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SAFE

Sous-comité de la sécurité des transports

 

Délibérations du sous-comité de la
Sécurité des transports
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages pour le 20 mars 1997


HALIFAX, le jeudi 20 mars 1997

Le sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 31 pour étudier l'état de la sécurité des transports au Canada.

Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue aujourd'hui à M. Peter McCarron, directeur général du Cape Breton & Central Nova Scotia Railway, qui nous permettra de jeter un regard sur les chemins de fer secondaires en Nouvelle-Écosse et l'expérience qu'ils présentent. Nous remercions la société RailTex de son mémoire. C'est un mémoire substantiel, et nous avons hâte que vous le parcouriez avec nous.

M. Peter McCarron, directeur général régional, RailTex Canada Inc.: J'aimerais profiter de l'occasion ce matin pour vous expliquer ce que fait notre société en matière de sécurité, aux États-Unis et au Canada, et vous parler de notre interaction avec les organismes de réglementation, aux paliers provincial et fédéral; je vous parlerai aussi de nos rapports avec le public et des préoccupations que nous avons concernant l'incidence des mesures de sécurité sur notre compétitivité. À la fin de mes remarques, je voudrais réfuter un témoignage que vous avez entendu à Montréal.

Je suis directeur général du Cape Breton & Central Nova Scotia Railway. Je suis également directeur général de l'une de nos entreprises en Ontario, l'Ontario L'Orignal Railway, située à Hawkesbury, en Ontario. Je suis directeur général régional de RailTex Properties, Canada, qui comprend le Goderich-Exeter Railway.

RailTex Canada est une division de RailTex Inc., de San Antonio, au Texas. RailTex est la principale compagnie de chemins de fer secondaires en Amérique du Nord, comprenant 30 chemins de fer qui assurent un service de transport de marchandises sur plus de 3 900 milles de voie ferrée aux États-Unis, au Mexique et au Canada, et employant plus de 700 personnes. RailTex est également propriétaire de 11 p. 100 des actions d'une entreprise qui possède 4 400 milles de voie ferrée au Brésil, ainsi que de 6 p. 100 d'une deuxième compagnie possédant 4 200 milles de voie ferrée, également située au Brésil. RailTex est une entreprise dont la valeur est cotée sur le marché national de NASDAQ, où elle est représentée par le symbole RTEX.

RailTex Inc. Canada est composée de trois chemins de fer que j'ai déjà décrits. Ce sont des chemins de fer dont s'est départi le Canadien National: deux sont situés en Ontario, un à Goderich et un autre à Hawkesbury, tandis que le troisième est situé en Nouvelle-Écosse, son siège social se trouvant à Stellarton. Nous exerçons nos activités dans un rayon d'environ 16 000 milles carrés, pour un potentiel de plus de 200 expéditeurs et une population de plus de 200 000 personnes.

Le Goderich-Exeter Railway a été la première acquisition canadienne de RailTex et a commencé ses activités en avril 1992. Le GXR exploite plus de 70 milles de voie ferrée, compte 14 employés et transporte environ 9 000 wagons de marchandises par année.

La deuxième entreprise ontarienne de RailTex est l'Ontario L'Orignal Railway, qui a commencé ses activités en novembre 1996. L'OLOR exploite plus de 26 milles de voie ferrée, compte quatre employés et transportera environ 6 400 wagons par année.

La troisième entreprise canadienne est le Cape Breton & Central Nova Scotia Railway, qui a commencé ses activités en octobre 1993. Le CBNS exploite plus de 245 milles de voie ferrée dans l'est de la Nouvelle-Écosse, compte 52 employés et transporte 26 000 wagons de marchandises par année.

Il semble qu'on ait l'impression, du moins c'est ce que nous percevons dans le secteur des lignes sur courtes distances, que les chemins de fer secondaires sont moins sûrs que les transporteurs de catégorie 1. C'est de cela que je tiens à parler ce matin.

La vision de RailTex consiste notamment à répondre aux besoins de nos clients d'une manière sûre, efficace et efficiente. Chaque employé de notre société s'est engagé à assurer sa propre sécurité et celle des autres. La sécurité est un mot qui accroche ou un mot à la mode qu'on veut entendre sur le marché. C'est ainsi que nous fonctionnons tous les jours au travail et à la maison.

Je le répète: dans l'esprit de la personne qui vous parle, au moins, il y a des gens qui semblent avoir l'impression que les chemins de fer secondaires sont moins sûrs que les transporteurs de catégorie 1. J'affirme catégoriquement que notre chemin de fer secondaire en Nouvelle-Écosse respecte les dispositions et les règlements de la Loi fédérale sur la sécurité ferroviaire, étant donné que la loi provinciale sur la sécurité ferroviaire n'a pas encore été promulguée.

Dans notre exploitation de chemins de fer secondaires en Ontario, nous respectons les lignes directrices contenues dans la loi ontarienne de 1995 sur les chemins de fer secondaires, et ces lignes directrices sont assez semblables aux exigences fédérales. Des inspecteurs de Transports Canada vérifient dans les deux provinces que nous respectons la loi, au même degré qu'ils le font pour les chemins de fer de catégorie 1.

Pour ce qui est des investissements, au cours des huit dernières années et demie, RailTex a dépensé plus de 10 millions de dollars. Cet argent a servi à apporter des améliorations aux immobilisations, à répondre à des exigences d'exploitation, à la formation et à l'éducation.

En ce qui concerne la formation, tous nos employés reçoivent la formation nécessaire pour assurer la sécurité de nos convois et de la population en général. Nous avons adopté des pratiques traditionnelles de formation qui comprennent la formation sur le tas et des cours en classe pour lesquels nous faisons appel aux personnes compétentes de notre entreprise ou de l'industrie. Lorsque nous ne pouvons pas fournir les outils de formation nécessaires, nos employés sont envoyés à des endroits où ils peuvent avoir accès à ces ressources.

Nos employés itinérants sont assujettis au Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC) et doivent satisfaire aux normes de qualification des employés itinérants comme celles qu'appliquent les transporteurs de catégorie 1 à des intervalles prescrits. Les employés doivent remplir les conditions prescrites par le REFC, satisfaire aux normes minimales de manoeuvre des locomotives et des trains, respecter les exigences concernant la manutention des marchandises dangereuses et la documentation nécessaire, suivre des cours de l'Ambulance Saint-Jean, et en particulier des cours de réanimation cardiorespiratoire.

Nos employés préposés aux réparations et à l'entretien, qui réparent les locomotives, les wagons de marchandises, les voies, les ponts et les dispositifs de signalisation, ont tous la formation et la compétence nécessaires pour effectuer les réparations de manière à respecter les normes minimales d'entretien. Il s'agit des règlements fédéraux.

Bien que nous n'y soyons pas obligés sous certaines conditions, tous nos trains sont tirés par des locomotives munies de systèmes de sécurité qui arrêtent le train lorsque le conducteur de locomotive est frappé d'incapacité soudaine. Chaque locomotive de voie principale comporte un dispositif d'enregistrement semblable à la «boîte noire» d'un avion. Nous l'appelons le «consignateur d'événements.» Les événements des trois derniers jours sont tous enregistrés. Chaque train sur une voie principale est muni d'un dispositif de communication continue du système de freins à air du train, connu dans nos milieux sous le nom de système de contrôle et de freinage en queue (TIBS), qui assure la communication de l'avant à l'arrière du train, en plus de permettre d'appliquer les freins à partir de l'arrière du train.

En ce qui concerne les marchandises dangereuses, leur manutention préoccupe beaucoup la population. Dans toute l'histoire de RailTex au Canada, il n'y a jamais eu d'incident ayant entraîné le déversement d'une marchandise dangereuse de manière à mettre en danger nos employés ou la population. Notre personnel de supervision est envoyé dans des écoles spécialisées pour apprendre à faire face aux incidents relatifs au transport de marchandises dangereuses. Nous nous sommes affiliés à des entreprises spécialisées dans les déversements et leur nettoyage, afin de réduire au minimum le risque et les dangers pour la population environnante. Nous estimons que notre société respecte les règlements concernant la manutention des marchandises dangereuses, ou dépasse même leurs exigences.

En ce qui concerne notre fiche de sécurité au cours des huit années de notre existence au Canada, notre dossier parle de lui-même. Nous avons accumulé plus de 100 000 heures de service, transportant plus de 110 000 wagons de marchandises pendant cette période. Nous n'avons pas eu un seul décès et nous avons eu seulement deux cas de blessures qui ont entraîné des absences au travail. Le CBNS Railway approche de son 42e mois d'activité sans avoir eu un seul cas de blessures entraînant une absence au travail. Pendant cette période, nous avons eu au Canada seulement six déraillements justifiant un rapport: un déraillement de wagons contenant une marchandise dangereuse et cinq autres déraillements ayant entraîné des dommages ailleurs que sur une voie de garage.

Le programme de surveillance en matière de sécurité dans notre entreprise comporte trois volets. La surveillance à l'interne exige la participation des superviseurs. On respecte quotidiennement les exigences en matière d'exploitation, de réparations et de sécurité. Cette activité est appuyée par la participation des employés au comité de la santé et de la sécurité de notre entreprise. Ce comité est composé d'employés et de superviseurs. Le ministère provincial du Travail supervise ces comités.

En ce qui concerne la surveillance effectuée au sein de l'entreprise, des employés du siège social et des chemins de fer participent à des réunions mensuelles pour enquêter sur chaque incident survenu au cours des 30 derniers jours. Ce comité de surveillance en matière de sécurité fait une analyse de la cause fondamentale de tous les incidents de chemin de fer. Le résultat final est un plan proactif de mesures visant à remédier à la situation par l'éducation et la formation. Le siège social de l'entreprise effectue également des vérifications de sécurité deux fois par année, dont l'une est annoncée et l'autre ne l'est pas. Les traitements et les primes accordés aux superviseurs sont liés à la sécurité de leur chemin de fer.

En ce qui concerne la surveillance par des organismes de réglementation, les inspecteurs de Transports Canada effectuent des inspections trimestrielles de tous les trains, de la puissance motrice des locomotives, des wagons, des voies, des ponts et des dispositifs de signalisation. Tous les incidents devant être signalés font l'objet d'une enquête par Transports Canada et par le Bureau de la sécurité des transports (BST) afin d'en déterminer la cause et de prescrire les mesures correctrices à prendre pour empêcher d'autres incidents semblables. Ceux qui doivent faire respecter les règlements sont engagés par les provinces et rendent des comptes au ministre responsable. Les chemins de fer n'ont rien à dire dans ces inspections. Le coût des inspections est assuré par les chemins de fer provinciaux.

En ce qui concerne l'information et l'éducation du public, nous sommes heureux de nous allier à l'Association des chemins de fer du Canada dans le cadre du programme national Opération Gareautrain. Nous avons nous-mêmes fait la promotion de ces initiatives en envoyant nos employés propager le message en matière de sécurité dans les écoles et les clubs sociaux. Nous avons aussi fait la promotion d'initiatives comme l'Opération Gareautrain avec l'aide des corps de police locaux, qui voyagent à bord de nos trains pour observer les conditions dans lesquelles nous travaillons. Grâce à ces connaissances acquises sur place, les policiers peuvent informer les automobilistes.

En ce qui concerne les améliorations en matière de sécurité, nous estimons que ces programmes d'information ne vont pas assez loin pour répondre à cette préoccupation sur le plan de la sécurité. Il faut une plus grande participation avec les divers responsables de la voirie pour améliorer les passages à niveau. Au cours des deux dernières années, nous avons eu cinq collisions à des passages à niveau. Toutes ces collisions ont été signalées et ont fait l'objet d'une enquête. Aucune des enquêtes n'a constaté que les chemins de fer ou leurs employés étaient fautifs. Il y a plus de véhicules que jamais sur les routes, et l'on respecte de moins en moins les emprises ferroviaires. S'il faut prendre des mesures pour améliorer les dispositifs de protection existants, c'est aux ministères provinciaux de la Voirie qu'incombe cette responsabilité. De plus, il faut inclure plus d'informations à ce sujet dans les programmes provinciaux de formation des conducteurs de véhicules. La police fédérale, provinciale et municipale doit aussi faire respecter les lois sur les véhicules automobiles en ce qui concerne les passages à niveau.

Pour ce qui est du facteur de la concurrence, RailTex s'occupe sérieusement des questions de sécurité. La sécurité fait partie d'une saine gestion des affaires, et un chemin de fer sûr est un chemin de fer rentable. Le public, nos expéditeurs et nos employés exigent une exploitation sûre. Nous acceptons volontiers l'examen effectué par les responsables de la réglementation provinciale et le fait qu'ils s'assurent que nous respectons les exigences en matière de sécurité. Nous acceptons également les coûts qu'entraîne le respect de ces exigences en matière de sécurité.

Au cours des audiences qui ont eu lieu ici en Nouvelle-Écosse avant la vente des lignes de chemin de fer de l'Est de la Nouvelle-Écosse par le Canadien National, on a présenté de nombreux mémoires au sujet de la valeur des correspondances de chemins de fer. Ici en Nouvelle-Écosse nous avons fourni aux localités que nous desservons un service amélioré. Ce service a augmenté le nombre de wagons de plus de 30 p. 100 par rapport à ce qu'offraient les propriétaires précédents. Nous avons accompli cela sans autre aide que des emprunts que nous avons obtenus et remboursés à même les revenus tirés des services que nous fournissons.

J'ai profité de cette occasion pour signaler les points forts de notre société du fait que nous mettons l'accent sur la sécurité. Cette approche est courante dans notre industrie. Nous ne disposons pas du matériel dispendieux des grandes compagnies de chemins de fer. Nous sommes cependant des professionnels et nous sommes très fiers de la contribution que nous avons apportée à la qualité du service dans notre industrie. Cependant, nous souhaitons qu'on impose à nos concurrents des coûts comparables, qu'ils fassent l'objet d'examens permettant de s'assurer qu'ils respectent les règlements et qu'on exige qu'ils répondent aux mêmes normes de sécurité que le public et les expéditeurs exigent sur nos lignes de chemin de fer.

Je suis venu vous parler pour dissiper le mythe selon lequel les compagnies de chemins de fer secondaires ne sont pas aussi sûres que les transporteurs de catégorie 1. Je crois que nos concurrents ne font pas face aux mêmes restrictions que nous. Notre industrie est victime d'un parti pris. À titre de contribuable privé, je soupçonne que des deniers publics sont utilisés pour subventionner le transport routier aux dépens de notre industrie. Plus précisément, mes impôts ne sont pas utilisés pour améliorer la sécurité sur les routes autant qu'ils le sont dans le secteur ferroviaire, et c'est peut-être au détriment de ma famille et de mes amis.

Je crois vraiment que dans ce marché en constante évolution les secteurs du camionnage et du chemin de fer peuvent coexister et peuvent même fournir des services conjoints dans l'intérêt de l'industrie que nous servons. J'aimerais qu'on égalise les chances pour tous, en commençant par exiger la sécurité sur nos routes. J'ai hâte de voir le rapport final de votre comité et ses recommandations.

Monsieur le président, je tiens à réfuter un mémoire qu'on vous a présenté à Montréal le 18 février 1997. Je profite de l'occasion pour réagir au point no 40 figurant à la page 40 d'un mémoire que vous a présenté la Fraternité des ingénieurs de locomotives le 18 février 1997 à Montréal. Je veux rétablir les faits en ce qui concerne cet incident.

Aucune date n'y est mentionnée, mais je soupçonne que la fraternité y parle d'un déraillement survenu sur notre propriété de Goderich-Exeter le 24 février 1996. Je peux dire sans risque qu'il s'agit de ce déraillement, étant donné que la fraternité a déjà fait allusion à cet incident à quelques reprises ces derniers mois.

Je veux confirmer à votre comité aujourd'hui qu'il y a eu en effet un déraillement d'un train du GEXR le 24 février 1996 et qu'il n'a pas été signalé à un organisme de réglementation. Le 24 février 1996, une équipe de train du GEXR formait un train de 26 wagons sur trois voies de garage. Comme le train se déplaçait vers l'est à partir de la deuxième des trois voies à une vitesse de quatre à six milles à l'heure, l'employé au sol a vu le rail se briser au moment où des wagons chargés de sel passaient dessus. Lorsqu'on a inspecté le train après l'avoir arrêté, on a découvert que la roue arrière du bogie arrière du dix-neuvième wagon était tombée du côté sud de la voie et avait parcouru environ trois pieds sur les traverses de chemin de fer. On n'a découvert aucune autre marque indiquant qu'autre chose que cette roue était tombé de la voie.

On a détaché les 18 wagons précédant ce wagon déraillé. L'inspecteur de wagons agréé du GEXR, qui se trouvait être le mécanicien de locomotive qui débarquait, a effectué une inspection complète de ces 18 wagons et des deux locomotives. Les 13 wagons qui précédaient les wagons déraillés portaient des éraflures sur les roues. Ces éraflures peuvent être décrites comme de petites encoches sur les roues, dont aucune ne dépassait un huitième de pouce. Aucune n'était inhabituelle; elles étaient semblables à ce qui résulte de l'usure normale des roues. Afin d'assurer le déplacement du train en toute sécurité, on a inspecté complètement le train en entier pour voir s'il y avait des problèmes dans la suspension, le roulement, les cachets, les essieux, ou pour voir si des adaptateurs n'étaient pas bien assujettis, ou encore des chevilles de centrage des wagons déplacés. On n'a trouvé aucune anomalie dans l'un ou l'autre de ces dispositifs.

On a effectué une seconde inspection lorsqu'on a déplacé le train, pour s'assurer qu'il se déplaçait en toute sécurité. Après avoir terminé cette seconde inspection, on a ajouté un moniteur de queue derrière le dix-huitième wagon. On a effectué des essais standardisés des freins. On n'a remarqué aucune anomalie. Le train a parcouru alors 46 milles, jusqu'à Stratford, en Ontario. On n'a signalé rien qui sortait de l'ordinaire.

Le dix-neuvième wagon du train, dont une des roues avait déraillé, a été remis sur les rails, et on l'a envoyé subir une autre inspection. On a effectué une inspection des coussinets de roues du wagon en vertu du règlement 36 de l'AAR. On n'a découvert aucune anomalie et on a accroché le wagon au premier train envoyé au destinataire.

Ce déraillement n'a pas été signalé à un organisme de réglementation et n'a pas été signalé au Canadien National, qui est notre transporteur de liaison. L'American Association of Railways, dont RailTex est membre, comme la plupart des chemins de fer canadiens, y compris le Canadien National et le Canadien Pacifique, de même que la Loi ontarienne de 1995 sur les chemins de fer secondaires, n'exige pas qu'on signale des incidents de cette nature à cause de ce qui suit: le paragraphe 1 du règlement 36 du manuel de l'AAR décrit ce qui constitue un déraillement mineur ou majeur.

Un déraillement mineur est décrit comme étant [...] des bogies qui ont déraillé, qu'il s'agisse d'un wagon vide ou chargé, lorsque le déraillement se produit à une vitesse de moins de 10 milles à l'heure ou lorsqu'il n'y a pas eu de déplacement de plus de 200 pieds. Inspecter les roulements de la façon suivante:

Il s'agit en l'occurrence d'un wagon, le dix-neuvième wagon, et d'une roue. On a vérifié les dix points en question et on n'a remarqué aucune anomalie.

Le règlement 95 de l'AAR décrit ensuite les exigences imposées à un transporteur. Ce règlement s'applique à nous en tant que réseau acheminant. Le règlement 95, concernant les responsabilités du réseau acheminant ou du transporteur-livreur, se lit ainsi:

A. Le présent article s'applique seulement lorsque le transporteur-livreur est au courant de l'existence de dommages ou de pertes subis par un wagon ou des accessoires énumérés dans la liste, quelle que soit l'importance des dommages, à moins que ce ne soit défini dans le présent article, à cause d'un usage inapproprié comme il est décrit ci-après. Il faut réparer le wagon et le remettre en service, en fournissant au propriétaire une facture pour les réparations portant sur [...]

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons effectué des inspections en fonction de ces instructions. Nous n'avons pas prévenu le Canadien National, étant donné que nous n'y étions pas obligés et qu'il n'était pas nécessaire de les en informer. Nous avons effectué les inspections requises, et aucune réparation n'était nécessaire. Le Canadien National ne nous informe pas de tels incidents ou de telles inspections, et nous ne nous attendons donc pas à en être prévenus.

RailTex et le Canadien National ne mettent pas en service des wagons défectueux sur le plan de la sécurité. Nous ne voudrions pas compromettre toute notre entreprise en faisant parcourir à un wagon douteux 46 milles sur notre voie ferrée afin d'éviter une dépense mineure. Nos affaires dépendent uniquement de notre capacité de circuler sur nos propres voies. Il est inconcevable que nous risquions nos investissements et la sécurité de nos employés et du public pour le faire.

Nous n'avons pas averti la province de l'Ontario et son organisme de réglementation, ni le Groupe Surface de Transports Canada. Nous ne les avons pas prévenus au début, mais après que certaines choses se furent passées de juin 1996 à décembre Transports Canada a envoyé quelqu'un à la demande de la province de l'Ontario. Une inspection a été faite en décembre 1996.

Le président: C'était un certain temps après l'incident?

M. McCarron: C'était un certain temps après l'incident. Lorsque le déraillement est survenu, le 24 février 1996, nous n'avons averti personne. En décembre 1996, après l'échange de correspondance entre la fraternité et divers ministères, des fonctionnaires sont venus sur les lieux faire une inspection. Cette inspection a été faite conformément aux exigences de la Loi ontarienne de 1995 sur les chemins de fer secondaires, sous la rubrique Comptes rendus d'incidents, par voie électronique le plus tôt possible. Si l'on remarque l'un des critères énumérés ici, il faut le signaler.

Les critères sont les suivants: un aiguillage de voie principale non protégé se trouve dans une position anormale alors qu'il n'y a aucun autre équipement dans le voisinage immédiat; une personne a subi des blessures graves en embarquant ou en débarquant du matériel roulant; un employé subit des blessures graves parce qu'il est venu en contact avec un élément du matériel roulant ou son contenu; un risque de collision; le matériel déplacé dépasse les limites permises sans qu'il y ait d'autre équipement dans le voisinage; une collision non mortelle à un passage à niveau; le déversement de substances dangereuses d'un élément de matériel roulant qui a été stoppé rapidement; un camion de signalisation des chemins de fer donne une indication moins restrictive que celle qui est exigée pour le déplacement prévu du matériel roulant sans qu'il y ait d'autre équipement roulant dans le voisinage; un chevauchement non protégé des autorisations de circuler sans qu'il y ait d'autre équipement dans le voisinage; une incapacité physique des membres de l'équipe de train; un intrus subit des blessures graves après être venu en contact avec une partie quelconque du matériel roulant ou de son contenu.

Une autre liste d'exigences concernant les Comptes rendus d'incidents se lit ainsi: par téléphone le plus tôt possible: lorsqu'une personne est tuée après être montée à bord du matériel roulant ou en être débarquée; une personne est tuée parce qu'elle est entrée en contact avec une partie du matériel roulant; le matériel roulant qui transporte des voyageurs subit une collision ou un déraillement; du matériel roulant qui subit une collision ou un déraillement transporte des marchandises dangereuses ou on sait qu'il a transporté des marchandises dangereuses lors de son dernier voyage, alors qu'on n'en a pas nettoyé ou enlevé les résidus; plus d'un élément de matériel roulant non utilisé pour transporter des marchandises dangereuses subit des dommages sur d'autres voies que les voies de garage, ce qui peut les rendre moins sûrs; du matériel roulant cause un incendie ou une explosion ou en subit; du matériel roulant emballé; le déversement de marchandises dangereuses à bord d'un train de voyageurs; une collision mortelle à un passage à niveau; une collision presque mortelle à un passage à niveau avec un autobus ou un camion transportant des marchandises dangereuses; le déversement de marchandises dangereuses d'un matériel roulant qui n'a pas été stoppé rapidement.

Comme vous pouvez le voir d'après ces listes, le déraillement en question n'entrait pas dans une catégorie pour laquelle on doit fournir un compte rendu. De plus, des inspecteurs de Transports Canada sont allés sur la propriété de GEXR. Je parle ici de l'enquête effectuée en décembre. Cette enquête n'a révélé aucune autre information que celle dont je vous ai parlé ce matin. J'ai également communiqué avec le Bureau de la sécurité des transports pour obtenir une décision sur les circonstances de cet incident. On m'a dit qu'il s'agissait du déraillement d'un wagon et que nous avions respecté le règlement.

Je ne peux que conjecturer sur la raison pour laquelle les représentants de la fraternité vous ont parlé de ce déraillement. Je suppose que le syndicat essayait d'embarrasser notre entreprise à des fins qui n'ont rien à voir avec le mandat de votre comité. Leur déclaration selon laquelle GEXR se préoccupe plus de la réussite financière de la société que de la sécurité marque le plus grand mépris envers le professionnalisme de leurs membres, les employés de GEXR.

Je vous remercie de votre temps, et je serais heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Roberge: C'était un excellent mémoire. J'ai une question à poser au sujet de la réfutation que vous avez faite. Lorsque la roue s'est détachée et a éraflé les traverses de chemin de fer sur une distance de trois pieds, les traverses ont-elles été brisées?

M. McCarron: Non. Elles portaient seulement des marques sur le dessus. Il faisait environ moins 25 degrés Celsius, de sorte que le sol gelé et les traverses gelées ont facilité le passage de la roue.

En outre, les rails se sont brisés au moment où les wagons passaient dessus. Lorsque l'employé s'en est rendu compte, il a arrêté le train. Lorsque la dernière roue du dix-neuvième wagon s'est arrêtée là où le rail s'était brisé, la roue est simplement tombée.

Le sénateur Roberge: Comment a-t-il pu s'en rendre compte?

M. McCarron: Il se tenait près de la voie. Il a pu entendre ce qui se passait.

Le sénateur Roberge: Ne l'a-t-il pas vu?

M. McCarron: Il a entendu et vu ce qui se passait.

Le sénateur Roberge: Vous dites que vous avez investi 10 millions de dollars dans l'amélioration des immobilisations, en plus de répondre aux exigences de l'exploitation, et d'investir dans la formation et l'éducation. Quelle proportion de ces 10 millions de dollars est prévue pour la rénovation ou les améliorations apportées aux immobilisations? Y a-t-il par exemple un pourcentage annuel de vos revenus qui est versé dans un fonds destiné à l'amélioration des immobilisations?

M. McCarron: La réponse à votre première question, c'est: de 6 à 7 millions de dollars pour les trois chemins de fer. Pour ce qui est de la deuxième question, les dépenses en immobilisations se font à l'échelle de la société, de sorte que l'argent est versé dans un fonds au siège social situé aux États-Unis.

Le sénateur Roberge: La société prend un pourcentage des trois compagnies canadiennes?

M. McCarron: C'est exact. Je ne pourrais cependant pas vous dire exactement quel est ce pourcentage.

Le sénateur Roberge: Qui prépare les budgets au Canada?

M. McCarron: Ces budgets sont préparés au siège social au Texas.

Le sénateur Roberge: Vérifiez-vous vos besoins en matière d'amélioration des immobilisations?

M. McCarron: Oui.

Le sénateur Roberge: Vous leur dites que vous avez besoin de ceci ou de cela, et l'on crée un fonds qui permet de pourvoir aux besoins futurs?

M. McCarron: C'est exact. Nous effectuons une inspection annuelle. La voie ferrée est le principal élément qui fait l'objet de projets d'amélioration des immobilisations. Nous préparons chaque année un plan pour les cinq prochaines années. Il faut environ de 7 000 à 8 000 traverses par année pour maintenir un chemin de fer de 225 milles de longueur. En outre, il y a des traverses d'aiguillage, des pointes d'aiguille. Nous avons embauché un soudeur qui entretient les tronçons de voie de 39 pieds et de 79 pieds. Nous avons des tronçons de longs rails soudés, mais il s'agit seulement de tronçons de huit milles de long environ. Ils nécessitent beaucoup d'entretien.

Cependant, nous ne payons pas à même l'argent prévu pour les immobilisations des choses comme une voiture de contrôle...-- état géométrique de la voie, qui vient vérifier le ballast. Ce travail est fait par des sous-traitants, par l'entremise de Canac. De plus, nous utilisons deux fois par année une voiture de contrôle qui fait partir un courant électrique dans les rails pour détecter des défectuosités, des failles et d'autres problèmes. Cette dépense est payée à même les fonds d'exploitation.

Le sénateur Roberge: Êtes-vous propriétaires de vos locomotives?

M. McCarron: Elles appartiennent à une société. Nous les louons.

Le sénateur Roberge: Chez RailTex U.S.?

M. McCarron: C'est exact.

Le sénateur Roberge: Qu'en est-il des wagons?

M. McCarron: Les wagons appartiennent essentiellement aux divers transporteurs, dont le plus grand est évidemment le CN. Nous avons un parc supérieur à 400 wagons. Nous venons de conclure l'achat de 200 wagons-tombereaux chez Trenton Works Greenbriar pour que le CBNS utilise ce que nous pensions être Sydney Steel.

Le sénateur Roberge: J'apprends que vos travailleurs ne sont pas syndiqués?

M. McCarron: Des trois établissements dont je suis responsable, seul celui de Goderich, en Ontario, est syndiqué. Les deux autres ne le sont pas.

Le sénateur Roberge: Je suis sûr que vous avez des employés qui ont des responsabilités différentes, mais qui peuvent occuper un autre emploi. C'est normal dans bien des industries. Pouvez-vous nous en parler, ainsi que de la formation nécessaire?

M. McCarron: L'exemple que j'utilise souvent est celui d'un employé qui travaillait pour nous comme mécanicien de locomotive diesel. Nous l'avons embauché chez un chemin de fer de catégorie 1. Pendant qu'il travaillait chez nous, nous l'avons envoyé dans une école de formation pour qu'il devienne inspecteur de wagons autorisé. Cela comporte une formation en cours d'emploi, une série d'examens écrits, et cetera. Le candidat doit avoir un minimum de qualifications. Il l'avait.

Pendant son séjour chez nous, nous avons commencé à le former comme conducteur de locomotive de manoeuvre pour les trains de marchandises, ce qui signifie qu'il devait se qualifier d'après le règlement d'exploitation des chemins de fer canadiens et tout ce que cela comporte. En même temps, il devait suivre tous les règlements relatifs à la sécurité. Après une formation de 10 à 12 semaines, il a obtenu son permis de conducteur. Par la suite, nous l'avons formé comme mécanicien de locomotive. Il a passé six mois à apprendre comment conduire un train de marchandises dans une gare. Puis nous l'avons formé comme contrôleur du trafic ferroviaire. Il s'occupe de l'aiguillage de nos trains. En même temps, il est assez compétent en informatique, et il s'occupe donc du contrôle de nos wagons.

Le sénateur Roberge: Il sera bientôt président.

M. McCarron: En effet, s'il poursuit sur cette lancée. Lorsque nous embauchons des gens dans la rue, ou même si nous embauchons des gens ayant de l'expérience dans les chemins de fer, nous les destinons à une tâche précise. Cependant, s'ils ne sont pas capables de faire deux choses, nous cherchons quelqu'un d'autre. Nous recherchons des employés qui sont en mesure d'accomplir au moins deux tâches, par exemple un mécanicien de locomotive qui se forme pour devenir inspecteur de wagons, autorisé. Nous avons embauché deux personnes à des postes de conducteur, mais nous les avons formées par la suite pour qu'elles deviennent des mécaniciens de locomotive. Actuellement, elles travaillent à l'entretien et à la réparation des voies. Au total, nous avons 52 employés, et je pourrais affirmer sans risque de me tromper qu'au moins 41 d'entre eux sont polyvalents. Ils sont capables d'accomplir au moins deux tâches différentes.

Je parle du CBNS, que je connais le mieux. C'est la même chose en Ontario. Dans notre établissement de Goderich, même si les employés sont syndiqués ils ne sont pas attachés à des postes précis. Cette souplesse existe encore.

Le sénateur Roberge: Avez-vous négocié cette souplesse?

M. McCarron: Oui, sénateur.

Le sénateur Roberge: Y a-t-il une grande différence entre la loi ontarienne et la loi fédérale?

M. McCaron: Il n'y a pratiquement pas de différence.

Le sénateur Roberge: Qu'en est-il des États-Unis?

M. McCarron: Personnellement, je crois que les lois canadiennes sont plus strictes.

Le sénateur Bacon: Je vous renvoie à la page 9 de votre mémoire et à la déclaration de la Fraternité internationale des ingénieurs de locomotives, que nous avons entendue à Montréal.

Vous dites:

Notre personnel de supervision est envoyé dans des écoles spécialisées pour apprendre à faire face aux incidents relatifs au transport de marchandises dangereuses.

M. Houston, de la Fraternité des ingénieurs de locomotives, déclare:

Par conséquent, aujourd'hui, nous pourrions être un conducteur, demain un commis de triage et après-demain un mécanicien de locomotive, et le jour suivant un poseur de voies ferrées.

Tous les employés sont-ils formés pour les marchandises dangereuses? Le personnel de supervision est-il le seul à être formé à cet effet?

M. McCarron: En vertu des normes de qualité pour l'exploitation des sociétés (QSOC), il y a un délai minimal de trois ans pendant lequel on peut se passer d'étudier et de faire des examens dans ce domaine. À cet égard, il existe des documents sur la manutention des marchandises dangereuses. Chaque employé manipulant ces marchandises doit avoir une note de passage d'au moins 80 p. 100. Cela se fait tous les trois ans.

En même temps, chaque jour, chaque semaine et chaque mois, il y a toujours des améliorations. Tous les employés sont informés des changements et formés selon les nouvelles exigences de l'industrie.

Le sénateur Bacon: Voulez-vous dire que tous les employés sont pleinement informés et formés?

M. McCarron: Oui.

Le sénateur Bacon: Pas seulement les superviseurs?

M. McCarron: Ils sont formés jusqu'à un certain point. Si un incident survient lorsqu'ils sont dans le train, ce sont eux qui réagissent en premier. Il existe des règles et des procédures qu'ils doivent suivre le cas échéant.

Évidemment, étant donné qu'il n'y a pas de wagon de queue, ils sont tous situés à la tête du train. Ils ont toute la paperasserie. Ils sont tenus de connaître l'emplacement du train. En cas d'incident, ils vont en arrière pour faire une inspection, sachant que, 18 wagons plus loin, il y a un wagon de propane, de chlore, ou d'un produit semblable. S'ils soupçonnent l'existence d'un problème dans l'un de ces wagons, ils ont constamment des documents et des manuels pour s'informer, et ils ont appris à s'en servir pendant leur formation. Autrement dit, par exemple, dans le manuel de ressources, on trouve des énoncés semblables: «Je dois rester sous le vent, contre le vent, à 500 pieds...» et cetera.

Le sénateur Bacon: Ainsi, tout le monde sait quoi faire dans ces circonstances?

M. McCarron: Tout le monde est formé et dispose de documents supplémentaires pour s'informer.

Le sénateur Bacon: À l'instar d'autres témoins, vous avez parlé des collisions aux passages à niveau et des améliorations qui ont été apportées à la sécurité dans ces endroits. Cependant, il y a encore un certain nombre de collisions au Canada. Vous en avez fait état et vous avez enquêté là-dessus. Quel est le problème principal?

M. McCarron: Je ne vous donne que mon opinion. Nos trains roulent à 30 milles à l'heure. Ils ne s'arrêtent pas très vite. Nous installons des signaux d'avertissement préalable sur les routes pour annoncer les passages à niveau. Tous ces passages sont bien marqués. Selon l'intensité du trafic, certains comportent des feux et un avertisseur sonore; de même, compte tenu de la voie, certains ont des barrières. À mon avis, bon nombre d'incidents résultent de l'inattention des automobilistes. En arrivant au passage à niveau, ils ne font pas attention aux signaux d'avertissement.

De plus, très peu de municipalités ont des règlements interdisant aux trains de siffler et de sonner. Entre Truro et Sydney, nous avons 217 passages à niveau, et, croyez-moi, des citoyens nous ont appelés de tous ces endroits à un moment ou à un autre pour se plaindre du sifflement et de la sonnerie. Comment ces sons peuvent-ils échapper aux automobilistes? Nous ne le savons pas.

Le sénateur Bacon: Y a-t-il un programme pour les toxicomanes? Avez-vous un programme de prévention ou une politique de tolérance zéro?

M. McCarron: Tolérance zéro au travail?

Le sénateur Bacon: Oui.

M. McCarron: Oui, nous avons une telle politique. Cela est prévu par la règle G du REFC. En même temps, nous avons un programme d'aide aux employés. Notre société a un agent d'aide aux employés, qui fait habituellement partie de notre personnel. Cela fait partie de notre régime de soins de santé auquel les employés peuvent faire appel pour régler leurs problèmes de toxicomanie ou d'autres problèmes personnels.

Le sénateur Bacon: Que se passerait-il si l'on surprenait un employé en état d'ébriété au travail?

M. McCarron: Cette situation est visée par la règle G du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, qui prévoit un congédiement immédiat.

Le sénateur Bacon: S'agit-il du règlement de la société?

M. McCarron: C'est une norme de l'industrie, qui vaut autant pour le CN que pour le CP.

Le sénateur Bacon: Vous dites que votre société a un spécialiste chargé d'aider les employés ayant des problèmes?

M. McCarron: Oui. Nous nous sommes affiliés à des organisations compétentes qui peuvent fournir du counselling en ce qui concerne l'alcoolisme, la toxicomanie, la passion du jeu ou les problèmes personnels. Nous offrons cette possibilité à nos employés. Le conseiller est indépendant de la direction, ce qui assure une certaine confidentialité.

Le sénateur Bacon: Faites-vous des tests inopinés ou obligatoires?

M. McCarron: Non. Nous aimerions adopter une politique qui nous permettrait de le faire si nous avions des raisons de croire à l'incidence de la toxicomanie. Cela permettrait à tout le monde d'en avoir le coeur net.

Le sénateur Bacon: Seriez-vous prêts à aller aussi loin si cela devenait un problème?

M. McCarron: Oui, afin d'assurer la sécurité du public et des employés qui travaillent pour la société.

Le sénateur Roberge: En ce qui concerne le transport de marchandises dangereuses, seriez-vous disposés à instituer des tests obligatoires?

M. McCarron: Oui, si cela ajoutait un autre élément de sécurité à toute l'opération.

Le président: Au bas de la page 18 de votre mémoire, vous parlez du déraillement sur la ligne Goderich-Exeter. Vous dites:

J'ai également communiqué avec le Bureau de la sécurité des transports pour obtenir une décision sur les circonstances de cet incident. On m'a dit qu'il s'agissait du déraillement d'un wagon et que nous avions respecté le règlement.

S'agissait-il d'une communication verbale ou écrite?

M. McCarron: Il s'agissait d'une communication verbale avec un certain M. Kim Nellis, de Sarnia, en Ontario. Il est responsable des lignes de l'Est de l'Ontario.

Le président: Ne préféreriez-vous pas une communication écrite?

M. McCarron: Non, j'approuve tout à fait les mesures qui ont été prises le 24 février. Nous respectons très bien les exigences. Nous parlons du déraillement d'un wagon, c'est-à-dire d'une roue qui a parcouru trois pieds. C'est un peu comme si vous aviez une crevaison en circulant sur votre rue.

Le président: Il était question d'une communication verbale par opposition à une communication écrite. Toute personne qui se soucie de la diligence raisonnable pourrait dire: «Il l'a dit, mais comment le prouver?»

M. McCarron: Le fait que je n'ai pas obtenu de communication écrite n'accrédite pas le message que la fraternité essaye de véhiculer ici. L'incident s'est produit comme je l'ai décrit. Le déraillement d'une roue et d'un wagon transportant un produit non dangereux sur une voie de garage. Cela ne nécessite pas ce genre d'examen.

Le président: Il me semble étrange que vous n'ayez pas demandé de communication écrite. Toutefois, nous ne sommes pas ici pour examiner vos pratiques. Cette tâche incombe à un organisme de réglementation.

M. McCarron: J'essayais simplement de protéger mes arrières, au cas où vous poseriez cette question.

Le président: Je demanderai probablement à l'organisme compétent pourquoi il ne donne pas ce genre de réponse par écrit, ou au moins par télécopieur, afin que l'on ait une pièce au dossier. J'essaye de mettre fin à la controverse. Cependant, j'ai posé la question, et vous y avez bien répondu. J'accepte votre réponse, à moins que vous n'ayez quelque chose à ajouter.

M. McCarron: J'essaye de ne pas accroître la paperasserie.

Le président: C'est une bonne réponse. Voilà peut-être la raison. La surabondance de papier peut être parfois encombrante.

Le sénateur Adams: Un mécanicien de locomotive qui conduit un train et qui répare aussi les voies ferrées touche-t-il strictement un salaire et travaille-t-il à des heures régulières?

M. McCarron: La plupart de ces employés sont payés à l'heure. Dans chaque compagnie de RailTex du Canada, nous avons un groupe des opérations qui s'occupe des mouvements des trains de marchandises. Ils s'en tiennent essentiellement à un domaine de responsabilité. Nous avons une équipe qui répare les voies et qui ne fait que cela. Il y en a qui réparent les wagons et les locomotives. Ils ont une responsabilité de base. Nous n'affectons des mécaniciens de locomotive à la réparation des voies que de façon ponctuelle, au besoin.

Il s'agit de faire travailler les employés autant que possible au cours de l'année. S'il n'y a que six mois de travail pour un mécanicien de locomotive, nous pouvons peut-être l'affecter à l'entretien et à la réparation des voies en été. Je tiens à le préciser. Nos employés ne passent pas une journée à conduire les locomotives, le lendemain à remplacer des traverses et le jour suivant à réparer des wagons. C'est possible, mais cela ne fonctionne pas de cette manière.

Nos employés sont rémunérés à l'heure. En Nouvelle-Écosse, nous sommes régis par la Nova Scotia Labour Act. En Ontario, par l'Ontario Labour Act. Nous avons amélioré ces lois à deux ou trois reprises. La semaine de travail est passée de 48 heures à 44 heures; après 44 heures, on commence à compter les heures supplémentaires. Nous ne faisons pas travailler nos employés au-delà de 44 heures. La semaine moyenne est d'environ 40 heures, et la rémunération se calcule à l'heure. Si l'employé le moins payé était un technicien de locomotive diesel touchant 16 $ l'heure et s'il était qualifié comme mécanicien de locomotive, et si ce dernier poste était le mieux payé, à 19 $ l'heure, nous lui verserions 19 $, peu importe le travail qu'il faisait.

Le sénateur Adams: Dans un autre comité, nous avons appris qu'au CN il existe un règlement syndical selon lequel les conducteurs de locomotive ne peuvent travailler que huit heures par jour. Nous avons aussi appris qu'ils gagnent près de 80 000 $ par an. Pouvez-vous comparer leur situation à celle qui prévaut dans votre société?

M. McCarron: Dans le cas des mécaniciens de locomotive, nous essayons de les faire travailler entre 40 et 44 heures par semaine, et nous établissons les horaires en conséquence. Nous avons adopté les dispositions de la loi fédérale qui ont été adoptées après Hinton, et qui stipulent qu'on doit avoir tel nombre d'heures de repos après tel nombre d'heures de service. Nous les avons améliorées. Nos employés ne travaillent que 12 heures par jour. Si vous conduisez un train, nous vous faisons descendre et nous vous envoyons au lit avant l'expiration des 12 heures. Quoi qu'il en soit, nos employés ont au moins huit heures de repos entre les quarts de travail.

Les agents de réglementation de Transports Canada aiment beaucoup mieux nos règles que celles du gouvernement fédéral, qui sont assez rigides. Tous nos employés prennent huit heures de repos entre les quarts de travail. Ils ne travaillent pas plus de 12 heures par jour. Ils ont la possibilité de gagner plus d'argent. Je ne pense pas qu'un de nos employés gagne 80 000 $ par an sur une de nos lignes, mais nos mécaniciens n'en sont pas trop loin. Cependant, ils ne travaillent pas non plus pendant de si longues heures.

Le sénateur Adams: Les représentants du CN nous ont dit qu'il y avait beaucoup de problèmes découlant de la surchauffe des roulements sur les wagons. Tous les 25 milles ils ont des détecteurs de chaleur qui mesurent la surchauffe des roulements. Le CN a signé un contrat avec une société américaine parce qu'il n'a pas trouvé de société canadienne pour faire ce genre d'entretien. Ils nous ont dit aussi que certaines sociétés achètent des voies ferrées sans connaître le type d'acier qui a été utilisé pour les fabriquer. Êtes-vous au courant de tous ces problèmes?

M. McCarron: Oui. Cela fait partie du mythe qui circule en ce moment.

En Nouvelle-Écosse, nous acceptons les trains de Canadien National Truro. Nous faisons une inspection exhaustive et des échanges selon les besoins. Nous choisissons l'emplacement de nos détecteurs de boîtes chaudes en fonction de la population. Nous en avons quatre en Nouvelle-Écosse. Nous conservons et exploitons un atelier de réparation de wagons à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Nous avons trois inspecteurs de wagons autorisés qui sont tous des anciens de chemins de fer de la catégorie 1. Le plus jeune d'entre eux a 17 ans de service. Ils ont tous respecté les exigences et réussi aux examens appropriés pour inspecter et faire des réparations.

Si notre détecteur de boîtes chaudes décèle de la surchauffe et si nous pouvons amener le wagon à l'atelier de réparation, nous le faisons. Nous achetons nos roues chez les mêmes fournisseurs que le CN et le CP. Les wagons réparés sont vérifiés et garantis comme ceux du CN. Ils sont remis en service et confiés à des personnes qualifiées.

Le sénateur Adams: Indique-t-on sur vos bons de commande le type de roulement que vous devez installer?

M. McCarron: Cela fait partie des exigences lorsqu'on change un ensemble de roues. Nous allons voir les propriétaires du wagon pour leur dire: «Votre roue est tombée en panne, et nous l'avons remplacée. Cela nous a coûté 2 200 $. Veuillez nous rembourser.» Évidemment, ils ne nous remboursent pas sur la foi d'une conversation téléphonique, d'une fausse facture, ou de quelque chose de ce genre.

Nous sommes tous membres de l'AAR et nous devons respecter les normes minimales prévues dans les règlements de l'AAR, sinon nous nous exposons à des amendes considérables. C'est un exemple de l'autoréglementation de l'industrie.

Le sénateur Adams: Avez-vous des règlements relatifs à la charge utile des wagons plats et des wagons couverts? Quand j'ai posé cette question aux représentants du CN, il m'a semblé qu'ils ont eu un certain nombre d'accidents, qui étaient peut-être dus à la surcharge des wagons couverts ou des wagons plats.

M. McCarron: Il y a peu de surcharge. Je puis dire sans risque de me tromper que sur près de 26 000 wagons nous n'en avons eu que quatre qui étaient surchargés. Nous recevons un billet de pesée avant d'accepter des marchandises de la part de clients comme la Société de développement du Cap-Breton. Les wagons provenant de la correspondance à Truro sont toujours pesés. Chacun d'eux est marqué au pochoir, ce qui nous permet de connaître sa capacité limite. Ainsi, on peut comparer cette capacité au poids figurant sur le billet de pesée. Nous pouvons nous occuper des wagons surchargés, mais ils font l'objet de restrictions quant à leur manoeuvre et à leur vitesse. Cela ne crée pas de problèmes majeurs.

Le sénateur Adams: Les services de sécurité du CN rapportent les accidents qui surviennent sur les lignes de cette société. Ces rapports sont distribués aux bureaux de ministres, mais souvent il n'y a pas de suite. Les gens de Montréal nous ont dit qu'en cas d'accident, lorsqu'on rédige un rapport, il y a des employés qui ne savent pas ce qui s'est passé, surtout en ce qui concerne les marchandises dangereuses.

Vous avez un conseil d'administration, mais vous n'avez peut-être pas une commission de sécurité comme le CN. Cela vous inquiète-t-il?

M. McCarron: En cas d'accident, disons un déraillement avec des marchandises dangereuses, où va le rapport?

Le sénateur Adams: Au bureau du ministre; et celui-ci ne répond pratiquement jamais. C'est ce que nous avons entendu à Montréal.

M. McCarron: Je ne sais pas ce qui se passe par la suite. En Nouvelle-Écosse, un accident doit être suivi d'un appel téléphonique immédiat. Nous relevons de ce qu'on appelle maintenant -- je crois -- le ministère des Transports, des Approvisionnements et des Services. Nous appelons immédiatement l'un des conseillers politiques principaux de ce ministère, qui a demandé au groupe des services ferroviaires de Transports Canada à Moncton, au Nouveau-Brunswick, de réglementer nos activités. Peu importe l'incident, le Bureau de la sécurité des transports intervient. Ensuite, nous envoyons un rapport au siège social de notre société. Le rapport comporte quatre volets.

Le Bureau de la sécurité des transports décide s'il doit se rendre sur les lieux pour enquêter. Transports Canada aussi. Ils sont venus chez nous pour divers incidents. Le rapport final est envoyé à ces bureaux, et ils se fondent sur ce rapport pour faire des recommandations. Le bureau publie, tous les mois ou tous les trimestres, un dépliant sur les divers incidents, leurs causes, leurs conséquences et les mesures de prévention que l'on aurait dû prendre dans chaque cas.

Le sénateur Adams: Le CN a fermé un certain nombre de ses ateliers. Si un roulement se casse, on doit l'envoyer loin, à Winnipeg ou à Vancouver, pour le faire réparer. Procédez-vous différemment?

M. McCarron: Étant donné que le CN est notre principal fournisseur de wagons, nous n'intervenons pas dans le calendrier des réparations, ni dans le choix de l'endroit où se font ces réparations. Nous veillons simplement à ce que les wagons qu'elle nous fournit sont en bon état, et ils le sont. Nous les inspectons à la correspondance. Ensuite, quand ils arrivent chez nous, si nous constatons qu'ils ne répondent pas tout à fait à nos exigences, nous les réparons. Nous procédons de la même façon que le CN, le CP ou d'autres lignes américaines qui reçoivent nos wagons. À titre de comparaison, on n'achète pas une voiture afin de la ramener au garage chaque mois pour la faire réparer; on veut qu'elle roule pendant un ou deux ans.

Le meilleur exemple de ce phénomène réside dans la manière dont on achète les locomotives. Tout le monde veut une nouvelle locomotive brillante et étincelante de 6 000 chevaux. Cependant, étant donné qu'elle coûte 3 millions de dollars l'unité, on ne veut pas qu'elle se retrouve à l'atelier tous les mois, mais qu'elle roule pendant six ou huit mois sans problème. On en a pour son argent.

Le sénateur Adams: Nous voulons savoir pourquoi le CN a un problème d'accidents. Vous fonctionnez depuis 10 ans environ et vous n'avez eu qu'un accident.

M. McCarron: Non, nous en avons eu six à signaler. Nous avons eu notre lot de crevaisons. Il convient de dire que nos accidents susceptibles d'être signalés sont davantage causés -- peut-être à 90 p. 100 -- par des erreurs humaines que par des défauts techniques. Nous formons nos employés pour inspecter et détecter ce genre de choses. Nous achetons du matériel électronique, comme des détecteurs de coussinets échauffés et nous les entretenons constamment afin qu'ils puissent déceler des choses comme des coussinets de palier surchauffés, des roues fissurées, et cetera.

Le président: À la page 8 de votre mémoire, au troisième paragraphe, vous indiquez que les employés chargés de la réparation et de l'entretien sont formés et qualifiés pour respecter les normes minimales dans ces domaines. Se conforment-ils à votre propre manuel ou aux normes du Conseil de la sécurité des transports?

M. McCarron: Dans ce domaine, nous avons adopté les règlements fédéraux. Lors de la vente de la propriété, nous nous sommes engagés à les suivre parce que la Nouvelle-Écosse n'avait pas de loi sur les chemins de fer.

Le président: Vous avez laissé entendre que vous pourriez essayer de dépasser ces normes. Avez-vous réussi?

M. McCarron: Oui, monsieur le président.

Le président: En ce qui concerne la sécurité à long terme, et compte tenu de la nature du problème, vous avez pris en charge une plate-forme en assez bon état entre Truro et Sydney?

M. McCarron: Cela me fait penser à l'achat d'une maison usagée. Il y a beaucoup de papier peint à décoller, de peinture à refaire et de nouveaux tapis à installer. Ce n'était pas mal.

Le président: Mais l'on ne colle pas de papier peint sur des portiques et on ne les repeint pas. Combien y a-t-il de chevalets entre Truro et Sydney?

M. McCarron: Je ne saurais le dire.

Le président: Il y en a beaucoup?

M. McCarron: Oui. Nous avons embauché un bureau d'experts-conseils de Toronto. Nous avons établi un plan quinquennal pour la répartition de nos ponts. Chaque année, ils inspectent tous nos ponts et élaborent un plan de travail comportant des activités à réaliser immédiatement et dans deux ans, trois ans et cinq ans. Chaque année, nous le révisons.

Le président: Vos recettes sont-elles assez bonnes pour que vous puissiez disposer des fonds nécessaires pour financer ce genre d'initiatives?

M. McCarron: Dans le cadre de notre programme d'immobilisations, nous désignons un ou deux ponts, selon le cas, et nous y consacrons nos efforts pendant les années suivantes. Cette année, nous travaillerons sur deux ponts en Nouvelle-Écosse.

Le président: Deux ponts?

M. McCarron: Deux.

Le président: Cela représente beaucoup de travail?

M. McCarron: Pour l'un d'eux, celui d'Ottawa Brook, il y aura beaucoup de travail.

Le président: Êtes-vous obligés de fermer pendant quelque temps la ligne?

M. McCarron: Nous arriverons à l'éviter, en travaillant par exemple certaines fins de semaine, quand on arrivera aux plus gros travaux, mais non de façon générale, nous n'arrêtons pas la circulation des trains. Nous n'aurons que deux trains par jour, la voie est donc libre pour le reste de la journée.

Le président: J'aimerais poser une autre question concernant le transport des voyageurs, et l'avenir tel que vous le voyez.

M. McCarron: Nous ne sommes pas une entreprise de transport de voyageurs.

Le président: Je sais.

M. McCarron: Mais nous sommes maintenant en négociations avec deux entreprises différentes qui assureront ce genre de service sur nos voies entre Sydney et Truro.

Le président: Parlez-nous alors, rapidement, de ce que ce transport de voyageurs exigera en plus de vous, sur le plan de la sécurité?

M. McCarron: Le transport de voyageurs relève d'une réglementation tout à fait différente. Les inspections sont plus fréquentes, la dénivellation dans les virages est moindre, la plate-forme doit être plus solide, les traverses qui pourraient rester telles quelles une année de plus pour les marchandises devront alors être remplacées si l'on a des voyageurs, et cetera. Cela veut donc dire des frais supplémentaires, plus d'inspections, et notamment d'inspections des voies.

Le président: Vous allez donc vous pencher là-dessus?

M. McCarron: Oui.

Le président: Vous n'avez encore rien fait?

M. McCarron: Non, puisque jusqu'ici nous ne faisions que le transport des marchandises.

Le sénateur Roberge: Nous avons maintenant des années d'expérience dans le domaine ferroviaire, je ne parle pas seulement de votre cas mais de façon générale en Amérique du Nord et en Europe, et cetera., y a-t-il une façon de mesurer la fatigue du métal? Quelle est la durée de vie, par exemple, d'une roue ou d'un rail?

M. McCarron: Je ne suis pas en mesure de répondre de façon précise à cette question, mais il est clair que si vous faites passer 130 trains de marchandises par jour sur la ligne Toronto-Montréal, la fatigue de la voie sera infiniment plus importante que pour un ou deux trains.

Le sénateur Roberge: Certainement, mais on peut aussi le calculer.

M. McCarron: Oui, il doit y avoir une méthode de calcul.

Le sénateur Roberge: Je voulais poser la question, parce que je n'ai pas pu entendre ce que le CN avait à nous dire là-dessus.

M. McCarron: Je suis sûr qu'il y a une méthode de calcul, et des compagnies telles que le CN et le CP incluent ça dans leur planification à long terme.

Le sénateur Bacon: Vous pourriez peut-être vous renseigner et ensuite faire parvenir cette information au comité.

M. McCarron: Sur la fatigue du métal?

Le sénateur Bacon: Oui. Ça pourrait être intéressant.

M. Bruce Carson, conseiller principal du comité: Nous avons entendu de nombreux intervenants du secteur ferroviaire. La seule compagnie qui n'a pas encore comparu, c'est VIA Rail, qui doit d'ailleurs comparaître à Ottawa. Nous avons aussi entendu les syndicats, nous vous avons invités ainsi que le CN et le CP, et nous entendons toujours des témoignages contradictoires lorsque nous abordons la question de la sécurité. Je vais vous en donner un exemple, un parmi d'autres.

Lorsque les représentants du CN ont comparu à Montréal, ils ont passé beaucoup de temps à nous expliquer à quel point la commande portative qui peut être utilisée par des gens qui sont sur la voie, dans les gares de triage, était une innovation remarquable, très utile sur le plan de la sécurité. Les syndicats sont venus nous dire exactement le contraire, et selon eux il est dangereux de faire circuler des trains dans les gares de triage sans ingénieur à bord. Voilà exactement le genre de situation dans laquelle nous nous trouvons en permanence, avec l'exemple, bien sûr, de l'accident de la ligne Goderich-Exeter dont vous avez parlé ce matin.

Comme vous avez été très franc avec nous, j'aurais deux questions à vous adresser: d'abord, et à votre avis, pourquoi avons-nous toujours des témoignages contradictoires de ce type? Deuxièmement, avez-vous déjà discuté avec les syndicats qui sont concernés par l'accident de la ligne Goderich-Exeter, depuis que ceux-ci sont venus nous parler à Montréal, et avez-vous résolu ce genre d'écart qui persiste entre les points de vue, à propos d'une même question?

M. McCarron: Excusez-moi, voudriez-vous bien répéter votre première question?

M. Carson: Je voulais savoir comment vous expliquez ces témoignages contradictoires à propos des mêmes questions, témoignages qui varient en fonction des points de vue. Deuxièmement, avez-vous essayé de tirer au clair ce témoignage des syndicats que nous avons entendu à Montréal?

M. McCarron: La réponse à votre première question qui concerne la sécurité au travail est simple et claire, à savoir que 50 p. 100 des effectifs de cette fonction sont supprimés. Soyons réalistes: lorsque quelqu'un est au bord de la voie, il donne des indications de direction au mécanicien de la locomotive; il voit pour lui, il entend pour lui, et cetera. S'il a, ou si elle a, une commande portative, il, ou elle, fait tout le travail à partir de là. Il y a donc une question de sécurité du travail qui entre en jeu, et ensuite du nombre de postes qui vont être supprimés avec l'utilisation de ces commandes portatives.

La réponse à votre deuxième question est non, je n'ai pas parlé au syndicat représentant le Goderich-Exeter Railway depuis son témoignage. J'ai la ferme intention de le faire la prochaine fois que je serai à Goderich. Le Goderich-Exeter Railway a maintenant son propre président-directeur général. Il n'est donc plus sous la responsabilité de Nova Scotia. La prochaine fois que je serai à Goderich, nous aurons tous les deux une explication en tête-à-tête.

Le président: Nous sommes heureux de recevoir maintenant Irving Transportation Group, représenté par M. Jack Walker, de Sunbury Transport Limited, et de M. Scott Smith de J.D. Irving, Limited. Nous allons donc parler de transport de surface avec eux, et de ce que le groupe Irving a réussi là où même les anges n'osent pas s'aventurer. Lorsque vous aurez terminé votre exposé, nous connaîtrons certainement mieux les difficultés que connaissent les transports routiers de l'ère moderne.

Ce qui nous intéresse bien sûr c'est la situation telle qu'elle est aujourd'hui, mais surtout, ce à quoi nous pouvons nous attendre dans votre secteur d'ici l'an 2010, qu'il s'agisse d'autoroutes et des méthodes permettant d'assurer la sécurité et le contrôle des opérations. C'est-à-dire, que devons-nous faire pour assurer cette transition, et cela dans de bonnes conditions de sécurité, et que prévoyez-vous d'ici là?

Ce sous-comité sénatorial itinérant cherche à faire une liste des questions intéressant la sécurité des transports. Dans un deuxième temps, notre travail consistera à proposer des solutions aux problèmes qui se posent. Nous sommes certains, messieurs, que vous serez en mesure de nous aider.

M. Scott Smith, J.D. Irving Limited, Irving Transportation Group: Nous représentons aujourd'hui la division des transports routiers de Irving Transportation Group, lequel est composé de Midland Transportation Group, RST Industries, et Sunbury Transport Limited. Toutes ces compagnies sont installées dans les Maritimes, mais exercent leurs activités dans l'ensemble du Canada et des États-Unis. À nous tous nous représentons environ 3 500 camions et remorques, soit 1 050 blocs moteurs, et employons 1 800 employés sur la route, dans les terminaux et dans nos bureaux.

Nous sommes heureux de pouvoir témoigner devant le sous-comité. Nous avons à dessein limité notre exposé à un certain nombre de questions clés, mais nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question du comité.

Tout d'abord, permettez-moi de dire tout de suite que pour nous la sécurité va dans le sens d'une bonne gestion de nos affaires. C'est une priorité dans tout ce que nous faisons, et le bilan de notre activité l'atteste. Notre principe est celui de l'amélioration continuelle, et notre conception de la sécurité en témoigne. Demain, nous serons encore meilleurs qu'aujourd'hui. Et ceux qui ne partagent pas ce point de vue sont notre principal sujet d'inquiétude.

Je vais aborder en premier la question des horaires de travail. La fatigue du routier fait l'objet de beaucoup de débats. Pourtant, l'importance de ce facteur fatigue, lorsqu'on analyse les statistiques portant sur les accidents, ne peut être évaluée de façon juste que dans les cas et les circonstances les plus extrêmes. Il se pourrait donc fort bien que la réglementation de ces horaires de travail soit dépassée et peu efficace. Au Canada et aux États-Unis on continue à faire des études approfondies sur la question, selon lesquelles il serait peut-être nécessaire d'aborder ce sujet sous un angle différent.

Parlons de la responsabilité du transporteur. Le transporteur, qui emploie des chauffeurs et des services d'intermédiaires, pour le transport des marchandises, prend des risques énormes. On suppose en effet qu'un chauffeur qui a son permis est immédiatement capable de bien faire le travail. Nous sommes d'un avis différent, et pensons que les transporteurs devraient être tenus de donner une bonne formation aux chauffeurs fraîchement embauchés, pour qu'ils puissent effectivement faire le travail de façon efficace et conformément aux normes de sécurité.

Dans tout système, et il s'agit ici des transports, chaque partie a certaines responsabilités et certaines obligations. Lorsque l'expéditeur s'occupe du chargement, il doit veiller à ce que la réglementation concernant le poids, l'arrimage et les dimensions de la cargaison soit respectée. Les expéditeurs devraient être tenus de respecter les normes de sécurité et d'arrimage. Lorsque la cargaison est particulièrement lourde, l'expéditeur devrait avoir les moyens de veiller à ce que la charge par essieu et la charge globale sont réglementaires, et cela avant le départ du camion.

De façon générale, nous estimons suffisante la législation actuelle. Mais le problème le plus grave, et pour nous la question la plus critique, est celui de l'uniformité de son application. Il y a deux aspects à cette question: d'abord, il n'y a pas uniformité de province à province, ou d'État à État. Les transporteurs qui travaillent sur tout le continent nord-américain, ont la tâche difficile de devoir s'adapter à des normes qui varient d'une province ou d'un État à l'autre. Comme de toutes façons les lois sont différentes, on ne peut pas non plus s'attendre à ce que l'application des normes de sécurité routière se fasse uniformément. Il est difficile de parvenir à cette uniformité, pourtant certains organismes tels que la Commercial Vehicle Safety Alliance cherche à progresser dans ce domaine, aussi bien au niveau de la loi que des mesures d'application. Les instances réglementaires des différents États devraient collaborer pour améliorer cette uniformité.

Deuxièmement, l'on constate, à l'intérieur de chaque juridiction, un manque d'uniformité dans l'application de la réglementation. L'industrie des transports routiers est un secteur compétitif. La déréglementation a eu pour effet de maintenir -- et dans certains cas de réduire -- le coût des services de transport. Les camionneurs se disputent les mêmes contrats, et les marges sont maigres. Pour les compagnies qui font un effort réel pour respecter la réglementation et améliorer leurs normes de sécurité, les coûts sont importants.

La sécurité est un effort collectif, où plusieurs partenaires ont un rôle à jouer. Ainsi, les services ministériels chargés de la sécurité sont là pour guider et orienter les compagnies qui cherchent à s'améliorer, tout en s'assurant que la réglementation est observée. De plus, ils ont la responsabilité des programmes de formation des chauffeurs et voituriers-remorqueurs. Certains de ces services sont chargés de la vérification, sur la route, du respect du règlement. Dans les entreprises, les services de planification vérifient que le chargement correspond à la force du bloc moteur, mais uniquement après avoir pris en considération les questions d'heures de conduite, de délais de livraison, et cetera. Les responsables de la flotte ont un certain nombre de chauffeurs et voituriers-remorqueurs sous leur responsabilité. Ils s'occupent donc des différents aspects de la sécurité, tels que la vitesse du camion, les heures de service du chauffeur, et le suivi en cas d'accident, pour ne citer que quelques exemples.

Lorsque les normes de sécurité ne sont pas respectées de façon uniforme, le transporteur le plus scrupuleux est désavantagé par rapport à ceux qui le sont moins. Cela crée une situation où le chauffeur prudent, qui respecte les exigences du carnet de bord, franchira des distances plus courtes, et gagnera moins d'argent que le chauffeur qui se moque des consignes. La même situation se reproduit pour leurs compagnies, à propos de la déclaration de cargaison. La compagnie qui assume les coûts supplémentaires nécessaires au transport sécuritaire se retrouve en difficulté par rapport à ses concurrents qui n'y attachent pas la même importance. Le manque d'uniformité dans l'application de la réglementation est un dissuasif au respect des normes de sécurité. Nous devons donc trouver des méthodes qui encouragent un transport sécuritaire.

La surveillance en matière de sécurité se fait d'abord par les contrôles sur la route, et par les vérifications de l'entreprise de transport. Étant donné le nombre d'inspecteurs disponibles sur le terrain, il est en fait difficile de surveiller de façon efficace tous les transporteurs. Le programme d'austérité du gouvernement empêche que l'on nomme de nouveaux inspecteurs, il faut donc trouver de nouvelles façons de faire plus avec moins.

Nous sommes à une époque où le non-respect de la réglementation devrait être sanctionné, et son respect récompensé et reconnu. Comme je l'ai déjà dit, le fait que le non-respect ne soit pas sanctionné pénalise les transporteurs qui respectent la loi. Nous pensons qu'il faut cependant axer notre action sur les transporteurs qui respectent la réglementation. Nous estimons que ces transporteurs devraient donc être reconnus, et récompensés. Cela peut se faire en laissant passer plus rapidement les transporteurs qui ont de façon régulière été bien notés aux inspections et vérifications. Cela permettrait ensuite aux inspecteurs de se concentrer sur les transporteurs dont les inspections n'ont pas toujours été aussi satisfaisantes. On pourrait peut-être aussi, pour les transporteurs dont les services d'inspection sont le plus satisfaisant, réduire certaines charges administratives et paperasseries. Quel que soit le mode d'action choisi, il faut absolument encourager le bon transporteur à continuer dans la même voie et même améliorer ses normes de sécurité.

Irving Transportation a un programme relatif à la consommation de drogues et d'alcool. Une description rapide de ce programme permettra de concrétiser certains des arguments que nous avons avancés au début de notre exposé.

Tout d'abord, ce programme montre à quel point nous sommes en permanence soucieux de nous améliorer en matière de sécurité. Nous avons dépensé 300 000 $ pour l'élaboration et la mise en place des programmes, et dépenserons ensuite 200 000 $ par an pour les vérifications et les analyses nécessaires. Nous avons complètement remis à jour notre programme d'aide aux employés. Nous mettons l'accent sur la prévention, le traitement et la réadaptation, estimant que la prévention est la meilleure des démarches. Bien que ce soit la bonne politique, là encore il y a un coût estimé à l'heure actuelle à au moins 200 000 $ par an.

Mais là encore, pour les drogues et l'alcool, la question de l'uniformité, comme nous en avons déjà parlé, se pose; uniformité d'une juridiction à l'autre. Une de nos préoccupations essentielles tient au fait que la réglementation du ministère des Transports américain concernant les prélèvements et analyses imposés aux chauffeurs de véhicules n'a pas été adoptée au Canada. De ce fait, les compagnies canadiennes de transport routier qui imposent ce genre de vérification aux chauffeurs, font l'objet de contestations en vertu de la Charte des droits de la personne, et doivent répondre à des griefs. Certaines de ces analyses, notamment les tests faits au hasard, seront probablement déclarés illégaux au Canada. Or c'est précisément la méthode qui est exigée par la réglementation du ministère américain des Transports. Si ces tests faits au hasard -- ou même tout autre test du ministère américain -- sont déclarés illégaux au Canada, les entreprises canadiennes de camionnage pourraient fort bien ne plus pouvoir travailler aux États-Unis. Les conséquences, pour l'ensemble du secteur routier canadien, seraient catastrophiques. Nous pensons que Transports Canada doit proposer une législation sur ces tests, anti-alcool et anti-drogues, comparable à la législation américaine. À notre avis, nos partenaires de l'industrie du camionnage seraient favorables à ce genre de décision, si nous en croyons les résultats de l'enquête faite par l'une de nos compagnies et selon laquelle la réponse était à 95 p. 100 positive.

Cet exemple montre les effets possibles de cette absence d'uniformité dans la réglementation, et ce que cela coûte aux compagnies qui veulent améliorer leurs normes de sécurité. Ces coûts ne sont que la partie visible de l'iceberg, par rapport à l'ensemble du coût de la sécurité dans les entreprises qui cherchent absolument à s'améliorer. Il serait important que ces coûts supplémentaires ne finissent pas par défavoriser les entreprises en question, du fait d'une application incohérente de la réglementation.

En conclusion, Irving Transportation Group s'est engagé à améliorer de façon continuelle ses normes de sécurité. Et nos actes sont en accord avec nos propos. La sécurité routière doit effectivement continuer à s'améliorer, dans l'ensemble de ce secteur. Les lois et la réglementation actuelles pourraient être modifiées, en fonction des dernières données et informations, qu'il s'agisse du livret de bord du chauffeur ou des tests antialcool ou antidrogue, mais de façon générale la réglementation en place est suffisante. Ce qui manque, à notre avis, c'est une application uniforme de sanctions en cas de non-respect, ainsi qu'un dispositif qui permettrait de récompenser le travail bien fait. Voilà la pierre angulaire de tout programme couronné de succès.

M. Jack Walker, directeur général, Sunbury Transport Limited, Irving Transportation Group: J'appuie tout ce qui est dans notre mémoire, et cette question des tests me tient particulièrement à coeur. Nous avons commencé chez nous un programme de prélèvements et analyses avant recrutement en 1991. Nous nous sommes adressés aux chauffeurs qui conduisaient pour nous à l'époque en leur demandant ce qu'ils en pensaient. Comme notre mémoire l'indique, 95 p. 100 d'entre eux ont répondu qu'ils voulaient savoir avec qui ils travaillaient, qui était au volant et dans quelles conditions. À mon avis les routiers sont des gens très fiers, ils veulent faire du bon travail, mais ils veulent aussi que les autres fassent du bon travail.

Le sénateur Bacon: Je dois dire que c'est également une question qui me tient à coeur. Où que nous soyons, je pose des questions là-dessus, et je dois vous féliciter pour ce que vous avez fait, et il est heureux que les employés soient également en accord avec vous là-dessus.

M. Walker: Ce que nous faisons chez nous, c'est que cinq cadres supérieurs interrogent chaque chauffeur auquel nous donnons du travail, qu'il s'agisse d'un chauffeur ou d'un voiturier-remorqueur. En ce qui me concerne, je pose la question: «Que pensez-vous de ce programme de tests antidrogue?», et je n'ai jamais vu personne s'y opposer.

Le sénateur Bacon: C'est digne d'éloges car c'est la première fois que nous entendons cela. En général je pose moi-même la question, sauf ce matin, et jusqu'ici on hésitait à nous répondre. Un représentant de RailTex a répondu à nos questions là-dessus, mais en général on ne nous répond pas. Je vous félicite du programme que vous avez donc d'ores et déjà mis en place dans votre entreprise.

M. Smith: En général la réaction est celle-ci: «Nous n'avons rien à cacher, allez-y.»

Le sénateur Bacon: C'est ce que nous pensions.

M. Smith: Chez nous tout le monde est sensible à la question de la sécurité -- moi-même, Jack, tout le monde -- nous sommes tous partie prenante à ce programme. Ça ne concerne pas seulement tel groupe ou tel groupe.

M. Walker: Qu'il s'agisse des mécaniciens de notre atelier, des chauffeurs, et bien sûr des cadres supérieurs, tout le monde est partie prenante à la défense de la sécurité.

Le sénateur Bacon: Aux États-Unis on interdit de conduire plus de dix heures par jour, alors qu'au Canada la limite est fixée à 13 heures. Est-ce qu'à votre avis cette différence représente un danger pour les routiers canadiens, et est-ce qu'une uniformisation du nombre d'heures au volant au Canada entraînerait des difficultés pour le secteur des transports?

M. Walker: Je pense qu'il y a une certaine confusion à propos de ces 10 heures par opposition à 13 heures; et ça oblige les chauffeurs qui passent la frontière à quelques acrobaties. C'est là que la question de la sécurité se pose. Ce n'est pas tant de savoir si le chauffeur conduit 13 heures ou 10 heures. Si le transporteur ne lui demande pas de dépasser la limite, que ce soit 10 ou 13 heures, le chauffeur, au fond de lui-même n'a pas envie de prendre ce genre de risque. Il veut pouvoir se reposer, et il veut respecter la réglementation. À mon avis c'est à cause de la frontière qu'ils essaient de tourner le règlement, dans le sens nord-sud ou sud-nord.

Le sénateur Bacon: C'est là que vous voyez le problème?

M. Walker: C'est ce que j'en pense.

M. Smith: On fait des études, et de plus en plus d'études sur la fatigue, qu'il s'agisse du domaine ferroviaire ou routier et nous recueillons une information qui probablement nous manquait auparavant. Cette information doit être analysée en fonction des règlements sur le nombre d'heures de travail. Parler de 10 ou de 13 heures, n'est peut-être pas la solution; c'est ce qui se passe avant et après ces heures de travail ou même pendant ces heures de travail qui compte. D'après certaines statistiques les heures à risque sont les petites heures du matin. Toute cette information doit donc être utilisée lorsque l'on reverra la réglementation des heures de service. Dire qu'un chauffeur ne peut conduire que huit heures, et de telle à telle heure finit par le condamner à passer 16 heures dans une cabine de six pieds sur six, où il finit par devenir fou. L'autre solution pour lui c'est de s'arrêter dans un hôtel, ce dont il n'a pas les moyens.

La réglementation doit permettre de créer des conditions de travail telles que les routiers n'aient pas le sentiment qu'ils sont finalement contraints de falsifier le carnet de route; s'ils se sentent en forme, ils doivent pouvoir conduire et en décider. Ce n'est pas à moi de vous dire comment y parvenir. Mais dire que vous pouvez conduire 10 ou 13 heures, mais que subitement à la quatorzième heure ce n'est plus possible, ça n'a pas de sens. Dans certains cas, même une heure serait déjà trop.

Bien sûr j'aimerais pouvoir vous dire comment il faut présenter cette réglementation. Tout ce que je sais c'est qu'une règle absolument rigide ne résoudra pas le problème; il y a par exemple la règle qui force les chauffeurs qui ont fait leur maximum d'heures à prendre trois jours de repos. Un tel chauffeur qui se trouverait à 1 000 milles de chez lui, et qui est obligé d'attendre trois jours avant de rentrer, se retrouve dans une situation absurde. Ledit chauffeur sera sans doute plus fatigué après trois jours passés dans un stationnement, que s'il n'avait eu que 24 heures de repos obligatoire pour pouvoir ensuite rentrer à la maison, avec effectivement l'obligation de rentrer. Ce que je dis c'est que nous devons faire preuve d'imagination lorsqu'on rédige ces règlements.

Le sénateur Bacon: Quel genre de recommandation proposeriez-vous au comité?

M. Smith: Je n'ai pas de réponse à cela. Je ne sais pas non plus si M. Walker peut répondre. À mon avis, les études et recherches doivent être examinées, et à partir de cela on peut faire des recommandations. Je ne suis pas un spécialiste de ce domaine, je ne peux pas vous répondre.

Le sénateur Roberge: A-t-on fini toutes les études, ou y a-t-il encore des analyses à faire avant qu'on puisse parvenir à un consensus?

M. Walker: L'Association canadienne du camionnage y travaille. Elle s'est rendue en Australie, où l'on semble travailler de façon complètement différente; on réglemente même les heures de sommeil, apparemment. Je ne sais pas comment on parviendra à un consensus, mais en se servant de ce qu'on connaît déjà, et en associant à la discussion des routiers chevronnés, on parviendra à un consensus acceptable pour tout le marché nord-américain, et les choses seront certainement différentes de ce qu'elles sont maintenant. Je pense que les routiers peuvent s'autodiscipliner, et décider s'ils sont fatigués ou non, et inscrire cela comme ils le font déjà maintenant. En ce moment, si vous prenez n'importe lequel des carnets de route, vous verrez des inscriptions que vous aurez peine à croire.

À mon avis, la bonne solution, c'est celle qui convient au chauffeur qui se retrouve derrière son volant, à 1 000 milles de chez lui, et qui doit attendre deux ou trois jours avant de pouvoir reprendre le volant. Je pense qu'ils sont tout à fait rétablis en 24 heures. Nous sommes tous conducteurs de voiture, et il nous est arrivé de conduire 15 heures d'affilée. Vous savez très bien à ce moment-là que vous avez besoin de sommeil. Mais huit ou 10 heures plus tard, vous êtes prêts à prendre le volant.

Dans certains cas le chauffeur conduit 70 heures pendant huit jours. Je ne sais pas si c'est la majorité, certains d'entre eux prennent un jour, rattrapent un jour, mais ils n'arrivent pas à avoir suffisamment d'heures libres pour rentrer chez eux. Pour eux c'est très important, et je peux vous dire que ça le devient un peu plus chaque jour, pour tous ces chauffeurs différents qui conduisent ces camions. Je peux vous dire que ce sont des gens très responsables.

Le président: Qu'est-ce qui présente le plus de difficulté pour vos chauffeurs? Est-ce de rapporter des tomates du Mexique, ou d'aller livrer des arbres de Noël à Boston? Du point de vue du carnet de route est-ce que ce sont les longs trajets, ou au contraire les petites courses Halifax-Ottawa, ou Halifax-Montréal, qui font problème?

M. Walker: Il est plus facile de faire son total d'heures sur un long trajet, et c'est ce que vous voulez faire, parce que vous n'avez pas à vous arrêter pour le chargement et le déchargement, ni à remplir beaucoup de formulaires. Vous faites vérifier le véhicule, vous prenez vos heures de repos, et vous reprenez la route. Le problème se pose lorsqu'il y a des arrêts fréquents pour charger et décharger, et le chauffeur n'a pas son total d'heures. Dans les grandes villes il y a aussi les encombrements, New York est un bon exemple. Quelquefois il faut trois à quatre heures pour simplement sortir de la ville, la distance parcourue est minime, et comme la plupart du temps on est payé au kilométrage on ne fait pas beaucoup d'argent.

Le sénateur Bacon: Vous avez mentionné le carnet de route; s'agit-il d'une boîte noire, comme sur les avions, ou bien le camionneur doit-il remplir son propre carnet?

M. Walker: Le conducteur a un livre de bord qu'il doit remplir à la bonne ligne. Je cite de mémoire, parce que je n'en ai jamais rempli mais il y a les lignes en service et hors service, selon qu'il est au volant ou non. Le camionneur doit indiquer le nombre d'heures, préciser où il se trouve, le kilométrage du camion, chaque fois qu'il amorce un nouveau quart de travail. Je vous le dis bien franchement, nous consacrons une demi-journée à la formation relative au carnet de route; même des gens qui ont 20 ans d'expérience, parce qu'ils ne connaissent pas le règlement. Jusqu'à maintenant, ils ont toujours appris le métier eux-mêmes, et c'est donc un gros problème.

Les jeunes qui sortent des écoles ne connaissent pas le carnet de route. Jusqu'à ce qu'ils aient l'occasion de le remplir eux-mêmes et d'obtenir l'aide et les conseils des leurs collègues pour comprendre comment ça marche, ils ne savent pas comment trouver 15 minutes ou une demi-heure pour remplir ce carnet de route sans prétendre avoir été au volant. C'est alors qu'ils rencontrent un inspecteur du MOT qui leur donne une contravention et le camionneur se voit enlever une heure et ça devient un véritable problème parce qu'aux yeux de l'inspecteur, il a falsifié le carnet. Parfois, c'était des heures de conduite légitimes.

Le président: J'ai entendu raconter -- je n'arrive plus à me rappeler où -- l'histoire très intéressante d'une grande compagnie qui a convoqué tous ses camionneurs et le gestionnaire lui-même s'est mis en frais d'expliquer comment remplir un carnet de route, pour se rendre compte que lui-même n'en savait rien. Il y a tellement de façons d'interpréter les règles, en faisant preuve d'imagination. Je vois un autre témoin derrière nous qui hoche la tête en signe d'assentiment, parce que cela arrive aussi dans d'autres modes de transport et c'est très grave. Comment organiser le camionnage bilatéral États-Unis-Mexique ou Mexique-Canada, si nous ne réussissons toujours pas à organiser un voyage de Halifax à Montréal?

M. Walker: C'est une question d'éducation. Le camionneur doit vérifier son véhicule et savoir comment le système fonctionne, sur le plan de la mécanique et de la documentation, mais en plus, il doit maintenant apprendre la procédure dans le cas des marchandises dangereuses, tous les codes et la procédure à suivre. Par-dessus tout cela, il doit savoir comment remplir le carnet de route et connaître les règles relatives à la conduite et il doit aussi avoir une bonne connaissance des caractéristiques techniques de son véhicule, afin de passer sans encombres d'un territoire à l'autre.

Le président: Au sujet de ces camions remorques articulés et très longs qu'on voit de plus en plus sur nos routes... il me semble d'ailleurs qu'ils deviennent de plus en plus longs; on voit parfois jusqu'à trois remorques, surtout dans les provinces de l'Ouest où, étant donné les longues lignes droites, cette configuration peut être faisable, mais à mon avis, pour circuler dans un endroit comme disons Bear River, il n'est pas recommandé de tirer trois remorques derrière son camion. Le nombre de remorques fait-il une différence quant au nombre d'heures de conduite? Autrement dit, le chauffeur qui conduit l'un de ces trains routiers doit-il conduire le même nombre d'heures, ou bien ces heures sont-elles réduites. Serait-il financièrement intéressant pour un camionneur, au lieu de conduire 14 ou 15 heures par jour et de tricher, s'il conduit un camion extra lourd ou long, de gagner le même revenu en conduisant 10 ou 12 heures? Est-ce un facteur dans l'équation?

M. Walker: Je ne le crois pas. Au sujet des véhicules lourds, nous en avons un bon nombre, en fait, de 25 à 30 trains routiers d'un poids brut de 137 000 livres et je dois dire bien franchement que les camionneurs aiment bien les véhicules de ce genre. À leur avis, c'est plus facile à manoeuvrer en circulation urbaine et les freins sont meilleurs. Nous réglementons rigoureusement la vitesse pour ce type de véhicules. Soixante milles à l'heure, c'est le maximum et nous l'appliquons sévèrement. Toutefois, une fois qu'on habitue les conducteurs à ce régime, ils ne veulent plus conduire plus vite. Ils s'en rendent compte quand ils sont fatigués et ils veulent alors aller se coucher.

Personnellement, je suis partisan des trains routiers: c'est de l'excellent matériel et, à mon avis, c'est très sûr. Les camionneurs qui les conduisent savent que leur véhicule est plus gros et plus lourd et ils agissent en conséquence.

Le président: Je conduis régulièrement de Halifax à Ottawa et retour, depuis bon nombre d'années. Je pourrais écrire un livre sur ce que j'ai vu sur la route. Il y a une chose qui est évidente et qui m'inquiète beaucoup, c'est le problème d'attitude. Je dois dire qu'à mon avis, cela n'a rien à voir avec le nombre d'heures de conduite. Cela doit dépendre des compagnies. Je dirais que les camionneurs qui travaillent chez Day and Ross et chez vous et aussi Kingsway et le Groupe Cabana, enfin les grandes compagnies, vos conducteurs sont généralement courtois. Ils n'essayent pas de se dépasser sur la route. Il n'est pas rare d'être pris dans une course entre deux camions... et quand je dis «pris», je veux dire littéralement pris. La seule chose à faire en pareil cas, c'est de ralentir et de les laisser prendre un quart de mille d'avance. On craint toujours que l'un des deux ne commette une erreur qui n'ait des conséquences fatales pour tous. La question du carnet de route est très importante, mais il y a aussi d'autres éléments.

Le sénateur Bacon: J'ai oublié de demander s'il y a eu des contestations judiciaires relativement à votre programme de dépistage des drogues.

M. Walker: Pas encore, pas à ma connaissance.

M. Smith: Nous supposons toutefois que cela va venir, à moins que vous nous veniez en aide.

Le sénateur Roberge: J'ai une question au sujet du poids des camions. Vous avez donné l'exemple du train routier de 137 000 livres; aux États-Unis, le poids maximal fixé par règlement est de 80 000 livres. Bien sûr, ce poids supplémentaire est aggravé par nos hivers, et les routes, les ponts, et cetera., au Canada se dégradent d'autant plus rapidement. Mais si le poids permis au Canada s'alignait sur la règle américaine, il y aurait bien sûr une incidence économique importante sur vos transporteurs, mais aussi une importante réduction du coût des réparations des routes pour le contribuable canadien. Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?

M. Walker: Il y a une réflexion qui me vient tout de suite à l'esprit. Le camion de 80 000 livres dont vous parlez a un certain poids par pneu, mais ce que j'aime au sujet des trains routiers, c'est qu'ils ont exactement le même poids par pneu sur le pavé.

Le sénateur Roberge: Vous voulez dire le même poids aux États-Unis?

M. Walker: C'est cela.

Le sénateur Roberge: Parce qu'ils sont plus longs?

M. Walker: Oui, plus longs et aussi parce que ce genre de véhicule peut mieux répartir le poids. Ce sont les camions à trois essieux qui sont courant sur nos routes, qui causent le problème, parce que dans leur cas, il y a mille livres de plus par pneu. Je veux dire en chiffres ronds.

Le sénateur Roberge: Voilà qui est intéressant. Il y a déjà eu des discussions entre les ministres fédéral et provinciaux des transports au sujet de la normalisation. Ces pourparlers ne sont toutefois pas allés assez loin; il n'y a toujours pas d'uniformité dans bien des secteurs. J'ignore pourquoi cela prend tellement de temps, mais à votre avis, le gouvernement fédéral devrait-il imposer des normes uniformes?

M. Walker: J'ai participé à certaines de ces discussions et je crois que c'est un problème d'attitude, que certains participants ne veulent pas faire de compromis pour dégager un consensus. Autrement dit, l'attitude est que quelqu'un doit sortir gagnant. À mon avis, il serait certainement très avantageux de nommer un médiateur qui serait chargé d'inciter les participants à s'entendre avant de quitter la pièce.

Le sénateur Roberge: Ce que vous dites, en fait, c'est que c'est un problème politique?

M. Walker: Exactement, la province d'à côté.

Le sénateur Roberge: Vous avez aussi parlé de l'application de la loi et vous avez dit que les peines ne sont pas assez sévères ou ne sont pas uniformes. Y a-t-il une loi qui stipule quelles sanctions sont applicables et cette loi ne devrait-elle pas être respectée?

M. Walker: Encore une fois, chaque province a une formule différente d'un bout à l'autre du Canada. Et puis il y a le règlement des États-Unis et le test de dépistage de l'alcool et des drogues fait partie là-bas de l'inspection courante du ministère des Transports, ainsi que le nombre d'accidents par millions de milles qui est fondé sur une norme. Je viens de subir une vérification du ministère des Transports du Nouveau-Brunswick et j'ai le plaisir de dire que nos résultats ont été satisfaisants. Toutefois, deux points n'ont pas été pris en compte dans cette inspection ou vérification, nommément les tests de dépistage de l'alcool et des drogues et le nombre d'accidents par millions de milles.

Aux États-Unis, quand il y a une vérification ou une inspection, ils font des vérifications semblables: les procédures et dossiers pour l'embauche des conducteurs, la procédure et les dossiers pour l'entretien des camions, la procédure disciplinaire pour régler les différends avec les conducteurs et les dossiers d'entretien pour tous les véhicules et le dossier d'une compagnie est semblable au permis de conduire. On applique des points d'inaptitude pour diverses fautes de conduite, je crois qu'il y a 157 catégories, plus les points qu'un transporteur perd à cause de l'inspection ou l'amende infligée à un conducteur ou à l'égard d'un camion. En plus, tout cela se renouvelle tous les deux ans. Les points perdus en janvier 1996 sont rétablis en janvier 1998. Beaucoup de transporteurs sont très inquiets à l'heure actuelle, car cela augmente vite.

Dans notre cas, une chose me tracasse: à la suite de cette inspection, on nous a imposé des amendes pour excès de poids et nous avons depuis apporté des rajustements nécessaires. Mais une fois que c'est inscrit au dossier... et il faut que ce soit 2 000 kilos ou plus, ce qui veut dire qu'il y avait excès de poids considérable par essieu ou par camion. Croyez-moi, ce problème a été réglé. C'est la source des points d'inaptitude qui fait que le bilan de sécurité est satisfaisant ou insatisfaisant. Les contraventions pour excès de vitesse, la falsification du carnet de route, et cetera, tout cela est à un niveau de points différent. Toutefois, il y a une différence entre la méthode de l'Ontario et celle du Nouveau-Brunswick quant au calcul de ces points.

M. Smith: Nous avons une autre préoccupation relativement à ce type d'inspection, à savoir que nous ne savons pas trop si les transporteurs subissent des conséquences quelconques s'ils ne se conforment pas à l'inspection. Nous n'avons pas d'objections à ce qu'il y ait des inspections, mais nous estimons que les règles doivent être égales pour tous. Si nous faisons notre travail, très bien, mais si quelqu'un d'autre ne fait pas son travail, ou si c'est nous qui sommes fautifs, alors il devrait y avoir des conséquences.

Le sénateur Roberge: L'élément qui est probablement le plus important, c'est l'uniformité dans l'ensemble du pays, car cela met en cause tous les éléments de la sécurité, de l'application de la loi, et cetera.

M. Smith: Dans l'ensemble du pays et à l'intérieur des provinces.

M. Walker: Il y a des conséquences si un inspecteur du département des transports des États-Unis décide d'aller vérifier vos activités, croyez-moi.

Le sénateur Roberge: Je voudrais revenir brièvement au carnet de route. N'y a-t-il pas un quelconque système automatisé qui éviterait au conducteur d'avoir à noter par écrit tout ce qui se passe pendant la journée, quelque chose comme la boîte noire d'un avion? Y a-t-il un dispositif de ce genre qui existe ou qui est utilisé dans le secteur du camionnage quelque part dans le monde?

M. Walker: La réponse est oui, mais si on ne l'utilise pas, c'est simplement parce que tous les véhicules ne sont pas équipés pour recevoir ce dispositif nécessaire pour consigner l'information.

Le sénateur Roberge: Que voulez-vous dire par «incapacité»? Voulez-vous dire que les chauffeurs de camions ne peuvent pas se le permettre?

M. Walker: Ils ne peuvent pas se le permettre et puis, comment celui qui lit les données peut-il établir si le conducteur était dans le camion, si le camion était stationné avec le moteur au ralenti, ou encore quel conducteur était au volant? L'exactitude des données ainsi recueillies n'a pas été jugée acceptable, d'après les normes du ministère des transports.

Chaque camion que nous avons sur la route, est doté d'un enregistreur. Nous avons deux types d'enregistreurs enregistrent les mêmes données, mais dans le premier cas, le camion doit être disponible pour pouvoir verser manuellement les renseignements dans l'enregistreur. Certains camions au long cours, sont dotés d'un système de capteurs qui, toutes les 24 heures, versent dans l'enregistreur le temps de ralenti, la vitesse sur route et cetera, et envoie le tout par satellite, de manière qu'on puisse contrôler.

Le sénateur Roberge: Vous faites donc une double vérification?

M. Walker: Exactement.

Le sénateur Roberge: Pouvez-vous aussi imposer physiquement une limite de vitesse à vos camions?

M. Walker: Oui. Les moteurs des véhicules les plus récents, sont dotés de dispositifs électroniques. On peut essentiellement changer la puissance du moteur ou la vitesse sur route à l'aide d'un ordinateur portatif à bord du camion. Nous fixons la limite de vitesse de nos camions à 60 milles à l'heure.

Le sénateur Roberge: Tous vos camions sont limités à 60 milles à l'heure?

M. Walker: Tous les camions appartenant à la compagnie, oui. Quant aux camions appartenant à des voituriers-remorqueurs, nous les contrôlons à l'aide de capteurs, et nous réprimandons les conducteurs s'ils roulent à plus de 65 milles à l'heure. Nous n'approuvons pas une vitesse supérieure à cela.

Le sénateur Roberge: Par exemple, une fois que le gouvernement fédéral se sera entendu avec les provinces là-dessus, on pourra à un moment donné imposer une vitesse maximale à tous les camions qui roulent au Canada.

M. Walker: On pourrait le vérifier simplement en installant un lecteur à bord du véhicule. Cela permet de savoir tout ce qui s'est passé.

Le sénateur Adams: En plus d'Irving Oil, représentez-vous d'autres compagnies pétrolières? Faites-vous subir les mêmes tests obligatoires aux employés? Je parle de compagnies comme Petro-Can, par exemple. J'ignore comment tout cela fonctionne. Vos propres employés sont-ils chargés de faire ces tests, ou embauchez-vous quelqu'un d'autre pour le faire?

M. Smith: Nous représentons J. D. Irving, qui est le volet non pétrolier de l'entreprise, si vous voulez. Je ne peux pas parler au nom de Irving Oil, ou de toute autre compagnie pétrolière. Je n'en sais vraiment rien. À cet égard, nous n'avons pas pu trouver beaucoup de modèles à suivre et nous sommes donc à l'avant-garde, en quelque sorte, en ce qui concerne le dépistage de l'alcool et des drogues.

Le sénateur Adams: La majorité des stations service de Irving Oil, se trouvent sur la côte est. Jusqu'où allez-vous aux États-Unis? Allez-vous seulement jusqu'à Boston ou New York, ou bien jusqu'au Texas?

M. Smith: Je ne sais vraiment pas quelle est l'étendue du marché de la compagnie Irving Oil. À coup sûr, cela comprend le nord-est des États-Unis et les provinces Maritimes du Canada, mais je ne peux pas vous dire quelle est l'ampleur de leur marché, je l'ignore.

Nous ne représentons pas Irving Oil. Nous achetons leurs produits, mais c'est le seul lien que nous avons avec Irving Oil chez nous, à la compagnie J. D. Irving.

Le sénateur Adams: Nous avons entendu parler de compagnies de camionnage qui infligent des amendes à leurs conducteurs, s'ils ne livrent pas la marchandise à l'heure dite. Avez-vous un système semblable?

M. Smith: Pour beaucoup de nos clients, il est crucial de recevoir la marchandise à temps. En général, on a un créneau d'une quinzaine de minutes pendant lequel il faut se présenter au quai pour charger ou décharger. Si l'on rate ce créneau, le camion peut être obligé d'attendre 24 à 36 heures qu'un autre créneau se libère au quai. Quand une compagnie de camionnage confie une cargaison à un conducteur, elle doit connaître des renseignements essentiels: premièrement, quelle est la distance à parcourir, ensuite combien d'heures ce camionneur peut-il conduire, et cetera., afin de s'assurer qu'il pourra parvenir à destination sans enfreindre la loi et en temps voulu. De nos jours, tout retard est lourd de conséquences.

M. Walker: Je pourrais peut-être ajouter une précision. Les gros transporteurs, les grandes compagnies -- j'en ai justement consulté une cette semaine -- ont un créneau pour l'heure de livraison, mais elles mettent beaucoup de soin à s'assurer qu'il y aura amplement le temps d'effectuer le parcours et d'arriver à temps. On ne dit pas au conducteur qu'il doit accomplir un voyage de 10 heures en neuf heures seulement. Au contraire, on lui assigne probablement un voyage de 10 heures et on lui donne 12 heures pour le faire et pour arriver à temps. On fait très attention à cet aspect.

Le sénateur Adams: Le camionneur peut-il donner comme excuse qu'il a été retardé par une tempête de neige ou autre intempérie? Les fournisseurs acceptent-ils cela?

M. Smith: En général, si vous faites savoir au destinataire à l'avance que vous serez en retard, pour éviter de le faire attendre, il n'y a aucun problème. Toutefois, si vous êtes pris dans la circulation ou quoi que ce soit, et que vous savez que vous serez en retard, bien souvent, vous le savez 24 heures avant l'heure prévue d'arrivée. En général, si vous prévoyez être en retard et en avertissez le client à l'avance, il n'y a pas de problème. Les clients comprennent, ils ont le temps de modifier leurs plans de production ou quoi que ce soit et ils collaborent avec nous. En fait, c'est un partenariat: les deux parties, le client et la compagnie de camionnage, doivent travailler ensemble pour que tout se déroule sans heurts.

Le sénateur Adams: Moi aussi, je roule sur les routes et beaucoup de camions ne roulent pas plus vite que 60 milles à l'heure. Peut-être la vitesse des véhicules pourrait-elle être limitée par le gouvernement. Si le gouvernement la réglementait, nous pourrions réduire le nombre d'accidents sur les routes. Par contre, il y a de gros camions qui roulent à 70 ou 80 milles à l'heure sur des routes où la limite est de 60 milles à l'heure.

M. Smith: Il existe déjà une foule de règlements en ce sens, mais il s'agit de les faire appliquer. On a beau adopter tous les règlements du monde, s'ils ne sont pas appliqués, à quoi servent-ils? C'est pourquoi nous avons adopté la méthode que je vous ai décrite. Nous croyons fermement que, à quelques exceptions près, il y a déjà suffisamment de règlements pour que tout fonctionne bien; la question est de faire appliquer ces règlements.

Bien souvent, les accidents se produisent parce que quelqu'un a omis de faire quelque chose qu'il était tenu de faire d'après le règlement. Quatre-vingt-quinze pour cent des conducteurs et des voituriers-remorqueurs sont des gens respectables qui observent les règles et font bien leur travail. Toutefois, c'est l'exception à la règle qui cause la plupart des problèmes. En général, je suppose que ce sont ces gens-là qui sont visés par la plupart des règlements, je veux dire l'exception plutôt que la règle. Toutefois, si l'on ne s'occupe pas des exceptions, il arrive immanquablement des incidents regrettables.

Le sénateur Adams: Nous avons rencontré des gens de Montréal qui représentaient des compagnies de pneus. Parfois, les pneus sont directement en cause dans des accidents. Les pneus sont importants sur la route, de même que les roues et les roulements, puisque les roulements peuvent surchauffer. Votre compagnie de camionnage a-t-elle des problèmes avec les pneus?

M. Smith: En fait, on en a pour son argent. On peut acheter un produit peu coûteux qui ne sera pas tout à fait aussi bon qu'un produit de qualité. Nous installons des produits de qualité sur notre matériel et nous avons de bons programmes d'entretien préventifs. Essentiellement, nous adoptons une approche prévoyante en matière d'entretien. Dans la mesure du possible, nous éliminons le problème avant qu'il ne survienne.

Pour répondre à votre question, non, nous n'avons pas de problèmes notables du genre de ceux qui ont fait la manchette, disons, ces derniers mois.

Le président: Je suis très content de vous entendre dire cela et je vais le lire avec plaisir. Pour ce qui est de la responsabilité du transporteur et de l'hypothèse selon laquelle le permis de conduire que détient un conducteur atteste qu'il est compétent, nous avons pris bonne note de votre déclaration catégorique selon laquelle vous croyez que cette hypothèse est fausse et que les transporteurs devraient être tenus de donner aux recrues nouvellement embauchées une formation satisfaisante pour leur permettre d'accomplir leur travail efficacement et en toute sécurité. En matière de formation, oui, je peux comprendre cela.

Mais qu'en est-il des qualités requises? À qui incombe-t-il d'établir quelles devraient être ces qualités? Quand une compagnie aérienne embauche un pilote de ligne, elle respecte certaines normes et un manuel d'opération, mais les qualités du pilote sont établies par une tierce partie et, en général, on accepte la déclaration de cette tierce partie selon laquelle cet homme ou cette femme a les qualités requises pour piloter un avion. Je sais que toute la question est compliquée par le fait qu'il existe différentes autorités provinciales, mais ne devrait-il pas exister une telle autorité, une tierce partie vers laquelle pourraient se tourner les compagnies de camionnage du Canada -- en fait, je suppose même que le voiturier-remorqueur devrait lui-même obtenir l'autorisation de cet organisme. Y a-t-il une tierce partie qui serait acceptable à tous les intervenants et, dans l'affirmative, quelle serait-elle?

M. Walker: Voici ce qu'a fait notre compagnie: nous inscrivons des camionneurs chevronnés à un cours de sept jours à temps plein dans une école pour y apprendre à devenir évaluateur, à évaluer un camionneur en s'assoyant à côté de lui dans la cabine. Ensuite, ces évaluateurs accompagnent les recrues nouvellement embauchées pendant une période pouvant aller de une à huit semaines. Nous prenons connaissance de rapports écrits avant d'autoriser le nouveau camionneur à rouler seul au volant de l'un de nos camions. Certains ne se rendent pas au bout de ce processus. La plupart aiment bien qu'un collègue chevronné leur donne des tuyaux, si vous voulez, et leur apprenne toutes les configurations de chargement possibles, ainsi que la paperasse et les formalités aux frontières; c'est après avoir acquis cette expérience qu'ils sont autorisés à partir seuls. Maintenant, quant à savoir si cela devrait être la responsabilité des transporteurs ou d'une tierce partie, une chose est sûre: il faut que l'on puisse faire confiance à la procédure choisie, quelle qu'elle soit, et nous sommes très à l'aise avec les résultats que nous obtenons actuellement, avec l'aide de nos conducteurs expérimentés.

Le président: Je veux parler, en partie, de la difficulté à faire respecter les règlements et de l'uniformité des mesures d'application. Je pense qu'en général, nous convenons que les gros transporteurs sont tout à fait capables de s'en charger eux-mêmes. Ils le font dans leur propre intérêt et c'est une motivation suffisante: si les affaires vont rondement, les profits augmentent d'autant. Mais qu'arrive-t-il du voiturier indépendant? Qui assure sa formation et vérifie son rendement? Parce que lui aussi fonce à toute allure sur la route, vous dépasse et vous coupe la route. En fait, autant j'aime me prélasser dans le siège de l'allée, à bord d'un avion, autant j'aime conduire sur la route, mais il semble parfois que la route est dangereuse. Parfois, conduire vous met les nerfs en boule; en sortant de la voiture on en tremble encore. Quand on voit des pneus qui se détachent, ou bien quand on voit un pneu qui avale une Volkswagen, il y a de quoi ébranler quelqu'un. Je viens d'être témoin d'un tel incident, et je ne sais vraiment pas comment la conductrice a réussi à ne pas sortir de la route. Le pneu provenait d'un camion énorme; c'était un très gros pneu qui s'est trouvé à encercler la voiture, passant sous les roues et par-dessus le capot. La conductrice s'est faufilée entre deux camions qui faisaient la course (cela ne fait aucun doute dans mon esprit, même si je n'ai aucun moyen de le savoir) et elle a été prise. Un pneu de camion a implosé ou explosé ou quoi que ce soit. On les appelle des pneus économiques, mais ils étaient loin de l'être pour le conducteur ou sur le plan de la puissance.

Mais que faire des voituriers-remorqueurs indépendants? Comment faire appliquer le règlement, sinon au moyen d'une tierce partie? Si l'on arrête un camionneur et qu'il n'est pas muni d'un certificat disant «J'ai suivi 19 jours de formation et j'ai les qualités requises. Voici mon certificat de compétence et voici mon permis de camionneur et je possède tous les documents attestant que j'ai la formation requise pour conduire un camion en toute sécurité», que fait-on? Comment gérer tout cela à moins de délivrer un tel certificat?

M. Smith: Encore là, je n'ai pas la solution miracle. Cela dit, j'aimerais faire une observation. Je ne pense pas qu'il soit juste de dire que tous indépendants ne sont pas compétents.

Le président: Oh, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Smith: Fort bien. J'avais l'impression que vous généralisiez à cet égard, et je pense que vous auriez tort de le faire. Comme dans tous les domaines, que ce soit le camionnage ou un autre, certaines personnes sont meilleures que d'autres dans ce qu'elles font. Certaines ne sont pas à la hauteur. Parmi celles-là, il y en a qui agissent ainsi délibérément alors que dans d'autres cas, le problème est dû à l'ignorance. Je pense qu'il y a deux aspects à cette question. D'une façon ou d'une autre, il devrait y avoir une formation obligatoire quelconque pour devenir routier professionnel. Je ne saurais dire à quel niveau cette formation devrait survenir, mais il faut qu'il y en ait une.

L'autre aspect concerne l'application de la loi. Il devrait y avoir constamment des inspecteurs sur la route. D'ailleurs je suppose que d'un bout à l'autre du pays, des inspecteurs provinciaux effectuent des vérifications de véhicules, de carnets de bord, et cetera. J'imagine que l'on pourrait aussi faire des vérifications plus fréquentes auprès des conducteurs qui sont souvent pris en défaut, et moins fréquentes pour les autres. Au moins, de cette façon, les ressources dont nous disposons pour les vérifications seraient affectées aux cas problèmes. Au bout du compte, il faudra enlever leur permis de circuler à ceux qui ne sont pas en mesure de s'acquitter de leur travail de façon sécuritaire. Je concède que c'est une mesure extrême que d'enlever à quelqu'un son moyen de subsistance, mais l'indignation est à son comble lorsqu'un chauffeur de camion cause un accident mortel. Cela ternit la réputation de l'ensemble du secteur. Pour régler le problème, je ne vois pas d'autre moyen que d'être sévère à l'endroit de ceux qui contournent les règles.

Le président: À propos de généralités, je peux vous dire qu'entre Rivière-du-Loup et Ottawa, si vous roulez à 100 kilomètres/heure, tous les camions vous dépasseront. Si vous retardez un camion dont le chauffeur est pressé, vous pouvez être sûr qu'il vous doublera. Je vous le garantis, et je parle d'expérience, une expérience qui s'étend sur de nombreuses années. Cela dit, je suis agacé par ce dilemme et pour vous, qui êtes des voituriers, cela doit être encore pire.

J'aimerais maintenant interroger les camionneurs sur un sujet de moindre importance. Mis à part les conditions de la route -- les nids de poule, les accotements inadéquats, et cetera --, il est toujours très dangereux de doubler un camion lorsqu'il pleut ou que la route est glissante. Récemment, alors que je me rendais à Washington dans de très mauvaises conditions -- pluie et routes glissantes --, ma voiture était constamment aspergée d'eau. Tout à coup, il y a eu une accalmie alors que nous doublions un camion en particulier. Aucune éclaboussure. Rien du tout. Une fois doublé ce camion, cela a recommencé de plus belle. Le camion en question arborait une annonce faisant la promotion d'un fabricant de cercueils, ce qui m'a paru assez original. Nous avons revu ce camion à deux ou trois reprises en l'espace d'une heure et nous avons remarqué qu'il était muni d'anti-éclabousseurs sur le côté. Je suppose qu'il en avait sur les deux côtés même si je n'ai pas vu le coté droit. Pourriez-vous nous expliquer les avantages ou les inconvénients de ces anti-éclabousseurs dans le contexte de la sécurité routière?

M. Walker: Certains de nos véhicules -- ceux qui circulent en ville et ne font pas le long cours -- sont équipés de ces anti-éclabousseurs. Il s'agit d'un morceau de fibre qui ressemble à un balai accroché sur le côté de la remorque, mais cela est très coûteux. Je ne suis pas sûr, mais je crois que cela vaut 500 $ la paire. Je n'ai assurément pas d'objection à y avoir recours, pourvu que tout le monde soit obligé de faire la même chose.

Le président: L'investissement de 500 $ est bon pour un bout de temps. Les anti-éclabousseurs ne s'usent pas en une saison. Ils sont fabriqués d'un matériau durable.

M. Walker: Oui. Ils durent probablement de sept à dix ans soit la durée de vie du véhicule.

Le président: Est-ce qu'on pourrait couvrir aussi les roues motrices?

M. Walker: Si l'on veut, on peut les installer sur toutes les roues.

Le président: Et vous équipez 5 p. 100 de votre parc?

M. Walker: Non. Nous en équipons peut-être 1 p. 100.

Le président: Avez-vous l'intention d'augmenter ce pourcentage?

M. Walker: Non. Nous allons installer de l'équipement radio, l'éclairage à DEL, les freins ABS.

Le président: Qu'est-ce que l'éclairage à DEL?

M. Walker: Nous avons installé cet éclairage à DEL sur nos camions qui transportent des copeaux. Ce sont des diodes électroluminescentes qui sont garanties pour dix ans. Ce dispositif tire moins de courant de l'alternateur du véhicule. Ce sont des feux qui brillent d'un éclat beaucoup plus vif et que l'on peut voir de beaucoup plus loin, en comparaison des feux existants, notamment en cas de mauvais temps, de brouillard, et cetera. C'est comme les feux de freinage des voitures, qui sont beaucoup plus lumineux que les feux arrière. L'intensité de la lumière est semblable à celle des feux de signalisation et de freinage que nous avons installés sur un bon nombre de nos remorques.

Le sénateur Adams: On nous a dit que beaucoup de conducteurs n'ont pas l'expérience de la conduite d'un camion. Ce sont d'anciens agents de police ou quoi que ce soit qui ont été embauchés sans expérience par une compagnie. Vous avez des tests de dépistage des drogues pour vos conducteurs, mais il y a beaucoup de conducteurs qui ne connaissent absolument pas la glace noire, par exemple. J'ignore combien vous avez d'accidents attribuables à la glace noire. Donnez-vous à vos conducteurs une formation sur les dangers de la conduite sur la grand-route?

M. Walker: La formation de nos camionneurs se fait en partie lorsque les recrues sortent accompagnées d'un conducteur expérimenté. C'est l'un des éléments que nous essayons de leur inculquer, de même que beaucoup d'autres aspects de la conduite. Ce n'est pas un enseignement spécifique.

Le sénateur Adams: Avez-vous une limite d'âge à laquelle les conducteurs doivent prendre leur retraite?

M. Walker: Pas pour la retraite. L'âge minimum de recrutement est de 22 ans. J'ai deux de nos employés qui sont mari et femme et qui travaillent chez vous depuis environ 35 ans.

Le président: Je voudrais vous remercier d'avoir été franc et ouvert. Vous nous avez été utile pour mettre les problèmes en lumière. Peut-être que plus tard à l'automne, quand nous envisagerons diverses solutions, nous pourrons revenir vous voir et vous les présenter en vous demandant vos commentaires et observations. En attendant, vous avez rendu service au comité.

M. Smith: Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé. Nous nous ferons un plaisir de vous aider dans toute la mesure du possible.

Le président: Je souhaite la bienvenue à M. David McCutcheon, qui est directeur de la sécurité des vols chez Canadian Helicopters Limited.

M. David McCutcheon, gérant de la sécurité des vols, Canadian Helicopters Limited: Honorables sénateurs, je voudrais vous donner un historique de Canadian Helicopters: quelle est notre origine, où nous en sommes actuellement et quelle orientation nous entendons prendre.

Je vais commencer par vous décrire la philosophie de notre compagnie. La sécurité est primordiale dans tout ce que nous faisons. Notre compagnie est consciente que c'est notre réputation qui nous permet de voler. Un exploitant sécuritaire garde sa clientèle.

Canadian Helicopters existe depuis 50 ans. À nos débuts, en 1947, nous étions connus sous le nom d'Okanagan Helicopters, à Vancouver, en Colombie-Britannique. M. Greg Dobin avait une compagnie qui s'appelait Sealand Helicopters et, en 1986, il a acheté Toronto Helicopters. Par la suite, il a acheté Okanagan Helicopters, qui était une compagnie beaucoup plus grosse. Aujourd'hui, nous avons plus de 220 hélicoptères en service: 180 au Canada, 20 un peu partout en Asie et 20 en Grande-Bretagne. Nous avons une filiale qui s'appelle British International Helicopters.

Canadian Helicopters s'occupe aussi de la réparation et de la révision des hélicoptères et de composants d'aéronefs. Nous avons deux unités de révision, dont l'une est ACRO Aerospace, qui se trouve à Vancouver en Colombie-Britannique et s'occupe des réparations ordinaires aux moteurs d'hélicoptère, ainsi qu'à leur transmission et de toute autre pièce qui se trouve sur un hélicoptère. Elle a même un atelier de réparation du fuselage où elle remet à neuf les hélicoptères accidentés. Non seulement réparons-nous nos propres aéronefs, mais nous offrons aussi nos services à contrat et on nous envoie des pièces à réparer de partout à travers le monde. Beaucoup d'Américains font appel aux services de révision de compagnies canadiennes à cause des normes très élevées que nous imposons au Canada.

Une autre division intéressante est celle de Atlantic Turbines Inc. qui se trouve à Summerside, Île-du-Prince-Édouard. La compagnie a été fondée il y a trois ou quatre ans, sur l'ancienne base aérienne. Elle fait la révision de moteurs Pratt & Whitney, série 100. Les moteurs Pratt & Whitney, série 100, sont ceux dont on se sert pour les aéronefs navettes modernes comme le Dash 8, et ainsi de suite, c'est-à-dire les avions qui transportent de 50 à 80 passagers. La compagnie se débrouille vraiment très bien. C'est un véritable succès.

Je vais surtout vous entretenir de notre côté opérationnel. British International Helicopters et Canadian Helicopters International, sont distincts de la Canadian Helicopters Western et Eastern, qui sont chargées des opérations de Canadian Helicopters en territoire canadien. British International, approvisionne surtout les plates-formes de forage en mer au large de la Grande-Bretagne en mer du Nord et exploite un service de navettes reliant les îles du sud en Grande-Bretagne.

Canadian Helicopters International est l'unité qui sert nos clients à l'échelle internationale. Cette compagnie exploite surtout un service d'appui aux installations de forage au large des côtes de l'Asie et de l'Afrique. Il y a quelques années, cette compagnie avait des contrats importants avec les Nations Unies, surtout pour soutenir les opérations de maintien de la paix en Somalie. Ces deux exploitations sont différentes, car dans le cas de Canadian Helicopters International, la compagnie agit plutôt comme un transporteur aérien régulier. Cela ressemble un peu aux vols d'Air Canada. Le pilote arrive dans la matinée. Il sait qu'il quittera un tel aéroport, qu'il ira jusqu'à telle installation de forage, qu'il y laissera ses passagers, qu'il en prendra d'autres à bord et qu'il les ramènera sur le littoral. Il y a deux pilotes et il y a beaucoup plus de contrôle et de réglementation.

L'exploitation de Canadian Helicopters Eastern et Canadian Helicopters Western, d'autre part, se fait en territoire canadien. Ces gars-là travaillent dans un environnement beaucoup plus hostile. Ils survolent nos forêts boréales et l'Arctique canadien et travaillent surtout en régions éloignées. Quatre-vingt pour cent des aéronefs n'ont qu'un seul pilote et un seul moteur. Sur le plan de la sécurité, c'est notre principale inquiétude; c'est cet aspect qui nous inquiète le plus. À l'interne, nous savons que s'il y a un accident, c'est là que ça se passera. Ce sera l'hélicoptère piloté par un seul pilote. Il frappera la queue de l'appareil sur quelque chose dans un de ces espaces étroits dans la forêt. C'est plus difficile de piloter seul parce que vous êtes laissé à vous-mêmes, c'est vous qui décidez des règles du jeu, c'est vous le patron.

J'ai un tableau tiré de notre rapport annuel de 1996 qui explique d'où nous tirons nos revenus.

Le tableau suivant montre de quel genre d'aéronefs nous disposons et combien nous en avons. Je vous ai aussi remis un document intitulé Fleet Facts qui explique les données sur notre flotte. Vous y trouverez une explication des possibilités de chacun des aéronefs. Vous y trouverez le nombre de passagers pour chaque appareil, son autonomie de vol et sa capacité de charge.

Je travaille pour Canadian Helicopters depuis 20 ans. À mes débuts, en 1977, il y avait beaucoup moins de règlements. Les gens de Irving Trucking s'intéressaient à la période de service. À l'époque, la période de service de vol pour ainsi dire n'existait pas. Un pilote de 30 ans était déjà un ancien, et on savait qu'il allait bientôt prendre sa retraite. On acceptait moins le règlement, probablement parce qu'on était alors beaucoup plus jeune et beaucoup plus étourdi. Il faut dire qu'à l'époque les inspecteurs chez Transports Canada étaient surtout d'anciens militaires. Avec ce genre d'antécédents, ils avaient du mal à comprendre le marché commercial.

De nos jours, les pilotes appartiennent à tous les groupes d'âge. Nous en avons de 65 ans qui prennent bientôt leur retraite après 30 ans de service sans accident. Il y a aussi des jeunes de 22 ans qui sortent à peine du collège et commencent à piloter. Les compagnies se rendent compte que les règles sont là pour servir de balises à l'industrie et, par conséquent, en augmenter la sécurité.

Transports Canada a changé. La plupart des inspecteurs des transporteurs aériens et de ceux qui s'occupent de la réglementation viennent des rangs de l'industrie. Ils connaissent bien le milieu dans lequel nous travailleurs ainsi que nos problèmes qu'ils nous aident à surmonter. En gros, du point de vue du pilote, les règlements canadiens sont plus restrictifs que ce qui est appliqué par la FAA aux États-Unis. Ils ne sont pas tout à fait aussi restrictifs que ce que l'on retrouve en Grande-Bretagne ou dans d'autres pays européens. Le Canada a adopté une position de compromis entre les normes britanniques ou européennes et les normes américaines.

Canadian Helicopters Eastern se plie aux règles canadiennes, mais lorsque la compagnie fait affaire dans les pays asiatiques, elle observe les règles du pays où elle se trouve. Des fonctionnaires de certains de ces pays viennent au Canada visiter Transports Canada pour essayer de décider quels règlements ils devraient adopter. La plupart d'entre eux adoptent les règles d'un pays européen.

L'an dernier, le Canada a modifié son Règlement de l'Air. Ce qui s'appelait anciennement le règlement de l'Air et les ordonnances sur la navigation aérienne ont été fondus pour devenir le Règlement aérien canadien ou RAC. Ce règlement est entré en vigueur en octobre 1996. On a fait l'harmonisation avec les règlements européens et américains. Les États-Unis commencent à harmoniser leurs propres règlements avec ce qui se passe ailleurs au monde quoiqu'ils demeurent toujours très indépendants.

J'aimerais aborder le sujet des accidents. J'ai quelques tableaux et le premier concerne le nombre d'heures de vol en hélicoptère au Canada. J'aimerais préciser que les chiffres de 1996 ne sont que des prévisions. Les chiffres pour la période allant de 1991 à 1995, nous viennent du Bureau des transports. Ce bureau publie un document sur le nombre d'accidents et le nombre d'heures de vol et ainsi de suite. Si l'on prend 1995 comme exemple, parce que c'est la dernière année pour laquelle on a des chiffres complets, il y a eu environ 500 000 heures de vol. Canadian Helicopters y sont pour environ 125 000 heures, ce qui représente pour environ 80 p. 100 des heures de vol au Canada ou effectuées par des transporteurs aériens canadiens.

J'ai un tableau sur les accidents au Canada, sur le nombre d'accidents que nous avons eus et le nombre d'accidents total pour tous les transporteurs canadiens mis ensemble. En gros, nos aéronefs ont été impliqués dans 17 p. 100 des accidents survenus au Canada.

L'accident peut être du genre catastrophe qui entraîne des morts ou il peut s'agir tout simplement d'un hélicoptère qui atterrit un peu trop près d'un hangar dont il frappe une porte avec une pale du rotor principal. Ça aussi, c'est un accident. Dans ce dernier cas, les dégâts sont minimes; peut-être faut-il changer une des pales, mais il n'y a pas de blessés. C'est ça la différence.

J'ai un camembert ici avec le nombre d'heures de vol et le pourcentage d'accidents pour Canadian Helicopters. Habituellement, pour chiffrer les accidents, on se sert d'une base de 100 000 heures de vol. Le témoin de Irving Trucking qui m'a précédé, vous a parlé d'accidents par million de milles. La norme usuelle dans le monde de l'aviation, c'est le nombre d'accidents par 100 000 heures de vol. Si nous prenons les chiffres de 1995, nous voyons qu'alors Canadian Helicopters accusait 8,2 accidents par 100 000 heures de vol. La moyenne pour le pays tout entier était de 15,5 accidents par 100 000 heures de vol. Ça a été une bonne année pour nous. On s'en est tiré avec à peu près la moitié de la norme nationale.

Et comment cela se compare-t-il aux chiffres américains? Le chiffre canadien par 100 000 heures de vol est plus élevé qu'aux États-Unis surtout à cause du décor dans lequel nous évoluons. La plupart de nos vols s'effectuent dans les régions éloignées. Il ne s'agit pas tout simplement de décoller de l'héliport de Halifax pour nous rendre à l'aéroport et en revenir. En gros, aux États-Unis c'est ce genre de vol là qu'ils effectuent: transport d'officiels, transport autour de grandes zones urbaines où il n'y a pas énormément de problèmes. Ils font beaucoup moins de vols en régions éloignées que nous.

Les accidents, c'est comme une chaîne. Notre compagnie essaye d'intervenir dans cette chaîne. Nous essayons de casser le maillon. En cassant le maillon, on met fin aux accidents. Le monsieur des chemins de fer nous a dit que 90 p. 100 de leurs accidents étaient causés par l'erreur humaine. On pourrait dire qu'il en va de même dans l'industrie de l'hélicoptère. Il ne s'agit pas d'une pièce qui fait défaut sur l'hélicoptère: c'est le pilote et il s'agit d'erreur humaine. Il ne s'agit pas d'un manque de compétence.

La plupart des accidents ne sont pas causés par un pilote qui vient tout juste d'obtenir son permis sur lequel l'encre a eu à peine le temps de sécher. Non, il s'agit surtout d'anciens qui ont 5 000 heures de vol à leur actif ou qui pilotent depuis 10 ou 15 ans. Il s'agit de pilotes qui souffrent de MSJ, c'est-à-dire d'un manque soudain de jugement. On a à faire à un gars qui fait tout à la perfection depuis des années et qui commet une bêtise tout d'un coup. Pourquoi? Souvent parce qu'il a le désir de plaire à tout prix. Tout le monde veut faire le bon samaritain et aider son prochain. On se dit: «D'accord, je vais atterrir dans cette trouée entourée d'arbres. C'est un peu juste, mais ça passe ou ça casse». On atterrit sans incident, on dépose le client et on lui dit: «Écoutez les gars vous devriez éclaircir ces arbres». Vous revenez les ramasser un peu plus tard et ils n'ont toujours rien fait pour agrandir la clairière. On se dit: «J'y vais quand même». Et c'est là que la pale de retard principal ou le retard de queue en prend pour son rhume; l'hélicoptère est endommagé et le pilote n'est plus qu'une statistique.

Les perceptions créent aussi une certaine pression. On parlait tout à l'heure du camionneur qui devait livrer à temps. Le pilote se trouve dans sa tente sur la Toundra et il commence tout d'un coup à neiger, il ne peut absolument pas voir la tente à côté de la sienne mais il sait qu'il y a une équipe de forage qui compte sur lui à une dizaine de milles de là. Il se dit: «Je dois aller les chercher à tout prix.» Nous essayons de faire comprendre à nos pilotes qu'ils ne sont pas obligés de le faire. Nous leur disons: «Restez sous la tente; le mauvais temps ne durera pas; ces gars-là ont tout leur équipement de survie avec eux; ils ont de la bouffe supplémentaire et des trucs du genre; ils vont très bien s'en tirer. Mais l'attitude du bon vieux temps a toujours été: «Il faut absolument que j'aille les chercher. Je dois jouer les pilotes de secours.» La politique de notre compagnie c'est d'appuyer le pilote qui décide de ne pas y aller. C'est comme pour les camionneurs: si un de nos gars se fout régulièrement des règlements, nous prenons des mesures disciplinaires. Anciennement, on fermait les yeux.

Nous savons que les pilotes ne prennent parfois pas la bonne décision. Nous avons mis sur pied un programme et, d'ici deux ans, tous nos pilotes auront suivi un cours qui s'appelle «Prise de décision par le pilote» qui vise le pilote travaillant en autonomie. Pour les aéronefs où le personnel est plus nombreux, deux pilotes, par exemple, nous offrons un cours de gestion ressources-équipage. La gestion ressources-équipage ou GRE est un cours du genre relations humaines qui doit aider nos pilotes à se montrer plus attentifs à toute proposition de manoeuvre visant à améliorer la sécurité et à se servir de toutes les ressources à leurs dispositions dans l'appareil et au poste de pilotage pour leur aider à prendre la bonne décision.

Nous avons aussi un programme pour mieux informer nos pilotes sur les accidents qui se sont produits ainsi que sur leurs causes et comment nous pouvons les prévenir à l'avenir. On découvre que les pilotes font constamment le même genre d'erreurs. Un pilote nous a dit: «Je ne savais pas que Bill avait subi ce genre d'accident.» Il faut que le pilote sache que la direction de la compagnie l'appuie, à depuis le PDG, le président du Conseil de direction jusqu'au gestionnaire local.

L'une des questions à l'ordre du jour, c'est la déréglementation et son incidence sur nous. Cela fait déjà au moins 10 ans que le secteur des hélicoptères fait face à la déréglementation sous une forme ou une autre. Nous constatons qu'il y a de plus en plus de gens qui lancent une entreprise. Un exploitant qui commence n'a peut-être qu'un seul appareil qui lui appartient et peut-être un ingénieur qui s'en occupe. Quand les affaires vont bien, il n'y a pas de problème. Parfois ils peuvent se sentir sous pression parce qu'ils doivent payer leur hypothèque ou quelque autre traité, ce qui peut créer un problème. Toutes les entreprises, y compris Canadian Helicopters, ont commencé en affaires avec un seul hélicoptère.

Tout le monde doit suivre les mêmes règles. Au Canada le transport aérien relève du gouvernement fédéral. Il n'y a guère d'ingérence provinciale, alors les règles sont les mêmes partout. Transports Canada applique les règles avec uniformité. On doit respecter les mêmes règles à Vancouver qu'à Halifax et Transports Canada veille à leur application de façon uniforme.

La sécurité fait l'objet de contrôles périodiques de la part de Transports Canada. Notre entreprise, étant la plus importante au Canada et la troisième sur le plan international, à l'heure actuelle, fait l'objet d'un contrôle de Transports Canada tous les deux ans. Les inspecteurs des transporteurs aériens et de l'entretien ne se rendent pas à toutes les bases et n'inspectent pas tous les appareils, mais ils sont allés voir comment fonctionnait notre service en Somalie il y a deux ans, et ils sont également allés en Thaïlande. Ils se sont également rendus à nos bases plus éloignées comme Voisey Bay, Goose Bay et l'île de Vancouver.

Nous avons aussi des procédures établies et des règlements qui prévoient des vérifications régulières à l'intérieur de l'entreprise. Des contrôles sont également effectués par les responsables de la qualité pour vérifier l'entretien dans chaque base.

Le sénateur Roberge: Vous avez dit que les lois aux États-Unis et au niveau international sont bien plus strictes qu'au Canada?

M. McCutcheon: Aux États-Unis, elles sont beaucoup moins rigoureuses. Les lois canadiennes sont beaucoup plus strictes que la législation américaine.

Le sénateur Roberge: Et sur le plan international?

M. McCutcheon: C'est un peu plus strict. Pour ce qui est de certaines règles générales, comme pour les vols de jour en Europe, il faut un mille de visibilité. Au Canada on avait le droit de voler avec un demi mille, mais on vient d'établir l'exigence d'un mille. Aux États-Unis, il n'y a pas de limite. Pour les vols de nuit au Canada, il faut établir une altitude sécuritaire minimale, c'est-à-dire mille pieds au-dessus du sommet le plus élevé. Et c'est la même règle en Europe. Aux États-Unis il n'y a pas de limite. On peut choisir son altitude.

Le sénateur Roberge: On vient de créer Nav Canada. Pensez-vous que cela aura une incidence sur la sécurité?

M. McCutcheon: C'est possible. On crée des ennuis quand les gens essayent de faire des économies de bouts de chandelle. A-t-on mis au point un mécanisme selon lequel Nav Canada va décréter que vous devrez payer tant pour utiliser telle partie de la piste? Je ne le pense pas, mais ils ne vont pas tarder à le faire. Au lieu d'utiliser les règles de vol aux instruments qui font appel au système aérien administré par Nav Canada, les exploitants vont décider de se débrouiller avec les règles de vol à vue. Ainsi, on va constater davantage d'avions dans les secteurs où travaillent généralement les hélicoptères. Cela pourrait créer un problème.

Le sénateur Roberge: Ne peut-il y avoir une réglementation?

M. McCutcheon: Oui, mais son application sera difficile. Cela se produirait en grande partie dans les régions éloignées où les aéronefs ne sont pas visibles au radar, et cetera.

Le sénateur Roberge: Vous dites que la plupart des accidents sont attribuables à un manque de discipline. Je suppose qu'avec une formation adéquate et des sanctions suffisamment sévères, on pourrait y remédier en partie. Je suis un peu surpris par cette observation.

M. McCutcheon: Les gens ne pensent pas qu'ils vont avoir un accident.

Le sénateur Roberge: Mais s'il existe des règlements stricts, on peut contrer cette tendance. Les gens savent qu'ils vont perdre leur permis ou leur emploi.

M. McCutcheon: C'est déjà le cas. Si vous avez un accident grave, vous perdez probablement votre emploi. Les gens le savent. Mais ils pensent néanmoins que cela ne va pas leur arriver. C'est un état d'esprit. Nous essayons de leur faire comprendre que ça peut leur arriver et qu'ils ne doivent pas prendre de risques. Les risques sont déjà suffisamment importants, il ne faut pas en ajouter.

Le sénateur Roberge: Si je vais à votre entreprise pour voir les dossiers concernant les réparations et l'entretien, est-ce que tout cela est informatisé? Savez-vous exactement quels travaux ont été faits sur chacun de vos appareils?

M. McCutcheon: Oui. Certains de nos hélicoptères ont plus de 20 ans. Chaque pièce a une durée de vie limitée. Elles font l'objet d'une révision à un certain moment. L'ailette principale de rotor vaut pour 4 000 heures, un composant de moteur vaut pour 2 000 heures. Ensuite on prend la pièce pour la réviser. Nous avons des dossiers informatisés et il y a en plus une fiche qui accompagne la pièce lorsqu'elle est expédiée pour révision. Tout cela est suivi de très près.

Le sénateur Bacon: J'ai été surprise d'apprendre que les erreurs de pilotes sont la cause principale d'accidents d'hélicoptères. Quelle est l'importance du temps et des défaillances mécaniques?

M. McCutcheon: La catégorie «erreur du pilote», comprend aussi le temps. C'est le pilote qui décide s'il va faire le vol ou non.

Le sénateur Bacon: Avez-vous des règles?

M. McCutcheon: Il y en a en masse. Il y a des règles qui précisent la distance en milles de visibilité. Parfois les gens décident simplement de passer outre parce qu'ils pensent que le client veut qu'ils fassent le vol. C'est affaire de réflexion. Nous essayons de faire comprendre à nos pilotes que c'est à eux de décider et qu'ils ne sont pas obligés de le faire.

Le sénateur Bacon: Parlez-nous des défaillances mécaniques?

M. McCutcheon: Les défaillances mécaniques sont responsables d'environ 10 p. 100 de nos accidents, au maximum. Je ne me rappelle pas d'un seul cas l'année dernière d'un accident causé par des problèmes mécaniques sur les 10 accidents que nous avons eus.

Le sénateur Bacon: Existe-t-il une concurrence dans le secteur des hélicoptères qui obligerait les transporteurs à réduire leurs frais d'entretien et de réparation?

M. McCutcheon: La déréglementation entraîne une augmentation du nombre de concurrents. La plupart des compagnies comprennent que leurs appareils doivent être entretenus pour répondre à certaines normes. Transports Canada va venir examiner vos livres pour s'en assurer.

Le sénateur Bacon: Est-il possible de réduire les coûts d'entretien?

M. McCutcheon: Oui, c'est possible.

Le sénateur Bacon: À cause de la concurrence?

M. McCutcheon: Les gens l'ont peut-être déjà fait dans le passé.

Le sénateur Bacon: Y a-t-il une forte concurrence entre les différentes entreprises d'hélicoptères?

M. McCutcheon: C'est un secteur très concurrentiel. La concurrence varie d'une année à l'autre, selon la quantité de travail. Les trois dernières années ont été très bonnes.

Le sénateur Bacon: Insistez-vous auprès de vos pilotes sur l'importance des mesures de sécurité? Je suppose que vous y consacrez une formation spéciale.

M. McCutcheon: Oui. Tous les ans chaque pilote reçoit au minimum une heure de formation pour chaque type d'hélicoptère qu'il pilote. Ensuite il fait un vol de vérification d'une heure avec un pilote inspecteur pour s'assurer qu'il a bien appris sa leçon. C'est le minimum. Si quelqu'un a besoin de plus de formation, ou si nous devons faire un travail spécialisé, le pilote reçoit une formation supplémentaire afin d'être à la hauteur.

Les clients s'attendent à ce que le pilote soit bien formé. Ils savent ce qu'un pilote devrait pouvoir faire. Si vous leur envoyez quelqu'un qui ne sait pas faire son travail, ils vous le font savoir.

Le sénateur Bacon: Si jamais je voyage en hélicoptère, est-ce que ce sera sécuritaire?

M. McCutcheon: Certainement.

Le président: Le travail à Voisey Bay représente tout un défi, probablement le défi le plus important auquel une entreprise de transport aérien ait jamais eu à faire face. Pourriez-vous nous parler un peu des nouvelles mesures de sécurité que vous songez à prendre et de l'aspect de sécurité en général?

M. McCutcheon: Transports Canada nous a aidés à Voisey's Bay. Nous étions là-bas et il y avait cinq ou six autres entreprises avec 20 hélicoptères. En tout, il y avait une cinquantaine d'appareils dans un rayon très limité. Le contrôle du trafic aérien est devenu difficile et Transports Canada nous a aidés en établissant une fréquence distincte à utiliser dans différentes régions. Nous avons établi des routes aériennes. Pour aller de tel endroit à tel autre endroit, il fallait suivre un parcours précis. Nous avons veillé à ce que tous les pilotes respectent ces parcours pour éviter des collisions en plein air. Il est normal de s'inquiéter avec un tel nombre d'appareils dans une zone limitée.

Étant donné le nombre de personnes de passage, nous avons mis au point une procédure pour les mettre au courant de la sécurité. Dès que quelqu'un arrivait sur le chantier, sur la propriété du client, nous organisions une visite et une séance d'information concernant la sécurité à proximité des hélicoptères. Nous avons également installé des clôtures pour empêcher les gens de circuler dans les endroits où se posent les hélicoptères. Nous avons aussi utilisé beaucoup de bimoteurs là-bas, parce que le terrain est tellement accidenté, c'est très dur.

Le président: Alors vous n'avez pas eu de surprise du point de vue sécuritaire?

M. McCutcheon: Non. Nous avons été surpris par le nombre d'aéronefs qui desservent la région.

Le président: Aviez-vous une tour portative ou est-ce que les messages se transmettaient d'un avion à l'autre?

M. McCutcheon: C'était d'un avion à l'autre. Dans la localité de Nain, il y avait une sorte de contrôle au sol. Il y avait quelqu'un à qui on pouvait parler à l'aéroport de Nain, quelqu'un qui pouvait donner des conseils.

Le président: Utilisiez uniquement les règles de vol aux instruments ou était-ce un régime mixte?

M. McCutcheon: C'était surtout les RVI avec un peu de RVV. Les avions qui font la navette de Goose Bay, font des vols RVV.

Le président: Pas d'excursion touristique?

M. McCutcheon: Non.

Le président: Qu'est-ce que vous aviez comme appareil là-bas?

M. McCutcheon: Nous avons des hélicoptères Bell 212, c'est-à-dire des bimoteurs ayant une capacité de 12 passagers.

Le président: Ont-ils un mécanisme de déglaçage ou une capacité limitée?

M. McCutcheon: Ils ne font pas de déglaçage. Aucun des appareils utilisés là-bas ne le fait. Et s'il y a du verglas, les hélicoptères ne sortent pas. Nous utilisons aussi des Eurocopters Astars 350, un appareil qui prend six passagers. Nous utilisons aussi les Twin Stars, c'est-à-dire les modèles bimoteurs de l'Astars. Nous utilisons beaucoup de Bell JetRangers et des LongRangers aussi.

Le président: Concernant vos activités outre-mer, vous dites que lorsque vous êtes en Indonésie, vous respectez les exigences indonésiennes. Vous conformez-vous aux normes canadiennes en ce qui concerne l'entretien et la sécurité?

M. McCutcheon: Pour ce qui est des normes de vol, d'entretien et de sécurité, si les règles canadiennes sont plus exigeantes, nous nous y conformons. Si la règle locale est plus exigeante, nous la respectons. En Thaïlande, ils suivent essentiellement les règlements canadiens. Ils font affaire avec Transports Canada pour ce qui est des règles et procédures.

Dans certains pays où nous allons, nous sommes les premiers à faire ce genre de travail, alors on se sert des règlements canadiens, c'est-à-dire les premières normes auxquelles ils ont été exposés.

Le président: Ce sont les normes canadiennes qui sont adoptées?

M. McCutcheon: Beaucoup de nos clients sont des sociétés américaines ou britanniques et elles choisissent une entreprise canadienne, qu'il s'agisse de Canadian Helicopters ou certains de nos concurrents, simplement à cause de la réglementation canadienne et notre façon de travailler.

Le président: Les équipages des appareils que vous utilisez au Royaume-Uni, sont-ils généralement britanniques?

M. McCutcheon: British International est une entreprise distincte qui n'emploie que des pilotes britanniques. Il est très difficile pour des Canadiens de travailler au Royaume-Uni, c'est presque impossible.

Le président: En est-il de même en Indonésie?

M. McCutcheon: Non. Ils reconnaissent le permis canadien et ils nous autorisent à travailler. Au fur et à mesure que le pays se développe et se dote de son propre secteur de l'aviation, il a tendance à nous renvoyer au Canada, comme cela s'est passé en Inde. Au milieu des années 70, Okanagan Helicopters a beaucoup travaillé en Inde. Ensuite les Indiens ont décidé de prendre la relève et ils ont utilisé les hélicoptères de l'armée pour nous remplacer.

Le président: Nous allons faire des recommandations concernant la Loi sur l'aéronautique pour remplacer la version qui date de 70 ou 80 ans. Pourriez-vous pendant quelques instants nous parler de ce que vous aimeriez voir dans une nouvelle Loi sur l'aéronautique, instamment la réglementation, la propriété canadienne, la délivrance des permis ou les heures d'opération?

M. McCutcheon: Nos services sont internationaux. De même, l'arrivée des exploitants américains au Canada nous inquiète. Nous avions certaines préoccupations au sujet du libre-échange. Pourvu que les Américains travaillent selon les normes canadiennes et qu'ils entretiennent leurs aéronefs conformément aux normes canadiennes, la concurrence est équitable. Il faut que nous soyons sur un pied d'égalité. Si tout le monde joue selon les mêmes règles, il y aura plus de sécurité, parce qu'on aura une bonne concurrence continue et personne ne devra arrondir les coins parce que tout le monde fonctionne essentiellement de la même façon. À ce moment-là, il incombera aux clients de choisir le niveau de service qui leur faut.

Le président: Est-ce qu'on arrondit les coins dans votre secteur, monsieur McCutcheon?

M. McCutcheon: Cette possibilité existe de façon générale, oui.

Le président: Où est-ce qu'on arrondit les coins, croyez-vous que c'est au détriment de la sécurité?

M. McCutcheon: À court terme, probablement que non, mais si vous avez l'habitude d'arrondir les coins pour réaliser une tâche, il y a quelque chose qui cloche dans la façon de procéder et cela finira par vous rattraper.

Le président: Je parle par exemple de l'achat d'une bougie d'allumage volée qui n'a pas été recensée.

M. McCutcheon: On voit très peu de cela au Canada. J'ai peut-être été un peu à l'abri de cela, parce qu'à Canadian Helicopters nous faisons très attention lorsque nous achetons des pièces. Si nous achetons quelque chose d'une compagnie américaine, nous nous rendons sur place pour vérifier la compagnie et ses normes d'entretien.

Aux États-Unis, il y a beaucoup d'anciennes pièces militaires qui sont disponibles. Elles ne satisferont peut-être pas les normes exigées par le fabricant, Bell Helicopters à Montréal. C'est un problème dans l'industrie, surtout aux États-Unis et dans les pays de l'Extrême-Orient. Au Canada, les compagnies, pour la plupart, font très attention à ce qu'elles achètent car elles pourraient se retrouver dans une situation où elles ont une pièce sur un aéronef et où Bell Helicopter dit: «Cet appareil n'est plus autorisé à voler jusqu'à ce que la pièce soit changée.» Ça arrive.

Le président: Comment obtiendriez-vous une telle pièce, d'un fournisseur?

M. McCutcheon: Elles font surface dans le réseau.

Le président: Comme un virus?

M. McCutcheon: Oui, comme un virus. Les grands transporteurs aériens comme Air Canada et CP doivent faire très attention à l'origine de leurs pièces. J'ai déjà entendu des exploitants dire qu'ils ont acheté des pièces d'une compagnie en Floride qui n'a fait que rincer, nettoyer et mettre une étiquette sur la pièce pour indiquer qu'elle avait été réparée. Ces gens sont sans scrupule.

Le président: Si vous regardez quelque chose que vous pouvez tenir dans votre main et qui fait partie d'un équipement qui vaut 50 000 $, et quelqu'un en a un à vendre pour 2 000 $, vous avez intérêt à y penser à deux fois?

M. McCutcheon: La tentation est forte. Nous faisons très attention à l'origine des pièces que nous achetons. Nous vérifions. Nous avons des clients qui viennent chez nous pour vérifier. Récemment, Broken Hills Proprietary Company de l'Australie est venue vérifier nos dossiers d'entretien ainsi que nos dossiers sur les normes de vol. Les représentants nous ont même demandé où nous avions obtenu certaines pièces. Vous devez leur montrer l'origine de la pièce. Vous devez être en mesure de la retracer à la nouvelle pièce d'origine de Bell Helicopter à Montréal. Ce sont les normes que nous respectons. Les compagnies sont, pour la plupart, comme ça, et elles respectent ces normes.

Le président: Même avec les licences de Bell, il faut faire attention.

M. McCutcheon: Oui. Bell fait attention aussi. La compagnie vérifie auprès de ses fournisseurs pour assurer qu'ils fournissent des pièces d'origine aussi.

Le sénateur Adams: Je vis dans les Territoires du Nord-Ouest, et dans certaines de nos collectivités, il y a beaucoup d'hélicoptères. Si vous avez un contrat avec une compagnie minière ou pétrolière, comment établissez-vous le contrat? Est-ce en fonction des heures de vol ou du nombre de voyages? Comment est-ce que cela marche?

M. McCutcheon: D'habitude, c'est en fonction du nombre de jours et du nombre d'heures par jour. En été, si vous regardiez un graphique sur le temps de vol des compagnies d'hélicoptères canadiennes, vous verriez une courbe en cloche inversée. Elle monte en été -- entre mai et septembre -- et descend rapidement. La période de novembre à janvier est très calme. En été, nous avisons nos clients qu'ils doivent payer un minimum de quatre heures. Autrement dit, nous fixons un nombre d'heures minimal, pour lequel ils doivent payer chaque jour. Les contrats sont presque tous comme cela. Les clients savent que le travail, surtout dans le Nord, doit être fait entre mai et juillet. On fait énormément d'heures de vol l'été et l'hiver les clients étudient les résultats.

Le sénateur Adams: Avez-vous des taux horaires ou quotidiens?

M. McCutcheon: C'est une combinaison du taux horaire, plus le nombre de jours.

Le sénateur Adams: Je viens de Rankin Inlet. Parfois, deux ou trois hélicoptères se trouvent là-bas l'été, au service d'une compagnie minière. Avez-vous une règle régissant le nombre d'heures que les pilotes sont autorisés à travailler par semaine? Il doit être difficile de faire venir un autre pilote s'il faut aller le chercher dans le Sud.

M. McCutcheon: Tout est réglementé. Chaque pilote est autorisé à travailler un maximum de 10 heures par jour. Il peut faire une journée de service de 14 heures. Il est autorisé à travailler 30 jours et ensuite il doit avoir trois jours de congé. On prépare d'autres règlements portant sur les normes pour les journées de service.

Le sénateur Adams: Que disent les règlements sur les charges qu'un hélicoptère est autorisé à transporter? Est-ce que les pilotes disent: «J'ai pris du retard. Comme je n'ai pas pu voler hier à cause du brouillard, je peux prendre un baril de plus aujourd'hui.» Est-ce la façon dont on fonctionne ou est-ce qu'il doit travailler en fonction du poids?

M. McCutcheon: C'est toujours en fonction du poids. Le fabricant fixe la masse brute maximale et la compagnie doit respecter cette norme. Vous avez donné l'exemple d'un pilote qui pourrait dire: «Comme je n'ai pas travaillé hier, je vais à dessein surcharger l'aéronef.» Si nous attrapons un pilote en train de le faire, il perdra son emploi. C'est aussi simple que cela. Il endommage non seulement l'aéronef à ce moment-là, mais nous serons obligés de payer à cause de cette surcharge, six mois ou un an plus tard. On se demande alors, pourquoi une telle pièce a été défaillante. C'était parce que Bill a régulièrement surchargé l'aéronef l'été dernier. Grâce à nos dossiers d'entretien, nous sommes d'habitude en mesure de voir si quelqu'un fait un mauvais usage de l'aéronef d'une façon ou d'une autre.

Le sénateur Adams: Des pilotes d'avion à flotteurs et des pilotes d'hélicoptères ont comparu devant le comité. Ils nous ont dit qu'il existe un règlement qui fixe un maximum de 10 à 12 heures de vol par jour. Croyez-vous qu'on devrait prolonger les heures parce que nous avons parfois 24 heures de soleil par jour, et à d'autres moments, du mauvais temps? En êtes-vous d'accord? Certains pilotes devraient-ils être autorisés à ajouter trois ou quatre heures de plus tous les jours pendant l'été?

M. McCutcheon: Transports Canada a établi des normes. Si tout le monde respecte ces normes, ces pratiques deviennent normales. Je pense que c'est mieux de laisser cela tel quel au lieu de faire des exceptions. Nous avons eu des projets par le passé -- et c'est là où je commence à me contredire -- ou il y a très peu d'heures de vol, ou la journée est très longue et ou le pilote peut dormir toute la journée et peut-être travailler une heure vers 21 heures. Ensuite, il se recouche, et il ne travaille pas avant 7 heures le lendemain matin, ou quelque chose du genre. D'habitude, nous insistons sur le fait qu'il y a des règles, des règlements, qui ne seront pas modifiés pour qui que ce soit. Donc il faut les respecter, et, au besoin, nous envoyons un deuxième pilote pour pouvoir profiter des journées plus longues.

J'ai juste une question et on l'a soulevée plus tôt; elle porte sur le dépistage des drogues et de l'alcool. La question devient un peu plus problématique pour nous, parce que nous avons des aéronefs au service de compagnies américaines, comme une grande société pétrolière américaine, et on nous demande de faire passer un test de dépistage à certains pilotes. Donc c'est devenu un problème pour nous.

Le sénateur Bacon: Quel genre de problème; un problème parce que les gens refusent de se soumettre aux tests?

M. McCutcheon: Jusqu'ici personne n'a refusé.

Le sénateur Bacon: Faites-vous les tests?

M. McCutcheon: Non, mais nos clients le demandent.

Le sénateur Bacon: Je ferai la même chose.

M. McCutcheon: C'est un sujet que les représentants des compagnies de chemins de fer et du transport routier ont soulevé; c'est un problème.

Le sénateur Bacon: Pourquoi un pilote refuserait-il de subir un test? Les gens de l'industrie du camionnage nous ont dit qu'ils ont des programmes, qu'ils font subir des tests aux employés et que 95 p. 100 des employés l'acceptent.

M. McCutcheon: La plupart des gens acceptent de le subir.

Le sénateur Bacon: Mais vous ne le faites pas?

M. McCutcheon: La plupart des gens acceptent de subir le test parce qu'il n'y a pas de problème.

Le sénateur Bacon: Avez-vous déjà essayé de mettre sur pied un programme? Vous êtes responsable de la sécurité, n'est-ce pas?

M. McCutcheon: Oui.

Le sénateur Bacon: Auriez-vous un programme de dépistage des drogues ou de l'alcool?

M. McCutcheon: Non, parce que nous avons pu comprendre qu'un tel programme ne serait pas permis en vertu de la loi, ou qu'il violerait les droits de la personne.

Le sénateur Bacon: Il peut être contesté, mais vous pourriez l'avoir pour assurer la sécurité de vos passagers. Si jamais je prends un de vos hélicoptères, je le demanderais.

M. McCutcheon: Je vous en prie.

Le sénateur Bacon: Il est préférable pour nous d'avoir un programme en place avant cela.

Le sénateur Roberge: C'est peut-être quelque chose que vous devriez commencer à examiner; commencez-vous à préparer un programme non pas uniquement pour les clients, mais pour d'autres qui ne le demandent pas?

M. McCutcheon: Normalement, les clients demanderont un test de dépistage des drogues et, en général, on surveille le comportement de nos gens.

Le sénateur Roberge: Si vous êtes responsable de la sécurité, c'est à vous d'assurer que les choses sont mieux faites. Ne devriez-vous pas examiner cela et faire des recommandations à vos patrons?

M. McCutcheon: Pour avoir un test antidrogue fait au hasard? Oui. C'est un sujet de préoccupation, bien sûr.

Le sénateur Bacon: Vous n'avez jamais envisagé cela?

Le sénateur Roberge: Allez-vous faire quelque chose à ce sujet?

M. McCutcheon: Non, nous n'avons jamais vraiment envisagé cette possibilité.

Le sénateur Bacon: Ne pensez-vous pas à ces choses-là?

M. McCutcheon: Quatre-vingt-dix-neuf pour-cent des gens qu'on voit n'ont pas de problème de drogues ou d'alcool.

Le sénateur Bacon: Comment pouvez-vous le savoir?

M. McCutcheon: L'industrie compte peu de monde. Il y a environ 3 000 pilotes d'hélicoptère au Canada.

Le sénateur Bacon: Vous me dites que personne n'a un problème d'alcool et d'autres drogues?

M. McCutcheon: Non, ce n'est pas ce que vous je vous dis. Je dis qu'en général, ils n'en ont pas.

Le sénateur Bacon: Si jamais je prends un hélicoptère, je ferai tester le pilote avant. Je vous tiendrai au courant.

Le président: Le prochain groupe à comparaître devant le comité est la Company of Master Mariners, et je leur demanderais de prendre place à la table. Capitaine, voudriez-vous faire quelques commentaires liminaires et ensuite nous passerons à des questions et réponses, afin de mettre le doigt sur des problèmes potentiels sur lesquels nous pourrions nous pencher plus tard, à la réflexion. Ceci étant dit, à vous la parole.

M. Alan Knight, capitaine de division, Division des Maritimes, Company of Master Mariners of Canada: Monsieur le président, sénateurs, je vous salue au nom de la Company of Master Mariners of Canada. Je vous présente le capitaine Douglas Wilson qui est le commandant national de notre organisme.

La Company of Master Mariners of Canada est une compagnie professionnelle qui représente des hommes et des femmes ayant les compétences requises pour commander un navire marchand canadien. Nos lettres patentes énoncent notre intention de témoigner devant des commissions d'enquête, des cours d'enquête, des comités et des commissions de toutes sortes sur toutes les questions qui touchent aux services de la marine marchande.

Aujourd'hui, je veux parler de trois sujets: la réglementation et son application, la formation, et les enquêtes sur les accidents. Commençons par la réglementation et l'application. L'industrie maritime au Canada est réglementée par la Direction de la sécurité maritime de Transports Canada, en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et des règlements connexes.

Le Canada a aussi signé beaucoup d'autres conventions internationales, y compris la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), La Convention internationale sur les lignes de charge, la Norme STCW, et la Convention 147 de l'organisation internationale du travail. Le Canada a intégré ces conventions dans ses lois nationales. Les conventions changent constamment à la lumière de nouvelles expériences et de nouvelles technologies.

Le 28 septembre 1994, le traversier pour passagers Estonia a coulé dans la mer Baltique et 852 personnes ont perdu la vie. La réaction de l'Organisation maritime internationale a été d'établir un comité d'experts pour étudier la sécurité des traversiers ro-ro. Comme le Canada utilise beaucoup de traversiers, il était bien sûr représenté. Les dispositions de la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer -- ainsi que les règlements de la SOLAS, régissant la conception et le fonctionnement des traversiers -- ont été modifiées de façon importante à une conférence organisée à Londres en novembre 1995. De plus, on a modifié les normes de l'IACS régissant la conception, le fonctionnement, la force et la fermeture des portes d'étrave. On est en train de mettre ces modifications en oeuvre sur les traversiers ruraux faisant des traversées internationales.

La Direction de la sécurité maritime de Transports Canada révise les règlements internationaux pour voir s'ils s'appliquent aux traversiers ro-ro faisant des voyages domestiques. Ces mesures sont appuyées par la Company of Master Mariners of Canada, qui recommande que le Canada adopte les normes internationales pour des raisons de sécurité et pour garantir la valeur de revente des traversiers canadiens vendus à l'étranger à la fin de leur vie utile au Canada.

Quelques années auparavant, le traversier britannique Herald of Free Enterprise avait coulé à Zeebrugge, causant la perte de 159 âmes. On a compris que la plupart des accidents ne sont pas simplement causés par une défaillance d'équipement, mais par la non-observation des pratiques de gestion, en mer et sur terre. On a donc exigé que l'industrie maritime soit obligée d'adopter des normes de bonnes pratiques de gestion, comme celles de la série ISO 9000. Conséquemment, l'OMI a mis au point un code régissant les pratiques de sécurité, le International Safety Management Code, qui s'appliquera à tous les navires à passagers, les traversiers, les pétroliers et les vraquiers, dès juillet 1998.

Le coût de ces procédures de vérification obligatoires inquiète certains armateurs canadiens, qui songent à demander une exemption pour les navires canadiens qui ne circulent qu'au Canada. Même si nous comprenons pourquoi cela leur cause des problèmes dans un marché concurrentiel, d'après nous les économies créées par des lignes de commande bien définies sont réelles. Si les armateurs canadiens n'appliquent pas le code de sécurité, le Canada deviendra comme un ghetto, et ses armateurs ne pourront pas affronter la concurrence des marchés internationaux. Nous estimons donc que les armateurs canadiens auraient avantage à adopter ces normes internationales.

Malheureusement, jusqu'à dix vraquiers coulent ou disparaissent chaque année. Beaucoup de marins perdent leur vie de cette façon, et l'IACS -- l'Association internationale des sociétés de classification -- a adopté des exigences d'inspection plus rigoureuses pour les vraquiers. Étant un exportateur important de matières premières, le Canada utilise beaucoup de vraquiers, et a donc établi le Canadian Bulk Carrier Inspection Program, qui est géré par la Direction de la sécurité maritime de Transports Canada. Le programme a aidé à identifier les vraquiers ayant de graves défaillances d'équipement, qu'on a donc empêchés d'aller en mer.

On a aussi réalisé que des échappatoires contenues dans la norme STCW permettaient à certains pays d'inonder le marché du travail de marins n'ayant pas la formation voulue. En conséquence, on a adopté la Convention STCW de 1995.

Il y a donc une masse de lois internationales dont le Canada est signataire. En octobre de 1996, la Compagny of Master Mariners a organisé une conférence à Halifax pour réviser toutes ces lois dans un contexte canadien. M. Nick Mulder, qui était ministre adjoint de Transports à l'époque, a participé à la conférence, ainsi que des hauts fonctionnaires de Transports Canada, de la Garde côtière, du ministère des Pêches et des Océans, des armateurs, des sociétés de classification, des avocats maritimes, des affréteurs, des hydrographes, et des experts maritimes. Nous avons entendu beaucoup d'orateurs experts pendant la conférence. Après cela, une série d'ateliers a servi à développer des recommandations en vue d'adopter des mesures de sécurité maritimes que le Canada pouvait prendre. Après cela, en novembre 1996 à Vancouver, le président de la conférence -- le capitaine Angus McDonald -- a présenté les recommandations découlant de ces délibérations, au ministre de Transports.

Tout le monde au sein du gouvernement et au sein de l'industrie est d'accord sur le fait que la Loi sur la marine marchande du Canada est périmée et a besoin d'être révisée. On est en train d'effectuer cette révision, avec l'aide de la Company of Master Mariners of Canada. La plupart des aspects que nous révisons sont nécessaires et ne suscitent aucune controverse, mais il y a une proposition qui inquiète de beaucoup la Company of Master Mariners. On propose en effet de permettre à Transports Canada de déléguer les inspections de navires aux sociétés de classification comme Lloyds, American Bureau of Shipping, Det Norske Veritas, et Bureau Veritas. Ces sociétés de classification sont des compagnies étrangères à but non lucratif, qui exercent leurs activités par le biais de comités canadiens.

Depuis quelques années, l'industrie maritime se préoccupe de la qualité des inspections faites par les sociétés de classification. Et avec raison puisque sur les 149 navires retenus par Transports Canada en 1995 parce qu'ils avaient des défaillances tellement graves qu'il leur était interdit de naviguer avant que les réparations ne soient effectuées, tous avaient un certificat de sécurité valable délivré par une société de classification.

Les préoccupations au sujet des sociétés de classification ont été renforcées par une série d'accidents de pollution, dont le plus grave était celui provenant du pétrolier Amoco Cadiz, qui a échoué et qui s'est démoli sur la côte ouest de la France en 1976. Quelque 200 000 tonnes de pétrole se sont déversées dans les zones de pêche et sur les plages touristiques. Pour empêcher qu'une telle catastrophe se reproduise, on a établi le Memorandum d'accord sur le contrôle de l'État du port, dans lequel les pays membres de la CEE se sont engagés à faire une inspection de tous les navires qui font escale dans leurs ports et de s'assurer qu'ils se conforment aux exigences des conventions internationales.

Le Canada qui était un membre associé, est devenu membre à part entière en 1992. Le Canada est aussi membre du Pacific Rim Port State Control Organization, qui a son siège social à Vancouver. Nous jouons donc un rôle central dans la sécurité maritime dans l'océan Atlantique et dans l'océan Pacifique.

En vertu des dispositions du Memorandum, le Canada effectue des inspections des navires qui font escale dans ses ports, et évaluent leur condition. Si on trouve des défaillances, les réparations doivent être effectuées avant que le navire retourne en mer. Les détails des inspections sont entrés dans une banque de données, auxquels tous les pays signataires ont accès. Son importance pour la sécurité maritime est démontrée par le fait qu'en 1995 -- la dernière année pour laquelle on ait des chiffres -- le Canada a inspecté 1 348 navires, dont 149, soit 11,5 p. 100, avaient des défaillances tellement graves qu'ils n'ont pas reçu l'autorisation de retourner en mer avant qu'elles ne soient réparées.

Il est impossible de quantifier les montants que le Memorandum a fait économiser en accidents de pollution qui ont été évités, en carburant que les avions de recherche et de sauvetage n'ont pas brûlé, en vies que les marins n'ont pas perdues. Mais il est certain que ce Memorandum est une assurance très peu coûteuse pour les contribuables canadiens et pour l'environnement canadien.

J'aimerais passer à la formation. La récession grave des années 80 a affaibli la position financière de beaucoup d'armateurs partout au monde. Pour réduire leurs coûts et survivre, ils ont retiré leurs navires des registres de pays avec une tradition maritime comme le Canada, les États-Unis et Grande-Bretagne -- des pays qui ont des normes rigoureuses et des marins syndiqués -- pour les immatricules dans des États où ils battent pavillon de complaisance et profiter ainsi de frais d'inscription moins élevés, d'avantages fiscaux et dans certains cas de régimes de sécurité beaucoup moins rigoureux. De plus, les États offrant les pavillons de complaisance n'exigent pas que les armateurs engagent leurs citoyens comme équipage. L'armateur pouvait donc utiliser des équipages du tiers monde, souvent très mal payés. Beaucoup n'avaient pas la formation voulue, et la qualité est tombée, et il fallait donc le contrôle de l'État du port.

Il y a eu un autre effet: le recrutement et la formation des marins dans les pays industrialisés a presque cessé. Cela veut dire qu'en 1997, le Canada -- tout comme les autres pays de l'OCDE -- a une main-d'oeuvre vieillissante. D'après le rapport de BIMCO/ISF/Warwick University de 1995 -- intitulé The Worldwide Demand for and Supply of Seafarers, dont je vous donnerai une copie, la plupart des officiers citoyens de pays de l'OCDE ont entre 31 et 50 ans. Cinquante-sept pour cent des officiers tombent dans ce groupe, 15 p. 100 des officiers ont entre 51 et 55 ans, et 7 p. 100 ont plus que 55 ans.

La situation au Canada a été très bien décrite dans un rapport de Peat Marwick Stevenson et Kellogg, publié en 1992 et intitulé Études des ressources humaines dans le secteur du transport maritime canadien. Il est vrai que le rapport a été rédigé pendant que l'économie canadienne et l'industrie maritime traversaient une période de récession profonde, mais il peint un portrait assez décourageant d'une population active vieillissante, de navires qui ont fait leur temps, d'investissements qui diminuent, de recrutement qui baisse, et de possibilités de carrières qui disparaissent. Même si, heureusement, l'économie canadienne est en train de se rétablir et l'industrie maritime aussi, le problème de formation et de recrutement n'a pas disparu.

Le fait qu'il y ait eu si peu de recrutement pendant les années 80 causera de nombreux problèmes pour la sécurité maritime au Canada. En tant que principale nation commerçante, le Canada a besoin d'un grand nombre de personnes ayant une expérience maritime solide dans les postes à terre, comme inspecteurs de navires et administrateurs du gouvernement, directeurs de ports, pilotes, surintendants des dockers, évaluateurs d'assurance, officiers de contrôle antipollution, équipages de remorqueurs, gestionnaires de navires, affréteurs de navires, réparateurs de navires, enquêteurs d'accidents... il y en a beaucoup.

Il faut aussi tenir compte des besoins sur le plan de la défense nationale. Pendant la Guerre du Golfe, nous avons vu que même les Forces armées des États-Unis avaient une grave pénurie de marins marchands. Un porte-conteneurs de la flotte de réserve américain est parti à la guerre avec des munitions vitales et un ingénieur en chef qui avait 84 ans... car il était le seul à avoir un certificat de machine à vapeur. C'est seulement comme ça que les États-Unis ont pu mobiliser leur machine de guerre.

Des mutineries parmi équipages du tiers monde qui refusaient d'aller en guerre étaient choses courantes, mais les médias n'en parlaient pas.

Si vous voulez avoir des hommes et femmes qui ont l'expérience et les compétences voulues pour assurer la sécurité maritime au Canada, vous devez commencer à les former dix ans avant d'avoir besoin d'eux. C'est le temps qu'il leur faut pour acquérir l'expérience nécessaire pour devenir officier supérieur. De plus, il ne faut pas oublier le stress extraordinaire qu'une vie de marin met sur la vie de famille. Donc moins de 10 p. 100 de ceux qui deviennent marins atteindront le rang d'officier supérieur.

Si le Canada n'a pas le personnel qu'il faut pour que son système de transport fonctionne convenablement, toutes les autres questions de réglementation et d'application perdent leur importance. Ce n'est pas une question théorique. Nombre des nations maritimes d'Europe connaissent une grave pénurie d'officiers formés, laquelle est directement attribuable au manque de recrutement dans les années 80. Dans les années 90, quand Holland-America Line, une compagnie maritime néerlandaise, a construit six nouveaux navires de croisières, elle a constaté qu'il n'y avait plus d'officiers néerlandais et elle a dû engager des officiers britanniques pour constituer l'équipage de ces navires prestigieux. C'est comme si Air Canada devait engager des pilotes américains parce qu'il n'y avait pas de pilotes canadiens.

De plus en plus de marins européens prennent leur retraite ou passent à des postes de gestionnaires à terre. Leurs employeurs parviennent à les remplacer seulement en engageant des marins du tiers monde et en leur accordant la citoyenneté. Si le Canada veut continuer à avoir ses propres marins, il faut faire des places pour les jeunes hommes et femmes. La Company of Master Mariners comprend très bien que cela est difficile étant donné les compressions budgétaires. La Garde côtière canadienne était traditionnellement un centre d'excellence, mais n'a plus les fonds voulus pour former un grand nombre de marins. Les armateurs commerciaux au Canada reconnaissent l'importance de la formation, mais peuvent seulement former un petit nombre de gens.

Les officiers de la Marine royale canadienne placés à l'extérieur sont excellents, mais ne sont pas nombreux. De plus, ils ont besoin de formation supplémentaire pour comprendre le côté commercial. La Nautical Professional Society de la Colombie- Britannique, qui est associée à la Company of Master Mariners, essaye de trouver des places pour les jeunes officiers sur des navires étrangers, pour qu'ils puissent acquérir de l'expérience. La Company of Master Mariners du Canada travaille aussi en partenariat avec la Honourable Company of Master Mariners de Grande-Bretagne pour développer un programme de mentorat, ou d'encadrement, pour guider les jeunes officiers dans leur carrière.

Ces initiatives sont toutes valables, mais aucune ne va suffire pour donner au Canada le nombre de marins qu'il lui faudra à l'avenir. Nous devons accepter que le Canada fait concurrence dans un marché mondial pour une ressource qui devient de plus en plus rare -- des marins expérimentés. Le Canada a aussi un autre désavantage: la plupart de nos concurrents en Europe accordent des allégements fiscaux -- 100 p. 100 -- aux marins qui restent hors du pays pendant six mois de l'année. Comme le Canada ne fait pas de telles concessions, beaucoup de marins canadiens s'exilent pour des raisons fiscales.

L'organisation de la formation des marins au Canada, l'instruction étant financée par les provinces tandis que les examens et l'accréditation sont assurés par le gouvernement fédéral, fait qu'il est difficile de se faire une idée de l'état de l'offre et la demande au niveau de la main-d'oeuvre maritime. L'étude des ressources humaines dans le secteur du transport maritime canadien, dont j'ai parlé tout à l'heure, recommande la mise sur pied d'un conseil consultatif de formation maritime. Ce rapport est sorti en 1992 et aucun conseil du genre n'a encore été créé, mais la Company of Master Mariners of Canada croit qu'un tel conseil composé de bénévoles non rémunérés pourrait jouer un rôle important au niveau de la collecte et de la dissémination des données et pourrait servir à mettre le doigt sur les problèmes qui se pointent à l'horizon avant qu'ils ne se transforment en crise.

Je passe maintenant au domaine des enquêtes sur les accidents. Pour assurer la sécurité de tout système de transport maritime, il est essentiel d'avoir des enquêtes efficaces en matière d'accidents. Après la catastrophe de la Arrow Air à Gander, Terre-Neuve, en 1985, on a créé le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports. Il a été conçu pour remplir le rôle d'organisme d'enquête multimodal qui, pour garantir son indépendance, relève non pas du ministre des Transports, mais du Conseil privé. Les enquêtes sur les accidents maritimes auparavant effectuées par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne et qu'on appelle maintenant la Direction de la sécurité maritime ont été confiées au Bureau d'enquête puisqu'il ne fallait pas que la Direction de la sécurité des navires soit à la fois l'organisme qui délivre les permis et, à la suite d'un accident, celui qui mène une enquête sur un ou plusieurs des navires qu'elle aurait elle-même accrédités. Malheureusement, dans le présent cas, le remède est pire que le mal.

Le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports est tout simplement l'ancien Bureau de la sécurité aérienne auquel on a greffé les éléments route, rail, pipeline et transport maritime. Malgré la présence d'inspecteurs de première ligne et d'expérience en matière d'accidents maritimes, la bureaucratie à niveaux multiples du Bureau d'enquête, dont la plupart n'ont aucune expérience dans le domaine maritime, a ralenti la production de rapports de façon démesurée: la norme est maintenant de trois ans pour produire un rapport à partir du moment de l'accident et une période de cinq ans est courante. Souvent, ces rapports passent à côté de questions d'intérêt vital, ou les sous-estiment, et le résultat en est que les enquêteurs de première ligne sont tout à fait démoralisés et renient parfois même leurs propres rapports qui, à leur avis, ont été si profondément remaniés qu'ils ne sont plus le reflet précis de l'enquête effectuée.

Le président: Capitaine, il s'agit là d'une accusation plutôt grave, n'est-ce pas, soit que des gens changent le contenu des rapports d'accident rédigés par les enquêteurs?

M. Knight: Oui. Ces rapports ont tellement d'étapes à franchir, monsieur le sénateur, que si un seul mot est changé à chaque étape, le document final ne ressemble plus guère à l'original.

Le sénateur Bacon: Et ça arrive?

M. Knight: Oui. Je pourrais vous nommer des enquêteurs à qui c'est arrivé, mais je ne suis pas prêt à le faire. Ce sont des hommes que je connais personnellement.

Le président: Cela pose un dilemme. La réputation des enquêteurs doit être protégée ainsi que celle du bureau. Je suis un peu choqué et très déçu d'entendre cela. J'aurais cru que l'intégrité, la crédibilité des enquêteurs et du processus... Je suis désolé, continuez, je veux réfléchir un peu à tout cela. C'est une accusation très sérieuse et je suis heureux que vous n'ayez rien caché, que vous ayez été assez franc pour nous en faire part. Parce que cela nous oblige à penser à la méthodologie en matière de sécurité, sans oublier l'intégrité du processus, question qui doit être prise absolument au sérieux par notre comité sans parler des usagers.

M. Knight: Absolument.

Le président: Continuez. Je ne voulais pas vous interrompre si brusquement.

M. Knight: La Company of Master Mariners of Canada fait très peu confiance au Bureau de la sécurité tel qu'il est constitué à l'heure actuelle. Quand le Parlement a créé le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, le mandat prévoyait qu'après cinq ans un comité de révision devrait étudier l'efficacité du tout. Ce comité, relevant de M. Louis Hyndman, c.r. a été créé et a fait le tour du pays en 1993, recueillant des données qui ont été compilées dans un rapport intitulé Mission sécurité et critiquant vertement le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports surtout dans les domaines de la qualité des rapports et du retard à les publier.

À la suite de la publication du rapport Mission sécurité, le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports a assuré au milieu maritime qu'il réagirait aux conclusions de la Commission d'enquête et d'ailleurs, je dois dire que pendant un certain temps, l'information nous a été présentée plus rapidement. Or, la Commission d'enquête Hendon n'étant plus aujourd'hui qu'un souvenir de plus en plus vague, le Bureau canadien d'enquête est retombé dans ses bonnes vieilles habitudes, et il lui faut à nouveau trois ans pour produire des rapports. Mais si l'on veut vraiment qu'une enquête suivant un accident soit valable, il faut que les conclusions des rapports soient transmises le plus rapidement possible à l'industrie, afin que celle-ci puisse éviter d'autres dangers potentiels. Prenons un exemple, celui du rapport numéro M93C0003, intitulé Collision entre le vraquier NIRJA et le navire-citerne Hamilton Energy, à Hamilton, en Ontario, le 11 décembre 1993. Ce rapport contenait d'importantes recommandations portant sur la fatigue et ses conséquences sur le jugement et la perception. Or, il a fallu attendre trois ans, soit jusqu'au 23 décembre 1996, avant que le rapport soit publié. Pourquoi faut-il qu'un rapport sur un sujet d'une telle importance doive attendre trois ans avant d'atteindre l'auditoire auquel il est destiné?

Toutes les lettres de plaintes que la Company of Master Mariners a adressées au Conseil privé ont fait l'objet d'une réponse non compromettante du genre: «Vos commentaires ont été envoyés au président du Bureau de la sécurité des transports». Rien ne semble démontrer que le Conseil privé exerce quelque surveillance ou quelque influence que ce soit sur le Bureau de la sécurité des transports, et nous avons l'impression que le Bureau canadien d'enquête sur les accidents n'est soumis à aucune forme de surveillance de la part du Parlement. Nous ne pouvons qu'être d'accord avec le rapport de la Commission Hendon qui posait la question suivante, à la page 9:

La nouvelle loi apporte-t-elle une solution au type de problèmes apparus au Bureau de la sécurité des transports du Canada? Nous ne pouvons conclure que par la négative, et que de nouvelles difficultés sont apparues depuis.

La Commission d'enquête Hendon n'étant qu'un souvenir qui s'estompe, la Company of Master Marines of Canada se tourne vers le sous-comité sénatorial pour lui demander d'être cette chambre de réflexion qui pourrait suggérer les mesures pouvant remédier à l'état lamentable où en est le milieu des enquêtes sur les accidents maritimes au Canada.

Le sénateur Roberge: Notre comité pourrait-il recevoir des copies de ces lettres que vous avez écrites pour vous plaindre?

M. Knight: Oui, je crois que je les ai chez moi.

Le sénateur Roberge: Cela pourrait nous être utile. Mais je laisserai le président vous le demander officiellement.

Revenons à quelque chose que vous avez mentionné au tout début. Vous avez dit que le ministère des Transports cédera en sous-traitance à une ou plusieurs sociétés de classification tous les besoins du ministère; vous avez également dit, si je vous ai bien compris, que certaines de ces sociétés de classification délivrent des certificats de navigabilité qui pourraient être douteux?

M. Knight: Oui, c'est le cas.

Le sénateur Roberge: Que recommandez-vous? Recommandez-vous de laisser cette fonction au ministère des Transports ou de la confier plutôt à une autre organisation?

M. Knight: Je recommanderais qu'on la laisse entre les mains du ministère des Transports, pour la raison suivante: Comme les sociétés de classification sont payées directement par les armateurs, elles prêtent donc le flan aux pressions commerciales. Il y a 25 ans, une société de classification était en fait un club de pays industrialisés qui coexistait avec l'OCDE, en quelque sorte. Or, au cours de l'époque postcoloniale, nombre de pays ont formé leurs propres sociétés de classification, dont plusieurs d'entre elles ne sont rien de plus que des titres avec de piètres dossiers d'inspection.

Il existe également une foule de preuves indiquant que la corruption existe parfois, surtout dans les pays du tiers monde. Je ne dis pas que cela ne se produira jamais au Canada, mais je crois que la déclaration de Copenhague, que le ministre Young a signée en 1995, stipulant que les inspecteurs en vertu du Memorandum seraient des fonctionnaires, ce qui garantirait leur indépendance. Une société de classification peut toujours se faire dire par un armateur sans scrupules que faute de se voir délivrer un certificat, il se tournera vers l'une des nombreuses autres sociétés de classification qui ne se fera aucun scrupule de le lui délivrer; et ce n'est pas une menace en l'air, si l'on songe qu'il y a plus d'un cinquantaine de ces sociétés de par le monde.

Le sénateur Roberge: Si le ministère des Transports sous-traitait cette responsabilité combien cela représenterait-il comme épargne? Beaucoup ou pas?

M. Knight: J'ai l'impression que ce serait illusoire.

Le sénateur Roberge: Je comprends, mais je voudrais bien avoir des chiffres.

M. Knight: Il m'est très difficile de vous donner des chiffres, puisque les sociétés de classification sont des compagnies privées qui ne divulguent leurs profits. On pourrait toujours rétorquer que le ministère des Transports pourrait en profiter pour réduire le nombre de ses inspecteurs maritimes, mais il ne faut pas oublier que le Canada ne peut pour autant déléguer sa responsabilité. Vous trouverez partout dans les documents des sociétés de classification une mention en petits caractères disant qu'il ne s'agit pas d'un document de navigabilité et qu'on ne peut pas les poursuivre.

C'est une question de très grande actualité dans le monde maritime aujourd'hui, car il y a déjà eu plusieurs accidents. Rappelez-vous le navire Sundancer qui a coulé au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique. Le Sundancer s'est d'abord échoué, puis a coulé. C'était le American Bureau of Shipping qui était la société de classification et elle ne s'était pas aperçue, au cours de l'inspection, de l'absence d'un clapet de retenue dans la tuyauterie transportant les eaux grises. Le propriétaire du navire a essayé de poursuivre l'ABS, en invoquant qu'il n'avait pas agi avec la diligence raisonnable. L'affaire est allée devant les tribunaux américains mais l'armateur a été débouté, à juste titre à mon avis, pour la simple raison que l'armateur est toujours responsable de la navigabilité de son navire et qu'il ne peut jamais déléguer cette responsabilité à qui que ce soit. C'est la même chose pour les gouvernements: vous pouvez bien déléguer les pouvoirs d'inspection, mais certainement pas votre responsabilité.

Le sénateur Roberge: N'existe-t-il pas d'autres organisations au Canada qui pourraient remplir ce mandat?

M. Knight: Pas que je sache.

Le sénateur Roberge: Pas même une association d'anciens capitaines, par exemple?

M. Knight: Mais l'American Bureau of Shipping a justement été créé par d'anciens capitaines, il y a une centaine d'années. Il est toujours possible de faire quelque chose si on a suffisamment d'argent et de temps, mais étant donné ce qu'est le marché d'aujourd'hui, je ne crois pas que cela soit une option souhaitable, sénateur.

Le sénateur Bacon: Je suis surprise d'entendre dire que vous avez du mal à recruter et à former des jeunes. Vous êtes-vous déjà rendu dans les écoles pour tenter d'intéresser les jeunes à devenir gens de mer?

M. Knight: Cela fait longtemps qu'il n'y a rien eu de fait en ce sens, certainement pas depuis 15 ans. Lorsque j'étais jeune dans les années 60, en Angleterre, il était courant que les sociétés de transport maritime fassent du recrutement. Mais évidemment, il y avait énormément d'emplois dans les années 60, et les compagnies se faisaient concurrence. Depuis 15 ans nous n'avons pas eu à souffrir de la pénurie de candidats, et personne n'a songé à trouver d'autres solutions.

Comme je l'ai dit plus tôt, les pays européens constatent aujourd'hui que la pénurie de recrutement des années 80 est aujourd'hui bien réelle, d'autant plus que les gens de mer de la génération des baby boomers sont à 5 ou 10 ans de leur retraite. En fait, le ministère des Transports a justement fait une étude maison il y a environ trois ans qui lui a permis de constater que 60 p. 100 de son personnel était à cinq ans de la retraite, je crois. Ce n'est pas uniquement le nombre d'entre eux qui est inquiétant, mais aussi la répartition selon l'âge.

Pour revenir à votre première question, il n'y en a aucun pour le moment, même si certaines compagnies canadiennes se rendent aujourd'hui compte de l'ampleur du problème qui les attend et tentent maintenant d'établir leurs propres programmes de formation. La difficulté, que j'ai déjà mentionnée, c'est l'énormité des pertes chez les marins, étant donné que les exigences de la vie familiale sont telles qu'ils quittent souvent le métier; ceux qui restent dans le métier pendant 30 ans, comme moi, sont vraiment des phénomènes. Le simple remplacement des baby boomers qui auront disparu dans 10 ans constituera un problème logistique de taille.

Le sénateur Bacon: Est-ce parce que le recrutement et la formation coûtent trop cher? Le recrutement coûte-t-il trop cher simplement parce que les gens ne restent jamais longtemps dans ce métier, à peine cinq ans parfois et rarement 30 ans?

M. Knight: C'est en effet un problème que nous avons constaté. Au début des années 80, les armateurs voulaient réduire leurs coûts à tout prix, et l'un des seuls secteurs où il leur était possible de résorber les coûts c'était dans le choix de l'équipage. Partout ailleurs, ils faisaient face en effet à des coûts essentiels: les paiements hypothécaires, l'assurance, le combustible, et cetera. En désespoir de cause, les armateurs ont alors mis à pied leurs équipages provenant des pays industrialisés pour les remplacer par des marins du tiers monde dont les salaires horaires étaient grandement réduits. Toutefois, ils constatent aujourd'hui que certains de ces équipages du tiers-monde sont très mal formés, que les réclamations d'assurance ont grimpé radicalement et qu'ils ne peuvent espérer la même qualité chez leurs officiers supérieurs.

Le sénateur Bacon: C'est là aussi un grave problème?

M. Knight: Oui.

Le sénateur Bacon: Si vous n'aviez qu'une seule recommandation à faire, que voudriez-vous que nous disions au Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité de transport?

M. Knight: Publiez vos rapports dans l'année.

Le sénateur Bacon: Vous ne parleriez que des rapports?

M. Knight: De plus, s'il s'agit d'un accident grave, il faudrait l'afficher sur une feuille de papier dans toutes les filiales de la Légion de tous les ports de pêche au Canada, et ce dans le mois suivant l'accident. Je vous donne l'exemple du naufrage du Capasby. Ce bateau de pêche, parti du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, a rencontré du très mauvais temps, et comme une porte étanche était restée ouverte, le bateau a sombré avec plusieurs membres de son équipage. Il y aurait beaucoup à apprendre en matière de sécurité de cet accident, et pourtant, il a fallu trois ou quatre ans avant que le rapport ne soit publié. Il est inconcevable que l'on ne puisse faire plus vite dans les cas d'une aussi grande importance. Je préférerais que l'on publie un rapport imparfait dans le mois suivant que d'avoir à attendre trois ans pour obtenir un rapport parfait.

Le sénateur Bacon: Rappelons-nous la catastrophe de l'Exxon Valdez, dû au fait, comme on nous l'a dit, que le pilote était en état d'ébriété au moment de l'accident.

M. Knight: Le pilote?

Le sénateur Bacon: Non, pas le pilote, mais le capitaine. Je flotte encore dans les airs.

Depuis cet accident, votre organisation fait-elle du dépistage de la consommation d'alcool ou d'autres substances?

M. Knight: Nous ne le faisons que très rarement, mais nous en menaçons souvent nos gens.

Le sénateur Roberge: Qu'entendez-vous par «menacer»?

M. Knight: Si vous soupçonnez que quelqu'un est en état d'ébriété, vous pouvez demander qu'il fasse l'objet d'un test de dépistage. C'est d'ailleurs habituellement une politique de la compagnie.

D'après moi, sénateur, cela ne pose pas de problème. Que je sache, aucun sociologue n'a écrit de thèse de doctorat là-dessus, mais je dois dire que la transformation de l'industrie maritime en 20 ans est assez extraordinaire: d'un groupe de gens qui buvaient raide, je crois qu'on est passé aujourd'hui à un milieu de gens qui s'abstiennent de consommer quoi que ce soit. On ne vous offre jamais de l'alcool sur des navires marchands ces temps-ci, sauf si vous vous trouvez sur un navire de l'ancienne Union soviétique. Pendant que j'étais capitaine de navire au Canada, c'est-à-dire pendant 7 ans et avec 20 navires sous ma responsabilité, je ne me rappelle qu'un seul incident qui ait été lié à l'alcool, et cela faisait suite à la maladie d'un membre de l'équipage. Nous avions été obligés d'embaucher avec un court préavis quelqu'un qui souffrait visiblement de problèmes d'alcoolisme, et que nous avons dû congédier peu après.

Étant donné que les armateurs ont dû réduire la taille de leurs équipages à ce point, partiellement pour épargner mais aussi grâce à l'automatisation, les équipages sont aujourd'hui assez restreints. Celui qui est en état d'ébriété oblige les autres à travailler pour lui, ce qui ne peut que le rendre très impopulaire auprès de ses collègues. Le coupable ne tiendrait pas le coup longtemps.

Que je sache ce n'est pas un problème dans notre milieu, même si ce qu'ont dit les témoins précédents, le pilote d'hélicoptère notamment, m'a beaucoup intéressé; vous me permettrez peut-être d'illustrer mes propos. J'ai été capitaine d'un bateau d'approvisionnement d'une installation de forage pétrolier battant pavillon canadien et qui se trouvait aux côtés d'une installation de forage pétrolier battant pavillon américain. Un jour, un type que je n'avais vu auparavant est venu nous voir sur la nacelle, accompagné de son chien. Il s'est rendu jusqu'à moi à la timonerie et m'a expliqué être là pour une opération de détection de drogue avec son chien. Je lui ai dit: «Un instant. D'abord, qui vous autorise à être ici?» Il m'a répondu avoir été embauché par la compagnie de forage pétrolier. Je lui ai expliqué qu'il s'agissait alors d'une compagnie américaine, alors qu'il se trouvait à ce moment-là en territoire canadien. Je lui ai fait comprendre que ses papiers n'avaient aucune force de loi en territoire canadien. Le type en question s'est montré très raisonnable et m'a expliqué qu'il connaissait bien les règles du jeu, puisqu'il était un ancien membre de la marine américaine. Comme il avait été envoyé sur mon bateau, il m'a demandé s'il pouvait rester quelque temps. Je lui ai offert du café, mon cuistot s'est occupé du chien, et l'affaire s'est terminée là.

Le problème qui pourrait peut-être survenir, c'est que nombre d'entreprises pétrolières sont américaines et ne comprennent peut-être pas ce qu'il faut entendre par souveraineté nationale. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu d'incident, mais cela pourrait toujours arriver.

Le sénateur Bacon: Les mesures de sécurité sont importantes.

M. Knight: Elles sont tout. À titre de capitaine de navire, mon premier devoir et ma première responsabilité la plus haute c'est d'assurer la sécurité de mon navire. Si je soupçonne qui que ce soit d'avoir consommé de l'alcool et des drogues, j'ai le devoir de m'en débarrasser.

Le sénateur Bacon: Avez-vous l'impression que les capitaines sont tous sensibles à cela?

M. Knight: Tout à fait. Les affréteurs, qui se trouvent à être souvent des compagnies pétrolières, stipulent habituellement dans la charte partie, soit leur contrat d'affrètement, que l'alcool et les drogues sont interdites.

Sénateur Adams: Vous avez parlé de problèmes que vous auriez avec certains des travailleurs maritimes. Je m'inquiète des entreprises qui peuvent embaucher n'importe quel étranger ou affréteur. Le Canada permet-il à une compagnie canadienne d'affréter un navire d'un autre pays pour transporter une cargaison, par exemple?

M. Knight: Si vous possédez un navire battant pavillon canadien, vous devez embaucher un équipage canadien. Plus tôt, je vous parlais d'affréteurs qui optaient pour un pavillon de complaisance, ce qui leur permettait d'embaucher des ressortissants de n'importe quel pays et de trouver, après avoir magasiné, l'équipage qui coûtait le moins cher, ce qui a déjà entraîné d'énormes problèmes dans l'industrie maritime. Aujourd'hui, le contrôle de l'État du port, qui relève de la Direction de la sécurité maritime du ministère des Transports, oblige à une inspection de la compétence de l'équipage. En effet, au titre de la norme ILO147 et de la Convention de 1978 et celle de 1995 sur la norme STCW, dès lors qu'un inspecteur du contrôle de l'État au port estime qu'un équipage n'est pas suffisamment formé, il peut d'office exiger la détention des membres de l'équipage ou ordonner qu'ils soient soumis à une formation plus poussée.

Sénateur Adams: Étant donné le nombre faramineux de navires qui voyagent aujourd'hui partout dans le monde, y a-t-il des spécialistes qui accompagnent certaines cargaisons? Supposons, par exemple, que vous transportiez certains produits dangereux. Les membres de l'équipage sont-ils au courant des critères de manutention de ces matériaux. En supposant que le spécialiste ne voyage pas à bord du navire, ne doit-il pas être transporté par avion, par exemple, jusqu'au lieu où se fera le déchargement? Comment fonctionne le système?

M. Knight: Ce n'est pas inconnu mais c'est plutôt rare, habituellement ça se fait seulement avec les matières dangereuses, les produits chimiques dangereux, les produits de cette nature, ou des cargaisons d'une extrême grande valeur; par exemple, un simulateur de vol d'avion ou quelque chose de ce genre. Dans de tels cas, un superviseur de cargaison, ou «super cargo» voyagerait avec cette cargaison pour s'assurer que la manutention se fasse comme il se doit.

Le sénateur Adams: Et est-ce que ces compagnies de transport maritime ont besoin de ce genre d'ouvrier qualifié?

M. Knight: En avons-nous besoin au Canada?

Le sénateur Adams: Oui.

M. Knight: Absolument. Nous avons besoin d'eux en tant qu'inspecteurs de l'État, mais il y a également plusieurs compagnies canadiennes qui en ont besoin à l'interne ou qui font appel à ceux qui figurent dans les pages jaunes pour les embaucher comme experts-conseils. Cependant, la seule façon d'acquérir de l'expérience dans ce domaine c'est en cours d'emploi, en faisant partie de l'équipage d'un navire qui transporte ce genre de cargaison.

Le sénateur Adams: Vous avez l'autorisation de certains des propriétaires... ou peut-être des gens qui ne sont pas propriétaires à part entière, maintenant que nous vendons beaucoup de produits à d'autres pays, surtout du bois d'oeuvre et d'autres produits de ce genre, par suite du libre-échange avec d'autres pays. Quelqu'un a mentionné le fait que le Canada a une bonne réputation pour la sécurité maritime. Que se produit-il, par exemple, si vous recevez un appel d'une compagnie de navigation grecque vous invitant à amener du personnel canadien, tel que l'ingénieur et le capitaine, tandis qu'eux fourniraient le reste de l'équipage. À ce moment-là, il se peut qu'un seul de ces Canadiens soit embauché pour travailler sur ce navire. Est-ce que cela pourrait être considéré légitime?

M. Knight: Rien n'empêche un équipage canadien de travailler sur un navire étranger. C'est au propriétaire d'embaucher qui bon lui semble, bien sûr.

Le sénateur Adams: La seule chose qu'il faut savoir c'est quels sont les tarifs, la différence de coût entre un navire et un autre pour ce qui est des heures?

M. Knight: Oui, voilà. L'exemple qu'on cite fréquemment c'est que si vous congédiez votre équipage canadien de 25 hommes, qui coûte environ 2,5 millions de dollars par année en frais de main-d'oeuvre et embauchiez un équipage de remplacement de Philippins, vos coûts passeront de 2,5 millions de dollars canadiens à environ 600 000 $. En outre, pour les pays de l'ancien Bloc soviétique qui cherchent maintenant désespérément des devises fortes, vos coûts seront même inférieurs à cela. C'est très difficile pour les compagnies de navigation canadienne d'être concurrentielles au chapitre des coûts de main-d'oeuvre.

Le sénateur Adams: Vous avez mentionné que vous avez travaillé sur les plates-formes de forage pétrolier, et je ne suis pas sûr du nom de cette plate-forme, celle qui appartenait à Mobil Oil, qui a coulé et où plusieurs personnes ont perdu la vie...?

M. Knight: Vous faites allusion au Ocean Ranger?

Le sénateur Adams: Oui.

M. Knight: Je ne me souviens plus de quelle compagnie pétrolière il s'agissait.

Le sénateur Adams: Y a-t-il eu des problèmes au niveau de l'enquête parce que cette plate-forme était américaine? En d'autres mots, l'accident devait-il faire l'objet d'une enquête par le gouvernement américain, ou est-ce que le gouvernement canadien a pu y participer? Comment cela a-t-il fonctionné? Êtes-vous au courant de cette situation?

M. Knight: Non je ne la connais pas très bien. Cependant, j'ai lu le rapport lorsqu'il a été publié. Habituellement, ce qui se produit dans de telles circonstances, c'est que les gouvernements collaborent et mènent une enquête conjointe.

Le sénateur Adams: La seule chose qui me préoccupe c'est si cela se produit dans les eaux canadiennes. Est-ce que l'enquête est menée selon la loi canadienne ou la loi américaine?

M. Knight: Les deux, parce qu'il s'agissait d'une plate-forme portant le drapeau américain.

Le président: Je serai très bref. Je vous redonnerai la parole plus tard. Cette question que vous avez soulevée à propos des rapports d'enquêtes qui sont récrits sans consultation avec l'auteur me dérange beaucoup. Le processus doit être faussé dans une certaine mesure. Si le problème et le malaise sont la durée qui s'écoule entre le moment de l'accident et la production du rapport, si c'est ça le malaise, nous devrions certainement trouver le moyen de le guérir, et je pense que c'est ce que vous nous suggérez. Cependant, si nous remédions à ce problème, d'autres choses pourraient se produire. D'après vous, comment devrions-nous procéder dans de tels cas.

M. Knight: D'après moi, tant que le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (CASB) sera structuré comme il l'est maintenant, avec ce système de rapport multicouches, on ne pourra contourner ce problème de la lenteur des rapports. J'estime qu'on devrait dire à un enquêteur sur le terrain «C'est votre enquête; faites-la. Vous avez trois mois pour préparer un rapport, le présenter au bureau et le défendre». Ce serait un peu comme défendre une thèse de doctorat. Le bureau devrait avoir l'expertise, ou au moins être capable d'aller chercher l'expertise soit à l'interne ou dans l'industrie, pour interroger l'enquêteur, pour trouver les points faibles de ses arguments, offrir des solutions de rechange auxquelles il n'a peut-être pas songé, et selon les résultats, peut-être réécrire ou restructurer le rapport. En fin de compte, cependant, il incombera à cet agent sur le terrain de remettre son rapport d'enquête au bureau et de le défendre.

Le président: Est-ce que la structure même du bureau nuirait au procédé que vous nous suggérez? La façon dont il est structuré?

M. Knight: D'après ce que je peux comprendre, selon la structure actuelle, chacun des membres du bureau devrait avoir une certaine expertise dans un ou plusieurs domaines du transport. Je comprends que c'est très difficile de satisfaire à ce critère, mais il y a une solution possible. Comme je le disais plus tôt, le bureau devrait avoir le droit de faire appel à des experts, tel qu'on le fait dans le système d'enquête britannique. Ils peuvent faire appel à des personnes qui ont une expertise particulière, que ce soit le transport du gaz liquéfié, les traversiers pour passagers, et cetera, pour le conseiller. Le bureau reste quand même responsable de la production du rapport et de l'interrogation des experts.

Notre système actuel n'est pas réaliste dans la mesure où il s'attend -- et exige -- que les membres du bureau possèdent de l'expertise ce qui n'est pas entièrement raisonnable, mais le système actuel les prive de la capacité de faire appel à des experts de l'extérieur.

Le président: Je ne savais pas ça. Vous nous avez certainement donné matière à réflexion, surtout pour ce qui est de l'équipage.

Le sénateur Roberge: À votre connaissance, pour ce qui est des retards dans la production des rapports, s'agit-il surtout d'accidents maritimes ou est-ce également le cas pour d'autres genres d'accidents concernant les lignes aériennes, les camions ou autres moyens de transport?

M. Knight: Je ne saurais répondre à cette question, sénateur. Je ne suis familier qu'avec le transport maritime.

Le sénateur Roberge: Savez-vous si un des membres du bureau a de l'expérience dans le transport maritime?

M. Knight: Il y a eu des changements de personnel récemment au bureau, et je ne connais aucun des membres actuels, alors je ne pourrais vous répondre. L'ancien représentant du transport maritime était le vice-amiral Hugh McNeil. Nous étions quelque peu inquiets à ce sujet parce que le monde des navires de guerre et celui des navires marchands sont très différents et à moins d'avoir quelqu'un avec cette expertise très particulière, ce qui me ramène à ma réponse antérieure au sénateur Forrestall, à moins d'avoir cette expertise maison, ou la capacité de faire appel à cette expertise lorsque le besoin s'en fait sentir, la qualité du rapport en souffrira.

Le président: Justement à ce sujet, une brève citation et nous allons conclure pour le moment.

M. Learn, un conducteur de locomotive dans l'Ouest, nous a dit -- et il mâchait ses mots encore moins que vous -- que bien qu'il n'y avait pas grand-chose qui se faisait, et que nous nous connaissions et nous respections les uns les autres, c'était très bien; une fois que le rapport de l'enquête est rédigé, l'affaire n'est plus entre nos mains. Dans 30 jours le rapport est à Ottawa et on ne le voit plus jamais. Il nous revient avec une note jointe qui dit «Nous avons apporté certains changements, êtes-vous d'accord?» Je pourrais vous expliquer ça plus en détail, mais je crois que c'est assez évident.

De toute façon, là où il voulait en venir, c'est qu'ils rédigent un rapport, il passe à quelqu'un d'autre, quelqu'un joue avec, 30 pages deviennent 5 pages, et cela n'a plus aucune ressemblance avec le rapport original. Ce problème ne se retrouve pas uniquement dans le domaine maritime, c'est la même chose avec le transport routier, quoique l'on peut présumer que c'est moins vrai pour ce qui est du transport aérien, du moins je l'espère, mais permettez-moi de vous assurer que la raison pour tout cela c'était d'éliminer le potentiel de conflit d'intérêts. C'était l'objectif lorsque j'ai rédigé ce projet de loi à l'origine: d'enlever à l'organisme de réglementation toute responsabilité ou toute connexion avec l'enquête qui peut résulter d'un accident concernant ces mêmes règlements. Je pense que c'était là un bon principe, et je crois que nous nous dirigeons dans cette voie, et je félicite les gouvernements qui se sont succédé non pas d'avoir accepté mon projet de loi mais parce que c'était une bonne idée de mettre tout cela au grand jour. Quelqu'un a dit: «C'est une bonne idée et je vais le rédiger moi-même.» Eh bien, c'est ce qui s'est produit. Nous prenons vos reproches à coeur. Ce sont des accusations très sérieuses, et nous allons examiner les faits de très près.

En attendant, capitaine, je sais que je parle pour tout le monde ici lorsque je vous exprime toute notre reconnaissance pour votre comparution, pour votre réflexion, pour votre exposé et pour votre franchise. Nous avons hâte de réfléchir à votre témoignage et à vos commentaires, et lorsque nous en serons au point où nous pouvons identifier les problèmes et chercher des solutions, nous voudrons peut-être vous rencontrer à nouveau.

M. Knight: Je serais heureux de revenir.

Le président: À moins qu'il n'y ait d'autres questions à régler, je crois que la plupart d'entre vous voulez quitter notre belle ville.

La séance est levée.


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