur Schmeiser, compte tenu de votre remarquable mémoire et des événements dont vous avez été le témoin direct, vous pourriez bien, il me semble, devenir le premier professeur spécialisé en droit constitutionnel à publier un livre à succès. J'espère que vous ne vous retiendrez pas trop longtemps de coucher sur papier ces souvenirs remarquables. En fait, il pourrait être utile que vous le fassiez avant 1997. Ainsi, nous pourrons profiter de ce que vous savez avant d'entamer les négociations.

Vous faites un bilan plutôt négatif du projet de loi à l'étude - et je suis charitable: vous le qualifiez de source de distraction, d'inconstitutionnel, de subversif, de régressif. Vous dites en plus qu'il rend presque impossibles de futures modifications constitutionnelles.

En contrepartie, lorsque je déciderai comment voter, je tiendrai compte du fait qu'il a été adopté, quelque fåcheux qu'il soit, par les représentants élus du peuple. Bien que conscient qu'au Sénat, nous avons le pouvoir constitutionnel d'en faire abstraction, je ne le ferais qu'avec la plus grande hésitation, à moins qu'il ne s'agisse d'une question absolument cruciale. Remarquez que je ne dis pas que ces questions ne sont pas d'une importance cruciale.

Je suis désolé de faire perdre du temps, mais seriez-vous d'accord pour dire qu'une disposition de temporisation de cinq ans, comme l'a proposé le professeur Monahan, atténuerait certaines de vos préoccupations, ou estimez-vous plutôt qu'elle aurait peu ou pas d'effet?

M. Schmeiser: Je réponds à cela que si un projet de loi n'est pas bon, mieux vaut savoir qu'il ne sera plus là dans cinq ans que de le voir s'appliquer pour l'éternité.

Le sénateur Meighen: J'aurais dû m'y attendre. J'en conclus que vous n'auriez pas inclus une telle disposition dans les mesures auxquelles vous seriez opposé, que vous surmonteriez plutôt votre répugnance et l'accepteriez si vous n'en aviez pas le choix?

M. Schmeiser: Oui.

Le sénateur Meighen: Une phrase que vous avez utilisée a attiré mon attention, soit lorsque vous avez parlé de faire participer la population aux modifications constitutionnelles. Cette possibilité semble nous avoir échappé, dans une certaine mesure, au Canada. Je suis l'un de ceux qui croient que l'Accord du lac Meech péchait plus par son processus que par sa teneur. En réalité, si le processus avait été meilleur, le fond en serait peut-être plus acceptable aujourd'hui. Cependant, cette question relève de la conjecture. Avez-vous une recommandation particulière à nous faire quant à la façon d'améliorer le processus de manière à y faire participer d'autres que nos représentants politiques?

Le sénateur de Bané a mentionné l'idée d'accorder un droit de veto en fonction des intérêts vitaux plutôt que des régions, et vous avez établi une distinction entre le marché commun et notre propre contexte. Cette possibilité nous offrirait-elle une lueur d'espoir?

M. Schmeiser: Pour ce qui est du processus, certains changements fondamentaux apportés à un texte constitutionnel devraient être soumis à l'approbation de la population. Ainsi, la population des États-Unis doit être consultée pour apporter des modifications à la Constitution. L'idée a beaucoup de mérite.

Je suis contre la suggestion souvent faite depuis quelque temps d'avoir un comité de l'unité qui ferait la tournée du pays, comité qui serait composé de personnes distinguées. En effet, dans le régime que nous nous sommes choisi, le pouvoir revient au Parlement et aux assemblées législatives provinciales. Nous avons eu des comités comme ceux-là par le passé. Certains d'entre vous se souviendront peut-être, par exemple, du comité Romanow-Chrétien qui a tenu des audiences partout au pays. Certains d'entre vous se souviendront même du comité Robarts. En dernière analyse, ils ne se sont pas avérés très utiles parce qu'ils ne représentent pas le siège du pouvoir et des décisions.

Pour ce qui est de protéger les intérêts vitaux, c'est une très bonne idée, mais il s'agit d'une question fort complexe qui mérite mûre réflexion.

Le président: Au nom des membres du comité, je vous sais gré, monsieur Schmeiser, d'avoir répondu à l'invitation et je vous remercie de votre excellent témoignage.

[Français]

Je souhaite la bienvenue à notre prochain témoin, un personnage bien connu. C'est un plaisir de vous présenter monsieur Claude Ryan. Je vous donne la parole.

Monsieur Claude Ryan: Monsieur le président, avec votre permission, je lirai le texte que j'ai préparé. Je regrette d'en avoir une copie seulement en français. J'ai terminé la rédaction de ce texte seulement hier. Je n'ai plus les services que j'avais autrefois pour dactylographier un texte dans les deux langues officielles. Vous avez de bons services de traduction ici. Je me fierai entièrement sur eux. Pour la période de questions, il me fera plaisir de discuter avec vous dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

Le gouvernement fédéral et les provinces autres que le Québec ont posé un geste lourd de conséquences lorsqu'ils ont procédé entre 1980 et 1982 à d'importantes modifications constitutionnelles contre la volonté explicite du gouvernement et de l'Assemblée nationale du Québec. Depuis 1867, aucun changement affectant l'équilibre des rapports fédératifs au Canada n'avait été effectué sans l'accord du Québec. À deux reprises, à une époque encore récente, soit autour de la formule Fulton-Favreau en 1964 et autour de la formule de Victoria en 1971, une entente était intervenue entre le gouvernement fédéral et les premiers ministres des provinces au sujet d'une formule d'amendement constitutionnel. Le gouvernement du Québec ayant décidé à chaque fois de ne pas soumettre une proposition de ratification à l'Assemblée nationale, le désaccord du Québec fut cependant jugé suffisant pour que l'on s'abstienne d'aller plus loin. En 1982, se fondant sur une décision de la Cour suprême établissant qu'une modification constitutionnelle pouvait être instituée avec l'accord d'une majorité substantielle de provinces et avec l'appui de neuf provinces, le Parlement fédéral procédait solennellement au rapatriement de la Constitution et à l'enchåssement d'une Charte des droits et libertés et d'une formule d'amendement. Le Parti québécois, qui formait alors le gouvernement, et le Parti libéral du Québec, qui siégeait dans l'opposition, avaient des vues opposées au sujet du bien-fondé et de l'opportunité d'une Charte des droits et libertés. Le Parti québécois était défavorable, le Parti libéral était favorable, comme il l'avait toujours été. L'Assemblée nationale fut néanmoins pratiquement unanime à prévenir le gouvernement fédéral contre toute tentative de modification de la Constitution sans l'accord du Québec.

Lors de la campagne électorale de 1983, le chef du Parti progressiste-conservateur, Brian Mulroney, s'était engagé à aménager le retour du Québec dans le giron constitutionnel canadien s'il était porté au pouvoir. De son côté, le Parti libéral du Québec, dans un manifeste rendu public au printemps de 1985 en vue de l'élection québécoise tenue la même année, avait posé cinq conditions à l'adhésion éventuelle du Québec à la Loi constitutionnelle de 1982. Ces conditions étaient la reconnaissance du Québec comme société distincte au sein de l'ensemble canadien, des pouvoir élargis pour le Québec en matière d'immigration, la participation du Québec au processus de sélection des juges de la Cour suprême du Canada, un droit de veto pour le Québec en matière de modification constitutionnelle et la limitation du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral en matière de programmes à frais partagés portant sur des domaines de compétence provinciale. L'Accord du lac Meech, conclu en avril 1987, traitait de chacun de ces sujets. Les réponses qu'il apportait furent jugées acceptables par le gouvernement Bourassa. Dès juin de la même année, l'Assemblée nationale fut l'un des premiers parlements à adopter une résolution approuvant l'Accord. Malheureusement, la parole donnée par deux premiers ministres provinciaux ne fut pas respectée et l'Accord n'eut pas de suite.

Ayant fait partie du gouvernement du Québec entre 1985 et 1994, je suivis de près l'évolution du dossier constitutionnel pendant cette période. Nonobstant l'opposition exprimée par le Parti québécois, je suis convaincu que le gouvernement Bourassa avait l'appui de la population lorsqu'il fit voter par l'Assemblée nationale une résolution approuvant l'Accord du lac Meech. L'histoire attestera également que l'échec de l'Accord du lac Meech fut suivi d'une remontée spectaculaire du sentiment souverainiste au Québec.

Une nouvelle tentative visant à régler le dossier constitutionnel fut faite avec l'Entente de Charlottetown. Mais cette entente diluait de manière appréciable certains éléments du consensus de l'Accord du lac Meech. Elle traitait en outre d'une vaste gamme d'autres sujets dont certains, notamment l'autonomie gouvernementale pour les autochtones et la réforme du Sénat, n'étaient guère populaires, particulièrement au Québec, parce que nous sortions à peine de la crise d'Oka à ce moment. En rejetant l'Entente de Charlottetown, la population du Québec indiquait un seuil en dessous duquel toute future tentative de règlement du dossier constitutionnel serait vouée à l'échec.

Le rejet de l'Entente de Charlottetown fut suivi du référendum d'octobre 1994. Comme le gouvernement fédéral avait systématiquement refusé depuis son élection en octobre 1993 de rouvrir le dossier constitutionnel, les souverainistes eurent beau jeu d'évoquer les événements de 1982, 1990 et 1992 et de faire valoir que les fédéralistes n'avaient aucune solution à proposer au problème québécois. Favorable au camp fédéraliste au début, la campagne référendaire donna ensuite lieu a une forte remontée du camp souverainiste. L'inquiétude qui gagna alors les milieux fédéralistes explique largement les engagements que prit en fin de campagne monsieur Jean Chrétien concernant la reconnaissance de la société distincte, l'octroi du droit de veto et un nouveau partage de responsabilités dans les secteurs de la formation professionnelle.

J'ai tenu à rappeler cet arrière-plan historique pour trois raisons. D'abord, l'évolution constitutionnelle dont j'ai brossé le tableau nous rappelle que le problème auquel nous faisons face aujourd'hui n'est pas issu uniquement du dernier référendum, mais est plutôt l'héritage de 15 années d'expériences ratées. En second lieu, elle nous invite à réaliser que toute solution durable au problème actuel, sans exclure les mesures d'ordre législatif ou administratif, devra comporter des solutions d'ordre constitutionnel embrassant la société distincte, la formule d'amendement et un certain nombre d'autres sujets, notamment le pouvoir de dépenser et le partage des compétences législatives et administratives. En troisième lieu, cet arrière-plan historique nous rappelle que les deux mesures dont le Parlement fédéral a été saisi en novembre dernier découlent d'engagements référendaires qui ont un lien direct avec des attentes formulées à d'innombrables reprises par le Québec.

Comme le mandat du comité du Sénat porte sur le projet de loi C-110, je m'en tiendrai à l'examen de ce projet de loi. Je formulerai d'abord une série de commentaires sur diverses dispositions du projet de loi. Ensuite, en guise de conclusion, je soumettrai un jugement global sur le projet de loi et les suites qu'il faudra y apporter afin que la démarche instituée par le gouvernement fédéral produise des fruits solides et durables.

Il importe de souligner dès le départ la portée limitée du projet de loi C-110. Le gouvernement fédéral a voulu par cette initiative donner suite à l'engagement qu'avait pris monsieur Jean Chrétien, vers la fin de la campagne référendaire, de reconnaître au Québec un droit de veto en matière de modification constitutionnelle. Étant donné la nature du sujet en cause, la réponse devrait évidemment en principe être d'ordre constitutionnel et non pas simplement statutaire. À court terme, la voie législative qu'a retenue le gouvernement fédéral fournira au Québec une protection accrue en matière d'amendement constitutionnel, surtout en ce qui touche les matières énumérées à l'article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982. À long terme, elle n'offre pas cependant les mêmes garanties de permanence et d'inviolabilité qu'une solution constitutionnelle. Le Québec ne saurait se satisfaire d'un droit de veto assujetti au bon plaisir du Parlement fédéral. Ce n'est pas dans une simple loi mais dans la Constitution que doit être défini le statut de partenaire majeur que le Québec revendique à juste titre au sein de la fédération canadienne. La solution que définit le projet de loi C-110 ne saurait en conséquence être acceptable qu'à titre de mesure temporaire et transitoire devant préparer la voie à une solution constitutionnelle.

La formule mise de l'avant par le gouvernement fédéral s'applique à un nombre limité de sujets. Ainsi, ne sont pas touchés par le projet de loi C-110 les catégories suivantes de sujets:

Les sujets soumis à la règle de l'unanimité suivant la formule actuelle d'amendement, à l'article 41 de la Loi consitutionnelle de 1982;

Les sujets soumis à la règle 7-50 pour lesquels une province peut exprimer son désaccord ou son retrait, moyennant compensation financière dans certains cas, c'est à l'article 38;

Les sujets touchant une ou quelques provinces seulement, pour lesquels sont requis l'accord du Parlement fédéral et de la ou des provinces concernées, sans plus, article 43;

Les sujets touchant la Constitution du gouvernement du Canada, pour lesquels le Parlement fédéral a seul compétence, article 44;

Les sujets touchant la constitution d'une province, pour lesquels la province concernée a seule compétence, article 45.

Nonobstant les limites qui viennent d'être indiquées, le droit de veto que le gouvernement fédéral est prêt à reconnaître serait néanmoins applicable à une liste significative de sujets. Parmi ces sujets, mentionnons les suivants, dont les quatre premiers sont énumérés à l'article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982: d'abord, la Cour suprême du Canada, sauf ce qui touche la composition de ce tribunal, laquelle est sujette à la règle de l'unanimité; je passe rapidement là-dessus, les pouvoirs du Sénat, le mode de nomination des sénateurs, le rattachement de territoires aux provinces existantes, la création de nouvelles provinces, le nombre de sénateurs par province et les conditions de résidence pour les membres du Sénat; j'ajouterai par mesure de protection la Charte des droits et libertés dans une mesure que je ne suis pas prêt à déterminer avec précision.

En ce qui touche la règle de décision proprement dite, le projet de loi C-110 répond mieux que la formule actuelle d'amendement à une double dimension de la réalité canadienne qui doit être présente dans toute solution durable, à savoir la dualité linguistique et culturelle et la réalité des régions. Dans son rapport publié en 1980, la Commission Pepin-Robarts écrivait:

... la dualité et le régionalisme sont au coeur de la crise.

Elle concluait que toute solution devait être recherchée à la lumière de ces deux aspects de la réalité canadienne. Sous l'angle de cette double exigence, la formule d'amendement inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1982 est nettement déficiente.

La preuve a été faite entre 1980 et 1982 que l'on pouvait déboucher avec cette formule sur des décisions majeures excluant le Québec. Mais la formule pourrait aussi engendrer éventuellement des décisions d'où seraient exclues, soit la province de l'Ontario, soit une majorité des provinces et de la population de l'Ouest, soit une majorité des provinces et de la population de la région atlantique. La formule 7-50 rend possible en effet une modification constitutionnelle qui aurait été approuvée par une majorité de provinces ainsi constituées:

Premièrement, le Québec, l'Ontario, les quatre provinces de l'Ouest et l'Île-du-Prince-Édouard - seraient ainsi laissées de côté la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve, ces trois provinces représentant ensemble 94.4 p. 100 de la population de la région atlantique;

Deuxièmement, une autre combinaison possible, le Québec, l'Ontario, les quatre provinces atlantiques et le Manitoba - seraient laissées de côté la Saskatchewan, l'Alberta, la Colombie-Britannique, ces trois provinces représentant ensemble 86 p. 100 de la population de l'Ouest canadien;

Troisièmement, une autre possibilité, le Québec, les quatre provinces de l'Ouest, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve - seraient laissées de côté l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, ces deux dernières provinces représentant ensemble 74 p. 100 de la population de la région atlantique.

Sous l'angle de l'équilibre entre la dualité linguistique et les régions, une formule qui procure un veto au Québec en même temps qu'elle protège chaque grande région du pays contre des changements dont elle ne voudrait pas est plus équitable, plus sage et plus réaliste au plan politique que la formule actuelle.

D'autre part, le projet de loi C-110 maintient à sept le nombre minimum de provinces dont le consentement doit être obtenu pour la présentation au Parlement fédéral d'une modification constitutionnelle. Par contre, les quatre provinces les plus populeuses du pays devront faire partie du groupe des provinces consentantes alors que sous la formule actuelle, comme nous l'avons vu, l'une ou l'autre peut être exclue. On s'éloigne ainsi du principe de l'égalité absolue des provinces qui a inspiré la formule actuelle, mais on s'en éloigne en faveur d'un équilibre différent qui assurera une plus grande représentativité des décisions et une participation assurée de chaque région du pays au processus de modification constitutionnelle.

Dans le cas du Québec et de l'Ontario, le droit de veto apparaît logique et légitime. Ces deux provinces furent à l'origine du pays. Elles sont les deux province les plus populeuses et forment chacune une région distincte. En ce qui touche le Québec, un autre titre s'ajoute aux trois premiers: le Québec est le siège premier et principal de la vie française au Canada. Sa participation à une décision fondamentale au plan constitutionnel m'apparaît indispensable au titre de la dualité linguistique et culturelle du Canada.

Dans le cas de la Colombie-Britannique, un droit de veto m'apparaît également acceptable. Cette province compte une population en rapide croissance qui représente déjà 12 p. 100 de la population du pays. Elle forme de plus au plan géographique, démographique, économique et culturel une région distincte. Le projet de loi C-110 ne confère pas explicitement un droit de veto à l'Alberta. Vu que cette province compte 55 p. 100 de la population des trois provinces des Prairies, elle devra néanmoins être partie prenante à tout acquiescement de cette région à une modification de la Constitution. Pour que soit acquis le consentement de cette région à une modification constitutionnelle, l'accord d'une autre province sera toutefois nécessaire en plus de celui de l'Alberta.

Sous la formule définie dans le projet de loi C-110, le poids des six provinces les moins populeuses sera ramené à de plus justes proportions. À travers le droit de veto réservé à leur région respective, leur participation au processus de modification sera assurée. Il suffira cependant que trois d'entre elles soient d'accord pour qu'une modification puisse être envisagée. Il sera en outre impossible que se répète l'expérience de 1982, alors que le consentement de ces six provinces, dont la population combinée représente moins des 2/3 de celle du Québec, contribua à créer une majorité «substantielle» de provinces qui fut jugée suffisante pour passer outre aux objections du Québec.

Les droits de veto régionaux rendront certes difficile toute modification future de la Constitution. Sous la formule définie dans le projet de loi C-110, toute modification, pour être adoptée, devra en effet avoir été approuvée au préalable par au moins sept provinces ne pouvant représenter moins de 90 p. 100 de la population totale du Canada. On doit considérer en contrepartie qu'il s'agit d'une formule transitoire et temporaire. En attendant que l'accord se fasse sur une formule définitive, le législateur doit viser à assurer dans l'immédiat que toute modification constitutionnelle soit le reflet d'un consensus incluant en particulier le Québec. Le Canada a fonctionné pendant 115 ans. Je rappelais récemment à mon bon ami Robert Stanfield que de 1867 à 1982, sous la règle non écrite de l'unanimité des provinces, pour tout ce qui regardait les modifications substantielles, a néanmoins connu un développement remarquable pendant cette période. Au contraire, quand on a voulu s'écarter de la règle consensuelle longtemps observée, on a créé des problèmes beaucoup plus graves que ceux que l'on prétendait résoudre.

La Loi constitutionnelle de 1982, lorsqu'elle traite du consentement d'une province à une modification de la Constitution, stipule que ce consentement doit être exprimé par une résolution adoptée à la majorité des membres de la législature de cette province. Chaque province demeure libre de préciser au besoin certaines conditions auxquelles sera assujetti l'exercice de cette prérogative. Ainsi, deux provinces, la Colombie-Britannique et l'Alberta, ont adopté des lois stipulant que tout projet de modification constitutionnelle doit être soumis à l'approbation de leur population respective par voie de référendum. Mais ces conditions sont du ressort de chaque province. Elles ne sont pas définies dans la formule d'amendement.

Le projet de loi C-110 est moins net, plus vague à ce sujet. Il stipule qu'un ministre fédéral ne pourra présenter un projet de modification constitutionnelle au Parlement qu'à condition d'avoir obtenu au préalable l'aval d'une majorité de province représentant une majorité de la population dans chaque région.

Le texte est cependant très vague quant à la forme sous laquelle devra être exprimé le consentement de la province. Le Parlement fédéral entend-il se réserver le pouvoir de s'adresser directement à la population d'une province, par-dessus la tête de son gouvernement et de sa législature, afin d'obtenir le consentement de cette province? Ou entend-il se satisfaire du consentement du gouvernement d'une province - peut-être même de son seul premier ministre - et ne pas exiger l'intervention de la législature de la province? Le texte du projet de loi C-110 ouvre la porte à de telles interprétations, lesquelles n'ont pas été infirmées par les représentants du gouvernement fédéral, appelés à témoigner en décembre dernier devant le comité de la Chambre des communes chargé d'examiner le projet de loi C-110.

Selon le témoignage de madame Mary Dawson, sous-ministre déléguée à la Justice, le consentement d'une province serait normalement exprimé par son gouvernement et sa législature. Mais toujours selon ce témoignage, on aurait délibérément emprunté un langage vague, et je cite:

... quelle que soit la situation, toute méthode raisonnable d'obtenir le consentement d'une province puisse être utilisée.

Ces explications signifient que le gouvernement fédéral n'a pas voulu exclure la possibilité d'un recours à un référendum. Cette disposition aura pour effet malsain de faire planer l'épée de Damoclès d'un référendum fédéral sur toute négociation constitutionnelle avec le Québec. Un principe important est ici en cause. Les provinces sont au plan constitutionnel des entités juridiques distinctes et souveraines, possédant dans leur ordre de compétence, leurs propres pouvoirs et leurs propres institutions politiques. Dans les matières qui relèvent de la compétence provinciale, une province s'exprime normalement par la voix de son gouvernement et de sa législature. Ce principe doit être clairement reconnu. L'exercice d'un pouvoir de consentement ou de refus reconnu à une province ne saurait être subordonné à la menace d'une intervention directe du gouvernement fédéral auprès de la population de cette province.

Je soumets que s'il arrive un désaccord invincible entre le gouvernement fédéral et la province de Québec, à ce moment-là le recours doit être sur le plan politique. Le gouvernement fédéral est libre à n'importe quel moment de tenir un référendum, s'il le veut, mais cela n'a rien à voir avec le consentement juridique que doit donner la province. Il peut se battre pour faire déloger le gouvernement en place, au Québec ou dans tout autre province, mais il ne peut pas se substituer au gouvernement ou à la législature de la province pour exercer à sa place, par l'entremise d'un référendum, un pouvoir qui a été dévolu à la province. C'est ma position de fond.

Si le projet de loi C-110 devient loi, le Canada sera soumis de facto, en matière de modifications constitutionnelles, à un double régime, soit celui que définit la Loi constitutionnelle de 1982 et le projet de loi C-110. Vu que sous l'un et l'autre régime, le consentement du Parlement fédéral continuera d'être requis, pour toute modification constitutionnelle, on peut conjecturer que, quelle que soit la majorité de provinces qui se sera exprimée sous l'empire de la formule existante d'amendements, le dernier mot reviendra à la majorité de provinces qui se sera exprimée en vertu de la nouvelle loi fédérale.

En d'autres termes, une majorité de provinces formée sous l'empire de la formule actuelle pourra toujours empêcher qu'une modification constitutionnelle soit présentée au Parlement fédéral, parce que la formule reste en vigueur. Mais, seule une majorité de provinces formée conformément au projet de loi C-110, pourra permettre la présentation au Parlement fédéral et l'adoption éventuelle d'une modification constitutionnelle.

Par conséquent, le régime qui est proposé, même s'il a une portée transitoire et temporaire - je le souhaite - est très important en soit, parce qu'on ajoute une autre formule d'amendement à celle qui existe. La dernière sera plus importante, dans l'ordre d'exécution, que la première.

Cette juxtaposition de deux formules d'amendements traduisant des approches différentes, pourra être génératrice de tensions et de conflits. Elle saura aussi une source de lourdeur accrue. Elle ne saurait très que temporaire et transitoire.

En vue de la conférence fédérale-provinciale qui doit avoir lieu en 1997, il importe de rechercher, à compter de maintenant une formule unifiée et plus simple, qui devra permettre dans la Constitution même:

Premièrement, de faire une juste place à la dualité linguistique et culturelle du pays, ainsi qu'à la riche diversité de ses régions;

Deuxièmement, d'assurer une juste participation des provinces aux modifications constitutionnelles, tout en évitant d'enfermer le pays dans un carcan trop rigide;

Troisièmement, de procurer au Québec un droit de veto clair qui le prémunira contre toute répétition des événements de 1982 et lui permettra de participer avec une plus grande confiance à l'évolution future de notre système de gouvernement;

Quatrièmement, de réduire au minimum, voire d'éliminer complètement, si possible, les matières assujetties à la règle de l'unanimité.

En conclusion, je voudrais examiner brièvement deux questions qui nous ramènent au coeur du sujet.

En réponse à l'invitation que vous m'avez faite, je dois d'abord indiquer clairement, en bon parlementaire, si je suis pour ou contre le projet de loi C-110. On peut discuter longtemps d'un projet de loi, mais fort heureusement il arrive un moment où chacun doit dire: oui ou non. J'ai fortement souligné le caractère transitoire et temporaire que doit revêtir cette mesure législative. Je trouve en outre nécessaire que le gouvernement apporte au projet de loi certaines modifications qui le rendront plus clair, notamment en ce qui touche le consentement devant être obtenu d'une province avant la présentation au Parlement fédéral d'un projet de modification constitutionnelle.

Cela étant dit, je dois me poser la question suivante: le projet de loi C-110, nonobstant ses limites, procure-t-il au Québec une protection plus forte en matière de modification constitutionnelle? À condition que soit levée l'équivoque entourant les modalités du consentement provincial, la réponse à cette question doit être affirmative.

Là où le Québec dispose déjà d'un droit de veto ou d'un pouvoir de retrait, le projet de loi C-110 ne lui donne, ni ne lui enlève rien. Par contre, où sont concernées les matières énumérées à l'article 42 de la Loi constitutionnelle et, peut-être aussi un certain nombre d'autres matières, dans une mesure à déterminer la Charte des droits et libertés; dans ces matières, le Québec disposera de facto, si le projet de loi C-110 est adopté, d'un pouvoir de veto qu'il n'a pas à l'heure actuelle.

Si le projet de loi C-110 avait été en vigueur à l'époque, aucun ministre fédéral n'aurait été habilité à soumettre au Parlement le projet de résolution, qui devint par la suite la Loi constitutionnelle de 1982. Il est certes trop tard pour revenir en arrière à ce sujet. Mais si le projet de loi C-110 devient loi, on aura au moins la garantie, que dans l'avenir immédiat, aucune nouvelle province ne pourra être créée, aucune modification aux pouvoirs du Sénat et au mode de sélection des sénateurs, aucune modification au rôle de la Cour Suprême, aucun élargissement indu de la portée de la Charte des droits et libertés ne pourront intervenir dans l'avenir prévisible sans l'assentiment du Québec. Ce sont là des gains réels.

Et pourvu que soit résolue la question de principe, que j'ai soulevée, je crois qu'il y a lieu d'accepter ces gains, en soulignant que le pouvoir de veto attribué au Québec devra le plus tôt possible être inscrit dans la Constitution.

Si l'on devait cependant en rester aux deux textes récemment soumis au Parlement fédéral, c'est-à-dire à la résolution sur la société distincte et au projet de loi C-110, l'impact de ces mesures sur les perspectives d'avenir constitutionnelles au Québec seraient fort limitées.

Les souverainistes s'opposèrent en 1987 à l'Accord du Lac Meech, lequel procurait au Québec des gains beaucoup plus substantiels. On ne saurait s'attendre à ce qu'ils souscrivent maintenant à des mesures qui n'ont aucune valeur au plan constitutionnel et dont la portée, pour le Québec, au plan du contenu, est nettement inférieure à celle de l'Accord du Lac Meech.

De leur côté, les électeurs qui, sans être souverainistes, se laissèrent persuader de voter OUI au dernier référendum afin d'exprimer une volonté de changement, n'ont manifesté aucun signe d'enthousiasme devant ces mesures modestes. Si le gouvernement fédéral croit pouvoir renforcer l'adhésion de la population québécoise au fédéralisme canadien, en se bornant à des mesures aussi limitées que la résolution sur la société distincte et le projet de loi C-110, il se trompe grandement, il induirait le reste du Canada en erreur en cherchant à lui vendre cette impression.

Si le gouvernement fédéral a plutôt voulu, par la résolution sur la société distincte et le projet de loi C-110, laisser entrevoir dès maintenant certaines orientations qu'il entend mettre de l'avant en vue des pourparlers constitutionnels de 1997, ces deux initiatives pourraient donner le signal d'une révision significative, dont le référendum d'octobre a de nouveau fait ressortir la nécessité.

Vu la gravité et l'urgence de la situation, il importe que le gouvernement fédéral fasse connaître le plus tôt possible ses intentions à ce sujet. Il importera aussi, au cours des mois à venir, qu'il puisse susciter l'appui d'un nombre suffisant de provinces, pour mettre au point des propositions pertinentes de changements. Ces propositions devront aller aussi loin qu'il est possible dans la définition d'un régime constitutionnel compatible avec la conviction que nourrit une grande majorité de Québécois, de former un peuple distinct ayant droit à une juste égalité et à une marge satisfaisante de liberté au sein de la fédération canadienne.

Elles devront aussi viser à inscrire dans la Constitution canadienne, la reconnaissance du caractère distinct et du droit de veto du Québec. Elles devront également apporter des ajustements appréciables au chapitre du pouvoir fédéral de dépenser et du partage des compétences. Tout en étant conscient que d'autres régions ont des griefs et des attentes à l'endroit de la Fédération canadienne, tout en étant conscient également des griefs et des attentes légitimes des collectivités autochtones, il faut néanmoins dans le contexte actuel aborder en priorité le dossier québécois. Il vaut éviter de noyer ce dossier dans une myriade d'autres sujets, comme ce fut le cas dans l'Entente de Charlottetown.

Si les gouvernements fédéral et provinciaux réussissent à s'entendre sur le dossier québécois, ils seront ensuite mieux placés pour aborder ensemble avec la participation du Québec, dans un climat de respect mutuel, de solidarité et de collaboration, nombre d'autres sujets qui requièrent de manière impérieuse l'attention concertée des gouvernants et des législateurs de tout le pays.

C'est à mettre au point des propositions sérieuses de changement dans les meilleurs délais et avec l'aide des meilleures compétences, plutôt qu'à de vains et stériles exercices de méfiance réciproque, de stratégie légaliste à courte vue, de manipulation de l'opinion, de menaces et de mises en demeure, que devraient s'employer au cours des prochains mois tous ceux et toutes celles, élus, autant que citoyens ordinaires, qui aiment le Canada et veulent assurer son avenir.

Le sénateur Rivest: Monsieur Ryan, j'ai noté, comme mes collègues, l'insistance que vous avez mise sur le caractère transitoire du projet de loi C-110. L'analyse que vous avez faite également est très bien étoffée au niveau des principes, sur le choix du projet de loi C-110, de proposer une formule d'amendement basée sur les régions qui correspondait à celle présentée dans la formule de Victoria. Vous avez cité le rapport Pepin-Robarts, ainsi que le rapport Beaudoin-Dobbie, qui retenait cette formule.

Il a été établi devant le comité qu'au niveau politique, à tort ou à raison, en 1980, au moment du rapatriement, cette approche a été rejetée. Au moment de l'Accord du lac Meech, et au moment de l'Entente de Charlottetown également, cette approche a été rejetée. Votre analyse suggérera des éléments de réflexion très utiles sur ce choix que l'on a à faire en votant sur ce projet de loi C-110.

Ma question ne touche pas à ces aspects. Il m'apparaît important de les rappeler. Votre insistance à l'effet que l'on respecte l'autorité de l'Assemblée nationale du Québec et des assemblées législatives des autres gouvernements quant à l'expression du consentement à une modification constitutionnelle m'a frappée. Cela m'apparaît une chose absolument fondamentale. On a eu l'occasion de souligner cet aspect.

Je ne veux pas vous entraîner plus loin que le cadre précis de votre témoignage. Mais, en lisant votre texte, il m'est venu une réflexion. Contrairement à ce que l'on pense, le projet de loi C-110 a été conçu pour respecter l'engagement référendaire du premier ministre. Ce dernier a mentionné qu'il n'y aurait pas de changement constitutionnel sans l'accord du Québec - c'est une de ses promesses.

Cette disposition du projet de loi C-110 laisse ouvert le recours à un consentement autre que celui des assemblées législatives. Je me demande si ce n'est pas un instrument d'un plan d'action qui permettrait au gouvernement canadien de procéder à des changements constitutionnels sans le consentement du Québec. Serait-ce un instrument pour mettre sur la table de nouvelles propositions de modifications constitutionnelles?

Et, compte tenu du fait que M. Bouchard, le prochain premier ministre du Québec, a déclaré qu'il ne voulait participer à aucun pourparler constitutionnel, le gouvernement fédéral mettrait en branle un processus de réflexion et de changement constitutionnel au Canada, et qu'il le ferait en concertation, en discussion avec les autres partenaires, les provinces et les autochtones, pour en arriver à une entente constitutionnelle quelconque.

En vertu du projet de loi actuel, parce que le consentement de l'Assemblée nationale n'est pas précisé, on passera à côté de l'Assemblée nationale du Québec. Dans la mesure où la formule d'amendement a un sens juridique et une stabilité juridique, on pourrait avoir un amendement constitutionnel qui contournerait l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec, en allant directement faire valider ces amendements par voie référendaire au Québec ou dans le reste du Canada.

Je sais que vous avez déjà réfléchi à cette question. Est-ce que votre objection, à ce que l'on contourne ainsi l'Assemblée nationale, irait jusqu'au point de refuser que soit endossé par la population du Québec un ensemble d'amendements constitutionnels qui serait ainsi construit et qui ne recevrait pas l'aval du gouvernement légitimement élu du Québec et de l'Assemblée nationale du Québec? On pourrait se retrouver avec une formule d'amendement qui permettrait d'arriver à un amendement constitutionnel qui serait légalement accepté et auquel n'aurait pas souscrit le gouvernement légitime d'une des provinces. Est-ce que votre objection irait jusque là?

La difficulté politique est absolument réelle. C'est évident que dans la mesure où il existe une conjoncture politique, que l'on a un gouvernement souverainiste à Québec qui ne peut pas participer à un régime d'améliorations au renouvellement du fédéralisme. Seriez-vous prêt à dire devant le comité si vous accepteriez une telle manière de procéder de la part du gouvernement canadien?

M. Ryan: Je vais commencer par quelques évocations historiques. Nous étions ensemble, le sénateur Rivest et moi-même, à l'Assemblée nationale, en 1981, lorsque le gouvernement fédéral avait soumis aux provinces un projet de Charte des droits, un projet de formule d'amendement et d'autres dispositions, au sujet desquelles le Parti libéral - qui formait l'opposition - était en général d'accord. Sur le fond, nous étions plus d'accord qu'autrement. Mais le gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale étaient en désaccord. Nous avons eu à choisir entre les deux. Nous avons tenu un vote.

J'avais demandé, comme chef de l'opposition, à mes collègues de l'opposition de défendre d'abord les prérogatives de l'Assemblée nationale. Nous savions à ce moment-là que la Charte des droits était approuvée par une majorité des citoyens du Québec, d'après les sondages qui circulaient à l'époque.

On s'est dit que nous étions dans un ordre constitutionnel. Comme le gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale se sont nettement opposés, nous nous sommes solidarisés parce que nous voulions préserver les prérogatives de l'Assemblée nationale.

Si on m'avait présenté le projet de loi C-110 quand j'étais membre du gouvernement du Québec, et, sénateur Rivest, étant l'un de nos négociateurs à Ottawa, vous savez très bien que je vous aurais dit: «Je n'aime pas cette affaire». Je pense que monsieur Bourassa vous aurait dit la même chose. Et vous, sénateur Rivest, ne nous l'auriez probablement pas présenté, d'ailleurs.

Le sénateur Rivest: Non.

M. Ryan: Vous auriez dit aux gens que nous refuserions. Je vais vous donner, suivant mon interprétation, le cheminement complet que cela devrait suivre. Il peut arriver, et c'est fort concevable, que des propositions raisonnables émanant du gouvernement fédéral et des autres provinces soient refusées par la majorité actuelle de l'Assemblée nationale du Québec. Que faire alors? À ce moment-là, en tout temps, le gouvernement fédéral a la liberté de consulter la population du Québec. Il peut tenir un référendum en tout temps. Il n'a pas besoin du projet de loi C-110. À supposer qu'il gagne son référendum, vous avez alors une situation politique inédite; le moins que l'on puisse dire, c'est que le gouvernement du Québec va être obligé de marcher avec beaucoup de retenue. Il y aura un autre engagement électoral. Ce sera aux forces qui adhèrent à ce projet de le défendre à l'élection et de défaire le gouvernement. C'est cela, le processus démocratique.

On ne peut pas accepter que le Parlement fédéral vienne se substituer, de manière paternaliste, au gouvernement et à l'Assemblée nationale du Québec dans l'exercice d'une prérogative qui, au terme même de la loi, est donnée aux provinces.

Le sénateur Rivest: Dans l'ordre des amendements constitutionnels, comme vous dites, dans l'ordre légal, il faut respecter la partie institutionnelle, en ce qui constitue l'essence même d'un régime fédéral. Ce type de relation, quand il s'exprime en terme d'amendements constitutionnels, doit respecter les institutions fondamentales de la fédération, à savoir le gouvernement fédéral et les gouvernements légitimement élus. Mais cela laisse espace à toute espèce d'initiative de l'un ou l'autre niveau de gouvernement d'aller faire appel à la population. Cela ne devient qu'une pression politique sur le gouvernement élu. En tout temps, on devra respecter la légitimité et les décisions - même si elles ne nous plaisent pas - des gouvernements élus.

M. Ryan: Je vous avouerai que j'ai réécrit cette partie de mon mémoire à quatre ou cinq reprises depuis une semaine. Je me suis laissé courtiser par toutes les attitudes possibles.

Le sénateur Rivest: Y compris celle du projet de loi C-110?

M. Ryan: Y compris les recherches d'une sympathie avec les auteurs, évidemment.

Le sénateur Rivest: Plus je regarde le projet de loi, et votre document m'invite à cela, plus j'ai l'impression que ce projet de loi-là - parce qu'au fond, ils ne feront jamais d'amendements constitutionnels avant 1997 - n'est effectivement pas pour protéger les droits constitutionnels, ou pour éviter qu'il y ait des amendements constitutionnels à court terme. C'est pour se donner un instrument politique d'action, que je ne voudrais pas, comme vous, qu'il aille au-delà, de l'ordre politique. Il n'a pas besoin du projet de loi C-110. À mon avis, cela peut se faire en vertu de la loi générale, comme vous l'avez signalé.

Le sénateur Gauthier: Monsieur Ryan, le fédéralisme exécutif, tel qu'on l'a connu dans l'Accord du lac Meech et dans l'Entente de Charlottetown, est mort. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Ryan: Non, pas nécessairement.

Le sénateur Gauthier: Vous pensez que cela est encore possible?

M. Ryan: Non, je suis très réservé au sujet de la procédure référendaire, pour être franc avec vous.

Le sénateur Gauthier: Je vous écoute parler avec le sénateur Rivest et ...

M. Ryan: C'est autre chose. Mais, en matière constitutionnelle, je ne suis pas de ceux qui soutiennent que toute proposition d'amendement devrait passer par un référendum. On a fait beaucoup de modifications au cours des 125 ans de l'histoire du Canada. Aux États-Unis, il n'y a pas de référendum universel qui soit obligatoire en matière de modifications constitutionnelles; il y a très peu de pays qui ont cela, finalement.

Le sénateur Gauthier: Il n'en est pas question dans la Constitution de 1982.

M. Ryan: Vous m'avez posé la question et je vous réponds.

Le sénateur Gauthier: Mais, dans la Constitution actuelle, ce sont les assemblées législatives.

M. Ryan: Oui, très bien.

Le sénateur Gauthier: Alors, pourquoi dire dans vos commentaires qu'il faudrait éclaircir la modification, la rendre plus claire, en ce qui touche le consentement d'une province, avant l'implantation?

M. Ryan: C'est parce qu'il y a une confusion qui a été créée, non seulement par le texte lui-même mais par les explications des représentants du gouvernement fédéral qui ont comparu devant ce comité et devant le comité de la Chambre des communes qui a étudié le projet. Madame Dawson a dit en toute lettre qu'ils ont été délibérément vagues afin qu'ils puissent agir comme ils le jugeront opportun au moment voulu. Ce sont tous des termes qui devraient être bannis en matière constitutionnelle.

Le sénateur Gauthier: Je suis bien d'accord. Passons à autre chose. Que répondez-vous à des gens qui, comme monsieur Andrew Petter et le professeur André Tremblay, qui comparaissent devant notre comité et qui nous disent que cette initiative parlementaire du projet de loi C-110 représente une menace pour l'unité canadienne? Que leur répondez-vous?

M. Ryan: Le gouvernement fédéral a décidé qu'une initiative législative était indiquée dans le contexte actuel, afin de montrer que les promesses qui avaient été faites par le premier ministre n'étaient pas des vains mots et qu'il entendait agir là-dessus. Il a agi d'une manière initiatrice. Ce n'est pas une manière définitive, c'est un commencement. Je pense que c'est parfaitement légitime qu'il fasse cela. Je ne questionne pas cette procédure. Si cela doit conduire à des objections de plusieurs, comme ceux qui sont venus s'exprimer ici, c'est excellent. Cela fait partie du débat politique.

Après que le débat a eu lieu, il faut voter: oui ou non. Heureusement que nous avons cette règle parce que les débats continueraient indéfiniment.

Le sénateur Gauthier: Le ministre de la Justice nous a dit que c'était une mesure transitoire.

M. Ryan: Oui, c'est cela.

Le sénateur Gauthier: Il l'a dit devant le comité, et je pense que c'est assez clair.

M. Ryan: Mais il faudrait que ce soit bien clair. Il y a un danger que cela devienne permanent. Vous connaissez la mentalité de notre pays, il est un peu paresseux sur ces questions. Je pense qu'il y a un danger que cela devienne permanent. C'est important de souligner avec beaucoup d'insistance que cela ne peut être que temporaire, transitoire et limité.

Le sénateur Gauthier: L'article 49 de notre Constitution dit que dans les 15 ans suivant l'entrée en vigueur de la Constitution, c'est-à-dire à la mi-avril 1997, on devrait avoir tenu une conférence. Etes-vous un de ceux qui pensent qu'elle va se tenir ou bien pensez-vous que les amendements qui ont été faits depuis 1982 suffisent pour rencontrer les exigences de l'article 49? Faut-il absolument convoquer une conférence constitutionnelle avant la mi-avril 1997 ou si l'on peut passer outre à cela?

M. Ryan: Je pense que la conférence doit être convoquée pour 1997 autour du chapitre qui traite de la formule d'amendement. C'est spécifiquement là-dessus qu'elle doit porter. J'espère que le rendez-vous ne sera pas raté. Si l'on veut qu'elle réussisse, il faut que le travail se fasse d'ici là. Il faut qu'il y ait un travail de conversation et d'échanges qui se fasse de manière à ce que l'on puisse arriver à une formule claire.

J'ai proposé dans mon texte qu'avec l'aide des deux formules juxtaposées, ce ne serait pas difficile d'arriver à une formule. Je crois qu'on serait ramené assez proche des grandes formules qui avaient été mises de l'avant depuis une trentaine d'années. On peut difficilement sortir des veto régionaux. Cela peut être formulé sous une forme peut-être plus parfaite que celle que l'on retrouve dans le projet de loi C-110. Je serais prêt à vivre avec celle qui est dans le projet de loi C-110, remarquez. Mais je ne vois pas comment on peut arriver à une formule d'amendement si l'on n'a pas cela. Puis, la règle de l'unanimité est très mauvaise. Il faut que l'on trouve un moyen d'éviter ce carcan.

Le sénateur Gauthier: Dans votre document à la page 10, vous dites, et je cite:

En vue de la conférence fédérale-provinciale qui doit avoir lieu en 1997, il importe de rechercher à compter de maintenant une formule unifiée qui pourra permettre dans la Constitution même:

a) de faire une juste place à la dualité linguistique et culturelle du pays ainsi qu'à la diversité de ses régions;

Mr. Ryan, cela fait 14 ans que la Constitution du pays, la Charte des droits et libertés et les droits linguistiques sont adoptés. Et vous êtes l'un de ceux qui se sont prononcés en faveur de la décision Mahé, en Alberta, qui donnait à la minorité francophone hors Québec la gestion de ses écoles.

Mais savez-vous qu'en Ontario, encore aujourd'hui, on n'a pas encore la gestion scolaire? En Colombie-Britannique, cela n'existe pas non plus. Il y a le territoire du Yukon et la province de Terre-Neuve qui ne l'ont pas.

Quand vous dites qu'il est grand temps que l'on fasse place à la dualité linguistique, je pense que l'existence des francophones à travers le pays doit être reconnue avec générosité par les gouvernements. Tant que ces gouvernements n'auront pas accepté et mis en place les obligations constitutionnelles de 1982, je crois qu'il est tout à fait normal de dire: «Écoutez, moi, je ne leur fais pas confiance».

Que devons-nous faire pour convaincre ces gouvernements de l'urgence pour eux de créer à travers tout le Canada une situation qui est normale? C'est-à-dire que la dualité linguistique soit respectée «coast to coast», et non seulement dans certaines régions du pays ou certaines provinces?

M. Ryan: Vous parliez en particulier des droits scolaires, si j'ai bien compris?

Le sénateur Gauthier: Oui.

M. Ryan: Je suis d'avis que l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 accorde une protection raisonnable aux minorités linguistiques des deux langues officielles. Il y avait un article en particulier qui était susceptible de donner lieu à des développements, c'est celui de la gestion des écoles.

Le sénateur Gauthier: L'article 23.3 b).

M. Ryan: Qui a été l'objet, à la suite de l'affaire Mahé, d'une interprétation libérale de la part de la Cour Suprême. Je crois qu'en Saskatchewan et en Alberta, on a accompli des progrès considérables.

Le sénateur Gauthier: Absolument.

M. Ryan: Mettre sur pied des conseils scolaires linguistiques dans des provinces comme la Saskatchewan et l'Alberta - que je connais assez parce que j'y allais souvent autrefois -, ce n'est pas une chose que l'on fait du jour au lendemain, mais cela a progressé beaucoup. On avait confié un mandat à monsieur Edgar Gallant, qui a fait un très bon travail.

Le sénateur Gauthier: C'est fait?

M. Ryan: Oui, c'est fait. Mais, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'ajouter d'autres dispositions dans la Constitution. Je pense qu'avec cela, on peut encore plus loin.

Le sénateur Gauthier: Vous avez l'Ontario, où la masse critique de francophones est de 500 000. Ils n'ont pas la gestion scolaire à travers l'ensemble de la province, l'Ontario étant la province qui a toujours appuyé les initiatives du gouvernement fédéral du temps. Je ne vous rappelle pas les Robarts, les Davis, les Peterson, qui ont perdu leur chemise parce qu'ils ont appuyé le gouvernement fédéral. Voici que le gouvernement provincial de l'Ontario est en porte-à-faux devant cette situation.

M. Ryan: Si l'affaire du Québec peut se régler, le Québec va être beaucoup plus empressé de donner son coup d'épaule. J'ai souffert beaucoup quand j'étais membre du gouvernement, et le sénateur Rivest le sait, parce que nous n'étions pas en position de faire suffisamment pour nos collectivités francophones dans les autres provinces parce que nous avions l'impression d'être dominés par nos préoccupations.

Si l'on peut régler ce problème, le Québec a une immense responsabilité concernant l'appui à donner à ces communautés. Il peut le faire de bien des manières. Soyez assuré que je partage tout à fait votre préoccupation à ce sujet. Je n'étais pas au courant de la situation exacte de nos communautés francophones hors Québec. Je les ai rencontrées récemment. Elles étaient très inquiètes des orientations du gouvernement actuel de l'Ontario, j'ai senti cela. On ne m'a pas parlé de problèmes aussi profonds que celui que vous mentionnez.

Le sénateur Beaudoin: M. Ryan, je dois vous avouer que je suis impressionné par votre mémoire. Je suis tout à fait d'accord avec la portée du mémoire. Il y a deux points qui m'ont intéressé de façon particulière, à savoir l'article 42 et le caractère temporaire du projet de loi C-110.

Il est vrai que le projet de loi C-110 a une utilité pour protéger le Québec dans les matières de l'article 42. J'ai toujours dit que la faiblesse de la formule d'amendement vue du côté du Québec, c'est évidemment la Cour suprême, le Sénat et la création des provinces, où le Québec est une parmi sept. Je peux comprendre cela d'une certaine façon mais ce n'est pas assez, à mon avis.

Il y a une protection pour le partages des pouvoirs, le droit de retrait, bon, d'accord. Il n'y a pas une protection parfaite dans les institutions centrales. Si l'on veut que les Québécois restent dans la fédération canadienne, il faut les protéger au centre même du pays. Il est vrai que le projet de loi C-110 est un pas dans cette direction.

Je partage votre point de vue sur les référendums. Cela commence à m'inquiéter beaucoup. Ce n'est pas tellement le référendum de 1980 et celui de 1995, parce que le Québec ne peut pas quitter le Canada sans un référendum. Comme juriste, je ne crois pas à l'élection référendaire. Un gouvernement est élu pour bien d'autres raisons que celle de partir. On a tendance, dans notre pays, à tenir des référendums partout. Je me demande même si on ne les rend pas obligatoires, dans certains cas. À mon avis, un référendum obligatoire est douteux parce que le Conseil privé a dit que c'est l'assemblée législative, et non le référendum, qui a le dernier mot.

Je voulais revenir sur le caractère temporaire de la mesure. Cela ne peut pas être autre chose que temporaire. Il va falloir en 1997 essayer de trouver une formule d'amendement qui soit acceptable pour le Canada et, en particulier, pour le Québec. Le sénateur Meighen dit toujours qu'il faudrait une clause crépusculaire. C'est la traduction officieuse de «sunset clause». Je n'ai pas trouvé le mot crépusculaire dans les volumes français. Employons quand même ce mot.

Je suis porté à croire que cette idée est intéressante: l'on pourrait avoir une telle clause pour un an, deux ans ou même cinq ans. Je pense que vous n'êtes pas tout à fait d'accord. Vous dites que cela devrait être temporaire, mais sans stipulation juridique. Si, par hypothèse, on manque notre coup l'an prochain, le Québec sera encore protégé. J'aimerais vous entendre un peu plus longuement là-dessus. Si on avait une clause crépusculaire, si jamais on réussit à avoir un amendement constitutionnel formidable, la clause va tomber parce que la Constitution l'emporte toujours sur les lois. Est-ce que vous vous objectez à une clause crépusculaire?

M. Ryan: Monsieur le président, avant de répondre à la question du sénateur Beaudoin, j'aimerais apporter une précision sur un sujet qui a été soulevé cet après-midi et qui se rattache directement à la question que nous discutons aujourd'hui. C'est la différence entre le droit de veto et le droit de retrait.

Il en a été question avec celui qui m'a précédé, M. Schmeiser; sans manquer de courtoisie à son endroit, je voulais seulement préciser quelques faits. Il a dit qu'en 1981, M. Lévesque avait donné son assentiment à la formule des huit, par conséquent, que le Québec avait donné son assentiment. Je regrette infiniment, mais l'Assemblée nationale n'a jamais voté là-dessus. M. Lévesque n'avait jamais soumis la formule à l'Assemblée nationale. Par conséquent, j'ai toujours considéré, et c'est pour cela que je l'ai dit à un moment donné, que j'espérais que le consentement ne serait pas seulement donné par le premier ministre.

Pendant que M. Lévesque était à la conférence à Ottawa, j'étais le chef de l'opposition officielle, et je lui ai envoyé un télégramme lui disant que le droit de retrait, ce n'était pas du tout la même chose que le droit de veto. Je le suppliais de faire bien attention avant de céder le droit de veto. La différence entre les deux est la suivante.

M. Lévesque sortait d'un référendum où il avait été perdant. Il fallait qu'il trouve un moyen d'avoir l'air de participer à une réforme constitutionnelle sans compromettre ses objectifs souverainistes. C'était le prix à payer pour tenir compte du verdict référendaire et en même temps garder une certaine unité dans son parti, qui ne voulait pas entendre parler que le Québec s'enfonce davantage dans le fédéralisme. Il a trouvé cette formule du droit de retrait. Cela était parfait parce que chaque fois que le Québec se retirait et s'engageait plus du côté du séparatiste, évidemment cela faisait son affaire. Si les autres étaient assez peu conscients pour s'enfoncer davantage dans la voie de la centralisation, cela servait parfaitement bien les objectifs des souverainistes du Québec.

Quand vous êtes obligés d'opposer un droit de veto, il faut que vous y pensiez deux fois. C'est un oui ou un non, comme je disais tantôt. Il faut que vous disiez non pour des raisons majeures et il faut que vous disiez oui quand la réalité le commande. Il y a une grosse différence entre les deux. Au point de vue engagement politique, la formule du veto est beaucoup plus sérieuse mais cela postule une condition, à savoir que vous cessiez de considérer le Québec comme une unité parmi 10, et qu'elle doit toujours être sur un pied d'égalité aveugle, mathématique. On n'arrivera jamais à rien avec la formule des régions.

Lorsque les souverainistes disent que l'on doit les reconnaître comme peuple, je leur réponds, oui, très bien mais de quel droit allez-vous imposer aux gens des provinces de l'Atlantique de se considérer comme ne formant qu'un peuple avec ceux de la Colombie-Britannique, et vice versa? Ils n'ont pas de réponse. La formule des régions permet de tempérer cela. Le verdict du rapport Pepin-Robarts nous disait qu'il fallait mettre les deux éléments ensemble, que c'est la seule façon de trouver une solution au problème canadien. Je l'ai relu après le référendum québécois. Je trouve que c'est un des meilleurs documents qui a été publié sur cette question.

Revenons à votre question de la clause crépusculaire. Nous l'avons vécue à Québec à propos de la Charte des droits.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est peut-être pas le meilleur exemple.

M. Ryan: Non, cela vous met dans une situation extrêmement inconfortable. Dans le cas à l'étude, si vous mettez une clause crépusculaire jusqu'en 1997, et supposez que les gouvernements se rencontrent en 1997 et qu'ils ne s'entendent point, votre clause crépusculaire s'applique parce qu'il faut que le Parlement légifère de nouveau pour qu'elle reprenne. Cela prend une nouvelle initiative.

Normalement, en l'absence d'une nouvelle initiative, la clause crépusculaire tombe, et le Québec se retrouve gros Jean comme devant, comme s'il ne s'était rien passé. On ne sera pas obligé d'avoir un chapitre d'histoire là-dessus, il n'y en aura pas.

Le sénateur Beaudoin: Si on n'est même pas capable de prolonger une clause crépusculaire, c'est que ça ne va pas très bien. Mais enfin, je comprends votre réticence.

M. Ryan: En politique, j'ai appris une chose, sénateur Beaudoin, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

Le sénateur Beaudoin: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Le sénateur Rivest exposait une thèse extrêmement intéressante. D'une part, le veto protège Québec, d'autre part, cela l'empêche d'obtenir plus parce qu'il y a d'autres veto. On a dit non à la formule de Victoria. Est-ce qu'on a gagné beaucoup de choses? Si l'on a un veto, au moins, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, dans ce sens. En fait, il faut jouer sur les deux plans. Je pense que c'est votre philosophie.

M. Ryan: Je pense que le sénateur De Bané a très bien résumé tantôt ce qui s'était passé à Victoria: le but de la conférence était de réexaminer le partage des responsabilités en matière sociale. L'accent a été mis sur la formule d'amendement et le rapatriement. Le Québec a dit: «Comme on n'a pas satisfaction sur rien au point de vue de l'objet premier de la conférence, on ne veut pas consentir à l'autre parce que c'est notre seul instrument de négociation, on aime mieux le garder». Le Québec n'était pas contre la formule de Victoria, au contraire, le Québec y était favorable, à cause de tout le contexte particulier à cette époque.

Je considérais qu'avec le droit de veto, on y allait en partenaire majeur. Il est entendu que vos partenaires vont vous refuser des choses que vous voulez. En retour, vous allez en refuser. Il va y avoir une interaction et une volonté qui vont s'exercer. Il me semble que cela est fondamental dans le jeu du fédéralisme. Je ne veux pas aller là avec la garantie que je vais recevoir à tout prix tout ce que l'on veut. Si j'avais cette attitude, vous devriez me dire: «Va-t-en le plus vite possible».

Le sénateur De Bané: Monsieur Ryan, tout d'abord, revenons au rapatriement de 1982. Dans le temps, j'étais d'avis qu'il aurait fallu attendre l'élection de votre gouvernement avant d'entre- prendre les négociations constitutionnelles. Si on avait reporté ces négociations constitutionnelles après les élections provinciales, je suis convaincu que nous aurions, dans un premier temps, réglé les questions qui se trouvent dans la réforme de 1982, soit le rapatriement, une formule d'amendement et une Charte des droits et libertés et, dans un deuxième temps, évidemment, la question du partage des pouvoirs.

Malheureusement, on n'a pas attendu l'élection de votre gouvernement pour entreprendre ces réformes. Et cela, je le regrette énormément. Cela étant dit, pour avoir participé, comme d'autres Québécois, dans le rapatriement de 1982, je ne vous cache pas que je suis très fier aujourd'hui, comme je l'étais dans le temps, de ce que nous avons obtenu pour les francophones dans cette entente. Je suis toujours prêt à mettre en regard ce que le gouvernement canadien a conclu avec neuf provinces par rapport à ce que M. Lévesque a conclu avec sept autres provinces.

Prenons les deux ententes et regardons-les. Je ne sais pas si je trahis votre pensée en disant que, quant au fond de ce qui a été conlu en 1982, la seule partie, sans doute, où l'on a une objection de fond comme Québécois, c'est sur la formule d'amendement. Nous n'oublions pas, évidemment, que monsieur Trudeau proposait que le Québec ait un droit de veto.

Quand vous avez dit, comme chef de l'opposition à Québec, qu'il faut faire primer les droits de l'Assemblée nationale, je ne vous cache pas que quand j'ai dû choisir entre ces deux valeurs, celle du fédéralisme et donc de l'égalité de tous les états constituants, et celle d'une démocratie libérale où il faut faire triompher certains principes, j'ai finalement résolu d'appuyer la réforme de 1982, même si un des participants n'a pas donné son accord.

J'ai cru - je ne sais pas si j'ai raison ou non - voir quand même que vous aviez une vision un peu moins provincialiste des choses que mon collègue le sénateur Rivest. Il trouve qu'il y a un défaut dirimant, un péché mortel, non seulement sur le processus, mais pour lui, cela éclipse le contenu de cette réforme de 1982. Il met de côté tout ce qu'elle contient en faveur du Québec comme des autres provinces, qu'il s'agisse de la pérennité de leur frontière, qu'il s'agisse de l'égalité des deux langues, de la résolution du talon d'Achille qu'était la question des écoles françaises dans le reste du Canada, qu'il s'agisse des droits indissociables de la dignité humaine inclus dans la Charte.

Le sénateur Rivest: Ils en ont ajouté une à part cela.

Le sénateur De Bané: Cher ami, je me demande parfois si vous ne devriez pas plutôt siéger dans une législature provinciale plutôt qu'ici, mais enfin.

Est-ce que j'ai raison de dire qu'il ne faut pas que ce défaut de forme qui est dû au fait que l'on n'a pas attendu votre élection à Québec, ce qui, à mon avis, est une erreur infiniment regrettable qui a eu des conséquences que l'on ne pourra jamais surestimer? Il ne faut quand même pas nous faire oublier le fond de cela. Quand je vois comment M. Bouchard a exploité cette question durant la campagne référendaire, je me dis quand même que l'on est en train de créer des mythes.

M. Ryan: Il ne faut pas non plus réécrire l'histoire. J'entends des versions, depuis quelque temps, selon lesquelles il ne se serait rien passé en 1982, il ne se serait rien passé en 1990. L'Accord du lac Meech aurait échoué à cause de l'opposition du Parti québécois. On peut bien se construire des fables tant que l'on voudra, mais on sait très bien que l'Accord du lac Meech, ce n'est pas l'opposition du Parti québécois qui a empêché son adoption. On se chargeait de cela. Ce sont d'autres, ailleurs, qui n'ont pas respecté leur parole. Il faut que cela soit dit clairement et fermement sans fausser l'histoire d'aucune manière.

En 1982, c'est plus qu'un défaut de forme, c'est un défaut fondamental qui entachait l'opération. À Québec, nous étions favorables à la Charte des droits, par exemple. Je l'ai été dès mon entrée dans la vie publique. Le Parti libéral a toujours soutenu cette position avec M. Bourassa et par la suite avec M. Johnson aujourd'hui. Il n'y avait pas un consensus encore large à Québec. L'opposition avait des objections très sérieuses.

Vous vous rappelez, sénateur Rivest, M. Yves Pratte était venu témoigner, ce n'était pas un séparatiste. Il était venu nous indiquer toutes les implications que cela pouvait comporter pour le droit civil du Québec, pour plusieurs de nos institutions. Il fallait que l'on ait un débat au Québec. Si on avait eu le temps, on aurait fait le débat et je pense qu'on l'aurait gagné. Tout cela s'est fait sans que le débat de fond ait eu lieu à Québec.

Du point de vue démocratique, c'est sérieux, parce que c'était quand même un document qui entraînait des répercussions dont on mesure de plus en plus l'ampleur. En plus de l'imprudence politique dont vous parlez, et sur laquelle je n'insiste jamais maintenant, il y a ce défaut au point de vue du respect des institutions et du respect du processus démocratique de lente maturation d'un changement profond.

J'essaie de faire comprendre à mes concitoyens du Québec, et pas toujours avec beaucoup de succès, que cinq ans, dans l'évolution constitutionnelle, ce n'est pas beaucoup. Mais pour nous plonger dans un changement radical, cela pourrait être suffisant. On reporte de cinq ans en cinq ans et à un moment donné, les votes parlent aussi.

Je suis content d'entendre ce que vous dites. Sur le fond, je n'ai pas changé d'opinion. Dans le temps, j'aurais dit à mes collègues: «On va mettre le temps voulu, on va faire le débat de fond, on va vider cela comme il le faut». On l'a fait à propos de la langue. On avait un gros débat à propos de la langue. Il est arrivé la fameuse clause dérogatoire qui expirait en 1993. On s'est préparé un an d'avance à Québec. On a établi l'opposition nettement. On a préparé l'opinion. On a changé la disposition qui avait été invalidée par la Cour suprême. On a voulu monter des mesures, cela a passé très bien. On avait préparé et travaillé l'opinion soigneusement. On était capable de le faire parce que l'on avait préparé le terrain. On avait dit à nos gens: «On vous donne tout le temps voulu pour mettre vos objections sur la table et on va les discuter l'une après l'autre». C'est cela qui n'a pas été fait dans l'autre cas. Cela s'est fait non pas dans une nuit des longs couteaux, je ne veux pas être morbide, mais cela s'est fait vite.

Le sénateur De Bané: Cette réforme de 1982, comme je suis certain que vous le reconnaissez, contient énormément de points qui sont à l'avantage et dans la ligne des revendications des francophones depuis 1867, et je pense que vous êtes d'accord avec cela.

M. Ryan: À 100 p. 100.

Le sénateur De Bané: Quand on voit la démagogie qu'il y a eu durant la dernière campagne référendaire, où on a voulu présenter cette réforme constitutionnelle comme jetant aux orties les intérêts des francophones, je ne suis pas d'accord.

À la page 5 de votre document, vous énumérez certains domaines où le projet de loi C-110 aura une portée à l'avenir pour la réforme des institutions centrales, la Charte des droits et libertés et cetera. Permettez-moi de soumettre à votre réflexion quelques autres domaines où elle pourrait sans doute également avoir un impact. C'est une liste qui n'est pas limitative: la société distincte, la clause Canada, la dualité linguistique, la limitation au pouvoir fédéral de dépenser, l'enchåssement d'accords administratifs, la consolidation de l'union sociale et économique, la question des autochtones, la tenue obligatoire de conférences constitutionnelles, la proposition en matière de la symétrie législative. Donc, ce projet de loi C-110 peut avoir une portée dont on n'a pas soupçonné toute l'étendue.

Finalement, sur cette question que vous avez soulevée d'une façon très claire dans votre document, l'expression de la volonté du concours des états constituants. Si je comprends bien votre point de vue, vous dites qu'il serait souhaitable que ce consentement s'exprime par la voie des assemblées législatives, et, pour le Québec, par la voie de l'Assemblée nationale. Que pensez-vous, M. Ryan, de l'observation suivante: en général, il faut suivre cette ligne de pensée, le consentement doit s'exprimer par le gouvernement provincial à travers l'Assemblée nationale.

Deuxièmement, comme vous avez dit qu'il n'est pas nécessaire que cela soit confirmé à chaque fois par une consultation référendaire, mais qu'il peut arriver parfois, sur des questions où on n'arrive pas à dénouer le noeud gordien, qu'il va falloir résoudre cette impasse entre les deux niveaux de gouvernement, et que le gouvernement fédéral puisse, à ses risques et périls, aller consulter directement la population. Cette imprécision dans le projet de loi, dans des cas rarissimes, pourrait nous permettre de consulter le peuple pour résoudre une impasse insoluble.

M. Ryan: Je suis obligé de vous répondre non, parce que c'est le fond même de la position que j'ai exprimée qui est mis en cause par cela. Comme je l'ai dit, en cas d'impasse, le gouvernement fédéral conserve en tout temps, indépendamment du projet de loi C-110, la faculté de consulter la population. Tout gravite autour de la question de savoir si cette consultation aura un effet contraignant au point de vue constitutionnel ou non.

Si le gouvernement fédéral veut avoir un atout politique de plus dans son jeu, je pense que personne ne peut mettre cela en cause. Mais s'il veut que cela ait un effet contraignant, à ce moment, vous modifiez toute l'économie de la Constitution en matière de modification et vous faites une Constitution à prépondérance nettement fédérale, alors que l'on avait un principe d'égalité, au moins relative, entre les provinces et le fédéral qui était inscrit au coeur même de la Constitution. C'est un changement profond, à mon point de vue.

Dans l'immédiat, cela ne change rien. Les changements de fond arrivent souvent. Le lendemain, on va tous se coucher et on pense à autre chose. Il y a toujours un légiste au gouvernement qui dit au premier ministre que telle ligne, à l'article 3, pourrait être utilisée pour les faire taire, cela serait bien commode. C'est cela qu'il faut éviter, tout ce climat de suspicion qui est très fort actuellement.

Au point de vue des droits linguistiques, comme je l'ai souvent dit à l'Assemblée nationale devant nos amis péquistes, et je le répète ici, la Loi sur les langues officielles du Canada est une des plus belles législations linguistiques du monde entier. Nous avons raison d'être fiers. Elle nous situe au rang des nations les plus civilisées au monde. Cela a toujours été ma conviction, et elle le demeure.

Parmi les dispositions inscrites dans la Charte de 1982 en matière linguistique, il y en a une, à vrai dire, qui avait un certain effet de réduction des pouvoirs du Québec. C'est l'article 23, qui traite de l'admission aux écoles de la minorité. Là, évidemment, on a imposé la clause Canada au lieu de la clause Québec qui était dans la législation québécoise. De ce point de vue, c'était un «encroachment» à la juridiction provinciale. J'eus préféré que cela eût été fait quand il y avait un gouvernement qui était favorable à cela à Québec. Nous l'avons prouvé par la suite. Il y avait plusieurs éléments d'opposition entre la Charte et la législation québécoise.

Dans la législation que nous avons adoptée en 1993, nous les avons tous fait disparaître; en matière de langue dans les tribunaux, il y avait des objections. En matière de langue parlementaire, il y avait des désaccords également. Tout cela est disparu par la voie politique normale. C'est cela que je voudrais que l'on regarde.

Les dispositions qui sont dans la Charte de 1982 en matière de droits linguistiques m'apparaissent des dispositions nobles dont une en particulier, celle relative à la gestion des écoles des minorités contenait en germes la source de développement très importante pour les minorités. Cela ne nous dérangeait pas au Québec parce que déjà notre législation scolaire allait dans le même sens.

Le sénateur St. Germain: Mr. Ryan je vous remercie de votre présentation.

[Traduction]

Certains d'entre nous estiment que, s'il faut accorder des droits de veto, mieux vaut le faire avec la plus grande prudence. Le Canada contemporain ne voit pas du même oeil le problème que nous pose le Québec. Comme bien d'autres, j'estime que, si l'on avait accordé un droit de veto directement au Québec, par voie législative, pour les questions qui ont trait directement à son unicité ou à son caractère distinct, les Canadiens, après avoir vécu le référendum du 30 octobre, auraient été capables d'en accepter l'idée. Nous ne serions donc pas en train de semer la confusion en distribuant des droits de veto à droite et à gauche comme nous le faisons actuellement.

Qu'en pensez-vous, monsieur Ryan?

M. Ryan: Au cours des derniers mois, j'ai souvent relu la Loi constitutionnelle de 1982. Je me disais qu'il doit exister un moyen simple de modifier cette loi sans trop perturber les gens. Le paragraphe 38(2), qui porte sur la règle du 7-50, dit:

Une modification faite conformément au paragraphe (1)... exige une résolution adoptée à la majorité des sénateurs, des députés fédéraux et des députés de chacune des assemblées législatives du nombre requis de provinces.

Le nombre requis dont il est question est au moins sept provinces représentant une majorité de la population. On pourrait simplement changer ce passage pour dire qu'il faut qu'il y ait un minimum de sept provinces, «y compris le Québec». C'est tout. Ce serait beaucoup plus simple de seulement ajouter ces trois mots. Comme le faisait remarquer le sénateur Jean-Claude Rivest, on a essayé de le faire, il y a quelques années, mais sans grand succès. Pourtant, cette solution simplifierait tout.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie, monsieur Ryan. Je crois que l'opinion des Canadiens a beaucoup changé depuis le 30 octobre.

M. Ryan: Je tiens à vous dire qu'il existe une solution, si c'est ce que vous pensez vraiment.

Le sénateur MacEachen: Monsieur Ryan, je vous remercie d'être venu témoigner. À mon avis, vous aurez été le plus important témoin que nous aurons entendu lorsque prendront fin nos audiences au sujet de ce projet de loi. En effet, aucun autre témoin n'y a contribué autant de savoir et d'expérience politique.

J'avais prévu de creuser avec vous la question du référendum et son rapport avec le consentement provincial, mais elle n'a pas autant d'importance que le contexte politique, ce dont je veux vous parler maintenant.

Nous avons entendu M. André Tremblay, de l'Université de Montréal, qui a demandé au comité sénatorial et au Sénat de rejeter le projet de loi à l'étude pour faire comprendre qu'il fallait faire mieux. Il a aussi affirmé, durant son témoignage, que, si la teneur du projet de loi à l'étude avait été connue avant la tenue du référendum, les fédéralistes auraient essuyé une défaite. Je peux comprendre cela, d'un certain point de vue. Les fédéralistes réclamant toute une série de changements, comme vous l'avez exposé, jugeraient ce texte insuffisant, s'il représentait la seule réponse du gouvernement.

J'aimerais que vous me disiez si le projet de loi à l'étude influe d'une quelconque façon sur l'opinion publique au Québec. Si le Sénat rejetait le projet de loi, les fédéralistes y verraient-ils un message? Cela changerait-il quelque chose aux yeux du Parti libéral du Québec?

Vous nous avez conseillé d'adopter le projet de loi. Vous nous avez aussi conseillé de ne pas prévoir d'échéance. J'aimerais que vous nous parliez de l'opinion des fédéralistes du Québec et de la façon dont le projet de loi à l'étude influe sur cette opinion.

M. Ryan: Nul ne peut se prétendre prophète en son propre pays, comme nous le savons tous. Il faut être prudent quand on tente de résumer ce que serait la réaction au Québec.

Jusqu'ici, on a manifesté relativement peu d'opposition aux deux mesures présentées par M. Chrétien. On s'en est moqué avec mépris. On a affirmé que c'était trop peu, trop tard, et insignifiant. C'est ce qui s'est dit. Par contre, il n'y a pas eu vraiment de croisade ou de campagne menée contre ces mesures. J'en conclus que tout dépend de ce qui suivra l'adoption du projet de loi et l'adoption de la résolution sur la société distincte. Si l'on s'arrête là, comme je l'ai dit dans mon exposé, ces mesures auront une influence limitée et, à mon avis, insuffisante pour contrer la menace qu'a fait planer le référendum. Il faudra faire beaucoup plus. À cet égard, je vous ai fait des suggestions bien précises.

Si l'on présente le projet de loi comme le début d'un processus auquel chaque participant d'importance est résolu de contribuer avec détermination, il pourrait s'avérer une mesure constructive. Par contre, tout jugement favorable sera conditionnel, à ce stade-ci.

Est-ce une réponse de politique?

Je suis heureux de vous rencontrer à nouveau, sénateur MacEachen. Il y a des années que nous nous sommes vus, mais quand je parle de la nécessité d'éviter de confondre la population des différentes régions du Canada, je pense souvent à vous.

Le sénateur MacEachen: Je suis heureux de vous entendre dire que j'ai un caractère distinct.

M. Ryan: Le Québec a toujours entretenu des relations un peu spéciales avec les provinces de l'Atlantique. À de nombreux égards, ces provinces sont plus proches du Québec et vice-versa que les autres, y compris l'Ontario. Au fil des ans, nous avons remarqué que, dans les dossiers constitutionnels, nous avions beaucoup d'atomes crochus. J'espère qu'il en sera toujours ainsi.

Le sénateur MacEachen: Je l'espère.

Donc, il existe une certaine sympathie entre les provinces de l'Atlantique et le Québec. D'après mon expérience, cette sympathie est manifeste au sein du Cabinet fédéral, parce que bien des objectifs des ministres québécois et des ministres de l'Atlantique sont compatibles.

Votre réponse m'est d'autant plus utile et plus convaincante qu'elle se fonde sur une vaste expérience.

M. Ryan: Pour ce qui est de M. Tremblay, une phrase qu'a souvent prononcée le président Clinton au cours des dernières semaines me vient à l'esprit: «Le mieux est souvent l'ennemi du bien».

[Français]

Le sénateur Murray: Je comprends très bien les arguments que vous avez avancés en faveur de la formule des régions. Je les accepte, même.

Mais la réalité politique d'aujourd'hui est que les premiers ministres de l'Ouest ont rejeté ce concept en 1982. Les provinces de l'Ouest le rejettent toujours. Plusieurs tentatives en vue de la ressusciter, notamment au sein du comité Beaudoin-Edwards, ont échoué. C'est un «non-starter» pour le rôle constitutionnel de 1997, à mon avis.

Au sujet du projet de loi C-110, comme mon collègue le sénateur St. Germain l'a signalé, j'aurais énormément préféré un projet de loi qui respecterait l'engagement du premier ministre Chrétien au Québec et qui accorderait un droit de veto au Québec seulement sur les sujets énumérés à l'article 42.

Le concept d'un Canada des régions, le concept des veto régionaux a maintenant quelque chose de symbolique dans l'Ouest, car il semble aller à l'encontre du sacro-saint principe d'égalité des provinces.

La seule façon que l'on a trouvée de réconcilier le soi-disant principe d'égalité des provinces avec la demande du Québec, c'était d'appliquer la règle de l'unanimité aux sujets énumérés à l'article 42, tel que l'on a fait dans l'Accord du lac Meech. C'est juste un bref commentaire sur cette formule des régions. Vous avez avancé des arguments qui sont valides. Je les accepte. Mais politiquement parlant, je suis d'avis que c'est un «non-starter».

M. Ryan: J'ai assisté à un certain nombre de réunions depuis quelque temps au cours desquelles j'ai entendu dire la même chose à propos de la société distincte.

[Traduction]

Maintenant, l'idée ne rime plus à rien. Nul ne veut en entendre parler dans l'Ouest. Selon eux, il faut trouver autre chose.

[Français]

Il y avait un type qui était là, je ne le nommerai pas, un homme que nous connaissons tous. Puis il a dit:

[Traduction]

Préféreriez-vous le principe des deux nations?

[Français]

Puis les gens ont commencé à dire que si l'on cherche toujours midi à 14 heures, évidemment qu'il va y avoir des problèmes partout.

Si ceux qui ont défendu le concept de société distincte commencent à reculer maintenant, parce que M. X ou M. Y à Québec ou à Victoria a dit qu'il n'en voulait plus, on perd tous quelque part. On ne peut pas recommencer indéfiniment. Il y a un travail qui s'est fait. Vous en avez été un des artisans très importants, d'ailleurs, je le reconnais. Mais on doit défendre ces choses. Je pense que l'on ne doit pas ouvrir trop le flanc avec le peu de temps que l'on a.

Pour ce qui est des régions, qu'est-ce qui est vraiment essentiellement insurmontable? Si le principe de l'égalité des provinces est le fondement sur lequel on veut asseoir le Canada dans l'avenir, je crois que, dans le cas du Québec, cela ne marchera pas.

À partir de ces deux propositions, qu'est-ce que l'on fait? Vous êtes vite ramenés à la réalité des régions, à ce moment-là. La seule manière dont on peut retrouver une égalité relative, pratique et la plus proche possible des exigences de la démocratie, c'est de combiner l'égalité des provinces avec d'autres facteurs qui sont également importants.

Je suis conscient de ce que vous dites, et ce n'est pas du tout un reproche que je veux vous adresser en vous donnant mon opinion. Vous me l'avez demandée.

Je ne vois pas comment on peut trouver une solution au problème de ce pays si l'on n'introduit pas la réalité des régions quelque part dans les mécanismes fondamentaux et sans obliger personne à se regrouper avant le temps. Il faudra en venir là un jour.

Le sénateur Murray: Je cherche dans votre présentation une phrase que vous avez employée, celle qui réfère à la formule des régions que vous préconisez pour retourner aux justes proportions. Il s'agit des justes proportions pour les provinces autres que le Québec.

M. Ryan: Les provinces plus modestes, les moins populeuses. Vous allez trouver cela au bas de la page 7.

Le sénateur Murray: Pour ce qui est de ces provinces, c'est une autre façon de dire «second class provinces». On a entendu la phrase à quelques reprises devant ce comité, et on va l'entendre encore dans les jours à venir.

M. Ryan: Permettez-moi de réagir là-dessus. Actuellement, selon la formule que nous avons, elles peuvent se retrouver au rang de provinces de seconde classe. Juste avant, j'ai donné des exemples.

Donc, selon la formule actuelle, elles sont au rang de provinces de seconde classe. Elles n'ont pas de défense. Par contre, avec la formule qui est mise de l'avant dans le projet de loi C-110, elles ne sont plus des provinces de seconde classe parce que, par l'intermédiaire d'une région, elles vont toutes participer obligatoirement à la décision. Actuellement, les provinces représentant 94 p. 100 des provinces atlantiques peuvent être exclues et personne ne l'a jamais souligné.

[Traduction]

Le sénateur Murray: L'idée n'est pas facile à vendre, monsieur Ryan. Vous êtes le seul que je connaisse au Canada, ces temps-ci, qui avance de tels arguments. Moi-même, j'ai des doutes.

M. Ryan: Ce ne sera pas la première fois qu'il en est ainsi.

Le sénateur Murray: Lorsque les représentants des organismes autochtones ont témoigné ici, hier, certains d'entre nous leur ont posé des questions au sujet de ce qui suivra. Il n'était pas question d'essayer de conclure une entente constitutionnelle, d'obtenir le consentement du Québec à la Constitution ou de régler le problème avec lequel nous sommes aux prises au Québec, tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas inscrit dans la Constitution l'autonomie gouvernementale des autochtones. De toute évidence, ils s'y opposeront.

Estimez-vous que le gouvernement fédéral et le reste du pays devront faire une offre constitutionnelle pour régler la situation au Québec avant que puisse avoir lieu un autre référendum ou une élection référendaire?

M. Ryan: Il faut le supposer, n'est-ce pas? C'est plausible.

Le sénateur Murray: Est-ce la position que vous adoptez?

M. Ryan: Certains s'imaginent peut-être que tous ces nuages se dissiperont d'eux-mêmes au cours des quelques prochains mois. Pourquoi, alors, prendre des initiatives d'ordre constitutionnel?

Le sénateur Murray: Effectivement, ou bien ils croient peut-être que diverses ententes administratives éliminant les dédoublements et les chevauchements régleront le problème.

M. Ryan: Ce n'est que remettre à plus tard.

Le sénateur Murray: J'aimerais que vous me disiez si, selon vous, une initiative constitutionnelle doit être prise et un accord presque conclu au cours des 12 à 18 prochains mois pour sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve?

M. Ryan: Je ne suis pas particulièrement pour les approches universelles. C'est une voie semée d'embûches.

Le sénateur Murray: Je dois aussi vous préciser que les autochtones ont déclaré vouloir reprendre tout le processus de l'Accord de Charlottetown.

M. Ryan: Nous avons déjà essayé cette formule.

Si les gouvernements se concentraient sur le règlement des deux grandes questions issues du référendum - soit la question de la société distincte et la question de la procédure de modification de manière à garantir au Québec un droit de veto -, s'il se fixait celles-ci comme buts pour la période allant jusqu'à la prochaine conférence constitutionnelle, ce serait suffisant.

Ils pourraient régler ces deux questions, ce qui permettrait d'aborder une foule d'autres dossiers dans d'autres domaines, si des ententes administratives pouvaient être conclues.

J'ai lu dans le Globe and Mail, l'autre jour, un article au sujet d'une entente qui se prépare en matière d'environnement. Cet article était très intéressant.

Le sénateur Murray: Je l'ai, moi aussi, trouvé intéressant.

M. Ryan: Si nous réussissons à nous entendre dans le domaine de l'environnement, source de controverse s'il en est, ce serait merveilleux. Il serait tout aussi fantastique de pouvoir faire la même chose dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre. D'autres questions font l'objet d'une étude fouillée actuellement. Pendant qu'ils s'attaquent aux questions constitutionnelles, nous devons établir un meilleur climat de coopération et de confiance.

Le sénateur Murray: J'aimerais avoir votre avis, comme le sénateur MacEachen, quant au potentiel et à l'état actuel de l'opinion publique dans la province.

Supposons qu'Ottawa et les autres provinces parviennent à s'entendre sur une résolution reconnaissant le caractère distinct du Québec dans la Constitution et prônant une procédure de modification qui serait acceptable aux Claude Ryan, Daniel Johnson et autres fédéralistes du Québec. Supposons qu'ils présentent cette résolution et que M. Bouchard leur répond: «Pas question». Quelle serait la réaction des Québécois à son égard?

M. Ryan: Ce serait le scénario dont nous avons parlé plus tôt. Le gouvernement fédéral serait alors en mesure de consulter la population du Québec et du reste du Canada.

Le sénateur Murray: M. Bouchard est certes sur la défensive, dans une telle situation.

M. Ryan: C'est exact.

Le sénateur Murray: Il a un problème.

M. Ryan: C'est aussi ce que je prévois. Si tel était le cas, un cadeau de la Providence, le gouvernement fédéral serait alors fort bien placé pour instituer, de par sa propre initiative, une consultation de la population du Québec, après quoi le processus politique pourrait suivre son cours, et nous serions quelque peu rassurés. L'affaire pourrait bien tourner. C'est ainsi qu'il faut voir ce genre de choses.

Le sénateur Carstairs: J'aimerais que nous nous attardions à cette question, car dans votre exposé, vous avez mentionné la suprématie des assemblées législatives et l'importance, pour celles-ci, de tenir des votes afin de refléter l'opinion publique de leur population.

J'aimerais que nous parlions d'un autre scénario dans le cadre duquel des négociations seraient menées avec les neuf autres provinces: il y aurait entente entre sept d'entre elles qui pourraient bien représenter 50 p. 100 de la population du Canada; deux autres, par exemple la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick - ce qui est fort improbable - qui, en fait, représentent 50 p. 100 de la population de la région de l'Atlantique rejetteraient l'entente. Le premier ministre déclarerait alors qu'il va sonder l'opinion publique. Il le ferait en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, et la population de ces deux provinces se montrerait plus généreuse que son gouvernement. Elle estimerait que l'entente est bonne. Le premier ministre pourrait-il alors affirmer au Québec: «Exception faite du Québec, toutes les provinces sont convenues d'une entente, qui inclut le projet de loi C-110»? Faudrait-il encore, aux termes du projet de loi C-110, obtenir le consentement des assemblées législatives provinciales?

M. Ryan: Je le crois. Le libellé actuel du projet de loi dit autre chose. Il donne au gouvernement fédéral le droit de décider comment il s'y prendra pour obtenir le consentement du Québec. C'est à cela que je suis opposé, en tant que fédéraliste.

Comme je l'ai dit, une fois que le gouvernement fédéral est convaincu qu'un programme de changement rejeté par le gouvernement du Québec et par l'Assemblée nationale jouit de l'appui de la population, le débat se retrouverait encore une fois dans l'arène politique. C'est là qu'il faudra, en fin de compte, trancher. Aucun gouvernement, fédéral ou provincial, ne peut se placer au-dessus de la Constitution. Ils doivent tous la respecter. Nous devons éviter d'adopter des règles qui, soit implicitement soit indirectement - ou, plutôt, insidieusement -, établissent une suprématie en faveur d'un ordre de gouvernement par rapport à un autre dans des domaines relevant de la Constitution. Celle-ci peut fort bien disposer que tel domaine relève de la compétence fédérale. Il en existe plusieurs exemples. C'est normal. Par contre, si la question n'est pas tranchée dans la Constitution, n'essayez pas de le faire par voie législative.

Le sénateur Carstairs: La situation est unique. Le sénateur Murray, bien sûr, parle de l'Ouest, et nous avons entendu des témoignages de l'Alberta et de la Colombie-Britannique au sujet de l'égalité des provinces. Fait intéressant, les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba ont fait le même genre de déclaration. La situation est unique, en ce sens que la Colombie-Britannique et l'Alberta ont toutes deux adopté une loi liant leur consentement à l'issue de référendums. Si les gouvernements insistaient sur l'égalité des prétendues provinces, il faudrait qu'ils consultent leur population au moyen d'un référendum.

M. Ryan: Encore une fois, un référendum qui comporterait une question différente pourrait se tenir sous les auspices du gouvernement fédéral, même dans ces deux provinces.

Le sénateur MacEachen: Dans un tel scénario, l'assemblée législative provinciale pourrait alors reprendre l'étude de la question.

M. Ryan: Bien sûr.

Le sénateur MacEachen: Elle pourrait dire: «La population s'est exprimée, et nous avons adopté la résolution voulue». Elle pourrait aussi, comme vous le soulignez, avoir recours au processus politique et faire élire un nouveau gouvernement, n'est-ce pas, ou encore laisser la question en suspens?

M. Ryan: Parfaitement.

Le sénateur Carstairs: Dans la plupart des provinces, les assemblées législatives ont en réalité les mains liées par le résultat du référendum.

Le sénateur Beaudoin: Vraiment?

Le sénateur Carstairs: Oui, car la loi qu'elles ont adoptée les oblige à respecter la volonté exprimée par la population.

Le sénateur Meighen: Que fait-on du principe de démocratie parlementaire?

Le sénateur Beaudoin: Où est-il inscrit, dans la Constitution, qu'une province peut être liée par un référendum? C'est illégal.

Le sénateur Carstairs: C'est le point que j'ai fait valoir, l'autre jour, lorsque j'interrogeais M. Tremblay selon lequel, en fait, le projet de loi représentait une étape de plus dans la procédure de modification, ce que ne permet pas la Constitution. Je lui ai demandé comment les provinces pouvaient ajouter une étape de plus au processus de modification en adoptant une loi qui les lierait à l'issue d'un référendum? C'est pourquoi je vous ai livré un exemplaire de la loi, cet après-midi.

Le sénateur Beaudoin: Je ne pense pas qu'elles le peuvent.

Le sénateur Meighen: Monsieur le président, je pense que le sénateur Murray a examiné tout ce que j'avais à demander.

[Français]

Permettez-moi d'ajouter mon petit mot de remerciement pour votre présence aujourd'hui. Je partage l'opinion du sénateur MacEachen sur l'importance de votre intervention.

Ceci étant dit, je reste un peu surpris de voir votre réticence vis-à-vis une clause crépusculaire étant donné que vous, le ministre de la Justice et tout le monde semblez être d'accord sur l'aspect temporaire et transitoire de ce projet de loi. Alors, si c'est transitoire et temporaire pourquoi ne pas souligner cet aspect. La seule question que je voulais vous poser porte sur un autre sujet. Je suis entièrement d'accord que d'ici 1997, il faut choisir quelques objectifs. Vous avez suggéré deux objectifs. Il faut absolument démontrer que l'on a réussi à faire des progrès là-dessus d'ici le congrès constitutionnel. Avez-vous une suggestion quant à la méthode de travail? Est-ce que cela devrait être fait ouvertement, publiquement devant les caméras, ou est-ce que cela doit être fait exclusivement par les politiciens ou par un groupe composé de politiciens et d'experts constitutionnels? Comment peut-on procéder pour s'assurer que l'on a une plus grande chance de succès?

M. Ryan: Tout d'abord, pour ce qui est de la clause crépusculaire, nous avons, à toutes fins utiles, une échéance qui est déjà définie dans la Constitution. C'est la conférence de 1997. Si vous aviez inséré dans le projet de loi une clause crépusculaire...

Le sénateur Meighen: Jusqu'à l'an 2000, par exemple.

M. Ryan: Oui, justement. Ce sera le plus beau prétexte que vous allez donner à nos amis de certaines provinces de dire...

[Traduction]

Ils sont protégés. Il n'y a pas d'urgence. L'échéance n'arrive qu'en 2005. Attendons. Ce n'est pas le moment.

[Français]

Le sénateur Meighen: Mais 1997 alors?

[Traduction]

M. Ryan: On la reportera encore une fois quand la maison sera en flammes.

[Français]

C'est le problème.

[Traduction]

Le sénateur Murray: Nous pourrions en fixer l'échéance en 1997.

Le sénateur Meighen: Mais vous ne le vouliez pas à l'époque.

[Français]

M. Ryan: Mais à ce moment-là, vous n'en aurez pas besoin parce que l'échéance s'en vient. Il faut laisser une certaine marge dans les définitions. Dans le processus politique, ceux qui ont exercé les responsabilités du gouvernement savent que, des fois, l'on obtient un meilleur résultat en n'étant pas trop lié par des amendements qui viennent de différentes sources.

Dans ce cas-ci, remarquez bien que je respecte l'opinion contraire. On s'en va en 1997 et je pense que l'on ne doit pas se retrouver encore une fois que cela tombe automatiquement. Il y a une perspective d'élection en vue. C'est bien beau de dire qu'ils vont revenir après une élection.

Mais supposons que le parti au pouvoir ait perdu des plumes, par exemple, et que c'est un autre parti qui se retrouve au pouvoir. Le contexte sera peut-être complètement défavorable à l'adoption d'une nouvelle législation. Et là, il faut penser en termes de moindre mal. Qu'est-ce qui va causer le moindre mal dans tout cela?

Je respecte l'autre opinion. Mais du point de vue pratique et politique, elle m'inspire des réserves.

Le sénateur Meighen: Puis quant à la méthode de travail?

M. Ryan: Pour ce qui est de la méthode de travail, je crois que ces choses avancent. Il faut que les gouvernements prennent l'initiative. Comme l'a dit M. Schmeizer plus tôt cet après-midi, c'est une affaire qui regarde au premier chef les élus, les législatures et les gouvernements. Ceux qui ont été dans une législature savent que 90 p. cent du pouvoir est entre les mains du gouvernement. Il faut absolument que les gouvernements prennent l'initiative de se parler sérieusement. Je dirais une opinion personnelle. Il faut que le gouvernement fédéral cesse de dire aux autres provinces: «Il n'y a pas de problème au Québec, ces extrémistes, on va en venir à bout, ne vous inquiétez pas». Il faut leur dire qu'il y a un problème. On ne l'avait pas vu, mais il est plus gros que l'on pensait. Il faut le reconnaître humblement et qu'on se dise:

[Traduction]

Nous devons travailler ensemble. C'est plutôt urgent.

[Français]

À ce moment-là, les choses vont changer. J'ai eu l'occasion de causer avec un certain nombre d'hommes politiques au cours des dernières semaines. La première position est défensive, on ne veut pas toucher à cela, on est mieux de ne pas parler de cela. Finalement, je leur dis: «Je vais retourner chez moi, je n'ai pas un mot à dire à personne». J'ai rencontré des gens, ils ne comprennent rien. Il faut que le gouvernement fédéral débarre et dise: «Il y a un problème et on le partage». Je rappellerai une chose à l'intention du gouvernement fédéral. M. De Bané, vous allez faire le message, je ne suis pas inquiet. Le gouvernement fédéral a l'air d'oublier que le Parti libéral a perdu trois élections de suite au Québec; en 1984, en 1988, en 1993. S'il y en avait une demain matin, je pense pas qu'il s'attendrait à gagner une majorité de sièges. Cela doit signifier quelque chose. Il y a peut-être une vérité politique qui n'a pas été appréhendée complètement.

Je les invite à se mettre dans une position d'humilité qui incite à chercher des solutions au lieu de condamner et de calculer et faire toutes sortes de «schemes» à courte vue qui n'aboutissent à rien. Fondamentalement, si on adoptait une attitude plus noble, plus élevée, imbue d'humilité, et, en même temps, une certaine audace et un certain courage, je crois que l'on pourrait nettoyer pas mal de choses dans ce pays.

Fondamentalement, c'est ma conviction, cela reste un très bon pays.

Le sénateur De Bané: Non seulement on transmettra vos observations au chef du gouvernement mais je suis sûr que le nouveau ministre, M. Pettigrew, qui est votre ancien chef de cabinet, sera également un porte-parole autorisé de vos observations.

Le président: Au nom de mes collègues, je voudrais exprimer mes remerciements pour votre témoignage très important et très utile pour notre étude.

M. Ryan: J'ai beaucoup apprécié l'atmosphère du comité. On a discuté dans un climat non partisan. Je redécouvre les grands avantages de la vie de citoyen.

[Traduction]

Le président: Notre dernier témoin est le professeur John McEvoy, de la faculté de droit de l'Université du Nouveau- Brunswick. Il a rédigé une déclaration qui a été distribuée.

Nous pourrions peut-être accorder une dizaine de minutes à M. McEvoy pour lui permettre de faire sa déclaration liminaire.

M. John P. McEvoy, faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick: Monsieur le président, je crois comprendre que mon mémoire a été distribué dans les deux langues officielles. J'aimerais bien montrer mes connaissances linguistiques au gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick, qui pourrait ainsi constater que ce qu'il a investi dans les cours que j'ai suivis porte ses fruits, mais je vais laisser tomber cette fois-ci. Je vais également sauter la première page de mon mémoire, dans laquelle j'expose mes antécédents professionnels au comité.

Voici ce que je pense du projet de loi C-110:

Premièrement, le projet de loi est une réaction politique au vote des Québécois.

Deuxièmement, le projet de loi ne constitue pas une modification de la Constitution au strict sens juridique, mais plutôt au sens général et politique.

Troisièmement, quant à son interprétation, le projet de loi impose des restrictions aux ministres fédéraux pour ce qui est de modifier la Constitution en application de la procédure normale de modification prévue à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Quatrièmement, le projet de loi n'est ni une loi, ni une convention constitutionnelle; il s'agit plutôt d'un produit hybride se rapprochant davantage de la convention.

Cinquièmement, le projet de loi illustre une progression logique de la pensée ou de l'opinion relative à la procédure normale de modification.

Sixièmement, le projet de loi n'est pas inconstitutionnel, pas plus qu'il n'est illégal.

Septièmement, pris isolément, le projet de loi est une erreur regrettable.

Le projet de loi C-110 est la réaction politique à un besoin particulier et assez évident, comme en témoignent les résultats du référendum tenu au Québec, la nature du parti d'opposition officiel à la Chambre des communes et le parti au pouvoir à Québec. N'eussent été ces facteurs, nous ne serions pas en train de l'étudier aujourd'hui. Le projet de loi C-110 a plus particulièrement pour objet de satisfaire au désir exprimé depuis longtemps par le Québec de récupérer son droit de veto et de montrer que le gouvernement fédéral n'y est pas sourd.

D'après les médias, la députée Grey aurait déclaré qu'«il est fåcheux que le premier ministre ait présenté une mesure axée sur le Québec plutôt que sur le Canada». Je ne suis pas d'accord. Selon moi, le projet de loi C-110 s'adresse davantage aux Canadiens qu'aux Québécois. Il dilue le message envoyé par le gouvernement fédéral aux électeurs du Québec. D'une manière typiquement canadienne, il cherche à concilier les intérêts de toutes les provinces et de toutes les régions à la fois, comme en fait foi la reconnaissance de dernière heure de la Colombie- Britannique en tant que région.

L'Accord de Charlottetown a échoué en grande partie parce qu'il y avait trop de choses pour que les Canadiens puissent les assimiler. La toile sans couture n'est pas une approche réaliste. La multitude de détails attire trop de détracteurs. Je souscrirais sans hésiter à un projet de loi qui reconnaîtrait simplement un droit de veto au Québec. Le caractère distinct du Québec est depuis longtemps reconnu dans la Constitution et il justifie le droit de veto que revendique cette province. Par contre, il faut aussi tenir compte de la réalité politique.

Je souligne que la disposition de retrait prévue au paragraphe 38(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 - qui permet aux provinces de se soustraire aux modifications qui représentent une dérogation aux compétences législatives provinciales - me semble un moyen particulièrement propice à permettre l'asymétrie des pouvoirs entre les provinces.

Elle semble aussi la réponse tout indiquée aux besoins ou aux aspirations de provinces, comme le Québec, qui souhaitent une décentralisation dans certains domaines et d'autres provinces, comme le Nouveau-Brunswick, qui, au contraire, réclament une centralisation des pouvoirs.

Selon l'interprétation qui en est faite, le projet de loi C-110 interdirait à un ministre fédéral de déposer une motion de résolution autorisant la modification de la Constitution du Canada en vertu de la procédure normale de modification sans le consentement du nombre requis de provinces.

À noter que les modifications prévues à l'article 41, à l'article 43 et au paragraphe 38(3), qu'un ministre peut proposer sans le consentement prévu au projet de loi C-110, ne sont pas visées par le projet de loi. Comme il est dit dans le texte, les assemblées législatives des provinces particulières intéressées ont déjà, dans les faits, un droit de veto en la matière.

Il faut aussi tenir compte du côté pratique des choses. Un ministre ne déposerait pas pareille motion si elle n'avait pas déjà été approuvée en tant que politique d'État et si elle ne figurait pas comme priorité au menu législatif. D'abord, il risquerait son poste; ensuite, il est peu probable que pareille motion recueillerait suffisamment d'appuis pour être adoptée.

Autre réalité, le gouvernement ne fera pas sienne une proposition de modification en application de l'article 38 et ne lui accordera pas la priorité s'il croit qu'elle n'obtiendra probablement pas le consentement du nombre de provinces prévu dans l'actuelle procédure de modification.

Les gouvernements et les parlements, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ne gaspillent pas délibérément leur temps et leurs efforts. Il faudrait donc qu'il y ait eu consentement préalable des provinces, ce qui implique l'existence préalable d'une consultation et d'une coopération fédérales-provinciales. Le projet de loi C-110 empêche les ministres de déposer des motions pour provoquer, comme avec les livres blancs, des réactions et un débat sur une proposition de réforme constitutionnelle.

Bien que le projet de loi impose des limites aux ministres, les autres députés et les sénateurs ne sont pas visés. Ils sont donc libres de déposer une motion de résolution autorisant la modification de la Constitution. La probabilité qu'une telle proposition soit adoptée est pratiquement nulle, à moins qu'elle ne jouisse de l'appui du pouvoir exécutif et des dirigeants du parti.

Il est donc possible, mais extrêmement invraisemblable, que l'on contourne les dispositions du projet de loi. Mais ce serait là un coup d'épée dans l'eau, car il répugne aux gouvernements et aux parlements de gaspiller leur temps et leurs efforts.

En tant que loi ordinaire, le projet de loi C-110 peut être modifié ou abrogé selon les nécessités politiques.

Enfin, le projet de loi n'établit pas d'infraction. Le projet de loi C-110 se situe quelque part entre la convention constitutionnelle et le droit constitutionnel. La convention constitutionnelle relève du domaine politique; les acteurs sur la scène politique se considèrent liés par la règle établie et la sanction de la violation d'une règle est politique. Toute modification contraire à une convention constitutionnelle serait jugée inconstitutionnelle sur le plan conventionnel, mais constitutionnelle sur le plan juridique.

Le problème s'est presque posé en 1981, lorsque le gouvernement Trudeau se proposait d'aller de l'avant avec le rapatriement de la Constitution, sans un degré appréciable de consentement provincial. Toutefois, le jugement historique de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur le rapatriement a mis un frein au projet.

Le projet de loi C-110 ne relève pas du domaine des conventions; les ministres fédéraux ne peuvent déposer une motion portant modification de la Constitution. Par ailleurs, le projet de loi C-110 ne fait pas vraiment partie du droit constitutionnel: il ne vise pas à faire partie de la Constitution et, en tant que tel, ne constitue pas une des «règles législatives et règles de common law qu'on désigne du terme générique de droit constitutionnel», pour reprendre le texte du Renvoi sur le rapatriement.

Comme nous l'avons déjà mentionné, le projet de loi C-110 ne crée pas d'infraction dans le cas du ministre qui déciderait de déposer une motion de résolution sans le consentement requis des provinces. C'est l'équivalent d'une déclaration de principe, d'une convention faisant office de loi.

Pour ce qui est du projet de loi C-110, qui est une suite logique, je ne m'attarderai pas sur les efforts qui ont été consacrés à la recherche d'une procédure acceptable pour modifier la Constitution du Canada. Il est difficile de trouver une formule de modification qui allie souplesse et rigueur tout en assurant la stabilité. Il convient de noter que le projet de loi C-110 propose une version modifiée de la procédure de modification Beaudoin-Edwards mise de l'avant en 1991. Cette procédure requiert l'approbation du Sénat et de la Chambre des communes, le consentement de deux des quatre provinces de l'Atlantique, du Québec, de l'Ontario et de deux des quatre provinces de l'Ouest représentant 50 p. 100 de la population de la région.

Le projet de loi C-110 est une version modifiée de cette formule puisque, premièrement, il ajoute un nouvel élément, soit le consentement de 50 p. 100 de la population des provinces de l'Atlantique - ce qui a pour effet d'éliminer l'Île-du-Prince-Édouard; que, deuxièmement, il adopte l'addendum de Mme Hunter au rapport majoritaire, soit de considérer la Colombie-Britannique comme une région; et que, troisièmement, plutôt que de proposer un mode de révision général, il limite les initiatives fédérales en matière de changements constitutionnels.

Le fait de diviser le pays en régions plutôt qu'en provinces - en supposant qu'on peut considérer le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique comme des régions - n'est pas contraire à l'évolution de la pensée constitutionnelle au Canada. Lors des premières tentatives pour modifier la procédure de modification, on s'est attardé à fixer l'étendue du consentement provincial jugé nécessaire pour modifier la Constitution, le nombre de provinces dont l'accord était requis. Les formules mises en avant au fil des ans, y compris celle de Fulton-Favreau en 1965, prévoyaient le consentement d'un certain nombre de provinces.

Lorsque la formule de Victoria a été présentée, la stratégie avait évolué: on exigeait désormais l'accord de quatre régions - les provinces représentant 25 p. 100 de la population, c'est-à-dire le Québec et l'Ontario, deux des quatre provinces de l'Atlantique et deux des quatre provinces de l'Ouest. À quoi ce changement était-il attribuable? Peut-être au fait que l'on s'était rendu compte que les frontières des provinces étaient artificielles, des accidents de l'histoire. Les régions sont des entités naturelles. Ainsi, la notion de région comme mesure du consentement provincial existe depuis un quart de siècle.

L'approche adoptée par le projet de loi C-110 n'aurait pas permis de sauver l'Accord de Charlottetown. Seulement deux des cinq régions/provinces ont voté «oui», et trois ont voté «non». Malheureusement, l'Accord du lac Meech ferait aujourd'hui partie du droit constitutionnel n'eût été les dispositions concernant la composition de la Cour suprême du Canada et la procédure de modification.

Les autres dispositions auraient pu être approuvées au moyen de la formule 7-50. Avec la formule qu'il propose, le projet de loi C-110 lui-même ne serait pas adopté.

Comme le ministre de la Justice l'a dit, le projet de loi prête le droit de veto fédéral aux provinces ou régions. Il ne constitutionnalise pas ce droit. Lorsqu'on compare la formule prévue à l'article 38 au projet de loi C-110, on constate que le nombre de provinces qui doivent donner leur consentement reste le même - soit sept provinces, les deux tiers, représentant 50 p. 100 de la population.

Toutefois, il existe une différence frappante entre le C-110 et l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le pourcentage démographique minimal requis en vertu du projet de loi correspond à 91,9 p. 100 de l'ensemble de la population des provinces. Le pourcentage minimal requis en vertu de l'article 38 est de 50,25 p. 100. Mais les statistiques démographiques à elles seules sont trompeuses, car elles servent uniquement à indiquer quelles combinaisons de provinces doivent donner leur accord à une modification constitutionnelle. L'essentiel, c'est que le nombre de provinces consentantes reste fixé à sept. Le projet de loi C-110 introduit une rigidité certaine dans le processus en précisant les provinces qui doivent donner leur consentement.

Comme l'ont déclaré les premiers ministres McKenna et Savage, le projet de loi C-110 donne beaucoup de poids à la région de l'Atlantique sur le plan constitutionnel. Avec 8,05 p. 100 de l'ensemble de la population des provinces, elle se voit accorder une part du droit de veto fédéral. Si l'on part du principe que l'Ontario et le Québec comptent 36,95 p. 100 et 25,25 p. 100 respectivement de la population, le fait d'accorder un veto à une région qui représente 8 p. 100 de la population constitue effectivement un geste généreux. Mais la décision semble plus justifiée lorsqu'on note que la Colombie-Britannique, elle, représente 12 p. 100 de l'ensemble de la population. Elle l'est encore davantage lorsqu'on considère qu'une modification à la Constitution ne saurait être évaluée en fonction du principe de la représentativité. Ce principe est appliqué à la Chambre des communes, qui détient un droit de veto.

Comme la représentation au Sénat est établie en fonction des régions, il importe que des facteurs autres que la population soient pris en considération lorsqu'on envisage des modifications à la Constitution en vertu d'un mode de révision général. Il s'agit là d'une façon moderne d'appliquer le principe d'égalité.

On reproche au projet de loi C-110 d'entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Parlement ou d'un ministre de lancer un processus de réforme constitutionnelle. Deux provinces, soit la Colombie-Britannique et l'Alberta, exigent déjà que toute résolution de l'assemblée législative proposant une modification de la Constitution du Canada soit soumise à un référendum.

Dans mon mémoire, je cite les articles des lois de l'Alberta et de la Colombie-Britannique à ce sujet, que je ne vous lirai pas ici.

Il s'agit là de conditions précises qui régissent le dépôt de toute résolution présentée en vertu de l'article 38. Il serait facile de rendre ces deux lois conformes au projet de loi C-110. Par exemple, la loi albertaine dispose que la question référendaire doit être approuvée par voie de résolution de l'assemblée législative sur présentation d'une motion d'un membre du conseil exécutif.

Supposons que le conseil exécutif lui-même doive approuver la résolution avant son dépôt à l'assemblée législative. Est-ce qu'une prescription juridique peut porter atteinte à la validité de ce que toute personne raisonnable considère comme une démarche tout à fait normale? Est-ce que le fait de transformer une simple exigence en prescription juridique serait contraire à la Constitution?

Il convient de noter que la loi albertaine a une application plus restreinte que le projet de loi C-110. En vertu de cette loi, seul un membre de l'exécutif peut déposer une résolution; cette restriction n'existe pas dans le projet de loi C-110.

D'après de récents articles de presse, émanant de Charlottetown en particulier, les premiers ministres des provinces maritimes ont convenu d'une nouvelle restriction au droit de veto régional. La première ministre Callbeck aurait déclaré avoir conclu une entente avec les premiers ministres McKenna et Savage, selon laquelle, par exemple, si l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse convenaient de s'opposer à une modification constitutionnelle, le Nouveau-Brunswick en ferait autant, en invoquant le droit de veto régional. Il faudrait que le Nouveau-Brunswick exprime son désaccord, même si, de son côté, il était en faveur de la modification proposée. On voudrait ainsi que l'accord écrit soit conclu au niveau des premiers ministres plutôt que sous une forme législative ou sous forme de résolution prise par les assemblées législatives respectives. C'est du moins ce qu'on a pu lire dans la presse.

J'ai toutefois appris que cette nouvelle, comme dans le cas de la mort de Mark Twain, était fort exagérée. Je tiens de source sûre que le gouvernement du Nouveau-Brunswick se sent des affinités avec la position de l'Île-du-Prince-Édouard et reconnaît que le projet de loi C-110 élimine cette province du jeu constitutionnel. Cela va à l'encontre de la proposition de Victoria et de celle de Beaudoin-Edwards, lesquelles fixent le nombre des provinces consentantes de l'Atlantique à deux sur quatre, donnant ainsi à l'Île-du-Prince-Édouard véritablement voix au chapitre en la matière.

Il se peut fort bien qu'au retour d'Équipe Canada, nous apprenions que les Premiers ministres des Maritimes ont signé l'Accord de Karachi. Pour l'instant toutefois, j'ai appris que les Premiers ministres s'étaient entendus pour se consulter. Quoi qu'il en soit, l'Île-du-Prince-Édouard ne pourrait déclencher le droit de veto des Maritimes qu'après avoir conclu un accord avec le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Écosse. La simple objection de l'Î.-P.-É. ne signifie pas que cette province obtiendra l'appui des autres.

Si je m'inquiète de la rigidité croissante qu'implique le fait de pactes régionaux ou nationaux qui fixent d'autres conditions préalables au consentement à des modifications constitutionnelles, je ne considère pas que de tels accords soient inconstitutionnels au sens juridique ou conventionnel. Ils sont de nature politique et témoignent de la solidarité régionale. Ils sont également regrettables.

Supposons que le projet de loi prévoit que le droit de veto fédéral sera accordé à l'Île-du-Prince-Édouard seulement, plutôt qu'aux régions. Cela serait-il acceptable? Les intervenants constitutionnels devraient pouvoir décider, avec toute la discrétion voulue, s'ils veulent consentir à une proposition ou non. Une telle discrétion ne devrait pas comporter de restriction.

Ceci étant dit, je dois souligner que le projet de loi C-110 n'impose pas de restriction au consentement fédéral prévu à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il ajoute aux conditions qu'un ministre fédéral doit remplir avant de présenter une motion à la Chambre.

Monsieur le président, je vais laisser tomber la discussion sur la validité constitutionnelle du projet de loi, à propos de laquelle on pourra me poser des questions, pour passer à la conclusion, si vous le voulez bien.

Le président: Bien.

M. McEvoy: Je passerai à la page 18.

Le gouvernement fédéral a abattu ses cartes dans le projet de loi C-110. Quelle nouvelle proposition globale peut être faite à la conférence constitutionnelle de 1997 sur la procédure de modification? Le projet de loi C-110 est présenté par le ministre de la Justice comme une solution provisoire d'ici 1997. Il reconnaît en outre qu'aucune modification constitutionnelle n'est prévue entre-temps. Il se pourrait que la procédure prévue par le projet de loi C-110 devienne le nouvel article 38.

Je n'ai pas parlé de l'exclusion des autochtones ou des territoires du projet de loi C-110, car ils ne participent pas à la procédure de l'article 38. Il est généralement admis qu'ils devraient être associés aux modifications constitutionnelles qui les concernent, mais le problème est de savoir quand ils sont concernés.

Enfin, j'ajouterais, comme je l'ai dit devant le comité Beaudoin-Edwards, que je ne suis pas pour la tenue de référendums, qui ne devraient pas servir à régler les questions constitutionnelles. Je suis heureux de voir que le comité n'est pas partisan de la constitutionnalisation d'un référendum de ratification comme partie intégrante de la procédure de modification.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur McEvoy.

Avez-vous su si l'Accord de Karachi a été conclu, pour ce qui est du droit de veto des Maritimes avec l'Île-du-Prince-Édouard en particulier?

M. McEvoy: Le premier ministre du Nouveau-Brunswick est rentré dans la province samedi et rien n'a été annoncé. J'ai parlé aux représentants du gouvernement jeudi. Je n'ai pas entendu parler d'un accord. D'après ce que j'ai compris de ce que les représentants du gouvernement du Nouveau-Brunswick m'ont dit, il n'a jamais été question de l'accord annoncé dans les journaux. Il s'agissait d'une consultation.

Le sénateur Marchand: Monsieur, je constate dans votre curriculum vitae que vous avez enseigné le droit des premières nations. Vous pourriez peut-être nous donner votre avis sur l'emploi du mot «nation».

Toute ma vie, on m'a appelé Indien, mais la terminologie a changé au cours des années. J'aimerais que notre peuple se réunisse un jour et décide, comme les Inuits, de se faire appeler par ses noms propres. Dans nos langues, nous avons des noms propres qui désignent notre peuple et nos groupes. On s'interroge encore là-dessus. On nous appelle maintenant «premières nations»; il y a quelques années, nous étions des «autochtones». Je me demande si vous, en tant que professeur érudit, vous accordez une signification particulière au fait de nous désigner par le mot «nation».

Heureusement que Christophe Colomb cherchait l'Inde et non la Turquie. Je ne sais pas si l'emploi de ce mot a pour vous un sens particulier mais, sur le plan constitutionnel, le fait de nous désigner par le mot «nation» rehausse considérablement notre statut.

Je ne sais pas si vous avez entendu les groupes qui ont comparu devant nous hier. Vous avez peut-être lu dans les journaux que nous avons siégé toute la journée. Ils ont exprimé leur vive inquiétude au sujet de la teneur du projet de loi C-110 et de son incidence sur les futures modifications constitutionnelles. On a employé un langage très dur, des mots comme «menotté». J'aimerais obtenir votre opinion là-dessus, et vous pourriez peut-être aussi nous donner votre avis sur la solution dont ils ont parlé, une disposition non dérogatoire, à propos de laquelle différentes formules ont été proposées. Je suis certain que vous savez ce que suppose le recours aux dispositions non dérogatoires et ce qu'elles veulent dire.

M. McEvoy: J'aimerais dire d'abord que c'est, autant que je sache, le juge en chef Marshall qui a été le premier à employer le mot «nation» pour désigner les peuples autochtones, dans les causes de la nation Cherokee et de la Georgie, au début des années 1800 aux États-Unis, quand il a défini le mot «nation» comme désignant le peuple.

Le problème de la terminologie est réel au Canada, avec tout le monde. Je me rappelle le cas d'un autochtone qui est venu prononcer une allocution à la faculté de droit de mon université il y a plusieurs années. Il a parlé de la souveraineté autochtone en précisant qu'il n'en parlait pas au sens où on l'entend en droit international. J'ai proposé exactement ce que l'honorable sénateur a dit. J'ai demandé qu'on trouve un mot autochtone pour que nous nous comprenions. J'ai signalé qu'il ne fallait pas utiliser le mot souveraineté si on ne l'entendait pas dans le sens qu'il a en droit international, parce qu'il y a trop de nuances. Il faut trouver un mot acceptable pour les autochtones, un mot que nous utiliserons. On a bien accueilli ma proposition. Les mots sont importants, comme l'indique l'honorable sénateur.

Pour ce qui est des peuples autochtones, le projet de loi C-110 fait un ajout à l'article 38. Actuellement, comme vous le savez, les autochtones ne sont pas des intervenants dans le processus constitutionnel. On veut inclure d'autres intervenants, et les autochtones devraient être consultés dans le cas des dispositions qui les touchent.

Pour ce qui est de la disposition non dérogatoire, il y a évidemment des ressemblances entre l'Accord de Charlottetown et les propositions gouvernementales ultérieures. Il faut examiner la chose. Tous les intérêts des peuples autochtones doivent être protégés. On pourrait ajouter une disposition pour les protéger. Le problème est qu'elle ne fait pas partie du projet de loi à l'étude.

Le sénateur Marchand: Appuieriez-vous l'idée d'une disposition non dérogatoire si le projet de loi était adopté?

M. McEvoy: Je crois qu'un autre sénateur a déjà posé à M. Ryan une question sur une disposition non dérogatoire pour la province du Québec ou sur le fait de donner un droit de veto limité sur certains sujets. Est-ce la même idée? Il faut définir ces sujets.

Il est très difficile de parvenir à un accord au Canada aujourd'hui sur ce qui touchera directement les peuples autochtones ou la province de Québec. On peut dire que la création de provinces à l'extérieur des territoires n'affectera pas les peuples autochtones du sud, mais en fait, ils seront touchés. On aura peut-être plus de mal s'il y a une incidence sur la procédure de révision constitutionnelle. Il y aura une interrelation et il sera difficile de s'entendre là-dessus. Je conviens avec vous qu'il y aura certains sujets de base. Ce sont les domaines secondaires ou les zones grises qui causeront de grandes difficultés.

Le sénateur Beaudoin: Je m'inquiète de ce qui se passe au Canada en matière de référendum. Nous avons une procédure de révision constitutionnelle. Elle n'est pas simple, mais elle existe. Elle fait partie de la Constitution et nous devons nous y conformer. Il reste que, de plus en plus, nous compliquons cette procédure par des référendums qui, dans l'Ouest, lient les gouvernements des provinces. Ils ne lient pas le Parlement du Canada, mais les gouvernements des provinces de l'Ouest. À Ottawa, nous avons l'expérience des référendums puisque nous en avons tenu un sur l'Accord de Charlottetown.

Un constitutionnaliste américain signalait dans un article que j'ai lu que les Américains ont été scandalisés que la population canadienne rejette une proposition adoptée par le premier ministre du Canada, toutes les provinces, les deux territoires et quatre associations autochtones.

Nous avons tenu un référendum qui était purement consultatif. Nous nous entendons tous là-dessus. Ce sont le Québec et l'Ouest qui ont rejeté la proposition référendaire. En Ontario, le OUI et le NON étaient à égalité. Si nous continuons ainsi, une convention constitutionnelle sera créée. Chaque fois que nous voudrons modifier quelque chose, nous ferons un référendum. Au moins, avec cette mesure, nos spécialistes juridiques disent que nous ajoutons quelque chose à la procédure de révision et que nous ne la modifions pas. Si nous continuons à ajouter ainsi des éléments, si nous continuons à avoir des référendums contraignants, et si nous créons une convention constitutionnelle, ce ne sera plus la procédure de révision constitutionnelle qui aura de l'importance, mais les référendums. C'est ce qui m'inquiète.

La situation du Québec est quelque peu différente, car je ne peux imaginer qu'une province quitte le Canada sous le seul prétexte qu'elle déclare sa souveraineté. À mon avis, un référendum est une mesure qu'il est naturel de prendre en pareil cas. Ce qui m'inquiète, c'est que cela pourrait indirectement devenir partie intégrante de la procédure de modification; c'est ce qui ne me plaît pas. D'après ce que je comprends, vous croyez que de toute façon, c'est constitutionnel. Êtes-vous contre pareille tendance?

M. McEvoy: Personnellement, oui. J'ai survécu à un référendum en Irlande sur l'Acte unique européen, alors que je me trouvais dans ce pays. Cette expérience a été atroce en raison de la crainte suscitée par les éventuelles répercussions d'un OUI à une intégration plus poussée en Irlande.

Pour ce qui est de mon expérience de l'Accord de Charlottetown, j'ai répondu à plus de 120 appels téléphoniques sur la ligne rouge de l'Association du Barreau canadien. Des Canadiens des diverses provinces pouvaient poser des questions par téléphone. Pendant les négociations de Charlottetown, les gens s'inquiétaient de ce qui allait leur arriver. Beaucoup de questions portaient sur les peuples autochtones. On s'inquiétait de l'autonomie gouvernementale des autochtones, ainsi que de la réforme du Sénat. La proposition globale paraissait trop écrasante. Au lieu de questions isolées, il s'agissait d'une proposition globale. Le chåteau de cartes s'est donc écroulé.

Comme le sait le sénateur Beaudoin, dans le Renvoi sur le rapatriement, la Cour suprême du Canada déclare qu'il peut y avoir convention s'il y a justification de la règle et cela s'est produit une fois. Je suis sûr qu'au moment du référendum de Charlottetown, vos étudiants, comme les miens, ont pensé que le principe démocratique - c'est-à-dire la justification de la règle - et le précédent signifiaient que nous avons maintenant une convention constitutionnelle. Les politiciens déclarent que cela ne les lie pas. Toutefois, à ce moment-là, les étudiants en droit constitutionnel ont certainement cru que tel était le précédent, qu'il y avait justification de la règle et que, par conséquent, il y aurait toujours une convention constitutionnelle.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux de voir que vous partagez mes inquiétudes.

Compte tenu de ce qui s'est passé en octobre dernier, je me demande si les Canadiens ne sont pas plus prêts à accorder un droit de veto sélectif au Québec dans certains domaines, plutôt que de revenir à la théorie du droit de veto régional. Vous connaissez le Canada anglophone mieux que moi. Si je pose cette question, c'est parce que vous en faites mention dans votre mémoire.

M. McEvoy: Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je ne connais pas le Canada anglais mieux que vous. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick. Je ne connais absolument pas l'Ouest. S'il y a division, ce n'est pas simplement entre le Canada anglais et le Canada français; toutes les diverses régions qui constituent le Canada sont touchées.

Au Nouveau-Brunswick, nous sommes très sensibles aux questions linguistiques et culturelles en raison de la présence de nos deux collectivités linguistiques. Nous avons une modification constitutionnelle qui reconnaît la dualité de la province. Il se pourrait bien que pour obtenir le consentement de la province du Nouveau-Brunswick en matière de modification constitutionnelle, il faille obtenir le consentement des deux collectivités linguistiques de la province du Nouveau-Brunswick. Il faut être ouvert à cette possibilité.

Le sénateur Beaudoin: Supposons que la théorie du droit de veto disparaisse. Si le Québec n'y voit rien de rassurant, je ne suis pas optimiste quant à ce qui se produira l'année prochaine. Il faut donc trouver quelque chose, que nous pourrions appeler «clause de reconnaissance du Québec» dans la Constitution; c'est ce que nous devrions faire, à mon avis; ou simplement dire que dans les domaines linguistique, du code civil et de la culture, le Québec aurait un genre de droit de veto signifiant que nous ne pouvons rien soustraire sans le consentement de cette province. Cela vaudrait mieux qu'un droit de veto. Est-ce possible, à votre avis?

M. McEvoy: Cela n'est pas actuellement prévu au paragraphe 38(3).

Le sénateur Beaudoin: Non, simplement pour le partage des pouvoirs.

M. McEvoy: Le code civil du Québec, qui est l'exemple que vous avez donné, vise les droits de propriété et les droits civils dans la province du Québec. Si une loi fédérale s'interposait ou retirait cette compétence prévue au paragraphe 38(3), il y aurait dérogation.

Le sénateur Beaudoin: Effectivement, les droits de propriété et les droits civils sont entièrement protégés, car s'ils étaient transférés au pouvoir central, le Québec aurait le droit de refuser de participer.

Toutefois, les institutions centrales inquiètent beaucoup les Québécois. Nous avons le bilinguisme à Ottawa, au Parlement et nous sommes protégés, comme il le faut, à la Cour suprême. C'est à la Cour suprême de décider si la composition prévue - six et trois juges - doit être confirmée. Bien entendu, trois juges en seraient d'accord, mais ce n'est pas la majorité. Il n'y a pas de garantie au niveau du Sénat, et il n'y en pas non plus en ce qui concerne la création de nouvelles provinces. Pourriez-vous imaginer que l'on accorde un peu plus de protection au Québec dans ces deux domaines?

M. McEvoy: Voulez-vous dire qu'il faudrait accorder au Québec un droit de veto sur la création de nouvelles provinces, ainsi qu'un droit de veto en ce qui concerne la Cour suprême?

Le sénateur Beaudoin: Je veux parler de la composition de la Cour suprême.

M. McEvoy: Comme vous l'avez déjà indiqué, depuis en fait la création de la Cour suprême, une loi fédérale fixe le nombre des juges du Québec à trois. C'est ce qui existe depuis près de 50 ans.

Le sénateur Beaudoin: Il y en a trois depuis 1949. C'est ce qu'a indiqué M. St. Laurent à la Chambre des communes.

M. McEvoy: Cela a fait partie de la proposition législative. Les Accords de Charlottetown et du lac Meech devaient constitutionnaliser tout cela.

Il s'agit d'une institution centrale essentielle qui interprète le pouvoir non seulement de l'assemblée législative du Parlement du Canada, mais aussi de l'assemblée législative de la province de Québec. Il est probable que le Nouveau-Brunswick et d'autres compétences ne s'y opposent pas. Je n'aurais pas d'objection. Je ne peux pas imaginer d'objection raisonnable à un tel droit de veto.

Là encore, le problème qui se pose est celui des limites. Comme je l'ai indiqué plus tôt et comme je le disais dans mes observations sur les peuples autochtones, il est facile de dire qu'il y aura droit de veto dans certains domaines prévus d'avance. Toutefois, il suffit de les passer en revue pour s'apercevoir que des problèmes surgissent à propos des peuples autochtones et des questions qui les touchent véritablement, ainsi qu'au sujet des questions visant la province du Québec.

Personnellement - je ne parle pas ici en tant qu'avocat de droit constitutionnel -, je n'aurais aucune difficulté à accepter un droit de veto direct pour le Québec dans un grand nombre de domaines. C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué que selon moi, Mme Grey, députée de Colombie-Britannique, se trompe en disant qu'il s'agit d'une mesure axée sur le Québec; c'est une mesure visant tout le Canada.

Le sénateur Carstairs: Monsieur McEvoy, ce que vous avez dit sur le référendum en Irlande m'a ramenée quelques années en arrière, à l'époque où nous avons voulu fluorer l'eau à Calgary. Nous avons tenu cinq référendums que nous avons tous perdus. Nous pensions toujours l'emporter, mais les quelques jours précédant la campagne électorale municipale, les habitants de Calgary recevaient d'innombrables brochures indiquant que le fluorure tuait les rats. Bien entendu, le lendemain, les gens votaient contre. Apparemment, ce projet de loi a fini par être adopté, sans doute parce que je suis partie de Calgary.

À la page 6 de votre mémoire, vous dites que le projet de loi empêcherait les ministres de déposer des motions pour provoquer, comme avec les Livres blancs, des réactions et un débat sur une proposition de réforme constitutionnelle.

Je ne partage pas cet avis. À mon avis, le projet de loi C-110 empêcherait seulement les ministres de déposer des motions de résolution autorisant une modification de la Constitution. Rien dans ce projet de loi n'empêcherait les ministres de déposer tous les autres genres de motions. Le projet de loi empêcherait les ministres de déposer la motion finale de modification sans l'approbation pertinente.

M. McEvoy: Si je parle d'une motion ayant les mêmes conséquences qu'un Livre blanc, c'est parce que très souvent au Parlement, à l'assemblée législative du Nouveau-Brunswick à tout le moins, un projet de loi est déposé, passe l'étape de la première lecture avant d'être envoyé à un comité chargé de l'étudier. Aux audiences du comité, on entend les réactions du public. Puis, l'année suivante ou deux ans plus tard, d'autres faits nouveaux peuvent survenir.

D'après mon interprétation du projet de loi, aucun ministre ne peut déposer une version finale, si vous voulez, d'une motion de résolution et dire ensuite: «Passons à la discussion et renvoyons la question à un comité.»

Le sénateur Carstairs: Je suis d'accord avec vous, aucun ministre ne pourrait présenter de motion définitive, mais rien dans ce projet de loi n'empêcherait, à mon avis, de proposer des discussions préliminaires ou les grandes lignes d'une proposition constitutionnelle.

M. McEvoy: Je suis d'accord, sénateur. Aucun ministre ne peut dire: «Page, déposez la motion sur le bureau.»

Le sénateur Carstairs: Il pourrait le faire, tant et aussi longtemps qu'il ne s'agit pas d'une proposition de modification.

Le sénateur St. Germain: Monsieur le professeur, cette discussion sur les référendums me rappelle que ma province, la Colombie-Britannique, doit tenir un référendum. J'avais prévu le résultat du référendum sur l'Accord de Charlottetown. Avant que la question ne soit même posée sous forme de référendum, je savais que la Colombie-Britannique, l'Alberta et le Manitoba rejetteraient cette proposition et j'avais fait part de mes points de vue à certaines personnes à ce moment-là.

En lisant votre citation de Platon, je pense à la région de la Colombie-Britannique. En tant que région, la Colombie-Britannique a déclaré clairement et sans équivoque qu'elle n'appuierait pas cette proposition ni toute autre proposition du genre. L'Alberta fait part de son mécontentement à l'égard de ce projet de loi. Les peuples autochtones y sont également opposés.

À mon avis, c'est le moment idéal pour le premier ministre et le gouvernement fédéral de faire preuve de leadership. Si nous revenons aux régions et laissons les provinces de l'Alberta et de la Colombie-Britannique tenir leurs référendums, cela ne nous mènera nulle part et aucune autre question constitutionnelle se rapportant à ces régions ne donnera quoi que ce soit. Quiconque tentera de trouver une solution à la question québécoise provoquera des réactions de haine.

Je sais comment cela se passe; j'en fais l'expérience jour après jour. On nous dira qu'il ne faut pas s'occuper d'eux, qu'il faut s'en tenir à la position que l'on a adoptée et agir comme s'ils n'existaient pas. De toute évidence, ces gens sont devenus amers face au système.

Ne pensez-vous pas qu'il vaudrait mieux laisser tomber tout cela et dire au premier ministre de régler immédiatement la question constitutionnelle et de faire preuve de leadership?

Je crois en toute honnêteté qu'après ce référendum, les habitants de Colombie-Britannique, ainsi que tous les Canadiens, conscients du fait que nous avons failli perdre notre pays, sont prêts à accepter un leadership véritable et positif en la matière. Ils ne veulent pas s'attarder sur les stupidités que l'on retrouve dans ce projet de loi.

M. McEvoy: Avec tout le respect que je vous dois, je ne pense pas pouvoir répondre à cette question qui est de nature politique. Cela dépasse le champ de mes compétences.

Le sénateur St. Germain: Je l'accepte.

M. McEvoy: Je me suis peut-être aventuré sur un terrain glissant et je me sens un peu coupable.

Le sénateur St. Germain: Je respecte votre position.

Le sénateur MacEachen: Monsieur le professeur, je vous félicite pour votre exposé et aussi pour votre désir de vous en tenir à vos compétences et de ne pas porter de jugement politique sur la situation, contrairement à beaucoup de vos collègues.

Si je comprends bien, M. Ryan s'inquiète de ce que le projet de loi C-110 nous permettrait, en quelque sorte, de contourner une assemblée législative provinciale, par la tenue d'un référendum. Toutefois, vous avancez dans votre exposé, ainsi que je le comprends, que rien ne peut être inscrit dans la Constitution si le nombre requis de provinces ne donnent pas leur consentement, lequel ne peut s'exprimer que par l'entremise des assemblées législatives; est-ce bien cela?

M. McEvoy: Effectivement.

Le sénateur Murray: Est-ce votre interprétation du projet de loi C-110?

M. McEvoy: Comme je le disais dans mon exposé, le projet de loi C-110 est, à mon avis, un complément. Il ne modifie pas la procédure actuelle de modification. Il est question à l'article 38 des résolutions des assemblées législatives des provinces. Ces dispositions doivent être maintenues. Si, par exemple, la province du Nouveau-Brunswick ou la région de l'Atlantique ne souhaitaient pas que toutes les assemblées législatives présentent une résolution - procédure plus facile dans le cas des régions ne comptant qu'une seule province - et qu'un référendum fédéral était tenu et que le référendum approuvait cette résolution, quel en serait le résultat? Le résultat serait qu'un ministre fédéral pourrait déposer une motion pour lancer un processus de modification constitutionnelle dans l'institution fédérale, mais il faudrait toujours que l'assemblée législative de la province donne son consentement, ainsi que l'exige l'article 38.

Le sénateur Murray: Il en faut sept, représentant 50 p. 100 de la population.

M. McEvoy: C'est exact.

Le sénateur Murray: C'est ce qui changerait par suite de l'application du projet de loi C-110.

Le sénateur MacEachen: Merci pour votre intervention. Elle complique les choses puisque selon vous, le référendum pourrait permettre au ministre fédéral de dire: «J'obtiens le consentement par l'entremise de référendums», mais au bout du compte, cela ne permettrait pas de décider d'une modification constitutionnelle, à moins d'obtenir le consentement du nombre requis d'assemblées législatives provinciales; est-ce bien cela?

M. McEvoy: Comme vous le faites remarquer, s'il y avait un référendum national et que 90 p. 100 des Canadiens votaient pour, cela ne donnerait rien, à moins d'obtenir le consentement du nombre requis d'assemblées législatives, conformément à l'article 38.

Le sénateur MacEachen: C'est important.

Un autre problème intéressant se pose: en tenant un ou plusieurs référendums, le gouvernement fédéral pourrait satisfaire à l'exigence relative à la présentation d'une motion, mais celle-ci n'aurait aucun effet constitutionnel à moins que les assemblées législatives provinciales n'y donnent suite.

Le sénateur Rivest: Cela pourrait moralement permettre de contourner l'assemblée nationale qui pourrait être sous contrôle péquiste.

Le sénateur MacEachen: Absolument pas. Les assemblées législatives requises devraient agir, indépendamment de tout référendum.

Le sénateur Rivest: Dans certains cas, il faut simplement sept provinces représentant 50 p. 100 de la population.

Le sénateur MacEachen: C'est entendu. Je comprends mieux maintenant que le consentement peut autoriser le gouvernement fédéral à déposer une motion, mais il ne peut jamais donner effet à une modification constitutionnelle, à moins que l'on obtienne le consentement du nombre requis d'assemblées législatives provinciales.

À la page 12 de votre mémoire, vous parlez d'une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Je me demande ce que signifie «entrave» dans le domaine du droit constitutionnel. L'érudit témoin de la Saskatchewan a fait plusieurs citations tirées de causes de la Cour suprême à propos de ce concept d'entrave. À mon avis, cela n'a aucun sens, probablement parce que je ne connais pas le contexte. Peut-être pourriez-vous m'aider à cet égard. Qu'est-ce qu'une «entrave?»

M. McEvoy: Je suis doublement gêné. Je ne connais pas la citation, ni non plus le contexte. Au plan constitutionnel, on peut, à mon avis, parler d'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire, lorsque la Constitution du Canada confère à l'assemblée législative de la province, et au Parlement du Canada, le pouvoir d'approuver ou de ne pas approuver une modification constitutionnelle selon un processus particulier.

Le sénateur MacEachen: Il y a dans ce mémoire une citation du juge Sopinka selon laquelle tout frein imposé au pouvoir exécutif en matière de présentation de mesures législatives est une entrave à la souveraineté du Parlement lui-même. Cet argument permet d'avancer que ce projet de loi peut être constitutionnellement nul.

Dois-je la citer ici?

M. McEvoy: Non. Je ferais simplement remarquer qu'il existe beaucoup de ces entraves et qu'il s'agit d'entraves à la souveraineté du Parlement au sens où un contrôle s'exerce effectivement, tout comme s'exercent des contrôles sur la façon de présenter des résolutions, contrôles prévus dans des lois relatives à la Chambre des communes et au Sénat. La Loi référendaire fédérale exige que les chefs des autres partis soient consultés avant de saisir la Chambre d'un projet de loi ou d'une question. Toutes ces entraves sont autorisées par les lois et il est fort improbable que la Cour suprême du Canada ne s'y oppose. Il est simplement admis qu'un contrôle s'exerce sur les activités de ceux qui siègent au Parlement.

Le sénateur MacEachen: Une entrave à l'exercice de la souveraineté du Parlement, ainsi que l'exprime le juge Sopinka, ne donne pas nécessairement un résultat inconstitutionnel.

M. McEvoy: Pas que je sache.

Le sénateur Murray: J'ai déjà posé cette question à plusieurs experts constitutionnels qui ont comparu devant nous. Souscrivez-vous à l'interprétation de l'honorable Gordon Robertson au sujet de la Constitution, à savoir que la sécession d'une province de la fédération, en l'état actuel des choses, ne pourrait s'effectuer qu'en application de l'article 41 de la Constitution? Avez-vous réfléchi à la question?

M. McEvoy: J'ai réfléchi à la question, mais je me sens mal à l'aise au sujet de la réponse.

Le sénateur Murray: La réponse de M. Robertson?

M. McEvoy: Je ne suis pas sûr s'il s'agit véritablement de l'article 41 ou non, ou si c'est simplement une disposition traitant de cette province en particulier uniquement.

Le sénateur Murray: L'article 43?

M. McEvoy: Cela dépend. Certaines dispositions tombent sous le coup de l'article 43, d'autres sous le coup de l'article 41.

Le sénateur Murray: Pensez-vous que cette Constitution devrait renfermer une disposition stipulant la manière dont une province pourrait quitter la fédération?

M. McEvoy: Avec tout le respect que nous devons à ceux d'entre nous qui aimons le droit constitutionnel, je pense qu'il faudrait répondre en disant que la question n'est pas pertinente, tout comme la Cour d'appel a jugé, je crois, par suite de l'attaque menée contre le référendum du Québec le 30 octobre dernier, par M. Bertrand, avocat de Québec, qu'il y a effectivement illégalité, mais que la Cour ne peut intervenir. Les révolutions et les sécessions ne surviennent habituellement pas quand d'intéressantes propositions législatives sont faites. Elles se produisent indépendamment de l'ordre constitutionnel. Il n'est pas pertinent de se demander si le consentement unanime est requis ou non.

Le sénateur Rivest: Est-il exact que ce n'est pas le droit constitutionnel qui l'emporte dans ce cas-là, mais le droit international?

M. McEvoy: D'après ce que je comprends, s'il y avait sécession du Nouveau-Brunswick, par exemple, ou de l'Île-du-Prince-Édouard après la construction du pont, si le gouvernement du Canada reconnaissait le gouvernement et la souveraineté de l'Île-du-Prince-Édouard ou du Nouveau-Brunswick et se retirait de ces provinces et si d'autres pays les reconnaissaient juridiquement et en vertu du droit international, une telle reconnaissance serait possible.

Toutefois, il est fort improbable que la province du Nouveau-Brunswick ou celle de l'Île-du-Prince-Édouard soit reconnue.

Le sénateur Rivest: Qu'en est-il du Québec?

M. McEvoy: Au sens où le gouvernement fédéral ne se retirerait pas du Nouveau-Brunswick ni non plus de l'Île-du- Prince-Édouard.

Le sénateur Murray: J'aimerais parler quelques instants de la toile sans couture dont vous parlez dans votre mémoire. Vous dites que l'Accord de Charlottetown a échoué en grande partie parce qu'il y avait trop de choses pour que les Canadiens puissent les assimiler. La toile sans couture n'est pas une approche réaliste. La multitude de détails attire trop de détracteurs. Ce que vous dites au sujet de Charlottetown est, je crois, exact, mais ce que vous dites de la toile sans couture pose un problème, car cela n'a rien à voir avec l'étendue ou l'importance de la proposition. Cela se rapporte au problème du processus qui découle du mode de révision de 1982. Pratiquement parlant, je pense que les premiers ministres et les gouvernements doivent négocier avant de passer à une modification constitutionnelle. Comme vous le savez, une fois engagé dans ce processus, il faut faire des compromis et des échanges, même s'il s'agit uniquement d'une modification à un article de la Constitution. Dès que les assemblées législatives sont saisies de la question, toute modification signifie qu'il faut repartir de zéro.

Lorsqu'il a présenté les résolutions du Québec aux Provinces unies du Canada, Sir John A. MacDonald n'a pas parlé de toile sans couture. Cette expression a été utilisée ultérieurement par un autre homme d'État.

Le sénateur MacEachen: C'est l'expression que vous avez utilisée. On ne me l'avait jamais expliqué correctement jusqu'à aujourd'hui. Je croyais qu'elle voulait dire «perfection», lorsque vous l'avez employée au tout début.

Le sénateur Murray: Il leur a dit que c'était comme un traité. Les compromis avaient déjà été faits. Les députés parlaient de modification, et cetera, et il leur a répondu: «Non. Vous votez l'adoption ou le rejet»; il a alors présenté la question et ils ont voté pour, ce qui a marqué la fin du débat.

Un problème se pose ici. Que cela fasse partie du processus formel de modification ou d'une question pratique, il doit bien exister un autre moyen de s'assurer que - et je ne sais pas s'il faut l'appeler étape «intermédiaire» ou autre chose - une fois les assemblées législatives saisies de l'accord, en supposant que les gouvernements sont majoritaires dans leur assemblée législative, le processus ne puisse pas dérailler. Que cette étape intermédiaire prenne la forme de référendum ou de nombreuses audiences publiques sur le principe de la modification, en préalable à la rédaction finale, il doit bien y avoir un moyen de le faire. Sinon, nous pourrions avoir, comme c'est arrivé dans le passé, six ou sept provinces qui soient d'accord jusqu'au moment où l'une d'elles adopte une modification qui ferait repartir tout le monde de zéro. C'était la toile sans couture. Il fallait adopter l'ensemble, mais des modifications faisaient dérailler tout le processus. Qu'en pensez-vous? Vous êtes contre les référendums.

M. McEvoy: Je suis également contre une toile sans couture, mais je suis heureux de connaître votre point de vue.

Le sénateur Murray: Même maintenant que je vous l'ai expliqué?

M. McEvoy: Même si votre explication m'a apporté beaucoup d'éclaircissements, la toile sans couture, comme vous l'expliquez maintenant, sous-entend que chaque élément de cet ensemble constitutionnel n'a pas suffisamment de valeur intrinsèque pour en justifier l'acceptation. Chacun de ces éléments n'a de valeur suffisante que lorsqu'il est combiné à un autre. À mon avis, avec tout le respect que je vous dois, je ne vois pas comment la disposition de l'Accord du lac Meech relative à la société distincte, et la procédure de modification, ou quel que soit le nom que vous donnez au processus, sont tellement liées à la question de la composition de la Cour suprême qu'elles ne peuvent être traitées séparément. Chacun de ces éléments serait accepté ou rejeté selon ses mérites et ne pourrait être accepté simplement comme compromis politique. En pareil cas, cet élément n'aurait de mérite que parce qu'il est combiné avec autre chose; il faudrait alors se demander s'il y a lieu d'inclure la proposition, en tant qu'élément, parce qu'elle fait partie de la loi fondamentale.

Le sénateur Murray: Je le comprends. La réalité politique est telle que divers intervenants attachent plus ou moins d'importance aux diverses modifications. Au cours du processus, des compromis et des échanges se font. Si on n'en tient pas compte, tout l'ensemble s'écroule.

Le sénateur De Bané: Monsieur le professeur, je ne comprends pas le dernier paragraphe de la page 17, que je cite:

Pratiquement parlant, aux fins du projet de loi C-110, exiger le consentement de l'assemblée législative n'est pas une bonne chose.

Ensuite, il est indiqué qu'un ministre fédéral pourrait présenter une motion en vertu du projet de loi C-110 après que les assemblées législatives ont pris des résolutions à cet égard.

Que voulez-vous dire exactement par ces termes: «...exiger le consentement de l'assemblée législative n'est pas une bonne chose.»

M. McEvoy: Ce n'est pas une bonne chose, car si le projet de loi C-110 était amendé pour exiger le consentement de l'assemblée législative d'un nombre suffisant de provinces, cela voudrait dire qu'un ministre fédéral pourrait présenter une motion seulement après le consentement du nombre requis de provinces, pour respecter non seulement les dispositions du projet de loi C-110, mais aussi celles de l'article 38. Vous auriez sept provinces représentant plus de 50 p. 100 de la population.

Le sénateur De Bané: Qu'est-ce qui serait alors une bonne chose?

M. McEvoy: Dans ce cas précis - si l'on suppose qu'il s'agit d'un processus - alors, évidemment, comme je l'indique dans mon mémoire, des consultations ont lieu. Le consentement exprimé par les gouvernements et les assemblées législatives indique qu'il y a acceptation. Un ministre fédéral peut alors présenter une motion qui sera acceptée par le Parlement et par les assemblées législatives requises, permettant ainsi de poursuivre le processus.

Il s'agit simplement de savoir quand le processus sera lancé et si le Parlement fédéral joue son rôle avant ou après le consentement.

Le sénateur De Bané: Je comprends maintenant.

À la page 18, vous dites: «Il se pourrait que la procédure prévue par le projet de loi C-110 devienne le nouvel article 38.» Que voulez-vous dire exactement?

M. McEvoy: Dans son contexte, le projet de loi C-110 est autonome. Il a sa propre disposition de temporisation, puisqu'une conférence constitutionnelle doit être tenue l'année prochaine et que les fonctionnaires fédéraux ont abattu leurs cartes - en tant que représentants du gouvernement fédéral, c'est ainsi que nous interprétons les choses, c'est ce qui nous paraît acceptable. Pouvez-vous imaginer un changement de la procédure générale de modification qui ne prévoirait pas le droit de veto pour le Québec, pour l'Ontario, pour la Colombie-Britannique? Comment le gouvernement fédéral peut-il changer?

Je continue ici à donner mon point de vue en ma qualité d'avocat du droit constitutionnel, je l'espère tout du moins. La seule question qui reste à débattre en 1997 est la suivante: comment le consentement des provinces doit-il s'exprimer? Doit-il être donné par l'assemblée législative? Doit-il faire l'objet d'un référendum populaire? Il n'est ni pratique, ni réaliste de penser qu'une assemblée constituante ou que tous les professeurs de droit du Canada pourraient prendre ces décisions. Nous allons conserver le processus actuel. Nous allons y apporter quelques changements. Toutefois, le modèle a été présenté. Une fois le droit de veto accordé, il est très difficile de le retirer.

Le sénateur De Bané: Compte tenu des propos du sénateur St. Germain, accepteriez-vous en 1997 que l'on modifie la procédure générale de modification en ajoutant deux mots stipulant que, en règle générale, il faudrait sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, la province du Québec faisant partie de ces sept provinces?

Le sénateur Beaudoin: Pour tout?

Le sénateur De Bané: Non, pour la procédure générale de modification qui s'applique lorsque les autres ne s'appliquent pas.

Le sénateur Rivest: Incluant le Québec.

Le sénateur De Bané: Il pourrait être stipulé: «sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, incluant le Québec».

Le sénateur Rivest: Cela correspond-il à la proposition de M. Ryan?

Le sénateur De Bané: Cela pourrait-il être acceptable?

M. McEvoy: Je suis en faveur d'un droit de veto pour le Québec. À mon avis, cela est compatible avec notre histoire constitutionnelle. Pour ce qui est d'une proposition constitutionnelle d'ensemble, comment peut-on reprendre ce qui a été donné? Comment reprendre le droit de veto à la Colombie-Britannique?

Le sénateur De Bané: Le ministre de la Colombie-Britannique qui a comparu devant nous a déclaré que sa province ne tient pas au droit de veto. Il est le seul représentant d'un gouvernement provincial à être venu devant le comité pour dire qu'il n'a pas besoin d'un droit de veto et qu'il n'en souhaite pas.

Je comprends votre point de vue, monsieur le professeur.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Vous dites à la page deux de votre mémoire, et je cite:

... pris isolément, le projet de loi est une erreur regrettable.

[Traduction]

En anglais, vous parlez de «regrettable development.» Pourquoi vous exprimez-vous en ces termes?

Le sénateur De Bané: Vous dites que cela correspond aux conclusions du comité Beaudoin-Dobbie. Il est étonnant que d'une part, vous disiez que le projet de loi est compatible avec ce qui se passe et que, d'autre part, vous disiez que pris isolément, ce n'est pas une bonne chose.

M. McEvoy: Comme tous les honorables sénateurs le savent, les habitants du Nouveau-Brunswick parlent les deux langues. J'allais lire cette partie de mon mémoire en français, mais lorsque j'ai vu la traduction, il m'a semblé que l'expression «erreur regrettable» ne permettait pas de saisir la nuance que je recherchais. Je préférerais l'expression «mesure regrettable». Je ne voulais pas parler d'«erreur regrettable». C'est la raison pour laquelle je n'ai pas lu cette partie en français.

[Français]

Le sénateur Gauthier: C'est une nuance, expliquez-nous la différence.

[Traduction]

M. McEvoy: C'est une mesure regrettable que d'examiner le processus qui a débuté en 1867 et son évolution. Il me semble que l'on ouvre une boîte de Pandore, si vous voulez, en permettant à chaque intervenant de fixer des conditions préalables à son consentement.

Je crains qu'au Nouveau-Brunswick, en raison de la reconnaissance des deux collectivités linguistiques, on ne soit poussé à tenir des référendums exigeant le consentement des deux groupes avant d'arriver au consentement de la province. Est-ce nécessaire? Où doit-on s'arrêter?

Je me suis permis de légèrement plaisanter même si je sais que ce n'est pas convenable; j'ai dit qu'il y a d'importants complexes industriels au Nouveau-Brunswick, comme dans toute province. Allons-nous dire aux gens que nous ne sommes pas prêts, en tant que gouvernement, à décider d'une modification constitutionnelle particulière, tant que nous n'aurons pas le consentement des industries clés de la province?

Qu'est-ce qu'une règle acceptable? Qu'est-ce qu'une condition préalable acceptable? Nous n'avons encore jamais été confrontés à un tel problème. Nous avons toujours fonctionné dans le cadre de notre réseau institutionnel. Il semble maintenant que nous ajoutions des «entraves», si vous me permettez d'employer ce mot que le sénateur MacEachen aime bien.

Le sénateur Gauthier: Pris isolément, monsieur le professeur, vous n'êtes pas hostile à ce projet de loi.

M. McEvoy: Non.

Le sénateur Gauthier: Vous êtes plutôt pour, au plan juridique. Je m'adresse ici à l'avocat et au professeur.

M. McEvoy: Comme je l'ai dit, le projet de loi est, à mon avis, légal et constitutionnellement valide; il illustre une progression logique de l'évolution de ce pays en matière constitutionnelle.

Le sénateur Gauthier: Je vous remercie beaucoup.

Le président: Honorables sénateurs, j'aimerais remercier M. McEvoy en votre nom.

Je rappelle à tous que nous nous réunissons de nouveau demain matin à 9 h 30 pour entendre des représentants du gouvernement du Yukon.

La séance est levée.


Haut de page