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C110 - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-110

 

Délibérations du comité spécial
du Sénat sur le projet de loi C-110

Témoignages


Ottawa, le mardi 30 janvier 1996

[Traduction]

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-110, Loi concernant les modifications constitutionnelles, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Noël A. Kinsella (président) occupe le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin le professeur Andrew Heard, de l'Université Simon Fraser.

Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Heard. L'usage veut que nous invitions d'abord les témoins à faire une déclaration avant de leur demander de répondre aux questions que voudront bien leur poser les membres du comité. Je vous cède donc la parole, monsieur.

M. Andrew Heard, professeur, département de sciences politiques, Université Simon Fraser: Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous ce matin.

On m'a demandé de formuler certains commentaires sur le projet de loi C-110. En proposant ce projet de loi, le gouvernement essaie, avec courage et détermination, d'innover sur le plan constitutionnel. Malheureusement, son initiative risque de causer autant de problèmes qu'elle tente d'en résoudre.

J'exprimerai aujourd'hui des préoccupations au sujet du libellé du projet de loi, préoccupations qu'on vous a peut-être déjà signalées. Je parlerai aussi brièvement de l'utilité du droit de veto régional. Par contre, je me pencherai davantage sur la question de la constitutionnalité du projet de loi, et je finirai en proposant au comité des moyens de traiter ce projet de loi.

D'abord, le libellé du projet de loi soulève certains problèmes, particulièrement dans sa version anglaise. Pour commencer, le mot anglais «propose», dans «No Minister of the Crown shall propose a motion...», est beaucoup trop ambigu et pourrait imposer une contrainte générale aux ministres dans différentes situations, y compris les conférences fédérales-provinciales. Le libellé de la version française est plus clair, puisque le mot «déposer», dans «Un ministre de la Couronne ne peut déposer...», a un sens qui se rapproche davantage du mot anglais «table», qui impose une contrainte dans un contexte plus particulier, mais pas exclusivement parlementaire.

Par conséquent, il serait souhaitable, si cela est possible, que le gouvernement accepte d'amender le texte du projet de loi C-110 pour éviter toute confusion à ce sujet. Il faudrait remplacer le mot anglais «propose» par une locution signifiant «présenter à la Chambre des communes ou au Sénat».

Ensuite, le libellé précisant les circonstances dans lesquelles le ministre peut agir pourrait poser un problème encore plus grave. Ces circonstances sont ainsi définies:

Un ministre de la Couronne ne peut déposer une motion de résolution... que si la majorité des provinces y a préalablement consenti...

Le sens de ce «consentement provincial» soulève beaucoup d'ambiguïtés; on se demande s'il s'agit du consentement du gouvernement, de l'assemblée législative ou de la population de la province. Ce manque de précision serait, paraît-il, un moyen stratégique employé délibérément pour permettre au gouvernement fédéral de tenir un référendum dans l'éventualité où un gouvernement provincial hésiterait ou refuserait de consentir. Dans d'autres circonstances, il permet également au Parlement de commencer à étudier une résolution dès qu'on a obtenu des premiers ministres l'accord exigé. Une certaine souplesse est peut-être souhaitable, mais je crains que cette ambiguïté n'attise les tensions au moment de négociations épineuses.

Je passe maintenant à la question de l'utilité du droit de veto régional qui est proposée dans le projet de loi C-110 et qui soulève des préoccupations plus importantes. Cette formule du droit de veto a des antécédents bien établis dans les négociations constitutionnelles et elle peut se justifier comme processus indépendant, mais j'ai du mal à comprendre qu'on puisse simplement la greffer au processus existant.

J'approuve les propositions qui visent à protéger notre pays contre la sécession, mais celles qui nous sont faites feraient en sorte qu'il serait extrêmement difficile, même impossible, de modifier la Constitution, et je me dois de le signaler. J'ai tiré une leçon des Accords du lac Meech et de Charlottetown, et c'est qu'il serait très difficile d'en arriver à un large consensus sur les profonds changements nécessaires. Les sondages d'opinion effectués l'an dernier montrent qu'il y a un durcissement des positions et j'estime qu'on réussira à renouveler la Constitution seulement si les gouvernements arrivent à éviter les changements qui exigent un consentement unanime ou celui des provinces les plus intransigeantes. Ainsi, la souplesse d'une procédure de révision générale exigeant l'approbation de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population devient d'autant plus importante et précieuse.

Mais voilà que projet de loi C-110 anéantit pratiquement les avantages de la formule 7-50. Cette formule permet de modifier la Constitution avec le consentement de sept provinces représentant aussi peu que 50,3 p. 100 de la population. Or, le projet de loi C-110 exige le consentement de combinaisons particulières de provinces qui représenteraient, au minimum, 92,2 p. 100 de la population canadienne. Il peut compromettre les modifications constitutionnelles à venir parce qu'il exige le consentement de certaines provinces, dont l'Alberta et ma province actuelle, la Colombie-Britannique, qui sont peut-être les plus réfractaires à faire au Québec des concessions sur des aspects fondamentaux.

Fait important, le projet de loi C-110 accorderait un droit de veto pour les modifications constitutionnelles à quatre provinces, et pas seulement l'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique. En effet, l'Alberta aurait aussi un droit de veto parce qu'elle compte plus de 59 p. 100 de la population des provinces des Prairies. Ainsi, le projet de loi crée deux catégories de province, puisqu'il y en aurait quatre, celles de la première catégorie, qui auraient leur propre droit de veto, et que toutes les autres, celles de la deuxième catégorie, auraient voix au chapitre que de façon limitée dans les futures négociations constitutionnelles. La Saskatchewan et le Manitoba se retrouvent dans une position particulière. Même si elles représentent les deux tiers des provinces des Prairies, elles ne pourraient s'unir pour rejeter une modification. En effet, elles ont besoin de l'Alberta en raison de l'importance de sa population. Je doute très sérieusement de l'utilité de cette politique - qui crée des provinces de première catégorie, ayant leur propre droit de veto, et des provinces de deuxième catégorie ayant un droit de veto limité.

La constitutionnalité fondamentale du projet de loi C-110 soulève des préoccupations encore plus grandes. Depuis que le projet de loi a été déposé, on met en doute sa constitutionnalité. Par conséquent, je pense qu'il est essentiel de régler cette question, surtout depuis que le gouvernement a indiqué clairement la semaine dernière qu'il remettrait en cause la légalité de la décision du gouvernement québécois de se séparer. Le gouvernement fédéral doit donc répondre à la menace de la séparation par des mesures qui sont valables sur le plan constitutionnel. Le gouvernement ne peut pas pousser jusqu'au scrupule le respect de la Constitution s'il a lui-même recours à des pratiques qui ne sont pas constitutionnelles.

À ce sujet, il est utile de commencer par examiner l'argument selon lequel le projet C-110 est une mesure législative valable. M. Rock, ministre de la Justice, a souligné, à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi à la Chambre des communes, que ce projet de loi ne vise pas à modifier le libellé de la Constitution:

Toutes les dispositions de la partie V faisant appel à l'accord des provinces sous diverses formes, selon la nature de la modification proposée, demeureront entièrement comme elles sont actuellement.

Cette citation est tirée du hansard du 30 novembre 1995, à la page 17001.

Le projet de loi C-110 vise à indiquer dans quelles conditions les ministres peuvent présenter des modifications constitutionnelles au Parlement. Le projet de loi limite les pouvoirs de la Couronne, sans les étendre. Le Parlement a pleine autorité pour réglementer les pouvoirs de la Couronne et il peut limiter mais non étendre ses pouvoirs. Dans le cas qui nous occupe, l'exécutif a le pouvoir de proposer des résolutions parce que la Constitution permet au Parlement d'adopter des résolutions autorisant le gouverneur général à prendre une proclamation pour modifier la Constitution. Il y a longtemps que les tribunaux ont reconnu que le Parlement a le pouvoir de limiter, dans sa manière et dans sa forme, le processus par lequel les mesures législatives et les autres travaux parlementaires se font. Comme M. Rock l'a indiqué:

En fait, le gouvernement fédéral met en place une série de critères d'utilisation de son propre pouvoir de veto.

Cette citation est tirée du hansard du 30 novembre 1995, à la page 17001.

Le projet de loi C-110 n'engage que les ministres, pas les autres députés, ni les sénateurs, ni l'une ou l'autre Chambre.

En somme, on justifie la validité du projet de loi en soutenant que le Parlement a le pouvoir d'examiner des résolutions visant à modifier la Constitution; que les ministres de la Couronne ont le droit de présenter des résolutions constitutionnelles au Parlement; que le Parlement a le pouvoir de déterminer la procédure ou les conditions préalables à suivre concernant le dépôt et l'adoption de ces résolutions; et que les moyens choisis par le gouvernement dans le projet de loi C-110 ne visent pas à modifier le libellé ou les dispositions pertinentes de la Constitution. Ainsi, le projet de loi C-110 a des objectifs fédéraux valables et il vient compléter plutôt que supplanter les dispositions de la Constitution.

Il s'agit d'arguments de poids, qui ne nous empêchent pas cependant d'examiner la question. Le projet de loi C-110 n'est peut-être pas valable sur le plan constitutionnel si son objectif fondamental dépasse les pouvoirs du Parlement - dans ce cas-ci, le processus de modification énoncé à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Les droits de veto régionaux peuvent être accordés seulement à la suite d'une modification formelle de la Constitution.

Il faut se rappeler qu'une loi peut être inconstitutionnelle même si elle vise principalement des objectifs qui sont du ressort de l'assemblée législative concernée. Dans l'histoire constitutionnelle du Canada, on a annulé beaucoup de projets de loi qui, à première vue, semblaient être du ressort de l'assemblée législative sur le plan constitutionnel. La constitutionnalité du projet de loi ne dépend donc pas du fait que le projet de loi précise les conditions dans lesquelles les ministres peuvent présenter des modifications constitutionnelles. Il faut essentiellement déterminer ce que les tribunaux ont appelé «le caractère véritable» du projet de loi C-110. Quelles sont essentiellement l'essence et la substance du projet de loi? Une loi peut sembler s'attaquer à une question légitime mais, en fait, atteindre un objectif qui dépasse le champ de compétences de l'assemblée législative. Il est donc essentiel de déterminer ce que vise principalement la loi.

Dans le cas du projet de loi C-110, on peut trouver l'objectif réel du gouvernement dans le texte du projet de loi, ainsi que dans les discours prononcés par le ministre qui l'a déposé. Dans le cas d'un gouvernement responsable, il est clair que l'application du projet de loi C-110 aux ministres de la Couronne n'engage pas seulement les mesures prises par le gouvernement du Canada, mais également celles de la Chambre des communes. Le ministre de la Justice n'a laissé planer aucun doute au sujet de l'objectif concret du projet de loi C-110 quand il a déclaré à la Chambre des communes, et je cite:

Le projet de loi C-110 a pour objet de prévoir un droit de veto régional pour tout changement pour lequel chacune des provinces ne bénéficient pas déjà d'un droit de veto direct ou indirect.

Cette citation est tirée du hansard du 30 novembre 1995, à la page 17001.

Il a également ajouté à cette occasion, et je cite:

Dans le projet de loi, nous parlons d'un droit de veto. Un droit de veto n'est pas le droit de modifier la Constitution, mais le droit d'empêcher qu'elle soit modifiée. Nous parlons donc ici de la capacité d'une région d'empêcher que la Constitution soit modifiée.

Cette citation est tirée du hansard du 30 novembre 1995, à la page 17002.

Le projet de loi vise donc à accorder un droit de veto régional dans le cas des modifications constitutionnelles là où il n'en existe pas actuellement. Le projet de loi vise délibérément à remplacer le consentement actuellement requis pour modifier la Constitution par une formule de consentement beaucoup plus large, fondée sur le veto régional. En pratique, le droit de veto régional peut être exercé par une seule province, l'Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique ou l'Alberta.

Il faut alors se demander si, compte tenu de l'objectif visé, l'adoption du projet de loi ne signifierait pas que le Parlement dépasse ses pouvoirs. À mon avis, on peut répondre à cette question en se demandant si le projet de loi C-110 n'est pas incompatible avec les dispositions du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Si le libellé du processus et les exigences du projet de loi C-110 ne contredisent pas directement le libellé d'aucune disposition de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, ils peuvent toujours être incompatibles avec lui. Je précise que cette incompatibilité doit être de nature à modifier de façon fondamentale l'application d'une disposition de la Constitution. C'est une condition très difficile à remplir.

Des arguments convaincants indiquent que le projet de loi C-110 vise en fait délibérément à modifier fondamentalement la nature de la procédure générale de révision énoncée à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.

D'abord, il est clair que la notion du droit de veto régional faisait partie des initiatives du gouvernement de M. Trudeau en 1980. Elle a été examinée et rejetée lors des négociations fédérales-provinciales qui ont abouti à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. La formule 7-50 a remplacé le modèle du droit de veto régional qui est maintenant la formule des cinq régions présentée dans le projet de loi C-110.

Le premier ministre sait personnellement que la formule de modification énoncée à l'article 38 a été adoptée parce que huit provinces ont refusé d'accepter le principe du droit de veto régional et des deux catégories de provinces. Dans ses mémoires, Dans la fosse aux lions, Jean Chrétien explique, à la page 174, le compromis auquel il est parvenu avec Roy McMurtry et Roy Romanow, et qui a par la suite constitué la base de l'entente finale:

Il s'agissait essentiellement d'un échange: les provinces accepteraient une Charte amendée qui tiendrait compte de leurs principales objections à condition que le gouvernement fédéral accepte leur formule d'amendement, elle-même amendée pour satisfaire aux objections d'Ottawa. Cela revenait à dire que, au lieu d'avoir un droit de veto, chaque province qui le désirerait pourrait se soustraire à un amendement constitutionnel...

Le gouvernement essaie tout simplement de faire adopter un processus de modification qui a été directement et explicitement rejeté en 1981 au moment de la rédaction de la Loi constitutionnelle de 1982. Il y a une profonde différence entre un processus selon lequel une seule province ne peut rejeter une modification et celui selon lequel n'importe laquelle de quatre provinces peut à elle seule empêcher l'adoption d'une modification constitutionnelle. Le gouvernement sait que le droit de veto régional a été rejeté au moment de la rédaction de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 et pourtant, il a déposé le projet de loi C-110 précisément pour mettre en oeuvre exactement le même principe.

Après l'examen des différents arguments, j'en viens à la conclusion que le projet de loi C-110 est inconstitutionnel. Il cherche à réaliser indirectement ce que le Parlement n'a pas pu réaliser directement, à savoir la transformation unilatérale et fondamentale du processus de révision constitutionnelle. Il est clair que le projet de loi C-110 vise délibérément à modifier en profondeur la nature du processus de modification constitutionnelle, et il le fait d'une façon qui est foncièrement incompatible avec l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le projet de loi a été rédigé à la håte, après peu de consultations. Il a été adopté à la Chambre des communes par la force de la clôture. Au moment où le gouvernement devrait essayer d'adopter des mesures qui font consensus, il choisit d'imposer son point de vue de façon unilatérale et d'étouffer le débat pour faire adopter un projet de loi inconstitutionnel.

Je demande instamment à votre comité de recommander d'amender le projet de loi de façon à forcer le gouvernement à réexaminer cette mesure législative. Le Sénat a le pouvoir légitime et le devoir de présenter son point de vue éclairé sur ce projet de loi mal conçu et imparfait que le gouvernement du moment essaie d'imposer gråce à sa majorité. À tout le moins, le Sénat devrait présenter des amendements corrigeant les erreurs de rédaction du projet de loi. Cependant, le comité devrait songer à recommander d'autres amendements assez importants pour forcer le gouvernement à réexaminer la nature même du projet de loi. Par conséquent, le comité devrait ajouter une disposition stipulant que le projet de loi ne sera promulgué que s'il est approuvé par les provinces selon la formule énoncée dans le projet de loi. Après tout, si le projet de loi vise à assurer l'unité nationale, on devrait pouvoir confirmer sa valeur en le faisant approuver par l'ensemble du pays.

En fin de compte, le gouvernement doit pouvoir retirer le projet de loi parce qu'il dépasse les pouvoirs du gouvernement du Canada et imposerait des obstacles presque insurmontables au renouvellement de la Constitution qui est nécessaire.

Le président: Je vous remercie, monsieur Heard.

Le sénateur Beaudoin: Je vous remercie, monsieur Heard. Vous avez démontré clairement que le projet de loi est probablement inconstitutionnel parce qu'il fait indirectement ce qui ne peut être fait directement selon la formule de modification constitutionnelle et qu'il est contraire à l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nos témoins experts ne sont pas tous du même avis. Ils le sont parfois, mais pas très souvent. En l'occurrence, ils ne semblent pas s'entendre sur la constitution- nalité du projet de loi. Cependant, vos arguments sont très convaincants, monsieur Heard.

Étant donné que nous aurons une conférence constitutionnelle qui devrait se tenir au plus tard le 17 avril 1997, certains d'entre nous songent à modifier le projet de loi en y ajoutant une disposition de temporisation, par exemple. Autrement dit, le Québec serait protégé pendant le temps qui serait nécessaire pour trouver une formule de modification définitive, étant donné que c'est l'objectif de l'article 49 de la Loi constitutionnelle de 1982.

En 1982, on s'est dit qu'on avait enfin inscrit dans la Constitution une procédure de révision et que, dans 15 ans, le premier ministre devrait convoquer une conférence pour la réexaminer. Évidemment, on pourrait la conserver et affirmer qu'elle est parfaite, ce dont je doute, mais c'est une opinion parmi tant d'autres.

Pensez-vous qu'une disposition de temporarisation pourrait être un des amendements proposés?

M. Heard: Je crains que même cette disposition, en vigueur pour quelques années, nous empêche d'apporter les modifications constitutionnelles requises pendant cette période. Je sais que c'est une possibilité qui pourrait être envisagée, que son application pourrait être limitée dans le temps et qu'elle attirerait l'attention sur les négociations qui doivent avoir lieu en 1997.

Cependant, il n'est reste pas moins que le projet de loi C-110 essaie de transformer radicalement la procédure de révision et que ce n'est pas son existence qui influencera beaucoup les négociations avec Québec. Les sondages montrent que le droit de veto du Québec ne soulève pas beaucoup l'enthousiasme des Québécois. Par conséquent, je ne suis pas sûr que le projet de loi C-110 atteindrait l'objectif visé, à savoir rassurer le Québec sur la possibilité que des modifications constitutionnelles soient apportées sans son consentement. En même temps, le projet de loi peut faire échouer les modifications qui pourraient être nécessaires d'ici 1997.

Le sénateur Beaudoin: Strictement du point de vue du Québec, le projet de loi protège le Québec étant donné que nous ne pourrons rien faire sans son consentement. En revanche, il a le désavantage d'offrir un droit de veto à quatre autres régions, ce qui fait qu'il devient difficile pour le Québec de demander un nouveau partage des pouvoirs. Cependant, dans les autres régions du pays, il y a un autre problème, celui du principe de l'égalité des provinces.

Selon vous, devrions-nous laisser le projet de loi tel quel ou rétablir le principe du consentement des assemblées législatives des provinces? Selon la procédure de révision de 1982, ce sont l'assemblée législative provinciale et le Parlement du Canada, les deux Chambres, qui ont le dernier mot. Les référendums ne font pas partie de cette procédure. On peut tenir un référendum, mais on n'est pas obligé de le faire. Nous sommes toujours obligés, cependant, d'obtenir le consentement des assemblées législatives provinciales.

Pour Claude Ryan et Daniel Johnson, du Québec, nous devrions rétablir le consentement de l'Assemblée nationale, ce qui serait peut-être utile. Il y a des arguments pour et contre. Pour certains, même si M. Bouchard refuse, on peut consulter directement la population du Québec. Je comprends la valeur de cet argument.

Pouvons-nous contourner l'Assemblée nationale? C'est toujours possible avec le projet de loi C-110, mais est-ce une bonne chose?

M. Heard: Je ne saisis pas votre question pour ce qui est de contourner l'Assemblée nationale. Cela ferait-il partie d'un amendement qui pourrait être apporté au projet de loi C-110? Je crois qu'il serait imprudent d'essayer de contourner l'assemblée nationale à ce stade-ci en donnant un droit de veto au Québec. Ce serait perçu comme une répétition de 1982 et cela ferait ressurgir tous les mythes qui ont circulé à l'époque. Il serait très dangereux de suivre cette voie.

Le sénateur Beaudoin: C'est exactement ce que Claude Ryan a dit.

M. Heard: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il a dit que c'est ce qu'on avait essayé de faire en novembre 1981. C'est encore une possibilité. Vous nous dites que ce serait imprudent.

M. Heard: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Ce serait donc un amendement possible.

M. Heard: Oui. Cela ressemble à l'amendement que j'ai proposé d'ajouter d'après lequel le projet de loi pourrait être adopté selon la formulé énoncée dans le projet de loi. Un droit de veto inscrit dans la loi n'obtiendrait pas l'approbation de l'Assemblée nationale du Québec.

Le sénateur Beaudoin: Si, en plus de demander le consentement des cinq régions, on demande le consentement de chaque province, il n'y a plus de fin. On n'y arrivera jamais.

M. Heard: Le projet de loi ne fonctionnerait pas.

Le sénateur Carstairs: Monsieur le président, j'ai plusieurs questions à poser. La première est d'ordre pratique.

Monsieur Heard, à la fin de vos observations, vous avez parlé d'un sondage effectué dans la province de Québec au sujet du projet de loi sur le droit de veto régional. Pouvez-vous nous donner des références à ce sujet, parce que je ne suis pas au courant de ce sondage?

M. Heard: Malheureusement, j'ai laissé mes notes à ce sujet à Vancouver. Je ne peux pas vous donner de références précises. Le sondage a été effectué durant la semaine qui a suivi le dépôt du projet de loi C-110. Je me souviens d'une coupure de presse indiquant que seulement 30 à 35 p. 100 des Québécois y étaient favorables.

Le sénateur Carstairs: Au sujet de votre recommandation, vous indiquez que le projet de loi est inconstitutionnel, entre autres parce qu'il ajoute une étape à la loi actuellement en vigueur. La Colombie-Britannique et l'Alberta n'ont-elles pas fait exactement la même chose en exigeant que toute modification constitutionnelle soit soumise à un référendum et que les députés de ces provinces soient liés par les résultats de ces consultations populaires? Dans ce sens, considérez-vous que les lois sur les référendums sont inconstitutionnelles?

M. Heard: Je ne serai pas très populaire en disant que, d'après moi, elles ne sont pas constitutionnelles. Je pense que le problème de la constitutionnalité est sérieusement mis en cause, et cela pour les mêmes raisons que celles que j'ai exposées ici. On essaie de modifier directement le processus. Le problème, surtout dans le cas de la Colombie-Britannique, c'est que le gouvernement est contraint d'essayer d'en faire appliquer les résultats. Encore une fois, ce processus a été envisagé au moment de la rédaction de la Loi constitutionnelle de 1982, et il a été rejeté. Il modifie fondamentalement les choses. Je ne suis pas convaincu qu'il serait jugé valable par les tribunaux. C'est la raison pour laquelle le projet de loi C-110 ne sera pas contesté devant les tribunaux parce que cela va se retourner contre l'Alberta et la Colombie- Britannique.

Le sénateur Carstairs: Je vous remercie. J'admire votre cohérence à ce sujet.

Enfin, j'aimerais discuter de l'obligation pour la Chambre des communes de présenter une modification. À votre avis, faut-il que les modifications constitutionnelles soient présentées à la Chambre des communes et au Sénat dans ce délai de trois ans? Les deux chambres sont-elles tenues de le faire par la Loi constitutionnelle? Pour moi, le projet de loi indique que les ministres ne présenteront pas de modification avant d'avoir obtenu le consentement des régions. À votre avis, est-il obligatoire de présenter ces modifications dans l'une ou l'autre Chambre?

M. Heard: Non. Le fait de proposer une résolution dans l'une ou plusieurs assemblées législatives n'oblige pas les autres à présenter la même résolution. C'est le texte de l'accord signé par les premiers ministres à ce sujet qui devrait prévoir cette obligation. Par exemple, il y a quelques années, Brian Mulroney a présenté une résolution visant à modifier le droit de veto du Sénat pour en faire un droit de veto différé. Cette résolution n'a jamais été mise aux voix et personne n'y a donné suite. Voilà l'exemple d'une résolution tombée dans l'oubli.

Le sénateur Carstairs: Si la Constitution n'exige pas qu'une résolution soit présentée, pourquoi alors un gouvernement ne peut-il pas décider de ne pas présenter une résolution à moins d'avoir obtenu le consentement des régions?

M. Heard: Le projet de loi précise les conditions que le gouvernement doit respecter, c'est-à-dire les conditions qui doivent être réunies avant de présenter une résolution. Ce n'est pas le fait de fixer des conditions qui est inconstitutionnel. Il faut savoir de quelles conditions il s'agit. Les conditions proposées dans le projet de loi transforment fondamentalement la nature du processus énoncé à l'article 38 de la Loi constitutionnelle. C'est là que l'élément inconstitutionnel entre en jeu. Les conditions concernant la présentation d'une résolution modifient complètement le processus énoncé à l'article 38.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Heard, vous ne voudrez peut-être pas répondre à ma question, qui est peut être trop politique.

Le ministre a témoigné devant notre comité. Nous voulons tous préserver l'unité du Canada. Nous voulons collaborer avec le premier ministre, les ministres et tous ceux qui sont responsables de cette question. Cependant, c'est difficile pour nous, de la Colombie-Britannique, parce que personne ne nous représente au sein du comité sur l'unité. D'autres incidents ont touché la Colombie-Britannique depuis le dépôt de ce projet de loi.

Ma question a trait aux peuples autochtones. Ils ont comparu devant notre comité pour dire que le projet de loi mettait en péril certains de leurs droits constitutionnels et pouvait compromettre l'issue de dossiers en cours de règlement. Avez-vous examiné la question autochtone dans votre étude du projet de loi?

M. Heard: Nos considérations se recoupent car, autant que je sache, les chefs autochtones ont dit craindre que la procédure proposée ne rende plus difficile la modification de la Constitution et que toute tentative visant à inscrire l'autonomie gouvernementale dans la Constitution ne doive être soumise aux conditions énoncées. Ils craignent que certaines provinces rejettent le processus. Selon la formule 7-50 actuellement en vigueur, on pourrait réussir à agir sans ces provinces, tandis que si le projet de loi C-110 était adopté, ce sera plus difficile.

Mes observations et mes opinions sont les mêmes. Je pense que le droit de veto régional rend toute modification constitutionnelle beaucoup plus difficile à réaliser. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont des orientations différentes des autres provinces. On craint, je pense, que le projet de loi C-110 ne leur permette de bloquer une modification constitutionnelle, ce qu'elles ne pourraient pas faire selon la formule 7-50. La Colombie-Britannique prétend qu'elle devrait être en mesure de le faire si elle est vraiment considérée comme une région distincte du pays.

En tant qu'universitaire, cette situation constitue pour moi une grave menace à l'unité nationale. Cela me préoccupe que les modifications requises aient de nouveaux obstacles à franchir avant d'être acceptées.

Le sénateur St. Germain: Au sujet de la question du sénateur Beaudoin sur la disposition de temporarisation, les sénateurs ici présents représentent différentes régions. Nous essayons de traiter ce projet de loi de façon à båtir, et non à diviser le pays.

La disposition de temporarisation est donc attrayante. Comme vous l'avez souligné, elle pourrait être très dommageable. Néanmoins, nous devons prendre une décision. Vous dites également que le projet de loi ne peut même pas obtenir l'appui qu'il exige puisque les provinces ont toujours refusé d'accorder plus d'importance aux régions dans la Constitution. Le projet de loi va laisser croire que les régions qu'il établit seront prises en considération dans les discussions futures.

Ne pensez-vous pas qu'une disposition de temporarisation, prenant fin en 1997, serait beaucoup moins dangereuse?

Je ne me rappelle pas si vous avez parlé de 1997 dans votre réponse au sénateur Beaudoin. Pour moi, cette date est cruciale parce qu'il ne faudrait pas la dépasser. D'après vos études antérieures, quel effet une disposition de temporarisation aurait-elle sur les négociations futures?

M. Heard: Il y plusieurs aspects à examiner au sujet de la disposition de temporarisation. D'abord, cette disposition ne touche pas la teneur du projet de loi. Elle signifie que le Sénat collabore avec le gouvernement à une époque de difficultés sur la scène nationale. Essentiellement, elle aurait l'effet dont le premier ministre a déjà parlé. Effectivement, le premier ministre et le ministre de la Justice ont déjà indiqué qu'il fallait réexaminer la question d'ici avril 1997 quoiqu'il arrive, ce qui ne change en rien la politique de base du gouvernement. Comme il est en somme peu probable qu'on cherche à modifier la Constitution dans les quatorze prochains mois, l'effet d'une disposition de temporarisation dans le projet de loi serait peut-être limité en ce qui concerne la politique établie.

Il y a un certain nombre de raisons stratégiques qui pourraient inciter le Sénat à formuler cet amendement et le gouvernement à l'accepter durant son examen du projet de loi à la Chambre basse. Il reste à savoir si mes prévisions se réaliseront, si nous aurons une crise constitutionnelle dans les quatorze prochains mois, si nous aurons besoin de recourir à la procédure de révision constitutionnelle durant cette période. S'il est peu probable que cela se produise avant que nous réexaminions en profondeur toute la procédure de révision constitutionnelle, cette manifestation symbolique en faveur de l'unité nationale présente peu de risques. Le gouvernement peut prendre cette initiative courageuse au nom de la population du Canada et ne pas diviser les forces fédéralistes, s'il n'insiste pas trop sur la question.

Il est toutefois possible qu'il faille recourir à la procédure de révision constitutionnelle pendant cette période. On ne sait pas s'il n'y aura pas un référendum au cours des quatorze prochains mois et s'il ne faudra pas réagir d'une façon quelconque. Je crains que le projet de loi ne nous prive de la souplesse nécessaire à cette fin.

Tout amendement donnerait au gouvernement l'occasion de réexaminer le projet de loi. Cet amendement pourrait être considéré comme un moyen constructif de relancer le débat sur la question sans compromettre la politique de base. C'est le rôle premier du Sénat, c'est-à-dire de pousser le gouvernement à réexaminer sa politique de base ou le contexte dans lequel il prend ses décisions.

Le sénateur MacEachen: Je vous remercie, monsieur Heard, de votre mémoire. J'ai une ou deux questions à poser au sujet de vos recommandations. Vous dites que le projet de loi est inconstitutionnel et que le Parlement du Canada dépasse ses pouvoirs. Pourquoi ne recommandez-vous pas au Sénat de rejeter le projet de loi?

M. Heard: Les circonstances dans lesquelles le Sénat doit ou peut rejeter un projet de loi sont limitées. Normalement, le Sénat est chargé de présenter des amendements à la Chambre élue pour qu'elle puisse réexaminer sa décision. Ce projet de loi comporte des lacunes, mais il est discutable. Comme le sénateur Beaudoin l'a indiqué, les témoins qui ont comparu devant vous ont présenté des points de vue divergents. Les tribunaux sont là pour trancher la question de la constitutionnalité.

En fin de compte, à moins que le projet de loi ne dénature la structure fédérale ou la démocratie parlementaire, le rôle du Sénat n'est pas de rejeter les mesures gouvernementales, mais de faire en sorte que le gouvernement les réexamine avant leur adoption. Les questions fondamentales liées à la constitutionnalité devraient être laissées aux tribunaux.

Le sénateur MacEachen: À votre avis, même si le projet de loi est inconstitutionnel, le Sénat devrait ne pas en faire trop de cas. Cela dépasse le pouvoir politique du Sénat de rejeter le projet de loi, selon vous?

M. Heard: Oui.

Le sénateur MacEachen: Vous nous conseillez donc de ne pas rejeter le projet de loi parce que le Sénat ne devrait pas agir de la sorte. Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec vous, comme beaucoup d'autres ici sans doute.

Le sénateur Murray: Vous osez de ne pas être d'accord, mais nous le sommes, nous.

Le sénateur MacEachen: Bien sûr, on nous dit que le projet de loi est inconstitutionnel et qu'il dépasse les pouvoirs du Parlement. On nous dit de ne pas rejeter le projet de loi parce que ce n'est pas notre rôle. Nous avons entendu votre recommandation selon laquelle le comité pourrait ajouter une disposition indiquant que le projet de loi ne devrait pas être promulgué avant d'avoir obtenu le consentement des provinces selon la formule énoncée dans le projet de loi. Nous savons tous que cela équivaudrait à torpiller le projet de loi, pour reprendre un terme parlementaire. Pourquoi ne pas agir ouvertement et torpiller le projet de loi directement au lieu de proposer un amendement qui le torpillerait indirectement?

M. Heard: Parce que cet amendement est constructif et que, si le gouvernement tient sérieusement à la teneur de son projet de loi, celui-ci devrait être soumis aux mêmes exigences que celles qu'il préconise.

Le sénateur MacEachen: Nous parlons des obligations du Sénat et nous n'essayons pas de lire la pensée du gouvernement.

M. Heard: C'est ce que je dis. Le Sénat, en fait, ne torpille pas directement le projet de loi. L'amendement dit que le projet de loi devrait respecter les conditions qu'il énonce.

Le sénateur MacEachen: Vous savez très bien que cet amendement, si nous l'ajoutons, aura pour effet de rendre le projet de loi totalement inopérant. Pourquoi ne pas le faire directement? Vous dites que nous devrions agir avec prudence. Les seuls amendements qui restent, ce sont des amendements de forme. Votre proposition ne permettrait absolument pas de surmonter les problèmes que pose, d'après vous, ce projet de loi.

Vous êtes peut-être en train de nous dire que, puisque nous sommes impuissants, nous devrions adopter le projet de loi sans amendement. C'est ça?

M. Heard: Non, absolument pas. Il faut s'attaquer à la constitutionnalité du projet de loi. Le Sénat doit faire quelque chose pour porter cette question à l'attention du gouvernement. Un amendement de fond, comme celui que je propose, ou peut-être même une disposition de temporarisation amènerait le gouvernement à le réexaminer.

Il existe une différence profonde entre un Sénat qui oppose son veto à un projet de loi et un Sénat qui propose des amendements que le gouvernement juge désagréables à entendre.

Le Sénat ne devrait pas opposer son veto au projet de loi, mais plutôt proposer des amendements sérieux qui obligeraient le gouvernement à réexaminer la question. Si, après examen, le gouvernement reconfirme sa position - et c'est un argument que j'ai déjà soulevé devant un autre comité sénatorial -, alors le Sénat devrait le laisser faire ce qu'il veut. Le rôle du Sénat, et c'est un rôle très important, est de forcer le gouvernement à réexaminer un projet de loi. Un amendement comme celui-ci provoquerait un débat sérieux à la Chambre des communes.

Le sénateur MacEachen: Merci, monsieur Heard.

Le sénateur Carney: Je vous remercie d'être venu nous exposer vos vues sur cette question, monsieur Heard.

Je voudrais discuter de certains points qui ont été soulevés plus tôt. Vous avez dit que ce projet de loi essaie de faire indirectement ce que le gouvernement ne peut faire directement, soit de modifier la Constitution. Certains témoins ont laissé entendre que l'adoption de ce projet de loi créerait une impasse constitutionnelle, qu'il nous empêcherait, en fait, d'apporter des modifications à la Constitution. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Pourquoi parler des modifications éventuelles qui pourraient être apportées à la Constitution si nous adoptons un projet de loi qui rendrait tout changement constitutionnel impossible? Qu'arrivera-t-il si le pays se donne une Constitution qu'il ne peut modifier? Quelle est votre expérience à cet égard? Qu'arrivera-t-il si nous nous enchaînons à une Constitution dépassée qui ne prévoit pas de clause de sauvegarde?

M. Heard: Les constitutions doivent absolument continuer d'évoluer pour s'adapter aux exigences et aux valeurs changeantes de la société. La procédure de modification de la Constitution peut elle aussi évoluer. Nous pouvons adopter la formule qui est proposée; toutefois, elle devrait être adoptée par voie de consensus, non pas être imposée de façon unilatérale.

Dans les circonstances actuelles, je suis très inquiet de l'attitude récalcitrante du gouvernement et du parti de l'opposition de la Colombie-Britannique. Ils se sont publiquement prononcés contre l'octroi de toute concession au Québec, la dévolution de pouvoirs, ainsi de suite, qui serait vraisemblablement nécessaire dans les négociations avec le Québec. Le pays est au bord d'une crise et, à mon avis, il faut faire preuve de la plus grande souplesse possible pour y venir à bout. Le projet de loi C-110 ne fait que compliquer la situation au lieu de la simplifier.

Le sénateur Carney: Vous avez dit que le projet de loi est vague, qu'il ne précise pas qui parle au nom des provinces. Vous avez laissé entendre que la loi adoptée par la Colombie-Britannique et, je crois, par l'Alberta, qui exige la tenue d'un référendum, est peut-être inconstitutionnelle. Si nous adoptons ce projet de loi, qui parlera au nom des provinces? Qui a le mandat de parler au nom des provinces? Au nom de l'intérêt national? Si le gouvernement fédéral accorde son droit de veto à diverses régions, et que les régions et les provinces touchées ne sont pas définies, qui aura le pouvoir d'exercer ce droit de veto? Qui parle au nom du Canada? Qui parle au nom du pays?

M. Heard: Le projet de loi n'est pas très clair au sujet de la question du consentement des provinces. Cette ambiguïté a ceci d'avantageux qu'elle pourrait permettre la tenue d'un référendum national pour contourner les gouvernements provinciaux récalcitrants. Nous devrions chercher à apporter des modifications à la Constitution à l'intérieur des cadres institutionnels établis. Si nous ne pouvons faire confiance aux représentants élus, c'est que le processus fait défaut. Nous devrions le faire à l'intérieur de ces cadres même dans le cas du Québec.

Vous avez parlé, sénateur, des initiatives fédérales et de la question de savoir qui parle au nom du gouvernement fédéral.

Le sénateur Carney: Au nom du Canada, pas du gouvernement fédéral. Qui parle au nom du Canada, de l'intérêt national?

M. Heard: En ce qui concerne l'intérêt national, il est bon que le gouvernement fédéral ait la possibilité de déposer des résolutions à la Chambre des communes afin d'établir un consensus national. Avec ce processus-ci, le Parlement fédéral pourrait uniquement décider quand une question, une résolution pourrait être débattue.

Le sénateur Carney: Il n'y aurait pas de débat national?

M. Heard: Il y aurait des négociations et un consensus serait requis, mais il serait difficile pour le gouvernement fédéral de prendre des initiatives. Ce que je trouve paradoxal, c'est que ce projet de loi, qui est déposé par le gouvernement au nom du Canada, limitera la marge de manoeuvre des gouvernements futurs pour ce qui est des résolutions nouvelles et innovatrices qu'ils pourront proposer ou présenter à la Chambre des communes.

Le sénateur Carney: Ma dernière question, qui, je crois, illustre certaines des inquiétudes que suscite ce projet de loi, porte sur le fait que cette mesure, d'après vous, modifierait en profondeur le processus de modification de la Constitution. S'il est vrai que ce projet de loi modifie notre Constitution, nous nous trouvons dans une situation où le gouvernement s'attaque en fait à notre propre Constitution. Vous dites qu'il ne sera peut-être pas contesté devant les tribunaux. Donc, la question principale qu'il convient de se poser est la suivante: qui défendra les intérêts du pays si le gouvernement lui-même attaque la Constitution?

M. Heard: Vous soulevez plusieurs points, sénateur. Le projet de loi pourrait, par exemple, être contesté par un des gouvernements territoriaux. Ils sont très choqués de voir que la création de nouvelles provinces serait assujettie à ce processus. Ils ne partagent pas les mêmes inquiétudes que l'Alberta et la Colombie-Britannique pour ce qui est des répercussions qu'entraînerait toute contestation judiciaire du projet de loi. Il pourrait donc y avoir contestation de la part des territoires.

Le sénateur Carney: J'ai déjà habité dans cette région du pays et je dois dire qu'on rêve en couleur si l'on croit que le Yukon, le Nunavut ou les Territoires du Nord-Ouest vont se porter à la défense du pays.

M. Heard: Ils ont déjà contesté des initiatives fédérales dans le passé, et je suis sûr qu'ils le feront à l'avenir si un projet porte atteinte aux intérêts des territoires.

Pour ce qui est des mesures prises pour trouver une solution au problème d'unité nationale, je trouve inquiétant que le gouvernement fasse de la légalité du projet sécessionniste du gouvernement québécois un sujet de controverse.

Le sénateur Carney: Je ne parle pas de cela. Je parle du fait que le gouvernement attaque sa propre Constitution par le biais de ce projet de loi. Ce point a déjà été soulevé lors des audiences qu'a présidées le sénateur Beaudoin. Des hauts fonctionnaires, y compris l'ancien greffier du Conseil privé, ont exhorté le comité à outrepasser la Constitution.

Vous vous en souvenez, sénateur Beaudoin.

Si ce projet de loi constitue un moyen de contourner, d'outrepasser ou d'attaquer notre propre Constitution, qui défendra les Canadiens contre ce geste inconstitutionnel si les tribunaux ne se chargent pas de le faire? Qui défendra le pays si ce projet de loi est adopté?

M. Heard: Il y a diverses façons d'amener les tribunaux à se pencher sur ce projet de loi, que ce soit par le biais de contestations de la part de citoyens, de partis politiques provinciaux, ainsi de suite. On peut contester ce projet de loi de diverses manières. Il est donc possible que les tribunaux se penchent sur cette question. Le gouvernement adopte une approche constitutionnelle pour le moins douteuse, à un moment où le pays est confronté à une crise nationale, lorsqu'il remet en question la légalité des mesures prises par le gouvernement du Québec.

Le sénateur Carney: Ce que vous dites, en fait, c'est que ce projet de loi ne fait qu'aggraver le problème d'unité nationale.

M. Heard: Oui.

Le sénateur Marchand: Le sénateur St. Germain a posé une des questions que je voulais poser. Vous avez parlé, dans votre exposé, du processus et du fait qu'il n'y a pas eu de consultations, sinon très peu, avant que le projet de loi ne soit rédigé. Toute cette question est importante. Dans le cas de l'Accord de Charlottetown, c'est en raison du processus utilisé et de la teneur de l'accord que ce projet a été rejeté par les peuples autochtones. Je ne veux pas m'aventurer plus loin sur ce terrain. C'était en tout cas la raison chez les peuples autochtones de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Murray: Leurs dirigeants réclamaient un accord comme celui de Charlottetown la semaine dernière.

Le sénateur Marchand: Les dirigeants avaient perdu le contact avec la base.

Le sénateur Murray: Semble-t-il.

Le sénateur Marchand: D'abord, la base ne connaissait pas la teneur de l'accord. Ce n'était pas à cause de ce que proposait Ovide Mercredi. Les dirigeants ont fait du très bon travail, mais le peuple lui-même ne savait pas ce qui se passait. C'était une des causes de l'échec de l'Accord de Charlottetown. Certains des aspects de l'accord ne plaisaient pas non plus aux autres Canadiens.

Je voudrais maintenant vous parler du processus. On a abordé, dans certains articles, la question de l'assemblée constituante. Plusieurs observateurs en Colombie-Britannique en ont également parlé. Pouvez-vous nous décrire ce processus, nous dire ce qu'est une assemblée constituante?

M. Heard: Vous soulevez un point fort intéressant et important au sujet des problèmes que pose le renouveau constitutionnel. Nous sommes arrivés au Canada à un stade où, pour diverses raisons, les politiques soulèvent la méfiance d'un grand nombre d'électeurs. Le processus auquel vous faites allusion, soit celui où les dirigeants politiques négocient derrière des portes closes, est perçu avec scepticisme par de nombreuses personnes.

En ce qui concerne les rapports entre les dirigeants autochtones et la base, les autres dirigeants politiques qui étaient assis autour de la table étaient confrontés au même problème. Nous l'avons vu lors du référendum. Chaque fois que je m'adressais à des groupes, je notais chez le public une profonde méconnaissance de la teneur de l'accord, du contexte dans lequel il avait été négocié.

Nous sommes confrontés à un problème lorsque, par nécessité, les négociations sont menées par des instances qui connaissent bien le contexte, ainsi de suite. Le contenu négocié est ensuite soumis à l'électorat ou à la population en général, qui se trouve désavantagée dans une certaine mesure puisqu'elle ne connaît pas bien le contexte ou la teneur de l'accord.

Un autre problème se pose lorsqu'on dissocie certains éléments de l'ensemble du contenu. Des analyses intéressantes ont été faites par certains politicologues au sujet de l'échec de l'Accord de Charlottetown, des analyses qui montrent que la plupart des éléments de l'accord bénéficiaient en fait de l'appui de la majorité de la population. Toutefois, la méfiance du public à l'égard de certains aspects particuliers de l'accord a amené celui-ci à voter contre le projet lors du référendum. Il est dangereux de soumettre un accord à un référendum parce que le peuple risque de le rejeter s'il y a un élément de celui-ci qui ne lui plaît pas.

Plusieurs ont suggéré qu'on abandonne ce processus et qu'on le remplace par une tribune de citoyens, une assemblée constituante, ainsi de suite. Cela ne changerait pas grand-chose à la situation, sauf que la table serait plus grande et qu'il y aurait plus de participants. Peu importe la formule qu'on adopte, il y aura toujours un petit groupe de personnes qui dirigera le dossier. Ce groupe sera peut-être composé de personnes différentes qui ont une compréhension légèrement différente du processus politique et du contexte dans lequel les questions sont débattues. On se retrouvera donc avec un accord différent.

Toutefois, on sera confronté au même problème - c'est-à-dire un référendum qui porte sur un accord dont la teneur n'a pas été suffisamment bien expliquée à l'électorat et dont le contexte dans lequel il a été négocié n'est pas suffisamment bien compris.

Toutefois, le public pourrait être plus enclin à adopter un accord parce qu'il n'a pas été élaboré par des politiciens. Il pourrait être plus porté à croire que cet accord est bon parce qu'il n'a pas été négocié par les premiers ministres. À mon avis, ce ne serait pas une bonne chose pour le système politique si la population se montrait favorable à un accord tout simplement parce qu'il n'a pas été négocié par les représentants élus.

Cette réponse est très longue, mais il est important d'envisager la possibilité de passer d'un débat politique à un débat populaire. La table est plus grande et les voix sont plus nombreuses, mais il reste qu'il faut faire approuver cet accord par la population.

Le sénateur Marchand: Merci pour cette réponse. Nous devrons l'examiner de près. En tant qu'observateur parlementaire, j'estime que le gouvernement précédent a travaillé très fort pour consulter le peuple. Il y a eu la commission Spicer et tout le reste, mais, de toute évidence, quelque chose manquait. Ils ont travaillé très fort pour arriver à un accord. Il y a eu beaucoup de consultations, mais, malgré cela, l'accord a été rejeté. Je sais, pour avoir parlé à des centaines d'autochtones, que ces derniers ne savaient pas ce que contenait l'accord. Ils ne savaient pas ce sur quoi ils devaient se prononcer.

En tant que résident de la Colombie-Britannique et universitaire - et vous vous aventurez dans l'arène politique avec certains de vos commentaires -, vous savez à quel point il a été difficile de garder le pays uni et de régler le soi-disant problème québécois au fil des ans. J'ai tendance à croire que la Colombie-Britannique est de plus en plus en mesure de comprendre les problèmes du Québec auxquels nous devons nous attaquer. Je me trompe peut-être, mais j'estime que nous avons fait beaucoup de progrès au cours des 25 dernières années et que nous comprenons mieux le dossier.

La semaine dernière, nous avons entendu un excellent exposé de la part de Peter White. J'espère être en mesure de traduire correctement sa pensée. Il a laissé entendre que le droit de veto et la notion de société distincte visent en fait à permettre au Québec de se protéger en tant que groupe minoritaire, en tant que petit groupe naviguant dans une mer anglophone, si vous le voulez, ou dans un domaine où ils doivent protéger leur identité et leurs droits.

En tant qu'autochtone, je crois que nous pourrions faire inscrire dans la Constitution le droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale sans que personne ne s'en formalise. Or, ce n'est pas le cas, mais les choses devraient se passer ainsi. Dans les faits, nous sommes peu nombreux. Nous ne voulons pas diriger le ministère des Affaires étrangères, de la Défense nationale ou les militaires. Nous sommes un petit groupe de personnes et nous essayons par tous les moyens de protéger notre identité, nos valeurs culturelles, ainsi de suite.

Que pensez-vous de l'idée d'inscrire dans la Constitution la notion de société distincte et l'octroi d'un droit de veto pour le Québec, mais en y ajoutant des définitions adéquates? Nous pourrions ensuite dire aux habitants de la Colombie-Britannique et à l'ensemble des Canadiens: «C'est tout ce qu'ils cherchent à obtenir, et il n'y a rien à craindre. C'est quelque chose qu'ils cherchent à réaliser pour eux-mêmes. Ils représentent un petit groupe minoritaire au sein d'une majorité plus vaste».

M. Heard: J'ai toujours été en faveur de l'idée d'inscrire la notion de société distincte dans la Constitution. Il s'agit d'un geste symbolique qui s'impose. Je n'ai jamais bien compris pourquoi cette expression ou l'idée de l'inscrire dans la Constitution soulevait tant d'animosité. Je crois comprendre qu'on pourrait s'en servir pour interpréter divers articles de la Constitution, mais cela n'aurait rien de bien dramatique. Il est très important qu'on le fasse.

Comme toujours en politique, tout est dans la perspective adoptée. C'est là le problème. Lorsque l'opinion perçoit ce geste comme un énorme changement à la Constitution, il le devient. Comme vous le dites, il s'agit de convaincre la population à l'extérieur du Québec qu'il s'agit d'une reconnaissance nécessaire et importante d'un fait et que son inscription dans la Constitution ne modifiera pas de façon radicale le fondement juridique de la Constitution.

Le sénateur Murray: J'aimerais poser au professeur Heard une question que j'ai posée à la plupart des autres témoins qui ont comparu devant nous.

Comme vous le savez, ce projet de loi découle d'un engagement pris par le premier ministre Chrétien envers les Québécois lors de la campagne référendaire de l'automne dernier, selon lequel le gouvernement fédéral n'apportera aucune modification constitutionnelle susceptible d'avoir une incidence sur les intérêts du Québec sans le consentement du Québec. M. Chrétien sait que l'Assemblée nationale du Québec n'a jamais accordé son consentement à la Loi constitutionnelle de 1982 et qu'elle craint en particulier la procédure de modification prévoyant l'accord de sept provinces et de 50 p. 100 de la population pour modifier la Constitution contre ses voeux dans des domaines qui touchent le Québec. Compte tenu de ces circonstances et de ce que vous savez de l'histoire et du caractère de ce pays, pensez-vous que l'engagement pris par le premier ministre envers le Québec était approprié?

M. Heard: Je suis d'accord avec l'essentiel de ce qu'il a cherché à communiquer.

Le sénateur Murray: Je n'essaie pas de vous faire dire que vous appuyez le projet de loi. Moi non plus, je n'aime pas ce projet de loi.

M. Heard: Vous me demandez ce que je pense de la politique consistant à offrir un veto au Québec.

Le sénateur Murray: C'est exact.

M. Heard: J'ai été étonné par la décision de la Cour suprême selon laquelle le Québec n'avait pas de veto.

Le sénateur Murray: Tout comme bien d'autres gens.

M. Heard: J'ai trouvé que c'était une réponse incroyablement imaginative. Je ne connais personne dans les milieux universitaires qui pense que c'est ainsi que les choses se sont passées.

Cela faisait toutefois partie d'une situation prévoyant l'unanimité en matière de modifications constitutionnelles. Il est difficile de songer à un exemple avant 1982 mettant en jeu des pouvoirs ou des intérêts provinciaux dans le cadre d'une modification n'ayant pas fait l'objet d'un consentement unanime. On tenait particulièrement à obtenir le consentement du Québec. Lorsque le Québec a hésité, cela a provoqué une grande hésitation de la part des autres provinces.

Le sénateur Murray: Ils ont enfreint la tradition d'unanimité, puis l'ont imposée à nouveau.

M. Heard: Oui.

Le sénateur Murray: En tant que question de principe, cela était-il approprié à votre avis?

M. Heard: En tant que question de principe général, je pense que c'était assez valable. Je suis en fait assez partisan d'une formule de veto régional si elle s'inscrit dans le cadre de la procédure générale de modification. Là toutefois où elle pose problème, c'est lorsque qu'elle fait partie de tout un tas de processus. Si le Québec obtient un droit de veto, l'Ontario à son tour voudra un veto, puis la Colombie-Britannique et ainsi de suite. C'est là le problème que pose le fait de passer à un système de veto régional. On se retrouve avec un grand nombre de provinces qui ont un veto et un système à deux niveaux.

Le sénateur Murray: Dans la pratique, comme nous l'ont appris la lecture de ce projet de loi et les propos du ministre de la Justice et d'autres témoins, le Québec et toutes les autres provinces ont un veto négatif en ce sens qu'ils ont la faculté de ne pas être d'accord avec toute modification qui déroge à leurs pouvoirs et ainsi de suite. Les provinces possèdent un droit de veto en vertu de l'article 43, pour les questions qui ne touchent qu'elles et un veto pour les questions prévues à l'article 41, l'unanimité. Essentiellement, il s'agit de déterminer s'il est possible de retirer au Québec des sièges au Sénat ou à la Cour suprême sans son consentement ou de créer de nouvelles provinces ayant un rôle dans le cadre de la procédure de modification sans le consentement du Québec, sans le consentement de tous les intervenants.

Le premier ministre aurait pu remplir cet engagement simplement en déposant une déclaration de principes à la Chambre des communes. Cela n'aurait pas été inconstitutionnel.

M. Heard: Non, effectivement.

Le sénateur Murray: Il aurait pu nous demander d'adopter une résolution reflétant l'opinion de la Chambre, comme nous l'avons fait avec la résolution concernant la société distincte. Cela n'aurait pas été inconstitutionnel.

M. Heard: Non.

Le sénateur Murray: Un projet de loi qui imposerait cette restriction aux ministres uniquement en ce qui concerne le consentement du Québec pourrait-il être inconstitutionnel comme l'est, selon vous, le projet de loi C-110?

M. Heard: Ou il est inconstitutionnel, ou il ne l'est pas. Le changement qui serait apporté au processus actuel serait moindre. En ce qui concerne l'incompatibilité du nouveau processus avec le processus existant, elle serait moins prononcée. Cela n'en resterait pas moins un changement important.

Le sénateur Murray: On aurait plus de chance qu'il soit accepté par les tribunaux.

M. Heard: Oui. On pourrait soutenir qu'il s'agissait d'une manière traditionnelle d'aborder les négociations constitutionnelles au Canada et qu'essentiellement, selon la procédure de modification 7-50, il était difficile d'apporter des modifications importantes sans le consentement du Québec de toute manière.

Le sénateur Murray: Merci.

Le sénateur Carney: Ma question fait suite aux propos du sénateur Marchand, lorsqu'il s'est demandé qui se soucierait que l'autonomie gouvernementale soit ajoutée à la Constitution.

Je crois comprendre que l'un des témoins qui n'a pu comparaître devant nous était Alan Cairns, de l'Université de la Colombie-Britannique. Dans la présentation qu'il a donnée au comité Beaudoin-Edwards, il a indiqué que l'entrée en vigueur de la Charte avait donné lieu à l'émergence de toute une série de groupes comme les autochtones, la société distincte, les femmes ou les groupes multiculturels, qui ne s'intéressent qu'aux dispositions de la Constitution qui les concernent. La question qu'il nous a posée clairement à l'époque était la suivante: si tous ces groupes d'intérêts spéciaux ne s'intéressent qu'aux aspects de la Constitution qui les touchent, que devient alors la vision d'un pays? Que devient la vision des Canadiens?

Partagez-vous cette préoccupation à savoir, qu'en fragmentant le Canada en ces groupes spéciaux et maintenant en régions ou en provinces spéciales, nous fragmenterons en fait le pays même? Après tout, une Constitution n'est pas une fin en soi, mais une loi qui permet à un pays de se gouverner selon une formule de coopération.

M. Heard: Je partage effectivement cette préoccupation. Essentiellement, la cohésion d'un système fédéral s'appuie plus ou moins sur le maintien d'un sentiment de loyauté nationale, ainsi que sur l'identité de ces divers groupes ou segments. La Charte a contribué à certains égards à donner un sentiment d'identité à certains groupes et d'autres mesures politiques générales ont eu le même effet. Parfois, cela se fait aux dépens de l'identité nationale.

Le sénateur Carney: Maintenant, c'est l'identité régionale qui est touchée.

M. Heard: L'identité régionale aussi. Ce sentiment d'identité des sous-groupes ne compromet pas forcément leur loyauté nationale, mais cela devient un risque lorsque les sous-groupes estiment que l'identité nationale les exclut. Ils seront alors portés à réclamer une participation accrue parce qu'ils estiment que s'ils ne sont pas visibles dans le processus, ils en sont exclus. Leur sentiment de citoyenneté s'effritera. À la longue, c'est une situation qui risque de devenir dangereuse dans un système fédéral.

Le sénateur Carney: Je crains, monsieur le président, que ce projet de loi ait précisément ce genre de conséquences: Toute cette notion de veto régionaux sape le sentiment d'appartenance à une confédération. Le témoin a bien répondu à ma question.

Le sénateur MacEachen: J'aimerais décrire un scénario possible qui pourrait se produire en vertu de ce projet de loi. Vous voudrez bien m'indiquer si j'ai mal interprété la situation.

Dans mon exemple, je me servirai de la Colombie-Britannique, parce que vous venez de cette province et que vous avez indiqué que le gouvernement et les partis de l'opposition semblent avoir de la difficulté à faire des compromis fondamentaux à l'égard du Québec. Si j'ai bien interprété la situation, permettez-moi alors de vous présenter ce scénario. Je m'inspirerai des commentaires faits par d'autres membres du comité et par vous-même à propos de la constitutionnalisation de la notion de société distincte.

Supposons que le gouvernement du Canada et les provinces tiennent une série de réunions sur ce sujet. Supposons que seul le gouvernement de la Colombie-Britannique, à ces réunions, refuse d'exprimer une intention de présenter une résolution législative pour apporter le changement nécessaire. Nous n'aurions donc pas réussi à obtenir que le gouvernement de la Colombie-Britannique indique son intention. Est-ce que tout s'arrête à ce moment-là? Quelles sont les possibilités qui existent à ce stade?

Le gouvernement du Canada ne peut même pas présenter une résolution à la Chambre des communes sans le consentement de la Colombie-Britannique. Cependant, le projet de loi est suffisamment général pour permettre au gouvernement fédéral d'obtenir de la province récalcitrante - dans cet exemple, la Colombie- Britannique - qu'elle consente à présenter la résolution à la Chambre des communes.

Si la population de la Colombie-Britannique refuse de donner son consentement, bien entendu il est impossible de présenter la résolution. Si toutefois la population de la Colombie-Britannique donne son consentement, alors le gouvernement fédéral pourrait présenter la résolution en vertu du projet de loi C-110. Il s'agit toutefois d'une mesure politique n'ayant aucune répercussion sur le plan constitutionnel, étant donné qu'aucun changement constitutionnel n'est possible sans une résolution législative.

On pourrait se demander qu'elle en est l'avantage? On pourrait partir du principe qu'en ce qui concerne le Québec, si la population de la Colombie-Britannique donnait son consentement, ce serait un puissant symbole de réconciliation, même s'il n'avait aucune conséquence sur le plan constitutionnel.

Si la population de la Colombie-Britannique dit oui mais que le gouvernement dit non, quelles en seraient les conséquences sur le plan politique dans la province? Nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses. Le gouvernement de la Colombie-Britannique pourrait peut-être tenir compte du consentement donné par la population et accepter de présenter une résolution, ou le gouvernement provincial pourrait rester sur ses positions et laisser la question se régler dans l'arène politique de la Colombie- Britannique.

Qui sait ce qui pourrait se passer? Même si le gouvernement du Canada avait présenté sa résolution et même si elle avait été acceptée par la population de la Colombie-Britannique, en vertu de la Constitution du Canada, la constitutionnalisation de la notion de société distincte ne pourrait avoir lieu sans le consentement de l'assemblée législative de la Colombie-Britannique.

Voilà le scénario que je viens de båtir. Selon moi, cela est entièrement incompatible avec le projet de loi et la partie V de la Constitution.

Je considère que le projet de loi C-110 peut influer sur la situation politique dans diverses provinces. Prenons par exemple l'impasse dans laquelle s'est trouvée Terre-Neuve au sujet de l'Accord du lac Meech lorsque le gouvernement s'est montré inflexible. Que se serait-il passé si le gouvernement du Canada avait eu la possibilité de présenter la chose à la population de Terre-Neuve? Je l'ignore. Il aurait été intéressant de voir si la population aurait répondu: «Oui, nous considérons qu'il s'agit d'une question importante.» Cela aurait certainement eu des répercussions sur le processus politique à Terre-Neuve.

J'estime, d'après les témoignages que j'ai entendus, que tout cela serait possible sur le plan technique. Il faudrait toutefois une décision politique dans l'ensemble du pays pour que cela soit réalisable.

Je ne désapprouve pas cette disposition qui nous permet de faire avancer le processus un peu plus gråce à un recours prudent à la consultation populaire.

Le sénateur Carney: Est-ce une question, sénateur?

Le sénateur MacEachen: Oui. Je veux savoir si le témoin est d'avis que les dispositions de ce projet de loi ou de la Constitution du Canada interdisent le recours aux mesures que je viens de proposer.

Le sénateur Carney: Voudriez-vous lui répéter la question?

M. Heard: Je crains avoir oublié certaines des mesures décrites.

Le problème, c'est qu'indépendamment du fait que le projet de loi C-110 soit adopté ou non, le gouvernement du Canada conserve la faculté de tenir des référendums, que ce soit à l'échelle provinciale ou nationale, sur une question à laquelle s'oppose un gouvernement provincial. Cela pourrait faire changer d'avis le gouvernement. Comme vous l'avez dit, le gouvernement fédéral aurait pu tenir un référendum sur l'Accord du lac Meech à cette époque, mais il a décidé de ne pas le faire.

C'est une question de volonté politique. On se demande si la notion de «société distincte» doit effectivement faire l'objet d'un consentement unanime en vertu de la procédure actuelle. Je n'en suis pas convaincu. Il est possible de faire reconnaître le statut de société distincte selon la procédure de modification 7-50.

Le sénateur Murray: Je ne crois pas que nous ayons jamais dit le contraire.

M. Heard: Je sais que c'était la position du gouvernement.

Le sénateur Murray: On pourrait soutenir qu'une telle chose serait possible en vertu de l'article 43.

M. Heard: C'est une autre possibilité. Certains prétendent que la mention du français soulevait la question de la langue dans l'ensemble du Canada et faisait donc intervenir l'article 41.

En ce qui concerne les scénarios décrits par le sénateur MacEachen, il reste à savoir si le projet de loi C-110 modifierait les mesures qui seraient prises. En ce qui concerne la société distincte, il faudrait tenir un référendum provincial en Colombie-Britannique pour obtenir le consentement de la Colombie- Britannique, alors qu'à l'heure actuelle, cela n'est pas nécessaire puisqu'on n'a pas besoin du consentement de la Colombie- Britannique pour inclure la notion de société distincte dans la Constitution. C'est l'une des raisons pour laquelle je considère que le projet de loi est effectivement un obstacle au renouvellement constitutionnel.

Le sénateur MacEachen: Rien de ce qui a été dit ne modifie la probabilité du scénario que j'ai décrit.

Le sénateur Beaudoin: Je pense que c'est s'aventurer sur un terrain dangereux parce que l'Accord du lac Meech était une résolution globale qui exigeait l'unanimité. Le projet de loi C-110 ne s'appliquerait pas dans le cas de l'article 41 et de l'unanimité. Ce raisonnement est complètement faux.

Supposons que nous laissions le projet de loi tel quel et que l'assemblée législative de la Colombie-Britannique ou l'Assemblée nationale du Québec disent non. Le gouvernement fédéral peut alors décider de passer outre à la décision de l'Assemblée nationale et de consulter la population du Québec et de la Colombie-Britannique. Dans une fédération, il est étrange d'avoir une procédure de modification et un veto législatif qui permettent de court-circuiter l'autorité d'une province.

À mon avis, nous avons trop de référendums dans ce pays. Je ne dis pas cela dans le cas du Québec. Je ne peux pas imaginer le Québec déclarer son indépendance sans tenir au moins un référendum. Cependant, comme le sénateur Carstairs l'a indiqué, nous avons des référendums dans certaines provinces qui peuvent empêcher l'Assemblée nationale d'envisager de donner son consentement. À mon avis, c'est aller très loin et je doute très sérieusement de la constitutionnalité de ces mesures référendaires. Comment une province peut-elle dire: «Si vous voulez donner votre consentement ou opposer votre veto, vous ne pouvez le faire qu'au moyen d'un référendum»? Si, dans le cadre du référendum, la population indique être contre une telle conclusion, à mon avis, cela est clairement inconstitutionnel. Je ne vois pas comment cela peut être constitutionnel.

Je propose que nous restions fidèles à la Constitution et que si nous voulons la changer, nous procédions au moyen d'une modification constitutionnelle.

Le président: Au nom du comité, je tiens à remercier le professeur Heard d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Gordon Gibson. Bienvenue, monsieur Gibson. Vous avez la parole.

M. Gordon Gibson: Merci, monsieur le président. J'ai préparé des remarques exhaustives que je mettrai à la disposition des membres du comité, si vous le désirez. Je ne les lirai pas textuellement. J'aimerais plutôt résumer mes observations qui porteront sur quatre points.

J'aborderai d'abord la possibilité que présente ce projet de loi, puis je traiterai de la place des régions dans une fédération et de la procédure de modification. Troisièmement, j'indiquerai ce que je considère être comme un contrepoids nécessaire au projet de loi C-110, ou une variante de ce dernier, si vous décidez de l'adopter. Enfin, je terminerai par une série de conclusions.

Tout d'abord, en ce qui concerne la possibilité que présente ce projet de loi, le sénateur Beaudoin et d'autres personnes ont mentionné avril 1997, date qui marquera bien sûr un moment très important pour ce pays, à savoir la tenue d'une conférence fédérale-provinciale, une conférence des premiers ministres, qui servira à examiner la teneur même de ce projet de loi, notamment la procédure de modification. Les travaux actuels de ce comité pourraient bien être l'unique occasion d'examiner ces questions à tête reposée, en l'absence d'une période de crise.

Les 12 prochains mois pourraient bien représenter la dernière chance qui s'offre au Canada. La procédure de modification sera centrale à ce débat et il me semble donc qu'il est nécessaire de donner des conseils globaux au gouvernement du Canada, de lui faire part d'observations générales afin de venir en aide aux Canadiens. J'ose espérer que le rapport de ce comité donnera ce genre de conseils. Plutôt que de simplement s'attarder sur les subtilités du projet de loi C-110, j'espère que votre rapport traitera du vaste principe qu'il représente.

Mon deuxième commentaire a trait au projet de loi C-110, lequel prévoit l'introduction du concept des régions dans le processus de modification de notre loi fondamentale. Dans son exposé au comité, le ministre Rock a apporté deux justifications au projet de loi: la première représente ce qu'il a appelé l'engagement du premier ministre, et la deuxième, ce qu'il a décrit comme étant la nécessité d'un vaste consensus pour toute modification constitutionnelle.

À propos de ces deux observations, l'engagement d'un premier ministre est, bien sûr, important, mais je ne crois pas que cela garantisse automatiquement une action de la part du Parlement et je suppose que le comité partage cet avis.

La question du vaste consensus est beaucoup plus fondamentale et je crois qu'elle représente un principe fort valable pour ce qui est du processus de modification de la loi fondamentale d'un pays, surtout lorsqu'il s'agit d'un pays composé de nombreux éléments disparates, comme le Canada. Je dirais que la question qui se pose n'est pas celle du principe d'un vaste consensus, mais plutôt celle qui consiste à savoir comment évaluer ce vaste consensus. Quelles balises faudrait-il prévoir?

On peut parler également de la nature des collectivités politiques. Je ne vais pas m'étendre ici sur ce sujet, mais dans mon mémoire, je parle de l'importance croissante des collectivités au Canada. Je veux parler des syndicats, des autochtones, des groupes linguistiques, et cetera. Toutes ces collectivités sont devenues un élément fort important de notre réalité politique et il me semble que notre Constitution devrait pouvoir s'adapter à ce changement. À cet égard, le projet de loi C-110 est une réponse à l'un des grands courants de l'histoire, à savoir que les collectivités au sein des fédérations insistent pour avoir voix au chapitre, voix qui ne se contentera pas d'être entendue, mais qui témoignera de leur pouvoir.

Il me semble que la nature de la fédération canadienne est la question essentielle qui se pose ici. S'agit-il, à toutes fins pratiques, d'un ensemble qui se tient ou d'une union? S'agit-il, au plan commercial, d'une coentreprise ou d'une fusion? Il s'agit de savoir si les parties à l'entente ont une personnalité indépendante qui leur permet de prendre des mesures indépendantes; tel est le facteur qui établit une distinction entre ces deux genres d'organisations.

À titre d'exemple type, prenons l'Union européenne qui, de toute évidence, est un ensemble d'où peut se retirer n'importe laquelle des parties à n'importe quel moment. Les États-Unis sont une union même si, à leurs débuts, ils ressemblaient davantage à un ensemble. Le premier congrès à l'échelle du continent a échoué. La deuxième Constitution des États-Unis a consolidé l'union, qui s'est finalement raffermie après la guerre civile fort sanglante des années 1860.

Ce qui est vraiment curieux à propos du Canada, c'est que, même si brièvement après la fédération, certains mouvements séparatistes sont apparus, notamment en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique, la théorie de l'union ou de la fusion de notre pays a semblé parfaitement naturelle tout au long du 20ème siècle et jusqu'à il y a environ une génération. Pourtant, ce n'est plus le cas actuellement, au Québec, sans contredit, et peut-être même dans des régions de l'Ouest.

Quels sont les processus pertinents de prise de décisions au sein d'un ensemble ou d'une union, d'une coentreprise ou d'une fusion? En ce qui concerne la coentreprise dans un ensemble, il ne fait aucun doute qu'un droit de veto accordé à chaque entité est la solution à retenir. Comme les parties ont une personnalité indépendante, elles peuvent se retirer de l'entente. Tel en est le concept sous-jacent, et c'est d'ailleurs une caractéristique commune à pareilles ententes, qu'il s'agisse d'ententes commerciales ou d'ententes portant sur des associations ou des traités internationaux.

Par contre, si une association ou un pays fonctionnent en mode union - c'est-à-dire en mode fusion -, l'option de retrait n'existe pas. Le fait que les partenaires d'origine perdent leur identité sert habituellement de garantie. Les décisions ne sont pas prises en fonction de chaque entité; elles sont prises selon le principe de la majorité ou des super-majorités, ce qui n'empêche pas de faire le compte des majorités par unité géographique, comme c'est le cas des provinces du Canada ou des États des États-Unis, où toute modification nécessite le consentement de trois quarts des États.

Jusqu'à tout récemment, ce concept de modification de notre Constitution en fonction des règles de l'union ou de la fusion était la théorie applicable au Canada. Toutefois, les choses ont changé. Les entités d'origine se réinventent. Le Québec a été à l'avant-garde, mais d'autres régions découvrent progressivement leur identité et les autochtones revendiquent un statut d'entité distincte. Cela s'inscrit dans le cadre du concept de la société distincte.

À mon avis, ce comité sénatorial doit répondre à l'unique question qui se pose: cette tendance vers un Canada qui serait un ensemble ou une coentreprise est-elle saine? Si oui, jusqu'où va-t-elle? S'il faut la valider, l'approbation s'arrête-t-elle au Québec, à la C.-B., à la collectivité de l'Alberta, aux Indiens, où? Lorsque vous aurez répondu à cette question, vous saurez comment donner suite au projet de loi C-110.

Si vous croyez à la théorie de l'ensemble - c'est-à-dire, tel qu'il applique au territoire, la question de la race et de l'origine autochtone n'entre pas en jeu dans ce cas-là, directement à tout le moins -, vous vous apercevrez que la logique du projet de loi C-110 est convaincante.

Il faut reconnaître que le projet de loi C-110 est un revirement historique du point de vue du Parti libéral fédéral par rapport à la logique de Trudeau de 1982. Toutefois, les temps changent, de même que les idées du gouvernement actuel. Par contre, si vous pensez que le Canada est une union ou une fusion indissoluble, le projet de loi C-110 devrait vous paraître comme un pas important dans la direction opposée.

Le ministre de Colombie-Britannique qui a comparu devant vous vous a fait part du point de vue du gouvernement de ma province. Dans un certain sens, ce qu'il vous a dit est étrange car, politiquement parlant, nous avons toujours exigé d'avoir le statut de région. C'est intéressant, car les intérêts politiques de la Colombie-Britannique trouveraient qu'il est utile que nous soyons considérés comme une région à l'heure actuelle. Au moment des nouvelles négociations constitutionnelles, qui vont probablement avoir lieu, cela nous donnerait plus de poids. Toutefois, je ne sais pas vraiment si le ministre Petter a évalué correctement la politique actuelle de la province.

Il existe une meilleure façon de parvenir au vaste consensus que recherche le ministre Rock, différente du projet de loi C-110, qui accorde des droits de veto à des régions particulières. J'attirerais votre attention sur la possibilité de modifier le mode de révision 7-50. La solution que je vous propose comporte deux volets: le premier consisterait à modifier le mode de révision 7-50 à un mode de révision 7-80; le deuxième, qui est un élément nécessaire, est une procédure de modification de la Constitution complémentaire, fondée sur l'apport des citoyens.

Pour ce qui est de la solution des 80 p. 100, une telle exigence donne un droit de veto à l'Ontario et au Québec - à l'Ontario, probablement pour toujours; au Québec, pour l'avenir prévisible, puisque les démographes les plus pessimistes n'envisagent pas une baisse démographique en dessous de 20 p. 100. Le seuil des 80 p. 100 donnerait de facto un droit de veto à la Colombie- Britannique et à l'Alberta réunies. Ces deux provinces représentent plus de 20 p. 100 de la population et, compte tenu de la croissance démographique de la Colombie-Britannique, cela donnerait éventuellement un droit de veto à la Colombie- Britannique. Vous pouvez dire que cela revient au même, mais je ne le crois pas, car l'optique est totalement différente. Le vaste consensus reflète ici l'apport de Canadiens qui vivent à l'intérieur de certaines régions, et il ne s'agit pas alors d'identifier les régions par provinces. C'est important.

Il se pose alors la question pratique suivante - elle a été posée plus tôt aujourd'hui: qui représente les 20 p. 100? L'hypothèse du sénateur MacEachen concernant la province de la Colombie- Britannique est fascinante. Dans ce cas particulier, il n'y aurait pas de problème, puisque la Colombie-Britannique aurait tenu son propre référendum avant de décider si elle dépose ou non une motion de résolution, mais ce problème pourrait se poser ailleurs.

Je recommande au comité ce que je crois être le sage conseil que vous a donné Claude Ryan la semaine dernière. Il vous a dit qu'à son avis, le projet de loi comportait une lacune à cet égard et que la voie d'expression légitime d'un sentiment provincial était l'assemblée législative. Cela empêcherait le gouvernement fédéral de contourner l'autorité d'une assemblée législative provinciale et de tenir un référendum dans une province en particulier. D'autre part, comme j'estime que nous devrions disposer d'une avenue faisant appel aux citoyens de toute façon, nous pourrions avoir ce référendum autrement.

Pour le sujet qui nous intéresse, je m'inquiète beaucoup plus de la symétrie des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement. Si vous offrez au gouvernement central la possibilité de tenir un référendum, mais ne faites pas de même pour les provinces, en permettant au premier de tenir un référendum dans une province au Canada, alors qu'aucune province ne peut tenir un référendum national, que vous modifiez dangereusement l'équilibre des forces.

Dans mes remarques, j'ai insisté assez longuement sur le concept de l'égalité des provinces, ce que je ne ferai pas ici à moins qu'on me pose des questions à ce sujet. Cette question, et ce que j'estime particulièrement être le faux-fuyant du statut spécial, est ennuyeuse dans le cadre du dialogue constitutionnel actuel. La crainte largement répandue en Colombie-Britannique en ce qui a trait à la société distincte est habituellement associée à celle qui porte sur ces deux autres mots, en l'occurrence «statut spécial».

Il se peut que les problèmes que posent des mots comme ceux-ci ne puissent être vraiment attribués à leur nature non limitative. Vous pouvez prendre l'expression «société distincte» ou la phrase «troisième ordre de gouvernement» et propulser dans ce concept n'importe quel de pouvoirs ou scénarios et vous en inquiéter par la suite. Il me semble que si nous parvenions, en tant que pays, en tant que groupes de gouvernements, à préciser exactement le sens de l'expression «société distincte» ou, en fait, de l'expression «troisième ordre de gouvernement», nous pourrions peut-être obtenir un appui de loin plus grand de la population qu'il a été possible d'imaginer jusqu'à maintenant. Les gens trouvent plus facile d'approuver des choses concrètes plutôt que des propositions abstraites.

Si vous voulez apporter une attention à ma suggestion concernant la règle 7-80, il vous faut alors ajouter un facteur compensatoire. Celui-ci s'impose à deux titres: premièrement, il est déjà extrêmement difficile de modifier la Constitution du Canada. Que vous optiez pour le projet de loi C-110 ou que vous essayiez d'en arriver à un large consensus par l'entremise de la règle 7-50, vous compliquez davantage les choses en matière de modification de notre constitution. Par conséquent, vous voudrez peut-être songer à ajouter une autre avenue qui permettrait d'élargir le champ d'action.

Les constitutions sont là pour les gouvernements. Elles réglementent les rapports entre les gouvernements en matière de partage des pouvoirs par exemple. Fondamentalement, toutefois, les constitutions sont là pour la population. Il est donc tout à fait opportun que, en cherchant une solution en avril 1997, nous tentions d'inclure dans notre Constitution un nouvel article qui sur les droits de la population en matière de révision constitutionnelle.

Les gouvernements détestent foncièrement que soient réglementés leurs rapports avec les citoyens. Les concepts du secteur privé auxquels un grand nombre font une profession de foi factice, comme la concurrence, la transparence, la révélation complète et les règles de comptabilité convenues, sont condamnés par les gouvernements. Les limites imposées aux actions qui sont acceptées avec enthousiasme dans le secteur privé, comme le droit à la propriété privée et le caractère sacré des contrats, l'ont été traditionnellement par les gouvernements au Canada. La raison en est évidente lorsque l'on voit les tentatives déployées de temps à autre par les gouvernements pour annuler des contrats.

Étant donné les conflits considérables auxquels font face les gouvernements lorsqu'ils examinent les constitutions, je dirais qu'il est important de prévoir une soupape de sécurité pour assurer la participation directe des citoyens. On peut faire en sorte qu'il ne soit possible de recourir à cette soupape que dans des cas extrêmes; l'important c'est qu'elle soit en place. Récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a adopté une mesure législative prévoyant la révocation et des initiatives de la part des citoyens. La mesure législative est très difficile à déclencher; les barres sont très hautes. Cependant, elle est au moins en place et c'est une avenue qu'il est possible d'emprunter en désespoir de cause. Je crois que l'on pourrait songer à un mécanisme du même genre en ce qui a trait à la formule de modification de la Constitution de notre pays.

Le projet de loi C-110 part de toute évidence d'une bonne intention. Il part de nobles sentiments, mais il est incomplet. Il est possible de parvenir aux même fins en recourant à d'autres moyens. L'une de ces fins, à coup sûr, doit être de s'adapter aux aspirations du Québec dans ce pays ou, à certains égards, à la nervosité du Québec. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-110 imprime une direction pour avril 1997, c'est-à-dire une nouvelle poussée dans la direction de l'entreprise commune pour le Canada, qui est tout au moins prématurée. Il faut pousser la réflexion.

Vous-mêmes, bien sûr, déciderez du rôle du Sénat dans une situation comme celle-ci. Le dommage créé par ce projet de loi, s'il est adopté, n'est pas irréparable. À mon avis, ce n'est qu'une petite étape de plus dans une erreur de cheminement.

Néanmoins, j'estime qu'il vaudrait la peine de retarder pour l'instant cette mesure législative, en indiquant clairement à la Chambre que si elle veut adopter de nouveau la mesure législative, vous donnerez alors votre assentiment à ses points de vue révisés. Je crois que cela pourrait offrir au gouvernement l'occasion rêvée d'améliorer son travail. Cela pourrait simplement permettre que la mesure législative actuelle meure au feuilleton avec la prorogation du Parlement. Le nouveau ministre des Affaires intergouvernementales qui, de toute évidence, a des points de vue nouveaux et différents dans divers domaines, aurait l'occasion de revoir la situation et de déterminer dans quelle mesure, dans les circonstances, on pourrait y apporter des améliorations. Le gouvernement de la Chambre basse pourrait ou réaffirmer sa stratégie, si on la considère sage, ou faire mieux si cela est possible.

Voilà donc les brèves observations que j'avais à faire, monsieur le président. Je vous serai aussi utile que je le pourrai.

Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur Gibson de vous être déplacé jusqu'ici et de nous avoir fait part de vos points de vue.

Je suis assis ici en espérant que nous pourrons trouver une solution à toute la question de l'unité dans ce pays et que le Canada restera uni. Dans votre argument, vous faites valoir que le pays est soit une union, soit une entreprise commune. Si nous devions accepter cette deuxième option, les Britanno-Colombiens se retrouveraient bien vite comme entités distinctes dans l'entreprise commune, à moins que des changements draconiens soient apportés.

Ma première question porte sur les référendums. Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait avoir à assumer les frais de tout référendum que la province de Colombie-Britannique doit tenir par suite d'une modification constitutionnelle? Comme vous le savez, une initiative obligera la Colombie-Britannique à tenir un référendum, une disposition que prévoit notre mesure législative provinciale.

M. Gibson: Non, je crois que cela devrait incomber à la Colombie-Britannique. Nous pouvons à coup sûr nous le permettre. C'est par choix que nous tiendrions un référendum découlant de notre mesure législative provinciale. Nous devrions donc en assumer le coût.

Le sénateur St. Germain: C'est ce que vous pensez, malgré le fait que certaines autres provinces ont procédé à leur propre consultation populaire lorsqu'ont été tenus des référendums nationaux, et que le gouvernement fédéral a payé pour ces derniers?

M. Gibson: Je suppose que vous faites allusion aux crédits versés à la province de Québec pour le référendum tenu à l'égard de l'Accord de Charlottetown?

Le sénateur St. Germain: Oui.

M. Gibson: Dans ce cas, l'argument était que la province de Québec épargnait de l'argent au gouvernement fédéral en tenant son propre référendum. Personnellement, je n'essaierai pas de juger la décision prise par l'administration de l'époque, qui a voulu éviter ce qui aurait pu être un débat pénible. Je ne crois pas que cela coûte beaucoup plus cher au pays. Le gouvernement fédéral, bien sûr, a payé pour le référendum partout ailleurs; il a finalement payé pour celui du Québec également. Il a peut-être payé quelques dollars de plus, mais je ne crois pas que cela soit une cause du rejet de l'accord.

Le sénateur St. Germain: Je suis d'accord. Vous connaissez le climat politique en Colombie-Britannique. Les gens ont l'impression que l'on fait des choses pour tout le monde mais que l'on ne fait rien pour nous, que nous sommes les payeurs nets du processus et que sais-je encore. C'est la raison pour laquelle je pose la question. Je respecte vos points de vue. Cependant, dans la même veine, il serait négligent de ma part de ne pas vous dire que cela déclencherait selon moi une tempête de protestations dans notre province.

D'après vous, il faut retarder l'adoption du projet de loi. Par contre, si la Chambre des communes insiste, il faut l'adopter. Ce qui me préoccupe le plus dans l'adoption du projet de loi à l'étude, c'est que le gouvernement fédéral ne semble pas avoir de stratégie globale. Pour l'instant, il ne semble agir que par réflexe. Nous avons adopté une résolution reconnaissant la société distincte. Nous étudions maintenant le projet de loi C-110. Le gouvernement lance aussi des ballons d'essai en réaction, semble-t-il, à ce que dit Lucien Bouchard au sujet du Québec. Il affirme que le Canada n'est pas vraiment un pays. Donc, pour avoir la majorité lors d'un référendum futur, il faudrait, d'après certains, recueillir 66,66 p. cent des voix. D'autres déclarent que, si le territoire du Canada est divisible, celui du Québec l'est tout autant.

N'estimez-vous pas qu'il est dangereux, de la part du gouvernement fédéral, de se lancer dans de telles discussions sans stratégie globale? Ne croyez-vous pas que le gouvernement devrait partager cette stratégie avec tous les Canadiens, plutôt que de simplement laisser les membres du caucus lancer ce que je crois être des ballons d'essai?

M. Gibson: Certaines de vos questions sont en réalité des déclarations, sénateur, mais je comprends où vous voulez en venir. J'en prends bonne note. Si le gouvernement fédéral a une stratégie, certes, c'est un secret bien gardé. Par contre, il semble qu'il se soit maintenant rendu compte qu'il faut en adopter une. C'est déjà cela de fait.

L'une des choses que je remarque quand je m'entretiens avec des gens, un peu partout au pays - et j'ai des contacts avec de nombreux mouvements de la base -, c'est qu'ils veulent faire quelque chose. Certains souhaitent réinventer le pays, alors que d'autres veulent le sauver. Toutefois, presque tous ces groupes ne veulent rien savoir de la classe politique. C'est la réputation que s'est acquise cette classe dans le dossier constitutionnel, dans le dossier de l'unité. On estime qu'elle a manqué le coche. Les gens ne veulent pas être manipulés par les politiques, ce qui fait sérieusement obstacle.

En fin de compte, le Canada n'est pas une société révolutionnaire. Par conséquent, si quelque chose s'accomplit, ce sera par la voie constitutionnelle. Or, l'appareil constitutionnel est géré par les politiques. Les politiques qui gèrent le dossier de l'unité se trouvent ici, à Ottawa. Jusqu'ici, à mon avis, ils n'ont pas fait ce qu'il fallait. Il est à espérer qu'ils le feront maintenant et il faut les y encourager, puisque, de toute évidence, le problème est extrêmement difficile à résoudre. Simultanément, je crois que les premiers ministres des provinces commencent à élaborer leurs propres stratégies d'intervention, ce qu'il faut aussi encourager.

Le sénateur St. Germain: Le ministre Petter a témoigné devant notre comité. J'imagine que vous avez lu son exposé. Le fait d'accorder des droits de veto à droite et à gauche, ce qui pourrait créer des impasses dans de futurs dossiers constitutionnels, l'inquiète, comme beaucoup d'entre nous.

Il a déclaré qu'en tant que représentant de la Colombie- Britannique, il estimait que la meilleure façon de régler le problème du Québec était de renforcer les programmes sociaux et économiques. Essentiellement, il a laissé entendre que de telles mesures suffiraient à résoudre les problèmes que l'on connaît au Québec. Personnellement, j'en doute. Après 13 ans de travail à Ottawa, en diverses capacités, je crois que l'effet de telles mesures prendrait du temps à se faire sentir, que nous nous retrouverions confrontés à un bouleversement général provoqué par Lucien Bouchard. Il est également contestable que cela ferait une différence. Qu'en pensez-vous?

M. Gibson: L'union canadienne a pour fondement, entre autres, le fait que les Canadiens se définissent en fonction de leurs programmes sociaux. Il est juste de dire que le parti que représente le ministre Petter a particulièrement à coeur cette définition. J'en ai toujours douté. L'identité canadienne comporte beaucoup plus de dimensions que son simple caractère social. En fait, nous parlons de normes nationales appliquées au filet de sécurité sociale alors qu'en réalité, elles sont plus faibles que partout ailleurs. Quand on compare l'aide sociale consentie au Nouveau-Brunswick par opposition à celle de l'Ontario, on constate qu'il existe une énorme différence, une différence beaucoup plus prononcée que, par exemple, dans le secteur de l'éducation, domaine de compétence exclusivement provinciale qui n'a jamais été régi par de prétendues normes nationales.

L'identité canadienne comprend certes une dimension sociale, soit la notion de normes minimales appliquées à tous les Canadiens, qui pourrait être améliorée, province par province. Toutefois, je ne crois pas que ce soit là la clé de l'unité nationale.

Le sénateur MacEachen: Monsieur Gibson, j'ai deux questions à vous poser. L'une a trait aux circonstances dans lesquelles le gouvernement de la Colombie-Britannique pourrait tenir un référendum au sujet d'une modification constitutionnelle. Le gouvernement est-il obligé de consulter la population au sujet d'une modification constitutionnelle avec laquelle il est en désaccord, ou est-il obligé de la consulter uniquement lorsqu'il a l'intention expresse de déposer une motion de résolution à l'assemblée législative?

M. Gibson: D'après le libellé de la loi de la Colombie- Britannique, cette consultation est facultative. Cela étant dit, je crois qu'il serait naturel que le gouvernement de la Colombie- Britannique veuille se protéger si le gouvernement national lui soumettait une proposition solennelle réputée avantageuse pour le Canada. Il est inconcevable, à mon avis, qu'un gouvernement de la Colombie-Britannique, ayant déjà en place sa propre loi référendaire, renonce à consulter la population dans une telle éventualité. En théorie, cela serait possible, mais cela ne serait pas pratique.

Le sénateur MacEachen: Le gouvernement pourrait décider qu'il est tout à fait opposé à la proposition, qu'il ne veut pas y consentir et qu'il n'a donc pas besoin de consulter la population. Je suppose que cela serait possible, n'est-ce pas?

M. Gibson: Ce serait effectivement possible. Vous maîtrisez bien mieux que moi les subtilités de la politique, sénateur. Toutefois, il me semble qu'une telle décision serait un suicide politique et qu'il serait inutile d'agir ainsi. Ce serait beaucoup mieux de dire: «Voyons si c'est ce que pense la population de la Colombie-Britannique et agissons en fonction de ce qu'elle décide».

Le sénateur MacEachen: Vous savez que le suicide existe en politique.

M. Gibson: Effectivement, mais la loi interdit encore l'aide au suicide.

Le sénateur MacEachen: Dans votre mémoire, vous faites allusion aux sages conseils de Claude Ryan. Moi-même, j'ai jugé que ses conseils étaient fort sages. Cependant, je n'ai pas trop compris - et il faut s'en reporter à son témoignage - si c'est la possibilité de contourner l'assemblée législative provinciale pour faire déposer, par un ministre, une motion à la Chambre des communes ou pour apporter une modification constitutionnelle qui l'inquiète. Il est impossible d'apporter une modification constitutionnelle sans le consentement du nombre requis d'assemblées législatives. Je ne vois rien dans le projet de loi à l'étude qui élimine cette exigence.

Dans les circonstances que j'ai décrites, j'avoue que le gouvernement pourrait chercher à obtenir le consentement de la population sans déposer de motion à la Chambre des communes. Cependant, il se trouverait alors à passer outre aux droits qu'a l'assemblée législative de décider si elle veut donner effet à cette modification constitutionnelle. Comme je n'ai pu me faire une idée de ce que M. Ryan avait en tête, j'aimerais savoir de quoi vous parlez lorsque vous soulevez la question de contourner l'assemblée législative.

M. Gibson: Je n'ai pas eu l'occasion de lire le témoignage de M. Ryan. Cependant, je lui ai parlé au téléphone depuis lors. Par conséquent, ce qu'en j'en sais se fonde sur cette conversation téléphonique. D'autres ici présents peuvent décrire cette position mieux que moi. Je crois que la volonté de l'Assemblée nationale, au Québec, a un caractère un peu plus sacré que celle de l'assemblée législative des autres provinces. Dans la mesure où le Québec est concerné, M. Ryan faisait peut-être référence à ce fait particulier.

La possibilité que l'on contourne l'assemblée législative me préoccupe pour une raison différente. Il me semble que les deux ordres de gouvernement de notre pays devraient être sur un pied d'égalité dans les dossiers constitutionnels. Cela signifie qu'en termes constitutionnels, ils devraient pouvoir exercer la même influence. Ainsi, dans la situation actuelle, c'est-à-dire en ce qui concerne le texte législatif quasi constitutionnel à l'étude, le gouvernement du Canada peut contourner les provinces à son gré, mais les provinces ne peuvent avoir recours à la même technique, ni exiger la tenue d'un référendum national. Il me semble donc qu'il y a manque de symétrie. Si le texte de loi prévoyait une telle symétrie, je n'y serais pas opposé.

Le sénateur MacEachen: Je comprends votre point de vue. Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Carney: Je ne suis pas sûre que mes collègues savent que M. Gibson a déjà fait ou fait actuellement de la politique.

M. Gibson: Je n'en fais plus, je vous l'assure.

Le sénateur Carney: Il est donc un ancien politique qui s'est distingué à l'assemblée législative de la province en tant que chef libéral. Par conséquent, il connaît bien les rouages du régime provincial.

Je suis intriguée par vos propos bienveillants à l'égard du Sénat, car vous n'avez jamais été un partisan particulièrement chaud de cette institution. Que vous jugiez que nous avons un rôle utile à jouer en ce qui concerne le projet de loi à l'étude me rassure.

Toutefois, votre exposé est ambivalent quant au rôle de la Colombie-Britannique dans ce dossier. Vous soulevez des questions au sujet de l'opposition du ministre Petter au droit de veto régional. En toute équité, le ministre Petter a expliqué que l'une des difficultés que lui posait le droit de veto régional, c'est qu'il favorisera la désunion et qu'une telle voie est semée d'embûches du fait, entre autres, qu'elle établit quatre catégories de provinces. Étant vous-même de la Colombie-Britannique, vous savez à quel point cette hiérarchisation déplaît à la population de la province.

Ma première question est fort simple: êtes-vous en désaccord avec M. Petter lorsqu'il affirme que la création de quatre catégories de provinces - de premier, de deuxième, de troisième et de quatrième ordre - est en soi source de division qui, en bout de ligne, sapera plutôt que de renforcer l'engagement en matière d'unité nationale? En dépit de l'ambivalence de vos propos, êtes-vous d'accord avec lui ou non?

M. Gibson: Je devrais peut-être commencer par vous expliquer mon ambivalence. J'ai essayé de me rendre le plus utile possible en faisant valoir les arguments pour et contre du point de vue de la Colombie-Britannique. Par contre, ma position personnelle est sans équivoque. J'estime que la position de la Colombie- Britannique au sein de la fédération devrait être améliorée. Par conséquent, je suis en faveur de tout moyen de négociation que nous pourrions obtenir à cette fin. Il n'y a pas d'ambivalence là.

En ce qui concerne l'égalité ou l'inégalité des provinces, vous utilisez là, à mon avis, des mots très évocateurs.

J'aimerais laisser là la question du Canada pour l'instant et parler de l'Union européenne.

Le sénateur Carney: Nous n'en avons pas le temps. Nous avons déjà parlé longuement de l'Union européenne.

M. Gibson: Je tiens néanmoins à souligner que l'Union européenne regroupe 15 sociétés très distinctes, qui sont toutes essentiellement égales. Toutefois, il existe aussi des différences. Ainsi, le vote de l'Allemagne a plus de poids que celui du Luxembourg. Peut-on dire pour autant qu'il y ait inégalité entre les deux? Ce genre d'argument pose des problèmes et nous fait parfois dévier de la voie que nous nous sommes choisie.

Le sénateur Carney: Êtes-vous en train de dire que la fédération canadienne devrait adopter le concept d'un quasi-pays comme c'est le cas de l'Union européenne?

M. Gibson: Il existe aussi un régime de voix pondérées au Congrès des États-Unis, pays beaucoup plus centralisé que le Canada. Il existe des exemples des deux extrêmes.

Le sénateur Carney: Voilà une autre déclaration ambivalente, mais nous sommes essentiellement d'accord pour dire que la Colombie-Britannique a besoin de tous les leviers qu'elle peut obtenir pour faire tenir compte de ses préoccupations.

Ma seconde question a trait à l'ambivalence des conseils que vous avez donnés à notre comité sénatorial quant à ce qu'il faut faire du projet de loi à l'étude. Dans votre mémoire, vous dites que le projet de loi est un mauvais calcul politique. Par contre, vous n'avez pas repris cette affirmation dans votre exposé. D'une part, vous nous dites de ne pas faire entrave au projet de loi et, d'autre part, vous nous conseillez de le renvoyer à la Chambre des communes. J'ignore au juste ce que vous nous recommandez de faire. En bout de ligne, soit que nous le modifions, que nous l'adoptons et que nous le renvoyons, ou bien nous le rejetons. Votre position est si politiquement neutre qu'il est difficile de voir où vous voulez en venir. Que devrions-nous faire de ce projet de loi?

M. Gibson: Je ne projetais pas d'être ambivalent. À mon avis, il faut soit le modifier dans le sens que je propose ou le rejeter. Par «rejeter», j'entends voter contre en précisant que si la Chambre basse insiste...

Le sénateur Carney: C'est ainsi que cela se passe au Sénat. Si la Chambre veut renvoyer à nouveau le projet de loi, nous répondons qu'il n'en est pas question.

Le sénateur Murray: Le projet de loi ne nous est pas renvoyé. Il ne va nulle part.

Le sénateur MacEachen: Il va à la morgue.

Le sénateur Carney: Nous conseillez-vous de ne pas adopter le projet de loi dans sa forme actuelle?

M. Gibson: Oui.

Le sénateur Carney: Je tiens à dire publiquement que M. Gibson n'est certes pas aussi ambivalent, sur le plan politique, dans la chronique qu'il rédige pour le Vancouver Sun.

M. Gibson: Venant d'une ex-journaliste, cette déclaration est un compliment.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais que nous en revenions à la proposition de M. Claude Ryan. Il a proposé que nous en revenions au principe du consentement provincial. Bien sûr, le projet de loi C-110 est de nature telle que le gouvernement, lorsqu'il demande l'opinion des cinq régions, est libre d'agir comme il le veut. Ainsi, il peut décider de consulter l'assemblée législative, la population de la province visée ou son gouvernement. M. Ryan a proposé que nous ne contournions pas l'Assemblée nationale et que nous rétablissions l'obligation de la consulter dans le projet de loi C-110.

Dans la procédure de modification actuelle, comme l'a bien expliqué le sénateur MacEachen, le Parlement du Canada ou, du moins, les deux Chambres, plus l'assemblée législative de chaque province, sont ceux qui ont légalement le droit d'intervenir. Cependant, le projet de loi C-110 propose une autre voie. Le gouvernement du Canada, parce qu'il est formé des ministres de la Couronne, dispose de trois possibilités.

J'ai été impressionné par l'argumentation de M. Ryan. Après tout, au sein de notre fédération, les pouvoirs sont partagés entre l'autorité centrale - le Parlement du Canada - et les dix assemblées législatives provinciales. Le pouvoir réside donc au Parlement et dans les assemblées législatives provinciales.

J'aimerais avoir votre franche opinion au sujet de la proposition faite par M. Ryan, car elle a du mérite. Je comprends pourquoi le gouvernement a proposé cette mesure dans le projet de loi C-110 et je comprends pourquoi le gouvernement du Québec pourrait s'y opposer, parce qu'il est souverainiste. La population du Québec serait peut-être d'un avis contraire, mais que ferait-on si l'Assemblée nationale refusait et que la population du Québec acceptait? Sur le plan politique, pareille situation serait problématique. J'aimerais savoir ce que vous pensez du scénario québécois décrit par Claude Ryan.

M. Gibson: Aux fins d'application du projet de loi C-110, il me semble que le consentement de la province doit être obtenu de l'assemblée législative provinciale plutôt que de son gouvernement ou de sa population. Cela étant dit, je ne voudrais pas faire croire que je suis opposé à ce que le gouvernement du Canada ait le droit de consulter directement les Canadiens en matière constitutionnelle. À mon avis, il faudrait non seulement conserver cet important pouvoir, mais en élargir la portée.

Vous m'avez entendu proposer qu'un tel pouvoir soit intégré officiellement à notre procédure de modification constitutionnelle. Je suis d'avis qu'aux strictes fins d'application, le projet de loi à l'étude est source de distraction et de complications qui aggravent la situation.

Le sénateur Beaudoin: À moins de faire erreur, je crois que, durant les négociations de l'Accord de Charlottetown, tous avaient accepté ce principe et, pourtant, l'accord a été très clairement rejeté par de nombreuses régions du pays. Bien sûr, les résultats d'un référendum ne sont pas exécutoires, légalement. L'accord était donc parfaitement légal et aurait pu être mis en oeuvre. Cependant, en termes concrets, le résultat net d'un référendum sur une question sans ambiguïté a presque valeur constitutionnelle. Pouvez-vous concevoir que les onze premiers ministres aient ignoré le rejet de l'Accord de Charlottetown lors du référendum national? Démocratiquement, cela aurait été impensable.

Déjà, la situation au pays est difficile en ce qui concerne la procédure de modification et les conditions à remplir pour tenir des référendums dans l'Ouest, dans le centre et presque partout ailleurs. Voilà que nous ajoutons une autre obligation. Personnellement, je doute que les gouvernements provinciaux soient obligés de tenir compte du résultat d'un référendum. Ces exigences pourraient être illégales car, aux termes de la Constitution, c'est à l'Assemblée nationale ou à l'assemblée législative d'une province qu'il appartient de gouverner comme elle le juge bon. Je ne suis vraiment pas certain qu'une telle assemblée pourra, légalement, être empêchée d'agir en raison d'un référendum provincial. Je ne sais qu'en penser.

Le sénateur Carstairs s'est interrogée sur le caractère exécutoire des référendums dans l'Ouest. Si, légalement, ils sont exécutoires, j'ai l'impression qu'ils sont inconstitutionnels. Qu'en pensez-vous?

M. Gibson: Le renvoi de 1919, je crois, laisse certes entendre que la prérogative de la Couronne ne peut être entravée par un référendum.

Le sénateur Beaudoin: C'est exact.

M. Gibson: Cela étant dit, je ne suis pas sûr qu'une loi qui oblige le gouvernement de la Colombie-Britannique à consulter sa population et à tenir compte de sa volonté soit constitutionnelle. Je suppose qu'il faudrait en saisir un tribunal. Toutefois, qu'elle soit constitutionnelle ou pas, la loi est très populaire dans la province de Colombie-Britannique. Si un tribunal devait l'invalider, beaucoup d'efforts seraient déployés pour trouver un moyen de la rendre légale, car la population souhaite conserver cette forme de consultation.

Le sénateur Beaudoin: Les Australiens ont réglé la question: ils ont inscrit le référendum dans leur Constitution. Les Canadiens en ont décidé autrement. Nous favorisons la suprématie du Parlement et nous conférons le pouvoir aux assemblées législatives provinciales. Voilà les deux points que je souhaitais soulever.

M. Gibson: Nous sommes un peuple prudent; nous avons toujours une reine. Les Australiens sont aussi en train de régler cette question.

Le sénateur Beaudoin: C'est un tout autre débat.

Le sénateur Gauthier: M. Gibson, j'aimerais en revenir à ce qu'a proposé M. Ryan. D'autres, aussi, ont proposé que nous examinions la possibilité de mieux définir le consentement des provinces.

L'actuel régime au pouvoir à Québec est hostile à toute initiative constitutionnelle, quelle qu'en soit la source. Le seul sujet qui l'intéresse, c'est la sécession, la séparation. C'est pourquoi nous devons étudier vos commentaires et ceux de M. Ryan dans l'optique uniquement du projet de loi C-110. Il n'est pas question des exigences constitutionnelles concernant les assemblées législatives.

Tout le monde ici vous reconnaît une certaine connaissance du processus en tant qu'ex-politique. Selon vous, le gouvernement fédéral aurait-il avantage à compter, parmi les outils à sa disposition, la tenue d'un référendum provincial au Québec? Si nous supposons que toutes les autres provinces et que le gouvernement fédéral peuvent s'entendre après la tenue d'une consultation utile, que ferions-nous si le gouvernement du Québec persistait à dire: «Il n'en est pas question»?

Nous pourrions alors opter pour la règle du 7-50. Le projet de loi à l'étude ne vise que les ministres de la Couronne. Les députés d'arrière-banc et les provinces seraient donc libres d'agir. En fait, la Colombie-Britannique pourrait proposer que soit modifiée la Constitution à en vendant l'idée aux autres provinces, et la règle du 7-50 serait efficace. Le projet de loi C-110 n'entre absolument pas en jeu. En fait, il suscite l'indifférence générale.

Le sénateur Carney: Certes, c'est le cas en Colombie-Britannique.

Le sénateur Gauthier: C'est peut-être le cas. Je ferai peut-être quelque chose pour changer cela.

Quoi qu'il en soit, si le projet de loi C-110 n'est pas insignifiant et qu'il représente plutôt une façon utile de régler un problème politique, pourquoi estimez-vous que nous devons absolument le modifier pour clarifier le consentement des provinces? Je ne vois là qu'une réaction politique à une situation politique. Le projet de loi C-110 n'a rien de constitutionnel; il ne modifie pas la Constitution, ni la règle du 7-50.

Vous proposez que nous modifiions la règle du 7-50 pour en faire une règle du 7-80. Il s'agit-là d'une proposition de modification constitutionnelle dont la portée est beaucoup plus grande que celle du projet de loi C-110. Nous n'avons pas l'autorité de le faire; nous n'avons pas ce genre de pouvoir, mais il s'agit-là d'une autre paire de manches.

Seriez-vous opposé à cette idée, après ce que je viens de vous dire et conscient que l'avenir du pays pourrait être en jeu?

M. Gibson: Si j'ai bien compris votre scénario, il existerait au pays un mouvement d'appui général pour une mesure précise visée par le projet de loi C-110, une modification constitutionnelle en quelque sorte. L'Assemblée nationale du Québec refuserait d'y consentir.

Le sénateur Gauthier: Le gouvernement du Québec refuserait.

M. Gibson: Le gouvernement refuserait de l'appuyer. Remarquez que les deux sont contrôlés par le même parti. À ce moment, le gouvernement fédéral proposerait de contourner l'Assemblée nationale et de poser la question directement à la population.

Il existe des experts dans ce domaine qui s'y connaissent beaucoup mieux que moi. Cependant, il me semble qu'un tel geste serait perçu, au Québec, comme un moyen d'isoler la province, d'en faire la cible d'une attaque spéciale du gouvernement du Canada.

Je recommande officiellement que le gouvernement du Canada mette sur pied une importante initiative constitutionnelle et qu'il tienne un référendum à son sujet dans tout le Canada. Il me semble qu'ainsi, tous seraient traités de la même façon. Établir des distinctions parmi les provinces et les traiter différemment m'inquiète, car un traitement spécial n'est pas toujours une bonne chose.

À mon avis, il vaut mieux, aux fins d'application du projet de loi C-110, qui, après tout, ne représente pas un domaine très important de réforme constitutionnelle, éviter ce genre d'argument.

Le sénateur Gauthier: Vos propos à ce sujet sont clairs. Je ne suis pas d'accord avec vous, mais votre réponse est nette.

Le président: Monsieur Gibson, concrètement, quelle est la différence entre consulter la population au moyen d'une élection provinciale ou la consulter par voie d'un référendum parrainé par le gouvernement fédéral dans une province particulière? N'est-ce pas simplement une question qui, avec le temps, serait réglée dans le cadre d'une élection provinciale?

M. Gibson: Il est au moins couramment admis que, dans le cadre d'une élection, la population se prononce sur une gamme beaucoup plus variée de questions que dans le cadre d'un référendum, où il n'y a qu'un seul sujet. Lors d'une élection, les électeurs jugent inévitablement les personnalités autant que la politique. Lorsque vous jugez de la politique d'un parti, vous jugez de toute une panoplie de programmes. L'une des raisons pour lesquelles les référendums comme outils de démocratie directe me plaisent tant, c'est qu'ils permettent de connaître exactement la volonté de la population dans un dossier particulier, par opposition à la réponse beaucoup plus floue que fournit l'élection.

Le sénateur Murray: M. Gibson et moi nous connaissons depuis 30 ans environ, lorsque nous étions tous deux adjoints politiques à Ottawa sous le règne Pearson des années 1960; il travaillait pour un camp, moi pour l'autre.

Les dirigeants politiques étaient alors aux prises avec certaines des mêmes questions. Il ne semble pas que nous ayons fait beaucoup de chemin à cet égard. En fait, j'estimais que la formule Fulton-Favreau était assez bonne, et la formule de Victoria me ravissait. Je n'étais pas un partisan de la loi de 1982 - en fait, j'ai voté contre celle-là. Puis sont survenus l'Accord du lac Meech et l'Accord de Charlottetown. Je ne suis pas sûr que la situation soit bien meilleure maintenant.

Depuis quelques années, M. Gibson écrit beaucoup au sujet de ces questions et il les commente abondamment. S'il est trop modeste pour faire la publicité de son livre, je le ferai pour lui. Son ouvrage, paru depuis quelques mois, s'intitule Thirty Million Musketeers. Comme tout ce que M. Gibson écrit dans diverses publications comme Fraser Forum et Policy Options, son livre est extrêmement intéressant et redonne espoir.

L'un des faits encourageants que je remarque dans bien des écrits récents, c'est qu'il existe une convergence de vues réelle entre vous et de nombreux autres auteurs. Gordon Robertson, le professeur Lenihan et Roger Tassé ont publié un livre, tout comme André Burelle et d'autres, dans lequel ils abordent la structure et la gestion futures de la fédération, de même qu'une certaine forme de cogestion du pouvoir fédéral de dépenser. M. Gibson suggère la création d'un conseil fédéral.

Soit dit en passant, sénateur Carney, je crois que M. Gibson a écarté l'idée d'un Sénat élu en faveur du conseil fédéral, moyen beaucoup plus légitime d'expression du fédéralisme. M. Gibson et certains autres prônent un plus grand recours aux compétences communes. Actuellement, il n'existe que trois ou quatre domaines dans lesquels il y a compétence commune: dans certains d'entre eux, la suprématie revient au fédéral alors que, dans d'autres, elle revient à la province.

Tout cela est fort intéressant, stimulant et prometteur, mais encore faut-il trouver un moyen de le faire. Le grand obstacle, si je puis m'exprimer ainsi, l'unique question qui menace de tout faire éclater, est la place du Québec au sein de la fédération. Il me semble qu'il faudra d'abord régler cette question. Je ne crois pas que ce soit possible autrement que par voie constitutionnelle. En dépit de la présence d'un gouvernement séparatiste au Québec, il importe que le reste du pays se reprenne en main dans ce dossier.

Le témoignage de M. Ryan a été très encourageant, l'autre jour. Il nous a dit que si, d'ici à la prochaine conférence constitutionnelle, les gouvernements se concentraient sur la résolution des deux grandes questions issues du référendum - la société distincte et la procédure de modification - de manière à garantir un droit de veto au Québec, cela serait suffisant. À mon avis, si nous pouvions régler ces deux questions, le Québec serait plus réceptif à d'autres propositions.

Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que nous puissions en arriver là?

M. Gibson: M. Ryan a peut-être tout à fait raison en ce qui concerne la réaction du Québec, que cela pourrait être suffisant. Par contre, je sens que nous devrons aller encore plus loin, qu'à mesure que nous cherchons à régler les questions ennuyeuses que sont la procédure de modification et la société distincte, il faudra en régler d'autres également, celles que l'on regroupe sous le titre général de «subsidiarité», soit celles qui ont trait à ce qui arrive aux prétendues normes nationales lorsque Ottawa ne pourra plus les imposer alors que les Canadiens souhaitent toujours une certaine communauté d'éléments.

Le sénateur Murray: Oui, et avez-vous des suggestions à nous faire à cet égard?

M. Gibson: Je soupçonne qu'il faudra aborder beaucoup plus de points que les deux qu'a proposés M. Ryan. Je ne voudrais pas limiter ici le cadre des discussions.

Le sénateur Murray: Comment peut-on sortir de l'impasse? Comment obtenir le consentement à un plus grand train de mesures? Voulez-vous tenir un référendum national pour consulter la population à ce sujet?

Quand les chefs autochtones ont témoigné, l'autre jour, ils avaient comme message: «Pas question de négocier ces points tant que vous n'aurez pas «conclu» les négociations entamées avec nous», soit tant que nous n'aurons pas inscrit l'autonomie gouvernementale des autochtones dans la Constitution.

M. Gibson: Je ne suis tout simplement pas d'accord avec cette position. L'intégrité du pays prime indubitablement sur les besoins spéciaux de ses composantes. Par conséquent, le premier point à l'ordre du jour est d'assurer la continuité du Canada, si c'est ce qui est prévu.

Quant à la façon d'y parvenir, il me semble que le moyen d'action sensé consiste à avoir un groupe de fédéralistes - le Parlement du Canada, le gouvernement du Canada, les premiers ministres, ou encore une assemblée constituante, pour ce qui est de cela - qui élaboreraient une véritable solution aux problèmes de restructuration de notre pays. La solution pourrait ensuite être soumise à tous les Canadiens au moyen d'un référendum. On pourrait à ce moment dire à toute la population: «Nous avons maintenant une alternative. Nous pouvons soit nous séparer, soit continuer de vivre ensemble en respectant les présentes règles. Réglons la question une fois pour toutes, et passons à autre chose».

Les Canadiens ont commencé à fouler ces terres inconnues et à examiner les conséquences d'un refus de s'entendre. On parle du plan 2, de la manière dont nous traiterons avec le Québec s'il décide de se séparer. La véritable question à se poser dans le plan 2, c'est si le reste du pays pourra survivre comme un tout. Si le Québec n'y est plus, que décidera la Colombie-Britannique?

Si vous commencez à explorer certaines de ces questions, à évaluer le pour et le contre des diverses options, je crois que les citoyens du Canada seront prêts à appuyer un accord équilibré. Je suis conscient du fait - et je crois que c'est le sénateur Carstairs qui a soulevé ce point ce matin, ou peut-être M. Heard dans la réponse à sa question -, que l'ajout de revendications particulières dans l'Accord de Charlottetown a eu un impact négatif. À ce moment-là, les Canadiens pensaient qu'ils pouvaient se permettre de dire: «Pas d'Accord de Charlottetown; et puis après?» Ils commencent maintenant à se rendre compte qu'il faut parfois mettre ses petites revendications de côté et se concentrer non pas sur les aspects discutables de l'accord, mais sur les aspects positifs de celui-ci. Si l'on arrive à proposer un accord structuré aux Canadiens, à mon avis, ils l'accepteront.

Le sénateur St. Germain: Vous préconisez en fait une autre option plutôt que la question plus simple de savoir si une région, une province ou un territoire a le droit de se séparer par voie de référendum?

M. Gibson: Encore une fois, je laisse aux Québécois qui s'y connaissent le soin de répondre à cette question. Je soupçonne que si vous posiez cette question aux Québécois, ils vous diraient que, bien entendu, la région a le droit de se séparer. Toutefois, vous ne seriez pas plus avancés. Vous obtiendriez peut-être la même réponse en Colombie-Britannique, qui a fait un grand cheminement. Ce que vous demandez aux gens, c'est: «Avez-vous de la dignité en tant que collectivité?» La réponse que vous pourriez avoir est la suivante: «Nous croyons en avoir beaucoup.» Par conséquent, je ne suis pas sûr que vous voudriez poser cette question, parce qu'elle demande en fait aux gens de s'imposer des limites.

Je crois que vous devriez plutôt leur demander: «Êtes-vous d'accord avec ces options?» Si Lucien Bouchard a remporté une grande victoire lors du référendum, c'est parce qu'il offrait de l'espoir. Notre camp, si je peux m'exprimer ainsi, n'en offrait aucun. C'est ce qui manquait, et c'est ce que nous devons trouver le moyen d'offrir.

Le sénateur Murray: Monsieur Gibson, vous avez rejeté la position mise de l'avant par le chef Mercredi, qui a laissé entendre que nous devons d'abord régler le dossier des autochtones avant de nous attaquer à ces autres questions.

Seriez-vous contre l'idée d'inclure les questions autochtones dans l'accord que vous proposez? Vous parlez d'un processus similaire à celui qui a abouti à l'Accord de Charlottetown, n'est-ce pas?

M. Gibson: Je ne m'opposerais pas à ce que les questions autochtones soient incluses, dans la mesure où l'on s'entendrait sur celles-ci. Toutefois, je m'opposerais à ce que l'adoption de l'accord soit subordonnée à ces questions. Ce serait une erreur.

Le sénateur Murray: On pourrait dire la même chose de certaines des autres questions que vous avez soulevées. Vous avez parlé de la subsidiarité, des normes nationales qu'il convient d'appliquer dans le nouvel univers financier dans lequel nous évoluons, ainsi de suite. Est-ce qu'on devrait éviter de s'attaquer à la question de fond sous prétexte qu'il y divergences de vues sur l'un ou l'autre de ces points?

M. Gibson: Tout dépend de la question. Au bout du compte, il faut recueillir un certain degré de consentement ou un vaste consensus à l'échelle nationale, comme l'a indiqué le ministre Rock.

Le sénateur Murray: À votre avis, nous ne pouvons pas uniquement traiter la question du Québec; il doit y avoir d'autre chose?

M. Gibson: Vous pourriez le faire, mais cela ne marcherait pas. Vous devrez offrir une vision plus globale de l'avenir du Canada. De nombreux habitants de la Colombie-Britannique ont eu de la difficulté, tout comme moi, à accepter l'Accord du lac Meech et l'Accord de Charlottetown pour cette raison bien précise, à savoir que nous voulons nous aussi proposer des améliorations à la Confédération. Compte tenu de la situation qui existe au Québec, il est très important de régler ces questions. Si le problème du Québec est réglé isolément, nos problèmes resteront toujours en suspens. Il y a une sorte de lien entre les deux dossiers.

Le sénateur Murray: Au bout du compte, vous voulez qu'on ajoute, dans la procédure de modification, une disposition qui prévoit la tenue d'un référendum. Vous avez dit qu'un grand nombre d'études ont été réalisées sur les réformes constitutionnelles entreprises par les électeurs ou le gouvernement et approuvées par voie de référendum. J'aimerais vous poser la question suivante, et je ne sais pas si vous y avez réfléchi: Si la tenue d'un référendum faisait partie de notre processus de modification, exigerait-on une majorité nationale, une majorité binationale, une majorité régionale?

M. Gibson: D'abord, vous devez obtenir une majorité des voix à l'échelle nationale. Je crois que la majorité requise devrait être de 60 p. 100, ou une majorité appréciable de voix. Après, vous devez procéder au décompte par provinces. Nous devons reconnaître le fait qu'il existe une identité régionale dans ce pays, et si nous en faisons fi, c'est à nos risques et périls. Nous ne fonctionnons pas comme une coentreprise ou comme une société dont toutes les activités sont fusionnées. Par conséquent, pour revenir à ce que M. Rock a appelé un vaste consensus, pour nous, ce vaste consensus doit englober une majorité globale et une majorité régionale. Je ne m'oppose pas au principe qui sous-tend le projet de loi C-110; je m'oppose plutôt à son contenu.

Le sénateur Murray: Je crois que vous parlez de cinq majorités régionales et d'une majorité nationale.

M. Gibson: Oui.

Le sénateur Carney: Mais le projet de loi C-110 ne prévoit pas de majorité nationale.

Le sénateur Murray: Non.

M. Gibson: Le projet de loi C-110 n'émane pas du peuple, mais du gouvernement. Il propose une procédure de modification qui sera utilisée par les gouvernements; il ne prévoit pas la tenue d'un référendum d'initiative populaire.

Le sénateur Murray: Mais est-ce que le référendum constituerait une solution de rechange à la procédure générale de modification que vous proposez et qui requiert le consentement de sept provinces représentant 80 p. 100 de la population?

M. Gibson: Le résultat d'un référendum, dans un système démocratique, est l'équivalent d'une décision de la cour de dernière instance. Il ne constituerait pas seulement une solution de rechange.

Le sénateur Murray: Vous dites que le régime confédéral actuel pénalise la Colombie-Britannique au chapitre du partage des pouvoirs, de l'influence exercée sur les institutions centrales et des flux financiers. Je voudrais qu'on parle de la question du partage des pouvoirs. Je ne crois pas que vous proposiez qu'on entreprenne une nouvelle répartition constitutionnelle des pouvoirs.

M. Gibson: J'ai proposé, par exemple, que les six grands champs de compétence soient restitués aux provinces, sans aucune autre intervention fédérale.

Le sénateur Murray: Oui, comme cela devrait être le cas de toute façon.

M. Gibson: J'ai proposé en outre que le pouvoir fédéral de dépenser soit rigoureusement limité. J'ai examiné certains domaines de compétence fédérale où les choses n'ont pas particulièrement bien fonctionné, pour ne pas dire plus. Par exemple, les pêches, l'assurance-chômage, le développement régional, les ports, les questions autochtones et, dans une certaine mesure, l'immigration sont des secteurs qui relèvent essentiellement du gouvernement fédéral et qui représentent certains des plus grands échecs du gouvernement. Il est difficile pour moi de concevoir comment les provinces auraient pu faire pire. Je crois que le partage des pouvoirs doit être redéfini.

Le sénateur Murray: Nous pourrions nous éterniser là-dessus, mais je ne veux pas monopoliser les discussions.

Le sénateur Carstairs: Deux questions me préoccupent. D'abord, il y a le veto accordé à la Colombie-Britannique. Vous avez dit que vous n'êtes pas contre l'idée de consulter la population. Or, ce ne sont pas seulement les habitants de votre province qui seraient consultés. En fait, cette consultation serait obligatoire. Le projet de loi dispose que le gouvernement ne peut déposer une motion de résolution autorisant une modification à la Constitution, sauf si un référendum a été tenu au préalable. Il ajoute que si plus de 50 p. 100 des électeurs se prononcent de la même façon, le gouvernement sera lié par le résultat.

M. Gibson: C'est exact.

Le sénateur Carstairs: Ne croyez-vous pas qu'en raison de ces deux conditions, le projet de loi est inconstitutionnel?

M. Gibson: Je ne le sais pas, mais si c'est le cas, au lieu de dire «le gouvernement ne devrait pas déposer un tel projet de loi», je dirais plutôt «le gouvernement devrait faire attention s'il dépose un tel projet de loi». Je crois qu'il est utile de consulter le peuple lorsqu'on propose des modifications à la Constitution.

Le sénateur Carstairs: J'aimerais revenir à la question que vous a posée le sénateur Murray au sujet du Québec. À mon avis, les Accords du lac Meech et de Charlottetown ont échoué parce qu'ils avaient une portée trop vaste et qu'on les avait mal compris. Les raisons qui ont poussé ma province, le Manitoba, à rejeter l'Accord de Charlottetown diffèrent de celles de la Colombie- Britannique. La préoccupation dominante de la Colombie- Britannique était la règle de 25 p. 100.

Le sénateur Murray: Oui, et le droit inhérent.

Le sénateur Carstairs: C'est exact. Mais j'essaie de vous expliquer quelle était la préoccupation dominante de la province. Pour le Manitoba, c'était le morcellement des pouvoirs fédéraux. Les deux provinces avaient un point de vue très différent.

Le sénateur Murray: Vous négligez de mentionner que vous dirigiez le camp du NON dans la province.

Le sénateur Carstairs: Cela dit, le résultat du référendum québécois, du moins dans un premier temps, a eu pour effet de provoquer un changement d'attitude au sein de la population canadienne.

Ne croyez-vous pas qu'on aurait plus de succès si l'on se concentrait sur les questions qui concernent le Québec - c'est-à-dire le droit de veto dans des domaines qui intéressent le Québec -, au lieu de soumettre à un accord global à un référendum, un accord que la vaste majorité des Canadiens trouverait trop complexe une fois que les politiciens commenceraient à leur en expliquer la teneur avec leur verbiage habituel?

M. Gibson: D'abord, je suis d'accord avec votre description de l'état d'esprit qui existait à l'époque de l'Accord de Charlottetown, de même qu'après le 30 octobre 1995. À l'époque de l'Accord de Charlottetown, la population était plutôt d'humeur revêche.

Le sénateur Carstairs: Moi aussi.

M. Gibson: L'attitude était négative, si je peux m'exprimer ainsi. On ne cherchait pas à voir le côté positif de l'Accord de Charlottetown, mais plutôt le côté négatif. On avait en outre l'impression que le rejet de l'accord n'entraînerait pas de conséquences graves, qu'on pourrait le rejeter en toute impunité, et c'est ce qu'on a fait. Nous avons voté comme nous voulions le faire.

Aujourd'hui, comme vous le dites si bien, l'état d'esprit est différent. Les gens savent qu'ils ne peuvent tout simplement dire non et s'attendre ensuite que la vie suive son cours. Ils savent qu'ils sont confrontés à une crise très grave. Par conséquent, je pense qu'ils seront prêts à faire d'importants compromis. Au bout du compte, l'accord devra faire l'objet d'un référendum.

Je suis prêt à aller jusque là, mais non pas à franchir le pas suivant et dire: «Par conséquent, nous devrions simplifier l'accord qui leur sera soumis et faire en sorte qu'il ne porte que sur le Québec.» Je ne sais pas si les sénateurs de la Colombie- Britannique seront d'accord avec moi, mais je pense savoir comment ma province va réagir à cela. Elle va dire: «Eh bien, nous ne sommes pas d'accord.»

Le sénateur Carney: Il y aurait unanimité à ce sujet.

M. Gibson: Même si vous n'obteniez pas le consentement unanime de la population, il y aurait unanimité en Colombie Britannique. Si vous utilisiez la formule 7-50, vous pourriez le faire adopter malgré l'opposition de la Colombie-Britannique. Toutefois, la Colombie-Britannique est actuellement en pleine mutation. La première fois qu'Angus Reed a demandé aux habitants de la Colombie-Britannique - et il a posé la question trois jours avant et trois jours après le 10 novembre -, s'il était temps que la Colombie-Britannique songe à devenir un pays indépendant, 12 p. 100 de la population a dit «oui».

Nous ne disposons d'aucune analyse chronologique à ce sujet nous permettant de déterminer s'il s'agit bien d'un changement mais je serais porté à le croire. Je sais qu'en Colombie- Britannique, il n'est assurément pas politiquement correct de songer ouvertement au séparatisme, mais j'ai constaté qu'il commence à devenir assez acceptable d'en parler en privé. C'est un changement.

Il faut absolument éviter de considérer que la prochaine conférence constitutionnelle sera axée uniquement sur le Québec. Cette conférence concerne tous les Canadiens, malgré les tendances assez étranges que l'on peut observer.

Le sénateur De Bané: Monsieur Gibson, vous avez indiqué dans votre mémoire que cela dépend de la perspective dans laquelle on envisage l'histoire du Canada - à savoir s'il s'agit d'une convention ou d'une union. S'il s'agit d'une convention, le projet de loi C-110 est logique; s'il s'agit d'une union, il va dans le sens contraire.

Que pensez-vous des observations du professeur Peter Russell concernant l'existence de trois visions incompatibles en 1867. Tout d'abord la vision de John A. Macdonald, qui voulait créer un pays unitaire doté d'un gouvernement et de gouvernements subalternes; puis la vision des provinces axée sur le partenariat - c'est-à-dire une convention entre des provinces égales; et troisièmement, la vision des Canadiens français axée sur une entreprise conjointe entre les anglophones et les francophones. Le professeur Russell considère tragique qu'en 1867, on ne soit pas parvenu à s'entendre sur la vision qui devait prévaloir et que 125 ans plus tard, nous sommes toujours en train de débattre de cette même question.

Vous avez indiqué que parmi ces trois modèles, votre propre préférence portait sur la vision de l'union. Tout votre raisonnement s'inspire de cette vision. Vous concluez également que l'existence d'une concentration de francophones dans une province leur a donné historiquement un poids qu'ils n'auraient pas eu s'ils avaient été dispersés un peu partout au pays.

Que pensez-vous de la proposition du professeur Charles Taylor de Montréal? Il est professeur à McGill et, dans une conférence qu'il a prononcée la semaine dernière, il a indiqué que le moyen de régler la crise que traverse le Canada consisterait à dire aux Québécois: «Nous vous reconnaissons comme nation. Outre la dimension des dix provinces, il existe également cette autre dimension. Nous vous reconnaissons effectivement comme nation.» En tant que personne qui vit au Québec et qui livre cette bataille depuis bien des années, il considère que c'est peut-être la solution, à savoir accorder cette reconnaissance au Québec. Bien entendu, il parlait des fédéralistes, et non des séparatistes, à qui il ne sert à rien de faire une offre quelconque.

M. Gibson: Vous venez bien sûr de citer deux grands noms du fédéralisme canadien. En ce qui concerne les observations de Peter Russell, le revers de la médaille, c'est qu'il est dommage que la question n'ait pas été réglée en 1867, mais toute tentative d'imposer un règlement aurait sans doute rendu 1867 impossible. Il ne pouvait sans doute pas en être autrement.

J'interpréterais la déclaration de Charles Taylor, dont je n'ai pas encore pris connaissance, mais qui cadre avec ce qu'il a dit, comme une autre façon de formuler la notion de «société distincte.» On cherche de nombreuses façons de contourner cette expression de «société distincte» à cause de toutes les implications qu'elle semble comporter et qui posent problème. J'aimerais revenir à ce que j'ai dit à propos de l'inquiétude que suscitent des notions floues et mal définies. Si on me dit que l'expression «société distincte» signifie que l'Assemblée nationale du Québec exercera le plein contrôle sur la langue dans cette province, je peux y adhérer ou non. Je comprends ce dont il s'agit. Si on me dit que «société distincte» signifie que l'Assemblée nationale pourra réglementer la cåblodiffusion dans la province du Québec, je suis en mesure de donner ou non mon accord.

Le pragmatisme anglo-saxon a besoin de paramètres précis. Si M. Taylor ou qui que ce soit arrive à décrire exactement quelles sont les notions uniques dont a besoin la province de Québec pour continuer à s'épanouir, j'ajouterai alors simplement les éléments dont à mon avis la Colombie-Britannique a besoin. Nous pourrons alors être d'accord, et je crois que nous pourrons conclure une entente.

Par contre - et je ne parle pas en mon nom -, il est évident que la notion de société distincte inquiète profondément la population de la Colombie-Britannique, mais je ne crois pas que des paramètres précis l'inquiéteraient.

Le président: Avant de terminer, d'autres sénateurs aimeraient poser des questions.

Le sénateur Carney: Il n'est pas juste ni sage de demander à notre témoin de parler au nom de la population de la Colombie-Britannique, ce que semblent parfois sous-entendre les questions posées. Vous avez votre propre opinion, que vous exprimez. Elle peut ou non être contraire ou conforme aux opinions de la population de la Colombie-Britannique. Comme en votre qualité de commentateur et en notre qualité de sénateurs, nous ne sommes pas élus, nous n'avons pas de mandat.

Cependant, à mon avis, ce que votre mémoire laisse sous-entendre même s'il ne l'exprime pas comme tel, c'est le caractère multiculturel propre à la Colombie-Britannique, qui se distingue de celui de Toronto, car même si Toronto présente une importante dimension multiculturelle, cette ville est noyée dans la culture plus générale de l'Ontario. L'énorme communauté multiculturelle en Colombie-Britannique n'est pas venue en Colombie-Britannique, mais au Canada. L'affiliation de la communauté chinoise dans le Lower Mainland est avec le Canada, et non avec la Colombie- Britannique. C'est un nouveau facteur qui explique l'attitude adoptée envers le Québec. Ce n'est peut-être pas sain et cela risque peut-être de causer des problèmes, mais je constate que la communauté multiculturelle semble plus portée à faire des concessions précises envers le Québec que la société traditionnelle de la Colombie-Britannique qui est hostile à ce genre de formule. Je soulève ce point pour montrer que les choses ne sont pas aussi claires qu'elles l'étaient à l'époque de l'Accord du lac Meech ou de l'Accord de Charlottetown.

Un nouvel élément est en train d'émerger, à savoir qu'en Colombie-Britannique, il existe un vaste segment de la société, reflet des tendances récentes en matière d'immigration, qui a pris un engagement envers le Canada et qui est prêt à faire des concessions envers le Québec, ce qui ne correspond pas au rôle traditionnel de la Colombie-Britannique. Il y aura peut-être certains conflits à résoudre. C'est un aspect que je tenais à signaler parce qu'il n'a pas été clairement indiqué que ce facteur influe sur les attitudes de la population de la Colombie- Britannique.

M. Gibson: Je suis d'accord avec vous. L'évolution rapide du profil démographique de la Colombie-Britannique est en train de faire de nous une société nettement distincte. Nous ne sommes peut-être pas aussi distincts que le Québec jusqu'à présent, mais nous sommes en train de devenir assez distincts du reste du Canada.

Le sénateur Carney: Certains d'entre nous soutiendraient que nous l'avons toujours été, mais nous voyons ce que vous voulez dire.

Le sénateur Gauthier: Vous avez indiqué que nous devons non seulement mettre l'accent sur le Québec, mais tåcher de trouver une solution canadienne plus générale à nos problèmes. Je viens de l'Ontario. J'y suis né et j'y ai grandi. Je n'ai rien à faire avec le Québec. Je n'y ai plus aucune parenté.

Cependant, certaines concessions ont été faites et certains droits ont été accordés aux Canadiens d'expression française partout au pays dans certaines provinces et auxquelles continue de s'opposer votre gouvernement, par exemple. Je prends comme exemple l'éducation - le contrôle de leurs écoles par les groupes minoritaires d'expression française. Trois provinces ne reconnaissent toujours pas ce droit qui a été confirmé par les tribunaux. Ce droit a été confirmé par la Cour suprême du Canada en 1989 ou en 1990. Or, la Colombie-Britannique continue de refuser d'accorder à sa minorité d'expression française le droit de contrôler et d'administrer ses propres écoles, comme le font l'Ontario et Terre-Neuve. Les deux provinces les plus riches continuent de s'y opposer. Il ne s'agit donc pas d'une question d'argent.

C'est un aspect que les Québécois comprennent parce qu'il est renforcé par la presse. Il est très difficile pour des Québécois de gagner leur vie ailleurs qu'au Québec en conservant leur patrimoine français parce que certaines provinces ne les reconnaissent pas comme des Canadiens à part entière.

Vous dites que je ne dois pas m'arrêter à certains irritants qui nous touchent depuis les 14 dernières années. M. Gibson, j'ai un peu de difficulté à accepter votre argument. C'est pourquoi je ne suis pas de votre avis lorsque vous proposez que nous envisagions de nouvelles propositions exhaustives. Je crois que nous devons remédier à certains irritants du dossier constitutionnel actuel puis tåcher d'améliorer la situation.

M. Gibson: Je dois avouer que je ne suis pas aussi au courant que je le devrais de la question de l'enseignement francophone en Colombie-Britannique, et c'est peut-être un aspect du problème parce que je tåche de me tenir au courant du mieux que je peux des publications qui paraissent en Colombie-Britannique. Je tåcherai de mieux me renseigner sur cette question.

Cela dit, quant à savoir sur quoi les nouvelles propositions constitutionnelles devraient mettre l'accent, le cas échéant, je reviens à mon argument fondamental à savoir qu'il faut pouvoir les vendre. Elles doivent être acceptables partout au pays. Je ne fais que vous donner mon opinion; si ces propositions ne concernent que le Québec, elles ne seront pas acceptées par la Colombie-Britannique.

Le sénateur Gauthier: De manière équitable et juste. Je suis d'accord.

Le sénateur St. Germain: Comme le sénateur Gauthier, j'ai de la difficulté à envisager qu'on parvienne à élaborer une série de propositions constitutionnelles qui satisferont toutes les diverses régions du pays.

En 1985, on estimait que si le système politique en Colombie-Britannique était chargé d'Expo 86, les politiciens feraient face à des problèmes syndicaux et autres insurmontables dans la province. Le premier ministre de la province a choisi Jimmy Pattison pour renaître de ses cendres et transcender les divers groupes.

J'ai discuté avec de nombreux groupes de diverses régions du pays de leurs préoccupations. Ils demandent s'ils peuvent faire quelque chose dans le dossier constitutionnel. Il a été proposé qu'au lieu de laisser cette question entre les mains des politiciens, on essaie de trouver un ou deux non-politiciens pour piloter le dossier constitutionnel.

Lorsque le premier ministre a nommé M. Dion, j'espérais qu'il le garderait à l'écart de l'arène politique pour lui permettre de trouver une solution.

M. Gibson: Je ne connais personne qui en soit capable. Auparavant nous avons eu deux grands hommes: Pepin et Robarts. C'était des gens formidables.

Le sénateur St. Germain: Oui, mais c'était des politiciens.

M. Gibson: Ils n'étaient plus en politique. Ils avaient d'excellents recherchistes et ont réussi à tirer d'excellentes conclusions mais, au bout du compte, les politiciens ne les ont pas retenues.

Si, au lieu de nommer une ou deux personnes, les politiciens étaient disposés à habiliter un autre groupe de politiciens temporaires - si je peux m'exprimer ainsi - à former une assemblée constituante chargée de régler certaines de ces questions sous réserve de l'approbation des politiciens et de la tenue d'un référendum, c'est une formule qui pourrait fonctionner. Cependant, je ne sais pas qui ces deux personnes pourraient être.

Le sénateur St. Germain: Moi non plus. Ma question concerne davantage le processus que ceux qui s'en occuperaient.

Le président: Honorables sénateurs, en votre nom, je remercie M. Gibson de son excellente présentation.

Nous souhaitons la bienvenue à Mme Mary Dawson, sous-ministre adjointe de la Justice, et à ses collègues.

Mme Dawson, vous pourriez peut-être présenter vos collègues, puis nous passerons aux questions.

Mme Mary Dawson, sous-ministre adjointe, ministère de la Justice: Merci, monsieur le président. Aujourd'hui je suis accompagnée de Lou Davis, Thomas-Louis Fortin et Warren Newman.

Le sénateur Murray: J'ai plusieurs questions précises. La première porte sur la constitutionnalité du projet de loi. Il me serait très difficile de résumer les arguments présentés par plusieurs témoins quant à son caractère inconstitutionnel, parce qu'ils abordent tous cette question sous un angle différent. Vous êtes au courant des arguments qui ont été présentés quant à sa constitutionnalité. Selon vous, ces arguments sont-ils fondés?

Mme Dawson: Non, je pense que le projet de loi est constitutionnel. On peut discuter longuement de la question, mais je suis convaincue que le projet de loi est constitutionnel.

Le sénateur Murray: Stephen Scott nous a dit, dans son témoignage, que le projet de loi modifie la Constitution du Canada aux termes de l'article 44. Êtes-vous d'accord avec lui, et cela fait-il une différence?

Mme Dawson: Je répondrai d'abord à la deuxième partie de votre question. Je ne crois pas que cela fasse une différence et c'est pourquoi je ne m'en suis pas vraiment préoccupée. On peut modifier la Constitution aux termes de l'article 44 par une loi adoptée par le Parlement et c'est ce que nous faisons actuellement; par conséquent, s'il s'agit d'une modification aux termes de l'article 44, nous procédons comme il se doit.

Je n'aurais pas dit d'emblée qu'il s'agit d'une modification aux termes de l'article 44, mais je ne sais pas trop quelles sont les démarcations, et je ne m'en suis pas préoccupée dans ce contexte. C'est une possibilité.

Le sénateur Murray: Cela ne ferait-il pas une différence?

Mme Dawson: Je ne vois pas laquelle.

Le sénateur Murray: Vous savez, pour avoir comparu devant le comité de la Chambre des communes, que certains dirigeants autochtones insistent pour dire que le projet de loi doit comprendre une disposition non dérogatoire pour que leurs intérêts ne soient pas compromis. Plus précisément, voici l'une des ébauches de disposition qui nous a été présentée par un dirigeant autochtone:

Rien dans ce projet de loi ne porte atteinte aux droits, aux devoirs, aux pouvoirs ou aux privilèges du gouvernement et du Parlement du Canada de proposer ou d'autoriser une modification visant à:

a) reconnaître, affirmer ou protéger les peuples autochtones ainsi que leurs droits ancestraux et issus de traités ou d'autres droits et libertés, ou...

J'imagine qu'ils font référence au paragraphe 91.24 de la loi de 1867 et aux articles 25 et 35 de la loi de 1982.

Mme Dawson: Oui, c'est ce que je pense.

Le sénateur Murray: Êtes-vous d'avis que ces dispositions sont déjà visées par les exemptions du projet de loi C-110?

Mme Dawson: Non. L'exemption du projet de loi C-110 s'applique à celle prévue au paragraphe 38(3), concernant tout ce qui porte atteinte aux pouvoirs, aux droits et aux privilèges d'une province. Je pense que tout ajout aux droits autochtones serait probablement visé par cette disposition étant donné qu'en accordant des droits accrus aux autochtones, on enlèverait probablement, d'une façon ou d'une autre, des droits aux provinces. C'est le contraire de ce que vous avez lu.

Je soutiens que tout ce qui consisterait à accroître les droits autochtones ne serait pas visé par le présent projet de loi, mais que tout ce qui consisterait à leur en enlever le serait, et serait soumis à l'étape supplémentaire que le projet de loi C-110 prévoit. Il serait plus difficile de priver les autochtones d'un droit aux termes de ce projet de loi que ce ne l'est actuellement.

Le sénateur Carstairs: Pourriez-vous nous fournir un peu plus d'explications à ce sujet?

Mme Dawson: Assurément. C'est un peu déroutant.

Le retrait de droits autochtones serait assujetti au mode de révision 7-50. Cette décision ne serait pas visée par les exemptions prévues au projet de loi parce qu'elle ne relève pas des articles 41 et 43, ni du paragraphe 38(3) de la Constitution. Le projet de loi s'appliquerait donc. Comme le projet de loi établit des obstacles supplémentaires à franchir pour modifier la Constitution, il ferait en sorte qu'il serait plus difficile d'enlever des droits aux autochtones.

Le sénateur Carstairs: Ils prétendent le contraire, en disant qu'il leur serait plus difficile d'obtenir des droits.

Mme Dawson: Oui. Ils parlent d'obtenir des droits plutôt que d'en perdre. À mon avis, l'ajout de droits serait, en général, visé par le paragraphe 38(3) et échapperait donc à la portée du présent projet de loi.

Le sénateur Murray: Cela comprend la modification liée au droit inhérent, comme celle qui faisait partie de l'Accord de Charlottetown.

Mme Dawson: Je pense que oui. Quelqu'un a laissé entendre que, comme le gouvernement soutient que le droit inhérent est visé par l'article 35, il ne s'agirait pas d'un ajout aux droits des autochtones. Il faudrait examiner de près la modification proposée, mais je parie qu'il s'agirait d'un ajout à certains égards. Tout ce qui a trait à l'ajout de droits serait ainsi visé.

Le sénateur Murray: Le ministre de la Justice des Territoires du Nord-Ouest a déclaré, dans son témoignage devant nous, et je cite:

Nous savons que, dans quelques années, il faudra faire ce qu'on a convenu d'appeler un ménage, à la suite des modifications constitutionnelles découlant de la création du territoire du Nunavut le 1er avril 1999. En particulier, il faudra, un, créer un siège au Sénat pour le Nunavut; deux, modifier le paragraphe 51(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour que le Nunavut ait un député à la Chambre des communes; et trois, modifier la Charte des droits et libertés pour faire référence expressément au territoire du Nunavut.

Il ajoute plus loin:

Selon nous, les deux premières questions pourraient être réglées par une loi adoptée par le Parlement conformément à la Loi constitutionnelle de 1886 et ne seraient pas visées par le projet de loi C-110. Cependant, les modifications à la Charte seraient visées par le projet de loi.

J'aimerais savoir s'il est entendu qu'il faudra, à la suite de la création de ce territoire le 1er avril 1999, premièrement, créer un siège au Sénat pour le Nunavut; deuxièmement, modifier le paragraphe 51(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour permettre à ce territoire d'avoir un député à la Chambre des communes; et troisièmement, modifier la Charte pour faire référence à ce territoire.

Mme Dawson: Pour ce qui est des deux premiers points, il faudra sûrement le faire, pour des raisons légales ou politiques. C'est probablement même une obligation légale. Je n'en suis pas sûre.

Pour ce qui est de la Charte, il faudra le faire, par souci de précision. Si on ne parvenait pas à faire modifier la Charte à ce sujet, celle-ci pourrait peut-être être interprétée comme visant également le Nunavut de toute façon. Cependant, il serait prudent d'essayer d'obtenir cette modification.

Le sénateur Murray: Quels sont les fondements légaux permettant de croire qu'il faut ajouter un siège au Sénat?

Mme Dawson: Il n'y en a aucun qui me vient à l'esprit à l'instant.

Le sénateur Murray: C'est encore par souci de précision, n'est-ce pas?

Mme Dawson: Il est difficile d'imaginer qu'une partie du Canada n'ait pas de siège au Sénat, mais je pense que c'est une question politique.

Le sénateur Murray: Et un siège à la Chambre des communes également?

Mme Dawson: Oui.

Le sénateur Carstairs: Il y a deux sièges pour les Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Murray: Je crois comprendre, mais je n'en suis pas sûr, qu'il y a un siège pour l'Est et un pour l'Ouest, selon la Constitution. Il y a deux sièges pour les territoires. En accordera-t-on un troisième au Nunavut? Le sénateur Marchand fait signe que non.

Que pensez-vous de ce qu'ils proposent au sujet des deux premiers points - concernant le siège au Sénat et le siège à la Chambre des communes -, à savoir qu'ils pourraient être réglés par l'adoption d'une loi par le Parlement conformément à la Loi constitutionnelle de 1886? Ce serait l'article 44.

Mme Dawson: Je crois que c'est exact. C'est prévu dans la Loi constitutionnelle de 1886 et, autant que je sache, rien ne l'emporte là-dessus.

Le sénateur Murray: Il faudrait obtenir le consentement de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, même pour ajouter un siège au Sénat.

Mme Dawson: Je pense que c'est ce que prévoit la Loi constitutionnelle de 1886.

Le sénateur Murray: Les modifications à la Charte seraient visées par le projet de loi. Autrement dit, les modifications à la Charte dont vous parlez nécessiteraient le consentement de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population.

Mme Dawson: C'est exact. Comme je l'ai dit, cette modification serait probablement nécessaire par souci de précision, mais d'autres peuvent être d'un avis contraire.

Le président: Madame Dawson, est-il exact que votre ministère n'a pas commencé à travailler sur ce projet de loi avant l'engagement pris par le premier ministre lors de son discours à Verdun?

Mme Dawson: Oui, c'est exact.

Le président: Votre ministère a été chargé d'examiner la question vers la fin d'octobre et le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes trois ou quatre semaines plus tard. Je n'ai pas la date exacte de la première lecture du projet de loi à la Chambre des communes. Votre ministère a-t-il eu l'occasion de comparer la situation à celle d'autres pays du Commonwealth pour voir s'il y avait des précédents à ce sujet?

Mme Dawson: Pas au moment où nous avons rédigé le projet de loi.

Le président: A-t-on effectué des études comparatives par la suite?

Mme Dawson: Pas à ma connaissance.

Le président: Est-ce votre ministère qui produit l'acte garantissant qu'un projet de loi déposé au Parlement est conforme à la Charte canadienne des droits?

Mme Dawson: Oui.

Le président: L'a-t-on fait dans ce cas?

Mme Dawson: J'imagine qu'on a dû le faire.

Le président: Si je demandais si ce projet de loi a prépondérance sur la Charte canadienne des droits, quelle serait la réponse?

Mme Dawson: Je ne vois pas pourquoi ce projet de loi aurait prépondérance sur la Charte des droits.

Le président: Serait-il assujetti à la Charte canadienne des droits?

Mme Dawson: Je pense que oui.

Le président: A-t-on comparé ce projet de loi à la Loi sur le Parlement du Canada?

Mme Dawson: Non.

Le président: Y a-t-il lieu de croire qu'il pourrait y avoir des problèmes à ce sujet?

Mme Dawson: Je n'ai aucune raison de croire qu'il pourrait y en avoir.

Le président: Sur le plan de l'administration publique générale, plus vous avez de temps pour préparer un document du Cabinet ou rédiger un projet de loi, moins il y a de risques d'erreurs. Cela s'est-il vérifié au cours des nombreuses années pendant lesquelles vous avez travaillé au sein de l'administration publique?

Mme Dawson: Je pense que c'est logique. On prépare souvent des projets de loi rapidement et la plupart d'entre eux semblent se tenir. Votre énoncé est pratiquement tautologique. Autrement dit, plus vous avez de temps, plus vous avez le temps de faire des vérifications.

Le sénateur St. Germain: Si je comprends bien, essentiellement, le ministre signe un mandat ou un acte attestant que les mesures législatives sont conformes à la Constitution?

Mme Dawson: En fait, c'est le contraire. Le ministre dépose un acte à la Chambre des communes s'il a une raison de croire que le projet de loi soulève un problème du point de vue de la Charte. Les attestations relatives à la conformité de la Charte ne se font qu'à l'interne. Il est exceptionnel qu'un acte de cette nature soit déposé.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie de nous le préciser. On a déjà discuté de la question au moment de notre étude sur le projet de loi C-68, mais personne ne nous avait ainsi préciser la chose. La question que je voulais poser sur les peuples autochtones l'a été par le sénateur Murray.

Au sujet du projet de loi, le ministre avoue, et je cite:

C'est ma réponse à la question du sénateur. C'est une question politique. On remplit un engagement et il est impérieux que cet engagement soit rempli.

À ce sujet, vous a-t-on pratiquement dit quoi faire ou a-t-on rédigé le projet de loi de la façon habituelle?

Mme Dawson: Normalement, je pense qu'on dit quoi faire aux rédacteurs. On a produit le projet de loi de la façon habituelle.

Le sénateur Carney: J'ai deux points à préciser et ensuite, je vous demanderai de bien vouloir préciser ce sur quoi sont fondés tous les chiffres qui ont été lancés et qui peuvent être déroutants.

On a dit qu'il existait des ambiguïtés dans le projet de loi au sujet du consentement des provinces. Avez-vous rédigé le projet de loi de façon à ce qu'il soit ambigu?

Mme Dawson: Nous l'avons rédigé pour qu'il soit - et c'est le mot que nous avons utilisé - «flexible». Oui, nous voulions que le projet de loi assure une certaine flexibilité.

Le sénateur Carney: Une disposition de temporarisation entraverait évidemment la durée du projet de loi, mais aurait-elle une incidence particulière sur les discussions constitutionnelles de 1997? Serait-il plus difficile ou plus facile de procéder à des modifications?

Mme Dawson: Tout dépendrait de l'échéance de cette disposition de temporarisation. C'est probablement une question plus politique que légale. Selon l'échéance, cela pourrait avoir une incidence.

Le sénateur Carney: On nous a parlé de l'incidence du projet de loi en citant toute une série de pourcentages, comme 92,2 p. 100 par rapport à 50,3 p. 100. Qu'avez-vous à dire au sujet de l'incidence de ce projet de loi et du nombre de Canadiens qui devraient approuver une modification? Quels sont vos chiffres?

Mme Dawson: J'ai oublié ce que représentent mes chiffres. Le pourcentage de 92 me dit quelque chose. Cinquante est le pourcentage qui figure dans la Constitution. Il s'agit de deux pourcentages pertinents.

Le sénateur Carney: Quel est le 8 p. 100 qui est omis, si vous avez cinq veto régionaux?

Mme Dawson: Je ne suis pas certaine de la façon dont cela a été compilé. Ce serait deux des provinces dans les Maritimes et deux des provinces dans l'Ouest.

Le sénateur Carney: Et les territoires?

Mme Dawson: Et les territoires.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à l'article 35 parce que j'ai déjà soulevé ce point la semaine dernière.

La Commission royale dira probablement, comme certains ministres l'ont déclaré, que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège implicitement l'autonomie des peuples autochtones. C'est une théorie. Tous les auteurs ne s'entendent pas nécessairement là-dessus. Qu'en pense le ministère de la Justice?

Mme Dawson: Il n'est pas facile de répondre à cette question. Selon l'hypothèse de travail du gouvernement actuel, les droits inhérents sont protégés à l'article 35. Telle est l'hypothèse de travail actuelle du gouvernement. Mon opinion personnelle n'est pas très pertinente.

Le sénateur Beaudoin: Je soulève cette question parce que, en vertu du projet de loi C-110, le Cabinet fédéral s'opposera à une modification si l'une des cinq régions s'y oppose. Cela inclut l'article 91.24, de même que l'article 25 et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

D'autre part, si nous parlons de la formule de modification dans le cas de groupes ou d'organisations autres que les provinces et l'autorité fédérale, le projet de loi C-110 ne s'appliquerait pas parce qu'il nous faut l'unanimité pour modifier la formule de modification. Êtes-vous d'accord avec cela?

Mme Dawson: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Certains témoins qui se sont présentés ici nous ont dit que si nous accordions un droit de veto à cinq - trois provinces et deux groupes - les autres demanderont la même chose ou s'opposeront. Les territoires demanderont la même chose ou s'opposeront. Les peuples autochtones diront que cela ne suffit pas de participer et qu'ils doivent être consultés. Il se peut que finalement ils exigent une sorte de veto.

Il faut qu'il soit clairement précisé que le projet de loi C-110 ne s'appliquerait pas dans un tel cas. Pour changer la formule de modification, il nous faut obtenir l'unanimité comme le prévoit l'article 41. C'est clair.

Mme Dawson: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Je voulais le préciser aux fins du compte rendu.

Le président: Je remercie les hauts fonctionnaires d'être venus nous rencontrer.

Honorables sénateurs, nous nous réunirons de nouveau demain à 9 h 30 afin de procéder à l'étude, article par article, du projet de loi.

Le sénateur MacEachen: Puis-je tenir pour acquis que nous ne tenterons pas de rédiger un rapport et que nous nous contenterons de faire rapport du projet de loi, sans amendement? N'est-ce pas entendu?

Le président: Nous avons préparé une version provisoire de rapport qui contiendra un aperçu historique et une analyse des témoignages. Une copie de cette première ébauche pourrait être immédiatement mise à la disposition des membres du comité. Nous pourrions prendre le reste de l'après-midi et la soirée pour y jeter un coup d'oeil. Le document a été préparé par les attachés de recherche du comité. Si tous les membres du comité sont satisfaits de ce rapport. nous pourrions avoir alors un rapport unanime. Dans le cas contraire, nous pouvons décider tôt demain matin de prendre une autre direction.

Le sénateur MacEachen: Personnellement, je ne suis pas prêt à m'engager dans la préparation d'une ébauche de rapport qui constitue en un aperçu historique et en une analyse des témoins, et cetera. Un tel processus serait ennuyeux et ne servirait finalement à rien. Je préférerais que nous ne le fassions pas.

Le sénateur Murray: Même si cela se fait fréquemment, ce n'en est pas moins contraire aux règles. Je ne veux pas être peu accommodant en ce qui a trait au projet de loi, mais le règlement dispose qu'un comité doit faire rapport d'un projet de loi avec ou sans amendements. Je sais que cela se fait; on présente souvent des rapports narratifs.

Le seul point que je veux faire ressortir, c'est que je ne veux pas que nous perdions du temps à réviser le texte. S'il y a un rapport narratif auquel tout le monde donne rapidement son assentiment, ça va. Dans le cas contraire, monsieur le président, vous pourriez l'intégrer au discours que vous prononcerez, sans l'ombre d'un doute.

Le président: Nous avons une ébauche de rapport narratif. Si les membres veulent y jeter un coup d'oeil et qu'on est tous d'accord, ça va. Si cela pose un problème, le sage conseil que nous ont donné les sénateurs Murray et MacEachen est probablement la meilleure route à suivre.

Le sénateur MacEachen: On ne devrait passer sous silence aucune proposition appuyée à la fois par le sénateur Murray et par moi.

Le sénateur Carney: C'est historique en soi.

Le sénateur Gauthier: Des copies de ce rapport sont-elles mises à la disposition des sénateurs?

Le président: Oui, elles seront mises tout de suite à votre disposition.

Le sénateur Carstairs: Pour terminer sur une anecdote, je partagerai avec vous un élément de recherche que m'a fourni ma recherchiste. Je lui ai demandé de chercher combien de modifications avaient été apportées à la Constitution des États-Unis. La Constitution américaine a été modifiée 27 fois, dont 16 au siècle précédent. Seulement six modifications ont été apportées ce siècle-ci, et deux d'entre elles portaient sur l'introduction et l'annulation de la prohibition.

La modification la plus récente a été apportée en 1992 relativement aux salaires des membres du Congrès, et il a fallu 203 ans pour y parvenir.

Le président: Sur cette anecdote, le comité suspend ses activités jusqu'à 9 h 30 demain matin.

La séance est levée.


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