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C110 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-110

 

Délibérations du comité spécial
du Sénat sur le projet de loi C-110

Témoignages


Ottawa, le vendredi 26 janvier 1996

[Traduction]

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-110, auquel a été renvoyé le projet de loi C-110 concernant les modifications constitutionnelles, se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour en faire l'examen.

Le sénateur Noël A. Kinsella (président) occupe le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, ce matin, notre premier témoin est un ministre du gouvernement du Yukon. L'usage veut que nous entendions d'abord la présentation du témoin et que nous passions ensuite aux questions des membres du comité. Si cela vous convient également, ministre Nordling, je vous demanderais de faire votre présentation.

L'honorable Alan Nordling, ministre des Services gouvernementaux, gouvernement du Yukon: Merci, monsieur le président et membres du comité.

Si je comparais devant vous aujourd'hui à la place du chef du gouvernement du Yukon, c'est qu'il se trouve à l'heure actuelle au Japon et à Taïwan où il travaille à l'avenir économique du Yukon. Je suis ici aujourd'hui pour discuter de l'avenir constitutionnel du Yukon et parce que le Yukon prend au sérieux le projet de loi C-110. Je tiens personnellement à remercier le Sénat de prendre lui aussi ce projet de loi suffisamment au sérieux pour constituer ce comité spécial.

Pour ma part, je crois qu'il est trop tard pour que ma présence ici serve vraiment à quelque chose. J'ai l'impression d'être une voix dans le désert, ou peut-être une voix du désert.

Avant de commencer ma présentation au nom du gouvernement du Yukon, j'aimerais vous raconter une petite anecdote. Avant de me lancer en droit et en politique, j'étais le directeur général d'un casino à Dawson City, au Yukon. Nous avions engagé un gestionnaire de Las Vegas spécialisé en jeux pour qu'il s'occupe des tables.

Sa principale préoccupation, c'était qu'à la fin de la soirée, la maison ait gagné de l'argent. Parfois lorsque la chance n'était pas du côté d'un donneur, ce type allait lui murmurer à l'oreille: «Ne restez pas là comme un sac de blé. Faites quelque chose.» Que cela serve à quelque chose ou non, pour lui, ça n'avait aucune importance. Il disait: «Battez les cartes différemment, coupez-les en paquets plus gros ou plus petits, tenez-vous sur votre pied droit, sur votre pied gauche, mais faites quelque chose. Ne restez pas là à ne rien faire.»

Je suis ici aujourd'hui parce que je ne voulais pas rester au Yukon à ne rien faire, comme un sac de blé. Je suis venu jusqu'à Ottawa pour vous parler et j'espère que mon message aura une certaine influence, une certaine importance, sinon en ce qui concerne le projet de loi C-110, du moins en ce qui concerne les prochaines discussions constitutionnelles sur la place du Yukon au Canada.

Comme je l'ai dit, ma présence ici ne servira peut-être pas à grand-chose, mais elle ne fera certainement pas de mal.

Par conséquent, monsieur le président, au nom du gouvernement du Yukon, je vous remercie de me donner l'occasion de vous entretenir du projet de loi C-110. La question de l'unité nationale touche toute la population du Canada, et nous sommes heureux de vous présenter notre opinion sur ce projet de loi pour que vous puissiez l'étudier et en discuter.

J'aimerais d'abord décrire brièvement la position du gouvernement du Yukon sur cette question en général et sur le projet de loi à l'étude. Dans un premier temps, je tenterai de vous décrire le contexte dans lequel s'inscrit la notion de gouvernement responsable au Yukon. Ensuite, je soulèverai les points qui nous préoccupent au sujet du projet de loi et du processus utilisé jusqu'à présent. Enfin, j'aimerais vous indiquer les modifications que le gouvernement du Yukon aimerait voir apporter au projet de loi pour qu'il réponde aux préoccupations exprimées et vous présenter quelques suggestions sur la façon dont nous pourrions travailler ensemble, partout au pays, pour résoudre les questions d'ordre plus général.

Tout d'abord, monsieur le président, nous sommes conscients que le gouvernement doit prendre des mesures pour donner suite aux problèmes et aux préoccupations légitimes des Québécois et des Québécoises. Comme la plupart des Canadiens et des Canadiennes, nous savons qu'il est impossible de passer outre à ces problèmes et à ces préoccupations qui exigent un examen et des solutions réfléchis de la part du Canada. À cet égard, il incombe au gouvernement fédéral de montrer la voie.

Nous croyons également que la responsabilité des changements et des améliorations à apporter à la fédération est une responsabilité partagée; le gouvernement et l'ensemble de la population peuvent et doivent faire leur part. En fait, leur participation est indispensable si nous voulons trouver des solutions durables, prises à l'amiable, et si nous voulons franchir ensemble le cap du siècle prochain.

D'un point de vue géographique, nous sommes très éloignés du Québec. Je tiens toutefois à préciser que nous ne sommes pas moins inquiets que les régions voisines du Québec. Nous ressentons tous l'incertitude, la préoccupation et l'instabilité des marchés financiers. Nous avons tous peur de perdre une partie de notre pays, de notre patrimoine et de notre identité.

Je tiens à assurer aux membres du comité, et par son intermédiaire, au gouvernement du Canada que le gouvernement du Yukon a participé et contribué de façon constructive au débat national, et qu'il continuera de le faire.

Cela dit, monsieur le président, j'aimerais maintenant aborder brièvement les aspects qui nous préoccupent à propos du projet de loi et du processus qui a mené à son établissement.

Premièrement, sous sa forme actuelle, le projet de loi crée ou favorise une approche régionale face à la Confédération et aux mesures constitutionnelles à venir. Bien que l'approche régionale ait certains mérites, ce concept ne fait pas partie de notre Constitution ni de notre système gouvernemental. Nous croyons qu'il est prématuré d'introduire ce concept dans le projet de loi sans avoir entamé d'abord un dialogue en bonne et due forme et sans en avoir compris pleinement toutes les ramifications.

Deuxièmement, le projet de loi est le résultat de décisions unilatérales et d'orientations tracées par le gouvernement fédéral, sans la participation des gouvernements provinciaux et territoriaux, et sans la participation du public. Ce projet de loi entame un processus de changement de facto de nos dispositions constitutionnelles, un processus étranger aux processus et aux mécanismes officiellement établis. Nous croyons que cette approche présente certains risques.

Troisièmement, ce n'est sûrement pas le but visé, mais le projet de loi est sans doute plus susceptible de déboucher sur une impasse que de permettre l'instauration d'un mécanisme amélioré favorisant le changement. Encore une fois, je tiens à dire que le concept de régionalisation a peut-être du bon et une certaine logique, mais si nous agissons trop rapidement, nous risquons d'obtenir des résultats indésirables.

Enfin, monsieur le président, je dois dire qu'en tant que résidents du Nord, en tant que gouvernement territorial, nous sommes très préoccupés par certains aspects de ce projet de loi. Ce projet de loi ne reconnaît aucunement que le Canada s'étend au-delà du 60e parallèle, que les territoires font partie du pays, ni que nos citoyens devraient avoir leur mot à dire au sujet de leur Constitution.

Nous ne sommes pas une région désignée; nous ne faisons partie d'aucune région désignée; bref, nous n'existons pas. Par conséquent, nous n'aurons aucune voix au chapitre concernant les questions susceptibles de surgir dans le cadre de ces dispositions, bien que nous risquions d'être plus touchés par ces questions que toute autre région ou province. Chaque administration dans le Sud du Canada a été autorisée, voire invitée, à se joindre en tant que province et partenaire à part entière à la Confédération. Dans chaque cas, les décisions ont été prises par le gouvernement fédéral et la population ou le gouvernement de ces provinces.

Bien que je n'aie pas l'intention de placer exactement sur un même plan nos décisions futures quant au statut de province, les initiatives constitutionnelles des dernières années, c'est-à-dire l'Accord du lac Meech et l'Accord de Charlottetown, reconnaissaient que nous devions au moins participer et que les provinces ne devaient pas déterminer notre avenir. Le projet de loi que nous étudions renverse cette tendance. Il nous ramène à une formule qui ne nous donne aucune voix au chapitre et permet aux provinces d'opposer leur veto à notre désir de devenir des partenaires à part entière de ce pays.

Monsieur le président, je reviendrai là-dessus plus en détail mais pour l'instant j'aimerais présenter le contexte dans lequel s'inscrivent nos préoccupations et vous décrire la nature du gouvernement du Yukon. J'aimerais ainsi vous montrer pourquoi nous croyons que ce projet de loi est une mesure rétrograde qui nous empêche de prendre pleinement notre place au sein du Canada.

Depuis maintenant 90 ans, l'assemblée législative du Yukon est entièrement constituée de députés élus, résidant au Yukon. Les Yukonnais et les Yukonnaises élisent les députés qui les représenteront à cette assemblée législative et qui adopteront des lois, approuveront les dépenses gouvernementales et représenteront les intérêts des citoyens dans les nombreuses questions d'intérêt public, tout comme c'est le cas à l'Île-du-Prince-Édouard, en Alberta et en Ontario. Depuis une vingtaine d'années, nous avons un conseil des ministres constitué uniquement de députés élus. Ce conseil est responsable de prendre des décisions gouvernementales, et est tenu de rendre des comptes devant l'assemblée législative. Des ministres supervisent les ministères et ils répondent de leurs activités. Nous avons, autrement dit, un gouvernement responsable, et nous fonctionnons selon les mêmes principes sur lesquels repose la démocratie parlementaire ailleurs au Canada.

Le gouvernement du Yukon est devenu, au cours des 50 dernières années, un gouvernement qui, sur le plan administratif, ressemble en tous points, à quelques exceptions près, à celui de n'importe quelle province du Canada. Dans notre quotidien, nous assurons le fonctionnement des écoles et l'exécution d'une variété de programmes éducatifs. Nous légiférons et nous appuyons les activités de la Cour suprême et de la Cour territoriale du Yukon. Nous dirigeons des centres correctionnels, nous aménageons et nous entretenons des routes, nous administrons des programmes d'aide sociale, en plus d'offrir d'autres services sociaux aux résidents du Yukon. Si vous deviez étudier les activités quotidiennes du gouvernement du Yukon, vous constateriez donc très peu de différence par rapport aux gouvernements provinciaux.

De plus, notre gouvernement représente le Yukon à toutes les tribunes intergouvernementales. Par exemple, le ministre de la Santé et des Affaires sociales travaille avec ses homologues à la réforme des systèmes de soins de santé et de la sécurité sociale. Le ministre des Richesses renouvelables participe actuellement aux travaux entourant un accord-cadre national sur la gestion de l'environnement. L'an dernier, il était président du conseil canadien des ministres de l'Environnement. Le chef du gouvernement assiste à la conférence annuelle des premiers ministres, et cette année, il sera l'hôte de la rencontre annuelle des premiers ministres de la région de l'Ouest.

Monsieur le président, je ne vous cite pas ces exemples pour vous montrer à quel point nous sommes occupés mais pour faire ressortir un point important: nous sommes un partenaire actif au sein de la Confédération. Nous sommes élus pour gérer et pour représenter les intérêts de nos citoyens et de nos citoyennes. On attend de nous que nous nous acquittions de ces responsabilités de la même façon que le ferait un gouvernement provincial, et c'est ce que nous faisons de façon constante.

Le projet de loi ne tient pas compte de ces réalités. Il n'accorde ni au Yukon, ni aux Territoires du Nord-Ouest une voix dans les débats nationaux qui risquent d'influer sur leur avenir. Il ne reconnaît pas que les gouvernements sont élus pour représenter les vues de tous leurs citoyens. Il ne leur accorde pas le droit de participer aux débats fondamentaux entourant l'avenir du pays. Il présente le pays sans sa dimension ou sa région nordique qui constitue le tiers de son territoire, une importante partie de son patrimoine autochtone et la raison qui en fait un pays arctique.

Lors de son allocution devant la Chambre des communes en faveur du projet de loi C-110, le premier ministre a indiqué que le gouvernement fédéral ne visait qu'un seul objectif en présentant ce projet de loi: assurer l'unité et l'évolution du Canada, conformément aux souhaits de la population du Canada.

Aujourd'hui, je suis ici pour vous dire, au nom du gouvernement du Yukon et au nom des Yukonnais et des Yukonnaises, que fondamentalement, ce projet de loi ne favorise pas l'unité du pays. Il lie les mains de la nation pour ce qui est de l'évolution du Canada, et il ne répond absolument pas aux aspirations des résidents du Nord.

L'approche régionale, telle qu'elle est proposée dans le projet de loi C-110, peut offrir un cadre de travail à l'intérieur duquel la population pourra décider de son évolution, à condition que tous et toutes fassent partie d'une région. Cependant, le public n'a pas eu l'occasion de débattre en profondeur de cette approche ni de l'analyser. Je crois que cette opinion se trouve corroborée par le fait que de nombreux universitaires et de nombreux experts sont venus témoigner devant ce comité et ont remis en question les mérites de l'approche régionale. Il faut qu'un débat public, exhaustif et éclairé ait lieu.

L'approche régionale n'est pas le seul point à débattre publiquement avant l'adoption du projet de loi C-110. Ce projet de loi est l'oeuvre du gouvernement fédéral. On n'a procédé à aucune consultation, ni recueilli les idées ou les commentaires des provinces, des territoires, des experts et de la population en général. Comme je l'ai déjà dit, le projet de loi reflète des décisions unilatérales et des orientations arrêtées par le gouvernement fédéral. Il met en branle un changement de facto à notre Constitution, et ce avant même qu'on ait pu en discuter à l'extérieur d'Ottawa.

Tout au long des discussions amorcées récemment au pays au sujet de la Constitution, les résidents du Nord qui ont tenté de se faire entendre ont connu un succès mitigé. Dans la Constitution originale du Canada, le statut de province et le redécoupage des limites des provinces se réglaient entre le gouvernement fédéral et les parties concernées.

En 1982, on a modifié la Constitution, de sorte que pour apporter des modifications à la Constitution, il faut maintenant l'approbation des assemblées législatives des deux tiers des provinces représentant au moins 50 p. 100 de la population. C'est ce qu'on appelle la règle 7-50. Cette règle a influé directement sur la capacité des Yukonnais et des Yukonnaises d'obtenir l'auto- détermination et de prendre en main leur propre avenir. Or, lors des négociations constitutionnelles de 1982, le gouvernement du Yukon brillait par son absence.

On a constaté le même scénario lors de la première série de négociations en vue de l'Accord du lac Meech, en 1987. En effet, le changement des dispositions relatives au consentement dans le cadre de la procédure de modification sans que les territoires aient eu l'occasion de prendre part aux discussions a rendu encore plus difficile tout élargissement ultérieur de notre rôle constitutionnel.

Durant la seconde série de négociations en vue de l'Accord du lac Meech, en 1990, le Yukon a apporté sa contribution et, à notre avis, a présenté des perspectives, des options et des solutions de rechange importantes et valables. Des changements supplémentaires ont alors été proposés, prévoyant une approche plus constructive face au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest.

L'Accord de Charlottetown, sur lequel se sont entendus tous les premiers ministres, y compris ceux du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, améliorait les dispositions prévoyant la création de nouvelles provinces et la définition des relations entre les territoires du Nord, les provinces et les organismes fédéraux. Cependant, en fin de compte, l'Accord de Charlottetown a été rejeté surtout parce qu'une majorité de Canadiens et de Canadiennes ont eu l'impression de n'avoir pas eu suffisamment voix au chapitre.

Le projet de loi à l'étude, le projet de loi C-110, ne reflète aucunement les discussions des dix dernières années, qui ont abouti au consensus de Charlottetown, pas plus qu'il ne reflète un important consensus de la part de la population canadienne. Il ne tient même pas compte des réalités géographiques et démographiques de notre pays.

Nous craignons, tout comme de nombreux autres témoins qui ont comparu devant vous cette semaine, que le projet de loi C-110 sous sa forme actuelle ne permette, ni ne favorise un débat ouvert entre les partenaires au sein du Canada. Notre crainte, c'est qu'il mène à une impasse lors des prochains pourparlers constitutionnels.

Monsieur le président, je terminerai en vous présentant certaines observations et certaines recommandations concernant les modifications qui pourraient être apportées au projet de loi et la façon dont, selon la perspective du Yukon, nous pourrions procéder au cours des prochains mois.

Nous préférerions nettement que le projet de loi ne soit pas adopté. Pour les raisons que nous avons déjà mentionnées, nous croyons que la teneur même du projet et la manière dont il a été élaboré - sans la participation des provinces et des territoires - comporte de graves lacunes. Nous croyons que le concept de régionalisation, ses répercussions et ses conséquences n'ont pas été suffisamment analysés, ni appuyés par la population du Canada pour justifier qu'on légifère maintenant de cette manière.

En reconnaissant toutefois que le gouvernement du Canada puisse ne pas favoriser une telle option, je vous propose d'apporter des changements dans les deux secteurs suivants, de manière à répondre aux préoccupations des résidents du Nord. Tout d'abord, on pourrait modifier le projet de loi pour inclure et reconnaître une région du Nord regroupant le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et, d'ici peu, le Nunavut. Étant donné la faible densité de population de la région, nous n'insisterions pas, à l'heure actuelle, pour que la région bénéficie de tous les mêmes droits de veto que ceux accordés à d'autres régions ou à certaines provinces. Le Nord devrait toutefois avoir une voix comparable au chapitre ou un droit de veto en ce qui concerne les dispositions prévues aux alinéas 42.1 a), c), e) et f) de la Constitution, c'est-à-dire:

a) le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes prévu par la Constitution du Canada;

c) le nombre de sénateurs par lesquels une province est habilitée à être représentée et les conditions de résidence qu'ils doivent remplir;

e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires;

f) par dérogation à toute autre loi ou usage, la création de provinces.

Toutes ces dispositions ont des répercussions directes et précises sur les territoires.

Une autre solution consisterait à modifier le projet de loi pour faire en sorte que tout changement visant les alinéas 42.1 a), c) et e) susceptible d'avoir des répercussions négatives ou directes sur les territoires ne puisse être adopté sans le consentement préalable des territoires et pour soustraire entièrement l'alinéa 42.1 f) de l'application du projet de loi.

Monsieur le président, en proposant ces changements, je tiens à vous rappeler qu'il ne s'agit pas là de notre premier choix ni d'une solution idéale. Ces changements vous sont présentés uniquement comme un moyen gråce auquel le gouvernement du Canada pourrait remédier à une grave erreur, nous l'espérons involontaire, que renferme le projet de loi. Ces changements sont raisonnables et réalisables, et ils n'influent en rien sur la capacité du Canada et des provinces actuelles de gouverner leur pays ou d'apporter d'importants changements au fonctionnement du pays. Ils reconnaissent simplement un fait: le Nord est une région, et une très grande région de ce pays. Ces changements reconnaissent un principe ou un droit: les résidents du Nord sont des Canadiens et des Canadiennes à part entière, et ils doivent avoir la possibilité, comme le reste de la population du Canada, de décider de leur avenir et de représenter leurs propres intérêts. Nous ne sommes pas en train de réclamer le statut de province, ni des pouvoirs spéciaux. Cependant, nous n'accepterons pas une version du Canada qui nous exclut ou qui nous ramène à une époque où d'autres s'arrogeaient le droit de décider pour nous.

Et maintenant, que devrions-nous faire? Monsieur le président, nous savons que ce projet de loi n'est qu'un élément du plan d'unité nationale du gouvernement du Canada. Bien que les autres éléments ne relèvent pas du mandat de votre comité, nous ne pouvons les en dissocier complètement.

Nous croyons que les initiatives d'unité nationale doivent comprendre des mesures qui répondent non seulement aux besoins du Québec, mais encore de ceux du reste du Canada. En 1997, les gouvernements se réuniront à l'occasion d'une conférence constitutionnelle pour discuter de la formule d'amendement. Nous essaierons avec acharnement d'être constructifs et de produire un résultat positif.

Nous croyons que les autres changements requis peuvent être apportés sans changer officiellement la Constitution, à condition qu'il y ait volonté de la part de tous et chacun de procéder. À cet égard, nous encourageons le gouvernement du Canada à étudier en priorité ses rôles et ses responsabilités face à ceux des provinces et des territoires, et à les revoir en profondeur. Nous ne voulons pas pousser pour la décentralisation à tout prix; nous sommes simplement en faveur de la rationalisation, de l'élimination des chevauchements et de la clarification des rôles. Nous favorisons un dialogue sans position ferme ou prédéterminée; les objectifs devraient être le service à la population, l'obligation de rendre des comptes et l'efficacité, pas la politique. Nous voulons un dialogue en faveur de solutions pratiques aux problèmes de l'unité canadienne, comme ce qui se fait actuellement entre les premières nations et le gouvernement fédéral concernant l'autonomie gouvernementale et les droits propres aux peuples autochtones.

Monsieur le président, dès le début, j'ai dit que le Canada avait un rôle de chef de file: ce rôle est évident et inéluctable. Mais si le gouvernement du Canada agissait seul, ce ne serait pas suffisant, et ses efforts seraient voués à l'échec. L'avenir du Canada repose entre les mains de tous les Canadiens et Canadiennes, de chaque partie ou région du pays. Monsieur le président, nous vous exhortons à transmettre ce message: les provinces et les territoires doivent faire partie de la solution. Nous devons nous engager sérieusement à trouver des solutions par la voie de la coopération. Nous avons la responsabilité collective des problèmes auxquels nous sommes confrontés, et nous devons assumer collectivement n'importe quelle nouvelle disposition.

On a parlé de la possibilité de faire participer au processus des citoyens et des citoyennes ne faisant pas partie du gouvernement par l'entremise, entre autres, d'assemblées constituantes. Ces idées méritent également qu'on s'y attarde davantage. En bout de ligne, les gouvernements doivent approuver et mettre en oeuvre les nouvelles dispositions, mais nous devons assumer notre rôle sans empêcher le public d'assumer le sien. Il y a un besoin et une place pour chaque rôle.

Le premier ministre a également dit qu'un esprit de collaboration et de partenariat devrait nous pousser à continuer de construire notre pays. Le gouvernement du Yukon est entièrement d'accord.

Au nom du gouvernement du Yukon, de tous les Yukonnais et de toutes les Yukonnaises, je vais prendre un engagement aujourd'hui devant vous et devant le reste du pays: nous sommes prêts à participer aux travaux, de concert avec les autres partenaires du Canada, en vue de trouver des solutions pratiques aux problèmes auxquels le pays est actuellement confronté.

Monsieur le président, je vous remercie encore une fois de m'avoir donné la chance de faire valoir notre point de vue au sujet du projet de loi C-110. Maintenant, c'est avec plaisir que je répondrai aux questions des membres du comité et que je discuterai, si vous le désirez, des sujets abordés dans notre présentation.

[Français]

Le sénateur Rivest: Dans votre document, vous nous rappelez avec raison l'importance et les préoccupations des deux territoires, en particulier, celui du Yukon. On sait que ce sont des questions extrêmement légitimes.

Vous avez noté avec raison, dans un projet de loi qui n'est pas de nature constitutionnelle, mais qui touche de très près certaines questions constitutionnelles, que l'on ne fait nullement mention de l'existence et de la réalité des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Comme les autochtones l'avait d'ailleurs indiqué en ce qui concerne leurs problèmes particuliers, je pense que vous avez soulevé un très bon point.

Je suis au courant que les revendications et les préoccupations du Yukon sont extrêmement légitimes. Je partage votre avis à l'effet que l'on doit y apporter une réponse dans les délais les plus rapides, parce que ce sont des revendications tout à fait légitimes.

Pour ce qui est de l'unité canadienne, et considérant bien sûr le problème fondamental du Québec, est-ce que vous croyez qu'il y a, dans l'ordre des priorités, une réponse urgente, significative et concrète à la question du Québec? La seule menace réelle à l'unité du Canada est la question québécoise.

En regard des revendications du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, de celles des autochtones, et eu égard à la réforme des institutions canadiennes comme le Sénat ou à la révision du pouvoir de dépenser, est-ce que, dans votre ordre de priorités pour sauvegarder l'unité canadienne, vous ne croyez pas que la question québécoise doit être au coeur des discussions et venir en première ligne des préoccupations de toute espèce de réforme consitutionnelle?

Vous soulignez dans votre mémoire la menace extrêmement sérieuse d'une séparation et d'un éclatement du Canada si la question du Québec n'est pas réglée. Le pays va éclater et cela peut survenir d'une façon assez rapide. On parle en termes de mois ou d'années, selon la décision que prendra M. Bouchard. Toutes les autres revendications et préoccupations de l'ensemble des Canadiens sur la modernisation du pays risquent d'être illusoires.

[Traduction]

M. Nordling: Pour commencer par votre dernier commentaire, je suis absolument d'accord avec vous, sénateur. Certaines de nos mesures sont illusoires, et peut-être que le projet de loi C-110 l'est aussi. Je n'en suis pas sûr parce que nous ne l'avons pas examiné d'assez près pour savoir s'il est constitutionnel ou si son incidence sera grande ou nulle. Le gouvernement fédéral essaie peut-être de remplir une promesse. Je ne dirai pas qu'il s'agit de paroles en l'air, parce que ça pourrait être injuste. Ses intentions sont peut-être sincères, je n'en sais rien.

Je n'ai pas d'objection à ce que le gouvernement fédéral essaie d'agir - encore une fois, pour ne pas regarder bêtement les choses se produire, en quelque sorte. Ce qui nous inquiète au sujet du projet de loi C-110, c'est qu'il ne fera peut-être pas de mal, mais il peut causer des problèmes. Le bouillon de poulet que vous prenez quand vous avez le rhume ne vous aidera peut-être pas guérir, mais il ne vous fera pas de mal. C'est la même chose dans ce cas-ci.

Dans le cas qui nous occupe, nous ne savons pas si le projet de loi C-110 ne causera pas de problèmes, ce qui est possible en matière de régionalisation. Nous nous sentons écartés du processus, tout simplement. On nous oublie complètement. C'est ennuyeux de penser que le gouvernement fédéral, ne sachant pas quoi faire de nous, nous néglige complètement. Il aurait été utile que le projet de loi C-110 reconnaisse que le territoire situé au nord du 60e parallèle représente le tiers du territoire canadien, et indique que la participation de ceux qui y vivent sera réexaminée un moment donné. Ainsi, nous aurions au moins été reconnus.

En tant que Yukonnais, je suis prêt à attendre une éventuelle modification constitutionnelle pour l'obtention du statut de province, car il est vrai, comme vous le dites, que c'est le tour du Québec. La sécession du Québec est une possibilité bien réelle et immédiate. Qui sait ce que l'avenir réserve au reste du Canada dans 50 ans?

Les gens à qui j'ai dit à l'aéroport que je venais à Ottawa témoigner devant le comité sénatorial s'intéressant à la Constitution m'ont dit de vous dire que nous allions nous annexer à l'Alaska, que nous allions tenir notre propre référendum. Cette possibilité est lointaine, du moins pour le moment, mais qui sait ce qui arrivera dans 50 ans. Le Yukon a des liens étroits avec l'Alaska.

Les Jeux d'hiver de l'Arctique ont lieu en Alaska et les jeunes du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest, du nord du Québec et du nord de l'Alberta y participeront. Mon fils joue au basket-ball à Whitehorse. Il va jouer à Skagway, Haines et Anchorage en Alaska. De plus, nos ressources naturelles sont expédiées par le port de Skagway, en Alaska. Il n'est pas impossible que le Yukon manifeste de l'intérêt pour l'Alaska.

Comme je l'ai dit, cette possibilité est lointaine, mais qui aurait pu prédire que l'ancienne Union soviétique éclaterait ou que le mur de Berlin tomberait? Rétrospectivement, nous pouvons dire que nous avons pressenti l'avenir, mais peu nombreux sont ceux qui peuvent honnêtement dire qu'ils ont vu venir les choses.

Le sénateur MacEachen: Je vous remercie, monsieur Nordling, de votre déclaration dans laquelle vous donnez un bon aperçu de ce qui touche le Yukon, de ce que l'avenir nous réserve et de ce que vous aimeriez qu'il arrive. C'est très utile.

Hier, nous avons accueilli M. Claude Ryan, de la province de Québec. Il a demandé instamment au gouvernement du Canada et au pays d'accorder la priorité à la question du Québec. Le sénateur Rivest a signalé que la situation du Québec est actuellement la seule menace à l'unité du Canada.

C'est dans cette perspective que nous devons examiner le projet de loi. Il ne vise pas à régler la vaste question de la révision constitutionnelle liée aux aspirations de l'ensemble des provinces, des autochtones et des territoires. Il a un objectif précis très limité. Dans ce sens, il me semble que vos préoccupations prennent une dimension entièrement différente. Si le projet de loi visait à régler de nombreuses grandes questions constitutionnelles et que le Yukon était écarté, votre revendication serait légitime et plus significative.

Le ministre a dit dans son témoignage devant nous, et je suis d'accord avec lui, que le projet de loi a un objectif très précis et très limité. Le projet de loi répond seulement aux engagements que le premier ministre a pris dans le contexte du référendum. Il doit être examiné dans cette perspective. Par conséquent, il est faux de croire que le projet de loi peut ainsi résoudre d'autres problèmes plus vastes. C'est impossible.

Je ne m'y connais pas autant que mes collègues d'en face en matière constitutionnelle, mais il me semble que les modifications que vous proposez toucheraient beaucoup les intérêts des provinces et des autres territoires. En outre, vous proposez que nous amendions le projet de loi pour apporter des modifications qui se répercuteront sur les autres partenaires et pour lesquelles aucune consultation n'a eu lieu.

Pouvez-vous reconnaître qu'il s'agit d'un projet de loi dont l'objectif est très limité et très précis? La question constitutionnelle est très vaste, et elle sera examinée très bientôt conformément à la Constitution et, apparemment, tout sera sur la table.

M. Nordling: Je conviens sans hésitation que la portée du projet de loi est limitée et qu'elle vise à répondre à l'engagement pris. Il faut toutefois se demander si c'est là son seul objectif. Je n'ai pas d'objection à ce que le gouvernement fédéral essaie d'agir, mais je ne veux pas qu'il crée plus de problèmes qu'il n'en règle. Le projet de loi peut permettre au gouvernement fédéral de remplir son engagement, mais il peut causer des problèmes insoupçonnés dont nous prendrons conscience plus tard, particulièrement en ce qui concerne la régionalisation et le respect de la procédure de révision de la Constitution. Je ne reprendrai pas tous les arguments que vous avez entendus la semaine dernière.

Il aurait fallu préciser dans le projet de loi que son objectif est précis et limité. S'il était convenu de ne pas inclure dans le projet de loi le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, toute la région arctique du Canada, il aurait fallu mentionner que le projet de loi exclut une grande partie du Canada, dont il sera toutefois question plus tard.

Comme je l'ai dit plus tôt en réponse à la question d'un autre sénateur, le Yukon est prêt à attendre son tour. Ce n'est pas encore notre tour. Je ne vous demande pas d'inscrire toutes les aspirations du Yukon dans le projet de loi C-110. Cependant, selon nous, la situation est dangereuse quand le premier ministre du Canada déclare qu'il veut promouvoir l'unité de tous les Canadiens dans un projet de loi qui ignore complètement ce qui est pour moi une partie importante du pays. Le Nord est une partie importante du Canada. Le Yukon a seulement un siège à la Chambre des communes et ne compte que 30 000 habitants, mais il possède beaucoup de ressources. Dans l'avenir, il sera important de reconnaître que nous sommes vraiment Canadiens, parce que le Canada aura besoin de nous. Si l'on nous écarte, nous ignore et ne nous considère pas comme des Canadiens, qui sait ce qui arrivera plus tard?

Il n'y a pas si longtemps encore, les Américains ont construit chez nous la route de l'Alaska malgré les intentions du Canada. Ils ont construit un oléoduc allant de Norman Wells à Whitehorse et ils ont déployé le drapeau américain. Ils n'ont pas reconnu la souveraineté du Canada dans le Nord. Plus récemment, la présence du brise-glace Polar Sea dans le passage du Nord-Ouest a suscité de la part des Américains une reconnaissance bien timide de la souveraineté du Canada dans ces eaux.

Il est important, si le Canada doit être une nation arctique et s'il doit reconnaître tous les intervenants dans sa discussion sur l'unité, que le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le nord du 60e parallèle soient inscrits quelque part dans le projet de loi. Sinon, je serai encore plus récalcitrant. Je demande seulement une petite reconnaissance. Si le projet de loi a un objectif limité et précis, qui est temporaire, le temps de régler la question de la Constitution et de l'unité, alors pourquoi n'y a-t-il pas une disposition dans le projet de loi qui indique qu'il est en vigueur pour cinq ans ou jusqu'en 1997, jusqu'à ce qu'un débat plus complet ait lieu avec la participation des Canadiens de tout le pays?

Le sénateur McEachen: Monsieur le président, je reconnais ce que dit le témoin. Il est vrai que le Yukon possède l'énorme potentiel dont il parle. Dans une récente étude sur la politique étrangère canadienne que j'ai coprésidée avec mon collègue le sénateur Gauthier, qui était alors député, nous avons signalé que l'Arctique était l'une des grandes dimensions de la politique étrangère canadienne. La destinée du Canada est liée à l'Arctique, tant sur le plan international que sur le plan national. À mon avis, le potentiel de l'Arctique et des territoires a été tellement bien confirmé dans d'autres aspects de la vie canadienne que cette minime reconnaissance que vous demandez ne vous rendrait pas justice. Vous ne devriez pas vous contenter d'une petite reconnaissance.

M. Nordling: Comme vous l'avez dit, sénateur, ce projet de loi n'est qu'un petit élément dans le débat constitutionnel. Je suis certain que nous apporterons notre contribution aux discussions futures et que nous demanderons d'être reconnus.

Le sénateur Beaudoin: Le sénateur MacEachen a indiqué que la région arctique de notre pays revêtait une importance énorme, ce qui me fait penser aux propos célèbres de Voltaire qui a comparé la Nouvelle-France à «ces quelques arpents de neige». Nous en parlons encore deux ou trois siècles plus tard. Il est évident que cette partie du pays est très importante.

J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec des représentants du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, durant d'autres travaux de comité. Je crois comprendre que vous préférez de loin la formule de 1871.

M. Nordling: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Ottawa peut créer de façon unilatérale une province dans les territoires et il peut en modifier les frontières. Cependant, il y a un aspect qui m'a toujours beaucoup préoccupé. D'autres provinces aimeraient peut-être - et je dis «peut-être» pour être prudent - annexer un territoire, mais la question va encore plus loin. Cela touche aussi la procédure de révision de la Constitution, selon la formule des deux tiers des provinces et de 50 p. 100 de la population. Actuellement, le pays compte dix provinces. Nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve. Je crois comprendre que les territoires veulent obtenir le statut de province un jour, mais il faut dire que ce ne sont pas seulement les territoires qui s'intéressent à la chose, mais aussi tout le Canada, parce que cette situation modifierait la procédure de révision de la Constitution. Le nombre de provinces changerait. Cela aurait un effet remarquable dans bien des domaines de notre vie. Revenir à la formule de 1871 n'est pas facile parce que toutes les provinces - pas seulement le Québec, mais l'Ouest également - manifesteront de l'intérêt pour ce qui se passe dans les territoires. Le Québec s'y intéressera parce que la procédure de révision est fondée actuellement sur dix provinces. Autrement dit, tout ce qui se passe dans le Nord a beaucoup d'importance pour le Québec. L'Ontario et les provinces de l'Atlantique pourront manifester autant d'intérêt.

Selon l'article 42, c'est la formule 7-50 qui s'applique. Je sais que vous n'êtes pas d'accord avec cette formule et que vous aimeriez qu'elle soit modifiée si possible.

M. Nordling: C'est une question intéressante. Nous préférerions négocier seulement avec le gouvernement fédéral.

J'attends le sénateur Murray parce que cette question le concerne actuellement.

Le sénateur Beaudoin: Il ne viendra pas aujourd'hui.

Le président: Pour la gouverne de notre témoin, plusieurs membres de l'opposition au Sénat ne peuvent être ici aujourd'hui parce qu'ils assistent aux obsèques de la fille et du petit-fils d'un de nos collègues. Le sénateur Murray est parmi ceux-là.

M. Nordling: Monsieur le président, au moment des discussions sur l'Accord du lac Meech, le Yukon était préoccupé par la question du statut de province. Le sénateur Murray nous a alors écrit pour nous signaler, comme vous le faites, sénateur Beaudoin, qu'il y aurait deux provinces de plus et que, dans ces circonstances, la formule 7-50 serait touchée. Il soulignait qu'il serait alors possible d'apporter des modifications sans l'appui d'aucune province de l'Ouest du pays, ce qui l'inquiétait. Il a dit aux Yukonnais, au nom du premier ministre en poste en 1988, que la situation des territoires n'était pas statique, qu'elle continuerait d'évoluer. Il a indiqué, comme le premier ministre l'avait déclaré à la Chambre des communes le 21 octobre 1987, qu'il s'engageait pleinement à prendre des mesures pour faciliter et accélérer l'évolution politique du Nord du Canada.

Le premier ministre actuel dit la même chose en demandant au Yukon de ne pas s'inquiéter parce que le gouvernement fédéral s'occupe de lui.

Il est intéressant de constater que, dans notre lutte pour être entendus au Canada, nous avons des alliés surprenants. Frank McKenna est venu à notre rescousse avec l'accord d'accompagnement à l'Accord du lac Meech, qui a été produit pour envisager le retour à la formule de 1871 dans le cas des nouvelles provinces. Également, au moment de l'Accord de Charlottetown, le premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa, a accepté de ne pas revendiquer de droit de veto concernant la création de nouvelles provinces et de laisser le Yukon et le gouvernement fédéral s'entendre à ce sujet. Autrement dit, nous avons des alliés très divers.

Le sénateur MacEachen: C'est la sagesse de l'Est.

M. Nordling: Vous avez peut-être raison.

Le sénateur Beaudoin: N'en a-t-il pas été ainsi dans l'Accord de Charlottetown également? Il y a eu une certaine fluctuation depuis l'Accord du lac Meech. J'ai encore à la mémoire la question des nouvelles provinces de même que le statut du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Nous aurons bientôt un troisième territoire, le Nunavut, qui se retrouvera exactement dans la même situation. La situation a évolué en dents de scie depuis 1987. Tantôt c'était un «oui»; tantôt c'était un «non». De toute évidence le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest n'ont pas changé d'idée. C'est naturel.

Je comprends votre préoccupation. Cependant, je tiens à souligner que le statut de l'Arctique et des territoires de même que des personnes qui y résident touche non seulement les territoires, mais l'ensemble du pays. Cela fait partie des préoccupations du Canada tout entier, étant donné le rôle important que vous jouez dans la partie septentrionale du pays.

Tant mieux si nos structures constitutionnelles règlent cette question. Cependant, je crois comprendre, d'après votre exposé, que tel n'est pas votre point de vue et que nous devrions procéder à une réforme de la Constitution, une réforme qui se fera selon moi un jour.

M. Nordling: Oui. Je crois que tout projet de loi concernant la Constitution devrait englober tous les territoires et toutes les provinces. Le statut de l'Arctique est une question qui préoccupe tous les Canadiens. Nous parlons d'un projet de loi qui risque de modifier la Constitution du Canada. On devrait au moins y mentionner cet énorme territoire dans le Nord.

Il vaudrait mieux qu'on y ajoute une disposition, comme vous le dites, afin de reconnaître l'importance que l'Arctique revêt pour le Canada, une disposition où il serait précisé qu'on s'en occupera ultérieurement. On pourrait aussi prévoir la possibilité d'un amendement au projet de loi C-110 pour y ajouter une disposition ou pour s'occuper de l'Arctique. Certains s'inquiètent du fait que, même si le projet de loi C-110 n'est qu'une loi fédérale, du point de vue politique, il sera pour ainsi dire impossible d'y apporter des modifications. Sans que cela demande trop d'efforts, nous pourrions inclure tout le Canada dans ce projet de loi. Peut-être pourra-t-on le conserver, en dépit de toute entente sur la Constitution découlant des consultations de 1997.

Le sénateur Beaudoin: Il reviendra sur le tapis parce que nous sommes ici nombreux à croire que si le projet de loi C-110 est adopté, il ne peut être que transitoire.

M. Nordling: Oui.

Le sénateur Beaudoin: De toute évidence, il nous faudra inscrire quelque chose dans la Constitution. À ce moment, toute la question sera de nouveau étudiée. Je ne vois pas comment nous réglerons tout le problème. Personne autour de cette table ne l'a dit, mais je ne crois pas que nous puissions régler le problème par le truchement d'une seule mesure législative. Il s'agit d'une mesure transitoire, mais, de toute évidence, même cette résolution sur la société distincte que nous avons acceptée devra être inscrite dans la Constitution un jour, parce que c'est un fait certain.

Nous n'avons pas le choix; nous devons nous pencher l'année prochaine sur la formule de modification. J'espère que nous réussirons. C'est à ce moment que nous pourrons tenir compte des suggestions que vous nous avez faites aujourd'hui. Vous êtes sage de nous donner un préavis d'un an, vous savez.

M. Nordling: Nous, Yukonnais, aimerions que l'on tienne pleinement compte de nos aspirations avec le projet de loi C-110. Si cela ne peut se faire, il en sera ainsi à la prochaine étape, peu importe la forme que celle-ci revêtira. Nous reconnaissons, et je le reconnais personnellement, que cela ne se produira pas.

Je crois que la plupart des provinces considèrent que le projet de loi C-110, dans sa forme actuelle, est un fait accompli; que tout est fini! Pratiquement aucune d'entre elles, si ce n'est la Colombie-Britannique, n'est venue ici pour s'y opposer vivement. Elles l'accepteront et n'empêcheront pas qu'il soit adopté, en se disant que c'est une mesure transitoire, que la question se posera de nouveau et que nous devrons nous y attaquer en 1997, sinon avant.

Cependant, si c'est le cas et que ce comité veut vraiment faire quelque chose et faire impression, j'espère alors qu'il recommandera qu'on ajoute au projet de loi une disposition confirmant qu'il s'agit d'une mesure transitoire et qu'il faut que ces questions soient traitées dans la Constitution, et non par le truchement d'une loi fédérale adoptée par le gouvernement du jour.

L'un des problèmes qui a souvent fait l'objet de discussion, et que nous ne semblons pas régler, c'est que, lorsque nous discutons de la Constitution du Canada, et même du projet de loi C-110, nous le faisons sans passion. Ce n'est pas la volonté du peuple. Ce que nous avons accompli au Canada depuis 1867, c'est une paix ordonnée entre les gouvernements, et non une paix entre les gens. Nous voilà assis ici, essayant d'en venir au bout de nos peines et de faire en sorte que différents gouvernements du Canada s'entendent. Je crois qu'il s'agit d'une des causes du rejet de l'Accord de Charlottetown. Nous l'avons mis au point à ce niveau, mais les Canadiens n'avaient pas l'impression de le comprendre ou avaient l'impression que nous leur imposions quelque chose ou qu'ils n'y avaient pas contribué. Ils l'ont rejeté parce qu'ils ne le comprenaient pas. Nous avions peut-être là une merveilleuse solution pour le Canada. Il est maintenant difficile de revenir en arrière et de le faire renaître de ses cendres.

Cependant, lorsque nous traitons de ces questions au Canada en vue de parfaire l'union, les gens doivent avoir l'impression qu'il s'agit de «Nous autres, Canadiens». Cela semble familier. Il y a probablement d'autres peuples qui ont fait naître ainsi leur Constitution. Que nous nous tournions du côté de la France, de l'Allemagne ou des États-Unis, nous avons affaire à des systèmes différents du nôtre. Nous, Yukonnais, ne serions pas venus ici pour nous opposer à ce projet de loi et aurions accepté la nature particulière de ce projet de loi, si nous y trouvions l'expression «Nous autres, Canadiens» qui permettrait d'inclure tous les Canadiens ou si nous y avions été au moins mentionnés. C'est pénible de sentir que nous en sommes venus aussi loin pour nous retrouver devant un projet de loi comme celui-ci. Le projet de loi n'est pas quelque chose qu'on puisse passer sous silence. C'est une importante mesure législative fédérale. C'est un peu démoralisant de se rendre compte que l'on n'y reconnaît même pas notre existence.

Le sénateur MacEachen: Comment croyez-vous que se sent l'Île-du-Prince-Édouard?

M. Nordling: Probablement comme nous.

Le sénateur MacEachen: Elle ne s'est pas donnée la peine de se plaindre.

M. Nordling: L'Île-du-Prince-Édouard met à profit cette sagesse de l'Est dont vous avez parlé et elle a une entente avec la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et si une province est disposée à accepter une modification, les autres vont suivre. Même cela aurait été plus acceptable. Si le Yukon avait été inclus dans la région de la Colombie-Britannique en ce qui concerne le droit de veto, peut-être serions-nous ici pour nous y opposer en faisant valoir qu'on ne tient pas compte de nos propres aspirations, mais, à tout le moins, on aurait reconnu notre existence.

Le sénateur MacEachen: Vous existez, d'accord. Ne vous inquiétez pas de cela. Nous le savons tous.

Le président: Monsieur Nordling, concentrons-nous un instant sur vos observations concernant la nature transitoire de cette mesure législative; en tant que praticien de la politique, quelle limite de temps devrait-on fixer pour assurer que ce projet de loi demeurera transitoire?

M. Nordling: Je suis disposé à être très précis à cet égard: cinq ans ou avant cet échéancier, si l'on peut s'entendre en ce qui concerne la modification de la Constitution. Cette mesure législative resterait donc en vigueur tout au plus cinq ans et pourrait être abrogée en vertu d'une entente.

Le président: Ma deuxième question, monsieur Nordling, est quelque peu théorique sans l'être trop, je l'espère. En tant que praticien de la politique, lorsqu'on vous demande de poser des jugements politiques sur ce qui constitue l'intérêt public des Yukonnais, vous essayez de décider, peu importe la mesure qui vous est soumise, quel est l'intérêt commun ou l'intérêt général des Yukonnais.

Croyez-vous que le même processus de jugement intervient pour un député du Parlement du Canada lorsqu'on lui demande d'exercer un jugement politique sur ce que constitue l'intérêt général du Canada, pour les questions qui relèvent de la compétence du Parlement du Canada?

À part le processus de jugement, existe-t-il, du point de vue d'un praticien de la politique, une différence fondamentale entre ce qui constituerait l'intérêt général d'une province ou d'un territoire et ce que constitue l'intérêt général de la nation dans son ensemble, pour laquelle le Parlement du Canada, le gouvernement du Canada, assume un devoir et des responsabilités?

M. Nordling: La réponse est non. C'est aussi simple que cela. Les intérêts, je crois, sont nationaux. En tant que praticiens de la politique, nous devons non seulement nous occuper de notre patelin, mais du Canada dans son ensemble. Il y a des représentants de toutes les régions du Canada et ils doivent s'occuper de la nation dans son ensemble.

Si nous avons tant de difficulté à obtenir l'appui du peuple pour ce que nous essayons d'accomplir, c'est en partie dû au fait que nous nous attachons surtout à rassembler les différents paliers de gouvernement plutôt que le peuple que sont les Canadiens. En tant que politiciens, nous nous sommes d'une certaine manière séparés nous-mêmes du peuple.

J'entends les gens dire: «Nous voulons que cette question constitutionnelle soit retirée des mains des politiciens. Les Canadiens eux-mêmes devraient avoir leur mot à dire. Nous devrions avoir des assemblées constituantes pour connaître le point de vue de la base. Nous en avons assez de ces politiciens qui prennent toutes les décisions.» En fait, c'est ce que nous sommes et ce que nous sommes censés faire. Nous sommes élus par les gens pour nous faire leurs porte-parole. Nous sommes censés être la voix de la base et de la population.

Il semble que nous ayons renoncé nous-mêmes à représenter les Canadiens. Nous sommes mis de côté en tant que politiciens alors que le «grand public» est une entité distincte. C'est la chose la plus difficile à surmonter. Les membres des assemblées législatives de toutes les régions du pays devraient venir à Ottawa et se faire les porte-parole de la population. Nous sommes aux prises avec un grave problème lorsque, peu importe le gouvernement qui est élu et la majorité qu'il obtient, les gens ont l'impression de ne pas être entendus.

J'arrête ici parce que j'en viendrais à une énorme discussion sur la politique au Canada, et telle n'est pas la question. Cependant, nous éprouvons de la difficulté à régler la question de la Constitution parce que les politiciens ne sont pas considérés comme les porte-parole de la population.

Le président: Ce projet de loi empêche les membres du Cabinet d'exercer un jugement qui témoigne du bien commun de l'ensemble du Canada. Ils doivent obtenir avant tout obtenir un consentement de la majorité des provinces ou des régions. Est-ce que cela pose un problème?

M. Nordling: Dans une large mesure, oui. Nous créerons un autre problème. Avec le projet de loi C-110, on s'engage peut-être sur la pente dangereuse de ce régionalisme. Nombre de Yukonnais sont disposés à recommander qu'un amendement soit apporté au projet de loi C-110 pour accorder un droit de veto au Yukon si la question affecte le Yukon. On régionalise ainsi les questions plutôt que de les nationaliser. Le Yukon devrait démontrer qu'il y a un effet sur le territoire et exercer ensuite son droit de veto.

Ce qui m'inquiète, entre autres, à l'instar d'autres Yukonnais, c'est que ce projet de loi divise le Canada en régions et les oppose pour ainsi dire les unes contre les autres. Nous mettons ensuite en place un mécanisme pour que les régions s'entendent. Pour une raison ou pour une autre, nous autres Canadiens ne suivons plus.

Le président: Honorables sénateurs, j'aimerais remercier M. Nordling et le gouvernement du Yukon d'avoir comparu ici et de nous avoir présenté cet exposé. Il aidera grandement les membres du comité dans la poursuite de ses travaux sur le projet de loi C-110.

M. Nordling: Merci, monsieur le président, de même que les membres du comité d'avoir écouté tous les témoins qui ont comparu ici cette semaine. Nous avons bon espoir que certaines suggestions que vous ferez seront acceptées par le gouvernement fédéral.

Le président: Honorables sénateurs, j'ai le plaisir d'accueillir en votre nom notre prochain témoin, le professeur Thérèse Arseneau, de l'Université St. Mary's, située à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Comme le veut la règle, professeur Arseneau, nous vous invitons à faire votre déclaration liminaire et ensuite à répondre aux questions des membres du comité.

Mme Thérèse Arseneau, Université St. Mary's: Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée ici aujourd'hui. J'ai eu de la difficulté &agr

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