Délibérations du sous-comité de la
Sécurité
des transports
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 10 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 17 avril 1997
Le sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 12 h 15 pour étudier l'état de la sécurité des transports au Canada.
Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous reprenons nos audiences sur la question de la sécurité des transports au Canada. Nous recevons aujourd'hui des témoins de l'Association canadienne du camionnage. Nous vous souhaitons la bienvenue ici aujourd'hui.
Vous savez probablement que c'est à la suite d'une suggestion formulée par le sénateur Keith Davey il y a deux ans et demi que ce comité a vu le jour. Le sénateur Davey avait suggéré d'étudier la question de la sécurité du camionnage sur les routes. Une chose en entraînant une autre, nous étudions maintenant la sécurité en général. Les membres du comité avaient hâte de vous rencontrer parce que, en fait, c'est à cause de vous que nous existons.
Monsieur Bélanger, je vous demanderais de nous présenter vos collègues et de faire une déclaration d'ouverture, après quoi nous vous poserons des questions.
Gilles Bélanger, président, Association canadienne du camionnage: Monsieur le président, je suis accompagné de M. Graham Cooper, directeur, et de Michèle LeBlanc, directrice de la recherche.
Nous vous savons gré de cette occasion de vous donner le point de vue des 2 000 transporteurs routiers que nous représentons, de même que des faits et chiffres pour illustrer l'état de la sécurité du point de vue de l'industrie canadienne du camionnage. Nous vous avons remis un mémoire, des exemplaires de deux publications pertinentes, l'une intitulée Profil du transport routier au Canada et l'autre, Straight Talk on Fatigue & Alertness, de même qu'un exemplaire du Bulletin de la série d'informations techniques de novembre 1996. Nous ne lirons pas tout le mémoire, mais en soulignerons les éléments les plus importants. Nous nous ferons également un plaisir de répondre à toutes questions que vous pourrez avoir.
Nous avons eu l'occasion de lire les transcriptions des séances que vous avez tenues jusqu'à présent. Je crois que nous ne sommes pas vraiment surpris du dénigrement auquel certains intervenants se sont livrés au sujet du camionnage devant le comité. Nous pourrions, si nous le voulions, nous aussi décrier l'industrie du camionnage, mais la réalité est telle au Canada que si le Canada devait appliquer bien des recommandations qui vous ont été présentées, l'économie canadienne serait sens dessus dessous, le chômage monterait en flèche et les entreprises déménageraient dans le sud, pour ne nommer que quelques conséquences.
Les véhicules que l'on appelle les gros camions, les poids lourds et les trains routiers participent intégralement au succès actuel de l'économie canadienne, étant donné que les camions transportent la vaste majorité des marchandises auxquelles est attribuable notre récente croissance économique. Si l'on imposait d'autres coûts au transport par camion, cela compromettrait le maintien de cette croissance étant donné la faiblesse des marges qui empêche l'absorption de ces coûts accrus.
Pour certaines personnes, l'industrie du camionnage ne peut rien faire de bien. Toute l'industrie est réputée ne tenir aucun compte de la sécurité de ses chauffeurs, de son équipement et des autres usagers de la route. Cette mauvaise perception est malheureusement alimentée et financée par des groupes d'intérêts qui s'intéressent davantage à la concurrence entre les modes de transport, ou à faire peur au public, qu'à la sécurité et au bien-être des Canadiens.
Dans l'ensemble, les transporteurs routiers canadiens ont un bilan enviable au chapitre de la sécurité. Les chauffeurs sont professionnels. Ils font un excellent travail, en livrant non seulement leurs chargements à temps et de façon sécuritaire, mais en sauvegardant également la sécurité et le bien-être des autres usagers de la route. Malheureusement, quelques incidents dramatiques, de même qu'un petit groupe d'exploitants peu consciencieux, donnent à toute l'industrie une publicité négative qu'elle ne mérite pas.
Les transporteurs consciencieux en ont assez de devoir concurrencer ces exploitants qui rognent sur les coûts. Votre sous-comité et l'ACC poursuivent un but commun qui est de débarrasser les routes des exploitants peu consciencieux. Nous vous présenterons aujourd'hui un plan pour réaliser cet objectif qui est du ressort du gouvernement fédéral. Il vous aidera à soutenir une industrie du camionnage plus sécuritaire, le pilier de la prospérité et du commerce canadien.
Le camionnage est le pilier de l'industrie de notre pays. Il fournit des emplois directs à plus de 200 000 personnes. Un camion au Canada génère en moyenne de 20 000 à 25 000 $ par an de recettes fiscales, à l'exclusion de l'impôt sur le revenu, tandis que les trains routiers génèrent 40 000 $ par an chacun.
Selon un rapport de 1994 de Transports Canada, l'industrie du camionnage supporte un taux d'imposition moyen de 13,5 p. 100, ce qui est élevé pour un secteur qui a opéré historiquement avec de faibles marges de profit et comparativement à une imposition moyenne de 4,9 p. 100 dans le cas des entreprises de fabrication. Les marges bénéficiaires fluctuent, mais elles sont demeurées relativement faibles, aux environs de 4 p. 100 en 1995-1996. Certaines années, comme pendant la période de récession du début des années 90, et pour cette raison au début des années 80, l'industrie a fonctionné à perte. Cela explique pourquoi les augmentations de coûts ne peuvent être absorbées par l'industrie qui doit les refiler aux consommateurs, ce qui entraîne une augmentation du prix des marchandises.
Pourtant, au cours des 40 dernières années, le camionnage pour compte d'autrui a crû plus rapidement que l'économie canadienne, devançant tous les autres modes de transport de fret. Comme, dans le cadre de l'ALÉNA, le commerce augmente avec nos voisins du sud, le tonnage des marchandises transportées par la route augmente lui aussi. Des économies de carburant et la modernisation des équipements et des pratiques de gestion gardent les prix compétitifs, tandis que souplesse, fiabilité et prix continuent à séduire les clients, leur permettant de concurrencer de façon adéquate dans l'économie mondiale.
En dépit de l'augmentation du nombre de camions en circulation et de la quantité de marchandises transportées, les accidents de camion ont diminué plus rapidement que les accidents impliquant d'autres véhicules, baissant de 23 p. 100 entre 1989 et 1993. Les accidents de camion comptent pour 3,6 p. 100 de tous les accidents, alors que les camions comptent pour 9 p. 100 du kilométrage parcouru sur les routes. Même si le bilan global des camions s'est amélioré sur le plan de la sécurité, nous ne devons jamais relâcher nos efforts et il faut toujours viser à réduire encore le nombre des accidents.
Comment? Tout d'abord, il faut viser l'application stricte et uniforme des dispositions du Code national de sécurité pour les transporteurs routiers. Pour y arriver, il faut intégrer ce code aux règlements fédéraux. Deuxièmement, il nous faut de meilleures routes. Troisièmement, nous devons faire davantage en termes de communication et d'éducation et mettre davantage l'accent sur la formation.
La grande majorité des transporteurs routiers canadiens prend la sécurité au sérieux. Cependant, en vertu du régime qui a cours actuellement, ces transporteurs consciencieux sont confrontés à la concurrence directe d'autres transporteurs qui coupent les prix en prenant des risques en matière de sécurité. Il faut faire en sorte que de telles pratiques ne rapportent pas. Les transporteurs consciencieux ont besoin qu'on leur assure absolument que les violateurs seront identifiés par les autorités, qu'ils se verront rapidement imposer de sévères sanctions, et qu'ils seront expulsés du secteur s'ils ne peuvent ou ne veulent pas se plier aux exigences de sécurité.
Pour y arriver, il faut que le Code national de sécurité soit adopté et appliqué de façon plus uniforme, notamment pour ce qui est de la norme 14 qui concerne les cotes de sécurité. Actuellement, le Code national de sécurité n'a pas force de loi. Il s'agit d'une série de normes énoncées de concert par les provinces et le gouvernement fédéral en consultation avec l'industrie, que les gouvernements doivent promulguer dans le cadre de lois et de règlements avant qu'elles puissent entrer en vigueur.
Du point de vue de l'industrie, le grand problème, surtout pour les milliers de transporteurs aux itinéraires interprovinciaux, est que les normes n'ont jamais été adoptées à l'échelle fédérale. Par conséquent, elles sont rarement appliquées de façon cohérente d'une province à l'autre. Bien entendu, cela rend les choses beaucoup plus difficiles pour les transporteurs routiers qui souhaitent se conformer aux règlements de la sécurité routière et complique inutilement l'action des organes exécutifs.
Le gouvernement fédéral doit assumer un rôle plus actif et déterminant en ce qui a trait à la sécurité du camionnage. Il a une perspective nationale de l'économie contrairement aux provinces qui, naturellement, ont leurs propres intérêts à défendre en matière de juridiction. Même conscientes de la grande perspective nationale, elles doivent défendre ou adopter tout ce qui profite à leurs propres industries, que ce soit dans le cadre de la concurrence avec des États américains ou de la concurrence avec d'autres provinces canadiennes.
L'industrie appuie donc fortement la proposition voulant que le Code national de sécurité soit intégré à la Loi sur les transports routiers à titre de règlement. En ce moment, la LTVM est en train d'être révisée et elle doit très bientôt être amendée afin de refléter la transition d'un système de permis d'exploitation des véhicules automobiles à une série de critères fondés uniquement sur la performance sécuritaire d'un transporteur routier. Cette performance sera mesurée par le degré de conformité des transporteurs à l'égard des dispositions du Code national de sécurité pour les transporteurs routiers.
En ce qui concerne la norme relative aux cotes de sécurité, le groupe gouvernement-industrie du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, ou CCATM, travaille à sa reformulation depuis le début de 1994. Pas plus tard qu'en octobre 1996, on a constaté de sérieuses différences dans la méthodologie utilisée par les diverses juridictions pour développer des cotes de sécurité et cela a failli créer une situation telle que des transporteurs ayant des dossiers de conformité identiques en matière de sécurité, mais opérant dans différentes provinces, risquaient d'obtenir des cotes totalement différentes. Les autorités provinciales avaient envisagé la réciprocité des cotes entre elles, mais cela risquait d'être compris par l'industrie et les organismes provinciaux de réglementation comme sanctionnant l'existence de normes de sécurité non uniformes. L'ACC ne pouvait pas donner son accord et elle a donc clairement déclaré que l'industrie ne donnerait son appui qu'à des méthodologies de cotes de sécurité totalement harmonisées.
La question est maintenant remise jusqu'à la fin de septembre pendant que les autorités tentent de trouver une solution. Je dois dire qu'il existe quelques signes prometteurs que l'insistance de l'industrie sur l'harmonisation des cotes a amené les gouvernements à revoir leur position antérieure. Encore une fois, tout le monde savait quelle était, ou aurait dû être la solution, mais la diversité politique typiquement canadienne empêchait une application uniforme. Toutefois, l'industrie a tenu bon.
Le deuxième pilier de la sécurité du camionnage est de meilleures routes. L'étude sur le réseau routier national de 1989 a démontré que près de 40 p. 100 du réseau routier national était inférieur à la norme. Bien que ne représentant que 3 p. 100 du réseau total des routes au Canada, le réseau national absorbe 80 p. 100 de la circulation. L'étude a révélé que des routes inférieures à la norme sont non seulement éprouvantes pour le matériel roulant, mais meurtrières. La réfection du réseau routier national pour qu'il se conforme au code (élargir les voies, ajouter des terre-pleins, paver les accotements) pourrait réduire de 160 le nombre de Canadiens qui se tuent sur les routes tous les ans et éviter 2 300 blessés. Pourtant, le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux ont omis de réinvestir les recettes obtenues des charges prélevées pour l'utilisation des routes pour assurer l'entretien, la réparation, la réfection ou la reconstruction des routes qui ne se conforment pas à la norme.
Selon Statistique Canada et Ressources naturelles Canada, sur les cinq milliards de dollars environ recueillis par le gouvernement fédéral en taxes sur les carburants en 1994-1995, seuls 181 millions, soit 4 p. 100, ont été affectés au budget des routes.
En 1995, les premiers ministres provinciaux se sont rencontrés pour discuter du réseau routier national. Voici ce que disait entre autres un rapport émis à l'issue de la conférence:
Les premiers ministres provinciaux, à l'exception du premier ministre du Québec, ont souligné la responsabilité du gouvernement fédéral à l'égard d'un réseau national des transports, fort et viable, et ils ont rappelé l'importance d'un réseau de transport efficace d'un bout à l'autre du Canada non seulement pour promouvoir la croissance économique et le développement en encourageant la concurrence, mais aussi pour unir le pays. Ils ont instamment prié le gouvernement fédéral d'entamer des négociations avec les provinces et territoires dans le but de mettre en oeuvre une politique routière nationale bien coordonnée, le plus tôt possible, tout en prévoyant des crédits fédéraux adéquats dans le cadre des dispositions fiscales existantes.
Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont conclu un accord pour investir dans le réseau routier national, à condition d'obtenir les crédits équivalents du fédéral. Pourtant, en décembre 1994, le gouvernement fédéral a indiqué qu'il n'était pas en mesure de financer un réseau routier national.
Monsieur le président, investir dans une infrastructure routière n'est pas un choix, c'est une urgence. Le coût social de notre système routier inférieur à la norme devient insupportable et exige une attention immédiate.
Le troisième élément essentiel pour favoriser la sécurité du camionnage est l'éducation. Il n'est pas inusité pour des routiers professionnels de faire 200 000 kilomètres par an. Si l'on tient compte de l'intensité de cette activité, les accidents graves sont remarquablement rares dans l'industrie du camionnage. Un bon nombre de camionneurs sont honorés chaque année pour leur conduite sécuritaire dont certains ont plusieurs millions de kilomètres à leur actif et de nombreuses années de service. Cela reflète une formation solide, l'actualisation des compétences ainsi qu'un sain respect et une attitude responsable face à l'impact qu'ils ont sur les autres utilisateurs de la route.
La plupart des routiers sont extrêmement conscients de l'énorme responsabilité qu'implique la manoeuvre d'un poids lourd en pleine circulation vis-à-vis des piétons, cyclistes, automobilistes et véhicules légers. Les transporteurs consciencieux sont sérieux dans leur approche à l'égard de la formation et du perfectionnement des compétences de leurs routiers et de leurs autres employés. Après tout, les camionneurs professionnels travaillent essentiellement sans supervision alors que le transporteur leur confie pour des centaines de milliers de dollars d'équipements et de marchandises.
Une formation adéquate est absolument essentielle pour la préservation du matériel, des marchandises et de la fidélité du client, sans parler de la protection de la vie humaine. De nombreux transporteurs n'acceptent que des chauffeurs formés par des écoles accréditées par le Conseil canadien des ressources humaines en camionnage alors que d'autres ont leurs propres programmes internes de formation. Le conseil a été créé dans le cadre du programme de conseil central de Développement des ressources humaines Canada. Nous estimons que, grâce aux efforts de l'ACC, des associations provinciales, des transporteurs consciencieux et du CCRHC, la formation du camionneur professionnel est adéquate et qu'elle continue de s'améliorer.
Par ailleurs, l'utilisateur type de la route est souvent intimidé par les gros camions et ne se rend pas compte de la dynamique qu'implique la conduite de poids lourds. Lorsque le camionneur conduit à une distance respectable du véhicule qui le précède, d'autres automobilistes se glissent automatiquement sur la même voie, ignorant complètement le fait qu'un camion a besoin de plusieurs longueurs de voiture de plus qu'eux pour s'arrêter. Des automobilistes se glissent souvent derrière un camion, sans être conscients qu'il s'agit là d'un angle mort pour le camionneur. De nombreuses organisations, y compris l'Ontario Trucking Association, l'Association canadienne des automobilistes et l'Administration fédérale des routes aux États-Unis ont élaboré des programmes et des documents d'information comme Sharing the Road et Don't Drive in the No-Zone. Les principes de la conduite sur les mêmes routes que les camions doivent être intégrés dans tous les programmes des écoles de conduite et dans les examens de passage du permis de conduire.
Il est également important de tenir compte et d'incorporer d'autres éléments dans les règlements et pratiques applicables à la sécurité routière. En août 1996, des représentants de l'Association canadienne du camionnage et nos partenaires des associations provinciales ont énoncé une série de principes qui, nous le croyons, devraient orienter l'élaboration, la mise en oeuvre et l'application des règlements de la sécurité routière au cours du XXIe siècle.
Le système de réglementation optimale pour la sécurité des camions doit aboutir à une réduction du nombre des accidents; être rentable pour l'industrie aussi bien que pour les gouvernements; pénaliser les transporteurs négligents et offrir des incitations appropriées aux transporteurs consciencieux; s'appliquer uniformément à tous les camions et à tous les types d'entreprises de camionnage; tenir compte du fait que les camions partagent la route avec d'autres véhicules; être réévalué périodiquement pour s'assurer qu'il continue d'être valide; être de portée globale, c'est-à-dire tenir compte de tous les facteurs de sécurité pertinents; être en mesure de comparer de façon empirique les conducteurs et transporteurs scrupuleux et les autres, ainsi que les véhicules qui se conforment à la norme et ceux qui sont en violation; s'abstenir de créer des déséquilibres concurrentiels qui seraient au détriment des transporteurs consciencieux; exiger l'élimination des différences entre les juridictions, à moins que l'on puisse prouver que celles-ci sont justifiées pour des motifs de sécurité; se fonder sur un nouveau mode de réflexion axé sur les résultats au plan de la sécurité, et pas seulement sur les activités; envoyer des signaux adéquats sur le marché afin d'encourager l'investissement dans les exploitations sécuritaires; maximiser l'efficacité des mesures d'exécution et reconnaître l'aptitude des transporteurs consciencieux à s'autoréglementer.
Nous proposons que ces principes directeurs soient solidement ancrés dans une vision nationale de la sécurité du camionnage. L'incohérence qui règne actuellement d'une province à l'autre dans l'application des normes du Code national de sécurité met en lumière la nécessité pour le gouvernement fédéral d'assumer un rôle plus éminent et plus direct. Bien que Transports Canada ait la juridiction sur le camionnage extra-provincial en vertu de la LTVM, l'absence d'une volonté du fédéral d'exercer sa compétence dans ce domaine et d'assurer l'application des règles a découragé les tentatives destinées à créer des normes de sécurité harmonisées sur le plan national.
Le gouvernement fédéral ne veut pas réglementer pour éviter le coût politique qu'entraînerait l'application de normes. Plutôt, il choisit de déléguer l'administration de la juridiction aux provinces, mais ne fournit pas les dollars nécessaires pour en assurer l'application. En conséquence, la politique prend le pas sur la sécurité.
Pour trancher ce dilemme, l'ACC appuie la création d'un fonds fiduciaire du gouvernement fédéral pour la sécurité routière dans lequel seraient versées les recettes des taxes fédérales sur les carburants. Ce fonds pourrait être utilisé à deux fins. D'abord, pour permettre à Ottawa d'assumer ses responsabilités en matière d'amélioration et de développement des infrastructures; et ensuite, pour assurer l'application et le respect des normes du Code national de sécurité.
Si le gouvernement fédéral devait décider de continuer à déléguer ses responsabilités aux provinces, ses paiements aux provinces devraient être conditionnels à leur performance de sorte qu'elles soient tenues de démontrer que les normes nationales sont effectivement appliquées de façon stricte avant de pouvoir toucher ces fonds. Il existe des modèles de ce type dans d'autres pays, notamment aux États-Unis et en Australie, où ils sont appliqués avec succès.
En conclusion, l'industrie croit fermement qu'une bonne réglementation de la sécurité routière doit prévoir des incitatifs adéquats pour encourager les transporteurs soucieux de la sécurité, et des sanctions rapides et incontournables contre ceux qui refusent de respecter les normes de sécurité. Il n'y a pas de doute que ces derniers sont une minorité, mais leur performance mine la réputation de l'ensemble du secteur. Ils doivent par conséquent être chassés de la route, et cela ne pourra se faire que si l'on applique les ressources de façon ciblée et cohérente d'un bout à l'autre du pays.
Les transporteurs respectueux de la sécurité ont clairement annoncé qu'ils voulaient et qu'ils pouvaient s'autoréglementer et former des partenariats de conformité avec les organismes de réglementation de façon à ce que les efforts de stricte application des normes puissent se concentrer sur l'élimination commerciale et définitive des transporteurs peu scrupuleux. La route est toute tracée. Le gouvernement choisira-t-il la sécurité plutôt que la politique?
Le président: Vos observations et commentaires sont vigoureux et directs. Vous faites quelque chose de beaucoup plus utile en ce sens que vous proposez des suggestions et des remèdes.
L'un ou l'autre des deux autres témoins désirent-ils ajouter quelque chose?
M. Graham Cooper, directeur, Affaires gouvernementales et directeur général par intérim, Association canadienne du camionnage: Monsieur le président, nous serons heureux de répondre à toutes questions que pourraient nous poser les membres du comité, mais pour le moment, il s'agit là de notre présentation officielle.
Le sénateur Bacon: Monsieur Bélanger, de nombreux témoins nous ont parlé de mettre en place le Code national de sécurité. Qui s'y oppose? Qui oppose une résistance?
M. Bélanger: Elle vient de Transports Canada ou des provinces. Je crois comprendre que les pourparlers entre Transports Canada et les ministères provinciaux des Transports à ce sujet sont quelque peu difficiles parce que, depuis 1954, les provinces bénéficient d'une délégation de la gestion de la juridiction fédérale en matière de transport extra-provincial. Elles ne veulent pas y renoncer. Depuis 1954, il existe des différences incroyables d'un bout à l'autre du pays. Le fait est qu'il est beaucoup plus facile de transporter des marchandises de Montréal à Mexico que de Montréal à Vancouver. Ce ne devrait pas être le cas. La seule façon de surmonter ce problème est de réglementer ces questions au niveau fédéral.
Nous nous sommes débarrassés des permis et de la délivrance de permis qui exigeaient la sanction de tribunaux spéciaux. Nous nous concentrons maintenant sur la sécurité, qui est un problème crucial. L'industrie estime que le gouvernement fédéral devrait, à ce moment-ci, proposer des normes qui sont déjà élaborées par voie d'entente fédérale-provinciale. Ces normes devraient être incorporées dans les règles ou règlements fédéraux de façon à s'appliquer à tous les transporteurs extraprovinciaux. Ceux-ci représentent maintenant la grande majorité des transporteurs au Canada.
Le sénateur Bacon: Pouvez-vous nous parler de la fatigue des conducteurs?
[Français]
Préférez-vous que je vous interroge en français ou en anglais?
M. Bélanger: L'un ou l'autre, je n'ai pas de problème.
Le sénateur Bacon: Alors je vais le faire en français. Pouvez-vous nous parler de la fatigue des conducteurs par rapport à la sécurité? Préférez-vous des heures plus longues de travail ou la possibilité de travailler des semaines plus longues qui dépasseraient peut-être le cycle de sept jours? C'est la position de l'Ontario telle qu'on la retrouve dans un document de l'Ontario 1997 Task Force. Est-ce que cela aurait un impact négatif sur la sécurité si vous ajoutiez des heures de travail à celles que vous avez déjà?
M. Bélanger: Ce que l'on essaye de faire dans ce domaine, c'est une gestion appropriée de la vigilance et de la fatigue. Les études faites dans les 10 dernières années ou plus récemment, dont l'étude monstre faite au Canada et aux États-Unis, révèlent toutes sortes de choses que l'on connaissait plus ou moins.
Par exemple, cette étude révèle que le changement de quart de travail d'une journée à l'autre a un plus grand impact sur la fatigue que le nombre d'heures que l'on conduit. A cause de cela, par exemple, au Canada, nous avons 15 heures de travail, 13 heures de conduite par jour, et huit heures de repos. Quinze et huit, cela nous donne 23 heures, presque 24. Le quart de travail ne change donc pas beaucoup d'une journée à l'autre.
C'est en fait beaucoup mieux que le système américain de dix heures de travail et huit hdueres de repos parce que le quart de travail est décalé de six heures à chaque fois. Le premier jour, vous commencez à travailler à huit heures le matin; vous faites vos 10 heures de travail, vous prenez huit heures de repos et votre prochain quart de travail commence à trois heures dans la nuit. Vous faites vos dix heures et vos huit heures, et votre quart de travail suivant est dans le milieu de l'après-midi. Votre système est déséquilibré.
L'étude nous révèle ce fait et c'est ce que l'on essaye de mieux comprendre aujourd'hui. Plutôt que de mettre des heures comme cela, tellement qu'en vertu du régime actuel, quelqu'un revient au travail un bon matin après quatre jours de congé. D'accord?
Dans les 14 jours antérieurs, le chauffeur aurait pu conduire un total de X heures, mais les jours ne s'effacent pas tout d'un coup. Le quinzième jour, il arrive au travail, les 13 premiers jours comptent; la journée nouvelle s'ajoute, pour faire un total de 14, et dans 14 jours, il ne peut pas conduire plus de tant d'heures. Il peut donc revenir de quatre jours de congé et conduire deux heures cette journée-là. Nous disons que le règlement ne fonctionne pas. Nous disons ceci: changeons le règlement pour que l'on puisse le voir d'un point de vue de gestion de la vigilance et de la fatigue au lieu d'avoir des règles strictes qui disent que l'on doit conduire tant d'heures et que l'on arrête tant d'heures, et cetera.
Il est certain que l'on ne croit pas que tout le monde puisse faire cela correctement. Il va donc falloir garder des directives, mais donner dans certains cas certaines libertés.
Pour répondre à votre question, nous ne proposons pas l'augmentation des heures de travail; nous proposons un meilleur système, un système qui va nous permettre de gérer la fatigue. Je vais vous donner un autre exemple facile à comprendre. Le voyage Montréal-Toronto-Montréal représente 13 heures de conduite en camion; exactement ce qu'un chauffeur a le droit de faire dans 24 heures au Canda en nombre d'heures consécutives. Le chauffeur est parti de Montréal, il est allé à Toronto et il revient. Rendu à Cornwall, il s'endort. S'il arrête pour se reposer, il va dépasser 13 heures. Il ne pourra pas se rendre. Il va être obligé de laisser son camion sur le bord de la route. Son employeur ne sera pas très heureux, et il n'aura pas de place où aller parce qu'il va falloir qu'il attende huit heures sur le bord de la route pour pouvoir continuer. Alors il s'efforce pour rester éveillé et de continuer. C'est ce que l'on veut changer. Si le chauffeur s'endort, on veut pouvoir lui dire: «Tu t'endors? Prends le temps de te reposer et tu continueras après».
Le sénateur Bacon: Pas de limite d'heures?
M. Bélanger: Il faut qu'il y ait des limites, mais elles doivent être flexibles. Nous sommes pris dans un carcan; ni l'employeur, ni l'employé ne peuvent rin y faire.
Le sénateur Bacon: Vous trouvez qu'il n'y a pas suffisamment de flexibilité?
M. Bélanger: Il n'y a pas de flexibilité.
Le sénateur Bacon: Il y a aussi beaucoup de témoins qui nous ont dit qu'il y a de plus en plus de camionneurs indépendants. Je ne sais pas si vous pouvez nous donner aujourd'hui leur proportion par rapport aux autres? Qu'est-ce que vous pourriez suggérer pour essayer d'améliorer la situation? On nous dit souvent que l'on a des problèmes avec les camionneurs indépendants. Comment peut-on améliorer la situation?
M. Bélanger: Tout d'abord, il y a une grande partie des indépendants qui travaille à contrat et à plein temps pour une entreprise. Ils sont traités et supervisés de la même façon que les employés réguliers.
Le sénateur Bacon: Les règles sont les mêmes?
M. Bélanger: Les règles sont les mêmes. Même si c'est vrai qu'il y a plus de chauffeurs indépendants, cela n'équivaut pas nécessairement à un problème. Deuxièmement, pour les vrais indépendants, il faut que l'on applique les règles. Les règles de sécurité existent, il y en a beaucoup, mais elles ne sont pas appliquées. Tant qu'elles ne sont pas appliquées, les gens coupent les coins.
Le sénateur Bacon: Quelqu'un qui peut-il forcer la mise en application?
M. Bélanger: La mise en application des lois est faite par les provinces. Il faudrait que les lois soient mises en application, mais personne n'a d'argent pour le faire. Alors, on laisse faire.
Le sénateur Bacon: Vous pensez qu'un code national forcerait les provinces à les appliquer davantage?
M. Bélanger: Un code national mettrait tous les transporteurs extra-provinciaux sur le même pied, qu'ils soient indépendants ou qu'ils travaillent pour des entreprises. Tout le monde serait sur le même pied. Les mêmes règles s'appliqueraient d'un bout à l'autre du pays. Le problème que l'on a ou que l'on avait jusqu'à présent -- et il semble qu'il est en voie de se régler -- c'est que vous pouviez être en sécurité dans votre province et être retiré de la route dans la province d'à côté parce que les règles sont différentes. Des choses sont acceptées dans une province et ne le sont pas dans une autre. C'est ce qu'il faut éviter. Il faut avoir un régime semblable d'un bout à l'autre.
Juste avant de continuer, je souhaite faisre une remarque. On accorde beaucoup d'importance à la fatigue des chauffeurs et au nombre d'heures.
Le sénateur Roberge: On en parle beaucoup, oui.
M. Bélanger: On en discute beaucoup. Il y a une chose que l'on oublie de mentionner tout le temps: les chauffeurs sujets à de longues heures ou à plusieurs jours de suite en voyage sont une petite proportion de l'industrie. La très grande majorité des chauffeurs de camions vont travailler à sept heures du matin et ils reviennent chez eux à trois heures de l'après-midi ou ils travaillent de neuf heures à cinq heures, de huit à quatre ou de sept à trois. La grande majorité des chauffeurs suivent cet horaire. Tous les chauffeurs que l'on appelle des transporteurs de lots brisés, Reimer, Cabano, ce genre d'entreprises, sont chez eux tous les soirs. Ils font des routes courtes qui leur permettent d'être de retour dans la journée même et ils sont chez eux le soir.
C'est ce dont on se préoccupe lorsqu'on parle de la fatigue. Les conducteurs peuvent être fatigués à un moment donné, mais ce n'est pas à cause de leur travail; c'est à cause de ce qu'ils ont fait la nuit d'avant, et encore là, c'est difficile à contrôler. Mais ceux pour qui on se sent plus préoccupé, c'est une petite proportion, ce sont des gens qui font de longues distances. Quelqu'un qui part de Montréal et va livrer à Los Angeles sera plusieurs jours en route. Le jeu des heures de travail et de repos s'applique. Évidemment, sur ces longs trajets internationaux, dès qu'on est de l'autre côté de la frontière, c'est le système américain des 10 heures qui s'applique.
Le sénateur Bacon: Merci.
[Traduction]
M. Cooper: Sénateur, j'aimerais ajouter quelque chose au sujet des heures de travail dont a parlé M. Bélanger. Vous savez probablement qu'actuellement, au Canada et aux États-Unis, on est en train de revoir la réglementation. Aux États-Unis, cela prendra plus de temps qu'au Canada. Comme vous le savez sans doute, les règlements actuels visant les heures de travail tant au Canada qu'aux États-Unis sont vieux d'environ 60 ans. L'industrie comme le gouvernement s'entendent pour dire qu'ils ne fonctionnent pas. Ils peuvent peut-être rassurer certaines gens, mais pour ce qui est de s'attaquer aux facteurs de risque sous-jacents, ils sont inopérants.
Nous sommes un membre associé du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé et nous faisons partie intégrante de ce processus. Le gouvernement du Canada et l'Administration fédérale des routes aux États-Unis collaborent à certains égards et tentent notamment d'harmoniser les règlements dans les deux pays. Aux États-Unis, on peut conduire un maximum de 10 heures par opposition à 13 heures ici. Abstraction faite de cela, le récent rapport a indiqué que le temps passé à conduire n'est pas un facteur aussi important que certains autres. Il sera donc difficile aux États-Unis de relever leur limite.
Ce qu'il faut retenir pour ce qui est des règlements relatifs aux heures de travail et de la question de la fatigue, c'est que dans les deux pays on reconnaît que les règlements doivent être davantage basés sur des données scientifiques que ce ne fut le cas quand ils ont été rédigés pour la première fois dans les années 30. On peut soutenir qu'à cette époque-là, on s'est probablement davantage basé sur les distances entre les grands centres, comme les distances entre St. Louis et Kansas City, Montréal et Toronto, et cetera.
M. Bélanger: Dans les années 30, les parcours n'étaient pas aussi longs qu'aujourd'hui.
Le sénateur Roberge: Je dois vous dire que je trouverais extrêmement difficile de conduire huit ou dix heures d'affilée sans devenir fatigué.
Dans l'ensemble, je pense que vous prêchez à des convertis. Nous sommes d'accord avec bien des points que vous mentionnez dans votre mémoire. En fait, concernant l'éducation, vous dites:
De nombreux transporteurs n'acceptent que des chauffeurs formés par des écoles accréditées par le Conseil canadien des ressources humaines en camionnage [...]
Ce conseil fait partie de votre organisation.
M. Bélanger: Indirectement, parce qu'il s'agit d'un conseil central créé dans le cadre d'un programme de Ressources humaines Canada. Les divers intervenants de l'industrie, y compris les syndicats, les routiers, les TCA, les camionneurs artisans, les transporteurs privés et nous-mêmes en faisons partie.
Le sénateur Roberge: Je pensais que plutôt que d'attendre que le gouvernement fasse quelque chose, l'Association canadienne du camionnage, avec l'accord de ses membres, pourrait peut-être conseiller à ses fournisseurs de ne recourir qu'aux entreprises de camionnage qui sont passées par ce système de formation et d'éducation.
M. Bélanger: Bien des clients exigent de leurs transporteurs qu'ils aient la certification ISO, qu'ils appliquent un programme de qualité totale, qu'ils aient ceci et cela. Ils accepteront toujours les soumissions de ceux qui ne respectent pas les critères. C'est le meilleur prix qui l'emporte. Qu'importe ce que vous avez ou n'avez pas, nous essayons de travailler avec eux, mais c'est le prix qui gagne à tout coup.
Le sénateur Roberge: Il faut commencer quelque part. Vous êtes peut-être les personnes tout indiquées pour lancer le mouvement en convainquant vos fournisseurs qu'il est plus économique pour eux à long terme de s'assurer qu'ils ont recours à quelqu'un qui a reçu une formation appropriée.
M. Bélanger: Nous essayons de le faire. À cet égard, nous travaillons avec les compagnies d'assurance, les gouvernements, les fournisseurs et avec autant d'intervenants que possible pour essayer de promouvoir la formation. Sous bien des aspects, nous avons mis au point le matériel de formation, et cetera. Il gagne graduellement en popularité. Cependant, comparativement à l'Europe ou au Japon, nous, en Amérique, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, ne sommes pas habitués à dépenser autant d'argent pour la formation. Notre industrie n'est pas différente des autres.
Le sénateur Roberge: La formation est en train de devenir le pivot des bonnes entreprises.
M. Bélanger: Cela commence; mais nous sommes loin des 40 p. 100 qu'y consacre le Japon.
Le président: Le Conseil de sécurité de l'Alberta préconise fortement que la formation soit obligatoire avant la délivrance d'un permis. Je suppose qu'ils le font pour diverses raisons, dont le contrôle n'est pas la moindre. L'association nationale partage-t-elle cet avis?
M. Bélanger: Oui.
Le président: Je veux dire une formation obligatoire comme condition d'émission d'un permis.
M. Bélanger: Pour les chauffeurs, oui, absolument.
Le sénateur Roberge: Accepteriez-vous une recommandation de ce genre?
M. Bélanger: Tout à fait. Nous avons mis au point le meilleur matériel de formation en Amérique. Les Américains nous envient ce que nous avons maintenant. Nous essayons de rendre obligatoire une formation donnée avec ce matériel, ou du matériel équivalent. Le jour où les provinces décideront à le faire, nous aurons fait beaucoup de chemin.
Le sénateur Roberge: Vous voulez que les règlements en matière de sécurité soient appliqués de façon uniforme dans tout le pays. Pourtant, par ailleurs, vous désirez que les provinces conservent des droits indépendants pour ce qui est des installations de pesage des camions, n'est-ce pas?
M. Bélanger: Elles relèvent actuellement de la juridiction provinciale.
Le sénateur Roberge: Que recommanderiez-vous à cet égard? Recommanderiez-vous, par exemple, que le gouvernement fédéral inclue dans sa recommandation quelque chose équivalant à une normalisation?
M. Bélanger: Nous travaillons actuellement à une normalisation. J'hésite parce que je me demande si le gouvernement fédéral aurait compétence pour le faire.
Le sénateur Roberge: Je ne parle pas compétence, mais de faire une recommandation.
M. Bélanger: Voulez-vous dire une recommandation selon laquelle les lois sur le pesage seraient harmonisées?
Le sénateur Roberge: Oui.
M. Bélanger: Nous appuyons une telle mesure depuis des années.
Le président: Le programme fournit maintenant du financement pour des routes importantes. Je ne crois pas beaucoup en des versements conditionnels de cette nature; je pense qu'ou bien vous les versez ou bien vous ne les versez pas. Encore une fois, l'aspect conditionnel pourrait sembler utile. Si l'on vous donne 5 millions de dollars du kilomètre par route pour les amener aux normes nationales, alors vous devriez peut-être respecter une formule nationale. Si vous ne voulez pas le faire, alors ne prenez pas l'argent.
M. Bélanger: Cela a marché aux États-Unis pendant des années.
Le président: C'est ce qu'on nous a dit.
M. Cooper: Monsieur le président, comme vous le savez probablement, le gouvernement fédéral et les provinces collaborent actuellement aux termes d'une entente à l'application du Code national de sécurité. Dans une certaine mesure, c'est fondé sur la performance, en ce sens que les provinces sont, du moins en théorie, tenues de fournir une preuve quelconque qu'elles ont fait leur travail. L'une des difficultés avec ce système, c'est que les montants d'argent en jeu sont modestes. Si ma mémoire est bonne, il s'agit d'environ 20 millions de dollars sur 5 ans. Assurément, quand il s'agit de grandes juridictions, comme l'Ontario, la Colombie-Britannique, le Québec, et cetera, ce montant d'argent n'a pas beaucoup d'effet.
Si on envisageait une somme d'argent plus importante, comme nous le suggérons, et qu'elle était fonction de la performance, alors, le gouvernement fédéral pourrait peut-être davantage établir une normalisation à l'échelle des provinces.
Le président: Le comité pensait consacrer 2,5 cents du litre d'essence à l'entretien et 2,5 cents du litre d'essence aux nouvelles constructions. J'appuie depuis longtemps le concept de la Transcanadienne, de la route de Yellowhead et de toutes ces grandes routes. Nous devrions accepter notre responsabilité fédérale; et je pense que la plupart des Canadiens acceptent cela. La majorité d'entre eux resteront neutres sur le sujet et préféreront que l'autorité fédérale tienne le haut du pavé. Je dis cela parce quand vous quittez l'autoroute et arrivez à Truro, en Nouvelle-Écosse, par exemple, avec des milliers de livres de fret, dès que vous arrivez au centre-ville, vous devez décharger.
Le sénateur Roberge: Les États-Unis disposent-ils d'une norme nationale pour ce qui est d'un système de cotes de sécurité?
M. Cooper: Oui. Ils sont actuellement en train de la réviser. Essentiellement, à l'heure actuelle, les États-Unis envisagent d'adopter une seule cote. Les pires transporteurs identifiés comme tels par le biais de vérifications de leur performance sur route, des terminus, et ce genre de choses, sont susceptibles d'être classés comme insatisfaisants. Aux États-Unis, environ 80 000 transporteurs sont régis à l'échelle fédérale, soit beaucoup plus qu'au Canada. Aux termes du système proposé, la grande majorité d'entre eux ne seraient pas cotés.
Il y a deux façons d'envisager la sécurité du transport routier: la carotte et le bâton. Ce que nous proposons, c'est de récompenser les bons éléments et de punir les méchants. Avec l'approche adoptée par les Américains, il est difficile de dire qui sont les bons. On ne peut pas supposer que parce que 95 p. 100 n'ont pas été identifiés comme mauvais, ils ont tous une conduite exemplaire et ont besoin de se voir accorder un quelconque stimulant. C'est l'un des problèmes avec le système américain.
Nous participons à un certain nombre de comités pour élaborer un système de cotes de sécurité. Je dois également ajouter que nous avons été pressentis par l'Administration fédérale des routes des États-Unis. À ces genres de comités, il y a beaucoup de collaboration entre les deux pays. De toute évidence, le trafic nord-sud est intense. Donc, dans la mesure de nos moyens, nous essayons d'harmoniser les systèmes de cotes canadien et américain. Il existe entre les États-Unis et le Canada quelques grandes différences attribuables à la population des transporteurs routiers et aux différents genres de cadres de réglementation.
Le sénateur Roberge: Malheureusement, nous n'avons pas eu la chance de lire votre mémoire, étant donné que nous venons juste de le recevoir. Cependant, je crois comprendre que vous recommandez, par exemple, qu'au Canada nous disposions d'un système de cotes. Est-ce exact?
M. Cooper: Absolument. En fait, depuis le début de 1994, nous participons à la nouvelle réécriture de l'une des normes du Code national de sécurité. Encore une fois, il s'agit d'un effort conjoint de l'industrie et du gouvernement. À mon avis, nous sommes près d'en arriver au point où la transition sera complétée, quelque part en 1998.
Pour en revenir à ce qu'a dit M. Bélanger au cours de sa présentation, le problème, c'est que le Code national de sécurité, dont cette norme fait partie, n'a pas force de loi. Même si tous, à la table, conviennent qu'il s'agit d'une grande norme, le problème consiste à l'intégrer à leurs règlements.
M. Bélanger: C'est la norme à laquelle nous faisons allusion dans notre mémoire. Il s'agit de la norme numéro 14.
Le sénateur Adams: Ces derniers mois, nous avons entendu parler de camions qui perdent leurs roues sur les routes. La dernière fois, c'était il y a un mois quand nous étions à Halifax. Je sais que vos entreprises ont des mécaniciens. Les pilotes des compagnies aériennes sont limités quant au nombre d'heures pendant lesquelles ils peuvent piloter. Ils doivent se soumettre à des tests. Pour ce qui est de l'équipement des camions, il n'existe aucun règlement dans l'industrie du camionnage: du moment que les pneus semblent en bon état et que les moteurs et les carrosseries des camions paraissent bien, tout est correct. Existe-t-il des règlements imposant le nombre de vérifications techniques auxquelles doivent se soumettre les camions?
M. Bélanger: Il y a des normes à respecter, mais ce n'est pas comme dans les compagnies aériennes. La plupart des entreprises appliquent des normes à l'interne. Elles ont un calendrier d'entretien préventif. Cependant, cela nous ramène au problème dont nous faisions état plus tôt. Toutes les grandes compagnies ont des normes qu'elles appliquent de façon adéquate. Cependant, personne ne contrôle le transporteur irresponsable, qu'il soit grand ou petit. Cela ne signifie pas cependant que parce qu'ils sont petits, ils sont déraisonnables. Un grand nombre de petits transporteurs sont extrêmement bien gérés et fiables.
Une fraction de l'industrie n'agit pas de façon responsable et n'applique pas ce genre de mesures. Nous ne pouvons cependant pas les leur imposer. Je ne crois pas qu'établir des normes additionnelles comme celles que vous avez mentionnées corrigerait nécessairement le problème. La cote de sécurité dont nous parlons permettrait cependant de le faire. Si ces transporteurs risquaient constamment de voir retirés de la route leurs équipements qui valent des centaines de milliers de dollars, ils y penseraient probablement à deux fois.
M. Cooper: Sénateur, quelques normes s'appliquent à ce à quoi vous avez fait allusion. À la différence de l'industrie du transport aérien, elles ne se fondent pas sur le nombre d'heures voyagées. Il existe cependant quelques normes, dont la Norme d'inspection périodique des véhicules automobiles. Si j'ai bonne mémoire, cette norme stipule qu'un véhicule commercial doit subir une inspection complète tous les deux ans. Cela est en sus des inspections auxquelles le chauffeur doit se livrer avant d'entreprendre son voyage. Il inspecte le réglage des freins, l'intégrité des roues et de diverses grandes composantes mécaniques. Il existe des normes d'entretien, mais elles ne se fondent pas, comme dans l'industrie du transport aérien, sur le nombre d'heures voyagées.
Le sénateur Adams: Chaque compagnie est-elle couverte par une police d'assurance ou contribue-t-elle à la Commission d'indemnisation des travailleurs? De quelle protection sur le plan médical un chauffeur disposerait-il en cas d'accident? Comment cela marche-t-il dans votre organisation?
Dans mon entreprise, j'emploie de nombreuses personnes. La Commission d'indemnisation des travailleurs me fait payer tant par jour pour mes employés.
M. Bélanger: Les compagnies cotisent certes à la Commission d'indemnisation des travailleurs. Certaines provinces, comme le Québec, ont une assurance automobile qui pourrait couvrir certains accidents. Cela varie d'une province à l'autre. Cependant, tous les transporteurs cotisent à l'indemnisation des travailleurs et la plupart prennent des assurances additionnelles.
Le sénateur Adams: Vous avez dit plus tôt que nous avons besoin de meilleures routes et que votre organisation a versé environ trois milliards de dollars en taxes au gouvernement. Habituellement, une partie de vos taxes se retrouve dans les coffres des gouvernements provinciaux. Je ne sais pas comment le système fiscal fonctionne, mais les routes sont régies pour la plupart par les gouvernements provinciaux. Chaque fois que j'achète une auto, je paie la taxe sur les pneus, et cetera. Comment ce système fonctionne-t-il en ce qui concerne les camions comparativement à une auto ordinaire pour ce qui est des taxes provinciales et fédérales? Vous dites que nous avons besoin de meilleures routes, mais où va tout l'argent des taxes que nous versons au gouvernement?
M. Bélanger: Essentiellement, une taxe spéciale, ou une taxe d'accise, a été prélevée sur le carburant pour compenser pour l'utilisation des routes. Cette taxe sert à n'importe quoi, sauf à l'entretien et à la construction des routes. Nous disons qu'une partie de l'argent recueilli par le biais de cette taxe devrait être réaffecté aux routes parce que c'est de là qu'il vient. Servons-nous-en à bon escient.
Le président: Combien suggérez-vous? Nous avons commencé avec 2,5 cents.
M. Bélanger: Nous n'avons pas encore arrêté de chiffre.
Le président: Pourriez-vous en proposer un la prochaine fois que vous rencontrerez le gouvernement fédéral et les ministres provinciaux responsables? Je crois comprendre que vous faites partie de cette organisation, quoique de façon informelle. Il est très important que vous le répétiez. La taxe sur l'essence et le carburant diesel est une taxe versée au revenu général qui n'a rien à voir avec les routes.
M. Bélanger: C'est faux.
Le président: Je sais que c'est faux.
M. Bélanger: Si une taxe est prélevée sur quelque chose, ça devrait être pour une raison précise. Si l'argent recueilli par le biais de la taxe doit servir au bien-être général du pays, elle devrait être assumée par tout le pays ou par toute la population. C'est un grand problème. Je ne sais pas si notre mémoire l'a fait ressortir clairement, mais le problème, c'est que les marges bénéficiaires sont inexistantes dans le camionnage. Il n'y a pas d'argent comme tel. Tous les coûts additionnels sont refilés aux consommateurs, ce qui accroît le prix des marchandises et réduit notre compétitivité sur les marchés mondiaux. C'est là que nous devons faire le choix. Imposerons-nous une taxe additionnelle? Nous devons considérer les conséquences pour l'économie. Ce n'est pas la même chose que d'ajouter un autre cent à un paquet de cigarettes parce que vous faites un choix et que vous le payez en tant qu'individu.
Si les compagnies étaient riches au point de pouvoir absorber la différence, alors, notre raisonnement serait différent. La moindre économie est refilée au consommateur du fait de la concurrence. Elles n'ont pas d'autre choix à cause de la concurrence. Donc, il n'y a pas de marge. Il n'y a pas moyen de l'absorber. Elle a donc un effet direct sur l'économie du Canada.
Mme Michèle LeBlanc, directrice, Recherche, Association canadienne du camionnage: Le Transportation Research Board des États-Unis a effectué une étude il y a quelques années qui a révélé qu'il en coûte environ 6 cents le mille de rouler sur une route en mauvais état. Cela explique l'intérêt que porte un transporteur, du point de vue économique, à la réfection des routes. Cette économie de 6 cents le mille ne signifie pas grand-chose pour le conducteur moyen. Je ne conduis pas plus de 15 000 kilomètres par année. Cependant, pour un transporteur qui roule 100 000 ou 200 000 kilomètres par année, ces 6 cents ne sont pas négligeables. C'est pourquoi les transporteurs se sont montrés très intéressés par l'amélioration des routes. Ce n'est pas juste pour nous, il y a une économie de coûts.
M. Bélanger: Les 6 cents sont supérieurs aux profits.
Le sénateur Adams: Le président a parlé de l'ouverture d'une nouvelle autoroute à péage. Vos membres paient-ils des péages sur les ponts et certaines autoroutes?
M. Bélanger: Oui, nous payons des péages, qui sont substantiellement plus élevés que pour les voitures, bien entendu.
Le sénateur Adams: Comment régissez-vous cela? Vous savez ce qu'il vous en coûte par année étant donné qu'il peut arriver que ce soit les mêmes chauffeurs qui empruntent ces ponts ou routes à péage. Cela s'établit-il en moyenne à 50 cents ou à 1 $ par camion? Y a-t-il une différence entre les camions et les autos?
M. Cooper: Il existe une grande différence, sénateur. En fait, je suis allé il y a quelques semaines à Fredericton avec nos collègues de l'Association de camionnage des provinces de l'Atlantique. Nous avons parlé au ministre des Finances au sujet des péages imposés sur la route du Nouveau-Brunswick qui devrait être terminée, si j'ai bonne mémoire, d'ici 2001. Une partie de cette route ouvrira cette année. Pour cette partie de l'autoroute qui, je crois, est longue de 195 kilomètres, le péage exigé d'un véhicule commercial sera aux alentours de 27 $.
Le sénateur Adams: Ce péage sera-t-il exigé d'un résidant ou sera-ce seulement pour les camionneurs ou les entreprises de camionnage?
M. Cooper: Pour chaque véhicule qui emprunte cette route, le péage est de 2,33 $ par essieu par kilomètre, si j'ai bonne mémoire. Cela s'établit à environ 27 $ pour un véhicule commercial. En théorie du moins, on en est arrivé à ce montant en tenant compte de certains des avantages que procureront les économies réalisées par la réduction de la distance, et cetera.
Chose intéressante, quand nous avons rencontré le ministre au Nouveau-Brunswick, et avant cette rencontre, nous avons parlé avec certains des transporteurs du Nouveau-Brunswick. Pour vous donner un exemple de l'impact dont M. Bélanger parlait il y a un instant sur le plan des coûts accrus, il existe au Nouveau-Brunswick une installation de fabrication qui emploie un grand nombre de gens. Ils exportent aux États-Unis. S'ils avaient dû payer un péage, par exemple, leurs marges sont si minces qu'ils auraient risqué de perdre ce contrat de fabrication. Cela, parce que les marges tant dans le domaine de la fabrication que du transport sont extrêmement minces et que la sensibilité à des coûts accrus est très élevée. Voilà le genre de question dont il faut tenir compte quand on envisage des coûts accrus. Évidemment, il faut également considérer les avantages.
[Français]
Le sénateur Bacon: Monsieur Bélanger, on a toujours posé ces questions et ce n'est pas nouveau pour vous. Est-ce que des tests sont faits par rapport aux drogues et à l'alcool chex vos membres? Et si quelqu'un est pris en flagrant délit, des mesures sont-elles appliquées?
M. Bélanger: Les transporteurs internationaux sont soumis présentement aux règlements américains sur le sujet. L'industrie a fait des représentations pendant quelques années auprès du gouvernement fédéral pour que l'on introduise une réglementation similaire au Canada.
Le gouvernement a décidé de ne pas le faire. L'industrie a développé un programme qui rencontre les exigences de la Federal Highway Administration des États-Unis, que les transporteurs internationaux appliquent à leurs employés, dans la majorité, aux chauffeurs qui vont aux États-Unis, mais également, elles n'y sont pas forcéesde façon générale, à tous leurs chauffeurs. Un très faible pourcentage des entreprises qui travaillent seulement au Canada appliquent ce règlement ou ce programme. Évidemment, le danger est que tous ceux qui consomment quittent leur emploi chez les transporteurs internationaux et se réfugient chez les transporteurs nationaux. Ce n'est pas une idée trop remarquable, mais cela risque d'arriver.
Nous avons appuyé, comme je le mentionnais plus tôt, l'adoption d'un règlement, d'une loi et d'un régime canadien. Nous l'appuyons toujours.
Le sénateur Bacon: Similaire au régime américain.
M. Bélanger: Oui. Bien sûr, nous éprouvons au Canada des difficultés avec la Commission des droits de la personne et l'application intégrale du régime américain au Canada risque de poser des problèmes. Cependant, si le régime canadien était réglementé, le Parlement serait en mesure de désamorcer ces problèmes. Nous souhaitons toujours que le gouvernement canadien adopte des règlements appropriés. Un tribunal de l'Ontario a déjà rendu une décision en ce sens. Il est possible que certaines décisions nous empêchent de metre en application des éléments de la réglementation américane.Si c'est le cas, la Federal Highway Administration refusera de nous reconnaître, de nous exempter en raison des décisions canadiennes. Cela veut dire qu'il faudra déménager nos opérations aux États-Unis. Ce sont des milliers d'emplois qui iront aux États-Unis si le gouvernement canadien ne réglemente pas. De toute façon, c'est un domaine où l'industrie suggère qu'il devrait y avoir une réglementation et appuie l'idée de la réglementation: nous ne voulons pas avoir sur les routes des conducteurs de camions qui consomment des drogues.
Le sénateur Bacon: Quelles sont les mesures préventives que vous mettez de l'avant dans votre association? En discutez-vous avec vos membres?
M. Bélanger: Nous avons mis en place un programme national de test, de prévention, et cetera. Nous avons fait de la formation chez les employeurs. Nous avons vraiment fait tout ce que l'on pouvait faire. Évidemment, ce sera difficile si les entreprises décident de ne pas adopter notre programme. Certaines veulent l'adopter, mais se font dire par leur syndicat qu'il n'en est pas question.
Le sénateur Bacon: Et quel est le pouvoir persuasif dont vous disposez?
M. Bélanger: Il es illimité. Nous sommes une association volontaire et nous faisons de notre mieux, Nous n'avons certainement pas de pouvoir coercitif, auquel cas, nous perdrions tous nos membres. Notre pouvoir est plutôt persuasif. Par exemple, nous avons développé notre programme, et dans la très grande majorité, ce sont des entreprises qui ont des exploitations internationales.
Vous allez me dire qu'il y avait une autre incitation: le règlement américain. Certains membres avaient commencé avant. Quelques transporteurs uniquement canadiens font partie du régime aussi, mais leur nombre reste limité.
Le sénateur Bacon: Etes-vous d'avis, monsieur Bélanger, que le plus grave problème de sécurité pour les camionneurs, ce sont les routes?
M. Bélanger: C'est un grave problème, mais je pense qu'il y a aussi le manque de mise en application des lois sur la sécurité. Je pense que c'est un problème encore plus important. J'ai entendu tout à l'heure mentionner discrètement les roues qui se détachent. Mais il y a deux facteurs. Il y a les facteurs d'inspection, mais il y a aussi les facteurs de condition de la route qui endommage l'équipement. Si l'on avait davantage d'inspections, on pourrait prévenir un peu plus, mais il reste qu'il y a plusieurs accidents qui sont causés par le fait que certains transporteurs coupent les coins ronds. Ceux-ci demeurent une petite proportion, mais ils existent quand même et nous n'avons aucun pouvoir sur eux, persuasif ou autre.
Le sénateur Bacon: Comme association?
M. Bélanger: Oui, absolument pas.
Le sénateur Bacon: Même si vous tentiez -- et je ne connais pas vos règles -- d'émettre des règles plus sévères à l'interne, elles ne seraient pas respectées?
M. Bélanger: Ces membres quitteraient notre association.
Le sénateur Bacon: Vous perdriez vos membres?
M. Bélanger: C'est bien cela. Il y a trois ou quatre ans à peu près, il y a eu un certain nombre d'accidents sur la Côte Nord, au Québec, dont vous allez peut-être vous souvenir...
Le coroner avait été très sévère vis-à-vis de l'industrie et cette année-là, l'Association du camionnage du Québec avait invité le coroner en chef à venir parler aux transporteurs. Il a fait son discours et il a fait des remontrances à l'industrie. À la fin de son discours il a dit: «Il y a une chose que je voudrais vous dire. De tous les accidents mortels où l'on a été appelé à enquêter, pas un seul n'impliquait un membre de votre association».
Le sénateur Roberge: Mais il y en avait d'autres.
M. Bélanger: Oui; les gens qui participent aux associations, qui payent une cotisation, qui contribuent à tout le travail que l'on fait, ce sont des gens responsables qui ont à coeur la sécurité et le respect des lois. Ceux avec lesquels on éprouve des problèmes ne sont pas là; on ne peut pas leur parler.
C'est la mise en vigueur, la mise en application qui va corriger cela.
[Traduction]
Le président: J'aimerais aborder avec vous rapidement quelques questions. L'une d'entre elles concerne le trafic Mexique-États-Unis-Canada, qui est d'actualité. Je ne m'intéresse pas nécessairement à l'aspect économique de ce trafic, mais, plutôt aux questions de sécurité. Y avez-vous réfléchi?
Permettez-moi de vous dire, messieurs, que la plaisanterie à la mode ici est que si l'on veut savoir ce qui se passe dans l'industrie du camionnage, il faut aller en Australie. Si l'on veut savoir ce qui se passe dans l'industrie du transport aérien, il faut aller en Australie. Si l'on veut savoir ce que c'est que la tolérance zéro, il faut aller en Australie. Je vous remercie d'être venus ici. Était-ce valable et qu'avez-vous appris? Plus important, y a-t-il quelque chose que nous pourrions apprendre parce qu'il y a en Australie bon nombre de ces régimes obligatoires dont nous parlons. Dans certains cas, ils sont en place depuis peu. D'autres aspects de ces régimes le sont depuis plus longtemps. Pourrions-nous apprendre quelque chose si nous allions en Australie?
M. Bélanger: Oui, monsieur le président. Vous verriez en Australie cinq remorques tractées par un camion. Je vais laisser mon collègue répondre à la question sur l'Australie étant donné qu'il y est allé.
M. Cooper: Monsieur le président, vos commentaires sur l'expérience et l'exemple de l'Australie sont valables. Ce pays se démarque réellement du reste du monde pour ce qui est des progrès accomplis.
Il y a quelques années, par exemple, l'industrie du camionnage y était dans une pagaille épouvantable. Ils ont fait beaucoup de progrès depuis. Nous y sommes allés pour étudier ce qu'ils appellent le programme de gestion de la fatigue, programme élaboré entre le gouvernement de Queensland et le Road Transport Forum, qui est l'association australienne de l'industrie. Nous y avons trouvé bien des choses intéressantes pour ce qui est des moyens à prendre pour assurer l'observation de la réglementation, pas seulement dans le domaine de la gestion de la fatigue mais également au chapitre de la sécurité du camionnage, et cetera.
Tout d'abord, il faut reconnaître que l'Australie est semblable, sur le plan constitutionnel, au Canada. L'une des choses les plus intéressantes que nous avons vues, est le concept de loi modèle. Au Canada, si je peux me permettre une analogie, si nous avons un code national de sécurité, nous prions pour que les provinces l'appliquent.
Voici ce qu'ils font en Australie. Le territoire de la capitale australienne, qui ressemble quelque peu au District de Columbia, élabore une loi modèle concernant la sécurité des véhicules, par exemple. Cette loi est mise en oeuvre dans le territoire et les autres États australiens l'incorporent par renvoi ou l'intègrent directement à leurs propres règlements. C'est une approche relativement nouvelle. Ils étaient en train de l'étudier quand nous y étions, et je pense qu'il y avait un règlement, si j'ai bonne mémoire, déjà en place. Nous avons entendu certaines présentations intéressantes des représentants de la Commission de transport des routes nationales de Melbourne, qui nous ont parlé de cette question de loi modèle. Je préconise de prendre exemple sur ce genre d'approche.
En fait, j'ai parlé plus tôt du travail de réécriture du règlement sur les heures de service que nous entreprenons actuellement avec nos collègues des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous avons parlé, quoique de façon informelle, à ce moment-ci de l'idée de disposer d'un certain genre de cadre. C'est probablement là qu'il est nécessaire d'avoir une uniformité. Nous parlons de physiologie et de comportement humain. Vraisemblablement, ce qui rend une personne fatiguée à Terre-Neuve fait la même chose en Colombie-Britannique. Cette question se prêterait admirablement à l'adoption de ce genre d'approche.
M. Bélanger: Ici, la loi modèle prend la forme d'une incorporation par renvoi.
Le président: Pourriez-vous nous parler du Mexique, s'il vous plaît, parce qu'il s'agit d'une question tout aussi préoccupante?
M. Bélanger: On entend sans cesse parler de transporteurs mexicains peu scrupuleux qui traversent les zones frontalières américaines. Essentiellement, il s'agit d'un problème électoral plus qu'un vrai problème. De la façon dont les lois et les règlements s'appliquent à cette frontière, des services de navette sont utilisés. Il y a des exploitants qui possèdent un tracteur et tout ce qu'ils font c'est traverser le pont. Ils parcourront 100 kilomètre par semaine en utilisant un vieux tracteur. Ils chargent un prix fixe.
Les grands transporteurs américano-mexicains, et je les connais tous personnellement, sont tout aussi organisés que nous. Ils ont des employés compétents et un équipement impeccable. Ils sont sur un pied d'égalité avec nous. Il est vrai qu'il y a là-bas de petits transporteurs, comme il y en a ici, qui sont moins sécuritaires, mais ceux qui transportent des chargements sur de grandes distances aux États-Unis et éventuellement jusqu'au Canada sont tout aussi sécuritaires, tout aussi bien organisés et tout aussi bien gérés que le sont les meilleurs transporteurs canadiens et américains.
Le problème est causé par des politiciens qui, bien entendu, veulent plaire aux camionneurs qui, dans bien des cas, s'opposent aux Mexicains parce qu'ils ont peur de la main-d'oeuvre à bon marché. De l'autre côté de la frontière, il n'y aura pas de main-d'oeuvre à bon marché bien longtemps en raison du coût. Vous pouvez recruter de la main-d'oeuvre à bon marché au Mexique parce que le coût de la vie est peu élevé. Une fois que le niveau de l'économie s'élève, tout le reste suit.
Je n'ai aucune inquiétude à cet égard. Je parle par expérience et en connaissance de cause étant donné que je connais les transporteurs mexicains et que je suis allé à plusieurs reprises dans leur pays. Je ne doute pas de leur capacité à nous égaler.
Le président: Peuvent-ils compter sur une association nationale du camionnage semblable à la nôtre?
M. Bélanger: Oui.
Le président: Vous faites partie intégrante d'une association multinationale, n'est-ce pas?
M. Bélanger: Oui, je suis aussi actuellement président de l'Alliance nord-américaine du transport, une alliance de l'Association canadienne de camionnage, de l'Association américaine de camionnage et de La Camara Nacional De Auto Transporte De Carga, ou CANACAR.
Le président: Ce qui nous rend encore plus honorés de votre présence.
Le sénateur Roberge: Supposons, par exemple, qu'un camion aille dans un poste de pesage au Québec et qu'il ait 1 000 livres de charge de trop. À quel genre de coûts s'exposerait-il?
M. Bélanger: Dans la plupart des provinces, il y a une amende de base et puis c'est tant la livre. Une surcharge de 5 000 livres pourrait coûter 2 500 $ ou 3 000 $ d'amende.
Le sénateur Roberge: C'est différent dans chaque province?
M. Bélanger: Oui.
Le sénateur Roberge: Pour protéger les routes, ne serait-il pas bon d'imposer des amendes plus élevées?
M. Bélanger: C'est une idée que l'industrie a appuyée dans la plupart des provinces. Un transporteur a testé une des balances à Québec près du pont de Québec. Il a pris une remorque, l'a chargée en respectant les limites et en a scellé le chargement en présence d'un inspecteur. C'était une chaude journée d'été et il n'y avait donc pas accumulation de glace. Tout ce que la semi-remorque a fait ce jour-là a été de partir du terminus, de rouler pendant environ cinq kilomètres, de revenir à la balance, puis au terminus. Trente minutes plus tard il est retourné au poste de pesage où l'on a constaté un écart de plusieurs milliers de livres.
Nous avons un problème avec la qualité des balances. Nous avons un problème avec certains types de chargements. Par exemple, quand vous vous arrêtez sur les balances avec un camion-citerne, le liquide que vous transportez ballotte. Il faut parfois une demi-heure pour qu'il se stabilise. Que peut-on faire?
En général, l'industrie est en faveur d'amendes plus élevées pour ceux qui surchargent leurs camions. Ils devraient être retirés de la route. Si nous disposions de routes construites conformément aux normes, selon le code, et si tout le monde se conformait aux lois sur le pesage, alors les routes ne se détérioreraient pas plus que la normale en raison de la température, et cetera. De la façon dont il est construit, un camion, si son chargement respecte les règles du code des normes, ne détériore pas la route davantage qu'une auto, qu'il ait 20 ou 5 essieux. Nous voulons, autant que quiconque, que ceux qui surchargent leurs camions soient retirés de la route.
Le président: Étant donné que je fais partie de ceux qui font fréquemment la route entre Halifax et Ottawa, je dois vous dire que les camions me terrifient. Aucun des témoins que nous avons entendus n'a pu me convaincre du contraire. Ils me réconfortent jusqu'à ce que je reprenne la route. Les entreprises de camionnage les plus prestigieuses du Canada n'ont aucune crédibilité à mes yeux si ce n'est la compétence du conducteur du camion. Il ne s'agit pas d'autos qui se faufilent derrière un camion et se cachent dans les angles morts; les camions le font aussi entre eux. C'est plutôt effrayant de voir deux d'entre eux faire la course sur l'autoroute à 130-140 kilomètres-heure.
M. Bélanger: Nous sommes contre cela, aussi, soit dit en passant.
Le président: Je l'espère. L'automobiliste terrifié ne peut quitter la route. On n'ose pas rouler à moins de 125 ou 130 kilomètres-heure entre ici et la ville de Québec ou Rivière-du-Loup. Faire autrement, c'est risquer sa vie. Pire que cela, vous mettez en danger la vie d'autres personnes.
De petites choses comme des garde-boue pourraient être utilisées au printemps et en automne. Il y a toutes sortes de petites choses qui pourraient être faites, comme vérifier la pression des pneus. Cela aiderait si le conducteur moyen savait comment identifier un conducteur négligent. On devrait peut-être récompenser ceux qui le dénoncent. J'ai vu des camions rouler à toute vitesse dépasser des voitures de police, également.
M. Bélanger: Oui, je sais.
Le président: L'agent de police s'en fiche, il ne lui donnera pas la chasse.
M. Bélanger: J'ai appelé certains de mes membres quand j'ai vu des camions rouler trop vite. Nous sommes contre cela. Des entreprises disposent de systèmes de repérage par satellite et de limitateurs de vitesse. La vitesse de leur véhicule est limitée à moins de 100 kilomètres.
Le président: Ce n'est le cas qu'une fois sur 20.
M. Bélanger: Oui, mais pourquoi les policiers ne les arrêtent-ils pas?
Le président: Pourquoi ne le faisons-nous pas? Pourquoi ne prenons-nous pas 10c. de cette taxe prélevée sur le prix d'un litre de carburant diesel et ne le donnons-nous pas aux forces de police provinciale pour qu'elles patrouillent les routes?
M. Bélanger: C'est la deuxième suggestion, sénateur.
Le président: Est-ce inclus dans votre fonds de sécurité du camionnage?
M. Bélanger: Tout à fait.
Le président: Formidable. Nous sommes très heureux que vous ayez pu venir nous rencontrer aujourd'hui. Il se pourrait que nous vous demandions de comparaître à nouveau, si cela ne vous dérange pas.
M. Bélanger: Nous serions ravis de revenir.
Le président: Vous revêtez pour nous un caractère très particulier, ainsi que pour des millions d'automobilistes, pourrais-je ajouter. Nous croyons que la sécurité est une culture qui doit être nourrie et encouragée. Cela peut se faire avec de la formation, du bon sens et certaines disciplines.
Merci encore.
La séance se poursuit à huis clos.