Délibérations du sous-comité de la
Sécurité
des transports
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 7 - Témoignages du 19 avril (séance de 11 h 30)
MONTRÉAL, le mercredi 19 févier 1997
Le sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 11 h 30, pour étudier la sécurité des transports au Canada.
Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Messieurs, je vous laisse le soin de décider vous-mêmes de la façon dont vous voulez procéder, c'est-à-dire soit individuellement ou collectivement. Nous pourrions peut-être entendre les trois exposés, puis vous poser des questions.
M. Peter Machet, président, Avrail Inc.: Je suis accompagné aujourd'hui de M. Reg Learn, notre vice-président, et de M. Tom Prescott, de Forensic Engineering Inc., un associé d'Avrail. Chacun d'entre nous parlera d'un sujet différent.
Ainsi, je vous entretiendrai d'aviation, car c'est une industrie que je connais bien, et M. Learn vous parlera de transport ferroviaire, ainsi que de camionnage, probablement.
M. Tom Prescott, associé, Forensic Engineering Inc.: Quant à moi, je me concentrerai sur l'industrie du camionnage.
M. Machet: Je crois savoir que vous vous intéressez surtout à la déréglementation et à la façon dont elle influe sur la sécurité.
Le président: Nous étudions la sécurité à court terme, mais nous sommes bien déterminés à étudier aussi le long terme, c'est-à-dire à voir où nous entraînera la technologie et comment vivre l'adaptation en toute sécurité. Nous souhaitons savoir à quel point le consommateur, c'est à dire l'utilisateur final des transports, sera en sécurité en l'an 2010 ou 2020. Notre comité a un mandat très large.
Nous sommes en train de nous renseigner. Nous ferons donc particulièrement bon accueil à votre jugement pour nous aider à trancher entre deux camps opposés, celui des chemins de fer et celui des syndicats. En règle générale, la sécurité du transport ferroviaire nous semble satisfaisante. Les efforts déployés depuis quelques années pour améliorer la sécurité sont très marqués. Cependant, il subsiste un conflit. Nous espérons que vous pourrez éclairer notre lanterne à ce sujet.
Reginald Learn, vice-président, Avrail Inc.: Je commencerai par vous lire notre mémoire qui vous intéressera peut-être.
Le président: Pourriez-vous en laisser un exemplaire auprès du greffier?
M. Learn: Oui. J'en enverrai un à M. Wilson par télécopieur.
Grâce à notre témoignage d'aujourd'hui, nous espérons sincèrement pouvoir fournir au comité suffisamment de données factuelles pour qu'il comprenne bien les effets de la déréglementation sur la sécurité des transports. C'est pourquoi nous avions tellement hâte de témoigner.
Le besoin perçu de déréglementer l'industrie des transports, tant aux États-Unis qu'au Canada, ne date pas d'hier. Déjà au début des années 80, il était question de déréglementation. On croyait au sein de l'industrie qu'un nivellement des règles permettrait aux grandes sociétés et aux plus forts de survivre et d'accroître leur part du marché, alors que le gouvernement, moins convaincu de la nécessité de déréglementer, assouplissait en partie la réglementation et réduisait ses subventions. L'industrie des transports rêvait de recettes accrues et de moins de réglementation, et le gouvernement y voyait un moyen de réduire ses dépenses.
On affirmait durant cette période qu'il serait impossible pour le Canada de résister au changement. Le gouvernement du Canada était aux prises avec le phénomène de la mondialisation de l'économie, qui a entraîné la récession et fait grimper le taux de chômage au-delà de 10 p. 100. Il est certain que la dette nationale et le déficit ont aussi joué dans la décision du gouvernement de changer sa politique en matière de transports.
La théorie de la déréglementation est sensée et partait, en grande partie, de bonnes intentions. Élargir la base du transport fournissant les services dans les coins les plus reculés du Canada était une bonne idée, mais le principe ne visait pas à permettre aux transporteurs d'agir dans leur propre intérêt financier.
De nombreux appels à la prudence et cris d'alarme ont été lancés à la Chambre des communes tout au long des années 80 et au début des années 90, comme en témoigne le hansard. Il a fallu régler de nombreuses questions et mettre en place certains programmes avant de déréglementer. Il aurait fallu aussi avoir en place des agents mieux formés et plus expérimentés pour effectuer les inspections de sécurité, dont le nombre s'était accru et la portée, élargie. Il est toutefois étonnant de constater qu'après 10 ans de déréglementation, en règle générale, les Canadiens ne comprennent pas les effets de cette politique et que le gouvernement n'a pas encore maîtrisé la question.
Les chemins de fer ont abandonné dans le monde de la déréglementation des collectivités entières, ainsi que les lignes qui exercent leur droit de s'autogérer. Tout cela s'est fait avec la garantie, par les chemins de fer, que la sécurité ne serait pas compromise. En d'autres termes, la déréglementation et le rôle de l'organe de réglementation dans un tel contexte ont pris forme avec la garantie, par les chemins de fer, que la sécurité ne serait pas compromise.
La déréglementation a été adoptée au début de la récession. Les forces de l'économie rétrécie, le marché amenuisé et les camions beaucoup plus nombreux sur les routes se faisaient une concurrence inutile. L'industrie du camionnage a commencé à manifester. Le ministre des Transports a créé un groupe de travail chargé d'examiner les questions et les problèmes de l'industrie du camionnage.
D'après le groupe de travail et ses analystes indépendants, c'est le revenu peu élevé et instable qui était au coeur du problème. L'industrie du transport a bénéficié d'un allégement fiscal temporaire d'environ 120 millions de dollars par an pour les carburants diesel et d'aviation. En même temps, la dépréciation des camions et des tracteurs est passée de 30 à 40 p. 100. Pour les chemins de fer, elle est passée de 7 à 10 p. 100. Le gouvernement fédéral a donné une subvention d'aide supplémentaire de 2,7 millions de dollars pour améliorer la situation des sociétés financièrement viables et encourager la concurrence au sein de l'industrie du camionnage. Enfin, le gouvernement fédéral a contribué 3 millions de dollars à la création du Trucking Research Institute.
Au Parlement, les députés se sont déclarés inquiets, avant et après la déréglementation, affirmant que si l'on ne réglait pas certains problèmes comme ces compressions dans les domaines des finances et des inspections effectuées normalement par l'organe fédéral de réglementation et l'industrie, la réforme en matière de réglementation nuirait aux normes de sécurité.
Je ne peux parler de l'effet de la déréglementation sur l'industrie du chemin de fer que dans le contexte des enquêtes d'accidents ferroviaires. Au Bureau de la sécurité du transport multimodal, trois modes de transport ont clairement reconnu qu'il y avait là une menace et que l'industrie essayait d'en faire plus avec moins.
Les infrastructures, les éléments mécaniques et les facteurs humains ont été réduits à l'extrême au sein de l'industrie du chemin de fer. Il y a de moins en moins d'inspections de trains, moins d'employés et moins d'inspecteurs fonctionnaires, que ce soit au sein de FRA, du côté américain, ou de Transports Canada, dans notre pays.
On prétend que la surveillance électronique et le rejet de roues comportant coussinets et méplats diminuent le risque de déraillement. Ce n'est pas entièrement vrai. On peut citer d'autres facteurs comme une diminution évidente du nombre d'inspections faites par des cadres expérimentés et par le gouvernement, les retards exagérés en ce qui concerne le remplacement de pièces, l'affaiblissement de la réglementation fédérale et enfin, la non-observation des avis de sécurité que le Bureau de la sécurité des transports envoie aux régulateurs.
À Edson, en Alberta, trois hommes ont perdu la vie, lorsque des wagons fous ont heurté leur train qui roulait vers l'ouest à 55 milles à l'heure. Entre 1990 et 1996, plus de 160 incidents de wagons fous sur des chemins de fer réglementés du Canada ont été signalés. Les wagons fous avaient été placés sur une voie d'évitement en pente vers l'est. Le rail «D» qui protégeait la voie d'évitement avait été enlevé peu de temps avant 1990 pour faciliter le mouvement des trains sans wagon de queue. Transports Canada n'oblige pas les chemins de fer à l'informer du moment et de l'endroit où de tels dispositifs de protection de rails sont enlevés.
En 1994, le Bureau de la sécurité des transports a émis un avis de sécurité à Transports Canada qui, par l'entremise du ministre, a répondu que s'il y avait des wagons fous, c'était parce que les équipes ne respectaient pas le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, notamment le règlement 112, et que les chemins de fer renforceraient la discipline à cet égard. Cette réponse jugée satisfaisante n'a pas empêché la mort de trois personnes le 12 août 1996.
Le Bureau de la sécurité des transports continue d'émettre des avis de sécurité à l'organe de réglementation, soit Transports Canada. Messieurs, en ce qui concerne les nombreuses réponses de Transports Canada au Bureau de la sécurité des transports ou, dans certains cas, l'absence de toute réponse, je dirais que je préférerais un chien de garde à un chien d'appartement; c'est ainsi que les choses sont actuellement perçues au sein de l'industrie.
Le Bureau de la sécurité des transports n'a pas exercé les pouvoirs dont il est investi en vertu de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, laquelle stipule:
[...] en constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par de tels accidents... toute situation dont le bureau a des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait, à défaut de mesure corrective, provoquer un tel accident ou incident.
Pendant les sept années que j'ai passées au bureau, aucune enquête publique n'a été menée en dépit de terribles accidents ferroviaires comme celui de Oakville, au Manitoba, de Long Lac et de la subdivision King Horn, en Ontario et plus récemment, de Edson, en Alberta.
Le bureau a semblé se contenter de faire des études étalées sur des années et de ne jamais les publier. Citons par exemple, le rapport sur la sécurité ferroviaire, qui est connu comme l'étude sur le risque de collision, entamé en 1993, qui n'a pas été encore publié et risque de ne jamais l'être en raison de son impact éventuel.
Si Transports Canada ne réagit pas aux avis de sécurité, il y aura encore des accidents. Si l'on n'arrive pas à financer les trois bureaux de la sécurité des transports ainsi que tous les groupes de soutien, on peut se demander quelle est la raison d'être du Bureau canadien de la sécurité des transports, de l'Office national des transports et de Transports Canada, sécurité ferroviaire.
M. Mazankowski voulait bien sûr former un groupe d'enquête distinct, indépendant, à même Transports Canada. Auparavant, le Comité des transports par chemin de fer était non seulement l'organe de réglementation, mais aussi l'organe d'enquête. Aujourd'hui, nous avons trois bureaux au sein du gouvernement fédéral. Dans le cas de deux d'entre eux en particulier, c'est l'organe de réglementation qui fait les inspections, adopte les lois et les met en application; l'organe d'enquête se charge des violations, des pannes du matériel, et cetera.
Si trois bureaux sont proposés, je dirais que d'après mon expérience dans le domaine des enquêtes au sein du gouvernement, il faudrait revenir à l'ancien système pour économiser l'argent des contribuables. Chacun des ministères est doté de services d'administration, tout comme les groupes de soutien périphériques. À mon avis, le Canada ne devrait pas imiter les politiques des États-Unis; par contre, nous pourrions très bien nous en sortir, compte tenu de la réalité économique actuelle, avec un seul organe d'enquête et de réglementation composé de personnes bien renseignées, d'expérience et qui considèrent la sécurité comme étant la question la plus importante qui se pose dans l'industrie du transport aujourd'hui.
Le président: Je suis sûr que vous vous souvenez d'un très grave accident survenu dans une mine à Wabush, alors qu'un aérien sur pylône avait été déplacé d'un côté de la piste à l'autre. Alors que j'observais le contrecoup de l'enquête, je me suis juré, en ma qualité de secrétaire parlementaire du ministre des Transports, et même avant que je n'occupe pareil poste, que si j'avais mon mot à dire, un organe de réglementation, quel qu'il soit, ne s'occuperait jamais des enquêtes.
Voudriez-vous revenir à l'éventualité de conflit d'intérêts?
M. Learn: Ce que je dis s'appuie sur ce qui se passe au sein des bureaux.
Le président: Êtes-vous ou avez-vous été membre du bureau?
M. Learn: Oui. J'ai été surintendant des enquêtes, District de l'Ontario. Avant cela, j'ai siégé au sein de l'Office national des transports et avant encore, au Comité des transports par chemin de fer. J'ai en outre passé 37 ans au Canadien national; je suis aujourd'hui à la retraite.
À l'époque de l'accident de Hinton, en Alberta, j'ai cru que M. Mazankowski avait pris la bonne voie. Lorsque nous avons relevé du bureau, situation que nous avons choisie, je me suis rendu compte que vu l'importance des questions de sécurité à mes yeux, je jouerais un rôle plus utile si j'enquêtais sur les causes et les circonstances des accidents. Je croyais que les recommandations faites aux organes de réglementation seraient adoptées.
Ce n'est pas ce qui se produit dans tous les cas. Pouvons-nous donc dire que nous atteignons l'objectif que nous nous sommes fixé en matière de sécurité? Par exemple, nous avons envoyé un avis de sécurité au BST à Hull, au Québec; c'est à ce bureau de décider se cet avis est justifié ou non. Dans l'affirmative, il le transmet à Transports Canada. L'organe de réglementation décide donc s'il est valide, en ce qui le concerne, ou si cela cadre avec son programme, etc. S'il décide que l'avis en question n'est pas justifié, il ne le met pas en application. À mon avis, la sécurité s'en trouve amoindrie.
Les enquêtes relèvent de la compétence du bureau, lequel doit présenter un rapport à Hull dans les 30 jours. Toutefois, étant donné que le produit final passe par les divers niveaux du bureau, y compris par un groupe appelé «programmes de sécurité», il se passera bien deux ans avant que le rapport ne soit rédigé, qu'il n'ait fait l'objet d'un examen juridique et qu'il ne soit rendu public; dans certains cas, il perd de son intérêt. Nous avons donc perdu le contrôle et le processus est maladroit.
J'ai pris ma retraite le 27 juillet 1996 et je suis heureux de voir qu'un comité va entendre certaines des craintes de gens comme moi.
M. Machet: Je vais parler de l'aviation. Je suis convaincu que la situation économique d'une ligne aérienne influe directement sur son service de sécurité. Si je le dis, c'est parce que, ces dernières années, j'ai remarqué qu'en essayant de s'emparer d'une part plus importante du marché, surtout au Canada, les lignes aériennes ont poussé leurs ressources à la limite de leurs capacités, tant et si bien que la survie est devenue l'objectif principal, les questions de sécurité n'étant plus prioritaires. À cause des compressions au sein des lignes aériennes, il se peut fort bien qu'un seul employé à plein temps gère des services, y compris le service de sécurité. Dans le cas des lignes aériennes moins importantes, cet employé peut travailler à temps partiel. Dans certains cas, un pilote de ligne peut s'occuper de la sécurité après ses fonctions de pilote. Il y a très peu de continuité en ce qui concerne ce travail, surtout dans le cas des petites lignes aériennes.
Bien que les grandes lignes aériennes aient leurs propres services spécialisés, ces derniers ont été considérablement réduits alors que la charge de travail n'a pas changé. Les employés qui font ce travail le font remarquer.
La déréglementation a certainement poussé les ressources lignes aériennes à la limite de leurs possibilités. Je parle en particulier des deux grandes lignes aériennes qui doivent essayer de s'emparer d'une bonne part du marché le plus rapidement possible pour essayer de se maintenir à flot. L'environnement des lignes aériennes est très volatil, très fragile.
Les lignes aériennes brassent évidemment beaucoup d'argent. Elles font des millions, mais dépensent également des millions. Toutefois, la marge de profit est très étroite, et de toute évidence, cela se répercute sur toute l'opération, notamment sur la sécurité, ce qui nous préoccupe.
En ce qui concerne les lignes aériennes, les récentes compressions effectuées dans les divers bureaux ont exacerbé la question de sécurité. Transports Canada et le Bureau de la sécurité des transports ont tous les deux subi certaines compressions. Transports Canada envisage même de sous-traiter certaines fonctions de vérification et d'inspection de ces lignes aériennes. Il est question d'embaucher des sociétés privées, d'approuver le personnel de ces sociétés et de les laisser faire les vérifications plutôt que de les confier à des employés de Transports Canada. Le problème, c'est que Transports Canada va perdre un certain contrôle en matière de vérification ou d'inspection.
En ce qui concerne le Bureau de la sécurité, M. Learn a abordé certains des points de préoccupation relatifs aux chemins de fer. Dans le domaine de l'aviation, les problèmes sont les mêmes. Avant la création du Bureau de la sécurité des transports, on avait le Bureau canadien de la sécurité aérienne, créé dans la foulée des conclusions du rapport Dubin. Si l'on a créé un organe distinct, c'était pour isoler le bureau du rôle de réglementation du gouvernement. Cela semblait une excellente idée mais, au moment de cette séparation, le bureau est devenu complètement indépendant, non seulement de l'organe de réglementation, mais aussi de l'industrie, puisqu'il a creusé l'écart entre lui et celle-ci. Par conséquent, il a perdu le contact avec l'industrie.
Lorsqu'il faisait partie de Transports Canada sous l'appellation Bureau de la sécurité aérienne, il gardait le contact avec l'industrie par l'entremise de Transports. Il y avait toujours des échanges et les connaissances étaient mises à jour régulièrement. Récemment, je me suis aperçu qu'il n'est pas à la hauteur et ne sait pas ce qui se passe dans l'industrie. Lorsqu'il mène une enquête ou fait des recommandations à Transports Canada, il ne comprend pas tout à fait comment l'industrie fonctionne.
Si je mentionne cela, c'est parce qu'on a dit que l'organisme de réglementation et le Bureau de la sécurité étaient deux entités distinctes.
Les compressions d'effectifs ont également eu un impact sur le fonctionnement des deux organismes. Nous avons perdu des employés par attrition et par suite des récentes offres de rachat d'emploi. Certains de ces inspecteurs sont en train d'être embauchés par les nouvelles compagnies aériennes privées, ce qui a pour effet de réduire encore plus les effectifs de Transports Canada et du Bureau de la sécurité des transports. Bien que ces personnes aient travaillé pour Transports Canada, leur loyauté change en fonction de celui qui paie leur salaire, ce qui veut dire que leurs intérêts changent aussi.
Même s'ils arrivent à trouver d'autres personnes pour combler ces postes, il faudra beaucoup de temps avant que ces employés n'acquièrent de l'expérience. Il faudra peut-être attendre quelques années avant qu'ils soient en mesure de faire des inspections et des vérifications.
Le président: Est-ce que cela peut avoir un impact sur la sécurité?
M. Machet: Il faudra du temps avant que ces personnes ne deviennent efficaces. Cela peut avoir un impact sur la sécurité.
Le président: Ce que vous dites là est très grave. Je suis désolé de l'entendre, mais il faut être réaliste. Vous êtes mieux placé que moi pour le savoir.
M. Learn: Lorsque j'ai pris ma retraite en juillet dernier, j'ai été remplacé par la prochaine personne en lice pour le poste. Il n'y avait donc plus que trois enquêteurs en Ontario: un à Sarnia, où les besoins sont grands parce qu'il y a beaucoup de fabricants de produits chimiques, et deux à Toronto. Il y a des incidents majeurs qui se produisent et qui ne font pas l'objet d'enquêtes par le Bureau de la sécurité des transports. Le bureau mène ses enquêtes de façon ponctuelle. Autrement dit, il va envoyer un inspecteur sur le terrain s'il estime qu'une intervention s'impose. L'enquêteur à Edmonton a pris sa retraite récemment et il ne sera peut-être pas remplacé par quelqu'un d'autre. Il n'y a donc qu'un seul enquêteur sur la côte est.
Le président: Dans les quatre provinces de l'Atlantique?
M. Learn: Oui.
Il y a deux enquêteurs au Québec qui vont prendre leur retraite prochainement, ce qui veut dire que, dans un an environ, le Québec n'aura plus qu'un seul enquêteur. L'enquêteur à Winnipeg a plus de 70 ans, et il compte lui aussi prendre sa retraite bientôt. Cecil Darby, à Vancouver, aura bientôt 70 ans. C'est un ancien surintendant de CP, donc vous pouvez vous imaginer tout le savoir et l'expérience qu'il emportera avec lui lorsqu'il prendra sa retraite. Nous allons bientôt perdre tous nos enquêteurs expérimentés. C'est un jeune homme ayant une formation de journaliste qui sera affecté à la région de Calgary.
Si je vous donne l'impression d'être trop zélé, c'est parce que je le suis. Les compagnies de chemin de fer font rouler leurs trains plus loin, moins avec moins d'employés. Elles viennent tout juste de couper 14 000 postes.
Aujourd'hui, le Canadien National a 25 inspecteurs et il veut ramener ce chiffre à 18. S'il fait rouler ses trains plus loin avec moins d'employés, cela veut dire qu'il y aura moins d'inspections qui vont être faites par des gens qualifiés. Il n'y a plus de wagonniers de catégorie A. Cela a un impact direct sur la sécurité.
Le sénateur Rivest: Et qu'en est-il de la technologie? Est-ce qu'on fournit de l'équipement technologique aux employés?
M. Learn: La technologie est un outil magnifique, il n'y a aucun doute là-dessus. Je ne suis pas contre les compressions d'effectifs, tant et aussi longtemps que la sécurité est maintenue. On ne peut pas tout faire avec la technologie. Ce qui m'inquiète avant tout, c'est que celle-ci est introduite beaucoup trop rapidement. Les équipes de locomotive sont soumises à des pressions énormes.
VIA Rail négocie présentement une entente en vue de faire rouler ses trains passagers, dans le corridor, à une vitesse de 100 milles à l'heure. Un conducteur de locomotive devra parcourir la distance Toronto-Montréal à 100 milles à l'heure, pendant 334 milles.
Il faut voir aussi ce qui se passe aux points frontaliers. J'ai un imprimé volumineux qui fait état de tous les trains qui sont entrés au Canada via Buffalo et Black Rock pendant un an. J'ai envoyé cet imprimé au BST, à Hull, au Québec, accompagné d'un rapport de 42 pages que j'ai intitulé Niagara, et dans lequel j'expose mes préoccupations au sujet des inspections qui sont effectuées aux points frontaliers. Au cours de cette période, parmi tous les trains qui sont entrés au Canada via Buffalo, New York, pas un seul n'a fait l'objet d'une inspection. Je parle ici des inspections de la FRA.
La compagnie de chemin de fer a supprimé tous les postes d'inspecteur à Fort Erie. Les trains qui transitaient par ce terminal n'ont fait l'objet d'aucune inspection pendant un an. Les trains entrent au Canada via Fort Erie. Certains des wagons peuvent venir de la Californie. Ces trains traversent des régions métropolitaines de recensement, comme Oakville, Mississauga et Toronto, avant de s'arrêter à Montréal.
Le président: Est-ce qu'ils transportent des marchandises dangereuses?
M. Learn: Absolument. Nous faisons état d'un cas dans le rapport soumis au BST. Un train a traversé la frontière en tirant derrière lui 18 wagons remplis d'essence. Aucune inspection n'a été faite. Lorsque nous avons accepté que des trains sans wagons de queue circulent sur les voies ferrées, nous avons exigé, entre autres, que les marchandises dangereuses soient transportées dans des wagons placés à au moins 2 000 pieds de la queue du train, et qu'un détecteur de lumière soit installé à l'arrière du train.
Pour répondre à votre question rapidement, le 31 janvier, le Bureau de la sécurité des transports a annoncé qu'il y a eu, en 1996, 14 collisions sur des voies principales, la moyenne sur cinq ans étant de 10 collisions. Il a laissé entendre que le nombre de collisions ferroviaires a augmenté récemment, et qu'il y a eu 189 déraillements sur des voies principales en 1996, en hausse de 23 p. 100 par rapport à 1995. Les déraillements survenus au cours des cinq années précédentes impliquaient surtout un wagon. Toutefois, en 1996, on a enregistré une augmentation importante du nombre de déraillements impliquant plusieurs wagons, c'est-à-dire quatre ou plus. Le bureau a également fait état d'une augmentation du nombre de déraillements impliquant des wagons transportant des marchandises dangereuses.
M. Prescott: Mon intervention portera sur les accidents de transport qui surviennent sur les autoroutes. Je suis un enquêteur et je travaille en étroite collaboration avec les policiers qui, en général, sont les premiers à arriver sur les lieux d'un accident. Les policiers s'attachent surtout, avec raison, à déterminer si une infraction au code de la route a été commise.
Mon travail consiste à prendre les résultats de mon enquête et ceux de l'enquête menée par la police, et d'analyser tous les facteurs techniques et environnementaux qui auraient pu être à l'origine de l'accident, les conditions climatiques et autres facteurs de ce genre. Les tribunaux se servent de cette analyse dans leur examen de la responsabilité, tandis que les compagnies d'assurances l'utilisent pour s'entendre avec les parties concernées quant aux dommages-intérêts qui doivent être versés.
Bon nombre de mes collègues, en particulier les policiers, qui ont des compétences identiques aux miennes, ne se considèrent plus comme des «enquêteurs d'accidents», mais comme des «enquêteurs de collisions», parce que le dictionnaire définit le mot «accident» comme un événement inévitable. Or, d'après mon expérience et celle de la plupart de mes collègues, les accidents sur les autoroutes sont, dans une large mesure, évitables. Par conséquent, ce ne sont pas des accidents, au sens strict du mot.
De manière générale, le travail des policiers prend fin dès qu'ils ont terminé leur enquête conformément aux dispositions du code de la route. Toutefois, mon travail ne prend fin que lorsque le tribunal a rendu sa décision et que la compagnie d'assurance a fixé les dommages-intérêts. Les analyses d'accidents permettent à nos deux équipes de tirer certaines leçons mais, malheureusement, ces leçons ne semblent jamais être comprises par les technocrates qui s'occupent d'établir les règles et les règlements. Voilà pourquoi j'étais très heureux de pouvoir partager certaines de mes expériences avec vous.
Je veux aujourd'hui explorer trois points: la formation des conducteurs, la complexité de notre réseau autoroutier et les dangers qu'il présente, et notre tendance à favoriser les mesures correctives aux mesures préventives.
Tous les trois comportent un facteur humain. Je suis un ingénieur qui travaille depuis 27 ans avec la technologie. Au cours de cette période, j'ai appris que l'homme, et non la technologie, est le facteur le plus important. À mon avis, la meilleure façon d'améliorer la sécurité, c'est par la formation. Des adaptations technologiques peuvent être apportées. Nous pouvons améliorer les autoroutes et les véhicules, mais nous pouvons réaliser encore plus de progrès en misant, notamment, sur la formation des conducteurs.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Dans le premier cas, l'accident était attribuable à de très mauvaises conditions de route. On a fait appel à un camion de sel cinq minutes après que l'OTM eut annoncé que les routes étaient recouvertes de verglas. Le conducteur était extrêmement consciencieux et compétent, mais il n'avait jamais conduit de camion de sel auparavant. C'était la première sortie de la saison, et la première expérience de ce genre pour lui. Il a été le premier à partir, moins de deux minutes après avoir reçu l'appel. Il n'a pas répandu de sel sur le premier pont qu'il a traversé, même si ce pont était complètement recouvert de glace noire. Il circulait à 30 kilomètres à l'heure, de sorte qu'il n'était pas gêné par le verglas. Toutefois, moins de cinq minutes après qu'il eut traversé le pont, deux accidents se sont produits, dont une collision frontale. Si, au cours de ses deux ou trois premières sorties, ce nouveau conducteur avait été accompagné d'un conducteur expérimenté qui l'aurait aidé à repérer la glace noire et qui lui aurait indiqué où répandre le sel, l'accident aurait pu être évité.
Mon deuxième exemple concerne un camion-citerne qui n'était pas rempli à capacité. Comme le chargement liquide se déplace pendant le trajet, il y a des forces physiques importantes qui s'exercent sur le camion-citerne. Encore une fois, ce camion était conduit par un conducteur relativement jeune. C'était la première fois qu'il transportait un chargement liquide, et c'était sa première sortie de la journée. Lorsqu'il s'est engagé sur la bretelle pour aller rejoindre la 401, le camion a basculé et son contenu s'est répandu, causant un déversement environnemental important. Heureusement, il n'y a pas eu de blessés.
Mon troisième exemple porte sur le transport sécuritaire des marchandises. Des rouleaux ont été placés à bord d'une semi-remorque aux États-Unis. Celle-ci a ensuite été scellée et reprise en charge par un véhicule tracteur venant du Canada. Le conducteur du véhicule n'était pas présent pendant le chargement de la semi-remorque, de sorte qu'il n'a pas vu si les marchandises étaient bien arrimées. Il n'a pas demandé qu'on brise les scellés pour qu'il puisse inspecter le contenu. Il savait, en raison de son expérience, qu'il était responsable de la sécurité du chargement, mais il a choisi, pour une raison ou une autre, de ne pas l'inspecter. Une fois rendu au Canada, il a décidé de prendre des routes secondaires parce qu'il était pressé par le temps. Il a pris un virage. Un des rouleaux a perdu sa cale, est allé frapper la paroi de la remorque et celle-ci s'est renversée.
Mon dernier exemple concerne un camion à benne qui descendait un chemin en pente raide. Encore une fois, le conducteur était inexpérimenté et roulait trop vite. Il a essayé de rétrograder, et a brisé sa boîte de vitesses. Au lieu d'appuyer sur les freins, il a choisi de les pomper, ce qui a pour effet, dans un véhicule muni de freins à air comprimé, d'épuiser rapidement le cylindre. Il ne pouvait plus utiliser son levier de vitesses pour ralentir, et il n'avait plus de freins. Le conducteur a frappé un autre véhicule et tué l'occupant de ce dernier.
Mon message est le suivant. D'abord, il faut mettre sur pied de bons programmes de formation pour les conducteurs. Nous n'avons pas encore de programmes d'apprentissage par jumelage qui permettent aux conducteurs expérimentés de transmettre leurs connaissances sur le transport sécuritaire des marchandises.
Ensuite, notre réseau autoroutier est complexe. Nous conduisons probablement tous un véhicule. Comme c'est une seconde nature pour nous. Nous ne pensons pas à la complexité de notre réseau. Nous avons sur nos autoroutes des tracteurs de 60 tonnes qui côtoient des voitures d'une tonne. Un rapport de masse de 60 à 1, c'est énorme. Une fois qu'ils ont quitté le réseau autoroutier, ces tracteurs de 60 tonnes empruntent les mêmes routes que les bicyclettes et les piétons. Les conducteurs de ces véhicules détiennent un avantage énorme, mais ils présentent aussi un sérieux danger pour tous les véhicules plus petits qui circulent autour d'eux.
Pourquoi ces autres véhicules vont et viennent autour d'eux? Quant à moi, je crois -- et la recherche est là pour appuyer mes dires -- que la plupart des gens ne comprennent pas les limites techniques de leur véhicule. Parce que leur véhicule est équipé de freins antiblocage, ils se croient invincibles, mais il n'en est rien. Sur les routes, un conducteur de semi-remorque très responsable essaiera de maintenir une certaine distance entre son véhicule et celui qui le précède. Vous verrez aussi des véhicules plus petits se rabattre devant une sema-remorque en laissant parfois moins que l'espace d'un véhicule entre les deux. Ce dont ces gens ne se rendent pas compte, et c'est le cas de beaucoup de conducteurs de camions également, c'est que les freins à air comprimé d'une semi-remorque n'entrent en fonction qu'environ zéro virgule trois secondes après que le conducteur a appuyé sur la pédale. Ainsi, si l'on prend le cas d'une semi-remorque qui roule à 100 kilomètres à l'heure et dont les freins ne peuvent être appliqués -- peu importe la bonne qualité du système de freinage ou la vitesse de réaction du conducteur -- pendant zéro virgule trois secondes, le véhicule parcourra 13 mètres, c'est-à-dire presque que trois longueurs de véhicule avant que quoi que ce soit se produise.
Le véhicule qui précède est alors assujetti à certaines variables. Il est conduit par une personne. À la différence d'un avion, aucune règle stricte ne s'applique en ce qui concerne la fatigue, la formation, le nombre de personnes dans la cabine. Il se peut que le conducteur du véhicule utilise un téléphone cellulaire, parle à un autre occupant du véhicule, écoute la radio, soit fatigué ou que sa vigilance soit perturbée.
Cela rend l'environnement routier très complexe. Ce que je veux vous dire ici, c'est qu'étant donné que vous étudiez les trois modes de transport principaux, c'est-à-dire aérien, ferroviaire et routier, vous ne devez accepter aucune forme de médiocrité en ce qui a trait aux règles et aux règlements qui s'appliquent aux voies publiques. Nous devrions nous attendre à ce que soient appliquées des normes aussi élevées que dans les transports ferroviaire et aérien. Ainsi, nous verrons des progrès en matière de sécurité sur nos routes.
Le troisième point que je veux faire ressortir c'est que, en tant que société, nous donnons l'impression d'attendre qu'un problème ne devienne sérieux aux yeux du public avant de prendre le taureau par les cornes. J'appelle cela une solution «réactive» par opposition à une solution «proactive». À Toronto, un poids lourd chargé de gravier a percuté une maison et a tué une femme, après être sorti d'une bretelle. Cet accident a ameuté l'opinion. L'enquête a révélé que l'entreprise de camionnage avait enfreint à maintes reprises des règles de sécurité avant cet accident. À mon avis, il n'y a que sur la route que nous pouvons attraper ces contrevenants. Les agents de police de la circulation routière avaient déjà observé toutes les infractions dont cette entreprise de camionnage s'était rendu coupable. Je crois que beaucoup de nos entreprises de transport ont oublié que l'utilisation des voies publiques est un privilège et non un droit.
Les entreprises estiment que leur rôle consiste à transporter des marchandises du point A au point B en empruntant la voie publique qu'ils l'utilisent de manière à maximiser leurs profits. Personne n'a rien contre le fait que les entreprises fassent des profits, mais ces marchandises sont trop souvent transportées de manière à poser un risque accru pour le reste du public qui a aussi le droit d'utiliser les voies publiques.
Mon message à cet égard c'est que nous devons exiger que l'équipement soit utilisé en toute sécurité. Ces exigences existent, mais nous ne disposons d'aucun moyen pour en évaluer la conformité tant que l'équipement n'est pas utilisé sur la voie publique. Je vous suggère de trouver des moyens d'assurer que les véhicules se conforment aux exigences avant de les laisser prendre la route. Il s'agirait là d'une solution proactive qui pourrait être difficile à mettre au point, mais intelligents comme nous sommes je suis convaincu que nous pouvons concevoir des systèmes aptes à être mis en pratique. Ainsi, les véhicules qui circuleront sur nos routes auront de bien meilleures chances de ne pas être impliqués dans un grave accident.
Le sénateur Bacon: C'est terrible d'entendre ce qui se passe dans l'industrie des transports aérien, ferroviaire et routier, mais il me semble que la situation est pire sur nos routes. Est-ce bien le cas?
M. Prescott: Les tragédies ne manquent pas sur nos routes et cela s'explique en partie par l'utilisation très différente qu'on en fait par rapport à la situation dans les transports aérien et ferroviaire. Elles sont utilisées par d'énormes et de petits véhicules. Elles sont utilisées par des gens qui ne sont pas des conducteurs professionnels et qui amènent des gens au travail. Enfin, elles sont utilisées par des personnes qui sont dans divers états de stress et d'anxiété, voire même d'incapacité.
Très souvent, le premier accident grave dans lequel est impliquée une personne est attribuable au fait qu'elle n'a pas appris comment éviter une collision. Il arrive souvent que le conducteur freine alors qu'il devrait braquer ou vice versa. Les conducteurs peuvent s'améliorer en pratiquant la chose à faire dans certaines situations. Les pilotes tout comme les conducteurs de locomotive suivent ce genre de formation. Je ne suis pas sûr que beaucoup de chauffeurs de camions le font, mais les conducteurs de petits véhicules qui circulent sur nos routes ne le font pas. L'apprentissage comporte d'énormes avantages.
Le sénateur Bacon: Pour les conducteurs d'automobiles ou pour tous les conducteurs qui circulent sur nos routes?
M. Prescott: Pour les conducteurs de tous les véhicules qui circulent sur nos routes. Avril s'en vient et dans mon métier nous parlons de la «saison folle» parce que le temps plus clément améliore les conditions des routes et que nous commençons à voir des motocyclistes, en grande partie des jeunes, qui se pensent invincibles.
Le sénateur Bacon: Nos hivers sont tellement exécrables que les conducteurs sont surexcités en avril.
M. Prescott: Pendant l'hiver, lorsqu'il fait mauvais temps, les avions ne décollent pas ou modifient leur plan de vol, mais sur nos routes les gens passent outre aux avertissements des forces de l'ordre de limiter leurs déplacements. Je crois que l'éducation et l'information offrent deux grandes possibilités lorsqu'il s'agit d'améliorer la sécurité.
Le sénateur Bacon: Voulez-vous dire par là que l'on devrait délivrer des permis aux conducteurs?
M. Prescott: C'est peut-être une solution, mais je ne sais pas si j'en ai terminé avec la formation. En tant qu'ingénieur, je suis obligé de me perfectionner. J'exerce mon métier depuis 27 ans, mais je continue à apprendre. Les conducteurs de camions poursuivent leur formation en suivant des cours sur les freins à air comprimé et sur la façon d'adapter la conduite de leur véhicule aux différentes charges qu'ils transportent.
Nous aurions avantage à poursuivre notre apprentissage de la conduite.
Le sénateur Bacon: Il s'agit d'une compétence provinciale, mais croyez-vous qu'il serait utile d'exiger des conducteurs qu'ils subissent un test tous les cinq ans, par exemple? Le recommanderiez-vous?
M. Prescott: J'aimerais voir une culture de la sécurité plutôt que des cours obligatoires. J'aimerais qu'ils soient enthousiasmés par l'idée de devenir de meilleurs conducteurs plutôt que d'imposer un cours de formation. Je sais que c'est faire preuve d'idéalisme, mais j'ai tendance à être un peu idéaliste au sujet de ces choses.
Le sénateur Bacon: Y a-t-il eu des améliorations en ce qui a trait à la sécurité des transports?
M. Prescott: Du point de vue technique, nos véhicules s'améliorent, grâce à l'installation de freins antiblocage de type ABS, par exemple. La technologie nous aide à améliorer notre marge de sécurité tant que les conducteurs n'utilisent pas cette marge pour accélérer dans les courbes.
Des améliorations techniques ont été apportées aux semi-remorques. Elles sont équipées d'un meilleur système de freinage. Je suis sûr qu'un grand nombre des témoins que vous avez déjà entendus vous ont parlé des problèmes que posent les freins. Les systèmes de freinage antiblocage se retrouvent de plus en plus sur les semi-remorques. Les propriétaires les installent volontairement parce qu'ils améliorent la conduite.
À part les progrès technologiques, les systèmes d'immatriculation par étape progressive améliorent la situation. On impose des restrictions aux jeunes conducteurs et conductrices qui ne peuvent conduire un véhicule sur certaines routes de même que le soir. Je crois, cependant, qu'il faudrait prendre davantage de mesures pour freiner la consommation excessive d'alcool au volant parce que je constate que l'alcool joue un rôle dans beaucoup d'accidents tragiques. Les programmes de sensibilisation peuvent venir en aide dans ce domaine.
Le sénateur Adams: Monsieur Learn, lorsque vous recevez un rapport d'accident, pourquoi n'y donnez-vous pas suite immédiatement avec un fonctionnaire? Vous dites être frustré parce que le gouvernement ne donne pas suite aux rapports ou aux recommandations du bureau. Comment pouvons-nous améliorer la situation?
M. Learn: Je dois dire que les gens avec qui j'ai travaillé par le passé étaient admirables. Sur le terrain, les inspecteurs sont des gens travailleurs et dévoués. Ils tiennent réellement à promouvoir la sécurité au sein de l'industrie. Nous avons rencontré à maintes reprises les représentants des chemins de fer et leur avons parlé des rôles des divers intervenants car la création du Bureau de la sécurité des transports a beaucoup inquiété l'industrie qui ne savait pas trop à quoi s'attendre.
Cependant, la communication de cette information aux échelons inférieurs n'a pas été suffisante pour permettre à chacun de comprendre son rôle sur le terrain. Par exemple, nous ne nous rendons sur les lieux d'un accident qu'après avoir fait une inspection préliminaire du périmètre, entre autres à l'aide de jumelles et même là, une fois que nous déterminons que le déraillement a provoqué la fuite d'un produit dangereux, nous, les inspecteurs, ne nous rendons pas sur les lieux tant que les inspecteurs des matières dangereuses de Transports Canada n'ont déclaré que la zone est sûre. Ce n'est qu'à ce moment-là que le Bureau de la sécurité des transports procédera à l'enquête par l'intermédiaire de l'enquêteur responsable.
Ce système fonctionne bien. Tous les employés sur le terrain connaissent les règles. Il a fallu longtemps avant que les agents itinérants des chemins de fer comprennent pourquoi il était important de ne rien déplacer sur les lieux d'un déraillement jusqu'à ce que nous ayons recueilli l'information et les preuves dont nous avions besoin. Ils savent maintenant qu'ils pourront ensuite procéder au nettoyage. Ces rôles ont fini par être clairement compris.
À l'époque de l'Office national des transports et du comité des transports par chemin de fer, on était fier d'être l'auteur d'un rapport. Vous enquêtiez sur un accident, vous comparaissiez devant le comité et vous expliquiez vos constatations. Il y avait de l'interaction. Nous nous connaissions. On vous respectait parce que vous aviez été chargé de faire enquête en vertu de l'article 226 de Loi sur l'Office national des transports.
Maintenant, une fois que nous rédigeons un rapport, il est transmis à Ottawa dans les 30 jours. Nous ne le revoyons pas. Il est possible qu'on nous demande d'y apporter certains changements, si nous les approuvons. Ce qui à l'origine était un rapport de 30 pages peut finir par n'être qu'un simple document de cinq pages. La loi prévoit que nous devons constater les irrégularités. Nous relevons ces irrégularités, nous les incluons dans le rapport et elles sont éliminées.
J'ai fait partie du Human Factors Committee et j'ai présidé le Risk of Collision Project. Je sais donc ce qui se passe à Ottawa. Souvent, nous ne recevons aucun commentaire, ni même aucune demande de précision. C'est une situation frustrante pour nous.
Le sénateur Adams: J'ai l'impression que vous êtes frustré par les délais causés par Transports Canada.
M. Learn: Je suis sûr qu'ils ont leurs raisons mais je ne vois pas pourquoi les délais doivent être si longs. La population et l'industrie ont le droit de savoir pourquoi elles doivent quitter leur résidence en cas de déraillement. On ne peut pas se contenter de leur en donner les raisons deux ans plus tard.
M. Machet: Une partie du problème est attribuable au fait que la haute direction reçoit ces rapports et est chargée de transmettre cette information à l'organisme de réglementation. Parfois, elle n'a pas les compétences nécessaires pour reconnaître les problèmes qui se produisent sur le terrain et c'est pourquoi elle a tendance à ne pas transmettre cette information aussi rapidement qu'elle le devrait. Je pense que c'est là où se situe le problème. La haute direction n'a simplement pas la compétence voulue pour reconnaître les problèmes cernés par les employés des échelons inférieurs.
Comme nous sommes sur le terrain et en contact direct avec l'industrie, nous pouvons reconnaître immédiatement le problème et communiquer l'information mais c'est ensuite que la transmission de l'information se trouve à ralentir.
Le sénateur Adams: Dans l'Arctique, la plupart du temps nous ne pouvons même pas voir l'asphalte des routes. Nous conduisons sur des routes couvertes de neige.
Or, depuis que je me suis installé dans le sud, j'ai fait pendant une vingtaine d'années la navette matin et soir entre le bureau et la maison et j'ai souvent vu des gens conduire sur l'autoroute sans se soucier le moins du monde du mauvais temps.
Nous devrions prendre en considération vos commentaires à propos de la formation des conducteurs. Il faudrait peut-être administrer des examens de la route aux conducteurs pas seulement la première fois qu'ils veulent obtenir leur permis mais de façon régulière pour les familiariser avec les conditions de la route. Il faudrait également tenir les instances compétentes au courant des infractions au règlement de la circulation commises par le conducteur entre ces examens.
En conduisant sur l'autoroute dernièrement, j'ai remarqué de grands panneaux lumineux avertissant les conducteurs des mauvaises conditions de la circulation. À votre avis, faudrait-il installer davantage de panneaux lumineux le long de nos autoroutes pour peut-être rappeler aux conducteurs les limites de vitesse ou les avertir que la chaussée est glissante?
M. Prescott: J'aimerais d'abord vous raconter une petite anecdote, sénateur. Ma première expérience de conduite dans le Nord, sur des routes enneigées, a été assez merveilleuse jusqu'au printemps lorsque j'ai décidé d'aller à la pêche et ma voiture s'est enfoncée dans le muskeg. Cela a été une leçon pour moi et j'étais censé être alors un conducteur expérimenté.
Pour revenir à votre question, on est en train de mettre au point des systèmes intelligents de régulation de la circulation sur les autoroutes. Les camions seront munis de systèmes d'avertissement latéraux, c'est-à-dire de radars qui avertiront le chauffeur de la présence d'un véhicule à côté de son camion. Des systèmes analogues vous indiqueront si vous roulez trop près du véhicule qui vous précède ou si le véhicule qui vous suit est trop proche. On installera également des panneaux plus visibles sur les autoroutes, qui avertiront les conducteurs des virages et des changements dans les conditions de la route.
Ces nouveaux systèmes ne sont toutefois pas encore disponibles. Les gens sont des créatures douées d'une merveilleuse faculté d'adaptation mais ils ne s'adaptent que s'ils y sont obligés. S'ils attendent qu'il y ait un risque de collision pour s'adapter, il est alors trop tard.
La plupart des gens ne comprennent pas comment fonctionnent leurs véhicules. Les idées fausses sont très répandues. J'ai lu récemment un article dans le Toronto Star à propos de gens qui avaient acheté des véhicules à quatre roues motrices parce qu'ils pensaient que ces véhicules étaient plus sûrs. Même si effectivement un véhicule à quatre roues motrices est efficace, une fois en mouvement, il ne se comporte pas différemment d'un véhicule à deux roues motrices muni du même équipement. Si vous essayez de prendre un virage sur la chaussée mouillée ou glissante dans un véhicule à quatre roues motrices à une vitesse plus élevée que si vous conduisiez un véhicule à deux roues motrices, vous vous retrouverez dans le fossé. Peut-être faudrait-il charger l'industrie automobile de renseigner les gens sur les capacités de leur véhicule. Ce pourrait être une option à envisager.
Le sénateur Adams: Quelqu'un a mentionné plus tôt l'absence de formation de certains camionneurs en citant comme raison que les propriétaires et exploitants de camions n'ont pas les moyens de payer 500 $ pour leur formation et que certaines compagnies de camionnage ne veulent peut-être pas payer une formation supplémentaire à leurs chauffeurs. Plus tôt, vous avez parlé d'un chauffeur qui était incapable de conduire une semi-remorque et vous avez dit que ce n'était pas rare. Ne faut-il pas, pour conduire un véhicule lourd, qu'un conducteur ait un permis spécial?
M. Prescott: Il serait certainement utile que des cours de formation soient plus accessibles aux conducteurs employés par de petites compagnies de camionnage. Peut-être un remboursement de taxe ou une subvention encouragerait les conducteurs à suivre ces cours.
D'après mon expérience, les grosses compagnies offrent d'excellents cours de formation et si ces cours pouvaient être mis à la disposition des plus petits exploitants, ce serait très utile.
Le président: J'aimerais poser 10 ou 15 questions mais malheureusement notre temps est écoulé. Je tiens à vous remercier de nous avoir fait part de la nécessité de développer une culture axée sur la sécurité.
Monsieur Learn, vous n'êtes sûrement pas sans savoir que lorsqu'un politicien demande à un sous-ministre d'envoyer à son bureau une équipe chargée de mettre en oeuvre une politique gouvernementale, très souvent la version finale de la politique, présentée au ministre, n'a pas grand-chose à voir avec les indications initiales. À vous d'essayer de comprendre.
La première fois que j'ai lu Aller sans entraves, je me suis demandé ce que Dan Mazankowski et moi-même avions fait les 14 ou 15 mois précédents pendant lesquels nous avions étudié la déréglementation et ses conséquences. La loi qui a finalement été adoptée n'avait pas grand-chose à voir avec ce dont nous avions discuté.
Je tiens à vous remercier. Vous êtes venus de loin pour vous joindre à nous ici aujourd'hui. Nous devrons peut-être vous convoquer à nouveau plus tard au cours de notre mandat.
Notre prochain témoin est le président de l'Administration de pilotage des Laurentides. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous. Vous pourriez peut-être commencer par vous présenter et nous renseigner brièvement sur l'Administration de pilotage des Laurentides après quoi, comme d'habitude, les sénateurs auront probablement des questions à vous poser.
M. Jean-Claude Michaud, président, Administration de pilotage des Laurentides, Canada: Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités. Comme nous n'avions pas prévu comparaître devant vous, nous n'avons pas préparé de mémoire écrit.
Le président: C'est très bien.
M. Michaud: Nous n'avons décidé que ce matin d'assister à l'audience du comité pour voir si nous pouvions répondre aux questions que vous pourriez avoir. J'ai lu la documentation qui a été présentée par l'Administration de pilotage du Pacifique, qui est un organisme semblable au nôtre, et les mêmes commentaires valent pour les deux administrations. Nous sommes l'une de quatre administrations.
Le président: Avez-vous une déclaration préliminaire à faire?
M. Guy P. Major, avocat, Administration de pilotage des Laurentides: J'accompagne M. Michaud aujourd'hui et j'espère pouvoir vous être utile.
Le président: Vous pourriez peut-être nous renseigner à propos de l'Administration et de ses activités sur le fleuve. Deux questions me préoccupent. L'une, c'est le pilotage dans l'Arctique. L'autre concerne Halifax où de plus en plus d'expéditeurs veulent se passer du pilotage. Vous pourriez peut-être aborder le pilotage de façon générale dans le contexte de la sécurité et dans ce cas, de la prévention des accidents.
M. Michaud: L'Administration de pilotage des Laurentides comprend l'ensemble du fleuve Saint-Laurent, depuis l'écluse Saint-Lambert à Montréal jusqu'au Golfe du Saint-Laurent, y compris la rivière Saguenay. Elle ne comprend pas l'océan Arctique.
Le président: J'en suis conscient mais nous ne nous attendons pas à ce que quelqu'un de l'Arctique comparaisse devant le comité. Comme vous le savez, un navire à passagers s'est échoué là-bas il y a environ un an. Cela veut-il dire qu'on a besoin de pilotes dans l'Arctique?
M. Michaud: Je suppose qu'au fur et à mesure que l'Arctique se développera, surtout comme destination des bateaux de croisière semblables à celui qui s'est échoué l'été dernier, cela deviendra nécessaire. Malheureusement, un navire s'est échoué. De toute évidence, il faudrait faire très bientôt une étude pour évaluer les mesures à prendre afin d'éviter que ce genre d'accidents se reproduise. Il faut tenir compte non seulement de la sécurité des passagers mais également de la pollution dans l'Arctique.
Très bientôt, de plus en plus de navires, particulièrement des navires étrangers, s'aventureront dans l'Arctique et emprunteront le passage du Nord-Ouest. Cela devrait énormément préoccuper les Canadiens.
Le président: En tant qu'expert, quelle est, à votre avis, la responsabilité de l'instance fédérale à cet égard? Il est évident que chaque année, le nombre de tentatives de traversée de ces eaux augmente. Bientôt, 8 ou 10 tentatives de traversée auront lieu au cours de cette période très courte pendant laquelle le passage est possible. D'où viendront les pilotes?
Viendront-ils de la Garde côtière canadienne ou de Fednav? J'espère que l'opinion que vous nous donnerez sera ferme et même catégorique. Devrions-nous fermer l'Arctique jusqu'à ce que nous ayons suffisamment de pilotes qualifiés pour entreprendre une telle traversée et je vous pose la question en sachant bien que cela ne relève pas de votre compétence.
Peut-être préférez-vous ne pas répondre et je comprends très bien. Cependant, je suis sûr que vous comprenez nos préoccupations à cet égard.
M. Michaud: Oui. Il existe déjà certains navires de commerce qui utilisent les services de ceux que nous appelons des conseillers sur l'état des glaces. Il s'agit d'anciens gardes côtiers ou d'anciens navigateurs qui ont passé une bonne partie de leur vie à naviguer dans le Nord sur des navires marchands. Malheureusement, d'autres connaissent la région depuis moins longtemps et n'ont pas les compétences voulues pour assurer ce service. Il faudrait rendre obligatoires les services d'un spécialiste qui connaît les conditions de la région. Ce type de gens existe.
Vous avez parlé d'utiliser les services de gardes côtiers. Certains d'entre eux sont des navigateurs qui ont beaucoup d'expérience dans la région. Certains capitaines de navires de commerce canadiens possèdent également une grande expérience dans le Nord parce qu'ils naviguent là-bas pendant l'été.
Il existe des gens dont on peut utiliser les services. Il s'agit simplement d'établir de nouveaux règlements pour régir la région de l'Arctique, comme les autres zones déjà assujetties au pilotage obligatoire.
Le président: Est-ce que cela relèverait de l'Administration de l'Atlantique? Proposez-vous d'établir une administration de pilotage de l'Arctique et vous attendez-vous à ce qu'elle soit autosuffisante?
M. Michaud: Il pourrait s'agir d'une administration à part ou elle pourrait commencer par faire partie de l'Administration de l'Atlantique ou des Laurentides. S'il finit par y avoir suffisamment de circulation pour justifier la création d'une administration indépendante, cela serait alors possible. Cela dépendra du nombre de navires qui emprunteront le passage du Nord-Ouest.
Le président: Pour revenir au fleuve, est-on en train d'exercer de plus en plus de pressions sur l'Administration pour qu'elle permette à un plus grand nombre de navires de naviguer sans pilote, et dans l'affirmative, est-ce une chose utile ou dangereuse?
M. Michaud: L'utilisation du système par la flotte canadienne suscite certaines préoccupations, non pas tant en ce qui concerne la qualité des gens que nous fournissons pour piloter le navire mais en ce qui concerne le coût de la fourniture de ce service à l'utilisateur. Certains navires canadiens naviguent continuellement sur le fleuve en utilisant constamment des pilotes de sorte qu'à la fin de l'année, la facture de pilotage est très élevée. Cela peut représenter des centaines des milliers de dollars de droits de pilotage.
Comme ces compagnies se font concurrence, elles essaient de couper les coûts et une façon de le faire consiste à réduire les frais de pilotage. Donc, ces navires essaient de se passer de pilote. Je ne crois pas que ce soit la bonne solution. En fait, l'Administration offre aux capitaines de navires canadiens la possibilité de passer un examen pour obtenir un certificat plutôt qu'un permis. Un pilote professionnel détiendra un permis mais un capitaine de navire canadien peut obtenir un certificat de pilotage, ce qui le dispense de faire appel aux services d'un pilote breveté et lui permet alors de piloter son propre navire.
Depuis 1987, seulement 21 candidats ont essayé d'obtenir le certificat. Sur les 21 candidats, sept ont reçu un certificat et 13 ont échoué le premier examen et n'ont pas continué. C'est là où se situe le problème. Il faudrait qu'ils continuent. Il faudrait les convaincre qu'il serait plus avantageux, pour eux et pour la compagnie, de continuer et d'obtenir leur certificat.
Nous tenons maintenant à encourager les propriétaires de navires canadiens et leurs capitaines à opter pour ce cheminement de carrière. À mon avis, c'est la façon la plus sûre de procéder, et non pas de se passer entièrement des pilotes.
[Français]
Le sénateur Bacon: La Garde côtière est en train de réviser ses budgets. Il y a quand même des réductions à l'aide à la navigation; est-ce que vous avez des préoccupations à ce sujet, au plan des réductions de budget? Est-ce que vous pensez que la navigation va être aussi sécuritaire sur le Saint-Laurent ou est-ce que cela va augmenter le besoin de ce qu'on appelle le pilotage sur le Saint-Laurent?
M. Michaud: Effectivement, sénateur, nous sommes très concernés vis-à-vis la politique de la Garde côtière canadienne, à savoir qu'en 1997, au 1er avril, on entrevoit réduire de 25 p. 100 les aides flottantes. La base fondamentale de la navigation pour les navires est l'aide flottante. Autrement dit, on parle de bouées et de choses similaires.
Nous avons fait une étude à l'intérieur de l'administration, avec l'aide des corporations de pilotes, et nous avons obtenu le chiffre d'environ 10 p. 100 à 12 p. 100 des aides qui pourraient être enlevées sans que la sécurité à la navigation en soit mise en péril.
Alors, si, effectivement, on poursuit l'idée d'enlever jusqu'à 25 p. 100, bien, tout de suite, vous avez une différence d'au moins 10 p. 100 qui va affecter la sécurité à la navigation.
Si on affecte la sécurité à la navigation, la présence du pilote devient encore beaucoup plus importante qu'auparavant.
Le sénateur Bacon: Il y a quand même d'autres grands facteurs en matière de sécurité qui touchent les ports et le trafic maritime; est-ce que vous en voyez d'autres par rapport à la sécurité?
M. Michaud: Comme vous le savez, le Canada est un modèle pour d'autres pays en ce qui concerne le pilotage, la structure de pilotage. Même pour les Américains, nous sommes très bien structurés, et nous avons un dossier de sécurité qui est quand même beaucoup apprécié des autres pays, surtout en Europe et dans les pays sous-développés.
Vous avez lu le rapport de la côte ouest? Ils ont une moyenne d'environ 98 ou 99 p. 100 de sécurité; on a exactement la même chose ici dans la région des Laurentides, près de 98.5 à 99.2 de moyenne depuis les dix dernières années au niveau sécurité.
On a une étroite collaboration avec les autorités portuaires, avec les autres ministères comme Pêches et Océans et la Garde côtière, et cetera. On travaille à l'intérieur de la région, en équipe, pour s'assurer, avec les armateurs, que justement tous les points sécuritaires du domaine maritime soient mis en application.
Le sénateur Bacon: Les plaisanciers ne représentent pas pour vous un danger? Est-ce que cela représente un danger pour vous? Est-ce qu'ils posent un risque au pilotage sur le Saint-Laurent?
M. Michaud: Disons qu'il y a eu des périodes un peu critiques, entre autres, je me rappelle de Québec, en 1984, qui a été une année exceptionnelle pour souligner le retour des grands voiliers. Cela a été un été un peu plus critique, mais on a quand même passé à travers avec la collaboration et la coopération de tous les organismes.
Mais, avec l'évolution du temps, nous sommes en 1997, ce pic de plaisanciers a diminué, parce que c'est un sport assez dispendieux et, également, c'est un sport qu'il n'est pas facile de faire à l'intérieur du fleuve, parce que ce sont quand même des eaux limitées, à la merci des courants et des marées et cetera. Ce n'est pas comme être au large de Pointe-au-Pic par exemple, ou dans le Golfe du Saint-Laurent, où les plaisanciers ont beaucoup plus d'ouverture pour manoeuvrer. C'est quand même limité depuis les cinq ou dix dernières années. Le nombre d'embarcations de plaisance va quand même plafonner, dans le sens qu'il n'y en a pas plus ni moins, et cela ne pose pas vraiment un problème sérieux au niveau de la navigation ou au niveau du pilotage.
Le sénateur Bacon: Est-ce que la consommation de drogues, d'alcool ou de médicaments est une préoccupation pour votre organisation? Je ne voudrais pas vous rappeler l'Exxon Valdez.
M. Michaud: Nous avons une structure au niveau disciplinaire assez bien structurée, de façon à ce qu'on suive quand même l'évolution des pilotes en service et leur état quand ils embarquent sur les navires. Ce n'est pas comme voilà 25, 30, 40 ans où il y avait beaucoup de cas d'alcoolisme, par exemple; ce qui était plus courant dans ces périodes.
Maintenant, je peux vous dire que dans les derniers trois ou quatre ans, si on a eu un ou deux cas au maximum, ce n'est pas plus que cela.
Le sénateur Bacon: Mais vous avez les moyens pour le vérifier?
M. Michaud: Oui, on a des moyens en place.
Le sénateur Bacon: Et vous suivez les cas si vous en avez?
M. Michaud: Exactement, oui. On a des mesures disciplinaires qui sont prises au fur et à mesure que des cas se présentent.
Le sénateur Bacon: Avez-vous des mesures de réhabilitation aussi?
M. Michaud: Oui, on a également des mesures pour des personnes, par exemple, qui deviendraient alcooliques, pour lesquelles il faut faire quelque chose, sinon elles ne pourraient plus continuer à piloter
Le sénateur Bacon: Vous pouvez les suivre?
M. Michaud: On peut les suivre, oui. D'ailleurs, on a eu un cas similaire dans les dernières années et on a utilisé la réhabilitation: l'individu est retourné maintenant au travail. Il est peut être suivi d'un peu plus près là, mais tout va bien.
Le sénateur Rivest: Quels sont au juste les coupures et les restrictions budgétaires du gouvernement canadien qui demande aux ports de Sept-Îles, de Trois-Rivières et cetera de payer une partie des frais de pilotage?
M. Michaud: Non, ce qui arrive au niveau des ports, c'est qu'on veut les forcer à payer pour le dragage. La Garde côtière canadienne ne s'engage plus à contribuer ou à subventionner les coûts de dragage comme par les années passées.
Le sénateur Rivest: Qu'est-ce que le dragage?
M. Michaud: Draguer le fond. Un exemple typique, c'est la traverse nord, qui est à environ 15 milles nautiques en bas de Québec, qu'il faut draguer à toutes les années à un coût d'environ 1 à 1.2 millions de dollars par année. Alors, si les ports veulent continuer à avoir des navires à grand gabarit pour venir, par exemple, à Québec, il faut que les ports fassent quelque chose, parce que le gouvernement ne paiera plus pour cela.
Le sénateur Rivest: Le gouvernement fédéral?
M. Michaud: Le gouvernement fédéral, oui. Alors cela devient pour les usagers et l'industrie portuaire un problème qui doit être réglé. C'est un exemple.
On parlait tout à l'heure des coupures des aides à la navigation, maintenant, on travaille sur les aides flottantes; plus tard, cela sera d'autres aides qui vont être affectées au niveau électronique et cetera.
Le sénateur Bacon: Mais vous avez dit que s'il y avait une réduction de 10 p. 100, si j'ai bien compris, ou de 12 p. 100, cela serait acceptable? Mais à 25 p. 100, est-ce acceptable?
M. Michaud: Ce n'est pas acceptable. Oui, c'est exact.
Le sénateur Rivest: Le navire étranger, par exemple -- vous avez parlé des navires canadiens -- qui arrive dans le Golfe du Saint-Laurent, à ce moment, il est pris en charge par un pilote. Est-ce que le gouvernement canadien facture ce service?
M. Michaud: Oui. C'est un service parce que les administrations doivent être autosuffisantes.
Le sénateur Rivest: Les services de sécurité ont-ils été augmentés récemment au lieu d'être coupés? Peut-être qu'ils pourraient être augmentés.
M. Michaud: Une légère augmentation.
Le sénateur Rivest: Mais pas forte, il y aurait moyen de faire plus?
M. Michaud: Bien, nous, c'est parce qu'on ne veut pas surcharger les utilisateurs.
Le sénateur Rivest: Bien, moi, j'essaie de vous épargner de l'argent pour limiter les coupures à 15 p. 100 au lieu de 25 p. 100.
Le sénateur Bacon: Mais là on va enlever des emplois.
Le sénateur Rivest: Ah oui, c'est correct. C'est rassurant parce que, depuis le début de ces travaux, on nous a dit que c'était dangereux en avion, en train, en auto, en camion; là, il semble qu'en bateau, ce soit assez sécuritaire?
M. Michaud: Le mode de transport le plus sécuritaire est par voie d'eau.
Le sénateur Rivest: Oui, mais il ne va pas partout?
M. Michaud: Non, mais on devrait le maximiser davantage.
Le sénateur Rivest: Le transport de passagers, est-ce réglementé différemment? Le transport des marchandises, on le connaît assez bien, mais le transport de passagers international ou bien local, les bateaux de croisières, cela ne vous pose pas de difficultés particulières?
M. Michaud: Non, parce qu'il y a quand même une réglementation internationale et nationale.
Le sénateur Rivest: Puis les traversiers, cela va?
M. Michaud: Oui, Québec-Lévis.
Le sénateur Rivest: Québec-Lévis, Sorel-Saint-Ignace, cela marche, pas de troubles?
M. Michaud: Non.
[Traduction]
Le président: S'il y a des problèmes de pilotage, je serais au courant.
Le sénateur Adams: Existe-t-il des règlements qui s'appliquent aux navires étrangers qui entrent dans les eaux arctiques? Sont-ils obligés de consulter une administration de pilotage avant d'entrer dans cette région ou leur fournit-on de l'information concernant la région?
M. Michaud: Comme l'Arctique n'est pas une zone de pilotage obligatoire, il n'existe aucun règlement concernant le pilotage. Seulement quatre zones au Canada sont des zones obligatoires de pilotage. Certaines se trouvent sur la côte de l'Atlantique, le Saint-Laurent, les Grands Lacs et certaines sur la côte du Pacifique. Nous n'avons pas encore décidé ce que nous allons faire en ce qui concerne l'Arctique.
Le sénateur Adams: Cela signifie-t-il que n'importe quel type de navire, y compris des navires-citernes, peut entrer dans ces eaux?
M. Michaud: Oui.
Le sénateur Adams: Sans autorisation?
M. Michaud: Oui. Ils communiquent tous à l'administration canadienne leur intention d'entrer dans les eaux canadiennes. Nous savons qu'ils sont là, mais il n'existe aucun règlement qui les oblige à avoir des pilotes à bord de leur navire.
Le sénateur Adams: Le navire qui s'est échoué dans l'Arctique est resté là quelques semaines et il a fallu le remorquer pour le dégager du banc de sable. Certains passagers ont dû prendre d'autres dispositions pour rentrer chez eux. Qui assumerait les dépenses d'abord du remorquage et deuxièmement du transport des passagers?
M. Michaud: Les navires paieront les services auxquels ils ont recours pour remédier à la situation. Comme les navires de la Garde côtière canadienne sont présents tout l'été, lorsque l'un ou plusieurs de ses navires sont utilisés pour le sauvetage, c'est le contribuable canadien qui se trouve à en assumer le coût.
Le sénateur Adams: Ce qui m'inquiète, c'est le nombre de plus en plus grand de touristes qui visitent le Nord et qui font du canot ou du kayak sur les rivières et la mer et qui se retrouvent en difficulté. Souvent, on met sur pied des équipes de recherche pour aller les secourir. J'ai entendu dire que la Garde côtière canadienne dépense 250 millions de dollars par année en opérations de recherche et sauvetage.
M. Michaud: Oui, je crois que c'est effectivement le cas, en ce qui concerne l'organisation nationale.
Le sénateur Adams: Or, récemment la politique a changé et prévoit que désormais tout étranger qui participe à une expédition dans l'Arctique doit déposer une caution. Est-ce un règlement maintenant?
M. Michaud: Oui, parce que cette organisation subit autant de pressions que tout autre organisme gouvernemental obligé de recouvrer ses coûts. Ils essayent d'imposer une caution pour couvrir les dépenses en cas d'accident. Autrement, cela devient ou risque de devenir un fardeau pour le gouvernement canadien.
Le sénateur Adams: Quelle est la situation des Canadiens à l'étranger? Assumerons-nous le coût d'une opération de recherche et sauvetage ou est-ce l'autre pays qui en assumera le coût?
M. Michaud: Nous pourrions être tenus responsables, effectivement.
Le sénateur Adams: Je crois que la situation s'est appliquée dans le cas du marin qui a fait le tour du monde en bateau.
M. Michaud: Oui.
Le président: Je vous remercie beaucoup, messieurs. Je suis heureux que vous soyez passés nous rendre visite.
Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants de Fednav Limitée, qui est sans doute la société de transport maritime la plus importante au Canada et certainement l'une des plus efficaces et des plus compétentes. C'est l'une des sociétés dont nous pouvons être fiers et si nous devions la comparer aux navires et aux flottes battant pavillon canadien, il ne fait aucun doute que Fednav en serait le chef de file. Je vous souhaite la bienvenue. Nous avons hâte d'entendre votre présentation.
M. Jim Murray, directeur, Fednav Limitée: J'ai pris ma retraite de Fednav Limitée le 31 décembre, après avoir travaillé pour la société pendant 30 ans. J'ai exercé les fonctions de vice-président pendant 25 ans et pendant toutes ces années, j'ai été responsable de l'opération technique des navires que possédait la société. J'ai également été responsable de ses activités jusqu'à il y a environ une douzaine d'années, lorsque je suis devenu responsable de ses terminaux. Pendant 25 ans, j'ai fait partie du conseil exécutif de la Fédération maritime et bien que je ne la représente pas officiellement aujourd'hui, les commentaires que je ferai ont reçu son approbation. Je constate que le capitaine Yvan Lantz, l'administrateur du transport maritime, est assis derrière moi, pour s'assurer que je ne m'écarte pas du texte.
Comme vous l'avez signalé, monsieur le président, Fednav est la plus grande entreprise canadienne de navigation internationale. Notre siège social est situé à Montréal. Même si nous sommes présents aux quatre coins du globe, nous transportons essentiellement de l'acier depuis l'Europe, et du grain depuis les Grands Lacs. Nous représentons entre 40 et 43 p. 100 du trafic international qui transite par les Grands Lacs. Pendant la saison de navigation, nous exploitons entre 70 et 80 vraquiers, dont certains nous appartiennent, mais qui, pour la plupart, sont affrétés auprès d'armateurs de divers pays du monde.
Je suis heureux de dire, monsieur le président, que nous sommes satisfaits des normes de sécurité fixées par le gouvernement. Elles sont raisonnables et comportent des règlements qui visent à assurer la protection des équipages, des débardeurs et de l'environnement. Ce cadre réglementaire n'est pas excessif et il répond, à notre avis, aux attentes du gouvernement et du public.
Il y a toutefois une ou deux observations que j'aimerais faire. Comme nous venons de l'entendre, l'Association des armateurs canadiens s'oppose au pilotage obligatoire entre Montréal et les Escoumins. Nous ne croyons pas que le recours aux pilotes devrait devenir facultatif. Toutefois, nous sommes d'accord avec l'idée d'octroyer des certificats de pilotage aux officiers de navire, à la condition qu'ils aient les compétences voulues pour naviguer dans la zone de pilotage obligatoire, compétences qui auront été confirmées par le biais d'un examen donné par l'Administration de pilotage des Laurentides, et que les équipages ne souffrent pas de fatigue.
Par exemple, ceux-ci pourraient souffrir de fatigue après avoir conduit leur navire depuis le Lac Ontario jusqu'à Montréal, une traversée qui correspond à 30 heures de pilotage intense. Il faudrait confirmer la compétence des officiers au moyen d'un certificat, et préciser dans les règlements que les officiers de navire ne peuvent naviguer dans ces eaux s'ils souffrent de fatigue.
En ce qui concerne les frais pour les services maritimes, l'industrie a examiné de près les services offerts par la Garde côtière. Il est évident qu'il y a trop d'aides flottantes. La Garde côtière les utilise depuis des années dans le but d'offrir un service optimal, sans même tenir compte des coûts. Pour nous, la réduction du nombre d'aides à la navigation ne pose aucun problème.
Nous sommes également en faveur de l'automatisation des phares. À mon avis, il n'est même pas nécessaire qu'ils soient illuminés s'ils sont dotés de bons réflecteurs radars.
La Fednav appuie l'idée de soumettre les navires aux inspections de la direction du contrôle portuaire. Nous avons tout intérêt à ce que les navires qui nous livrent concurrence et qui ne respectent pas les normes de sécurité soient retirés des eaux, non seulement pour assurer la sécurité des équipages, mais aussi pour protéger l'environnement. Même si nous n'avons pas eu de problèmes de ce côté-là, je sais que de vives critiques ont été formulées au sujet de la façon dont les inspections sont menées dans des ports isolés comme Sept-Îles et Port Cartier.
La compagnie minière Québec Cartier a vivement dénoncé la situation. Elle soutient que les propriétaires sont conscients du problème, qu'ils hésitent à venir à Port Cartier et à Sept-Îles, ou encore qu'ils exigent une réduction du tarif. Le problème, c'est que ces inspections sont effectuées par de jeunes inspecteurs inexpérimentés de Transports Canada qui s'amènent à bord dans le but de trouver des défectuosités. C'est leur travail.
On déplore le fait qu'ils ne soient pas toujours capables de faire la différence entre une défectuosité majeure et une défectuosité mineure. Bien que la situation semble s'améliorer, des incidents continuent de se produire. J'ai entendu parler d'un cas à la fin de l'été dernier. J'ai un ami d'origine grecque, un armateur responsable, qui a vu son navire, le Standard Virtue, faire l'objet d'une inspection à Port Cartier. Certaines défectuosités ont été décelées, des défectuosités, qui à son avis, étaient mineures.
Le navire a dû se rendre à Sept-Îles pour subir des réparations. Les travaux consistaient à souder de nouvelles lames d'acier, totalisant 0,6 tonne, six dixièmes d'une tonne d'acier. Ces réparations lui ont coûté environ 90 000 $. Si elles avaient été effectuées dans un chantier naval en Grèce, elles lui auraient coûté 10 000 $. De plus, le navire a dû reporter son départ de cinq jours, ce qui lui a coûté un autre 35 000 $.
Sept-Îles n'a pas beaucoup d'installations de radoub et, comme l'endroit est éloigné, il est difficile de faire venir des radoubeurs de Québec ou de déplacer le navire là-bas. L'armateur considère cela comme étant déraisonnable et il ne veut plus s'exposer à cette situation. Il ne veut pas envoyer ses navires à Sept-Îles ou à Port Cartier.
La réponse, monsieur le président, c'est de fournir une meilleure formation et de l'expérience pratique aux inspecteurs. J'ai lu les comptes rendus des réunions que vous avez tenues en Colombie-Britannique. Le capitaine Flotre, de la B.C. Coast Pilots, a proposé l'imposition de lourdes sanctions aux armateurs dont les navires sont détenus parce que défectueux. Cela n'est pas nécessaire, à mon avis. Les retards que subissent ces navires constituent déjà une sanction suffisante.
Il ne faut pas oublier qu'un navire Panamax coûte entre 7 000 et 15 000 $ U.S. par jour, selon le marché, et que les vraquiers coûtent entre 10 000 et 20 000 $ par jour.
M. Wayne Sargent, de l'ILWU, à Vancouver, a dénoncé l'état de tous les navires à pavillon de complaisance. Cette généralisation ne tient pas. Même si certains de ces navires sont défectueux, il est faux de prétendre que tous les navires à pavillon de complaisance ne respectent pas les règlements.
Pendant 10 ans, entre 1985 et 1994, la flotte libérienne, qui était la plus grande au monde ou la deuxième en importance, a affiché, dans le domaine de la prévention des sinistres, un dossier supérieur à la moyenne mondiale, et supérieur aussi à celui de nombreux navires battant pavillon national.
M. Sargent a également dénoncé la tendance du gouvernement à déléguer certains services d'inspection à des sociétés de classification. Je ne suis pas d'accord avec lui. Le gouvernement n'a pas entrepris de démarches en ce sens, et je ne crois pas non plus que cela entraînerait nécessairement un relâchement des normes. Au contraire, je pense plutôt que cette mesure contribuerait à les resserrer, puisque les inspecteurs des sociétés de classification sont, de manière générale, assujettis à des critères plus sévères.
Lorsque je suis arrivé au Canada il y a 30 ans, le gouvernement songeait à faire inspecter les navires non plus par le Service d'inspection des navires à vapeur, mais par une société de classification. Tous les autres pays, sauf les États-Unis, le font déjà. Trente ans plus tard, rien n'a changé. Le débat se poursuit toujours, de sorte que je ne crois pas que l'on délègue les services d'inspection aux sociétés de classification.
Monsieur le président, j'ai vu que vous avez demandé aux témoins, à Vancouver, pourquoi il n'y avait pas d'administration de pilotage dans le Nord. La question a été de nouveau soulevée il y a quelques mois. À mon avis, il n'y a pas suffisamment de trafic dans l'Arctique pour justifier la mise sur pied d'une telle structure.
On peut toujours retenir les services de pilotes indépendants. Toutefois, il n'est pas vraiment nécessaire d'avoir des pilotes à bord parce que les eaux, du moins dans l'est de l'Arctique, sont relativement profondes. Ces pilotes sont toutefois utiles parce qu'ils savent naviguer dans les glaces.
Nous avons recours à leurs services pour venir en aide aux capitaines de navires dont l'équipage est composé d'étrangers. Ils montrent aux officiers comment naviguer dans les glaces avec patience. Ils assurent également la relève pour permettre aux capitaines de se reposer. Nous avons également recours à leurs services durant l'hiver, dans le golfe du Saint-Laurent.
Bien entendu, nous comptons souvent sur l'aide des brise-glaces dans l'Arctique, et nous trouvons inquiétante la décision du gouvernement de réduire les coûts en diminuant le nombre de brise-glaces qui prêtent main-forte aux navires commerciaux dans l'Arctique.
Si l'exploitation des mines à la Petite île Cornwallis et à Nanisivik a pu être assurée, c'est parce qu'il était sous-entendu que les navires commerciaux qui transporteraient les concentrés auraient accès aux services de brise-glace, sans coût aucun.
Un des six brise-glaces qui avait l'habitude de naviguer dans les eaux de l'est de l'Arctique a déjà été mis au rancart. Nous avons appris que d'autres coupures sont prévues. Cela risque d'accroître le nombre d'accidents maritimes dans cette région vulnérable sur le plan écologique.
Enfin, je trouve que le Bureau d'enquête des accidents maritimes met beaucoup trop de temps à produire ses rapports. Le navire Olympic Merit, un vraquier que nous avions affrété, a dévié de son parcours et s'est échoué près de Dorval, à la veille de Noël 1995. Il n'y a pas eu de blessés. Le navire a été remis à flot trois jours plus tard. Or, 14 mois plus tard, le rapport n'est toujours pas publié. Il y a cinq ans environ, le Malinska, un autre navire que nous avions affrété, s'est échoué dans le lac Ontario. Encore là, il n'y a eu aucun blessé. Il a fallu plus de deux ans avant que le rapport ne soit publié.
Monsieur le président, si nous devons tirer une leçon de ces accidents, c'est maintenant qu'il faut le faire.
Le président: Je prends note de vos commentaires concernant la différence qui existe entre les pilotes et les officiers de navigation dans les glaces. Je tiens à vous rappeler qu'un navire de croisière s'est échoué dans le nord.
Le sénateur Bacon: Monsieur Murray, est-ce que la prise en charge, par la Garde côtière canadienne, des systèmes d'aide à la navigation, des services à la circulation maritime et des services d'inspection des navires présente des avantages ou des inconvénients?
M. Murray: À mon avis, on peut couper dans le gras sans trop de difficulté. La Garde côtière a essayé de fournir un service efficace sans tenir compte des coûts. Il y a donc des services qui pourraient être rationalisés en toute sécurité.
Le sénateur Bacon: Vous ne semblez pas tellement préoccupé par la question de l'automatisation des phares. Les témoins à Vancouver ont exprimé beaucoup d'inquiétudes à ce sujet. Est-ce que tout le monde peut s'en passer?
M. Murray: Je crois que tout le monde, en fait, s'en passe. Presque tous les navires, allant des navires de croisière aux bateaux de pêche, sont munis de radars. Tous nos navires doivent avoir deux radars à leur bord. L'époque des feux clignotants est révolue. Si chaque tour était munie d'un bon réflecteur radar, cela suffirait amplement.
Le sénateur Bacon: Est-ce qu'ils sont encore utiles du point de vue météorologique?
M. Murray: Je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce domaine. Je n'ai jamais entendu dire que cela posait un problème sur la côte est. J'ai lu le compte rendu des réunions que vous avez tenues sur la côte ouest, et cette question semble susciter beaucoup plus d'inquiétudes là-bas.
Le sénateur Bacon: L'emplacement des phares compte pour beaucoup.
M. Murray: À mon avis, la différence, c'est qu'il y a plus de navires côtiers, comme des remorqueurs et des barges, sur la côte ouest que sur la côte est. De plus, les navires sur la côte Est ne sont pas tellement exposés aux intempéries. Je comprends les inquiétudes qu'éprouvent les propriétaires de remorqueurs et de barges sur la côte ouest. Toutefois, il y a peut-être d'autres façons de régler le problème.
Le sénateur Adams: Monsieur Murray, je pense que vous connaissez bien l'Arctique. Vous avez parlé des mines à la Petite île Cornwallis et à Nanisivik. Comme le minerai est transporté directement en Europe, c'est peut-être pour cette raison que la Garde côtière a réduit ses services. La plupart des navires dans la région transportent du minerai qui provient de ces mines.
M. Murray: Nous avons des contrats, sénateur, pour assurer le transport des concentrés de la Petite île Cornwallis et de Nanisivik; 95 p. 100 du minerai est acheminé en Europe. Pour ce qui est des navires qui sont utilisés, il y a le NV Arctic battant pavillon canadien, et d'autres navires battant pavillon étranger. Ces navires sont conçus pour naviguer dans les glaces, mais nous devons parfois, surtout au début et à la fin de la saison, faire appel aux brise-glaces.
Le sénateur Adams: Vous dites que le gouvernement réduit les services. Or, certains de ces navires appartiennent à des armateurs canadiens.
M. Murray: Tous les concentrés acheminés depuis l'est de l'Arctique sont transportés à bord de nos navires, certains battant pavillon canadien, d'autres battant pavillon étranger.
Le sénateur Adams: Mais vos navires comptent toujours sur l'aide des brise-glaces de la Garde côtière pour se rendre dans cette région. Avez-vous dit que les brise-glaces se rendent là-bas seulement en août?
M. Murray: Nos navires sont conçus pour naviguer dans les glaces, de sorte qu'ils peuvent se rendre dans cette région beaucoup plus tôt. Le NV Arctic peut y aller en juin. Il peut se rendre à Nanisivik en mai.
Le sénateur Adams: Avec l'aide des brise-glaces de la Garde côtière?
M. Murray: Oui.
Le sénateur Adams: Sans leur aide, à quel moment de l'année pourraient-ils se rendre dans cette région?
M. Murray: Pendant six semaines, durant l'été, il n'y a pas de glaces, du moins jusqu'à Nanisivik et la Petite île Cornwallis. Toutefois, il arrive à l'occasion que le vent change de direction et que l'on soit obligé d'avoir recours aux services d'un brise-glaces.
Nos navires sont tous très renforcés pour les glaces. Nous n'avons aucune difficulté à naviguer au milieu de l'été mais, pour les premiers et les derniers voyages, nous avons besoin de brise-glaces. La Garde côtière-Nord qui avait six brise-glaces dans le Nord n'en a que cinq aujourd'hui.
Je sais que le navire de ravitaillement qui devait aller à Grise Fjord l'été dernier n'a pas pu y arriver, parce qu'il n'y avait pas de brise-glaces pour l'aider à ce moment-là. Toute la cargaison a dû être envoyée par avion, à partir de Resolute, je crois.
Le sénateur Adams: À partir de Resolute Bay ou de Yellowknife, tous les deux assez éloignés de Nanisivik. Si le gouvernement réduit ses services de brise-glaces, cela risque de nuire à ces deux sociétés minières.
À titre d'information, il arrive qu'il n'y ait pas de débâcle vers Grise Fjord, même en été.
M. Murray: Ces dix dernières années environ, nous avons toujours été en mesure de livrer les quantités prévues au contrat. Je ne crois pas que le fait qu'il n'y que cinq brise-glaces au lieu de six mette cette capacité en péril, mais je crois que toute réduction progressive pourrait causer des problèmes.
Le sénateur Adams: Vous avez dit plus tôt que beaucoup de navires étrangers naviguent dans ces eaux et que cela ne devrait pas poser véritablement de problèmes dans la mesure où ils savent où ils vont, car les eaux sont suffisamment profondes.
M. Murray: Oui, c'est en fait relativement facile mais, bien qu'il s'agisse d'étrangers, ce sont de très bons marins et navigateurs. Ils sont très spécialisés et bien formés. Ce n'est pas parce qu'ils sont étrangers qu'ils sont moins bons que la normale.
Le sénateur Adams: C'est l'environnement qui me préoccupe et je veux savoir si n'importe quel genre de transport maritime peut se faire sans risque dans cette région.
M. Murray: Oui.
Le sénateur Adams: Les règlements officiels actuels sont-ils suffisants en ce qui concerne le mouvement des navires dans l'Arctique?
M. Murray: La Garde côtière-Nord suit de très près ce qui se passe dans l'Extrême-Arctique. Je ne sais pas pourquoi ce petit navire de passagers s'est échoué l'été dernier. Il se peut qu'il ait fait fausse route, qu'il ait été poussé par les glaces ou qu'il soit tombé en panne. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé.
Le sénateur Adams: Il n'y avait pas de glace.
Le président: S'agit-il d'un autre cas de rapport tardif?
M. Murray: Je crois que c'est un peu plus compliqué.
Le sénateur Adams: Avez-vous des inquiétudes au sujet du transport du minerai de Voisey Bay?
M. Murray: Je crois que la concentration de glaces à Voisey Bay en hiver est très forte et que seuls les navires de cote glace très élevée sont en mesure d'y arriver en février, mars et avril. Je crois que les règlements actuels de la Garde côtière sont suffisants pour protéger l'environnement.
Le président: Je suis heureux d'entendre ce que vous avez à dire au sujet de Voisey Bay, car je me demande si l'on ne serait pas tenté de faire une mise en stock massive ou de prolonger la saison.
Pouvez-vous nous dire quelles pourraient être les capacités des navires d'un point de vue sécuritaire d'ici 10 ou 15 ans?
M. Murray: À l'heure actuelle, un comité international est chargé de réviser les règles. Nous parlons des navires de cote glace élevée.
Le président: Oui, mais je parle aussi des communications indispensables, de fils enfermés dans des tubes d'eau, par exemple, pour retarder la fusion et la rupture de communications qui, plus d'une fois dans le passé, a provoqué la panique et des malentendus quant à la nature et à l'emplacement d'un incendie à bord. Je parle de doubles-fonds et de soutes à peinture, tout ce dont le SIU, par exemple, parle depuis près de 50 ans.
M. Murray: Oui, c'est d'ailleurs une question très vaste. Un comité est actuellement chargé de réviser les règles de construction des navires de cote glace élevée. La Garde côtière canadienne est représentée au sein de ce comité. Un de nos jeunes travaille avec la Garde côtière et des réunions ont lieu avec les Scandinaves et les Russes pour essayer d'arriver à de nouvelles règles en matière de tonnage de navires de cote glace. Je crois que les navires de demain ressembleront beaucoup à ceux d'aujourd'hui. Toutefois, certains détails de construction pourraient changer.
Des doubles-fonds sont bien sûr prévus. Pour les navires de cote glace élevée dans l'Arctique, il faut des bordés doubles dans certains compartiments. Il est prévu par exemple de transporter le carburant dans des citernes protégées pour que, en cas de pénétration de la glace par la coque, il n'y ait pas de déversement de carburant.
En ce qui concerne les communications, elles se sont considérablement amélioré ces 20 dernières années. Les satellites ont bien facilité les choses. Nous n'avons pas de problèmes aujourd'hui à communiquer avec nos navires dans l'Extrême- Arctique.
Pour ce qui est des soutes à peinture, par exemple, on se souvient bien sûr de l'incendie du navire de la Hull Company il y a quelques années, causé par de la peinture dans une cabine. Il s'agit moins d'une question de règlement que d'une question de formation de l'équipage. Tout équipage raisonnable composé de marins expérimentés, bien formés, n'aurait jamais mis de la peinture au milieu des cabines. C'était de la mauvaise régie interne et du mauvais matelotage.
Un des problèmes, c'est que la Garde côtière canadienne réagit à des situations causées par des équipages mal formés. La solution ne consiste pas à imposer plus de règlements, mais à assurer une meilleure formation et une meilleure discipline.
Le président: Pouvez-vous parler de la formation au Canada et nous dire comment elle est assurée actuellement? Est-elle satisfaisante du point de vue des usagers?
M. Murray: J'ai très peu d'expérience dans ce domaine, car seulement deux de nos navires sont d'immatriculation canadienne. Comme vous le savez, des collèges situés à Terre-Neuve, à Rimouski et en Ontario, ainsi que sur la côte ouest, assurent la formation des jeunes.
Je crois que la formation est bonne. Bien sûr, certains de ces jeunes gens sortent de ces collèges et cherchent du travail sur des navires étrangers pour avoir le temps de service en mer nécessaire pour obtenir leur brevet. Ces hommes obtiennent de bons rapports. Certains de ceux que j'ai rencontrés m'ont fait très bonne impression.
Un des problèmes, c'est que le Canada, en tant que pays, n'a pas une grande tradition de navigation hauturière et a tendance à former des équipages pour la navigation côtière, sans plus.
Le sénateur Adams: Êtes-vous satisfait de l'équipement de sécurité à bord de ces navires qui vont, par exemple, à Grise Fjord? Parfois, le déchargement se fait par des gens du Sud qui ne connaissent pas les marées et ne savent pas comment manipuler certaines marchandises dangereuses. Je me souviens qu'à Iqaluit il y a quelques années, un navire qui transportait de la dynamite a pris feu. Le navire s'était échoué à la marée basse et c'est là que l'incendie s'est déclaré.
M. Murray: Il y a deux genres de navigation maritime dans l'Arctique de l'Est. Les petits navires canadiens approvisionnent Iqaluit, Grise Fjord et d'autres collectivités. La manutention de toute marchandise dangereuse doit se faire conformément aux règlements de la Garde côtière. En ce qui concerne l'équipement d'incendie, ces navires seraient dotés d'extincteurs à mousse portatifs et de tuyaux, c'est tout.
Les vraquiers sont les autres types de navires qui vont dans l'Extrême-Arctique. Là encore, ils sont dotés d'extincteurs portatifs et de tuyaux pour vaporiser de l'eau de mer, mais c'est tout. À part cet incident à Iqaluit, il y a eu très peu d'incendies.
Le sénateur Adams: En fait, certains navires ont dû s'éloigner du navire en feu. Certains d'entre eux se sont plaint, car ils ont dû s'éloigner de quatre à cinq milles pour s'écarter du danger.
M. Murray: Cela me semble difficile à croire.
Le sénateur Adams: J'ai entendu dire que, par suite de cet incendie, lorsque les pétroliers se trouvent dans la baie, les autres navires doivent s'écarter; ils peuvent ainsi manquer la marée et ne pas pouvoir décharger leur cargaison.
M. Murray: Ils n'ont pas à s'éloigner. Après tout, des pétroliers déchargent du carburant aviation à Montréal chaque jour de la semaine.
Le président: Quel est le plus gros brise-glaces que nous ayons dans l'Arctique aujourd'hui?
M. Murray: C'est le Louis St-Laurent.
Le président: S'agit-il d'un brise-glaces de classe 7 ou 8?
M. Murray: Je ne le sais pas. Peut-être que le capitaine Lantz pourrait répondre à cette question.
Le président: Je voulais qu'il prenne la parole il y a une heure, mais il est timide.
Le capitaine Ivan Lantz, directeur, Navigation maritime, Fédération maritime du Canada: Je ne sais pas comment on le désigne en matière de cote glace, mais il s'agit certainement d'un brise-glaces de catégorie 1 300 dont le moteur est supérieur à 2 300 chevaux-vapeur. C'est le brise-glaces le plus gros et le meilleur du Canada en ce qui concerne les glaces de l'Arctique. Le Terry Fox arriverait au deuxième rang.
Le sénateur Adams: En 1953, je me trouvais à bord du C. D. Howe à destination de Churchill. J'ai entendu dire que ce navire avait été vendu à une société minière. Savez-vous ce qu'il est devenu?
M. Murray: Je me souviens du C. D. Howe et du fait qu'il a été mis en vente il y a une quinzaine d'années. J'imagine qu'il est maintenant à la ferraille.
Le président: Nous vous remercions de nous avoir apporté votre aide dans le cadre de notre vaste étude sur la sécurité des transports. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre M. Brodsky et M. Wilkens, du Tire Retread Information Bureau, ainsi que M. Dunn, de la Oliver Rubber Company.
M. Harvey Brodsky, directeur général, Tire Retread Information Bureau: Le Tire Retread Information Bureau, organisme sans but lucratif, est une association internationale qui s'efforce de promouvoir l'utilisation de pneus rechapés dans le monde entier, en Amérique du Nord en particulier. Nous le faisons en informant les automobilistes, les organismes du gouvernement et les sociétés de camionnage au sujet des pneus rechapés.
J'ai ici un document que vous avez sans doute pu parcourir. Puis-je le lire?
Le président: Certainement.
M. Brodsky: Je vais peut-être m'en écarter légèrement. Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser au nom de nos membres canadiens au comité sénatorial. Nous représentons actuellement près de 30 usines de pneus canadiens rechapés, soit l'équivalent d'à peu près 30 p. 100 de toutes les entreprises dans le domaine du rechapage au Canada.
L'industrie du pneu de rechapage au Canada a toutes les raisons d'être fière. Depuis belle lurette, elle a permis aux conducteurs de véhicules du Canada, véhicules commerciaux et publics et automobiles de tourisme, d'économiser des millions et des millions de dollars, tout en contribuant à atténuer grandement le problème omniprésent des vieux pneus.
Soit dit en passant, j'utilise moi-même des pneus rechapés et rien d'autre, et ce, depuis 25 ans et je dois dire que je m'en porte très bien.
Les pneus rechapés ont en outre l'avantage d'être sans danger pour l'environnement. De plus, il y a dans chaque pneu un pourcentage élevé de caoutchouc synthétique, un dérivé du pétrole, ce qui signifie qu'un pneu rechapé permet au Canada d'être moins dépendant du pétrole importé. Chaque année, plus de 40 millions de gallons de pétrole sont ainsi économisés au pays, et plus de 400 millions de gallons en Amérique du Nord.
Pourtant, notre industrie souffre d'un problème d'image, imputable surtout à des perceptions erronées liées à un facteur: les débris de pneus, de caoutchouc, que nous trouvons sur nos routes. Permettez-moi de faire une digression. Je suis sans doute celui dont les vêtements sont les plus neufs ici. En effet, j'ai hier soir perdu ma valise dans l'avion; j'ai donc dû faire des achats, ce qui a peu d'importance; par contre, j'étais aussi avec mon ami Guido, l'alligator, qui m'accompagne dans tous mes voyages et je suis désolé qu'il ne soit pas parmi nous aujourd'hui. C'est un gros morceau de caoutchouc que j'ai ramassé sur une route il y a quelques années et si je vous le montrais aujourd'hui, vous diriez: «Ah, voilà un morceau de pneu rechapé.» En fait, Guido est un morceau de pneu neuf, tout comme la plupart du caoutchouc que nous retrouvons sur nos routes. Le caoutchouc enlaidit les routes et est dangereux pour la conduite automobile, mais peut-être serez-vous surpris d'apprendre que ces débris proviennent surtout de pneus qui n'ont jamais été rechapés, qu'ils se détachent de pneus neufs. Quelles sont les causes de ce phénomène peu esthétique, de ce problème dangereux? La négligence, purement et simplement.
Les pneus qui sont négligés, qu'ils soient nouveaux ou rechapés, ne dureront pas longtemps. Le sous-gonflage est une des causes principales de leur usure prématurée. La surcharge du véhicule, la pose de pneus différents sur un même essieu et le fait de ne pas s'arrêter lorsqu'un pneu commence à se dégonfler sont autant de facteurs qui contribuent au problème.
Si vous étiez en train de rouler et qu'un pneu commençait à se dégonfler, votre véhicule se mettrait à zigzaguer et vous n'auriez d'autre choix que de vous arrêter pour changer le pneu, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il fasse une chaleur torride. Vous conviendrez tous avec moi qu'on ne continue tout simplement pas de rouler quand le pneu est à plat.
Supposons maintenant vous conduisez un camion de 18 roues, dans la même situation. Vous savez qu'à l'exception des pneus posés sur l'essieu avant directeur, tous les autres pneus sont montés par paire. Il n'est donc pas nécessaire d'arrêter immédiatement, surtout que vous savez qu'il y a un relais-routier tout près. Soit dit en passant, de nombreux camionneurs sont consciencieux et s'arrêtent. Cependant, même si vous appelez à l'entrepôt, la première question qu'on vous posera est: «Êtes-vous loin d'un relais? Croyez-vous pouvoir vous y rendre? Faites-le.» Plus souvent qu'autrement, vous vous rendrez jusqu'au relais. Après tout, vous avez 17 autres pneus.
Vous continuez donc à rouler sur le pneu -- qui ne provient peut-être pas d'une usine de pneus rechapés et qui est peut-être neuf -- dans lequel est entré un clou ou qui a une valve défectueuse. Il commence à surchauffer et finit par se désintégrer, semant des débris de caoutchouc partout sur la route.
Malheureusement, l'automobiliste qui suit le camion se tourne vers son épouse et, plus souvent qu'autrement, lui dit: «Regarde. Un autre pneu rechapé!» Elle-même répond: «Oui, il faudrait les interdire. Il faudrait appeler notre député pour lui demander de faire quelque chose».
Le groupe de travail sur les débris de caoutchouc qui représente les entreprises de camionnage et de rechapage, de même que les associations de camionneurs et de l'industrie du pneu, des fabricants de pneus neufs et des organismes gouvernementaux des États-Unis a récemment récupéré et analysé 1 070 pièces de pneus trouvés sur des routes aux États-Unis. Pour que cette analyse soit le plus objective possible, les morceaux de pneus ont été ramassés à neuf endroits distincts où les conditions de route et la température étaient différentes. Seules 11 pièces, soit 1 p. 100 environ de l'échantillon, provenaient de pneus rechapés, c'est-à-dire de pneus mal rechapés.
Notre industrie possède beaucoup de données corroborant que les pneus rechapés ne constituent pas la cause principale des débris de caoutchouc sur les routes. J'ajoute que, dans tous les pays, la moyenne nationale de pneus qui flanchent parce qu'ils ont été mal rechapés est la même que la moyenne nationale de pneus neufs qui flanchent en raison d'un vice de fabrication. Les pneus rechapés ne flanchent pas plus que les pneus neufs, et je répète que nous avons une preuve imposante à cet égard.
Les preuves au sujet de la sécurité, de la fiabilité et des avantages économiques et environnementaux des pneus rechapés sont innombrables. Des dizaines de millions de pneus rechapés sont utilisés sur les routes du Canada en ce moment même.
Dans mon domaine de travail, on a tendance à regarder les pneus des véhicules quand on se promène. Récemment, il se trouve que je me suis penché sur les pneus d'un véhicule de Postes Canada. Le conducteur m'a demandé s'il y avait un problème. J'étais en train d'examiner ses pneus pour voir s'il s'agissait de pneus rechapés. Quel ne fût pas mon bonheur de constater qu'ils l'étaient! Il est bon de savoir que le gouvernement du Canada économise en équipant ses véhicules postaux de pneus rechapés.
Partout dans le monde, les autobus scolaires, les véhicules de secours, les avions, les véhicules militaires, les parcs de camions des secteurs commercial et public de même que des millions d'automobiles de tourisme chaussés de pneus rechapés permettent de réaliser des économies et de protéger l'environnement.
La séance d'aujourd'hui est, je crois, consacrée aux pneus des camions. L'une des plus importantes entreprises nord-américaines de rechapage des pneus d'automobiles de tourisme se trouve à New Glasgow, en Nouvelle-Écosse, soit Eastern Tire Service, un excellent atelier de rechapage. Les prochains pneus dont je chausserai mon auto viendront de là.
Ce ne serait pas rendre service aux automobilistes et contribuables canadiens que de restreindre l'utilisation des pneus rechapés!
L'industrie des pneus rechapés partage vos préoccupations au sujet de la sécurité des pneus et de la présence de caoutchouc sur les routes. Cependant, il faut jeter le blâme là où il se doit, c'est-à-dire qu'il faut s'en prendre au mauvais entretien des pneus. Il faut aussi informer les conducteurs de véhicules en vue de leur faire comprendre l'importance d'un bon entretien.
Toutes les entreprises canadiennes de pneus rechapés, la International Tire and Rubber Association et le Tire Retread Information Bureau sont prêts à fournir leur aide.
Le School of Business de l'université Clemson, à Hilton Head Island, en Caroline du Sud, m'a invité à prendre la parole lors d'une conférence prévue pour le mois de mars. J'aimerais vous lire le discours que j'ai préparé pour cette conférence parce qu'il aborde la question sous un autre angle. Là-bas, je m'adresserai à des membres de l'industrie du pneu.
Mon discours du 7 mars prochain pourrait s'intituler: «A-t-on raison d'utiliser des pneus rechapés? Tous les débris de caoutchouc qui jonchent nos routes ne laissent-ils pas présager de problèmes?» N'oubliez pas que j'ai rédigé cela en prévision de la conférence de Clemson où, dans une grande mesure, je m'adresse à des convertis. Bien qu'il puisse y avoir quelques exceptions, presque toutes les personnes présentes à cette conférence et tous les membres de l'industrie du pneu présents savent que tous les pneus fabriqués par des entreprises dignes de confiance peuvent facilement être rechapés.
En fait, il ne viendrait jamais à l'idée d'un fabricant fiable de pneus de camion ou d'avion de vendre des produits qui ne pourraient être rechapés plusieurs fois. Si vous examinez les annonces de pneus dans les revues de routiers ou la publicité des fabricants, vous verrez qu'elles précisent toujours que ces pneus sont conçus de manière à pouvoir être rechapés.
La possibilité de rechaper un pneu suppose au départ, bien sûr, que le pneu a été bien entretenu. Le sous-gonflage, la surcharge, la pose de pneus différents, même jumelés, sur un même essieu, la conduite à des vitesses excessives, le fait de ne pas s'arrêter quand un pneu commence à se dégonfler, voilà autant de facteurs qui empêcheront probablement de rechaper un pneu usé.
J'en ai pour preuve les parcs privés de camions. Presque tous les grands parcs privés du monde utilisent couramment des pneus rechapés. En réalité, plus un parc entretient bien ses pneus, plus on peut compter qu'il utilise des pneus rechapés. Pourquoi? Parce que si l'on se penche sur les avantages économiques des pneus rechapés et le taux de défectuosité des pneus rechapés par rapport aux pneus neufs -- taux qui n'est pratiquement pas différent quand on allie des pneus rechapés de bonne qualité à un bon programme d'entretien --, le choix n'est pas difficile.
Les exploitants des parcs savent qu'un pneu rechapé peut faire économiser jusqu'aux deux tiers du coût d'un pneu neuf, à kilométrage habituellement comparable, voire supérieur, sans compromettre la sécurité ou le rendement.
Si vous multipliez ces économies par les milliers ou dizaines de milliers de pneus utilisés chaque année, les économies sont de taille. Les parcs dont les livres sont bien tenus le savent. Pourquoi tous les parcs n'utilisent-ils pas des pneus rechapés, me demandez-vous? Ce n'est certes pas parce que certaines applications ne s'y prêtent pas. Je ne puis concevoir d'une seule application où les pneus rechapés ne donneraient pas un aussi bon rendement que des pneus neufs. La seule chose que ne peuvent pas faire les pneus rechapés, c'est l'impossible.
Par là, j'entends que les pneus rechapés ne peuvent pas survivre à un mauvais entretien. S'ils sont constamment sous-gonflés, que le véhicule est surchargé ou qu'une autre des causes mentionnées plus tôt est présente, le pneu rechapé éclatera probablement et, quand cela se produira, souvent, le véhicule sera endommagé -- si le pneu se désintègre à une vitesse élevée -- ou le camion devra s'arrêter à ce que nous appelons dans le métier «le relais-routier de 500 $», qui est beaucoup plus coûteux que d'essayer de se rendre au relais suivant, à quelques milles de là.
Soit dit en passant, nous supposons que le parc utilise des pneus correctement rechapés par un atelier fiable et les pneus ayant le bon dessin de bande de roulement. L'acheteur de pneus rechapés bon marché, tout comme celui de pneus neufs bon marché, apprendra à ses dépens que la qualité est proportionnelle au prix. Je viens tout juste de dire que les pneus rechapés ne peuvent pas faire l'impossible et je vous ai expliqué pourquoi ils flanchent habituellement, mais savez-vous quoi? J'aurais pu en dire tout autant des pneus neufs.
Blâmer un pneu qui a été mal entretenu, qu'il s'agisse d'un pneu rechapé ou d'un pneu neuf, revient à dire que le véhicule a causé l'accident alors que le conducteur était en état d'ébriété.
Avant d'en arriver à la conclusion de mon discours qui portera sur les débris de caoutchouc qui jonchent les routes et leurs causes, je tiens à mentionner brièvement les avantages pour l'environnement des pneus rechapés.
Chaque pneu rechapé est un pneu de moins à la décharge ou ailleurs dans le paysage. De plus, les pneus rechapés font économiser des centaines de millions de gallons de pétrole chaque année. Les pneus sont fabriqués à partir d'hydrocarbures. Chaque fois qu'un pneu d'automobile de tourisme est rechapé, on économise 4,5 gallons de pétrole approximativement alors que le pneu rechapé d'un camion ménage 15 gallons de pétrole environ.
Bien qu'ils soient ronds et noirs, les pneus rechapés sont l'un des produits les plus «verts» ou les plus écologiques qui soit. C'est pourquoi l'agence de protection environnementale des États-Unis a émis des lignes directrices encourageant les parcs de véhicules gouvernementaux à utiliser des pneus rechapés, pourquoi l'Office of Federal Environmental Executive encourage activement l'utilisation de pneus rechapés et pourquoi le président Clinton a signé le décret 12873 rendant obligatoire l'utilisation de pneus rechapés sur les véhicules du gouvernement.
Parlons-en, de ces débris de pneus, de ces morceaux de caoutchouc, qui enlaidissent nos routes! Nous, les membres de l'industrie de rechapage des pneus, savons que ces débris sont en grande partie la conséquence des problèmes d'entretien des pneus dont je vous ai parlé plus tôt. Le groupe de travail chargé d'étudier ce phénomène a lancé un programme permanent d'information à l'intention des camionneurs en vue de les aider à comprendre l'importance de bien vérifier régulièrement la pression d'air des pneus.
Notre organisme, soit le Tire Retread Information Bureau, participe aussi à un programme d'information des automobilistes. Dans le cadre d'un programme intitulé Don't thump `em. Pump `em, nous avons distribué des milliers d'autocollants rappelant aux camionneurs de faire gonfler leurs pneus et nous continuerons de leur en distribuer dans des revues spécialisées et aux expositions de camions.
Nous avons aussi mis en place un programme d'ateliers à l'intention des polices routières par l'intermédiaire de la Commercial Vehicle Safety Alliance, un groupe qui est actif partout au Canada et aux États-Unis. Jusqu'ici, nous avons tenu des séances d'information concernant le bon entretien des pneus pour la patrouille routière de la Californie et nous devons répéter l'exercice pour celle de l'État de l'Utah, en mars. Nous continuerons d'offrir ces services aux patrouilles routières de tous les États et de toutes les provinces d'Amérique du Nord, sans frais.
Malheureusement, les pneus rechapés sont considérés par trop de gens comme les Rodney Dangerfield de l'industrie du pneu, celui qui passe son temps à dire que nul ne le respecte. Nous voulons changer cette image. Si nous y parvenons -- et je suis convaincu que nous réussirons --, ce seront tous les utilisateurs de pneus qui y gagneront.
Mes collègues et moi sommes maintenant à votre disposition pour répondre aux questions.
Le président: Hier, nous avons entendu les témoins de l'Association canadienne de l'industrie du caoutchouc qui, soit dit en passant, ont beaucoup milité en faveur des pneus rechapés pour les mêmes raisons que celles que vous avez énoncées. Ces témoins nous ont dit à quel point cette technologie s'était perfectionnée et ils nous ont expliqué la raison pour laquelle la construction d'un bon atelier de rechapage est un investissement très coûteux, car il exige de l'équipement radiologique très perfectionné. Vous avez affirmé représenter environ 30 entreprises de rechapage. Combien d'entre elles utilisent ce genre d'équipement?
M. Brodsky: MM. Wilkens et Dunn représentent deux des plus importantes entreprises de rechapage du monde. Ils répondront avec plaisir à votre question.
M. George Wilkins, vice-président, Bandag Canada Ltd.: Notre entreprise compte 57 ateliers répartis un peu partout au Canada, dont 45 ont le matériel voulu pour faire des inspections ultrasoniques.
M. Bob Dunn, directeur de division, Oliver Rubber Company, Standard Products Canada Ltd.: Nous avons 24 ateliers. Actuellement, sept sont dotés du matériel voulu pour faire l'inspection de l'enveloppe extérieure à l'ultrason, et on est en train d'installer cinq autres machines. Les exploitants des grands parcs de camions exigent que les pneus soient examinés à l'ultrason. Le matériel électronique de détection est ce qu'il y a de plus moderne et de mieux. C'est l'utilisateur final, c'est-à-dire les parcs, qui nous dicte la méthode d'inspection.
Le président: Quel pourcentage de votre production vient des 45 ateliers? Vous dites que vous en comptez 57, dont 45 ont le matériel d'inspection électronique. Quel pourcentage de votre production totale de rechapage représentent ces 45 ateliers?
M. Wilkins: Entre 80 et 85 p. 100, je suppose.
Le président: Ce pourcentage est-il beaucoup plus élevé que celui des ateliers qui n'ont pas l'équipement?
M. Wilkins: Naturellement. Ce sont les petits ateliers qui n'ont pas cette capacité.
Le président: Vous voulez dire ceux dont la production est inférieure?
M. Wilkins: Oui.
Le président: Est-ce également le cas de vos ateliers, monsieur Dunn?
M. Dunn: Oui, en règle générale.
M. Wilkins: Le Goodyear Tire & Rubber Company et le Hercules Retreading Company ne sont pas représentés ici, aujourd'hui, mais les données les concernant devraient être analogues. Je sais que la plupart des ateliers de Goodyear ont cette capacité.
Le président: Je suppose que vous n'avez pas le genre d'atelier où l'automobiliste ordinaire peut se présenter et vous demander de rechaper ses pneus.
M. Brodsky: Non, monsieur. On ne fait plus ce genre de travail, c'est-à-dire le rechapage sur commande. Nous nous souvenons tous de cette période lointaine où le rechapage n'avait pas atteint le degré de perfection qu'il connaît aujourd'hui.
Le président: Puis-je acheter des pneus Michelin rechapés pour une voiture de tourisme?
M. Brodsky: Vous pourriez peut-être le faire. En ce qui concerne les voitures de tourisme, l'atelier de rechapage ne prendra que les pneus qui peuvent être rechapés. Ils sont inspectés avec beaucoup de soin. Approximativement 85 p. 100 des pneus de voitures de tourisme qui aboutissent à un atelier de rechapage sont rejetés soit parce qu'on a continué de rouler alors qu'ils étaient crevés, qu'ils ont été utilisés à une pression d'air inférieure à ce qu'elle aurait dû être -- les propriétaires de voitures de tourisme le font souvent --, qu'ils ont été endommagés sur les bords de trottoir ou qu'il leur est arrivé quelque chose qui en empêche le rechapage.
Quand on essaie de faire rechaper soi-même ces pneus, il se peut que seulement deux des quatre pneus franchissent l'étape de la première l'inspection, puis que, pendant que l'on enlève l'enveloppe extérieure, on découvre qu'un seul pneu peut être rechapé. Vous seriez alors un client très mécontent. Les entreprises de rechapage vous demandent habituellement d'acheter des pneus rechapés, sachant que les pneus que vous achetez ont subi une inspection très rigoureuse et qu'ils sont récupérables.
Le président: Je fais souvent le trajet entre Ottawa et Halifax. Durant un de mes voyages, j'ai vu un pneu de camion éclaté s'engouffrer sous une petite Volkswagen qui s'est mise à braquer et à faire des bonds. La compétence extraordinaire et le sang-froid de la conductrice lui ont permis de maîtriser le véhicule. Comment cette dame a réussi à immobiliser l'auto sur le bord de la route, je ne le saurai jamais! Le camion ne s'est même pas arrêté.
Il y a quelques semaines, alors que je roulais sous la pluie aux États-Unis, j'ai éprouvé les difficultés habituelles à doubler des camions. Je ne voyais rien et je me demandais si j'y survivrais. Un des camions que j'ai doublés avait des déflecteurs antiprojection, de sorte que je voyais beaucoup mieux et que je me sentais beaucoup plus en sécurité. Avez-vous déjà envisagé la possibilité d'en installer pour empêcher le caoutchouc de pneus éclatés d'être projeté?
M. Brodsky: L'idée est intéressante.
Le président: Elle pourrait peut-être sauver des vies.
Soit dit en passant, je suis tenté de vous demander s'il vous était venu à l'idée, quand vous avez examiné les pneus du camion de Postes Canada, que ce véhicule ne roule jamais à plus de 30 km/h?
M. Brodsky: Je le sais.
Le président: Ces pneus rechapés ne s'useront jamais! Je plaisante, naturellement.
Le sénateur Adams: J'ai bien aimé vos commentaires au sujet des avantages pour l'environnement des pneus rechapés.
Toutefois, hier, nous avons entendu des témoins qui nous ont parlé des dangers que représentent les pneus qui éclatent quand ils surchauffent. Les pneus rechapés y sont-ils plus susceptibles que les pneus neufs? Avez-vous effectué des études à cet égard?
M. Brodsky: Que je sache, il n'y a pas de différence entre les deux. Les facteurs de sécurité de pneus rechapés sont toujours exactement les mêmes que ceux des pneus neufs.
Toutefois, tout comme on peut acheter une paire de lunettes ou de souliers bon marché, on peut aussi se procurer un pneu bon marché, même neuf. On en voit annoncés dans les journaux, tous les jours. Vous pourriez donc acheter un pneu rechapé qui n'a pas peut-être pas été fait par un fabricant fiable. Je n'insulterai pas votre intelligence en affirmant que chaque pneu rechapé est fabriqué par une maison de renom. Ce n'est pas vrai. La grande majorité des pneus le sont. Nous réussissons selon moi, partout en Amérique du Nord, à très bien nous autoréglementer. Le meilleur policier est encore le consommateur, parce que les entreprises de camionnage sont très judicieuses dans leurs achats.
J'aimerais citer l'exemple de deux entreprises qui n'utiliseraient pas de pneus rechapés si elles croyaient que leur commerce pouvait en souffrir. Pour elles, la fiabilité est la priorité numéro un, leur grande qualité. Je parle de UPS et de Federal Express. Les deux sont de grands consommateurs de pneus rechapés. Elles en chaussent aussi les véhicules routiers qui font de longs trajets.
D'un strict point de vue budgétaire, si les pneus rechapés les empêchaient de livrer les colis à temps, elles s'en débarrasseraient tout de suite parce que, après tout, cela nuit à leur commerce. Or, ce n'est pas le cas. Elles utilisent les pneus rechapés parce qu'elles savent qu'ils sont aussi fiables que les pneus neufs. Elles en ont la preuve tous les jours. De plus, elles économisent ainsi une fortune, ce qui leur permet d'offrir les services à bas coût.
Il en serait de même à l'achat d'un billet d'avion. Si les compagnies aériennes n'utilisaient pas les pneus rechapés, ce qu'elles font -- toutes les compagnies aériennes en font un usage courant --, le prix du billet d'avion serait beaucoup plus élevé. Leurs appareils doivent se poser sur de courtes pistes. Les pneus du train d'atterrissage entrent en contact avec le sol à 200 milles à l'heure, et l'appareil doit s'arrêter au bout de quelques centaines de verges, sans quoi une grande partie de l'enveloppe extérieure des pneus serait arrachée. Si les pneus rechapés n'étaient pas sécuritaires, elles ne les utiliseraient pas.
Le sénateur Adams: Je me souviens de l'incendie qui a éclaté à Hagersville, en Ontario, il y a environ 10 ans et des difficultés que l'on a eues à le maîtriser. Utilise-t-on encore de grands incinérateurs pour brûler les pneus usagés? J'ai entendu dire que certains États, aux États-Unis, brûlent des pneus comme source d'énergie. Cela se fait-il ici? Les conséquences de cette combustion sur l'environnement m'inquiètent. Comment procède-t-on maintenant?
M. Wilkins: Malheureusement, le gouvernement de l'Ontario interdit la combustion de pneus comme source d'énergie, et tous les pneus de l'Ontario sont actuellement exportés en Pennsylvanie et dans l'État de New York où ils sont brûlés par les cimenteries. C'est dommage que le gouvernement de l'Ontario n'autorise pas la combustion des pneus. Toutefois, cela se fait dans d'autres provinces où on recycle actuellement des pneus. Il s'agit, pour la plupart, de pneus de voitures de tourisme que brûlent des cimenteries. Les grands cimetières de pneus et les grands entrepôts sont en train de devenir rapidement chose du passé.
Le sénateur Adams: Celui de la Colombie-Britannique est-il toujours là?
M. Wilkins: La Colombie-Britannique recycle les pneus, qui sont brûlés dans des fours de cimenterie. C'est certes le cas en Alberta et, je crois, en Colombie-Britannique. C'est ce qu'on fait partout au Canada, sauf en Ontario. Les pneus ontariens sont expédiés aux États-Unis où on les brûle. Il n'y a donc pas de grands dépôts de pneus usagés dans cette province.
Une partie de ces pneus sert aussi à fabriquer de l'asphalte, de même que des garde-boue et des tapis. Une partie des pneus mis aux rebuts sont certes recyclés.
Le sénateur Adams: Avez-vous vendu aux sociétés pétrolières les 40 millions de gallons de pétrole récupérés des pneus?
M. Brodsky: J'aime dire que nous sommes les médecins qui gardent le malade en vie. Tôt ou tard, cependant, nous mourons tous et nous finissons à la morgue. De la même façon, le pneu aboutit chez le recycleur qui en fait plusieurs choses, comme l'a dit M. Wilkens, par exemple il broie le caoutchouc pour en faire des thibaudes ou encore il le brûle dans des fours de cimenterie. Notre travail à nous, toutefois, est de garder le malade en vie.
À l'exemple du jongleur dont une boule est constamment en l'air, tant que nous continuerons de rechaper les pneus et que la qualité du rechapage se maintiendra, à défaut de s'accroître, nous pourrons éviter indéfiniment que les pneus aboutissent à la décharge, ce qui est très important puisque les déchets posent problème partout dans le monde.
Le sénateur Bacon: À qui peut s'adresser le client qui n'est pas satisfait de ses pneus rechapés? Dépose-t-il une plainte auprès de l'office de protection du consommateur, qui vous la transmet par la suite?
M. Brodsky: Moi, je retournerais chez le vendeur et lui expliquerais pourquoi je suis insatisfait. Normalement, le vendeur fiable arrivera à donner satisfaction au client. Si ce n'est pas le cas, je m'adresserais ensuite à l'organisme de réglementation dont relève le vendeur. Le vendeur de renom tient à conserver votre clientèle. Il n'y parviendra pas si vous êtes mécontent.
Le président: Messieurs, je vous remercie beaucoup. Je vous souhaite beaucoup de succès à la conférence de Clemson, monsieur Brodsky.
La séance est levée.